La nature de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS

L’URSS socialiste est une société organisée, rassemblée autour des principes socialistes. Cela signifie qu’aucun aspect de la vie sociale n’échappe à une réflexion et à un choix. Ce qui n’est pas validé est considéré comme déviant et est par conséquent réprimé, ou plus précisément, écarté.

Telle est la logique inexorable de la marche au communisme.

Il y a ainsi deux aspects. Le premier, c’est que l’URSS, à l’époque de Staline, mais également auparavant au moment de Lénine, se définit comme ouvrière et paysanne, d’où le symbole du marteau et de la faucille. Elle se conçoit par rapport à cette réalité sociale et son droit le reflète, le condense.

L’article 97 de la constitution soviétique, mise en place en 1936, explique ainsi que :

« Les soviets de députés des travailleurs dirigent l’activité des organes de l’administration qui leur sont subordonnés, assurent le maintien de l’ordre public, l’observation des lois et la protection des droits des citoyens, dirigent l’édification économique et culturelle locale, établissent le budget local. »

Le second, c’est qu’il existe des éléments anti-sociaux qui sont exclus de la société. Au sens strict, ils ne sont plus considérés comme relevant de la société, soit parce qu’ils ont été exécutés, soit parce qu’on les a déchu temporairement de leur citoyenneté, soit parce qu’on les a bannis.

La mise en place de cette exclusion a historiquement été organisé de manière administrative, depuis le cœur de la société elle-même, au moyen de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS.

Cela présuppose une division tripartite de la réalité soviétique de l’époque de Staline.

La vie sociale consiste en le système des soviets s’établissant en liaison centralisée, république par république, formant l’URSS au sens strict, le pouvoir des soviets organisé et centralisé, avec un gouvernement.

La réflexion et les choix quant à la société sont effectués par le Parti, qui joue le rôle dirigeant.

Enfin, la répression des déviances et leur exclusion sociale est réalisée par l’appareil de sécurité d’État de l’URSS, lié à l’État soviétique et dirigé au plus haut niveau par la direction du Parti.

L’URSS socialiste a ici réalisé une opération d’une double nature. D’un côté, la tête de l’appareil de sécurité d’État relève entièrement du Parti. De l’autre, tout son corps est directement structuré dans la société elle-même.

Il faut saisir ici que la réalisation de l’ordre public ayant lieu dans un cadre socialiste n’est pas réalisée par la police, qui en tant qu’institution – en URSS les milices ouvrières et paysannes – est très faible. Elle ne relève pas non plus de l’armée, institution entièrement subordonnée sur le plan des décisions, et dont le renseignement militaire passa dans le giron des affaires intérieures.

Elle vient du cœur de la société elle-même, par un appareil de sécurité totalement imbriquée dans la société, dans son organisation même. Il s’agit, concrètement, d’un énorme système de contrôle des actions à partir de la réalité de la vie quotidienne elle-même.

Pour cette raison, l’appareil de sécurité soviétique était d’une puissance absolue dans les faits et a impressionné de manière particulièrement terrifiante l’ensemble de la bourgeoisie dans le monde, ainsi que les États bourgeois.

Pour cette raison également, ce qui était non conforme aux valeurs soviétiques était expulsée de son champ. C’est cette approche qui est à la base de l’ouverture des camps de travail.

Pour cette raison également, dans le cadre de l’intensification de la lutte des classes, l’appareil de sécurité en URSS a été impliqué en première ligne dans la confrontation.

Cela a également particulièrement impressionné la bourgeoisie, hallucinant littéralement devant la capacité de l’État socialiste à écraser les tendances bourgeoises dans la société soviétique elle-même, et ce à partir de la société soviétique elle-même.

Le problème historique est que cela a confié à l’appareil de sécurité d’État soviétique la forme d’un appareil administratif au sein de la société elle-même, qu’il y a ainsi un manque de lisibilité significative sur le plan politique.

Cet aspect deviendra principal au moment des problèmes de 1952-1953 aboutissant à la transformation de l’URSS en un social-impérialisme, avec comme agence terroriste le KGB formé à l’extérieur de la société au début de l’année 1954.

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Le droit en expansion par l’opinion publique en URSS socialiste

En URSS socialiste, le droit était considéré comme la condensation des rapports économiques, ce qui dans un cadre socialiste reflète par conséquent une assimilation du droit par la morale et inversement.

Droit et morale restent évidemment deux choses séparées tant qu’il y a un État encore. Dans le communisme, la situation sera différente, puisque les membres de la société se considéreront à la base même par l’intermédiaire des valeurs de la citoyenneté socialiste universelle.

De fait, le rapport entre le droit et la morale tient au niveau de développement atteint par la société. Maria Pavlovna Kareva, dans Le droit et la moralité dans la société socialiste, publié en 1951, dit à ce sujet la chose suivante :

« En parlant de la connexion la plus étroite et inextricable du droit socialiste et de la moralité, nous ne devrions pas perdre de vue que, en dernière analyse, le facteur déterminant de notre droit, comme toute loi, est le facteur économique et les besoins matériels de la société.

Le caractère commun des principes de base et de nombreuses exigences spécifiques du droit et de la moralité est principalement dû au fait qu’ils ont une base économique commune qui les génère et les conditionne.

La structure sociale du socialisme est objectivement morale et toute norme juridique qui contribue à son développement et à son renforcement renforce ainsi la moralité communiste et en exprime le principe directeur – subordonnant le comportement des personnes à un objectif supérieur, à savoir la construction du communisme. »

Il y a ainsi une contradiction entre la base morale de la société et le fait que ses membres ne soient pas encore à la hauteur de cette base, qu’ils sont en train d’être façonnés par cette base. Cela signifie qu’il y a à la fois assimilation du droit par le fait de vivre en tant que citoyens du pays, mais également affirmation de ce droit par le fait même de relever d’une société socialiste.

On a une conscience socialiste qui est celle des citoyens de la société socialiste, mais est par sa nature en expansion et a une base encore non entièrement fixée. Et on a un droit socialiste qui lui garantit justement le socle de la société de par sa stabilité, mais cela implique qu’il sera en retard sur la progression faite.

Maria Pavlovna Kareva dit avec justesse que :

« Tout d’abord, il convient de souligner que si la moralité est une forme de conscience sociale, la loi, faisant également partie de la superstructure, ne peut être réduite à une forme de conscience.

Ce n’est pas par hasard que nous distinguons clairement le droit, c’est-à-dire l’ensemble des normes pertinentes, et la conscience juridique, c’est-à-dire un système de vues juridiques, tandis que les normes de moralité et de conscience morale sont représentées par des synonymes.

Le fait est que l’état de droit, qui reflète en soi la conscience juridique de la classe dirigeante et, dans une société socialiste, la conscience juridique de l’ensemble du peuple soviétique, constitue un élément particulier de la superstructure sociale qui ne se confond pas avec la conscience juridique.

Cela s’explique par le fait que les normes juridiques représentent un type particulier de normes sociales qui diffère des normes morales à la fois par la manière dont elle est établie et par la manière dont elle est fournie, avec des garanties pour son application, et un certain nombre d’autres fonctionnalités.

Dans le même temps, les normes juridiques diffèrent de l’ensemble des points de vue, idées, idées selon lesquels elles sont établies et qui constituent le contenu de la conscience juridique.

Les points de vue, les idées qui composent le contenu de la conscience morale ont cette particularité d’être eux-mêmes normatifs. Les concepts de bien et de mal, qui sont au centre de la conscience morale, signifient également la nécessité de faire le bien et de combattre le mal.

Le concept d’honnête et déshonorant, méritoire et honteux, etc. signifie également l’exigence d’un certain comportement. »

La clef de cette contradiction réside dans l’affirmation de l’opinion publique, qui lève le drapeau du bien et exige du droit qu’il soit à la hauteur. Le droit socialiste s’affirme dans l’exigence populaire.

Comme le dit Maria Pavlovna Kareva :

« Dans les conditions de la victoire du socialisme, le droit consolide l’unité morale et politique prédominante du peuple et favorise la pénétration dans tous les secteurs de notre société des principes de la moralité communiste et des coutumes socialistes qui les concrétisent.

Dans la deuxième phase, l’interaction du droit et de la moralité s’approfondit et prend une nouvelle qualité.

Les moments d’influence morale revêtent une grande importance en droit: les encouragements, la stimulation, la culture de bonnes actions et autres moyens d’éducation analogues au droit soviétique, mais dans des conditions où en comparaison les classes exploiteuses étaient incapables d’obtenir une part aussi importante.

Un rôle encore plus important qu’auparavant est dans la conviction.

Cela ne signifie pas que, comme l’ont prêché les ennemis du peuple, sous le socialisme, les méthodes répressives de droite commencent à mourir ; réduire la loi sous le socialisme est caractérisé par le remplacement de la répression criminelle par une condamnation morale de l’opinion publique. »

La contradiction entre le droit et le niveau moral des citoyens soviétiques se résout dans l’affirmation des exigences de l’opinion publique concernant tant le droit que la morale.

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Le juge, ingénieur des esprits en URSS socialiste

Le rapport entre morale et droit en URSS socialiste s’appuie sur l’analyse matérialiste historique de ce qu’est le droit. Le droit est un aboutissement, c’est le reflet d’un rapport de force, c’est la condensation de la situation dans la lutte des classes.

Voici comment la chose est présentée par Andreï Vychinski, le principal juriste de l’URSS socialiste, dans son ouvrage La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, paru en 1941 :

« ‘‘Plus tard’’, écrivent Marx et Engels dans L’idéologie allemande, ‘‘lorsque la bourgeoisie eut acquis assez de puissance pour que les princes se chargent de ses intérêts, utilisant cette bourgeoisie comme un instrument pour renverser la classe féodale, le développement proprement dit du droit commença dans tous les pays — en France au XVI° siècle — et dans tous les pays, à l’exception de l’Angleterre, ce développement s’accomplit sur les bases du droit romain. Même en Angleterre, on dut introduire des principes du droit romain (en particulier pour la propriété mobilière) pour continuer à perfectionner le droit privé.’’

A cela, Marx et Engels ont ajouté [juste après la citation] une remarque définissant de manière classique la nature du droit : ‘‘N’oublions pas que le droit n’a pas davantage que la religion une histoire qui lui soit propre.’’

La dépendance du droit et des formes de son développement à l’égard des relations économiques et industrielles est prouvée par toute l’histoire de l’humanité.

La loi autorise de nouveaux types d’acquisition de biens, sert de médiateur aux nouveaux rapports économiques en leur donnant une expression de rapports juridiques. »

Le droit est à la fois un intermédiaire entre des forces sociales déterminées et l’inscription d’un rapport de forces dans les rapports sociaux eux-mêmes. Le droit est ainsi toujours lié à un phénomène historique ou une conclusion d’un phénomène historique. Il n’a pas d’existence propre, il est un aspect de la réalité, dont il dépend pour la configuration de son existence.

Pour cette raison, le droit a connu des évolutions, établissant des vérités déjà présentes ou se formant en même temps qu’elles. Le droit d’avant une société socialiste parachève par conséquent toujours un état de fait, dans certains cas il l’accompagne.

Le droit bourgeois confère à la propriété sa reconnaissance : elle existait au préalable, elle a fini par s’imposer.

Dans un pays socialiste, cela est différent, car la société va au socialisme ; le droit au lendemain de la révolution ne fait qu’affirmer une nouvelle tendance. Le droit devient ainsi toujours plus un levier pour drainer les comportements et les attitudes vers une formulation socialiste adéquate, et mieux encore un calibrage communiste, des comportements et des attitudes sociales.

Une citation connue d’Andreï Vychinski en URSS est à ce titre que :

« Tout verdict et toute décision de justice revêtent une grande importance.

Ils ont cette valeur non seulement en raison des exigences formelles qui sont présentées à cette occasion au nom des autorités de l’État à toutes les personnes touchées par les décisions de justice et les peines prononcées, mais également en raison de leur poids moral et sociopolitique. »

Ce poids ne fige pas un état de fait comme dans le droit du passé, non-socialiste. Il indique au contraire une tendance, une direction. Tout comme un écrivain est un ingénieur des âmes, on peut qualifier le juge d’ingénieur des esprits.

Il s’agit en effet, de faire correspondre les tournures d’esprit à ce qui correspond à la moralité d’un État socialiste toujours plus développé, et au-delà : à la moralité communiste.

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Les fondements matérialistes dialectiques du droit soviétique en URSS socialiste

Pour comprendre l’appareil de sécurité de l’État de l’URSS socialiste, il faut saisir la nature du droit servant de base juridique aux actions étatiques et son rapport avec la morale socialiste.

Contrairement aux prétentions « objectivistes » ou inversement « relativistes » du droit bourgeois, le droit socialiste pose en effet comme noyau du procès la subjectivité révolutionnaire du jugement, fondée sur l’objectivité de l’analyse des faits.

Cette combinaison n’est pas seulement combattue par la bourgeoisie ; elle lui semble surtout de fait littéralement incompréhensible. Bien entendu, l’accusation est celle du règne de « l’arbitraire ».

En réalité, il s’agit simplement du fait que le droit a une fonction non pas simplement négative et représentative comme dans le droit bourgeois, mais qu’il sert également de mise en perspective du juste et l’injuste, avec une mise en valeur du juste et cela de manière toujours plus poussée.

Cela correspond à l’affirmation de la dignité du réel, caractéristique du matérialisme dialectique. Le titan Andreï Vychinski, dans son ouvrage de 1941, La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, formule de manière magistrale cela en affirmant :

« Lénine écrivait en 1915 [dans La faillite de la II° Internationale], exposant l’opportunisme de Plekhanov, que : « La dialectique exige qu’un phénomène social soit étudié sous toutes ses faces, à travers son développement, et que l’apparence, l’aspect extérieur soit ramené aux forces motrices capitales, au développement des forces productives et à la lutte des classes. »

La vraie dialectique se concentre sur le concret, sur la base de la règle: « il n’y a pas de vérité abstraite, la vérité est toujours concrète ».

Cela nécessite une compréhension claire de toutes les connexions ou du moins des plus importantes, des transitions, des interdépendances dans leur spécificité et leur causalité, sans lesquelles une évaluation correcte des actions humaines et de la personne elle-même est impossible.

La logique formelle est ici insuffisante, impuissante.

Formelle, la logique est incapable d’établir la vérité matérielle, c’est-à-dire ce qui existe réellement, ce qui constitue le contenu réel des choses et des phénomènes, et ce qui constitue pourtant l’une des tâches les plus importantes de la justice.

La logique formelle se limite donc à ce que les avocats appellent la vérité juridique, c’est-à-dire comment certains phénomènes ou choses se caractérisent par des faits présentés au tribunal par les parties, quelle que soit la manière dont ces faits reflètent les rapports de la vie réelle.

Cette méthode juridique formelle d’évaluation des faits dans les affaires judiciaires est directement liée à la compréhension formelle du droit.

Une compréhension formelle de la loi se traduit par l’incapacité à aller au-delà de sa lettre, l’incapacité à approfondir la reconnaissance de ces relations réelles et vitales qui sont cachées derrière l’extérieur de la question. »

Le droit soviétique implique ainsi la recherche du mouvement de la réalité à l’origine des phénomènes relevant du droit. Cela n’est toutefois pas une démarche aboutissant elle-même à un nouveau formalisme, un formalisme anti-formaliste. En effet, pour être authentique, cette démarche doit elle-même s’appuyer, au niveau de la réalisation du droit, sur la transformation de l’ancien par le nouveau.

Cela veut dire que le droit soviétique doit, par définition même, venir de la société socialiste en construction elle-même, de sa substance même. L’appareil de sécurité d’État de la société socialiste doit donc consister en une structure de la société elle-même. Tel est le principe socialiste.

Il y a une convergence de la défense du droit soviétique par l’appareil de sécurité d’État et l’affirmation du socialisme, de sa morale, par une société réalisant dans les faits l’affirmation historique d’un nouveau mode de production.

La morale et le droit sont ainsi en rapport dialectique dans le cadre de la construction du socialisme.

Maria Pavlovna Kareva, dans Le droit et la moralité dans la société socialiste, publié en 1951, explique à ce sujet que :

« La spécificité de la corrélation du droit et de la morale sous le socialisme n’est pas seulement que notre loi exprime et renforce les vues morales et les exigences du travail du peuple tout entier, tandis que le droit bourgeois n’exprime et ne consolide que les vues et les exigences morales de la bourgeoisie, c’est-à-dire la partie non significative du point de vue numérique, exploitant la société.

La spécificité de cette corrélation réside dans le fait que notre loi, consolidant les fondements matériels et politiques de la société, favorise l’opposition inconciliable entre les peuples et l’exploitation de l’homme par l’homme, et toute forme d’oppression de l’homme, de la nation et des peuples, que notre loi éduque les gens dans l’esprit de la démocratie véritable, leur inspire de nobles sentiments.

La loi bourgeoise, qui consolide les fondements matériels qui donnent lieu à l’exploitation, et le système étatique qui assure la domination des exploiteurs, c’est-à-dire des minorités, instaure dans les peuples une moralité qui est le reflet du capitalisme, que les moralistes officiels préfèrent passer sous silence – l’égoïsme, l’inimitié et la méfiance réciproques, l’hypocrisie. »

Le droit a ainsi une dimension active, au sens où les masses le voient et cherchent à voir le reflet non seulement d’eux-mêmes, mais également de leur propre évolution, de leur propre amélioration sur le plan de la conscience morale.

C’est la base d’un État qui, parce qu’il est en passe d’être assumé par l’ensemble de la population, disparaît ; le droit de l’État disparaît parce qu’il est devenu le droit du peuple lui-même, qui le prend en charge de lui-même. L’État a alors cessé sa fonction.

La transition au communisme d’un État socialiste consiste en la remise du droit au peuple lui-même. L’État socialiste a une « fonction économique-organisationnelle et culturelle-éducative », comme cela était appelé en URSS à partir des années 1930, qui doit être assimilée et assumée par le peuple.

Maria Pavlovna Kareva, dans le même ouvrage, explique à ce titre que :

« Les émotions elles-mêmes ne doivent donc pas être considérées comme définissant l’essence des devoirs moraux et légaux, mais comme une réponse de la psyché à des responsabilités objectives et légales dans la vie.

Là où, en raison de la structure antagoniste entre le droit et la moralité de la majorité de la société, un gouffre est creusé, où, par conséquent, les devoirs juridiques ne peuvent être à la fois des devoirs moraux, du moins pour la majorité de la population, des différences profondes d’émotions accompagnent les devoirs moraux.

Dans nos conditions [socialistes], pour la majorité des gens, une telle différence profonde entre les émotions lors de la réalisation de leurs obligations légales et morales ne peut avoir lieu.

Pour un homme soviétique conscient, l’accomplissement des devoirs juridiques et moraux est lié aux mêmes nobles émotions – le désir d’accomplir son devoir social, le respect des lois juridiques et morales de son pays socialiste. »

Les citoyens soviétiques ne sont à terme plus des citoyens de l’URSS, mais l’URSS elle-même.

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Lénine : Tolstoï, miroir de la révolution russe

11 (24) septembre 1908, Proletari.

Il peut sembler, à première vue, étrange et artificiel d’accoler le nom du grand artiste à la révolution qu’il n’a manifestement pas comprise et dont il s’est manifestement détourné. On ne peut tout de même pas nommer miroir d’un phénomène ce qui, de toute évidence, ne le reflète pas de façon exacte.

Mais notre révolution est un phénomène extrêmement complexe ; dans la masse de ses réalisateurs et de ses participants immédiats, il existe beaucoup d’éléments sociaux qui, eux aussi, ne comprenaient manifestement pas ce qui se passait et qui, de même, se détournaient des tâches historiques véritables qui leur étaient assignées par le cours des événements.

Et si nous sommes en présence d’un artiste réellement grand, il a dû refléter dans ses œuvres quelques-uns au moins des côtés essentiels de la révolution.

La presse russe légale, remplie d’articles, de lettres et de notices à l’occasion du 80e anniversaire de Tolstoï, s’intéresse fort peu à l’analyse de ses œuvres, du point de vue du caractère de la révolution russe et de ses forces motrices.

Toute cette presse déborde jusqu’à l’écœurement d’hypocrisie, d’une double hypocrisie officielle et libérale. La première est l’hypocrisie grossière des écrivassiers vénaux qui avaient, hier, ordre de traquer L. Tolstoï et, aujourd’hui, de rechercher en lui le patriote et de tâcher d’observer les convenances devant l’Europe.

Que les écrivassiers de cette espèce soient payés pour leurs écrits, tout le monde le sait, et ils ne tromperont personne. Beaucoup plus raffinée et, par suite, beaucoup plus nuisible et dangereuse, est l’hypocrisie libérale. A écouter les Balalaïkine de la Riétch, leur sympathie pour Tolstoï est la plus complète et la plus chaude.

En fait, cette déclamation calculée et ces phrases pompeuses sur « le grand chercheur de Dieu » ne sont que faussetés, car le libéral russe n’a ni foi dans le Dieu de Tolstoï, ni sympathie pour la critique de Tolstoï à l’égard du régime existant.

Il s’accroche à un nom populaire pour augmenter son petit capital politique, pour jouer le rôle de chef de l’opposition nationale, il essaie d’étouffer sous le tonnerre et le fracas des phrases le besoin d’une réponse directe et claire à la question : d’où viennent les contradictions criantes du « tolstoïsme », quels défauts et quelles faiblesses de notre révolution reflètent-elles ?

Les contradictions dans les œuvres, les opinions et la doctrine de l’école de Tolstoï sont, en effet, criantes. D’une part, un artiste génial qui, non seulement, a peint des tableaux incomparables de la vie russe, mais qui a donné à la littérature mondiale des oeuvres de premier ordre. D’autre part, un propriétaire foncier faisant l’innocent du village.

D’une part, une protestation d’une énergie remarquable, directe et sincère contre l’hypocrisie et la fausseté sociales ; de l’autre, un « tolstoïen », c’est-à-dire cet être débile, usé, hystérique, dénommé l’intellectuel russe, qui, se frappant publiquement la poitrine, dit : « Je suis un méchant, je suis un vilain, mais je m’occupe d’auto-perfectionnement moral ; je ne mange plus de viande et je me nourris maintenant de boulettes de riz. »

D’une part, la critique impitoyable de l’exploitation capitaliste, la dénonciation des violences exercées par le gouvernement, de la comédie de la justice et de l’administration de l’Etat, la révélation de toute la profondeur des contradictions entre l’accroissement des richesses, les conquêtes de la civilisation, et l’accroissement de la misère, de la sauvagerie et des souffrances des masses ouvrières ; d’autre part, l’innocent qui prêche la « non-résistance au mal par la violence ».

D’une part, le réalisme le plus lucide, l’arrachement de tous les masques quels qu’ils soient ; d’autre part, la prédication d’une des choses les plus ignobles qui puissent exister au monde, à savoir : la religion, la tendance à substituer aux popes fonctionnaires d’Etat des popes par conviction, c’est-à-dire une propagande en faveur du règne des popes sous sa forme la plus raffinée et, par suite, la plus abjecte. En vérité :

Tu es misérable, et tu es féconde,
Tu es puissante, et tu es sans forces,
Mère Russie !

Il est évident qu’avec de pareilles contradictions Tolstoï ne pouvait absolument pas comprendre le mouvement ouvrier et son rôle dans la lutte pour le socialisme, ni la révolution russe.

Mais les contradictions dans les vues et les enseignements de Tolstoï ne sont pas l’effet du hasard, elles sont l’expression des conditions contradictoires dans lesquelles se déroulait la vie russe durant le dernier tiers du XIXe siècle.

La campagne patriarcale qui venait seulement de se libérer du servage avait été livrée au Capital et au fisc pour être littéralement mise à sac. Les vieux fondements de l’économie paysanne et de la vie paysanne, qui s’étaient maintenus au cours des siècles, furent démolis avec une rapidité incroyable.

Aussi faut-il juger les contradictions dans les opinions de Tolstoï, non du point de vue du mouvement ouvrier contemporain et du socialisme contemporain (un tel jugement est, certes, nécessaire, pourtant il ne suffit pas), mais du point de vue de la protestation contre le capitalisme en marche, contre la ruine des masses dépouillées de leurs terres, protestation qui devait venir de la campagne patriarcale russe.

