Apolitisme, populisme et conquête du pouvoir politique

Le capitalisme n’a pas besoin de la politique, seulement de gens réduits à leur emploi, leur environnement direct et leur consommation. Avec un capitalisme qui fournit désormais tellement de marchandises disponibles au grand nombre, cela neutralise les esprits et cela borne les horizons. La vie quotidienne se réduit à peu de choses sur le plan de la culture, de l’approfondissement des idées, d’une mise en perspective quant à l’avenir.

Pour la grande masse des gens, la vie consiste uniquement à sa propre vie, entre famille et emploi, consommation de divertissement et vacances, avec l’écran de télévision, d’ordinateur ou de smartphone comme nœud central permettant de disposer d’une liaison censée être objective avec la réalité. En réalité, on est là dans le solipsisme, dans la négation de l’existence réelle de ce qu’il y a autour de soi.

La passivité politique est la règle, et cela jusqu’à l’apolitisme. L’abstentionnisme n’est même plus un mépris, c’est simplement un dédain, et ceux qui se mobilisent consistent surtout en ceux qui justement affirment l’amertume de ne pouvoir satisfaire leur parfaite intégration dans la consommation et le style de vie capitaliste. Les gilets jaunes sont représentatifs de cette partie de la petite-bourgeoisie qui compte bien perpétuer son existence sociale.

La ligne des gilets jaunes, consistant à harceler l’État, reflète cette vision nihiliste de ce qui n’est pas une classe, seulement une couche sociale dont l’existence n’a été due qu’à un cycle particulièrement grand de croissance capitaliste. La fin de ce cycle marque leur inéluctable anéantissement social et leur démarche équivaut à celle des secteurs de masses ayant soutenu le fascisme en Italie et le national-socialisme en Allemagne.

Les élections européennes de 2019 sont un autre exemple de victoire du dédain et du populisme, avec la grande abstention, le succès de l’extrême-droite, l’apathie générale à ce sujet.

Il n’est pas besoin de chercher bien loin la nature de ce qui se déroule. Le capitalisme est ébranlé et en même temps se renforce comme jamais en profitant de ses gigantesques vagues successives d’accumulation de capital et de marchandises. Ce n’est pas un paradoxe, c’est une contradiction et cela est propre au développement non harmonieux du capitalisme lui-même.

Cela en est au point où la notion même de société se voit étouffée. Apolitisme et populisme sont, dans les faits, indissociablement liés. Ils sont le produit du 24 heures sur 24 de la vie sous le capitalisme, tout comme de l’effondrement du niveau culturel de la bourgeoisie, qui elle-même se confond toujours plus avec les possibilités de valoriser le capital. L’ouverture acceptée de manière générale à l’individualisme le plus complet, à la consommation de drogues dites douces, à la gestation par autrui… est une véritable modification de l’évaluation culturelle bourgeoise, qui auparavant se targuait de traditions.

La bourgeoisie est pourtant la classe dominante et on voit qu’elle ne domine plus rien, le mode de production capitaliste s’emballe et l’emporte elle-même dans la tombe, comme il va lui-même à la perdition. Les limites des possibilités d’accumulation, en raison de l’émergence de solides monopoles et des compétitions entre impérialismes, forment les conditions du renforcement du parti de la guerre, de la tendance à l’affrontement ouvert à l’extérieur, ainsi que du populisme et du fascisme à l’intérieur.

Il ne faut pas ici voir le fascisme comme la tyrannie d’une idéologie « totalitaire », comme le prétend la bourgeoisie libérale. Le fascisme est le corporatisme, qui consiste en la négation de la politique. L’idéologie « totalitaire » des régimes fascistes ne servait que de dénominateur commun à une société dépolitisée de manière totale et où les monopoles contrôlaient l’État. Le fascisme, ce n’est pas la politique au pouvoir, mais la négation de la politique.

C’est là un besoin de classe propre à la bourgeoisie la plus agressive, qui a besoin de tendances corporatistes et surtout pas de débats politiques, y compris dans un sens réactionnaire. Même les tendances politiques d’extrême-droite ont été mises au pas lorsqu’elles ont voulu politiser, appliquer un certain idéalisme. Le fascisme, c’est la terreur contre la politique.

Ce qui est inquiétant pour la France, c’est que depuis plusieurs décennies déjà le processus de dépolitisation est enclenché et va de victoire en victoire. Il n’y a désormais de place que pour la consommation et même ce qui reste de la politique devient du consommable. Il n’y a plus de partis politiques, seulement des mouvements participatifs, avec des primaires pour choisir les candidats, avec des élans qui s’appuient sur les réseaux sociaux, des engouements sur des individus.

