Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • L’Italie fasciste, l’antifascisme, le Mezzogiorno

    Quelle a été la base pour l’émergence de la pensée d’Antonio Labriola, du courant futuriste, du théâtre « existentiel » de Luigi Pirandello ?

    Il s’agit du contraste et de la contradiction entre l’Italie du Nord et l’Italie du Sud, c’est-à-dire d’une question nationale et, par conséquent, d’une question liée à l’émergence du capitalisme face au féodalisme.

    Contrairement à la France, qui a émergé en tant que nation dès le XVIe siècle, avec les débuts d’une réelle unité de langue, de culture, et une stabilité territoriale portés par la monarchie absolue, l’Italie de son côté est restée morcelée en petits États jusqu’au Risorgimento, la « renaissance » du XIXe siècle.

    Auparavant, la péninsule italienne était divisée en petits royaumes ou duchés : au Nord du fleuve Tibre, ceux hérités du Saint Empire Romain Germanique et des invasions lombardes, avec le Royaume de Sardaigne avec Turin pour capitale, la République de Gênes, la République de Venise, des Duchés de Milan, de Modène, de Parme, le Grand Duché de Toscane…

    Au Sud du Tibre, et sous l’influence directe de la papauté, on trouve le Royaume de Naples et de Sicile, ainsi que les États pontificaux avec Rome pour capitale.

    Concrètement, ce qu’on appelle généralement le Mezzogiorno – précisément cette partie au Sud du Tibre – a connu une unité territoriale bien avant le reste de l’Italie, avec le Royaume de Sicile, et cela dès 1130, incluant déjà les Pouilles (région formant le « talon » de l’Italie), jusqu’à Naples.

    Au Nord, tous ces petits États, chacun développé autour d’un grand centre urbain, avec des ports marchands comme ceux de Gênes ou de Venise, qui ont respectivement vu naître Christophe Colomb et Marco Polo, ont pu profiter du commerce maritime pour voir émerger très tôt des bourgeoisies parmi les plus influentes du monde.

    Celles-ci furent en mesure de développer une culture et une vision hégémonique dans ces États, notamment à travers la figure de Nicolas Machiavel.

    Dans le Midi italien, la situation était fort différente. La base économique resta, jusqu’au XIXe siècle, très largement féodale.

    La production agricole était organisée en latifundi, des exploitations terriennes extensives, employant beaucoup de paysans sur des surfaces très étendues. Déjà, dans l’antiquité, Pline dénonçait la dimension parasitaire de ce système :

    Verumque confitentibus latifundia perdidere Italiam iam vero et provincias.
    Il faut avouer que les grandes propriétés ont perdu l’Italie mais aussi désormais les provinces :
    sex domini semissem Africae possidebant, cum interfecit eos Nero princeps. 
    six propriétaires possédaient la moitié de l’Afrique quand l’empereur Néron les mis à mort.

    Le Mezzogiorno a donc des caractéristiques spécifiques par rapport au Nord. Les barons se concentraient dans les grandes villes, loin des exploitations, et formaient une classe très puissante formant une cour autour du Roi, bloquant efficacement toutes velléités des classes urbaines pour s’affirmer, réprimant de régulières révoltes citadines.

    Pour reproduire sa puissance économique tout en étouffant les marchands et les industriels méridionaux, l’aristocratie exportait la plus grande partie de ses produits agricoles vers d’autres pays industrialisés, renforçant par là même sa dépendance à l’étranger : le Royaume de Sicile et les États pontificaux importaient quasiment tous leurs produits manufacturés d’Angleterre ou des Duchés du nord de l’Italie.

    Dans les agglomérations, les barons se servaient également de groupes de brigands pour faire appliquer la loi et prélever les taxes en leur nom. Ces groupes, comme la Camorra ou la Cosa Nostra, furent par exemple chargés par les Rois Bourbons de gérer la police pénitentiaire et les litiges marchands, fermant, en échange, les yeux sur leurs activités criminelles.

    Les mafias étaient aussi un soutien culturel important à la noblesse méridionale : pratique des duels, de la vassalité, de l’honneur chevaleresque. Ils effectuaient le relais de la culture féodale parmi les masses des campagnes, parallèlement à l’influence énorme de l’Église. De son côté, le Vatican possédait les deux tiers des latifundi et des biens immobiliers au Royaume de Sicile, les administrant localement via leur réseau monacal, seul lien social effectif dans les campagnes du pays.

    Au milieu du XIXe siècle, la bourgeoisie septentrionale portée par sa vision machiavelique-pragmatique et appuyée par les pouvoirs d’État, put passer à l’offensive pour réaliser son rôle historique : la création d’un grand marché unifié et d’une culture nationale italienne.

    Sur le modèle de Nicolas Machiavel, le Roi de Sardaigne Victor Emmanuel II et son premier Ministre Camillo Cavour prirent l’initiative en 1859, jouant habilement de la rivalité franco-autrichienne pour détruire l’influence de l’Autriche sur les États voisins et y imposer des régimes amis. Le gouvernement Sarde – en fait basé à Turin, le Piémont étant la région la plus développée du Royaume – se plaça alors à la tête du mouvement unificateur et annexa un à un ses voisins, par plébiscite.

    Camillo Cavour vers 1850

    Mais si, au Nord, ces rattachements ont pu être vécus culturellement comme une libération de l’emprise étrangère et surtout comme un processus naturel correspondant aux besoins de la production, dans le Mezzogiorno et le Centre ce sont deux États formés depuis plusieurs siècles qui ont été annexés à l’Italie, avec une culture et une structure économique bien différentes.

    Malgré des révoltes populaires dans les villes du Sud (toutes écrasées par le régime des Bourbons), le rattachement du Royaume de Sicile à l’Italie fut le fait d’une invasion par les troupes piémontaises en 1860, appelée « expédition des Mille » et menée par Giuseppe Garibaldi.

    L’avancée de Giuseppe Garibaldi de la Sicile jusqu’à la capitale, Naples, fut facilitée par de grands renforts de paysans révoltés, journaliers précaires et petits propriétaires espérant une redistribution des terres par le nouveau pouvoir.

    Giuseppe Garibaldi en 1866

    Cependant, pour s’assurer le soutien des classes dominantes du Sud au grand projet national – l’adhésion de chaque État s’actant par plébiscite au vote censitaire –, la bourgeoisie du Nord n’était pas en position de tenir cet engagement.

    Au mois d’août 1860, la révolte de Bronte contre les latifondistes fut écrasée par les troupes garibaldiennes et les principaux participants furent fusillés. Cet événement, d’une importance symbolique très grande, marqua la fin de la tendance pro-italienne parmi les paysans pauvres du Mezzogiorno, et leur retour dans le giron de l’influence féodale, à travers une mobilisation nationaliste en soutien aux Bourbons.

    Le Mezzogiorno connut alors une sorte de guerre civile, le « brigantaggio », avec la formation de bandes armées plébéiennes, s’attaquant aux troupes italiennes, souvent sous la bannière des Bourbons, mais aussi sous la forme de pures bandes de malfrats, jouant les Robins de Bois.

    Cette aventure nihiliste a produit des figures mythiques de brigands au grand cœur et a marqué la culture populaire du Sud, malgré l’impasse évidente qu’elle représentait. Avant la fin du XIXe siècle, toutes ces bandes furent éliminées, les mafias offrirent quant à elles leur soutien au nouveau pouvoir central.

    Le maintien de l’aristocratie méridionale et de son organisation latifundaire devint clairement, au moment de la création de ce grand marché unifié italien, une cause d’arriération économique du Sud.

    Ce modèle extensif, assurant une reproduction constante de la production sur de grandes surfaces, efficace pour écraser la petite bourgeoisie terrienne pendant les siècles précédents, ne pouvait pas rivaliser en productivité avec l’agriculture capitaliste intensive développée au Nord depuis déjà des décennies.

    Industrialisation des provinces italiennes en 1871

    Le nouvel État italien, loin de diviser les latifundi, revendit tels quels ceux qu’il avait saisi à l’Église et à l’État Bourbon. Une politique protectionniste fut mise en place dès les années 1860 pour protéger les industries septentrionales de la concurrence étrangère et remplacer définitivement leur emprise sur les ressources agricoles méridionales.

    Quand vint la crise mondiale de surproduction en 1880 et la chute du prix des matières premières, la bourgeoisie sudiste peu compétitive s’effondra et certaines des plus grandes industries du Sud, comme les chantiers navals de Campanie ou la sidérurgie de Mongiana, furent rachetées et physiquement déplacées vers le Nord par des conglomérats financier septentrionaux.

    C’est à cette époque que correspond le début d’une forte émigration vers le Nord du pays ou vers les États-Unis, ainsi que la culture « méridionaliste » présentant le mythe d’un Mezzogiorno humilié et floué, encore présent aujourd’hui, et qui, en l’absence de projet socialiste concret adapté aux conditions de la région, contribue à un esprit anti-unitaire, fortifié par l’Église.

    L’absence d’une avant-garde progressiste, qu’elle soit bourgeoise ou prolétarienne, dans le Sud de l’Italie, a donné naissance à un vide qui profita à l’Église, lui permettant d’avoir un poids réactionnaire sur la vie du pays tout entier, contre la laïcité, contre la République, contre l’unité.

    Quand, sur le tard, Antonio Gramsci commença à se pencher sur la question, il vit immédiatement un rapport semi-colonial entre le Nord et le Sud, et voici comment il exposa sa vision au Congrès du Parti en 1926 :

    « Les résultats de cette politique sont en effet le déficit du budget de l’État, l’arrêt du développement économique de régions entières (Mezzogiorno, les îles…), la misère croissante de la population laborieuse, l’existence d’un courant continu d’émigration et l’appauvrissement démographique qui en découle.

    En particulier, le compromis passé entre les classes dominantes du pays donne aux populations laborieuses du Mezzogiorno une position analogue à celles des colonies, les grands propriétaires terriens et la bourgeoisie méridionale jouent le même rôle que celles qui dans les colonies s’allient aux métropoles pour assujettir la masse du peuple qui travaille. »

    Antonio Gramsci remarque aussi le danger, dans l’optique d’une révolution prolétarienne strictement limitée au nord, d’un ralliement des paysans méridionaux aux restes de la classe féodale, historiquement et économiquement liée aux puissances étrangères,

    Il note ainsi, dans le journal L’Unità, en mars 1924 :

    « Dans la situation actuelle, avec la dépression des forces prolétariennes, les masses paysannes méridionales ont pris une énorme importance dans le camp révolutionnaire.

    Soit le prolétariat, à travers son parti politique, réussit pendant cette période à se doter d’un système d’alliés dans le Mezzogiorno, soit les masses paysannes chercheront des dirigeants politiques dans leur propre zone, c’est à dire qu’ils s’abandonneront complètement entre les mains de la petite bourgeoisie méridionale amendolienne, devenant une réserve pour la contre-révolution, renforçant le séparatisme et la possibilité d’un appel aux armées étrangères dans le cas d’une révolution purement industrielle au nord.

    Le mot d’ordre de « gouvernement ouvrier et paysans » doit, pour cette raison, tenir tout spécialement compte du Mezzogiorno, ne doit pas confondre la question des paysans méridionaux et la question générale des rapports entre ville et campagne dans un tout économique organiquement soumis au régime capitaliste: la question méridionale est aussi une question territoriale est c’est de ce point de vue qu’elle doit être examinée afin d’établir un programme de gouvernement ouvrier et paysan qui puisse avoir un large écho parmi les masses. »

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  • Labriola et la philosophie de la «praxis»

    Il serait totalement erroné de penser que le volontarisme subjectiviste modernisateur se soit cantonné dans les arts et la littérature de l’Italie du début du XXe siècle ; en réalité, les arts et la littérature sont le reflet culturel-idéologique de toute lame de fond sociale et intellectuelle.

    De la même manière qu’en France, le marxisme a été largement incompris en Italie. Cela a donné, comme en France, la combinaison d’un réformisme politique « socialiste » et d’une ligne « ultra » de type syndicaliste-révolutionnaire.

    Tout comme en France avec Jean Jaurès, les socialistes italiens se soumirent au développement de la bourgeoisie moderniste, face à la droite conservatrice et cléricale. Cependant, l’instabilité politique italienne permit l’émergence d’un courant syndicaliste-révolutionnaire bien plus dynamique.

    Cherchant à précipiter les événements et rejetant le marxisme et la social-démocratie, le syndicalisme révolutionnaire forgea le principe de la minorité agissante forçant le « cours » des choses.

    Ici, la situation italienne ne se distingue pas de celle en France. Le véritable problème est qu’il y a eu un courant qui est apparu, prétendant réfuter le réformisme tout en étant sur le terrain du marxisme, conduit par Antonio Labriola (1843-1904).

    Antonio Labriola

    Antonio Labriola va « interpréter » le marxisme de manière anthropocentriste, en ne quittant pas Hegel, c’est-à-dire en se focalisant sur la transformation de la conscience individuelle par le travail (la fameuse « dialectique du maître et de l’esclave »).

    L’esprit de synthèse, donnant une importance essentielle à la théorie comme vision du monde, n’existerait pas ; seule l’activité concrète « colle » à la réalité et est donc une source réellement possible de réflexion et de théorie.

    Antonio Labriola rejette la social-démocratie, c’est-à-dire Friedrich Engels et Karl Kautsky ; il ne considère pas qu’il existe un mouvement dialectique dans la nature et dans l’histoire. Il n’existerait qu’un mouvement dialectique dans la pratique, qui elle seule transforme.

