La crise qui depuis longtemps tourmente notre parti, sur laquelle votre attention a, été fréquemment appelée, soit à la suite des récents événements en Italie, soit par suite des délibérations du second Congrès de la 3e Internationale, rend nécessaire et urgent, à l’approche du Congrès du Parti, un effort harmonieux des éléments de gauche du parti pour sortir enfin d’une situation intolérable et qui contraste avec les exigences de la lutte révolutionnaire du prolétariat italien.
Tout cela nous a induits à prendre l’initiative d’un mouvement de préparation au Congrès dans le but d’arriver à une entente harmonieuse entre tous ces camarades qui sentent vraiment la nécessité que le Congrès indique une solution définitive et énergique du vaste problème.
Nous ne nous attarderons pas à vous rappeler quelle est la situation de notre pays : les conditions dans lesquelles il a participé et est sorti de la grande guerre mondiale, pas plus que les épisodes de cette période troublée de l’après-guerre, qui démontrent même à nos adversaires les multiples symptômes de l’irrémédiable désorganisation du régime actuel, et son incapacité à lutter contre les conséquences révolutionnaires de sa propre débâcle.
D’autre part, le frémissement, l’enthousiasme, l’élan rebelle des masses de toutes les couches du prolétariat, croissent tous les jours et se manifestent par de continuelles agitations, par l’ardeur avec laquelle les batailles de classes sont conduites et dans l’aspiration parfois indistincte qu’elles se termineront par la victoire finale de la révolution prolétaire.
La bourgeoisie, quoique consciente de sa propre impuissance à faire face au chaos de son régime social, concentre ses dernières énergies à la défense contre cette marche des masses révolutionnaires. D’un côté, elle organise des corps réguliers et irréguliers pour la répression armée des soulèvements ouvriers. De l’autre, elle développe une politique rusée de concessions apparentes et de mensongère bienveillance envers les désirs des masses.
Les organes qui dirigent l’action prolétaire, auxquels incomberait la tâche de développer une opposition victorieuse à cette politique de conservation bourgeoise, ont, plus d’une fois, montré jusqu’à l’évidence, leur propre insuffisance. L’organisation syndicale recueille, toujours plus, de nombreux groupes de travailleurs.
Cependant que ceux-ci montrent dans les agitations et dans les grèves qu’ils sentent le besoin d’élargir le champ de lutte et de s’avancer vers les conquêtes révolutionnaires, la bureaucratie dirigeante des syndicats imprime à toute l’action les caractères traditionnels de la bataille corporative et l’enserre dans les limites d’une vaine poursuite d’améliorations graduelles des conditions de vie du prolétariat.
Quant au parti politique de la classe ouvrière, le Parti Socialiste, qui devrait avoir la tache de grouper autour de lui toutes les énergies révolutionnaires d’avant-garde, d’imprimer un nouveau caractère et une nouvelle direction aux méthodes de lutte pour la conquête des buts extrêmes du communisme, il se révèle lui aussi incapable d’accomplir sa fonction.
Il est vrai que la majorité du Parti, en adoptant à Bologne le nouveau programme maximailiste et en donnant son adhésion à l’Internationale de Moscou, croyait avoir répondu aux exigences du problème historique, lequel, depuis la fin de la grande guerre, a mis partout face à face les deux conceptions opposées de la lutte prolétarienne : la conception sociale-démocrate, déshonorée par la faillite de la 2e Internationale et par sa collaboration complice avec la bourgeoisie, et la conception communiste, forte des affirmations originales du marxisme et de l’expérience glorieuse de la révolution russe, laquelle, organisée dans la nouvelle Internationale, lançait au prolétariat son mot d’ordre révolutionnaire ; c’est-à-dire : lutte violente pour abattre le régime bourgeois, dictature du prolétariat : régime des soviets.