Tolstoï prête à rire en tant que prophète qui aurait découvert de nouvelles recettes pour le salut de l’humanité, – et c’est pourquoi ils sont vraiment pitoyables, les « tolstoïens », étrangers et russes, qui ont voulu transformer en dogme le côté justement le plus faible de sa doctrine.

Tolstoï est grand comme interprète des idées et des états d’âme qui se sont formés chez les millions de paysans russes, à l’avènement de la révolution bourgeoise en Russie.

Tolstoï est original, car l’ensemble de ses idées, prises en bloc, exprime justement les particularités de notre révolution, en tant que révolution bourgeoise paysanne.

Les contradictions dans les idées de Tolstoï, de ce point de vue, sont un véritable miroir des conditions contradictoires dans lesquelles s’est déroulée l’activité historique de la paysannerie au cours de notre révolution.

D’un côté, les siècles d’oppression servile et les dizaines d’années de ruine à marche forcée, consécutive à la réforme, avaient accumulé des montagnes de haine, de colère et de résolutions désespérées.

Le désir de balayer d’une façon radicale et l’Eglise officielle et les grands propriétaires fonciers et le gouvernement de ces propriétaires fonciers, d’anéantir toutes les anciennes formes et coutumes de propriété foncière, de nettoyer la terre, de créer à la place de l’État policier de classe une communauté de petits paysans libres et égaux en droits, – ce désir traverse comme un fil rouge toute l’action historique des paysans dans notre révolution, et il n’est pas douteux que le contenu idéologique des écrits de Tolstoï correspond beaucoup plus à ce désir paysan qu’à l’« anarchisme chrétien » abstrait, comme on définit parfois le « système » de ses idées.

D’un autre côté, la paysannerie, qui aspirait à de nouvelles formes de communauté, avait une attitude fort inconsciente, patriarcale, une attitude d’innocents de village à l’égard de ce que devait être cette communauté, des moyens de lutte par lesquels il lui fallait conquérir sa liberté, des chefs qu’elle pouvait avoir dans cette lutte, des sentiments de la bourgeoisie et des intellectuels bourgeois envers la révolution paysanne, des raisons qui rendaient nécessaire le renversement par la violence du pouvoir tsariste, afin d’anéantir la propriété foncière des hobereaux.

Toute la vie passée de la paysannerie lui avait appris à haïr le seigneur et le fonctionnaire, mais ne lui avait pas appris et n’avait pu lui apprendre où chercher la réponse à toutes ces questions.

Dans notre révolution, la minorité de la paysannerie a effectivement lutté, en s’organisant tant soi peu à cette fin, et une partie infime s’est levée, les armes à la main, pour exterminer ses ennemis, pour abattre les serviteurs du tsar et les défenseurs des grands propriétaires fonciers.

La plus grande partie de la paysannerie pleurait et priait, ratiocinait et rêvait, écrivait des requêtes et envoyait des « solliciteurs », – tout à fait dans l’esprit de Léon Nicolaïévitch Tolstoï !

Et comme il arrive toujours dans des cas pareils, l’abstention tolstoïenne de toute politique, la renonciation tolstoïenne à la politique, l’absence d’intérêt et de compréhension pour elle ont fait qu’une minorité seulement a suivi le prolétariat conscient et révolutionnaire, et que la majorité est devenue la proie de ces intellectuels bourgeois serviles et sans principes, qui, sous le nom de cadets, couraient, de l’assemblée des troudoviks, faire antichambre chez Stolypine, mendiaient, marchandaient, conciliaient, promettaient de concilier, – jusqu’à ce qu’un soldat les chassât à coups de botte.

Les idées de Tolstoï sont le miroir de la faiblesse, des insuffisances de notre insurrection paysanne, le reflet de l’apathie de la campagne patriarcale et de la lâcheté foncière du « moujik aisé ».

Prenez les insurrections de soldats en 1905-1906. La composition sociale de ces lutteurs de notre révolution c’est le milieu entre la paysannerie et le prolétariat. Ce dernier est en minorité ; c’est pourquoi le mouvement dans les troupes ne montre pas, même approximativement, cette cohésion nationale, cette conscience de parti que manifeste le prolétariat devenu, comme au signal d’un coup de baguette, social-démocrate.

D’autre part, il n’est pas d’opinion plus erronée que celle qui attribue l’échec des insurrections de soldats à l’absence de dirigeants officiers. Au contraire, le progrès gigantesque de la révolution, depuis les temps de la Narodnaïa Volia, s’est manifesté justement dans le fait que c’est le « bétail obscur » qui a recouru aux armes contre ses supérieurs et dont l’indépendance a tellement fait peur aux propriétaires fonciers libéraux et aux officiers libéraux.

Le soldat était rempli de sympathie pour la cause paysanne ; ses yeux s’allumaient au seul mot de terre. Plus d’une fois, le pouvoir passa, dans l’armée, aux mains de la masse des soldats – mais il n’y eut presque pas d’utilisation résolue de ce pouvoir ; les soldats hésitaient ; au bout de quelques jours, quelquefois au bout de quelques heures, après avoir tué quelque chef haï, ils rendaient la liberté aux autres, entraient en pourparlers avec les autorités et se laissaient ensuite fusiller, fouetter, se mettaient de nouveau sous le joug – tout à fait dans l’esprit de Léon Nicolaïévitch Tolstoï !

Tostoï a reflété la haine accumulée, l’aspiration enfin mûre vers un avenir meilleur, le désir de s’affranchir du passé – et la non-maturité des rêveries, le manque d’éducation politique, l’apathie en face de la révolution.

Les conditions historiques et économiques expliquent à la fois la nécessité de l’apparition de la lutte révolutionnaire des masses et leur manque de préparation pour cette lutte, la non résistance tolstoïenne au mal, qui fut parmi les causes les plus sérieuses de la défaite de la première campagne révolutionnaire.

On dit que la défaite est une bonne école pour les armées. Sans doute, comparer les classes révolutionnaires à des armées n’est juste que dans un sens très limité. Le développement du capitalisme modifie et aggrave à chaque heure les conditions qui poussaient à la lutte révolutionnaire démocratique les millions de paysans, unis par la haine contre les propriétaires féodaux et leur gouvernement.

Dans la paysannerie même, l’accroissement des échanges, de la domination du marché et du pouvoir de l’argent, éliminent de plus en plus les anciennes moeurs patriarcales et l’idéologie patriarcale tolstoïenne.

Mais il est une conquête des premières années de la révolution et des premières défaites dans la lutte révolutionnaire des masses qui n’est pas douteuse : c’est le coup mortel porté à l’ancienne mollesse, à l’ancienne veulerie des masses. Les lignes de démarcation sont devenues plus tranchées. Les classes et les partis se sont délimités.

Sous le marteau des leçons de Stolypine, grâce à l’agitation obstinée, organisée des social-démocrates révolutionnaires, non seulement le prolétariat socialiste, mais encore les masses démocratiques de la paysannerie pousseront inévitablement en avant des lutteurs toujours plus aguerris, de moins en moins capables de tomber dans notre péché historique du tolstoïsme !

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Jiang Qing sur la révolution de l’opéra de Pékin

Dans A propos de la révolution de l’opéra de Pékin, Jiang Qing formule la position réaliste socialiste concernant cet opéra, dans les conditions concrètes chinoises.

Je tiens tout d’abord à vous féliciter pour ce festival, première campagne pour la révolution de l’opéra de Pékin. Vous avez tous fourni un labeur considérable. Les résultats en sont prometteurs et auront probablement une profonde influence.

Désormais, on met en scène des opéras de Pékin à thème révolutionnaire contemporain, mais chacun s’en fait-il la même idée? Je crois qu’il serait prématuré de l’affirmer.

Il faut avoir une confiance inébranlable dans la réalisation d’opéras de Pékin sur des thèmes révolutionnaires contemporains.

Il serait inconcevable que les ouvriers, paysans et soldats, créateurs véritables de l’histoire et seuls maîtres de notre pays socialiste dirigé par le Parti communiste, n’aient pas une place prédominante à la scène.

Nous devons créer une littérature et des arts qui protègent la base économique socialiste de notre pays. Au moment où l’on ne distingue pas clairement l’orientation, tous nos efforts doivent tendre à la dégager. A titre de renseignement, je citerai deux chiffres, deux chiffres qui n’ont pas laissé de me surprendre.

Voici le premier chiffre : on évalue à trois mille environ, le nombre de compagnies théâtrales dans l’ensemble du pays (abstraction faite des troupes amateurs ou sans licence). Elles comprennent environ 90 troupes professionnelles de théâtre moderne, plus de 80 ensembles artistiques et plus de 2 800 compagnies qui montent divers genres d’opéras.

Les empereurs, rois, généraux, ministres, damoiseaux, damoiselles et autres génies malfaisants, règnent sur l’opéra, tandis que les compagnies de théâtre moderne, plutôt que de dépeindre les ouvriers, paysans et soldats, montent le plus souvent des pièces « célèbres », « étrangères » ou « à thèmes anciens », tant et si bien que la scène du théâtre moderne est, elle aussi, occupée par les Chinois et les personnages étrangers des époques révolues.

Le théâtre est un moyen d’éduquer le peuple, mais à l’heure actuelle, nos scènes sont encombrées d’empereurs, de rois, de généraux, de ministres, de damoiseaux et de damoiselles, d’un fatras d’idées féodales et bourgeoises. Un tel état de choses ne peut protéger notre base économique, il risque, au contraire, d’exercer un rôle de sape sur elle.

Le second chiffre : il y a plus de six cents millions d’ouvriers, paysans et soldats dans notre pays, tandis que les propriétaires fonciers, paysans riches, contre-révolutionnaires, mauvais éléments, droitiers et éléments bourgeois ne sont qu’une poignée.

Qui faut-il servir? Cette poignée d’individus ou plus de six cents millions d’hommes?

Cette question ne doit pas retenir l’attention des seuls communistes, mais celle de tous les travailleurs patriotes de la littérature et des arts.

Ce sont les paysans qui cultivent les céréales que nous mangeons; ce sont les ouvriers qui tissent les vêtements que nous portons et qui construisent les maisons que nous habitons; ce sont les soldats de l’Armée populaire de libération qui assurent pour nous la défense nationale en montant une garde vigilante, mais nous ne les portons pas à la scène!

Puis-je vous demander quelle position de classe on adopte ainsi et où se trouve cette « conscience » d’artiste dont on parle tant?

La représentation d’opéras de Pékin à thème révolutionnaire contemporain n’est pas un travail de tout repos et vous connaîtrez des revers, mais si vous gardez présents à l’esprit les chiffres que je viens de citer, vous parviendrez à éviter ces revers ou du moins à en rencontrer le moins possible.

Pourtant, si vous deviez en rencontrer, cela n’aurait guère d’importance; la marche de l’histoire est toujours sinueuse, mais jamais la roue de l’histoire ne reculera.

Pour nous, l’opéra sur des thèmes révolutionnaires contemporains doit refléter la vie réelle au cours des quinze années qui ont suivi la fondation de la République populaire de Chine et créer des types de héros caractéristiques de notre époque.

C’est notre tâche primordiale, mais cela ne signifie pas que nous refusons les opéras historiques. Les pièces historiques révolutionnaires représentaient une proportion non négligeable du programme de ce festival; nous avons besoin d’opéras historiques révolutionnaires décrivant la vie et les luttes du peuple avant la fondation de notre Parti.

De plus, nous devons instituer des modèles dans ce domaine et produire des pièces historiques en conformité avec le point de vue du matérialisme historique qui puissent, par leur thème ancien, servir l’époque actuelle.

Bien entendu, ce travail doit être entrepris à la condition préalable qu’il ne gêne pas l’accomplissement de la tâche principale : la représentation de la vie actuelle et de l’image des ouvriers, paysans et soldats.

Nous n’avons pas l’intention de rejeter toutes les pièces traditionnelles. A l’exception des pièces présentant des fantômes et de celles prônant la capitulation et la trahison, de bons opéras traditionnels pourront encore être montés.

Mais ces derniers n’auront qu’une audience négligeable si l’on ne procède pas à un travail d’arrangement et de révision attentif.

Je me suis rendue systématiquement au théâtre depuis plus de deux ans et un examen profond des acteurs et du public m’a poussée à conclure que le travail d’arrangement et de révision des pièces traditionnelles est nécessaire, sans pouvoir toutefois remplacer la tâche principale.

Mais comment se mettre à la tâche? Je pense que la question clé est celle du livret.

En effet, sans livret, avec les seuls metteurs en scène et acteurs, on ne parviendrait pas à réaliser de mise en scène ni à présenter une quelconque pièce.

Certains disent que le livret est la base de la production théâtrale, en quoi ils ont parfaitement raison et c’est pourquoi nous devons mettre l’accent sur la création.

Au cours des dernières années, et en particulier dans le domaine de l’opéra de Pékin, la création théâtrale était distancée par la réalité de la vie.

Les librettistes étaient peu nombreux et l’expérience de la vie leur faisait défaut. Dans ces conditions, il est normal qu’aucune bonne pièce n’ait été créée.

Pour résoudre le problème de la création, il faut réaliser la triple association de la direction, des artistes professionnels et des masses populaires.

J’ai étudié récemment le processus de création de la pièce La grande muraille de la mer de Chine méridionale et je me suis aperçue qu’il était exactement celui que je viens d’indiquer.

Tout d’abord, la direction a formulé un sujet; les auteurs de la pièce entreprirent alors de se familiariser, et cela à trois reprises, avec la vie du milieu en question. Ils participèrent même à une opération militaire d’encerclement d’agents ennemis.

Puis, après la première rédaction de la pièce, eut lieu une discussion à laquelle participèrent de nombreux dirigeants de la garnison de Canton; enfin, après les répétitions, on sollicita le jugement de divers milieux afin d’améliorer la pièce.

De cette manière, en consultant sans cesse autrui, et en apportant de constantes améliorations à son travail, cette équipe parvint à produire une très bonne pièce, reflétant la lutte dans sa réalité actuelle en un laps de temps relativement court.

Le Comité municipal du Parti de Changhaï porte une grande attention au problème de la création; le camarade Keh King-che s’en occupe personnellement. Dans toutes les localités, il faut charger des cadres compétents de stimuler le travail de création.

On ne peut guère compter produire des livrets directement pour l’opéra de Pékin dans un avenir rapproché. Cependant, il faut désigner dès à présent des camarades qui auront à faire ce travail. Ils apprendront tout d’abord les rudiments de leur art, puis ils iront acquérir quelque expérience de la vie. Ils pourront commencer par écrire des pièces brèves, pour passer graduellement à la création d’opéras complets. Les pièces courtes, à la condition d’être bien écrites, sont également précieuses.

Il faut former des forces neuves pour le travail de création, leur faire prendre contact avec le monde réel; ainsi, en trois à cinq ans, elles s’épanouiront et obtiendront de fructueux résultats.

La transposition est également un bon moyen d’obtenir de nouvelles pièces.

La transposition demande un choix prudent. Il faut voir tout d’abord si la tendance politique est bonne ou non, puis si la pièce s’adapte aux possibilités de la troupe.

En procédant à la transposition, il importe d’analyser soigneusement l’œuvre originale et d’en souligner les qualités sans chercher à leur apporter des modifications superflues, tandis que les faiblesses doivent être corrigées.

Deux points demandent une attention particulière dans la transposition de divers genres d’opéras en opéras de Pékin; d’une part, il importe que l’adaptation réponde aux caractéristiques de l’opéra de Pékin en ce qui concerne le chant et l’acrobatie.

Les paroles des chants doivent répondre aux variations rythmiques de la musique vocale de l’opéra de Pékin et il faut en adopter la langue caractéristique, sinon les acteurs ne pourraient chanter.

D’autre part, il n’est pas nécessaire de faire trop de concessions aux acteurs.

Un opéra doit avoir un clairement défini, être d’une structure rigoureuse et les personnages doivent avoir du relief. Il ne faut jamais que l’intérêt de la pièce se disperse et se perde parce que l’on aura voulu confier de belles tirades à chacun des principaux protagonistes.

L’opéra de Pékin est un art outré, de plus, il a toujours dépeint les temps anciens et les gens qui y vivaient.

C’est pourquoi il est relativement aisé, dans l’opéra de Pékin, de camper des personnages négatifs et il se trouve d’ailleurs des gens pour apprécier grandement cela.

D’autre part, il est très difficile de créer des personnages positifs, mais nous devons néanmoins créer des figures de héros révolutionnaires d’avant-garde.

Dans le livret initial de la pièce La Montagne du Tigre prise d’assaut, réalisée à Changhaï, les caractères négatifs avaient beaucoup de relief, tandis que les personnages positifs étaient d’une grande fadeur.

La direction accorda un soin particulier à cette question et cet opéra fut remarquablement amélioré.

A présent, la scène où paraît l’ermite Ting-ho a été supprimée. On n’a pour ainsi dire pas touché au rôle du « Vautour », le chef des bandits (l’acteur chargé de ce rôle joue très bien), mais comme les personnages positifs Yang Tse-jong et Chao Kien-po ont été mis en relief, les personnages négatifs ont perdu de leur importance.

Il existe des opinions divergentes au sujet de cette pièce; il serait bon d’en discuter. Chacun doit considérer sa position. Prenez-vous position pour les personnages positifs ou pour les personnages négatifs?

Il paraît que certains s’opposent encore à la description de personnages positifs; cette position n’est pas correcte. Les honnêtes gens sont toujours en majorité, non seulement dans un pays socialiste comme le nôtre, mais également dans les pays impérialistes, où le peuple travailleur constitue la majorité de la population.

De même dans les pays révisionnistes, où les révisionnistes ne sont qu’une minorité.

Il est important que nous donnions une image artistique des révolutionnaires d’avant-garde afin d’éduquer et de galvaniser le public et de l’entraîner dans la marche en avant. Notre but, en créant des opéras sur des thèmes révolutionnaires contemporains est essentiellement d’exalter les personnages positifs.

La pièce Sœurs héroïques de la steppe, réalisée par la troupe d’opéra de Pékin du Théâtre artistique de Mongolie intérieure est excellente. Le librettiste écrivit la pièce sous l’impulsion d’une émotion révolutionnaire, provoquée par les exploits des deux petites héroïnes.

Toute la partie centrale de la pièce est très émouvante, mais l’auteur manquait encore d’un contact suffisant avec la vie, d’autre part, il produisit cette œuvre dans des délais extrêmement brefs, sans avoir le temps d’en ciseler toute la matière et il s’ensuit que le début et la fin ne sont pas très satisfaisants. Aussi a-t-on l’impression de voir une belle peinture dans un cadre de bois grossier.

Il y a encore un point sur lequel cette pièce mérite d’attirer l’attention, c’est qu’il s’agit d’un opéra de Pékin destiné aux enfants.

Bref, cet opéra repose sur une base solide et c’est une bonne œuvre. J’espère que son auteur se plongera plus profondément dans la vie réelle du peuple et qu’il fera de son mieux pour parfaire son œuvre.

A mon avis, nous devons respecter les fruits de notre travail et ne pas nous en désintéresser.

Certains camarades en effet se refusent à apporter des modifications à un travail déjà terminé, mais cette attitude les empêche de produire de meilleures réalisations.

Dans ce domaine, Changhaï nous fournit un bon exemple; c’est parce que les artistes de Changhaï se sont montrés disposés à apporter modification sur modification au livret original que La Montagne du Tigre prise d’assaut a pu être ce qu’elle est actuellement.

Ainsi, les œuvres présentées à l’occasion de ce festival devront encore être améliorées, sans pour autant que l’on rejette ce qui était valable de manière inconsidérée.

En conclusion, je souhaite que chacun consacre une part de son énergie à se faire l’élève des autres, afin de tirer profit de ce festival; les résultats pourront ensuite être présentés au grand public sur toutes les scènes du pays.  »

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7 leçons chinoises pour le réalisme socialiste

Lors de la publication du Compte-rendu de Jiang Qing des Causeries sur le travail littéraire et artistique, il est fait mention en notes de précisions pour les personnes lisant cet ouvrage quant à des positions erronées dans les lettres et les arts.

(1) La théorie affirmant qu’il convient d’« écrire la vérité » est une théorie révisionniste en matière de création littéraire.

Le contre-révolutionnaire Hou Feng préconisait d’ « écrire la vérité » et il était soutenu dans ce sens par Feng Hsiué-feng.

Inspirés par des motifs inavouables, ces gens mettaient l’accent sur l’importance d’ « écrire la vérité. » Derrière le paravent de ce slogan, ils s’opposaient à ce que la littérature et l’art socialistes aient un caractère de classe reflétant une tendance politique.

Et ils s’opposaient à ce que la littérature et l’art servent à éduquer le peuple dans l’esprit du socialisme. Ils se complaisaient à fouiner dans les coins obscurs de la réalité socialiste et à faire les poubelles de l’histoire.

En prônant la prétendue théorie d’ « écrire la vérité », ils ne visaient qu’à dépeindre la radieuse société socialiste sous un jour particulièrement sombre.

(2) La théorie de la « large voie du réalisme » a été lancée par certains éléments antiparti et antisocialistes des milieux littéraires et artistiques, qui, s’opposant aux Interventions aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan du président Mao Zedong, prétendaient qu’elles étaient dépassées et qu’il fallait ouvrir une autre voie plus large.

Telle est la nature de la « large voie du réalisme » avancée par Tsin Tchao-yang et autres.

A leurs yeux, la voie la plus juste et la plus large, celle de servir les ouvriers, paysans et soldats, était encore trop étroite, elle n’était qu’un « dogme stagnant », elle avait « tracé devant les gens un petit sentier immuable ».

Ils préconisaient que les auteurs écrivent ce que bon leur semble selon « leur propre expérience de la vie, leur éducation et leur tempérament ainsi que leur individualité artistique » et que, s’écartant de l’orientation de servir les ouvriers, paysans et soldats, ils cherchent à se donner « un champ de vision infiniment large permettant de développer l’initiative créatrice. »

(3) La théorie de l’« approfondissement du réalisme. »

A l’époque où il préconisait de « peindre des personnages moyens », Chao Tsiuan-lin présenta une thèse dite de l’« approfondissement du réalisme. »

Cette thèse demandait aux écrivains de révéler « les choses anciennes » qui pèsent sur les masses populaires et de résumer « le fardeau moral qui, depuis des millénaires, pèse sur le paysans individuels », créant ainsi des images de « personnages moyens » ayant un caractère complexe.

Cette thèse demande aux écrivains de se donner des sujets « ordinaires », susceptibles de faire « voir les grandes choses à travers les petites » et « saisir le vaste monde à travers un grain de riz. »

Selon lui, les œuvres littéraires ne sont réalistes que lorsqu’elles décrivent des « personnages moyens » en proie à des conflits internes, lorsqu’elles résument « le fardeau moral qui, depuis des millénaires, pèse sur les paysans individuels » et lorsqu’elles dépeignent leur « douloureux passage » de l’économie individuelle à l’économie collective.

Ainsi seulement, le réalisme « s’approfondira ». En revanche, exalter l’héroïsme révolutionnaire des masses populaires, en donner des images héroïques, cela n’est ni vrai, ni réaliste.

L’ « approfondissement du réalisme » est une marchandise directement importée du réalisme critique bourgeois et donc une théorie littéraire réactionnaire à l’extrême.

(4) La théorie de l’opposition au « rôle décisif du sujet » est une idée littéraire artistique antisocialiste.

Parmi les zélés propagateurs de cette opinion figurent notamment Tien Han et Hsia Yen. Dans le choix et le traitement d’un thème, un écrivain prolétarien doit avant tout considérer si celui-ci va dans le sens des intérêts du peuple.

Si l’on choisit et traite un certain thème, c’est pour contribuer à l’épanouissement de tout ce qui est prolétarien et à l’élimination de tout ce qui est bourgeois et c’est pour encourager les masses à suivre fermement la voie socialiste.

Les théoriciens de l’opposition au « rôle décisif du sujet » considéraient ces vues correctes comme des règles draconiennes qu’il « faut éliminer complètement ». Sous prétexte d’élargir la gamme des thèmes littéraires, ils préconisaient de rompre avec « les canons révolutionnaires » et de se rebeller contre « la juste voie de la guerre. »

Ils soutenaient qu’il avait été trop question de révolution et de lutte armée dans notre cinéma et qu’on ne pourrait faire du nouveau qu’en rompant avec ces canons et en trahissant cette juste voie.