    Le marxisme est alors simplement une méthode, aucunement un dogme. Ce que fait Antonio Labriola, très concrètement, c’est faire du marxisme un matérialisme « pur », une variante plus radicale du courant « anti-métaphysique » en général, ce qui est nier sa vision du monde général, sa revendication de l’esprit de synthèse, du matérialisme dialectique.

    Karl Marx et Friedrich Engels auraient fait des contributions scientifiques, mais la science ne serait pas « terminée », il faut prolonger et développer leur méthode, l’affiner, etc., le marxisme ne serait pas une « église », une « secte », etc.

    Le marxisme est ici une méthode pour être du bon côté au niveau pratique ; il ne serait aucunement une vision du monde, totale et absolue. Il ne consiste qu’en une ligne révolutionnaire, une manière de concevoir l’histoire,

    Antonio Labriola parle ainsi de « praxis », terme désignant la pratique faisant l’évolution historique de l’humanité ; l’histoire n’est pas tant l’histoire de la lutte des classes – avec les modes de production qui ne sont saisissables que par l’esprit synthétique – que l’histoire du travail.

    Le marxisme n’est chez Labriola pas une théorie complète de l’univers ; c’est seulement une théorie qui tend à cela, au monisme. Il dit ainsi :

    « S’il fallait donner une formule, il ne serait pas hors de propos de dire que la philosophie qu’implique le matérialisme historique, c’est la tendance au monisme ; et je me sers très intentionnellement du mot tendance et j’ajoute tendance formelle et critique (…).

    La raison principale du point de vue critique par lequel le matérialisme historique corrige le monisme est celle-ci : c’est qu’il part de la praxis, c’est-à-dire du développement de l’activité, et de même qu’il est la théorie de l’homme qui travaille, il considère également la science elle-même comme un travail.

    Il développe complètement ce qu’impliquent les sciences empiriques, c’est-à-dire que par l’expérimentation nous nous rapprochons de la façon d’agir des choses et nous nous persuadons que les choses elles-mêmes sont une manière d’agir, c’est-à-dire une production (…).

    Tendance (formelle et critique) au monisme, d’un côté, virtuosité à se tenir en équilibre dans un domaine de recherche spécialisée, d’autre part – tel est le résultat.

    Pour peu qu’on s’écarte de cette ligne, ou bien l’on retombe dans le simple empirisme (la non-philosophie) ou on passe à l’hyperphilosophie, c’est-à-dire à la prétention de se représenter en acte l’univers comme si on en possédait l’intuition intellectuelle. »

    Voici comment il considère le matérialisme historique :

    « La formation intégrale de, l’homme, dans le développement historique, n’est plus désormais une donnée hypothétique, ni une simple conjecture, c’est une vérité intuitive et palpable. Les conditions du processus qui engendre un progrès sont désormais réductibles en séries d’explications ; et, jusqu’à un certain point, nous avons sous les yeux le schéma de tous les développements historiques morphologiquement entendus.

    Cette doctrine est la négation nette et définitive de toute idéologie, parce qu’elle est la négation explicite de toute forme de rationalisme, en entendant sous ce mot ce concept que les choses, dans leur existence et leur développement, répondent à une norme, à un idéal, à une mesure, à une fin, d’une façon implicite ou explicite.

    Tout le cours des choses humaines est une somme, une succession de séries de conditions que les hommes se sont faites et posées d’eux-mêmes par l’expérience accumulée dans leur vie sociale changeante, mais il ne représente ni la tendance à réaliser un but prédéterminé, ni la déviation d’un premier principe de perfection et de félicité.

    Le progrès lui-même n’implique que la notion de chose empirique et circonstanciée, qui se précise actuellement dans notre esprit, parce que, grâce au développement réalisé jusqu’ici, nous sommes en mesure d’évaluer le passé et de prévoir, ou d’entrevoir, dans un certain sens et dans une certaine mesure, l’avenir. »

    Antonio Labriola est donc un défenseur résolu du matérialisme, mais pas du matérialisme dialectique ; il en reste à une opposition totalement erronée entre Hegel et Baruch Spinoza (et donc à la négation de la théorie du reflet).

    Dans les faits, il défend la cause politique prolétarienne, notamment contre le socialisme interprété de manière réformiste comme par Filipo Turati (1857-1932) ; toutefois, Labriola ne fait que formuler la pratique propre à la bourgeoisie révolutionnaire transformant le monde, à l’époque où c’était une classe révolutionnaire.

    Le grand souci fut donc qu’en apparence, l’approche d’Antonio Labriola avait l’air d’une démarche révolutionnaire s’opposant à l’esprit de contemplation propre à l’aristocratie et aux propriétaires terriens, en pratique, on n’y retrouvait pas le vrai marxisme.

    Or, Antonio Labriola va élaborer toute sa philosophie de la « praxis », dans trois œuvres : tout d’abord en 1895 dans In memoria del Manifesto dei comunisti, l’année suivante dans Dal materialismo storico. Dilucidazione preliminare, œuvre suivie en 1897 de Discorrendo di socialismo e filosofia, consistant en des lettres écrites au théoricien syndicaliste révolutionnaire français Georges Sorel.

    Et cette réflexion va influencer de manière significative à la fois le principal théoricien libéral, Benedetto Croce (1866-1952), le philosophe officiel du fascisme Giovanni Gentile (1875-1944), mais aussi les deux principaux dirigeants communistes Amadeo Bordiga et Antonio Gramsci.

    C’est-à-dire qu’Antonio Labriola va fournir la clef « pratique » pour affronter l’aristocratie et son esprit contemplatif, mais pas de manière dialectique uniquement au prolétariat – comme l’a fait Lénine.

    Tout le spectre intellectuel italien des années 1910-1920 part d’une réflexion sur la philosophie de « praxis » définie par Antonio Labriola et d’une lutte acharnée pour imposer sa propre version.

    Au triomphe initial de Benedetto Croce dans la monarchie constitutionnelle succédera celui de Giovanni Gentile avec la monarchie fasciste, tandis qu’Amadeo Bordiga aura la main-mise initiale sur le Parti Communiste italien, avant qu’Antonio Gramsci ne devienne le principal opposant idéologique au régime.

    On ne peut pas comprendre le succès du fascisme comme « philosophie de la praxis » sans voir que toutes les variantes politiques étaient elles-mêmes une « philosophie de la praxis », donc incapable de se confronter idéologiquement et culturellement au fascisme.

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  • Le futurisme italien

    L’approche de Luigi Pirandello en littérature, dans le roman et le théâtre, trouve son plus proche parent dans le futurisme, un mouvement artistique fondé et dirigé de manière despotique par Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944).

    Ce dernier puise directement dans le symbolisme-décadentisme, mais de par les particularités italiennes, cela se transforme non pas en élitisme de la mise à l’écart esthétisante des artistes, mais par l’appel à la prise de contrôle des destinées artistiques du pays.

    Le futurisme se veut donc un ultra-modernisme, un culte de l’énergie créatrice systématisée de manière la plus complète par une aristocratie de la pensée et de l’action. Le parallèle avec le fascisme est évident et le futurisme sera un ardent soutien de celui-ci.

    Exemple de poésie futuriste
    traduite en français

    En pratique d’ailleurs, de par les références géométriques systématiques, le futurisme se pose comme idéologie de la bourgeoisie moderniste, en conflit avec l’académisme de la bourgeoisie catholique et agraire.

    C’est le sens de l’affirmation dans l’un des très nombreux manifestes futuristes, tous remplis de provocations et d’insultes pour « marquer » l’époque, selon laquelle une belle voiture de course serait plus belle que la statue de l’Antiquité grecque appelée la victoire de Samothrace.

    Appel à la participation à la première guerre mondiale, réalisé en 1914 par F.T. Marinetti, Umberto Boccioni, Carlo Carrà, Luigi Russolo et Ugo Piatti

    Le futurisme, c’est l’éloge du mouvement, de la technique, de la modernité. Dans le manifeste publié en français dans le quotidien conservateur Le Figaro, en 1909, on découvre une rhétorique qui est la même que le fascisme :

    « Enfin la Mythologie et l’Idéal mystique sont surpassés (…).

    1. Nous voulons chanter l’amour du danger, l’habitude de l’énergie et de la témérité.

    2. Les éléments essentiels de notre poésie seront. le courage, l’audace et la révolte.

    3. La littérature ayant jusqu’ici magnifié l’immobilité pensive, l’extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l’insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing.

    (…)

    9. Nous voulons glorifier la guerre – seule hygiène du monde, – le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles Idées qui tuent, et le mépris de la femme.

    10. Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques, combattre le moralisme, le féminisme et toutes les lâchetés opportunistes et utilitaires.

    11. Nous chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques; les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument; les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées; les ponts aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diabolique des fleuves ensoleillés; les paquebots aventureux flairant l’horizon; les locomotives au grand poitrail, qui piaffent sur les rails, tels d’énormes chevaux d’acier bridés de longs tuyaux, et le vol glissant des aéroplanes, dont l’hélice a des claquements de drapeau et des applaudissements de foule enthousiaste. »

    Le futurisme est, dans les faits, un élitisme symboliste-décadentiste tourné vers les foules auparavant méprisées et niées. Le fait d’avoir publié le principal manifeste futuriste dans Le Figaro se situe d’ailleurs directement dans le prolongement de la publication du manifeste du symbolisme dans ce même quotidien.

    Le ton de Filippo Marinetti est empli de lyrisme forcené, à la fois véhément et incompréhensible, dans l’esprit d’Arthur Rimbaud.

    Aeroritratto di Mussolini aviatore par Alfredo Gauro Ambrosi, 1930

    Le grand paradoxe, incompréhensible pour les commentateurs bourgeois, est que le futurisme ultra-moderniste est directement issu du dandysme conservateur idéaliste et esthétisant.

    Voici comment Filippo Marinetti lui-même explique la naissance du futurisme :

    « Nous renions nos maîtres symbolistes, derniers amants de la lune (…). Nous avons tout sacrifié au triomphe de cette conception futuriste de la vie.

    A tel point qu’aujourd’hui nous haïssons, après les avoir infiniment aimés, nos glorieux pères intellectuels : les grands génies symbolistes Edgar Poe, Baudelaire, Mallarmé et Verlaine. »

    En France, nous avons une figure littéraire très connue qui correspond exactement à cette définition faite par Filippo Marinetti : Guillaume Apollinaire, qui par ailleurs vivait pareillement l’esthétisme dandy et l’ultra-nationalisme et dont la poésie est clairement futuriste, ce qui est toujours « oublié » par les commentateurs bourgeois.

    Voici comment Guillaume Apollinaire, dans la revue dont il était co-directeur, Les soirées de Paris, en février 1914, présente le futurisme :

    « La nouvelle technique des mots en liberté sortie de Rimbaud, de Mallarmé, des symbolistes en général et du style télégraphique en particulier, a, grâce à Marinetti, une grande vogue en Italie; on voit même quelques poètes l’employer en France sous forme de simultanéités semblables aux chœurs qui figurent dans les livrets d’opéra (…).

    Les mots en liberté, eux, peuvent bouleverser les syntaxes, les rendre plus souples, plus brèves; ils peuvent généraliser l’emploi du style télégraphique.

    Mais quant à l’esprit même, au sens intime et moderne et sublime de la poésie, rien de changé, sinon qu’il y a plus de rapidité, plus de facettes descriptibles et décrites, mais tout de même éloignement de la nature, car les gens ne parlent point au moyen de mots en liberté.

    Les mots en liberté de Marinetti amènent un renouvellement de la description et à ce titre ils ont de l’importance, ils amènent également un retour offensif de la description et ainsi ils sont didactiques et antilyriques.

    Certes, on s’en servira pour tout ce qui est didactique et descriptif, afin de peindre fortement et plus complètement qu’autrefois. Et ainsi, s’ils apportent une liberté que le vers libre n’a pas donnée, ils ne remplacent pas la phrase, ni surtout le vers: rythmique ou cadencé, pair ou impair, pour l’expression directe.

    Et pour renouveler l’inspiration, la rendre plus fraîche, plus vivante et plus orphique, je crois que le poète devra s’en rapporter à la nature, à la vie.

    S’il se bornait même, sans souci didactique, à noter le mystère qu’il voit ou qu’il entend, il s’habituerait à la vie même comme l’ont fait au dix-neuvième siècle les romanciers qui ont ainsi porté très haut leur art, et la décadence du roman est venue au moment même où les écrivains ont cessé d’observer la vérité extérieure qui est l’orphisme même de l’art. »

    On a ici un éloge du subjectivisme et de l’intervention dans la réalité, au moyen d’un art aux propriétés « magiques ». Il ne faut pas simplement contempler le « mystère », comme dans le symbolisme-décadentisme, mais le poursuivre, ou comme l’explique le manifeste futuriste publié dans Le Figaro, « La poésie doit être un assaut violent contre les forces inconnues, pour les sommer de se coucher devant l’homme ».

    Tout comme dans le théâtre de Luigi Pirandello, l’individu intervient dans la réalité en choisissant son « masque », sa personnalité, le futurisme appelle à l’intervention de manière impérieusement agressive, dans un sens « moderne », de renouvellement subjectiviste.

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  • Pirandello et l’esprit existentialiste

    La France a toujours possédé des liens étroits avec l’Italie. C’est une nation en quelque sorte cousine, si ce n’est sœur, et il est considéré que finalement la différence entre Français et Italiens ne tient qu’à quelques différences de tempérament, de mentalités. Historiquement, la figure de Benito Mussolini n’a ainsi jamais pu être prise au sérieux en France, pays où le classicisme et les Lumières ont amené une exigence de propreté formelle, de linéarité dans l’expression.

