Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Résolution sur l’organisation de l’Internationale Communiste au troisième congrès

    Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste doit être organisé de telle sorte qu’il puisse prendre position sur toutes les questions d’action du prolétariat. Dépassant les cadres des appels généraux tels qu’ils étaient lancés jusqu’à présent sur telle ou telle question en discussion, le Comité Exécutif doit de plus en plus chercher à trouver les moyens et les voies pour développer son initiative pratique quant à l’action commune des différentes sections dans les questions internationales d’organisation et de propagande en discussion.

    L’Internationale Communiste doit devenir une Internationale de fait, une Internationale dirigeant les luttes communes et quotidiennes du prolétariat révolutionnaire de tous les pays. Les conditions indispensables pour cela sont les suivantes :

    1. Les Partis adhérents à l’internationale Communiste doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir le contact le plus étroit et le plus actif avec le Comité Exécutif ; ils ne doivent pas seulement envoyer au sein de l’Exécutif les meilleurs représentants de leur pays, mais encore lui faire parvenir de façon permanente les informations les plus prudentes et les plus circonspectes, afin qu’il puisse prendre position en s’appuyant de documents et informations approfondis sur les problèmes politiques qui surgissent. Pour l’élaboration fructueuse de ces matériaux, l’Exécutif doit organiser des sections spéciales pour les différentes. branches. En outre, un Institut international d’Economie et de Statistique du mouvement ouvrier et du communisme doit être créé auprès de l’Exécutif.

    2. Les partis adhérents doivent entretenir les rapports les plus étroits pour leur information mutuelle et leur liaison organique, en particulier lorsque ces partis sont voisins et par suite également intéressés aux conflits politiques engendrés par les antagonismes capitalistes. Le meilleur moyen d’établir actuellement ces relations est l’envoi réciproque des résolutions des plus importantes conférences et l’échange général de militants bien choisis. Cet échange doit devenir un usage permanent et immédiat de toute section capable d’agir.

    3. L’Exécutif doit provoquer la fusion nécessaire de toutes les sections nationales en un Parti international cohérent de propagande et d’action prolétariennes communes et pour cela publier en Europe Occidentale, dans les langues les plus importantes, une correspondance politique, à l’aide de laquelle l’idée communiste sera mise en valeur d’une manière de plus en plus claire et uniforme et qui, par une information fidèle et régulière, fournira aux différentes sections la base d’une action énergique et simultanée.

    4. L’envoi de représentants autorisés dans les sections permettra au Comité Exécutif d’appuyer par le fait la tendance à une véritable Internationale de la lutte quotidienne et commune du prolétariat de tous les pays. Ces représentants auront pour tâche d’informer l’Exécutif des conditions particulières dans lesquelles les Partis Communistes ont à lutter dans les pays capitalistes ou coloniaux.

    Ils devront veiller ensuite à ce que ces partis conservent le contact le plus intime aussi bien avec l’exécutif qu’entre eux, afin d’augmenter la puissance d’attaque de l’un et des autres. L’Exécutif, de même que les Partis, devront veiller à ce que les rapports mutuels entre adhérents, tant personnels par camarades de confiance, que par correspondances écrites, deviennent plus fréquents et plus prompts de façon à pouvoir dans toutes les grandes questions politiques prendre une position unanime.

    5. Pour être en mesure de déployer une activité aussi considérablement accrue, l’Exécutif doit être fortement élargi. Les sections auxquelles ce congrès a accordé 40 voix, ainsi que le Comité Exécutif de l’Internationale de la Jeunesse Communiste, auront chacun deux voix à l’Exécutif ; les sections qui ont eu 30 et 20 voix au Congrès en auront une. Le Parti Communiste de Russie dispose comme par le passé de 5 voix. Les représentants des autres sections ont voix consultative.

    Le président de l’Exécutif est élu par le Congrès. L’Exécutif est chargé de désigner trois secrétaires, qui seront choisis autant que possible dans des sections différentes. En outre, les membres délégués au Comité Exécutif par les différentes sections sont obligés de prendre part comme rapporteurs à l’expédition du travail courant, soit en dirigeant la section nationale correspondante, soit en se chargeant de l’étude de tel ou tel domaine. Les membres du Petit Bureau d’affaires sont élus par un vote spécial du Comité Exécutif.

    6. Le siège de l’Exécutif est en Russie, premier Etat prolétarien. L’Exécutif, à l’effet de centraliser plus solidement la direction politique et organique de toute l’Internationale, devra toutefois chercher à étendre le cercle de son influence au moyen de conférences qu’il organisera hors de Russie.

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    de l’Internationale Communiste

  • Thèses sur la structure, les méthodes et l’action des partis communistes au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    I. GÉNÉRALITÉS

    1. L’organisation du Parti doit être adaptée aux conditions et aux buts de son activité. Le Parti communiste doit être l’avant-garde, l’armée dirigeante du prolétariat pendant toutes les phases de sa lutte de classes révolutionnaire, et pendant la période de transition ultérieure vers la réalisation du socialisme, ce premier degré de la société communiste.

    2. Il ne peut pas y avoir une forme d’organisation immuable et absolument convenable pour les partis communistes. Les conditions de la lutte prolétarienne se transforment sans cesse et, conformément à ces transformations, les organisations d’avant-garde du prolétariat doivent aussi chercher constamment les nouvelles formes convenables. Les particularités historiques de chaque pays déterminent aussi des formes spéciales d’organisation pour les différents partis.

    Mais ces différenciations ont une certaine limite. La similitude des conditions de la lutte prolétarienne dans les différents pays et dans les différentes phases de la révolution prolétarienne constitue, malgré toutes les particularités existantes, un fait d’une importance essentielle pour le mouvement communiste. C’est cette similitude qui donne la base commune de l’organisation des partis communistes de tous les pays.

    C’est sur cette base qu’il faut développer l’organisation des partis communistes et non tendre à la fondation de quelque nouveau parti modèle à la place de celui qui existe déjà ou chercher une forme d’organisation absolument correcte ou des statuts idéaux.

    3. La plupart des partis communistes ainsi que l’Internationale Communiste, comme ensemble du prolétariat révolutionnaire du monde entier, ont ceci de commun dans les conditions de leur lutte qu’ils doivent lutter contre la bourgeoisie encore régnante. La victoire sur celle-ci, la conquête du pouvoir arraché à la bourgeoisie, constitue pour ces partis et pour cette Internationale le but principal déterminant.

    L’essentiel donc, pour tout le travail d’organisation des Partis Communistes dans les pays capitalistes, est donc d’édifier une organisation qui rende possible la victoire de la révolution prolétarienne sur les classes possédantes et qui l’affermisse.

    4. Dans les actions communes il est indispensable pour le succès d’avoir une direction ; celle-ci est nécessaire surtout en vue des grands combats de l’histoire mondiale. L’organisation de partis communistes, c’est l’organisation de la direction communiste dans la révolution prolétarienne.

    Pour bien guider les masses, le Parti a besoin lui-même d’une bonne direction. La tâche essentielle d’organisation qui s’impose à nous est donc la suivante : formation, organisation et éducation d’un Parti communiste pur et réellement dirigeant pour guider véritablement le mouvement révolutionnaire prolétarien.

    5. La direction de la lutte sociale révolutionnaire suppose chez les Partis communistes et dans leurs organes dirigeants la combinaison organique de la plus grande puissance d’attaque et de la plus parfaite adaptation aux conditions changeantes de la lutte.

    Une bonne direction suppose en outre de la manière la plus absolue la liaison la plus étroite avec les masses prolétariennes. Sans cette liaison, le Comité directeur ne guidera jamais les masses, il ne pourra dans le meilleur cas que les suivre.

    Ces relations organiques doivent être obtenues dans les organisations du Parti communiste au moyen de la centralisation démocratique.

    II. LA CENTRALISATION DÉMOCRATIQUE

    6. La centralisation démocratique dans l’organisation du Parti communiste doit être une véritable synthèse, une fusion de la centralisation et de la démocratie prolétarienne. Cette fusion ne peut être obtenue que par une activité permanente commune, par une lutte également commune et permanente de l’ensemble du Parti.

    La centralisation dans le Parti communiste ne doit pas être formelle et mécanique ; ce doit être une centralisation de l’activité communiste, c’est-à-dire la formation d’une direction puissante, prête à l’attaque et en même temps capable d’adaptation.

    Une centralisation formelle ou mécanique ne serait que la centralisation du « pouvoir » entre les mains d’une bureaucratie en vue de dominer les autres membres du parti ou les masses du prolétariat révolutionnaire extérieures au parti. Mais seuls les ennemis du communisme peuvent prétendre que, par ces fonctions de direction de la lutte prolétarienne et par la centralisation de cette direction communiste, le Parti communiste veut dominer le prolétariat révolutionnaire. C’est là un mensonge et, de plus, à l’intérieur du Parti, la lutte pour la domination ou un antagonisme d’autorités est incompatible avec les principes adaptés par l’Internationale Communiste relativement à la centralisation démocratique.

    Dans les organisations du vieux mouvement ouvrier non révolutionnaire se développa un dualisme de même nature que dans l’organisation de l’Etat bourgeois. Nous voulons parler du dualisme entre la bureaucratie et le « peuple ».

    Sous l’influence desséchante de l’atmosphère bourgeoise, les fonctions s’isolèrent en quelque sorte et la communauté du travail fut remplacée par une démocratie purement formelle, et l’organisation elle-même se divisa en fonctionnaires actifs et en une masse passive. Le mouvement ouvrier révolutionnaire hérite jusqu’à un certain point inévitablement du milieu bourgeois cette tendance du formalisme et du dualisme.

    Le Parti Communiste doit surmonter radicalement ces antagonismes par un travail systématique, politique et d’organisation et par des améliorations et des révisions répétées.

    7. Un grand Parti socialiste en se transformant en Parti communiste ne doit pas se borner à concentrer dans sa direction centrale la fonction d’autorité en laissant subsister pour le reste l’ancien ordre des choses. Si la centralisation ne doit pas rester lettre morte, mais devenir un fait réel, il faut que sa réalisation s’accomplisse de sorte qu’elle soit pour les membres du Parti un renforcement et un développement, réellement justifiés, de leur activité et de leur combativité commune. Autrement, elle apparaîtrait aux masses comme une simple bureaucratisation du Parti et provoquerait ainsi une opposition contre toute centralisation, toute direction et toute discipline stricte. L’anarchisme est antipode du bureaucratisme.

    Une démocratie purement formelle dans le parti ne peut écarter ni les tendances bureaucratiques, ni les tendances anarchiques, car c’est précisément sur la base de cette démocratie que l’anarchie et le bureaucratisme, dans le mouvement ouvrier, ont pu se développer. Pour cette raison, la centralisation, c’est-à-dire l’effort pour obtenir une direction forte ne peut avoir de succès si on essaie de l’obtenir sur le terrain de la démocratie formelle. Il est donc indispensable avant tout de développer et de maintenir le contact vivant et des rapports mutuels aussi bien au sein du Parti, entre les organes dirigeants et les membres, qu’entre le Parti et les masses du prolétariat qui ne lui appartiennent pas.

    III. LE DEVOIR DE TRAVAIL DES COMMUNISTES

    8. Le Parti Communiste doit être une école de travail du marxisme révolutionnaire. C’est par le travail quotidien commun dans les organisations du Parti que se resserrent les liens entre les différents groupements et entre les différents membres.

    Dans les Partis communistes légaux il manque encore aujourd’hui la participation régulière de la plupart de membres au travail politique quotidien. C’est leur plus grand défaut et la cause d’une incertitude perpétuelle de leur développement.

    9. Le danger qui menace toujours un Parti ouvrier qui fait ses premiers pas vers la transformation communiste est de se contenter de l’acceptation d’un programme communiste, de remplacer dans sa propagande sa doctrine précédente par celle du communisme et de substituer seulement aux fonctionnaires hostiles à cette doctrine, des communistes. Mais l’adoption d’un programme communiste n’est qu’une manifestation de la volonté de devenir communiste.

    S’il ne s’y ajoute point d’actions communistes et si, dans l’organisation du travail politique, la passivité de la masse des membres est maintenue, le Parti n’accomplit pas la moindre partie de ce qu’il a promis au prolétariat par l’acceptation du programme communiste. Car la première condition d’une sérieuse réalisation de ce programme, c’est l’entraînement de tous les membres au travail quotidien permanent.

    L’art de l’organisation communiste consiste à utiliser tout et tous pour la lutte prolétarienne des classes, à répartir rationnellement parmi tous les membres du Parti le travail politique et à entraîner par leur intermédiaire de plus grandes masses du prolétariat dans le mouvement révolutionnaire, à maintenir fermement dans ses mains la direction de l’ensemble du mouvement, non pas par la force du pouvoir, mais par la force de l’autorité, c’est-à-dire celle de l’énergie, de l’expérience, de la capacité et de la tolérance.

    10. Tout Parti communiste doit donc, dans ses efforts pour n’avoir que des membres véritablement actifs, exiger de chacun de ceux qui figurent dans ses rangs qu’il mette à la disposition de son parti sa force et son temps dans la mesure où il peut en disposer dans les circonstances données et de consacrer toujours au parti le meilleur de soi. Pour être membre du Parti Communiste, il faut d’une façon générale, avec la conviction communiste, cela va sans dire, accomplir aussi les formalités de l’inscription tout d’abord éventuellement comme candidat, ensuite comme membre. Il faut payer régulièrement les cotisations établies, l’abonnement au journal du Parti, etc. Mais le plus important, c’est la participation de chaque membre au travail politique quotidien.

    11. Tout membre du Parti doit d’une façon générale, en vue du travail politique quotidien, être incorporé dans un petit groupe de travail : dans un comité, une commission, un bureau, un collège, une fraction ou un noyau. Ce n’est que de cette manière que le travail politique peut être réparti, dirigé et accompli régulièrement.

    Il va sans dire qu’il faut aussi prendre part aux réunions générales des membres des organisations locales. Il est mauvais, dans des conditions légales, de chercher à remplacer ces réunions périodiques par des représentations locales ; il faut au contraire que tous les membres soient obligés d’assister régulièrement à ces réunions. Mais cela n’est point du tout suffisant.

    La seule préparation régulière de ces réunions suppose un travail fait dans de petits groupes ou par les camarades spécialement désignés, de même que la préparation de l’utilisation efficace des réunions générales des ouvriers, manifestations et actions de masses du prolétariat. Les tâches multiples de cette activité ne peuvent être tentées et réalisées avec intensité que par de petits groupes. Sans ce travail, constant, quoique trivial, de l’ensemble des membres, réparti dans le grand nombre de petits groupes ouvriers, les efforts les plus zélés dans la lutte de classe du prolétariat ne peuvent que rendre vaines toutes tentatives pour influencer ces luttes ; elles ne peuvent pas entraîner la concentration nécessaire de toutes les forces vivantes révolutionnaires en un Parti communiste uni et capable d’agir.

    12. Il faut fonder des noyaux communistes pour le travail quotidien dans différents domaines de l’activité politique du Parti pour l’agitation à domicile, pour les études du Parti, pour le service de la presse, pour la distribution de la littérature, pour le service des nouvelles, pour celui des liaisons, etc.

    Les noyaux communistes sont des groupes pour le travail communiste quotidien dans les entreprises et dans les ateliers, dans les syndicats, dans les associations prolétariennes, dans les unités militaires, etc., partout où il y a au moins quelques membres ou quelques candidats du Parti communiste. S’il y en a plusieurs dans la même entreprise ou dans le même syndicat, etc., le noyau devient une fraction dont le travail est dirigé par le groupe du noyau.

    S’il faut former tout d’abord une fraction plus vaste et d’opposition générale, ou s’il faut simplement prendre part à une telle organisation existant déjà, les communistes doivent s’efforcer d’en obtenir la direction par leur noyau.

    La fondation d’un noyau communiste, sa transformation ou son action publique en qualité de communiste sont subordonnées à l’observation scrupuleuse et à l’analyse des dangers et des avantages que présente la situation particulière envisagée.

    13. C’est une tâche particulièrement difficile pour un Parti de masses communiste que d’établir le devoir général de travail dans le Parti et l’organisation de ces petits groupes de travail. Et certes, on ne saurait accomplir cette tâche en une nuit, car elle exige une persévérance infatigable, une réflexion mûre et beaucoup d’énergie.

    Ce qui est particulièrement important, c’est que cette réorganisation soit accomplie dès le début avec le plus grand soin et après mûre réflexion. Il serait trop facile de répartir dans chaque organisation tous les membres suivant un schéma formel en petits noyaux et d’inviter ces noyaux à agir dans la vie quotidienne du Parti. Un tel début serait pire que l’inaction. Il provoquerait aussitôt la méfiance et l’éloignement des membres du Parti contre cette importante transformation.

    Il faut recommander que les dirigeants du parti élaborent d’abord après consultation approfondie avec des organisateurs assidus, les premières lignes directrices de cette transformation. Les organisateurs doivent être en même temps des communistes absolument convaincus et zélés et être exactement renseignés sur l’état du mouvement dans les différents centres principaux du pays. Après quoi les organisateurs ou les comités d’organisation, qui ont reçu les instructions nécessaires, doivent se mettre à préparer régulièrement le travail sur le lieu même, ils doivent choisir et désigner les chefs de groupes et prendre les premières mesures immédiates en vue de cette transformation.

    L’on doit ensuite poser des tâches tout à fait définies et concrètes devant les organisations, les groupes d’ouvriers, les noyaux et les différents membres, et l’on doit le faire de telle façon que ces tâches leur apparaissent utiles, désirables et pratiques. S’il est nécessaire on peut encore leur montrer par des exemples pratiques comment il faut s’y prendre pour exécuter les tâches. Et ce faisant, on doit surtout leur faire comprendre contre quelles erreurs ils doivent se garder tout spécialement.

    14. Ce nouveau mode d’organisation il faut le réaliser pas à pas dans la vie. C’est pourquoi il ne faut pas fonder trop de nouveaux noyaux ou de groupes d’ouvriers dans les organisations locales. Il faut d’abord s’assurer, en se basant sur les résultats d’une courte pratique, que les noyaux formés dans différentes usines et ateliers importants fonctionnent régulièrement et que les groupes ouvriers indispensables soient créés dans les autres domaines de l’activité de parti et qu’ils se consolident à un certain degré (par exemple dans le service d’information, de liaison, dans l’agitation à domicile, le mouvement des femmes, la distribution d’écrits, le service de la presse, le mouvement des chômeurs, etc.). En tout cas on ne doit pas aveuglément détruire le châssis de l’ancienne organisation avant que la nouvelle ne se soit, pour ainsi dire, stabilisée.

    Mais durant tout ce travail la tâche fondamentale du travail d’organisation communiste doit être partout poursuivie le plus énergiquement possible. Cela exige de grands efforts – non seulement de la part des organisations illégales. Jusqu’à ce qu’il y ait en réalité un large réseau de noyaux, de fractions et de groupes ouvriers à tous les points vitaux de la lutte de classe prolétarienne, jusqu’à ce que chaque membre du parti puissant et conscient de ses buts prenne part au travail quotidien révolutionnaire et que cet acte de participation devienne pour les membres une question d’habitude naturelle, jusqu’à ce moment-là, le parti ne doit se permettre aucun repos dans ses efforts en vue de l’exécution de cette tâche.

    15. Cette tâche fondamentale d’organisation oblige les organes dirigeants du parti à guider continuellement et à influencer systématiquement le travail du parti et à le faire d’une façon complète et sans intermédiaires. Il en résulte pour les camarades qui sont à la tête des organisations de parti l’obligation d’entreprendre les labeurs les plus divers.

    L’organe central dirigeant du parti communiste doit non seulement veiller à ce que tous les camarades en général soient occupés, mais il doit encore leur venir en aide, diriger leur travail selon un plan ordonné et en connaissance pratique de cause, en les orientant dans la bonne voie à travers toutes les conditions et circonstances spéciales. Dans sa propre activité le centre doit également tâcher de trouver les erreurs commises et, en se basant sur l’expérience acquise, toujours chercher à améliorer ses méthodes de travail, en ne perdant en même temps jamais de vue le but de la lutte.

    16. Notre travail politique général c’est la lutte pratique ou théorique ou la préparation de cette lutte. La spécialisation de ce travail a été très défectueuse jusqu’à présent. Il y a des domaines très importants sur lesquels le Parti n’a guère fait jusqu’à présent que des efforts tout à fait accidentels, ainsi par exemple presque rien n’a été fait par les partis légaux dans la lutte spéciale contre la police politique.

    L’instruction des camarades du Parti ne s’accomplit en général que d’une manière tout à fait accidentelle et secondaire et cela d’une manière tellement superficielle que la plus grande partie des décisions les plus importantes du Parti, que même le programme et les résolutions de l’Internationale Communiste sont encore tout à fait inconnus des grandes couches des membres du Parti. Le travail d’instruction doit être ordonné et approfondi sans cesse par tout le système des organisations du Parti, tous les groupements de travail, afin d’obtenir par ces efforts systématiques, un degré toujours plus élevé de spécialisation.

    17. La reddition des comptes est un devoir des plus indispensables pour les organisations communistes. Il s’impose aussi bien à toutes les organisations et à tous les organes du Parti, qu’à chaque membre individuellement. La reddition de comptes doit être accomplie régulièrement à de cours intervalles. Il faut à cette occasion, faire des rapports sur l’accomplissement des missions spéciales confiées par le Parti. Il importe d’accomplir ces redditions de comptes d’une façon tellement systématique qu’elle s’enracine dans le mouvement communiste comme une de ses meilleures traditions.

    18. Le Parti doit faire régulièrement un rapport à la direction de l’Internationale Communiste. Les différentes organisations du parti doivent faire leur rapport au Comité immédiatement supérieur (par exemple, le rapport mensuel de l’organisation locale au Comité du Parti respectif).

    Chaque noyau, fraction et groupe ouvrier doit faire un rapport à l’organe du Parti sous la direction effective duquel il se trouve. Les membres individuellement en font un, mettons hebdomadaire, au noyau ou au groupe de travail (et même à son chef hiérarchique) auquel il appartient relativement à l’accomplissement des missions spéciales dont il a été chargé par l’organe du Parti auquel il adresse le rapport.

    Cette sorte de reddition de comptes doit avoir lieu, à la première occasion, oralement si le Parti ou le mandant n’exige pas un rapport écrit. Les rapports doivent être concis et contenir des faits. L’organe qui le reçoit porte la responsabilité de la conservation de ces communications qui ne sauraient être publiées sans danger. Il est également responsable de la communication des rapports importants à l’organe dirigeant du Parti et cela, sans aucune remise.

    19. Il va sans dire que ces rapports du Parti ne doivent pas se borner à faire connaître ce que le rapporteur a fait, mais aussi contenir des communications au sujet des circonstances remarquées pendant son activité et qui peuvent être importantes pour notre lutte. Ils doivent mentionner particulièrement, les observations qui peuvent occasionner un changement ou une amélioration de notre tactique future. Il faut aussi y proposer les améliorations dont le besoin s’est fait sentir au cours de l’activité.

    Dans tous les noyaux, fractions et groupes de travail communistes, les rapports reçus par ces organisations ou à faire par ceux-ci doivent devenir une habitude.

    Dans les noyaux et groupes de travail, on doit veiller à ce que les membres individuellement ou en groupes reçoivent régulièrement la mission spéciale d’observer et de rapporter ce qui se passe dans les organisations de l’adversaire et particulièrement dans les organisations ouvrières petites bourgeoises et des Partis « socialistes ».

    IV. PROPAGANDE ET AGITATION

    20. Notre tâche la plus importante avant le soulèvement révolutionnaire déclaré, est la propagande pour l’agitation révolutionnaire. Cette activité et son organisation est menée souvent encore, pour la plus grande partie, à l’ancienne manière formaliste. Par des manifestations occasionnelles, par des réunions de masses et sans souci particulier du contenu révolutionnaire concret des discours et des écrits.

    La propagande et l’agitation communiste doit avant tout prendre racine dans les milieux les plus profonds du prolétariat. Elle doit être engendrée par la vie concrète des ouvriers, par leurs intérêts communs particulièrement par leurs luttes et efforts.

    Ce qui donne le plus de force à la propagande communiste est son contenu révolutionnairisant. A ce point de vue, il faut toujours considérer le plus attentivement possible les mots d’ordre et l’attitude à prendre à l’endroit des questions concrètes dans des situations diverses. Afin que le parti puisse toujours prendre une juste position, il faut donner un cours d’instruction prolongé et complet non seulement aux propagandistes et agitateurs de profession, mais encore à tous ses autres membres.

    21. Les formes principales de propagande et d’agitation communistes sont : entretiens personnels verbaux, participation aux combats des mouvements ouvriers syndicaux et politiques, action par la presse et la littérature du parti. Chaque membre d’un Parti légal ou illégal doit d’une façon ou d’une autre prendre part régulièrement à cette activité.

    La propagande personnelle verbale doit être menée en premier lieu en guise d’agitation à domicile organisée systématiquement et confiée à des groupes institués spécialement dans ce but. Pas une seule maison, située dans la sphère d’influence de l’organisation locale du parti ne doit rester en dehors de cette agitation. Dans les villes plus importantes, une agitation de rue spécialement organisée au moyen de placards et de feuilles peut souvent avoir de bons résultats. En outre, dans les usines et les ateliers on doit organiser une agitation personnelle régulière, menée par les noyaux ou fractions de parti et accompagnée de distribution de littérature.

    Dans les pays dont la population contient des minorités nationales, le devoir du Parti est d’accorder toute l’attention nécessaire à la propagande et à l’agitation dans les couches prolétariennes de ces minorités. L’agitation et la propagande devront naturellement être menées dans la langue des minorités nationales respectives ; il faudra dans ce but que le parti crée des organes appropriés.

    22. Quand la propagande communiste se fait dans les pays capitalistes où la majorité du prolétariat n’a encore aucun penchant révolutionnaire conscient, il faut chercher des méthodes d’action toujours plus parfaites pour aller au-devant de la compréhension de l’ouvrier pas encore révolutionnaire mais commençant à le devenir, et pour lui ouvrir l’entrée dans le mouvement révolutionnaire. La propagande communiste doit se servir de ses principes dans les différentes situations pour soutenir l’esprit de l’ouvrier, pendant sa lutte intérieure contre les traditions et les tendances bourgeoises, mais qui sont pour lui un élément de progrès révolutionnaire.

    En même temps la propagande communiste ne doit pas se borner aux demandes ou espérances des masses prolétaires telles qu’elles sont aujourd’hui, c’est-à-dire restreintes et indécises. Les germes révolutionnaires de ces demandes et espérances ne forment que le point de départ qui nous est nécessaire pour les influencer. Car c’est seulement dans cette combinaison qu’on peut expliquer au prolétariat d’une façon plus compréhensible le communisme.

    23. Il faut mener l’agitation communiste parmi les masses prolétariennes de telle manière que les prolétaires militants reconnaissent notre organisation communiste comme celle qui doit diriger loyalement et courageusement, avec prévoyance et énergie, leur propre mouvement vers un but commun.

    A cette fin, les communistes doivent prendre part à tous les combats spontanés et tous les mouvements de la classe ouvrière et prendre sur soi de sauvegarder les intérêts des ouvriers dans tous leurs conflits avec les capitalistes au sujet de la journée de travail, etc. Les communistes doivent, ce faisant, s’occuper énergiquement des questions concrètes de la vie des ouvriers, les aider à se débrouiller dans ces questions, attirer leur attention sur les cas d’abus les plus importants, les aider à formuler exactement et sous une forme pratique leurs revendications aux capitalistes et en même temps développer chez eux l’esprit de solidarité et la conscience de la communauté de leurs intérêts et de ceux des ouvriers de tous les pays comme d’une classe unie et qui constitue une partie de l’armée mondiale du prolétariat.