Cette approche anti-politique existe déjà depuis longtemps aux États-Unis, elle est désormais présente en France, l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en étant une conséquence. C’est cela qui explique la faiblesse totale des mouvements politiques de gauche et même de droite, en comparaison avec le succès des populistes.

Cependant, si l’on regarde bien, cette dépolitisation était déjà là en France, avec le syndicalisme. Les activités syndicales ont toujours eu dans notre pays une démarche corporatiste, radicalement anti-politique. C’est la raison pour laquelle la CGT a toujours été d’esprit syndicaliste révolutionnaire, pour laquelle elle a été incapable d’être un puissant levier contre l’Occupation allemande, pour laquelle elle s’est opposée de manière frontale à mai 1968. Cela est évidemment d’autant plus vrai des autres courants syndicaux.

C’est que la France, de par la part significative de la petite propriété dans son économie, avait déjà préfiguré la division des larges masses en individus. La France a toujours connu une grande stabilité dans ses fondements, justement de par l’ampleur des petits propriétaires. La petite propriété implique la négation de la politique et encore plus de la question de la prise du pouvoir. L’anarchisme, si puissant dans notre pays, est l’expression directe de la petite-bourgeoisie qui entend nier la question du pouvoir, pour nier l’affrontement classe ouvrière – bourgeoisie.

Il ne s’agit même plus pour la petite-bourgeoisie de chercher une troisième voie entre socialisme et capitalisme, comme les idéologies fascistes ou bien nationales-catholiques ont prétendu le faire. L’objectif est simplement de geler les idées, ce qui convient tout à fait à un capitalisme qui a uniquement besoin de consommateurs, masquant particulièrement l’existence des producteurs.

C’est cela qui produit cette idée qu’il n’y aurait plus d’ouvriers dans notre pays. C’est bien évidemment faux. Toutefois, en l’absence d’affirmation politique de la classe ouvrière, celle-ci reste invisible. Et cela dure depuis plusieurs décennies. En fait, le modèle de dépolitisation en France existe pratiquement depuis 1848. Ni le coup d’État de Napoléon III en 1851, ni celui du maréchal Pétain en 1940, ni celui de De Gaulle en 1958 n’ont connu d’opposition populaire.

Le seul exemple contraire, et d’une haute signification, est le mouvement ouvrier répondant à la tentative de coup d’État du 6 février 1934. Cela a donné le Front populaire et c’est selon nous l’exemple à suivre. Nous ne disons pas qu’il est possible d’appliquer mécaniquement ses principes, ce qui ne serait pas possible rien que par l’absence de partis communiste et socialiste disposant d’une taille de masse et d’une influence massive sur la société, de par leur ancrage dans les masses ouvrières.

Ce que nous affirmons, c’est que le processus révolutionnaire en France ne peut reposer que sur la même substance politique : l’unité populaire contre la terreur de la dépolitisation, contre l’appel à un sauveur de type bonapartiste, contre l’acception de la gestion de la société par un État réactionnaire. Cela implique l’affirmation de la démocratie de masse, des assemblées populaires, de l’autonomie ouvrière.

Face à la dépolitisation, il faut la politique et celle-ci ne peut être portée que par les masses populaires. Les structures institutionnelles, auxquelles appartiennent les syndicats, tous les syndicats y compris la CGT, jouent un rôle néfaste, car privant d’espace l’expression démocratique populaire. Ceux qui soutiennent la CGT en espérant la reprise de la lutte des classes par son intermédiaire n’ont pas compris les enseignements de mai 1968, ni du maoïsme.

Il apparaît que l’apolitisme, la dépolitisation, le populisme… ne peuvent donc pas être compris sans saisir la nature du capitalisme avancé, sans voir comment il cerne la vie quotidienne, depuis l’alimentation jusqu’au divertissement ou l’enseignement. Nous vivons dans une métropole impérialiste et le prolétariat est désormais métropolitain : son style de vie a été façonné par le capitalisme et son antagonisme s’exprime de manière tortueuse, déformée.

C’est là qu’intervient l’Organisation révolutionnaire en comprenant le poids croissant de la subjectivité dans la prise de conscience de la réalité de la lutte des classes et ses implications. Il y a une nécessité de s’extirper à une vraie chape de plomb économique, sociale, idéologique, culturelle, politique, institutionnelle, sociale, etc. Il faut affronter l’exploitation et l’aliénation qui va avec et qui s’est renforcé sans commune mesure de par l’approfondissement du capitalisme.

L’apolitisme et le populisme relèvent de ce processus d’aliénation. Ils ne peuvent être que combattus par la recomposition du tissu prolétarien qui, en s’affirmant, pose les bases de l’autonomie du prolétariat et permet d’affirmer la nécessité stratégique d’aller à la conquête du pouvoir.

Telle est la seule voie révolutionnaire dans la métropole impérialiste.

Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)

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