Sergueï Prokofiev : Zdravitsa

Merveille des merveilles, Zdravitsa est une splendeur musicale, une expression parmi les plus hautes de la culture humaine, un produit exemplaire de la culture musicale soviétique. On y retrouve la combinaison d’une haute complexité et d’une exigence de simplicité, l’esprit résolument enthousiaste populaire et le raffinement d’un haut niveau de culture.

Le grand pianiste soviétique d’Ukraine Sviatoslav Richter, une figure majeure de cet instrument au 20e siècle, parle de cette cantate comme « une sorte de révélation, pas une composition ».

L’œuvre fut jouée la première fois le 21 décembre 1939, sous la direction de Nikolai Golovanov, à l’occasion du 60e anniversaire de Staline. C’est précisément son contenu ; Zdravitsa signifie « santé ! » lors d’un toast porté à quelqu’un.

Sergueï Prokofiev a ici synthétisé la salutation populaire à Staline en 13 minutes, avec un élan et une créativité à la fois éloquente et magistrale. On est dans l’esprit d’une phrase prononcé par Staline en 1935 lors d’un discours prononcé à la première conférence des stakhanovistes de l’URSS :

« La vie maintenant est meilleure, camarades. La vie est devenue plus joyeuse. »

Cette phrase est devenue le symbole de l’époque d’alors et les paroles sont tirées d’une liste de plusieurs centaines de poèmes, chansons et histoires russes, ukrainiens, kurdes, maris, mordves, qumïqs, publiés à l’occasion du 20e anniversaire d’Octobre 1917, sous le titre Tvorchestvo narodov SSSR (Productions des peuples d’URSS).

Pour comprendre leur signification, il faut saisir le sens de cette anecdote. Vassili, l’un des enfants de Staline, était très turbulent et avait cherché à invoquer son père à la suite de reproches faits par des professeurs. La réaction de son père fut la suivante : « Je ne suis pas Staline ! Staline est le pouvoir soviétique ! ».

Les paroles de l’oeuvre de Prokofiev correspondent à l’allégorie du pouvoir soviétique, concrètement possédant un dirigeant à la tête du Parti. Jamais les aspects personnels de Staline, les aspects individuels, ne sont pris en compte.

Voici l’œuvre jouée en 2003 en Russie sous la direction de Valery Polikansky. En cliquant sur l’option on a les sous-titres en anglais, ce qui permet de suivre le mouvement de la chanson (en bas à droite, l’icone la plus à gauche). Les paroles en français sont disponibles sous la vidéo.

I

Jamais il n’y a eu
Un champ si fertile
Il n’y a jamais eu une telle joie –
Le village entier en est plein.
Nos vies n’ont été
jamais si joyeuse,
notre seigle jamais auparavant n’avait
autant fleuri.

Le soleil brille sur la Terre.
Pour nous d’une manière différente :
Il semble avoir visité
Staline au Kremlin. [partie venant d’Ukraine]

Je chante, alors que j’allaite mon enfant
Dans mes bras:

« Tu vas grandir comme une tige de blé,
Entouré de bleuets.
Staline sera le premier mot apparu
Sur tes lèvres.
Tu comprendras
L’origine de cette lumière éclatante.
Tu dessineras, dans ton carnet
Une portrait de Staline.

Oh, le cerisier du jardin reflète la lumière
Comme un brouillard blanc.
Ma vie s’est épanouie maintenant
Comme la fleur de cerisier au printemps !
Oh, le soleil brille et danse
Dans les somptueuses gouttes de rosée.

C’est Staline qui nous a amenés
Cette lumière, cette chaleur et ce soleil.

Tu comprendras, mon chéri,
Que cette chaleur
T’a atteinte
À travers les collines et les montagnes. »

Oh, le cerisier du jardin reflète la lumière
Comme un brouillard blanc.
Notre vie a fleuri, maintenant,
comme la cerise au Printemps ! [partie venant d’un village mordve]

II

Si ma jeunesse venait à revenir,
Si seulement la rivière Kokshaga remontait soudainement vers le nord,
Si mes yeux étincelaient,
Comme ils le faisaient quand j’avais dix-sept ans,
Si mes joues devenaient roses, comme une pomme mûre,
J’irais à Moscou, la grande ville
Et je remercierai
Joseph Staline. [partie écrite par une kolkhozienne mari, Marfa Osipova]

III

Il voit et entend tout,
La manière dont le peuple vit,
La manière dont le peuple vit et travaille,
Et il récompense tout le monde,
Pour ses efforts.
Il invite chacun,
À le voir à Moscou.
Il les accueille avec bienveillance,
Il parle à chacun joyeusement et gentiment !

Il voit et entend tout,
La manière dont le peuple vit,
La manière dont le peuple vit et travaille,

Il conduit ses invités
et les amène à une pièce étincelante.
Il offre à tous de s’asseoir aux tables en chêne,
Et leur demande au sujet de tout.

Il les interroge et se renseigne :
Dans quelles conditions travaillent-ils ? De quoi ont-ils besoin ?
Comment le peuple travaille-t-il ? De quoi a-t-il besoin ?
Et il leur donner de sages conseils.

Il voit et entend tout,
La manière dont le peuple vit,
La manière dont le peuple vit et travaille,
Et il récompense tout le monde,
Pour ses efforts.
Il invite chacun,
À le voir à Moscou.
Il les accueille joyeusement,

Ils les accueille avec une grande bienveillance,
Et il leur donner de sages conseils. [écrit à Archangelsk]

Ah, hier, nous avons chanté des chansons
Et festoyé !
Mais cela n’était pas une fête
Pour la tresse châtain,
Nous ne marions pas Aksinia –
Nous envoyions Aksinia
Aller rendre visite à Staline.

Nous l’avons vue se mettre se en route
Pour la capitale, pour Moscou,
Et nous l’avons parée
Telle une jeune mariée.

La ravissante Aksinia
a passé les portes du village :
Elle était jolie à voir et jolie
Dans ses nouvelles et solides bottes !
Nous l’avons escorté jusqu’au bout
de notre village.

Et avec elle nous envoyons
Notre salutation à Staline. [partie biélorusse]

Il voit et entend tout,
La manière dont le peuple vit,
La manière dont le peuple vit et travaille,
Et il récompense tout le monde,
Pour ses efforts.
Il invite chacun,
À le voir à Moscou.
Il les accueille joyeusement,

Ils les accueille avec une grande bienveillance,
Et il leur donner de sages conseils. [écrit à Archangelsk]

IV

Ô Staline, tu as fait face à tellement d’injustices,
Et tu as tellement accepté de souffrances
Pour la cause du peuple.

Pour avoir protesté le Tsar nous a écrasé,
Il a laissé les femmes sans plus d’hommes,
Tu as ouvert de nouvelles voies pour nous,

Nous sommes heureux de te suivre.
Ton horizon est notre horizon, chef de la nation !
Tes pensées sont nos pensées : indivisibles !

Tu es la bannière flottant sur notre grande forteresse !
Tu es la flamme qui fait bouillir notre sang et notre esprit !
Staline !
Staline !

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Sergueï Prokofiev, le titan russe

Sergueï Prokofiev (1891-1953) est une figure largement secondaire dans la musique classique aux yeux des critiques bourgeois ; c’est en réalité une de ses figures majeures, faisant d’ailleurs partie des compositeurs les plus joués au monde. Son influence est massive, son importance fondamentale.

Sergueï Prokofiev est en fait inacceptable aux yeux de la bourgeoisie de par son parcours ; sa particularité est d’avoir quitté son pays en 1918, pour y revenir en 1936, s’insérant ouvertement dans le cadre du réalisme socialiste en abandonnant son propre formalisme, sa propre tendance à se séparer des masses.

Il conserva d’ailleurs de bonnes relations avec son pays même lors de son exil ; il fait simplement partie de ces musiciens préoccupés par la poursuite de leurs activités avant tout. L’opéra L’Amour des trois oranges, de 1920, fut un important succès (notamment pour sa marche) et fut joué à Moscou et Leningrad en 1927, lui-même étant présent.

Son ballet Roméo et Juliette, de 1935, juste avant sa venue en URSS, est également très célèbre, notamment la magistrale danse des chevaliers ; il écrira par la suite les ballets Cendrillon en 1946 et La fleur de pierre en 1950.

Son œuvre la plus célèbre mondialement, notamment en France, est le conte musical pour enfants Pierre et le Loup, datant de 1936. Pierre est donc un jeune soviétique, un « pionnier ».

Un travail d’importance fut la musique du film. Il réalisa celle de Lieutenant Kijé, film soviétique d’Alexandre Feinzimmer de 1934, puis celle du classique Alexandre Nevski, de Sergueï Eisenstein, sorti en 1938 ; son oeuvre jouera un rôle majeur dans l’histoire de la musique de films. Par la suite, il y a aura plusieurs collaborations filmiques avec Sergueï Eisenstein.

On voit bien la dimension populaire de son approche pour la romance de Lieutenant Kijé, un morceau magnifique, tout à fait en phase avec l’idéal de simplicité soviétique sur la base d’un haut niveau culturel. Il s’agit en effet d’une chanson populaire, La colombe grise gémit.

Russians, la chanson anti-guerre atomique américano-soviétique de Sting en 1985, s’appuie directement dessus (« il n’y a pas une chose telle qu’une guerre dont on peut être victorieux »). Un ami à lui avait piraté une antenne télé et capté des chaînes soviétiques ; Sting avait été particulièrement marqué par la qualité des dessins animés pour enfants, ce qui l’a inspiré pour un appel à la paix.

L’une de ses œuvres majeures est la Symphonie nº5, produite en 1945 et pour laquelle il remporta un prix Staline. Il présenta son œuvre comme un « hymne à l’Homme libre et joyeux, à ses puissants pouvoirs, son esprit pur et noble ».

La première symphonie, surnommée Symphonie classique, et datant de 1916-1917, est également extrêmement célèbre ; cette œuvre magistrale s’appuie sur Haydn.

Il faut également noter l’opéra de 1940, Semyon Kotko, d’après le roman de Kataïev Je suis le fils de la classe ouvrière, et celui de 1942, Guerre et Paix.

À cela s’ajoute, dans l’esprit marqué par la guerre, les sonates pour piano 6, 7 et 8 ; la septième, joué en 1943 et dite « Stalingrad », eut un succès retentissant (les deux autres datent de 1940 et 1944 et ont une partie critiquable). Elle est d’autant plus intéressante qu’elle n’hésite pas à s’ouvrir à de nouvelles voies, permettant d’avoir une incroyable intensité.

La cantate pour le 20e anniversaire de la révolution d’Octobre, de 1937, est par contre emblématique des problèmes formalistes naissant du côté des compositeurs soviétiques.

Prokofiev travailla dès 1935 pour la réalisation de la cantate, qui s’appelait initialement la cantate de Lénine. En janvier 1936, il annonça déjà qu’il travaillait à une cantate s’appuyant sur les textes de Lénine.

La démarche semblait musicalement toutefois malaisée, et d’autant plus que le compositeur prévoyait d’utiliser de multiple chœurs, des hauts-parleurs pour les appuyer (avec la voix de Lénine), une fanfare, une équipe d’accordéonistes, une autre de balalaikas, une encore de percussions, etc.

L’œuvre ne fut pas jouée, pas plus que son opéra L’histoire d’un homme réel de 1948. On a ici un développement inégal marqué. Zdravitsa apparaît ici comme la réalisation de sa bataille personnelle contre le formalisme et au service du peuple, par le peuple lui-même.

Sergueï Prokofiev était par ailleurs connu pour son sens extrême de l’exigence, envers les autres mais également vers lui-même, avec une discipline de travail absolu, où le jeu d’échecs prenait une place importante («Les échecs sont la musique de la pensée»).

Il est le titan de la troisième vague de la musique russe du XXe siècle.

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Célébrer Tchaïkovski

En 1939, le centenaire de Modeste Moussorgski fut célébré avec la Khovanchtchina, un « drame musical populaire » retraçant une révolte du 17e siècle.

Mai 1940 fut marqué par la célébration de Piotr Ilitch Tchaïkovski à l’occasion de son centenaire. L’héritage national est assumé, à rebours du sociologisme vulgaire – telle la lecture de Tchaïkovski faite auparavant par la RAPM et le réduisant à un représentant pessimiste et pathétique des propriétaires terriens en perdition.

Trois volumes de lettres et de documents de Tchaïkovski furent également publiés en 1934, 1935 et 1936.

Le livret pour le centenaire explique notamment que :

« La grande famille des peuples chaleureusement unie sous les noms de Lénine et Staline, qui aime et chérit le grand art, prononce avec fierté le nom du génie Tchaïkovski.

Toute sa vie, Tchaïkovski a gagné une grande popularité et a été admiré. Cela est d’autant plus vrai à notre époque où nous sommes reconnaissants et constamment attentif à son grand travail.