    Ce n’est qu’en prenant constamment part à ce menu travail quotidien absolument nécessaire, en apportant tout son esprit de sacrifice dans tous les combats du prolétariat, que le « Parti Communiste » peut se développer en vrai parti communiste. Ce n’est que par ce travail que les communistes se distingueront de ces partis socialistes de pure propagande et d’enrôlement qui ont fait leur temps et dont l’activité ne consiste qu’en réunions de membres, en discours sur les réformes et en exploitation des impossibilités parlementaires.

    La participation consciente et dévouée de toute la masse des membres d’un parti à l’école des combats et des différends quotidiens entre les exploités et les exploiteurs sont les prémisses indispensables non seulement de la conquête, mais dans une mesure encore plus large de la réalisation de la dictature du prolétariat. Ce n’est qu’en se plaçant à la tête des masses ouvrières dans leurs guérillas constantes contre les attaques du capital que le parti communiste peut devenir capable de devenir cette avant-garde de la classe ouvrière, d’apprendre systématiquement à diriger de fait le prolétariat et d’acquérir les moyens de préparer consciemment l’expulsion de la bourgeoisie.

    24. Les communistes doivent être mobilisés en grand nombre pour prendre part au mouvement des ouvriers surtout pendant les grèves et les lock-out et les autres licenciements en masse.

    Les communistes commettent une faute très grave s’ils s’en rapportent au programme communiste et à la bataille révolutionnaire finale pour prendre une attitude passive et négligente ou même hostile à l’égard des combats quotidiens que les ouvriers livrent aujourd’hui pour des améliorations, même peu importantes, de leurs conditions de travail. Si menues et modestes que soient les revendications pour la satisfaction desquelles l’ouvrier est déjà prêt aujourd’hui à entrer en lutte contre les capitalistes, les communistes ne doivent jamais en prendre prétexte pour se tenir à l’écart du combat. Notre activité d’agitation ne doit pas donner lieu à croire que les communistes sont des instigateurs aveugles de grèves stupides et autres actions insensées, mais nous devons mériter partout parmi les ouvriers militants la renommée des meilleurs camarades de combat.

    25. La pratique du mouvement syndical a montré que les noyaux et fractions communistes sont assez souvent confus et ne savent que faire lorsqu’ils sont mis en présence des plus simples questions du jour. il est facile, quoique bien stérile de ne faire toujours que prêcher les principes généraux du communisme pour tomber dans la voie tout à fait négative d’un syndicalisme vulgaire dans les premières questions concrètes venues. Par de pareilles actions, on ne fait que faciliter le jeu des dirigeants de l’Internationale Jaune d’Amsterdam.

    Les communistes doivent, au contraire, déterminer leur attitude selon les données matérielles de chaque question qui se pose. Par exemple, au lieu de s’opposer par principe à tout contrat de tarif ouvrier, ils devraient avant tout mener directement la lutte pour des modifications matérielles du texte de ces contrats, recommandés par les chefs d’Amsterdam. Il est vrai qu’il faut condamner et combattre résolument toutes les entraves qui empêchent les ouvriers d’être prêts aux combats.

    Il ne faut pas oublier que c’est justement le but des capitalistes et de leurs complices d’Amsterdam de lier les mains aux ouvriers au moyen de chaque contrat de tarif. C’est pourquoi il est évident que le devoir du communiste est d’exposer ce but aux ouvriers. Mais en règle générale le meilleur moyen pour les communistes d’arriver à contrecarrer ce but est de proposer un tarif qui ne lie pas les ouvriers.

    Cette même attitude est, par exemple, très utile par rapport aux caisses d’assistance et aux institutions de secours des syndicats ouvriers. La collection de moyens de combat et la distribution de subventions en temps de grève par les caisses mutuelles ne sont pas des actions mauvaises en elles-mêmes et s’opposer en principe à ce genre d’activité serait mal placé. Seulement il faut dire que ces collectes d’argent et ce moyen de le dépenser, qui sont d’accord avec les recommandations des chefs d’Amsterdam, sont en contradiction avec les intérêts des classes révolutionnaires.

    Par rapport aux caisses syndicales d’hôpital, etc., il conviendrait que les communistes réclament la suppression des cotisations spéciales et également la suppression de toutes les conditions de contraintes dans les caisses volontaires. Mais si nous défendons aux membres d’apporter leur argent pour venir en aide aux organisations de secours aux malades, la partie de ces membres qui veut toujours continuer à assurer par leurs dons l’aide accordée à ces institutions ne nous comprendra pas si nous leur défendons sans autre explication. Il faut d’abord délivrer ces membres, par le moyen d’une propagande personnelle intensive, de leur tendance petite-bourgeoise.

    26. Il n’y a rien à espérer d’aucune espèce d’entretiens avec les chefs des syndicats, de même qu’avec ceux des différents partis ouvriers social-démocrates et petits-bourgeois. Contre ceux-là on doit organiser la lutte avec toute son énergie. Mais le seul moyen sûr et victorieux de les combattre consiste à détacher d’eux leurs adeptes et à montrer aux ouvriers l’aveugle service d’esclaves que leurs chefs social-traîtres rendent au capitalisme. On doit donc, autant que possible, mettre d’abord ces chefs dans une situation où ils seront obligés de se démasquer, et les attaquer, après ces préparatifs, de la façon la plus énergique.

    Il ne suffit nullement de jeter simplement à la face des chefs d’Amsterdam l’injure de « jaune ». Leur caractère de « jaunes » doit être montré en détail et par des exemples pratiques. Leur activité dans les unions d’ouvriers, au Bureau International du Travail de la Ligue des Nations, dans les ministères et les administrations bourgeoises, leurs paroles trompeuses dans les discours prononcés aux conférences et aux parlements, les passages essentiels de leurs nombreux articles pacificateurs dans des centaines de journaux et de revues, mais surtout, leur manière hésitante et oscillante de se conduire quand il s’agit de préparer et de mener à bien même les moindres mouvements de salaire et les combats d’ouvriers, tout cela offre chaque jour l’occasion d’exposer la conduite déloyale et de traîtrise des chefs d’Amsterdam et de les marquer du nom de « jaunes ». On peut le faire en soumettant des propositions, des motions et par des discours formulés tout à fait simplement.

    Il faut que les noyaux et fractions du parti réalisent systématiquement les tâches pratiques. Les communistes ne doivent pas se laisser arrêter par les explications de la couche inférieure de la bureaucratie syndicale, qui cherche à se défendre de sa faiblesse – qui apparaît parfois, malgré toute sa bonne volonté – en en rejetant le blâme sur les statuts, les décisions des conférences et les ordres reçus de leurs comités centraux. Les communistes doivent constamment réclamer de cette couche de la bureaucratie des réponses claires et lui demander ce qu’elle a fait pour écarter les obstacles qu’elle allègue et si elle est prête à combattre avec les ouvriers pour leur destruction.

    27. Les fractions et les groupes d’ouvriers doivent soigneusement se préparer d’avance à la participation des communistes aux assemblées et aux conférences des organisations syndicales. On doit, par exemple, élaborer ses propres propositions, choisir ses rapporteurs et les orateurs pour les défendre, proposer comme candidats des camarades capables, expérimentés et énergiques, etc.

    Les organisations communistes doivent également, au moyen de leurs groupes ouvriers, se préparer avec soin à toutes les assemblées générales, aux assemblées électorales, aux démonstrations, aux fêtes politiques ouvrières, etc., montées par les partis ennemis. Lorsqu’il s’agit d’assemblées ouvrières générales arrangées par les communistes mêmes, les groupes ouvriers communistes doivent, en aussi grand nombre que possible, tant avant qu’au cours des assemblées, agir d’après un plan unique, afin d’être sûrs de profiter amplement de ces assemblées au point de vue organisation.

    28. Les communistes doivent aussi toujours de mieux en mieux apprendre à attirer pour toujours dans la sphère d’influence du parti les ouvriers non-organisés et non-conscients. Nos noyaux et fractions doivent tout faire pour faire naître le mouvement parmi ces ouvriers, pour les faire entrer dans les syndicats et pour leur faire lire notre journal. On peut se servir également d’autres unions ouvrières en qualité d’intermédiaires pour propager notre influence (comme, par exemple, les sociétés d’instruction et les cercles d’études, les sociétés sportives, théâtrales, les unions de consommateurs, les organisations des victimes de la guerre, etc.).

    Là où le Parti Communiste est obligé de travailler illégalement, de telles unions ouvrières peuvent, avec l’approbation et sous le contrôle de l’organe du parti dirigeant, être formées en dehors du parti par l’initiative de ses membres (Unions de Sympathisants).

    Les organisations communistes de la Jeunesse et des Femmes peuvent, elles aussi, grâce à leurs cours, aux soirées de conférences, aux excursions, aux fêtes, aux pique-niques des dimanches, etc., éveiller d’abord dans beaucoup de prolétaires restés encore indifférents aux questions politiques, l’intérêt pour une vie d’organisation commune et ensuite les attirer pour toujours et leur faire prendre part de cette façon à un travail utile à notre parti (par exemple, la distribution des feuilles, proclamations et autres, la répartition des journaux du parti, des brochures, etc.). C’est par une participation active aux mouvements communs que ces ouvriers seront le plus facilement délivrés de leurs tendances petites-bourgeoises.

    29. Pour conquérir les couches semi-prolétariennes de la masse ouvrière et en faire des sympathisants au prolétariat révolutionnaire, les communistes doivent surtout utiliser la contradiction de leurs intérêts, socialement opposés aux grands propriétaires de biens fonciers, aux capitalistes et à l’Etat capitaliste. Ils doivent, au moyen d’entretiens continuels, débarrasser ces couches intermédiaires de leur défiance envers la révolution prolétarienne. Pour arriver à ce résultat, il faudra parfois mener sa propagande pendant un temps assez long. Il faut témoigner un intérêt sensible pour leurs exigences de vie, i1 faut arranger des bureaux de renseignements gratuits pour eux et leur venir en aide pour surmonter de petites difficultés dont ils ne peuvent se tirer eux-mêmes. Il faut les attirer dans des institutions spéciales qui serviront à les instruire gratuitement, etc. Toutes ces mesures pourront augmenter la confiance dans le mouvement communiste. Il faut en même temps être très prudent et agir infatigablement contre les organisations et les personnes hostiles qui ont de l’autorité en un endroit donné ou qui possèdent une influence sur les petits paysans travailleurs, sur les artisans à domicile et les autres éléments demi-prolétaires. Il faut caractériser les ennemis les plus proches, ceux que les exploités connaissent, comme leurs oppresseurs, par leur propre expérience ; il faut les caractériser comme les représentants personnifiant le crime du capitalisme tout entier. Les propagandistes et agitateurs communistes doivent utiliser à l’extrême et d’une façon compréhensible pour tous, tous les éléments et faits quotidiens qui mettent la bureaucratie d’Etat en conflit direct avec l’idéal de la démocratie petite-bourgeoise et de « l’Etat du droit ».

    Toutes les organisations locales à la campagne doivent partager exactement entre leurs membres les tâches de l’agitation à domicile qu’elles doivent développer dans la sphère de leur activité dans tous les villages, dans toutes les cours de châteaux et dans les fermes et maisons séparées.

    30. Pour la propagande dans l’armée et dans la flotte de l’Etat capitaliste, il faudra rechercher dans chaque pays les méthodes les mieux appropriées. L’agitation antimilitariste dans le sens pacifiste est tout à fait mauvaise, car elle ne peut qu’encourager la bourgeoisie dans son désir de désarmer le prolétariat. Le prolétariat repousse en principe et combat de la manière la plus énergique toutes les institutions militaristes de l’Etat bourgeois et de la classe bourgeoise en général.

    D’autre part le prolétariat profite de ces institutions (armée, sociétés de préparation militaire, milice pour la défense des habitants, etc.) pour exercer militairement les ouvriers en vue des luttes révolutionnaires. L’agitation intensive ne doit donc pas être dirigée contre la formation militaire de la jeunesse et des ouvriers, mais contre l’ordre militariste et contre l’arbitraire des officiers. Le prolétariat doit utiliser de la façon la plus énergique toute possibilité de se procurer des armes.

    L’antithèse de classes qui se manifeste dans les privilèges matériels des officiers et dans les mauvais traitements infligés aux soldats doit être rendue consciente pour ces derniers. En outre, dans l’agitation parmi les soldats, il faut nettement faire ressortir comment tout leur avenir est lié étroitement au sort de la classe exploitée. Dans la période avancée de la fermentation révolutionnaire, l’agitation en faveur de l’élection démocratique du commandement par les soldats et par les matelots, et en faveur de la formation de soviets de soldats peut être très efficace pour saper les bases de la domination de la classe capitaliste.

    Le maximum d’attention et d’énergie est constamment nécessaire dans l’agitation contre les troupes spéciales que la bourgeoisie arme pour la guerre de classes, et en particulier contre ses bandes de volontaires armés. La décomposition sociale doit être portée systématiquement et en temps voulu dans leurs rangs, là où la composition sociale et son milieu corrompu le permettent. Quand ces bandes où ces troupes portent un caractère de classe uniformément bourgeois, comme par exemple dans les troupes composées exclusivement d’officiers, il faut les démasquer devant l’ensemble de la population, les rendre méprisables et odieuses de façon à provoquer leur dissolution intérieure par suite de l’isolement qui en découlera.

    V. ORGANISATION DES LUTTES POLITIQUES

    31. Pour un Parti communiste, il n’y a pas de moment où l’organisation du Parti puisse rester politiquement inactive. L’utilisation organique de toute situation politique et économique et de toute modification de cette situation doit être élevée au degré d’une stratégie et d’une tactique organisées.

    Si le Parti est encore faible, il est cependant en mesure de profiter d’événements politiques ou de grandes grèves qui ébranlent toute la vie économique, pour mener une action de propagande radicale systématiquement et méthodiquement organisée. Une fois qu’un Parti a pris sa décision dans une situation de ce genre, il doit mettre en mouvement pour cette campagne, avec la dernière énergie, tous ses membres et toutes les branches de son mouvement.

    En premier lieu, il faudra utiliser toutes les liaisons que le Parti s’est créées par le travail de ses noyaux et de ses groupes de propagande pour organiser des réunions dans les principaux centres politiques ou grévistes, réunions dans lesquelles les orateurs du Parti devront montrer aux assistants que les principes communistes sont le moyen de sortir des difficultés de la lutte. Des groupes de travail spéciaux devront préparer jusque dans leurs moindres détails toutes ces réunions. S’il ne leur est pas possible d’organiser eux-mêmes des réunions, des camarades expérimentés devront se présenter comme principaux orateurs dans les réunions générales des grévistes, ou de prolétaires en général, menant un combat sous quelque forme que ce soit.

    S’il y a espoir de gagner la majorité – ou tout au moins une grande partie des participants à la réunion – à nos principes, ceux-ci devront être formulés dans des propositions et résolutions bien rédigées et adroitement motivées. Une fois de semblables propositions ou résolutions composées, il faudra s’appliquer à ce que, sous une forme identique ou analogue, ces propositions soient admises par tout au moins de fortes minorités dans toutes les réunions tenues sur le même sujet dans la localité en question ou dans d’autres. Ainsi nous obtiendrons la concentration des couches prolétariennes en mouvement qui pour le moment subissent seulement notre influence morale, et nous leur ferons admettre la nouvelle direction.

    Après toutes ces réunions, les groupes de travail ayant participé à leur préparation et à leur utilisation devront se rencontrer non seulement pour faire un rapport au Comité Directeur du Parti, mais aussi pour tirer des expériences faites ou des fautes éventuellement commises les enseignements nécessaires à l’activité ultérieure.

    Selon les situations, les mots d’ordre pratiques devront être portés à la connaissance des masses ouvrières intéressées, au moyen d’affiches et de petites feuilles volantes, ou encore au moyen de tracts détaillés remis directement aux combattants et sous lesquels le communisme est éclairé par des devises d’actualité adaptées à la situation. Pour répandre adroitement les tracts, des groupes spécialement organisés sont nécessaires ; ces groupes auront à trouver les endroits où les affiches devront être collées et à choisir le moment opportun pour cette opération.

    La distribution des feuilles volantes dans et devant les lieux de travail, dans les établissements publics, dans les maisons communes des ouvriers participant au mouvement, aux carrefours, dans les bureaux de placement et dans les gares, devra être accompagnée autant que possible d’une discussion en termes frappants, susceptible d’être transportée dans les masses ouvrières en mouvement. Les tracts détaillés devront être répandus autant que possible seulement dans les lieux couverts, dans les ateliers, dans les habitations et d’une façon générale partout où on peut attendre une attention soutenue.

    Cette propagande intense doit être appuyée par une action parallèle dans toutes les assemblées de syndicats ou d’entreprises entraînés dans le mouvement, soit qu’ils aient organisé eux-mêmes ces assemblées, qu’ils devront alors munir de rapporteurs ou d’orateurs appropriés. Les journaux du Parti doivent constamment mettre à la disposition de ce mouvement la majeure portion de leurs colonnes et leurs meilleurs arguments ; l’ensemble de l’appareil du parti devra d’ailleurs pendant tout le temps que durera le mouvement être entièrement et sans relâche au service de l’idée générale qui l’anime.

    32. Les manifestations et les actions démonstratives exigent une direction très dévouée et très mobile, qui aie constamment en vue le but de ces actions et soit à tout moment en mesure de se rendre compte si la manifestation a obtenu son plus grand effet ou si, dans la situation donnée, il est possible de l’intensifier encore en l’élargissant pour en faire une action de masses sous la forme tout d’abord de grèves démonstratives et ensuite de grèves de masses. Les manifestations pacifistes pendant la guerre nous ont enseigné que, même après l’écrasement de ces sortes de manifestations, un vrai Parti prolétarien de lutte, même illégal, ne doit ni hésiter, ni s’arrêter quand il s’agit d’un grand but actuel important, éveillant nécessairement dans les masses un intérêt toujours croissant.

    Les manifestations dans la rue trouvent leur meilleur appui dans les grandes entreprises. Lorsqu’on en est arrivé à créer un certain état d’esprit commun, au moyen du travail préparatoire méthodique de nos noyaux et de nos fractions, à la suite d une propagande orale ou par tracts, les hommes de confiance de notre parti dans les entreprises, les chefs des noyaux et des fractions, devront être convoqués par le Comité Directeur à une conférence où seront discutés pour le jour suivant l’opération convenable, le moment exact de la rencontre, le caractère des mots d’ordre, les perspectives de l’action, son intensification et le moment de sa cessation et de sa dissolution.

    Un groupe de fonctionnaires munis de bonnes instructions et experts dans les questions d’organisation devra constituer l’axe de la manifestation depuis le départ du lieu du travail jusqu’à la dislocation du mouvement de masses. Afin que ces fonctionnaires maintiennent le contact vivant entre eux et puissent recevoir constamment les directions politiques nécessaires à chaque moment, des travailleurs responsables du Parti doivent participer méthodiquement, parmi les masses, à la manifestation. Cette direction mouvante politique et organisée de la manifestation constitue la condition la plus favorable au renouvellement et éventuellement à l’intensification de l’action et à sa transformation en grandes actions de masses.

    33. Les partis communistes qui jouissent déjà d’une certaine solidité intérieure, qui disposent d’un groupe de fonctionnaires éprouvés et d’un nombre de partisans considérable dans les masses, doivent tout faire pour détruire au moyen de grandes campagnes l’influence des chefs socialistes-traîtres et pour amener la majorité des ouvriers sous la direction communiste. Les campagnes doivent être organisées différemment selon que les luttes actuelles permettent au Parti communiste d’agir comme guide du prolétariat et de se mettre à la tête du mouvement ou que règne une stagnation momentanée. La composition du Parti sera aussi un élément déterminant pour les méthodes d’organisation des actions.

    C’est ainsi que pour gagner, plus que cela n’était possible dans les différentes circonscriptions, les couches socialement décisives du prolétariat, le Parti Communiste Unifié d’Allemagne comme jeune Parti de masses recourut au moyen dit de la « lettre ouverte ».

    Afin de démasquer les chefs socialistes-traîtres, le Parti Communiste s’adressa, à un moment où la misère et les antagonismes de classe s’aggravaient, aux autres organisations du prolétariat pour exiger d’elles une réponse nette devant le prolétariat à la question de savoir si elles étaient disposées, avec leurs organisations apparemment si puissantes, à entreprendre la lutte commune, d’accord avec le Parti Communiste, pour les revendications minima, pour un misérable morceau de pain et contre la misère évidente du prolétariat.

    Lorsque le Parti Communiste commence une campagne semblable il doit prendre toutes mesures pour provoquer un écho à son action dans les plus larges masses ouvrières. Toutes les fractions professionnelles et tous les fonctionnaires syndicaux du Parti doivent dans toutes les réunions des ouvriers par entreprises ou par syndicats, et dans toutes les réunions publiques en général, mettre en discussion les revendications vitales du prolétariat.

    Partout où nos fractions et nos noyaux veulent préparer à nos revendications l’approbation des masses des feuilles volantes, des tracts et des affiches devront être répandus avec adresse afin d’émouvoir l’opinion. La presse de notre Parti, pendant les semaines que dure cette campagne, doit éclairer le mouvement tantôt brièvement, tantôt avec plus de détails, mais sous des aspects toujours nouveaux.

    Les organisations devront pourvoir la presse d’informations courantes relatives au mouvement et veiller énergiquement à ce que les rédacteurs ne se relâchent jamais dans cette campagne du parti. Les fractions du parti au Parlement et dans les institutions municipales devront aussi se mettre systématiquement au service de ces luttes.

    Elles devront provoquer la discussion par des propositions correspondantes dans les assemblées délibérantes, suivant les directives du Parti. Les députés devront agir et se sentir comme des membres conscients des masses combattantes, comme leurs porte-parole dans le camp de leurs ennemis de classe, comme des fonctionnaires responsables et comme des travailleurs du parti.

    Lorsque l’action concentrée, organisée et cohérente de tous les membres du parti aura provoqué un nombre d’ordres du jour d’approbation toujours plus grands et augmentant sans cesse dans le cours de quelques semaines, le Parti se trouvera placé devant cette grave question : organiser et concentrer organiquement les masses adhérant à nos mots d’ordre.

    Si le mouvement a pris surtout un caractère syndical, il faut avant tout s’appliquer à augmenter notre influence dans les syndicats, en prescrivant à nos fractions communistes de s’attaquer, après bonne préparation, directement à la direction syndicale locale pour ou bien la renverser ou bien la contraindre à mener la lutte organisée sur la base des mots d’ordre de notre Parti.

    Là où il y a des comités d’usines, des conseils d’industrie ou autres institutions analogues, il faut que nos fractions agissent en sorte que ces institutions participent à cette lutte. Une fois qu’un certain nombre d’organisations locales ont été acquises à cette lutte, sous la direction communiste pour les intérêts vitaux les plus élémentaires du prolétariat, les réunions générales d’entreprises qui se sont décidées dans le même sens y enverront leurs délégués. La nouvelle direction ainsi consolidée sous l’influence communiste gagne, par cette concentration des groupes actifs du prolétariat organisé, une nouvelle force d’attaque qui doit être utilisée, à son tour, pour pousser en avant la direction des Partis socialistes et des syndicats, ou tout au moins pour les anéantir désormais aussi organiquement.

    Dans les régions économiques où notre Parti dispose de ses meilleures organisations et où il a trouvé les plus nombreuses approbations pour ses mots d’ordre, il faut, par une pression organisée sur les syndicats et les soviets d’entreprises locaux, concentrer toutes les luttes économiques isolées éclatant dans cette région et aussi les mouvement développés par d’autres groupes et les transformer en une vaste lutte unique dépassant désormais le cadre des intérêts professionnels particuliers, et poursuivant quelques revendications élémentaires communes, afin de réaliser ces revendications à l’aide des forces réunies de toutes les organisations de la région.

    Dans un pareil mouvement, le Parti Communiste sera le vrai guide du prolétariat prêt à la lutte, tandis que la bureaucratie syndicale et les Partis socialistes qui s’opposeraient à un mouvement organisé avec un tel accord seraient brisés non seulement par la perte de toute autorité politique et morale, mais aussi par la destruction effective de leur organisation.

    34. Si le Parti Communiste est obligé d’essayer de prendre en main la direction des masses à un moment où les antagonismes politiques et économiques sont surexcités et provoquent de nouveaux mouvements et de nouvelles luttes, on peut renoncer à établir des revendications particulières et adresser des appels simples et concis directement aux membres des partis socialistes et des syndicats, les invitant à ne point éviter les luttes nécessaires contre les entrepreneurs, même en dépit des conseils de leurs chefs bureaucrates, étant donné la grande misère et l’oppression croissante, afin de n’être pas poussés à la perte et à la ruine complète.

    Les organes du Parti et surtout les quotidiens doivent chaque jour démontrer et souligner pendant ce mouvement que les communistes sont prêts à participer en chefs aux luttes actuelles ou proches des prolétaires réduits à la misère, et qu’ils accourront au secours de tous les opprimés dès que cela sera possible dans la situation tendue actuelle. Il faudra prouver quotidiennement que le prolétariat ne saurait plus continuer à subsister sans ces luttes et que néanmoins les anciennes organisations cherchent à les éviter et à les empêcher.

    Les fractions syndicales et professionnelles doivent sans cesse faire appel dans les réunions à l’esprit de combat de leurs camarades communistes en leur faisant comprendre clairement qu’on ne saurait plus hésiter.

    Mais l’essentiel pendant une campagne de ce genre est la concentration et l’unification organique des luttes et des mouvements provoqués par la situation. Non seulement les noyaux et les fractions communistes des entreprises et des syndicats entraînés dans la lutte doivent constamment garder entre eux le contact le plus étroit, mais encore les directions doivent mettre immédiatement à la disposition des mouvements qui se produisent des fonctionnaires et des militants actifs du Parti chargés, d’accord avec les combattants, de généraliser, d’élargir et d’intensifier, en même temps que les diriger, tous ces mouvements.

    La tâche principale de l’organisation consiste à faire ressortir partout ce qu’il y a de commun entre tout et ces différentes luttes pour pouvoir ainsi arriver en cas de besoin à une lutte générale par des moyens politiques.

    Pendant la généralisation et l’intensification des luttes, il sera nécessaire de créer des organes uniques de direction. Au cas où dans certains syndicats, le comité de grève bureaucratique viendrait à manquer à sa tâche, il faudra que les communistes obtiennent à temps, en exerçant la pression nécessaire, le remplacement de ces bureaucrates par des communistes qui assureront la direction ferme et décidée de cette lutte. Dès qu’on aura réussi à combiner plusieurs combats, il faudra instituer une direction commune pour l’ensemble de l’action, et là les communistes devront autant que possible dominer.

    Cette unité de direction peut facilement être obtenue Si une préparation appropriée est faite par la fraction communiste dans les syndicats ou dans les entreprises, par les soviets d’usines, par les assemblées plénières de ces soviets, mais plus particulièrement par les assemblées générales des grévistes.

    Si le mouvement, par suite de sa généralisation et de l’entrée en action des organisations patronales et des autorités publiques, prend un caractère politique, il faut aussitôt commencer la propagande et la préparation administrative en vue de l’élection vraisemblablement possible et nécessaire de soviets ouvriers ; au cours de ce travail, tous les organes du Parti doivent faire ressortir avec la plus grande intensité l’idée que ce n’est que par des organes semblables de la classe ouvrière, sortis directement des luttes ouvrières, que le véritable affranchissement du prolétariat peut être obtenu, avec le mépris qui convient pour la bureaucratie syndicale et ses aides du Parti socialiste.

