Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Guillaume Apollinaire : Nos amis les futuristes

    Guillaume Apollinaire, article Nos amis les futuristes publié dans la revue Les Soirées de Paris, février 1914

    La nouvelle technique des mots en liberté sortie de Rimbaud, de Mallarmé, des symbolistes en général et du style télégraphique en particulier, a, grâce à Marinetti, une grande vogue en Italie; on voit même quelques poètes l’employer en France sous forme de simultanéités semblables aux chœurs qui figurent dans les livrets d’opéra.

    Cette dernière façon de poétiser pourrait trouver son précurseur dans la personne de Jules Romains, qui, en 1909, fit répéter, en vue d’une récitation pendant une conférence des Indépendants, un poème intitulé L’Eglise. Il devait se réciter à quatre voix qui se répondaient, se mêlaient en d’authentiques simultanéités, irréalisables autrement que dans la récitation directe, ou sa reproduction par le moyen du phonographe.

    Avant peu, les poètes pourront, au moyen des disques, lancer à travers le monde de véritables poèmes symphoniques. Grâces en soient rendues à l’inventeur du phonographe, Charles Cros, qui aura ainsi fourni au monde un moyen d’expression plus puissant, plus directe que la voix d’un homme imitée par l’écriture ou la typographie.

    Grâces en soient rendues aux musiciens, grâces en soient rendues à Jules Romains qui tenta une symphonie récitée en faisant répéter son poème polyphonique L’Eglise, au mois d’avril 1908, par Mlles Jane Eyre et Maud Sterny, MM. Marcel Olin et Aulanier.

    A la poésie horizontale que l’on n’abandonnera point pour cela, s’ajoutera une poésie verticale, ou polyphonique, dont on peut attendre des œuvres fortes et imprévues.

    Les mots en liberté, eux, peuvent bouleverser les syntaxes, les rendre plus souples, plus brèves; ils peuvent généraliser l’emploi du style télégraphique. Mais quant à l’esprit même, au sens intime et moderne et sublime de la poésie, rien de changé, sinon qu’il y a plus de rapidité, plus de facettes descriptibles et décrites, mais tout de même éloignement de la nature, car les gens ne parlent point au moyen de mots en liberté.

    Les mots en liberté de Marinetti amènent un renouvellement de la description et à ce titre ils ont de l’importance, ils amènent également un retour offensif de la description et ainsi ils sont didactiques et antilyriques.

    Certes, on s’en servira pour tout ce qui est didactique et descriptif, afin de peindre fortement et plus complètement qu’autrefois.

    Et ainsi, s’ils apportent une liberté que le vers libre n’a pas donnée, ils ne remplacent pas la phrase, ni surtout le vers: rythmique ou cadencé, pair ou impair, pour l’expression directe.

    Et pour renouveler l’inspiration, la rendre plus fraîche, plus vivante et plus orphique, je crois que le poète devra s’en rapporter à la nature, à la vie. S’il se bornait même, sans souci didactique, à noter le mystère qu’il voit ou qu’il entend, il s’habituerait à la vie même comme l’ont fait au dix-neuvième siècle les romanciers qui ont ainsi porté très haut leur art, et la décadence du roman est venue au moment même où les écrivains ont cessé d’observer la vérité extérieure qui est l’orphisme même de l’art.

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  • Manifeste du futurisme (janvier 1909)

    Manifeste du futurisme, publié le 11 janvier 1909 dans Le Figaro.

    Fondation et Manifeste du Futurisme : Nous avions veillé toute la nuit, mes amis et moi, sous des lampes de mosquée dont les coupoles de cuivre aussi ajourées que notre âme avaient pourtant des cœurs électriques.

    Et tout en piétinant notre native paresse sur d’opulents tapis Persans, nous avions discuté aux frontières extrêmes de la logique et griffé le papier de démentes écritures. Un immense orgueil. gonflait nos poitrines, à nous sentir debout tout seuls, comme des phares ou comme des sentinelles avancées, face à l’armée des étoiles ennemies, qui campent dans leurs bivouacs célestes.

    Seuls avec les mécaniciens dans les infernales chaufferies des grands navires, seuls avec les noirs fantômes qui fourragent dans le ventre rouge des locomotives affolées, seuls avec les ivrognes battant des ailes contre les murs!

    Et nous voilà brusquement distraits par le roulement des énormes tram¬ways à double étage, qui passent sursautants, bariolés de lumières, tels les hameaux en fate que le Pô débordé ébranle tout à coup et déracine, pour les entraîner, sur les cascades et les remous d’un déluge, jusqu’à la mer. Puis le silence s’aggrava. Comme nous écoutions la prière exténuée du vieux canal et crisser les os des palais moribonds dans leur barbe de verdure, soudain rugirent sous nos fenêtres les automobiles affamées. – Allons, dis-je, mes amis ! Partons !

    Enfin la Mythologie et l’Idéal mystique sont surpassés. Nous allons assister à la naissance du Centaure et nous verrons bientôt voler les premiers Anges ! Il faudra ébranler les portes de la vie pour en essayer les gonds et les verrous !… Partons! Voilà bien le premier soleil levant sur la terre !…

    Rien n’égale la splendeur de son épée rouge qui s’escrime pour la première fois, dans nos ténèbres millénaires. Nous nous approchâmes des trois machines renâclantes pour flatter leur poitrail. Je m’allongeai sur la mienne comme un cadavre dans sa bière, mais je ressuscitai soudain sous le volant – couperet de guillotine – qui menaçait mon estomac.

    Le grand balai de la folie nous arracha à nous-mêmes et nous poussa à travers les rues escarpées et profondes comme des torrents desséchés. Ça et là des lampes malheureuses, aux fenêtres, nous enseignaient à mépriser nos yeux mathématiques. – Le flair, cri ai-je, le flair suffit aux fauves!…

    Et nous chassions, tels de jeunes lions, la Mort au pelage noir tacheté de croix pâles, qui courait devant nous dans le vaste ciel mauve, palpable et vivant. Et pourtant nous n avions pas de Maîtresse idéale dressant sa taille jus¬qu’aux nuages, ni de Reine cruelle à qui offrir nos cadavres tordus en bagues byzantines !…

    Rien pour mourir si ce n’est le désir de nous débarrasser enfin de notre trop pesant courage! Nous allions écrasant sur le seuil des maisons les chiens de garde, qui s’aplatissaient arrondis sous nos pneus brûlants, comme un faux-col sous un fer à repasser.

    La Mort amadouée me devançait à chaque virage pour m’offrir gentiment la patte, et tour à tour se couchait au ras de terre avec un bruit de mâchoires stridentes en me coulant des regards veloutés au fond des flaques. – Sortons de la Sagesse comme d’une gangue hideuse et entrons, comme des fruits pimentés d’orgueil, dans la bouche immense et torse du vent !…

    Donnons-nous à manger à l’Inconnu, non par désespoir, mais simplement pour enrichir les insondables réservoirs de l’Absurde.

    Comme j’avais dit ces mots, je virai brusquement sur moi-même avec l’ivresse folle des caniches qui se mordent la queue, et voilà tout à coup que deux cyclistes me désapprouvèrent, titubant devant moi ainsi que deux raison¬nements persuasifs et pourtant contradictoires. Leur ondoiement stupide discutait sur mon terrain…

    Quel ennui! Pouah !… Je coupai court, et par dégoût, je me flanquai – vlan! – cul pardessus tête, dans un fossé… Oh, maternel fossé, à moitié plein d’une eau vaseuse ! Fossé d’usine ! J’ai savouré a pleine bouche ta boue fortifiante qui me rappelle la sainte mamelle noire de ma nourrice soudanaise!

    Comme je dressai mon corps, fangeuse et malodorante vadrouille, je sentis le fer rouge de la joie me percer délicieusement le cœur. Une foule de pêcheurs à la ligne et de naturalistes podagres s’était ameutée d’épouvante autour du prodige. D’une âme patiente et tatillonne, ils élevèrent très haut d’énormes éperviers de fer, pour pêcher mon automobile, pareille à un grand requin embourbé.

    Elle émergea lentement en abandonnant dans le fossé, telles des écailles, Sa lourde carrosserie de bon sens et son capitonnage de confort. On le croyait mort, mon bon requin, mais je le réveillai d’une seule caresse sur son dos toutpuissant, et le voilà ressuscité, courant à toute vitesse sur ses nageoires.

    Alors, le visage masqué de la bonne boue des usines, pleine de scories de métal, de sueurs inutiles et de suie céleste, portant nos bras foulés en écharpe, parmi la complainte des sages pécheurs à la ligne et des naturalistes navrés, nous dictames nos premières volontés à tous les hommes vivants de la terre:

    1. Nous voulons chanter l’amour du danger, l’habitude de l’énergie et de la témérité.

    2. Les éléments essentiels de notre poésie seront. le courage, l’audace et la révolte.

    3. La littérature ayant jusqu’ici magnifié l’immobilité pensive, l’extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l’insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing.

    4. Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive… Une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace.

    5. Nous voulons chanter l’homme qui tient le volant, dont la tige idéale traverse la Terre, lancée elle-même sur le circuit de son orbite.

    6. Il faut que le poète se dépense avec chaleur, éclat et prodigalité, pour augmenter la ferveur enthousiaste des éléments primordiaux.

    7. Il n’y a plus de beauté que dans la lutte. Pas de chef-d’œuvre sans un caractère agressif. La poésie doit être un assaut violent contre les forces inconnues, pour les sommer de se coucher devant l’homme.

    8. Nous sommes sur le promontoire extrême des siècles !… A quoi bon regarder derrière nous, du moment qu’il nous faut défoncer les vantaux mysté¬rieux de l’Impossible? Le Temps et l’Espace sont morts hier. Nous vivons déjà dans l’absolu, puisque nous avons déjà créé l’éternelle vitesse omniprésente.

    9. Nous voulons glorifier la guerre – seule hygiène du monde, – le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles Idées qui tuent, et le mépris de la femme.

    10. Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques, combattre le moralisme, le féminisme et toutes les lâchetés opportunistes et utilitaires.

    11. Nous chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques; les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument; les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées; les ponts aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diabolique des fleuves ensoleillés; les paquebots aventureux flairant l’horizon; les locomotives au grand poitrail, qui piaffent sur les rails, tels d’énormes chevaux d’acier bridés de longs tuyaux, et le vol glissant des aéroplanes, dont l’hélice a des claque¬ments de drapeau et des applaudissements de foule enthousiaste.

    C’est en Italie que nous lançons ce manifeste de violence culbutante et incendiaire, par lequel nous fondons aujourd’hui le Futurisme, parce que nous voulons délivrer l’Italie de Sa gangrène de professeurs, d’archéologues, de cicé¬rones et d’antiquaires.

    L’Italie a été trop longtemps le grand marché des brocanteurs. Nous vou¬Ions le débarrasser des musées innombrables qui la couvrent d’innombrables cimetières. Musées, cimetières!… Identiques vraiment dans leur sinistre coudoiement de corps qui ne se connaissent pas.

    Dortoirs publics où l’on dort à jamais côte à côte avec des êtres hais ou inconnus. Férocité réciproque des peintres et des sculpteurs s’entre-tuant à coups de lignes et de couleurs dans le même musée.

    Qu’on y fasse une visite chaque année comme on va voir ses morts une fois par an… Nous pouvons bien l’admettre !… Qu’on dépose même des fleurs une fois par an aux pieds de la Joconde, nous le concevons !… Mais que l’on aille promener quotidiennement dans les musées nos tristesses, nos courages fragiles et notre inquiétude, nous ne l’admettons pas!..

    Voulez-vous donc vous empoisonner? Voulez-vous donc pourrir? Que peut-on bien trouver dans un vieux tableau si ce n’est la contorsion pénible de l’artiste s’efforçant de briser les barrières infranchissables à son désir d’exprimer entièrement son rêve ?

    Admirer un vieux tableau c’est verser notre sensibilité dans une urne funé¬raire, au lieu de la lancer en avant par jets violents de création et d’action. Voulez-vous donc gâcher ainsi vos meilleures forces dans une admiration inutile du passé, dont vous sortez forcément épuisés, amoindris, piétinés ?

    En vérité la fréquentation quotidienne des musées, des bibliothèques et des académies (ces cimetières d’efforts perdus, ces calvaires de rêves crucifiés, ces registres d’élans brisés!…) est pour les artistes ce qu’est la tutelle prolongée des parents pour des jeunes gens intelligents, ivres de leur talent et de leur volonté ambitieuse.

    Pour des moribonds, des invalides et des prisonniers, passe encore. C’est peut être un baume à leurs blessures que l’admirable passé, du moment que l’avenir leur est interdit… Mais nous n’en voulons pas, nous, les jeunes, les forts et les vivants futuristes ! Viennent donc les bons incendiaires aux doigts carbonisés!…

    Les voici! Les voici!… Et boutez donc le feu aux rayons des bibliothèques! Détournez le cours des canaux pour inonder les caveaux des musées!… Oh qu’elles nagent à la dérive, les toiles glorieuses! A vous les pioches et les marteaux!

    Sapez les fondements des villes vénérables! Les plus âgés d’entre nous ont trente ans; nous avons donc au moins dix ans pour accomplir notre tache. Quand nous aurons quarante ans, que de plus jeunes et plus vaillants que nous veuillent bien nous jeter au panier comme des manuscrits inutiles !…

    Ils viendront contre nous de très loin, de partout, en bondissant sur la cadence légère de leurs premiers poèmes, griffant l’air de leurs doigts crochus, et humant, aux portes des académies, la bonne odeur de nos esprits pourrissants, déjà promis aux catacombes des bibliothèques. Mais nous ne serons pas là.

    Ils nous trouveront enfin, par un nuit d’hiver, en pleine campagne, sous un triste hangar pianoté par la pluie monotone, accroupis près de nos aéroplanes trépidants, en train de chauffer nos mains sur le misérable feu que feront nos livres d’aujourd’hui flambant gaiement sous le vol étincelant de leurs images.

    Ils s’ameuteront autour de nous, haletants d’angoisse et de dépit, et tous exaspérés par notre fier courage infatigable s’élanceront pour nous tuer, avec d’autant plus de haine que leur cœur sera ivre d’amour et d’admiration pour nous. Et la forte et la saine Injustice éclatera radieusement dans leurs yeux.

    Car l’art ne peut être que violence, cruauté et injustice. Les plus âgés d’entre nous ont trente ans, et pourtant nous avons déjà gaspillé des trésors, des trésors de force, d’amour, de courage et d’âpre volonté, à la hâte, en délire, sans compter, à tour de bras, à perdre haleine. Regardez-nous! Nous ne sommes pas essoufflés… Notre cœur n’a pas la moindre fatigue! Car il s’est nourri de feu, de haine et de vitesse !…

    Ça vous étonne? C’est que vous ne vous souvenez même pas d’avoir vécu! Debout sur la cime du monde, nous lançons encore une fois le défi aux étoiles! Vos objections? Assez! Assez! Je les connais!

    C’est entendu! Nous savons bien ce que notre belle et fausse intelligence nous affirme. – Nous ne sommes, dit-elle, que le résumé et le prolongement de nos ancêtres. – Peut-être! Soit!… Qu’importe?… Mais nous ne voulons pas entendre! Gardez-vous de répéter ces mots infâmes! Levez plutôt la tête! Debout sur la cime du monde, nous lançons encore une fois le défi aux étoiles!

    Milan – Via Senato, 2

    Filippo Tommaso Marinetti

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  • Insurrection nationale et instauration de la république italienne

    La ligne du PCI, depuis que le régime a vacillé avec le « coup » contre Benito Mussolini et l’intervention militaire des Alliés en Italie même, est très claire : il faut unifier les masses pour chasser l’envahisseur allemand.

    Les Instructions pour tous les camarades et pour toutes les formations du parti, écrites par Palmiro Togliatti en 1944, affirment les points suivants :

    « 1) ligne générale du Parti pour le moment présent : Insurrection nationale du peuple dans toutes les régions occupées pour la libération du pays et l’écrasement des envahisseurs allemands et des traîtres fascistes.

    2) Le parti réalise cette ligne sur la base de l’unité des forces populaires antifascistes et nationales. Par la conviction et par l’exemple il entraîne et dirige l’insurrection nationale de toutes ces forces organisées aujourd’hui dans les Comités de libération.

    L’insurrection que nous voulons ne doit pas être celle d’un parti ou d’une partie seulement du front antifasciste mais de tout le peuple, de toute la nation. Les Comités de libération doivent donc être les organismes de direction politique du mouvement. L’alliance étroite avec les socialistes, le contact étroit avec les démocrates de gauche, avec les masses catholiques, avec les officiers et les soldats patriotes doit permettre aux communistes de s’acquitter de leur fonction d’avant-garde dans la préparation de la lutte en vue de celle-ci.

    Nous voulons l’unité de tout l’antifascisme et de toute la nation dans la lutte contre l’envahisseur allemand et les traîtres fascistes parce que c’est dans cette unité que nous voyons la garantie de notre victoire. »

    Cette position reflète l’histoire du PCI : s’étant maintenu malgré le fascisme – et c’est le seul parti politique à y être parvenu, au prix du sang et de l’emprisonnement – il reflète la position ouvrière consistant à assumer jusqu’au bout la lutte.

    Palmiro Togliatti

    De fait, en plus de la guerre des partisans et de l’intervention des forces alliées en Italie, le grand événement est la titanesque grève se déroulant dans le nord de l’Italie, au tout début de mars 1944. Elle touche un million de personnes, dans une zone qui est celle de la République Sociale Italienne de Benito Mussolini.

    Les grandes usines sont celles de Fiat, des aciéries, de la Breda, d’Ansaldo, de Magneti, de Pirelli, de Falck, d’Alfa Romeo, de l’Elettromeccanica, etc., à Milan, Turin, Gênes, villes où la condition ouvrière est terrible avec la misère, mais aussi les destructions dues aux bombardement, notamment avec Turin qui est à moitié détruite, alors que Milan connaît 200 000 sans abris.

    Le PCI ne disposait alors que de petits noyaux au sein des usines, d’entre 5 et 40 personnes (sur entre 1000 et 14 000 ouvriers environ), mais qui ne sont pas isolés et disposent de très nombreux sympathisants.

    Il grandit par conséquent à grande vitesse : dès la fin de 1944, il dispose déjà de plus de 76 000 membres, sans compter les partisans qui sont au moins 15 000. Et il profite du prestige toujours plus immense en Italie de l’Armée rouge, le PCI menant bien entendu la propagande au sujet des victoires effectuées, alors que l’Allemagne nazie s’effondre.