Il n’y a pas une seule place publique dans notre grand pays qui ne résonne pas à ses mélodies.

Chaque collectif symphonique souhaite interpréter la musique de Tchaïkovski avec une expression maximale. Tout chef d’orchestre considère que son développement créatif, en tant qu’interprète de la musique symphonique, est loin d’être achevé sans Tchaïkovski dans son répertoire.

Enfin, aucun de nos chanteurs ne peut se détacher des opéras de Tchaïkovski. On peut écouter pour toujours la musique de Tchaïkovski.

Dans nos théâtres, ses opéras attirent invariablement un public au complet. Telle est la réalité de la compréhension de Tchaïkovski qui existe à notre époque soviétique.

Comment expliquer cette compréhension? Dans le principal, Tchaïkovski, dans toutes ses œuvres, est profondément lié aux racines populaires.

Son étude détaillée de la culture musicale d’Europe occidentale se mélange constamment avec ses propres innombrables voyages où il a pris d’eux tout ce qui est utile pour la technique d’un compositeur, mais ce serait tout à fait impossible de lui reprocher de simplement emprunter, car Tchaïkovski est fondamentalement resté fidèle à lui-même.

Dans chacune de ses mélodies, il a donné le sentiment d’un profond et sincère esprit populaire… et les a façonnées avec une puissance énorme.

Tchaïkovski nous intéresse spécifiquement dans le domaine du théâtre musical, ayant créé de telles œuvres qui ravissent tous ceux qui les entendent.

C’est ce monde de souffrance, d’humanité profonde dans sa substance même qui, investi d’une forme musicale et artistique complète, se tient devant nous comme une voix vivante de la réalité, parce que la souffrance de chacun des caractères de Tchaïkovski est avant tout vitale et vraie.

Il n’y a pas d’exotisme, pas d’excès, pas de tape à l’oeil, rien de forcé ou de contre nature. Dans ses opéras, contrairement à l’opéra d’Europe occidentale, nous ne sommes pas captivés par la beauté orchestrale, ou même la beauté de la mélodie, ou même le spectacle théâtral, mais par leur pure humanité.

Profondément russe d’esprit, il s’identifie également le Géorgien, le Tatar, l’Ouzbékistan, le Tadjik ; tous les peuples le comprennent parce que sa créativité pénètre leur simplicité vitale ; il est proche de tous et captive les gens, qui trouvent en lui leur propre image vivante.

Tous les théâtres du pays, les orchestres symphoniques, tous les musiciens, chanteurs, interprètes d’opéra et de musique de chambre, en ce jour commémoratif du 7 mai, rendent hommage à notre grand génie bien-aimé.

Des millions d’enregistrements, sur des milliers de kilomètres, transmettent cet honneur. Tout le pays résonne avec les mélodies de Tchaïkovski. »

Voici l’ouverture de La dame de pique, opéra de Tchaïkovski s’appuyant sur la nouvelle d’Alexandre Pouchkine.

Le grand musicologue Boris Assafiev (1884-1949), figure majeure de la musicologie soviétique, écrivit en 1940 dans son ouvrage En mémoire de Piotr Ilitch Tchaïkovski :

« Tchaïkovski était étranger à tout type de symbolisme (c’est non sans raison que sa musique fut si étrangère à l’esthétique de l’époque du modernisme russe), et a toujours parlé de révéler des images concrètes dans ses drames musicaux, et dans la lutte, les affres et la passion de son développement symphonique, dans les paroles brûlantes de ses romances et des musiques de chambre instrumentales.

Comme Tolstoï, Tchaïkovski a dit de son temps qu’il était impossible à vivre.

Nous, l’heureuse génération de la grande époque de Staline, où est donné à chaque personne douée toutes les possibilités de mûrir et de grandir à son plein potentiel, nous connaissons et considérons sobrement les facteurs qui entravent les contemporains de Tchaïkovski dans leur force créatrice.

Le meilleur des œuvres de Tchaïkovski – les thèmes de Roméo, Francesca, l’Enchanteresse, la Reine de pique – sont dans leur totalité un cri terrible contre l’asservissement de l’esprit et de la conscience humaine, le cri de tous les grands contemporains russes de l’époque de Tchaïkovski.

Cela vient non pas d’une volonté faible, mais d’un effort intensif de joie, de vie et de créativité. »

Ces derniers mots sont aussi une allusion aux propos de Tchaïkovski sur la musique de Mozart, « qui exprime une joie vitale, saine et précieuse ».

Telle était la logique du réalisme socialiste et, après la période de remise en place des années 1920 et avec l’affirmation du classicisme dans les années 1930, l’URSS fut en mesure de produire elle-même cette musique, sur la base d’une très forte organisation sociale, en corrigeant régulièrement le tir d’une tendance des compositeurs au formalisme ou au naturalisme.

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L’affirmation de la musique classique dans les années 1930 en URSS

L’URSS avait vu, dans le domaine de la musique, émerger deux courants tous deux étrangers au peuple : le modernisme et le proletkult. Il y avait également toutes sortes de nuances entre ces deux factions ; le compositeur Alexander Veprik, connu et apprécié dans les pays occidentaux, affirmait par exemple que la technique musicale serait « neutre » en soi, un choix ne relevant pas de l’idéologie, etc.

Cette situation était inacceptable du point de vue communiste et le fait que des œuvres d’un ultra-moderniste comme Paul Hindemith soient jouées à la philharmonie de Leningrad en 1930-1931 et 1931-1932 était exemplaire d’une situation intolérable.

La situation était en fait similaire dans l’ensemble des arts et, dans le domaine musical en particulier, le Parti avait déjà donné des avertissements, notamment avec la critique dévastatrice de la première symphonie de Gavriil Popov (1902-1972).

Cette critique, réalisée par le Département de Leningrad pour le contrôle des spectacles et du répertoire, expliquait que « la performance d’œuvres reflétant l’idéologie des classes hostiles est inacceptable ».

Vladimir Johelson, secrétaire exécutif de l’Union des compositeurs soviétiques de Leningrad, publiera dans L’étoile rouge un article démolissant cette symphonie et un débat critique s’ouvrira ensuite chez les compositeurs. Gavriil Popov se rattrapera avec sa seconde symphonie, Patrie, en 1943, qui recevra un prix Staline.

https://www.youtube.com/watch?v=0JN6I-NWZRY

De cette situation vint la décision du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik), le 23 avril 1932, de restructurer les organisations littéraires et artistiques. Il en était désormais fini de l’autonomie des factions, en particulier du proletkult et des modernistes.

En août 1933, il y eut la résolution « Sur le statut et le nombre d’instruments de musique et l’amélioration de leur production » ; c’est à partir de cette date que la production de tourne-disques et de disques microsillons s’installe et se généralise.

Il faudra cependant attendre 1936 pour que la présence moderniste massive disparaisse des programmes et qu’il y ait une affirmation prépondérante de Ludwig von Beethoven, Piotr Ilitch Tchaïkovski, Jean-Sébastien Bach, Modeste Moussorgski, Wolfgang Amadeus Mozart, Nikolaï Rimski-Korsakov et Mikhail Glinka.

Il faut ajouter à cette liste le Norvégien Edvard Grieg, l’Allemand Georg Friedrich Haendel, l’Allemand Christoph Willibald Gluck, l’Autrichien Joseph Haydn, le Français Hector Berlioz, l’Autrichien Franz Schubert, l’Allemand Richard Wagner, les Tchèques Antonín Dvořák et Bedřich Smetana.

On a ainsi par exemple des morceaux importants des opéras de Wagner qui furent joués de manière annuelle à la philharmonie de Leningrad tout au long des années 1930 ; Lohengrin fut joué en entier en 1936. Orphée et Eurydice de Gluck fut joué en octobre 1939, en janvier et avril 1940

Parmi les œuvres de Berlioz, étaient principalement valorisées La Symphonie fantastique, la Grande symphonie funèbre et triomphale, la Grande Messe des Morts.

Parmi les références maintenues malgré tout, y compris lors des années 1920, on a les opéras Lakmé du Français Léo Delibes (1836-1891), Don Giovanni de l’Autrichien Wolfgang Amadeus Mozart, Carmen du Français Georges Bizet (1838-1875), Aïda de l’Italien Giuseppe Verdi (1813-1901), Faust ainsi que Roméo et Juliette du Français Charles Gounod (1818-1893), Le Barbier de Séville de l’Italien Gioachino Rossini (1792-1868).

Voici un exemple de critique de modernisme. Dans la revue Sovetskoe Iskusstvo (Art soviétique), on lit le 5 février 1936, dans l’article La musique classique au pays des Soviets :

« Nous connaissons et comprenons où reposait la grande force de Beethoven, Moussorgski et Glinka, Tchaïkovski et Rimski-Korsakov ; cela consiste précisément en cela : ils puisaient de la même source de toute musique – de l’art folklorique…

Les formalistes en musique de Leningrad, guidé par [Ivan] Sollertinski, se mettent à plat ventre devant Alban Berg, Hindemith, Krenek, Schönberg et d’autres idoles sacrées de l’expressionnisme allemand, la plus pervertie de toutes les écoles musicales modernes.

Ils tournent le dos à [l’opéra en chansons de 1935 d’Ivan Dzerjinski] Le Don paisible, car Dzerjinski écrit de la musique compréhensive, à savoir « la musique du 19e siècle ».

Ils rejettent avec dédain Tchaïkovski et s’en moquent. Tchaïkovski, dans tout son héritage créatif, n’auraient pas réussi autant que [Gavriil] Popov en une seule symphonie.

Et le jeune compositeur Popov [né en 1904] se proclame un génie parce qu’il a composé une œuvre gigantesque remplie de de rugissements d’éléphants et toutes sortes de bruits de cliquetis et de hurlements. »

Le Narkompros, le Commissariat d’État aux Lumières (et non pas simplement à « l’éducation ») fondé le 26 octobre 1917, se tourna alors uniquement vers l’éducation alors qu’était mis en place un Comité pour les affaires artistiques, en janvier 1946. La revue Sovetskoe Iskusstvo (Art soviétique) passa conséquemment dans les mains du Comité.

À partir de ce moment, tant la RAPM, l’association russe des musiciens prolétaires, que l’ACM, l’association pour la musique contemporaine, toutes deux dissoutes au début des années 1930, furent vigoureusement dénoncées pour leur approche incapable de saisir la nature démocratique de la musique classique authentique.

Le niveau d’organisation de l’Union des compositeurs fut élevé. Fondée en janvier 1933 avec une publication au départ bimensuelle de 200 pages, puis mensuelle d’un peu plus d’une centaine de pages, Sovetskaia Muzyka (Musique soviétique), l’Union s’appuyait sur des branches locales relativement autonomes, avec principalement Moscou et Leningrad.

Cette dernière section avait, en septembre 1933, 122 membres ; la plus grande section, celle de Moscou, avait 150 membres. Parmi ceux-ci, moins de 10 % étaient du Parti ; 105 étaient des compositeurs, 45 des musicologues. 50 % des membres composaient depuis plus de vingt ans, soit bien avant Octobre 1917. 60 % étaient ethniquement russe, 25 % juif.

Preuve de la qualité de leur travail, de 1928 à 1941, 78 % des opéras et 55 % des ballets au théâtre du Bolchoï, à Moscou, relèvent de classiques datant d’avant Octobre 1917.

Au Bolchoï, une part significative des places était réservée aux travailleurs de choc ; six bureaux de vente avaient été mis en place dans les principales usines. Des présentations et des conférences étaient organisées spécialement parfois pour un public non averti avant les mises en scène. Entre 1930 et 1933, 150 000 personnes avaient assisté à des représentations du Bolchoï.

Des concerts furent également organisés dans les usines elles-mêmes ; à partir de la saison 1934/1935, il y eut des tickets spéciaux couplant des concerts symphoniques, une soirée littéraire, un opéra mis en concert, etc.

Des compositeurs partirent de manière régulière dans des kolkhozes, notamment dans une vingtaine autour de Moscou. Et chaque entreprise disposait de sa section musicale, avec pour les plus grandes, comme l’usine Putilov à Leningrad, une chorale et un regroupement pour l’opéra.

Le rapport dialectique masses – compositeurs était lancé, même si le Parti, notamment en 1948 avec la résolution sur l’opéra «La grande amitié», devait systématiquement faire des rappels à l’ordre pour empêcher les compositeurs de basculer dans le formalisme ou le naturalisme.

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L’influence du modernisme et du proletkult sur la musique classique des années 1920 en URSS

Cherchant à préserver le patrimoine musical classique, l’URSS des années 1920 accorda une place particulière à plusieurs œuvres marquantes. On a ainsi les symphonies de Beethoven qui furent régulièrement jouées, avec un accent particulier sur la neuvième, dont le final fut régulièrement employé dans les festivités. La société Beethoven fut fondée en 1927 à l’occasion du centenaire de sa mort.