    35. Les partis communistes déjà suffisamment forts, et en particulier les grands partis de masses, doivent par des mesures prises à l’avance être toujours prêts à de grandes actions politiques. Au cours des actions démonstratives et des mouvements économiques aussi bien qu’au cours des actions partielles, il faut toujours penser à utiliser de la manière la plus énergique les expériences d’organisation fournies par ces mouvements en vue d’un contact de plus en plus ferme avec les grandes masses.

    Les leçons de tous les nouveaux grands mouvements doivent être discutées et étudiées avec soin dans des conférences élargies de fonctionnaires dirigeants et de militants responsables du parti avec les délégués d’usines grandes et moyennes, afin d’établir des relations de plus en plus étroites et de plus en plus sûres par l’intermédiaire des délégués d’usines. Le meilleur gage que des actions politiques de masses ne seront pas entreprises prématurément et ne le seront que dans la mesure permise par les circonstances et par l’influence actuelle du Parti, consiste dans des rapports de confiance entre fonctionnaires et militants responsables du parti et les délégués d’usines.

    Sans ce contact le plus étroit possible entre le Parti et les masses prolétariennes travaillant dans les grandes et moyennes entreprises, le Parti Communiste ne saurait réaliser de grandes actions de masses et des mouvements véritablement révolutionnaires.

    Si en Italie le soulèvement incontestablement révolutionnaire de l’année passée, qui trouva sa plus forte expression dans l’occupation des usines, échoua avant terme c’est certainement pour une part, à cause de la trahison de la bureaucratie syndicale et de l’insuffisance de la direction politique du Parti, mais c’est aussi parce qu’il n’y avait pas entre le Parti et les usines une liaison intimement organisée au moyen de délégués d’usines politiquement informés, et s’intéressant à la vie du Parti. Le mouvement des mineurs anglais cette année a lui aussi sans nul doute extraordinairement souffert de ce défaut qui lui a enlevé sa valeur politique.

    VI. LA PRESSE DU PARTI

    36. La presse communiste doit être développée et améliorée par le Parti avec une infatigable énergie.

    Aucun journal ne doit être reconnu comme organe communiste s’il ne se soumet pas aux directives du Parti. Ce principe doit être appliqué aussi pour les productions littéraires telles que livres, brochures, écrits périodiques, etc., en prenant en considération leur caractère scientifique, de propagande ou autre.

    Le Parti doit s’efforcer bien plus d’avoir de bons journaux que d’en avoir beaucoup. Tout parti communiste doit avant tout avoir un organe central autant que possible quotidien.

    37. Un journal communiste ne doit jamais devenir une entreprise capitaliste comme le sont les journaux bourgeois et souvent aussi les journaux soi-disant « socialistes ». Notre journal doit être indépendant des institutions de crédit capitalistes. L’organisation adroite de la publicité par annonces, qui peut améliorer considérablement les moyens d’existence de notre journal, ne doit cependant jamais le faire tomber dans la dépendance de quelque grandes entreprises de publicité.

    Bien plutôt une attitude inflexible dans toutes les questions sociales prolétariennes procurera aux journaux de nos Partis de masses une force et une considération absolues. Notre journal ne doit pas servir à satisfaire le goût du sensationnel ni l’amusement d’un public varié. Il ne doit pas concéder à la critique des littérateurs petits-bourgeois ou des virtuoses du journalisme pour se créer une clientèle de salon.

    38. Un journal communiste doit avant tout défendre les intérêts des ouvriers opprimés combattants. Il doit être notre meilleur propagandiste et agitateur, le propagandiste dirigeant de la révolution prolétarienne.

    Notre journal a pour tâche de réunir les expériences acquises au cours de l’activité de tous les membres du Parti et d’en faire comme un guide politique pour la révision et l’amélioration des méthodes d’action communiste. Ces expériences doivent être échangées dans des réunions de rédacteurs de tout le pays, réunions cherchant à créer la plus grande unité de ton et de tendance dans l’ensemble de la presse du Parti. Ainsi cette presse, de même que chaque journal en particulier sera le meilleur organisateur de notre travail révolutionnaire.

    Sans ce travail conscient d’organisation et de coordination des journaux communistes et en particulier de l’organe central la mise en pratique de la centralisation démocratique, et d’une sage division du travail à l’intérieur du Parti Communiste, et par conséquent aussi l’accomplissement de la mission historique est impossible.

    39. Le journal communiste doit tendre à devenir une entreprise communiste, c’est-à-dire une organisation prolétarienne de combat, une association d’ouvriers révolutionnaires, de tous ceux qui écrivent régulièrement pour le journal, qui le composent, l’impriment, l’administrent, le distribuent qui réunissent le matériel d’information, qui le discutent et l’élaborent dans les noyaux, enfin qui agissent quotidiennement pour le répandre, etc.

    Pour faire véritablement du journal une organisation de combat, une puissante et vivante association de travailleurs communistes, une série de mesures pratiques s’imposent.

    Tout communiste se lie étroitement à son journal en travaillant et en se sacrifiant pour lui. Il est son arme quotidienne qui, pour servir, doit être rendue chaque jour plus forte et plus tranchante. Ce n’est que grâce aux plus grands sacrifices financiers et matériels que le journal communiste pourra se maintenir. Les membres du parti doivent constamment fournir les moyens nécessaires pour son organisation et pour son amélioration jusqu’à ce qu’il soit assez répandu dans les grands partis légaux et assez solide sous le rapport de l’organisation pour le mouvement communiste.

    Il ne suffit pas d’être un agitateur et un recruteur zélé pour le journal, il faut encore en devenir un collaborateur utile. Il faut l’informer au plus vite de tout ce qui mérite d’être remarqué, du point de vue social et économique, dans la fraction syndicale et dans le noyau, depuis l’accident du travail jusqu’à la réunion professionnelle, depuis les mauvais traitements des jeunes apprentis jusqu’au rapport commercial de l’entreprise.

    Les fractions syndicales doivent le renseigner sur toutes les réunions, et sur les décisions et les mesures les plus importantes prises par ces réunions, pur les secrétariats des Unions, ainsi que sur l’activité de nos adversaires. La vie publique des réunions et de la rue offre très souvent aux militants attentifs du parti l’occasion d’observer avec un sens critique des détails dont l’utilisation dans les journaux rendra claire aux plus indifférents notre attitude par rapport aux exigences de la vie.

    La commission de rédaction doit traiter avec le plus grand amour et le plus grand zèle ces informations sur la vie des ouvriers et des organisations ouvrières et les utiliser ou bien comme brèves communications donnant à notre journal le caractère d’une véritable communauté de travail vivante et puissante ou bien pour, à la lumière de ces exemples pratiques de la vie quotidienne des ouvriers, rendre compréhensibles les enseignements du communisme, ce qui constitue la voie la plus rapide pour arriver à rendre vivante et intime l’idée du communisme aux grandes masses ouvrières.

    Dans la mesure du possible, la commission de rédaction doit être aux heures de réception, c’est-à-dire aux heures les plus favorables de la journée, à la disposition des ouvriers visitant notre journal pour accueillir leurs désirs et leurs plaintes relativement aux misères de leur existence, pour les noter avec soin et s’en servir pour donner de la vie au journal. Certes, dans la société capitaliste, aucun de nos journaux ne peut devenir une véritable association de travail communiste. On peut cependant, même dans les conditions les plus difficiles, organiser un journal révolutionnaire ouvrier en partant de ce point de vue.

    Ceci est prouvé par l’exemple de la « Pravda » de nos camarades russes pendant les années 1912-1913. Ce journal constitua vraiment une organisation permanente active des ouvriers révolutionnaires conscients dans les centres les plus importants de l’Empire russe. Ces camarades rédigeaient, éditaient et répandaient à la fois et ensemble le journal ; la plupart d’entre eux économisant l’argent nécessaire pour les frais par leur travail et par le salaire de leur travail.

    Le journal de son côté put leur donner ce qu’ils désiraient, ce dont ils avaient besoin à ce moment là dans le mouvement et ce qui leur sert aujourd’hui encore dans le travail et dans la lutte, Un tel journal put en effet devenir pour les membres du Parti, ainsi que pour tous les ouvriers révolutionnaires, ce qu’ils appelaient « notre journal ».

    40. L’élément essentiel de l’activité de la presse de combat communiste c’est la participation directe aux campagnes menées par le Parti. Si à un certain moment l’activité du Parti est concentrée dans une campagne déterminée, le journal du Parti doit mettre au service de cette campagne toutes ses colonnes, toutes ses rubriques et non seulement les articles de fond politiques. La rédaction doit trouver dans tous les domaines du matériel pour entretenir cette campagne et pour en alimenter, sous la forme la plus convenable, tout le journal.

    41. Le recrutement pour notre journal doit être poursuivi suivant un système établi. Tout d’abord il faut utiliser toutes les situations dans lesquelles les ouvriers sont plus vivement entraînés dans le mouvement et dans lesquelles la vie politique et sociale est plus agitée par suite de quelque événement politique et économique.

    Ainsi après chaque grève ou lock-out, pendant lesquels le journal a défendu franchement et énergiquement les intérêts des ouvriers combattants, on doit organiser immédiatement après la fin de la grève, un travail de recrutement d’homme à homme auprès de ceux qui avaient fait la grève. Non seulement les fractions communistes des syndicats et des professions entraînés dans le mouvement gréviste doivent mener la propagande du journal dans leur milieu au moyen de listes et de feuilles d’abonnement, mais encore, dans la mesure du possible, on doit se procurer les listes des ouvriers ayant fait la grève ainsi que leurs adresses afin que les groupes spéciaux chargés des intérêts du journal puissent mener une agitation énergique à domicile.

    De même après toute campagne politique électorale par laquelle l’intérêt des masses ouvrières a été éveillé, une agitation systématique à domicile doit être menée de maison en maison par les groupe de travailleurs chargés spécialement de cette besogne dans les différents quartiers ouvriers.

    Pendant les époques de crises politiques ou économiques latentes dont les effets se font sentir aux masses ouvrières sous la forme du renchérissement de la vie, du chômage et d’autres misères, on doit tout essayer pour, après une propagande habile contre ces misères, obtenir, si possible, par l’intermédiaire des fractions syndicales, de grandes liste d’ouvriers organisés dans les syndicats afin que le groupe spécial chargé des intérêts du journal puisse continuer systématiquement l’agitation à domicile. La dernière semaine du mois est la plus convenable pour ce travail permanent de recrutement.

    Toute organisation locale qui laisse passer cette dernière semaine du mois, ne serait-ce qu’une fois par an, sans poursuivre sa propagande en faveur de la presse commet un retard coupable dans l’extension du mouvement communiste. Le groupe spécial chargé des intérêts du journal ne doit laisser passer aucune réunion publique d’ouvriers, aucune grande manifestation sans, dès Je début, et aussi pendant les intervalles et à la fin, agir de la manière la plus active pour obtenir des abonnements à notre journal. Les fractions syndicales doivent accomplir cette même tâche dans toutes les réunions de leurs syndicats, de même que les noyaux et les fractions syndicales, dans les réunions professionnelles.

    42. Notre journal doit être constamment défendu par les membres du Parti contre tous ses ennemis.

    Tous les membres doivent mener une lutte impitoyable contre la presse capitaliste, révéler à tous et flétrir énergiquement sa vénalité, ses mensonges, ses viles réticences et toutes ses intrigues.

    La presse social-démocrate et socialiste indépendante doit être vaincue en démasquant son attitude traître par des exemples de la vie quotidienne, au moyen d’attaques continuelles mais sans se perdre dans de petites polémiques de fraction. Les fractions syndicales et autres doivent s’appliquer par des mesures d’organisation à soustraire à l’influence troublante et paralysante des journaux social-démocrates les membres des syndicats et des autres associations ouvrières. Le travail de recrutement d’abonnés pour notre journal, de même que l’agitation à domicile ou dans les entreprises, doit également être dirigé avec habileté contre la presse des socialistes traîtres.

    VII. LA STRUCTURE D’ENSEMBLE DU PARTI

    43. Pour l’extension et la consolidation du Parti, on ne devra pas établir des divisons d’après un schéma formel, géographique. Il faudra surtout tenir compte de la structure réelle, économique et politique, des régions en question et des moyens techniques de communication. La base de ce travail doit être surtout dans les capitales et dans les centres prolétariens de la grande industrie.

    Au moment de l’organisation d’un nouveau Parti, on constate souvent dès le début des efforts tendant à étendre le réseau des organisations du Parti sur tout le pays. Malgré les forces très limitées à la disposition des organisateurs, on s’applique souvent à les disperser néanmoins aux quatre vents. La force d’attraction et la croissance du Parti sont ainsi affaiblies. Au bout de quelques années, on arrive, il est vrai, à avoir tout un système de bureaux très vastes, mais les plus souvent le Parti n’a réussi a se fixer fermement dans aucune des villes industrielles les plus importantes du pays.

    44. Pour donner au parti une centralisation aussi grande que possible, il ne faut point décomposer sa direction en toute une hiérarchie comportant de nombreux degrés complètement subordonnés les uns aux autres. Il faut s’appliquer à construire dans tout centre économique, politique ou de communications un réseau s’étendant sur la large banlieue de cette ville et sur la région économique ou politique en dépendant. Le Comité du Parti qui de cette ville, comme de la tête de ce corps, dirige le travail du parti dans la région et qui exerce sa direction politique doit se tenir dans le plus étroit contact avec les masses communistes du chef-lieu.

    Les organisateurs nommés par les conférences des régions ou par le congrès régional du Parti et confirmés par la direction centrale doivent participer régulièrement à la vie du Parti au chef-lieu de la région. Le Comité régional du Parti doit constamment être renforcé par des travailleurs choisis parmi les membres du chef-lieu, de sorte que s’établisse un contact vivant et étroit entre le comité politique du Parti dirigeant la région et les masses communistes de son chef-lieu.

    Lorsqu’on est arrivé à un certain stade d’organisation, il faut que le Comité de la région soit en même temps la direction politique du chef-lieu de cette région. De la sorte, les comités dirigeants du Parti dans les organisations régionales, de concert avec le Comité Central, auront le rôle d’organes vraiment dirigeants dans les organisations du Parti. L’étendue d’une circonscription politique du Parti ne doit naturellement pas être déterminée par l’étendue matérielle de la région. Ce qu’il faut considérer avant tout, c’est la possibilité pour les Comités régionaux du Parti de diriger concentriquement toutes les organisations locales de la région. Quand cela n’est pas possible, il faut partager la région et fonder un nouveau Comité régional du Parti.

    Naturellement, dans les grands pays, le Parti a besoin de certains organes de liaison aussi bien entre la direction centrale et les différentes directions régionales (direction provinciale, direction départementale, etc.) qu’entre la direction régionale et les différentes organisations locales (direction d’arrondissement et de canton). Dans certaines circonstances, il peut même être utile de donner à l’un ou à l’autre de ces organes intermédiaires un rôle dirigeant, par exemple dans une grande ville comptant un nombre assez considérable de membres. D’une façon générale cette sorte de décentralisation doit être évitée.

    45. Les grandes unités du Parti (circonscriptions) sont constituées par les organisations locales du Parti : par les « groupes locaux » de campagnes et des petites villes et par les « districts » ou « rayons » des différents quartiers des grandes villes.

    Une organisation locale du Parti qui, dans des conditions légales, n’est plus en mesure de tenir des réunions générales de ses membres, doit être dissoute ou divisée.

    Dans les organisations locales du Parti, les membres doivent être répartis en vue du travail quotidien du Parti dans les différents groupes de travail. Dans les organisations plus grandes, il peut être utile de réunir ces groupes de travail en différents groupes collectifs. Dans un même groupe collectif, il faut, en règle générale, inclure tous les membres qui, à leur poste de travail ou d’une façon générale dans leur existence quotidienne, se rencontrent et viennent le plus souvent en contact entre eux. Le groupe collectif a pour tâche de distribuer le travail général du Parti parmi les différents groupes de travail, de recevoir les rapports des préposés, de former des candidats pour le Parti dans leur milieu, etc.

    46. Le Parti dans son ensemble, est sous la direction de l’Internationale Communiste. Les directives et résolutions de la direction internationale dans les questions intéressant les partis adhérents sont adressées :
    1°: ou bien à la direction centrale générale du Parti, ou
    2°: par l’intermédiaire de la direction centrale, ou comité dirigeant telle ou telle action spéciale ou, enfin
    3°: à toutes les organisations du Parti.

    Les directives et les décisions de l’Internationale sont obligatoires pour le Parti et aussi, cela va sans dire pour chacun des ses membres.

    47. Le Comité Central du Parti (conseil central ou commission) est responsable devant le congrès du Parti et devant la direction de l’Internationale Communiste. Le Petit Comité central, ainsi que le Comité complet ou élargi, le conseil ou la commission sont élus, en règle générale, par le congrès du Parti.

    Si le congrès du Parti le juge nécessaire, il peut charger la direction centrale d’élire dans son sein une direction étroite composée du Bureau politique et du Bureau d’organisation. La politique et les affaires courantes du Parti sont dirigées, sous la responsabilité de la direction étroite, par ces deux Bureaux. La direction étroite convoque régulièrement des réunions générales du Comité directeur pour prendre des décisions de grande importance et de haute portée.

    Afin de prendre connaissance de la situation politique générale avec tout le sérieux nécessaire et de connaître exactement la capacité d’action du Parti, d’en avoir une image exacte et claire, il est indispensable, aux élections à la direction centrale du Parti, de prendre en considération les propositions apportées par les différentes régions du pays. Pour la même raison, les opinions tactiques divergentes de caractère sérieux ne doivent pas être opprimées aux élections à la direction centrale.

    Au contraire, il faut faire en sorte que ces opinions divergentes soient représentées au Comité Directeur par leurs meilleurs défenseurs. La direction étroite doit cependant être cohérente dans ces conceptions et pour être ferme et assurée, elle ne doit pas se baser seulement sur son autorité propre, mais aussi sur une majorité solide évidente et nombreuse dans l’ensemble du Comité directeur.

    Grâce à une constitution aussi large de sa direction centrale, le grand Parti légal aura bientôt assis son Comité Central sur la meilleure des bases : une discipline ferme et la confiance absolue des membres ; en outre, il pourra ainsi combattre et guérir les maladies et les faiblesses qui peuvent apparaître parmi les fonctionnaires ; il pourra éviter également l’accumulation de ces sortes d’infections dans le Parti et la nécessité d’une opération, peut-être catastrophique, qui s’imposerait ensuite au congrès.

    48. Chaque Comité du Parti doit établir dans son sein une division du travail efficace afin de pouvoir mener effectivement le travail politique dans les différents domaines. Sous ce rapport, il peut apparaître nécessaire d’instituer, pour certains domaines, des directions spéciales (par exemple, pour la propagande, pour le service du journal, pour la lutte syndicale, pour l’agitation dans les campagnes, pour l’agitation parmi les femmes, pour la liaison, pour l’assistance révolutionnaire etc.). Les différentes directions spéciales sont soumises, ou bien à la direction centrale, ou au Comité régional du Parti. Le contrôle de l’activité, ainsi que le contrôle de la bonne composition de tous les comités subordonnés, appartient au comité régional du Parti et en dernier lieu à la direction centrale.

    Les membres employés au travail politique du Parti ainsi que les parlementaires sont directement soumis au Comité Directeur. Il peut apparaître utile de changer de temps à autre les occupations et le travail des camarades fonctionnaires du Parti (par exemple des rédacteurs, des propagandistes, des organisateurs, etc.) sans trop gêner le fonctionnement. Les rédacteurs et les propagandistes doivent participer pendant une période prolongée à l’action politique régulière du Parti dans un des groupes spéciaux de travail.

    49. La direction centrale du Parti ainsi que celle de l’Internationale Communiste sont en droit d’exiger à tout moment des informations complètes de toutes les organisations communistes, de leurs comités et de leurs différents membres. Les représentants et les délégués de la direction centrale doivent être admis à toutes les réunions et à toutes les séances avec voix consultative et avec droit de veto.

    La direction centrale du Parti doit constamment avoir à sa disposition des délégués (commissaires), afin de pouvoir instruire et informer les différentes directions régionales ou départementales non seulement par circulaires sur la politique et sur l’organisation, ou par correspondances, mais aussi oralement, directement. Une commission de révision, composée de camarades éprouvés et instruits, doit fonctionner auprès de la direction centrale et aussi auprès de chaque direction régionale : cette commission doit exercer le contrôle sur les caisses et la comptabilité, et faire des rapports réguliers au grand comité (conseils ou commissions.)

    Toute organisation ou tout organe du Parti, ainsi que tout membre, a le droit de communiquer à tout moment et directement à la direction centrale du Parti ou à l’Internationale ses désirs, initiatives, observations ou plaintes.

    50. Les directives et les décisions des organes dirigeants du Parti sont obligatoires pour les organisations subordonnées et pour les différents membres.

    La responsabilité des organes dirigeants et leur devoir de se protéger contre les retards et les abus de la part des organisations dirigeantes ne peuvent être déterminés que formellement et en partie. Plus leur responsabilité formelle est petite, par exemple, dans les partis illégaux, et plus ils doivent chercher à connaître l’opinion du reste des membres du Parti, à se procurer des informations solides et régulières et à ne prendre de décisions propres qu’après mûre et sérieuse réflexion.

    51. Les membres du Parti doivent dans leur action publique agir toujours en membres disciplinés d’une organisation combattante. Lorsque des divergences d’opinion se produisent sur la manière la plus correcte d’agir, on doit décider sur ces divergences autant que possible avant l’action, au sein des organisations du Parti et n’agir qu’après avoir pris cette décision. Afin que toute décision du Parti soit appliquée avec énergie par toutes les organisations et par tous les membres, il faut appeler autant que possible les masses du Parti à la discussion et à la décision des différentes questions. Les organisations et les instances du Parti ont le devoir de décider si, sous quelle forme et dans quelle mesure, telle ou telle question peut être discutée par les différents camarades devant l’opinion publique du parti (dans la presse, dans des brochures).

    Mais, même si cette décision de l’organisation ou de la direction du Parti est erronée selon l’avis de certains membres, ceux-ci ne doivent jamais oublier dans leur action publique que la pire infraction disciplinaire et la faute la plus grave qu’on puisse commettre pendant la lutte, c’est de rompre l’unité de front commun ou même de l’affaiblir.

    C’est le devoir suprême de tout membre du Parti de défendre contre tous l’Internationale Communiste. Celui qui oublie cela et qui, au contraire, attaque publiquement le Parti ou l’Internationale Communiste doit être traité comme un adversaire du Parti.

    Les décisions de l’Internationale Communiste doivent être appliquées sans délai par les Partis adhérents, même au cas où des modifications correspondantes devront être faites aux statuts et aux décisions du Parti, conformément aux statuts.

    VIII. LA LIAISON DU TRAVAIL LÉGAL AVEC LE TRAVAIL ILLÉGAL

    53. Des variations fonctionnelles peuvent se produire selon les différentes phases de la révolution dans la vie courante d’un Parti communiste. Mais, au fond il n’y a pas de différence essentielle dans la structure que doivent s’efforcer d’obtenir un parti légal et un parti illégal.

    Le Parti doit être organisé de telle sorte qu’il puisse s’adapter promptement aux modifications des conditions de la lutte.

    Le Parti Communiste doit devenir une organisation de combat capable, d’une part, d’éviter, en champ ouvert, un ennemi en forces supérieures concentrées sur un point et, d’autre part, d’utiliser les difficultés de cet ennemi pour l’attaquer là où il s’y attend le moins. Ce serait la plus grande faute de se préparer exclusivement pour les soulèvements et les combats de rues ou pour les périodes de plus grande oppression.

    Les communistes doivent accomplir leur travail révolutionnaire préparatoire dans toutes les situations et être toujours prêts à la lutte, car il est souvent presque impossible de prévoir l’alternance des périodes d’éveil et d’accalmie ; on ne pourrait profiter de cette prévision pour réorganiser le Parti parce que le changement est d’habitude trop rapide et arrive même souvent tout à fait par surprise.

    54. Les Partis communistes légaux des pays capitalistes n’ont d’ordinaire pas encore suffisamment compris comme étant leur tâche cette préparation en vue de soulèvements révolutionnaires en vue de combats en armes et en général en vue de la lutte illégale. On construit trop souvent l’organisation du Parti en vue d’une action légale prolongée, et selon les exigences des tâches légales quotidiennes.

    Dans les partis illégaux, par contre, souvent on ne comprend pas assez qu’il faut utiliser les possibilités d’action légale et construire le Parti de telle sorte qu’il soit en liaison vivante avec les masses révolutionnaires. Les efforts du Parti ont tendance à devenir comme un travail de Sisyphe ou une conspiration impuissante.

    Ce deux fautes, aussi bien celle du Parti illégal que celle du Parti légal, sont graves. Tout Parti Communiste légal doit savoir se préparer, de la manière la plus énergique, à la nécessité d’une existence clandestine et être particulièrement armé en vue de soulèvements révolutionnaires. Et d’autre part, chaque Parti communiste illégal doit pouvoir utiliser toutes les possibilités du mouvement ouvrier légal pour devenir, par un travail politique intensif, l’organisateur et le véritable guide des grandes masses révolutionnaires. La direction du travail légal et du travail illégal doit être constamment unie entre les mains de la même direction centrale du Parti.

    55. Dans les Partis légaux, comme dans les Partis illégaux, le travail illégal est souvent conçu comme la fondation et l’entretien d’une organisation fermée, exclusivement militaire et isolée du reste de la politique et de l’organisation du Parti. Cette conception est parfaitement erronée. Dans la période pré-révolutionnaire, la formation de notre organisation de combat doit au contraire être principalement le résultat de l’ensemble de l’action communiste du Parti. Le Parti dans son ensemble doit devenir une organisation de combat pour la révolution.

    Les organisations révolutionnaires isolées, de caractère militaire, nées prématurément avant la révolution, montrent trop facilement une tendance à la dissolution et à la démoralisation, parce qu’elles manquent dans le parti, de travail immédiatement utile.

    56. Pour un Parti illégal, c’est une chose évidemment de la plus grande importance de toujours éviter à ses membres et ses organes d’être découverts ; il faut donc éviter qu’ils soient livrés par des listes d’enregistrement, par des imprudences dans la distribution des matériaux et le versement des cotisations. Un Parti illégal ne doit donc pas se servir dans la même mesure qu’un Parti légal des formes ouvertes d’organisation pour des buts conspiratifs ; il doit cependant s’appliquer à pouvoir le faire de plus en plus.

    Toutes les mesures devront être prises pour empêcher des éléments douteux et peu sûrs de pénétrer dans le Parti. Les moyens à employer dans ce but dépendent fortement du caractère du Parti, légal ou illégal, persécuté ou toléré, en voie de croissance ou dans la stagnation. Un moyen qui dans certaines circonstances a pu servir avec efficacité, c’est le système de candidature. Les personnes cherchant à être admises au Parti le sont d’abord comme candidats, sur présentation de deux membres du Parti et selon la façon dont elles s’acquittent des tâches qui leur sont confiées elles sont admises ou non comme membres du Parti.

    La bourgeoisie enverra inévitablement des provocateurs et des agents dans les organisations illégales. Il faut mener contre eux une lutte constante et minutieuse : l’une des meilleures méthodes consiste à combiner adroitement l’action légale avec l’illégale. Un travail révolutionnaire légal d’une certaine durée est le meilleur moyen de se rendre compte du degré de confiance que mérite chacun, de sa conscience, de son courage, de son énergie, de sa ponctualité ; on saura ainsi qui l’on peut charger d’un travail illégal correspondant le plus à ses capacités.

    Un Parti illégal doit se préparer de mieux en mieux contre toute surprise (par exemple, en mettant en sûreté les adresses d’intermédiaires, en détruisant en règle générale les lettres, en conservant soigneusement à l’abri les documents nécessaires, en instruisant clandestinement les agents de liaison, etc.).

