La conception néo-socialiste au congrès de la SFIO de 1933

La crise interne au sein de la SFIO couvait depuis des semaines, voire des mois ou plusieurs années, de manière toujours plus virulente, au point que pour son 30e congrès, la SFIO fut obligée de faire voter le premier jour, le 14 juillet 1933, la résolution suivante, adoptée à 3 379 voix contre 22 et 662 abstentions :

« Toutes les Fédérations, réunies dans leur Congrès National, s’engagent à ne trouver dans aucune décision prise par ce Congrès, en conformité des statuts du Parti S.F.I.O., un motif de s’en séparer. »

C’est que le 30e congrès était clairement celui du règlement de compte, tous les débats se focalisant sur le groupe parlementaire, son autonomie par rapport aux principes et aux décisions de la SFIO, sa vision du monde.

Or, les tenants du groupe parlementaire insistaient sur le fait que, selon eux, ils avaient agi conformément aux besoins du socialisme et de la classe ouvrière. Ils refusaient par avance toute sanction contre le groupe parlementaire ou sa partie pro-participation au gouvernement, considérant qu’une sanction poussait à la scission.

L’aile gauche dénonça donc un chantage, il y eut de violentes altercations, provocations, troubles divers, etc.

Lorsque André Costedoat prit ainsi la parole au nom de la minorité de la Gironde, une Fédération pro-participationniste (au 3/5) avec Adrien Marquet à sa tête, il fut ovationné.

Adrien Marquet se leva en protestation, recevant alors cris et sifflets, toute une masse de délégués s’agglutinant autour de lui dans un chaos général.

Adrien Marquet en 1932

L’ambiance était donc électrique et c’est l’existence même de la SFIO qui était en jeu. Chacun accusait l’autre d’être la cause que la SFIO se retrouve dans une sorte de cul-de-sac historique, ce que résuma de manière correcte alors Louis Périgaud, de l’Action socialiste rassemblant l’aile la plus à gauche ultra minoritaire, résuma très bien :

« Pendant des années, vous vous êtes associés à la politique que vous condamnez aujourd’hui ; pendant des années, vous avez pris avec le Groupe parlementaire des décisions que vous condamnez aujourd’hui sous la pression des événements économiques, et sous la pression des masses militantes du Parti. »

C’était un fait : les pro-participation gouvernementale au groupe parlementaire servaient de bouc-émissaire et c’est d’autant plus facile qu’ils avaient théorisé leur participationnisme.

C’est que, en plus de vouloir une participation au gouvernement, les participationnistes ont toute une conception faisant de l’État tel qu’il existe le pivot de ce qui peut exister en général, même dans une perspective socialiste.

Barthélemy Montagnon, une des figures néo-socialistes, résume ainsi la question de leur point de vue : puisqu’on ne veut pas le communisme et que le capitalisme s’effondre, il faut trouver une voie concrète, qui ne peut être que la prise de l’État de l’intérieur.

« Chez nous, il n’y a pas seulement un différend grave entre le Groupe Parlementaire et le Parti ; il y a — et c’est là-dessus que je veux insister — il y a une crise doctrinale sur laquelle nous avons le devoir de nous expliquer (…).

Crise doctrinale ? — Oui.

Pourquoi ? Le Capitalisme meurt ; nous le disons ; nous le savons; on le sait en dehors de nous.

Alors, d’après nos formules, d’après notre propagande, nous devrions être heureux de cet écrasement du capitalisme, de l’effondrement de ce système que nous condamnons tous les jours.

Cependant, nous ne sommes pas heureux ; nous sommes inquiets ; et c’est cette inquiétude qui constitue précisément le drame socialiste dans toute sa profondeur.

Pourquoi sommes-nous inquiets ? — Parce que nous savons bien, au fond de nous-mêmes — et rappelez-vous les articles de Blum des jours derniers — nous savons bien que le Socialisme ne peut pas sortir du chaos, et nous avons de plus cette peur suprême, c’est que de ce chaos puisse sortir la guerre (…).

Quand donc nous examinons les faits, quand nous examinons nos possibilités actuelles, dans cette période de transition, de chute capitaliste, nous sommes obligés de constater l’antinomie qui existe entre notre formulaire doctrinal d’une part, et, d’autre part, les faits et l’action pratique conseillée même par nos amis les plus doctrinaires.