On a également le Requiem de Mozart qui fut valorisé notamment pour le concert spécial des martyrs de la révolution aux Champ de Mars de Petrograd en 1920, ainsi que le passage de la mort de Siegried dans Le crépuscule des dieux de Wagner.

Toutefois, si Mozart et Beethoven furent admis comme des titans, la position de Bach fut plus compliqué, chose absurde réparée heureusement dans les années 1930, même si la société Bach est fondée dès 1928. Gustav Mahler ne fut pareillement reconnu que dans les années 1930.

Le problème de fond est en effet que la jeune URSS souffrait de deux tendances erronées dans le domaine de la culture, toutes deux unies malgré leur opposition.

Certains se tournaient vers les expérimentations occidentales, d’autres allaient dans un sens « prolétarien », dans l’esprit gauchiste du « proletkult ».

On a ainsi en 1922 la Symphonie pour sirènes d’Arseny Avraamov (1886-1944), utilisant des sirènes d’usine et de navires, des clochers, des camions, des hydravions, 25 locomotives à vapeur, un orchestre, des chœurs, des régiments militaires, etc.

Parmi les principales figures de cette scène se prétendant avant-gardiste et contribuant parfois, très rarement, à certaines avancées, on a Nikolai Rosslavets (1880-1944), Arthur Lourié (1891-1966), Alexandre Mossolov (1900-1973). Ce dernier est notamment à l’origine d’un ballet intitulé L’acier, en 1926-1928, dont voici un extrait, intitulé L’aciérie.

Voici également, toujours d’Alexandre Mossolov, L’arrivée du tracteur au kolkhoze, de 1926-1927.

Il faut également mentionner Vladimir Deshevov (1889-1955), qui a composé la pièce pour piano Les rails en 1926, et Vladimir Dukelski (1903-1969), qui a lui quitté la Russie dès 1920.

Voici Les rails.

La direction à prendre était cependant très discutée. D’un côté, on a ainsi la RAPM, l’association russe des musiciens prolétaires, fondée en juin 1923, allant dans la logique du proletkult, avec à partir de 1929 l’appui du Collectif de production (Prokoll), qui cherchait à produire des opéras révolutionnaires.

Une scission de la RAPM fut également l’ORKiMD, l’Association des compositeurs et activistes musicaux révolutionnaires, fondée en 1924 et produisant la revue Muzyka i revolioutsiaa (Musique et révolution), disparaissant en 1929.

De l’autre côté, on avait l’ACM, l’association pour la musique contemporaine. Cette dernière structure avait dans ses rangs des figures majeures comme Nikolaï Miaskovski, Dmitri Chostakovitch, mais également des avant-gardistes revendiqués comme Alexandre Mossolov, ainsi que Nikolai Rosslavets qui était même à l’origine de la fondation de l’ACM.

L’influence du modernisme fut marquant, comme en témoigne le programme de la philharmonie de Leningrad. On y trouve toute une série d’œuvres relevant de cette démarche.

On a notamment Verklärte Nacht d’Arnold Schönberg en 1923-1924, ainsi que Fontane di Roma d’Ottorino Respighi et les Variations sur un thème de Mozart de Max Reger. En 1925-1926 on a l’opéra qui fut un immense succès bourgeois en 1912, Ferner Klang de l’Autrichien Franz Schreker.

On a la même année une profonde affirmation du modernisme français, avec Pacific 231 d’Arthur Honegger, qui chercher à reproduire les sons d’une locomotive, ainsi que des œuvres de Francis Poulenc, Erik Satie, Darius Milhaud, Jean Wiéner, Georges Auric. Ce dernier était un compagnon de route du Parti Communiste en France et cela en dit long sur l’influence idéologique bourgeoise en son sein.

Premier numéro du journal de la RAPM,
avec une couverture réalisée
par la peintre cubo-futuriste Lioubov Popova

Tout le programme de la philharmonie de Leningrad des années 1920 fut marqué par cette affirmation moderniste ; au théâtre maly (le « petit », par opposition au bolchoï, le « grand »), on joua par exemple également Jonny spielt auf d’Ernst Krenek (qui devint un partisan dans la foulée de l’austro-fascisme).

Cette concurrence entre tenants du proletkult et partisans d’un éclectisme occidental parasita toutes les années 1920, avant qu’en 1932 le PCUS(b) n’unifie les associations des musiciens et n’ouvre la voie au réalisme socialiste.

Déjà toutefois des œuvres marquantes avaient pu émerger, notamment avec l’Ukrainien Reinhold Glière (1874-1956). Celui-ci, par la suite, dans la période 1938-1948, partit en Ouzbékistan et en Azerbaïdjan pour étudier la musique folklorique et l’appuyer.

Cette figure de la musique classique d’avant 1917 se plaça au service de l’URSS, produisant notamment Fantaisie pour le festival de l’Internationale Communiste en 1924, Marche héroïque pour la République Socialiste Soviétique Autonome bouriate-mongole en 1936, Ouverture solennelle pour le vingtième anniversaire de la révolution d’Octobre (1937), Amitié des peuples à l’occasion des cinq ans de la constitution soviétique en 1941, Pour le bonheur de la mère patrie (1942), 25 ans de l’armée rouge en 1943.

Voici Le Pavot Rouge, un ballet révolutionnaire populaire qu’il composa en 1927, dans une version filmée de 1955.

Voici ici le passage avec une chanson traditionnelle de la marine.

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La situation de la musique classique russe au lendemain d’Octobre 1917

Avec le tournant de 1905, la Russie bascula dans une nouvelle époque. Et lorsque la révolution d’Octobre 1917 eut lieu, les grands musiciens étaient liés, d’une manière ou d’une autre, aux classes dominantes, que ce soit l’aristocratie ou la bourgeoisie.

Ils préférèrent donc se mettre à l’écart, étant donné qu’ils disposaient, pour beaucoup, d’une certaine aura dans les pays capitalistes. Ce fut le choix de Sergei Rachmaninov, d’Igor Stravinsky ainsi que de Sergeï Prokofiev au départ, mais également, on s’en doute, de toute une couche intellectuelle cultivée, que ce soit pour les musiciens ou les enseignants en musique.

Une figure connue est Jascha Heifetz (1901-1987), violoniste virtuose dès son plus jeune âge, qui après 1917 s’en alla aux États-Unis et s’inséra entièrement dans l’industrie musicale capitaliste.

Il y eut ainsi une première vague d’émigration dès 1917-1918, mais le phénomène se prolongea. La question du niveau de vie apparaissait comme principal pour des musiciens habitués à un certain confort, dans un pays où il faudra attendre 1927 pour que des instruments de musique soient en mesure d’être produits.

On a ainsi le chef d’orchestre Albert Coates, responsable des opéras, qui quitte la Russie en 1919. Le chef de l’orchestre de Pétrograd, Serge Koussevitzky, la quitte en 1920, le chanteur d’opéra Fédor Chaliapine fait de même en 1922.

Emil Kuper, directeur de l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg, quitte la Russie en 1924 ; le plus grand pianiste de son temps, l’Ukrainien Vladimir Horowitz, part en 1925, tout comme le compositeur Alexandre Gretchaninov.

Le libéralisme-démocrate des musiciens avait ses limites ; l’idée de servir les masses était présente chez beaucoup de musiciens, dans un esprit démocratique, mais les dures conditions de la Russie d’après la révolution les amenaient à choisir l’individualisme.

Il y avait toutefois des contre-exemples. Lev Knipper (1898-1974) avait combattu dans les armées blanches, mais était revenu en 1922. Il composera de nombreuses œuvres, étudiant la musique folklorique d’Asie centrale ; c’est lui qui composera la chanson très connue Plaine, ma plaine, qui fait partie d’une symphonie (La balade des combattants de la jeunesse communiste).

Certains restèrent également, la principale figure étant Nikolaï Miaskovski. Né en 1881, compositeur de haut niveau déjà, il s’engagea dans l’armée rouge dès 1917 et joua un rôle majeur par la suite dans la musique soviétique.

Voici sa symphonie numéro 12, dite « Kolkhoze ».

Nikolaï Miaskovski sera le compositeur recevant le plus de prix Staline :

– en 1941, prix Staline première classe pour la symphonie n°21 ;

– en 1946, prix Staline première classe pour le quatuor à cordes n°9 ;

– en 1946, prix Staline première classe pour le concerto pour violoncelle et orchestre ;

– en 1950, prix Staline seconde classe pour la sonate n ° 2 pour violoncelle et piano ;

– en 1951, prix Staline première classe posthume pour la symphonie n°27, ainsi que le quatuor à cordes n°13.

Il faut noter également certains appuis extérieurs, comme l’Allemand Oskar Fried, premier étranger accueilli par Lénine pour jouer au théâtre du Bolchoï la 9e symphonie de Beethoven. Il fit plusieurs tournées en URSS et devint citoyen soviétique en 1940 après avoir fui l’Allemagne nazie et rejoint la scène musicale soviétique. Il fut notamment le responsable l’opéra de Tbilissi et de l’orchestre symphonique de la radio de Moscou, après avoir été au début des années 1920 responsable de la philharmonie de Leningrad.

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La seconde vague de la musique classique russe

La première vague de la musique classique russe était d’orientation nationale démocratique.

Vint ensuite une vague de musiciens s’éloignant de cette base culturelle pour une démarche marquée par l’approche occidentale-bourgeoise en de nombreux points, avec Serge Rachmaninov (1873-1943) et Alexandre Scriabine (1872-1915), Alexandre Glazounov (1865-1936), Nicolas Tcherepnine (1873-1945), Anatoli Liadov (1855-1914), Nicolas Medtner (1879-1951), Anton Arenski (1861-1906), Sergueï Taneïev (1856-1915).

Il est parfois parlé de « scriabinisme », en référence à Scriabine mais également Rachmaninov, pour désigner une approche pessimiste et esthétisante, un certain décadentisme à prétention psychologisante, avec une tendance à l’hermétisme élitiste et la virtuosité comme valeur en soi.

Cela se couplait cependant, en même temps, avec une formidable vitalité, une profondeur d’âme typiquement russe, une introspection d’une incroyable densité.

Il suffit d’écouter ces deux exemples, voire rien que leur tout début, pour comprendre la dimension intimiste de Scriabine et Rachmaninov, avec une propension qui leur est propre à la virtuosité, à l’emportement fantasmagorique, à des enchaînements de rythmes à marche forcée.

Voici la seconde Sonate de Scriabine, suivi de la cinquième.

Après la révolution d’Octobre 1917, l’appartement de Scriabine devint un musée dès 1922 ; de 1927 à 1929 la maison d’édition musicale d’État publia l’ensemble des ses œuvres musicales.

Le numéro d’été 1935 de Sovetskaia Muzyka fit l’éloge de Scriabine et la même année Arnold Alshvang publia un ouvrage d’importance sur lui, republié en 1945.

Il faut bien saisir la complexité de l’analyse du double caractère de Scriabine. Ce dernier avait une approche totalement mystique, il avait basculé dans les thèses illuminées de la Théosophie de Helena Pétrovna Blavatsky pour qui tout est seulement psychisme. Il travailla pendant douze années à un projet bien entendu jamais terminé de spectacle intitulé Mystère qui devait avoir lieu en Inde, mêlant les parfums à la musique, etc.

Son oeuvre pratiquement finale est Vers la flamme, une sorte de délire accompagné d’un poème mystico-délirant (« la Flamme pure de la Transfiguration Sacrée étreint l’Univers » etc.).

Serge Rachmaninov (1873-1943) était pareillement une figure majeure de la seconde vague de la musique classique russe et c’est l’un des principaux représentants du scriabinisme.

Cela n’empêcha pas une présence importante dans son pays, malgré son exil après la révolution, et l’URSS améliora particulièrement ses relations avec Rachmaninov à la fin de la vie de celui-ci.

Ainsi, en décembre 1942, un diplomate soviétique demanda à Rachmaninov les partitions de sa troisième symphonie et de son quatrième concerto pour piano, qui furent joués à Moscou respectivement en octobre 1945 et en novembre 1945 (ici à l’occasion d’un concert lui étant entièrement consacré).

Et à l’occasion de son 70e anniversaire, Rachmaninov reçut un télégramme (qu’il ne put recevoir à temps avant de décéder) de la part de la VOKS (Société pan-soviétique pour les relations culturelles avec l’étranger), ainsi que d’amis et de collègues à lui, du conservatoire de Moscou et du Musée d’État de la culture musicale.

Faire le tri et distinguer en quoi la seconde vague était également, en partie, portée par la première vague, a sauvé la musique classique russe. Cela ne pouvait se dérouler que dans le socialisme.