    L’Unité peut ainsi titrer :

    « Par la grève générale, par les combats de rue et par l’action armée, vers l’épreuve décisive ».

    Il y a toutefois un problème fondamental : les partisans ne sont pas en mesure de conserver les territoires conquis, d’en faire des bases rouges comme ce fut le cas en Chine. La Grande-Bretagne fait tout pour empêcher que les partisans y parviennent afin que le pays ne bascule pas dans le camp communiste et de fait les partisans ne parviennent pas à maintenir leurs zones si l’Armée nazie décide de mener des opérations sérieuses de ratissage.

    Le dirigeant communiste raconte à ce sujet que :

    « On n’a pas réussi à obtenir des Alliés ou à se procurer nous-mêmes les moyens de libérer de manière permanente de vastes zones de territoire. Les zones libres duraient à peine un à deux mois…

    La Résistance à eu ces limites parce qu’elle n’est pas parvenue à donner des perspectives et des mots d’ordre socialistes, parce qu’elle n’a pas mieux établi un programme de réformes de structures à mettre en place après la libération, parce que s’est réalisée une unité plutôt qu’une autre, parce qu’on a mis sur le canon des fusils le drapeau tricolore au lieu du drapeau rouge.

    La raison fondamentale réside dans le fait qu’on n’a pas réussi dans les conditions dans lesquelles on opérait, à faire de la Résistance un mouvement plus large, plus fort, avec des formations de partisans plus nombreuses, plus aguerries et puissamment armées, qui soient en mesure de libérer de manière stable des régions entières et de faire en sorte qu’à leur arrivée, des Anglo-américains se trouvent devant une armée organisée et un pouvoir populaire effectivement et solidement conquis. »

    L’exemple grec va par la suite traumatiser le PCI : l’écrasement de la Résistance grecque par les forces anglaises va servir de contre-exemple absolu, ce qui sera également nécessairement vrai pour le PCF.

    La présence de troupes alliées anglo-américaines empêche une progression de la guerre des partisans, alors que seule une réelle avancée militaire autonome aurait permis de ne pas être subordonné à elles.

    Dès les succès véritables, le commandement allié entendra rassembler les partisans dans des camps afin de les désarmer, de leur fournir des attestations, de les renvoyer chez eux.

    La guerre des partisans lancée par le PCI apparaît alors à la fois comme une libération anti-nazie, mais aussi comme un appoint à la pénétration anglo-américaine en Italie.

    L’anglais Winston Churchill avait tout fait pour que le gouvernement de Pietro Badoglio serve de tampon, empêchant les masses populaires de faire irruption politiquement.

    Voici ce qu’il expliqua dans un discours aux députés britanniques :

    « C’est à Rome [non encore libérée à ce moment-là] qu’un gouvernement italien peut être formé sur de plus larges bases. Je ne peux pas dire qu’un tel gouvernement sera une aide pour les Alliés autant que le gouvernement actuel.

    Naturellement, ce pourrait être également un gouvernement qui, pour s’attirer la sympathie des Italiens, tenterait de résister, pour peu qu’il ose, aux demandes qui lui seront adressées dans l’intérêt des armées alliées.

    Il me déplairait, par conséquent, d’assister à un changement insatisfaisant à un moment où la bataille est à son comble, oscillant entre la victoire et la défaite. Quand il faut tenir en main une cafetière bouillante, il vaut mieux ne pas casser l’anse jusqu’à ce qu’on soit sûr d’en avoir une aussi commode et pratique, au moins jusqu’à ce qu’on ait un torchon à portée de la main. »

    L’URSS avait pourtant tenter d’aider le PCI, en reconnaissant en mars 1944 le gouvernement de Pietro Badoglio, qui avait été initialement soutenu par la Grande-Bretagne, épaulée des États-Unis.

    Cela renversait la perspective et débloqua totalement la situation pour le PCI et la gauche en général, qui put alors tenter de déborder le gouvernement en y adhérant, au lieu d’être simplement à l’extérieur, sans possibilité d’action politique aucune.

    Dès le 12 avril, le roi Victor Emmanuel III fut obligé d’abdiquer en faveur de son fils, alors que le 21 avril le gouvernement de ¨Pietro Badoglio intègre les forces antifascistes, avec un ministre de l’intérieur démocratie-chrétien. Palmiro Togliatti devint alors ministre sans portefeuille et le PCI disposa aussi du ministère de l’Agriculture et des Eaux et Forêts, de deux sous-secrétariat.

    Surtout, et c’est là une clef de cette avancée, le gouvernement Badoglio ne parle plus de « chambre des députés devant être élue », mais d’une « Assemblée constituante et législative », ce qui est un immense succès pour le PCI, qui s’inscrit dans la vie politique comme alternative au régime précédent.

    Cependant, le PCI est incapable de formuler un projet étatique. Il lui manque une vision générale sur ce plan. Palmiro Togliatti ne l’a pas et Antonio Gramsci n’a pas été en mesure de la formuler non plus.

    Voici comment Palmiro Togliatti, dans une conférence à la fédération communiste de Rome, présente sa manière de voir les choses :

    « Avant toute chose, et c’est là l’essentiel, le parti nouveau est un parti de la classe ouvrière et du peuple qui ne se limite plus seulement à la critique et à la propagande mais qui intervient dans la vie du pays par une action positive et constructive qui commence par les cellules d’usine et de villages et doit arriver jusqu’au Comité central, jusqu’à des hommes que nous déléguons pour représenter la classe ouvrière et le Parti au gouvernement.

    Il est clair, donc, que quand nous parlons de parti nouveau nous entendons, avant toute autre chose, un parti qui soit capable de traduire dans sa politique, dans son organisation et dans son action de tous les jours, ce profond changement qui s’est produit dans la position de la classe ouvrière par rapport aux problèmes de la vie nationale.

    Une fois abandonnée la position de seule opposition et de critique qu’elle a eue par le passé, la classe ouvrière entend aujourd’hui assumer elle-même, à côté des autres forces démocratiques conséquentes, une fonction dirigeants dans la lutte de libération du pays et dans la construction d’un régime démocratique.

    Le nouveau parti est le parti qui est capable de traduire ces nouvelles positions de la classe ouvrière, de la traduire en actes à travers sa politique, à travers son action et donc en transformant, dans ce but, son organisation. En même temps, le nouveau parti que nous avons en tête doit être un parti national italien, c’est-à-dire un parti qui pose et résorbe le problème de l’émancipation du travail dans le cadre de notre vie et de notre liberté nationale, en faisant nôtres toutes les tendances progressistes de la nation. »

    Cette définition est la même que celle de Maurice Thorez en France et elle fait du PCI un parti authentiquement social-démocrate, au sens historique du terme, nullement un Parti Communiste avec comme ligne le renversement du régime.

    Le PCI – tout comme le PCF – considère qu’en ayant intégré le processus de formation du nouvel État, il peut peser sur lui, aboutir à une vraie « démocratie ». C’est là une conception opportuniste, qui va à l’opposé du principe de la démocratie populaire comme rupture.

    Ce qui frappe alors, ce sont deux choses. Tout d’abord, le PCI devient un parti de masses. Dès novembre 1944, il a en son sein plus de 342 000 personnes, puis pratiquement 479 000 en décembre. En 1946, il dépasse le million et en 1947, le chiffre sera de 2 279 000.

    Mais, et justement, le PCI n’a cette même année 1947 que 50 000 personnes dans le Mezzogiorno. C’est ce même Mezzogiorno qui soutiendra la monarchie lors du référendum à son sujet, en juin 1946. La République gagne, avec 12,7 millions de voix, mais la monarchie ne perd que de peu, avec 10,7 millions de voix, triomphant dans le sud.

    La base du régime n’a pas changé et la seconde chose qui frappe, c’est qu’il n’y a pas de défascisation, pas de réformes agraires, pas d’écrasement de la mafia.

    Le Vatican reste intact et dispose d’un parti nouveau, la démocratie chrétienne, qui obtient 35,2 % des voix en 1946, le PSI suivant avec 20,7 % des voix, le PCI étant encore derrière avec 18,9 % des voix.

    C’est l’ouverture d’une période qui sera caricaturée par l’affrontement entre le maire communiste Peppone et le religieux Don Camillo dans le village de Brescello, mais qui sera surtout marquée par la gestion du pays par la démocratie chrétienne, en étroite relation avec l’impérialisme américain plaçant même des bases de l’OTAN dans le pays.

    Dès 1948, le Front démocratique populaire issu de l’unité PCI-PSI et se présentant comme la « liste Garibaldi », comme le prolongement des Brigades de la Résistance partisane, est battu avec 30,98 % des voix (8,1 millions de votants) par la démocratie chrétienne et ses 48,51 % des voix (12,7 millions de votants).

    L’échec se révèle d’autant plus patent si l’on sait que jamais il n’y eut de procès des criminels de guerre allemand ayant commis des massacres de grande ampleur en Italie.

    Parmi les plus connus, on a le massacre en octobre 1944 de 1839 habitants du village de Marzabotto par la 16e Panzergrenadierdivision SS Reichsführer-SS, qui fut également responsable en août 1944 dans le district de Sant’Anna di Stazzema de l’assassinat de 561 personnes, femmes et enfants compris.

    Si ces opérations visaient à terroriser la population, il y avait également les représailles anti-partisanes, comme avec le massacre des Fosses ardéatines, en mars 1944, où 335 otages sont massacrés.

    Ce dernier crime fut le seul à connaître deux épisodes juridiques. Le premier fut la condamnation du chef de la gestapo à Rome, Herbert Kappler, à la prison à vie, celui-ci s’échappant en 1977 et se réfugiant en Allemagne de l’Ouest, qui le protégera. Un autre procès eut lieu à la fin des années 1990, où deux personnes sont condamnées à la prison à vie, peines commuées en résidence surveillée.

    De la même manière, il n’y eut aucune défascisation, c’est-à-dire aucune épuration, aucune remise en cause des monuments fascistes, de sa culture qui s’était diffusée, etc., sauf dans les cas où il y avait eu un soutien ouvert à l’Allemagne nazie. Les fascistes formèrent même un nouveau parti, le Movimento Sociale Italiano – Destra Nazionale, parvenant à disposer d’environ 400 000 adhérants dans les années 1970.

    L’histoire fasciste fut récupérée, au fur et à mesure : l’amirauté a reconnu en 2006 les nageurs de combat de la Xe Flottiglia MAS, au service de la République Sociale Italienne et particulièrement criminelle, comme des « vétérans », les intégrant dans l’histoire officielle.

    La république italienne n’est donc pas née antifasciste, mais anti « nazifasciste » et encore cela est-il à relativiser, seul l’aspect nationaliste italien primant réellement.

    Il apparaît ici que l’exécution par les partisans de Benito Mussolini, le 28 avril 1945, fut une erreur. Il fut reconnu alors qu’il fuyait avec l’Armée nazie ; exécuté, il fut ensuite pendu par les pieds avec 14 autres fascistes, à la place Loreto de Milan, en allusion à 15 antifascistes exécutés montrés au même endroit l’année précédente.

    Or, il aurait fallu que son exécution suive un procès qui aurait été celui du régime. Le succès de l’initiative partisane se transforma en son contraire, en force d’appoint du nouveau régime, en raison d’une mauvaise compréhension de la question de l’État.

    La démocratie chrétienne et le Vatican, avec les impérialismes britannique et américain, purent ainsi poser la République italienne comme base d’une réconciliation, niant le passé mussolinien en le masquant derrière le combat contre le « nazifascisme » et en le présentant comme une simple « parenthèse », un accident de parcours.

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  • L’Italie fasciste et l’antifascisme : la guerre des partisans

    Le paradoxe du gouvernement de Pietro Badoglio, c’est que lorsque l’armistice fut organisé avec les alliés et déclaré le 8 septembre au soir, il dut fuir Rome, ce qui fut également le cas pour le Roi. Le commandement militaire lui-même s’enfuit en pleine panique, sans prévenir aucun ministre, abandonnant des documents secrets, le sceau de l’état-major, etc.

    C’est ce qui fut appelé la défense manquée de Rome, et cela alors que 80 000 soldats italiens étaient présents en périphérie. Le 9 septembre, dans la matinée, l’Armée allemande a déjà le contrôle de la capitale italienne.

    En pratique, l’Armée italienne a disparu du jour au lendemain, 400 000 soldats devenant des prisonniers des Alliés, 600 000 de l’Armée allemande. Néanmoins, dans l’Armée italienne, des milliers de soldats et d’officiers décidèrent de s’opposer à l’intervention allemande forte de 120 000 hommes. Si leur tentative fut un échec, elle galvanisa ce qui apparaît comme une résistance nationale anti-allemande.

    Le paradoxe est donc que cette intervention allemande qui suit l’effondrement du fascisme italien pour le sauver dans le nord de l’Italie doit faire face, justement, à un soulèvement populaire qui profite dudit effondrement d’un côté, et qui de l’autre ne veut pas de domination allemande.

    Encore cela est-il à relativiser : tout d’abord, parce que dans le Sud, les Alliés font tout pour empêcher l’émergence d’un nouveau pouvoir, ensuite parce que la désorganisation complète du pays et la passivité générale font que les situations se règlent au jour le jour.

    Ce qui est par contre absolument clair, c’est la volonté du Parti Communiste Italien d’aller à la lutte armée. Le quotidien Corriere Della Sera donne cette information, 23 septembre 1943, provenant du quartier général allemand :

    « Partisans slovènes unis à des communistes italiens et à des groupes et des bandes de la région croate, tentent, à l’est de Venise, en Istrie et en Slovénie de gagner du terrain en profitant de la trahison de Badoglio. Les troupes allemandes, soutenues par les unités nationales fascistes et des habitants volontaires ont occupé les localités les plus importantes et les voies de communication et attaquent les rebelles qui ont l’intention de voler et de faire du butin. »

    Le Parti Communiste Italien profite en effet de la situation pour se réorganiser dans tout le pays et organiser la guerre des partisans.

    A cet effet sont généralisées les Brigate d’assalto « Garibaldi », Brigades d’Assaut Garibaldi, sur le modèle des Francs-Tireurs et Partisans français et des Brigades Internationales, dirigés par Luigi Longo et Pietro Secchia, dont la moitié des membres sont communistes, ainsi que la quasi-totalité des troupes de choc, les Gruppi di azione Patriottica (Groupes d’Action Patriotique).

    Voici comment les Brigades Garibaldi sont présentées, en novembre 1943 dans la revue Le combattant, dans l’article « Les détachements Garibaldi sont des détachements modèles » :

    « Pourquoi des détachements d’assaut ? parce qu’ils sont créés pour l’action armée, pour l’assaut, pour l’attaque audacieuse. Des détachements d’assaut parce qu’ils donnent une organisation et une discipline de fer qui correspond aux tâches qu’ils se proposent.

    Des détachements d’assaut Garibaldi parce que leur action patriotique s’inscrit dans les meilleures traditions populaires et nationales italiennes, des Garibaldiens du Risorgimento aux glorieuses Brigades Garibaldi d’Espagne dont les glorieux survivants sont maintenant à la tête des meilleurs détachements de partisans. »

    Voici, à titre d’exemple, les trois « baptêmes » des Brigade d’Assaut Garibaldi de la ville de Reggio d’Émilie :

    « Le commandant de brigade a décidé d’appeler votre détachement du nom d’un garibaldien tombé récemment sous le feu allemand, Orlandino Guerrino. Né dans les montagnes où se mène notre guerre, il s’est montré un véritable enfant de cette montagne…

    Sa chair ensanglantée par la mitrailleuse ennemie, sa figure morale de garibaldien sont comme un drapeau derrière lequel nous devons tous nous rassembler…

    Garibaldiens du détachement Orlandino Guerrino, faites voir à nos ennemis barbares que son sacrifice n’a pas été vain. »

    « Garibaldiens, le commandant de brigade a voulu appeler votre détachement du nom de Zambonini Enrico pour rappeler son héroïque figure de prolétaire combattant…

    A peine a-t-il entendu le grondement de la bataille sur la terre d’Espagne que son sens le plus élevé du devoir de travailleur le poussa à y participer.

    Il soutint à Guadalajara le même combat que nous menons ici, aujourd’hui. Sa foi n’a jamais faibli. Garibaldiens du détachement Zambonini Enrico, vengez-le ! »

    « Garibaldiens : Dughetti Fiorio est le nom de votre détachement. Que sa figure de Garibaldien, blessé, capturé et fusillé par les fascistes soit votre drapeau…

    Les fascistes l’ont tué inutilement après qu’il ait été blessé et vous, Garibaldiens, vous anéantirez avec impétuosité et courage. ces hyènes qui nous offensent en marchant sur notre sol sacré.

    Mort aux Allemands et aux fascistes ! Et vive l’Italie ! Le commandant et le commissaire de brigade. »

    Plus de 50 000 personnes participeront à ces Brigades, sur un total de plus de 100 000 partisans ; aux 575 Brigades d’Assaut Garibaldi, il faut ajouter 54 Brigate del popolo formées par le Parti Populaire qui donnera la Démocratie chrétienne, 70 Brigate Matteotti du Partito Socialista Italiano di Unità Proletaria fondé à gauche du PSU, 198 Brigate Giustizia e Libertà du Partito d’Azione radical républicain, 255 Brigate autonome formées par des militaires, etc.

    En mars 1944, il y a 36 000 partisans en tout dans les montagne ; en mai le total est déjà de 100 000. Au total, 42 000 tomberont dans la lutte contre l’Allemagne nazie et la République Sociale Italienne de Benito Mussolini, affrontant les ratissages, les terribles tortures en cas de capture, afin le poteau d’exécution.

    Une structure nationale – le Comitato di Liberazione Nazionale – chapeautait l’ensemble de ces formations, étant lui même divisé en un Comitato di Liberazione Nazionale Alta Italia pour la partie nord et un Comitato di Liberazione Nazionale Centrale pour le centre et le sud.

    Le PCI, fort de l’expérience admirable réalisée dans la République espagnole, souligne l’importance des commissaires politiques afin de renforcer le niveau des brigades. Ces commissaires politiques sont ceux de la Brigade ; si les communistes doivent former un noyau autant que possible dans la brigade, la division des rôles est clairement établie.

