Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • À l’origine de la CGT : syndicats et bourses du travail

    La Charte d’Amiens n’est nullement tombée du ciel. Dès sa fondation en 1895, la Confédération Générale du Travail (CGT) précise dans ses statuts :

    « Les éléments constituant la Confédération générale du travail devront se tenir en dehors de toute école politique. La C.G.T. a exclusivement pour objet d’unir, sur le terrain économique et dans les liens d’étroite solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale. »

    L’amendement est voté par 124 voix contre 14, avec 6 abstentions. Ont voté en ce sens les anarchistes, les réformistes, les socialistes allemanistes, les socialistes partisans d’Edouard Vaillant ; seuls les guesdistes s’y sont opposés.

    La révision des statuts en 1902 ne modifie pas l’axe anti-politique :

    « La Confédération générale du travail a pour but: le groupement des salariés pour la défense de leurs intérêts moraux et matériels, économiques et professionnels. Elle groupe, en dehors de toute école politique) tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.

    Nul ne peut se servir de son titre de confédéré ou d’une fonction de la fédération dans un acte électoral politique quelconque. »

    La Charte d’Amiens ajoute simplement une dimension violemment offensive à cette perspective anti-politique, car il y avait eu en 1905 la fondation du Parti socialiste Section Française de l’Internationale Ouvrière, qui s’alignait au moins en partie sur la social-démocratie allemande rejetant la grève générale.

    Le Parti socialiste SFIO sera toujours extrêmement prudent et cherchera toujours à ménager autant que possible la susceptibilité de la CGT. Néanmoins, c’est contre lui que la CGT, à partir de 1910, utilise la Charte d’Amiens comme véritable outil intellectuel-conceptuel anti-politique.

    La source de cette ligne remonte à loin, bien avant de devenir une affirmation idéologique, sous la forme du syndicalisme révolutionnaire. Cela procède de la naissance du mouvement revendicatif en France.

    Deux mouvements se forment en parallèle, historiquement. Il a d’un côté l’éclosion de syndicats locaux, s’unissant par branches et formant une Fédération Nationale des Syndicats en 1886. Les partisans de Jules Guesde jouent ici un rôle essentiel.

    Il y a ensuite un mouvement interprofessionnel formant des « bourses du travail » s’unissant en une Fédération des Bourses du Travail en 1892.

    Les bourses du travail consistaient en des lieux fournis par les municipalités aux syndicats pour disposer de bureaux, de salles de réunions, de bibliothèques.

    La bourse du travail de Marseille
    au début du XXe siècle

    Le tournant a lieu en 1894. Les guesdistes, tournés au moins relativement vers la social-démocratie allemande et soucieux en tout cas de centralisation, sont battus par les fédéralistes au congrès de Nantes de la Fédération Nationale des Syndicats.

    Le congrès de Nantes invite également les autres structures syndicales à son prochain congrès. Ce dernier se transforme alors, comme la Fédération des Bourses du Travail accepte l’invitation, le 7e congrès national des chambres syndicales, groupes corporatifs, fédérations de métiers, unions et bourses du travail.

    Ce congrès se déroule à Limoges fin septembre 1895 avec 75 délégués, ayant été mis en place par un comité national avec trois membres des deux fédérations et un représentant de chaque fédération d’industrie. C’est la naissance de la Confédération Générale du Travail.

    Cela signifie que, dès le départ, le courant des « bourses du travail » et des fédéralistes l’emporte sur la ligne syndicaliste centralisée. A l’arrière-plan, on a la figure de Fernand Pelloutier (1867-1901).

    C’est lui qui, en tant que secrétaire général de la Fédération des Bourses du travail, théorise avec le trésorier de la Fédération des Bourses du Travail, Henri Girard, la mise en perspective syndicaliste révolutionnaire avec l’ouvrage Qu’est-ce que la grève générale ? (Leçon faite par un ouvrier aux docteurs en socialisme).

    C’est également lui qui mena l’opération de présence anarchiste et syndicaliste révolutionnaire massive lors du congrès socialiste international de Londres de 1896, obligeant ce dernier à les expulser alors que les partisans de Jules Guesde s’étaient fait déborder au sein de la délégation française.

    Fernand Pelloutier vers 1890

    C’est encore lui, surtout, qui maintient la Fédération des Bourses du travail au sein de la CGT : jusqu’en 1902, elle a ainsi tenu des congrès parallèles. Ce n’est qu’en 1902 que la Fédération est en tant que telle absorbée par le syndicat, qui alors dispose d’une double organisation, avec d’un côté les fédérations s’appuyant sur les professions et de l’autre les unions territoriales à quoi s’ajoutent les bourses du travail (celles-ci sont 57 en 1900, 110 en 1904, 157 en 1908).

    On a ici la source précise de l’économisme propre au syndicalisme révolutionnaire. En effet, les bourses du travail ne sont pas considérés comme des lieux de rencontre, mais comme l’embryon de la société future, une contre-société devant finir par l’emporter en submergeant le capitalisme par la grève.

    De plus, le maintien de structures territoriales forment des entités strictement parallèles à la direction, ce qui aboutit à un double pouvoir, permettant l’action quasi indépendante des uns et des autres, ce qui est formalisé par le statut de « confédération » du syndicat.

    Personne n’est ici redevable de rien, puisque chaque structure est autonome ; il y a toujours moyen d’y trouver son compte dans un cadre ou un autre (local, territorial, ou bien fédéral, voire à la direction) et les congrès ne sont au sens strict que des établissements de rapports de force.

    La bourse du travail de Toulouse

    Enfin, dernier aspect terrible, la dimension interprofessionnelle fournit l’illusion permanente à une CGT minoritaire – 4-5 % des travailleurs grosso modo avant 1914 – qu’elle représente, en plus petit, l’ensemble des travailleurs, qu’elle est le pivot de tout ce qui se passe, que sa généralisation n’est qu’une question quantitative, elle seule fournissant la qualité décisive.

    Le syndicalisme révolutionnaire se reproduit ainsi inlassablement dans le syndicat.

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    de la période syndicaliste révolutionnaire (1895-1914)

  • Élitisme et rejet de la politique à l’origine de la CGT

    Robert Michels, Allemand s’alignant sur les positions du syndicalisme à la française au début du XXe siècle, prolongera sa critique de la social-démocratie allemande en adhérant au fascisme italien. Cette trajectoire est commune aux principaux théoriciens du syndicalisme révolutionnaire. La raison en est leur échec à produire un mouvement révolutionnaire de masse « pur ».

    Deux directions furent alors prises. Il y eut soit l’ajout du nationalisme comme moteur de mobilisation des masses, soit la conception élitiste de la société.

    Robert Michels théorisera ainsi une prétendue loi d’airain de l’oligarchie. Il y aurait toujours une minorité qui dirige, les masses étant selon lui par définition inertes. Si pour lui la démocratie est meilleure qu’une « sélection » héréditaire des dirigeants, la conception fasciste d’une élite née dans le combat, se renouvelant, lui convint parfaitement.

    Cette tendance est irrépressible chez tous les syndicalistes révolutionnaires. Victor Griffuelhes, qui fut secrétaire général de la Confédération Générale du Travail (CGT) de 1901 à 1909, soutint la « défense nationale » en 1914. Il en va de même pour Émile Pouget, grand théoricien du « sabotage » comme moyen d’action et éminente figure de la CGT, qui cessa même toute activité en 1914, achetant un terrain dans le sud de Paris pour y bâtir une maison.

    Victor Griffuelhes en 1906,
    alors secrétaire de la CGT

    Hubert Lagardelle devint ministre du Travail du régime de Vichy. Édouard Berth fut un acteur majeur des Cahiers du Cercle Proudhon fondés en 1911 avec des cadres de l’extrême-droite monarchiste, pour une synthèse « nationale » et « sociale ».

    C’était là l’aboutissement de toute une conception spécifiquement française, que Victor Griffuelhes résume parfaitement en affirmant :

    « Le syndicalisme français se caractérise par l’action spontanée et créatrice… Cette action n’a pas été commandée par des formules et des affirmations théoriques quelconques. Elle n’a pas été davantage une manifestation se déroulant selon un plan prévu par nous d’avance. »

    À l’opposé du syndicalisme allemand, mis en place par la social-démocratie, le syndicalisme français est né sur le terrain des luttes sociales, avec une confrontation aux forces de répression aboutissant à un anti-Etatisme primaire. La politique et la théorie lui apparaissaient extérieures à sa propre démarche.