    Benito Mussolini apparaît pour cette raison, comme une figure de la commedia dell’arte, qu’on ne peut pas prendre au sérieux. Le fascisme italien est dévalué comme une sorte d’aventure foklorique propre à l’Italie, à placer au même niveau que les simulations des joueurs italiens de football ou les frasques de Silvio Berlusconi, l’entrepreneur qui a dirigé l’Italie pendant de longues années.

    Saisir le fascisme italien exige de sortir d’une telle approche totalement erronée, ne pas le faire étant céder aux préjugés. Le fascisme italien n’est pas un phénomène ridicule, folklorique, un coup de folie temporaire, un épiphénomène. Bien au contraire. 

    Il est une démarche visant à frapper les esprits et il a pu fasciner : il se présente, en effet, comme une philosophie de la vie, consistant à refuser la vie commode, avec un culte de l’expérience transcendante de l’aventurier, une fascination pour la camaraderie relevant de l’esprit légionnaire.

    Le fascisme se veut la solution aux problèmes moraux et sociaux, par l’unification des classes sociales au nom des intérêts de la nation, avec comme moteur une idéologie sociale communautaire de type catholique d’orientation nationale-syndicaliste. Quant aux masses, elles sont mobilisées en permanence, avec un élan général de la société vers la guerre, mise en scène comme l’aboutissement par excellence de la volonté de puissance, de la réalisation de l’individu.

    Le fascisme se veut la résolution aux questions « existentielles » de l’individu et ce qui frappe alors, lorsqu’on regarde la nature du fascisme italien, c’est son succès. Indéniablement, une large partie de l’opinion publique italienne s’est sentie galvanisée par l’idéal fasciste, par sa dynamique, son style.

    Le fascisme répondait bien à un besoin propre à la société italienne, avec ses caractéristiques. Par conséquent, si l’on veut comprendre le sens profond du fascisme italien, saisir les raisons qui font que la majorité de la population italienne a apprécié le fascisme, le soutenant ouvertement ou au moins tacitement, il faut porter son attention sur les mentalités propres à l’Italie d’alors.

    L’intérêt de regarder les œuvres du dramaturge italien Luigi Pirandello (1867-1936) réside dans le fait qu’il a été le plus grand auteur institutionnel du régime, alors que son œuvre avait été écrite principalement avant le fascisme et que c’est en connaissance de cause que cet auteur a rejoint Mussolini.

    Il y a ici une convergence, tout à fait similaire et parallèle à celle entre le fascisme et le mouvement artistique dénommé le futurisme. Il y a ici un individualisme psychologisant violent qui a été développé, parallèlement par Luigi Pirandello, le futurisme et le fascisme, se reconnaissant mutuellement, s’unifiant par moments, convergeant dans tous les cas.

    Quel est le moteur de cet individualisme psychologisant violent ? C’est, tout simplement, un dépassement du catholicisme lié à la féodalité porté par l’Italie su Sud. Le fascisme, tout comme le futurisme ou le théâtre de Luigi Pirandello, se sépare de ce catholicisme ; au sens strict, il s’agit ici de l’élaboration d’une idéologie de l’individu bourgeois capable d’indépendance, ayant une identité propre et en mesure de prendre seul ses décisions, dans le respect total des institutions, seule certitude existant, la personnalité n’étant que relative.

    C’est conforme aux besoins idéologiques de l’Italie du Nord, dominée par une bourgeoisie industrielle avide de modernisme décidant de faire en sorte que l’alliance avec la bourgeoisie propriétaire terrienne du Sud bascule en sa faveur.

    C’est ce « modernisme » qui donnera un écho d’« avant-garde » au futurisme et au théâtre de Luigi Pirandello, ce dernier étant présenté par les intellectuels bourgeois comme premier dramaturge « moderne » ; au sens strict, Samuel Beckett et Albert Camus ne sont de fait que de sous-Pirandello.

    Luigi Pirandello

    L’œuvre la plus représentative de celui-ci est intitulée Six personnages en quête d’auteur, qui date de 1921, soit juste avant la prise du pouvoir par le fascisme.

    On y retrouve une mise en abîme typique de Luigi Pirandello, auteur imprégné de baroque à l’italienne et dont le contenu idéologique des pièces ne remet absolument jamais l’ordre social en cause, tout en se focalisant sur une crise existentielle de l’identité.

    Dans cette pièce, on assiste à la mise en place d’une pièce de théâtre avec des acteurs, quand subitement arrivent des « personnages » devenus réels et demandant au metteur en scène de les « réaliser », l’auteur leur ayant donné naissance ayant abandonné le projet en cours de route.

    C’est alors le prétexte à une réflexion sur ce qu’est un individu, sur son identité, aux multiples possibilités qu’il peut réaliser ou pas. Le fascisme ne dit pas autre chose : la psychologie d’un individu consiste en ses choix, ses décisions, ses réalisations, dans une construction permanente.

    Voici par exemple une discussion entre le directeur du théâtre et un « personnage » :

    LE DIRECTEUR, s’adressant comme stupéfait et irrité à la fois aux acteurs. — Oh, mais vous savez qu’il faut un fameux toupet ! Quelqu’un qui se fait passer pour un personnage, venir me demander à moi qui je suis !

    LE PÈRE, avec dignité, mais sans hauteur. — Un personnage, monsieur, peut toujours demander à un homme qui il est. Parce qu’un personnage a vraiment une vie à lui, marquée de caractères qui lui sont propres et à cause desquels il est toujours « quelqu’un ». Alors qu’un homme – je ne parle pas de vous à présent – un homme pris comme ça, en général, peut n’être « personne ».

    LE DIRECTEUR. — Soit ! Mais vous me le demandez à moi qui suis le Directeur de ce théâtre ! Le Chef de troupe ! Vous avez compris ?

    LE PÈRE, presque en sourdine, avec une humilité mielleuse. — Je vous le demande seulement, monsieur, pour savoir si, vraiment, tel que vous êtes à présent, vous vous voyez… tel que vous voyez, par exemple, avec le recul du temps, celui que vous étiez autrefois, avec toutes les illusions que vous vous faisiez alors, avec, en vous et autour de vous, toutes les choses telles qu’elles vous semblaient être alors – et telles qu’elles étaient réellement pour vous ! – Eh bien, monsieur, en repensant à ces illusions que vous ne vous faites plus à présent, à toutes ces choses qui, maintenant, ne vous « semblent » plus être ce qu’elles « étaient » jadis pour vois, est-ce que vous ne sentez pas se dérober sous vos pieds, je ne dis pas les planches de ce plateau, mais le sol, le sol lui-même, à la pensée que, pareillement, « celui » que vous avez le sentiment d’être maintenant, toute votre réalité telle qu’elle est aujourd’hui est destinée à vous paraître demain une illusion ?

    LE DIRECTEUR, sans avoir très bien compris, effaré par cette argumentation spécieuse. — Et alors ? Où voulez-vous en venir ?

    LE PÈRE. — Oh, à rien, monsieur. Qu’à vous faire voir que si nous autres (il indique de nouveau lui-même et les autres personnages), nous n’avons pas d’autre réalité que l’illusion, vous feriez bien, vous aussi, de vous défier de votre réalité, de celle que vous respirez et que vous touchez en vous aujourd’hui, parce que – comme celle d’hier – elle est destinée à se révéler demain pour vous une illusion.

    LE DIRECTEUR, se décidant à prendre la chose en plaisanterie. — Ah, oui ! Et dites donc, pendant que vous y êtes, que vous-même, avec cette pièce que vous venez me jouer ici, vous êtes plus vrai et plus réel que moi !

    Chez Luigi Pirandello, un « personnage » ne consiste qu’en un rôle, une attitude, une histoire, de manière bien précise. Mais la vie elle-même est un théâtre où chaque individu peut avoir une infinité de masques, de personnages.

    La vie fuit ainsi, inlassablement ; voilà pourquoi la seule possibilité qu’il y a à être réellement vivant, c’est de choisir de manière perpétuelle, de prendre un masque qu’on considère le meilleur. C’est là la philosophie du fascisme, et l’existentialisme ne dit pas autre chose.

    La pièce La volupté de l’honneur est du même acabit : un homme désargenté accepte de jouer le jeu d’être un mari virtuel pour une femme tombée enceinte, son amant étant déjà marié et ne pouvant divorcer dans le cadre de la société italienne de l’époque. Le mari virtuel se prend au jeu et finalement est accepté par la femme comme le véritable mari, dans un désordre psychologique où, à chaque étape, l’esprit doit « choisir » quel personnage il veut être.

    Luigi Pirandello

    Toutes les œuvres de Luigi Pirandello se fondent sur ce même relativisme individuel, comme par exemple avec la pièce Così è (se vi pare) – « Cela est (comme il vous paraît) », traduit en français par Chacun sa vérité.

    Une femme enfermée par son mari se tient à la balustrade de son appartement, communiquant avec sa mère par un panier tendu par une ficelle. Le mari dit que c’est sa seconde femme et que la mère est en réalité la mère de sa première femme, la mère prétend que son beau-fils est fou, quant à la femme elle prétend que les deux ont raison ! C’est le choix qu’elle a fait d’accepter les deux vérités qui deviennent « sa » vérité…

    Dans la pièce Ciascuno a suo modo, Chacun à sa guise, on a pareillement une femme désireuse d’échapper à son mariage en trompant son fiancé qui tombe « réellement » amoureux de la personne avec qui elle est sortie pour provoquer une rupture, qui est le fiancé de la sœur de son fiancé. Dans la seconde partie, des gens se reconnaissent dans la pièce et cela provoque un conflit d’identités sans fin, jusqu’à ce qu’un couple se forme, par « choix » de rendre réel ce qui n’avait été qu’un « jeu ».

    Dans Henri IV, des gens jouant à représenter la cour découvrent qu’à la suite d’une chute, la personne jouant Henri IV s’imagine par la suite l’être vraiment. A un moment il guérit, mais tellement de temps a passé qu’il préfère secrètement continuer à jouer son rôle, afin de trouver une place dans la société en continuant tel quel.

    Dans Un, personne et cent mille, roman datant de 1924, le personnage principal, un jeune rentier, décide de changer de vie après que sa femme lui ait fait remarquer qu’il a le nez un peu de travers. Toute l’image qu’il a de lui-même en est perturbée.

    On retrouve déjà cette approche dans Feu Mathias Pascal, roman de 1904 où un homme abandonne tout en raison de ses dettes et fait fortune à la roulette, avant de s’apercevoir qu’on le croit mort. Il mène une nouvelle vie, tombe amoureux mais abandonne tout en raison de son absence de papiers. Retourné au pays, il apprend que sa femme s’est remariée et il écrit alors son autobiographie, consistant en le roman lui-même.

    Toutes les œuvres de Luigi Pirandello, nombreuses, suivent cette démarche, dont la vision du monde est précisément celle de l’existentialisme fasciste, avec le mouvement vital devant être canalisé.

    Luigi Pirandello résumera cela ainsi :

    « L’art est le règne de la création achevée, tandis que la vie se développe, comme le veut sa loi, dans une variation infinie et un changement perpétuel.

    Chacun de nous cherche à se créer lui-même, à réaliser sa propre vie au moyen des mêmes facultés spirituelles que le poète créant l’oeuvre d’art ; et effectivement, plus un individu est doué de telles facultés et mieux il sait les employer, plus il réussit à s’élever à un niveau supérieur et à y établir sa vie dans une consistance durable. »

    On choisit sa vie, en toute connaissance de cause, on choisit qui on est, comment on est, grâce à une subjectivité toute-puissante, permettant de devenir qui on a choisi d’être. C’est là la base précise du fascisme italien.

    =>Retour au dossier sur l’Italie fasciste et l’antifascisme

  • François Mitterrand et le rapport entre réaction et Ve République

    François Mitterrand ne défend pas le régime de IVe République dans Le coup d’État permanent ; au contraire il s’en moque de manière lyrique :

    « Dans une société universelle où il ne se serait rien passé, où il n’y aurait eu ni Amérique, ni Russie, ni ouvriers, ni patrons, ni colonies, ni émancipation, ni bombe atomique, ni rampe de lancement, ni monnaie, ni prix, ni air, ni eau, ni feu, notre politique eût été admirable.

    On l’eût offerte en exemple au monde puisque rien ne pouvait le surprendre.

    Mais de l’événement, que faire? Indochine, Tunisie, Maroc, Algérie, salaires, franc, cela bougeait, menaçait, corrompait l’équilibre le plus savant. »

    Fin observateur, il n’en remarque que mieux l’alliance des deux courants réactionnaires derrière de Gaulle : celui se plaçant derrière de Gaulle dès 1940 et celui en mode « impérial » n’ayant fait un volte-face pro-Allié qu’en 1942-1943.

    Il raconte une anecdote révélatrice à ce sujet.

    « Je me souviens de cette nuit tragique et douce du 25 août 1944. Avec les responsables de la Résistance j’attendais à la préfecture de police les détachements avancés de la division Leclerc.

    Nous étions là, par petits groupes dans les embrasures des fenêtres, qui guettions l’arrivée de nos frères victorieux. Par la coulée de la Seine, le ciel, jusqu’aux limites de l’Occident, ressemblait, étoiles d’or sur champ bleu, au manteau de Saint Louis.