En Europe capitaliste, Igor Stravinski (1882-1971) put aller de son côté unilatéralement dans le modernisme. En 1913 à Paris, la première représentation de son opéra Le Sacre du printemps, avec une chorégraphie Vaslav Nijinski, provoqua un immense scandale dans le public. Mais l’introduction de cette pseudo-modernité ne connut bien entendu pas de freins et fut finalement valorisée par les sociétés capitalistes décadentes.

https://www.youtube.com/watch?v=YOZmlYgYzG4

Henri Quittard, dans Le Figaro du 31 mai 1913, procéda alors à la démolition de l’oeuvre ; il y dit notamment :

« Voici un étrange spectacle, d’une barbarie laborieuse et puérile que le public des Champs-Élysées accueillit sans respect. Et l’on regrette de voir se compromettre dans cette déconcertante aventure un artiste, tel que M. Strawinsky de qui la musique, après l’Oiseau de feu ou Petrouchka, pouvait attendre encore de nouvelles œuvres.

Car de la chorégraphie de M. Nijinsky** et des inventions par quoi ce primaire exaspéré affirme le génie qu’il se sentit venir un beau jour, il n’est pas nécessaire, je pense, de rien dire (…).

Mais le cas de M. Strawinsky est bien différent. Comment un musicien tel que lui a-t-il pu se laisser gagner par la contagion et transposer dans son art cette esthétique de danseur? Libre à un Nijinsky de croire qu’en, prenant le contre-pied de ce qui s’est fait jusqu’à lui et en s’appliquant, avec une ingénuité détestable et risible, à déformer le corps humain, il réalisera des beautés inconnues au vulgaire.

Mais M. Strawinsky peut-il s’imaginer qu’une mélodie, parce qu’elle sera doublée pendant cinquante mesures à la seconde supérieure ou inférieure, ou au deux à la fois, va gagner une intensité et une éloquence décisives? (…)

Le Sacre du Printemps, fut hier assez mal accueilli, et le public restait impuissant à retenir son hilarité. Il eût donc été de bon goût à ceux qui pensaient autrement- ils n’étaient pas nombreux- d’épargner aux auteurs une ovation sur la scène dont tout le monde sentit la comique impertinence. »

C’était là un dernier sursaut de la bourgeoisie face à sa propre décadence musicale.

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La première vague de la musique classique russe

La Russie est une terre de prédilection pour la musique classique. Mikhail Glinka (1804-1857) fut celui qui ouvrit la perspective spécifiquement russe, ce qui permit l’émergence d’une première vague, consistant en le « groupe des cinq » – l’expression est du critique d’art Vladimir Stassov, qu’on retrouve également en rapport avec la peinture réaliste des « ambulants ».

Voici un extrait de Rouslan et Ludmila, datant de 1837-1842, de Mikhail Glinka avec une Anna Netrebko divine, en 1995 au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg (qui fut auparavant, à partir de 1935, le Kirov de Leningrad).

Le groupe des cinq fut composé de :

– Alexandre Borodine (1833-1887),

– César Cui (1835-1918),

– Mili Balakirev (1837-1910),

– Modeste Moussorgski (1839-1881),

– Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908).

César Cui rédigea leur manifeste, tout à fait dans l’esprit romantique-national :

1. La nouvelle école veut que la musique dramatique ait une valeur propre de musique absolue, indépendamment du texte qu’elle accompagne. Un des traits caractéristiques de cette école est de s’insurger contre la vulgarité et la banalité.

2. La musique vocale, au théâtre, doit se trouver en parfait accord avec la signification du texte chanté.

3. Les formes de la musique lyrique ne sont nullement déterminées par les moules traditionnels de la routine : elles doivent naître librement, spontanément, de la situation dramatique et des exigences particulières du texte.

4. Il est essentiel, fondamental, de traduire musicalement et avec un maximum de relief le caractère et le type des divers personnages. Ne jamais commettre d’anachronisme dans les œuvres de caractère historique. Restituer fidèlement la couleur locale.

Très proche du groupe des cinq et de fait leur prédécesseur direct, Alexandre Dargomyjski (1813-1869) avait initialement mis l’accent sur la dimension nationale et sur le réalisme des œuvres ; la grande figure musicale qui prolongera cette lancée est Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893), dont Le lac des cygnes est mondialement connu.

Cette première vague, portée par l’élan démocratique, fut suivie d’une seconde vague qui, elle, fut largement travaillée au corps par tout une tendance à un intimisme pessimiste.

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[PCF(mlm)] La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) : un produit du mode de production capitaliste

L’irruption d’une souche de coronavirus particulière, jamais encore identifiée chez l’être humain, ne doit rien au hasard. C’est un produit – entièrement nouveau, un saut qualitatif du virus – de la collision entre les villes et les campagnes provoquée par le mode de production capitaliste (MPC).

Ces villes et ces campagnes sont, qui plus est, elles-mêmes largement façonnées par le MPC, ce qui est vrai du mode de vie de l’humanité en général. Et tout cela se déroule de manière planétaire.

Il ne faut donc pas penser que la crise sanitaire vienne de l’extérieur de l’humanité, de l’extérieur du MPC, bien au contraire. Elle naît de l’intérieur même du MPC et du monde qu’il a formé à son image.

Un monde qui n’est nullement fini, ferme, stable, permanent… et qui s’effondre sous les coups de boutoir de ce qui est nouveau, exponentiel, en rupture.

Le capitalisme est un mode de production désormais planétaire

Le capitalisme n’est pas seulement une économie, c’est-à-dire une répartition particulière de la propriété et une distribution particulière des richesses. C’est, de manière plus concrète, la manière avec laquelle l’humanité trouve socialement les moyens matériels d’exister et de se développer.

C’est un mode de production.

Or, ayant atteint un immense développement des forces productives au début du 21e siècle, et étant par nature universel, le MPC assujettit toutes les activités planétaires. Ses conséquences concernent tous les aspects de la vie sur Terre, tout le temps.

C’est cette situation historique qui a amené l’irruption d’une souche nouvelle de coronavirus et lui a conféré une dimension mondiale.

C’est cette même situation historique qui a amené le réchauffement climatique et il en va de même pour la déforestation, l’anéantissement massif d’animaux sauvages, l’utilisation massive d’animaux dans l’industrie, le développement anarchique d’aires urbaines en expansion permanente, etc.

L’origine concrète de la maladie à coronavirus 2019

La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) est directement issue du développement du MPC en Chine, développement monopoliste et bureaucratique, avec des métropoles établies en peu de temps et engloutissant tout leur entourage.

La ville de Wuhan, d’où est partie la mutation du virus, illustre cela. Elle avait un peu moins de 1,5 million d’habitants en 1953, 2,2 millions au début des années 1970. Puis la restauration du capitalisme en Chine a provoqué un changement complet, la transformant en la mégalopole du centre de la Chine.

L’agglomération a plus de 4 millions d’habitants en 1982, plus de 8 millions en 2000, pratiquement 11 millions en 2015. Wuhan intègre huit villes d’importance significative dans cette agglomération (Huangshi, Erzhou, Huanggang, Xiaogan, Xianning, Xiantao, Tianmen, Qianjiang).

Cet ancien comptoir français se veut désormais même le modèle chinois en matière de développement urbain et connaît une opération massive de construction d’infrastructures routières (une ligne de métro par an, train de banlieue à grande vitesse sur 400 km, etc.).

Cette dimension urbaine n’est cependant qu’un aspect de la question. Le tiers de la population vit encore dans les campagnes, dans une agglomération où l’on trouve Carrefour, Auchan, Starbucks, Pizza Hut, KFC, etc.

On a ici un entremêlement des villes, des campagnes, dans le cadre d’une expansion capitaliste débridée.

L’origine du virus au sens strict, c’est ainsi l’urbanisation massive de l’aire de Wuhan, avec une utilisation, pour l’alimentation, d’animaux tant sauvages qu’issus de l’élevage, dans une sorte de confusion générale où l’on ne sait plus ce qui est villes, ce qui est campagnes.

Tel a été le terrain, contre-nature, favorable à la mutation du virus, qui est passé d’une espèce à une autre, puis finalement à l’espèce humaine.

Ce n’est pas une rencontre avec une maladie non découverte jusqu’à présent – c’est l’affrontement de l’humanité avec une maladie issue d’une mutation, provoquée par l’action de l’humanité elle-même.

La métropole comme base du MPC

Il y a à Wuhan une « ville durable » franco-chinoise de 39 km², un projet mis en place à l’époque de la présidence de François Hollande. L’année 2018 a même été « l’année franco-chinoise de l’environnement » et se rendant en Chine à cette occasion, Emmanuel Macron a déclaré la chose suivante :

« L’urbanisation est d’ores et déjà un défi de la Chine et le sera encore plus demain. La France souhaite renforcer ses partenariats en la matière en développant l’offre intégrée que nous avons construite pour la ville durable. »

Cela montre la convergence, à l’échelle mondiale, de toutes les forces capitalistes vers le renforcement de la métropole. Aujourd’hui, la majorité de l’humanité habite en effet dans des villes.

Il faudrait cependant davantage parler de milieux urbains, car depuis le passage de la bourgeoisie dans la réaction à la suite de sa victoire sur la féodalité, elle n’est plus en mesure de réaliser de villes au sens historique du terme, d’où le grand intérêt culturel pour les véritables villes au sens strict (Paris, Londres, New York, Venise, Bruges, Amsterdam, Prague…), elles-mêmes d’ailleurs profondément défigurées par le MPC.

La métropole aux innombrables ramifications, despotique dans son anonymat et entièrement dénaturée, devient la norme. C’est la forme la plus adaptée à la satisfaction de la production et de la consommation capitalistes, au 24 heures sur 24 du capitalisme.

Pour notre pays, la France, on peut dire que son symbole est le rond-point qui parsème les routes. On est là dans la dynamique du flux-tendu, du zéro stock impliquant massivement des zones industrielles dans les campagnes, afin d’avoir une circulation accélérée et une meilleure rotation du capital.

Cela entraîne la destruction de la nature et l’écrasement moral, culturel et psychologique des travailleurs. Karl Marx parle à juste titre d’une :

« corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. »

La ville historique, celle de la bourgeoisie, impliquait la culture, les échanges, les rencontres. Cela est incompatible avec le MPC, qui est tyrannique et exige que tout soit un rapport marchand toujours plus profond, plus ample, plus perfectionné, plus rapide.

La ville moderne, c’est désormais un endroit où habiter, de manière isolée, en cherchant à valoriser le plus possible son logement, si possible par l’accession à la propriété. Tout est loin, de plus en plus loin, qu’il s’agisse des loisirs, des possibilités de faire du sport, de ses achats, des gens qu’on peut rencontrer.

Tout est subordonné à un rapport marchand, tout doit passer par le MPC.

Le caractère borné du MPC face à la maladie à coronavirus 2019

Le MPC n’a qu’une seule logique : son propre développement. Il ne procède pas par choix, mais par nécessité, puisque son existence même dépend d’un développement ininterrompu et élargi du capital. Son seul horizon, c’est lui-même.

Le MPC est ainsi le premier à « regretter » la crise de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), mais en même temps si la même chose était à refaire, il le referait. Le MPC ne se permet en effet aucun recul, aucune analyse de fond ; il vit dans l’immédiateté de son auto-réalisation. Il n’a aucune considération sur lui-même, étant un système qui est sa propre fin en soi.

On voit clairement son caractère borné tout au long de la crise sanitaire due à la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), qui est nouvelle par son ampleur, et surtout qui choque de par sa dimension qualitative. Les chercheurs sont débordés, car les rapports naturels entre les êtres vivants sont bouleversés et cela provoque des crises sanitaires exprimant un saut qualitatif qui les dépasse.

Il y a déjà eu l’émergence du virus SRAS-CoV par l’intermédiaire de la civette palmiste masquée et du MERS-CoV par l’intermédiaire du dromadaire. Ces sauts entre espèces de virus, qu’on ne trouve pas en situation naturelle, deviennent récurrents en raison de la situation imposée par le MPC.

Tout le monde a pour cette raison entendu parler du VIH, d’Ebola, des grippes aviaires, des grippes porcines. La grippe dite espagnole, qui a tué entre 20 et 100 millions de personnes en 1918, est de ce type également ; provenant d’un élevage d’animaux aux États-Unis, elle reflète le début de la généralisation du rapport dénaturé à la vie.

Le MPC produit, par son action (et son inaction), des phénomènes destructeurs, naissant de la contradiction entre lui et la vie sur Terre.

Rien de tout cela n’est cependant saisissable par le MPC, qui ne cerne la réalité qu’au moyen de statistiques, du « big data », de l’évaluation quantitative de données. Le principe du développement qualitatif est étranger au MPC.

Le capitalisme étant non pas simplement une « économie », mais un mode de production unilatéral, il répond à sa propre logique d’accumulation et à rien d’autre. Il ne peut que constater, passivement, en restant lui-même.