    Là où le marxisme raisonne en termes de théorie et de conscience, le syndicalisme révolutionnaire conçoit en termes de vitalité et d’action.

    Le syndicalisme révolutionnaire est ainsi un mouvement strictement parallèle à la social-démocratie, avec une farouche détestation. Lorsque la social-démocratie allemande, à son congrès de septembre 1906, récuse la « grève générale » comme solution à tous les problèmes, le syndicalisme français en fait l’alpha et l’oméga de sa démarche, avec la Charte d’Amiens votée en octobre 1906 au congrès de la CGT, avec 830 voix sur 839.

    En voici le texte :

    « La C.G.T. groupe en dehors de toute école politique tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.

    Le congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte des classes qui oppose sur le terrain économique les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en oeuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière.

    Le congrès précise par les points suivants cette affirmation théorique :

    Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicat poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc.

    Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme, il prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupe de production et de répartition, base de la réorganisation sociale…

    Le congrès déclare que cette besogne quotidienne et d’avenir découle de la situation des salariés, qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat.

    Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le congrès affirme l’entière liberté, pour le syndiqué, de participer en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander en réciprocité de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors.

    En ce qui concerne les organisations, le congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale. »

    Il ne faut pas se leurrer : au moment de l’adoption de la charte, la CGT s’appuie sur 200 000 membres seulement, sur six millions de travailleurs. C’est une démarche élitiste, avec une prime au plus virulent, au plus véhément, caractéristique du syndicalisme révolutionnaire.

    Il y a l’idée d’une « méthode » qui serait « pure ». La récupération de celle-ci par le fascisme à la prétention « nationale » et sociale » n’en est que plus cohérent. On a d’ailleurs les germes menant à l’effondrement en 1914, avec le passage dans la soumission au nationalisme sur le plan culturel et par fascination pour la « mobilisation » populaire.

    Mais, ce qui est plus important au sens strict pour comprendre la Confédération Générale du Travail, c’est qu’il y a le principe élaboré en France du syndicat comme contre-société. Pour la CGT, l’histoire est l’histoire de la lutte syndicale.

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    de la période syndicaliste révolutionnaire (1895-1914)

  • L’origine de la CGT : un état d’esprit syndicaliste révolutionnaire

    Il n’est pas possible de comprendre la fondation de la Confédération Générale du Travail, sa culture et son organisation tout au long de son histoire, sans saisir la nature du syndicalisme révolutionnaire qui lui a donné naissance et a façonné sa matrice.

    Le syndicalisme révolutionnaire est une démarche historiquement extrêmement puissante en France ; on peut dire qu’elle a formé intellectuellement, moralement et culturellement la classe ouvrière française, tout comme le marxisme de la social-démocratie a fait de même pour la classe ouvrière allemande.

    Concrètement, les socialistes français étaient fascinés par l’ampleur du développement du mouvement ouvrier allemand. Cependant, sa dimension organisée lui semblait incompréhensible, car elle s’appuyait sur des ressorts théoriques. La social-démocratie allemande fonctionnait suivant une théorie, des principes idéologiques normatifs, sous l’impulsion du marxisme.

    Cela impliquait une dimension stratégique. Or, le parcours français avait été celui de la révolution française, d’abord à la fin du 18e siècle, puis au début du 19e siècle avec les crises successives, et cela jusqu’en 1848. Puis, il y eut un moment de crise générale avec la Commune de Paris en 1871, et sa défaite avait amené la dispersion de l’ensemble des forces.

    Commune de Paris, la colonne de la place Vendôme détruite car symbole du militarisme

    A cela s’ajoute le faible développement du capitalisme, impliquant le maintien d’un capitalisme local et artisanal, notamment à Paris.

    Les socialistes français ont ainsi l’habitude de vouloir s’impliquer dans un mouvement de masses de nature turbulente, dans des soulèvements, dans des fractions populaires au sein des soulèvements, etc.

    A cela s’ajoute l’importance également de la petite-bourgeoisie, dont l’anarchisme de petit propriétaire de Pierre-Joseph Proudhon est tout à fait représentatif.

    Pierre-Joseph Proudhon,
    théoricien d’un socialisme fédéraliste éclectique culminant en éloge de la petite propriété

    La conception programmatique de la social-démocratie allemande semblait donc aux socialistes français une sorte de simulacre intellectualisant pour pactiser avec l’État, un simple prétexte à l’opportunisme ; le marxisme, quant à lui, était inconnu ou incompris et au mieux résumé à des remarques « matérialistes historiques ».

    L’article « Les dangers du parti socialiste allemand », qu’on trouve dans la revue bi-mensuelle internationale Le mouvement socialiste, dirigée par Hubert Lagardelle, est ici tout à fait représentatif de ce point de vue.

    Écrit par l’Allemand Robert Michels qui sympathise justement avec la tendance « à la française », il parle du congrès international socialiste d’Amsterdam de 1904. Son point de vue est celui de la tendance se formant précisément cette année-là, et qui prendra le nom de « syndicalisme révolutionnaire ».

    « Lorsque la salle du Congrès d’Amsterdam retentit sous les accusations que Jaurès jetait à la face des socialistes allemands, il dût y en avoir beaucoup, parmi nos camarades de tous les pays qui, en entendant ce réquisitoire, se dirent : «Quel dommage que de telles vérités sortent d’une telle bouche ! »

    Ce n’était précisément pas à Jaurès qu’il appartenait, en effet, de jouer le rôle d’accusateur public contre l’opportunisme, et de traîner ce dernier à la barre ! Mais la déposition sur un vol commis peut-être vraie même dans la bouche du voleur. Les attaques de Jaurès, étranges de la part d’un tel homme, n’en étaient pas moins fondées.

    La « conquête du pouvoir » est sans doute chose trop difficile, pour que même avec trois millions de voix, le socialisme allemand n’ait pu songer à la tenter.

    Mais si un parti, qui dispose d’une telle puissance électorale est à ce point incapable d’opérer le moindre changement; si un tel parti reste à l’état de microcosme, si non invisible du moins négligeable et impuissant à influencer même l’État dans un sens libéral, il donne par là le signe manifeste d’une désastreuse stérilité, d’un manque de forces à peine croyable pour tous ceux qui ignorent l’histoire du parti socialiste allemand et du milieu où il évolue (…).

    La grève générale? La grève militaire? — De semblables conceptions n’ont guère l’oreille des socialistes allemands. Les controverses fameuses entre Liebknecht et Nieuwenhuis sont encore trop fraîches dans les mémoires. En Allemagne, on qualifie d’ « utopie » la grève générale militaire (…).

    Un État bourgeois fort a toujours comme pendant un prolétariat faible, et un prolétariat faible rend l’État fort. Un acte politique vigoureux exige des masses énergiques et révolutionnaires. Pour que soit assuré le succès d’un mouvement de masses comme la grève générale, il manque au prolétariat allemand un facteur essentiel : la colonie courageuse de l’action, le ferment révolutionnaire.

    La faute en est à nous seuls. Nous ne disposons pas de nos masses, — pas même des 300.000 adhérents à notre parti. Ceux-ci — ce n’est plus un secret pour personne — ne se mettraient pas en branle, pour un grand mouvement.

    Nos masses sont paresseuses et inaptes à l’action, parce que l’éducation que leur a donnée le parti socialiste allemand est plutôt politique, et même diplomatique, que socialiste et morale (…).

    La vérité, c’est que le prétendu radicalisme du socialisme allemand ne s’occupe plus de créer des personnalités socialistes, des consciences socialistes. Il en est ainsi partout, en France et en Italie, comme en Allemagne.

    Le parlementarisme tue le socialisme envisagé sous ses aspects les plus profonds, en lui substituant un socialisme politicien unilatéral. Les hommes de cœur et de pensée, qui sont dans nos rangs, voient disparaître avec tristesse tout le côté idéaliste de notre système d’idées.

    Autrefois le socialisme était une foi, un sentiment qui prenait l’homme tout entier et le déterminait dans tous les actes de sa vie (…).

    Le parlementarisme envahit tout. »

    Toutes les thèses syndicalistes révolutionnaires sont ici résumées. La constitution d’un mouvement ouvrier organisé sur une base politique aboutirait à la formation d’une caste bureaucratique s’articulant autour du parlementarisme. Or, le socialisme serait une foi, et par conséquent il serait anéanti par un tel phénomène.