    57. Notre travail politique général doit être réparti de façon à ce que déjà avant le soulèvement révolutionnaire ouvert se développent et s’affermissent les racines d’une organisation de combat correspondant aux exigences de cette phase. Il est particulièrement important que dans son action la direction du Parti communiste ait constamment en vue ces exigences, qu’elle essaie dans la mesure du possible de se les représenter à l’avance. Elle ne peut certes pas s’en faire une idée exacte et claire, mas ce n’est pas une raison pour négliger le point de vue essentiel de la direction de l’organisation communiste.

    Car si un changement fonctionnel survient dans le Parti Communiste au moment du soulèvement révolutionnaire déclaré, le Parti le mieux organisé peut se trouver placé en face de problèmes extrêmement difficiles et compliqués. Il peut arriver qu’on soit obligé dans un intervalle de quelques jours de mobiliser le Parti pour une lutte armée ; de mobiliser non seulement le Parti, mais aussi ses réserves, d’organiser les sympathisants et tout l’arrière-ban, c’est-à-dire les masses révolutionnaires non organisées. Il ne saurait être question à un tel moment de former une armée rouge régulière. Nous devons vaincre sans armée construite à l’avance, seulement avec les masses placées sous la direction du Parti. Si donc notre Parti n’est pas préparé à l’avance par son organisation en vue de ce cas, la lutte la plus héroïque ne servira à rien.

    58. Dans des situations révolutionnaires, on a remarqué à plusieurs reprises que les directions centrales révolutionnaires ne se sont pas montrées à la hauteur de leur tâche. Dans l’organisation au degré inférieur, le prolétariat a pu montrer des qualités magnifiques pendant la révolution ; mais dans son Etat-Major le désordre, le chaos et l’impuissance règnent le plus souvent. Il y manque parfois même la plus élémentaire division du travail, le service d’information est le plus souvent si mauvais qu’il présente plus d’inconvénients que d’utilité ; le service de liaison ne mérite aucune confiance. Lorsqu’on a besoin de poste secrète, de transport, d’abris, d’imprimerie clandestine, on ne les obtient ordinairement que par suite d’un hasard heureux. Toute provocation de la part de l’ennemi organisé a une chance de réussir.

    Et il n’en saurait être autrement, si le Parti révolutionnaire qui a la direction ne s’est pas organisé à l’avance. Ainsi par exemple, la surveillance et la découverte de la police politique exigent une expérience spéciale ; un appareil pour la liaison secrète ne peut fonctionner avec promptitude et sûreté que s’il a un long entraînement. Dans tous ces domaines de l’activité révolutionnaire spéciale, tout Parti communiste légal doit faire des préparations secrètes, si minimes soient-elles.

    En grande partie, dans ce domaine aussi, l’appareil nécessaire peut être développé par une action tout à fait légale, Si l’on veille pendant le fonctionnement de cet appareil à ce qu’on puisse immédiatement le transformer en appareil illégal. Ainsi par exemple, l’organisation chargée de la distribution, exactement réglée, des tracts légaux, des publications et des lettres peut être transformée en appareil secret de liaison (service de courriers, postes secrètes, logements secrets, transports conspiratifs, etc.).

    59. L’organisateur communiste doit voir à l’avance tout membre du Parti et tout militant révolutionnaire dans son rôle historique futur de soldat de notre organisation de combat, pendant l’époque de la révolution. Ainsi il peut l’appliquer à l’avance, dans le noyau dont il fait partie, au travail correspondant le mieux à son poste et à son service futurs. Son action actuelle doit toutefois constituer un service utile en soi et nécessaire à la lutte présente, et non pas seulement un exercice, que l’ouvrier pratique ne comprendrait pas immédiatement ; mais cette activité est en partie aussi un exercice en vue des exigences les plus essentielles de la lutte finale de demain.

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    de l’Internationale Communiste

  • Résolution sur le rapport du Comité Exécutif au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    Le Congrès prend avec satisfaction connaissance du rapport du Comité Exécutif et constate que la politique et l’activité du Comité Exécutif pendant l’année écoulée avaient pour objet la réalisation des décisions du 2° Congrès. Le Congrès approuve en particulier l’application par le Comité Exécutif aux différents pays des 21 conditions formulées par le 2° Congrès. Il approuve également l’activité du Comité Exécutif dans le but de favoriser la formation de grands partis communistes des masses et la lutte décidée contre les tendances opportunistes qui s’étaient manifestées dans ces partis.

    1. En Italie, l’attitude prise par le groupe de chefs autour de Serrati immédiatement après le 2° Congrès mondial montra qu’il n’avait pas sérieusement la volonté de réaliser les décisions du Congrès mondial et de l’Internationale Communiste. Mais c’est surtout le rôle joué par ce groupe de chefs lors des luttes de septembre, son attitude à Livourne et plus encore la politique qu’il a suivie depuis, qui ont démontré clairement qu’ils voulaient se servir du communisme comme d’une enseigne cachant leur politique opportuniste.

    Dans ces conditions, la scission est inévitable. Le Congrès approuve l’intervention décidée et ferme de l’Exécutif dans ce cas, qui a pour l’Internationale Communiste une portée de principe. Il approuve la décision du Comité Exécutif qui alors a immédiatement reconnu le parti communiste d’Italie comme seule section communiste de ce pays.

    Confirmant les décisions en vertu desquelles le Parti socialiste italien a adhéré à la III° Internationale, dont il a accepté sans réserve les principes fondamentaux, le 18° Congrès proteste contre l’exclusion de ce parti de l’Internationale Communiste – exclusion qui lui a été notifiée par le représentant de l’Exécutif, à la suite de divergences de vues dans l’appréciation de questions locales et de détails qu’on pouvait et qu’on devait aplanir au moyen d’explications amicales et d’une entente fraternelle.

    Confirmant on adhésion pleine et entière à la III° Internationale, il déclare s’en remettre au prochain Congrès de celle-ci pour solutionner le conflit et s’engage d’ores et déjà à se soumettre à sa décision et à l’appliquer.

    Après la sortie des communistes du Congrès de Livourne, le Congrès a adopté la résolution suivante, présentée par Bentivoglio :

    Le 3° Congrès mondial de l’Internationale Communiste est persuadé que cette résolution est imposée aux groupes des chefs Serrati par les ouvriers révolutionnaires. Le Congrès attend que les éléments révolutionnaires et prolétariens fassent tout leur possible après les décisions du 3° Congrès mondial pour mettre en exécution ces décisions.
    Le Congrès mondial en réponse à l’appel du Congrès de Livourne déclare catégoriquement :
    Aussi longtemps que le P.S.I. n’aura pas exclu ceux qui ont participé à la conférence de Reggio Emilia et ceux qui les soutiennent, le Parti socialiste italien ne peut appartenir à l’Internationale Communiste.
    Si cette condition préalable – condition qui est un ultimatum – est remplie, le Congrès mondial charge le Comité Exécutif d’entreprendre les démarches utiles pour unir le P.S.I. purifié des éléments réformistes et le P.C.I. en une section unifiée de l’Internationale Communiste.

    2. En Allemagne, le Congrès du Parti socialiste indépendant tenu à Halle a été la suite des décision du 2° Congrès mondial qui ont dressé le bilan de l’évolution du mouvement ouvrier. L’intervention de l’Exécutif tendait à la formation forte d’un parti communiste en Allemagne et l’expérience a montré que cette politique était juste.

    Le Congrès approuve entièrement l’attitude de l’Exécutif dans les événements ultérieurs qui s’étaient déroulés au sein du Parti communiste unifié d’Allemagne. Le Congrès attend du Comité Exécutif qu’il applique aussi à l’avenir les principes de la discipline révolutionnaire internationale.

    3. L’admission du Parti communiste ouvrier d’Allemagne, en qualité de parti sympathisant de l’Internationale Communiste, avait pour but d’assurer par cette épreuve si ce parti se développerait dans le sens de l’Internationale Communiste. La période écoulée est suffisamment concluante à cet égard. Il est temps de demander au P.C.O. d’Allemagne l’affiliation, dans un délai déterminé, au parti communiste, ou bien, dans le cas contraire, de décider son exclusion de l’Internationale Communiste en tant que parti sympathisant.

    4. Le Congrès approuve la façon dont le Comité Exécutif a appliqué les 21 conditions au Parti français, ce qui a permis de soustraire de grandes masses ouvrières se trouvant en marche vers le communisme, à l’influence des opportunistes longuettistes et des centristes et d’accélérer cette évolution. Le Congrès attend de l’Exécutif qu’il contribue aussi à l’avenir au développement du Parti afin de fortifier la clarté de ses principes et sa force combative.

    5. En Tchécoslovaquie, le Comité Exécutif a suivi avec patience, et en tenant compte de toute la situation, le développement révolutionnaire d’un prolétariat qui a déjà fourni des preuves de sa volonté et de sa faculté de combattre. Le Congrès approuve la résolution du Comité Exécutif. Qu’il veille à l’application intégrale, également au Parti tchécoslovaque, des 21 conditions et qu’il s’emploie à la formation dans un bref délai d’un parti communiste ferme. Il est nécessaire de réaliser le plus rapidement possible la lutte systématique pour la conquête des syndicats et pour leur unification internationale.

    Le Congrès approuve l’activité de l’Exécutif dans le Proche et l’Extrême-Orient et salue le début de la propagande énergique de l’Exécutif dans ces pays. Le Congrès estime qu’il est nécessaire d’y intensifier également le travail d’organisation.

    Enfin, le Congrès repousse les arguments opposés par des adversaires ouverts ou masqués du communisme contre une forte centralisation internationale du mouvement communiste. Il est au contraire d’avis que les partis communistes, .indissolublement liés, ont besoin d’une direction politique centrale douée de plus d’initiative et d’énergie encore, ce qui peut être assuré par l’envoi au Comité Exécutif de leurs meilleures forces.

    Ainsi, par exemple, l’intervention de l’Exécutif dans la question des chômeurs et des réparations n’a été ni assez rapide, ni assez efficace. Le Congrès attend que l’Exécutif, soutenu par une collaboration renforcée des partis affiliés, améliore le système de liaison avec les partis. La participation renforcée des délégués des partis à l’Exécutif lui permettra mieux de remplir encore que jusqu’ici les tâches croissantes qui lui incombent.

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    de l’Internationale Communiste

  • Thèses sur la tactique au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    I. DÉLIMITATION DES QUESTIONS

    « La Nouvelle Association Internationale des Travailleurs est fondée dans le but d’organiser une action d’ensemble du prolétariat des différents pays, tendant à une seule et même fin, à savoir : le renversement du capitalisme, l’établissement de la dictature du prolétariat et d’une République Internationale des Soviets qui permettront d’abolir totalement les classes et de réaliser le socialisme, premier degré de la société communiste. »

    Cette définition des buts de l’Internationale Communiste, posée dans ses statuts, délimite clairement toutes les questions de tactique qui sont à résoudre.

    Il s’agit de la tactique à employer dans notre lutte pour la dictature du prolétariat. Il s’agit des moyens à employer pour conquérir aux principes du communisme la plus grande partie de la classe ouvrière, des moyens à employer pour organiser les éléments socialement déterminants du prolétariat dans la lutte pour la réalisation du communisme. Il s’agit des relations avec les couches petites-bourgeoises prolétarisées, des moyens et procédés à prendre pour démolir le plus rapidement possible les organes du pouvoir bourgeois, les réduire en ruines et engager la lutte finale internationale pour la dictature.

    La question de la dictature elle-même, comme unique voie menant à la victoire est hors de discussion. Le développement de la révolution mondiale a montré nettement qu’il n’y a qu’une alternative offerte dans la situation historique actuelle : dictature capitaliste ou dictature prolétarienne.

    Le 3ème Congrès de l’Internationale Communiste reprend l’examen des questions de tactique dans des conditions nouvelles, puisque dans bien des pays la situation objective a pris une acuité révolutionnaire et que plusieurs grands partis communistes se sont formés, qui cependant ne possèdent encore nulle part la direction effective du gros de la classe ouvrière dans la lutte révolutionnaire réelle.

    II. À LA VEILLE DE NOUVEAUX COMBATS

    La révolution mondiale, c’est-à-dire la destruction du capitalisme, le rassemblement des énergies révolutionnaires du prolétariat et l’organisation du prolétariat en une puissance agressive et victorieuse, exigera une période assez longue de combats révolutionnaires.

    L’acuité diverse des antagonismes, la différence de la structure sociale et des obstacles à surmonter selon les pays, le haut degré d’organisation de la bourgeoisie dans les pays de haut développement capitaliste de l’Europe Occidentale et de l’Amérique du Nord, étaient des raisons suffisantes pour que la guerre mondiale n’aboutisse pas immédiatement à la victoire de la révolution mondiale.

    Les communistes ont donc eu raison de déclarer, déjà pendant la guerre, que la période de l’impérialisme conduirait à l’époque de la révolution sociale, c’est-à-dire à une longue suite de guerres civiles à l’intérieur des divers Etats capitalistes et de guerres entre les Etats capitalistes d’une part, les Etats prolétariens et les peuples coloniaux exploités d’autre part.

    La révolution mondiale n’est pas un processus qui progresse en ligne droite ; c’est la dissolution lente du capitalisme, c’est la sape révolutionnaire quotidienne, qui s’intensifient de temps à autre et se concentrent en crises aiguës.

    Le cours de la révolution mondiale a été rendu encore plus traînant du fait que de puissantes organisations et partis ouvriers, à savoir les partis ainsi que les syndicats social-démocrates, fondés par le prolétariat pour guider sa lutte contre la bourgeoisie, se sont transformés pendant la guerre en instruments d’influence contre-révolutionnaire et d’immobilisation du prolétariat et sont restés tels quels après la fin de la guerre.

    C’est ce qui a permis à la bourgeoisie mondiale de surmonter facilement la crise de la démobilisation ; c’est ce qui lui a permis pendant la période de prospérité apparente de 1919-1920 d’éveiller dans la classe ouvrière un nouvel espoir d’améliorer sa situation dans le cadre du capitalisme, cause essentielle de la défaite des soulèvements de 1919 et du ralentissement des mouvements révolutionnaires en 1919-1920.

    La crise économique mondiale, qui apparut au milieu de 1920 et qui s’est étendue aujourd’hui sur tout l’univers, augmentant partout le chômage, prouve au prolétariat international que la bourgeoisie n’est pas en mesure de reconstruire le monde. L’exaspération de tous les antagonismes politiques mondiaux, la campagne rapace de la France contre l’Allemagne, les rivalités anglo-américaine et américano-japonaise avec la course aux armements qui s’ensuit, montrent que le monde capitaliste à l’agonie titube de nouveau vers la guerre mondiale.

    La Société des nations, trust international des Etats vainqueurs pour l’exploitation des concurrents vaincus et des peuples coloniaux, est minée pour le moment par la concurrence américaine. L’illusion avec laquelle la social-démocratie internationale et la bureaucratie syndicale ont détourné les masses ouvrières de la lutte révolutionnaire, l’illusion qu’elles pourraient, en renonçant à la conquête du pouvoir politique par la lutte révolutionnaire, obtenir graduellement et pacifiquement le pouvoir économique et le droit de s’administrer elles-mêmes, cette illusion est en train de mourir.

    En Allemagne les comédies de socialisation avec lesquelles le gouvernement Scheidemann-Noske, en mars 1919, chercha à retenir le prolétariat de l’assaut décisif, touchent à leur fin. Les phrases sur la socialisation ont fait place au système bien réel de Stinnes, c’est-à-dire à la soumission de l’industrie allemande à un dictateur capitaliste et à sa clique. L’attaque du gouvernement prussien sous la direction du social-démocrate Severing contre les mineurs de l’Allemagne centrale forme l’introduction à l’offensive générale de la bourgeoisie allemande en vue de la réduction des salaires du prolétariat allemand.

    En Angleterre tous les plans de nationalisation sont tombés à l’eau. Au lieu de réaliser les projets de nationalisation de la commission Sankey, le gouvernement appuie d’une levée de troupes le lock-out contre les mineurs anglais.

    Le gouvernement français n’arrive à ajourner sa banqueroute économique que par une expédition de rapine en Allemagne. Il ne pense à aucune reconstruction systématique de son économie nationale. Même la reconstruction des contrées dévastées du Nord de la France, dans la mesure où elle est entreprise, ne sert qu’à l’enrichissement des capitalistes privés.

    En Italie la bourgeoisie est montée à l’attaque de la classe ouvrière avec l’aide des bandes blanches des fascistes.

    Partout la démocratie bourgeoise a du se démasquer, plus complètement dans les vieux Etats démocratiques bourgeois que dans les nouveaux, issus de l’écroulement impérialiste.

    Gardes-blancs, arbitraire dictatorial du gouvernement contre les mineurs grévistes en Angleterre, fascistes et Guarda Regia en Italie, Pinkertons, exclusion des députés socialistes des parlements, loi de lynch aux Etats-Unis, terreur blanche en Pologne, en Yougoslavie, en Roumanie, Lettonie, Estonie, légalisation de la terreur blanche en Finlande, en Hongrie, et dans les pays Balkaniques, « lois communistes » en Suisse, France etc., partout la bourgeoisie cherche à faire retomber sur la classe ouvrière les conséquences de l’anarchie économique croissante, à allonger la journée de travail et à faire tomber les salaires.

    Partout la bourgeoisie trouve des auxiliaires dans les chefs de la social-démocratie et de l’Internationale Syndicale d’Amsterdam. Cependant ces derniers peuvent retarder l’éveil des masses ouvrières pour un nouveau combat et l’approche de nouvelles vagues révolutionnaires, il. ne peuvent pas les empêcher.

    Déjà on voit le prolétariat allemand se préparer à la contre-attaque ; on voit les mineurs anglais, malgré la trahison des chefs trade-unionistes, tenir bon, héroïquement, pendant de longues semaines dans la lutte contre le capital minier. Nous voyons comment la volonté de combat s’accroît dans les rangs avancés du prolétariat italien après l’expérience qu’il a faite de la politique d’hésitation du groupe Serrati, volonté de combat qui s’exprime par la formation du Parti Communiste d’Italie. Nous voyons comment en France, après la scission, après la séparation des social-patriotes et de. centristes, le parti socialiste commence à passer de l’agitation et de la propagande du communisme à des manifestations de masses contre les appétits rapaces de l’impérialisme français.

    En Tchécoslovaquie, nous assistons à la grève politique de décembre, entraînant malgré son manque complet d’une direction unique, un million d’ouvriers, avec, comme conséquence, la formation d’un Parti Communiste tchèque, parti des masses. En février nous avons eu en Pologne une grève des cheminots, dirigée par le Parti Communiste, et une grève générale en est résultée, et nous avons assisté à la décomposition progressive du Parti Socialiste Polonais social-patriote.

    Ce qu’il nous faut attendre, ce n’est pas le fléchissement de la révolution mondiale ni le reflux de ses vagues, mais tout le contraire : dans les circonstance données une exaspération immédiate des antagonismes sociaux et des combats sociaux est ce qu’il y a de plus vraisemblable.

    III. LA TÂCHE LA PLUS IMPORTANTE DU MOMENT

    La conquête de l’influence prépondérante sur la plus grande partie de la classe ouvrière, l’introduction dans le combat des fractions déterminantes de cette classe, voilà à l’heure actuelle le problème le plus important de l’Internationale Communiste.

    Car nous avons beau être en présence d’une situation économique et politique objectivement révolutionnaire dans laquelle la crise révolutionnaire la plus aiguë peut éclater absolument à l’improviste (à la suite d’une grande grève, d’une révolte coloniale, d’une nouvelle guerre ou même d’une grande crise parlementaire, etc.), le plus grand nombre des ouvriers n’est pas encore sous l’influence du communisme, surtout dans les pays où la puissance particulièrement forte du capital financier a donné naissance à de vastes couches d’ouvriers corrompus par l’impérialisme (par exemple en Angleterre et aux Etats-Unis), et où la véritable propagande révolutionnaire parmi les masses vient seulement de commencer.

    Dès le premier jour de sa fondation, l’Internationale Communiste s’est donnée pour but, clairement et sans équivoque, non pas de former de petites sectes communistes cherchant à exercer leur influence sur les masses ouvrières uniquement par l’agitation et la propagande, mais de prendre part à la lutte des masses ouvrières, de guider cette lutte dans le sens communiste et de constituer dans le processus du combat de grands partis communistes révolutionnaires.

    Déjà au cours de sa première année d’existence, l’Internationale Communiste a répudié les tendances sectaires en prescrivant aux partis affiliés, si petits fussent-ils, de collaborer aux syndicats, de participer à vaincre leur bureaucratie réactionnaire de l’intérieur même des syndicats et de les transformer en organisations révolutionnaires des masses prolétariennes, en instruments de combat.

    Dès sa première année d’existence, l’Internationale Communiste a prescrit aux Partis Communistes de ne pas se renfermer dans des cercles de propagande, mais de se servir pour l’éducation et l’organisation du prolétariat, de toutes les possibilités que la constitution de l’Etat bourgeois est obligée de leur laisser ouvertes : liberté de la presse, liberté de réunion et d’association et toutes les institutions parlementaires bourgeoises, si lamentables soient-elles, pour en faire des armes, des tribunes, des places d’armes du communisme. A son 2ème Congrès, l’Internationale Communiste, dans ses résolutions sur la question syndicale et sur l’utilisation du parlementarisme, a répudié ouvertement toutes les tendances au sectarisme.

    Les expériences de ces deux ans de lutte des Partis Communistes ont confirmé en tous points la justesse du point de vue de l’Internationale Communiste.

    Celle-ci, par sa politique, a amené les ouvriers révolutionnaires dans bien des Etats à se séparer, non seulement des réformistes déclarés, mais aussi des centristes. Dès lors que les centristes ont formé une Internationale 2 1/2 qui s’allie publiquement aux Scheidemann, aux Jouhaux et aux Henderson sur le terrain de l’Internationale Syndicale d’Amsterdam, le champ de bataille est devenu beaucoup plus clair pour les masses prolétariennes, ce qui facilitera les combats à venir.

    Le communisme allemand, grâce à la tactique de l’Internationale Communiste (action révolutionnaire dans les syndicats, lettre ouverte, etc.), d’une simple tendance politique qu’il était dans les combats de janvier et mars 1919, s’est changé en un grand parti des masses révolutionnaires. Il a acquis dans les syndicats une influence telle que la bureaucratie syndicale a été forcé d’exclure de nombreux communistes des syndicats par crainte de l’influence révolutionnaire de leur action syndicale, et de prendre sur elle l’odieux de la scission.

    En Tchécoslovaquie, les communistes ont réussi à gagner à leur cause la majorité des ouvriers organisés.

    En Pologne, le Parti Communiste, grâce surtout à son travail de sape dans les syndicats, a su non seulement entrer en contact avec les masses, mais devenir leur guide dans la lutte, malgré les persécutions monstrueuses qui contraignent les organisations communistes à une existence absolument clandestine.

    En France, les communistes ont conquis la majorité au sein du Parti socialiste.

    En Angleterre, le processus de consolidation des groupes communistes sur le terrain des directives tactiques de l’Internationale Communiste se termine et l’influence croissante des communistes oblige les socialistes-traîtres à essayer de rendre impossible aux communistes l’entrée dans le Labour Party.

    Les groupes communistes sectaires par contre (comme le K.A.P.D. etc.), n’ont pas rencontré sur leur voie un seul succès. La théorie du renforcement du communisme par la propagande et l’agitation seules, par la fondation de syndicats communistes distincts, a fait complètement faillite. Nulle part aucun Parti communiste de quelque influence n’a pu être fondé de cette façon.

    IV. LA SITUATION AU SEIN DE L’INTERNATIONALE COMMUNISTE

    Dans cette voie menant à la formation de partis communistes de masses, l’Internationale Communiste n’est pas allée suffisamment loin partout. Et même dans deux des pays les plus importants du capitalisme victorieux elle a encore tout à faire dans ce domaine.

    Aux Etats-Unis, dans l’Amérique du Nord, dans lesquels déjà avant la guerre pour des raisons historiques, il n’existait aucun mouvement révolutionnaire de quelque ampleur, les communistes ont toujours devant eux les tâches primordiales les plus simples : la formation d’un noyau communiste et son rattachement aux masses ouvrières. La crise économique, qui a fait 5 millions d’ouvriers sans travail, fournit pour cela un terrain très favorable.

    Conscient du danger qui le menace d’une radicalisation du mouvement ouvrier et de l’influence de ce mouvement par les communistes, le capital américain essaie de briser le jeune mouvement communiste par des persécutions barbares, de l’anéantir et de le contraindre à l’illégalité, dans laquelle, pense-t-il, ce mouvement, sans contact avec les masses, dégénérerait en une secte de propagande et se dessécherait.

    L’Internationale Communiste attire l’attention du Parti Communiste Unifié d’Amérique sur le fait que l’organisation illégale ne doit constituer qu’un terrain de rassemblement, de clarification, pour les forces communistes les plus actives, mais que le Parti unifié a le devoir de tenter tous les moyens et toutes les voies pour sortir de ses organisations illégales et atteindre les grandes masses ouvrières en fermentation ; qu’il a le devoir de trouver les formes et les voies propres à concentrer politiquement ces masses dans leur vie publique en vue de la lutte contre le capitalaméricain.

    Le mouvement communiste anglais, lui non plus, n’a pas encore réussi, malgré la concentration de ses forces en un Parti Communiste uni, à devenir un parti de masses.

    La désorganisation durable de l’économie anglaise, l’aggravation inouïe du mouvement gréviste, le mécontentement croissant des grandes masses populaires à l’égard du régime de Lloyd George, la possibilité d’une victoire du Labour Party et du Parti libéral aux prochaines élections parlementaires, tout cela ouvre dans le développement de l’Angleterre de nouvelles perspectives révolutionnaires et pose devant les communistes anglais des questions d’une importance extrême.

    La première et principale tâche du Parti Communiste d’Angleterre est de devenir un Parti de masses. Les communistes anglais doivent se placer de plus en plus fermement sur le terrain du mouvement de masses existant en fait et se développant sans cesse ; ils doivent pénétrer dans toutes les particularités concrètes de ce mouvement et faire des revendications isolées ou partielles des ouvriers le point de départ de leur propre agitation et de leur propagande inlassable et énergique.

    Le puissant mouvement gréviste met à l’épreuve, aux yeux de centaines de milliers et de millions d’ouvriers le degré de capacité, de fidélité, de constance et de conscience des trade-unions et de leurs chefs. Dans ces conditions, l’action des communistes au sein des syndicats acquiert une importance décisive.

    Aucune critique du Parti, venant du dehors, ne saurait, même dans une mesure éloignée, exercer sur les masses une influence semblable à celle qui peut être exercée par le travail quotidien et constant des noyaux communistes dans les syndicats, par le travail tendant à démasquer et à discréditer les traîtres et les bourgeois du trade-unionisme, qui en Angleterre plus encore que dans tout autre pays, sont le jouet politique du capital.

    Si, dans d’autres pays, la tâche des partis communistes devenus partis de masses consiste dans une importante mesure à prendre l’initiative d’actions de masses, en Angleterre la tâche du Parti Communiste consiste avant tout, sur la base des actions de masses qui se développent en fait, à montrer par son propre exemple et à prouver que les communistes sont capables d’exprimer justement et courageusement les intérêts, les besoins et les sentiments de ces masses.

    Les Partis communistes de masses de l’Europe Centrale et Occidentale se trouvent en pleine formation de leurs méthodes d’agitation et de propagande révolutionnaire, en pleine formation de méthodes d’organisation répondant à leur caractère de combat, enfin en pleine transition de la propagande et de l’agitation communistes à l’action.