Le MPC a ainsi intérêt à disposer de ce qu’il voit comme des ressources naturelles potentielles, donc à les préserver – mais de l’autre côté, il est obligé de les intégrer, de les valoriser rapidement, pour répondre aux besoins de la production et de la consommation fondés sur le capital.

Le MPC a de même tout intérêt à faire en sorte que le réchauffement climatique ne provoque pas de troubles massifs. Toutefois, en même temps, le MPC a ses priorités à lui et considère que son propre développement prime sur toute autre considération.

C’est la raison pour laquelle des partisans du MPC peuvent indifféremment dire soit que le réchauffement climatique ne compte pas, soit que le capitalisme doit développer de nouveaux marchés pour s’adapter. Ce sont les deux pièces d’une même médaille consistant en le caractère borné du MPC.

Le MPC se heurte à la réalité

Le MPC a bouleversé tout le rapport naturel entre la vie et son cadre. Le travail humain avait déjà lui-même provoqué des bouleversements, dès l’agriculture et l’élevage. Avec le développement des forces productives toutefois, la planète a entièrement changé de visage avec le MPC.

La vie concernée par le MPC était initialement restreinte, puisqu’il y avait seulement une poignée de pays capitalistes à l’origine, avec les Pays-Bas et l’Angleterre, avec des forces productives peu développées.

Suivirent ensuite toute une série de pays, comme la Belgique, la France, l’Allemagne… et principalement les États-Unis, avec une accumulation matérielle commençant à être significative, alors que la colonisation bouleversait les économies primitives partout dans le monde.

Il existe des économies qui ne sont pas encore parfaitement capitalistes au sens strict, mais le MPC les a foncièrement modifiées, afin de se les subordonner. Les situations de féodalité moderne qui existent dans la plupart des pays du monde rentrent elles-mêmes dans le cadre du MPC.

C’est cette féodalité moderne qui réalise la déforestation en Amazonie, l’utilisation massive d’énergies fossiles au Moyen-Orient, la monoculture de Cacao en Afrique de l’Ouest, celle de l’huile de palme en Indonésie et en Malaisie, etc.

Le mode de vie humain au sein du MPC n’a pourtant pas changé qualitativement à travers les décennies. C’est quantitativement qu’il s’est approfondi et généralisé.

Et le quantitatif se transforme, à un moment, en qualitatif.

La crise de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) reflète que le MPC commence à atteindre sa limite : il commence à porter atteinte à l’ensemble de la réalité, à tous les niveaux. Il n’est plus une force réalisatrice, mais une force de déstabilisation, de troubles, de destructions.

Le MPC touche à sa limite

Plus le MPC se développe, plus il se confronte à sa limite, son incapacité à amener la reproduction élargie de la vie sans rentrer en contradiction antagonique avec la vie elle-même.

Tant que le capital sera aux mains de personnes particulières, il cherchera de manière irrationnelle sa reproduction élargie et produira une systématisation forcée de la valorisation du capital – c’est-à-dire l’utilisation de ce qui existe, le plus possible, pour amener une production capitaliste, une consommation capitaliste.

La destruction de tout ce qui est naturel est inévitable pour un mode de production dont la fonction est l’accumulation dispersée, désordonnée, systématique et par cycles toujours plus puissants, par un capital toujours plus unifié et violent.

La crise de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) montre que la transformation de la réalité par le MPC a atteint une dimension planétaire et que le seuil de la rupture a été atteint.

Il y avait déjà de nombreux signes indicateurs. Le MPC cherche à forcer le cours des choses, à faire en sorte que tout s’insère parfaitement en lui, quitte à être violemment déformé, broyé, refaçonné.

Le MPC dynamite déjà littéralement le fonctionnement naturel des choses. Il déforme tout ce qui existe pour l’insérer dans le marché capitaliste. Cela est vrai pour les animaux employés dans l’industrie, qui sont modifiés génétiquement que ce soit pour l’alimentation ou pour le secteur des animaux de compagnie.

Cela est vrai pour la végétation et la vie sauvage en général, dont la richesse, la multiplicité, le foisonnement… sont considérés comme hostiles par le MPC, car porteurs de qualité, irréductibles à une simple lecture quantitative.

Cela est vrai pour le mode de vie humain ; il suffit de penser à la consommation de viande, l’utilisation massive du sucre et des produits stimulants (caféine, théine), la généralisation de produits transformés, la multiplication des marchés spécifiques (halal, cacher, sans gluten, produits simili-carnés, etc.).

Et même si les conditions de travail se sont améliorées, elles impliquent une tension humaine bien plus immense, ainsi qu’une déformation profonde de la personnalité. Rien que le travail de nuit s’est considérablement élargi, concernant plus de 15 % des travailleurs en France, avec des conséquences terribles sur la santé.

Le MPC tente concrètement de modifier sa propre base matérielle, afin d’éviter d’atteindre sa propre limite historique, et ce faisant il l’atteint.

Car le MPC rentre ainsi en contradiction avec sa propre base matérielle pour forcer son propre développement – la réalité devient antagonique au MPC.

Crise sanitaire mondiale et affirmation communiste

La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) est une crise mondiale qui ne vient pas de l’extérieur du MPC, mais de lui, et en même temps elle s’exprime en lui. L’accumulation capitaliste se déroule de manière concrète et c’est ce processus d’accumulation qui, lui-même, porte la crise, produit la crise, est la crise elle-même.

Le MPC voit ici la réalité se dérober sous ses pieds. Il est forcé de reculer.

Et le MPC qui recule, c’est l’humanité qui recule – se plaçant au cœur de la contradiction historique, comme source et résolution.

C’est en effet l’humanité qui porte le MPC. Ce que vit le MPC, l’humanité le vit aussi, tout comme ce que vit l’humanité, le MPC le vit.

L’humanité, prisonnière du MPC, de ses mécanismes, de l’idéologie qui en découle, se confronte alors à une prise de conscience brutale : la réalité se rebelle contre elle.

Le surgissement de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) est une crise ébranlant les fondements mêmes de la participation de l’humanité aux activités du MPC.

L’humanité, qui relève de la nature, est obligé de décrocher du MPC qui devient un obstacle à la vie elle-même.

C’est la fin de tout un mouvement. L’humanité est sortie de la nature pour s’affirmer comme espèce, mais elle doit y retourner en apportant les acquis de son propre parcours. Cela correspond au principe du développement inégal.

Ce qu’on appelle Histoire, c’est l’histoire humaine dans son parcours séparé de la Biosphère, c’est-à-dire de l’ensemble de la vie sur Terre en tant que système unifié.

La fin de l’Histoire, le passage au Communisme, c’est son retour dans l’Histoire de la Biosphère, en lui apportant ce qui a été acquis lors de son développement inégal.

La transformation communiste touche l’être humain dans ce qu’il a de plus profond. Elle le ramène à la nature, en tant qu’être social complexe.

C’est à la fois un déchirement, mais également une réinsertion dans le processus général de la Biosphère.

Les objectifs communistes

Produite par le MPC, la crise sanitaire va se répercuter en lui en provoquant des désorganisations, des ralentissements, d’inéluctables faillites. Cela dévoile toute cette fragilité de l’édifice du MPC, qui a fait son temps.

Le MPC cherchera évidemment désespérément à se sortir de là, aux dépens des masses, qui se feront encore davantage exploiter et aliéner. Cela passera également par l’accentuation de la marche à la guerre pour le repartage du monde, avec en son cœur l’affrontement entre la superpuissance impérialiste américaine hégémonique et la Chine désireuse d’un repartage du monde en sa faveur.

Cela ne suffira pourtant pas, la limite étant atteinte, le seuil de basculement étant atteint.

Ce qui joue substantiellement, c’est que la limite du MPC est le capital lui-même, toujours plus incapable de se valoriser dans la réalité, d’autant plus si elle se rebelle ouvertement.

Le MPC se retrouve dans la situation impossible de perpétuellement chercher à contourner la baisse tendancielle du taux de profit. Il tente d’échapper à une surproduction de marchandises de par l’absence de continuité dans le cycle de consommation, d’éviter la surproduction de capital, en cas d’absence de terrain où se développer.

La crise sanitaire le précipite d’autant plus dans l’échec de son auto-élargissement.

Le MPC s’efface concrètement devant le saut qualitatif historique : le passage à l’unification mondiale de l’humanité sous l’égide de la classe ouvrière, l’adoption de la position communiste par rapport à la nature.

Il découle clairement de cette lecture révolutionnaire de la crise de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) que les tâches suivantes sont à l’ordre du jour, relevant du programme communiste général pour toute notre époque :

1. Remplacement des appareils d’État par le pouvoir démocratique du peuple ;

2. Démantèlement des métropoles ;

3. Cessation autant que possible de tout rapport destructeur avec la vie sur Terre ;

4. Socialisation sans contrepartie de l’ensemble des monopoles ;

5. Établissement d’une République socialiste mondiale ;

6. Conquête de l’espace afin d’y répandre la vie depuis la Biosphère.

Nous entrons dans l’époque décisive, celle de la seconde vague de la révolution mondiale. Nous serons en première ligne pour faire de notre pays l’exemple à suivre pour répondre aux défis de notre époque !

Cette tâche est inévitable historiquement, la victoire communiste est assurée par définition même.

Vive Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong !
Vive le Marxisme-Léninisme-Maoïsme !

Guerre populaire pour le Communisme !

Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste)
Mars 2020

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[PCF(mlm)] Le mouvement contre la réforme des retraites de 2019/2020 a été une fiction

Pourquoi le mouvement contre la réforme des retraites a-t-il été une fiction ?

On doit parler de fiction, car c’est l’aristocratie ouvrière qui a calibré le mouvement contre la réforme des retraites. La forme des luttes, le contenu des revendications, les manière de s’engager intellectuellement et spirituellement dans le mouvement, l’esthétique des informations et des actions… Tout a été paramétré par l’aristocratie ouvrière.

La conséquence en a été une absence totale d’accroche dans la société. Malgré les profondes sympathies qui sont nées, le mouvement est toujours resté cantonné aux sympathisants des syndicats. Il n’a connu aucun développement culturel, il n’y a aucune élévation du niveau idéologique. Il n’a été qu’une péripétie, de manière totalement découplée de l’Histoire.

Cela, bien entendu, implique qu’on reconnaisse le principe d’Histoire, qu’on considère celle-ci comme l’histoire de la lutte des classes.

Une telle manière de voir les choses ne rentre-t-elle pas en conflit avec le fait que le mouvement contre la réforme des retraites a été porté par des centaines de milliers de gens, à travers tout le pays, pour des initiatives très variées ?

Bien au contraire, c’est justement parce qu’il s’agit d’un mouvement de masse qu’on peut et doit parler de fiction. Car le mouvement des retraites n’a été qu’un mouvement de masse de plus dans l’histoire française, dans le cadre d’un capitalisme puissant, très bien organisé, ayant intégré depuis les années 1960 les syndicats au sein même des institutions.

Il suffit de regarder les trente dernières années pour voir que le mouvement contre la réforme des retraites n’est qu’un ajout de plus à une liste déjà longue de mouvement de masse à caractère revendicatif.

C’est une tradition française, qui doit au fait que les rapports d’intégration des travailleurs au sein des institutions ne sont pas aussi bien structurés que, par exemple, en Allemagne, en Suède, en Belgique. Cela tient bien entendu au taux très faible de syndicalisation en France, le pire de tous les pays capitalistes d’ailleurs.

C’est cela la source du style français de négociations au moyen de coups de force symboliques, de rassemblements de masse sans lendemain, de discours contestataires enflammés. Vu de l’extérieur, cela peut impressionner. Quand on voit que cela se répète sans fin, c’est moins convainquant.

Il suffit de prendre l’exemple de la grève contre la réforme des retraites de 2010. La CGT et la CFDT affirment toutes deux que le 23 septembre 2010, trois millions de personnes se sont rendues aux manifestations, dans 239 villes. Qui s’en souvient ? Quel a été l’impact culturel, politique, idéologique ?

Il n’en reste tout simplement rien du tout. De la même manière, personne ne se souviendra qu’il y a eu d’après la CGT 1,8 millions de manifestants en France, le 17 décembre 2019. La raison en est que ce n’est pas de l’Histoire, mais une péripétie relevant de la petite histoire de la pacification des rapports sociaux dans le capitalisme français.

C’est là une critique du suivisme par rapport aux directions syndicales et du spontanéisme en général. Les actions menées par les bases syndicales ne sont-elles toutefois pas la preuve d’une dynamique conflictuelle, justement ?

Au-delà de la question importante de savoir si la lutte doit être portée par la base syndicale ou la base des travailleurs organisés en assemblée, il faut porter son regard sur le contenu des actions.

La CGT énergie 33 a par exemple, au cours du mouvement, pris de très nombreuses initiatives de coupures de courant. Au début, on a eu des coupures notamment du centre commercial Bordeaux-Lac, du centre commercial Mérignac Soleil, des sièges sociaux des banques de Bordeaux. Cela s’est déroulé en décembre. Puis, en janvier 2020, on a eu notamment des coupures contre la gare de Bordeaux-Saint-Jean et trois lycées bordelais.

