En 1944, dans Chemin de la Croix-des-Âmes, Georges Bernanos fit son mea culpa sur l’antisémitisme. Il ne s’agit cependant pas d’une autocritique, mais d’un déplacement de son idéalisme : les robots et la technique remplacent désormais la fonction qu’avait la « banque juive ».
Voici les propos qu’il tient pour parer à toute accusation d’antisémitisme, cherchant visiblement à s’extirper, avec plus ou mois de succès, d’une cage mentale où il s’était confiné :
« J’ai reçu quelques lettres extrêmement touchantes de certains compatriotes juifs qui me reprochent d’avoir écrit que l’esprit juif et l’esprit allemand avaient entre eux une profonde affinité. Je regrette de les avoir peinés, c’est tout ce que je peux dire.
Aller plus loin serait déformer ma pensée, j’aime mieux la préciser encore aujourd’hui, même si je risque d’aggraver ainsi le malentendu, car je respecte trop la sincérité de mes sympathiques contradicteurs pour leur sacrifier la mienne.
Il y a une question juive. Ce n’est pas moi qui le dis, les faits le prouvent.
Qu’après deux millénaires le sentiment raciste et nationaliste juif soit si évident pour tout le monde que personne n’ait paru trouver extraordinaire qu’en 1918 les Alliés Victorieux aient songé à leur restituer une patrie, cela ne démontre-t-il pas que la prise de Jérusalem par Titus et la dispersion des vaincus n’a pas résolu le problème ?
Ceux qui parlent ainsi se font traiter d’antisémites. Ce mot me fait de plus en plus horreur, Hitler l’a déshonoré à jamais (…). Je ne suis pas antisémite – ce qui d’ailleurs ne signifie rien, car les Arabes aussi sont des sémites. Je ne suis nullement antijuif (…).
Je ne suis pas antijuif, mais je rougirais d’écrire, contre ma pensée, qu’il n’y a pas de problème juif, ou que le problème juif n’est qu’un problème religieux. Il y a une race juive, cela se reconnaît à des signes physiques évidents.
S’il y a une race juive, il y a une sensibilité juive, une pensée juive, un sens juif de la vie, de la mort, de la sagesse et du bonheur.
Que ces traits communs – sociaux ou mentaux – soient plus ou moins accusés, je l’accorde volontiers. Ils existent, voilà ce que j’affirme, et, en affirmant leur existence, je ne les condamne ni ne les méprise.
Il en est qui s’accorde mal avec ma propre sensibilité, mais je n’en sais pas moins qu’ils appartiennent au patrimoine commun de l’humanité, qu’ils maintiennent dans le monde la tradition et l’esprit de la plus ancienne civilisation spirituelle de l’Histoire.
De ce qui précède, les imbéciles concluront que je suis raciste. N’importe ! Je ne suis nullement raciste pour affirmer qu’il existe des races.
Le racisme condamné par l’Église est l’hérésie qui prétend distinguer entre les races supérieures par essence et les autres inférieures destinées à servir les premières, ou à être exterminées par elle. Ce racisme du nazisme allemand ou du Ku Klux Klan américain n’a jamais été, pour un Français, qu’une monstruosité dégoûtante.
Il n’existe pas de race française. La France est une nation, c’est-à-dire une œuvre humaine, une création de l’homme ; notre peuple, comme le peuple brésilien, est est composé d’autant d’éléments divers qu’un poème ou une symphonie.
Mais il y a une race juive. Un Juif français, incorporé à notre peuple depuis plusieurs générations, restera sans doute raciste, puisque toute sa tradition morale ou religieuse est fondée sur le racisme, mais ce racisme s’est humanisé peu à peu, le Juif français est devenu un Français juif ; ses vertus héréditaires, comme les nôtres, sont désormais au service de la nation.
J’ai écrit que le génie juif est un génie de contradiction, de refus. Honneur à qui refuse le reniement, honneur à qui dit « non ! » à la servitude, à la honte, à la Kollaboration.
Ainsi la France a presque toujours rempli envers les Juifs, sortis des immenses, des inépuisables réservoirs juifs de l’Europe centrale et orientale pour entrer dans notre vie nationale, sa mission d’assimilatrice, de réconciliatrice, d’initiatrice. »