Certains proposaient d’écrire sur la « sympathie humaine », l’« amour de l’humanité », les « petites gens » et les « petites choses. »

En fait, tous ces points de vue constituent des tentatives pour que la littérature et l’art s’écartent de la voie de servir la politique prolétarienne.

(5) La théorie des « personnages moyens » est une vue erronée dont Chao Tsiuan-lin, qui fut l’un des vice-présidents de l’Association des Écrivains chinois, a été le principal promoteur.

Entre l’hiver de 1960 et l’été de 1962, il formula à maintes reprises cette opinion. Il calomniait la grande majorité des paysans pauvres et des paysans moyens de la couche inférieure en les présentant comme des personnages « moyens » hésitant entre le socialisme et le capitalisme.

Il considérait que les œuvres littéraires devaient faire plus de place à ces « personnages moyens ». Son but était de répandre un sentiment de scepticisme et d’irrésolution face au socialisme et en même temps de faire obstruction à la peinture de héros de l’époque socialiste dans les œuvres littéraires et artistiques.

(6) La théorie de l’ « opposition à l’odeur de la poudre. »

La littérature du révisionnisme moderne s’étend avec complaisance sur les horreurs de la guerre et répand « la philosophie de la survie à tout prix » et le capitulationnisme afin de paralyser la volonté de lutte des peuples et de répondre aux besoins de l’impérialisme. Ces dernières années, dans notre pays aussi il s’est trouvé des gens pour clamer sans cesse que notre littérature sentait trop la poudre, que la scène de notre théâtre n’était qu’un hérissement de fusils et que cela était inesthétique.

Ceux-là recommandaient aux écrivains de rompre avec les « canons révolutionnaires » et de se rebeller contre « la juste voie de la guerre ». L’opposition à une littérature répandant l’« odeur de la poudre » est en fait un reflet du courant révisionniste dans les cercles littéraires et artistiques de notre pays.

(7) La « synthèse de l’esprit de l’époque » est une théorie absurde anti-marxiste-léniniste dont Tcheou Kou-tcheng se fit le représentant. Celui-ci niait que l’esprit de l’époque fût celui qui pousse celle-ci dans sa marche en avant et que le représentant de cet esprit fût la classe avancée qui donne son impulsion à cette même époque.

Il soutenait que l’esprit de l’époque ne peut être que la « synthèse » des « diverses idéologies des diverses classes » où confluaient « toutes sortes d’esprits pseudo-révolutionnaires, non révolutionnaires et même contre-révolutionnaires ».

La « synthèse de l’esprit de l’époque » n’est donc rien d’autre que la théorie tout à fait réactionnaire de la « réconciliation de classe ». 

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Les conseils et critères de Mao Zedong pour le réalisme socialiste

Mao Zedong, dans les Interventions aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan, donne des indications pratiques aux artistes, dans le cadre du front de lutte anti-japonais.

« Nos écrivains et artistes ont pour tâche leur propre travail de création, mais leur premier devoir est de comprendre les gens et de les connaître à fond.

Or, qu’en a-t-il été à cet égard de nos écrivains et artistes jusqu’à présent ? Je dirais qu’ils ont manqué de connaissance et de compréhension ; ils ont été semblables à ces « héros qui ne savent où manifester leurs prouesses ».

Quelle est la connaissance qui leur manquait ? Celle des gens. Nos écrivains et artistes ne connaissaient bien ni leur sujet ni leur public et parfois ceux-ci leur restaient même complètement étrangers.

Ils ne connaissaient pas les ouvriers, les paysans et les soldats, ni leurs cadres. Quelle est la compréhension qui leur manquait ? Celle du langage, c’est-à-dire qu’ils ne comprenaient pas bien le langage riche et vivant des masses.

Nombre d’écrivains et d’artistes demeurent coupés des masses et mènent une existence vide ; le langage du peuple ne leur est évidemment pas familier ; aussi écrivent-ils dans une langue insipide, le plus souvent truffée d’expressions fabriquées, ni chair ni poisson, à cent lieues du langage du peuple.

Beaucoup de camarades aiment à parler du « style des masses » ; mais que signifie l’expression « style des masses » ? Elle signifie que les pensées et les sentiments de nos écrivains et artistes doivent se fondre avec ceux des larges masses d’ouvriers, de paysans et de soldats.

Pour réaliser cette fusion, il faut apprendre consciencieusement le langage des masses ; si celui-ci vous est en grande partie inintelligible, comment pouvez-vous parler de création artistique  ? »

« Si vous voulez que les masses vous comprennent, si vous voulez ne faire qu’un avec elles, vous devez trouver en vous la volonté de vous soumettre à une refonte longue et même douloureuse. A ce propos, je peux vous faire part de mon expérience sur les transformations de mes propres sentiments.

Je suis un homme qui est passé par l’école et j’y avais acquis les habitudes d’un étudiant ; devant la foule des étudiants qui n’auraient pu porter quoi que ce soit sur leurs épaules ou dans leurs mains, j’aurais cru manquer de dignité en faisant le moindre travail manuel, comme par exemple de porter moi-même mes bagages sur l’épaule.

En ce temps-là, il me semblait que seuls les intellectuels étaient propres, et que, comparés à eux, les ouvriers et les paysans étaient plus ou moins sales. Je pouvais porter les vêtements d’un autre intellectuel parce que je pensais qu’ils étaient propres, mais je n’aurais pas voulu mettre les habits d’un ouvrier ou d’un paysan, car je les trouvais sales.

Devenu révolutionnaire, je vécus parmi les ouvriers, les paysans et les soldats de l’armée révolutionnaire et, peu à peu, je me familiarisai avec eux, et eux avec moi. C’est alors, et alors seulement, qu’un changement radical s’opéra dans les sentiments bourgeois et petits-bourgeois qu’on m’avait inculqués dans les écoles bourgeoises.

J’en vins à comprendre que, comparés aux ouvriers et aux paysans, les intellectuels non rééduqués n’étaient pas propres ; que les plus propres étaient encore les ouvriers et les paysans, plus propres, malgré leurs mains noires et la bouse qui collait à leurs pieds, que tous les intellectuels bourgeois et petits-bourgeois. Voilà ce que j’appelle se refondre, remplacer les sentiments d’une classe par ceux d’une autre classe.  »

« La critique littéraire et artistique comporte deux critères : l’un politique, l’autre artistique. Selon le critère politique, est bon tout ce qui favorise la résistance au Japon et l’unité du peuple, tout ce qui exhorte les masses à la concorde et à l’union des volontés, tout ce qui s’oppose à la régression et contribue au progrès ; est mauvais, par contre, tout ce qui ne favorise pas la résistance au Japon et l’unité du peuple, tout ce qui sème la discorde et la division au sein des masses, tout ce qui s’oppose au progrès et nous ramène en arrière.

Mais sur quoi devons-nous nous baser, en dernière analyse, pour discerner le bon du mauvais, sur les intentions (les désirs subjectifs) ou sur les résultats (la pratique sociale) ? Les idéalistes mettent l’accent sur les intentions et ignorent les résultats ; les partisans du matérialisme mécaniste mettent l’accent sur les résultats et ignorent les intentions.

En opposition avec les uns comme avec les autres, nous considérons, à la lumière du matérialisme dialectique, les intentions et les résultats dans leur unité. L’intention de servir les masses est inséparable du résultat qui est d’obtenir l’approbation des masses ; il faut qu’il y ait unité entre les deux.

Est mauvais ce qui part d’intentions inspirées par l’intérêt personnel ou par celui d’un groupe restreint ; est mauvais également ce qui est inspiré par l’intérêt des masses, mais n’aboutit pas à des résultats approuvés par les masses, utiles aux masses.

Pour juger des désirs subjectifs d’un auteur, c’est-à-dire pour juger si l’auteur est guidé par des intentions justes et bonnes, nous ne devons pas nous référer à ses déclarations, mais à l’effet de ses actes (principalement de ses œuvres) sur les masses de la société.

La pratique sociale et ses résultats sont le critère permettant de contrôler les désirs subjectifs ou les intentions.

Notre critique littéraire et artistique doit être étrangère au sectarisme, et, compte tenu du principe général de l’union dans la lutte contre le Japon, nous devons admettre l’existence d’œuvres littéraires et artistiques reflétant les vues politiques les plus variées.

Mais en même temps notre critique doit rester inébranlable sur les positions de principe ; il faut soumettre à une critique sévère et condamner toutes les œuvres littéraires et artistiques contenant des vues antinationales, antiscientifiques, antipopulaires, anticommunistes, car, tant par les intentions que par les résultats, ces œuvres, si l’on peut les appeler ainsi, sabotent l’union dans la résistance au Japon.

Selon le critère artistique, tout ce qui est à un niveau artistique relativement élevé est bon ou relativement bon ; tout ce qui est à un niveau artistique relativement bas est mauvais ou relativement mauvais.

Bien entendu, ici également, il faut tenir compte de l’effet produit par l’œuvre sur la société. Il n’y a guère d’écrivain ou d’artiste qui ne trouve belles ses propres œuvres, et notre critique doit permettre la libre compétition des œuvres d’art les plus variées ; mais il est indispensable de les soumettre à une critique juste selon les critères scientifiques de l’art, de façon qu’un art situé à un niveau relativement bas s’améliore progressivement et atteigne un niveau relativement élevé, et qu’un art qui ne répond pas aux exigences de la lutte des larges masses finisse par les satisfaire.

Il existe donc deux critères – l’un politique, l’autre artistique ; quel est le rapport entre eux ? Il est impossible de mettre le signe égal entre la politique et l’art, de même qu’entre une conception générale du monde et les méthodes de la création et de la critique artistiques.

Nous nions l’existence non seulement d’un critère politique abstrait et immuable, mais aussi d’un critère artistique abstrait et immuable ; chaque classe, dans chaque société de classes, possède son critère propre, aussi bien politique qu’artistique.

Néanmoins, n’importe quelle classe, dans n’importe quelle société de classes, met le critère politique à la première place et le critère artistique à la seconde. La bourgeoisie rejette toujours les œuvres littéraires et artistiques du prolétariat, quelles que soient leurs qualités artistiques.

De son côté, le prolétariat doit déterminer son attitude à l’égard d’une œuvre littéraire ou artistique du passé, avant tout d’après la position prise dans cette œuvre vis-à-vis du peuple, et selon que celle-ci a eu ou non, dans l’histoire, une signification progressiste.

Certaines productions, foncièrement réactionnaires sur le plan politique, peuvent présenter en même temps quelque valeur artistique. Plus une œuvre au contenu réactionnaire a de valeur artistique, plus elle est nocive pour le peuple, et plus elle est à rejeter.

Le trait commun à la littérature et à l’art de toutes les classes exploiteuses sur leur déclin, c’est la contradiction entre le contenu politique réactionnaire et la forme artistique des œuvres.

Quant à nous, nous exigeons l’unité de la politique et de l’art, l’unité du contenu et de la forme, l’unité d’un contenu politique révolutionnaire et d’une forme artistique aussi parfaite que possible.

Les œuvres qui manquent de valeur artistique, quelque avancées qu’elles soient au point de vue politique, restent inefficaces. C’est pourquoi nous sommes à la fois contre les œuvres d’art exprimant des vues politiques erronées et contre la tendance à produire des œuvres au « style de slogan et d’affiche », où les vues politiques sont justes mais qui manquent de force d’expression artistique. Nous devons, en littérature et en art, mener la lutte sur deux fronts.  »

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Mao Zedong affine la définition du réalisme socialiste

Mao Zedong apporte une compréhension plus approfondie du réalisme socialiste. Voici comment il formule la théorie du reflet au cœur du réalisme socialiste, en 1942, dans ses Interventions aux causeries sur la littérature et l’art.

« La littérature et l’art révolutionnaires sont donc le produit du reflet de la vie du peuple dans le cerveau de l’écrivain ou de l’artiste révolutionnaire. La vie du peuple est toujours une mine de matériaux pour la littérature et l’art, matériaux à l’état naturel, non travaillés, mais qui sont en revanche ce qu’il y a de plus vivant, de plus riche, d’essentiel.

Dans ce sens, elle fait pâlir n’importe quelle littérature, n’importe quel art, dont elle est d’ailleurs la source unique, inépuisable. Source unique, car c’est la seule possible ; il ne peut y en avoir d’autre.

Certains diront : Et la littérature et l’art dans les livres et les œuvres des temps anciens et des pays étrangers ? Ne sont-ils pas des sources aussi ?

A vrai dire, les œuvres du passé ne sont pas des sources, mais des cours d’eau ; elles ont été créées avec les matériaux que les auteurs anciens ou étrangers ont puisés dans la vie du peuple de leur temps et de leur pays. Nous devons recueillir tout ce qu’il y a de bon dans l’héritage littéraire et artistique légué par le passé, assimiler d’un esprit critique ce qu’il contient d’utile et nous en servir comme d’un exemple, lorsque nous créons des œuvres en empruntant à la vie du peuple de notre temps et de notre pays les matériaux nécessaires.

Entre avoir et ne pas avoir un tel exemple, il y a une différence : la différence qui fait que l’œuvre est élégante ou brute, raffinée ou grossière, supérieure ou inférieure et que l’exécution en est aisée ou laborieuse.

C’est pourquoi nous ne devons pas rejeter l’héritage des anciens et des étrangers ni refuser de prendre leurs œuvres pour exemples, fussent-elles féodales ou bourgeoises. Mais accepter cet héritage et le prendre en exemple ne doit jamais suppléer à notre propre activité de création, que rien ne peut remplacer.

Transposer et imiter sans aucun esprit critique les œuvres anciennes et étrangères, c’est, en littérature et en art, tomber dans le dogmatisme le plus stérile et le plus nuisible.

Les écrivains et artistes révolutionnaires chinois, les écrivains et artistes qui promettent doivent aller parmi les masses ; ils doivent se mêler pendant une longue période, sans réserve et de tout cœur, à la masse des ouvriers, des paysans et des soldats, passer par le creuset du combat, aller à la source unique, prodigieusement riche et abondante, de tout travail créateur, pour observer, comprendre, étudier et analyser toutes sortes de gens, toutes les classes, toutes les masses, toutes les formes palpitantes de la vie et de la lutte, tous les matériaux bruts nécessaires à la littérature et à l’art.

C’est seulement ensuite qu’ils pourront se mettre à créer. Si vous n’agissez pas ainsi, votre travail sera sans objet, vous appartiendrez à ce genre d’écrivains ou d’artistes qui ne le sont que de nom et dont Lou Sin, dans son testament, recommandait vivement à son fils de ne jamais suivre l’exemple.

Bien que la vie sociale des hommes soit la seule source de la littérature et de l’art, et qu’elle les dépasse infiniment par la richesse vivante de son contenu, le peuple ne s’en contente pas et veut de la littérature et de l’art. Pourquoi?

Parce que, si la vie comme la littérature et l’art sont beaux, la vie reflétée dans les œuvres littéraires et artistiques peut et doit toutefois être plus relevée, plus intense, plus condensée, plus typique, plus proche de l’idéal et, partant, d’un caractère plus universel que la réalité quotidienne.

Puisant leurs éléments dans la vie réelle, la littérature et l’art révolutionnaires doivent créer les figures les plus variées et aider les masses à faire avancer l’histoire.  »

« Dans le monde d’aujourd’hui, toute culture, toute littérature et tout art appartiennent à une classe déterminée et relèvent d’une ligne politique définie. Il n’existe pas, dans la réalité, d’art pour l’art, d’art au-dessus des classes, ni d’art qui se développe en dehors de la politique ou indépendamment d’elle.

La littérature et l’art prolétarien font partie de l’ensemble de la cause révolutionnaire du prolétariat ; ils sont, comme disait Lénine, « une petite roue et une petite vis du mécanisme général de la révolution ».

Aussi le travail littéraire et artistique occupe-t-il dans l’ensemble de l’activité révolutionnaire du Parti une position fixée et bien définie ; il est subordonné à la tâche révolutionnaire assignée par le Parti pour une période donnée de la révolution.

Rejeter cela, c’est glisser inévitablement vers le dualisme ou le pluralisme, ce qui en substance aboutirait à ce que voulait Trotski : « une politique marxiste et un art bourgeois ».

Nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui donnent à la littérature et à l’art une importance tellement exagérée qu’elle devient une erreur, mais nous ne sommes pas d’accord, non plus, avec ceux qui sous-estiment leur importance.

La littérature et l’art sont subordonnés à la politique, mais ils exercent, à leur tour, une grande influence sur elle. La littérature et l’art révolutionnaire font partie de l’ensemble de la cause de la révolution, dont ils constituent une petite roue et une petite vis.

Certes, au point de vue de la portée, de l’urgence et de l’ordre de priorité, ils le cèdent à d’autres parties encore plus importantes, mais ils n’en sont pas moins une petite roue, une petite vis du mécanisme général, une partie indispensable à l’ensemble de la cause de la révolution. La révolution ne peut progresser et triompher sans la littérature et sans l’art, fussent-ils parmi les plus simples, parmi les plus élémentaires.  »

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Andreï Jdanov sur l’opéra «La grande amitié»

Discours d’introduction à la Conférence des musiciens soviétiques de 1948.

Quelques mots sur le livret. Le livret de cet opéra est artificiel et les événements à rendre sont inexacts et faux du point de vue historique.

Voici, brièvement, de quoi il est question. L’opéra est consacré à la lutte livrée pour l’amitié des peuples dans le Caucase du Nord, en 1918-1920. Les peuples du Caucase, dont l’opéra a en vue de montrer des Ossètes, les Lesghiens et les Géorgiens, passent, avec l’aide d’un commissaire envoyé de Moscou, de la lutte contre le peuple russe, en particulier contre les Cosaques, à la paix et à l’amitié avec lui.

Ce qu’il y a d’historiquement faux ici, c’est que ces peuples n’ont jamais été en inimitié avec le peuple russe. Tout au contraire, dans la période historique à laquelle est consacré cet opéra, c’est précisément de concert avec les Ossètes, les Lesghiens et les Géorgiens que le peuple russe et l’Armée rouge battaient les forces de la contre-révolution, jetaient les fondements du pouvoir des Soviets dans le Caucase du Nord et instauraient la paix et l’amitié des peuples.

A l’époque, ce sont les Tchétchènes et les Irigouchis qui faisaient obstacle à l’amitié des peuples.

Donc, en ce temps-là, ce sont les Tchétchènes et les Ingouchis qui semaient la haine entre les nationalités, et voilà qu’au lieu d’eux, on présente au public les Ossètes et les Géorgiens ! C’est là une erreur historique grossière ; c’est falsifier l’histoire ; c’est attenter à la vérité historique.

Bien qu’il soit question dans cet opéra d’une époque fort intéressante, de l’époque de l’instauration du pouvoir des Soviets dans le Caucase du Nord, avec toute la complexité de ses coutumes multinationales et la variété des formes de la lutte de classes, et alors que dans ces conditions cet opéra aurait dû rendre pleinement la vie fertile en événements et les mœurs des peuples du Caucase du Nord ­ sa musique s’est trouvée être très loin de l’œuvre populaire des peuples du Caucase du Nord.

Si les Cosaques paraissent sur la scène ­ et ils jouent un grand rôle dans l’opéra – ni la musique, ni les chants n’ont rien de typique pour les Cosaques, leurs chansons et leur musique. Il en est de même des peuplades de montagnards. Si au cours de l’action on danse une lesghienne, la mélodie ne rappelle en rien les mélodies si connues et si populaires des lesghiennes. Le compositeur, en quête d’originalité, a écrit pour sa lesghienne, une musique peu compréhensible, fastidieuse et beaucoup moins jolie et riche en contenu que la musique populaire ordinaire de la lesghienne.

Puis, reprenant la parole au cours de la discussion, Jdanov fit l’intervention suivante :

Permettez­-moi d’abord de faire quelques remarques sur le caractère de la discussion qui se déroule ici. L’appréciation générale de la situation dans le domaine de la création musicale se ramène à cette constatation : ça ne va pas fort.

Il s’est exprimé, il est vrai, différentes nuances au cours des interventions. Les uns ont dit qu’elle boitait surtout sous le rapport de l’organisation, ils ont montré l’insuffisance de la critique et de l’autocritique et dénoncé les fausses méthodes de direction, particulièrement à l’Union des compositeurs.

D’autres, s’associant à la critique de l’organisation et du régime régnant dans les organisations, ont signalé ce qui va mal dans l’orientation idéologique de la musique soviétique. Les troisièmes ont tenté d’escamoter le caractère aigu de la situation ou de passer sous silence les questions désagréables. Mais de quelque façon qu’aient été exprimées ces nuances, le ton général de la discussion se réduit à constater que ça ne va pas fort.

Je n’ai pas l’intention d’apporter une dissonance ou une « atonalité » dans cette appréciation, quoique l’« atonalité » soit aujourd’hui à la mode. La situation est en effet bien mauvaise. Il me semble qu’elle est pire qu’on ne l’a dit ici.

Je n’ai pas l’intention de nier les résultats obtenus par la musique soviétique. Ils existent, bien sûr, mais si l’on se représente quels résultats nous aurions pu et dû obtenir dans le domaine de la musique, si l’on compare même les succès dans ce domaine avec les résultats obtenus dans d’autres domaines de l’idéologie, il faut avouer qu’ils sont tout à fait insignifiants.

Si l’on prend, par exemple, la littérature, on voit aujourd’hui certaines revues éprouver de véritables difficultés parce qu’elles n’arrivent plus à faire place à tous les manuscrits dignes de publication qu’elles ont en portefeuille. Il semble qu’aucun des orateurs n’ait pu se vanter d’une telle surproduction en musique. Il y a progrès dans le domaine du cinéma ou de la dramaturgie.

Mais dans le domaine de la musique il n’y a pas le moindre progrès sensible.

La musique est en retard, tel est le ton de toutes les interventions. Aussi bien à l’Union des compositeurs qu’au Comité des arts, il s’est créé une situation évidemment anormale. Du Comité des arts on a peu parlé et on ne l’a pas suffisamment critiqué. En tout cas on a parlé notablement plus et de façon plus incisive de l’Union des compositeurs.

Et pourtant, le Comité des arts a joué un rôle de fort mauvais aloi. En se donnant l’air de défendre de toutes ses forces la tendance réaliste en musique, le Comité a favorisé de toutes les façons la tendance formaliste en élevant ses représentants sur le pavois, et par là-même il a rendu possible la désorganisation et l’introduction de la pagaille idéologique dans les rangs de nos compositeurs. En outre, inculte et incompétent dans les questions musicales, le Comité s’est mis à la traîne des compositeurs du clan formaliste.

On a comparé ici le Comité d’organisation de l’Union des compositeurs à un monastère ou aux généraux sans armée. Il n’est pas besoin de contester ces affirmations.

Si le sort de la création musicale soviétique se trouve être la prérogative du cercle le plus fermé de compositeurs et de critiques dirigeants, de critiques choisis suivant le principe du soutien des chefs et créant autour des compositeurs une atmosphère enivrante d’adulation, s’il n’y a pas de discussion de travail, si à l’Union des compositeurs s’est instaurée une atmosphère confinée, moisie, où l’on distingue les compositeurs de première et de seconde qualités, si le style dominant dans les conférences de l’Union des compositeurs est le silence respectueux ou les pieuses louanges aux élus, si la direction du Comité d’organisation est coupée de la masse des compositeurs ­ alors on ne peut pas ne pas reconnaître que la situation sur l’« Olympe » musical est devenue menaçante.

Il convient de dire un mot particulier de critique de l’orientation vicieuse de la critique et de l’absence de discussion de travail à l’Union des compositeurs. Du moment qu’il n’y a pas discussion de travail, qu’il n’y a ni critique ni autocritique, il n’y a pas non plus mouvement en avant. La discussion de travail est une critique objective, indépendante – ­ c’est aujourd’hui devenu un axiome – ­ apparaissent comme la condition la plus importante du progrès créateur.

Là où il n’y a pas critique et discussion de travail, les sources mêmes du mouvement se tarissent, il s’installe une atmosphère de serre, de moisissure et de stagnation, dont nos compositeurs n’ont nul besoin.