C’est tout à fait exemplaire d’un esprit qui se veut contestataire, mais bascule dans une démarche réformiste de nuisance pour marquer le coup. Et pourquoi ? Parce que les syndicats ne sont pas une organisation politique. Or, quand on commence à lutter, il faut avoir des objectifs concrets, des exigences précises répondant à un agenda qui est par définition même politique.

Les syndicats sont hypocrites. D’un côté, ils récusent la politique au nom de la charte d’Amiens de 1906. De l’autre, ils se comportent de manière politique, dans un sens réformiste, cogestionnaire, et on ne devrait rien leur dire, simplement se soumettre.

Cela est acceptable si on veut profiter du mouvement avec comme but de faire du racolage, du populisme, de la démagogie sociale, pour se donner une image combative, activiste. C’est une grande tradition que de faire cela, pour « recruter » et se prétendre le fer de lance de la lutte, en accusant par la suite les directions de trahison, etc.

C’est inacceptable, par contre, pour qui veut faire avancer la lutte des classes.

Il y aurait donc une opposition irréductible entre, disons, un engagement immédiat et revendicatif, et un engagement se définissant comme politique ? Cela peut apparaître comme désengageant, échappatoire, comme une dérobade.

Il va de soi que la démagogie syndicaliste accuse ceux qui veulent faire de la politique d’esquiver le travail de fond. Et c’est même une point de vue très largement partagé, paralysant absolument tout depuis l’effondrement des organisations politiques révolutionnaires issus de mai 1968, qui assumaient, elles, leur propre agenda.

La France connaît, et c’est là notre malheur historique, une grande tradition syndicaliste révolutionnaire. Lorsque dans notre pays, quelqu’un se reconnaît dans l’idéologie révolutionnaire, il entend immédiatement « lutter ». Il ne considère pas qu’il doit se former, suivre une école de pensée, se soumettre à une discipline, répondre aux exigences intellectuelles. Il considère au contraire qu’il a fait le principal et qu’il peut tout de suite participer à la bataille.

L’esprit syndicaliste révolutionnaire justifie cette démarche, anti-marxiste par définition. Et il ne faut pas s’étonner qu’un tel spontanéisme se précipite parfois dans le nihilisme, voire pratiquement dans des formes fascistes, comme avec les gilets jaunes.

Notre problème historique, en France, qui explique concrètement tous nos problèmes depuis la fin du XIXe siècle dans la lutte des classes, c’est l’incapacité à assumer le principe de l’organisation politique d’avant-garde, reposant sur des fondements idéologiques, avec la considération que les syndicats ne peuvent être qu’une simple courroie de transmission, et rien d’autre.

Comme malheureusement les premiers socialistes français, à la fin du XIXe siècle, n’ont rien compris au marxisme, ont été influencés par Blanqui, Proudhon… et se sont de plus soumis aux syndicats, on en arrive à la catastrophe actuelle.

Les seuls moments où la dimension politique a pris le dessus, permettant de réelles avancées en termes de lutte de classe, c’est lorsque le syndicalisme n’avait plus d’espace. C’est en février 1934 avec l’unité antifasciste, en mai 1936 avec le Front populaire, durant l’Occupation avec la Résistance, puis au tout début des années 1950 avec la polarisation idéologique, et enfin en mai 1968.

Mais dès que le syndicalisme a pu reprendre le dessus, il a aboli la dimension politique. Et quand il ne pouvait pas le faire, il est allé au conflit. Il suffit de prendre l’exemple de la fondation de la CGT-Force Ouvrière, en 1947, en tant que scission de la CGT, avec l’appui des socialistes réformistes, des trotskistes, des anarchistes et même de la CIA.

La CGT-Force Ouvrière a travaillé justement main dans la main avec la CGT lors du mouvement contre la réforme des retraites. Comment interpréter cela ?

Non seulement les syndicats français sont extrêmement faibles, mais en plus ils sont puissamment divisés. Il y a la CFDT, qui vient du syndicalisme chrétien, est passée par le camp de la « seconde gauche » autogestionnaire pour devenir réformiste – moderniste. Il y a la CGT-Force Ouvrière qui est un syndicat réformiste anti-politique et anti-communiste.

Il y a la CGT qui, depuis son opposition totale à mai 1968, est le bastion du social-impérialisme, c’est-à-dire de la participation de l’aristocratie ouvrière au capitalisme, à l’élaboration de ses projets, à l’organisation de ses activités, etc.

La question de fond posée par la réforme des retraites, c’est la place de ces syndicats alors que le capitalisme va à la guerre impérialiste. Y a-t-il encore de la place pour une intervention de l’aristocratie ouvrière directement dans les institutions ? Ou bien cela va-t-il à l’encontre des exigences de centralisation et de soumission unilatérale à une partie toujours plus réduite de la bourgeoisie ?

L’alliance totale entre la CGT et la CGT-Force Ouvrière s’explique évidemment par le fait que le capitalisme considère qu’il n’a plus besoin de l’intervention de l’aristocratie ouvrière. D’où justement l’espace libre nouveau qui apparaît et qui est pris par la CFDT, qui a compris que désormais le syndicalisme ne pouvait faire qu’accompagner la modernisation capitaliste, et rien de plus.

C’en est fini de la très longue tradition de la CGT consistant à aller voir la bourgeoisie en proposant de meilleurs plans industriels, de meilleurs avions, de produire des centrales nucléaires, de meilleurs missiles pour l’exportation, de meilleurs tanks pour l’armée, de meilleures voitures pour de meilleures ventes, etc. Il n’y a plus de place pour la CGT relevant du social-impérialisme.

Le second aspect, c’est que l’État sort du jeu des négociations sociales, ce qui correspond à l’individualisation complète au sein du capitalisme. Les négociations sont censées désormais exister seulement entre la force de travail et l’acheteur de force de travail. Tout est individuel, ou au niveau de communautés d’individus. L’État n’a plus à s’en mêler, se résumant à un pôle stratégique – militariste pour l’aspect impérialiste du capitalisme.

Ainsi, il n’y a plus de place pour la CGT-Force Ouvrière non plus, qui n’existe que comme ombre de la CGT et de l’État. L’idéologie de la dénonciation de la main-mise de l’État sur les négociations et de l’influence de la CGT forme en effet le noyau dur de la démarche de la CGT-Force Ouvrière.

L’idéal, pour le capitalisme, ce sont des travailleurs se concevant comme « libres », s’unissant localement ou de manière corporatiste éventuellement pour des négociations avec les entreprises. La CFDT est parfaite pour cela. L’État, lui, se cantonne à être un stratège et un pourvoyeur de force militaire.

Si cela est juste, alors le capitalisme n’a plus du tout besoin du Parti Communiste Français révisionniste, il a simplement besoin de quelque chose de « moderne » comme, par exemple, Europe Écologie les Verts, le pendant politique de la CFDT.

Très précisément. Toute l’idéologie du PCF révisionniste repose sur la conception de Paul Boccara : il faudrait arracher l’État « neutre » au pouvoir de la finance et « démocratiser » les entreprises publiques. On ne peut comprendre strictement aucune décision du PCF révisionniste, des années 1960 à aujourd’hui, sans en cerner la substance « boccariste ».

Le boccarisme était le justificatif de l’intervention du PCF révisionniste et de la CGT en faveur du capitalisme, qui serait déjà mort-vivant et qu’il faudrait détourner dans le bon sens. Cela avait du sens : le capitalisme français était content d’une force d’appoint, l’URSS sociale-impérialiste était contente d’un satellite influençant l’État français, le PCF révisionniste disposait d’une pseudo-proposition révolutionnaire, la CGT pouvait se précipiter dans le bureaucratisme.

C’est désormais du passé. Le PCF révisionniste se retrouve dans un cul-de-sac. D’où justement la réactivation du social-impérialisme « dur », avec le Pôle de Renaissance Communiste en France, avec les éditions Delga… diffusant toute une nostalgie du PCF révisionniste des années 1960 et 1970.

C’est d’ailleurs un aspect important du mouvement contre la réforme des retraites, puisque d’importants secteurs de la CGT, sans l’assumer publiquement, relèvent de ce courant social-impérialiste « dur », notamment à la direction des cheminots et de l’énergie. Il y avait l’espoir de forcer le retour à une CGT sociale-impérialiste à l’ancienne.

Une telle démarche est vaine, ou réactionnaire. Elle n’a rien à voir avec la stratégie révolutionnaire de renversement du capitalisme et de destruction de l’appareil d’État, par la mise en place d’un nouvel État naissant de l’océan armé des masses et saisissant les principales forces de production, brisant les valeurs culturelles capitalistes.

Une structure politique moderniste comme Europe Écologie les Verts ne suffira pourtant pas au capitalisme pour détourner les mouvements de masse.

Tout à fait et cela implique le transvasement du courant social-impérialiste vers l’extrême-droite. On a déjà pu constater cette tendance avec Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise. Mais ce n’était qu’un début.

On va vers l’émergence d’un populisme social-national de masse, d’un idéalisme national-social minoritaire mais ultra-activiste.

C’est le modèle italien. L’échec des luttes populaires à s’inscrire dans la lutte des classes, dans une perspective communiste organisée et idéologique, aboutit au basculement dans l’affirmation nationaliste comme seule orientation « réaliste ». C’est ce qu’on appelle le fascisme.

Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste)
Mars 2020

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Le matérialisme dialectique et le caractère non linéaire du mouvement

Il y a une branche de la science, dont la connaissance devrait être obligatoire pour les bolcheviks de toutes les branches de la science, c’est la science marxiste-léniniste de la société, des lois du développement de la société, des lois du développement de la révolution prolétarienne, des lois du développement de la construction socialiste et de la victoire du communisme. J.V. Staline

Le mouvement possède par définition une nature non-linéaire. Si tel n’était pas le cas, il tendrait en effet inversement forcément à la linéarité et donc à l’abolition du mouvement en tant que tel. Or, le mouvement implique non pas l’abolition du mouvement comme principe universel propre à la matière, mais l’abolition de la matière qui porte le mouvement, c’est-à-dire sa transformation puisque son abolition est impossible.

Il y a toujours mouvement, car il y a toujours matière. Mais pour que le mouvement ne cesse pas, sans quoi il n’y aurait plus de matière l’exprimant, il faut que ce soit la matière elle-même qui cesse, et comme elle ne peut pas cesser, elle se transforme. La matière porte le mouvement, est abolie par le mouvement, est constituée par le mouvement.

Mais rien ne peut constituer la matière. Aussi la matière est mouvement et le mouvement matière.

Ce qui est en jeu ici, c’est la question de la qualité. Une ligne, même ascendante, n’évolue pas, elle porte une direction uniforme. Et qui dit direction uniforme dit absence de rupture. Même un mouvement connaissant uniformément des ruptures serait, par définition même, sans ruptures de par sa dimension continue. Il ne peut donc pas exister.

De ce fait, la rupture n’est pas suffisante en soi pour dépasser le principe d’un mouvement linéaire.

Si l’on prend une ligne uniforme, on n’a pas de ruptures.

Si l’on accepte le principe de rupture et qu’on l’intègre au mouvement, on a alors un saut, mais seulement sur le plan de la forme. Ce saut ne fait qu’ajuster la direction, la rectifier, il est une correction qualitative du quantitatif. La rupture s’applique au développement, à son expression – mais elle n’est pas le développement lui-même.

Une rupture, un saut qualitatif, ne suffit pas pour formuler la qualité.

Un saut qualitatif connaît la qualité, il n’est pas la qualité. Un saut n’est pas la qualité en soi.

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Concrètement, on voit bien dans le développement des phénomènes qu’il y a avancée, recul, révolution, restauration, contre-restauration. Le passage définitif à un stade supérieur n’est jamais unilatéral. Il n’est jamais linéaire.

Il n’est jamais linéaire non plus avec un seul « saut », puisqu’il y a des retours en arrière, une poussée en avant, une contre-poussée, etc.

Il n’y a pas donc simplement une « rupture » se lisant dans le parcours du développement. Il n’y a pas une tendance, puis subitement une accélération qualitative rompant avec cette tendance tout en la prolongeant. Cela ne peut être qu’une description sommaire, perdant la substance de la qualité.

Ce qui est ici en jeu, c’est la contradiction entre le nouveau et l’ancien. Si l’on s’arrête à elle, on a le principe de la rupture, de manière formelle simplement toutefois.

Cette contradiction implique en effet également la contradiction du phénomène avec lui-même. Il n’y a pas de lutte abstraite entre le nouveau et l’ancien, seulement une lutte concrète.

Le développement étant interne, la crise ne se produit pas de l’extérieur, amenant une transformation, mais à l’intérieur et elle est portée par l’intérieur lui-même ; en fait elle est l’intérieur lui-même.