    Ce processus est entravé par le fait que dans bien des pays l’entrée des ouvriers devenus révolutionnaires dans le camp du communisme s’est accomplie sous la direction de chefs qui n’ont pas encore surmonté leurs tendances centristes et qui ne sont pas en état de mener une efficace agitation et propagande communistes dans le peuple, qui craignent même cette propagande parce qu’ils savent qu’elle conduirait les Partis aux combats révolutionnaires.

    Ces tendances centristes ont mené en Italie à la scission du Parti. Les chefs du Parti et des syndicats groupés autour de Serrati, au lieu de transformer les mouvements spontanés de la masse ouvrière et son activité croissante en une lutte consciente pour le pouvoir – lutte pour laquelle la situation était mûre en Italie – laissèrent ces mouvements s’enliser. Le communisme n’était pas pour eux un moyen de secouer et de concentrer les masses ouvrières en vue du combat. Et parce qu’ils craignaient le combat, ils durent délayer la propagande et l’agitation communistes et la conduire dans les eaux centristes.

    Ils renforcèrent de la sorte l’influence des réformistes comme Turatti et Trèves dans le Parti et comme d’Aragona dans les syndicats. Comme ils ne se distinguaient des réformistes, ni par la parole ni par les actes, ils ne voulurent pas non plus se séparer d’eux. Ils préférèrent se séparer des communistes. La politique de la tendance Serrati, en renforçant d’une part l’influence des réformistes, créa d’autre part le double danger de renforcer les anarchistes et les syndicalistes et d’engendrer des tendances antiparlementaires radicales uniquement en paroles dans le Parti même.

    La scission de Livourne, la formation du Parti Communiste d’Italie, la concentration de tous les éléments réellement communistes sur le terrain des décisions du 2ème Congrès de l’Internationale Communiste en un Parti communiste, feront du communisme dans ce pays une force de masses, pourvu que le Parti Communiste d’Italie combatte sans relâche et sans faiblesse la politique opportuniste du Serratisme et se donne ainsi la possibilité de rester lié aux masses du prolétariat dans les syndicats, dans les grèves, dans les luttes avec les organisations contre-révolutionnaires des fascistes, de fondre ensemble les mouvements de ces masses et de transformer en combats soigneusement préparés leurs actions spontanées.

    En France, où le poison chauvin de la « défense nationale » et ensuite l’ivresse de la victoire ont été plus forts que partout ailleurs, la réaction contre la guerre s’est développée plus lentement que dans les autres pays. Grâce à l’influence de la Révolution russe, aux luttes révolutionnaires dans les pays capitalistes et à l’expérience des premières luttes du prolétariat français trahi par ses chefs, le Parti Socialiste a évolué dans sa majorité vers le communisme, avant même d’avoir été placé par le cours des événements devant les questions décisives de l’action révolutionnaire.

    Cette situation sera d’autant mieux et d’autant plus largement utilisée par le Parti Communiste Français qu’il liquidera plus catégoriquement dans son propre sein, surtout dans les milieux dirigeants, les survivances de l’idéologie du pacifisme nationaliste et du réformisme parlementaire. Le Parti doit, dans une mesure bien plus grande, non seulement par rapport au passé, se rapprocher des masses et de leurs couches opprimées et donner une expression claire, complète et inflexible de leurs souffrances et de leurs besoins.

    Dans sa lutte parlementaire, le Parti doit rompre catégoriquement avec les formes repoussantes et pénétrées de mensonge du parlementarisme français, consciemment forgées par la bourgeoisie pour hypnotiser et intimider les représentants de la classe ouvrière. Les parlementaires français doivent s’efforcer, dans toutes leurs interventions, d’arracher le voile national-démocrate, républicain et traditionnellement révolutionnaire, et de présenter nettement toute question comme une question d’intérêt et d’impitoyable lutte de classes.

    L’agitation pratique doit prendre un caractère beaucoup plus concentré, plus tendu et plus énergique. Elle ne doit pas se disperser à travers les situations et les combinaisons changeantes et variables de la politique quotidienne.

    De tous les événements petits ou grands, elle doit toujours tirer les mêmes conclusions fondamentales révolutionnaires et les inculquer aux masses ouvrières même les plus arriérées. Ce n’est qu’à la condition d’observer cette attitude véritablement révolutionnaire que le Parti Communiste cessera de paraître – et d’être en réalité – une simple aile gauche de ce bloc radical longuettiste qui offre avec une insistance et un succès de plus en plus grands ses services à la société bourgeoise pour la protéger des ébranlements qui s’annoncent en France, avec une logique inflexible.

    Abstraction faite de la question de savoir si ces événement révolutionnaires décisifs arriveront plus ou moins tôt, un Parti Communiste moralement éduqué, entièrement pénétré de volonté révolutionnaire, trouvera la possibilité, même dans l’époque actuelle de préparation, de mobiliser les masses ouvrières sur le terrain politique et économique et de donner à leur lutte un caractère plus clair et plus vaste.

    Les tentatives faites par des éléments révolutionnaires impatients et politiquement inexpérimentés, voulant employer dans des questions et pour des buts isolés les méthodes extrêmes qui par leur essence constituent les méthodes du soulèvement révolutionnaire décisif du prolétariat (ainsi la proposition d’inviter la classe 19 à ne pas répondre à la mobilisation), ces tentatives peuvent en cas d’application réduire à néant pour longtemps la préparation réellement révolutionnaire du prolétariat à la conquête du pouvoir.

    C’est un devoir pour le Parti Communiste français, ainsi que pour tous les partis analogues, de repousser ces méthodes extrêmement dangereuses. Mais ce devoir ne doit en aucun cas donner lieu à l’inactivité du Parti. Bien au contraire.

    Renforcer la liaison du Parti avec les masses, c’est avant tout le rattacher plus étroitement aux syndicats. Le but ne consiste point du tout à ce que les syndicats soient soumis mécaniquement et extérieurement au Parti et renoncent à l’autonomie découlant nécessairement du caractère de leur action : il consiste à ce que les éléments véritablement révolutionnaires réunis dans le Parti Communiste donnent, dans le cadre même des syndicats, une tendance correspondant au intérêts communs du prolétariat, luttant pour la conquête du pouvoir.

    En considération de ce fait, le Parti Communiste Français doit faire la critique, sous une forme amicale mais décisive et claire, de toutes les tendances anarchistes-syndicalistes qui repoussent la dictature du prolétariat et la nécessité d’une union de son avant-garde en une organisation dirigeante, centralisée, c’est-à-dire en un Parti Communiste, ainsi que de toutes les tendances syndicalistes transitoires qui, sous le manteau de la charte d’Amiens, élaborée huit ans avant la guerre, ne sauraient plus donner aujourd’hui une réponse claire et nette aux questions essentielles de l’époque nouvelle d’après-guerre.

    La haine qui se manifeste dans le syndicalisme français contre l’esprit de caste politique est avant tout une haine bien justifiée contre les parlementaires « socialistes-traditionnels ». Mais le caractère purement révolutionnaire du Parti Communiste lui donne la possibilité de faire comprendre à tous les éléments révolutionnaires la nécessité du groupement politique dans le but de la conquête du pouvoir par la classe ouvrière.

    La fusion du groupement syndicaliste révolutionnaire avec l’organisation communiste dans son ensemble est une condition nécessaire et indispensable à toute lutte sérieuse du prolétariat français.

    L’on ne parviendra à surmonter et à écarter les tendances vers l’action prématurée et à vaincre l’imprécision de principes et le séparatisme d’organisation des syndicalistes-révolutionnaires que lorsque le Parti lui-même, comme nous l’avons dit plus haut, sera devenu, en traitant de façon vraiment révolutionnaire toute question de la vie et de la lutte quotidienne des masses ouvrières françaises, un centre d’attraction pour elles.

    En Tchécoslovaquie, les masses laborieuses, au cours de ces deux ans et demi, se sont en grande partie affranchies des illusions réformistes et nationalistes. En septembre dernier, la majorité des ouvriers social-démocrates s’est séparée de ses chefs réformistes.

    En décembre, un million d’ouvriers environ sur les 3 millions et demi de travailleurs industriels que compte la Tchécoslovaquie, s’opposa en une action révolutionnaire de masses au gouvernement capitaliste tchécoslovaque. Au mois de mai de cette année, le Parti Communiste tchécoslovaque s’est constitué avec environ 350 000 membres à côté du Parti Communiste de la Bohème allemande précédemment formé et comptant environ 600 000 membres.

    Les communistes constituent ainsi une grande partie non seulement du prolétariat de la Tchécoslovaquie, mais aussi de toute sa population. Le Parti Tchécoslovaque se trouve placé maintenant devant ce problème d’attirer, au moyen d’une agitation véritablement communiste, des masses ouvrières encore plus étendues, d’instruire des membres, – anciens ou nouvellement acquis – par une propagande communiste claire et sans timidité, d’unir les ouvriers de toutes les nationalités de Tchécoslovaquie pour former un front ininterrompu des prolétaires contre le nationalisme, cette citadelle de la bourgeoisie en Tchécoslovaquie, et de transformer la force ainsi créée du prolétariat au cours des combats à venir contre les tendances oppressives du capitalisme et contre le gouvernement en une puissance invincible.

    Le Parti communiste de Tchécoslovaquie sera d’autant plus promptement à la hauteur de cette mission qu’il saura avec clarté et décision vaincre toutes les traditions et préjugés centristes, qu’il mènera une politique éduquant révolutionnairement et concentrant les plus grandes masses du prolétariat et qu’il sera ainsi en mesure de préparer ces actions des masses et de les exécuter victorieusement. Le Congrès décide que les Partis Communistes Tchécoslovaque et Allemand-bohémien doivent fusionner leurs organisations et former un Parti unique, dans un délai qui sera déterminé par le Comité Exécutif.

    Le Parti Communiste Unifié d’Allemagne, né de l’union du groupe Spartacus avec les masses ouvrières des Indépendants de gauche, quoique étant déjà un grand Parti de masses, a la mission immense d’augmenter son influence sur les grandes masses, de renforcer les organisations de masses prolétariennes, de conquérir les syndicats, de briser l’influence du Parti social-démocrate et de la bureaucratie syndicale, et de deviner, dans les luttes futures du prolétariat, les chefs des mouvements de masses.

    Cette tâche principale du Parti exige qu’il y applique tous ses efforts d’adaptation, de propagande et d’organisation, qu’il tâche de conquérir les sympathies de la majorité du prolétariat, sans laquelle, étant donné la puissance du capital allemand, aucune victoire du communisme n’est possible en Allemagne.

    Le Parti Unifié d’Allemagne ne s’est pas encore montré à la hauteur de cette tâche, en ce qui concerne l’ampleur et le contenu de l’agitation. Il n’a pas encore su suivre avec logique la voie qu’il a prise par sa « lettre ouverte », la voie sur laquelle s’opposent les intérêts pratiques du prolétariat à la politique traîtresse des partis social-démocrates et de la bureaucratie syndicale.

    La presse et l’organisation du Parti portent encore trop le cachet de sociétés et non d’instruments et d’organisations de lutte. Les tendances centristes qui s’expriment encore dans ce Parti et qui n’y ont pas encore été surmontées ont mené d’une part à cette situation que le Parti, placé devant la nécessité du combat, dut y entrer sans préparation suffisante et ne sut pas garder suffisamment la liaison morale avec les masses non communistes.

    Les exigences d’action qui seront bientôt imposées au Parti Communiste Unifié l’Allemagne par le processus de destruction de l’économie allemande, par l’offensive du capital contre l’existence des masses ouvrières, ne sauraient être satisfaites que si le Parti, loin d’opposer à son but d’action ses buts d’agitation et d’organisation, tient toujours éveillé l’esprit de combativité dans son organisation, donne à son agitation un caractère réellement populaire, revêt son organisation d’une forme qui la mette en mesure, en développant sa liaison avec les masses, de poser de la façon la plus soigneuse, la situation de la lutte et de préparer non moins soigneusement cette lutte.

    Les Partis de l’Internationale Communiste deviendront des Partis de masses révolutionnaires, s’ils savent vaincre l’opportunisme, ses survivances et ses traditions, dans leurs propres rangs, en cherchant à se lier étroitement aux masses ouvrières combattantes, en puisant leurs buts dans les luttes pratiques du prolétariat, en repoussant au cours de ces luttes aussi bien la politique opportuniste de l’aplanissement et de l’effacement des antagonismes insurmontables que les phrases révolutionnaires qui empêchent de voir le rapport réel des forces et les véritables difficultés du combat. Les partis communistes sont nés de la scission des anciens partis social-démocrates.

    Cette scission résulte du fait que ces partis ont trahi pendant la guerre par une alliance avec la bourgeoisie ou par une politique hésitante cherchant à éviter toute lutte. Les principes des partis communistes forment le seul terrain sur lequel les masses ouvrières pourraient à nouveau se réunir, car ces principes expriment les besoins de la lutte du prolétariat.

    Et puisqu’il en est donc ainsi, ce sont actuellement les partis et les tendances social-démocrates et centristes qui représentent la division et le morcellement du prolétariat, tandis que les partis communistes constituent un élément d’union.

    En Allemagne ce sont les centristes qui se sont séparés de la majorité de leur parti, lorsque celle-ci suivit le drapeau du communisme. Par crainte de l’influence unificatrice du communisme, les social-démocrates et les Indépendants d’Allemagne, ainsi que la bureaucratie syndicale social-démocrate refusèrent de collaborer en des actions communes avec les communistes à la défense des intérêts les plus simples du prolétariat. En Tchécoslovaquie, ce furent les social-démocrates qui firent sauter l’ancien parti lorsqu’ils se rendirent compte du triomphe du communisme.

    En France ce furent, les longuettistes qui se séparèrent de la majorité des ouvriers socialistes, tandis que le Parti Communiste s’efforça d’unir les ouvriers socialistes et syndicalistes. En Angleterre, ce furent les réformistes et les centristes qui, par crainte de leur influence, chassèrent les communistes du Labour Party et sabotèrent la concentration des ouvriers dans leur lutte contre les capitalistes. Les partis communistes deviennent ainsi des facteurs d’union du prolétariat dans sa lutte pour ses intérêts, et dans la conscience de leur rôle ils amasseront de nouvelles forces.

    V. COMBATS ET REVENDICATIONS PARTIELLES

    Les Partis communistes ne peuvent se développer que dans la lutte. Même les plus petits des partis communistes ne doivent pas se borner à la simple propagande et à l’agitation. Ils doivent constituer, dans toutes les organisations de masses du prolétariat, l’avant-garde qui montre aux masses retardataires, hésitantes – en formulant pour elles des buts concrets de combat, en les incitant à lutter pour réclamer leur besoins vitaux – comment il faut mener la bataille et qui par là leur révèle la traîtrise de tous les partis non communistes.

    C’est seulement à condition de savoir se mettre à la tête du prolétariat dans tous ses combats, et de provoquer ces combats, que les partis communistes peuvent gagner effectivement les grandes masses prolétariennes à la lutte pour la dictature.

    Toute l’agitation et la propagande, toute l’action du Parti Communiste doivent être pénétrées de ce sentiment que, sur le terrain du capitalisme, aucune amélioration durable de la situation de la masse du prolétariat n’est possible ; que seul le renversement de la bourgeoisie et la destruction de l’Etat capitaliste permettront de travailler à améliorer la situation de la classe ouvrière et à restaurer l’économie nationale ruinée par le capitalisme.

    Mais ce sentiment ne doit pas nous faire renoncer à combattre pour les revendications vitales actuelles et immédiates du prolétariat, en attendant qu’il soit en état de les défendre par sa dictature. La social-démocratie qui, maintenant, au moment où le capitalisme n’est plus en état d’assurer aux ouvriers même une existence d’esclaves rassasiés, présente le vieux programme social-démocrate des réformes pacifiques, réformes qui doivent être réalisées par la voie pacifique sur le terrain et dans le cadre du capitalisme en faillite, cette social-démocratie trompe sciemment les masses ouvrières.

    Non seulement le capitalisme, pendant la période de sa dislocation, n’est pas capable d’assurer aux ouvriers des conditions d’existence quelque peu humaines, mais encore les social-démocrates, les réformistes de tous les pays prouvent chaque jour qu’ils n’ont pas la moindre intention de mener le moindre combat pour la plus modeste des revendications contenues dans leur propre programme.

    Revendiquer la socialisation ou la nationalisation des plus importantes branches d’industrie, comme le font les partis centristes, c’est encore tromper les masses populaires.

    Les centristes n’ont pas seulement induit les masses en erreur en cherchant à les persuader que la socialisation peut arracher des mains du capital les principales branches d’industrie sans que la bourgeoisie soit vaincue, ils cherchent encore à détourner les ouvriers de la lutte vitale réelle pour leurs besoins les plus immédiats, en leur faisant espérer une mainmise progressive sur les diverses industries les unes après les autres, après quoi commencera la construction « systématique » de l’édifice économique. ils reviennent ainsi au programme minimum de la social-démocratie, c’est-à-dire à la réforme du capitalisme, qui est aujourd’hui une véritable duperie contre-révolutionnaire.

    Si dans ce programme de nationalisation, par exemple de l’industrie du charbon, l’idée lassalienne joue encore un rôle pour fixer toutes les énergies du prolétariat sur une revendication unique, pour en faire un levier d’action révolutionnaire conduisant par son développement à la lutte pour le pouvoir, dans ce cas nous avons affaire à une rêverie de songe-creux : la classe ouvrière souffre aujourd’hui dans tous les Etats capitalistes de fléaux si nombreux et si effroyables qu’il est impossible de combattre toutes ces charges écrasantes et ces coups en poursuivant un objet trop subtil tout à fait imaginaire.

    Il faut au contraire prendre chaque besoin des masses comme point de départ de luttes révolutionnaires qui, dans leur ensemble, pourront constituer le courant puissant de la révolution sociale. Les Partis communistes ne mettent en avant pour ce combat aucun programme minimum tendant à fortifier et à améliorer l’édifice vacillant du capitalisme. La ruine de cet édifice reste leur but directeur, leur tâche actuelle.

    Mais pour remplir cette tâche, les Partis Communistes doivent émettre des revendications dont la réalisation constitue une nécessité immédiate et urgente pour la classe ouvrière et ils doivent défendre ces revendications dans la lutte des masses, sans s’inquiéter de savoir si elles sont compatibles ou non avec l’exploitation usuraire de la classe capitaliste.

    Les Partis Communistes doivent prendre en considération non pas les capacités d’existence et de concurrence de l’industrie capitaliste, non pas la force de résistance des finances capitalistes, mais l’étendue de la misère que le prolétariat ne peut pas et ne doit pas supporter. Si ces revendications répondent aux besoins vitaux des larges masses prolétariennes, si ces masses sont pénétrées du sentiment que sans la réalisation de ces revendications leur existence est impossible, alors la lutte pour ces revendications deviendra le point de départ de la lutte pour le pouvoir.

    A la place du programme minimum des réformistes et des centristes, l’Internationale Communiste met la lutte pour les besoins concrets du prolétariat, pour un système de revendications qui dans leur ensemble démolissent la puissance de la bourgeoisie, organisent le prolétariat et constituent les étapes de la lutte pour la dictature prolétarienne et dont chacune en particulier donne son expression à un besoin des larges masses, même si ces masses ne se placent pas encore consciemment sur le terrain de la dictature du prolétariat.

    Dans la mesure où la lutte pour ces revendications embrasse et mobilise des masses de plus en plus grandes, dans la mesure où cette lutte oppose les besoins vitaux des masses aux besoins vitaux de la société capitaliste, la classe ouvrière prendra conscience de cette vérité que si elle veut vivre, le capitalisme doit mourir. Cette constatation fera naître en elle la volonté de combattre pour la dictature. C’est la tâche des Partis Communistes d’élargir les luttes qui se développent au nom de ces revendications concrètes, de les approfondir et de les relier entre elles.

    Toute action partielle entreprise par les masses ouvrières pour des revendications partielles, toute grève économique sérieuse, provoque immédiatement la mobilisation de toute la bourgeoisie pour protéger ceux des entrepreneurs qui sont menacés, et pour rendre impossible toute victoire, ne fût-ce que partielle du prolétariat (Secours technique des briseurs de grèves bourgeois pendant la grève des cheminots anglais, fascistes). La bourgeoisie mobilise également tout le mécanisme de l’Etat pour combattre les ouvriers (militarisation des ouvriers en Pologne, lois d’exception pendant la grève des mineurs en Angleterre). Les ouvriers qui luttent pour leurs revendications partielles sont entraînés automatiquement à combattre toute la bourgeoisie et son appareil d’Etat.

    Dans la mesure où les luttes pour des revendications partielles, où les luttes partielles des divers groupes d’ouvriers grandissent en une lutte générale de la classe ouvrière contre le capitalisme, le Parti Communiste a le devoir de proposer des mots d’ordre plus élevés et plus généraux, jusque et y compris celui du renversement direct de l’adversaire.

    En établissant leurs revendications partielles, les partis communistes doivent veiller à ce que ces revendications, ayant leur attache dans les besoins des larges masses, ne se bornent pas à entraîner ces masses dans la lutte, mais par elles-mêmes soient de nature à les organiser.

    Tous les mots d’ordre concrets ayant leur source dans les besoins économiques des masses ouvrières doivent être introduits dans le plan de la lutte pour le contrôle ouvrier, qui ne sera pas un système d’organisation bureaucratique de l’économie nationale sous le régime du capitalisme, mais la lutte contre le capitalisme menée par les soviets industriels et les syndicats révolutionnaires.

    Ce n’est que par la construction d’organisations industrielles de cette sorte, ce n’est que par leur liaison en branches d’industrie et en centres industriels, que la lutte des masses ouvrières pourra acquérir une unité organique, qu’une opposition pourra être faite à la division des masses par la social-démocratie et par les chefs syndicaux.

    Les soviets industriels accompliront cette tâche seulement s’ils prennent naissance dans la lutte pour des buts économiques communs aux plus larges masses des ouvriers, seulement s’il créent la liaison entre toutes les parties révolutionnaires du prolétariat : le Parti Communiste, les ouvriers révolutionnaires et les syndicats en voie de développement révolutionnaire.

    Toute objection contre l’élévation de revendications partielles de ce genre, toute accusation de réformisme sous prétexte de ces luttes partielles, découlent de cette même incapacité à comprendre les conditions vivantes de l’action révolutionnaire qui s’est manifestée déjà dans l’opposition de certains groupes communistes à la participation aux syndicats et à l’utilisation du parlementarisme.

    Il ne s’agit point de se borner à prêcher toujours au prolétariat les buts finaux, mais de faire progresser une lutte concrète, qui seule peut le conduire à lutter pour ces buts finaux.

    A quel point les objections contre les revendications partielles sont dénuées de base et étrangères aux exigences de la vie révolutionnaire, cela ressort surtout du fait que même les petites organisations fondées par les communistes dits de gauche, comme asiles de la pure doctrine, ont été obligées de mettre en avant des revendications partielles, quand elles ont voulu essayer d’entraîner dans la lutte des masses ouvrières plus nombreuses que celles qui se groupent autour d’elles ou quand elles veulent prendre part aux luttes des grandes masses populaires pour pouvoir y exercer leur influence.

    La nature révolutionnaire de l’époque actuelle consiste précisément en ceci que les conditions d’existence les plus modestes des masses ouvrières sont incompatibles avec l’existence de la société capitaliste, et que pour cette raison la lutte même pour les revendications les plus modestes prend les proportions d’une lutte pour le communisme.

    Tandis que les capitalistes profitent de l’armée toujours croissante des sans-travail pour exercer une pression sur le travail organisé en vue d’une réduction des salaires, les social-démocrates, les Indépendants et les chefs officiels des syndicats se détournent lâchement des sans-travail, les considèrent simplement comme sujets de la bienfaisance gouvernementale et syndicale et les caractérisent politiquement comme un lumpenprolétariat.

    Les communistes doivent se rendre clairement compte que dans les conditions actuelles l’armée des sans-travail constitue un facteur révolutionnaire d’une valeur colossale. La direction de cette armée doit être prise par les communistes. Par la pression exercée par les sans-travail sur les syndicats, les communistes doivent hâter le renouvellement des syndicats, en premier lieu leur libération de l’influence des chefs traîtres.

    Le parti communiste, en unissant les sans-travail à l’avant-garde du prolétariat dans la lutte pour la révolution socialiste, retiendra les éléments les plus révolutionnaires et les plus impatients des sans-travail d’actes désespérés isolés et rendra capable toute la masse d’appuyer dans des conditions favorables l’attaque commencée par un groupe de prolétaires, de développer ce conflit au-delà des cadres donnés, d’en faire le point de départ d’une offensive décidée ; en un mot il transformera toute cette masse et, d’une armée de réserve de l’industrie, il en fera une armée active de la révolution.

    En prenant avec la plus grande énergie la défense de cette catégorie d’ouvriers, en descendant dans les profondeurs de la classe ouvrière, les partis communistes ne représentent pas les intérêts d’une couche ouvrière contre une autre, ils représentent ainsi l’intérêt commun de la classe ouvrière, trahi par les chefs contre-révolutionnaires, au profit des intérêts momentanés de l’aristocratie ouvrière : plus large est la couche de sans-travail et de travailleurs à temps réduit, et plus son intérêt se transforme en l’intérêt commun de la classe ouvrière, plus les intérêts passagers de l’aristocratie ouvrière doivent être subordonnés à ces intérêts communs.

    Le point de vue qui s’appuie sur les intérêts de l’aristocratie ouvrière pour les retourner comme une arme contre les sans-travail ou pour abandonner ces derniers à leurs sort déchire la classe ouvrière et est en fait contre-révolutionnaire.

    Le Parti Communiste, comme représentant de l’intérêt général de la classe ouvrière, ne saurait se borner à reconnaître et à faire valoir par la propagande cet intérêt commun. il ne peut représenter efficacement cet intérêt général qu’en menant dans certaines circonstances le gros même de la masse ouvrière la plus opprimée et la plus appauvrie au combat contre la résistance de l’aristocratie ouvrière.

    VI. LA PRÉPARATION DE LA LUTTE

    Le caractère de la période de transition fait un devoir à tous les partis communistes d’élever au plus haut point leur esprit de combativité. Chaque combat isolé peut aboutir à un combat pour le pouvoir.

    Le Parti ne peut acquérir ce mordant nécessaire que s’il donne à l’ensemble de sa propagande le caractère d’une attaque passionnée contre la société capitaliste, s’il sait dans cette agitation se lier aux plus larges masses du peuple, s’il sait leur parler de façon qu’elles puissent acquérir la conviction d’être sous la direction d’une avant-garde luttant effectivement pour le pouvoir.

    Les organes et les manifestes du Parti communiste ne doivent pas être des publications académiques qui cherchent à prouver théoriquement la justesse du communisme ; ils doivent être des cris d’appel à la révolution prolétarienne. L’action des communistes dans les parlements ne doit pas tendre à discuter avec l’ennemi ou à le persuader, mais à le démasquer sans réserve et sans merci, à démasquer les agents de la bourgeoisie, à secouer la volonté de combat des masses ouvrières et à amener les couches petites-bourgeoises, semi-prolétariennes du peuple à se joindre au prolétariat.

    Notre travail d’organisation dans les syndicats comme dans les Partis ne doit pas viser à une construction mécanique, à une augmentation numérique de nos rangs ; il doit être pénétré du sentiment des luttes prochaines.

    Ce n’est que lorsque le Parti, dans toutes ses manifestations de vie et dans toutes ses formes d’organisation, sera la volonté de combat faite corps, qu’il sera en mesure d’accomplir sa mission dans les moments où les conditions nécessaires à de plus grandes actions combatives seront réunies.