Ce n’est point par hasard que les gens qui prennent part pour la première fois à une conférence sur les questions musicales, trouvent étrange que puissent se perpétuer des contradictions aussi irréductibles entre le régime très conservateur qui préside à l’organisation de l’Union des compositeurs, et les idées soi-disant ultra-progressives de ses dirigeants actuels dans le domaine de l’idéologie et de la création.

On sait que la direction de l’Union a inscrit sur son drapeau des formules prometteuses comme l’appel à l’esprit novateur, le rejet des traditions désuètes, la lutte contre l’ « épigonisme », etc.

Mais il est curieux que les mêmes personnes qui veulent paraître très radicales et même ultra-révolutionnaires dans leur programme créateur, qui prétendent au rôle de destructeurs des canons vieillis ­ que ces mêmes personnes, quand elles prennent part à l’activité de l’Union des compositeurs, se révèlent extraordinairement rétrogrades, imperméables aux nouveautés et aux changements, conservatrices dans leurs méthodes de travail et de direction, et souvent paient volontiers tribut dans les questions d’organisation aux pires traditions et à l’« épigonisme » tant décrié, cultivant les procédés les plus bornés et éculés quand il s’agit de diriger la vie et l’activité de leur propre groupement.

Comment cela se fait, il est aisé de l’expliquer. Si une phraséologie boursoufflée sur les soi-disant tendances nouvelles de la musique soviétique, s’associe à des actes qui ne sont nullement d’avant-garde, cela seul suffît à provoquer un doute légitime sur le caractère progressiste des bases idéologiques sur lesquelles reposent des méthodes aussi réactionnaires.

L’organisation a en toutes choses une grande importance, vous le comprenez parfaitement. Il faut c’est évident, procéder à une sérieuse ventilation dans les organisations de compositeurs et de musiciens, il faut qu’un souffle frais y purifie l’air pour qu’y soient créées des conditions normales au travail créateur.

Mais la question d’organisation, pour importante qu’elle soit, n’est pas fondamentale. La question fondamentale, c’est l’orientation de la musique soviétique. La discussion qui s’est déroulée ici élude quelque peu le problème et ce n’est pas juste.

Si en musique vous cherchez la phrase musicale claire, de même dans la question de l’orientation de notre musique nous devons chercher à atteindre la clarté.

A la question : s’agit-il de deux tendances en musique ? ­ la discussion apporte une réponse parfaitement nette : oui, c’est précisément de cela qu’il s’agit. Bien que certains camarades aient essayé de ne pas appeler les choses par leur nom et que l’on ait joué partiellement en sourdine, il est clair qu’il y a lutte entre les tendances, que les efforts faits pour remplacer une orientation par une autre sont manifestes.

En même temps une partie de nos camarades a prétendu qu’il n’y avait pas de raison de poser la question de la lutte des tendances, qu’il ne s’était produit aucun changement d’ordre qualitatif, qu’on assistait seulement au développement de l’héritage classique dans les conditions du milieu soviétique.

On a dit qu’il n’y avait aucune révision des fondements de la musique classique et que, par conséquent, il n’y avait pas matière à discussion, qu’il était vain de faire du bruit.

Le problème se réduirait tout au plus à des corrections de détail, à des cas isolés d’engouement pour la technique, à des fautes isolées de caractère naturaliste, etc. C’est justement parce que l’on s’est livré à un camouflage de cette nature, qu’il convient de s’étendre plus en détail sur la lutte des deux tendances.

Il ne s’agit évidemment pas seulement de corrections, il ne suffit pas de dire qu’il y a une gouttière dans le toit du Conservatoire et qu’il faut la boucher ­ et l’on ne peut pas ne pas être d’accord là-dessus avec le camarade Chebaline, mais le trou n’est pas seulement dans le toit du Conservatoire ce serait vite réparé ; il s’est formé une brèche beaucoup plus importante dans les fondations mêmes de la musique soviétique.

Il n’y a pas là-dessus deux avis et tous les orateurs l’ont montré : dans l’activité de l’Union des compositeurs le rôle dirigeant est joué aujourd’hui par un groupe limité de compositeurs. Il s’agit des camarades Chostakovitch, Prokofiev, Miaskovsky, Khatchatourian, Popov, Kabalevski, Chebaline. Qui voulez-vous encore associer à ces camarades ?

Une voix crie : « Chaporine ». Jdanov poursuit :

Lorsqu’on parle du groupe dirigeant qui tient tous les fils et toutes les clés du « Comité exécutif des arts » ce sont les noms qu’on donne le plus souvent. Nous admettrons que ces camarades sont les principales figures dirigeantes de la tendance formaliste en musique. Et cette tendance est totalement fausse.

Les camarades sus-nommés ont, eux aussi, pris ici la parole, et déclaré qu’eux aussi étaient mécontents qu’à l’Union des compositeurs il n’y ait pas d’atmosphère de critique, qu’on les loue exagérément, qu’ils sentent un certain affaiblissement de leurs contacts avec les cadres de base des compositeurs, avec les auditoires, etc.

Mais pour constater toutes ces vérités, sans doute n’avait-on pas besoin d’attendre un opéra incomplètement ou imparfaitement réussi.

Ces aveux auraient pu être faits beaucoup plus tôt. C’est qu’au fond pour ce groupe dirigeant de nos compositeurs du clan formaliste, le régime qui régnait jusqu’ici dans les organisations musicales n’était, pour modérer mon expression, « point désagréable ». Il a fallu la conférence au Comité central du Parti pour que ces camarades découvrent le fait, que ce régime recèle aussi des côtés négatifs. En tout cas, jusqu’à la Conférence au C.G., aucun d’entre eux n’a jamais proposé de rien changer à l’état de choses existant dans l’Union des compositeurs. Les forces du « traditionalisme » et de l’« épigonisme » agissaient sans défaillance.

On a dit ici que le moment était venu de changer carrément les choses. On ne peut pas ne pas en tomber d’accord.

Pour autant que les postes de commande de la musique soviétique sont occupés par les camarades en question, pour autant qu’il a été démontré que des tentatives pour les critiquer auraient provoqué, comme l’a dit ici le camarade Zakharov, une explosion, une mobilisation immédiate de toutes les forces contre la critique, il faut en conclure que ce sont précisément ces camarades qui ont créé cette insupportable atmosphère de serre, de stagnation et de rapports amicaux, qu’ils sont maintenant disposés à déclarer indésirables.

Les dirigeants de l’Union des compositeurs ont dit ici qu’il n’y a pas d’oligarchie à l’Union des compositeurs. Mais alors se pose la question: pourquoi s’accrochent-ils tant aux postes de directeurs de l’Union? Le pouvoir les séduit-il pour lui-même?

En d’autres termes, ces gens ont-ils pris l’autorité en mains parce qu’il leur est agréable de détenir l’autorité pour elle-même, ont-ils été atteints d’une telle démangeaison administrative, veulent­-ils simplement jouer aux petits princes comme Vladimir Galitski dans le « Prince Igor »?

Ou bien serait-ce que cette domination s’est établie en vue de donner à la musique une orientation déterminée ? Je pense que la première supposition tombe et que la seconde est la bonne.

Nous n’avons pas raison d’affirmer que la direction des affaires de l’Union n’est pas liée à l’orientation. Nous ne pouvons pas adresser une telle accusation disons, à Chostakovitch Par conséquent, si l’on dirigeait, c’était pour orienter.

Effectivement nous avons affaire à une lutte très aiguë, encore que voilée en surface, entre deux tendances.

L’une représente dans la musique soviétique une base saine, progressive, fondée sur la reconnaissance du rôle énorme joué par l’héritage classique, et en particulier par les traditions de l’école musicale russe, sur l’association d’un contenu idéologique élevé, de la vérité réaliste, de liens organiques profonds avec le peuple, d’une création musicale chantante, d’une haute maîtrise professionnelle.

La deuxième tendance exprime un formalisme étranger à l’art soviétique, le rejet de l’héritage classique sous le couvert d’un faux effort vers la nouveauté, le rejet du caractère populaire de la musique, le refus de servir le peuple, cela au bénéfice des émotions étroitement individuelles d’un petit groupe, d’esthètes élus.

Cette tendance remplace la musique naturelle, belle, humaine, par une musique fausse, vulgaire, parfois simplement pathologique.

En outre, c’est une particularité de la seconde tendance que d’éviter les attaques de front, de préférer cacher son activité révisionniste sous le masque d’un accord prétendu avec les propositions fondamentales du réalisme socialiste.

De telles méthodes « de contrebande » ne sont évidemment pas neuves, les exemples du révisionnisme proclamant son accord avec les propositions fondamentales de la théorie révisée, ne manquent pas dans l’histoire. Il est d’autant plus nécessaire de démasquer la véritable nature de cette seconde tendance et le mal qu’elle a fait au développement de la musique soviétique.

Analysons par exemple la question de l’attitude envers l’héritage classique. Les compositeurs en question ont beau jurer qu’ils se tiennent des deux pieds sur le sol de l’héritage classique, il n’y a pas moyen de démontrer que les partisans de l’école formaliste prolongent et développent les traditions de la musique classique.

N’importe quel auditeur dira que les œuvres des compositeurs soviétiques du clan formaliste sont radicalement différentes de la musique classique. La musique classique se caractérise par la vérité et le réalisme, par l’art d’unir une forme éclatante à un contenu profond, d’associer la plus haute maîtrise avec la simplicité la plus accessible.

La musique classique en général, la musique classique russe en particulier, ignorent le formalisme et le grossier naturalisme. Ce qui les caractérise, c’est l’élévation de l’idée : car elles savent reconnaître les sources de la musique dans l’œuvre musicale des peuples, elles ont respect et amour pour le peuple, pour sa musique et sa chanson.

Quel pas en arrière font nos formalistes hors de la grand’route de notre histoire musicale lorsque sapant les bases de la vraie musique ils composent une musique monstrueuse, factice, pénétrée d’impressions idéalistes, étrangère aux larges masses du peuple, s’adressant non à des millions de soviétiques mais à quelques unités ou à quelques dizaines d’élus, à une « élite » !

Comme cela ressemble peu à Glinka, à Tchaïkovsky, à Rimsky-Korsakov, à Dargomyjski, à Moussorgski, qui voyaient le principe de leur œuvre dans leur capacité d’exprimer l’esprit du peuple, son caractère ! La volonté d’ignorer les besoins du peuple, son esprit, sa création, signifie que la tendance formaliste en musique a un caractère nettement antipopulaire.

Si chez certains compositeurs soviétiques a cours cette théorie illusoire selon laquelle « on nous comprendra dans cinquante ou cent ans », « si nos contemporains ne peuvent nous comprendre, la postérité nous comprendra », alors c’est une chose simplement effrayante. Si vous êtes déjà accoutumés à cette pensée, une telle habitude est extrêmement dangereuse.

De tels raisonnements signifient qu’on se coupe d’avec le peuple. Si moi ­ écrivain, artiste, littérateur, responsable du Parti ­ je ne cherche pas à être compris de mes contemporains, alors pour qui donc vivre et travailler ?

Mais cela conduit au vide spirituel, à l’impasse. On dit que certains critiques musicaux parmi les flatteurs murmurent aux compositeurs, maintenant en particulier, des « consolations » de cette sorte. Mais des compositeurs peuvent-ils entendre de sang-froid de tels conseils, sans traîner les conseillers au moins devant un tribunal d’honneur ?

Rappelez-vous comment les classiques répondaient aux exigences du peuple. On oublie déjà chez nous en quels termes lumineux se sont exprimés les « Grands Cinq » [littéralement le « groupe vigoureux », groupe de compositeurs russes du milieu du XIXe siècle, avec comme principaux représentants Mili Balakirev, Modest Moussorgski, Alexander Borodine, Nikolaï Rimsky-Korsakov, César Cui] et le grand critique musical Stassov, leur compagnon, sur le caractère populaire de la musique.

On oublie le mot remarquable de Glinka sur les rapports du peuple et des artistes: « Celui qui crée la musique c’est le peuple, et nous, les artistes, ne faisons que l’arranger ». On oublie que les choryphées de l’art musical n’ont écarté aucun genre, quand ces genres les aidaient à promouvoir l’art musical dans de larges masses populaires.

Mais vous écartez même des genres tels que l’opéra, vous tenez l’opéra pour une œuvre de second ordre, vous lui opposez la musique symphonique instrumentale, pour ne rien dire de votre attitude dédaigneuse envers la musique de chant, la musique chorale ou la musique de concert : vous trouvez honteux de vous abaisser jusqu’à elle et de satisfaire aux exigences populaires.

Cependant, Moussorgski a mis en musique le « Hopak ». Glinka utilisa le « Komarinski » dans l’une de ses meilleures œuvres. Peut-être faudra-t-il reconnaître que le propriétaire foncier Glinka, le fonctionnaires des tsars Serov et le gentilhomme Stassov étaient plus démocrates que vous.

C’est paradoxal, mais c’est un fait. Vous avez souvent juré vos grands dieux que vous tenez pour la musique populaire ; s’il en est ainsi, pourquoi dans vos œuvres utilisez-vous si peu les mélodies populaires ? Pourquoi se répètent les défauts que critiquait déjà Serov lorsqu’il montrait que la musique « savante », c’est-à-dire professionnelle, se développait parallèlement et indépendamment de la populaire ?

Est-ce que chez nous la musique symphonique instrumentale se développe en une étroite interaction avec la musique populaire, que ce soit la chanson, la musique de concert ou la musique chorale ?

Non, on ne peut le dire. Au contraire, on constate ici indéniablement une rupture qui tient à la sous-estimation par nos symphonistes de la musique populaire. Je rappellerai en quels termes Serov caractérisait son attitude envers la musique populaire. Je pense à son article La musique des chants de la Russie du Sud où il disait :

« Les chansons. populaires en tant qu’organismes musicaux ne sont absolument pas l’œuvre de talents isolés, mais la production du peuple tout entier ; elles sont, par toute leur structure, très différentes de la musique artificielle qui résulte d’une imitation consciente des modèles, qui est le produit de l’école, de la science, de la routine et de la réflexion.

Ce sont les fleurs d’un point donné, apparues comme d’elles-mêmes, poussées dans tout leur éclat sans la moindre prétention d’auteur, et, par suite, elles ne ressemblent guère à ces produits de châssis ou de serres de la composition savante.

C’est pourquoi apparaît le plus clairement en elles la naïveté ­de la création et (pour reprendre la juste expression de Gogol dans les Âmes mortes) la haute sagesse de la simplicité, grâce essentielle et secret essentiel de toute création artistique.

Comme un lys dans sa splendeur parfaite éclipse l’éclat du brocart et des pierres précieuses, de même la musique populaire, par sa simplicité enfantine, est mille fois plus riche et plus forte que tous les artifices de l’art d’école, préconisés par les pédants dans les conservatoires et les académies musicales. »

Comme tout est bon, juste et fort ! Comme l’essentiel est bien saisi : le développement de la musique doit se faire sur la base d’une action réciproque, d’un enrichissement de la musique « savante » par la musique populaire ! Mais de nos articles théoriques et critiques d’aujourd’hui ce thème a presque complètement disparu.

Cela confirme une fois de plus le danger que courent les chefs de file de la musique contemporaine, de se couper du peuple lorsqu’ils renoncent à une source aussi belle de création que la chanson et la mélodie populaires. Une telle coupure ne peut évidemment être le fait de la musique soviétique.

Permettez-moi de passer à la question des rapports de la musique nationale et de la musique étrangère.

Des camarades ont dit ici avec raison qu’on constate un engouement et même une certaine orientation vers la musique bourgeoise occidentale contemporaine, vers la musique de décadence, et qu’il y a là également un des traits fondamentaux de l’orientation formaliste dans la musique soviétique.

Stassov a fort bien parlé en son temps des rapports de la musique russe avec la musique de l’Europe occidentale, dans son article Ce qui freine le nouvel art russe, où il écrivait :

« II est ridicule de nier la science, la connaissance en quelque domaine que ce soit y compris dans le domaine musical. Mais les jeunes musiciens russes qui n’ont pas derrière eux comme l’Europe, pour les soutenir, une longue chaîne de périodes scolastiques, regardent audacieusement la science en face : ils la vénèrent, utilisent ses bienfaits, mais sans exagération et sans servilité. Ils nient la nécessité de sa sécheresse et de ses excès pédants, ils se refusent à ses jeux gymnastiques auxquels donnent tant d’importance de milliers d’Européens, et ils ne croient pas qu’il faille humblement végéter de longues années sur ces mystères sacro-saints. »

Ainsi parlait Stassov de la musique classique de l’Europe occidentale. En ce qui concerne la musique bourgeoise contemporaine, qui se trouve en pleine décadence et dégradation, il n’y a rien à tirer d’elle. A plus forte raison sont absurdes et ridicules les manifestations de servilité devant une telle musique.

Si l’on étudie l’histoire de notre musique russe, puis soviétique, on en vient à la conclusion qu’elle a poussé, s’est développée et est devenue une force puissante justement parce qu’elle a réussi à tenir sur ses propres pieds et à trouver ses propres voies de développement, qui lui ont donné la possibilité de mettre à nu la richesse du monde intérieur de notre peuple.

Ceux-là se trompent profondément qui pensent que l’épanouissement de la musique nationale russe, aussi bien que celles des autres peuples soviétiques, signifie un affaiblissement de l’internationalisme dans l’art.

Celui-ci ne naît pas sur la base d’un affaiblissement et d’un appauvrissement de l’art national. Au contraire, l’internationalisme naît là où s’épanouit l’art national. Oublier cette vérité, cela signifie perdre la ligne directrice, perdre son visage, devenir des cosmopolites sans attaches. Seul peut apprécier la richesse musicale d’autres peuples le peuple qui possède une culture musicale hautement développée.

On ne peut pas être un internationaliste en musique, comme en toute autre chose, sans être un véritable patriote de sa patrie. Si à la base de l’internationalisme il y a le respect des autres peuples, on ne peut pas être un internationaliste sans respecter et sans aimer son propre peuple.

Cela, toute l’expérience de l’U.R.S.S. le prouve. Par conséquent l’internationalisme en musique, le respect de l’œuvre des autres peuples, se développent sur la base de l’enrichissement et du développement de l’art musical national, sur la base d’un épanouissement tel qu’il ait quelque chose à faire partager aux autres peuples, et non sur la base d’un appauvrissement de l’art national, d’une imitation aveugle de modèles étrangers, et de l’effacement des particularités du caractère national en musique. Rien de tout cela ne doit être oublié lorsqu’on parle des rapports de la musique soviétique et de la musique étrangère.

Continuons. Quand on dit que la tendance formaliste s’écarte des principes de l’héritage classique, on ne peut pas ne pas parler de l’affaiblissement du rôle de la musique descriptive. On en a déjà parlé ici, mais l’essence du principe de cette question n’a pas été convenablement tirée au clair. Il est parfaitement évident que la musique descriptive tient moins de place ou n’en tient presque plus du tout.

Les choses en sont venues à ce point qu’on est obligé d’expliquer le contenu d’une œuvre musicale nouvelle même après qu’elle a été jouée. Il s’est formé toute une nouvelle profession, celle des commentateurs ­ recrutés par les amis ­ qui s’efforcent d’après leurs conjectures personnelles de déchiffrer après coup, le contenu des œuvres musicales déjà jouées, dont le sens obscur, à ce qu’on dit, n’est pas tout à fait clair, même à leurs auteurs.

Oublier la musique à programme, c’est aussi s’écarter des traditions progressives. On sait que la musique classique russe était, en règle générale, à programme.

On a parlé ici de la volonté d’innover. On a dit que cette volonté d’innover n’était pas loin d’être le trait distinctif principal de la tendance formaliste ; mais la volonté d’innover n’est pas une fin en soi ; le nouveau doit être meilleur que l’ancien autrement il n’a pas de raison d’être. Il me semble que les tenants de la tendance formaliste utilisent principalement ce petit mot d’innovation aux fins de propagande de la mauvaise musique.

On ne peut pourtant qualifier d’innovation toutes les originalités, toutes les grimaces et toutes les cabrioles en musique. Si l’on ne veut pas se contenter de lancer des mots sonores, il faut se représenter nettement de quel ancien il faut essayer de s’éloigner et vers quel nouveau il faut tendre. Si l’on ne fait pas cela, alors les phrases sur l’innovation en musique ne vont signifier qu’une chose : révision des fondements de la musique.

Cela ne peut signifier que le rejet de lois et de normes dont on ne peut s’écarter. Et qu’on ne puisse s’en écarter, ce n’est pas là du conservatisme ; et si l’on s’en écarte, ce n’est point faire œuvre de novateur. L’innovation ne coïncide pas toujours avec le progrès.

On tourne la tête à beaucoup de jeunes musiciens avec l’esprit d’innovation comme avec un épouvantail en leur disant que s’ils ne sont pas originaux, nouveaux, cela signifie qu’ils sont prisonniers des traditions conservatrices. Mais pour autant qu’innovation n’est pas synonyme de progrès, la diffusion de telles opinions représente une profonde illusion sinon une tromperie.

Or, « l’innovation » des formalistes n’est même pas nouvelle, car ce nouveau sent la musique bourgeoise décadente de l’Europe et de l’Amérique contemporaines. Voilà où il faut dénoncer les véritables épigones !

Il fut un temps où dans les écoles primaires et secondaires, comme vous vous le rappelez, on s’était engoué de la méthode des « brigades laboratoires » et par le « plan Dalton », selon lesquels le rôle du maître à l’école était réduit au minimum, tandis que chaque élève avait le droit, au commencement de la leçon, de fixer le programme de la classe.

Le maître, en arrivant pour sa leçon, demandait aux élèves : « Qu’est-­ce que nous allons faire aujourd’hui ? » Les élèves répondaient : « Parlez-nous de l’Arctique, parlez-nous de l’Atlantique, parlez-nous de Tchapaïev, parlez-nous du Dnieprostroï ».

Le maître devait se plier à toutes ces exigences. Cela s’appelait la méthode des « brigades laboratoires ». En fait, cela signifiait que toute l’organisation de l’enseignement était mise sens dessus dessous, puisque les élèves étaient dirigeants et le maître dirigé. Il y avait eu autrefois des (manuels poussiéreux, le système de notation sur 5 avait disparu. Tout cela c’était des nouveautés, mais je vous le demande ces nouveautés étaient-elles progressives ?

Le Parti, comme on sait, a supprimé ces « nouveautés ». Pourquoi ? Parce que ces « nouveautés » très « à gauche » dans la forme, étaient en fait parfaitement réactionnaires et conduisaient à la liquidation de l’école.

Autre exemple : il n’y a pas si longtemps, a été organisée une Académie des Beaux-Arts. La peinture, c’est votre sœur, une des muses. En peinture, comme vous le savez, les influences bourgeoises furent fortes à un moment donné; elles se manifestaient sans discontinuer sous le drapeau le plus « à gauche », se collaient les étiquettes de futurisme, de cubisme, de modernisme ; « on renversait » « l’académisme pourri », on préconisait l’innovation. Cette innovation s’exprimait dans des histoires de fous : on dessinait par exemple une femme à une tête sur quarante jambes, un œil regardant par ici et l’autre au diable.

Comment tout cela s’est-il terminé ? Par un krach complet de « la nouvelle tendance ». Le Parti a pleinement rendu son importance à l’héritage classique de Repine, de Briullov, de Verechtchaguine, de Vasnetsov, de Sourikov. Avons-nous bien fait de maintenir les trésors de la peinture classique et de mettre en déroute les liquidateurs de la peinture ?

Est-ce que la survivance de telles « écoles » n’aurait pas signifié la liquidation de la peinture ? Hé quoi, en défendant la tradition classique en peinture, le Comité central s’est-il conduit en «conservateur», s’est-il trouvé sous l’influence du « traditionalisme », de 1′ « épigonisme », etc., etc… ? Tout cela ne tient pas debout.

Il en est de même en musique. Nous n’affirmons pas que l’héritage classique est le sommet absolu de la culture musicale.

Si nous parlions ainsi, cela voudrait dire que nous reconnaissons que le progrès s’est achevé avec les classiques. Mais jusqu’à présent les modèles classiques restent insurpassés. Cela veut dire qu’il faut étudier et étudier encore, prendre de l’héritage classique tout ce meilleur dont nous avons besoin pour le développement ultérieur de la musique soviétique.