Tout développement d’un phénomène est une crise portée par une déchirure interne. Ce n’est pas la « forme » du phénomène qui est touchée par la crise, mais la substance contradictoire du phénomène qui porte celle-ci.

Il n’y a donc pas de mouvement linéaire, car le mouvement lui-même connaît un changement de nature par le changement de la substance de ce qui le porte.

Le mouvement qui change est la matière qui change, la matière qui change est le mouvement qui change. Le mouvement est transformation de la matière et la transformation de la matière est la transformation du mouvement.

Ainsi, il y a contradiction entre le changement de nature du mouvement et le changement de substance qui le porte. L’ancien porte l’ancien mouvement, le nouveau le nouveau mouvement. Mais l’ancien et le nouveau sont un seul et même phénomène, portant ainsi de manière contradictoire à la fois l’ancien et le nouveau mouvements.

Il y a ainsi :

– contradiction au sein du phénomène (ou plus adéquatement contradiction du phénomène), produisant le mouvement ;

– contradiction au sein du phénomène, entre l’ancien et le nouveau ;

– contradiction entre le nouveau mouvement et l’ancien, au sein du phénomène ;

– contradiction entre l’ancien mouvement et le nouveau, au sein du phénomène ;

– contradiction entre le mouvement et le phénomène.

Il n’y pas de négation de la négation, car chaque étape constitue un terrain qualitativement nouveau. Il n’y a pas de mouvement linéaire, rien n’est linéaire, tout relève du caractère non-linéaire – y compris le caractère non linéaire.

Cela, car la contradiction est toujours concrète – il n’y a pas de mouvement en soi – c’est la dignité du réel qui prévaut.

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Moïse, Jésus, Mahomet: «nul n’est prophète en son pays»

Le paradoxe de la bataille pour la dignité est que Moïse, Jésus et Mahomet n’ont pas du tout été reconnus immédiatement et entièrement. Le matérialisme dialectique affirme que toute progression est non-linéaire, et étonnamment pour une religion qui se veut forcément « droite » dans son parcours, on voit que les prophètes ont dû batailler ferme.

Cela ressemble bien plus à de la bataille politique qu’à la réalisation prophétique triomphale. Et justement le matérialisme dialectique montre que les progrès de la civilisation consistent en des sauts qualitatifs, l’histoire avançant en spirale, pas en ligne droite.

Dans la Bible juive, l’épisode du veau d’or est ainsi absolument significatif, et le fait qu’il ait été mentionné montre les grands troubles politiques qui ont existé, les intenses contradictions au travail dans la société alors.

Ce qu’on lit dans l’épisode du veau d’or est proprement hallucinant : le peuple a connu un miracle (les eaux se séparant pour le laisser passer) mais l’oublie pourtant juste après, ce qui est totalement incohérent, et après cela on a Moïse littéralement en train de négocier avec Dieu présenté comme colérique, ce qui est proprement aberrant.

Voici ce qu’on lit :

1 Le peuple, voyant que Moïse tardait à descendre de la montagne, s’attroupa autour d’Aaron et lui dit : « Allons! fais-nous un dieu qui marche à notre tête, puisque celui-ci, Moïse, l’homme qui nous a fait sortir du pays d’Égypte, nous ne savons ce qu’il est devenu. »
2 Aaron leur répondit : « Détachez les pendants d’or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles et me les apportez. »
3 Tous se dépouillèrent des pendants d’or qui étaient à leurs oreilles et les apportèrent à Aaron.
4 Ayant reçu cet or de leurs mains, il le jeta en moule et en fit un veau de métal ; et ils dirent : « Voilà tes dieux, ô Israël, qui t’ont fait sortir du pays d’Égypte ! »
5 Ce que voyant, Aaron érigea devant lui un autel et il proclama : « A demain une solennité pour l’Éternel ! »
 6 Ils s’empressèrent, dès le lendemain, d’offrir des holocaustes, d’amener des victimes rémunératoires ; le peuple se mit à manger et à boire, puis se livra à des réjouissances.
7 Alors l’Éternel dit à Moïse : « Va, descends! car on a perverti ton peuple que tu as tiré du pays d’Égypte !
8 De bonne heure infidèles à la voie que je leur avais prescrite, ils se sont fait un veau de métal et ils se sont courbés devant lui, ils lui ont sacrifié, ils ont dit : ‘Voilà tes dieux, Israël, qui t’ont fait sortir du pays d’Égypte !’ »
9 L’Éternel dit à Moïse : « Je vois que ce peuple est un peuple rétif.
10 Donc, cesse de me solliciter, laisse s’allumer contre eux ma colère et que je les anéantisse, tandis que je ferai de toi un grand peuple ! »
11 Mais Moïse implora l’Éternel son Dieu, en disant : »Pourquoi, Seigneur, ton courroux menace-t-il ton peuple, que tu as tiré du pays d’Égypte avec une si grande force et d’une main si puissante ?
12 Faut-il que les Égyptiens disent : ‘C’est pour leur malheur qu’il les a emmenés, pour les faire périr dans les montagnes et les anéantir de dessus la face de la terre !’ Reviens de ton irritation et révoque la calamité qui menace ton peuple.
13 Souviens-toi d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, tes serviteurs, à qui tu as juré par toi-même leur disant : Je ferai votre postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel; et tout ce pays que j’ai désigné, je le donnerai à votre postérité, qui le possédera pour jamais ! »
14 L’Éternel révoqua le malheur qu’il avait voulu, infliger à son peuple.
(Exode, 32:1-14)

En ce qui concerne Jésus, il a tellement été rejeté là d’où il venait que cela a donné l’adage « nul n’est prophète en son pays ».

Mais ce qui est fascinant, dans ce raconte Marc, c’est que là où les gens n’avaient pas de ferveur pour lui, les miracles n’opéraient pas. Cela démontre encore une fois que ceux-ci ne consistaient qu’en la ferveur populaire.

Comme pour Moïse, si Jésus avait été réellement prophète, son affirmation aurait été linéaire. Voici ce que raconte Marc :

1 Jésus partit de là. Il vient dans sa patrie et ses disciples le suivent.
2 Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Frappés d’étonnement, de nombreux auditeurs disaient : « D’où cela lui vient-il ? Et quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, si bien que même des miracles se font par ses mains ?
3 N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Simon ? et ses sœurs ne sont-elles pas ici, chez nous ? » Et il était pour eux une occasion de chute.
4 Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison. »
5 Et il ne pouvait faire là aucun miracle ; pourtant il guérit quelques malades en leur imposant les mains.
6 Et il s’étonnait de ce qu’ils ne croyaient pas.
(Marc, 6:1-6)

On trouve dans le Coran quelque chose de tout à fait similaire. On sait que dans l’Islam, le Coran est co-éternel à Dieu. Or, là, on a un Coran qui sermonne littéralement les gens qui prennent Mahomet pour un « fou », et justifiant cela en disant que s’ils ne croient pas, c’est que Dieu l’a voulu.

C’est une manière de justifier, encore une fois, le caractère non-linéaire de l’affirmation prophétique ; le fait de devoir justifier que Mahomet ne soit pas fou en dit d’ailleurs long sur les réactions qu’il a suscitées. Voici ce qu’on lit dans le Coran :

19. Ceci [le Coran] est la parole d’un noble Messager,
20. doué d’une grande force, et ayant un rang élevé auprès du Maître du Trône,
21. obéi, là-haut, et digne de confiance.
22. Votre compagnon (Muhammad) n’est nullement fou ;
23. il l’a effectivement vu (Gabriel), au clair horizon
24. et il ne garde pas avarement pour lui-même ce qui lui a été révélé.
25. Et ceci [le Coran] n’est point la parole d’un diable banni.
26. Où allez-vous donc?
27. Ceci n’est qu’un rappel pour l’univers,
28. pour celui d’entre vous qui veut suivre le chemin droit.
29. Mais vous ne pouvez vouloir, que si Allah veut, [Lui], le Seigneur de l’Univers.
(Sourate 81, At-Takwir – L’obscurcissement)

On se souvient également que Mahomet a dû fuir la Mecque, un épisode appelé l’Hégire (l’émigration), en 622 après JC, date devenant le point de départ du calendrier musulman. C’est dire si la question du rejet a été une obsession pour les religions suivant Moïse, Jésus et Mahomet. L’existence même de la possibilité du rejet témoigne du caractère en réalité humain de ceux qui se sont présentés comme prophètes.

Moïse sauvé des eaux, synagogue de Dura Europos, 244-255 de notre ère

On comprend aisément comment ici les religions aboutissent à l’obscurantisme : le processus non-linéaire de reconnaissance étant non logique du point de vue religieux, il faut par la force résoudre cette contradiction, conclure le « sceau de la prophétie ».

Moïse, Jésus et Mahomet étaient des poètes rebelles, des humains, la vision d’eux en prophètes a inspiré, mais plus on s’éloigne de la réalité matérielle, plus on bascule dans l’idéalisme et une logique fanatique.

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Moïse, Jésus, Mahomet: la dignité

Qui dit droit et compassion dit en même temps dignité. Moïse, Jésus et Mahomet représentent une étape de civilisation, d’affirmation de l’humanité par rapport à elle-même, au moyen de Dieu servant de miroir.

C’est là le problème le plus épineux de la religion, qui s’est accaparé toute une vision du monde où l’être humain gagne en dignité grâce à Dieu, par l’intermédiaire du prophète.

Sans Dieu, sans la figure du prophète, il n’y a selon les religions monothéistes plus de dignité humaine. Il n’y a que l’infamie, l’ignorance, le paganisme. Le Coran utilise par exemple le terme de jâhilîya, qui vient du verbe jahala, signifiant être ignorantagir stupidement.

On y trouve également une expression très poétique de la dignité de la condition humaine, même si bien entendu c’est au moyen d’une terrible contorsion :

70. Ô vous qui croyez! Craignez Allah et parlez avec droiture.
71. afin qu’Il améliore vos actions et vous pardonne vos péchés. Quiconque obéit à Allah et à Son messager obtient certes une grande réussite.
72. Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (de porter les charges de faire le bien et d’éviter le mal). Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé; car il est très injuste [envers lui-même] et très ignorant.
73. [Il en est ainsi] afin qu’Allah châtie les hypocrites, hommes et femmes, et les associateurs et les associatrices, et Allah accueille le repentir des croyants et des croyantes. Allah est Pardonneur et Miséricordieux.

Sourate 33, Al-Ahzab – Les coalisés

L’humanité a un statut à part, tout en étant « mauvaise » en partie. C’est ici l’humanité qui a conscience de ses limites historiques, qui devront être dépassées. Le paradis, ici, n’est que l’expression du besoin de communisme ; c’est une anticipation naturelle déformée car socialement encore inapte.

Représentation persane avec Mahomet aux côtés notamment d’Abraham, Moïse et Jésus

Voici ce qu’on trouve dans la Bible chrétienne : Jésus rend la vue à Bartimée. Dans l’extrait que nous avons ici, Luc ne donne pas de nom à la personne guérie, mais Marc le nomme, et dans la Bible chrétienne c’est même la seule personne guérie qui est nommée en tant que tel.

Or, Bartimée signifie fils de Timée, Bar voulant dire « fils de » en araméen, alors que Timée signifie « honneur » en grec. Jésus rend la vue au fils de l’honneur : l’humanité elle-même, qui gagne sa dignité.

46 Ils arrivent à Jéricho. Comme Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une assez grande foule, l’aveugle Bartimée, fils de Timée, était assis au bord du chemin en train de mendier.
47 Apprenant que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, aie pitié de moi ! »
48 Beaucoup le rabrouaient pour qu’il se taise, mais lui criait de plus belle : « Fils de David, aie pitié de moi ! »
49 Jésus s’arrêta et dit : « Appelez-le. » On appelle l’aveugle, on lui dit : « Confiance, lève-toi, il t’appelle.
50 Rejetant son manteau, il se leva d’un bond et il vint vers Jésus.
51 S’adressant à lui, Jésus dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui répondit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! »
52 Jésus dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt il retrouva la vue et il suivait Jésus sur le chemin.

Marc, 10:46-52

La bataille pour la dignité est, bien sûr, au coeur de la figure de Moïse, qui fait selon la Bible juive sortir les Hébreux d’Egypte. L’épisode du buisson ardent est le plus connu, car il est la grande affirmation par Dieu que la dignité va être affirmée contre l’oppression.