Mais en réalité, le Parti, illusionné peut-être par la satisfaction légitime d’avoir tenu, pendant la guerre, une attitude différente de celle des autres partis de la 2e Internationale, ne comprit pas la nécessité que le changement formel du programme dût être accompagné d’un renouvellement profond de sa structure et de son action.
Les événements successifs ont démontré à travers des circonstances qu’il est superflu de rappeler, combien le Parti était encore loin d’être à la hauteur de la tâche révolutionnaire que la situation historique lui confiait. Il n’a pas essentiellement modifié ses conceptions politiques, et surtout son action parlementaire, s’en tenant aux méthodes traditionnelles de l’avant-guerre, et a souvent fait le jeu du gouvernement bourgeois.
Au moment où il aurait fallu appliquer des solutions décisives, des hommes restaient au pouvoir dont les conceptions étaient dépassées par les événements et auxquels le parti ne sut arracher ni la direction syndicale, ni la direction parlementaire, et l’on retomba ainsi dans les vieilles méthodes de raccommodement et de négociations.
Les masses prolétaires, désillusionnées, se dirigent donc en partie vers d’autres courants révolutionnaires, militant hors du parti, comme les syndicalistes et les anarchistes, lesquels, quoique ayant sur le processus révolutionnaire des conceptions avec lesquelles des communistes ne peuvent être d’accord, critiquent avec justesse une attitude qui contraste tant avec les exigences révolutionnaires et avec le langage révolutionnaire des chefs du Parti eux-mêmes.
C’est donc à cause des raisons que nous avons rappelées et pour celles que les éléments de gauchee ont déjà, en beaucoup d’occasions, amplement commentées, que le Parti Socialiste Italien s’est révélé incapable de remplir sa tâche, et c’est pour ces raisons que le congrès international de Moscou, en accueillant la requête des camarades italiens de tendance plus avancée a décidé de peser avec clarté et fermeté la question du renouvellement de notre parti, et a fixé les bases sur lesquelles le prochain congrès de notre parti devra travailler pour obtenir un tel résultat.
Quelle est donc la tâche du prochain Congrès ? Quels sont les objectifs que nous devons établir pour arriver à ce que, au lieu de dégénérer en une réunion où se tiennent de vaines palabres, et où l’on pratique de subtiles manœuvres de couloirs, l’on affronte au contraire courageusement le mal et l’on y apporte les remèdes les plus radicaux ?
Nous croyons que ces objectifs et ces intentions devraient être communs à tous les camarades qui partagent non seulement les principes fondamentaux du communisme, l’intention d’appliquer de la façon la plus énergique les délibérations de Moscou, tant à la constitution du parti qu’à son action.
Ces délibérations constitueront la plate-forme commune d’action de ces groupes et de ces courants de gauche, qui, tout en se différenciant sur des détails, sur la conception de certains problèmes de doctrine et de tactique, se trouvent d’accord sur les critiques, faites d’un point de vue révolutionnaire, de l’insuffisance d’action du Parti.
Le programme d’action commun que nous avons en vue pour le Congrès peut, à notre avis, être résumé dans les points principaux qui suivent :
- Changement du nom du Parti en celui de Parti Communiste d’Italie (Section de l’Internationale communiste).
- Révision du programme accepté à Bologne, quelques points devant être rendus plus conformes aux principes de la 3eInternationale, pour l’opposer encore une fois au programme social-démocrate, dont est partisan la droite du parti.
- Exclusion conséquente et formelle de tous les membres ou organisations qui se sont déclarés ou se déclareront contre le programme communiste par leur vote dans les sections ou au Congrès, ou qui par toute autre action se seront mis hors du parti.
- Modification des statuts internes du parti, pour y introduire des critères d’homogénéité, de centralisation, de discipline, qui sont la base indispensable de la structure du parti communiste (adoptant parmi les autres innovations, le système d’une période de candidature pour les nouveaux inscrits au parti et celui des révisions périodiques de tous les inscrits. La première de ces innovations devra être mise à exécution immédiatement après le Congrès).