    Les Directives pour la constitution et le fonctionnement des noyaux du Parti, en mars 1944, soulignent ainsi :

    « La tâche du noyau est d’assurer la vie du parti dans chaque unité, la compréhension et l’acceptation de la ligne du parti en ce qui concerne la lutte de libération nationale, la collaboration sans réserve avec le commandant et le commissaire de l’unité, quel qu’il soit.

    Il faut recruter de nouveaux membres pour le parti. Le noyau a aussi le pouvoir de proposer des éloges et des blâmes ou des expulsions (…).

    Le noyau du parti doit mener son travail avec beaucoup de tact et d’habileté, il ne doit pas faire sentir sa présence par des manifestations susceptibles de heurter ou d’indisposer les partisans qui ne sont pas membres du parti, ne pas se substituer au commandant ni aux organes dirigeants des formations (…).

    Commandant, commissaire politique, dirigeant du parti, doivent collaborer étroitement, en gardant bien distinctes leurs attributions et leurs tâches : le commandant doit s’occuper essentiellement de l’organisation et du côté militaire de la formation.

    Le commissaire politique doit s’occuper essentiellement du moral des combattants et de leur éducation politique ainsi que de l’orientation sur les questions plus importantes de la lutte de libération nationale. Le responsable politique doit s’occuper essentiellement du travail du parti.

    Dans la mesure où ils sont tous trois des camarades, le Commandant, le commissaire politique et le responsable du parti doivent constituer un triangle pour examiner en commun les solutions des questions générales les plus importantes qui concernent la vie et l’action des formations…

    Dans le processus d’unité, quand le commandant, le commissaire et le responsable du P. sont tous trois membres du parti, ils sont responsables solidairement devant le parti ».

    Le PCI profite à ce niveau de cadres très décidés, avec les 1500 cadres formant le noyau dur qui proviennent des prisons, des camps de relégation ou encore de l’exil ; ils forment l’armature historique de la guérilla organisée par le PCI ayant tout donné tout ce qu’il peut pour maintenir le drapeau en Italie même durant les années 1930.

    Giuliano Pajetta, par exemple, né en 1915, a été organisateur de la Jeunesse Communiste de l’immigration italienne en France, commissaire politique dans les Brigades Internationales, membre de la résistance française dans les FTP. Capturé en 1942 il est libéré par le maquis en 1944. Il rentre en Italie participer à la Résistance puis de nouveau capturé et envoyé au camp de Mauthausen.

    Le PCI a lui-même 20 000 membres, pratiquement tous en zone occupée par l’Armée allemande ; autour de ce noyau dur, il y a la classe ouvrière qui est au premier rang pour mener la bataille ; quant aux gens rejoignant les partisans, ils sont jeunes, voire très jeunes dans leur écrasante majorité. Parallèlement à cela, il y a de multiples fronts qui naissent, pour les femmes, la jeunesse, dans les usines.

    Il y a toutefois un problème : l’Angleterre fait tout pour que le roi ne soit pas renversé et pour faire en sorte que le gouvernement Badoglio reste en place, ce qui sera effectivement le cas jusqu’au 18 juin 1944. Les Alliés en général n’ont pas de position à ce sujet, tout le monde étant dans l’expectative du débarquement en France, qui scellera précisément le destin du maréchal Pietro Badoglio.

    On a ainsi le paradoxe que le Parti Communiste Italien mène un combat contre l’occupant allemand et la république sociale italienne de Mussolini qui en est le satellite, alors que le reste du pays non occupé dispose d’un régime qui s’est effondré, mais dispose encore de structures officielles.

    On doit bien voir ici que l’Italie n’a jamais été centralisée jusqu’alors et que le Mezzogiorno dispose de multiples forces centrifuges, tels les indépendantistes de Sicile et de Sardaigne mis sous le coude par l’impérialisme anglais pour contrer éventuellement une Italie devenant communiste, ainsi que les diverses mafias qui par leurs ramifications aux États-Unis d’Amérique ont de bons liens avec l’impérialisme américain.

    Le Mezzogiorno a toujours été d’ailleurs le point faible du PCI, de par la base paysanne massive et cela joue d’autant plus que la misère noire règne dans ces régions, ramenant la vie quotidienne à une bataille pour la survie, alors que le prix des pâtes est passé de 3 lires le kilo en 1940 à 120 lires en 1943, le pain pareillement de 2,9 à 100 lires, le litre d’huile de 8 à 100 lires, le kilo de viande de 15 à 170 lires, etc.

    Dans ce contexte explosif, les trotskystes et bordiguistes renforcent leur propagande, dénonçant le PCI comme soumis à la bourgeoisie et niant la lutte anti-nazie, appelant à la révolution et touchant des secteurs communistes sensible à une propagande maximaliste. Alors que l’URSS exige sans cesse que les Alliés fassent un débarquement à l’ouest, des maximalistes vont jusqu’à affirmer qu’il faut l’empêcher pour que l’armée rouge batte seule les nazis et qu’ainsi la révolution triomphe, etc.

    Les différents organes de cette propagande – les maximalistes Bandiera RossaStella Rossa ou encore les bordiguistes de Prométhée qui eux s’opposent ouvertement à la Résistance – ne feront pas long feu, mais ils provoqueront diverses troubles, notamment à Naples, qui sera pourtant une ville se libérant toute seule, au prix du sang, de l’occupation allemande.

    Les impérialismes britanniques et américain sont conscients de cela et dans la foulée ils avaient interdit à la demande de Pietro Badoglio une réunion des Comité de Libération Nationale des régions libérées à Naples en décembre 1943, celle se déroulant finalement le 28 janvier 1944 à Bari.

    Le maintien du gouvernement Badoglio avait une fonction très claire : retarder l’émergence d’institutions nouvelles, maintenant les masses dans la passivité et l’attentisme par rapport à la suite des événements, freiner à tout prix la réapparition de la vie politique en connaissance du fait que le PCI est le seul à disposer d’une tradition continue en Italie.

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  • La République Sociale Italienne comme État total

    Au sens strict, le fascisme est un modernisme poussé par la partie nord de l’Italie, industrialisée et ayant accepté un compromis avec le féodalisme du sud. Le respect de la royauté a fait partie de ce compromis.

    Giovanni Gentile a été l’artisan de ce compromis, notamment avec une réforme de l’école. Désireux de mettre en avant la « morale », il avait fait en sorte que dans les « gymnases », c’est-à-dire les lycées, 70 % des cours relèvent des sciences humaines (italien, latin, grec, histoire, philosophie), comprises comme des « méthodes », des « règles », le par cœur étant la principale démarche.

    Le catéchisme catholique fut également enseigné dans les écoles primaires, Giovanni Gentile considérant que le catholicisme était la forme culturelle historique de la Nation italienne ; néanmoins, le Vatican récupéra toujours plus de prérogatives intellectuelles et culturelles dans l’État italien.

    Au cours de ce processus, les loges maçonniques furent interdites et détruites, dès 1925, comme représentantes d’idéologies parallèles d’influence semi-secrète.

    Lorsque par contre l’Italie du sud fut passée dans le camp de l’alliance avec les États-Unis d’Amérique et que la partie nord fut marquée par l’intervention militaire allemande, le fascisme connut une intense transformation.

    Une rupture historique se produit avec la partie sud, c’est-à-dire avec les forces portant la monarchie et le catholicisme.

    C’est pour cette raison que Benito Mussolini fonde, en septembre 1943, dans la partie nord de l’Italie (ainsi que le « centre »), la « République Sociale Italienne », souvent appelée République de Salò, du nom de la ville hébergeant le gouvernement.

    Cette république se définit comme un Stato Nazionale Repubblicano, un État National Républicain ; en pratique, il naît comme protectorat allemand : l’Armée allemande décide de tout, sa présence est financée massivement par le régime et Benito Mussolini lui-même, qui avait été emprisonné par des partisans de l’alliance avec les États-Unis, fut libéré par un commando de l’Armée nazie pour être placé comme dirigeant.

    L’économie devint une économie de guerre et le régime celui de la mobilisation générale, avec chaque travailleur devant adhérer à la Confédération Générale du Travail, de la Technique et des Arts, cette double opération étant maquillée en vague de « socialisation », de « nationalisation » des entreprises de plus de 100 employés, de « retour aux origines du fascisme » sous l’égide d’un Parti Fasciste Républicain le dirigeant.

    En réalité, on a ici un esprit national-révolutionnaire de guerre totale qui est très éloigné du républicanisme romain pacifique du fascisme des débuts.

    Pour cette raison, il y a une mise à l’écart de Giovanni Gentile, qui avait déjà vu sa position, dans les années 1930, affaibli par l’influence grandissante du catholicisme. Il resta cependant jusqu’au bout fidèle au régime, tentant de faire valoir sa propre position.

    L’état d’urgence propre à l’État National Républicain exigeait par contre un autre esprit et cela aboutit à l’émergence de théoriciens de la mobilisation totale, c’est-à-dire de nationaux-révolutionnaires.

    On a ici deux figures principales : tout d’abord le renégat communiste Nicola Bombacci (1879-1945), qui théorise l’État total comme « vrai » socialisme, le régime de Salò se revendiquant être contre la « ploutocratie mondiale », pour une propriété privée encadrée par l’État.

    Dans la Manifeste de Vérone du régime il est précisé que :

    « Dans l’économie nationale, tout ce qui sort de l’intérêt particulier pour entrer dans l’intérêt collectif, appartient à la sphère des actions qui relèvent de l’Etat. »

    Ensuite, on a le théoricien racialiste et mystique Julius Evola (1898-1974), dont l’émergence converge avec la participation ouverte et agressive du nouveau régime à la destruction de la population juive d’Europe.

    Théoricien de la « révolte contre le monde moderne », Julius Evola est un conservateur révolutionnaire, se revendiquant de la « Tradition ». Partisan lui aussi de la mobilisation totale, de la formation d’une « nation de guerriers », il l’était dans uns sens résolument élitiste, à l’opposé de la perspective de masses de Nicola Bombacci.

    Pour cette raison, après 1945, Julius Evola sera le principal théoricien de la « nouvelle droite », appelant à être dans ce monde sans y participer, afin de garder ses valeurs élitaires, ce qu’il résumera avec la formule « chevaucher le tigre » ou encore le mot d’ordre « Ce sur quoi je ne peux rien, ne peut rien sur moi ».

    En 1951, il formulera de la manière suivante sa conception :

    « J’ai défendu, et je défends, des “idées fascistes”, non en tant qu’elles étaient “fascistes”, mais dans la mesure où elles reprenaient une tradition supérieure et antérieure au fascisme, où elles appartenaient à l’héritage de la conception hiérarchique, aristocratique et traditionnelle de l’État — conception ayant un caractère universel et qui s’est maintenue en Europe jusqu’à la Révolution française. »

    Dans les années amenant à l’intégration du fascisme italien, comme mobilisation totale, comme protectorat de l’Allemagne nazie, Julius Evola tenta de théoriser ce passage, au moyen d’ouvrages comme, en 1941, avec Synthèse de doctrine de la raceÉléments pour une éducation racialeLa Doctrine aryenne du combat et de la victoire.

    Cette dynamique fut soutenue par Benito Mussolini, mais l’effondrement du régime empêcha l’avènement de Julius Evola, qui dut fuir en Allemagne nazie, sa « critique de droite du fascisme », dans le sens d’un élitisme dans le cadre d’une mobilisation totale, apparaissant comme un rêve fou.

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  • L’Italie fasciste et l’antifascisme : l’incompréhension de la question du régime

    1943 est l’année de l’effondrement interne du fascisme italien. Rien qu’en mars ont lieu des grèves en masse, à Turin tout d’abord, puis Milan, Venise afin de se diffuser, pour toucher 100 000 ouvriers protestant contre leurs conditions de vie et exigeant la paix. Les centaines d’arrestations ne suffisent pas à ébrécher un mouvement témoignant d’une véritable relance de la lutte de classe ; elles nuisent par contre grandement aux réseaux communistes.

    Toutefois, les impérialistes connaissent également la situation et ils ont intégré ce fait. En juillet 1943, le 10, les Alliés organisent un débarquement en Sicile, ayant pris au préalable de nombreux contacts avec la mafia italienne pour aider à assurer une transition. L’Armée fasciste ne fait pas le poids avec ses 18 divisions mal équipées, ainsi que 8 autres en garnisons dans les îles, alors que 34 autres sont actives en France, en Grèce et dans les Balkans.

    Dans la foulée, 25 juillet 1943, le Grand Conseil du fascisme démet Benito Mussolini et l’emprisonne. L’Armée allemande le libère et occupe le Nord et le Centre de l’Italie, qui deviennent la « République Sociale Italienne », alors que la zone sud reste à la monarchie, désormais soutenue par les Alliés. Benito Mussolini devient alors la cible d’absolument tout le monde, présenté comme le principal voire le seule coupable de la dérive ayant faite de l’Italie une alliée soumise à l’Allemagne nazie.

    Le militaire Pietro Badoglio devient chef du gouvernement et l’Italie déclare la guerre à l’Allemagne. Cette dictature militaire de 45 jours est toutefois ambivalente ; elle n’est qu’un intermède brutal, une tentative sanglante de maintenir un fascisme sans Benito Mussolini ni discours fasciste, accompagnée de 93 morts, 536 blessés, 2276 arrestations. 

    Par la suite, on a une sorte de gouvernement temporaire instaurant les libertés élémentaires : la transition entre fascisme et démocratie bourgeoisie était assuré, mais sous l’égide des alliés.

    Le régime fasciste s’est effondré ; il n’a pas été renversé. Il n’y aucune effusion de sang, pratiquement, dans ce qui est simplement une passation de pouvoir. Au cours de ce processus, il y a des grèves ouvrières, la presse de gauche réapparaît, des prisonniers politiques sont libérés. 

    Naturellement, le PCI profite énormément de cette vague populaire qui se déroule partout ; en trois semaines, il a déjà pratiquement 20 000 membres organisés. Mais lui-même appartient de manière unilatérale au courant qui veut pactiser avec les fascistes ayant rompu avec Benito Mussolini.

    Voici ainsi les revendications faites par le PCI, de manière conjointe avec le Parti Socialiste Italien et le Partito d’Azione, parti antifasciste non communiste et non catholique, de type radical socialiste républicain et issu de Giustizia e Libertà, lors du gouvernement des 45 jours de Pietro Badoglio.

    Elles sont justes, mais elles ne posent pas la question du cadre du régime : tous les partis sont républicains, mais en allant pas jusqu’à vouloir rompte avec la monarchie, ils se bloquent la formation d’un bloc du type Front populaire comme au moment de la guerre d’Espagne.

    « Le PCI, le PSI et le P d’A déclarent l’entière responsabilité du « régime Badoglio » :

    a) pour l’échec de la conclusion d’un armistice immédiat.

    b) Pour la non défense contre le danger de l’invasion allemande toujours possible, en faisant appel aux forces populaires.

    c) pour l’absence de retour des libertés démocratiques et la non liquidation effective du régime fasciste

    d) pour la non libération de tous les détenus politiques et, en vue des développements possibles de la dangereuse situation intérieure et internationale qu’une telle politique n’a pas allégés mais aggravés,et pour le manque de toute autorité active pour résoudre les problèmes créés par la situation elle-même…

    C’est pour ces raisons que le PCI, le PSI et le P d’A décident de constituer un Comité permanent de vigilance et de défense pour la liberté et la paix du peuple italien. »

    C’est que le PCI ne raisonne pas en terme de Front populaire ou de Démocratie populaire ; il espère que le régime va tomber d’un coup ou tout au moins très rapidement.

    C’est l’idée fixe depuis les années 1920. Si Amadeo Bordiga pensait qu’il y aurait directement la dictature du prolétariat et Antonio Gramsci (et à sa suite Palmiro Togliatti) une Assemblée constituante, ce ne fut jamais considéré comme une étape en tant que telle. 

    Aussi le PCI est-il prêt à accepter, au grand dam du PC d’URSS (bolchévik) ainsi que du PCF, à ce que l’un de ses membres, Giovanni Roveda, devienne vice-commissaire à la question syndicale, uniquement sur le plan technique, du gouvernement Badoglio.

    Cette position permet il est vrai de participer à la poussée du PSI et du Partito d’Azione et de voir ainsi 3000 de ses propres membres emprisonnés sortir de relégation et de prison, donnant un nouveau grand élan à sa base militante, avec des cadres enfermés depuis 5, 10, 15, presque 20 ans, qui se sont entraidés et formés lors de leur enfermement. Leur libération intervient juste avant une offensive de l’Allemagne nazie, qui aurait amené les prisonniers à une mort certaine.

    Voici cependant l’explication pour le moins alambiquée du PCI:

    « L’acceptation d’une telle charge de ta part a certainement été soumise à l’approbation du parti : c’est pourquoi nous ne la considérons pas comme un acte personnel, mais comme une décision du parti qui engage sa position et sa responsabilité politique face au gouvernement et aux masses travailleuses.

    Maintenant, parmi les différentes hypothèses que nous pouvons faire sur ces conditions, la manière et le déroulement par lesquels tu as été engagé pour une telle fonction, un point reste ferme : il ne peut et ne doit pas signifier une collaboration politique avec l’actuel gouvernement.

    Nous revendiquons la paix et la liberté et le gouvernement Badoglio nous donne la guerre et l’état de siège. C’est du moins ainsi jusqu’à présent. Il n’y a que deux cas où nous pouvons nous ranger pour sa défense : face à une tentative de rébellion des fascistes et dans l’éventualité que les forces allemandes se transforment en armée d’occupation. En dehors de ces deux cas, peu probables pour le moment, nous ne pouvons avoir qu’une attitude d’opposition parce que le régime passé survit encore trop dans le gouvernement Badoglio…

    La charge que l’on t’a confiée est acceptable dans la mesure où tu la conçois comme la représentation de la volonté des masses travailleuses. Donc, pas en tant qu’agent du gouvernement face aux masses, mais représentant de celui-ci face à et contre l’actuel gouvernement. »

    Le PCI explique qu’il accepte qu’un de ses membres participe au gouvernement fasciste gérant la fin du fascisme et ayant renversé Benito Mussolini, pour être cependant contre lui. C’est une position incompréhensible, à part si l’on saisit que tout est vu par le prisme de l’opposition unique à l’Allemagne nazie. 

    L’Unité du 22 août 1943 a ainsi comme titre en pleine page Les Allemands hors d’Italie et on y lit :

    « Le peuple qui a eu la force de chasser les fascistes italiens veut maintenant chasser résolument lesfascistes allemands.