    Là où le Parti communiste représente une force massive, où son influence s’étend au delà des cadres de ses organisations propres de Parti, sur les larges masses ouvrières, il a le devoir d’inciter par l’action les masses ouvrières au combat.

    De grands Partis de masses ne sauraient se contenter de critiquer la carence d’autres Partis et d’opposer les revendications communistes aux leurs. C’est sur eux, en tant que partis des masses, que repose la responsabilité du développement de la révolution. Là où la situation des masses ouvrières devient de plus en plus intolérable, les Partis communistes doivent tout essayer pour porter les masses ouvrières à défendre leurs intérêts par la lutte.

    En présence de ce fait qu’en Europe Occidentale et en Amérique, où les masses ouvrières sont organisées en syndicats et en partis politiques, où par conséquent on ne saurait compter jusqu’à nouvel ordre sur des mouvements spontanés que dans des cas très rares, les Partis communistes ont le devoir, en usant de toute leur influence dans les syndicats, en augmentant leur pression sur les autres Partis qui s’appuient sur les masses ouvrières, de chercher à obtenir un déclenchement général du combat pour les intérêts immédiats du prolétariat, et si les Partis non communistes sont contraints de participer à ce combat, la tâche des communistes consiste à préparer d’avance les masses ouvrières à une trahison possible de la part de Partis non communistes pendant l’une des phases ultérieures du combat, à tendre le plus possible la situation et à l’aggraver afin d’être capable de continuer le combat, le cas échéant, sans les autres Partis (voir la lettre ouverte du V.K.P.D., qui peut servir de point de départ exemplaire pour d’autres actions).

    Si la pression du Parti Communiste dans les syndicats et dans la presse ne suffit pas pour entraîner le prolétariat au combat sur un front unique, c’est alors le devoir du Parti communiste d’essayer d’entraîner tout seul de grandes fractions des masses ouvrières.

    Cette politique indépendante consistant à faire défendre les intérêts vitaux du prolétariat par sa fraction la plus consciente et la plus active ne sera couronnée de succès, ne réussira à secouer les masses retardataires que si les buts du combat découlant de la situation concrète, sont compréhensibles aux larges masses, et si ces masses voient dans ces buts leurs buts propres, tout en n’étant pas encore capables de combattre pour eux.

    Le Parti communiste ne doit cependant pas se borner à défendre le prolétariat contre les dangers qui le menacent, à parer les coups destinés aux masses ouvrières.

    Le Parti communiste est, dans la période de la révolution mondiale, de par son essence même, un Parti d’attaque, un Parti d’assaut contre la société capitaliste ; il a pour devoir, dès qu’une lutte défensive prend contre la société capitaliste, de la profondeur et de l’ampleur, de l’agrandir en une offensive. Le Parti a de plus le devoir de tout faire pour conduire d’emblée les masses ouvrières à cette offensive, là où les conditions favorables sont données.

    Celui qui s’oppose en principe à la politique de l’offensive contre la société capitaliste viole les directives du communisme.

    Ces conditions consistent premièrement dans l’exaspération des combats dans le camp de la bourgeoisie elle-même, dans le cadre national et international. Si les luttes intestines au sein de la bourgeoisie ont pris une proportion telle qu’on peut prévoir que la classe ouvrière aura affaire à des forces adverses fractionnées et coupées, le Parti doit prendre l’initiative, après une minutieuse préparation dans le domaine politique et si possible dans celui de l’organisation intérieure, de conduire les masses au combat.

    La deuxième condition pour des sorties, des attaques offensives sur un large front, c’est la grande fermentation existant dans les catégories déterminantes de la classe ouvrière, fermentation qui permet de prévoir que la classe ouvrière sera prête a lutter sur tout le front contre le gouvernement capitaliste. S’il est indispensable, lorsque le mouvement s’accroît en étendue, d’accentuer les mots d’ordre du combat, c’est également un devoir pour les dirigeants communistes du combat, au cas où le mouvement prendrait une allure rétrograde, de retirer de la bataille les masses combattantes avec le maximum d’ordre et de cohésion.

    La question de savoir si le Parti Communiste doit employer l’offensive ou la défensive dépend des circonstances concrètes. L’essentiel est qu’il soit pénétré d’un esprit combatif, qu’il triomphe de cette passivité centriste, qui fait nécessairement échouer même la propagande du parti dans la routine semi-réformiste.

    Cette disposition constante au combat, doit constituer la caractéristique des grands partis communistes, non seulement parce que sur eux, en tant que partis de masses, repose la charge du combat, mais encore en raison de l’ensemble de la situation actuelle : désagrégation du capitalisme et paupérisation croissante des masses. Il faut réduire cette période de désagrégation, si l’on ne veut pas que toutes les bases matérielles du communisme soient anéanties et que toute l’énergie des masses ouvrières soit détruite, pendant cette période.

    VII. LES ENSEIGNEMENTS DE L’ACTION DE MARS

    L’action de mars fut une lutte imposée au Parti Communiste Unifié l’Allemagne par l’attaque du gouvernement contre le prolétariat de l’Allemagne centrale.

    Au cours de ce premier grand combat que le Parti Communiste Unifié eut à soutenir après sa formation, il commit une série de fautes dont la principale consista en ce que, au lieu de faire clairement ressortir le caractère défensif de cette lutte, par son cri d’offensive, il fournit aux ennemis sans scrupules du prolétariat, à la bourgeoisie, au parti social-démocrate et au parti indépendant un prétexte pour dénoncer le parti unifié au prolétariat comme un fauteur de putsch.

    Cette faute fut encore exagérée par un certain nombre de camarades du parti, représentant l’offensive comme la méthode essentielle de lutte du Parti Communiste Unifié d’Allemagne dans la situation actuelle. Les organes officiels du parti, comme son président, le camarade Brandler, se sont déjà élevés contre ces fautes.

    Le 3° Congrès de l’Internationale Communiste considère l’action de mars du Parti Communiste Unifié d’Allemagne comme un pas en avant. Le Congrès est d’avis que le Parti Communiste Unifié sera d’autant plus en mesure d’exécuter avec succès ses actions de masses qu’il saura mieux adapter à l’avenir ses mots d’ordre de combat à la situation réelle, qu’il étudiera plus soigneusement cette situation. et qu’il agira avec plus d’unité.

    Le Parti Communiste Unifié d’Allemagne, dans l’intérêt d’une appréciation minutieuse des possibilités de lutte devra prendre attentivement en considération les faits et les réflexions et peser soigneusement le bien-fondé des opinions qui indiquent les difficultés de l’action. Mais dès l’instant où une action a été décidée par les autorités du parti, tous les camarades doivent se soumettre aux décisions du parti et exécuter ces actions.

    La critique de ces actions ne peut commencer qu’après qu’elles soient terminées et elle ne doit être exercée qu’à l’intérieur du parti et de ses organes et en prenant en considération la situation dans laquelle se trouve le parti par rapport à l’ennemi de classe.

    Du fait que Lévi a méconnu ces exigences évidentes de la discipline et les conditions posées à la critique du parti, le Congrès approuve son exclusion du parti et considère comme inadmissible toute collaboration politique des membres de l’Internationale Communiste avec lui.

    VIII. FORME ET MÉTHODES DU COMBAT DIRECT

    Les formes et méthodes du combat, ses proportions, de même que la question de l’offensive ou de la défensive, dépendent de certaines conditions que l’on ne saurait arbitrairement créer. Les expériences précédentes de la révolution ont montré différentes formes d’actions partielles :

     Actions partielles de couches isolées du prolétariat (action des mineurs, des cheminots, etc. en Allemagne, en Angleterre, des ouvriers agricoles, etc.).

     Actions partielles de l’ensemble des ouvriers pour des buts limités (l’action pendant les journées de Kapp, l’action des mineurs anglais contre l’intervention militaire du gouvernement anglais pendant la guerre russo-polonaise).

    Au point de vue territorial, ces luttes partielles peuvent embrasser des régions isolées, des pays entiers ou plusieurs pays à la fois.

    L’action de mars fut une lutte héroïque menée par des centaines de milliers de prolétaires contre la bourgeoisie. Et en se mettant vigoureusement à la tête de la défense des ouvriers de l’Allemagne Centrale, le Parti Communiste Unifié d’Allemagne prouve qu’il est réellement le parti du prolétariat révolutionnaire allemand.

    Toutes ces formes de combat sont destinées au cours de la révolution dans chaque pays à se succéder les unes aux autres à plusieurs reprises. Le parti communiste ne peut évidemment pas se refuser à des actions partielles territorialement limitées, mais ses efforts doivent tendre à transformer tout combat local plus important en une lutte générale du prolétariat.

    De même qu’il a le devoir, pour défendre les ouvriers combattants d’une branche d’industrie, d’appeler à la rescousse, si possible, la classe ouvrière tout entière, de même il est obligé, pour défendre les ouvriers combattant sur un point donné, de mettre sur pied, autant que possible, les ouvriers des autres centres industriels. L’expérience de la révolution montre que plus le champ de bataille est grand. et plus grandes sont les perspectives de victoire. La bourgeoisie, dans sa lutte contre la révolution mondiale qui se développe, s’appuie d’une part sur les organisations de gardes-blancs, d’autre part sur l’émiettement effectif de la classe ouvrière, sur la lenteur réelle du front prolétarien à se former.

    Plus grandes sont les masses du prolétariat qui entrent en lice, plus grand est le champ de bataille – et plus l’ennemi devra diviser et disséminer ses forces. Même si les autres parties de la classe ouvrière accourant au secours d’une partie du prolétariat en mauvaise posture ne sont pas capables pour le moment d’engager tout l’ensemble de leurs forces pour la soutenir, leur seule intervention oblige les capitalistes à diviser leurs forces militaires, car ils ne peuvent pas savoir quelle étendue et quel mordant prendra la participation au combat du reste du prolétariat.

    Au cours de l’année passée, pendant laquelle nous remarquons une offensive de plus en plus arrogante du capital contre le travail, nous voyons en même temps dans tous les pays la bourgeoisie, non contente du travail de ses organes politiques, créer des organisations de gardes-blancs, légales ou semi-légales, mais toujours sous la protection de l’Etat et qui jouent un rôle déterminant dans tout grand choc économique et politique.

    En Allemagne, c’est l’Orgesch, soutenue par le gouvernement et comprenant les partis de toutes nuances depuis Stinnes jusqu’à Scheidemann.

    En Italie, ce sont les fascistes, dont les prouesses héroïques de bandits ont modifié l’état d’esprit de la bourgeoisie et crée l’illusion d’une transformation complète du rapport entre les forces politiques.

    En Angleterre, le gouvernement de Lloyd George, pour s’opposer au danger gréviste, s’adressa aux volontaires, dont la tâche consiste à « protéger la propriété et la liberté du travail », tantôt par le remplacement des grévistes et tantôt par la destruction de leurs organisations.

    En France, le journal semi-officiel « Le Temps », inspiré par la clique Millerand, mène une propagande énergique en faveur du développement des « ligues civiques » déjà existantes et de l’implantation des méthodes fascistes sur le sol français.

    Les organisations de briseurs de grèves et d’assassins qui ont de tout temps complété le régime de liberté américaine ont eu un organe dirigeant sous la forme de la Légion Américaine qui subsiste après la guerre.

    La bourgeoisie qui compte sur sa force et qui se vante de sa solidité sait parfaitement, dans la personne de ses gouvernants, qu’elle n’obtient ainsi qu’un moment de répit et que dans les conditions actuelles toute grande grève a tendance à se transformer en guerre civile et en lutte immédiate pour le pouvoir.

    Dans la lutte du prolétariat contre l’offensive du capital, c’est le devoir des communistes non seulement de prendre les premières places et d’instruire les combattants à comprendre les buts essentiels à réaliser par la révolution, mais encore de s’appuyer sur les éléments les meilleurs et les plus actifs dans les entreprises et les syndicats pour créer leur propre troupe ouvrière et leurs propres organisations de combat pour opposer résistance aux fascistes et faire perdre à la jeunesse dorée de la bourgeoisie l’habitude d’insulter les grévistes.

    En raison de l’importance exceptionnelle des troupes d’attaque contre-révolutionnaires, le parti communiste. les noyaux communistes dans les syndicats, doivent attacher la plus grande attention à la question du service de liaison et d’instruction, de la surveillance constante à exercer sur les organes de lutte, sur les forces des gardes-blancs, ses Etats-majors, ses dépôts d’armes, la liaison de ses cadres avec la police, avec la presse et les partis politiques, et de la préparation préalable de toutes les particularités nécessaires pour la défense et pour la contre-attaque.

    Le parti communiste doit de cette façon inculquer aux plus larges couches du prolétariat, par le fait et par la parole, l’idée que tout conflit économique ou politique peut, en cas d’un concours favorable de circonstances, se transformer en guerre civile, au cours de laquelle ce sera la tâche du prolétariat de s’emparer du pouvoir politique.

    Le Parti Communiste, en présence des actes de terreur blanche et de la rage de l’ignoble caricature de justice des bancs, doit maintenir constamment dans le prolétariat cette idée qu’il ne doit pas, au moment du soulèvement, se laisser tromper par les appels de l’adversaire à la douceur, mais, au contraire, par des actes de juridiction populaire organisée, fournir une expression à la justice prolétarienne et régler ses comptes avec les bourreaux de sa classe.

    Mais dans les moments où le prolétariat n’est encore qu’au début de la tâche, quand il s’agit encore de le mobiliser par l’agitation, par les campagnes politiques, par les grèves, l’usage des armes et les actes de sabotage ne sont utiles que lorsqu’ils servent à empêcher des transports de troupes contre les masses prolétariennes combattantes ou à arracher à l’adversaire une position importante dans la lutte directe.

    Des actes de terrorisme individuel, quoiqu’ils doivent être grandement appréciés comme preuve, comme symptôme de l’effervescence révolutionnaire et si défendables qu’ils soient en regard de la loi de lynch de la bourgeoisie et de ses laquais social-démocrates, ne sont cependant susceptibles en aucune façon d’élever le degré d’organisation et les dispositions combatives du prolétariat, car ils éveillent dans les masses l’illusion que des actes héroïques isolés peuvent suppléer à la lutte révolutionnaire du prolétariat.

    IX. L’ATTITUDE À L’ÉGARD DES COUCHES MOYENNES ET DU PROLÉTARIAT

    En Europe Occidentale, il n’y a aucune autre grande classe qui, en dehors du prolétariat, puisse être un facteur déterminant de la révolution mondiale, comme ce fut le cas en Russie, où la classe paysanne était destinée d’avance, grâce à la guerre et au manque de terre, à être un facteur décisif dans le combat révolutionnaire, à côté de la classe ouvrière.

    Mais en Europe Occidentale il y a des parties des paysans, de grandes fractions de la petite bourgeoisie urbaine, une large couche de ce nouveau Tiers-Etat, comprenant les employés, etc. qui sont placées dans des conditions d’existence de plus en plus intolérables. Sous la pression du renchérissement de la vie, de la crise du logement, de l’incertitude de leur situation, ces masses entrent dans une fermentation qui les fait sortir de leur inactivité politique et les entraîne dans le combat entre la révolution et la contre-révolution.

    La banqueroute de d’impérialisme dans les Etats vaincus, la banqueroute du pacifisme et des tendances social-réformistes dans le camp de la contre-révolution déclarée dans les pays victorieux, poussent une partie de ces couches moyennes dans celui de la révolution. Le Parti Communiste doit accorder à ces couches son attention de tous les instants.

    Conquérir le petit paysan aux idées du communisme, conquérir et organiser l’ouvrier agricole, voilà une des conditions préalables les plus essentielles pour la victoire de la dictature prolétarienne, car elle permet de transporter la révolution des centres industriels dans les campagnes et crée pour elle les points d’appui les plus importants pour résoudre la question du ravitaillement, qui est la question vitale de la révolution.

    La conquête de cercles assez vastes d’employés du commerce et de l’industrie, de fonctionnaires inférieurs et moyens et d’intellectuels faciliterait à la dictature du prolétariat, pendant l’époque de transition entre le capitalisme et le communisme, la solution des questions de technique, et d’organisation de l’industrie, d’administration économique et politique. Elle porterait le désarroi dans les rangs de l’ennemi et ferait cesser l’isolement du prolétariat dans l’opinion publique.

    Les Partis communistes doivent surveiller de la manière la plus attentive la fermentation des couches petites-bourgeoises ; ils doivent utiliser ces couches de la manière la plus appropriée, même si elles ne sont pas encore affranchies des illusions petites-bourgeoises.

    Ils doivent incorporer les fractions des intellectuels et des employés, affranchis de ces illusions, au front prolétarien et les faire servir à l’entraînement de masses petites-bourgeoises en fermentation.

    La ruine économique et l’ébranlement des finances publiques qui en est résulté contraignent la bourgeoisie elle-même à livrer la base de son propre appareil gouvernemental, les fonctionnaires inférieurs et moyens, à une paupérisation croissante. Les mouvements économiques qui se produisent dans ces couches, atteignent directement la charpente de l’Etat bourgeois et même si celui-ci est raffermi chaque fois pour un temps, il lui sera non moins impossible d’assurer l’existence matérielle du prolétariat tout en maintenant son système d’exploitation.

    En prenant la défense des besoins économiques des fonctionnaires moyens et inférieurs avec toute leur force d’action et sans égards pour l’état des finances publiques, les partis communistes accomplissent le travail préliminaire efficace pour la destruction des institutions gouvernementales bourgeoises et préparent les éléments de l’édifice gouvernemental prolétarien.

    X. LA COORDINATION INTERNATIONALE DE L’ACTION

    Pour que toutes les forces de l’Internationale Communiste puissent être mises en œuvre afin de rompre le front de la contre-révolution internationale, pour hâter la victoire de la révolution, il faut s’efforcer avec la dernière énergie de donner à la lutte révolutionnaire une direction internationale unique.

    L’Internationale Communiste impose à tous les Partis Communistes le devoir de se prêter réciproquement au combat l’appui le plus énergique. Les luttes économiques qui se développent exigent partout où cela est possible, l’intervention du prolétariat des autres pays. Les communistes doivent agir dans les syndicats pour que ces derniers empêchent par tous les moyens non seulement l’introduction de briseurs de grèves, mais aussi boycottent l’exportation pour les pays dans lesquels une partie importante du prolétariat est en lutte.

    Dans les cas où les gouvernants capitalistes d’un pays prennent des mesures de violence contre un autre pays pour le piller ou le subjuguer, c’est le devoir des Partis Communistes de ne point se contenter de protestations, mais de faire tout pour empêcher l’expédition de brigandage de leur gouvernement.

    Le 3ème Congrès de l’Internationale Communiste félicite les Communistes français de leurs manifestations, comme d’un commencement d’accentuation de leur action contre le rôle contre-révolutionnaire rapace du capital français. Il leur rappelle leur devoir de travailler de toutes leurs forces pour que les soldats français des pays occupés apprennent à comprendre leur rôle de bourreaux au service du capital français et à se soulever contre la mission honteuse qui leur est attribuée.

    C’est la tâche du Parti Communiste français de faire entrer dans la conscience du peuple français qu’en tolérant la formation d’une armée d’occupation française imbue d’esprit nationaliste, il nourrit son propre ennemi. Dans les régions occupées, des troupes sont exercées, qui ensuite seront prêtes à noyer dans le sang le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière française. La présence des troupes noires sur le sol de la France et des régions occupées impose au parti communiste français des tâches particulières.

    Cette présence donne au Parti français la possibilité d’atteindre ces esclaves coloniaux, de leur expliquer qu’ils servent leurs exploiteurs et leurs bourreaux et de les inciter à la lutte contre le régime des colonisateurs, et de se mettre par leur intermédiaire en rapports avec les populations des colonies françaises.

    Le Parti Communiste allemand doit par son action faire comprendre au prolétariat allemand qu’aucune lutte n’est possible contre son exploitation par le capital de l’Entente sans renverser le gouvernement capitaliste allemand, qui, malgré ses criailleries contre l’Entente se constitue l’huissier et l’exécuteur du capital de l’Entente.

    Ce n’est qu’en prouvant par une lutte violente et sans réserves contre le gouvernement allemand, qu’il ne cherche pas une issue pour l’impérialisme allemand en banqueroute, mais qu’il s’applique à déblayer le terrain des ruines de l’impérialisme allemand, que le V.K.P.D. sera en état d’augmenter dans les masses prolétariennes de France la volonté de lutte contre l’impérialisme français.

    L’Internationale Communiste, qui a dénoncé au prolétariat international les prétentions du capital de l’Entente aux réparations de guerre comme une campagne de pillage contre les masses laborieuses des pays vaincus, qui flétrit les tentatives des longuettistes et des Indépendants allemands pour donner une certaine forme à ce pillage qui est pour le moins très douloureux pour les masses ouvrières, qui les flétrit comme une lâche capitulation devant les requins de la Bourse de l’Entente, l’Internationale Communiste montre en même temps au prolétariat français et allemand la seule voie menant à la reconstruction des régions détruites, à l’indemnisation des veuves et des orphelins, en invitant les prolétaires des deux pays à la lutte commune contre leurs exploiteurs.

    La classe ouvrière allemande ne peut aider le prolétariat russe dans sa lutte difficile que si par sa lutte victorieuse elle hâte l’union de la Russie agricole avec l’Allemagne industrielle.

    C’est le devoir des Partis Communistes de tous les pays dont les troupes participent à l’asservissement et au dépècement de la Turquie de mettre en œuvre tous les moyens pour révolutionner ces troupes.

    Les Partis Communistes des pays balkaniques ont le devoir de tendre toutes les forces des masses qu’ils encadrent pour maîtriser le nationalisme par la création d’une confédération balkanique communiste, de ne rien omettre pour rapprocher le moment de leur victoire. Le triomphe des Partis Communistes en Bulgarie et en Serbie, qui amènera la chute de l’ignoble régime de Horty et la liquidation de la féodalité des boyars roumains étendra dans la plupart des pays voisins développés la base agricole nécessaire à la révolution italienne.

    Soutenir sans réserves la Russie des Soviets demeure comme précédemment le devoir dominant des communistes de tous les pays. Ils ne doivent pas seulement s’élever de la manière la plus énergique contre toute attaque contre la Russie Soviétique ; ils doivent encore s’employer avec toute leur énergie à supprimer les obstacles que les Etats capitalistes mettent au rapports de la Russie Soviétique avec le marché mondial et avec tous les peuples.

    Il faut que la Russie Soviétique réussisse à rétablir sa situation économique, et atténuer l’immense misère causée par trois ans de guerre impérialiste et trois ans de guerre civile, il faut qu’elle réussisse à relever la capacité de travail de ses masses populaires, pour qu’elle soit en état d’aider à l’avenir les Etats prolétariens victorieux de l’Occident en leur fournissant des vivres et des matières premières et de les protéger contre l’étranglement par le capital américain.

    Ce n’est pas seulement en des manifestations à l’occasion d’événements particuliers, mais en un perfectionnement de la liaison Internationale entre les communistes dans leur lutte commune constante sur un front ininterrompu que consiste le rôle en politique universelle de l’Internationale Communiste.

    Sur quel secteur de ce front aura lieu la percée victorieuse du prolétariat ? Sera-ce dans l’Allemagne capitaliste avec son prolétariat soumis à une oppression extrême de la bourgeoisie allemande et ententiste et placé devant l’alternative de mourir ou de vaincre, sera-ce dans les pays agricoles du sud-est, ou bien en Italie, où la démolition de la bourgeoisie est si avancée ?

    Cela ne peut être dit à l’avance. C’est le devoir de l’Internationale Communiste d’intensifier à l’extrême l’effort sur tous les secteurs du front mondial du prolétariat et c’est le devoir des Partis Communistes de tout faire pour appuyer les luttes décisives de chaque section de l’internationale Communiste de tous les moyens à leur disposition. Cette liaison doit se marquer avant tout en ceci que lorsqu’une grande crise commence dans un pays, dans les autres, les Parti Communistes s’efforcent d’aiguiser et de faire déborder tous les conflits intérieurs.

    XI. L’ÉCROULEMENT DES INTERNATIONALES II ET II 1/2

    La troisième année d’existence de l’Internationale Communiste a été témoin d’une chute plus complète des Partis Social-démocrates et des leaders syndicaux réformistes, qui ont été démasqués et mis à nu.

    Mais cette année a vu aussi leur tentative pour se grouper en une organisation et pour prendre l’offensive contre l’Internationale Communiste.

    En Angleterre des chefs du Labour Party et des trade-unions ont montré pendant la grève des mineurs que leur but ne consiste en rien d’autre qu’à bouleverser consciemment le front prolétarien en formation et à défendre consciemment les capitalistes contre les ouvriers. L’écroulement de la Triple-Alliance fournit la preuve que les leaders syndicaux réformistes ne sont même pas disposés à lutter pour l’amélioration du sort du prolétariat dans le cadre du capitalisme.

    En Allemagne le Parti social-démocrate, sorti du gouvernement, a prouvé qu’il est incapable de mener même une opposition de propagande, telle que l’avait faite l’ancienne social-démocratie d’avant la guerre. A chaque geste d’opposition, ce Parti était préoccupé uniquement de ne déchaîner aucun combat de la classe ouvrière.

    Bien que se trouvant soi-disant dans d’opposition dans le Reich, le Parti social-démocrate a organisé en Prusse l’expédition des gardes-blancs contre les mineurs de l’Allemagne centrale, afin de les provoquer à la lutte armée, ainsi qu’il l’a avoué lui-même, avant que les rangs communistes fussent en ordre pour le combat.

    Devant la capitulation de la bourgeoisie allemande devant l’Entente, devant ce fait évident que cette bourgeoisie ne saurait exécuter les conditions dictées par l’Entente qu’en rendant l’existence du prolétariat allemand complètement intolérable, la social-démocratie allemande est rentrée dans le gouvernement pour aider la bourgeoisie à transformer le prolétariat allemand en troupeau d’ilotes.

    En Tchécoslovaquie, la social-démocratie mobilise l’armée et la police pour arracher aux ouvriers communistes la possession de leurs maisons et de leurs institutions.

    Le Parti Socialiste Polonais aide, par sa tactique mensongère, Pilsudski à organiser son expédition de brigandage contre la Russie Soviétique. Il aide son gouvernement à jeter dans les prisons des milliers de communistes en cherchant à les chasser des syndicats, où malgré toutes les persécutions ils réunissent autour d’eux des masses de plus en plus grandes.

    Les social-démocrates belges restent dans un gouvernement qui prend part à la réduction complète en esclavage du peuple allemand.

    Les partis et les groupes centristes de l’Internationale 2 1/2 ne se montrent pas moins hideux que les partis de la contre-révolution.

    Les Indépendants d’Allemagne repoussent brutalement l’invitation du Parti Communiste à mener en commun la lutte contre l’aggravation du sort de la classe ouvrière, malgré les divergences de principe.

    Au cours des journées de mars, ils ont pris délibérément le parti du gouvernement des gardes-blancs contre les ouvriers de l’Allemagne centrale pour ensuite, après avoir aidé à la victoire de la terreur blanche, après avoir dénoncé à l’opinion publique bourgeoise les rangs avancés du prolétariat comme un prolétariat de voleurs et de brigands, se lamenter hypocritement sur cette même terreur blanche. Quoique ayant pris l’engagement au Congrès de Halle de soutenir la Russie Soviétique, les Indépendants mènent dans leur presse une campagne de calomnies contre la République des Soviets de Russie.

    Ils entrent dans les rangs de toute la contre-révolution russe avec Wrangel, Milioukov et Bourtsev, en soutenant le soulèvement de Cronstadt contre la République des Soviets, soulèvement qui manifeste les débuts d’une nouvelle tactique de la contre-révolution internationale à l’égard de la Russie Soviétique : renverser le parti communiste de Russie, l’âme, le cœur, la colonne vertébrale et le système nerveux de la République Soviétique, pour tuer cette dernière et n’avoir plus ensuite qu’à balayer son cadavre.