    Il s’agirait donc en retourner à une position d’affrontement direct, avec une sorte d’ouvrier s’assumant guerrier. Georges Sorel élaborera de manière approfondie cette théorie au cœur du syndicalisme révolutionnaire, notamment avec ses Réflexions sur la violence.

    La CGT sera organisée comme structure de lutte portant cette démarche et s’imaginant comme une contre-société. La CGT n’a jamais été conçu comme un « syndicat », mais comme un syndicat – société.

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  • Réactions internationales et normalisation après l’écrasement du Printemps de Prague

    Les tensions causées par l’intervention militaire du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie avait provoqué une onde de choc. L’interprétation juste fut bien entendu celle de l’ensemble des forces anti-révisionnistes, le Parti Communiste de Chine en tête, qui dénonça le social-impérialisme soviétique. Les pays du bloc de l’Est avaient été transformés en semi-colonies.

    Rassemblement contre l’invasion en Tchécoslovaquie,
    avec une message écrit en russe destiné aux occupants soviétiques : « rentrez à la maison ».

    Soutenaient inversement unilatéralement l’intervention militaire en Tchécoslovaque les « Partis Communistes » des pays suivants :

    – Cuba (avec Fidel Castro), Chili, Équateur, Venezuela, Costa Rica, Guyana, Salvador, Pérou, Uruguay, Colombie, Argentine, Panama,

    – Portugal, Luxembourg, Grèce, Chypre, États-Unis,

    – Vietnam du Nord, Mongolie, Inde, Ceylan,

    – Syrie, Iran, Irak, Jordanie, Liban, Israël, Yémen du Sud,

    – Afrique du Sud, Lesotho, Soudan.

    L’Algérie de Houari Boumédiène, avec Alger censé être « la Mecque des révolutionnaires », ne critiqua pas l’intervention.

    Les « Partis Communistes » des pays suivants dénoncèrent l’intervention : France, Italie, Japon, Autriche, Norvège, Espagne, Belgique, Pays-Bas, Suède, Nouvelle-Zélande, Australie, Indonésie ; il s’agit surtout des « Partis Communistes » des pays occidentaux, qui suivaient leur propre agenda et allaient dans la tendance favorable à une autonomie par rapport à l’URSS, qui fut ensuite appelé « l’eurocommunisme ».

    Cette tendance s’exprima très fortement, ces mouvements occidentaux connaissant de nombreuses ruptures ; en France, l’idéologue du Parti Communiste Français, Roger Garaudy, reçut un blâme du Comité Central pour avoir appelé les dirigeants soviétiques à la démission pour en être revenu aux pratiques « staliniennes ».

    Tout cela se tasse cependant par le processus très feutré de « normalisation » en Tchécoslovaquie.

    Initialement, il y eut ainsi une mobilisation de soutien à la direction du PCT, à la dénonciation de ceux collaborant avec le Pacte de Varsovie. Le 29 août, le Parti Communiste de Slovaquie tint même une conférence avec 607 des 638 délégués, appelant à soutenir Alexander Dubček.

    Cependant, personne n’était prêt à aller à l’affrontement avec les forces d’occupation et la direction du PCT avait de toutes façons capitulé. Cela se déroulait d’autant mieux que l’URSS n’avait pas trouvé de quoi remplacer la direction du PCT ni le gouvernement. La thèse de « l’appel » de cadres du PCT et de l’État au Pacte de Varsovie passa même aux oubliettes.

    Il fut simplement temporisé de part et d’autres, la priorité du côté soviétique étant le rétablissement général de la censure et le maintien de troupes soviétiques sur place.

    Le traité sur ce maintien fut voté sans soucis à l’assemblée du pays par 228 représentants, avec à l’opposé 10 abstentions, 56 absences, 4 voix contre. Ne resta ainsi plus que la Roumanie comme membre du bloc de l’Est sans présence de troupes soviétiques.

    Ludvík Svoboda resta tranquillement président du pays jusqu’en 1975.

    Alexander Dubček resta secrétaire du PCT jusqu’en avril 1969 et encore son éviction ne fut dû qu’aux émeutes à Prague ayant suivi la victoire de la Tchécoslovaquie sur l’URSS en hockey sur glace aux championnats du monde en Suède. Il fut nommé ensuite président du parlement, ambassadeur en Turquie, puis finalement exclu du PCT en 1970.

    Le même processus d’évictions des principales figures se fit sans douleur aucune, les mis de côté passant à l’Ouest ou tentant de faire vivre une « dissidence » constamment surveillée et réprimée.

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  • L’Albanie se mobilise contre une invasion

    De 1970 à 1985, l’Albanie construisit 600 000 petits bunkers à travers tout le pays, pour parer à une invasion du Pacte de Varsovie. C’était là la conséquence directe de l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968.

    Un exemple de bunker albanais

    L’Albanie s’était en effet placée dans une situation inextricable. A la base, ce pays, dont le dirigeant était Enver Hoxha, avait dénoncé le « révisionnisme » soviétique après la mort de Staline – c’était en fait le masque du nationalisme albanais et une ligne choisie en raison de la modification du rapport à la Yougoslavie.

    La Yougoslavie titiste avait été dénoncé par l’URSS de l’époque de Staline et cela protégeait l’Albanie, car il y avait eu la tentative d’intégrer de force celle-ci à la Yougoslavie. La victoire du révisionnisme en URSS normalisait les relations soviéto-yougoslaves – cela présentait donc un risque énorme pour l’Albanie, dont les longues frontières étaient principalement avec la Yougoslavie, et sinon avec la Grèce seulement.

    À cela s’ajoutait la question du Kosovo, région de Yougoslavie peuplée en grande majorité d’Albanais, mais un lieu de haute symbolique pour les Serbes.

    Enver Hoxha, le dirigeant de l’Albanie et praticien d’un nationalisme identitaire parallèle
    à celui de Nicolae Ceaușescu

    Cependant, l’intervention militaire du Pacte de Varsovie bouleversait la situation. Car, de manière pragmatique, l’Albanie n’était pas sorti du Pacte de Varsovie malgré sa rupture avec l’URSS et le bloc de l’Est.

    L’arrière-pensée derrière cela, c’est que si la Yougoslavie attaquait l’Albanie, celle-ci pouvait encore en appeler au Pacte de Varsovie – même si lors des réunions de celui-ci, depuis 1961, il y avait à chaque fois une place vide avec le petit drapeau de l’Albanie.

    Or, la chose se retournait maintenant totalement en son contraire. En faisant encore partie du Pacte de Varsovie, il y avait une base légale pour une invasion de la part de celui-ci. Comme la situation était explosive avec le soutien de la Yougoslavie à la Tchécoslovaquie, une invasion de la Yougoslavie pouvait déboucher sur une invasion de l’Albanie.

    Par conséquent, dès l’invasion de la Tchécoslovaquie, l’Albanie cessa la propagande critique envers la Yougoslavie et se mit immédiatement en rapport avec celle-ci. La question d’une intervention militaire du Pacte de Varsovie devint prépondérante pour les deux pays.

    En décembre 1968, la Yougoslavie accorda une plus grande autonomie au Kosovo, puis les rapports diplomatiques albano-yougoslaves furent normalisées en février 1971.

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  • La Yougoslavie se mobilise contre une invasion

    Le 22 août, Radio Zagreb appela les gouvernements des pays participant à l’invasion de la Tchécoslovaquie de retirer leurs troupes. La Yougoslavie de Josip Broz Tito dénonça la main-mise de l’URSS qui empêchait les voies particulières au socialisme, continuant ses accusations de la fin des années 1940.

    Le 23 août, lors d’une réunion du Comité Central de la Ligue des communistes de Yougoslavie, Josip Broz Tito dit notamment :

    « Tout le monde doit avoir l’esprit clair quant au fait que la Yougoslavie, si son indépendance devait être menacée, saurait mettre en œuvre tous les moyens pour sa défense et sa sécurité, et ce quel que soit le côté d’où provient la menace. »

    La résolution du Comité Central mit en avant le principe du non-alignement, du rejet des sphères d’influence et des blocs, etc. L’occupation de la Tchécoslovaquie est présentée comme non pas une anomalie, mais l’expression de tendances conservatrices cherchant à protéger des formes dépassées.