    Si le gouvernement Badoglio ne respecte pas le sentiment de la nation, s’il ne veut pas ou ne sait pas défendre l’indépendance du pays, s’il a peur, avec le souffle de la liberté, de remettre en état les capacités de lutte et de reconstruction qui existent dans le pays et qui se sont manifestées dans la guerre contre le tyrannie fasciste, ce sera le devoir du front national des partis antifascistes de mobiliser les forces populaires pour défendre l’indépendance et conquérir la paix.

    Les Allemands veulent écraser la volonté du peuple italien, ils veulent faire des Italiens de la chair à canon pour leur impérialisme croulant et transformer notre pays en bastion sanglant qui protège leur terre, ils veulent sauver les fascistes renversés par le peuple. Que l’on déclare les Allemands ennemis de l’Italie, que l’on appelle le peuple à la lutte pour la défense de son indépendance et pour la sauvegarde de ses villes, qu’on lui donne la liberté de s’organiser et le peuple répondra : Présent !. Les communistes italiens seront alors en première ligne. »

    C’est là un positionnement en faveur d’un Front populaire, mais dans un cadre erroné : le PCI se fait embarqué par un régime tendant à devenir démocratique bourgeois en se liant à l’impérialisme américain et à l’impérialisme britannique, trouvant une nouvelle dynamique, ce que le PCI ne voit pas.

    Pour le PCI, il s’agit seulement de pouvoir continuer à s’élancer, le reste venant de lui-même. Juste avant l’armistice de l’Italie avec les Alliés, le PCI témoigne qu’il s’est mis à la remorque des Alliés en général, sans considération des aspects secondaires, donnant comme mot d’ordre dans L’Unité du 7 septembre 1943 « la paix se gagne en chassant les Allemands de notre territoire » et expliquant :

    «  La classe ouvrière sait quelle doit assumer dans cette lutte une place d’avant-garde et affronter et supporter de grands sacrifices. Elle est décidée et prête au combat, certaine d’avoir avec elle, dans une union intime et solide, toutes les autres classes de la nation qui veulent sauver la patrie. »

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  • Du Parti Communiste d’Italie au Parti Communiste italien

    Le fascisme épuise sa crédibilité alors que la crise sociale s’approfondit et que la guerre impérialiste devient la seule orientation véritable du régime. Le PCI a quant à lui décider de lutter pour conquérir les masses ; en comprenant qu’il doit lutter y compris au sein de syndicats ou de la jeunesse fascistes, il a compris que le radicalisme verbal bordiguiste était une faille. Il assume le travail de fond et dans ce cadre, le PCI assume ainsi enfin la ligne du Front populaire, ce qui est d’autant plus facile que l’Italie fasciste s’allie totalement à l’Allemagne nazie.

    La résolution du Comité Central, intitulée « Contre l’Axe Rome Berlin », de septembre 1937, dit ainsi :

    « Le Parti déclare que le devoir du prolétariat italien dans la période actuelle est de prendre la direction de la lutte populaire pour la conquête de la démocratie, pour l’avènement, en Italie, d’une république démocratique.

    Le parti communiste doit se faire l’initiateur d’une alliance de tous les partis, des organisations, des mouvements antifascistes républicains (socialistes, républicains, giellistes etc…) disposés à lutter pour la paix, pour la démocratie, pour la république.

    Il doit travailleur à l’unification de ce bloc avec toutes les forces antifascistes non républicaines (libéraux, démocrates, « populistes » etc..) et avec les mouvements antifascistes spontanés qui naissent et qui naîtront dans le peuple et qui luttent pour la paix et la démocratie.  

    Il doit travailler à coordonner l’action du plus large front antifasciste avec les mouvements d’une opposition fasciste à la politique de guerre du gouvernement qui surgissent et surgiront au sein du fascisme. »

    Agir reste cependant très difficile dans les conditions de répression terroriste. Aussi, l’Internationale Communiste procède elle-même à la réorganisation de la direction du PCI, avec un nouveau Comité Central en 1938, une conférence du Parti en 1939. Le dirigeant reste Palmiro Togliatti, qui fut présent longtemps en Espagne, en même temps que des centaines d’antifascistes participant aux Brigades Internationales. 

    Le PCI est prêt pour le combat dans une nouvelle période, marquée par le début du conflit inter-impérialiste ouvert, la Tchécoslovaquie tombant comme première victime. Le fascisme italien a du mal à maintenir son économie : si on prend l’année 1938 comme base 100 pour les prix, ceux-ci passent à 115 en 1939, 144 en 1940, 201 en 1944.

    La colère populaire grandit toujours plus et d’ailleurs les larges masses italiennes refusent la guerre, encore plus alors que c’est l’Allemagne qui mène le jeu. Le régime le sait, mais il sait qu’il est déjà trop tard pour s’opposer maintenant à lui, alors que le Parti National Fasciste a 3,6 millions d’adhérents, ses organisations féminines un million de femmes, celles de jeunesses huit millions de jeunes, celles estudiantines pratiquement 120 000 étudiants.

    Encore cela n’est-il que le noyau dur : en pratique, plus de 23 millions de personnes sont liées, d’une manière, ou d’une autre, à un organisme généré par le fascisme. L’opposition étant illégale, il est très difficile de s’organiser et le PCI souffre en permanence de dizaines d’arrestations. Ici, les masses paient grandement le prix du fait que 600 000 personnes progressistes aient quitté l’Italie fasciste, quittant le terrain de la lutte de classes de leur pays.

    Le noyau tentant de maintenir le lien avec le pays est par ailleurs brisé lorsque la France, le principal pays d’accueil, est défait par l’Allemagne nazie, qui s’empresse de traquer les antifascistes, emprisonnant surtout les communistes, alors que les démocrates de Justice & Liberté émigrent aux États-Unis. Lorsqu’en juin 1940, plus de 1,6 million d’hommes sont mobilisés, cela force aussi la jeunesse à rejoindre l’armée et par conséquent démantèle les velléités de rébellion.

    La situation est donc paradoxale : le PCI maintient son existence, son combat continue, il comprend enfin le principe du Front populaire, mais la guerre amène un saut qualitatif au moment précis où le fascisme commençait à se « banaliser » aux yeux des masses, à perdre son aura.

    Cela va être de très lourde conséquence pour le PCI. En effet, jusqu’à présent, le PCI appelait jusqu’à présent à ce que soit formée une Assemblée constituante, base d’un régime démocratique aux contours indéfinis, que le PCI conçoit comme une phase de transition de courte durée avant le socialisme. Plus le temps a passé, plus le PCI a dû élargir les contours de son front, afin d’être en mesure de mobiliser tout de même au moins un peu contre le fascisme.

    Or, avec la guerre, le front devient encore plus large. La question n’est plus seulement celle de la classe ouvrière, mais du destin de l’Italie. On a un bon aperçu de la nouvelle position du PCI, avec les propos de Palmiro Togliatti, le 2 juillet 1941, su les ondes de Radio Milan, basé à Moscou :

    « Nous, Italiens, nous avons à gagner de la ruine d’Hitler. Et entendez-moi bien : tous, tous les Italiens de toutes conditions sociales.

    C’est ce que pensent du moins ces industriels qui voient leurs affaires ruinées par la brutale concurrence allemande.

    C’est ce que pensent les commerçants à qui on a fermé aujourd’hui les marchés européens dominés par les envahisseurs allemands.

    C’est ce que pensent les catholiques qui voient dans le fascisme allemand l’ennemi de leurs traditions et de leurs idéaux de fraternité.

    C’est ce que pensent toutes les mères italiennes à qui on arrache leurs fils et leurs maris pour les envoyer mourir sous le drapeau à croix gammée. C’est ce que pense le peuple pour qui la guerre signifie gêne, privations, faim.

    C’est ce que pensent les Italiens qui aspirent à être de nouveau un peuple libre. Il n’y a qu’un petit groupe d’hommes en Italie qui a peur de voir s’écrouler le fascisme allemand, c’est le groupe des aventuriers, des gens incapables et corrompus qui entoure Mussolini et dont Mussolini est le chef.

    Ce sont eux les responsables de la ruine actuelle de l’Italie et de la servitude du peuple italien. Ce sont eux les responsables des défaites subies en Afrique et en Grèce. Ce sont eux qui gouvernement mal l’Italie et l’oppriment pour le compte de l’étranger. Au plus vite le peuple italien se libérera de cette bande d’aventuriers, mieux cela vaudra pour le sort de notre pays. »

    Or, cette ligne est erronée, car elle nie que le fascisme italien a sa propre dynamique expansionniste, qu’elle est elle-même impérialiste. Tout est mis sur le dos de l’impérialisme allemand : tactiquement, cela aurait pu être un levier pour gagner ceux et celles ne voulant pas suivre l’impérialisme allemand, mais là c’est une stratégie qui va, de fait, être poursuivie jusqu’en 1945. 

    Le PCI a ainsi deux aspects : d’un côté, il est le fruit de toute la période précédente, assumant la lutte révolutionnaire, de l’autre il saisit mal la question du front et va se mettre à la remorque du courant considérant que l’Italie s’est faite embarquée malgré elle dans la guerre, à la suite de l’Allemagne nazie.

    Le PCI se retrouve ici avec la question de l’interprétation de l’Italie, de l’analyse de son histoire, qui n’a malheureusement pas été réalisée. Il n’y a pas de pensée-guide et l’arrestation d’Antonio Gramsci a sans nul doute bloqué tout un processus historique. Car, dans les faits, le PCI a bien compris que le régime allait s’effondrer et qu’il fallait être capable de construire un front prend à prendre le pouvoir à ce moment-là. En Italie, dès 1942 les choses sont d’ailleurs claires à ce sujet.

    Les bombardements anglais frappant les villes traumatisent une population qui considère que la guerre n’est pas la sienne ; 100 000 logements sont détruits. 

    Benito Mussolini lui-même, dans son « rapport historique » à la Nation, est obligé de reconnaître la perte de 40 000 soldats sur le front, de 2000 personnes dans les bombardements, de 232 000 soldats faits prisonniers alors que 37 000 sont portés disparus. De fait, le système de ravitaillement s’effondre à l’échelle nationale. La même année, le corps italien envoyé sur le corps de l’est est écrasé par la contre-offensive soviétique, le régime reconnaissant lui-même 84 300 morts ou disparus et 29 600 gelés.

    C’est l’arrière-plan qui fait que le PCI a commencé à lancer l’appel à s’armer, à saboter, à aller vers la guérilla. Sur les ondes de Radio Milan, PalmiroTogliatti explique ainsi en mars 1942 :

    « Depuis que la guerre contre l’URSS a commencé, un mot a acquis une popularité inouïe dans le monde entier : le mot Partisan.

    Qu’est-ce qu’un Partisan ? C’est un citoyen qui défend les armes à la main sa patrie contre l’envahisseur étranger.

    Mais il ne le fait pas comme soldat dans les rangs de l’armée régulière et sur un front, mais loin du front, derrière lui, sur l’arrière de l’armée ennemie d’invasion. C’est pourquoi son champ de bataille parmi les plus divers, les plus compliqués que l’on puisse imaginer.

    C’est la campagne où, embusqué, il surprend une unité ennemie en déplacement et la décime.

    C’est la voie ferrée où une explosion inattendue fait sauter le pont ou le viaduc au moment précis où passe un train militaire.

    C’est la rue d’un village où apparaît à l’improviste un groupe d’hommes armés qui harcèle à coups de grenades le siège d’un commando et disparaît de manière tout aussi inattendue.

    C’est la ville où les entrepôts militaires prennent feu, où les centrales électriques qui font fonctionner les usines sautent, où les dépôts de munitions explosent l’un après l’autre.

    Les armes des partisans sont toutes celles qui peuvent servir à endommager l’ennemi : des ciseaux pour couper des fils électriques, le couteau qui tue en silence, jusqu’à la bombe à main ou à la mitraillette. Le partisan a un objectif, une loi : porter des coups à l’ennemi de toutes les manières possibles, l’empêcher de se déplacer librement, ralentir et paralyser ses mouvements, l’anéantir. »

    Le processus de formation d’unités armées va cependant occuper toute une période. Ainsi, L’Unité du 28 février 1943 titre en pleine page :

    « Nous commémorons le XXVe anniversaire de l’Armée Rouge en commençant la lutte armée pour la paix et la liberté. »

    Toutefois, il n’y a alors pas encore d’unités partisanes à part un petit noyau d’une quinzaine de personnes formant, en mars, sous la direction de Mario « Max » Karis, le détachement Garibaldi, à Trieste, grâce à l’appui yougoslave, notamment les Slovènes formant également une minorité pourchassée par l’Italie mussolinienne. Le PCI ne parvient pas à s’extirper encore massivement de la répression, qui continue de frapper de plein fouet : entre avril 1943 et avril 1943, 2600 personnes ont été arrêtées, 300 passant par le Tribunal spécial.

    Cependant, si la nécessité du front a été construit et si le trotskysme a été réfuté, l’antifascisme comme tactique tend à être remplacée par une stratégie prônant une Constitution. Le discours précédant chaque transmission de Radio Milan représente cette ligne :

    « Italiens, Italiennes, écoutez !

    C’est Radio Milan Liberté qui parle. C’est le peuple italien libre qui parle ! Milan Liberté est la voix des Italiens qui luttent pour briser le joug du fascisme et libérer l’Italie de son esclavage et de la barbarie hitlérienne…

    Milan Liberté est la radio de tous les Italiens. Elle est celle des démocrates, des catholiques, des socialistes et des communistes, celle de tous les vrais Italiens. Elle parle aussi au nom de tous ces fascistes qui n’en peuvent plus de tous les mensonges et des fanfaronnades de Mussolini, qui comprennent que cet homme funeste les a trompés et les a conduits à la ruine.

    Pour la liberté, pour l’honneur du pays, pour nous libérer de l’esclavage allemand, pour briser le joug du fascisme, Italiens ! Réveillez-vous, unissez-vous, combattez ! »

    Le fait de dire que Benito Mussolini a trompé les masses est correct, mais il y a ici un court-circuitage de l’autocritique nécessaire, de la remise en cause des fondements de l’idéologie fasciste, ainsi qu’une juste compréhension du rôle de la bourgeoisie et du Vatican.

    De fait, tout un pan de la bourgeoisie et le Vatican décide de faire en sorte de passer dans le camp anglo-américain, en mettant de côté Benito Mussolini. L’objectif est une paix séparée et bien sûr la base du régime ne doit pas changer réellement.

    Le PCI a conscience de cela, mais considère le risque comme secondaire, Dans La vie du Parti, il explique en juin 1943 :

    « Conscients de la gravité de l’heure, anxieux du destin de la patrie, le PC renouvelle à tous les Italiens, à quelque courant politique ou religieux qu’ils appartiennent, son chaleureux appel à s’unir dans un vaste Front national d’action et à lutter avec de nouvelles énergies.

    1) Pour briser les pactes militaires qui ont asservi l’Italie à l’Allemagne

    2) Pour une paix séparée immédiate dans le respect de l’indépendance nationale

    3) Pour la destruction de l’odieux régime fasciste, pour la restauration de la liberté et de la démocratie.

    Le Parti communiste italien qui revendique l’honneur d’avoir brandi le drapeau de l’union de tout le peuple italien au début de la guerre, est comme toujours à son poste de combat, prêt à tous les accords avec les forces saines du pays et à toutes les actions susceptibles d’accélérer la fin de la guerre et la conquête de la liberté et de l’indépendance nationale, déclare solennellement être disposé à assumer, sur le plan de la collaboration politique avec tous les regroupements nationaux, les responsabilités qui en découlent. »

    Un tel positionnement demande une énorme capacité idéologique et culturelle, que n’a pas le PCI, contrairement à certains partis d’Europe de l’Est, qui de leur côté sauront aller vers la Démocratie populaire, le Parti Communiste de Tchécoslovaquie étant le modèle en ce qui concerne cette question.

    Qui plus est, l’Internationale Communiste se dissout, abandonnant la conception d’un Parti Communiste mondial centralisé, considérant que les sections doivent disposer d’autonomie complète.

    Pour le Parti Communiste d’Italie – qui devient alors le Parti Communiste italien – cela signifie se lancer seul dans une démarche qu’il n’est pas en mesure d’assumer.

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  • Fascisme italien : la guerre et l’expansionnisme

    L’Italie ayant émergé sur le tard comme puissance impérialiste, le « partage du monde » était déjà en grande partie réalisé et le pays eut un rôle colonial mineur comparé à l’Angleterre ou la France, se contentant des zones secondaires. La toute première colonie italienne fut établie en Érythrée par l’armateur Rubattino en 1882 ; dix ans tard, au terme d’une rude concurrence avec les britanniques, s’ajouta la Somalie voisine.

    Une option disponible pour les Italiens était également de se confronter aux forces coloniales déjà existantes pour leur arracher des territoires. Ce fut le cas de la guerre de 1911 contre l’Empire Ottoman, l’Italie de Giolitti arrachant la Tripolitaine, la Cyrénaïque ainsi que le Dodécanèse grec.

    Toutefois, l’entreprise coloniale italienne marqua un coup d’arrêt en 1896, avec l’invasion de l’Éthiopie qui tourna mal et se solda par la retentissante défaite d’Adoue face aux troupes de Menelik II.

    Cette bataille marqua un coup d’arrêt brutal aux tentatives d’expansions italiennes en Afrique et resta comme un symbole, exploité plus tard par Benito Mussolini pour mobiliser lors de la seconde vague colonialiste, dans les années 1930.

    A l’entrée de la Première Guerre mondiale, les diplomates italiens annoncent leurs revendications africaines en cas de soutien à l’Entente : la Tanzanie allemande, l’Érythrée française et la région du Jubaland au nord du Kenya (sous contrôle anglais).

    Ces compensations sont actées par le traité de Londres en 1915, mais seul le Jubaland sera finalement cédé par l’Angleterre en juin 1925. Cet événement viendra évidemment renforcer le sentiment de la « victoire mutilée » entretenu par le mouvement fasciste.

    C’est une fois le nouveau régime stabilisé en Italie que les fascistes peuvent à nouveau se tourner vers l’Afrique et faire renaître de ses cendres le projet colonial.

    Jusqu’en 1929, le colonialisme italien sera officiellement qualifié d’ « expansionnisme », ce concept étant plus compatible avec le statut de « nation prolétaire » véhiculé par le régime, face aux autres puissances, elles, impérialistes.