    Aux côtés des Indépendants allemands, les Longuettistes français s’associent à cette campagne et se rallient ainsi publiquement à la contre-révolution française, qui, comme on le sait, a inauguré cette nouvelle tactique à l’égard de la Russie.

    En Italie, la politique des groupes du centre, de Serrati et d’Aragona, la politique de recul devant toute lutte a rempli la bourgeoisie d’un nouveau courage et lui a donné la possibilité, au moyen des bandes blanches des fascistes, de dominer toutes la vie de l’Italie.

    Quoique les partis du centre et de la social-démocratie ne diffèrent entre eux que par des phrases, l’union des deux groupes en une Internationale unique n’est pas encore réalisée pour le moment.

    Les partis centristes se sont unis en février en une association internationale séparée avec une plate-forme politique et des statuts spéciaux. Cette Internationale 2 1/2 essaie d’osciller sur le papier entre les deux mots d’ordre de la démocratie et de la dictature du prolétariat.

    En pratique, elle n’aide pas seulement la classe capitaliste dans chaque pays en cultivant l’esprit d’indécision dans la classe ouvrière, mais encore et même en présence des ruines accumulées par la bourgeoisie internationale, en présence de la soumission d’une partie du monde à la volonté des Etats capitalistes victorieux de l’Entente, elle offre ses conseils à la bourgeoisie pour réaliser son plan de pillage sans déchaîner les forces révolutionnaires des masses populaires.

    L’Internationale 2 1/2 se distingue de la II° Internationale uniquement en ce qu’elle joint, à la peur commune de la puissance du capital qui unit les réformistes avec les centristes, la peur de perdre, en formulant clairement son point de vue, ce qui lui reste d’influence sur les masses encore indécises, mais de sentiment révolutionnaire.

    L’identité politique essentielle des réformistes et des centristes trouve son expression dans la défense qu’ils font en commun de l’Internationale Syndicale d’Amsterdam, ce dernier bastion de la bourgeoisie mondiale. En s’unissant, partout où ils possèdent de l’influence sur les syndicats, aux réformistes et à la bureaucratie syndicale pour combattre les communistes, en répondant aux tentatives pour révolutionner les syndicats, par l’exclusion des communistes et par la scission des syndicats, les centristes prouvent que, tout comme les social-démocrates, ils sont les adversaires décidés de la lutte du prolétariat et les aides de la contre-révolution.

    L’Internationale Communiste doit, comme elle l’a fait jusqu’à présent, mener la lutte la plus décidée, non seulement contre la II° Internationale et contre l’Internationale Syndicale d’Amsterdam, mais aussi contre l’Internationale 2 1/2.

    Ce n’est que par cette lutte sans merci que l’Internationale Communiste peut enlever à la social-démocraties et aux centristes leur influence sur la classe ouvrière ; ces agents de la bourgeoisie, loin d’avoir la moindre intention de lutter pour vaincre le capitalisme, n’ont pas même celle de lutter pour les plus besoins les plus simples et les plus immédiats de la classe ouvrière.

    Pour mener cette lutte jusqu’à la victoire, elle doit étouffer dans le germe toute tendance et tout accès centriste dans ses propres rangs et prouver par son action quotidienne qu’elle est l’Internationale de l’action communiste et non de la phrase et de la théorie communistes.

    L’Internationale Communiste est la seule organisation du prolétariat international susceptible, de par ses principes, de diriger la lutte contre le capitalisme. Elle doit si bien fortifier sa cohésion intérieure, sa direction internationale, son action, qu’elle puisse atteindre les buts qu’elle s’est proposée dans ses statuts :

    « Organisation d’actions communes des prolétaires des différents pays qui poursuivent le but commun : renversement du capitalisme, établissement de la dictature du prolétariat et d’une République Soviétique Internationale ».

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    de l’Internationale Communiste

  • Thèses sur la situation mondiale et les tâches de l’Internationale Communiste au troisième congrès

    I. LE FOND DE LA QUESTION

    1. Le mouvement révolutionnaire, à l’issue de la guerre impérialiste et depuis cette guerre, se distingue par son ampleur sans précédent dans l’histoire. En mars 1917, le tsarisme est renversé. En mai 1917, orageuse lutte gréviste en Angleterre. En novembre 1917, le prolétariat russe s’empare du pouvoir de l’Etat.

    En novembre 1918, chute des monarchies allemande et austro-hongroise. Le mouvement gréviste s’empare de toute une série de pays européens et se développe particulièrement au cours de l’année suivante. En mars 1919, la République Soviétique est installée en Hongrie. Vers la fin de la même année, les Etats-Unis sont ébranlés par les formidables grèves des métallurgistes, des mineurs et des cheminots. En Allemagne, après les combats de janvier et de mars 1919, le mouvement atteint son point culminant, au lendemain de l’émeute de Kapp, en mars 1920.

    En France, le moment de la plus haute tension de la vie intérieure arrive au mois de mai 1920. En Italie, le mouvement du prolétariat industriel et rural s’accroît sans cesse et mène en septembre 1920 à la mainmise par les ouvriers sur les usines, les fabriques et les propriétés foncières. Le prolétariat tchèque, en décembre 1920, saisit l’arme de la grève générale politique. En mars 1921, soulèvement des ouvriers de l’Allemagne centrale et grève des ouvriers mineurs en Angleterre.

    Le mouvement atteint des proportions particulièrement grandes et une intensité plus violente dans les pays hier belligérants et surtout dans les pays vaincus mais il s’étend aussi aux pays neutres. En Asie et en Afrique, il suscite ou renforce l’indignation révolutionnaire des nombreuses masses coloniales.

    Cette puissante vague ne réussit pourtant pas à renverser le capitalisme mondial, ni même le capitalisme européen.

    2. Pendant l’année qui s’est écoulée entre le 2e et le 3e Congrès de l’Internationale Communiste, une série de soulèvements et de luttes de la classe ouvrière se terminent en partie par la défaite (avance de l’armée rouge sur Varsovie en août 1920, mouvement du prolétariat italien en septembre 1920, soulèvement des ouvriers allemands en mars 1921).

    La première période du mouvement révolutionnaire, après la guerre, est caractérisée par sa violence élémentaire, par l’imprécision très significative des buts et des méthodes et par l’extrême panique qui s’empare des classes dirigeantes ; elle parait être terminée dans une large mesure. Le sentiment de sa puissance de classe qu’a la bourgeoisie, et la solidité extérieure de ses organes d’Etat se sont indubitablement renforcés.

    La peur du communisme s’est affaiblie si elle n’a pas complètement disparu. Les dirigeants de la bourgeoisie vantent la puissance de leur mécanisme d’Etat et passent même dans tous les pays à l’offensive contre les masses ouvrières, tant sur le front économique que sur le front politique.

    3. En raison de cette situation, l’Internationale Communiste se pose à elle-même et pose à la classe ouvrière les questions suivantes : Dans quelle mesure les nouveaux rapports réciproques de la bourgeoisie et du prolétariat correspondent-ils réellement aux rapports plus profonds de leurs forces respectives ?

    La bourgeoisie est-elle vraiment à présent plus en mesure de rétablir l’équilibre social détruit par la guerre ? Y a-t-il des raisons de supposer qu’après une époque d’ébranlements politiques et de luttes de classes vient une nouvelle époque, prolongée du rétablissement et de l’agrandissement du capitalisme ? Ne s’ensuit-il pas la nécessité de réviser le programme ou la tactique de l’Internationale Communiste ?

    II. LA GUERRE, LA PROSPÉRITE SPÉCULATIVE ET LA CRISE. LES PAYS EUROPÉENS

    4. Les deux dizaines d’années qui avaient précédé la guerre furent une époque d’ascension capitaliste particulièrement puissante. Les périodes de prospérité se distinguent par leur durée et par leur intensité, les périodes de dépression ou de crise, au contraire, par leur brièveté. D’une façon générale, la source s’était brusquement élevée ; les nations capitalistes s’étaient enrichies.

    Enserrant le marché mondial par leurs trusts, leurs cartels et leurs consortiums, les maîtres des destinées du monde se rendaient compte que le développement enragé de la production devait se heurter aux limites de la capacité d’achat du marché capitaliste mondial ; ils essayèrent de sortir de cette situation par les moyens de violence ; la crise sanglante de la guerre mondiale devait remplacer une longue période menaçante de dépression économique avec le même résultat d’ailleurs, c’est-à-dire la destruction d’énormes forces de production.

    La guerre a cependant réuni l’extrême puissance destructrice de ses méthodes à la durée imprévisiblement longue de leur emploi. Le résultat fut qu’elle ne détruisit pas seulement, au sens économique, la production « superflue », mais qu’elle affaiblit, ébranla, mina le mécanisme fondamental de la production en Europe. Elle contribua en même temps au grand développement capitaliste des Etats-Unis et à l’ascension fiévreuse du Japon. Le centre de gravité de l’économie mondiale passa d’Europe en Amérique.

    5. La période de cessation du massacre prolongé pendant quatre années, période de démobilisation et de transition de l’état de guerre à l’état de paix, inévitablement accompagnée d’une crise économique, conséquence de l’épuisement et du chaos de la guerre, apparaissait aux yeux de la bourgeoisie – et avec raison – comme grosse des plus grands périls. A la vérité, pendant les deux années qui suivirent la guerre, les pays qu’elle avait ravagés devinrent l’arène de puissants mouvements prolétariens.

    Le fait que ce ne fut pas la crise inévitable, semblait-il, qui se produisit, quelques mois après la guerre, mais un relèvement économique, fut une des causes principales de ce que la bourgeoisie conserva néanmoins sa position dominante.

    Cette période dura environ un an et demi. L’industrie occupait la presque totalité des ouvriers démobilisés. Quoique, en règle générale, les salaires ne pussent atteindre les prix des articles de consommation, ils s’élevaient cependant suffisamment pour créer le mirage de conquêtes économiques.

    C’est précisément cet essor économique de 1919-1920 qui, adoucissant la phase la plus aiguë de liquidation de la guerre, eut pour résultat une extraordinaire recrudescence de l’assurance bourgeoise et souleva la question de l’avènement d’une nouvelle époque organique de développement capitaliste.

    Cependant, le relèvement de 1919-1920 ne marquait pas, au fond, le début de la restauration de l’économie capitaliste après la guerre, mais la continuation de la situation artificielle de l’industrie et du commerce, créée par la guerre, et qui put ébranler l’économie capitaliste.

    6. La guerre impérialiste éclata à l’époque ou la crise industrielle et commerciale, qui prit alors naissance en Amérique (1913), commençait à envahir l’Europe.

    Le développement normal du cycle industriel fut interrompu par la guerre qui devint elle-même le plus puissant facteur économique. La guerre créa pour les branches fondamentales de l’industrie un marché à peu près illimité, complètement à l’abri de toute concurrence. Le grand acheteur n’avait jamais assez de tout ce qu’on lui fournissait. La fabrication des moyens de production se transforma en fabrication des moyens de destruction.

    Les articles de consommation personnelle étaient acquis à des prix de plus en plus élevés par des millions d’individus qui, ne produisant rien, ne faisaient que détruire. C’était là le processus même de la destruction ; mais, en vertu des contradictions monstrueuses de la société capitaliste, cette ruine prit la forme de l’enrichissement. L’Etat lançait emprunt sur emprunt, émission sur émission, et – des budgets se chiffrant par millions – passa aux milliards. Machines et constructions s’usaient et n’étaient pas remplacées.

    La terre était mal cultivée. Des constructions essentielles dans les villes et sur les chemins de fer étaient arrêtées. En même temps le nombre des valeurs d’Etat, des bons de crédit et du Trésor et des fonds s’accrut sans cesse. Le capital fictif s’enfla dans la mesure même dans laquelle le capital productif était détruit. Le système du crédit, moyen de circulation des marchandises, se transforma en un moyen d’immobiliser les biens nationaux, y compris ceux qui devront être créés par les générations futures.

    Par crainte d’une crise qui eut été une catastrophe, l’Etat capitaliste agit après la guerre de la même façon que pendant celle-ci : nouvelles émissions, nouveaux emprunts, réglementation des prix de vente et d’achat des articles les plus importants, garantie de profits, denrées à des prix réduits, multiples allocations en addition aux appointements et aux salaires – et avec tout cela, censure militaire et dictature de galonnés.

    7. En même temps, la cessation des hostilités et le rétablissement des relations internationales révélèrent la demande considérable des marchandises les plus diverses, sur toute la surface du globe.

    La guerre avait laissé d’immenses stocks de produits, d’énormes sommes d’argent, concentrés entre les mains des fournisseurs et des spéculateurs, qui les employèrent là où le profit momentanément était le plus grand. Il s’ensuivit une activité commerciale fiévreuse, alors que, avec l’élévation inouïe des prix et des dividendes fantastiques, dans aucune de ses branches fondamentales, l’industrie ne se rapprochait en Europe de son niveau d’avant-guerre.

    8. Au prix de la destruction économique du système économique, accroissement de capital fictif, baisse du cours, spéculation, au lieu de panser les plaies économiques, le gouvernement bourgeois, agissant de concert avec les consortiums des banques et avec les trusts de l’industrie, réussit à éloigner le début de la crise économique, au moment où s’achevait la crise politique de la démobilisation et le premier examen des conséquences de la guerre.

    Ayant ainsi obtenu un répit important, la bourgeoisie crut que le danger de la crise était écarté pour un temps indéterminé. Un optimisme extrême s’empara des esprits ; il sembla que les besoins de la reconstruction dussent ouvrir une époque de prospérité industrielle, commerciale et surtout de spéculations heureuses. L’année 1920 fut l’année des espoirs déçus.

    Sous une forme financière, tout d’abord, sous une forme commerciale ensuite, et enfin sous une forme industrielle, la crise se produisit en mars 1920 au japon, en avril aux Etats-Unis (une légère baisse des prix avait commencé en janvier) ; elle passa en Angleterre, en France, en Italie, toujours en avril, dans les pays neutres de l’Europe, se manifesta sous une forme assez légère en Allemagne et se répandit dans la seconde moitié de 1920 dans tout le monde capitaliste.

    9. De la sorte, la crise de l’année 1920, et c’est là l’essentiel pour la compréhension de la situation mondiale, n’est pas une étape du cycle « normal », industriel, mais une réaction plus profonde contre la prospérité fictive du temps de guerre et des deux années suivantes, prospérité basée sur la destruction et sur l’épuisement.

    L’alternative normale des crises et des périodes de prospérité se poursuivait auparavant suivant la courbe du développement industriel. Pendant les sept dernières années, pas contre, les forces productrices de l’Europe, loin de s’élever, tombèrent brutalement.

    La destruction des bases mêmes de l’économie doit d’abord se manifester dans toute la superstructure. Pour arriver à une certaine coordination intérieure, l’économie de l’Europe devra pendant les quelques années à venir se restreindre et diminuer.

    La courbe des forces productrices tombera de sa hauteur fictive actuelle. Des périodes de prospérité ne peuvent avoir dans ce cas qu’une courte durée et surtout un caractère de spéculation. Les crises seront longues et pénibles. La crise actuelle en Europe est une crise de sous-production. C’est la réaction de la misère contre les efforts pour produire, trafiquer et vivre sur un pied analogue à celui de l’époque capitaliste précédente.

    10. En Europe, l’Angleterre est le pays économiquement le plus fort et qui a le moins souffert de la guerre ; on ne saurait cependant, même par rapport à elle, parler d’un rétablissement de l’équilibre capitaliste après la guerre. Certes, grâce à son organisation mondiale et à sa situation de triomphatrice, l’Angleterre a obtenu après la guerre certains succès commerciaux et financiers, elle a amélioré son bilan commercial, elle a relevé le cours de la livre sterling et elle a obtenu un excédent des revenus sur les dépenses aux budgets ; mais sur le terrain industriel, l’Angleterre a rétrogradé depuis la guerre.

    Le rendement du travail et les revenus nationaux sont incomparablement plus bas qu’avant la guerre. La situation industrielle la plus importante, celle du charbon, s’aggrave de plus en plus, aggravant la situation des autres branches. Les mouvements grévistes incessants sont non la cause, mais la conséquence de la ruine de l’économie anglaise.

    11. La France, la Belgique, l’Italie sont irréparablement ruinées par la guerre. La tentative de restaurer l’économie de la France aux dépens de l’Allemagne est un véritable brigandage accompagné d’oppression diplomatique qui, sans sauver la France, ne tend qu’à épuiser définitivement l’Allemagne (en charbon, machines, bétail, or). Cette mesure porte un coup sérieux à toute l’économie de l’Europe continentale dans son ensemble.

    La France gagne bien moins que ne perd l’Allemagne, et elle court à la ruine économique, bien que ses paysans aient de nouveau, grâce à des efforts extraordinaires, rétabli une grande partie des cultures agricoles et que certaines branches d’industrie (par exemple l’industrie des produits chimiques) se soient considérablement développées pendant la guerre.

    Les dettes et les dépenses d’Etat (par suite du militarisme) ont atteint des dimensions incroyables ; à la fin de la dernière période de prospérité, le cours du change français était tombé de 60%. Le rétablissement de l’économie française est entravé par les lourdes pertes en vies humaines causées par la guerre, pertes impossibles à compenser par suite du faible accroissement de la population française. Il en est de même, à peu de chose près, pour l’économie de la Belgique et de l’Italie.

    12. Le caractère illusoire de la période de prospérité est surtout évident en Allemagne ; dans un laps de temps pendant lequel les prix se sont élevés en une année et demie au sextuple, la production du pays a continué de baisser très rapidement.

    La participation, triomphante en apparence, de l’Allemagne au trafic commercial international d’avant-guerre est payée d’un double prix : gaspillage du capital fondamental de la nation (par la destruction de l’appareil de production, de transport et de crédit) et abaissement successif du niveau d’existence de la classe ouvrière. Les profits des exportateurs allemands s’expriment par une perte sèche du point de vue de l’économie publique.

    Sous forme d’exportation, c’est la vente à bas prix de l’Allemagne même qui a lieu. Les maîtres capitalistes s’assurent une part toujours croissante de la fortune nationale qui, elle, diminue sans cesse. Les ouvriers allemands deviennent les coolies de l’Europe.

    13. De même que l’indépendance politique fictive des petits pays neutres repose sur l’antagonisme des grandes puissances entre elles, de même leur prospérité économique dépend du marché mondial, dont le caractère fondamental était déterminé avant la guerre par l’Angleterre, l’Allemagne, les Etats-Unis et la France.

    Au cours de la guerre, la bourgeoisie des petits Etats neutres d’Europe réalisa des bénéfices monstrueux. Mais la destruction et la ruine des pays belligérants d’Europe entraînèrent la ruine économique des petits pays neutres. Leurs dettes s’accrurent, leurs changes baissèrent, la crise leur porta coup sur coup.

    III. ÉTATS-UNIS, JAPON, PAYS COLONIAUX ET LA RUSSIE DES SOVIETS

    14. Le développement des Etats-Unis pendant la guerre présente en un certain sens le contraire du développement de l’Europe. La participation des Etats-Unis à la guerre fut surtout une participation de fournisseurs. Les Etats-Unis ne ressentirent nullement les effets destructeurs de la guerre. L’influence indirectement destructrice de la guerre sur les transports, sur l’économie rurale, etc., fut bien plus faible dans ce pays qu’en Angleterre – sans parler même de la France ou de l’Allemagne.

    D’autre part, les Etats-Unis exploitèrent de la manière la plus complète la suppression ou du moins l’extrême affaiblissement de la concurrence européenne et poussèrent leurs industries les plus importantes à un degré de développement inespéré (naphte, constructions navales, automobiles, charbon) ; ce ne sont pas seulement le naphte et les céréales américains, mais aussi le charbon, qui tiennent maintenant dans leur dépendance la plupart des pays d’Europe.

    Si, jusqu’à la guerre, l’Amérique exportait surtout des produits agricoles et des matières premières (constituant les deux tiers de l’exportation totale), à présent, au contraire. elle exporte surtout des produits industriels (60% de son exportation). Si, jusqu’à la guerre, l’Amérique était débitrice, à présent elle est devenue la créancière du monde entier. La moitié environ de la réserve mondiale de l’or continue toujours à y affluer. Le rôle déterminant sur le marché mondial est passé de la livre sterling au dollar.

    15. Cependant, le capital américain, lui aussi, est sorti de l’équilibre. L’essor extraordinaire de l’industrie américaine a été exclusivement déterminé par l’ensemble des conditions mondiales : suppression de la concurrence européenne et surtout demande du marché militaire de l’Europe. Si l’Europe, ruinée, n’a pas pu, même après la guerre, revenir en qualité de concurrente de l’Amérique, à sa situation d’avant-guerre sur le marché mondial, elle ne peut, d’autre part, en qualité de marché pour l’Amérique, n’avoir désormais qu’une part insignifiante de son importance antérieure. Les Etats-Unis sont devenus dans une mesure infiniment plus grande qu’avant-guerre un pays d’exportation.

    L’appareil productif surdéveloppé pendant la guerre ne peut être complètement utilisé à cause du manque de débouchés. Quelques industries sont ainsi devenues des industries de saison qui ne peuvent donner du travail aux ouvriers que pendant une partie de l’année. La crise est aux Etats-Unis le commencement d’une profonde et durable ruine économique résultant de la chute de l’Europe. C’est là le résultat de la destruction de la division du travail mondial.

    16. Le Japon aussi a profité de la guerre pour élargir sa place sur le marché mondial. Son développement est incomparablement plus limité que celui des Etats-Unis et, dans une série de branches, il revêt un caractère purement artificiel. Si ses forces productrices furent suffisantes pour la conquête d’un marché déserté par les concurrents, elles apparaissent cependant insuffisantes pour lui garder ce marché dans la lutte avec les pays capitalistes plus puissants. Il en résulta une crise aiguë qui fut précisément le commencement de toutes les autres crises.

    17. Les pays maritimes exportant des matières premières, et dans ce nombre les pays coloniaux (Amérique du Sud, Canada, Australie, Indes, Egypte, etc.), profitèrent à leur tour de l’interruption des communications internationales pour développer leur industrie indigène. La crise mondiale s’est étendue à présent chez eux aussi. Le développement de l’industrie nationale dans ces pays devient à son tour une source de nouvelles difficultés commerciales pour l’Angleterre et pour toute l’Europe.

    18. Dans le domaine de la production du commerce et du crédit, et cela non seulement en Europe, mais sur une échelle mondiale, il n’y a donc pas de raison d’affirmer un rétablissement quelconque d’équilibre stable après la guerre.

    La chute économique de l’Europe continue, mais la destruction des bases de l’économie européenne se manifestera à peine pendant les années qui viennent.

    Le marché mondial est désorganisé. L’Europe a besoin des produits américains, mais elle ne peut donner à l’Amérique aucun équivalent. L’Europe est anémiée, l’Amérique est hypertrophiée. Le change or est supprimé. La dépréciation du change des pays européens (qui atteint jusqu’à 99%) est un obstacle presque insurmontable pour le commerce international. Les fluctuations continuelles et imprévues du change transforment la production capitaliste en une spéculation effrénée. Le marché mondial n’a plus d’équivalent général.

    Le rétablissement du cours or en Europe ne pourrait être obtenu que par l’élévation de l’exportation et la diminution des importations. L’Europe ruinée est incapable de cette transformation. L’Amérique se défend à son tour des importations européennes artificielles (dumping) en élevant les tarifs douaniers.

    L’Europe reste une maison d’aliénés. La plupart des Etats promulguent des interdictions d’exportation et d’importation ; ils multiplient leurs tarifs protecteurs. L’Angleterre établit des droits prohibitifs contre l’exportation allemande et toute la vie économique de l’Allemagne est à la merci d’une bande de spéculateurs de l’Entente et surtout français. Le territoire de l’Autriche-Hongrie est divisé par une dizaine de lignes douanières. L’écheveau des traités de paix est chaque jour plus embrouillé.

    19. La disparition de la Russie soviétique en tant que débouché pour les produits industriels et en tant que fournisseur de matières brutes a contribué dans une grande mesure à rompre l’équilibre de l’économie mondiale. Le retour de la Russie sur le marché mondial ne peut pas, pendant la prochaine période, y porter de bien grands changements.

    L’organisme capitaliste de la Russie se trouvait, sous le rapport des moyens de production, dans la plus étroite dépendance de l’industrie mondiale, et cette dépendance s’est encore accentuée par rapport aux pays de l’Entente, pendant la guerre, alors que l’industrie intérieure de la Russie était entièrement mobilisée. Le blocus rompit d’un coup tous ces liens vitaux. Il ne saurait même être question que ce pays épuisé et ruiné par trois années de guerre civile puisse organiser chez lui les nouvelles branches d’industrie sans lesquelles les anciennes ont été inévitablement ruinées par l’épuisement de leur matériel fondamental.

    A tout cela s’ajoute le fait de l’absorption dans l’armée rouge de centaines de milliers des meilleurs ouvriers et, dans une mesure considérable, des plus qualifiés. Dans ces conditions historiques, aucun autre régime n’aurait pu, cerné par le blocus, réduit à des guerres incessantes, recueillant un terrible héritage de ruines, maintenir la vie économique et créer une administration centralisée.

    Mais on ne peut douter que la lutte contre l’impérialisme mondial ait été payée de l’épuisement prolongé des forces productrices de la Russie dans plusieurs branches fondamentales de l’économie. Ce n’est qu’à présent, à la suite du relâchement du blocus et du rétablissement de certaines formes plus normales des rapports entre la ville et la campagne, que le pouvoir soviétique reçoit la possibilité d’une direction centralisée constante et inflexible en vue du relèvement du pays.

    IV. TENSION DES ANTAGONISMES SOCIAUX

    20. La guerre, qui entraîna une destruction sans précédent dans l’histoire des forces productrices, n’a pas arrêté le processus de la différenciation sociale ; au contraire, la prolétarisation des larges couches intermédiaires, y compris la nouvelle classe moyenne (employés, fonctionnaires, etc.) et la concentration de la propriété entre les mains d’une petite minorité (trusts, cartels, consortiums, etc.), firent, pendant les sept dernières années, des progrès monstrueux dans les pays qui ont le plus souffert de la guerre. La question Stinnes est devenue une question essentielle de la vie économique allemande.

    La hausse des prix sur toutes les marchandises, concomitante à la baisse catastrophique du change dans tous les pays européens belligérants, attestait au fond une nouvelle répartition du revenu national au détriment de la classe ouvrière, des fonctionnaires, des employés, des petits rentiers et, d’une façon générale, de toutes les catégories d’individus ayant un revenu plus ou moins déterminé.

    De la sorte, sous le rapport de ses ressources matérielles, l’Europe fut ramenée a une dizaine d’années en arrière et la tension des antagonismes sociaux, qui ne peut désormais être comparée à ce qu’elle était autrefois, loin d’être arrêtée dans son cours, s’accentua avec une rapidité extraordinaire.

    Ce fait capital est déjà suffisant pour détruire tout espoir fondé sur un développement prolongé et pacifique des forces de la démocratie ; la différenciation progressive – d’un côté la « stinnesation » et, de l’autre, la prolétarisation et la paupérisation – basée sur la ruine économique, détermine le caractère tendu, conclusif et cruel de la lutte des classes.

    Le caractère actuel de la crise ne fait que prolonger sous ce rapport le travail de la guerre et de l’essor spéculatif qui la suivit.