C’est un épisode idéologique dont la dimension universelle est facile à saisir. Voici ce qu’on lit dans la Bible juive ;

1 Or, Moïse faisait paître les brebis de Jéthro son beau-père, prêtre de Madian. Il avait conduit le bétail au fond du désert et était parvenu à la montagne divine, au mont Horeb.
2 Un ange du Seigneur lui apparut dans un jet de flamme au milieu d’un buisson. Il remarqua que le buisson était en feu et cependant ne se consumait point.
3 Moïse se dit : « Je veux m’approcher, je veux examiner ce grand phénomène: pourquoi le buisson ne se consume pas. »
4 L’Éternel vit qu’il s’approchait pour regarder ; alors Dieu l’appela du sein du buisson, disant: « Moïse ! Moïse ! » Et il répondit : « Me voici. »
5 Il reprit : « N’approche point d’ici ! Ote ta chaussure, car l’endroit que tu foules est un sol sacré ! »
6 Il ajouta : « Je suis la Divinité de ton père, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob… » Moïse se couvrit le visage, craignant de regarder le Seigneur.
7 L’Éternel poursuivit : « J’ai vu, j’ai vu l’humiliation de mon peuple qui est en Égypte ; j’ai accueilli sa plainte contre ses oppresseurs, car je connais ses souffrances.
8 Je suis donc intervenu pour le délivrer de la puissance égyptienne et pour le faire passer de cette contrée-là dans une contrée fertile et spacieuse, dans une terre ruisselante de lait et de miel, où habitent le Cananéen, le Héthéen, l’Amorréen, le Phérézéen, le Hévéen et le Jébuséen.
9 Oui, la plainte des enfants d’Israël est venue jusqu’à moi ; oui, j’ai vu la tyrannie dont les Égyptiens les accablent.
10 Et maintenant va, je te délègue vers Pharaon ; et fais que mon peuple, les enfants d’Israël, sortent de l’Égypte. »

Exode, 3:1-10

Moïse, Jésus et Mahomet sont ainsi les vecteurs de la dignité ; ils la permettent, car ils permettent à l’humanité de s’auto-exiger, par l’intermédiaire de Dieu comme moyen, un niveau plus élevé de civilisation.

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Moïse, Jésus, Mahomet: un refuge pour le peuple

Le droit ne peut s’imposer, s’il ne transporte pas quelque chose de supérieur par rapport à auparavant. C’est pour cela que la religion est un refuge ; Moïse, Jésus et Mahomet ont construit la religion comme projet politique très concret, comme modification juridique.

Cependant, en même temps, ils devaient inévitablement également réfuter les difficultés de la vie matérielle, en tentant de souligner que le nouveau droit apporterait la justice.

C’est de là que vient « l’humanisme » que portent les religions ; c’est ce que Karl Marx a expliqué avec sa fameuse formule de « l’opium du peuple », sur le double caractère de la religion : protestation contre la dureté de la vie et expression en même temps de celle-ci.

Moïse, Jésus et Mahomet sont ici des grands poètes, exprimant avec douceur et sévérité en même temps les difficultés de la vie humaine. C’est cela qui les a rendu populaire.

Voici la sourate 113 du Coran, appelée al-Falaq, « l’aube naissante » :

« Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.
1. Dis : « Je cherche protection auprès du Seigneur de l’aube naissante,
2. contre le mal des êtres qu’Il a créés,
3. contre le mal de l’obscurité quand elle s’approfondit,
4. contre le mal de celles qui soufflent (les sorcières) sur les noeuds,
5. et contre le mal de l’envieux quand il envie ».

Sourate 113 – al-Falaq – l’aube naissante

Jésus a tenu des propos également d’une magistrale poésie, comme avec la parabole du berger. Voici comment Jean raconte cela :

1 « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans l’enclos des brebis mais qui escalade par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand.
2 Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis.
3 Celui qui garde la porte lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix ; les brebis qui lui appartiennent, il les appelle, chacune par son nom, et il les emmène dehors.
4 Lorsqu’il les a toutes fait sortir, il marche à leur tête, et elles le suivent parce qu’elles connaissent sa voix.
5 Jamais elles ne suivront un étranger ; bien plus, elles le fuiront parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
6 Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas la portée de ce qu’il disait.
7 Jésus reprit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.
10 Le voleur ne se présente que pour voler, pour tuer et pour perdre ; moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance.
11 « Je suis le bon berger : le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis.
12 Le mercenaire, qui n’est pas vraiment un berger et à qui les brebis n’appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et prend la fuite ; et le loup s’en empare et les disperse.
13 C’est qu’il est mercenaire et que peu lui importent les brebis.
14 Je suis le bon berger, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent,
15 comme mon Père me connaît et que je connais mon Père ; et je me dessaisis de ma vie pour les brebis.

Jean, 10:1-10

Dans la Bible juive, c’est pas Moïse qui compte pour la compassion, car celle-ci ne peut qu’être nationale, or Moïse n’est pas rentré sur la terre promise, justement pour une question juridique, ayant frappé un rocher dans le désert pour obtenir de l’eau, au lieu de parler à ce rocher, ce qui sous-tend un manque de confiance dans le commandement divin.

Par conséquent, la compassion est forcément liée à la sagesse, car là on est déjà dans un cadre proto-national, dans un Etat presque constitué nationalement. C’est la très grande particularité de la Bible juive, et indéniablement ce qui a fait son succès.

Par ailleurs, les multiples commentaires de celle-ci dans le cadre du judaïsme touchent surtout les questions juridiques. Lorsqu’on dit que le judaïsme est une religion du livre, on devrait dire surtout des livres concernant le droit.

La figure de Salomon est ici très connue, avec son fameux « jugement », et il faut bien comprendre que Moïse est intégré ici idéologiquement, comme celui qui ouvre cette perspective morale et juridique :

16 En ce temps-là, deux femmes de mauvaise vie vinrent se présenter devant le roi.
17 Et l’une de ces femmes dit « Ecoute-moi, Seigneur! Moi et cette femme nous habitons la même maison ; j’y ai donné naissance à un enfant, étant avec elle.
18 Trois jours après ma délivrance, cette femme a également accouché. Or, nous vivons ensemble, nul étranger n’habite avec nous la maison, nous deux seules y demeurons.
19 Pendant la nuit, l’enfant de cette femme est mort, parce qu’elle s’était couchée sur lui.
20 Mais elle s’est levée au milieu de la nuit, a enlevé mon fils d’auprès de moi, tandis que ta servante était endormie, l’a couchée sur son sein, et son fils qui était mort, elle l’a déposé entre mes bras.
21 Comme je me disposais, le matin, à allaiter mon enfant, voici, il était mort! Je l’examinai attentivement quand il fit grand jour, et ce n’était pas là le fils que j’avais enfanté.
22 Non pas! dit l’autre femme, mon fils est vivant, et c’est le tien qui est mort! Point du tout, reprit la première, c’est le tien qui est mort, celui qui vit est le mien! » C’est ainsi qu’elles discutaient devant le roi.
23 Le roi dit alors: « L’une dit: Cet enfant qui vit est le mien, et c’est le tien qui est mort; l’autre dit: Non, c’est le tien qui est mort, celui qui vit est le mien. »
24 Le roi ajouta: « Apportez-moi un glaive; » et l’on présenta un glaive au roi.
25 Et le roi dit: « Coupez en deux parts l’enfant vivant, et donnez-en une moitié à l’une de ces femmes, une moitié à l’autre. »
26 La mère de l’enfant vivant, dont les entrailles étaient émues de pitié pour son fils, s’écria, parlant au roi: « De grâce, seigneur! Qu’on lui donne l’enfant vivant, qu’on ne le fasse pas mourir! » Mais l’autre disait: « Ni toi ni moi ne l’aurons: coupez! »
27 Le roi reprit alors la parole et dit: « Donnez-lui l’enfant vivant et gardez-vous de le faire mourir: celle-ci est sa mère. »
28 Tout Israël eut connaissance du jugement que le roi avait rendu, et ils furent saisis de respect pour le roi; car ils comprirent qu’une sagesse divine l’inspirait dans l’exercice de la justice.

Prophètes, Rois 1, 3:16-28

Justice et compassion, se mêlant l’un l’autre: voilà le socle du succès de Moïse, Jésus et Mahomet.

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Moïse, Jésus, Mahomet: le livre comme base du droit

Moïse, Jésus et Mahomet expriment un grand tournant historique. Par conséquent, il y a le droit qui fait irruption, comme superstructure nouvelle de la nouvelle infrastructure.

Les propos de Dieu relatés par Moïse sont ici très clairs dans l’expression de la nouveauté juridique désormais écrite :

12 L’Éternel parla ainsi à Moïse:
13 « Et toi, parle aux enfants d’Israël en ces termes : Toutefois, observez mes sabbats car c’est un symbole de moi à vous dans toutes vos générations, pour qu’on sache que c’est Moi, l’Éternel qui vous sanctifie.
14 Gardez donc le sabbat, car c’est chose sainte pour vous! Qui le violera sera puni de mort; toute personne même qui fera un travail en ce jour, sera retranchée du milieu de son peuple.
15 Six jours on se livrera au travail; mais le septième jour il y aura repos, repos complet consacré au Seigneur. Quiconque fera un travail le jour du sabbat sera puni de mort.
16 Les enfants d’Israël seront donc fidèles au sabbat, en l’observant dans toutes leurs générations comme un pacte immuable.
17 Entre moi et les enfants d’Israël c’est un symbole perpétuel, attestant qu’en six jours, l’Éternel a fait les cieux et la terre, et que, le septième jour, il a mis fin à l’œuvre et s’est reposé. »
18 Dieu donna à Moïse, lorsqu’il eut achevé de s’entretenir avec lui sur le mont Sinaï, les deux tables du Statut, tables de pierre, burinées par le doigt de Dieu.
(Exode, 31:12-18)

C’est le symbole de la loi avec Moïse muni des fameuses tables écrites par Dieu, descendant de la montagne – montagne qu’il faisait surveiller, en prétendant le risque pour la vie des visiteurs éventuels devant la puissance de Dieu.

Cette notion de droit est bien sûr présente chez Mahomet et Jésus, mais de manière très différente, le projet de Mahomet ayant réussi, alors que celui de Jésus s’est transformé. Pour Mahomet, la dimension livresque est au cœur du processus lui-même, de manière outrancièrement symbolique.

En effet, le terme de Coran lui-même vient de l’arabe al Qur’ān, « la récitation ». Le terme de Coran, en arabe, signifie quant à lui « lecture » ; il est même le « kitab », « l’écriture » par excellence.

Une page du Coran, de Perse

La dimension révolutionnaire est ouvertement assumée : Mahomet faisait une retraite spirituelle comme il en avait l’habitude, dans une grotte non loin de La Mecque, en 610 après JC, alors qu’un qu’un ange est censé à s’adresser à Mahomet, qui est illettré, pour lui exiger de lire. Cette contradiction, d’une force symbolique magnifique, est racontée ainsi dans le Coran :

1. Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé,
2. qui a créé l’homme d’une adhérence.
3. Lis! Ton Seigneur est le Très Noble,
4. qui a enseigné par la plume [le calame],
5. a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas.
(Al-Alaq – L’adhérence)

Le Coran aurait donc lui-même un caractère divin, l’archange Gabriel ayant transmis des messages à Mahomet qui les aurait répété, conformément à son rôle de « prophète ». Il ne raconte pas quelque chose au sens strict, il est en lui-même une réalité divine, définissant la vie quotidienne.

Le paradoxe est que si le Coran est présenté comme un livre cohérent dans la mesure où il est le livre par excellence, en pratique il consiste en des phrases prononcées par Mahomet pendant pas moins de 23 ans, et qui plus est dans le désordre.

Cette absence de linéarité est en contradiction avec ce qui se veut un caractère juridique rationnel, mais là est la grandeur de Mahomet : avoir exprimé les exigences d’une époque, puis avoir réussi à les synthétiser dans un corpus juridique symbolique complet.

Avec Jésus, le droit ne se pose pas en tant que tel, car son objectif politique n’a pas été réalisé, en raison de sa défaite politico-militaire. Par conséquent, il y avait encore plus une marge de manoeuvre pour s’inspirer de ses propos, et les déplacer hors de son contexte, pour les amener à d’autres revendications, principalement contre l’esclavage. Les paroles de Jésus sont celles d’un rebelle, qui soulève les coeurs ; on peut s’en inspirer.

Jean raconte ainsi :

19 – « Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es un prophète.
20 Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous affirmez qu’à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer. »
21 Jésus lui dit : « Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père.
22 Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.
23 Mais l’heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père.
24 Dieu est esprit et c’est pourquoi ceux qui l’adorent doivent adorer en esprit et en vérité. »
25 La femme lui dit : « Je sais qu’un Messie doit venir – celui qu’on appelle Christ. Lorsqu’il viendra, il nous annoncera toutes choses. »
26 Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »
(Jean, 4:19-26)

Avec Jésus, le droit est celui de la période révolutionnaire – Jésus n’était qu’au début de son oeuvre, son échec politique fera que c’est Paul de Tarse qui se chargera de fournir une théorie cohérente à la figure de Jésus, sous la forme d’une rupture au sein du judaïsme donnant naissance au christianisme organisé.

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