On parle d’épigonisme et autres balivernes, et avec ces mots-là on effraie la jeunesse pour la détourner d’apprendre auprès des classiques. On lance pour mot d’ordre qu’il faut dépasser les classiques. C’est évidemment excellent. Mais pour les dépasser il faut commencer par les rattraper, et c’est un stade que vous négligez comme si c’était déjà une étape dépassée.

Mais pour parler sincèrement et exprimer la pensée du spectateur et de l’auditeur soviétiques, ce ne serait pas mal du tout si l’on voyait paraître chez nous un peu plus d’oeuvres ressemblant aux classiques par le contenu et la forme, par l’élégance, la beauté et la musicalité. Si c’est là de l’ « épigonisme », eh bien, ma foi, il n’y a pas de honte à être un tel épigone !

Un mot des déviations naturalistes. Il est apparu ici qu’on s’écartait de plus en plus des normes naturelles et saines de la musique. On fait de plus en plus de place dans notre musique à des éléments de grossier naturalisme. Or voici comment il y a quatre-vingt-dix ans Serov prévenait ses contemporains contre l’attrait d’un naturalisme grossier :

« Dans la nature il y a une infinité de sons différents de nature et de qualité, mais tous ces sons qui en certains cas s’appellent bruit, roulement, fracas, craquement, clapotement, grondement, bourdonnement, tintement, hurlement, grincement, sifflement, parole, chuchotement, bruissement, grésillement, murmure, etc., etc… et en d’autres circonstances ne peuvent s’exprimer par le langage, tous ces bruits ou bien n’entrent pas du tout dans la composition de la langue musicale, ou n’y entrent qu’à titre d’exception (sons de cloches, de cymbales, de triangle, bruits de tambour, de tambourin, etc…)

« La matière proprement musicale c’est un son d’une qualité particulière. »

N’est-il pas vrai, n’est-il pas juste que le son des cymbales ou le bruit du tambour doit être l’exception et non la règle dans une œuvre musicale ?

N’est-il pas clair que tout bruit naturel ne doit pas être transporté dans une œuvre musicale ? Or combien y a-t-il chez nous d’engouement insolent pour un naturalisme vulgaire qui représente indiscutablement un pas en arrière !

Il faut dire carrément que toute une série d’œuvres contemporaines sont à ce point surchargées de bruits naturalistes qu’elles rappellent, pardonnez l’inélégance de l’expression, soit la fraise de dentiste, soit une périssoire musicale. Simplement ce sont les forces qui manquent, prêtez-y attention !

C’est ici qu’on commence à sortir des limites du rationnel, des limites non seulement des émotions humaines normales, mais aussi de la raison de l’homme normal. Il y a, il est vrai, aujourd’hui des « théories » à la mode qui prétendent que l’état pathologique est une forme supérieure de l’humanité et que les schizophréniques et les paranoïaques dans leur délire peuvent atteindre à des hauteurs spirituelles où n’atteindra jamais un homme ordinaire dans son état normal.

Ces « théories » ne sont évidemment pas accidentelles, elles sont très caractéristiques de l’époque de pourriture et de décomposition de la culture bourgeoise. Mais laissons toutes ces « recherches » aux fous, exigeons de nos compositeurs une musique normale, humaine.

Quel a été le résultat de l’oubli des lois et des normes de la création musicale ? La musique s’est vengée des efforts faits pour la dénaturer. Quand la musique perd tout contenu, toute qualité artistique, quand elle devient inélégante, laide, vulgaire, elle cesse de satisfaire les besoins pour lesquels elle existe, elle cesse d’être elle-même.

Vous vous étonnez peut-être qu’au Comité central du Parti bolchevik on exige de la musique beauté et élégance. Qu’est-ce qui se passe encore ? Eh bien, non, ce n’est pas un lapsus, nous déclarons que nous sommes pour une musique belle et élégante, une musique capable de satisfaire les besoins esthétiques et les goûts artistiques des Soviétiques, et ces besoins et ces goûts ont grandi incroyablement.

Le peuple apprécie le talent d’une œuvre musicale dans la mesure où elle reflète profondément l’esprit de notre époque, l’esprit de notre peuple, dans la mesure où elle est accessible aux larges masses. Qu’est-ce donc qui est génial en musique ?

Ce n’est pas du tout ce que ne peuvent apprécier qu’un individu ou un petit groupe d’esthètes raffinés ; une œuvre musicale est d’autant plus géniale que le contenu en est plus riche et plus profond, que la maîtrise en est plus élevée, qu’est plus grand le nombre de ceux qui la reconnaissent, le nombre de ceux qu’elle est capable d’inspirer.

Tout ce qui est accessible n’est pas génial, mais tout ce qui est vraiment génial est accessible, et d’autant plus génial que plus accessible aux larges masses du peuple.

A. N. Serov avait profondément raison lorsqu’il disait : « Contre la beauté vraie en art le temps est impuissant, autrement on n’aimerait plus ni Homère, Dante ou Shakespeare, ni Raphaël, Le Titien ou Poussin, ni Palestrina, Haendel, ou Glück ».

Une œuvre musicale est d’autant plus haute qu’elle fait entrer en résonance plus de cordes de l’âme humaine. L’homme du point de vue de sa perception musicale est une membrane merveilleusement riche, un récepteur travaillant sur des milliers d’ondes ­ – on peut, sans doute, choisir une meilleure comparaison – ­ et pour l’émouvoir il ne suffît pas d’une seule note, d’une seule corde, d’une seule émotion.

Si un compositeur n’est capable de faire vibrer qu’une ou que quelques-unes des cordes humaines, cela ne suffit pas, car l’homme moderne et surtout le nôtre, l’homme soviétique, se présente aujourd’hui comme un organisme perceptif extrêmement complexe. Si Glinka, Tchaïkovsky, Serov, ont parlé du haut développement du sens musical dans le peuple russe, au temps où ils s’exprimaient ainsi le peuple russe n’avait pas encore une large idée de la musique classique.

Sous le pouvoir soviétique, la culture musicale des peuples s’est extraordinairement développée ; si déjà auparavant notre peuple se distinguait par son sens musical, aujourd’hui son goût artistique s’est enrichi en raison de la diffusion de la musique classique.

Si vous avez laissé s’appauvrir la musique, si, comme il est arrivé dans l’opéra de Mouradéli, ne sont utilisées ­ni les possibilités de l’orchestre ni les aptitudes des chanteurs, alors vous avez cessé de satisfaire les besoins musicaux de vos auditeurs. Et l’on récolte ce qu’on a semé. Les compositeurs dont les œuvres sont incompréhensibles au peuple ne doivent pas s’attendre à ce que le peuple, qui n’a pas compris leur musique, « s’élève » jusqu’à eux.

La musique qui est inintelligible au peuple, lui est inutile. Les compositeurs doivent s’en prendre, non au peuple mais à eux-mêmes, ils doivent faire la critique de leur propre travail, comprendre pourquoi ils n’ont pas satisfait leur peuple, pourquoi ils n’ont pas mérité son approbation, et ce qu’ils doivent faire pour qu’il les comprenne et approuve leurs œuvres.

Voilà en quel sens il faut réformer votre travail. En outre, vous courez le risque de perdre la maîtrise de votre profession musicale. Si les déviations formalistes appauvrissent la musique, elles comportent encore un autre danger : c’est de ruiner la maîtrise du métier.

A ce propos, il me faut m’attarder sur une erreur très répandue, selon laquelle la musique classique serait plus simple et la musique moderne plus complexe, la complication de la technique contemporaine étant considérée comme un pas en avant, étant donné que tout développement va du simple au complexe et du particulier en général. Il n’est pas vrai que toute complication signifie maîtrise plus grande. Non, pas n’importe laquelle. C’est une profonde erreur que de prendre toute complication pour un progrès.

J’en donnerai un exemple : on sait que la langue littéraire russe utilise un grand nombre de mots étrangers, on sait comme Lénine se moquait de l’emploi abusif de tels termes, et comme il combattit pour épurer la langue nationale des emprunts qui rengorgeait. La complication de la langue par l’introduction d’un mot étranger, là où il y a la possibilité d’employer un mot russe, n’a jamais passé pour un progrès linguistique.

Par exemple le mot étranger « losung » (mot d’ordre) est remplacé aujourd’hui par le mot russe correspondant [en russe prlzy]; est ce que cela ne constitue pas un pas en avant ? Il en est de même en musique.

Sous le masque d’une complication purement extérieure des procédés de composition, se cache une tendance à l’appauvrissement de la musique. La langue musicale devient inexpressive.

On y introduit tant d’éléments grossiers, vulgaires, faux, qu’elle cesse de répondre à sa destination : procurer une jouissance. La signification esthétique de la musique doit­-elle donc être abolie ? Est-ce en cela, dites-moi, que consiste l’innovation ? Ou bien la musique devient-elle une conversation du compositeur avec lui-même ?

Mais alors pourquoi l’imposer au peuple? Cette musique devient antipopulaire, étroitement individualiste et le peuple a le droit de devenir, et devient en effet, indifférent à son destin. Si l’on exige de l’auditeur qu’il loue une musique grossière, inélégante, vulgaire, fondée sur des atonalités, sur des dissonances continuelles, lorsque les consonances deviennent un cas particulier et les fausses notes et leur combinaison la règle, c’est qu’on s’est écarté des normes fondamentales de la musique.

Tout cela pris ensemble, menace la musique de liquidation, tout comme le cubisme et le futurisme en peinture ne représentent pas autre chose qu’une menace de destruction de la peinture. Une musique qui volontairement ignore les émotions humaines normales et ébranle le psychisme et le système nerveux, ne peut être populaire, ne peut être au service de la société.

On a parlé ici d’un engouement unilatéral pour la musique symphonique instrumentale sans texte, cet oubli de la diversité des genres musicaux n’est pas juste. A quoi il conduit, on peut en juger par l’opéra de Mouradéli. Vous vous rappelez comme les grands maîtres de l’art variaient généreusement les genres.

Ils comprenaient que le peuple demande la diversité. Pourquoi êtes-vous si différents de vos grands ancêtres ? Vous êtes autrement insensibles qu’eux qui, occupant les cimes de l’art, écrivaient pour le peuple soli, chœurs et musique d’orchestre.

Parlons de la disparition de la mélodie dans la musique. La musique contemporaine est caractérisée par l’amour unilatéral du rythme aux dépens de la mélodie. Mais nous savons que la musique ne donne de plaisir que lorsque tous ses éléments – ­ la mélodie, le chant, le rythme – ­ se trouvent dans une certaine union harmonieuse.

L’attention unilatérale accordée à l’un d’eux aux dépens d’un autre aboutit à détruire l’interaction correcte des divers éléments de la musique, ce qui ne peut évidemment être accepté par une oreille humaine normale.

On se laisse aller aussi à utiliser les instruments en dehors de leur destination propre ; le piano par exemple se change en instrument de batterie. On réduit le rôle de la musique vocale au bénéfice d’un développement unilatéral de la musique instrumentale. La musique vocale elle-même tient de moins en moins compte des normes de l’art vocal.

Pareils écarts par rapport aux normes de l’art musical signifient la violation, non seulement des bases fonctionnelles normales du son musical, mais encore des bases physiologiques de l’oreille humaine normale. On n’a malheureusement pas encore assez fouillé chez nous le domaine de la théorie qui traite de l’influence physiologique de la musique sur l’organisme humain.

Et pourtant il faut admettre qu’une musique mauvaise, disharmonique, lèse sans aucun doute l’activité psycho-physiologique régulière de l’homme.

Conclusions. Il faut rétablir pleinement l’importance de l’héritage classique, il faut rétablir une musique humaine normale.

Il faut souligner le danger de liquidation que fait courir à la musique l’orientation formaliste et condamner cette tendance comme une tentative à la Erostrate pour détruire le temple de l’art bâti par les grands maîtres de la culture musicale. Il faut que tous nos compositeurs se transforment et se tournent face à notre peuple. Il faut que tous se rendent compte que notre Parti, qui exprime les intérêts de notre Etat, de notre peuple, ne soutiendra que la tendance saine, progressive de la musique, celle du réalisme socialiste soviétique.

Camarades ! Si la haute dignité de compositeur soviétique vous est chère, vous devez montrer que vous êtes capables de mieux servir votre peuple que vous ne l’avez fait jusqu’ici. Un sérieux examen vous attend. La tendance formaliste en musique a été condamnée par le Parti il y a déjà 12 ans.

Pendant cette période le gouvernement a récompensé de prix Staline nombre d’entre vous, y compris certains qui avaient péché par formalisme. Ces récompenses c’était une avance.

Nous n’estimions pas pour autant que vos œuvres étaient exemptes de fautes, mais nous patientions, attendant que nos compositeurs trouvent en eux-mêmes la force de choisir la vraie route.

Mais maintenant chacun voit que l’intervention du Parti était nécessaire. Le C.C. vous déclare sans ambages que sur la voie choisie par vous notre musique ne s’illustrera pas.

Les compositeurs soviétiques ont deux tâches responsables au plus haut degré. La principale, c’est de développer et de parfaire la musique soviétique. L’autre consiste à défendre la musique soviétique contre l’intrusion des éléments de la décadence bourgeoise.

Il ne faut pas oublier que l’U.R.S.S. est actuellement l’authentique dépositaire de la culture musicale universelle, de même que dans tous les autres domaines elle est le rempart de la civilisation et de la culture humaine contre la décadence bourgeoise et la décomposition de la culture.

Il faut s’attendre à ce qu’aux influences bourgeoises venues d’au delà de nos frontières fassent écho des survivances du capitalisme dans la conscience de quelques représentants de l’intelligentsia soviétique, chez qui elles se traduisent par des efforts d’une folle légèreté pour troquer les trésors de la musique soviétique contre les misérables haillons de l’art bourgeois contemporain.

Aussi n’est-ce pas seulement l’oreille musicale, mais aussi l’oreille politique des compositeurs soviétiques qui doit être plus sensible.

Vos liens avec le peuple doivent être plus étroits que jamais. Vous devez tendre à la critique une oreille très attentive. Vous devez suivre les processus qui se développent dans l’art de l’Occident.

Mais votre tâche ne consiste pas seulement à empêcher la pénétration des influences bourgeoises dans la musique soviétique. Votre tâche consiste à confirmer la supériorité de la musique soviétique, à créer une puissante musique soviétique qui incorpore ce qu’il y a de meilleur dans le passé de la musique, qui reflète la société soviétique d’aujourd’hui et puisse élever plus haut encore la culture de notre peuple et sa conscience communiste.

Nous, bolcheviks, nous ne rejetons pas l’héritage culturel. Au contraire nous assimilons avec esprit critique l’héritage culturel de tous les peuples, de toutes les époques, pour en saisir tout ce qui peut inspirer aux travailleurs de la société soviétique de grandes actions dans le domaine du travail, de la science et de la culture. Vous devez aider le peuple en cela : si vous ne proposez pas cette tâche, si vous ne vous y donnez pas tout entiers, avec toute votre ardeur et votre enthousiasme créateurs, alors vous ne remplirez pas votre rôle historique.

Camarades! nous voulons, nous souhaitons passionnément que nous ayons nous aussi nos « Grands Cinq », que nos musiciens soient plus nombreux et plus forts que ceux qui ont jadis étonné le monde par leur talent et fait honneur à notre peuple. Pour être forts il faut que vous rejetiez loin de votre route tout ce qui peut vous affaiblir et que vous choisissiez les seules armes qui vous aideront à être forts et puissants.

Si vous utilisez à fond l’héritage de la géniale musique classique, et si en même temps vous le développez dans l’esprit des exigences nouvelles de notre grande époque, vous serez les « Grands Cinq » soviétiques.

Nous voulons que le retard dont vous souffrez soit dominé aussi rapidement que possible, que vous vous réformiez et vous transformiez en glorieuse cohorte des compositeurs soviétiques, fierté de tout le peuple soviétique. 

Discours d’introduction à la Conférence des musiciens soviétiques de 1948.

Quelques mots sur le livret. Le livret de cet opéra est artificiel et les événements à rendre sont inexacts et faux du point de vue historique.

Voici, brièvement, de quoi il est question. L’opéra est consacré à la lutte livrée pour l’amitié des peuples dans le Caucase du Nord, en 1918-1920. Les peuples du Caucase, dont l’opéra a en vue de montrer des Ossètes, les Lesghiens et les Géorgiens, passent, avec l’aide d’un commissaire envoyé de Moscou, de la lutte contre le peuple russe, en particulier contre les Cosaques, à la paix et à l’amitié avec lui.

Ce qu’il y a d’historiquement faux ici, c’est que ces peuples n’ont jamais été en inimitié avec le peuple russe. Tout au contraire, dans la période historique à laquelle est consacré cet opéra, c’est précisément de concert avec les Ossètes, les Lesghiens et les Géorgiens que le peuple russe et l’Armée rouge battaient les forces de la contre-révolution, jetaient les fondements du pouvoir des Soviets dans le Caucase du Nord et instauraient la paix et l’amitié des peuples.

A l’époque, ce sont les Tchétchènes et les Irigouchis qui faisaient obstacle à l’amitié des peuples.

Donc, en ce temps-là, ce sont les Tchétchènes et les Ingouchis qui semaient la haine entre les nationalités, et voilà qu’au lieu d’eux, on présente au public les Ossètes et les Géorgiens ! C’est là une erreur historique grossière ; c’est falsifier l’histoire ; c’est attenter à la vérité historique.

Bien qu’il soit question dans cet opéra d’une époque fort intéressante, de l’époque de l’instauration du pouvoir des Soviets dans le Caucase du Nord, avec toute la complexité de ses coutumes multinationales et la variété des formes de la lutte de classes, et alors que dans ces conditions cet opéra aurait dû rendre pleinement la vie fertile en événements et les mœurs des peuples du Caucase du Nord ­ sa musique s’est trouvée être très loin de l’œuvre populaire des peuples du Caucase du Nord.

Si les Cosaques paraissent sur la scène ­ et ils jouent un grand rôle dans l’opéra – ni la musique, ni les chants n’ont rien de typique pour les Cosaques, leurs chansons et leur musique. Il en est de même des peuplades de montagnards. Si au cours de l’action on danse une lesghienne, la mélodie ne rappelle en rien les mélodies si connues et si populaires des lesghiennes. Le compositeur, en quête d’originalité, a écrit pour sa lesghienne, une musique peu compréhensible, fastidieuse et beaucoup moins jolie et riche en contenu que la musique populaire ordinaire de la lesghienne.

Puis, reprenant la parole au cours de la discussion, Jdanov fit l’intervention suivante :

Permettez­-moi d’abord de faire quelques remarques sur le caractère de la discussion qui se déroule ici. L’appréciation générale de la situation dans le domaine de la création musicale se ramène à cette constatation : ça ne va pas fort.

Il s’est exprimé, il est vrai, différentes nuances au cours des interventions. Les uns ont dit qu’elle boitait surtout sous le rapport de l’organisation, ils ont montré l’insuffisance de la critique et de l’autocritique et dénoncé les fausses méthodes de direction, particulièrement à l’Union des compositeurs.

D’autres, s’associant à la critique de l’organisation et du régime régnant dans les organisations, ont signalé ce qui va mal dans l’orientation idéologique de la musique soviétique. Les troisièmes ont tenté d’escamoter le caractère aigu de la situation ou de passer sous silence les questions désagréables. Mais de quelque façon qu’aient été exprimées ces nuances, le ton général de la discussion se réduit à constater que ça ne va pas fort.

Je n’ai pas l’intention d’apporter une dissonance ou une « atonalité » dans cette appréciation, quoique l’« atonalité » soit aujourd’hui à la mode. La situation est en effet bien mauvaise. Il me semble qu’elle est pire qu’on ne l’a dit ici.

Je n’ai pas l’intention de nier les résultats obtenus par la musique soviétique. Ils existent, bien sûr, mais si l’on se représente quels résultats nous aurions pu et dû obtenir dans le domaine de la musique, si l’on compare même les succès dans ce domaine avec les résultats obtenus dans d’autres domaines de l’idéologie, il faut avouer qu’ils sont tout à fait insignifiants.

Si l’on prend, par exemple, la littérature, on voit aujourd’hui certaines revues éprouver de véritables difficultés parce qu’elles n’arrivent plus à faire place à tous les manuscrits dignes de publication qu’elles ont en portefeuille. Il semble qu’aucun des orateurs n’ait pu se vanter d’une telle surproduction en musique. Il y a progrès dans le domaine du cinéma ou de la dramaturgie.

Mais dans le domaine de la musique il n’y a pas le moindre progrès sensible.

La musique est en retard, tel est le ton de toutes les interventions. Aussi bien à l’Union des compositeurs qu’au Comité des arts, il s’est créé une situation évidemment anormale. Du Comité des arts on a peu parlé et on ne l’a pas suffisamment critiqué. En tout cas on a parlé notablement plus et de façon plus incisive de l’Union des compositeurs.

Et pourtant, le Comité des arts a joué un rôle de fort mauvais aloi. En se donnant l’air de défendre de toutes ses forces la tendance réaliste en musique, le Comité a favorisé de toutes les façons la tendance formaliste en élevant ses représentants sur le pavois, et par là-même il a rendu possible la désorganisation et l’introduction de la pagaille idéologique dans les rangs de nos compositeurs. En outre, inculte et incompétent dans les questions musicales, le Comité s’est mis à la traîne des compositeurs du clan formaliste.

On a comparé ici le Comité d’organisation de l’Union des compositeurs à un monastère ou aux généraux sans armée. Il n’est pas besoin de contester ces affirmations.

Si le sort de la création musicale soviétique se trouve être la prérogative du cercle le plus fermé de compositeurs et de critiques dirigeants, de critiques choisis suivant le principe du soutien des chefs et créant autour des compositeurs une atmosphère enivrante d’adulation, s’il n’y a pas de discussion de travail, si à l’Union des compositeurs s’est instaurée une atmosphère confinée, moisie, où l’on distingue les compositeurs de première et de seconde qualités, si le style dominant dans les conférences de l’Union des compositeurs est le silence respectueux ou les pieuses louanges aux élus, si la direction du Comité d’organisation est coupée de la masse des compositeurs ­ alors on ne peut pas ne pas reconnaître que la situation sur l’« Olympe » musical est devenue menaçante.

Il convient de dire un mot particulier de critique de l’orientation vicieuse de la critique et de l’absence de discussion de travail à l’Union des compositeurs. Du moment qu’il n’y a pas discussion de travail, qu’il n’y a ni critique ni autocritique, il n’y a pas non plus mouvement en avant. La discussion de travail est une critique objective, indépendante – ­ c’est aujourd’hui devenu un axiome – ­ apparaissent comme la condition la plus importante du progrès créateur.

Là où il n’y a pas critique et discussion de travail, les sources mêmes du mouvement se tarissent, il s’installe une atmosphère de serre, de moisissure et de stagnation, dont nos compositeurs n’ont nul besoin.

Ce n’est point par hasard que les gens qui prennent part pour la première fois à une conférence sur les questions musicales, trouvent étrange que puissent se perpétuer des contradictions aussi irréductibles entre le régime très conservateur qui préside à l’organisation de l’Union des compositeurs, et les idées soi-disant ultra-progressives de ses dirigeants actuels dans le domaine de l’idéologie et de la création.

On sait que la direction de l’Union a inscrit sur son drapeau des formules prometteuses comme l’appel à l’esprit novateur, le rejet des traditions désuètes, la lutte contre l’ « épigonisme », etc.

Mais il est curieux que les mêmes personnes qui veulent paraître très radicales et même ultra-révolutionnaires dans leur programme créateur, qui prétendent au rôle de destructeurs des canons vieillis ­ que ces mêmes personnes, quand elles prennent part à l’activité de l’Union des compositeurs, se révèlent extraordinairement rétrogrades, imperméables aux nouveautés et aux changements, conservatrices dans leurs méthodes de travail et de direction, et souvent paient volontiers tribut dans les questions d’organisation aux pires traditions et à l’« épigonisme » tant décrié, cultivant les procédés les plus bornés et éculés quand il s’agit de diriger la vie et l’activité de leur propre groupement.