    Minuit sonna. J’aurais aimé qu’un symbole supplémentaire vint s’ajouter à la solennité de l’heure. Il me semblait que le cortège des grandeurs, que le cortège des douleurs venus des profondeurs de notre Histoire allaient enfin se rencontrer pour se fondre dans l’unité de notre peuple.

    Il n’y avait plus de Français humiliés ni de gloire à glaner contre son propre frère. La grâce obscure des veilles héroïques pénétrait le cœur de Paris.

    Soudain des coups de feu trouèrent le silence. Des adversaires invisibles achevaient leur combat. Boulevard Saint-Michel des chars «Tigre» protégeaient la retraite des derniers traînards allemands. On nous apprit que l’avant-garde alliée n’atteindrait la porte d’Orléans que le lendemain matin.

    Au petit jour comme je rentrais chez les amis qui m’hébergeaient, je croisai, rue Danton, un ancien camarade de la Sorbonne qui vint vers moi.

    Lui aussi avait vécu, éveillé, cette nuit de la Libération. Lui aussi avait rêvé aux riches heures du destin français.

    Mais quand je lui dis : «De Gaulle arrivera demain», son visage se ferma. Il me répondit seulement : «Demain, la dissidence de 1940 liquidera l’Empire.»

    Et voilà cependant que, quatorze ans plus tard, les deux factions rivales découvraient que leur commune haine de la République était plus forte et plus vivace que les rancœurs de leur longue querelle.

    Sans doute chacun des conjurés nourrissait-il l’espoir d’écarter l’autre du bénéfice de la victoire. Sans doute lorsque l’heure en viendra, le règlement de comptes un moment délaissé pour l’entreprise séditieuse s’achèvera-t-il inexpiablement.

    Mais comment oublier qu’à l’heure où la République était à leur merci, taisant aussi bien leurs souvenirs que leurs ambitions, ils se sont engagés du même pas sur le petit bout de chemin qui mène au coup d’Etat? »

    Seulement, cette dénonciation de la réaction va se muer en critique de de Gaulle seulement. Car François Mitterrand croit en la neutralité de l’État et même, s’il devient socialiste par la suite, c’est pour protéger, finalement, l’État d’influences extérieures trop marquées.

    François Mitterrand dit ainsi, de manière fort juste :

    « En remplaçant la représentation nationale par l’infaillibilité du chef, le général de Gaulle concentre sur lui l’intérêt, la curiosité, les passions de la nation et dépolitise le reste. »

    On peut très bien y voir une dénonciation de la Ve République en général, ce qui serait juste. Le présidentialisme personnalise et dépolitise. Seulement, porté lui-même par l’impérialisme français, François Mitterrand ne pouvait que réduire la dimension réactionnaire à de Gaulle.

    Il faut pour bien cerner cela lire la citation dans son ensemble, où François Mitterrand dénonce une technocratie d’État tolérant de Gaulle – il ne voit pas l’État comme un bloc, mais un objet neutre victime de projections autoritaires.

    « Au sein de l’administration il [=le technocrate] connaît ses plus belles heures. La camaraderie de promotion préférée à l’esprit d’obéissance, un réseau d’ambitions toutes neuves enserre la vie nationale.

    Une affaire que ne parviennent pas à régler entre eux les ministres ou les super-préfets, leurs chefs de cabinet, s’ils proviennent de l’E.N.A., la résolvent au téléphone.

    La technocratie administrative s’est ralliée à la victoire gaulliste mais ne s’est ralliée qu’à la victoire. Elle supporte, elle subit, elle accepte, elle exécute, elle profite mais elle n’aime pas.

    Ce qu’elle aime, c’est l’Etat, un Etat-symbole dont elle assume la fonction. En quête de l’Etat elle se figure qu’aux lieu et place des hommes et des partis politiques qui se querellent et s’annulent, du Parlement qui se soumet, des complots qui se trament, elle seule représente l’absent. Elle est comme le régent d’un royaume dont l’héritier mineur ne grandira jamais. Gardienne d’un principe, elle ne prépare l’avènement de personne.

    Et peu à peu elle s’invente un monde imaginaire où les individus sont contribuables, automobilistes, piétons, assujettis à la Sécurité sociale, usagers du métro, visiteurs de musée ou de zoo, jamais citoyens responsables, où le peuple n’est que la toile de fond d’une scène sur laquelle parlent et bougent, meneurs de jeu, les initiés.

    Pour l’heure, le gaullisme, qui ne l’a pas séduite, lui convient.

    En substituant l’infaillibilité du chef à la responsabilité de la représentation nationale, le général de Gaulle concentre sur lui l’intérêt, la curiosité, les passions de la Nation et dépolitise le reste.

    Or, la technocratie administrative déteste et jalouse la politique, vierge folle qui court et musarde hors du logis, tandis qu’elle, vierge sage, tient la maison. »

    Cette réduction des défauts de la Ve République à de Gaulle va être d’autant plus fort que le gaullisme va mettre en place à partir de 1960 le Service d’Action Civique (SAC), avec un mélange de gaullistes, de truands, d’agents des services et de policiers, etc.

    Les « barbouzes » agissent au service du gaullisme en maniant le chantage, le trafic de drogues l’extorsion de fond, le vol, le trafic d’armes le blanchiment d’argent sale, même le meurtre, etc., en étant souvent couverts par la police voire les services secrets, etc.

    Combattre le gaullisme devient alors une priorité et l’analyse concrète du régime disparaît alors, avec une soumission à cette forme parfaitement en phase avec la nature de l’impérialisme français.

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  • François Mitterrand et la Ve République comme France «personnalisée»

    Dans Le coup d’État permanent publié en 1964, François Mitterrand ne s’attaque pas tant au régime dans sa structure que dans sa forme impliquant une personnalisation du pouvoir. L’œuvre, écrite de manière très stylisée, condamne ainsi la tendance française à se précipiter dans les bras d’un sauveur. Voici comment cela est formulé notamment :

    Ainsi va la France «personnalisée». Je connais des Français qui s’en émerveillent, qui ne sont pas choqués de voir leur Patrie réduite aux dimensions d’un homme, fût-il de belle envergure, et qui se réjouissent d’avoir renoncé à exercer pleinement leurs droits de citoyens responsables.

    Ces Français-là s’ennuyaient sans de Gaulle.

    Certains républicains avaient besoin de la petite excitation des crises ministérielles. Eux ont du vague à l’âme dès qu’ils sont privés du frisson que leur procure le meilleur artiste de la Télévision, le dernier des monstres sacrés. Il leur plaît de constater que Staline, Roosevelt, Kennedy et Churchill éliminés par la mort ou par la vieillesse, la France reste le seul des grands pays dirigé par un premier rôle patenté.

    Serait-elle privée du général de Gaulle que la France les intéresserait moins ou plus du tout. Ils redeviendraient ce qu’ils étaient, foncièrement, naturellement inaptes à la démocratie.

    L’Histoire fabriquée par les grands hommes, délimitée par les dates de batailles, l’avènement d’un roi, le mariage d’une princesse, la disgrâce d’un ministre, réveillée par un coup d’Etat, coulée dans le moule d’une dynastie, voilà comment ils l’aiment.

    La lente maturation d’un peuple, l’anonymat du progrès, la lutte des classes, la vocation du plus grand nombre à éloigner de la scène les personnages qui monopolisent l’attention de leur temps avec un immuable numéro de prestidigitation, cela manque, pour leur goût, de piment.

    Ils ne distinguent plus la France dans ce qui leur apparaît comme une mêlée confuse. Ils ont hâte de voir une tête dépasser le rang, et d’obéir à la vieille musique du droit divin tirée de la mythologie du moment.

    L’approche est d’esprit démocratique-bourgeoise, sur un mode très exigeant et François Mitterrand n’hésite pas à qualifier le gaullisme de sorte de variété affaiblie du fascisme :

    En 1958, le gaullisme, variété hybride et édulcorée du virus qui faillit naguère emporter l’Occident, avait, il faut l’admettre, de quoi rassurer les républicains. Son astuce fut d’amener ceux-ci à le considérer comme un moindre mal, danger bénin auprès du péril mortel figuré par les communistes («Jules Moch fait distribuer des armes aux milices populaires! ») et par le putsch militaire (« Si vous n’avez pas le général vous aurez les colonels!»).

    D’où, finalement, une critique du régime lui-même, présenté comme une sorte de monarchie où le roi est élu dans un esprit plébiscitaire. La critique est juste, elle cogne adéquatement :

    Qu’est-ce que la V e République sinon la possession du pouvoir par un seul homme dont la moindre défaillance est guettée avec une égale attention par ses adversaires et par le clan de ses amis?

    Magistrature temporaire? Monarchie personnelle? Consulat à vie? pachalik? Et qui est-il, lui, de Gaulle? duce, führer, caudillo, conducator, guide? A quoi bon poser ces questions?

    Les spécialistes du Droit constitutionnel eux-mêmes ont perdu pied et ne se livrent que par habitude au petit jeu des définitions.

    J’appelle le régime gaulliste dictature parce que, tout compte fait, c’est à cela qu’il ressemble le plus, parce que c’est vers un renforcement continu du pouvoir personnel qu’inéluctablement il tend, parce qu’il ne dépend plus de lui de changer de cap.

    Je veux bien que cette dictature s’instaure en dépit de de Gaulle.

    Je veux bien, par complaisance, appeler ce dictateur d’un nom plus aimable : consul, podestat, roi sans couronne, sans chrême et sans ancêtres.

    Alors, elle m’apparaît plus redoutable encore.

    François Mitterrand se fait ici le héraut de toute une tradition démocratique-bourgeoise, allant du centre, de la franc-maçonnerie, aux socialistes à la Jean Jaurès. Sa base est la petite-bourgeoisie intellectuelle, mais également la bourgeoisie libérale, les syndicats, les cadres intermédiaires et les techniciens.

    C’est une opposition qui cherche à se positionner uniquement contre de Gaulle comme symbole du pouvoir personnel, ayant par contre capitulé sur la nature anti-démocratique de l’entreprise en général, considérant qu’il ne serait pas possible de renverser entièrement la tendance.

    La ligne du Parti Socialiste et du Parti Communiste Français se situent à partir de 1958 exactement sur cette ligne. Il s’agit simplement de contrer la dynamique réactionnaire cherchant à utiliser la Ve République. La remise en cause complète de la Ve République n’est pas considérée comme une option réalisable.

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  • François Mitterrand, principal opposant à de Gaulle

    François Mitterrand publia en 1964 un ouvrage intitulé Le coup d’État permanent, qui dénonçait vigoureusement le gaullisme comme système politique utilisant le régime pour pratiquer une dictature masquée.

    Voici comment il raconte le coup de force de de Gaulle pour amener l’élection présidentielle à passer par le suffrage universel :

    Le déroulement de cette querelle vaut d’être conté : il montrera jusqu’où va la corruption du système. En juin 1962 le bruit se répandit dans les milieux politiques que le général de Gaulle songeait à obtenir du peuple qu’il décidât qu’à l’avenir l’élection du président de la République se fît au suffrage universel. On murmurait en même temps qu’en dépit des dispositions constitutionnelles en vigueur le chef de l’Etat s’adresserait directement à la Nation en ignorant le Parlement.

    Certaines personnalités s’émurent de cette dernière information. M. Paul Reynaud se rendit chez le Premier Ministre et en revint rassuré au point de déclarer à la presse qu’il savait de source sûre «qu’il n’y aurait pas de viol de la Constitution». Le président du Conseil constitutionnel, M. Léon Noël, interrogé par M. Monnerville, opina dans le même sens.

    Et au Sénat, lors d’un débat sur ce sujet, le secrétaire d’Etat, M. Dumas, qui représentait le gouvernement, jura ses grands dieux qu’il n’était pas question d’une révision et que si par extraordinaire le président de la République était amené à prendre une initiative en la matière ce ne serait, évidemment et par définition, que dans l’observance la plus stricte de la Constitution. L’alerte passée, le Parlement respira.

    Puis il y eut l’attentat du Petit-Clamart [contre de Gaulle]. Et l’offensive présidentielle se précisa. Fin septembre, un projet de loi portant révision de l’article 6 qui concerne les conditions d’élection du président de la République fut communiqué pour information au Conseil constitutionnel.

    Mais l’examen du texte horrifia si fort nos conseillers suprêmes que, par un réflexe inattendu, ils cherchèrent d’abord refuge du côté de la dignité. Un mémorable 2 octobre fut leur jour de gloire et de misère. Prêts, le matin, à mourir pour la loi ils votèrent par 7 voix contre 4 un avis qui condamnait la procédure envisagée et qui récusait à l’avance la validité de la consultation populaire.

    Puis ils suspendirent leur séance pour permettre à M. Léon Noël d’exposer leurs motifs au général de Gaulle. Las! Un quart d’heure plus tard le téméraire président, livide, l’oreille basse, rapportait à ses collègues que le chef de l’Etat s’était, pour tout potage, contenté de formuler en trois mots une assez peu flatteuse appréciation sur leur haute assemblée aussi bien que sur la qualité de leurs travaux.

    Le plus haut magistère de la Ve République ne se le fit pas dire deux fois, leva la barricade et partit se coucher. Le référendum eut lieu le 28 octobre et par près de 65 % des suffrages le général de Gaulle obtint gain de cause.

    Aussitôt le président du Sénat, usant du droit que lui confère l’article 61, déféra au Conseil constitutionnel et avant sa promulgation la loi référendaire, afin que cette loi fût déclarée non conforme à la Constitution. Derechef le Conseil se réunit.