    Il est un autre point inquiétant la Yougoslavie : la question macédonienne. A l’époque où la Bulgarie était encore réellement socialiste, avec Georgi Dimitrov à sa tête, la nation macédonienne était reconnue. Les Macédoniens n’ont pas d’État reconnu alors ; ils sont présents en Albanie, en Yougoslavie, en Grèce (où ils sont particulièrement opprimés) et en Bulgarie.

    Or, après 1953, la Bulgarie a développé des thèses nationalistes selon lesquelles les Macédoniens seraient simplement des Bulgares – ce qui est prétexte à la volonté de former une « grande Bulgarie ». La mobilisation de l’armée bulgare inquiétait donc particulièrement la Yougoslavie.

    Dans ce contexte, la Yougoslavie systématisa immédiatement la protection militaire de l’ensemble des pistes pour avions dans le pays. Des brigades armées furent formées parmi les hommes n’étant pas déjà réservistes de l’armée ou encore trop jeunes pour avoir fait leur service militaire. Leur tâche était, en cas d’invasion, de protéger les lieux de production.

    Un appel fut fait à la mobilisation dans chaque commune afin de prendre des mesures pour être en mesure de mener des actions de partisans. En fait, la Yougoslavie suivait le modèle suisse, en le systématisant. En cas d’attaque, il ne devait pas y avoir de ligne de front, mais une mobilisation populaire armée pour, non pas vaincre militairement, mais coûter tellement cher à l’envahisseur que cela l’amène à abandonner son initiative.

    Tous les hommes de 17 à 50 ans et toutes les femmes de 19 à 40 étaient concernées par l’intégration dans la résistance armée en cas d’invasion.

    En réalité, il y avait deux raison pour ce positionnement. La première, c’est que la Yougoslavie était une fédération où les nationalismes pullulaient : une réelle centralisation militaire était impossible, tout comme toute centralisation d’ailleurs, et ce d’autant plus dans un pays ayant fait de « l’autogestion » la base de son organisation sociale et économique.

    La division administrative en Yougoslavie

    Les différentes bureaucraties s’accordaient pour former une nouvelle bourgeoisie vivant de la corruption et des micro-capitalismes des entreprises autogérées.

    La seconde raison, c’est que de par l’importance de la Yougoslavie sur le plan militaire de par son emplacement (accès à la mer Adriatique, frontières avec l’Autriche, l’Italie et la Grèce d’un côté, avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie de l’autre), ni les États-Unis ni l’URSS n’auraient toléré une main-mise complète de son concurrent.

    La Yougoslavie savait que son statut de « non-aligné » la protégeait, même si dans les faits l’ouverture à l’Ouest et son soutien à l’Angleterre et les Etats-Unis était évident – évident mais indirect.

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  • La Roumanie se mobilise contre une invasion

    Le soir de l’invasion, l’ambassade soviétique fit parvenir un message au dirigeant roumain Nicolae Ceaușescu par l’intermédiaire d’Ion Stanescu, président du Conseil de sécurité de l’État. On y lit notamment :

    « Il est probable que des difficultés temporaires surgiront également pour les parties fraternelles. Mais la perte pour la cause du socialisme, pour le mouvement communiste mondial, aurait été incomparablement plus grande si la Tchécoslovaquie avait été vaincu par la contre-révolution. En apportant une aide fraternelle à leurs camarades tchécoslovaques, nos pays s’acquittent de leur devoir internationaliste à l’égard du peuple tchécoslovaque, du mouvement communiste international. »

    Immédiatement, le Comité Central du Parti Communiste de Roumanie fut convoqué et dénonça l’invasion de la Tchécoslovaquie, exigeant le départ des troupes et qualifiant l’intervention « d’atteinte flagrante » à la souveraineté, que rien ne peut justifier. La déclaration exprima sa solidarité la plus complète avec « le peuple frère tchécoslovaque et le PCT ».

    Puis, devant une foule immense d’au moins cent mille personnes, Nicolae Ceaușescu tint un discours totalement improvisé très offensif, appelant à la formation de gardes patriotiques armés afin d’être prêt à faire face à une invasion :

    « L’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie est une grave erreur et une menace pour la paix en Europe, pour le destin du socialisme dans le monde et est un jour de honte pour le mouvement international. Il n’y a aucune justification et il n’y a aucune raison de rendre recevable, même pour un moment, l’idée d’une intervention dans les affaires intérieures d’un État socialiste fraternel (…).

    Aucun étranger n’a le droit de dire sous quelle forme il faudrait construire le socialisme (…).

    Nous avons décidé la mise en place à partir d’aujourd’hui de gardes patriotiques armés composés d’ouvriers, de paysans et d’intellectuels et qui seront les défenseurs de l’indépendance de notre patrie socialiste.

    Nous voulons que notre peuple ait ses unités armées afin de protéger ses conquêtes révolutionnaires, de protéger son travail pacifique, son indépendance et la sécurité de la patrie socialiste.

    Il a été dit qu’il y aurait un danger contre-révolutionnaire en Tchécoslovaquie ; il y en aura peut-être demain pour dire qu’ici à ce rassemblement il y avait des tendances contre-révolutionnaires qui se soient rassemblées…

    Nous répondons à tous : l’ensemble du peuple roumain ne permettra à personne de violer le territoire de notre patrie. »

    Nicolae Ceaușescu prononçant son discours
    contre l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie

    Nicolae Ceaușescu défendait ici l’option nationaliste qu’il avait hautement apprécié en Tchécoslovaquie. L’idéologie du pays était devenue ultra-nationaliste depuis le triomphe du révisionnisme en URSS.

    Le 22 août, il fit passer une loi selon laquelle la présence d’armées étrangères en Roumanie ne serait possible qu’avec l’approbation du parlement. Dans la déclaration à ce sujet, il mentionna comme pays socialistes non seulement les membres du Pacte de Varsovie, le Vietnam, la Corée, la Mongolie, mais également la Yougoslavie, l’Albanie, la Chine.

    Profitant de la fête nationale roumaine du 23 août, il y fit défiler des « gardes patriotiques » établies après le discours.

    Il contacta immédiatement les Partis Communistes de France et d’Italie pour avoir leur soutien, ainsi que la Yougoslavie avec qui il entama des négociations pour former un front militaire commun en cas d’invasion de la part du Pacte de Varsovie.

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  • La passivité tchécoslovaque face à l’invasion du Pacte de Varsovie

    Le « Printemps de Prague », comme la Tchécoslovaquie d’Alexander Dubček avait été appelée par la presse occidentale, ne consistait qu’en un mouvement de réformes libérales de grande ampleur. Le gouvernement fut totalement dépassé par les événements et les masses, mobilisées dans l’optique du libéralisme, étaient incapables d’organisation.

    A trois heures du matin, le chef du gouvernement, Oldřich Černík fut arrêté par des parachutistes soviétiques. A 4h30, les agences des presses des pays participant à l’invasion expliquent que l’intervention a été provoqué par un appel urgent au secours de cadres du Parti et de l’État en Tchécoslovaquie.

    A 5h45 du matin, le président tchécoslovaque Ludvík Svoboda reçut la visite d’Alois Indra et de Jozef Lenart, qui demandent la reconnaissance de leur gouvernement révolutionnaire, mais essuient un refus.

    Ludvík Svoboda lança alors un appel au calme dans un message diffusé par Radio Prague à 8h15 du matin, alors que les bâtiments des journaux, de la presse et des radios rejoints en masse par la foule à partir de sept heures du matin, afin de les protéger des forces d’invasion, mais sans pour autant organiser de mouvement de résistance.

    Troupes du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie

    À 11 heures, l’ensemble de la direction du Parti Communiste de Tchécoslovaquie fut même arrêté par des forces spéciales soviétiques. À 15 heures, l’agence soviétique TASS diffusa alors un texte de cadres du Parti Communiste de Tchécoslovaquie justifiant l’invasion.

    L’ensemble du PCT se mobilisa alors symboliquement en faveur du présidium et d’Alexander Dubček, alors qu’un appel relayé par la radio de la ville de Plzeň appela à exiger l’arrêt de l’invasion. Mais il n’y eut pas de résistance et il y eut simplement 50 morts et 500 blessés dans le pays lors de l’invasion.

    Foule entourant les troupes d’occupation

    Le PCT parvint le lendemain de l’invasion à tenir son XIVe congrès avec 1218 délégués, les 260 délégués slovaques étant par contre bloqués par les soviétiques. Une grève générale d’une heure eut lieu dans tout le pays à midi, nombre de services étatiques ne le faisant en réalité que quelques minutes. Le XIVe congrès menaça principalement d’une grève générale de tout le pays dans les 48 heures.