- Obligation pour tous les membres du parti à la complète discipline d’action pour toutes les décisions tactiques des Congrès Internationaux et Nationaux, avec octroi des pleins pouvoirs au Comité central désigné par le Congrès pour en observer l’exécution.
- Les buts de l’activité du parti seront définis en vue de la réalisation des conceptions établies par le Congrés de Moscou et seront principalement les suivants :
- Préparation de l’action insurrectionnelle du prolétariat, en utilisant toutes les possibilités de propagande légale, et en organisant, en même temps et systématiquement le travail illégal, afin de réaliser toutes les prémisses indispensables à l’action et en assurer les moyens matériels.
- Organiser dans tous les syndicats, sociétés de métiers, coopératives, fabriques, entreprises agricoles, etc., des groupes communistes reliés à l’organisation du parti pour la propagande, pour leur conquête et pour la préparation révolutionnaire.
- Action dans les organisations économiques pour en conquérir la direction au Parti Communiste. Appel aux organisations prolétaires révolutionnaires qui sont en dehors de la Confédération Générale du Travail (CGdL), afin qu’elles y entrent pour soutenir la lutte des communistes contre la direction actuelle et ses dirigeants. Résiliation du pacte d’alliance entre le parti et la CGdL, qui est inspiré des principes social-démocrates, suivant la parité des droits entre parti et Syndicats, afin d’y substituer la direction effective des organisations économiques prolétaires du parti communiste, grâce à la discipline des communistes qui travaillent dans les Syndicats. Sortie de la CGdL de l’Internationale jaune d’Amsterdam aussitôt qu’elle sera conquise aux conceptions du parti communiste et adhésion à la section syndicale de l’Internationale Communiste, comme il est prévu par la constitution de cette dernière
- Lutte pour la conquête par le Parti Communiste de la direction du mouvement coopératif, pour le délivrer des influences actuelles bourgeoises et petites-bourgeoises, afin de le rendre solidaire du mouvement révolutionnaire de classes du prolétariat.
- Participation aux élections politiques et administratives (conseils municipaux, d’arrondissement, etc.) avec un caractère entièrement opposé à la vieille pratique social-démocrate, dans le but de développer la propagande et l’agitation révolutionnaires, et de hâter la débâcle des organes bourgeois de la démocratie représentative. Révision par les organes du parti, sous la direction du Comité Central, de la composition de tous les organes élus, soit dans les Communes, soit dans les provinces, soit au Parlement avec faculté de les dissoudre. Contrôle et direction permanente de la part du Comité Central, de l’activité de tous ceux qui subsisteront. Le groupe parlementaire sera considéré comme l’organe désigné pour accomplir une fonction spécifique tactique, suivant les indications de la Centrale du Parti, et, il n’aura pas la faculté de se prononcer en tant que corps délibérant sur des questions qui concernent la politique générale du Parti.
- Le Comité Central contrôlera toute la propagande, et disciplinera tout spécialement la presse du Parti, dont les comités de rédaction et de direction seront nommés ou confirmés par la Centrale, qui en contrôlera l’œuvre sur la base des délibérations du Congrès.
- Etablir un contact étroit avec le mouvement de la jeunesse, suivant les conceptions de l’Internationale Communiste. Intensification de la propagande parmi les femmes.
Nous espérons que ces lignes générales du programme d’action commun recueilleront l’approbation de tous les communistes et qu’ils voudront contribuer activement à en assurer le triomphe par une vaste agitation et par l’organisation de toutes les forces qui se mettront sur ce terrain. A l’œuvre donc, camarades, pour que triomphe au-dessus du faux sentimentalisme d’unité, contre toutes les mesquines questions de personnalités, la cause de la révolution communiste.
Milan, Octobre 1920.
Nicola Bombacci, Amedeo Bordiga, Bruno Fortichiari, Antonio Gramsci, Francesca Misiano, Luigi Polano, Umberto Terracini.