    Mais cette fois-ci, toujours par 7 voix contre 4 et M. Michard-Pélissier gardien prototype de la loi étant rapporteur, il revint, toute honte bue, sur son avis du 2 octobre (avec d’autant plus de sérénité que cet avis n’a jamais été publié et n’est pas près de l’être – à moins que l’analyse que j’en donne ici n’oblige ses auteurs ou à démentir mon propos, ou, par leur silence, à le confirmer).

    Vient à l’esprit le mot de Chateaubriand : «Il y a des temps où l’on ne doit dépenser le mépris qu’avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux.»

    Et concluons avec M. Monnerville : «Si le Conseil constitutionnel n’a pas compétence pour apprécier une violation si patente et si grave de la Constitution, qui l’aura dans notre pays? En se déclarant incompétent, dans une conjoncture capitale pour l’avenir des institutions républicaines, il vient de se suicider.»

    François Mitterrand fut alors la principale figure dénonçant la collusion complète de tous les niveaux de l’appareil d’État avec le gaullisme. Il n’y avait plus aucun espace pour une opposition quelconque.

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  • La Ve République et l’introduction d’un président plébiscitaire

    Très rapidement, l’aura de de Gaulle s’est atténuée et celui-ci a décidé de modifier l’élection présidentielle. Sa logique était qu’un parti prédominerait dans l’ensemble des institutions, mais ses exigences de dépolitisation s’avéraient un rêve réactionnaire.

    Aussi décida-t-il de modifier l’élection du président de la République, ce qu’il annonça dans une allocution télévisée le 20 septembre 1962. C’est là quelque chose de très important, car de Gaulle pose la légitimité de ses successeurs. Il explique ouvertement que seul un plébiscite peut leur apporter suffisamment de crédibilité.

    On passe ainsi d’un régime autoritaire défensif, arc-bouté sur son corporatisme municipal et choisissant le président, à un régime autoritaire offensif, avec un président-stratège déterminant les orientations au lieu de simplement les refléter.

    Avec cela, le régime passe d’un formalisme conservateur à une ligne de fuite en avant permanente portée par le président.

    Voici comment de Gaulle présente ce qui est, de fait, une exigence de sa part :

    Depuis que le peuple français m’a appelé à reprendre officiellement place à sa tête, je me sentis naturellement obligé de lui poser, un jour, une question qui se rapporte à ma succession, je veux dire celle du mode d’élection du chef de l’État. Des raisons que chacun connaît m’ont récemment donné à penser qu’il pouvait être temps de le faire.

    Qui donc aurait oublié quand, pourquoi, comment, fut établie notre Constitution ? Qui ne se souvient de la mortelle échéance devant laquelle se trouvaient, en mai 1958, le pays et la République en raison de l’infirmité organique du régime d’alors ?

    Dans l’impuissance des pouvoirs, apparaissaient, tout à coup, l’imminence des coups d’État, l’anarchie généralisée, la menace de la guerre civile, l’ombre de l’intervention étrangère. Comme tout se tient, c’est au même moment que s’ouvrait devant nous le gouffre de l’effondrement monétaire, financier et économique.

    Enfin, ce qu’il y avait d’absurde et de ruineux dans le conflit algérien, après la guerre d’Indochine et à l’annonce de graves déchirements  dans l’ensemble de l’Afrique noire, démontrait la nécessité de changer en coopération de pays indépendants les rapports qui liaient la France et ses colonies, tandis que le système tâtonnant et trébuchant des partis se trouvait hors d’état de trancher ce qui devait l’être et de maîtriser les secousses qu’une pareille transformation allait forcement susciter.

    C’est alors qu’assumant de nouveau le destin de la patrie, j’ai, avec mon Gouvernement, proposé au pays l’actuelle Constitution. Celle-ci, qui fut adoptée par 80 % des votants, a maintenant quatre ans d’existence. On peut donc dire qu’elle a fait ses preuves.

    La continuité dans l’action de l’État, la stabilité, l’efficacité et l’équilibre des pouvoirs, ont remplacé, comme par enchantement, la confusion chronique et les crises perpétuelles qui paralysaient le système d’hier, quelle que pût être la valeur des hommes. Par là même, portent maintenant leurs fruits le grand effort et le grand essor du peuple français.

    La situation de la France au-dedans et au-dehors a marqué d’éclatants progrès, reconnus par le monde entier, sans que les libertés publiques en aient été aliénées. Le grave et pénible problème e la décolonisation a été, notamment, réglé. Certes, l’oeuvre que nos avons encore à accomplir est immense, car, pour un peuple, continuer de vivre c’est continuer d’avancer.

    Mais personne ne croit sérieusement que nous pourrions le faire si nous renoncions à nos solides institutions. Personne, au fond, ne doute que notre pays se trouverait vite jeté à l’abîme, si par malheur nous le livrions de nouveau aux jeux stériles et dérisoires d’autrefois.

    Or, la clé de voûte de notre régime, c’est l’institution nouvelle d’un Président de la République désigné par la raison et le sentiment des Français pour être le chef de l’État et le guide de la France. Bien loin que le président doive, comme naguère, demeurer confiné dans un rôle de conseil et de représentation, la Constitution lui confère, à présent, la charge insigne du destin de la France et de celui de la République.

    Suivant la Constitution, le président est, en effet, garant – vous entendez bien ?  garant – de l’indépendance et de l’intégrité du pays, ainsi que des traités qui l’engagent. Bref, il répond de la France.

    D’autre part, il lui appartient d’assurer la continuité de l’État et le fonctionnement des pouvoirs.

    Bref, il répond de la République.

    Pour porter ces responsabilités suprêmes, il faut au chef de l’État des moyens qui soient adéquats. La Constitution les lui donne. C’est lui qui désigne les ministres et, d’abord, choisit le premier. C’est lui qui réunit et préside leurs Conseils. C’est lui, qui, sur leur rapport, prend, sous forme de décrets ou d’ordonnances, toutes les décisions importantes de l’État. C’est lui qui nomme les fonctionnaires, les officiers, les magistrats.

    Dans les domaines essentiels de la politique extérieure et de la sécurité nationale, il est tenu à une action directe, puisqu’en vertu de la Constitution, il négocie et conclut les traités, puisqu’il est le chef des armées, puisqu’il préside à la défense.

    Par-dessus tout, s’il arrive que la patrie et la République soient immédiatement en danger, alors le Président se trouve investi en personne de tous les devoirs et de tous les droits que comporte le salut public.

    Il va de soi que l’ensemble de ces attributions, permanentes ou éventuelles, amène le Président à inspirer, orienter, animer l’action nationale. Il arrive qu’il ait à la conduire directement, comme je l’ai fait, par exemple, dans toute l’affaire algérienne.

    Certes, le Premier ministre et ses collègues ont, sur la base ainsi tracée, à déterminer à mesure la politique et à diriger l’administration. Certes, le Parlement délibère et voit les lois, contrôle le gouvernement et a le droit de le renverser, ce qui marque le caractère parlementaire du régime.

    Mais, pour pouvoir maintenir, en tout cas, l’action et l’équilibre des pouvoirs et mettre en oeuvre, quand il le faut, la souveraineté du peuple, le président détient en permanence la possibilité de recourir au pays, soit par la voie du référendum, soit par celle de nouvelles élections, soit par l’une et l’autre à la fois.

    En somme, comme vous le voyez, un des caractères essentiels de la Constitution de la Ve République, c’est qu ‘elle donne une tête à l’État. Aux temps modernes, où tout est si vital, si rude, si précipité, la plupart des grands pays du monde -. États-Unis, Russie, Grande-Bretagne, Allemagne, etc., en font autant, chacun à sa manière. Nous le faisons à la nôtre, qui est, d’une part démocratique et, d’autre part, conforme aux leçons et aux traditions de notre longue histoire.

    Cependant, pour que le Président de la République puisse porter et exercer effectivement une charge pareille, il lui faut la confiance explicite de la nation.

    Permettez-moi de dire qu’en reprenant la tête de l’État, en 1958, je pensais que pour moi-même et à cet égard, les événements de l’Histoire avaient déjà fait le nécessaire. En raison de ce que nous avons vécu et réalisé ensemble, à travers tant de peines, de larmes et de sang, mais aussi avec tant d’espérances, d’enthousiasmes et de réussites, il y a entre vous, Françaises, Français, et moi-même un lien exceptionnel qui m’investit et qui m’oblige.

    Je n’ai donc pas attaché, alors, une importance particulière aux modalités qui allaient entourer ma désignation, puisque celle-ci était d’avance prononcée par la force des choses. D’autre part, tenant compte de susceptibilités politiques, dont certaines étaient respectables, j’ai préféré, à ce moment-là, qu’il n’y eût pas à mon sujet une sorte de plébiscite formel. Bref, j’ai alors accepté que le texte initial de notre Constitution soumit l’élection du président à un collège relativement restreint d’environ 80 000 élus.

    Mais, si ce mode de scrutin ne pouvait, non plus qu’aucun autre, fixer mes responsabilités à l’égard de la France, ni exprimer à lui seul la confiance que veulent bien me faire les Français, la question serait très différente pour ceux qui, n’ayant pas nécessairement reçu des événements la même marque nationale, viendront après moi, tour à tour, prendre le poste que j’occupe à présent.

    Ceux-là, pour qu’ils soient entièrement en mesure et complètement obligés de porter la charge suprême, quel que puisse être son poids, et qu’ainsi notre République continue d’avoir une bonne chance de demeurer solide, efficace et populaire en dépit des démons de nos divisions, il faudra qu’ils en reçoivent directement mission de l’ensemble dés citoyens.

    Sans que doivent être modifiés les droits respectifs, ni les rapports réciproques des pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire, tels que les fixe la Constitution, mais en vue de maintenir et d’affermir dans l’avenir nos institutions vis-à-vis des entreprises factieuses, de quelque côté qu’elles viennent, ou bien des manœuvres de ceux qui, de bonne ou de mauvaise foi, voudraient nous ramener au funeste système d’antan, je crois donc devoir faire au pays la proposition que voici : quand sera achevé mon propre septennat, ou si la mort ou la maladie l’interrompaient avant le terme, le Président de la République sera dorénavant élu au suffrage universel.

    Sur ce sujet, que touche tous les Français, par quelle voie convient-il que le pays exprime sa décision ? Je réponds : par la plus démocratique, la voix de référendum. C’est aussi la plus justifiée, car la souveraineté nationale appartient au peuple et elle lui appartient évidemment, d’abord, dans le domaine constituant.

    D’ailleurs, c’est du vote de tous les citoyens qu’a procédé directement notre actuelle Constitution. Au demeurant, celle-ci spécifie que le peuple exerce sa souveraineté, soit par ses représentants, soit par le référendum.

    Enfin, si le texte prévoit une procédure déterminée pour le cas où la révision aurait lieu dans le cadre parlementaire, il prévoit aussi, d’une façon très simple et très claire, que le Président de la République peut proposer au pays, par voie de référendum, « tout projet de loi » — je souligne « tout projet de loi » — « portant sur l’organisation des pouvoirs publics », ce qui englobe évidemment, le mode d’élection du président.

    Le projet que je me dispose à soumettre au peuple français le sera donc dans le respect de la Constitution que, sur ma proposition, il s’est à lui-même donnée.

    Françaises, Français, en cette périlleuse époque et en ce monde difficile, il s’agit de faire en sorte, dans toute la meure où nous le pouvons, que la France vive, qu’elle progresse, qu’elle assure son avenir.

    C’est pourquoi, en vous proposant, avant peu, de parfaire les institutions nationales sur un point dont, demain, tout peu dépendre, je crois en toute conscience bien servir notre pays. Mais, comme toujours je ne peux et ne veux rien accomplir qu’avec votre concours. Comme toujours, je vais donc bientôt vous le demander. Alors, comme toujours, c’est vous qui en déciderez.

    Vive la République !
    Vive la France !

    La démarche de de Gaulle relevait directement du coup de force, car légalement il ne pouvait demander cela, ni proposer directement un référendum. Une modification de la constitution exigeait un appui parlementaire aux 3/5e ou un référendum appuyé par le parlement. De Gaulle contournait pourtant le problème en mettant en place un référendum législatif d’initiative gouvernementale.

    Le président du Sénat, Gaston Monnerville, accusa pour cette raison le premier ministre Georges Pompidou de « forfaiture ». La crise fut d’ailleurs immédiate, le gouvernement renversé, mais rien n’y fit.

    En octobre 1962, avec une participation de quasiment 80 %, 62,25 % soutinrent le nouveau type d’élection. La cour constitutionnelle ne s’opposa jamais à de Gaulle, qui fut réélu président en 1965, avec 44,65 % des voix au premier tour (31,72 % pour François Mitterrand et 15,57 % pour le centriste Jean Lecanuet), puis 55,20 % au second tour (44,80 % pour François Mitterrand).

    François Mitterrand se posa alors comme le principal opposant au régime de la Ve République.

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  • La Ve République et le parlement perpétuellement constitutionnel

    La Ve République dispose d’un axe très particulier, puisque la constitution n’est jamais réellement fixée, le parlement ayant des prérogatives largement constitutionnelles. C’est un fait un parlement perpétuellement constitutionnel.

    La constitution laisse en suspens toute une série d’aspects essentiels définissant la réalité nationale. Tout peut être changé par la loi, donc par le parlement, comme le formule l’article 34 :

    La loi est votée par le Parlement.