    Le compte-rendu du congrès fut diffusé le lendemain par l’agence de presse yougoslave Tanjug et par une « Radio libre du comité local de Prague du PCT » ayant pris le nom de CSSR I (République Socialiste de Tchécoslovaquie I). Le PCT récusa l’invasion et réaffirma la souveraineté du pays, ainsi que le maintien des institutions.

    La partie était en réalité terminée sans même avoir commencé. Le président tchécoslovaque Ludvík Svoboda commença à négocier avec l’URSS et se précipita le jour même à Moscou et rapidement il fit venir là-bas l’ensemble de la direction du PCT. L’ensemble de la direction du PCT, à part František Kriegel, accepta de signer les Protocole de Moscou qui annonçaient la « normalisation » :

    « Les représentants tchécoslovaques, dans ce document, affirment leur résolution à atteindre la normalisation des relations dans notre pays sur une base marxiste-léniniste, renouveler le rôle du Parti et restaurer l’autorité de l’État fondée sur les classes ouvrières, éliminer les organisations contre-révolutionnaires de la vie politique et renforcer les relations internationales entre la République socialiste tchécoslovaque, l’Union soviétique et ses alliés socialistes. »

    Le syndicat refusa d’ailleurs catégoriquement d’appeler à la grève générale. Le maximum atteint sur le plan concret fut une sorte de résistance passive, les panneaux indiquant les routes disparaissant notamment, à l’appel de Radio Prague.

    Le 24 août 1968, la Pravda publia un long article présentant le XIVe congrès du Parti Communiste de Tchécoslovaquie comme contre-révolutionnaire et illégal. Les forces d’occupation prirent le contrôle de l’ensemble des bâtiments, administrations, etc. sans coup férir. Il n’y eut qu’un quart d’heure de grève générale le 26 août.

    Le 27, les protocoles de Moscou furent rendus publics. Alexander Dubček s’exprima le jour même à Radio Prague, en larmes et faisant de longues pauses.

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  • L’intervention militaire du Pacte de Varsovie contre le Printemps de Prague

    Le soir du 21 mars 1968, à 21 heures, la tour de contrôle de l’aéroport de Prague reçoit un appel de détresse de trois avions cargo soviétiques prétendant manquer de carburant. Ils reçoivent l’ordre de se mettre en relation avec l’aéroport militaire de Kbely, où en réalité s’est déroulé un coup de force pro-soviétique.

    Ils se posent alors sans autorisation sur l’aéroport de Prague, qui était fermé pour la nuit en raison de prétendues réparations sur ordre du ministre adjoint de l’Intérieur tchécoslovaque Viliam Šalgovič, agissant en fait sur ordre du KGB. Des parachutistes avaient également sauté depuis les machines.

    Le directeur de l’aéroport bloque alors « Velin », l’interface placée dans un endroit secret gérant l’eau, l’électricité, le gaz, le chauffage, la ventilation, etc ; les agents soviétiques mettront trois jours à le trouver. Mais les agents soviétiques amenés par les avions ont amené des câbles, des groupes électrogènes, de quoi illuminer les pistes et même un radar.

    Au même moment, lors d’une session du présidium du Comité Central du Parti Communiste de Tchécoslovaquie, Vasiľ Biľak attaque immédiatement Alexander Dubček et appuyé notamment par le rédacteur en chef de l’organe du Parti, le Rudé právo, Oldřich Švestka, propose un document où il est affirmé que les États du Pacte de Varsovie ont eu raison de parler de contre-révolution en Tchécoslovaquie.

    La bataille fait alors rage puis à 22h30, le chef du gouvernement, Oldřich Černík, reçoit un coup de téléphone et déclare aux autres :

    « L’occupation commence. Ils viennent. Les armées de cinq pays ont franchi les frontières et nous occupent. »

    250 000 hommes et 4200 tanks, avec présence et supervision soviétique, ont en effet envahi la Tchécoslovaquie depuis la RDA, la Pologne et la Hongrie, des forces bulgares étant présentes dans ce dernier cas.

    Le directeur général des télécommunications Karel Hoffmann, passé dans le camp soviétique, fait fermer toutes les communications téléphoniques ainsi que les télé-radiodiffusions. Seul opère Radio Vltava diffusant le point de vue soviétique.

    Miroslav Šulek, ancien responsable de l’agence de presse tchécoslovaque CTK, tente à minuit de faire envoyer un message d’un « gouvernement révolutionnaire ouvrier-paysan » aux membres du Pacte de Varsovie, il en est toutefois empêché.

    De son côté le présidium du Comité Central du Parti Communiste de Tchécoslovaquie rédige un appel « à tout le peuple », mais il ne peut passer à la radio que lorsque celle-ci est rétablie vers 4h30 du matin, alors qu’une édition spéciale du Rudé právo est publiée avec l’appel.

    Le voici.

    A tout le peuple de la République socialiste tchécoslovaque

    Hier, le 20 août 1968, vers 23 heures, les troupes de l’ Union soviétique , de la République populaire polonaise , de la République démocratique allemande , de la République populaire hongroise et de la République populaire bulgare ont franchi la frontière de la République socialiste tchécoslovaque. 

    Cela s’est passé à l’insu du Président de la République, du Président de l’Assemblée nationale, du Premier ministre et du premier secrétaire du Comité central du Parti communiste et de ces organes.

    A ce moment-là, le présidium du comité central du parti communiste s’est réuni pour préparer le XIVe Parti du congrès. Le présidium du Comité central appelle tous les citoyens de notre république à rester calmes et à ne pas résister à l’avancée des troupes. C’est pourquoi même notre armée, la sécurité et la milice populaire n’ont pas reçu l’ordre de défendre le pays.

    Le Présidium du Comité central du Parti communiste considère cet acte non seulement comme ne respectant pas les principes des rapports entre États socialistes, mais aussi comme une négation des normes fondamentales du droit international.

    Tous les hauts responsables de l’État, du Parti communiste et du Front national demeurent dans leurs fonctions. Ils ont été élus représentants du peuple et membres de leurs organisations conformément aux lois et aux autres normes en vigueur dans la République socialiste tchécoslovaque.

    Les fonctionnaires constitutionnels convoquent immédiatement une réunion de l’Assemblée nationale, du gouvernement de la République. Le présidium du comité central du parti communiste convoque la plénière du comité central du parti communiste pour débattre de la situation.

    Présidium du Comité central

    21. 8. 1968

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  • Le Printemps de Prague à la veille de l’intervention militaire du Pacte de Varsovie

    Lors des manœuvres du Pacte de Varsovie dénommée Šumava (forêt de Bohême) de la fin juin 1968, les troupes polonaise et est-allemande mirent quelques jours de plus avant de quitter la Tchécoslovaquie, alors que les troupes soviétiques y restèrent carrément, obligeant le général tchécoslovaque Václav Prchlík, le plus haut responsable militaire, à expliquer publiquement le 10 juillet qu’elles ne voulaient pas partir.

    L’URSS annonça alors publiquement la fin des manœuvres dans la Pravda le 12 juillet, mais les troupes ne commencèrent à quitter le territoire que de manière dispersée, au point que même le gouvernement tchécoslovaque ne connaissait pas leur nombre réel encore présent.

    Il y avait de plus initialement – mais les chiffres ne furent jamais donnés officiellement à la Tchécoslovaquie par l’URSS – 16 000 soldats, 4500 véhicules, 70 tanks, 40 avions de liaison, un escadron d’avions de chasse, une compagnie d’intervention, 20 hélicoptères, 4 relais radio de grande portée. A cela s’ajoute la surreprésentation d’officiers dirigeant des compagnies.

    Officiellement, la mission de la manœuvre était pourtant simplement le marquage de la zone, ce qui ne correspondait pas du tout aux forces déployées. C’était une pression évidente et le général tchécoslovaque Václav Prchlík y répondit le 17 juillet en disant qu’il fallait en terminer avec le Pacte de Varsovie et passer à une alliance seulement militaire.

    La réponse de la revue du ministère de la défense soviétique, L’étoile rouge, critiqua de manière virulente une telle affirmation ; le général tchécoslovaque Václav Prchlík fut alors mis de côté par le présidium du Comité Central du Parti Communiste de Tchécoslovaquie, qui supprima en même temps la section 8 du Comité Central supervisant l’armée, ce qui impliquait une séparation désormais du Parti et de l’armée.