    Le projet colonial offrait aussi au fascisme une solution à la forte émigration que connaissait le pays depuis le début du siècle. En 1935, l’Érythrée était par exemple peuplée de 3.000 italiens, et ce chiffre atteignit les 75.000 seulement quatre ans plus tard.

    La capitale Asmara (dite la petite Rome) et les autres capitales coloniales comme Mogadiscio ou Tripoli ont été tout spécialement marquées par cette forte immigration.  

    La Libye fournit un exemple assez documenté de la colonisation agraire, pratiquée par l’Italie avant et pendant le fascisme.

    Dès le début des années 1920, le gouvernement recense puis saisit les terres cultivables autour de Tripoli et les distribue à des grandes compagnies agricoles italiennes, par lots d’au moins 100 hectares, créant ainsi de nouveaux latifondi tout le long de la côte. En 1934, une fois les rebellions tribales écrasées, le programme colonial reprit, avec cette fois l’État aux commandes.

    L’apogée des annexions fascistes italiennes

    Benito Mussolini confie à Italo Balbo le poste de gouverneur de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine, aussitôt unifiées. Une campagne de colonisation « démographique » massive est lancée avec comme objectif l’installation de 500 000 colons dans ce qui était désormais appelé la « Quatrième Côte d’Italie ».

    L’État prend en charge la distribution de petits lots de terre aux migrants (pour beaucoup des ouvriers agricoles et des journaliers originaires du Mezzogiorno ou de Vénétie).

    Quelques années plus tard, chaque famille s’installant recevra jusqu’à 25 hectares de terre, une maison, un groupe électrogène et un puits. L’État italien s’employa dans le même temps à détruire la structure économique tribale partout dans le pays, en saisissant les parcelles cultivables restantes et en déplaçant les populations vers des réserves.

    En 1937, une citoyenneté « spéciale » fut créée pour certains libyens et des villages fondés par dizaines, certains pour les colons, d’autres, séparés, pour les locaux. Les Italiens habitant la Libye se concentraient pourtant en majorité dans les grandes villes (plus de 30% pour Tripoli ou Benghazi). En 1939, on atteignit les 110 000 colons, mais le nombre décrut dès le début de la guerre et la rapide débâcle.

    Le 2 octobre 1935, après des années de mobilisation des masses autour de la revanche d’Adoue, l’Italie se lança dans une nouvelle invasion de l’Éthiopie.

    La mission civilisatrice était alors aussi mise en avant, sur fond du mythe de l’Empire Romain éternel, ainsi que le thème de l’injustice, d’une nation flouée, cherchant seulement à obtenir sa « place au soleil ».

    Le cinéma Impero à Asmara en Érythrée

    Juste après le déclenchement de l’invasion, la Société Des Nations (sorte d’ancêtre des Nations Unies dont faisait partie certaines des principales grandes puissances européennes) imposa des sanctions économiques au commerce italien. 

    Benito Mussolini fit à cette occasion un discours typique, annonçant en même temps la politique d’autarcie qui prenait effet à ce moment :

    Chemises noires de la Révolution ! Hommes et femmes de toute l’Italie ! Italiens dispersés dans le monde, au delà des monts et au delà des mers : écoutez !

    Un heure solennelle va sonner pour l’histoire de notre Patrie.

    Vingt millions d’hommes occupent en ce moment même les places de toute l’Italie. Jamais on a vu, dans l’histoire du genre humain, spectacle plus gigantesque. Vingt millions d’hommes : un seul cœur, une seule volonté, une seule décision. Leur manifestation doit démontrer, et démontre au monde, que l’Italie et le Fascisme constituent une entité parfaite, absolue, inaltérable.

    Ne peuvent croire le contraire que des cerveaux perdus dans les brumes de l’illusion, ou encrassés d’ignorance sur les gens et les choses de l’Italie, de cette Italie de 1935, an XIII de l’ère fasciste.

    Depuis de nombreux mois, la roue du destin, sous l’impulsion de notre calme détermination, avance vers l’objectif : son rythme se fait plus véloce en ces heures et elle est désormais inarrêtable ! Ce n’est pas seulement une armée qui tend vers ses objectifs, mais un peuple entier de 44 millions d’âmes, contre lequel on tente de fomenter la plus noire des injustices : celle de nous ôter notre place au soleil.

    Quand, en 1915, l’Italie se jeta dans la gueule du loup et confondit ses intérêts avec ceux des Alliés, que d’exaltation de notre courage, et que de promesses furent faites ! Mais après la victoire commune, à laquelle l’Italie avait donné la contribution suprême de 670 000 morts, 400 000 mutilés et un million de morts, autour de la table ne revinrent à l’Italie que des miettes du riche butin colonial.

    Nous avons patienté treize ans, durant lesquels s’est resserrée la corde des égoïsmes qui étouffe notre vitalité. Pour l’Ethiopie nous avons patienté quarante ans ! Maintenant ca suffit !

    Et la Ligue des Nations, au lieu de reconnaître nos droits, évoque des sanctions.

    Jusqu’à preuve du contraire, je refuse de croire que l’authentique et généreux peuple de France puisse adhérer à des sanctions contre l’Italie. Les six mille morts de Bligny, tombés lors d’un assaut héroïque qui arracha une reconnaissance et une admiration même du commandement ennemi.

    Je me refuse, de même, à croire que l’authentique peuple de Grande Bretagne, qui n’a jamais connu de litige avec l’Italie, soit disposé au risque de jeter l’Europe sur la route de la catastrophe, pour défendre un pays africain universellement connu pour son manque total de civilité.

    Aux sanctions économiques nous opposerons notre discipline, notre sobriété, notre esprit de sacrifice. Aux sanctions militaires nous répondrons avec des mesures militaires, aux actes de guerres nous répondrons avec des actes de guerre. Que personne ne pense nous faire plier sans avoir à durement combattre. Un peuple jaloux de son honneur ne peut user d’un langage ou d’une attitude différente !

    Mais, pour que ce soit répété de manière encore plus catégorique, et j’en prend l’engagement le plus sacré devant vous tous, nous ferons tout notre possible pour que ce conflit à caractère colonial ne prenne pas la forme et la portée d’un conflit européen. Cela peut être le vœu de ceux qui fomentent une nouvelle guerre, mais ce n’est pas le nôtre.

    Jamais le peuple italien n’avait autant révélé ses qualités morales et la puissance de son caractère qu’en cette époque historique. E c’est contre ce peuple, auquel l’humanité doit certaines de ses plus grandes conquêtes, c’est contre ce peuple de poètes, d’artistes, de héros, de saints, de navigateurs, d’explorateurs, c’est contre ce peuple qu’on ose parler de sanctions.

    Italie prolétaire et fasciste, Italie de Vittorio Veneto et de la Révolution, debout! Fais que le cri de ta décision emplisse les cieux, et conforte les soldats qui attendent en Afrique, qu’il serve de boussole à nos amis et d’avertissement à nos ennemis au quatre coins du monde, cri de justice, cri de victoire !

    Après sept mois de guerre, l’armée italienne prit Addis-Abeba et le Duce annonça aussitôt la « Pax Romana », référence directe à l’Empire romain, avec Victor Emmanuel III prenant le titre d’Empereur d’Ethiopie. La thématique de l’Empire Romain enfin réveillée, le « destin civilisateur » de l’Italie fut de plus en plus présent dans les discours officiels : c’en était fini de la « nation prolétaire », l’heure est désormais à l’affirmation de l’Empire.

    Un plan de jonction entre la Libye et la Somalie verra le jour sans jamais pouvoir être appliqué. En août 1940, l’Empire d’Italie attaquera les positions britanniques en Égypte et en Somalie, mais l’offensive sera rapidement contenue et en 1941, toute l’Afrique Orientale Italienne est occupée par ses ennemis.

    Du côté de la Méditerranée, le projet était de rétablir à terme un contrôle sur le « Mare Nostrum », même si rien ne sera mis en œuvre jusqu’au déclenchement de la seconde guerre mondiale. En juillet 1940, l’ambassadeur italien en Allemagne présenta à Adolf Hitler les demandes suivantes :

    – en Méditerranée : annexion de la Corse, Nice, Malte, Corfou et la Ciamuria, d’un protectorat sur la Tunisie, du contrôle des ressources pétrolières au Liban, Palestine, Syrie et Transjordanie ;

    – en Afrique et dans la péninsule arabique: annexion de la Somalie britannique, de l’Afrique équatoriale française jusqu’au Tchad, du Kenya, de l’Ouganda ainsi que du Yémen.

    Notons bien qu’aucune décision officielle ne fut prise et ces demandes restèrent donc formelles.

    En avril 1939, l’Italie annexa facilement l’Albanie (son ancien protectorat jusqu’en 1920), puis lança presque dans la foulée une offensive sur la Grèce, qui s’avéra désastreuse.

    Comme en Yougoslavie, l’Armée italienne se montra incapable d’envahir ces États toute seule et dut s’appuyer sur l’Allemagne, qui prit alors les choses en main.

    L’Italie obtiendra tout de même une partie de la Dalmatie, un protectorat sur le Monténégro et certaines îles sur la mer Adriatique. Son Armée hérita aussi de l’occupation de la majeure partie de la Grèce métropolitaine (sans Athènes).

    En 1943, avec l’arrestation de Benito Mussolini et le réalignement du gouvernement fasciste, l’Albanie, le Dodécanèse, la Dalmatie, Nice, la Savoie et toutes les autres zones sous contrôle italien en Europe furentt transférées à l’Allemagne, jusqu’à la défaite finale de l’Axe. Au final, le pic de l’expansionnisme italien n’aura duré que quelques mois au début de la guerre, et la plupart des revendications de cet Empire idéalisé restées sur le papier.

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  • Lettres aux frères en chemise noire

    Le document suivant reflète la tentative du PCI de mener un travail de masse dans l’Italie fasciste, cherchant à scinder, à démanteler les mobilisations réactionnaires, à lézarder la muraille fasciste. Le document est de 1936, alors que l’Italie fasciste s’est déjà lancée dans des conquêtes militaires en Afrique.

    Aux ouvriers et aux paysans,

    Aux soldats, aux marins, aux aviateurs, aux miliciens,

    aux ex-combattants et aux volontaires de la guerre abyssine,

    aux artisans, aux petits industriels et aux petits commerçants,

    aux employés et aux techniciens,

    aux intellectuels,

    aux jeunes,

    aux femmes,

    à tout le peuple italien!

    Italiens!

    L’annonce de la fin de la guerre d’Afrique a été saluée par vous avec joie, car dans vos coeurs s’est allumée l’espérance de voir finalement s’améliorer vos pénibles conditions de vie.

    On nous a répeté que les sacrifices de la guerre étaient nécessaires pour assurer le bien-être au peuple italien, pour garantir le pain et le travail à tous nos ouvriers, pour réaliser – comme disait Mussolini – « la plus haute des justices sociales, qui, depuis la nuit des temps, est le plus grand désir des masses en lutte âpre et quotidienne avec les necessités de la vie les plus élémentaires », pour donner des terres à nos paysans, pour créer les conditions de la paix.

    De nombreux mois sont passés depuis la fin de la guerre en Afrique et aucune des promesses qui nous ont été faites n’a été tenue. Au contraire, les conditions des masses ont empiré avec la fin de la guerre africaine, pendant que, pour notre pays, croit de jour en jour la menace d’être entrainés dans une guerre encore plus grande, dans une guerre mondiale.

    Pourquoi les promesses qui ont été faites au peuple n’ont elles jamais été tenues? Pourquoi notre peuple n’arrive t’il pas à se remettre debout et se retrouve jeté dans des guerres à répétition qui devraient le sauver de la misère, mais qui pourtant augmentent toujours plus sa misère?

    Italiens!

    La cause de nos maux et de nos misères repose dans le fait que l’Italie est dominée par une poignée de grands capitalistes, parasites du travail de la Nation, lesquels ne reculent pas devant l’affamement du peuple, pour s’assurer des gains toujours supérieurs, et poussent le pays à la guerre, pour élargir le champ de leurs spéculations et augmenter leurs profits.

    Cette poignée de grands capitalistes parasites ont fait des affaires en or avec la guerre abyssine, mais maintenant ils chassent les ouvriers des usines, ils veulent faire payer au peuple italien les frais de la guerre et de la colonisation, et il menacent de nous entrainer dans une guerre plus grande encore.

    Seulement l’union fraternelle du peuple italien, realisée à travers la réconciliation entre fascistes et non fascistes, pourra abattre la puissance des requins de notre pays et pourra arracher les promesses qui pendant plusieurs années ont été faites aux masses populaires et qui n’ont jamais été tenues.

    L’Italie peut nourrir tous ses enfants.

    Italiens!

    Notre pays peut nourrir tous ses enfants et il ne doit pas craindre, comme un malheur, l’augmentation de la population.

    Regardez, enfants d’Italie, nos frères, regardez les joyaux de l’industrie turinoise, les milliers de cheminées de Milan et de Lombardie, les chantiers de Ligure et de Campanie, la multitudes d’usines réparties dans la Péninsule, desquelles sortent des voitures parfaites et des produits magnifiques qui n’ont rien à envier à ceux produits dans les autres pays.

    Toute cette richesse c’est vous que l’avez créé, ouvriers italiens: elle a été créée par votre travail intelligent et tenace, couplé au génie de nos ingénieurs et de nos techniciens. Regardez, enfants d’Italie, nos campagnes où s’est accumulé le travail séculaire de générations de paysans.

    Oui, notre pays est celui du soleil, du ciel bleu et des fleurs, mais notre Italie est belle surtout parce que nos paysans l’ont embellie de leur travail.

    C’est vous qui avez créé ces oeuvres, avec votre travail, ouvriers italiens, vous qui avez fait donner à notre peuple le nom de « peuple des constructeurs ». Nous avons raison de nous en enorgueillir.

    Cette Italie si belle, ces richesses sont le fruit du travail de nos ouvriers, de nos journaliers, de nos ingénieurs, de nos techniciens, de nos artistes, du génie de nos gens.

    Mais cette richesse n’appartient pas à qui l’a créée. Elle est entre les mains de quelques centaines de familles, de grands financiers et de grands capitalistes, de grands propriétaires terriens, qui sont les patrons effectifs de toute la richesse du pays, qui dominent l’économie du pays.

    Cette poignée de dominateurs du pays sont les responsables de la misère du peuple, des crises, du chômage. Ils ne se préoccupent pas des besoins du peuple, mais de leurs profits.

    A ces gens, peu importe que des millions d’ouvriers et des journaliers soient sans travail, que des milliers et des milliers de jeunes vivent dans l’oisiveté forcée, que la jeunesse sortie des écoles ne trouvent pas d’occupation, alors qu’en utilisant plutôt toute cette grande force, aujourd’hui gaspillée, on pourrait multiplier les richesses du pays.

    Les requins capitalistes affament le peuple, ils jettent sur la paille les ouvriers, ils augmentent l’exploitation des ouvriers qui travaillent et ils abaissent leur salaires, provoquent la ruine des paysans, des petits industriels, des petits commerçants, et des artisans; et quand le peuple est tombé dans la misère ils lui disent qu’il faut faire la guerre, qu’il faut aller se faire tuer pour remplir leur chambres fortes.

    Les requins ne veulent pas payer les conséquences de la crise qu’ils ont provoqué, ils se font donc payer par toute la Nation les milliards nécessaires à colmater le passif de leurs entreprises! Les requins imposent au peuple une dépense annuelle de six milliards de Lires pour la préparation de la guerre!

    Et pour entraver le peuple affamé, pour pouvoir leur imposer les plus durs sacrifices, les requins ont besoin d’un fort appareil de police qui coûte au pays plus d’un milliard par an.

    Quarante-trois millions d’italiens travaillent et peinent pour enrichir une poignée de parasites. Ce sont ces grands magnats du capital qui empêchent l’union de notre peuple, poussant les fascistes et les anti-fascistes les uns contre les autres, pour nous exploiter tous avec encore plus de liberté.

    Ce sont ces parasites du travail national et du génie italien qu’ils ont enlevé la liberté au peuple, qui ont bâillonné les travailleurs, les techniciens, les intellectuels, fascistes et non-fascistes, pour les exploiter mieux et les asservir. Ce sont ces grands pillards de la richesse du pays qui ont corrompu notre vie publique et enrichissent certains hauts fonctionnaires et hiérarques d’Etat et du Parti fasciste, – qui hier étaient pauvres et aujourd’hui ont des villas, des automobiles et des capitaux placés – , pour s’en faire des instruments serviables, ce sont ces brigands qui nous poussent à la guerre, parce que la guerre augmente énormément leurs profits et elle leur offre la possibilité de nouvelles arnaques et de grandes accumulations de richesse.

    Peuple Italien!

    Unis-toi pour libérer l’Italie de cette canaille qui dispose de l’existence de quarante-quatre millions d’italiens, qui affame notre pays et le mène à sa ruine, à la guerre permanente, unis-toi pour faire payer aux requins le prix de la guerre et de la colonisation!

    Peuple Italien!

    Nous, communistes italiens, combattons pour renverser la domination capitaliste sur notre pays, pour arracher des mains des capitalistes qui les monopolisent les richesses de notre pays et les rendre au peuple qui les a produites; nois combattons pour fonder en Italie un Etat dans lequel chaque citoyen aurait le droit au travail et à recevoir une rémunération selon la quantité et la qualité du travail qu’il fournit, dans lequel chaque citoyen aurait droit à un congé payé ainsi qu’à toute la sécurité sociale et à la retraite, aux frais de l’Etat; un Etat dans lequel chaque citoyen aurait droit à l’instruction gratuite, de l’école élémentaire au supérieur; un Etat des travailleurs libres dans lequel tous les citoyens auraient la plus totale liberté politique, de pensée, d’organisation et de presse, un Etat qui soit entre les mains des travailleurs, gouverné par les travailleurs.

    Dans un tel Etat, le chômage serait éradiqué pour toujours, les crises abolies, les richesses du pays seraient mises à profit par tout le peuple.

    Nos jeunes, nos ingénieurs, nos techniciens auraient un immense champ pour développer leurs capacités, et tous travailleraient un nombre réduit d’heures par jour, leur permettant d’améliorer leurs conditions matérielles et culturelles.

    Les paysans ne peineront plus sur une terre qui ne leur appartienne pas. La culture qui aujourd’hui est restreinte et comprimée connaîtrait un développement jamais atteint dans notre pays.