    La loi fixe les règles concernant :

    — les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; les sujétions imposées par la Défense Nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ;

    — la nationalité, l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ;

    — la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l’amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ;

    — l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d’émission de la monnaie.

    La loi fixe également les règles concernant :

    — le régime électoral des assemblées parlementaires et des assemblées locales ;

    — la création de catégories d’établissements publics ;

    — les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’Etat ;

    — les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé.

    La loi détermine les principes fondamentaux :

    — de l’organisation générale de la Défense Nationale ;

    — de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ;

    — de l’enseignement ;

    — du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ;

    — du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale.

    Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.

    Des lois de programme déterminent les objectifs de l’action économique et sociale de l’Etat.

    Ce que cela signifie, c’est que la Ve République n’a pas de valeurs qui lui soient innées ; c’est une constitution proposant seulement un mode de fonctionnement. C’est là un aspect essentiel de l’organisation bourgeoise d’un pays impérialiste devant être capable de s’adapter.

    La Ve République est le régime le plus adapté à la France, pays impérialiste de grande envergure mais agissant au-dessus de ses moyens et devant être capable de se recentrer suivant les besoins.

    Le régime s’appuie pour cette raison sur un centre de gravité présidentiel, avec un président comme premier consul et un gouvernement qui en est dépendant. Les lois réalisées sont directement politiques, et par conséquent placées dans l’orbite de la reconnaissance institutionnelle – ce qui revient à les relier au président.

    On a ainsi un corporatisme municipal produisant un président servant de premier consul « apolitique » ayant le rôle d’interface pour un gouvernement placé dans son giron et menant une politique pouvant partir dans n’importe quelle direction.

    Pour appuyer cette tendance, le gouvernement peut même demander au parlement qu’il se mette de côté, en procédant par ordonnances pour un certain temps. Le parlement doit donc se plier, le cas échéant, à la pression du gouvernement, il doit s’effacer.

    Le parlement est de toutes façons lui-même paralysé dans son initiative, de par sa nature double. Il y a en effet une assemblée nationale avec des députés élus directement et un sénat avec des élections indirectes.

    Or, le sénat, composé d’élus indirects issus des collectivités territoriales, exprime lui-même un corporatisme municipal strictement parallèle au président. Donc, même si l’assemblée nationale, qui compose la principale partie du parlement, veut aller de l’avant, étant donné que le sénat doit normalement valider ce qu’elle veut, cela provoque un obstacle de taille, contournable mais difficilement, et avec du temps.

    C’est là un régime fondamentalement autoritaire, sans aucune garantie à aucun niveau. La constitution de la Ve République ne dit strictement rien, elle n’établit rien, elle ne définit rien.

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  • La nature consulaire de la Ve République

    Le président a, dans le cadre de la Ve République, une place centrale ; tout passe par lui. La constitution de 1958 exige ainsi que le président valide les lois ainsi que les décisions gouvernementales. S’il ne valide pas, et rien ne l’oblige à cela, il bloque la chaîne.

    Bien entendu, il peut accepter à contre-cœur, pour ne pas gripper la machine. Mais son positionnement dans l’appareil d’État en fait une plaque tournante, et pour cette raison un intermédiaire inévitable, neutralisant immanquablement la portée de tout processus.

    Tout devant passer par le président, il faut au minimum s’en accommoder. Pour bien appuyer ce fait, il y a de toute manière son élection. Ce « premier consul » n’est pas élu par le peuple dans la conception originelle. Il ne serait sinon pas l’incarnation organique de la nation. C’est pourquoi il est élu par un collège électoral.

    Ces représentants sont :

    — le maire pour les communes de moins de 1.000 habitants ;

    — le maire et le premier adjoint pour les communes de 1.000 à 2.000 habitants ;

    — le maire, le premier adjoint et un conseiller municipal pris dans l’ordre du tableau pour les communes de 2.001 à 2.500 habitants ;

    — le maire et les deux premiers adjoints pour les communes de 2.501 à 3.000 habitants ;

    — le maire, les deux premiers adjoints et trois conseillers municipaux pris dans l’ordre du tableau pour les communes de 3.001 à 6.000 habitants ;

    — le maire, les deux premiers adjoints et six conseillers municipaux pris dans l’ordre du tableau pour les communes de 6.001 à 9.000 habitants ;

    — tous les conseillers municipaux pour les communes de plus de 9.000 habitants ;

    — en outre, pour les communes de plus de 30.000 habitants, des délégués désignés par le conseil municipal à raison de un pour 1.000 habitants en sus de 30.000.

    Dans les territoires d’Outre-Mer de la République, font aussi partie du collège électoral les représentants élus des conseils des collectivités administratives dans les conditions déterminées par une loi organique.

    La participation des Etats membres de la Communauté au collège électoral du Président de la République est fixée par accord entre la République et les Etats membres de la Communauté.

    Ce collège électoral est, on l’aura compris, composé des notables locaux, capables de superviser leur territoire. Dans le cas d’un basculement politique, cela se ressentira de manière relative, suffisamment pour former une zone tampon qu’il faudra prendre en compte, mais qui sera aisément contournable dans les grandes lignes.

    Le président est ici réellement à côté de la politique, il est le grand ordonnateur, le grand neutralisateur.

    Il est un appendice de ce qu’on doit appeler un corporatisme municipal. De la même manière que les Länder allemands et les États américains annulent la possibilité de poser la question politique au niveau du pays tout entier, le municipalisme réduit à la dimension locale, avec les notables, toutes les questions qui se posent.

    Le président est d’ailleurs élu pour sept ans par le collège électoral, afin de poser un ancrage complet. C’est lui qui nomme à la fois le premier ministre et les ministres, même si officiellement ces derniers sont proposés par le premier. Seulement comme celui-ci est nommé par le président, c’est bien lui qui décide de tout. Il peut d’ailleurs démettre celui-ci comme il l’entend, même si, officiellement, c’est le premier ministre qui démissionne.

    De la même manière, le président a le droit de « prononcer la dissolution de l’Assemblée Nationale », ayant également donc la possibilité, encore une fois selon les opportunités, de modifier la balance politique.

    Le président peut également « soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics », soit contribuer à modifier les institutions dans un sens ou dans un autre, selon les moments opportuns. C’est un droit énorme.

    Si on ajoute le fait que le président « nomme aux emplois civils et militaires de l’Etat », qu’il préside le Conseil Supérieur de la Magistrature, qu’il « négocie et ratifie les traités » et qu’il « accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères », alors on voit que le président est le grand gestionnaire.

    Comme le premier ministre dépend qui plus est du président, il faut pratiquement remplacer dans l’article 13 « Conseil des ministres » par « président de la République » :

    « Les conseillers d’Etat, le grand chancelier de la Légion d’Honneur, les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des Comptes, les préfets, les représentants du Gouvernement dans les territoires d’Outre-Mer, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des administrations centrales sont nommés en Conseil des Ministres. »

    Tout cela semble rentrer en opposition avec le point suivant, précisant la nature du gouvernement :

    Article 20.

    Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation.

    Il dispose de l’administration et de la force armée.

    Cela ne se comprend que si l’on voit que le président est le consul organisant la stratégie, le gouvernement appliquant la tactique. Il est souvent dit en France que même en cas de cohabitation, le président garde pour lui la diplomatie. C’est un leurre, en réalité cela signifie que la stratégie de la France, pays impérialiste, reste toujours dans les mains du président.

    Même des mesures politiques en opposition au président ne sont que relatives, car les institutions ont leur centre de gravité du côté du président.

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  • La nature présidentielle de la Ve République

    Lorsque de Gaulle eut les pleins pouvoirs pour constituer le nouveau régime, il obtenait les mains libres pour réaliser sa conception d’un État autoritaire.

    Sur la forme, rien ne changeait. La France conservait son drapeau, la tradition de 1789, etc.

    Article 2.

    La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.

    L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge.

    L’hymne national est la « Marseillaise ».

    La devise de la République est « Liberté, Egalité, Fraternité ».

    Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.

    Sur le fond, le changement est complet. On a des précautions symboliques :

    Article 3.

    La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.

    Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.

    Mais, une fois dit cela, on a justement un individu qui incarne à lui tout seul la souveraineté nationale !

    Le tour de passe-passe tient au caractère temporaire. Dans la cinquième république, le président est en fait un consul, un premier consul d’ailleurs puisqu’il n’y en a pas d’autres à ses côtés.

    Article 5.

    Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat.

    Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des accords de Communauté et des traités.

    Deux articles reflètent cette domination complète. Tout d’abord, le président est le « chef des armées », soit le chef tout court de l’État au sens strict. Deux articles se révèlent par conséquent entièrement symboliques :

    Article 35.

    La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement.

    Article 36.

    L’état de siège est décrété en Conseil des ministres.

    Sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement.

    Le président peut en effet décider d’un état d’urgence court-circuitant les institutions lors d’une éventuelle « menace ». C’est un pouvoir gigantesque remis à une seule personne, sans aucune surveillance, ni même aucune interférence.

    Article 15.

    Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense Nationale.

    Article 16.

    Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier Ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel. Il en informe la Nation par un message.

    Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil Constitutionnel est consulté à leur sujet.

    Le Parlement se réunit de plein droit. L’Assemblée Nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels.

    Ce qui est particulièrement grave dans ces articles, c’est le flou des expressions employées. Il y a une marge de manœuvre littéralement énorme en cas de tension.

    Mais cela signifie, en même temps, une marge de manœuvre en-dehors des situations de tension, car le président apparaît comme la clef du dispositif, l’ultime frontière. Quoi qu’il se passe, il est au bout de la chaîne.

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  • La conception de de Gaulle d’un État autoritaire

    De Gaulle avait tenu à la Libération deux discours essentiels pour saisir son positionnement, d’abord lors de la « visite à Bayeux » en juin 1944, puis lors d’un discours dans la même ville en juin 1946. Cette ville de Normandie fut en fait la première être libérée par les Alliés.

    Ses propos en 1944 relèvent du discours patriotique prônant le rétablissement national, ce fut un moment important pour la reconnaissance réelle de la France par les forces américaines qui auraient mis en place, si elles l’avaient pu, un gouvernement d’occupation sous leur contrôle.

    Son discours de 1946 est par contre une théorie de l’État fort. Voici ce qu’il dit notamment alors au sujet de la « dictature », qu’il rejette :

    « Comment et pourquoi donc ont fini chez nous la Ire, la IIe, la IIIe Républiques ?

    Comment et pourquoi donc la démocratie italienne, la République allemande de Weimar, la République espagnole, firent-elles place aux régimes que l’on sait ? Et pourtant, qu’est la dictature, sinon une grande aventure ?

    Sans doute, ses débuts semblent avantageux. Au milieu de l’enthousiasme des uns et de la résignation des autres, dans la rigueur de l’ordre qu’elle impose, à la faveur d’un décor éclatant et d’une propagande à sens unique, elle prend d’abord un tour de dynamisme qui fait contraste avec l’anarchie qui l’avait précédée.

    Mais c’est le destin de la dictature d’exagérer ses entreprises. À mesure que se fait jour parmi les citoyens l’impatience des contraintes et la nostalgie de la liberté, il lui faut à tout prix leur offrir en compensation des réussites sans cesse plus étendues.

    La nation devient une machine à laquelle le maître imprime une accélération effrénée. Qu’il s’agisse de desseins intérieurs ou extérieurs, les buts, les risques, les efforts, dépassent peu à peu toute mesure.

    À chaque pas se dressent, au-dehors et au-dedans, des obstacles multipliés. À la fin, le ressort se brise. L’édifice grandiose s’écroule dans le malheur et dans le sang. La nation se retrouve rompue, plus bas qu’elle n’était avant que l’aventure commençât. »

    C’est là évidemment une conception idéaliste, mais c’est surtout une manière de proposer à la bourgeoisie un modèle de dictature masquée, sans « défauts » visibles. D’où sa conception d’un régime autoritaire où le président est « au-dessus » de la politique :

    « Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder, sous peine d’aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le Gouvernement ne serait bientôt plus rien qu’un assemblage de délégations.

    Sans doute aura-t-il fallu, pendant la période transitoire où nous sommes, faire élire par l’Assemblée Nationale Constituante le Président du Gouvernement Provisoire, puisque, sur la table rase, il n’y avait aucun autre procédé acceptable de désignation.

    Mais il ne peut y avoir là qu’une disposition du moment. En vérité, l’unité, la cohésion, la discipline intérieure du Gouvernement de la France doivent être des choses sacrées, sous peine de voir rapidement la direction même du pays impuissante et disqualifiée.

    Or, comment cette unité, cette cohésion, cette discipline, seraient-elles maintenues à la longue si le pouvoir exécutif émanait de l’autre pouvoir auquel il doit faire équilibre, et si chacun des membres du Gouvernement, lequel est collectivement responsable devant la représentation nationale tout entière, n’était, à son poste, que le mandataire d’un parti ?

    C’est donc du chef de l’État, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le Président de l’Union Française en même temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir exécutif.

    Au chef de l’État la charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du Parlement.

    À lui la mission de nommer les ministres et, d’abord, bien entendu, le Premier, qui devra diriger la politique et le travail du Gouvernement. Au chef de l’État la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets, car c’est envers l’État tout entier que ceux-ci et celles-là engagent les citoyens.

    À lui la tâche de présider les Conseils du Gouvernement et d’y exercer cette influence de la continuité dont une nation ne se passe pas. À lui l’attribution de servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine.