C’est parce que nous n’osons pas avouer cette différence, cette antinomie ; parce que nous n’osons pas faire le point ; parce que nous n’avons pas le courage – je ne dis pas de réviser notre doctrine, mais de la remettre sur le chantier pour l’adapter à la situation présente ; c’est parce que nous ne voulons pas voir les choses telles qu’elles sont, que d’autres partis plus jeunes nous écrasent ou nous « mangent ».

Voilà la tragique faiblesse du socialisme international. Oui, crise générale, crise socialiste, crise des vieilles choses, vous m’entendez, crise des vieilles formules, des vieilles idées, crise de transition (…).

Crise générale de la démocratie ! Pourquoi ? Parce que l’État est trop faible, c’est une constatation de fait ; parce que l’État n’a aucune action possible sur les perturbations économiques, sur les grands courants sociaux.

Nous sommes dans cette période de transition économique dont je parlais. Comment se présente-t-elle ? Économie libérale : tout le monde le reconnaît, elle est finie, passée.

Économie collective et sociale : elle naît à peine, elle se cherche, elle hésite dans ses premières manifestations. C’est cette recherche d’un équilibre capitaliste nouveau qui provoque des troubles, des souffrances (…).

La naissance du fascisme, la force du fascisme, vient de la nécessité qui semble évidente partout, d’un État fort, d’un État puissant, d’un État d’ordre (…).

En vérité, Hitler et Mussolini nous ont volé une partie de ce programme syndicaliste.

Et puis une autre tendance très marquée : l’intérêt porté aux classes moyennes. Les classes moyennes souffrent, écrasées ici et là par l’inflation, écrasées partout par le développement même du capitalisme. Elles jouent un rôle important, remarquez-le, non seulement par leur nombre, mais également par la valeur personnelle de leurs membres, par le rôle social des individus qui les composent.

Il est un fait historique qu’il faut enregistrer : c’est dans les classes moyennes qu’existent aujourd’hui les ferments révolutionnaires (…).

Et du côté de la classe ouvrière ? Je dis des choses désagréables, laissez-moi les dire jusqu’au bout.

Dans la période de crise, la classe ouvrière, déjà affaiblie politiquement et syndicalement par ses divisions, a perdu, par le fait même du chômage, toutes possibilités de réaction.

J’en suis navré, mais je suis obligé de le constater (…).

Le drame, voyez-vous, c’est que nous croyions qu’il n’y avait qu’une direction pour aller au socialisme et aujourd’hui par les faits mêmes, nous nous rendons compte que notre voie n’est pas la seule, qu’il peut y en avoir une autre : la voie fasciste. »

D’où la solution proposée par les néo-socialistes : réorganiser l’État. Les socialistes ne doivent plus contribuer à ce que la classe ouvrière fasse la conquête du pouvoir, mais à ce qu’elle participe directement à l’État lui-même, qu’elle le renforce, car celui-ci est un outil directement utile de par sa capacité à peser sur les orientations d’un pays.

« Que devons-nous faire ? D’abord, régénérer notre parlementarisme, apporter nous-mêmes des solutions pour modifier cette grande machine vieillotte qui ne rend pas.

Puis transformer l’État – et c’est là que vous serez obligés d’adapter votre doctrine.

Oui, transformer l’État, en arriver à la conception d’un État fort, maître de sa monnaie, capable de contrôler l’économie et la finance, d’imposer au grand capitalisme certaines directives.

Oui, État fort, avec des rouages mieux adaptés aux besoins modernes, de telle sorte, que si un jour, directement ou indirectement nous prenons le pouvoir, nous ayons là un instrument, une possibilité d’action transformatrice.

C’est nous qui devrions prendre la direction de ce mouvement en faveur de la réorganisation de l’État, de l’État moderne.

Je sais bien, qu’au fond, tout ce qui pense dans ce pays au point de vue économique appelle de tous ses vœux cette réforme. C’est nous qui devrions l’apporter, la soutenir, même si certains vieux textes doivent être dépassés.

Et puis nous devons préparer cette économie dirigée qui est dans la logique des choses et qui se fera contre nous si nous ne la faisons pas nous-mêmes. »

Les néo-socialistes poussent jusqu’au bout la démarche socialiste de soutien ou de participation gouvernementale, justifiée par le réformisme en attendant la révolution. Et ils disent même que c’est la résolution de l’opposition réformisme/révolution, car c’est par l’État que se fait la révolution elle-même.

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