    Nous voulons fonder une Italie forte, libre et heureuse, comme est forte, libre et heureuse l’Union Soviéique, où aujourd’hui 170 millions de travailleurs discutent d’une nouvelle Constitution, la Charte de la Liberté, le Statut d’une société de travailleurs libres.

    La victoire du programme des communistes, en Italie, sera la liberté assurée par la discipline consciente du peuple maitre de son propre destin, sera le pain, le bien-être et la culture garantie à toute la population laborieuse, sera la politique de la paix et de la fraternité entre les peuples, garantie par le peuple lui même au pouvoir.

    Nous, communistes, défendons les intérêts de toutes les couches populaires, les intérêts de la Nation toute entière.

    Parce que la Nation c’est le peuple, c’est le travail, c’est l’ingénierie italienne; parce que la Nation italienne c’est la somme de toutes les souffrances et des luttes séculières de notre peuple pour le bien-être, pour la paix, pour la liberté; parce que le Parti Communiste, luttant pour la liberté du peuple son élévation matérielle et culturelle, contre la poignée de parasites qui l’affament et l’oppriment, est le continuateur et l’héritier des traditions révolutionnaires du Risorgimento national, l’héritier et le continuateur de l’oeuvre de Garibaldi, de Mameli, de Pisacane, des Cairoli, des Bandiera, des milliers de martyrs et de héros qui combattirent, non seulement pour l’indépendance nationale de l’Italie, mais pour conquérir au peuple le bien-être matériel et la liberté politique.

    Dans la lutte pour ce grand idéal de justice et de liberté, des dizaines de communistes sont tombés, et des milliers ont été condamnés ces dernières années à des peines monstrueuses. Des centaines de ces héros combattants pour la cause du peuple languissent dans les prisons et dans des iles éloignées. Des dizaines d’entre eux sont emprisonnés depuis déjà dix ans.

    Des hommes comme Antonio Gramsci, Umberto Terracini, Mauro Scoccimarro, Gerolamo Li Causi, Giovanni Parodi, Battista Santhià, Adele Bei, et des centaines d’autres, la fine fleur de la classe ouvrière et du peuple italien, les défenseurs héroïques de la culture italienne et des intérêts du pays, qu’ils aiment d’un amour sans égal et auquel ils ont dédié leur vie, n’ont reculé devant aucun risque pour proclamer la nécessité de réconciliation du peuple italien pour faire de l’Italie un pays fort, libre et heureux.

    Mais ce programme ne pourra être réalisé sans la volonté du peuple. Aujourd’hui le peuple ne voit pas encore comme possible la lutte pour un tel programme.

    Aujourd’hui le peuple veut résoudre les problèmes plus urgents et actuels qui l’angoissent, il veut résoudre les problèmes plus urgents du pain, du travail, de la paix et de la liberté pour tous, et nous sommes comme le peuple, nous appelons à son union et à la réconciliation pour la conquête de ces revendications indiluables.

    Le programme fasciste du 1919 n’a pas été réalisé!

    Peuple italien!

    Fascistes de la vieille garde!

    Jeunes fascistes!

    Nous, communistes, faisons notre le programme fasciste de 1919, qui est un programme de paix, de liberté, de défense des intérêts des travailleurs, et vous disons:

    Luttons unis pour la réalisation de ce programme. Rien de ce qui a été promis en 1919 n’a été tenu.

    Les syndicats, auparavant soumis à la libre direction des ouvriers, sont réduits à la fonction d’empêcher les ouvriers de faire pression sur le patronat pour défendre les droits des travailleurs.

    L’assemblée parlementaire est commandée par les requins et leurs fonctionnaires, et aucune voix indépendante ne s’y fait entendre pour la défense des intérêts sacrés du peuple.

    Vous rendez hommage à la mémoire de Filippo Corridoni. Mais l’idéal pour lequel Corridono combattit toute sa vie fut celui de conquérir pour la classes ouvrière le droit d’être maîtresse de son propre destin, le syndicalisme de Corridoni exprime la lutte des exploités contre les exploiteurs, et il rêvait de la victoire des exploités, de leur libération de l’oppression capitaliste.

    Fascistes de la vieille garde!

    Jeunes fascistes!

    Nous proclamons que nous sommes prêts à combattre à vos cotés et à ceux de tout le peuple italien pour la réalisation du programme fasciste de 1919, et pour chaque revendication qui exprime un intérêt immédiat, particulier ou général, des travailleurs et du peuple italien.

    Nous sommes disposés à lutter avec quiconque veut vraiment se battre contre la poignée de parasites qui opprime la Nation et contre les hiérarques qui les servent.

    Pour que notre lutte soit couronnée de succès nous devons vouloir la réconciliation du peuple italien, réétablissant l’unité de la Nation, pour la sauvegarde de notre Nation, dépassant la division criminelle créée au sein de notre peuple par qui a intérêt à y briser la fraternité.

    Nous devons unir la classe ouvrière et créer autour de celle ci l’unité du peuple, marchant ainsi unis, comme des frères, pour le pain, pour le travail, pour la tere, pour la paix et pour la liberté.

    Travailleur fasciste, nous te tendons la main car, avec toi, nous voulons construire l’Italie du travail. L’heure est venue de prendre la matraque contre les capitalistes.

    Nous ne voulons plus abattre le fascisme. Nous devons réétablir la confiance réciproque entre les italiens, liquider les rancoeurs passées, cesser la pratique honteuse de l’espionnage qui augmente la méfiance: aucun de nous n’entend conspirer contre son propre pays, nous voulons tous défendre les intérêts de ce pays que nous aimons.

    Amnistie complète pour tous les fils du peuple qui furent condamnés pour délit d’opinion. Abolition des lois contre la liberté et du Tribunal Special, qui frappent les défenseurs du peuple, qui défendent les intérêts des ennemis du peuple et de l’Italie.

    Donnons nous la main, fils de la Nation italienne! Donnons nous la main, fascistes et communistes, catholiques et socialistes, hommes de toutes les opinions.

    Donnons nous la main et marchons cote à cote pour arracher le droit d’être citoyens d’un pays civile qui est le notre. Nous souffrons des mêmes peines.

    Nous avons la même ambition: celle de faire une Italie forte, libre et heureuse. Que chaque syndicat, chaque association devienne le centre de notre unité retrouvée et opérante, de notre volonté de briser la puissance du petit groupe de parasites capitalistes qui nous affament et nous oppriment.

    Signé: Palmiro Togliatti, Ruggero Greco, Egidio Gennai, Giuseppe Vittorio, Anselmo Marabini, Giovanni Germanetto, Guido Picelli, Giuseppe Dozza, Mario Montagnana, Luigi Longo, Giuseppe Berti, Edoardo D’Onofrio, Teresa Noce, Emilio Sereni, Ambrogio Donini, Agostino Novella, Luigi Amadesi, Rita Montagnana, Ilio Barontini, Aldo Lampredi, Celeste Negarville, Vittorio Vidali (les signatures de ces dirigeants étaient accompagnées de 32 autres signatures de moindre importance)

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  • Italie fasciste et l’antifascisme : face à la démagogie fasciste

    La mort d’Antonio Gramsci, le 27 avril 1937, apparaît comme le moment qui clôt toute une période. Antonio Gramsci, qui était bossu, avait une santé très faible en général et la détention a fait des dernières années de sa vie un enfer, alors qu’il souffrait de dépression cardiaque, de tuberculose pulmonaire, d’arthrite, d’hypertension, d’une hernie ombilicale, d’une pyorrhée alvéolaire qui lui a fait perdre plusieurs dents.

    Les conditions infectes de son emprisonnement étaient supervisées directement par Benito Mussolini ; il s’agissait d’empêcher que le PCI puisse profiter, de quelque manière que ce soit, de son dirigeant emprisonné.

    A cela s’ajoute le trotskysme, qui à l’international est à l’offensive et qui sous sa forme bordiguiste contamine de larges secteurs du PCI ; à Paris le 9 août 1935 au métro Belleville, il y a même un militant trotskyste, Guido Beiso, qui assassine le communiste Camillo Montanari.

    Les années 1930 marquent donc un tournant pour le Parti Communiste d’Italie. Cependant, il prend bien le virage ; il maintient le cap. Son abnégation est complète, son travail de fond bien développé, porté par 2400 personnes.

    Sa lutte fait qu’il y a encore un peu moins de 1500 personnes mises en « relégation » dans le pays par le régime afin de les mettre à l’écart – 10 000 au total passeront par là, alors que des milliers de personnes sont encore pourchassées et arrêtées au fil des ans, au rythme d’environ 1000 par an.

    Toutefois le régime conserve une certaine stabilité. La contestation verbale et activiste s’effiloche tout au long des années 1930. Il n’y a pas de répression sanglante, simplement un démantèlement méthodique et une prise à la gorge administrative, qui lentement mais sûrement anéantit toute opposition.

    Au total, sous le fascisme, 160 000 personnes auront ainsi été « réprimandés », avec les menaces qu’on devine. Sur le plan des dénonciations faites au Tribunal Spécial, 21 000 auront été faites, avec 5155 condamnations, surtout des communistes.

    L’expansionnisme organisé par Benito Mussolini, l’alliance avec Adolf Hitler, le nationalisme généralisé, l’intervention italienne contre la République espagnole, les tensions militaires en Europe… Tout cela fait que le régime a les moyens de pratiquer la fuite en avant.

    Le régime s’exhibe même dans une mostra della rivoluzione fascista, visitée par quatre millions de personnes au palais des expositions à Rome, d’octobre 1932 à octobre 1934, avec des rééditions en 1937, en 1939, ainsi qu’en 1942.

    Il s’agissait à la base de célébrer la marche sur Rome, inaugurant la première année du nouveau calendrier fasciste.

    L’exposition de 1932 présente donc 19 salles, une par année depuis la « marche » inaugurant la nouvelle direction qu’a prise le pays.

    Le régime est absolument sûr de lui ; Benito Mussolini a même pu affirmer, juste avant le plébiscite de 1934 où le régime est soutenu à 97 %, que « l’antifascisme est terminé ».

    La présentation qu’on fait de lui est toujours plus mystique. Ugo D’Andrea, dans Mussolini, moteur du siècle, raconte ainsi en 1937 :

    « Le visage de Mussolini est façonné par son esprit. Examinez-le sur les photographies du temps de sa première jeunesse et sur celles d’aujourd’hui : vous voyez l’étudiant pauvre, l’exilé, l’agitateur, le soldat, le chef du parti, le constructeur. Son visage est modelé par son esprit. Celui-ci remplit la forme, l’anime, lui donne son aspect et son expression. J’eus la première sensation de sa magique vertu de transfiguration au mois de mai 1936, au Sénat quand on acclamait la loi de l’Empire. L’homme avait la rigidité et l’éternité de la pierre, et la véritable puissance du bronze. Et le regard, le regard qui révélait l’esprit ferme, immuable, irrévocable. Il était César vivant… »

    C’est là l’aboutissement d’un processus où l’État fasciste est considéré comme quelque chose exprimant de manière la meilleure la nécessité historique propre au peuple italien. Giovanni Gentile, le principal philosophe de l’État fasciste, expliquait de son côté, déjà en 1928, dans l’article L’essence du fascisme :

    « Le peuple italien s’est engagé sur cette route avec une passion qui s’est emparée de l’esprit de la foule et dont il n’y a pas d’exemple dans l’Histoire. Il marche, strict, vers une discipline qu’il n’avait jamais connue, sans hésiter, sans discuter, les yeux tournés vers l’homme héroïque aux dons extraordinaires et admirables des grands constructeurs de peuples, qui va de l’avant avec assurance, entouré de l’aura d’un mythe, quasiment un homme marqué par Dieu, infatigable et infaillible, instrument utilisé par la Providence pour créer une nouvelle civilisation. »

    Asvero Gravelli, dans Un et plusieurs : interprétation spirituelle de Mussolini, en 1938, résume cette tendance par les formules :

    « Mussolini est le plus grand souverain de toutes les créatures souveraines de deux époques :le Moyen-Âge et les temps modernes. »

    « Dieu et l’Histoire sont deux termes qui, aujourd’hui s’identifient à Mussolini. »

    Dans ce contexte terrible, le PCI est seul à lutter encore réellement en Italie. A ce titre, comme il ne peut plus rien faire légalement et que les structures clandestines sont affaiblies par la répression, il doit tenter de trouver une voie.

    Il s’engage alors à tenter de gagner « cette couche importante du fascisme qui n’est pas enrégimentée de force, qui constitue la véritable ossature politique du régime fasciste, son lien avec les masses ». Cela amène le PCI à tenter de monter les slogans sociaux démagogiques du fascisme contre le fascisme lui-même, au grand dam du PSI par exemple qui, vivant uniquement hors d’Italie, rejette cette démarche.

    Il s’agit de montrer que les promesses n’ont pas été tenues, que derrière le discours fasciste, tout est creux.

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  • Gentile, la liberté et l’Etat

    Qu’est-ce que la société italienne fasciste ? Est-elle un « totalitarisme » ? En fait, la société italienne reste une société où les valeurs libérales prédominent au plan individuel ; le fascisme se veut même le meilleur porteur du libéralisme.

    Cependant, selon l’idéologie fasciste, seul l’État est le garant des droits individuels. C’est ici qu’on retrouve la philosophie de Giovanni Gentile, le maître d’oeuvre idéologique du régime. Selon Giovanni Gentile, la philosophie de la praxis est conforme à la réalité : ce n’est qu’en s’actualisant dans la pratique que la conscience est réalité.

    Giovanni Gentile

    L’actualisme de Giovanni Gentile consiste donc à faire de la pratique un fétiche constitutueur de l’intégralité de la conscience ; on n’existe qu’en agissant, dans l’action elle-même. L’esprit se donne naissance à lui-même par la pratique immédiate et sans intermédiaire, la praxis.

    L’esprit s’actualise dans la praxis, fusionnant avec elle ; au sens strict, pour Giovanni Gentile il s’agit d’une seule et même chose. On ne peut se connaître qu’en agissant : on a très exactement la même démarche que celle de Luigi Pirandello, de Filippo Tommaso Marinetti ou bien du fascisme.

    Voici ce que dit Giovanni Gentile, dans son verbiage typique, à la limite de l’incompréhensible et dans une logique incessante de répétitions :

    « De sorte que immanent à l’autoconscience, mais distinct d’elle comme son principe dynamique et créateur, il y a un noyau originaire, qui peut seul expliquer la dialectique spirituelle comme unité de réalité et d’idée, ainsi que cet élan intérieur vers l’être, où nous sentons tout palpiter, au plus profond de nous-mêmes, notre propre vie. »

    Par conséquent, les droits individuels ne sont rien sans l’État, car l’État permet le droit et pose par là le cadre de ce qui est possible. L’existence se réalisant par la pratique, dans la volonté de quelque chose qui est possible, alors l’État total pose la possibilité de la liberté la plus absolue.

    Les individus forment un peuple qui lui-même a une volonté, ouvrant des espaces toujours plus grands :

    « La politique n’est pas du droit mais de la morale : elle n’est ni vouloir abstrait ni voulu abstrait. Elle est vouloir en acte. C’est le vouloir d’un peuple, en tant que ce peuple a un vouloir.

    Ce qui veut dire : dans la mesure où il a une conscience unifiée, mais aussi une conscience qui soit autoconscience, personnalité et donc volonté.

    La volonté d’un peuple, qui se sent une nation (et se veut comme tel), est l’État. »

    Au sein du fascisme italien, l’État engloutit par conséquent littéralement la population au sein du PNF, qui n’est pas tant le parti unique que le seul parti, rassemblant les masses dans leur fusion avec l’État, État lui-même dirigé par un Grand Conseil.

    A partir de décembre 1932, l’adhésion au PNF est obligatoire l’admission aux concours de la fonction publique, de même à partir de juin 1933 pour travailler dans les organismes régionaux et liés à l’État, et à partir de 1938 pour pouvoir être salarié des administrations.

    Le nombre de membres des faisceaux était de 299 876 en 1922 à 682 979 en 1923, 939 997 en 1926, 1 034 999 en 1927. Le chiffre passa ensuite à 2 633 514 en 1939, sur 43,7 millions de personnes.

    En 1942, 60 % de la population, soit 27 millions de personnes, avait adhéré au PNF ou à des organisations lui étant liées, comme la Gioventu Italiana del Littorio, rassemblant la jeunesse, qui avait par exemple, en 1941, 8 millions de membres.

    L’idéal fasciste, c’est une république à la romaine, avec des citoyens appartenant à des couches sociales bien déterminées et collaborant entre elles. Le PNF n’est alors qu’un organisme s’occupant de la politique, une administration, et non pas un parti au sens partisan du terme.

    En septembre 1929, Benito Mussolini explique cela de la manière suivante :

    « Le parti n’est qu’une force civile et volontaire aux ordres de l’État, tout comme la Milice volontaire à la sûreté nationale est une force armée aux ordres de l’État.

    Si dans le fascisme tout est dans l’État, le parti lui-même ne peut échapper à cette inexorable nécessité, et doit donc collaborer et être subordonné aux organes de l’État. »

    A partir de 1925, le PNF ne tient plus de congrès, le dernier remontant à 1921, soit avant la « marche sur Rome ». La hiérarchie devient rigide, la base n’a plus aucun droit, à part celui de « croire, combattre, obéir », d’avoir une obéissance « aveugle, absolue, respectueuse ».

    Quant à la direction, elle ne changera plus : sur les 700 secrétaires fédéraux des années 1920, 1930 et 1940, 80 % étaient déjà inscrits avant 1922.

    C’est une oligarchie nationaliste qui décide de la politique, mais cette politique est présentée comme la seule possible. La soumission est ici présentée non pas comme une servitude, comme une répression de l’individu, mais comme son apothéose : en vénérant l’État, ce sont ses propres droits individuels – qui n’existent que par l’État – que l’individu sacralise.

    Plus l’État est fort et systématique, plus les droits sont systématiques ; ce qui compte ce n’est pas ce qu’on fait, mais qu’on soit en mesure de faire quelque chose : là est la clef du fascisme. C’est la raison pour laquelle Mussolini affirmait que :

    « La vie tel que la conçoit le fasciste est grave, austère, religieuse. Le fasciste méprise la vie commode. Il croit encore et toujours à la sainteté et à l’héroïsme ».

    C’est pour cette raison que Giovanni Gentile affirma de son côté :

    « Mathématicien ou prêtre ou économiste ou arracheur de dents ou poète ou éboueur, l’homme comme fragment de l’humanité c’est intolérable. Nous voulons les mathématiques, mais dans l’homme ; nous voulons la religion, l’économie, la poésie, toutes les choses, mais dans l’homme. »

    « Dans l’homme » cela signifie chez Giovanni Gentile dans l’esprit s’affirmant par l’action ; tout est prétexte à l’acte créateur de la personnalité.