Comment cela se fait, il est aisé de l’expliquer. Si une phraséologie boursoufflée sur les soi-disant tendances nouvelles de la musique soviétique, s’associe à des actes qui ne sont nullement d’avant-garde, cela seul suffît à provoquer un doute légitime sur le caractère progressiste des bases idéologiques sur lesquelles reposent des méthodes aussi réactionnaires.

L’organisation a en toutes choses une grande importance, vous le comprenez parfaitement. Il faut c’est évident, procéder à une sérieuse ventilation dans les organisations de compositeurs et de musiciens, il faut qu’un souffle frais y purifie l’air pour qu’y soient créées des conditions normales au travail créateur.

Mais la question d’organisation, pour importante qu’elle soit, n’est pas fondamentale. La question fondamentale, c’est l’orientation de la musique soviétique. La discussion qui s’est déroulée ici élude quelque peu le problème et ce n’est pas juste.

Si en musique vous cherchez la phrase musicale claire, de même dans la question de l’orientation de notre musique nous devons chercher à atteindre la clarté.

A la question : s’agit-il de deux tendances en musique ? ­ la discussion apporte une réponse parfaitement nette : oui, c’est précisément de cela qu’il s’agit. Bien que certains camarades aient essayé de ne pas appeler les choses par leur nom et que l’on ait joué partiellement en sourdine, il est clair qu’il y a lutte entre les tendances, que les efforts faits pour remplacer une orientation par une autre sont manifestes.

En même temps une partie de nos camarades a prétendu qu’il n’y avait pas de raison de poser la question de la lutte des tendances, qu’il ne s’était produit aucun changement d’ordre qualitatif, qu’on assistait seulement au développement de l’héritage classique dans les conditions du milieu soviétique.

On a dit qu’il n’y avait aucune révision des fondements de la musique classique et que, par conséquent, il n’y avait pas matière à discussion, qu’il était vain de faire du bruit.

Le problème se réduirait tout au plus à des corrections de détail, à des cas isolés d’engouement pour la technique, à des fautes isolées de caractère naturaliste, etc. C’est justement parce que l’on s’est livré à un camouflage de cette nature, qu’il convient de s’étendre plus en détail sur la lutte des deux tendances.

Il ne s’agit évidemment pas seulement de corrections, il ne suffit pas de dire qu’il y a une gouttière dans le toit du Conservatoire et qu’il faut la boucher ­ et l’on ne peut pas ne pas être d’accord là-dessus avec le camarade Chebaline, mais le trou n’est pas seulement dans le toit du Conservatoire ce serait vite réparé ; il s’est formé une brèche beaucoup plus importante dans les fondations mêmes de la musique soviétique.

Il n’y a pas là-dessus deux avis et tous les orateurs l’ont montré : dans l’activité de l’Union des compositeurs le rôle dirigeant est joué aujourd’hui par un groupe limité de compositeurs. Il s’agit des camarades Chostakovitch, Prokofiev, Miaskovsky, Khatchatourian, Popov, Kabalevski, Chebaline. Qui voulez-vous encore associer à ces camarades ?

Une voix crie : « Chaporine ». Jdanov poursuit :

Lorsqu’on parle du groupe dirigeant qui tient tous les fils et toutes les clés du « Comité exécutif des arts » ce sont les noms qu’on donne le plus souvent. Nous admettrons que ces camarades sont les principales figures dirigeantes de la tendance formaliste en musique. Et cette tendance est totalement fausse.

Les camarades sus-nommés ont, eux aussi, pris ici la parole, et déclaré qu’eux aussi étaient mécontents qu’à l’Union des compositeurs il n’y ait pas d’atmosphère de critique, qu’on les loue exagérément, qu’ils sentent un certain affaiblissement de leurs contacts avec les cadres de base des compositeurs, avec les auditoires, etc.

Mais pour constater toutes ces vérités, sans doute n’avait-on pas besoin d’attendre un opéra incomplètement ou imparfaitement réussi.

Ces aveux auraient pu être faits beaucoup plus tôt. C’est qu’au fond pour ce groupe dirigeant de nos compositeurs du clan formaliste, le régime qui régnait jusqu’ici dans les organisations musicales n’était, pour modérer mon expression, « point désagréable ». Il a fallu la conférence au Comité central du Parti pour que ces camarades découvrent le fait, que ce régime recèle aussi des côtés négatifs. En tout cas, jusqu’à la Conférence au C.G., aucun d’entre eux n’a jamais proposé de rien changer à l’état de choses existant dans l’Union des compositeurs. Les forces du « traditionalisme » et de l’« épigonisme » agissaient sans défaillance.

On a dit ici que le moment était venu de changer carrément les choses. On ne peut pas ne pas en tomber d’accord.

Pour autant que les postes de commande de la musique soviétique sont occupés par les camarades en question, pour autant qu’il a été démontré que des tentatives pour les critiquer auraient provoqué, comme l’a dit ici le camarade Zakharov, une explosion, une mobilisation immédiate de toutes les forces contre la critique, il faut en conclure que ce sont précisément ces camarades qui ont créé cette insupportable atmosphère de serre, de stagnation et de rapports amicaux, qu’ils sont maintenant disposés à déclarer indésirables.

Les dirigeants de l’Union des compositeurs ont dit ici qu’il n’y a pas d’oligarchie à l’Union des compositeurs. Mais alors se pose la question: pourquoi s’accrochent-ils tant aux postes de directeurs de l’Union? Le pouvoir les séduit-il pour lui-même?

En d’autres termes, ces gens ont-ils pris l’autorité en mains parce qu’il leur est agréable de détenir l’autorité pour elle-même, ont-ils été atteints d’une telle démangeaison administrative, veulent­-ils simplement jouer aux petits princes comme Vladimir Galitski dans le « Prince Igor »?

Ou bien serait-ce que cette domination s’est établie en vue de donner à la musique une orientation déterminée ? Je pense que la première supposition tombe et que la seconde est la bonne.

Nous n’avons pas raison d’affirmer que la direction des affaires de l’Union n’est pas liée à l’orientation. Nous ne pouvons pas adresser une telle accusation disons, à Chostakovitch Par conséquent, si l’on dirigeait, c’était pour orienter.

Effectivement nous avons affaire à une lutte très aiguë, encore que voilée en surface, entre deux tendances.

L’une représente dans la musique soviétique une base saine, progressive, fondée sur la reconnaissance du rôle énorme joué par l’héritage classique, et en particulier par les traditions de l’école musicale russe, sur l’association d’un contenu idéologique élevé, de la vérité réaliste, de liens organiques profonds avec le peuple, d’une création musicale chantante, d’une haute maîtrise professionnelle.

La deuxième tendance exprime un formalisme étranger à l’art soviétique, le rejet de l’héritage classique sous le couvert d’un faux effort vers la nouveauté, le rejet du caractère populaire de la musique, le refus de servir le peuple, cela au bénéfice des émotions étroitement individuelles d’un petit groupe, d’esthètes élus.

Cette tendance remplace la musique naturelle, belle, humaine, par une musique fausse, vulgaire, parfois simplement pathologique.

En outre, c’est une particularité de la seconde tendance que d’éviter les attaques de front, de préférer cacher son activité révisionniste sous le masque d’un accord prétendu avec les propositions fondamentales du réalisme socialiste.

De telles méthodes « de contrebande » ne sont évidemment pas neuves, les exemples du révisionnisme proclamant son accord avec les propositions fondamentales de la théorie révisée, ne manquent pas dans l’histoire. Il est d’autant plus nécessaire de démasquer la véritable nature de cette seconde tendance et le mal qu’elle a fait au développement de la musique soviétique.

Analysons par exemple la question de l’attitude envers l’héritage classique. Les compositeurs en question ont beau jurer qu’ils se tiennent des deux pieds sur le sol de l’héritage classique, il n’y a pas moyen de démontrer que les partisans de l’école formaliste prolongent et développent les traditions de la musique classique.

N’importe quel auditeur dira que les œuvres des compositeurs soviétiques du clan formaliste sont radicalement différentes de la musique classique. La musique classique se caractérise par la vérité et le réalisme, par l’art d’unir une forme éclatante à un contenu profond, d’associer la plus haute maîtrise avec la simplicité la plus accessible.

La musique classique en général, la musique classique russe en particulier, ignorent le formalisme et le grossier naturalisme. Ce qui les caractérise, c’est l’élévation de l’idée : car elles savent reconnaître les sources de la musique dans l’œuvre musicale des peuples, elles ont respect et amour pour le peuple, pour sa musique et sa chanson.

Quel pas en arrière font nos formalistes hors de la grand’route de notre histoire musicale lorsque sapant les bases de la vraie musique ils composent une musique monstrueuse, factice, pénétrée d’impressions idéalistes, étrangère aux larges masses du peuple, s’adressant non à des millions de soviétiques mais à quelques unités ou à quelques dizaines d’élus, à une « élite » !

Comme cela ressemble peu à Glinka, à Tchaïkovsky, à Rimsky-Korsakov, à Dargomyjski, à Moussorgski, qui voyaient le principe de leur œuvre dans leur capacité d’exprimer l’esprit du peuple, son caractère ! La volonté d’ignorer les besoins du peuple, son esprit, sa création, signifie que la tendance formaliste en musique a un caractère nettement antipopulaire.

Si chez certains compositeurs soviétiques a cours cette théorie illusoire selon laquelle « on nous comprendra dans cinquante ou cent ans », « si nos contemporains ne peuvent nous comprendre, la postérité nous comprendra », alors c’est une chose simplement effrayante. Si vous êtes déjà accoutumés à cette pensée, une telle habitude est extrêmement dangereuse.

De tels raisonnements signifient qu’on se coupe d’avec le peuple. Si moi ­ écrivain, artiste, littérateur, responsable du Parti ­ je ne cherche pas à être compris de mes contemporains, alors pour qui donc vivre et travailler ?

Mais cela conduit au vide spirituel, à l’impasse. On dit que certains critiques musicaux parmi les flatteurs murmurent aux compositeurs, maintenant en particulier, des « consolations » de cette sorte. Mais des compositeurs peuvent-ils entendre de sang-froid de tels conseils, sans traîner les conseillers au moins devant un tribunal d’honneur ?

Rappelez-vous comment les classiques répondaient aux exigences du peuple. On oublie déjà chez nous en quels termes lumineux se sont exprimés les « Grands Cinq » [littéralement le « groupe vigoureux », groupe de compositeurs russes du milieu du XIXe siècle, avec comme principaux représentants Mili Balakirev, Modest Moussorgski, Alexander Borodine, Nikolaï Rimsky-Korsakov, César Cui] et le grand critique musical Stassov, leur compagnon, sur le caractère populaire de la musique.

On oublie le mot remarquable de Glinka sur les rapports du peuple et des artistes: « Celui qui crée la musique c’est le peuple, et nous, les artistes, ne faisons que l’arranger ». On oublie que les choryphées de l’art musical n’ont écarté aucun genre, quand ces genres les aidaient à promouvoir l’art musical dans de larges masses populaires.

Mais vous écartez même des genres tels que l’opéra, vous tenez l’opéra pour une œuvre de second ordre, vous lui opposez la musique symphonique instrumentale, pour ne rien dire de votre attitude dédaigneuse envers la musique de chant, la musique chorale ou la musique de concert : vous trouvez honteux de vous abaisser jusqu’à elle et de satisfaire aux exigences populaires.

Cependant, Moussorgski a mis en musique le « Hopak ». Glinka utilisa le « Komarinski » dans l’une de ses meilleures œuvres. Peut-être faudra-t-il reconnaître que le propriétaire foncier Glinka, le fonctionnaires des tsars Serov et le gentilhomme Stassov étaient plus démocrates que vous.

C’est paradoxal, mais c’est un fait. Vous avez souvent juré vos grands dieux que vous tenez pour la musique populaire ; s’il en est ainsi, pourquoi dans vos œuvres utilisez-vous si peu les mélodies populaires ? Pourquoi se répètent les défauts que critiquait déjà Serov lorsqu’il montrait que la musique « savante », c’est-à-dire professionnelle, se développait parallèlement et indépendamment de la populaire ?

Est-ce que chez nous la musique symphonique instrumentale se développe en une étroite interaction avec la musique populaire, que ce soit la chanson, la musique de concert ou la musique chorale ?

Non, on ne peut le dire. Au contraire, on constate ici indéniablement une rupture qui tient à la sous-estimation par nos symphonistes de la musique populaire. Je rappellerai en quels termes Serov caractérisait son attitude envers la musique populaire. Je pense à son article La musique des chants de la Russie du Sud où il disait :

« Les chansons. populaires en tant qu’organismes musicaux ne sont absolument pas l’œuvre de talents isolés, mais la production du peuple tout entier ; elles sont, par toute leur structure, très différentes de la musique artificielle qui résulte d’une imitation consciente des modèles, qui est le produit de l’école, de la science, de la routine et de la réflexion.

Ce sont les fleurs d’un point donné, apparues comme d’elles-mêmes, poussées dans tout leur éclat sans la moindre prétention d’auteur, et, par suite, elles ne ressemblent guère à ces produits de châssis ou de serres de la composition savante.

C’est pourquoi apparaît le plus clairement en elles la naïveté ­de la création et (pour reprendre la juste expression de Gogol dans les Âmes mortes) la haute sagesse de la simplicité, grâce essentielle et secret essentiel de toute création artistique.

Comme un lys dans sa splendeur parfaite éclipse l’éclat du brocart et des pierres précieuses, de même la musique populaire, par sa simplicité enfantine, est mille fois plus riche et plus forte que tous les artifices de l’art d’école, préconisés par les pédants dans les conservatoires et les académies musicales. »

Comme tout est bon, juste et fort ! Comme l’essentiel est bien saisi : le développement de la musique doit se faire sur la base d’une action réciproque, d’un enrichissement de la musique « savante » par la musique populaire ! Mais de nos articles théoriques et critiques d’aujourd’hui ce thème a presque complètement disparu.

Cela confirme une fois de plus le danger que courent les chefs de file de la musique contemporaine, de se couper du peuple lorsqu’ils renoncent à une source aussi belle de création que la chanson et la mélodie populaires. Une telle coupure ne peut évidemment être le fait de la musique soviétique.

Permettez-moi de passer à la question des rapports de la musique nationale et de la musique étrangère.

Des camarades ont dit ici avec raison qu’on constate un engouement et même une certaine orientation vers la musique bourgeoise occidentale contemporaine, vers la musique de décadence, et qu’il y a là également un des traits fondamentaux de l’orientation formaliste dans la musique soviétique.

Stassov a fort bien parlé en son temps des rapports de la musique russe avec la musique de l’Europe occidentale, dans son article Ce qui freine le nouvel art russe, où il écrivait :

« II est ridicule de nier la science, la connaissance en quelque domaine que ce soit y compris dans le domaine musical. Mais les jeunes musiciens russes qui n’ont pas derrière eux comme l’Europe, pour les soutenir, une longue chaîne de périodes scolastiques, regardent audacieusement la science en face : ils la vénèrent, utilisent ses bienfaits, mais sans exagération et sans servilité. Ils nient la nécessité de sa sécheresse et de ses excès pédants, ils se refusent à ses jeux gymnastiques auxquels donnent tant d’importance de milliers d’Européens, et ils ne croient pas qu’il faille humblement végéter de longues années sur ces mystères sacro-saints. »

Ainsi parlait Stassov de la musique classique de l’Europe occidentale. En ce qui concerne la musique bourgeoise contemporaine, qui se trouve en pleine décadence et dégradation, il n’y a rien à tirer d’elle. A plus forte raison sont absurdes et ridicules les manifestations de servilité devant une telle musique.

Si l’on étudie l’histoire de notre musique russe, puis soviétique, on en vient à la conclusion qu’elle a poussé, s’est développée et est devenue une force puissante justement parce qu’elle a réussi à tenir sur ses propres pieds et à trouver ses propres voies de développement, qui lui ont donné la possibilité de mettre à nu la richesse du monde intérieur de notre peuple.

Ceux-là se trompent profondément qui pensent que l’épanouissement de la musique nationale russe, aussi bien que celles des autres peuples soviétiques, signifie un affaiblissement de l’internationalisme dans l’art.

Celui-ci ne naît pas sur la base d’un affaiblissement et d’un appauvrissement de l’art national. Au contraire, l’internationalisme naît là où s’épanouit l’art national. Oublier cette vérité, cela signifie perdre la ligne directrice, perdre son visage, devenir des cosmopolites sans attaches. Seul peut apprécier la richesse musicale d’autres peuples le peuple qui possède une culture musicale hautement développée.

On ne peut pas être un internationaliste en musique, comme en toute autre chose, sans être un véritable patriote de sa patrie. Si à la base de l’internationalisme il y a le respect des autres peuples, on ne peut pas être un internationaliste sans respecter et sans aimer son propre peuple.

Cela, toute l’expérience de l’U.R.S.S. le prouve. Par conséquent l’internationalisme en musique, le respect de l’œuvre des autres peuples, se développent sur la base de l’enrichissement et du développement de l’art musical national, sur la base d’un épanouissement tel qu’il ait quelque chose à faire partager aux autres peuples, et non sur la base d’un appauvrissement de l’art national, d’une imitation aveugle de modèles étrangers, et de l’effacement des particularités du caractère national en musique. Rien de tout cela ne doit être oublié lorsqu’on parle des rapports de la musique soviétique et de la musique étrangère.

Continuons. Quand on dit que la tendance formaliste s’écarte des principes de l’héritage classique, on ne peut pas ne pas parler de l’affaiblissement du rôle de la musique descriptive. On en a déjà parlé ici, mais l’essence du principe de cette question n’a pas été convenablement tirée au clair. Il est parfaitement évident que la musique descriptive tient moins de place ou n’en tient presque plus du tout.

Les choses en sont venues à ce point qu’on est obligé d’expliquer le contenu d’une œuvre musicale nouvelle même après qu’elle a été jouée. Il s’est formé toute une nouvelle profession, celle des commentateurs ­ recrutés par les amis ­ qui s’efforcent d’après leurs conjectures personnelles de déchiffrer après coup, le contenu des œuvres musicales déjà jouées, dont le sens obscur, à ce qu’on dit, n’est pas tout à fait clair, même à leurs auteurs.

Oublier la musique à programme, c’est aussi s’écarter des traditions progressives. On sait que la musique classique russe était, en règle générale, à programme.

On a parlé ici de la volonté d’innover. On a dit que cette volonté d’innover n’était pas loin d’être le trait distinctif principal de la tendance formaliste ; mais la volonté d’innover n’est pas une fin en soi ; le nouveau doit être meilleur que l’ancien autrement il n’a pas de raison d’être. Il me semble que les tenants de la tendance formaliste utilisent principalement ce petit mot d’innovation aux fins de propagande de la mauvaise musique.

On ne peut pourtant qualifier d’innovation toutes les originalités, toutes les grimaces et toutes les cabrioles en musique. Si l’on ne veut pas se contenter de lancer des mots sonores, il faut se représenter nettement de quel ancien il faut essayer de s’éloigner et vers quel nouveau il faut tendre. Si l’on ne fait pas cela, alors les phrases sur l’innovation en musique ne vont signifier qu’une chose : révision des fondements de la musique.

Cela ne peut signifier que le rejet de lois et de normes dont on ne peut s’écarter. Et qu’on ne puisse s’en écarter, ce n’est pas là du conservatisme ; et si l’on s’en écarte, ce n’est point faire œuvre de novateur. L’innovation ne coïncide pas toujours avec le progrès.

On tourne la tête à beaucoup de jeunes musiciens avec l’esprit d’innovation comme avec un épouvantail en leur disant que s’ils ne sont pas originaux, nouveaux, cela signifie qu’ils sont prisonniers des traditions conservatrices. Mais pour autant qu’innovation n’est pas synonyme de progrès, la diffusion de telles opinions représente une profonde illusion sinon une tromperie.

Or, « l’innovation » des formalistes n’est même pas nouvelle, car ce nouveau sent la musique bourgeoise décadente de l’Europe et de l’Amérique contemporaines. Voilà où il faut dénoncer les véritables épigones !

Il fut un temps où dans les écoles primaires et secondaires, comme vous vous le rappelez, on s’était engoué de la méthode des « brigades laboratoires » et par le « plan Dalton », selon lesquels le rôle du maître à l’école était réduit au minimum, tandis que chaque élève avait le droit, au commencement de la leçon, de fixer le programme de la classe.

Le maître, en arrivant pour sa leçon, demandait aux élèves : « Qu’est-­ce que nous allons faire aujourd’hui ? » Les élèves répondaient : « Parlez-nous de l’Arctique, parlez-nous de l’Atlantique, parlez-nous de Tchapaïev, parlez-nous du Dnieprostroï ».

Le maître devait se plier à toutes ces exigences. Cela s’appelait la méthode des « brigades laboratoires ». En fait, cela signifiait que toute l’organisation de l’enseignement était mise sens dessus dessous, puisque les élèves étaient dirigeants et le maître dirigé. Il y avait eu autrefois des (manuels poussiéreux, le système de notation sur 5 avait disparu. Tout cela c’était des nouveautés, mais je vous le demande ces nouveautés étaient-elles progressives ?

Le Parti, comme on sait, a supprimé ces « nouveautés ». Pourquoi ? Parce que ces « nouveautés » très « à gauche » dans la forme, étaient en fait parfaitement réactionnaires et conduisaient à la liquidation de l’école.

Autre exemple : il n’y a pas si longtemps, a été organisée une Académie des Beaux-Arts. La peinture, c’est votre sœur, une des muses. En peinture, comme vous le savez, les influences bourgeoises furent fortes à un moment donné; elles se manifestaient sans discontinuer sous le drapeau le plus « à gauche », se collaient les étiquettes de futurisme, de cubisme, de modernisme ; « on renversait » « l’académisme pourri », on préconisait l’innovation. Cette innovation s’exprimait dans des histoires de fous : on dessinait par exemple une femme à une tête sur quarante jambes, un œil regardant par ici et l’autre au diable.

Comment tout cela s’est-il terminé ? Par un krach complet de « la nouvelle tendance ». Le Parti a pleinement rendu son importance à l’héritage classique de Repine, de Briullov, de Verechtchaguine, de Vasnetsov, de Sourikov. Avons-nous bien fait de maintenir les trésors de la peinture classique et de mettre en déroute les liquidateurs de la peinture ?

Est-ce que la survivance de telles « écoles » n’aurait pas signifié la liquidation de la peinture ? Hé quoi, en défendant la tradition classique en peinture, le Comité central s’est-il conduit en «conservateur», s’est-il trouvé sous l’influence du « traditionalisme », de 1′ « épigonisme », etc., etc… ? Tout cela ne tient pas debout.

Il en est de même en musique. Nous n’affirmons pas que l’héritage classique est le sommet absolu de la culture musicale.

Si nous parlions ainsi, cela voudrait dire que nous reconnaissons que le progrès s’est achevé avec les classiques. Mais jusqu’à présent les modèles classiques restent insurpassés. Cela veut dire qu’il faut étudier et étudier encore, prendre de l’héritage classique tout ce meilleur dont nous avons besoin pour le développement ultérieur de la musique soviétique.

On parle d’épigonisme et autres balivernes, et avec ces mots-là on effraie la jeunesse pour la détourner d’apprendre auprès des classiques. On lance pour mot d’ordre qu’il faut dépasser les classiques. C’est évidemment excellent. Mais pour les dépasser il faut commencer par les rattraper, et c’est un stade que vous négligez comme si c’était déjà une étape dépassée.

Mais pour parler sincèrement et exprimer la pensée du spectateur et de l’auditeur soviétiques, ce ne serait pas mal du tout si l’on voyait paraître chez nous un peu plus d’oeuvres ressemblant aux classiques par le contenu et la forme, par l’élégance, la beauté et la musicalité. Si c’est là de l’ « épigonisme », eh bien, ma foi, il n’y a pas de honte à être un tel épigone !