    Ce n’est alors que le 3 août que le processus de départ des troupes soviétiques se termina.

    Cependant, le 23 juillet avait commencé une autre manœuvre, s’étalant sur l’Ukraine, la Biélorussie et la Lettonie. Il fut noté que pour le première fois dans ce genre d’opération, des réservistes avec des avions civils furent également utilisés ; la période était surprenante qui plus est en raison de la saison des récoltes.

    Des manœuvres parallèles furent commencées en RDA et en Pologne, alors qu’une grande manœuvre de la flotte militaire soviétique déjà en cours se prolongea.

    Le ministre de la défense soviétique et commandant suprême des forces armées, Andreï Gretchko, se rendit en RDA le 13 août, en Pologne le 16 août, pour à chaque fois des réunions au plus haut niveau militaire des pays concernés.

    Entre-temps, le 15 août, des manœuvres militaires soviéto-hongroises furent annoncées par Radio Budapest.

    Le 18 août, la Pravda publie un article au sujet de la Tchécoslovaquie, où on lit notamment :

    « Les ennemis du socialisme visent à la restauration de l’ancien ordre bourgeois en République Socialiste de Tchécoslovaquie, et c’est à cela que participent leurs efforts. Mais les entreprises de l’ennemi sont vouées à l’échec.

    Les travailleurs de la République Socialiste de Tchécoslovaquie, qui peuvent compter sur la solidarité internationale et le soutien des pays frères du socialisme, qui ont été exprimés de manière claire et sans ambiguïtés dans la déclaration de Bratislava, sont destinés à défaire les entreprises de la réaction intérieure et extérieure, à défendre et renforcer leurs conquêtes socialistes. »

    Le 19 août, l’armée tchécoslovaque annonça faire des manœuvres également, en présence des plus hauts responsables de la défense et de la sécurité du pays. Le même jour, une réunion confidentielle et inattendue du Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique se tint, où fut prise la décision de l’intervention militaire en Tchécoslovaquie.

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  • Printemps de Prague : Nicolae Ceaușescu provoque l’effondrement

    Le Parti Communiste de Tchécoslovaquie commit alors une série d’impairs bouleversant le principal équilibre obtenu. En effet, dans la foulée de la conférence de Bratislava du 3 août 1968, le PCT invita Josip Broz Tito du 9 au 11 août, qui fut accueilli en grande pompe et avec des manifestations de masse. Une réunion de douze heures se conclut notamment par un communiqué commun témoignant de la perspective commune, alors que le 10 août Josip Broz Tito tint une conférence de presse :

    « Nous sommes venus en Tchécoslovaquie pour présenter notre soutien pour vous et en même temps pour la solution correcte trouvée à Bratislava ! »

    Il refusa cependant d’assumer un bloc militaire yougoslavo – tchécoslovaque. Ce rapprochement ne pouvait que cependant être considéré comme une provocation au lendemain des négociations soviéto-yougoslaves.

    Le 12 août, c’est un délégation du SED est-allemand qui vint à Karlovy Vary pour des discussions au haut niveau. Le dirigeant est-allemand Walter Ulbricht, déjà hué à Bratislava, ne fut pas applaudi et ne quitta la ville qu’une fois la foule partie. Malgré l’entente cordiale officielle, cela ne pouvait que refroidir sévèrement les relations.

    Enfin, du 15 au 17 août, c’est Nicolae Ceaușescu qui vint à la tête d’une délégation. Pour la première fois, lors de la rencontre des délégations, les Tchécoslovaques intégrèrent les membres du cabinet ministériel membre de structures du Front National (le Parti socialiste et le Parti populaire).

    Alexander Dubček, Ludvik Svoboda et Nicolae Ceaușescu
    à Prague

    Il en ressortit un « Traité sur l’amitié, le travail en commun et l’assistance mutuelle de la République Socialiste de Roumanie et la République Socialiste de Tchécoslovaquie ». Il remet en cause les accords de Munich (ce qui satisfait par définition la RDA), mais parle d’une assistance militaire en cas « d’attaque armée d’un État ou d’un groupe d’États ».

    Lors de la conférence de presse du 16 août 1968 à Prague, Nicolae Ceaușescu affirma même que les rapports bilatéraux présentaient la meilleure forme d’interaction entre les pays socialistes. Il se prononça contre les réunions multipartites.

    Il affirma également que le Pacte de Varsovie était purement défensif et aucunement prétexte à se mêler des affaires des autres pays. Au sujet de la conférence de Bratislava, il dit :

    « Nous ne signons aucune déclaration de réunions auxquelles nous n’avons pas participé. »

    A la question de savoir si un petit ou un grand Etat socialiste pouvait emprunter de l’argent à un Etat capitaliste sans que cela ait des conséquences politiques, il répondit que l’argent n’a pas d’odeur et que la taille de l’État socialiste ne changeait rien à l’affaire. Les crédits seraient de toute façon un rapport normal entre pays au niveau international.

    C’était là carrément appeler au démantèlement du bloc de l’Est, au profit d’États assumant un non-alignement dans l’esprit de la Yougoslavie. C’était inacceptable pour l’URSS désormais social-impérialiste et considérant les pays de l’Est comme ses satellites semi-coloniaux.

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  • Les négociations soviéto-tchécoslovaques de juillet-août 1968

    Čierna nad Tisou est une petite ville de 2500 habitants à la frontière soviéto-tchécoslovaque, du côté slovaque. En 1946 fut mise en place une gare frontière et de transbordement, en raison de la taille différente des voies alors entre la Tchécoslovaquie et l’URSS.

    Les négociations soviéto-tchécoslovaques s’y déroulèrent du 29 juillet au 1er août, dans la maison de la culture. On a droit ici à un humour typiquement tchèque, puisque fut projeté dans celle-ci, juste avant l’ouverture des négociations, le film Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution de Jean-Luc Godard.

    La ville d’Alphaville est dominée par Alpha 60, un ordinateur qui a tout collectivisé, mais au moyen de la poésie, les individus se libèrent : c’est une dystopie classiquement anticommuniste. Cela correspond tout à fait à l’approche de la bourgeoisie tchèque, qui s’est reconnue dans le cubisme, la poésie d’Apollinaire, etc.

    Le résultat des négociations fut, au-delà de l’expression de la camaraderie, de l’unanimité des points de vue, etc., un appel à une réunion de l’ensemble des dirigeants de l’URSS et des pays de l’est (sauf la Yougoslavie et la Roumanie) à Bratislava, capitale de la Slovaquie, le 3 août.

    Léonid Brejnev et Alexander Dubček à Čierna nad Tisou

    C’est dans le bilan des négociations qu’Alexander Dubček, dans un discours du 2 août qui fut radiotélévisé, utilisa l’expression traduite en français comme « socialisme à visage humain » :

    « Nous leur avons promis que nous nous en tiendrons de manière déterminée aux positions de la politique prise depuis janvier. Cette politique nous donne comme tâche de réaliser dans notre patrie une société socialiste qui ait un forme vraiment humaine, qui sera orienté de manière profondément démocratique, sociale, juste, et moderne, où sont étroitement liées les valeurs sociales communes avec les valeurs nationales, et où nos citoyens seront en mesure de décider eux-mêmes leur propre destin, selon leurs connaissances et leurs croyances. »

    Alexander Dubček remercia l’URSS et présenta la réunion de Bratislava comme le prolongement des négociations de Čierna nad Tisou.

    Celle-ci rassembla les six principaux dirigeants tchécoslovaques, les trois principaux dirigeants Bulgare, les trois principaux dirigeants hongrois, les cinq principaux dirigeants est-allemands, les quatre principaux dirigeants polonais, les sept principaux dirigeants soviétiques (dont Mikhaïl Souslov, la grande éminence grise de l’URSS d’après 1953).

    Le passage le plus important du communiqué de la conférence est le suivant :

    « Après une vérification de la situation en Europe, les participants à la consultation constatent que l’activation des forces du revanchisme, du militarisme et du néo-nazisme en Allemagne de l’Ouest touche directement à la sécurité des Etats socialistes et menace la paix générale.