    On est là dans le culte de l’action, seule création de l’esprit et esprit de création. Rejoindre le PNF devient donc un simple moyen de rejoindre de manière citoyenne l’État. Pour Giovanni Gentile, le libéralisme consistait en « l’État comme liberté et la liberté en tant qu’Etat » ; il fut ainsi l’idéologue d’une sorte de caricature de la république romaine comme apothéose de la philosophie de Hegel où le citoyen intègre l’État comme aboutissement culturel.

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  • Italie : le PCI seul face à un fascisme modernisateur

    Du 14 au 21 avril 1931 a lieu le 4e congrès du PCI, à Cologne en Allemagne. On y retrouve 35 ouvriers, 3 artisans, 2 ouvriers agricoles, 2 paysans, 7 employés, 2 étudiants et 5 intellectuels. Un ouvrage de 1952, retraçant les 30 années de lutte du PCI, raconte à ce sujet :

    « Les travaux étaient entourés par le calme de la forêt tandis que les équipes de surveillance du parti communiste allemand étaient nuit et jour en alerte. Non seulement l’organisation logistique fut admirable mais également la protection.

    Dans un rayon de 100 km autour du congrès il y avait des postes de signalisation par radio et pas téléphone et des signalisations optiques en de nombreux points. Pour toute éventualité, les communistes allemands avaient aussi préparé l’armement défensif.

    Pour montrer l’efficacité de l’organisation, un exemple suffit : une patrouille de police à cheval ayant été signalée à une soixantaine de km, une nuit, tous les délégués furent transportés dans le plus grand ordre dans une trentaine de voitures dans un autre lieu distant de 100 km du premier.

    Le matin suivant, les délégués purent reprendre les travaux normalement, toujours sous bonne protection. »

    Dans Les thèses sur la situation italienne, la situation est présentée de la manière suivante :

    « Malgré tout ce que le fascisme a fait pour réduire en esclavage pour la démoraliser et la contrôler dans ses mouvements, la classe ouvrière reste séparée du fascisme qu’elle n’a jamais cessé de combattre, même dans les années de réaction les plus dures.

    A partir de 1926 et en particulier après la promulgation des lois d’exception, tous les principaux épisodes de lutte contre le fascisme ont été menés par la classe ouvrière. Du sein de la classe ouvrière sont sortis des centaines de combattants que le Tribunal Spécial a condamnés à des siècles de prison.

    C’est à partir de la classe ouvrière qu’a commencé en 1929 et 1930 la reprise de la combativité antifasciste, signe d’un rapide processus de radicalisation de toutes les masses travailleuses.

    La classe ouvrière et son parti exercent une attirance de plus en plus forte également sur ces éléments de la petite et de la moyenne bourgeoisie que la situation elle-même a poussées à la révolte.

    La fonction historique de dirigeant de la révolution antifasciste qui revient à la classe ouvrière résulte de ces faits de manière de plus en plus évidente. »

    Le Parti Communiste d’Italie conçoit les choses de la manière suivante : tous les partis ont failli à affronter le fascisme, à part lui ; par conséquent, la seule sortie du fascisme est l’avènement de l’État socialiste. Il peut y avoir une phase intermédiaire, mais elle ne saurait être que brève.

    Le PCI appelle donc directement au renversement de la monarchie et à séparer l’Église et l’État, à ce qu’un nouvel État apparaisse fondé sur les comités d’ouvriers, de paysans, de soldats et de marins, à ce que les usines et les banques soient expropriées, ainsi que les grandes propriétés foncières et les grandes entreprises agricoles industrialisées, à ce que les loyers des petits fermiers soient supprimés et les dettes paysannes annulées. A cela s’ajoute la journée de sept heures et la semaine de cinq jours.

    Le PCI est d’autant plus porté à avoir cette ligne qu’il est porté par la jeunesse ; au IVe Congrès, l’âge moyen des participants est 31 ans et seulement 16 délégués sur 28 sont membres depuis au moins 1926.

    Or, la jeunesse est combative, comme en témoigne l »article « Les manifestations de rue » du journal Avant-Garde de mars-avril 1929 :

    « Passer à la lutte ouverte signifie marcher en escadres de jeunes dans les rues, briser les vitres des cafés de luxe et la tête de messieurs les fascistes qui sucent et bouffent le fruit de notre sueur. Passer à la lutte ouverte signifie préparer la grève, casser les vitres des usines, frapper les patrons, les directeurs d’usine, taper sur la tête des fascistes. »

    L’Unité elle-même, en mars 1930, explique qu’« il est temps de passer à la violence prolétarienne » :

    « Nous devons nous préparer à envoyer du plomb aux fascistes et au capitalisme qui nous oppriment depuis huit ans, nous affament, nous saignent. Voilà le problème du mouvement, un problème urgent, capital. »

    L’affirmation de cette ligne militante est allée de pair avec l’élimination d’une frange partisane de la capitulation. Angelo Tasca est exclu en 1929 pour son pessimisme ; il part en France rejoindre la SFIO et assume alors son anti-communisme, allant jusqu’à soutenir le régime de Pétain par la suite.

    En 1930, c’est le groupe des trois – Pietro Tresso, Alfonso Leonetti et Paolo Ravazzoli – qui est expulsé pour sa ligne gauchiste, le groupe se précipitant dans la foulée pour soutenir ouvertement le trotskysme. Amadeo Bordiga est également exclu et tente pareillement de rejoindre le trotskysme.

    Tout cela fait qu’au début des années 1930, nombre de membres du PCI sont des « svoltisti », des partisans du « tournant » : il suffirait de pousser pour que le régime tombe. La raison principale qui permettrait cela tient à l’instabilité économique.

    Le régime a, en effet, énormément de mal à se sortir du marasme économique, surtout après la crise de 1929 frappant le capitalisme au niveau mondial, épargnant donc seulement l’URSS. Malgré la répression, le pays est traversé de protestations, de grèves, d’agitations de masses.

    Au nombre de pratiquement 900 000, les chômeurs, notamment, prennent des initiatives musclées si ce n’est violentes. Les travailleurs précaires sont, quant à eux, pratiquement plus nombreux et la classe ouvrière rechigne clairement à suivre le style « mussolinien » de soumission et de nationalisme.

    Si cela est indéniable, le problème est que le PCI ne voit pas que cette instabilité tient aussi à une réorganisation générale, dans la perspective de la guerre, amenant un renforcement à moyen terme. Ainsi, en 1932, dix ans après la marche sur Rome, 144 entreprises possèdent 51,7 % du capital italien.

    Dans ce contexte, peu importe que seule la partie aisée de la société dispose d’une voiture et des moyens de payer le péage des 544 kilomètres construits entre 1922 et 1932 : il s’agit d’une modernisation, permettant de renforcer la mainmise des monopoles, de leur capacité d’initiative, tant économique que militaire.

    Pareillement, peu importe que la « bataille de la terre » échoue, même s’il est procédé à l’assèchement et la mise en culture de 20 230 hectares des marais pontins près de Rome : ce qui compte pour le capital, c’est de ne pas toucher aux grandes propriétés terriennes du sud de l’Italie.

    On a la même logique avec la « bataille du blé », qui fut un succès, avec une production quasi 53,3 millions de quintaux de céréales en 1927, 62,2 millions en 1928, pratiquement 71 millions en 1929.

    En apparence, pour les communistes, c’est également un recul dans la mesure où les céréales occupent 25 % de la surface agricole, que cela forme une rente pour les grands propriétaires. Cependant, cela renforce la solidité interne des classes dirigeantes et permet une orientation toujours plus militariste.

    Ainsi, plus d’un demi-million de travailleurs sont orientés dans l’industrie de la guerre. Peu importe donc au régime fasciste que le revenu moyen par tête n’ait progressé que de 0,4 % entre 1929 et 1939, après avoir reculé les années auparavant ; ce qui compte c’est la mobilisation des masses pour les initiatives du régime, la guerre devant être la porte de sortie des problèmes internes.

    Le fascisme réussit à organiser trois millions de personnes dans les fascio, deux millions dans le dopolavoro, 3,5 millions dans les syndicats, un million dans les « fils de la louve » ; on ne peut plus faire carrière dans l’administration sans être membre du PNF.

    Cette évolution va de pair avec l’accroissement du pouvoir des monopoles : en 1933 est fondé un Istituto per la Ricostruzione Industriale (IRI), qui succède à la Società Finanziaria Industriale Italiana (Société pour le financement de l’industrie italienne) née en 1923. L’IRI prend le contrôle des principales banques que sont la Banca Commerciale Italiana, le Credito Italiano et le Banco di Roma, devenant par là le principal entrepreneur du pays, puisque ces banques possédaient tout un pan de l’industrie, notamment la sidérurgie, avec au total 200 000 personnes employées.

    Cette rationalisation fonctionne, du point de vue des monopoles et effectivement la production métallurgique voit son indice passer de 72 en 1932 à 106 en 1936, l’industrie mécanique dans le même temps de 70 à 120.

    C’est la tendance exactement inverse du profond recul qui a eu lieu de 1929 à 1931. Durant ces années, l’industrie avait perdu 39% de son activité, les exportations avaient chuté de 46 %, le commerce extérieur passant de 35 à 13 milliards de lire, alors que les prix agricoles passant de 130 lires le quintal en moyenne à 93.

    Dans le même sens, le monopole des diffusions radiophoniques est confié à une Unione Radiofonica Italiana entièrement privée, avec notamment le groupe Marconi ; la société Azienda generale italiana petroli – AGIP est fondée pour structurer les raffineries, possédé à 60 % par le trésor italien, le reste à parts égales par l’Istituto Nazionale delle Assicurazioni (Institut national des assurances et l’Istituto Nazionale per la Previdenza Sociale (Institut national pour la prévoyance sociale).

    On doit également voir que la commission d’enquête sur les « bénéfices de guerre » est supprimée, couvrant ainsi la haute bourgeoisie qui voit également supprimer les impôts sur le luxe, l’impôt complémentaire sur les valeurs mobilières, celui sur le capital investi dans la banque ou l’industrie, l’impôt sur le capital lui-même, celui sur l’héritage au sein de la même famille.

    La naissance de nouveaux établissement industriels dans les villes est soumise à l’accord du gouvernement, tout comme la formation d’entreprises au capital dépassant cinq millions de lire, protégeant de ce fait les monopoles en place.

    Au-delà de cela, le fascisme a réussi à procéder à une réorganisation sans toucher à la base de la situation italienne, absolument favorable à la bourgeoisie italienne et ayant permis le succès si grand du fascisme : la prépondérance de l’agriculture, employant encore 48 % de la population en 1936. C’est la fameuse question du « retard » du sud de l’Italie, le Mezzogiorno.

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  • L’Italie de Mussolini : État fasciste, État corporatiste

    A quoi ressemble le régime fasciste une fois qu’il a placé dans l’illégalité toute l’opposition et considérablement affaibli le PCI ?

    L’une des choses les plus importantes qu’il réalise, dans le cadre italien, est un accord avec le Vatican, signé le 11 février 1929. Ces « accords de Latran » – du nom du palais du Latran, la résidence du pape – donnent naissance à l’État du Vatican, formellement indépendant, et fait de l’Église catholique, apostolique et romaine la tenante de la religion officielle de l’Italie.

    L’Église catholique et le fascisme posent ainsi leur convergence. A côté de cela, le 9 décembre 1928 le Grand Conseil du fascisme devient « l’organe suprême qui coordonne toutes les activités du régime », alors que la réforme électorale fait que c’est lui qui choisit les candidats, parmi les organisations patronales, les syndicats, les structures de l’État, etc.

    Le 24 mars 1929 a lieu un plébiscite – « Approuvez-vous la liste des députés désignés par le Grand Conseil National du Fascisme ? » – dont le résultat est 98,43 % pour le oui (plus de 8,5 millions de voix), 1,57 % pour le non (avec un peu plus de 135 000 personnes).

    On notera que si le corps électoral avait 12 millions de personnes en 1924, il n’en avait désormais plus qu’un peu plus de 9,4 millions.

    Ce succès du fascisme tient à la réussite de la mise en place d’une profonde démagogie sociale, reposant sur le principe du « corporatisme » unissant les classes sociales sous un même drapeau national.

    Dès la loi du 3 avril 1926, le droit de grève est supprimé et seuls les syndicats « légalement reconnus » ont le droit d’exister : il s’agit des syndicats fascistes qui sont liés au pacte dit du Palais Vidoni, du 2 octobre 1925, à la Confindustria, le syndicat patronal.

    Seuls les syndicats fascistes et la Cofindustria ont le droit de former des conventions collectives, dont l’État est l’arbitre.

    Le principal syndicat, la CGdL, s’est sabordé dans ce processus, ses dirigeants réformistes formant alors une « Association nationale pour l’étude des problèmes du travail » au service du régime.

    En réponse, le PCI avait appelé à reconstituer la CGdL, réussissant à rassembler une trentaine d’organisations syndicales à Milan. Les propos d’un vieux responsable de la CGdL, Villani, témoigne du changement d’orientation dans l’esprit de beaucoup :

    « Je suis venu ici au Congrès [de reconstitution] pour dire ceci : vous savez que j’ai toujours été l’un des plus tenaces à combattre votre organisation pour la possession de la Confédération du Travail.

    J’ai toujours cru, et c’était une illusion, qu’une nette séparation entre sociaux-démocrates et communistes aurait pu sauver la liberté personnelle et syndicale, au moins pour les sociaux-démocrates, qui auraient pu continuer, dans un régime de liberté relative, leur action de défense de classe. Je le répète, c’était une illusion.

    Mais les désillusions viennent toujours après les expériences manquées. Aujourd’hui je suis parmi ces ouvriers sociaux-démocrates qui, mis dans la position de choisir entre deux dictatures, préfèrent et choisissent celle du prolétariat. »

    C’était néanmoins trop tard et trop faible, le syndicalisme fasciste avait happé les travailleurs. Au moment de sa dissolution-capitulation, la CGdL n’avait plus que 6000 membres. Le syndicat agricole Federterra – Federazione nazionale fra i lavoratori della terra – était passé de 900 000 membres en 1920 à 2000 en 1926.

    Cette situation permit au Grand Conseil du Fascisme de mettre en place en avril 1927 une « Charte du travail », en 30 points, fondé sur les corporations, dont le point 8 donne la définition :

    « Les corporations constituent l’organisation unitaire des forces de production et en représentent intégralement les intérêts. En vertu de cette représentation intégrale, les intérêts de le production devenant les intérêts nationaux, la Loi reconnaît donc les corporations ».

    Par la suite, un Conseil National des Corporations est mis en place en mars 1930, comme organe consultatif.

    Il est également à noter que le fascisme créa dès 1925 un organisme appelé Opera Nazionale Dopolavoro – Œuvre Nationale du Temps libre – se donnant comme tâche de soigner « l’élévation morale et physique du peuple, à travers le sport, les excursions, le tourisme, l’éducation artistique, la culture populaire, l’assistance sociale, l’hygiène, la santé et le perfectionnement professionnel ».

    Presque la moitié des travailleurs industriels seront intégrés en 15 ans dans cet organisme, chargé d’encadrer les masses.

    On est là au coeur de l’idéologie de Benito Mussolini. Celui-ci, dans le XIVe tome de l’Encyclopédie italienne, à l’article « fascisme », explique dans le passage intitulé « Doctrine politique sociale » :

    « Une doctrine univoque du socialisme, acceptée universellement, avait cessé d’exister en 1905, depuis la naissance en Allemagne du mouvement révisionniste dirigé par Bernstein.

    Par contre, un mouvement de gauche révolutionnaire surgit dans le va-et-vient des tendances, qui en Italie n’alla pas au-delà des palabres tandis que dans le socialisme russe il fut le prélude du bolchévisme.

    Réformisme, esprit révolutionnaire, centrisme : ces mots ne réveillent aujourd’hui aucun écho.

    Mais dans le grand courant du fascisme vous retrouverez les tendances venant de Sorel, Péguy, Lagardelle du Mouvement socialiste et de cette cohorte de syndicalistes italiens qui, entre 1904 et 1914, avaient introduit une certaine nouveauté par leurs publications – les Pagine libere de Olivetti, La lupa de Orano, le Divenire sociale de Enrico Leone — dans les milieux du socialisme italien : un socialisme qui avait été dévirilisé et chloroformé par les fornications giolittiennes [allusion à Giovanni Giolitti, à de nombreuses reprises premier ministre]. »

    Benito Mussolini se veut socialiste dans la tradition syndicaliste révolutionnaire, avec un esprit national unifiant les classes dans le développement de la Nation comme entité toujours plus forte, soutenu par des individus assumant l’idéalisme et non le matérialisme.

    Benito Mussolini expose de la manière suivante sa conception :

    « Le fascisme exige un homme actif et donnant à l’action toutes ses énergies ; il le veut virilement conscient des difficultés qui existent et prêt à les affronter (…). Le libéralisme met l’Etat au service de l’individu ; le fascisme réaffirme l’Etat comme la véritable réalité de l’individu (…).

    La base de la doctrine fasciste est la conception de l’Etat. Pour le fascisme, l’Etat est un absolu en face duquel l’individu et les groupes sont le relatif.

    Sans l’Etat, il n’y a pas de nation. Il n’y a que des groupes humains susceptibles de toutes les désintégrations que l’histoire peut leur infliger.

    Pour le fasciste, tout est dans l’Etat et rien d’humain et de spirituel n’existe hors de l’Etat, pas d’individus, pas de groupes (partis, associations, syndicats, classes).

    C’est pourquoi le fascisme s’oppose au socialisme, qui durcit le mouvement historique de la lutte des classes et ignore l’unité de l’Etat qui fond les classes dans une seule réalité économique (…).

    L’État fasciste s’attribue aussi le domaine économique. Le corporatisme dépasse le libéralisme, il crée une nouvelle synthèse où tous les intérêts sont conciliés dans l’unité de l’État (…).

    Le fascisme s’oppose à la démocratie qui rabaisse le peuple au niveau du plus grand nombre ; il nie que le nombre puisse gouverner grâce à une consultation périodique (…). Le fascisme repousse le pacifisme. Seule la guerre porte au maximum de tension toutes les énergies humaines et imprime un sceau de noblesse aux peuples qui l’affrontent. »

    L’État est le socle de la Nation rassemblant différentes classes, qui doivent raisonnablement s’unir pour progresser ensemble, le devenir historique consistant en des luttes d’individus et de peuple pour davantage de puissance.