Un mot des déviations naturalistes. Il est apparu ici qu’on s’écartait de plus en plus des normes naturelles et saines de la musique. On fait de plus en plus de place dans notre musique à des éléments de grossier naturalisme. Or voici comment il y a quatre-vingt-dix ans Serov prévenait ses contemporains contre l’attrait d’un naturalisme grossier :

« Dans la nature il y a une infinité de sons différents de nature et de qualité, mais tous ces sons qui en certains cas s’appellent bruit, roulement, fracas, craquement, clapotement, grondement, bourdonnement, tintement, hurlement, grincement, sifflement, parole, chuchotement, bruissement, grésillement, murmure, etc., etc… et en d’autres circonstances ne peuvent s’exprimer par le langage, tous ces bruits ou bien n’entrent pas du tout dans la composition de la langue musicale, ou n’y entrent qu’à titre d’exception (sons de cloches, de cymbales, de triangle, bruits de tambour, de tambourin, etc…)

« La matière proprement musicale c’est un son d’une qualité particulière. »

N’est-il pas vrai, n’est-il pas juste que le son des cymbales ou le bruit du tambour doit être l’exception et non la règle dans une œuvre musicale ?

N’est-il pas clair que tout bruit naturel ne doit pas être transporté dans une œuvre musicale ? Or combien y a-t-il chez nous d’engouement insolent pour un naturalisme vulgaire qui représente indiscutablement un pas en arrière !

Il faut dire carrément que toute une série d’œuvres contemporaines sont à ce point surchargées de bruits naturalistes qu’elles rappellent, pardonnez l’inélégance de l’expression, soit la fraise de dentiste, soit une périssoire musicale. Simplement ce sont les forces qui manquent, prêtez-y attention !

C’est ici qu’on commence à sortir des limites du rationnel, des limites non seulement des émotions humaines normales, mais aussi de la raison de l’homme normal. Il y a, il est vrai, aujourd’hui des « théories » à la mode qui prétendent que l’état pathologique est une forme supérieure de l’humanité et que les schizophréniques et les paranoïaques dans leur délire peuvent atteindre à des hauteurs spirituelles où n’atteindra jamais un homme ordinaire dans son état normal.

Ces « théories » ne sont évidemment pas accidentelles, elles sont très caractéristiques de l’époque de pourriture et de décomposition de la culture bourgeoise. Mais laissons toutes ces « recherches » aux fous, exigeons de nos compositeurs une musique normale, humaine.

Quel a été le résultat de l’oubli des lois et des normes de la création musicale ? La musique s’est vengée des efforts faits pour la dénaturer. Quand la musique perd tout contenu, toute qualité artistique, quand elle devient inélégante, laide, vulgaire, elle cesse de satisfaire les besoins pour lesquels elle existe, elle cesse d’être elle-même.

Vous vous étonnez peut-être qu’au Comité central du Parti bolchevik on exige de la musique beauté et élégance. Qu’est-ce qui se passe encore ? Eh bien, non, ce n’est pas un lapsus, nous déclarons que nous sommes pour une musique belle et élégante, une musique capable de satisfaire les besoins esthétiques et les goûts artistiques des Soviétiques, et ces besoins et ces goûts ont grandi incroyablement.

Le peuple apprécie le talent d’une œuvre musicale dans la mesure où elle reflète profondément l’esprit de notre époque, l’esprit de notre peuple, dans la mesure où elle est accessible aux larges masses. Qu’est-ce donc qui est génial en musique ?

Ce n’est pas du tout ce que ne peuvent apprécier qu’un individu ou un petit groupe d’esthètes raffinés ; une œuvre musicale est d’autant plus géniale que le contenu en est plus riche et plus profond, que la maîtrise en est plus élevée, qu’est plus grand le nombre de ceux qui la reconnaissent, le nombre de ceux qu’elle est capable d’inspirer.

Tout ce qui est accessible n’est pas génial, mais tout ce qui est vraiment génial est accessible, et d’autant plus génial que plus accessible aux larges masses du peuple.

A. N. Serov avait profondément raison lorsqu’il disait : « Contre la beauté vraie en art le temps est impuissant, autrement on n’aimerait plus ni Homère, Dante ou Shakespeare, ni Raphaël, Le Titien ou Poussin, ni Palestrina, Haendel, ou Glück ».

Une œuvre musicale est d’autant plus haute qu’elle fait entrer en résonance plus de cordes de l’âme humaine. L’homme du point de vue de sa perception musicale est une membrane merveilleusement riche, un récepteur travaillant sur des milliers d’ondes ­ – on peut, sans doute, choisir une meilleure comparaison – ­ et pour l’émouvoir il ne suffît pas d’une seule note, d’une seule corde, d’une seule émotion.

Si un compositeur n’est capable de faire vibrer qu’une ou que quelques-unes des cordes humaines, cela ne suffit pas, car l’homme moderne et surtout le nôtre, l’homme soviétique, se présente aujourd’hui comme un organisme perceptif extrêmement complexe. Si Glinka, Tchaïkovsky, Serov, ont parlé du haut développement du sens musical dans le peuple russe, au temps où ils s’exprimaient ainsi le peuple russe n’avait pas encore une large idée de la musique classique.

Sous le pouvoir soviétique, la culture musicale des peuples s’est extraordinairement développée ; si déjà auparavant notre peuple se distinguait par son sens musical, aujourd’hui son goût artistique s’est enrichi en raison de la diffusion de la musique classique.

Si vous avez laissé s’appauvrir la musique, si, comme il est arrivé dans l’opéra de Mouradéli, ne sont utilisées ­ni les possibilités de l’orchestre ni les aptitudes des chanteurs, alors vous avez cessé de satisfaire les besoins musicaux de vos auditeurs. Et l’on récolte ce qu’on a semé. Les compositeurs dont les œuvres sont incompréhensibles au peuple ne doivent pas s’attendre à ce que le peuple, qui n’a pas compris leur musique, « s’élève » jusqu’à eux.

La musique qui est inintelligible au peuple, lui est inutile. Les compositeurs doivent s’en prendre, non au peuple mais à eux-mêmes, ils doivent faire la critique de leur propre travail, comprendre pourquoi ils n’ont pas satisfait leur peuple, pourquoi ils n’ont pas mérité son approbation, et ce qu’ils doivent faire pour qu’il les comprenne et approuve leurs œuvres.

Voilà en quel sens il faut réformer votre travail. En outre, vous courez le risque de perdre la maîtrise de votre profession musicale. Si les déviations formalistes appauvrissent la musique, elles comportent encore un autre danger : c’est de ruiner la maîtrise du métier.

A ce propos, il me faut m’attarder sur une erreur très répandue, selon laquelle la musique classique serait plus simple et la musique moderne plus complexe, la complication de la technique contemporaine étant considérée comme un pas en avant, étant donné que tout développement va du simple au complexe et du particulier en général. Il n’est pas vrai que toute complication signifie maîtrise plus grande. Non, pas n’importe laquelle. C’est une profonde erreur que de prendre toute complication pour un progrès.

J’en donnerai un exemple : on sait que la langue littéraire russe utilise un grand nombre de mots étrangers, on sait comme Lénine se moquait de l’emploi abusif de tels termes, et comme il combattit pour épurer la langue nationale des emprunts qui rengorgeait. La complication de la langue par l’introduction d’un mot étranger, là où il y a la possibilité d’employer un mot russe, n’a jamais passé pour un progrès linguistique.

Par exemple le mot étranger « losung » (mot d’ordre) est remplacé aujourd’hui par le mot russe correspondant [en russe prlzy]; est ce que cela ne constitue pas un pas en avant ? Il en est de même en musique.

Sous le masque d’une complication purement extérieure des procédés de composition, se cache une tendance à l’appauvrissement de la musique. La langue musicale devient inexpressive.

On y introduit tant d’éléments grossiers, vulgaires, faux, qu’elle cesse de répondre à sa destination : procurer une jouissance. La signification esthétique de la musique doit­-elle donc être abolie ? Est-ce en cela, dites-moi, que consiste l’innovation ? Ou bien la musique devient-elle une conversation du compositeur avec lui-même ?

Mais alors pourquoi l’imposer au peuple? Cette musique devient antipopulaire, étroitement individualiste et le peuple a le droit de devenir, et devient en effet, indifférent à son destin. Si l’on exige de l’auditeur qu’il loue une musique grossière, inélégante, vulgaire, fondée sur des atonalités, sur des dissonances continuelles, lorsque les consonances deviennent un cas particulier et les fausses notes et leur combinaison la règle, c’est qu’on s’est écarté des normes fondamentales de la musique.

Tout cela pris ensemble, menace la musique de liquidation, tout comme le cubisme et le futurisme en peinture ne représentent pas autre chose qu’une menace de destruction de la peinture. Une musique qui volontairement ignore les émotions humaines normales et ébranle le psychisme et le système nerveux, ne peut être populaire, ne peut être au service de la société.

On a parlé ici d’un engouement unilatéral pour la musique symphonique instrumentale sans texte, cet oubli de la diversité des genres musicaux n’est pas juste. A quoi il conduit, on peut en juger par l’opéra de Mouradéli. Vous vous rappelez comme les grands maîtres de l’art variaient généreusement les genres.

Ils comprenaient que le peuple demande la diversité. Pourquoi êtes-vous si différents de vos grands ancêtres ? Vous êtes autrement insensibles qu’eux qui, occupant les cimes de l’art, écrivaient pour le peuple soli, chœurs et musique d’orchestre.

Parlons de la disparition de la mélodie dans la musique. La musique contemporaine est caractérisée par l’amour unilatéral du rythme aux dépens de la mélodie. Mais nous savons que la musique ne donne de plaisir que lorsque tous ses éléments – ­ la mélodie, le chant, le rythme – ­ se trouvent dans une certaine union harmonieuse.

L’attention unilatérale accordée à l’un d’eux aux dépens d’un autre aboutit à détruire l’interaction correcte des divers éléments de la musique, ce qui ne peut évidemment être accepté par une oreille humaine normale.

On se laisse aller aussi à utiliser les instruments en dehors de leur destination propre ; le piano par exemple se change en instrument de batterie. On réduit le rôle de la musique vocale au bénéfice d’un développement unilatéral de la musique instrumentale. La musique vocale elle-même tient de moins en moins compte des normes de l’art vocal.

Pareils écarts par rapport aux normes de l’art musical signifient la violation, non seulement des bases fonctionnelles normales du son musical, mais encore des bases physiologiques de l’oreille humaine normale. On n’a malheureusement pas encore assez fouillé chez nous le domaine de la théorie qui traite de l’influence physiologique de la musique sur l’organisme humain.

Et pourtant il faut admettre qu’une musique mauvaise, disharmonique, lèse sans aucun doute l’activité psycho-physiologique régulière de l’homme.

Conclusions. Il faut rétablir pleinement l’importance de l’héritage classique, il faut rétablir une musique humaine normale.

Il faut souligner le danger de liquidation que fait courir à la musique l’orientation formaliste et condamner cette tendance comme une tentative à la Erostrate pour détruire le temple de l’art bâti par les grands maîtres de la culture musicale. Il faut que tous nos compositeurs se transforment et se tournent face à notre peuple. Il faut que tous se rendent compte que notre Parti, qui exprime les intérêts de notre Etat, de notre peuple, ne soutiendra que la tendance saine, progressive de la musique, celle du réalisme socialiste soviétique.

Camarades ! Si la haute dignité de compositeur soviétique vous est chère, vous devez montrer que vous êtes capables de mieux servir votre peuple que vous ne l’avez fait jusqu’ici. Un sérieux examen vous attend. La tendance formaliste en musique a été condamnée par le Parti il y a déjà 12 ans.

Pendant cette période le gouvernement a récompensé de prix Staline nombre d’entre vous, y compris certains qui avaient péché par formalisme. Ces récompenses c’était une avance.

Nous n’estimions pas pour autant que vos œuvres étaient exemptes de fautes, mais nous patientions, attendant que nos compositeurs trouvent en eux-mêmes la force de choisir la vraie route.

Mais maintenant chacun voit que l’intervention du Parti était nécessaire. Le C.C. vous déclare sans ambages que sur la voie choisie par vous notre musique ne s’illustrera pas.

Les compositeurs soviétiques ont deux tâches responsables au plus haut degré. La principale, c’est de développer et de parfaire la musique soviétique. L’autre consiste à défendre la musique soviétique contre l’intrusion des éléments de la décadence bourgeoise.

Il ne faut pas oublier que l’U.R.S.S. est actuellement l’authentique dépositaire de la culture musicale universelle, de même que dans tous les autres domaines elle est le rempart de la civilisation et de la culture humaine contre la décadence bourgeoise et la décomposition de la culture.

Il faut s’attendre à ce qu’aux influences bourgeoises venues d’au delà de nos frontières fassent écho des survivances du capitalisme dans la conscience de quelques représentants de l’intelligentsia soviétique, chez qui elles se traduisent par des efforts d’une folle légèreté pour troquer les trésors de la musique soviétique contre les misérables haillons de l’art bourgeois contemporain.

Aussi n’est-ce pas seulement l’oreille musicale, mais aussi l’oreille politique des compositeurs soviétiques qui doit être plus sensible.

Vos liens avec le peuple doivent être plus étroits que jamais. Vous devez tendre à la critique une oreille très attentive. Vous devez suivre les processus qui se développent dans l’art de l’Occident.

Mais votre tâche ne consiste pas seulement à empêcher la pénétration des influences bourgeoises dans la musique soviétique. Votre tâche consiste à confirmer la supériorité de la musique soviétique, à créer une puissante musique soviétique qui incorpore ce qu’il y a de meilleur dans le passé de la musique, qui reflète la société soviétique d’aujourd’hui et puisse élever plus haut encore la culture de notre peuple et sa conscience communiste.

Nous, bolcheviks, nous ne rejetons pas l’héritage culturel. Au contraire nous assimilons avec esprit critique l’héritage culturel de tous les peuples, de toutes les époques, pour en saisir tout ce qui peut inspirer aux travailleurs de la société soviétique de grandes actions dans le domaine du travail, de la science et de la culture. Vous devez aider le peuple en cela : si vous ne proposez pas cette tâche, si vous ne vous y donnez pas tout entiers, avec toute votre ardeur et votre enthousiasme créateurs, alors vous ne remplirez pas votre rôle historique.

Camarades! nous voulons, nous souhaitons passionnément que nous ayons nous aussi nos « Grands Cinq », que nos musiciens soient plus nombreux et plus forts que ceux qui ont jadis étonné le monde par leur talent et fait honneur à notre peuple. Pour être forts il faut que vous rejetiez loin de votre route tout ce qui peut vous affaiblir et que vous choisissiez les seules armes qui vous aideront à être forts et puissants.

Si vous utilisez à fond l’héritage de la géniale musique classique, et si en même temps vous le développez dans l’esprit des exigences nouvelles de notre grande époque, vous serez les « Grands Cinq » soviétiques.

Nous voulons que le retard dont vous souffrez soit dominé aussi rapidement que possible, que vous vous réformiez et vous transformiez en glorieuse cohorte des compositeurs soviétiques, fierté de tout le peuple soviétique. 

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La résolution du PCUS(b) sur l’opéra «La grande amitié»

La Pravda, 11 février 1948.

Le Comité central du PCUS(b) estime que l’opéra La grande amitié, mis en scène par le Théâtre Bolchoï de l’URSS à l’occasion du 30e anniversaire de la Révolution d’octobre, est vicieux, à la fois sur le plan musical et sur le plan graphique , un travail anti-artistique.

Les principaux inconvénients de l’opéra sont principalement liés à sa musique. La musique de l’opéra est inexpressive, pauvre. Il n’y a pas une seule mélodie ou air accrocheur. C’est confus et disharmonieux, construit sur la discorde continue, sur des combinaisons sonores coupantes. 

Des lignes et des scènes séparées, prétendant être mélodiques, sont soudainement interrompues par un bruit instable, totalement étranger à l’audition humaine normale et agissant de manière déprimante. Il n’y a pas de lien organique entre l’accompagnement musical et le développement de l’action sur scène. La partie vocale de l’opéra – chant choral, solo et ensemble – fait une mauvaise impression. Pour toutes ces raisons, les possibilités de l’orchestre et des chanteurs restent inutilisées.

Le compositeur n’a pas profité de la richesse des mélodies populaires, des chansons, des airs, de la danse et des motifs de danse, qui sont si riches dans les œuvres des peuples de l’URSS et, en particulier, des œuvres des peuples du Caucase du Nord, où sont déployées les actions décrites dans l’opéra.

À la recherche de la fausse « originalité » de la musique, le compositeur Muradeli a négligé les meilleures traditions et expériences de l’opéra classique en général, l’opéra classique russe en particulier, se distinguant par son contenu interne, la richesse de ses mélodies et l’étendue de son spectre, la narodnost [la dimension populaire], la gracieuse, belle, claire forme musicale, qui fait de l’opéra russe le meilleur opéra du monde, le genre musical aimé et accessible au grand public.

L’intrigue de l’opéra est historiquement fausse et artificielle et prétend représenter la lutte pour l’instauration du pouvoir soviétique et l’amitié des peuples du Nord-Caucase de 1918-1920. Il y a dans l’opéra, l’idée fausse que des peuples du Caucase, tels que les Géorgiens et les Ossètes, étaient à ce moment-là hostiles au peuple russe, ce qui est historiquement faux, puisque ce furent les Ingouches et les Tchétchènes qui constituaient un obstacle à l’établissement de l’amitié entre les peuples à cette époque dans le Caucase du Nord.

Le Comité central du PCUS(b) estime que l’échec de l’opéra de Muradeli est le résultat d’une action fausse et destructrice pour le travail du compositeur soviétique, dans la voie empruntée par le camarade Muradeli.

Comme l’a montré la réunion de musiciens soviétiques au Comité central du PCUS(b), l’échec de l’opéra de Muradel n’est pas un cas à part, mais est étroitement lié à un état dysfonctionnel de la musique soviétique moderne, avec la propagation parmi les compositeurs soviétiques d’une direction formaliste.

Dès 1936, dans le cadre de l’apparition de l’opéra Lady Macbeth de Mzensk de Dmitri Chhostakovich , l’organe du Comité central du PCUS(b), dénonça avec véhémence les perversions formelles contre le peuple dans le travail de Dmitri Shostakovich pour le destin du développement de la musique soviétique. La Pravda, s’exprimant alors sous la direction du Comité central du PCUS(b), a clairement énoncé les revendications imposées aux compositeurs par le peuple soviétique.

En dépit de ces avertissements, et contrairement aux instructions données par le Comité central du PCUS(b) dans ses décisions sur les magazines Zvezda et Leningrad, sur le film La grande vie, sur le répertoire des théâtres dramatiques et sur les mesures prises pour améliorer le tout, il n’y a pas eu de restructuration dans la musique soviétique.

Certains succès de certains compositeurs soviétiques dans le domaine de la création de nouvelles chansons, qui ont été reconnus et largement répandus parmi le peuple, dans le domaine de la création de musique pour films, etc., ne changent pas l’image globale de la situation.

La situation est particulièrement mauvaise dans le domaine de la symphonie et de l’opéra. Nous parlons de compositeurs adhérant à une direction formaliste et anti-populaire.

Cette direction a trouvé sa pleine expression dans les œuvres de tels compositeurs, comme D. Chhostakovich, S. Prokofiev , A. Khatchatourian , V. Shebalin , G. Popov , N. Myaskovsky et d’autres, dans lesquels des distorsions formalistes, des tendances musicales antidémocratiques, étrangères au peuple soviétique et à leurs goûts artistiques, sont particulièrement bien représentées. 

Les caractéristiques de cette musique sont la négation des principes de base de la musique classique, la prédication de l’atonalité, la dissonance et la discorde, censées être une expression du « progrès » et de « l’innovation » dans le développement de la forme musicale, le rejet de fondements aussi importants d’une œuvre musicale que la mélodie et une fascination pour les combinaisons chaotiques, neuropathiques, pour transformer la musique en cacophonie, en une pile de sons chaotiques.

Cette musique reflète fortement l’esprit de la musique bourgeoise moderniste moderne en Europe et en Amérique, reflétant la folie de la culture bourgeoise.

Une caractéristique essentielle de la direction formaliste est également le rejet de la musique et du chant polyphoniques, basés sur la combinaison et le développement simultanés de plusieurs lignes mélodiques indépendantes, ainsi que sur l’enthousiasme pour la musique monophonique et un chant, souvent sans paroles, qui constitue une violation du système de chants à plusieurs voix inhérent à notre peuple, et conduit à l’appauvrissement et au déclin de la musique.

Bafouant les meilleures traditions de la musique classique russe et occidentale, rejetant ces traditions comme étant supposées être « obsolètes », « à l’ancienne », « conservatrices », piétinant avec arrogance des compositeurs qui essaient de maîtriser et de développer consciencieusement des techniques de musique classique comme étant des partisans du « traditionalisme primitif » et de « l’épigonisme », de nombreux compositeurs soviétiques, à la recherche d’innovations faussement comprises, se sont séparés des exigences et des goûts artistiques du peuple soviétique, se sont enfermés dans un cercle étroit de spécialistes et de gourmets musicaux, ont réduit le rôle social important de la musique et en ont rétréci la signification, la limitant à satisfaire les goûts pervers des individualistes esthétiques.

La tendance formaliste de la musique soviétique a généré chez une partie des compositeurs soviétiques une fascination unilatérale pour les formes complexes de musique instrumentale symphonique non textuelle et une négligence de genres musicaux tels que l’opéra, la musique chorale, la musique populaire pour petits orchestres, pour instruments folkloriques, ensembles vocaux, etc.

Tout cela mène inévitablement au fait que les fondements de la culture vocale et de la maîtrise dramatique soient perdus et que les compositeurs n’apprennent pas à écrire pour le peuple, comme le prouve le fait qu’aucun opéra soviétique créé récemment ne se situe au niveau des classiques de l’opéra russe.

La séparation de certaines personnalités de la musique soviétique du peuple a conduit à la propagation d’une « théorie » pourrie, selon laquelle l’incompréhension de la musique de nombreux compositeurs soviétiques modernes par le peuple s’expliquait par le fait que le peuple n’aurait pas suffisamment « grandi » pour comprendre leur musique complexe.

Il le comprendrait au fil des siècles et il ne faut pas être gêné si certaines œuvres musicales ne trouvent pas d’auditeurs.

Cette théorie profondément individualiste et fondamentalement anti-populaire a contribué encore plus à aider certains compositeurs et musicologues à s’isoler du peuple, de la critique du public soviétique et à s’enfermer dans leur coquille.

La culture de tous ces points de vue et de vues similaires cause le plus grand préjudice à l’art musical soviétique. Une attitude tolérante vis-à-vis de ces points de vue signifie la propagation parmi les dirigeants de la culture musicale soviétique de tendances qui lui sont étrangères, ce qui conduit à une impasse dans le développement de la musique, à l’élimination de l’art musical.

La tendance formelle vicieuse, anti-populaire et formaliste de la musique soviétique a également un effet néfaste sur la formation et l’éducation des jeunes compositeurs de nos conservatoires, et en particulier du Conservatoire de Moscou (le camarade Shebalin), où la tendance formaliste est dominante.

Les étudiants ne sont pas instillés dans le respect des meilleures traditions de la musique classique russe et occidentale, il ne leur est pas inculqué l’amour du folklore, des formes musicales démocratiques. La créativité de nombreux étudiants des conservatoires est une imitation aveugle de la musique de D. Chhostakovich, S. Prokofiev et d’autres.

Le Comité central du PCUS(b) déclare l’état complètement intolérable de la critique musicale soviétique. La position dominante parmi les critiques est occupée par les opposants à la musique réaliste russe, par les partisans de la musique formaliste décadente. Ces critiques déclarent chacune des œuvres successives de Prokofiev, Chostakovitch, Myaskovski, Shbaline comme « la nouvelle conquête de la musique soviétique » et louent la subjectivité, le constructivisme, l’individualisme extrême, la complication professionnelle de la langue, c’est-à-dire exactement ce qui doit être critiqué.

Au lieu de dissiper des théories préjudiciables et étrangères aux principes du réalisme socialiste, la critique musicale contribue elle-même à leur diffusion en les louant et en déclarant comme « avancée » de la part de ces compositeurs qui partagent de faux préceptes créatifs dans leur travail.

La critique musicale a cessé d’exprimer l’opinion du public soviétique, l’opinion du peuple et s’est transformée en porte-parole des compositeurs individuels. Certains critiques musicaux, au lieu de critiques objectives fondées sur des principes, ont commencé à être serviles à l’un ou l’autre chef musical, en raison de leurs relations amicales, en vantant de toutes les manières possibles leur travail.