    Aussi mènerons-nous dans le futur en ce qui concerne les affaires européennes une politique unie de manière décidée, qui correspondent aux intérêts communs des pays socialistes, aux intérêts de la sécurité européenne et rejetteront toute tentative de modifier les résultats de la seconde guerre mondiale et modifier les frontières existantes en Europe.

    Nous continuerons à maintenir que les accords de Munich étaient irréguliers depuis le début ; nous défendrons sans retenue la RDA, cet État socialiste des masses laborieuses allemandes, qui défend la cause de la paix. »

    On devine l’argument de la RDA : si la Tchécoslovaquie modifie son régime et se tourne vers l’Allemagne de l’Ouest, alors celle-ci demandera des réparations pour l’expulsion passive des Allemands après 1945 et tout l’ordre établi en Europe va vaciller. La Tchécoslovaquie se présentait comme la boîte de Pandore d’une modification générale du paysage européen.

    Alexander Dubček fit un discours radiotélévisé le 4 août et présenta le tout comme un succès, expliquant que d’un côté tout continue comme avant, de l’autre que la Tchécoslovaquie était ancrée militairement dans le bloc de l’Est. Le présidium du Comité Central du PCT formula la même chose dans son communiqué du 6 août, soulignant l’importance pour les médias de correctement se positionner, notamment pour les questions d’affaires étrangères.

    L’article paru le 5 août dans le quotidien servant d’organe du Parti en Pologne, la Trybuna Ludu, exprima de son côté la satisfaction. Il en alla de même le 6 août pour le Bureau Politique du Parti Communiste d’Union Soviétique et la Pravda. Il en fut de même le 7 août du côté hongrois et est-allemand.

    L’organe quotidien du Parti de Roumanie, la Scînteia, protesta naturellement, le 7 août, contre l’absence d’invitation de la Roumanie ; dans l’organe yougoslave Komunist, le 8 août, il était parlé de nouvelle atmosphère mais il était affirmé qu’il fallait attendre pour voir si cela allait se concrétiser.

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  • Les tensions au lendemain de l’échec des négociations soviéto-tchécoslovaques de mai-juin 1968

    La lettre de Varsovie faite mi-juillet au Comité Central du Parti Communiste de Tchécoslovaquie (PCT) était lourde de menaces. Le présidium du Comité Central du PCT répondit le 18 juillet par une lettre validée le lendemain par une session du Comité Central, rappelant qu’il avait rejeté le manifeste des « 2000 mots », qu’il était discipliné par rapport aux exigences de ses alliés, mais que la situation était complexe et qu’il ne fallait pas être unilatéral dans une éventuelle critique, etc.

    Le Bureau Politique du Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique proposa alors une réunion avec le présidium du Comité Central du PCT, à Moscou, Kiev ou Lviv, le 22 ou le 23 juillet.

    Le PCT, qui avait déjà accepté plusieurs demandes de rencontres depuis début juillet mais toujours repoussé une mise en place concrète, repoussa l’idée que cela se déroule sur le territoire soviétique. Le 22 juillet il fut décidé que cela se déroulerait en Tchécoslovaquie.

    La pression fut énorme. Le 25 juillet 1968, le quotidien servant d’organe du Parti en Pologne, la Trybuna Ludu, publia un article intitulé sur « le jugement des événements se déroulant en République Socialiste de Tchécoslovaquie » et il était ouvertement expliqué que la direction du PCT servait les intérêts des revanchistes ouest-allemands. Il faudrait balayer d’un revers de la main la réponse du PCT à la lettre de Varsovie, car les faits montreraient que les forces anti-socialistes l’emportent.

    Le même jour, l’organe du Parti en Hongrie, la Népszabadság, publia un article intitulé « Quels points posons-nous comme débat à nos camarades tchécoslovaques ? ». Il est expliqué que le Parti hongrois n’a nullement changé d’avis sur le choix tchécoslovaque, mais que les événements actuels l’amènent à modifier son opinion sur ce qui est réalisé. Faisant un rapprochement avec la situation hongroise en 1956, il est dit :

    « En République Socialiste de Tchécoslovaquie, il se produit ces jours-ci, ces semaines-ci, la même chose que dans notre pays dans la période avant la contre-révolution. »

    La Hongrie abandonnait donc son soutien. Radio Prague salua toutefois le document pour son « ton calme et non-agressif, ainsi que son effort sérieux pour donner des raisons ».

    Restaient ainsi deux appuis seulement : la Yougoslavie de Josip Broz Tito et la Roumanie de Nicolae Ceaușescu. Toujours le 25 juillet, l’organe du Parti en Yougoslavie, Komunist, affirma que le droit international des peuples primait sur le pacte de Varsovie et remettait en cause le principe du « bloc ».

    Le 27 juillet parut dans l’organe quotidien du Parti de Roumanie, la Scînteia, une longue explication où on lit notamment :

    « Les événements en République Socialiste de Tchécoslovaquie sont comme avant toujours suivis avec le plus grand intérêt dans notre pays. Les communistes, les masses laborieuses, tout le peuple de Roumanie exprime sa solidarité la plus profonde avec le Parti Communiste de la République Socialiste de Tchécoslovaquie, avec la classe ouvrière, avec la paysannerie, avec l’ensemble du peuple tchécoslovaque (…).

    De par les conditions prévalentes, le manque de compréhension, les critiques et les soupçons à l’égard du PCT ne peuvent que rendre plus compliquée la situation en République Socialiste de Tchécoslovaquie et nuire à la lutte pour la dépassement de ces difficultés. »

    Il est souligné que le PCT sait très bien que son action complexe a amené l’émergence de courants droitiers, qu’on doit absolument lui faire confiance.

    Mais le danger pour le PCT ne venait pas que de l’URSS, de la RDA et de la Pologne. Ainsi, le 26 juillet 1968, la revue Literární listy publia un « Message citoyens au présidium du Comité Central du PC de la République Socialiste de Tchécoslovaquie », écrit par Pavel Kohout et signé par des centaines de milliers de personnes lors d’une vaste campagne menée en ce sens.

    Il s’agit d’un appel ouvert à la rupture :

    « Le moment est venu, car notre patrie est après des siècles de nouveau devenu le berceau de l’espoir [allusion au mouvement hussite, première affirmation du protestantisme, débouchant sur les importantes guerres taborites].

    Pas seulement le nôtre. Le moment est venu où nous pouvons donner au monde une preuve que le socialisme représente la seule véritable alternative pour l’ensemble de la civilisation.

    Nous nous sommes attendus à ce que ce soit avant tout le camp socialiste qui salue ce fait avec sympathie. Au lieu de cela, nous sommes accusés de trahison (…).

    Tout ce pourquoi nous faisons des efforts peut être résumé en quatre mots : Socialisme ! Union ! Souveraineté ! Liberté ! (…)

    [Après la liste des principaux dirigeants du PCT :] Négociez, expliquez et défendez unanimement et sans compromis la voie que nous avons prise et dont nous ne dévierons pas vivants ! »

    C’est dans ce contexte que se déroula la nouvelle négociation soviéto-tchécoslovaque.

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  • Les négociations soviéto-tchécoslovaques de mai-juin 1968

    La situation devenait intenable avec des polémiques toujours plus dures, aussi une délégation tchécoslovaque fut invitée à Moscou par le Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique, les 4 et 5 mai 1968. Il n’en ressortit officiellement qu’une entente cordiale.

    Du 17 au 22 mai, une délégation militaire soviétique du plus haut rang, dirigée par le ministre de la défense soviétique et commandant suprême des forces armées, Andreï Gretchko répondit à l’invitation d’aller à Prague faite par le ministre de la défense tchécoslovaque Martin Dzúr.

    Du 17 au 25 mai, le président du conseil des ministres d’URSS, Alexis Kossyguine, fut en Tchécoslovaquie, officiellement pour une cure, mais les pourparlers au plus haut niveau furent assumés publiquement.

    Parallèlement se déroula à Moscou, le 8 mai, une réunion de la direction soviétique avec des représentants du bloc de l’Est. Le dirigeant est-allemand (Walter Ulbricht) exigea le stationnement de troupes du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie, ce qu’approuva le dirigeant polonais (Władysław Gomułka), mais fut réfuté par le dirigeants hongrois (János Kádár), le dirigeant bulgare (Todor Jivkov) restant en retrait.