    L’État le plus efficace, le plus réel, le plus authentique, est donc une unification nationaliste des classes et à ce titre Benito Mussolini déclare, dans un discours du 1er octobre 1930 :

    « L’État fasciste est ou bien corporatiste, ou bien il n’est pas fasciste ! »

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  • Instauration du fascisme italien : face à la répression totale

    L’un des grands soucis posés par le fascisme italien est l’émigration des progressistes. Celle-ci touche 44 782 personnes en 1921, 100 000 en 1922, 167 000 en 1923, 201 000 en 1924, 45 528 en 1925, 111 252 en 1926.

    Comment lutter contre le fascisme si les plus progressistes s’en vont, abandonnant le terrain ? Le PCI, lui, décide de rester fermement sur le terrain de la lutte de classes en Italie ; seule une centaine de cadres émigre pour des conditions de sécurité. Pratiquement 6 500 militants combattent de pied ferme, dans 47 organisations provinciales (23 provinces n’ayant pas de structure unifiée), affrontant une terrible répression les ciblant de manière prioritaire : 3000 communistes passent par la prison.

    Toutefois, le PCI profite d’un réseau travail souterrain mis en place, toujours territorialement, quartier par quartier. Les unités appelées regroupements civils, ou encore squadre rosse comprennent 10 personnes, membres ou sympathisants du PCI, ayant tous juré de n’appartenir à aucune autre organisation ou parti dont la discipline pourrait entrer en conflit avec celle des squadre.

    Ces équipes sont chargées d’organiser le fonctionnement clandestin de la section : réunir des armes et les répartir efficacement, monter des ateliers ou des imprimeries clandestines, organiser la fuite des camarades recherchés, effectuer la protection armée de manifestations ou de locaux menacés par les fascistes…

    Des équipes agissent également au sein de l’armée italienne, faisant par exemple sortir des armes pour les fournir aux sections des villes les plus proches. Les FGCI (jeunesses communistes) jouent un grand rôle de recrutement et de coups de main, surtout dans les grands centre ouvriers.

    Aux cotés des squadre à vocation militaire, on trouve aussi des équipes auxiliaires composées de femmes ou de personnes agées, chargées par exemple du renseignement, de la propagande simple ou de la formation politique des militants, le tout tendant à faire des quartiers populaires des forteresses inexpugnables.

    Ces squadre rosse, même si évoluant parallèlement au parti, y sont reliées hiérarchiquement via un réseau de fiducieri, d’hommes de confiance, faisant office de relais de la direction du Parti aux fédérations, jusqu’aux sections locales. 

    Le PCI a concrètement deux bases principales, Gênes et Milan. Il fait le tour de force de parvenir à continuer sa propagande, principalement avec des tracts et écrits recopiés à la main ou lithographiés, comme la revue Le Marteau chez Fiat centre, Le son de cloche chez Lancia, Portolongone chez Fiat Lingotto, Réveil à la Riv, Le drapeau rouge chez Alfa Roméo de Milan.

    Dans cette dernière ville les chauffeurs de taxi ont La Rescousse, alors que les étudiants turinois ont Le goliard rouge, les électriciens de Trieste Le phare, la jeunesse communiste de Novara La jeunesse rouge, etc. Il y a également le journal humoristique Le Petit Coq Rouge, celui pour enfants L’Enfant Prolétaire, etc.

    L’Unité elle-même est réimprimée, de manière bihebdomadaire, à pas moins de 23 000 exemplaires, avec 1 000 exemplaires en Lombardie, autant à Rome et Naples, 8 000 exemplaires dans le Piémont, 700 à Trieste. Le premier numéro paraissant à Milan titre « La fureur de la réaction ne brisera pas la résistance prolétarienne », une seconde version à Turin « Le Parti communiste est insupprimable » ; dans leur éditorial on lit :

    « Ce journal qui est le nôtre et qui sort aujourd’hui avec le titre glorieux de notre quotidien supprimé représente la permanence de notre conscience de classe, de notre volonté de lutte et de la continuité de notre lutte… Ouvriers, camarades de travail, de foi et de lutte, la révolution prolétarienne est en marche. C’est pourquoi la bourgeoisie fasciste se défend aussi férocement et désespérément. Combattons le doute et le découragement par tous les moyens, partout. »

    On comprend la vision qu’a le PCI de la situation avec ce qu’explique le dirigeant communiste italien Ruggero Grieco à la Commission italienne de l’Internationale Communiste en janvier 1927 :

    « Étant donné que le parti fasciste est le seul qui existe en Italie et qu’aucune opposition effective au fascisme n’est permise, étant donné que la sociale démocratie est contre le fascisme, le processus de radicalisation des masses travailleuses et petites bourgeoises est ralenti mais il n’est pas interrompu.

    C’est pourquoi nous voyons la chute du fascisme dans un moment de développement de cette radicalisation. Voilà donc le devoir du Parti communiste : accélérer le processus de radicalisation des masses populaires. Nous voyons aussi la chute du fascisme comme le résultat d’une lutte armée : le fascisme ne peut tomber que sur le terrain de la lutte armée. »

    Le fascisme pose, en effet, une ligne de fracture d’une brutalité complète, notamment avec le « tribunal spécial ». Rien qu’en 1927, il procède à 255 condamnations, pour un total de 1371 années de prison ; la plupart des personnes condamnées sont au PCI. Une simple diffusion de tracts peut amener à une condamnation à 4-5 ans de prison, la diffusion de publications à 18 ans.

    L’Organizzazione di Vigilanza e Repressione dell’Antifascismo – OVRA, Organe de Vigilance et de Répression de l’Antifascisme – mène une activité effrénée.

    En 1928, le processus s’accélère : les condamnations sont au nombre de 696, pour 3404 années de prison au total.

    Symbole de cette chasse au communiste, un simple chiffon rouge à la fenêtre d’un immeuble restauré à Florence en 1928 provoque une série d’arrestations de maçons, avant qu’on s’aperçoive qu’il recouvrait un lampadaire pour le protéger lors des travaux.

    C’est une bataille, avec les communistes directement en ligne de mire du régime. Le militants du PCI gardent pourtant la tête haute ; voici un compte-rendu fasciste d’un procès à Rome, en 1927 :

    « Au cours de la discussion des cas, les dits accusés ont eu une attitude hautaine particulièrement le bien connu Li Causi Gerolamo qui fut, hier, par ordre du Président, séparé des autres accusés pour être surveillé plus efficacement par le CC. RR de service.

    A la suite du comportement des détenus, on a adopté aujourd’hui des mesures de surveillance très sévères en augmentant le nombre des carabiniers envoyés à l’extérieur et à l’intérieur du box des accusés.

    De telles mesures se sont révélées utiles parce que aujourd’hui, à peine lue la lettre qui condamne les accusés, la plupart de ceux-ci ont manifesté, essayant de crier « Vive le communisme ! », ne parvenant à prononcer que la première syllabe du mot communisme grâce à l’intervention immédiate des carabiniers qui ont empêché la manifestation avec énergie en jetant tout de suite les détenus du box dans une chambre de sécurité.

    La tentative n’a eu aucune répercussion ni réveillé des impressions parce que le public était presque totalement absent et qu’il ne restait dans la salle d’audience, à part les avocats, que quelques journalistes, tandis que les alentours de la salle d’audience étaient gardés et complètement dégagés par la force publique. Les détenus ont été ensuite emmenés de nouveau dans les prisons sans aucun incident. »

    Voici le compte-rendu par l’agence de presse française Havas de l’exécution – la première condamnation à mort officielle par le régime – du communiste Michele Della Maggiora, ouvrier rentré de l’émigration pour lutter clandestinement et ayant tué deux fascistes en résistant à son arrestation. Le tribunal spécial du régime se transférera même dans la ville concernée, Lucca, pour organiser un procès expéditif.

    « Le communiste Della Maggiora a été fusillé ce matin [du 18 octobre 1928] dans les environs de Lucca : 6900 miliciens de la légion 94a de la milice fasciste entouraient le lieu de l’exécution et 12 hommes du même corps formaient le peloton d’exécution. Le condamné a refusé les secours de la religion et conservé jusqu’au dernier moment son attitude de défi. Lié au poteau, il a encore proféré des imprécations antifascistes dont la dernière a été interrompue par la fusillade. »

    C’est dans ce contexte que se déroule le « grand procès », celui de 33 dirigeants communistes, dont huit sont en fuite et un, Isidoro Azzario, devenu pratiquement fou suite à la torture. Ce procès, repoussé afin d’établir davantage de « preuves », de contourner le problème de la rétroactivité de l’établissement du tribunal spécial formé par la loi du 10 décembre 1926, visait à supprimer la direction du PCI.

    Le ministère public aura une phrase célèbre au sujet d’Antonio Gramsci : « Il faut empêcher ce cerveau de fonctionner pendant 20 ans ! ».

    Les condamnations sont en ce sens, avec notamment Umberto Terracini qui est condamné à 22 ans, 9 mois et 5 jours, Antonio Gramsci, Mauro Scoccimarro et Giovanni Roveda condamnés à 20 ans, 4 mois et 5 jours, Aladino Bibolotti à 18 ans, Isidoro Marchioro et Ambrogio Riboldi à 17 ans, Angelo Borin et Roslino Ferragni à 16 ans, plusieurs autres à 15 ans.

    La direction du PCI est, au moment de la condamnation, en réunion à Bâle, en Suisse, dans une session élargie du Comité Central. Palmiro Togliatti, en tant que responsable du travail de secrétariat, est le véritable dirigeant du PCI : ce sera à lui d’assumer la direction de la lutte contre le fascisme.

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  • Italie, 1926: l’année du tournant avec l’instauration du fascisme

    Le IIIe congrès du PCI avait été une réussite ; les organes de répression ne parvinrent pas à empêcher sa tenue, ni la réalisation de 3000 discussions de cellules pour le préparer. Le PCI vivait une situation de liberté surveillée, de répression dès qu’il progressait trop, avec des actions violentes, jusqu’au meurtre, se réalisant par moment.

    Voici une anecdote de l’ouvrier de Turin Celeste Negarville, devenu permanent du PCI, sur sur l’atmosphère des Congrès fédéraux :

    « Le Congrès était totalement illégal et il fallait recourir à une série de stratagèmes pour semer les deux policiers qui accompagnaient toujours Gramsci.

    Ces péripéties qui consistent, en général, en longues courses en taxi à travers la ville, avec des changements successifs de deux ou trois voitures jusqu’à ce que l’on soit sûr que les policiers aient bien perdu sa trace, le rendaient toujours nerveux…

    Je crois qu’il s’irritait aussi parce que son aspect physique le rendait facilement reconnaissable, lui rendant l’opération encore plus difficile…

    Au Congrès provincial de Milan, qui dura toute la nuit, assistaient une cinquantaine de délégués réunis autour de la lampe à huile d’une cabane en pleine campagne. »

    Toutefois, le fascisme ne compte pas ne pas profiter de sa situation de force, notamment après l’affaire Zaniboni. Le responsable du Parti Socialiste Unitaire, Tito Zaniboni, aidé du général fasciste mais franc-maçon Luigi Capello, tenta en effet de tuer Benito Mussolini, le 4 novembre 1925.

    L’opération échoua, mais tendit encore plus la situation ; le régime exigea que la presse soutienne désormais le régime, forçant la presse contestataire à capituler. En septembre 1925, la Stampa fut suspendue pour un mois, par la suite son responsable Luigi Salvatorelli fut obligé de quitter sa direction.

    La Rivoluzione liberale est interdite le 1er novembre, son auteur le prolixe Piero Gobetti – qui considérait que les luttes de classes relevait de la concurrence normale au sein d’une société libérale – meurt en exil à Paris à 24 ans d’une bronchite et des suites de ses blessures, après avoir été au préalable brutalement agressé par les fascistes en Italie.

    Benito Mussolini

    Le 28 novembre, le Corriere della Sera se soumet au régime ; son dirigeant pendant 25 ans, le libéral-conservateur Luigi Albertini qui a même soutenu le fascisme initialement avant de se tourner vers le PSU, cesse tout engagement.

    La Giustizia, journal du PSU, est interdit tout comme ce parti suite à la tentative d’attentat de Tito Zaniboni (qui est lui simplement mis en prison). Le journal du PSI, Avanti !, a de son côté subi 76 saisies après l’attentat.

    En fait, dès le début de l’année 1926, les préfets avaient saisi systématiquement les journaux critiquant le régime. Même L’Unité – qui tire à 15 à 20 000 – avait été obligée de systématiser son copié-collé d’information de journaux non interdits, et encore cela ne passe pas toujours devant une répression toujours plus zélée.

    L’opération d’illégalisation de l’opposition antifasciste intervient suite à la tentative d’assassinat contre Benito Mussolini faite à Bologne le 31 octobre 1926 par l’anarchiste de quinze ans Anteo Zamboni. L’assaillant est lynché par les fascistes et il s’ensuit une interdiction générale de l’opposition, avec une série d’attaques et de meurtres que le journal Il Popolo d’Italia justifie ainsi : « Un régime révolutionnaire a ses lois révolutionnaires inexorables qui en sont la sauvegarde ».

    Le 1er novembre, le régime justifie la cessation temporaire (mais indéterminée) de la presse d’opposition, la dissolution des partis et organisations opposés au régime, la mise en prison de quiconque se prononcerait en faveur d’actions contre le régime, la formation d’un service d’enquête politique à chaque direction de légion de la milice MVSN, la mise en place d’un organe judiciaire spécial pour les délits politiques.

    Rien qu’à Milan, en huit jours, 1960 personnes ont été arrêtées, 151 violemment passées à tabac, 40 bureaux et maisons mis à sac. A Brescia il y eut 176 arrestations, 30 maisons et bureaux détruits, 10 personnes tabassées, à Vérone il y eut 260 arrestations, trois maisons détruites, à Padoue il y eut 200 arrestations, 40 bannissements et toute une série de tabassages, d’incendies, etc. Rome est la ville la plus touchée, avec 6000 arrestations.

    Du côté du PCI, la répression a durement frappé : les bureaux de L’Unité ont été détruits, ainsi que de nombreuses imprimeries dévastées ou détruites ; un tiers des effectifs du Parti se retrouve en prison. Plusieurs milliers de personnes ne resteront en prison toutefois qu’au maximum plusieurs semaines. Mais le dirigeant, Antonio Gramsci, est aux mains du régime.

    Palmiro Togliatti dira à ce sujet, à la commission italienne du Secrétariat latin de l’Internationale communiste le 24 octobre 1928, que :

    « Il ne fait aucun doute que notre parti n’a pas vu à temps le changement de situation qui s’est produit à la fin de 1926 et au début de 1927. Il n’a pas vu à temps le passage d’un régime de semi légalité à celui de l’illégalité absolue ni la situation qui s’est créée en Italie et qui mettait le fascisme devant la nécessité de mener une attaque particulièrement acharnée contre l’avant-garde de la classe ouvrière.

    Il n’a pas compris que ces faits imposaient un changement rapide de ses méthodes de travail et de ses méthodes d’organisation en général.

    Qui s’est trompé dans ce domaine ? Un organe du Parti, ou un autre ? Tel ou tel camarade ?

    Non. C’est le Parti dans son ensemble qui s’est trompé…

    Au début, dans les premiers mois de 1927, quand on voyait que le travail illégal se développait bien, sur une grande échelle, on pensait que cela durerait longtemps, et l’on pensait même « Maintenant, il n’y a plus cette situation de semi clandestinité, on peut mieux travailler, d’une manière plus sûre ». C’était une erreur.

    En réalité, l’adversaire nous a étudié pendant un certain temps et après, quand il a réussi à découvrir quelles étaient nos méthodes de travail, qui étaient encore les anciennes méthodes, il nous a frappés très en profondeur et nous avons beaucoup perdu. Nous avons perdu la meilleure partie des cadres intermédiaires de notre parti. »

    Pietro Secchia, l’un des principaux dirigeants du PCI, formulera cela de la manière suivante le 5 juillet 1928 à la session du Comité Central :

    « Face aux lois d’exception, le parti eut une attitude je m’en foutiste, héroïque et fit apparemment un beau geste.

    « Tout est comme avant, se disait-il. Le Tribunal spécial n’est fait que pour effrayer les gens. Nos journaux sont plus diffusés qu’auparavant ».

    On prévoyait que « L’Unité » aurait, sous peu, triplé son tirage.

    « Un journal pour chaque atelier », disions-nous, nous les jeunes. Et après novembre, commença une fantastique diffusion de journaux, de fascicules, de papier imprimé.

    Nous voyions le bon côté de notre activité mais nous ne pensions pas au reste, nous pensions que si les lois d’exception étaient arrivées, elles étaient arrivées pour nous laisser faire ce que nous voulions, nous ne pensions pas que les lois d’exception seraient appliquées sérieusement et qu’elles allaient faucher, faucher abondamment.

    Nous ne pensions pas un seul instant à la force du fascisme. Nous ne nous posâmes pas un seul instant la question : est-ce que le fascisme aura la force d’appliquer ses lois ?

    Où nous mènera l’application de ces lois pendant une période prolongée ? Nous voulions donner une réponse à la dissolution du parti, à la privation de toute liberté et nous nous lançâmes à corps perdu dans la lutte…

    Il était juste que notre parti répondît, il était juste que notre parti fasse sentir son existence aux masses travailleuses et au fascisme. Il était juste que notre parti dise aux ouvriers qu’on ne les avait pas abandonnés.

    Mais il y a répondre et répondre. Nous pouvions et nous devions lutter, mais sur un terrain qui nous permettait un minimum de défense, une possibilité de résistance. Nous luttâmes, au contraire, à visage découvert, nous partîmes à l’assaut face aux mitraillettes sans aucun refuge.

    C’était la tactique de Cadorna… L’erreur a été commise par tous… Et même la base fut pleine d’initiative, elle a affronté, elle aussi, la lutte avec enthousiasme et ouvertement, trop ouvertement…

    À la fin du mois de juin, la base commença à réagir. Elle commença à faire sentir que de cette façon on ne pouvait pas aller de l’avant, que l’offensive engagée était trop inégale… En juin 1927, il n’y avait plus aucun journal d’atelier, il n’y avait plus aucun journal fédéral local… »

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