Tout cela signifie que, chez certains compositeurs soviétiques, les vestiges de l’idéologie bourgeoise, alimentés par l’influence de la musique décadente moderne d’Europe occidentale et américaine, n’ont pas encore été éliminées.

Le Comité central du PCUS(b) estime que cette situation défavorable sur le front de la musique soviétique a été créée à la suite d’une mauvaise ligne dans la musique soviétique indiquée par le Comité des arts sous le Conseil des ministres de l’URSS et le Comité organisateur de l’Union des compositeurs soviétiques.

La commission des arts du Conseil des ministres de l’URSS (le camarade Khrapchenko) et le comité d’organisation de l’Union des compositeurs soviétiques (le camarade Khatchatourian) encourageaient en fait une direction formaliste, étrangère au peuple soviétique, au lieu d’élaborer une direction réaliste dans la musique soviétique, sur la base de la reconnaissance du rôle considérable joué par l’héritage classique, en particulier des traditions de l’école de musique russe, l’utilisation de cet héritage et son développement ultérieur, la combinaison dans la musique de contenu élevé avec la perfection artistique de la forme musicale, la véracité et le réalisme de la musique, sa profonde connexion organique avec les gens et leur composition musicale et musicale, la grande compétence professionnelle, la simplicité et l’accessibilité des œuvres musicales.

Le comité organisateur de l’Union des compositeurs soviétiques est devenu l’instrument d’un groupe de compositeurs formalistes et est devenu le principal foyer de perversions formalistes. Le comité d’organisation a créé une atmosphère moisie, il n’y a pas de discussions créatives.

Les dirigeants du comité organisateur et les musicologues qui les entourent font l’éloge d’œuvres anti-réalistes et modernistes qui ne méritent pas d’être soutenues. Des œuvres qui se distinguent par leur nature réaliste, le désir de continuer et de développer le patrimoine classique sont déclarées secondaires, passent inaperçues et sont gâchées.

Les compositeurs, se vantant de leur « innovation », de leur position « archirévolutionnaire » dans le domaine de la musique, agissent dans le cadre de leurs activités au sein du comité d’organisation comme des défenseurs du conservatisme le plus arriéré et le plus renfermé.

Le Comité central du PCUS(b) estime qu’une telle situation et une telle attitude vis-à-vis des tâches de la musique soviétique telles qu’elles ont été définies dans le Comité des arts sous le Conseil des ministres de l’URSS et le Comité organisateur de l’Union des compositeurs soviétiques sont préjudiciables au développement de la musique soviétique.

Ces dernières années, les exigences culturelles et les goûts artistiques du peuple soviétique ont considérablement augmenté.

Le peuple soviétique attend des compositeurs des œuvres de haute qualité et idéologiques de tous les genres – opéra, musique symphonique, composition de chansons, musique chorale et de danse.

Dans notre pays, les compositeurs disposent de possibilités créatives illimitées et toutes les conditions nécessaires au véritable épanouissement de la culture musicale sont créés.

Les compositeurs soviétiques ont un public qu’aucun compositeur n’a connu auparavant. Il serait impardonnable de ne pas utiliser toutes ces riches opportunités et de ne pas diriger nos efforts créatifs sur la bonne voie réaliste.

Le Comité central du PCUS (b) décide:

1. de condamner la tendance formaliste de la musique soviétique en tant qu’anti-populaire et conduisant en pratique à l’élimination de la musique.

2. d’inviter la Direction de la propagande et de l’agitation du Comité central et du Comité des arts à remédier à la situation de la musique soviétique, à éliminer les carences signalées dans cette résolution du Comité central et à développer de manière réaliste la musique soviétique.

3. d’encourager les compositeurs soviétiques à prendre conscience des exigences élevées de leur peuple en matière de créativité musicale et, après avoir mis de côté tout ce qui affaiblit notre musique et freine son développement, afin de garantir un tel essor de la création qui fera avancer rapidement la création dans tous les domaines de la créativité musicale d’œuvres à part entière, de grande qualité, dignes du peuple soviétique.

4. d’approuver les mesures organisationnelles de la partie concernée et des organismes soviétiques visant à améliorer la musique.

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Le réalisme socialiste et le caractère accessible

Le fait qu’une œuvre d’art soit accessible au peuple a toujours été un critère essentielle pour les bolcheviks. Anatoli Lounatcharski avait écrit en 1921 à Lénine au sujet de la publication d’un ouvrage de Vladimir Maïakovski, 150,000,000.

La réponse de Lénine quant à cette œuvre futuriste, le 6 mai, fut acerbe :

N’est-ce pas une honte de voter en faveur des 150 000 000 de Maïakovski à 5000 exemplaires ?

Sottise, absurdité, extravagance et affectation que tout cela. À mon avis, il n’y a qu’un sur dix de ces écrits qui vaille la peine d’être publiée, et guère plus qu’en 1500 exemplaires pour les bibliothèques et les toqués.

Quant à Lounacharski, il mérite une correction pour son futurisme.

Le fait que l’art soit considéré comme une expression de la société, avec une organisation de sa production, accentua particulièrement l’exigence quant au caractère accessible de l’œuvre d’art. Le tableau L’amour de ma jeunesse d’Ahmed Ibadullovich Kitaev correspond aisément à cette exigence. D’autres thèmes rendent la capacité à satisfaire celle-ci bien plus ardue.

C’est dans le domaine de la musique que les controverses à ce sujet furent le plus marquantes. Le 28 janvier 1936, un article de la Pravda intitulé « Le chaos remplace la musique », au sujet de l’œuvre « Lady Macbeth de Mzensk » de Dmitri Chostakovitch, critiqua son approche de manière approfondie :

« L’auditeur de cet opéra se trouve d’emblée étourdi par un flot de sons intentionnellement discordants et confus (…). Il est difficile de suivre cette musique, il est impossible de la mémoriser (…). Cette musique est mise intentionnellement sens dessus dessous (…).

Il s’agit d’un chaos gauchiste remplaçant une musique naturelle, humaine. La faculté qu’a la bonne musique de captiver les masses est sacrifiée sur l’autel des vains labeurs du formaliste petit-bourgeois (…).

Ce Lady Macbeth est apprécié des publics bourgeois à l’étranger. Si le public bourgeois l’applaudit, n’est-ce pas parce que cet opéra est absolument apolitique et confus ? Parce qu’il flatte les goûts dénaturés des bourgeois par sa musique criarde, contorsionnée, neurasthénique ? »

La suite sera, en 1937, la « réponse créative d’un artiste soviétique à de justes critiques » comme le formulera Dmitri Chostakovitch au sujet de sa Symphonie n°5. Il faut également noter, parmi ses autres œuvres, la Symphonie n°7 « Leningrad » dont la première eut lieu le 9 août 1942 durant le siège de la ville par les nazis.

Parmi les autres grands compositeurs soviétiques, il est nécessaire de mentionner Aram Khatchatourian qui s’appuie sur la musique populaire arménienne ou encore Sergueï Prokofiev, qui recevra pour sa Symphonie n°5 un prix en 1945, le fameux « prix Staline ».

La question de la musique a une importance capitale en URSS, de par le prolongement de la culture nationale. On comprend qu’en 1948, il puisse y avoir un débat de fond de haut niveau.

Ainsi, à la suite de l’opéra La grande amitié de Vano Muradeli, il y eut avoir trois jours de réunion dans les locaux du Comité Central du PCUS(b) à ce sujet, sous la forme d’une Conférence des musiciens soviétiques. Participèrent à celle-ci plus de 70 compositeurs, chefs d’orchestre, critiques musicaux et professeurs de musique.

Cela aboutit à la résolution du 10 février 1948 au sujet de cet opéra, avec un appel au réalisme socialiste et non au subjectivisme, au formalisme. C’est là un épisode marquant, qui rappelle que lee réalisme socialiste est l’esthétique propre au socialisme, et en ce sens il témoigne de la bataille entre l’ancien et le nouveau, exigeant une capacité d’intervention subjective fondée sur les principes matérialistes dialectiques pour reconnaître la dignité du réel et faire avancer l’art.

Le premier congrès des écrivains soviétiques en 1934

En 1932, le Parti Communiste de Russie (bolchévik) décida d’unifier les écrivains dans une seule grande association. Ce choix est officialisé par la résolution du Comité Central du 23 avril 1932 : « Sur la restructuration des organisations littéraires et artistiques ».

La mise en place des décisions de la réalisation aboutit au premier congrès des écrivains soviétiques, à Moscou en 1934, ouvert le 17 août 1934, pour se dérouler du 19 août au 1er septembre.

Ce congrès des écrivains en 1934 fut la grande réalisation du mouvement lancé par les communistes soviétiques à la suite de la révolution de 1917 dans le domaine des arts et des lettres. Il s’est tenu de manière très organisée, en étant largement annoncé dans la presse, une grande valeur lui étant accordée, avec une très grande reconnaissance idéologique et culturelle.

Parmi les écrivains soviétiques, on trouvait notamment Feodor Gladkov, Samuil Marshak, Demyan Bedny, Leonid Leonov, Konstantin Fedin, Vsevolod Ivanov, Mikhail Sholokhov, Fyodor Panfyorov, Alexander Serafimovich, Aleksei Tolstoy, Aleksandr Fadeev, Mikhail Zoshchenko, Boris Pilnyak, Mikhail Prishvin, Ilya Ehrenbourg.

Parmi les auteurs venus hors d’URSS, on trouvait entre autres Johannes Becher, Louis Aragon, André Malraux, Ernst Toller, Vitezlav Nezval, Theodor Plivier, Willi Bredel.

Une soirée culturelle, avec Maxime Gorki et Lénine

En pratique, 53% des personnes participant étaient membres du Parti. 26 sessions furent tenues, avec 212 discours et présentations. Il y eut 41 messages de salutations, venant d’usines, de kolkhozes, d’écoles et d’universités, de l’armée rouge, d’organisations artistiques ainsi que d’organes du Parti.

Le congrès lui-même a envoyé des messages de salutations à Staline, à Kliment Vorochilov (commissaire politique pour la défense), au comité central du Parti, au conseil des commissaires du peuple, au conseil des ministres, aux écrivains révolutionnaires de Japon et de Chine, ainsi qu’à l’écrivain français Romain Rolland. Une lettre fut envoyée aux travailleurs des usines à papier d’Union Soviétique.

Différents discours ont encadré la congrès ; c’est ainsi Gorki qui a tenu le discours d’ouverture et celui de clôture, lançant un magnifique :

« Nous nous présentons comme les juges d’un monde voué à la mort et comme des hommes qui proclament l’humanisme authentique, l’humanisme du prolétariat révolutionnaire. »

Il tint également, dès le premier jour, un exposé sur la littérature soviétique et il prit de nouveau la parole aussi lors de la 9e session. Il fut, de fait, la grande figure du congrès.

Andreï Jdanov, secrétaire du comité central, intervint quant à lui le premier jour ; Karl Radek prit la parole lors de la 12e session au sujet de « La littérature mondiale moderne et les tâches de l’art prolétarien », et Nikolaï Boukharine prit la parole lors de la 19e session au sujet du thème « Poésie, poétique et les tâches de l’activité poétique en URSS ».

Karl Radek et Nikolaï Boukharine reprirent la parole, respectivement lors des 15e et 22e sessions, en réponse aux remarques suite à leurs interventions. Alexei Steckij, responsable de la section du comité central pour la culture et la propagande, prit la parole lors de la 23e session.

Une soirée culturelle, avec Maxime Gorki et Staline

La clôture du congrès alla de pair avec l’établissement des statuts. Ceux-ci se fondent directement sur la résolution du Parti d’avril 1932, soulignant « l’appropriation critique de l’héritage littéraire du passé ». Le réalisme socialiste est présenté comme

« la méthode fondamentale de la littérature artistique soviétique et de la critique littéraire »

Ce qui est exigé, c’est la

« mise en forme historique-concrète, conforme à la vérité, de la réalité et de son développement révolutionnaire »

Cependant, les communistes ne forment qu’une « fraction » de l’Union des écrivains. Du moment qu’un écrivain respecte la légalité socialiste, il peut rejoindre l’Union.

Ces statuts furent largement exposés dans la presse soviétique; le quotidien Izvestia traita chaque jour du congrès, la Pravda le traita régulièrement, la Literaturnaja gazeta fut publiée quotidiennement pendant le congrès.

L’idée mise en avant était que la littérature devait avancer, se mettre en adéquation avec les progrès qu’avaient connus la société. Selon le mot de Staline, les écrivains étaient les « ingénieurs des âmes ».

Tant Staline que Maxime Gorki soulignaient l’importance de donner naissance au réalisme socialiste; ils mirent en avant la démarche, l’esprit, le contenu, soit l’accompagnement de la construction du socialisme. Il n’y avait pas d’explication quant à la forme, il n’y avait pas d’obligation.

Le socialisme ne commande pas à la littérature, il orchestre le mouvement, il indique le chemin, et il doit convaincre. C’est le principe de la « littérature de tendance ». C’est Andreï Jdanov qui théorisa le principe, dont les grandes lignes ont été établies par Lénine.

Andreï Jdanov parla de « romantisme révolutionnaire », de « romantisme de nouveau type », composante incontournable du réalisme socialiste.

Dans ce cadre, la Pravda numéro 229 du 20 août 1934 publia un discours d’Andreï Jdanov, deux jours après la tenue de celui de Maxime Gorki, lui aussi publié. Les deux discours commençaient à la page deux, furent publiés en entier, malgré leur longueur, et accompagnés d’une grande photographie.

Le même numéro de la Pravda publia également en entier une lettre de salutation, depuis Nice, de Heinrich Mann, le grand auteur communiste allemand désormais réfugié, ainsi que des messages des écrivains allemands Oskar Maria Graf (présent au congrès) et Lion Feuchtwanger.

La Pravda publia ainsi de manière régulière, et en y accordant une grande place, les activités du congrès.

Le 26 août, la résolution appela à la lutte les écrivains du monde entier, contre l’oppression capitaliste, la barbarie fasciste, contre l’esclavagisme colonialiste, contre la préparation d’une nouvelle guerre impérialiste et pour la défense de l’Union Soviétique.

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Le réalisme socialiste et le prolongement de l’héritage national

Étant un art porté par le peuple dans un pays particulier, avec l’affirmation de l’universel à travers le particulier, le réalisme socialiste rejette les concepts d’arts censés être « prolétarien » ou « bourgeois ». Il considère l’art comme relevant de la culture et pour cette raison il assume l’héritage national sur ce plan.

Le réalisme socialiste marque une nouvelle étape dans la culture, mais il se définit comme le dépassement des périodes passées, pas comme leur négation. Le Dictionnaire philosophique abrégé de 1951, publié en Union Soviétique, souligne ainsi que :

« L’art soviétique prolonge les meilleures traditions réalistes de l’art du passé, en particulier de l’art russe, l’art de Pouchkine et de Tolstoï, de Gogol et de Nekrassov, de Répine et de Sourikov, de Tchaïkovski et de Glinka, etc.

Mais le réalisme de l’art soviétique représente une étape qualitativement nouvelle dans l’histoire de l’art universelle. »

Si on prend un tableau comme De nouveau des mauvaises notes, de Fedor Reshetnikov, datant de 1952, se place tout à fait dans le prolongement des portraitistes russes des décennies précédentes surnommes les ambulants.

On a ici portrait avec une situation caractéristique, une présentation typique, mais avec l’ajout de la dimension socialiste représentée par la pionnière avec le regard plein de reproches qui a justement fini d’étudier. Le chien – plein d’empathie, c’est la dignité du réel – salue un jeune garçon dont le regard perdu montre qu’il cherchera à mieux faire.

On ne peut pas comprendre la valeur d’une peinture comme Le restaurateur d’Andrei Kouznetsov, de 1951, sans voir la valeur essentielle que trouve le réalisme socialiste dans l’héritage national.

Pour cette raison, le réalisme socialiste est né de la victoire idéologique sur le « proletkult », à la « culture prolétarienne », une conception non communiste, malgré ses prétentions. Cette idéologie a été puissante dans les années 1920, portée par le courant anarcho-syndicaliste. Son principal théoricien, Alexander Bogdanov (1863-1928), avait déjà été critiqué par Lénine dans Matérialisme et empirio-criticisme pour sa philosophie idéaliste.

Zprès la révolution de 1917, Alexander Bogdanov avait remis en avant sa conception de manière plus développée, appelant à une science de l’organisation qu’il appelle « tectologie », avec le Parti s’occupant de la politique, les syndicats de l’économie et les artistes d’avant-garde des arts et des lettres.

Le proletkult est alors, dans cette conception, une prétendue avant-garde devant commander les arts, imposer par en-haut une nouvelle organisation, sur les ruines du passé. L’Association des Ecrivains Prolétariens de Moscou (MAPP), alliée au Front Gauche des Arts (LEF), explique ainsi dans sa revue Au poste, premier numéro du 24 juin 1923, que :

« Est prolétarienne la littérature qui organise le psychisme et la conscience de la classe ouvrière et des classes travailleuses dans le sens des missions finales du prolétariat, transformateur du monde et créateur de la société communiste. »

Le proletkult qui prétendait régir les arts et les lettres fut remis à sa place par la résolution du 18 juin 1925 du Comité Central du Parti Communiste de Russie (bolchévik), intitulé Sur la politique du parti dans le domaine des belles-lettres. Il fut par la suite liquidé comme tendance gauchiste, du type bourgeois-cosmopolite, un grand rôle étant joué par le premier congrès des écrivains soviétiques, en 1934.

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Le réalisme socialiste et la chanson « Vaste est ma patrie »

L’un des grands symboles de la dimension nationale du réalisme socialiste est la « chanson sur le patrie », d’Issak Dunaïevskiy pour la musique, Vassili Lebedev-Kumach pour les paroles. Elle se trouve dans Le cirque, une comédie mélodramatique de Grigori Alexandrov datant de 1936. Ce film racontee l’histoire d’une femme américaine ayant un enfant noir et fuyant le racisme meurtrier de son pays.

Ayant rejoint le monde du cirque et en visite en URSS, elle bascule dans la culture soviétique et l’apothéose du film est l’acceptation de son enfant, elle-même devenant une citoyenne soviétique, un défilé se faisant avec la chanson pour la patrie.

Voici l’affiche de la chanson, véritable hymne patriotique soviétique.

Voici différentes versions de la chanson.

Version chantée par Boris Gmirya
Version chantée par D.V. Demyanov
Version chantée par Andrey Ivanov
Version chantée par Pyotr Leshenko
Version chantée par Sergey Moroz
Version marche militaire (1944))

Voici le texte avec la translittération et une traduction, ainsi qu’une version complète (les passages en italiques ont été supprimés par le révisionnisme après la mort de Staline).

Широка страна моя родная,
Много в ней лесов, полей и рек!
Я другой такой страны не знаю,
Где так вольно дышит человек.

Shiroka strana moya rodnaya,
Mnogo v ney lesov, poley i rek!
Ya drugoy takoy strany ne znayu,
Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

Vaste est ma patrie,
d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
Je ne connais aucun autre pays
Où un Homme peut respirer si librement
.

От Москвы до самых до окраин,
С южных гор до северных морей
Человек проходит, как хозяин
Необъятной Родины своей.

Ot Moskvy do samykh do okrain,
S yuznykh gor do severnykh morey
Chelovyek prohodit, kak hozyain
Neobyatnoy Rodiny svoyey.

De Moscou aux frontières,
Des montagnes méridionales à la mer du Nord
Un Homme se trouve tel un maître
sur sa vaste patrie.

Всюду жизнь и вольно и широко,
Точно Волга полная, течёт.
Молодым везде у нас дорога,
Старикам везде у нас почёт.

Vsyudu zhizn’ i vol’no i shiroko,
Tochno Volga polnaya, techyot.
Molodym vezdye u nas doroga,
Starikam vezdye u nas pochyot.

A travers la vie, et librement et largement,
comme coule la Volga.
La jeunesse toujours nous est toujours chère,
Les personnes âgées toujours honorées par nous.

Широка страна моя родная,
Много в ней лесов, полей и рек!
Я другой такой страны не знаю,
Где так вольно дышит человек.

Shiroka strana moya rodnaya,
Mnogo v ney lesov, poley i rek!
Ya drugoy takoy strany ne znayu,
Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

Vaste est ma patrie,
d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
Je ne connais aucun autre pays
Où un Homme peut respirer si librement
.

Наши нивы глазом не обшаришь,
Не упомнишь наших городов,
Наше слово гордое – товарищ –
Нам дороже всех красивых слов.

Nashi nivy glazom ne obsharish’
Ne upomnish’ nashikh gorodov,
Nashe slovo gordoye – tovarisch –
Nam dorozhye vsyekh krasivykh slov.

Nos champs sont trop larges pour nos yeux,
nos villes trop nombreuses pour s’en rappeler,
notre fier mot – camarade –
est pour nous plus précieux que tous les jolis mots
.

С этим словом мы повсюду дома.
Нет для нас ни чёрных, ни цветных.
Это слово каждому знакомо,
С ним везде находим мы родных.

S etim slovom my povsyudu doma.
Nyet dlya nas ni chyornykh, ni tsvetnykh.
Eto slovo kazhdomu znakomo,
S nim vezdye nahodim my rodnykh.

Avec ce mot partout nous sommes dans notre foyer.
Pour nous il n’y a ni noir ni coloré.
Ce mot est familier à tous,
avec lui nous trouvons toujours des amis.

Широка страна моя родная,
Много в ней лесов, полей и рек!
Я другой такой страны не знаю,
Где так вольно дышит человек.

Shiroka strana moya rodnaya,
Mnogo v ney lesov, poley i rek!
Ya drugoy takoy strany ne znayu,
Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

Vaste est ma patrie,
d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
Je ne connais aucun autre pays
Où un Homme peut respirer si librement.

За столом никто у нас не лишний,
По заслугам каждый награждён,
Золотыми буквами мы пишем
Всенародный Сталинский закон

Za stolom nikto u nas ne lishniy,
Po zaslugam kazhdyi nagrazhdyon,
Zolotymi bukvami my pishyem
Vsyenarodniy Stalinskiy zakon.

A notre table personne n’est exclu.
Chacun reçoit selon son mérite,
en lettres d’or nous écrivons
la loi de Staline.

Этих слов величие и славу
Никакие годы не сотрут:
Человек всегда имеет право
На ученье, отдых и на труд.

Etikh slov velichiye i slavu
Nikakiye gody ne sotrut:
Chelovyek vsegda imyeyet pravo
Na uchenye, otdykh i na trud.

Ces grands et glorieux mots
vivront à travers les années :
Une personne toujours a le droit
d’étudier, de se reposer et de travailler.

Широка страна моя родная,
Много в ней лесов, полей и рек!
Я другой такой страны не знаю,
Где так вольно дышит человек.

Shiroka strana moya rodnaya,
Mnogo v ney lesov, poley i rek!
Ya drugoy takoy strany ne znayu,
Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

Vaste est ma patrie,
d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
Je ne connais aucun autre pays
Où un Homme peut respirer si librement

Над страной весенний ветер веет.
С каждым днём все радостнее жить,
И никто на свете не умеет
Лучше нас смеяться и любить.

Nad stranoy vesenniy veter veyet.
S kazhdym dnyom vsye radostneye zhit,
I nikto na svetye ne umyeyet
Luchshe nas smeyatsya i lyubit.

Sur le pays souffle le vent du Printemps
Chaque jour la vie devient plus joyeuse,
et personne sur terre ne peut connaître
nos grandes manières de rire et d’aimer.

Но сурово брови мы насупим,
Если враг захочет нас сломать,
Как невесту, Родину мы любим,
Бережём, как ласковую мать.

No surovo brovi my nasupim,
Yesli vrag zahochet nas slomat’,
Kak nevestu, Rodinu my lyubim,
Berezhyom, kak laskovuyu mat’.

Mais nos sourcils se fronceront farouchement
si un ennemi tente de nous briser.
Comme une épouse, nous aimons notre patrie
Nous en prenons soin comme une mère affectueuse.

Широка страна моя родная,
Много в ней лесов, полей и рек!
Я другой такой страны не знаю,
Где так вольно дышит человек.

Shiroka strana moya rodnaya,
Mnogo v ney lesov, poley i rek!
Ya drugoy takoy strany ne znayu,
Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

Vaste est ma patrie,
d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
Je ne connais aucun autre pays
Où un Homme peut respirer si librement.

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