    Walter Ulbricht

    Le grand avertissement eut alors lieu le 27 mai dans un article de la Pravda intitulé « Conviction communiste » où était réfutée la thèse de la « non-intervention » face aux influences bourgeoises. Le 14 juin 1968, la Pravda publia également un article intitulé « Le marxisme-léninisme est un enseignement international unifié » où fut ouvertement dénoncé Čestmír Císař, secrétaire du Comité Central dans le domaine des sciences, de la culture et des médias, pour son exigence du refus du « monopole de l’interprétation du marxisme », thèse affirmée à Prague pour le 150e anniversaire de Karl Marx.

    La Hongrie appuya alors ouvertement la Tchécoslovaquie, une délégation tchécoslovaque conduite par Alexander Dubček allant à Budapest du 13 au 15 juin 1968 pour signer un traité d’amitié et de coopération.

    Péter Rényi, rédacteur en chef de l’organe du Parti en Hongrie, la Népszabadság, y publia alors le 16 juin un article intitulé « Indépendance, unité, internationalisme », soulignant l’indépendance des partis communistes, rappelant que tort avait été fait à la Yougoslavie, que l’URSS avait montré la nécessité de sortir du culte de la personnalité. Il formula ainsi ouvertement la thèse comme quoi :

    « Il n’y a pas de modèle obligatoire dans la construction du socialisme. »

    Le ministre des affaires étrangères tchécoslovaque Jiří Hájek, nommé en avril 1968, fit une visite diplomatique en RFA les 17 et 18 juin pour essayer de calmer le jeu. Cela ne réussit pas ; le SED est-allemand produisit une « Argumentation sur la politique du Parti Communiste de Tchécoslovaquie » d’abord à usage interne, puis diffusé à l’occasion du Festival mondial de la jeunesse et des étudiants en Bulgarie.

    On y lit notamment :

    « Il est incompréhensible que la publication de cette plate-forme des « 2000 mots » clairement ennemie ait été autorisée dans quatre organes centraux tchécoslovaques importants. »

    Une manœuvre militaire du Pacte de Varsovie, dénommée Šumava (forêt de Bohême), commença également le 20 juin, sur les territoires russe, polonais, est-allemand et tchécoslovaque ; au lieu de se terminer le 30 juin, elle se termina le 2 juillet en présence des dirigeants tchécoslovaques, alors que des manœuvres étaient actives aux frontières, dans le sud de la Pologne et de l’Allemagne de l’Est. C’était un clair avertissement.

    Parallèlement, l’article de la Pravda du 11 juillet 1968 sur le manifeste des « 2000 mots », intitulé « Attaque contre les fondements socialistes de la Tchécoslovaquie », affirma que la contre-révolution était à l’œuvre.

    Les négociations soviéto-tchécoslovaques de mai-juin 1968 avaient ainsi échoué ; la tournure des événements semblait hors de contrôle aux yeux de l’URSS, de la RDA et de la Pologne. Les 14 et 15 juillet fut ainsi écrite une lettre au Comité Central du Parti Communiste de Tchécoslovaquie, fruit d’une rencontre à Varsovie des deux principaux dirigeants d’URSS, de Bulgarie, de RDA, de Pologne et de Hongrie.

    Il fut reproché au PCT de tolérer le développement de courants de droite risquant d’amener la séparation de la Tchécoslovaquie d’avec les « pays socialistes » ; les « fondements du socialisme en Tchécoslovaquie » seraient menacés.

    C’était là le tournant dans les rapports entre la Tchécoslovaquie et le bloc de l’Est dominé par le social-impérialisme soviétique.

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  • Les réactions de l’URSS et du bloc de l’Est au manifeste tchécoslovaque des «2000 mots»

    Le manifeste des « 2000 mots » fut clairement la goutte d’eau faisant déborder le vase. Les tenants du Printemps de Prague l’avaient tout de suite compris et le regrettaient amèrement. Il était en effet inévitable que l’appel à supprimer les forces « conservatrices » impliquaient une réaction virulente de celles-ci. Samuel Kodaj dénonça ainsi la « contre-révolution » à l’assemblée nationale.

    Cela n’aurait joué aucun rôle si, derrière, il n’y avait pas le spectre de l’URSS et de la RDA. Le SED d’Allemagne de l’Est était horrifié par les réformes du Parti Communiste de Tchécoslovaquie, car cela impliquait une ouverture à l’Ouest et principalement, obligatoirement, avec l’Allemagne de l’Ouest, tant pour des raisons économiques qu’historiques.

    L’URSS s’apercevait pareillement que la frontière orientale de la Tchécoslovaquie touchait l’Ukraine. Qui plus est, la Tchécoslovaquie était située au milieu du bloc de l’Est. Un éventuel basculement de ce pays était de ce fait considéré comme littéralement catastrophique.

    Deux pays par contre soutenaient l’initiative de toutes leurs forces : la Roumanie, dont le régime avait pris un tournant nationaliste très agressif, et la Yougoslavie dont le titisme était déjà lié aux pays occidentaux.

    Deux pays tenaient une position intermédiaire : la Hongrie et la Bulgarie, qui appréciaient le parcours tchécoslovaque et montraient des signes de soutien, vite abandonnés dès que l’URSS exprimait son courroux.

    Alexander Dubček avait été à Moscou les 29 et 30 janvier 1968, pour rassurer l’URSS. Et le 22 février 1968, le dirigeant de l’URSS Léonid Brejnev était venu à Prague pour célébrer les 20 ans de la victoire de février 1948. A cette occasion, il parla de la menace ouest-allemande, ce que firent aussi les dirigeants est-allemand (Walter Ulbricht) et polonais (Władysław Gomułka), les dirigeants hongrois (János Kádár) et bulgare (Todor Jivkov) étant plus mesurés à ce sujet, les dirigeants roumain (Nicolae Ceaușescu) et yougoslave (Veljko Vlahović) n’en parlant pas du tout.

    Alexander Dubček et Léonid Brejnev

    On ne sera ainsi pas étonné si à la conférence de Dresde de mars 1968 sur la sécurité européenne – organisé littéralement en catastrophe – on retrouve tous ces pays, à ceci près que ni la Roumanie ni la Yougoslavie ne furent invitées.

    Cela ne suffit pas pour rassurer la RDA et l’idéologue du SED Kurt Hager attaqua la Tchécoslovaquie lors d’une congrès philosophique à l’occasion du 150e anniversaire de Karl Marx, le 25 mars 1968. Il y dénonça d’abord, de manière voilée, ceux qui pensent que les couches intellectuelles, notamment les écrivains, peuvent diriger le pays, qui convergent avec l’impérialisme quant à la considération que les technologies et la rationalisation de la production sont au-dessus de tout, etc. Puis, le soir, il accusa le gouvernement tchécoslovaque de voir ses affirmations directement reprises par l’Allemagne de l’Ouest.

    La Tchécoslovaquie protesta officiellement auprès de l’ambassadeur de RDA à Prague, mais ce fut ensuite la revue soviétique Russie Soviétique qui, le 4 avril 1968, publia un article intitulé « La fraternité des prolétaires – sur les particularités nationales et le caractère général comme loi des normes de la construction socialiste ».

    Cette revendication de la primauté du modèle soviétique connut une réponse négative par l’intermédiaire d’Ivan Synek, responsable du Parti Communiste de Tchécoslovaquie pour les rapports avec le Parti Communiste d’Union Soviétique. Dans son article « De la voie spécifique au socialisme – sur certains aspects de l’internationale prolétarien », paru le 19 avril 1968 dans l’organe du PCT, le Rudé právo, il prôna bien entendu « l’application créatrice » des expériences soviétiques, à rebours d’une « copie mécanique ».

    A la fin avril, le Parti Communiste de Roumanie protesta contre sa non-invitation à Dresde, alors qu’au même moment une délégation de Bulgarie venait signer à Prague un traité de coopération.

    Le 11 mai 1968, le journal moscovite Izvestia (Les nouvelles) publia l’article « La force dirigeante dans la construction du communisme » appelant à rejeter « la non-intervention des partis communistes ou ouvriers dans la vie étatique, économique ou idéologique », car c’est une conception élaborée dans les pays capitalistes pour saboter le socialisme.

    Une polémique soviéto-tchécoslovaque éclata ensuite en raison de l’accusation selon laquelle le diplomate Jan Masaryk, fils de Tomáš Masaryk, aurait été tué par des agents soviétiques en 1948. la Pravda publia ensuite le 19 mai 1968 l’article « Socialisme et démocratie » pour dénoncer ceux qui opposent les deux.

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