    À lui, s’il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d’être le garant de l’indépendance nationale et des traités conclus par la France. »

    Sa conception fut cependant alors repoussée au profit d’un pouvoir parlementaire s’appuyant sur le centre, les chrétiens-démocrates et les socialistes, dans une optique pro-américaine. Les forces sociales en présence aboutissaient du côté bourgeoise à l’hégémonie américaine.

    De Gaulle s’effaça alors politiquement et son discours d’Épinal en 1946, appelant à refuser la constitution de la IVe République, fut le dernier avant ce qui fut appelé sa « traversée du désert ».

    Il y dit notamment :

    « Peu à peu, la nation avait bien voulu nous entendre et nous suivre. Ainsi furent sauvés la maison et même quelques meubles. Ainsi le pays put-il recouvrer le trésor intact de sa souveraineté vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres.

    C’est pourquoi – soit dit en passant – nous accueillons avec un mépris de fer les dérisoires imputations d’ambitions dictatoriales, que certains, aujourd’hui, prodiguent à notre égard et qui sont exactement les mêmes que celles dont, depuis le 18 juin 1940, nous fûmes comblé, sans en être accablé, par l’ennemi et ses complices, par la tourbe des intrigants mal satisfaits, enfin par certains étrangers qui visaient à travers notre personne l’indépendance de la France et l’intégrité de ses droits.

    Mais, si la République est sauvée, il reste à la rebâtir (…).

    Il nous parait nécessaire que l’état démocratique soit l’état démocratique, c’est-à-dire que chacun des trois pouvoirs publics : exécutif, législatif, judiciaire, soit un pouvoir mais un seul pouvoir, que sa tâche se trouve limitée et séparée de celle des autres et qu’il en soit seul, mais pleinement, responsable.

    Cela afin d’empêcher qu’il règne dans les pouvoirs de l’État cette confusion qui les dégrade et les paralyse ; cela aussi afin de faire en sorte que l’équilibre établi entre eux ne permette à aucun d’en écraser aucun autre, ce qui conduirait à l’anarchie d’abord et, ensuite, à la tyrannie, soit d’un homme, soit d’un groupe d’hommes, soit d’un parti, soit d’un groupement de partis.

    Il nous paraît nécessaire que le Chef de l’État en soit un, c’est-à-dire qu’il soit élu et choisi pour représenter réellement la France et l’Union Française, qu’il lui appartienne, dans notre pays si divisé, si affaibli et si menacé, d’assurer au-dessus des partis le fonctionnement régulier des institutions et de faire valoir, au milieu des contingences politiques, les intérêts permanents de la nation.

    Pour que le Président de la République puisse remplir de tels devoirs, il faut qu’il ait l’attribution d’investir les gouvernements successifs, d’en présider les Conseils et d’en signer les décrets, qu’il ait la possibilité de dissoudre l’Assemblée élue au suffrage direct au cas où nulle majorité cohérente ne permettrait à celle-ci de jouer normalement son rôle législatif ou de soutenir aucun Gouvernement, enfin qu’il ait la charge d’être, quoi qu’il arrive, le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et des traités signés par la France. »

    Ce faisant, de Gaulle se positionnait comme le chef de file du courant « dur » au sein de la bourgeoisie, celui assumant la confrontation relative avec l’impérialisme américain, à rebours de la stratégie visant à placer la France sous le « parapluie américain ».

    Ses réseaux fonctionnant en sous-marin maintenaient vivante la proposition stratégique.

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  • Une Ve République mise en place en 1958 sans réelle opposition

    De Gaulle fit tout ce qui était possible pour prétendre au caractère non seulement légitime, mais également légal de sa prise du pouvoir. Il va de soi que les institutions firent de même, tout comme au fur et à mesure l’ensemble des partis politiques, même le Parti Communiste Français finissant par capituler, scellant son passage complet dans le révisionnisme.

    Il y eut un accord tacite entre de Gaulle et les institutions pour faire croire que le premier s’était en quelque sorte sacrifié pour tirer la France d’un mauvais pas, de circonstances exceptionnelles – alors qu’en réalité on a un coup d’État militaire, des réseaux gaullistes putschistes, etc.

    René Coty cédant la place au nouveau président en 1959, alors qu’en réalité de Gaulle est aux commandes
    depuis le coup d’Etat de 1958

    De Gaulle écrivit lui-même la version officielle à travers Mémoires d’espoir :

    « A partir du moment où l’armée, passionnément acclamée par une nombreuse population locale et approuvée dans la métropole par beaucoup de gens écœurés, se dressait à l’encontre de l’appareil officiel, où celui-ci ne faisait qu’étaler son désarroi et son impuissance, où dans la masse, aucun mouvement d’adhésion et de confiance ne soutenait les gens en place, il était clair qu’on allait directement à la subversion, l’arrivée soudaine à Paris d’une avant-garde aéroportée, l’établissement d’une dictature militaire fondée sur un état de siège analogue à celui d’Alger, ce qui ne manquerait pas de provoquer, à l’opposé, des grèves de plus en plus étendues, une obstruction peu à peu généralisée, des résistances actives grandissantes.

    Bref, ce serait l’aventure débouchant sur la guerre civile, en la présence, et bientôt, avec la participation en sens divers des étrangers.

    A moins qu’une autorité nationale, extérieure et supérieure au régime politique du moment aussi bien qu’à l’entreprise qui s’apprêtait à le renverser, rassemblât soudain l’opinion, prît le pouvoir et redressât l’Etat. Or, cette autorité-là ne pouvait être que la mienne (…).

    Évaluant les frais, je choisis d’agir aussitôt.

    Mais alors, vais-je m’en tenir à rétablir une certaine autorité du pouvoir, à remettre momentanément l’armée à sa place, à trouver une cote mal taillée pour atténuer quelques temps les affres de l’affaire algérienne, puis à me retirer en rouvrant à un système politique détestable une carrière de nouveau dégagée?

    Ou bien vais-je saisir l‘occasion historique que m’offre la déconfiture des partis pour doter l’État d’institutions qui lui rendent, sous une forme appropriée aux temps modernes, la stabilité et la continuité dont il est privé depuis cent soixante-neuf ans? »

    C’est ainsi pratiquement par hasard que de Gaulle en aurait profité pour changer la nature du régime. Il en aurait simplement eu l’occasion, il n’y aurait aucune force sociale modifiant le pays, seulement une situation inextricable nécessitant un sauveur au-dessus des partis, etc.

    La passivité totale des masses françaises appuya de toutes façons cette idée. A cela s’ajoutait le soutien des trois partis de grande importance alors : les socialistes de la SFIO, les centristes du Parti radical et les chrétiens-démocrates du MRP. Il faut également compter le soutien alors des populistes du Centre national des indépendants et paysans.

    Les socialistes en désaccord, avec Édouard Depreux à leur tête, fondirent le Parti socialiste autonome. C’est lui qui lut au congrès socialiste d’Issy-les-Moulineaux le texte suivant, le 12 septembre 1958 :

    « Malgré le vote que va émettre le congrès, nous tenons à affirmer notre ferme résolution de poursuivre publiquement notre action contre la constitution autoritaire et le référendum plébiscitaire.

    En adoptant cette position, nous ne faisons que rester fidèles à ce que fut l’attitude constante et que l’on pouvait croire définitive du parti socialiste, depuis le 16 juin 1946, date du discours de Bayeux [de de Gaulle], jusqu’au 27 mai dernier.

    Dès le lendemain du discours de Bayeux, dans lequel le général de Gaulle prenait position contre les institutions républicaines, le parti, par la plume de Léon Blum, dénonçait les dangers du néoboulangisme et du pouvoir personnel.

    Le 27 mai 1958, il y a trois mois, le comité directeur et le groupe parlementaire étaient unanimes (à quatre voix près) pour s’insurger contre le retour du général de Gaulle, appuyé sur l’émeute algérienne et la sédition militaire.

    Les socialistes, disait en substance le texte voté, ne pourront, en aucun cas, accorder leurs suffrages à une candidature qui, en toute hypothèse, serait un défi à la légalité républicaine.

    Le texte constitutionnel, soumis au référendum du 28 septembre, constitue un très grave danger pour la démocratie.

    L’avènement du pouvoir personnel, la concentration des pouvoirs dans les mains du président de la République et la mise en tutelle des élus du suffrage universel en sont les caractéristiques.

    Il y a douze ans, Léon Blum a mis en garde le parti et l’opinion républicaine. Qu’on le veuille ou non, qu’on en convienne ou non, écrivait-il en 1946, c’est bien la réalité de la République qui est en cause, c’est bien la question du pouvoir personnel qui est posée devant le pays.

    La menace de guerre civile n’a pas fait reculer le Parti socialiste après le 6 février 1934 et la réaction a été vaincue. Croire qu’en se rangeant aujourd’hui aux côtés des vainqueurs du 13 mai on évitera le pire, c’est au contraire provoquer le pire pour le lendemain.

    La démocratie ne peut coexister avec des Comités de salut public, avec un système d’information à sens unique, avec une armée transformée en force politique, avec la volonté d’un seul s’imposant à tous.

    La République menacée dans ses principes essentiels, c’est le socialisme atteint, du même coup, dans sa raison d’être et dans les espérances qu’il porte. Certains de rester fidèles à l’idéal du socialisme de Jean Jaurès et de Léon Blum, nous défendrons la République et ses libertés.

    Certains que le nouveau « système » qu’on nous propose les met en péril, nous mènerons notre combat pour alerter tous les républicains et pour leur demander de répondre non au référendum du 28 septembre.

    Je n’oublie pas les souvenirs du passé. Je n’oublie pas les amitiés. Ce n’est pas un adieu. J’espère pouvoir dire à beaucoup d’entre vous au revoir et à bientôt pour la construction du socialisme ! »

    Le Parti socialiste autonome né en rupture de la ligne prédominante dans la SFIO pro-de Gaulle s’allia en une Union des forces démocratiques avec l’Union de la gauche socialiste fondé en 1957, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance avec notamment François Mitterrand, une partie du Parti Radical avec notamment Pierre Mendès France. Ce sont les bases du futur Parti Socialiste Unifié fondé en 1960.

    A côté de l’Union des forces démocratiques, seul le Parti Communiste Français appela à voter non.

    L’hégémonie était du côté de de Gaulle et de l’armée.

    Le référendum du 28 septembre 1958 connut une participation de 80,63 %, avec une approbation du projet de constitution à 82,60 %. En métropole même, la participation fut de 84,94 %, avec 79,26 % pour le oui.

    Les élections sont-elles truquées ? La question n’a jamais été abordée. Il est tout de même étonnant de voir que le oui atteint… 97,55% au Sénégal, 92,58 % au Gabon, 98,29 % au Tchad.

    On a même… 99,99 % de oui en Côte d’Ivoire, pour 97,56 % de participation ! Dans ce dernier cas, sur 1 596 610 votants, on a 1 156 votes blancs ou nuls et seulement 216 votes contre…

    Parmi les rares exceptions, on a le Niger avec seulement 37,42 % de votants et 78,43 % pour le oui, et surtout la Polynésie française avec 81,57 % de votants et seulement 64,40 % pour le oui.

    De toutes façons pour les élections législatives françaises des 23 et 30 novembre 1958, il y eut une modification de taille effectué par le gouvernement seulement un mois avant. Au lieu d’être proportionnel, le scrutin devient uninominal majoritaire à deux tours.

    Le Parti Communiste Français obtint 18,9 % des voix au premier tour, mais n’eut que 1,8 % des députés. La SFIO eut 15,5 % des voix, mais 7 % des députés.

    Inversement, l’Union pour la nouvelle République pro-de Gaulle n’eut que 17,6 % des voix… mais 34,6 % des députés et le Centre national des indépendants et paysans 13,7 % des voix mais 24,2 % des députés.

    Il faut remonter à 1871 pour avoir une assemblée où la droite avait autant la mainmise. Par ailleurs, signe révélateur, seulement 1,4 % des députés étaient des femmes.

    A l’élection présidentielle française de décembre 1958, il y eut un encadrement similaire. Indirecte, elle passait par les parlementaires, les conseillers généraux, des représentants des conseils municipaux.

    Sur ces 81 764  « grands électeurs », 62 394 votèrent pour de Gaulle, 13,03 % pour Georges Marrane, le candidat du Parti Communiste Français, 8,46 % pour le candidat de l’ Union des forces démocratiques, Albert Châtelet.

    La Ve République instaurait un pouvoir personnel en son cœur.

    =>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

  • 1958 : de Gaulle au pouvoir se rend en Algérie

    De Gaulle tenant le pouvoir du coup d’État militaire dont l’épicentre était en Algérie, il s’y rendit dans la foulée de sa prise du pouvoir, du 4 au 7 juin. Voici le discours du général Massu adressé à de Gaulle le premier jour, à Alger :

    « Vous avez devant vous une équipe de patriotes : 46 du 13 mai, auxquels se sont joints 32 autres représentants des différents territoires pour former le Comité d’Algérie et du Sahara.

    Cette équipe comprend des civils de toutes catégories, et des militaires de toutes armes, des Français de toutes confessions, chrétienne et musulmane.

    Son noyau s’est constitué au cours de la soirée du 13 mai, après l’hommage de toute la ville à la mémoire de trois jeunes soldats français martyrisés et fusillés en Tunisie. La ruée de la foule algéroise vers l’édifice du Gouvernement Général a voulu exprimer le refus de continuer à admettre les capitulations successives, l’abandon qui paraissait inéluctable, l’accélération de la décadence française par l’action funeste et inconsidérée de gouvernements irresponsables soumis aux marchandages et à l’impéritie des hommes de partis formant le Parlement.