    21. La hausse des prix des produits agricoles, tout en créant l’illusion de l’enrichissement général de la campagne, provoqua un accroissement réel des revenus et de la fortune des paysans riches. Les paysans purent, en effet, avec du papier déprécié, qu’ils avaient amassé en grande quantité, payer leurs dettes contractées au cours normal.

    Malgré la hausse énorme du prix de la terre, malgré l’abus éhonté du monopole des moyens de subsistance ; malgré enfin l’enrichissement des grands propriétaires fonciers et des paysans aisés, la régression dans l’économie rurale de l’Europe est indiscutable : c’est une régression multiforme qui se traduit par l’extension des formes d’économie rurale, la transformation de terres arables en prairies, la destruction du bétail, l’application du système de la jachère. Cette régression a eu encore pour causes l’insuffisance, la cherté et la hausse des prix des articles manufacturés, enfin – en Europe centrale et orientale – la réduction systématique de la production, qui est une réaction contre les tentatives du pouvoir étatique d’accaparer le contrôle des produits agricoles.

    Les paysans aisés, et en partie les paysans moyens, créent des organisations politiques et économiques pour se protéger contre les charges de la bourgeoisie et pour dicter à l’Etat – comme prix du secours accordé contre le prolétariat – une politique de tarifs et d’impôts unilatérale et exclusivement profitable aux paysans, une politique qui entrave la reconstruction capitaliste.

    Ainsi se crée entre la bourgeoisie urbaine et la bourgeoisie villageoise une opposition qui affaiblit la puissance de toute la classe bourgeoise. En même temps une grande partie des paysans pauvres sont prolétarisés, le village se convertit en une armée de mécontents et la conscience de classe du prolétariat rural s’accroît.

    D’autre part, l’appauvrissement général de l’Europe, qui la rend incapable d’acheter la quantité nécessaire de céréales américaines, entraîna une lourde crise de l’économie rurale transatlantique. On observe une aggravation de la situation du paysan et du petit fermier non seulement en Europe, mais aussi aux Etats-Unis, au Canada, en Argentine, en Australie, en Afrique du Sud.

    22. La situation des fonctionnaires et des employés, par suite de la diminution de la capacité d’achat de l’argent, s’est aggravée d’une façon générale plus durement que la situation du prolétariat. Les conditions d’existence des fonctionnaires subalternes et moyens étant complètement ébranlées, ces éléments sont devenus un ferment de mécontentement politique, qui sape la solidité du mécanisme d’Etat, qu’ils servent. « La nouvelle caste moyenne », qui selon les réformistes, représentait le centre des forces conservatrices, devient plutôt, pendant l’époque de transition, un facteur révolutionnaire.

    23. L’Europe capitaliste a finalement perdu sa situation économique prédominante dans le monde. D’autre part, son équilibre de classes relatif reposait sur cette vaste domination. Tous les efforts des pays européens (l’Angleterre et, en partie, la France), pour rétablir la situation intérieure, ne purent qu’aggraver le chaos de l’incertitude.

    24. Tandis qu’en Europe la concentration de la propriété s’accomplit sur les bases de la ruine, aux Etats-Unis cette concentration et les antagonismes de classe atteignirent un degré extrême sur le fond d’un enrichissement capitaliste fiévreux. Les brusques changements de la situation, par suite de l’incertitude générale du marché mondial, donnent à la lutte des classes sur le sol américain un caractère extrêmement tendu et révolutionnaire. A une apogée capitaliste sans précédent dans l’histoire, doit succéder une apogée de lutte révolutionnaire.

    25. L’émigration des ouvriers et des paysans au delà de l’océan servait toujours de soupape de sûreté au régime capitaliste d’Europe. Elle augmentait dans les époques de dépression prolongée et après l’échec des mouvements révolutionnaires. Mais maintenant l’Amérique et l’Australie entravent toujours davantage l’immigration. La soupape de sûreté de l’émigration ne fonctionne plus.

    26. Le développement énergique du capitalisme en Orient, particulièrement aux Indes et en Chine, a créé de nouvelles bases sociales pour la lutte révolutionnaire. La bourgeoisie de ces pays a resserré encore plus étroitement ses liens avec le capital étranger et est devenue de la sorte son principal instrument de domination.

    Sa lutte contre l’impérialisme étranger, lutte du plus faible concurrent, a essentiellement un caractère à demi fictif. Le développement du prolétariat indigène paralyse les tendances révolutionnaires nationales de la bourgeoisie capitaliste. Mais, en même temps, les rangs nombreux des paysans reçoivent en la personne de l’avant-garde communiste consciente de véritables chefs révolutionnaires.

    La réunion de l’oppression militaire nationaliste de l’impérialisme étranger, de l’exploitation capitaliste par la bourgeoisie indigène et par la bourgeoisie étrangère, ainsi que la survivance de la servitude féodale, créent des conditions dans lesquelles le prolétariat naissant se développera rapidement et se mettra à la tête du large mouvement des paysans.

    Le mouvement populaire révolutionnaire aux Indes, dans les autres colonies, est devenu maintenant partie intégrante de la révolution mondiale des travailleurs, dans la même mesure que le soulèvement du prolétariat dans les pays capitalistes de l’ancien ou du nouveau monde.

    V. RAPPORTS INTERNATIONAUX

    27. La situation générale de l’économie mondiale et, avant tout, la ruine de l’Europe déterminent une longue période de lourdes difficultés économiques, de secousses, de crises partielles et générales, etc. Les rapports internationaux, tels qu’ils s’établirent comme résultat de la guerre et du traité de Versailles, rendent la situation sans issue.

    L’impérialisme a été engendré par les besoins des forces productrices tendant à supprimer les frontières des Etats nationaux et à créer un territoire européen et mondial économique unique ; le résultat du conflit des impérialismes ennemis a été l’établissement dans l’Europe Centrale et Orientale de nouvelles frontières, de nouvelles douanes et de nouvelles armées. Au sens économique et pratique, l’Europe a été ramenée au Moyen-Age.

    Sur une terre épuisée et ruinée, on entretient actuellement une armée une fois et demie plus grande qu’en 1914, c’est-à-dire à l’apogée de la « paix armée ».

    28. La politique dirigeante de la France sur le continent européen peut être divisée en deux parties : l’une, attestant la rage aveugle de l’usurier prêt à étouffer son débiteur insolvable, et l’autre, représentée par la cupidité de la grande industrie pillarde en vue de créer, à l’aide des bassins de la Sarre, de la Ruhr et de la Haute-Silésie, les conditions favorables à un impérialisme industriel, susceptible de remplacer l’impérialisme financier en faillite.

    Mais ces efforts vont à l’encontre des intérêts de l’Angleterre. La tâche de celle-ci consiste à séparer le charbon allemand du minerai français, dont la réunion est pourtant une condition indispensable à la régénération de l’Europe.

    29. L’Empire Britannique paraît actuellement au sommet de sa puissance. Il a maintenu ses anciennes possessions et il en a conquis de nouvelles. Mais précisément le moment actuel montre que la situation prédominante de l’Angleterre est en contradiction avec sa déchéance économique effective. L’Allemagne, avec son capitalisme incomparablement plus progressif sous le rapport de la technique et de l’organisation, est écrasée par la force armée.

    Mais, en la personne des Etats-Unis économiquement maîtres des deux Amériques, se dresse en face de l’Angleterre un adversaire triomphant et plus menaçant que l’Allemagne. Grâce à une meilleure organisation et à une meilleure technique, le rendement du travail dans les industries des Etats-Unis est incomparablement supérieur à ce qu’il est en Angleterre. Les Etats-Unis produisent 65 à70 % du naphte consommé dans le monde entier et dont dépend l’usage des automobiles, celui des tracteurs, la flotte et l’aviation. La situation séculaire et presque monopolisée de l’Angleterre sur le marché du charbon est définitivement ruinée, l’Amérique a pris la première place. Son exportation en Europe augmente de façon menaçante. Sa flotte commerciale est presque égale à celle de l’Angleterre.

    Les Etats-Unis ne veulent plus se résigner au monopole mondial des câbles, détenu par l’Angleterre. Dans le domaine industriel, la Grande-Bretagne passe à la défensive et, sous prétexte de lutter contre la concurrence « malsaine » de l’Allemagne, s’arme de mesures protectionnistes contre les Etats-Unis. Enfin, tandis que la flotte militaire de l’Angleterre, comptant un grand nombre d’unités vieillies, s’est arrêtée dans son développement, le gouvernement Harding a repris le programme au gouvernement Wilson relativement aux constructions navales, lesquelles, au cours des deux ou trois prochaines années, donneront l’hégémonie des mers au pavillon américain.

    La situation est telle que, ou l’Angleterre sera automatiquement repoussée à l’arrière-plan et, malgré sa victoire sur l’Allemagne, deviendra une puissance de second ordre, ou bien – et elle s’y croit déjà obligée – elle engagera à fond, dans un très prochain avenir, toutes les forces par elle acquises dans le passé dans une lutte à mort avec les Etats-Unis.

    C’est dans cette perspective que l’Angleterre maintient son alliance avec le Japon et s’efforce, au prix de concessions de plus en plus grandes, d’acquérir l’appui ou, tout au moins, la neutralité de la France.

    La croissance du rôle international – dans les limites du continent – de cette dernière au cours de l’année écoulée a pour cause non un affaiblissement de la France, mais un affaiblissement international de l’Angleterre.

    La capitulation de l’Allemagne en mai dernier, dans la question des contributions de guerre, signale partout une victoire temporaire de l’Angleterre et assure la chute économique ultérieure de l’Europe centrale, sans exclure, dans un avenir rapproché, l’occupation par la France du bassin de la Ruhr et de la Haute-Silésie.

    30. L’antagonisme du Japon et des Etats-Unis, provisoirement dissimulé à la suite de leur participation à la guerre contre l’Allemagne, développe en ce moment ouvertement ses tendances. Le Japon s’est, par suite de la guerre, rapproché des côtes américaines, ayant reçu dans l’Océan Pacifique des îles d’une grande importance stratégique.

    La crise de l’industrie rapidement développée du Japon a de nouveau réveillé la question de l’émigration ; le Japon, pays à population dense, et pauvre en ressources naturelles, est obligé d’exporter des marchandises ou des hommes. Dans un cas comme dans l’autre, il se heurte aux Etats-Unis, en Californie, en Chine et sur l’île de Jap.

    Le japon dépense plus de la moitié de son budget pour l’armée et pour la flotte. Dans la lutte de l’Angleterre avec l’Amérique, le Japon aura sur mer le rôle joué sur terre par la France dans la guerre avec l’Allemagne. Le Japon profite actuellement de l’antagonisme entre la Grande-Bretagne et l’Amérique, mais la lutte décisive de ces deux géants pour la domination du monde se décidera finalement à son détriment.

    31. Le grand massacre récent fut européen par ses causes et par ses principaux participants. L’axe de la lutte, c’était l’antagonisme entre l’Angleterre et l’Allemagne. L’intervention des Etats-Unis élargit les cadres de la lutte, mais ne l’écarte pas de sa tendance fondamentale ; le conflit européen fut résolu au moyen du monde entier.

    La guerre, qui résolut à sa manière le différend entre l’Angleterre et l’Allemagne, non seulement n’a pas résolu la question des rapports entre les Etats-Unis et l’Angleterre, mais, au contraire, l’a reposée au premier plan dans toutes ses proportions, en tant que question fondamentale de la politique mondiale, de même qu’elle a posé une question de second ordre, celle des rapports entre les Etats-Unis et le Japon. La dernière guerre a de la sorte été la préface européenne à la guerre véritablement mondiale qui décidera de la domination impérialiste exclusive.

    32. Mais ce n’est là qu’un des axes de la politique mondiale. Il y a un autre axe encore : la Fédération des Soviets russes et la III° Internationale sont nées des conséquences de la dernière guerre. Le groupement des forces révolutionnaires internationales est entièrement dirigé contre tous les groupements impérialistes.

    La conservation de l’alliance entre l’Angleterre et la France ou, au contraire, sa destruction a le même prix au point de vue des intérêts du prolétariat et au point de vue de la paix que le renouvellement ou le non-renouvellement de l’alliance anglo-japonaise, que l’entrée (ou le refus d’entrer) des Etats-Unis dans la Société des Nations. Le prolétariat ne saurait voir une grande garantie de paix dans le groupement passager, cupide et sans foi des Etats capitalistes dont la politique, évoluant de plus en plus autour de l’antagonisme anglo-américain, l’entretient en préparant une sanglante explosion.

    La conclusion, par quelques pays capitalistes, de traités de paix et de conventions commerciales avec la Russie soviétique ne signifie pas, loin de là, la renonciation de la bourgeoisie mondiale à la destruction de la République des Soviets. On ne peut y voir qu’un changement peut-être passager de formes et de méthodes de lutte. Le coup d’état japonais en Extrême-Orient signifie peut-être le commencement d’une nouvelle période d’intervention armée.

    Il est absolument évident que, plus le mouvement révolutionnaire prolétarien mondial se ralentit, et plus les contradictions de la situation internationale économique et politique stimulent inévitablement la bourgeoisie à tenter de nouveau de provoquer un dénouement par les armes à l’échelle mondiale. Cela voudrait dire que le « rétablissement de l’équilibre capitaliste » après la nouvelle guerre se baserait sur un épuisement économique et sur un recul de la civilisation, tels qu’en comparaison de la situation actuelle de l’Europe, il semblerait le comble du bien-être.

    33. Quoique l’expérience de la dernière guerre ait confirmé avec une certitude terrifiante que « la guerre est un calcul trompeur » – vérité qui contient tout le pacifisme, tant socialiste que bourgeois – la préparation de la nouvelle guerre, préparation économique, politique, idéologique et technique, se poursuit à vive allure dans tout le monde capitaliste. Le pacifisme humanitaire anti-révolutionnaire est devenu une force auxiliaire du militarisme.

    Les social-démocrates de toutes nuances et les syndicalistes d’Amsterdam insufflent au prolétariat international la conviction de la nécessité de s’adapter aux règles économiques et au droit international des Etats, tels qu’ils ont été établis par suite de la guerre, et apparaissent ainsi comme des auxiliaires insignes de la bourgeoisie impérialiste dans la préparation du nouveau massacre qui menace de détruire définitivement la civilisation humaine.

    VI. LA CLASSE OUVRIÈRE APRÈS LA GUERRE

    34. Au fond, la question du rétablissement du capitalisme sur les bases tracées plus haut se résume ainsi : la classe ouvrière est-elle disposée à faire, dans des conditions nouvelles incomparablement plus difficiles, les sacrifices indispensables pour affermir les conditions de son propre esclavage, plus étroit et plus dur qu’avant la guerre ?

    Pour restaurer l’économie européenne, en remplacement de l’appareil de production détruit pendant la guerre, une forte création nouvelle de capital serait nécessaire. Cela ne serait possible que si le prolétariat était prêt a travailler davantage dans des conditions d’existence très inférieures. C’est ce que les capitalistes demandent ; c’est ce que lui conseillent les chefs traîtres des Internationale jaunes : d’abord aider à la restauration du capitalisme, ensuite lutter pour l’amélioration de la situation des ouvriers.

    Mais le prolétariat d’Europe n’est pas prêt à se sacrifice, il réclame une amélioration de ses conditions d’existence, ce qui actuellement est en contradiction absolue avec les possibilités objectives du capitalisme. D’où les grèves et les insurrections sans fin et l’impossibilité de restaurer l’économie européenne. Rétablir le cours du change, c’est pour divers Etats européens (Allemagne, France, Italie, Autriche, Hongrie, Pologne, Balkans) avant tout se débarrasser de charges dépassant la mesure de leurs forces, c’est-à-dire se déclarer en faillite ; c’est aussi donner une puissante impulsion à la lutte de toutes les classes pour une nouvelle répartition du revenu national.

    Rétablir le cours du change, c’est à l’avenir diminuer les dépenses de l’Etat au détriment des masses (renoncer à fixer le salaire minimum, le prix des articles de consommation générale), c’est empêcher l’arrivée des articles de première nécessité à meilleur marché provenant de l’étranger et relever l’exportation en diminuant les frais de la production, c’est-à-dire encore une fois, au premier chef, renforcer l’exploitation de la masse ouvrière. Toute mesure sérieuse, tendant à rétablir l’équilibre capitaliste, ébranle plus encore l’équilibre déjà rompu des classes et donne un nouvel élan à la lutte révolutionnaire. La question de savoir si le capitalisme peut se régénérer devient par conséquent une question de lutte entre forces vivantes : celles des classes et des partis.

    Si, des deux classes fondamentales, la bourgeoisie et le prolétariat, l’une, la dernière, renonçait à la lutte révolutionnaire, l’autre, la bourgeoisie, retrouverait en fin de compte, indubitablement, un nouvel équilibre capitaliste – équilibre de décomposition matérielle et morale – au moyen de nouvelles crises, de nouvelles guerres, de l’appauvrissement poursuivi de pays entiers et de la mort de dizaines de millions de travailleurs.

    Mais la situation actuelle du prolétariat international ne donne guère de raisons de pronostiquer cet équilibre.

    35. Les éléments sociaux de stabilité, de conservatisme, de tradition, ont perdu la plus grande partie de leur autorité sur l’esprit des masses laborieuses. Si la social-démocratie et les trade-unions conservent encore quelque influence sur une partie considérable du prolétariat, grâce à l’héritage de l’appareil d’organisation, du passé, cette influence est tout à fait inconsistante. La guerre a modifié non seulement l’état d’esprit, mais la composition même du prolétariat et ces modifications sont tout à fait incompatibles avec l’organisation graduelle d’avant la guerre.

    Au sommet du prolétariat, dans la plupart des pays domine encore la bureaucratie ouvrière extrêmement développée, étroitement unie, qui élabore ses propres méthodes et ses procédés de domination, et se rattache par des milliers de liens aux institutions et aux organes de l’Etat capitaliste.

    Vient ensuite un groupe d’ouvriers, le mieux placé dans la production, occupant ou comptant occuper des postes d’administration, et qui sont l’appui le plus sûr de la bureaucratie ouvrière.

    Puis la vieille génération des social-démocrates et des syndicalistes ouvriers qualifiés pour la plupart, rattachés à leur organisation par des dizaines d’années de lutte et qui ne peuvent se décider à rompre avec elle, malgré ses trahisons et ses faillites. Toutefois, dans bien des branches de production, les ouvriers qualifiés sont mélangés à des ouvriers non qualifiés, des femmes surtout.

    Viennent encore des millions d’ouvriers qui ont fait l’apprentissage de la guerre, qui sont familiarisés avec le maniement des armes et prêts, pour la plupart, à s’en servir contre l’ennemi de classe, à la condition toutefois d’une préparation sérieuse, préalable, d’une ferme direction, choses indispensables au succès.

    Puis des millions de nouveaux ouvriers, d’ouvrières en particulier, attirés dans l’industrie pendant la guerre et communiquant au prolétariat non seulement leurs préjugés petits-bourgeois, mais encore leurs aspirations impatientes vers de meilleures conditions d’existence.

    Enfin, des millions de jeunes ouvriers et ouvrières élevés pendant la tempête révolutionnaire, plus accessibles à la parole communiste, brûlant du désir d’agir.

    En dernier lieu, une gigantesque armée de chômeurs, pour la plupart déclassés et mi-déclassés, reflétant le plus vivement dans ses fluctuations le cours de la décadence de l’économie capitaliste et tenant l’ordre bourgeois sous sa constante menace.

    Ces éléments du prolétariat, si divers par leur origine et leur caractère, ne sont entraînés dans le mouvement après la guerre, ni simultanément, ni de la même manière. De là, les hésitations, les fluctuations, les progrès et les reculs de la lutte révolutionnaire.

    Mais, dans son écrasante majorité, la masse prolétarienne serre promptement les rangs parmi la ruine de toutes ses anciennes illusions, l’effrayante incertitude de la vie quotidienne, devant la toute-puissance du capital concentré, devant les méthodes de brigandage de l’Etat militarisé. Cette masse, qui compte de nombreux millions d’hommes, cherche une direction ferme et claire, un programme net d’action, et crée par là même une base au rôle décisif que le parti communiste cohérent et centralisé est appelé à jouer.

    36. La situation de la classe ouvrière s’est évidemment aggravée pendant la guerre. Certains groupes d’ouvriers ont prospéré. Les familles dans lesquelles quelques membres ont pu travailler dans les usines pendant la guerre ont même réussi a maintenir et à élever leur niveau d’existence. Mais, d’une façon générale, le salaire n’a pas augmenté proportionnellement à la cherté de la vie.

    Dans l’Europe Centrale, le prolétariat a, pendant la guerre, été voué à des privations toujours croissantes. Dans les pays continentaux de l’Entente, la chute du niveau d’existence fut moins brutale jusqu’à ces temps derniers. En Angleterre, le prolétariat arrêta, pendant la dernière période de la guerre, au moyen d’une lutte énergique, le processus d’aggravation des conditions de son existence.

    Aux Etats-Unis, la situation de quelques couches de la classe ouvrière s’est améliorée, quelques couches ont conservé leur ancienne situation ou ont subi un abaissement de leur niveau d’existence.

    La crise s’abattit sur le prolétariat du monde entier avec une force terrifiante. La réduction des salaires dépassa la baisse des prix. Le nombre des chômeurs et des demi-chômeurs devient énorme, sans précédent dans l’histoire du capitalisme.

    Les fréquents changements dans les conditions de l’existence personnelle influent très défavorablement sur le rendement du travail, mais ils excluent la possibilité d’établir l’équilibre des classes sur le terrain fondamental, c’est-à-dire sur celui de la production. L’incertitude des conditions d’existence, reflétant l’inconsistance générale des conditions économiques nationales et mondiales, constitue à présent le facteur le plus révolutionnaire.

    VII. PERSPECTIVES ET TÂCHES

    37. La guerre n’a pas déterminé immédiatement la révolution prolétarienne. La bourgeoisie note ce fait, avec une certaine apparence de raison, comme sa plus grande victoire.

    Il n’y a qu’un esprit borné petit-bourgeois qui puisse voir la faillite du programme de l’Internationale Communiste dans le fait que le prolétariat européen n’a pas renversé la bourgeoisie pendant la guerre ou immédiatement après. Le développement de l’Internationale Communiste dans la révolution prolétarienne n’implique pas la fixation dogmatique d’une date déterminée au calendrier de la révolution, ni l’obligation d’amener mécaniquement la révolution à la date fixée.

    La révolution était et reste une lutte de forces vivantes sur les bases historiques données. La destruction de l’équilibre capitaliste par la guerre à l’échelle mondiale a créé des conditions favorables pour les forces fondamentales de la révolution, pour le prolétariat. Tous les efforts de l’Internationale Communiste étaient et restent dirigés vers l’utilisation complète de cette situation.

    Les divergences entre l’Internationale Communiste et les social-démocrates des deux groupes ne consistent pas en ce que nous aurions déterminé une date fixe pour la révolution, alors que les social-démocrates nient la valeur de l’utopie et du « putschisme » (tentatives insurrectionnelles) ; ces divergences résident en ce que les social-démocrates réagissent contre le développement révolutionnaire effectif, en aidant de toutes leurs forces, au gouvernement aussi bien que dans l’opposition, au rétablissement de l’équilibre de l’Etat bourgeois, tandis que les communistes profitent de toutes les occasions, de tous les moyens et de toutes les méthodes pour renverser et écraser l’Etat bourgeois par la dictature du prolétariat.

    Au cours des deux années et demie écoulées depuis la guerre, le prolétariat des différents pays a manifesté tant d’énergie, tant de disposition à la lutte, tant d’esprit de sacrifice, qu’il aurait pu suffire largement à sa tâche et accomplir une révolution triomphante s’il s’était trouvé à la tête de la classe ouvrière un parti communiste réellement international, bien préparé et fortement centralisé.

    Mais diverses causes historiques et les influences du passé ont placé à la tête du prolétariat européen, pendant la guerre et depuis, l’organisation de la II° Internationale, qui est devenue et qui reste un instrument politique inappréciable aux mains de la bourgeoisie.

    38. En Allemagne, vers la fin de l’année 1918 et au commencement de 1919, le pouvoir appartenait en fait à la classe ouvrière. La social-démocratie – majoritaires et indépendants – les syndicats, firent agir toute leur influence traditionnelle et tout leur appareil pour remettre ce pouvoir entre les mains de la bourgeoisie.

    En Italie, le mouvement révolutionnaire impétueux du prolétariat a crû de plus en plus pendant les derniers dix-huit mois et seul le manque de caractère d’un parti socialiste petit-bourgeois, la politique de trahison de la fraction parlementaire, l’opportunisme lâche des organisations syndicales ont pu permettre à la bourgeoisie de rétablir son appareil, de mobiliser sa garde blanche, de passer à l’attaque contre le prolétariat momentanément découragé par la faillite de ses vieux organes dirigeants.

    Le puissant mouvement gréviste des dernières années en Angleterre s’est constamment brisé contre la force armée de l’Etat, qui intimidait les chefs des trade-unions. Si ces chefs étaient restés fidèles à la cause de la classe ouvrière, on aurait quand même pu, malgré tous ses défauts, faire servir aux combats révolutionnaires le mécanisme des trade-unions.

    Lors de la dernière crise de la « Triple Alliance » apparut la possibilité d’une collusion révolutionnaire avec la bourgeoisie, mais cette collision fut entravée par l’esprit conservateur, la poltronnerie et la traîtrise des chefs syndicaux ; si l’organisme des trade-unions anglais fournissait en ce moment, dans l’intérêt du socialisme, seulement la moitié du travail qu’il effectue dans l’intérêt du capital, le prolétariat anglais s’emparerait du pouvoir avec le minimum de sacrifices et pourrait s’atteler à la tâche de réorganisation systématique du pays.

    Ce que nous venons de dire s’applique dans une mesure plus ou moins grande à. tous les pays capitalistes.

    39. Il est absolument incontestable que la lutte révolutionnaire du prolétariat pour le pouvoir manifeste à l’heure actuelle à l’échelle mondiale un certain fléchissement, un certain ralentissement. Mais, au fond des choses, il n’était pas permis de s’attendre à ce que l’offensive révolutionnaire d’après-guerre, dans la mesure où elle ne donna pas d’emblée la victoire, se développât suivant une ligue ininterrompue. Le développement politique a aussi ses cycles, ses hauts et ses bas. L’ennemi ne reste pas passif : il combat lui aussi.

    Si l’attaque du prolétariat n’est pas couronnée de succès, la bourgeoisie passe à la première occasion à la contre-attaque. La perte par le prolétariat de quelques positions conquises sans difficulté entraîne une certaine dépression dans ses rangs. Mais s’il reste incontestable qu’à l’époque où nous vivons, la courbe du développement capitaliste est, d’une façon générale, descendante avec des mouvements passagers de relèvement, la courbe de la révolution est montante avec quelques fléchissements.

    La restauration du capitalisme a pour condition sine qua non l’intensification de l’exploitation, la perte de millions de vies humaines, l’abaissement pour des millions d’êtres humains des conditions moyennes d’existence au-dessous du niveau minimum (Existenzminimum), l’insécurité perpétuelle du prolétariat, ce qui est un facteur constant de grève et de révolte. C’est sous la pression de ces causes et dans les combats qu’elles engendrent que croît la volonté des masses de renverser la société capitaliste.

    40. La tâche capitale du Parti Communiste dans la crise que nous traversons est de diriger les combat défensifs du prolétariat, de les élargir, de les approfondir, de les grouper et de les transformer – selon le processus du développement – en combats politiques pour le but final.

    Mais Si les événements se développent plus lentement et qu’une période de relèvement succède, dans un nombre plus ou moins grand de pays, à la crise économique actuelle, cela ne saurait en aucune manière être interprété comme l’avènement d’une époque d’« organisation ». Aussi longtemps que le capitalisme existera, les fluctuations du développement seront inévitables. