Les trotskistes soutiennent dès le départ, de manière vigoureuse, la CGT-Force Ouvrière. La revue L’Unité mélangeait même trotskistes et anarchistes, qui de fait formeront les principaux minoritaires du syndicat pour toute la seconde moitié du 20e siècle.
Cette unité a existé également en-dehors de la CGT-Force Ouvrière, puisque trotskistes et anarchistes tenteront d’agir dans la CGT, formant un Comité de liaison et d’action pour la démocratie ouvrière en 1956, qui s’enlisera rapidement. Son principal activiste Joachim Salamero devint dirigeant de l’Union Départementale de la Gironde de la CGT-Force Ouvrière.
C’est que trotskistes et anarchistes sont unis par le même anticommunisme et le même espoir que l’existence d’une CGT-Force Ouvrière, même réformiste, impulse de manière « naturelle » des luttes aboutissant à leur propre renforcement. Inversement, les réformistes de la CGT-Force Ouvrière avaient clairement besoin d’activistes « ultras » mettant de l’huile sur le feu pour concurrencer la CGT.
Cela fut vrai au point qu’un accord fut réalisé entre la CGT-Force Ouvrière et les trotskistes organisés autour de Pierre Lambert (1920-2008). Ce dernier fut la figure phare d’une partie du Parti communiste internationaliste né en 1944, qui constitua ensuite en 1965 l’Organisation communiste internationaliste.
Cette dernière organisation, la plus importante numériquement chez les trotskistes, menaient une activité consistant principalement en l’entrisme. L’OCI mena une telle activité au sein de l’UNEF que celle-ci scissionna, l’UNEF Renouveau passant dans le camp du PCF, l’UNEF-indépendante et démocratique passant aux mains de l’OCI, avec le Parti socialiste à l’arrière-plan.
C’est que l’OCI se focalisait sur la formation des cadres et l’emploi de la violence, ce qui lui permettait de tenir face aux pressions d’un PCF toujours plus décadent dans son approche.
C’est cela qui fit qu’il y eut un syncrétisme entre la CGT-Force Ouvrière et l’OCI. Cette dernière apporta ses cadres, son service d’ordre pour que la CGT-Force Ouvrière puisse enfin faire acte de présence dans les cortèges et disposer d’une sécurité très bien organisée.
L’OCI abandonna même son entrisme dans la Fédération de l’Éducation nationale (FEN), en 1983-1984, pour contribuer à constituer en tant que tel la Fédération nationale de l’éducation et de la culture Force Ouvrière (FNEC-FO).
L’OCI généralisa également les campagnes en faveur des opposants dans les pays de l’Est, ce qui allait parfaitement avec la ligne de la CGT-Force Ouvrière.
Le dernier aspect fut la très importante culture franc-maçonne qu’on retrouve de part et d’autres, qui aboutit à une grande alliance portant Marc Blondel au poste de secrétaire général en 1989. Claude Jenet, clairement un pion de l’OCI, devint pas moins que le numéro 2, étant en charge de la presse et de l’organisation.
Dès 1981, avec L’appel aux laïques, on trouve déjà Pierre Lambert pour l’OCI, Marc Blondel pour la CGT-Force Ouvrière, et l’homme-clef Alexandre Hébert.
Alexandre Hébert fut secrétaire de l’union départementale CGT-Force ouvrière de la Loire-Atlantique de 1948 jusqu’en 1992, son fils (membre de l’OCI) lui succédant. Il impulsa l’Union des anarcho-syndicalistes, fondée en 1972, qui marcha de concert avec l’OCI, au point que finalement l’OCI devint le Parti des Travailleurs, puis le Parti Ouvrier Indépendant (POI) intégrant des tendances anarcho-syndicaliste, socialiste, etc.
L’idée d’obtenir 10 000 membres avait entre-temps échoué pour l’OCI, qui en tant que POI essayait en fait de concrétiser politiquement le fait d’être devenu une composante du squelette de la CGT-Force Ouvrière.
La présence des anarchistes et des trotskistes au sein de la CGT-Force Ouvrière a ainsi toujours été accepté, et même souhaité. Les réformistes acceptaient volontiers ces forces vives, voire même l’idée d’une utopie éventuelle, du moment qu’elle soit de nature anti-politique et syndicale. Les anarchistes et les trotskistes appréciaient l’anticommunisme forcené du syndicat, base pour former une hypothétique « troisième force » non plus réformiste, mais « révolutionnaire ».
André Bergeron, secrétaire de la CGT-Force Ouvrière de 1963 à 1989, est explicite à ce sujet dans son livre de 1975 Une lettre ouverte à un syndiqué. En voici des extraits significatifs et le passage sur les anarchistes et les trotskistes :
« Camarade,
Tu n’es pas pour moi un inconnu. C’est pourquoi je t’écris. Tu ne seras jamais un visage perdu dans la foule. Même si je ne t’ai jamais rencontré, je te connais bien. Je ne te demande pas quelle est ton appartenance syndicale. Pour moi, cela ne change rien. Que tu sois l’un des 900 000 cotisants de la C.G.T.-F.O. ou que tu adhères à une autre organisation, tu es pour moi un camarade (…).
Comme moi, il t’arrive sans doute de t’interroger sur le pourquoi des raisons de ceux qui se contentent d’observer le syndicalisme, de le juger, voire de le critiquer, sans pour autant prendre place dans les rangs des travailleurs organisés.
Tu n’es pas de ceux-là puisque tu es syndiqué. C’est pourquoi je te tutoie et je t’appelle camarade. D’une certaine manière, tu fais partie d’une famille, de ma famille, en ce sens que les liens qui nous unissent sont nés de la prise de conscience d’une communauté d’intérêts et de devoirs à l’égard des autres et de nous-mêmes (…).
En septembre 1945, j’ai été élu secrétaire du syndicat des typographes CGT de Belfort. Militant à l’Union Départementale, je ne pouvais que constater la montée de l’emprise communiste sur l’organisation. C’est pourquoi, en 1946, nous avions à quelques-uns, comme partout ailleurs, constitué un groupe des amis de Force Ouvrière pour lutter contre la politisation de la CGT. J’en devins le responsable. Nos efforts étant demeurés vains, nous avons dû, en décembre 1947, quitter la CGT. Pour assurer la survie du syndicalisme libre, nous avons créé Force Ouvrière (…).
J’ai beaucoup de camarades anarchistes ou trotskystes… Maurice Joyeux de la Fédération anarchiste… Pierre Lambert, responsable d’un important courant trotskyste, également mon ami… Arlette Laguiller… Jeune femme courageuse, honnête et très sincère. »