    Afin que ce mouvement patriotique ne dégénère pas en émeute pour se terminer peut-être dans le sang, j’ai jugé de mon devoir d’y participer, de cautionner l’émeute grandissante en prenant la tête du Comité de Salut Public du 13 mai, qui fut formé sur l’heure avec des éléments présents du peuple et de l’Armée. J’ai ainsi concrétisé l’union du peuple et de l’Armée, union existant déjà dans les cœurs.

    Cette caution fut suivie de celle du général Salan, de M. Soustelle, du ministre Sid Cara. Dès lors, l’insurrection devenait une révolution d’inspiration nationale s’étendant à toute l’Algérie. Par des manifestations de masses sur toute l’étendue de l’Algérie, s’est exprimée jour après jour la volonté de tous les habitants de ce pays de rester français, dans l’intégration totale de l’Algérie et du Sahara à la France.

    Cette fraternité retrouvée nous apporte miraculeusement la solution du conflit qui déchirait ce pays depuis le 1er novembre 1954. Elle a donc toute la faveur de l’Armée.

    Aussi, mon Général, mes camarades et moi-même, dans un apolitisme absolu, formons le vœu respectueux de vous voir :

    – Vous prononcer sur l’intégration de tous les habitants de l’Algérie et du Sahara à la nation française, dans l’égalité pour chacun des droits et des devoirs.

    – Éliminer les séquelles du système et ses hommes définitivement déconsidérés aux yeux de toute la population.

    – Reconnaître les Comités de Salut public comme le support de votre action dans la révolution pacifique que vous allez conduire et comme l’armature civique nécessaire au pays, tant que nous resterons engagés dans l’action subversive dont l’Algérie a été jusqu’ici le point d’application. »

    La réponse faite par le nouveau chef du pays fut édifiante. De Gaulle salua ouvertement le coup d’État ; il était d’ailleurs lui-même en tenue militaire.

    « Vous avez été le torrent et la digue. Torrent et digue sont une source d’énergie. Et d’énergie disciplinée. Je souhaite que, dans la métropole, l’action pour la rénovation de notre pays se passe dans les mêmes conditions d’ordre et de sagesse qu’en Algérie. »

    De Gaulle à Alger

    C’est le même jour qu’il tint, au balcon du Gouvernement Général d’Alger, son discours alors le plus célèbre, avec le fameux « je vous ai compris » :

    « Je vous ai compris.

    Je sais ce qui s’est passé ici. Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la Rénovation et de la Fraternité.

    Je dis rénovation à tous égards. Mais très justement vous avez voulu commencer par le commencement, c’est-à-dire par nos institutions et c’est pourquoi me voilà.

    Je dis fraternité, parce que vous en ferez ce spectacle magnifique d’hommes qui, d’un bout à l’autre, quelle que soit leur communauté, communient dans la même ardeur et se tiennent par la main.

    Eh bien. De tout cela je prends acte, au nom de la France. Et je déclare qu’ à partir d’aujourd’hui la France considère que dans toute l’Algérie il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants. Il n’y a que des Français à part entière. Des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

    Cela signifie qu’il faut ouvrir des voies qui, jusqu’à présent, étaient fermées devant beaucoup. Cela signifie qu’il faut donner les moyens de vivre à ceux qui ne les avaient pas. Cela signifie qu’il faut reconnaître la dignité de tous ceux à qui on la contestait. Cela veut dire qu’il faut assurer une Patrie à ceux qui pouvaient douter d’en avoir une.

    L’Armée, l’Armée Française, cohérente, ardente, disciplinée, sous les ordres de ses chefs, l’Armée éprouvée en tant de circonstances et qui n’en a pas moins accompli, ici, une œuvre magnifique de compréhension et de pacification, l’Armée Française a été, sur cette terre, le ferment, le témoin et elle est le garant du mouvement qui s’y est développé.

    Elle a su endiguer le torrent pour en capter l’énergie. Je lui rends hommage. Je lui exprime ma confiance. Je compte sur elle pour aujourd’hui et pour demain.

    Français à part entière, dans un seul et même collège, nous allons le montrer pas plus tard que dans trois mois, dans l’occasion solennelle où tous les Français, y compris les 10 000 000 de Français d’Algérie, auront à décider de leur propre destin.

    Pour ces 10 000 000 de Français-là, leurs suffrages compteront autant que les suffrages de tous les autres. Ils auront à désigner, à élire, je le répète, dans un seul collège leurs représentants pour les Pouvoirs publics comme le feront les autres Français.

    Avec ces représentants élus, nous verrons comment faire le reste.
    Ah ! Puissent-ils participer en masse à cette immense démonstration tous ceux de vos villes, de vos douars de vos plaines, de vos djebels. Puissent-ils même y participer ceux-là qui, par désespoir, ont cru devoir mener sur ce sol un combat dont je reconnais, moi, qu’il est courageux — car le courage ne manque pas sur cette terre d’Algérie — qu’il est courageux, mais qu’il n’en est pas moins cruel et fratricide.

    Moi, de Gaulle, à ceux-là j’ouvre les portes de la réconciliation.
    Jamais plus qu’ici, ni plus que ce soir, je n’ai senti combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux : la France.

    Vive la République.
    Vive la France. »

    Vinyl avec l’allocution de de Gaulle du 20 décembre 1960, avec le thème impérial de l’union et de la réconciliation franco-musulmane

    De Gaulle n’avait toutefois pas le même agenda que l’armée. Si, le 6 juin, il conclut son discours à Mostaganem par « Vive l’Algérie française ! », c’était là une exception. Au début du mois d’octobre, il se rendit en Corse, et dans l’avion il présenta la chose ainsi au journaliste Pierre Viansson-Ponté, l’un des plus importants journalistes d’alors.

    Il s’agit de l’un des fondateurs de l’hebdomadaire L’Express, étant son rédacteur en chef, avant de devenir en 1958 chef du service politique du quotidien Le Monde. C’est lui qui écrivit dans Le Monde du 15 mars 1968 l’article « Quand la France s’ennuie… » considéré comme une anticipation des événements de mai 1968.

    De Gaulle lui dit donc la chose suivante :

    « Les généraux, au fond, me détestent. Je le leur rends bien. Tous des cons.

    Vous les avez vus, en rang d’oignons sur l’aérodrome, à [la base aérienne 211 algérienne de] Telergma ? Des crétins, uniquement préoccupés de leur avancement, de leurs décorations, de leur confort, qui n’ont rien compris et ne comprendront jamais rien.

    Ce Salan, un drogué. Je le balancerai aussitôt après les élections. Ce Jouhaud, un gros ahuri. Et Massu ? Un brave type, Massu, mais qui n’a pas inventé l’eau chaude. »

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  • 1958 : de Gaulle a les pleins pouvoirs

    Lorsque de Gaulle mit en place son gouvernement le 31 mai 1958, il n’y a aucune opposition parlementaire franche à part celle du Parti Communiste Français.

    L’assemblée capitula par 329 voix en faveur du nouveau gouvernement et 224 contre, seul le PCF faisant bloc avec 141 députés votant contre.

    Le dirigeant de la SFIO Guy Mollet avait voté pour, faisant partie des 42 socialistes sur 95 soutenant de Gaulle ; le plus connu des opposants socialistes étant Gaston Defferre.

    Juste avant la capitulation, le 27 mai 1958, 112 députés SFIO contre 3 avaient pourtant voté une motion où ils disaient :

    « Ils ne se rallieront en aucun cas à la candidature du Général de Gaulle qui, dans la forme même où elle est posée et par les considérants qui l’accompagnent est un défi à la loi républicaine. »

    C’était là une faillite.

    Félix Gaillard fit partie des 24 radicaux sur 42 votant pour, 18 votant contre dont Pierre Mendès France (« je ne voterai pas le pistolet sur la tempe »).

    L’Union démocratique et socialiste de la Résistance se scinda également : 10 députés sur 20 votent pour, 4 votent contre, le plus célèbre des opposants étant François Mitterrand.

    Le gouvernement intégra toutes les forces qui avaient capitulé pour mieux asseoir sa base, à savoir les centristes et les socialistes. Le chef de la SFIO, Guy Mollet, fut nommé ministre d’État, bientôt chargé du statut des fonctionnaires.

    Caricature de Jean Effel, avec le général Massu, de Gaulle, le radical Félix Gaillard, Marianne symbolisant la République, le socialiste Guy Mollet

    Comble de l’ironie et de la capitulation, l’ancien chef du gouvernement renversé, le chrétien-démocrate Pierre Pflimlin, fut lui aussi nommé ministre d’État. C’était également le cas du futur président ivoirien Félix Houphouët-Boigny et du centriste Louis Jacquinot. Le ministre des finances fut le centriste Antoine Pinay.

    C’était là toutefois cependant uniquement symbolique et les ministères obtenus au départ par des socialistes et des centristes étaient subalternes. Le ministre de la justice, Michel Debré, était gaulliste, tout comme le ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville. C’était également le cas du ministre de l’Intérieur Émile Pelletier.

    Surtout, dès le premier juin, le général de Gaulle demanda lors de son discours d’investiture qu’on lui donne les pleins pouvoirs pour six mois : il devait être en mesure de gouverner par ordonnance tout en mettant en place une nouvelle constitution.

    Voici comment il justifie cela devant les parlementaires :

    « La dégradation de l’État qui va se précipitant. L’unité française immédiatement menacée. L’Algérie plongée dans la tempête des épreuves et des émotions. La Corse subissant une fiévreuse contagion.

    Dans la métropole des mouvements en sens opposé renforçant d’heure en heure leur passion et leur action. L’armée, longuement éprouvée par des tâches sanglantes et méritoires, mais scandalisée par la carence des pouvoirs. Notre position internationale battue en brèche jusqu’au sein même de nos alliances. Telle est la situation du pays. En ce temps même où tant de chances, à tant d’égards, s’offrent à la France, elle se trouve menacée de dislocation et peut-être de guerre civile.

    C’est dans ces conditions que je me suis proposé pour tenter de conduire une fois de plus au salut le pays, l’État, la République, et que, désigné par le chef de l’État, je me trouve amené à demander à l’Assemblée nationale de m’investir pour un lourd devoir.

    De ce devoir, il faut les moyens.

    Le Gouvernement, si vous voulez l’investir, vous proposera de les lui attribuer aussitôt. Il vous demandera les pleins pouvoirs afin d’être en mesure d’agir dans les conditions d’efficacité, de rapidité, de responsabilité que les circonstances exigent. Il vous les demandera pour une durée de six mois, espérant qu’au terme de celte période l’ordre rétabli dans l’État, l’espoir retrouvé en Algérie, l’union refaite dans la nation, permettront aux pouvoirs publics de reprendre le cours normal de leur fonctionnement.

    Mais ce ne serait rien que de remédier provisoirement, tant bien que mal, à un état de choses désastreux si nous ne nous décidions pas à en finir avec la cause profonde de nos épreuves.

    Cette cause – l’Assemblée le sait et la nation en est convaincue – c’est la confusion et, par là même, l’impuissance des pouvoirs. Le Gouvernement que je vais former moyennant votre confiance vous saisira sans délai d’un projet de réforme de l’article 90 de la Constitution, de telle sorte que l’Assemblée nationale donne mandat au Gouvernement d’élaborer, puis de proposer au pays par la voie du référendum, les changements indispensables.

    Aux termes de l’exposé des motifs qui vous sera soumis en même temps que le texte, le Gouvernement précisera les trois principes qui doivent être en France la base du régime républicain et auxquels il prend l’engagement de conformer son projet. Le suffrage universel est la source de tout pouvoir.

    Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le Gouvernement et le Parlement assument, chacun pour sa part et sous sa responsabilité, la plénitude de ses attributions. Le Gouvernement doit être responsable vis-à-vis du Parlement. L’occasion solennelle d’organiser les rapports de la République française avec les peuples qui lui sont associés sera offerte au pays par la même réforme constitutionnelle. Cette organisation nouvelle, le Gouvernement prendra l’engagement de la promouvoir dans le projet qu’il proposera aux suffrages des Françaises et des Français.

    À partir de ce double mandat, à lui conféré par l’Assemblée nationale, le Gouvernement pourra entreprendre la tâche immense qui lui sera ainsi fixée. Quant à moi, pour l’assumer, il me faut assurément et d’abord votre confiance. Il faut ensuite que sans aucun délai – car les événements ne nous en accordent pas – le Parlement vote les projets de loi qui lui seront soumis.

    Ce vote acquis, les assemblées se mettront en congé jusqu’à la date prévue pour l’ouverture de leur prochaine session ordinaire. Ainsi le Gouvernement de la République, investi par la représentation nationale et pourvu d’extrême urgence des moyens de l’action, pourra répondre de l’unité, de l’intégrité, de l’indépendance de la France. »

    C’est là demander les pleins pouvoirs pendant six mois, en liquidant l’assemblée. Cette dernière capitula pourtant, par 322 voix contre 232.

    On a ici toutes les caractéristiques d’une prise du pouvoir ayant peut-être partiellement l’apparence de la légalité, mais correspondant à tous les niveaux à un coup d’État. Et ce coup d’État s’assuma dès le départ avec la liquidation du parlement et une période de « remise à plat » devant servir, on l’aura compris, à nettoyer l’appareil d’État.

    L’historiographie bourgeoisie n’étudia évidemment jamais cette question.

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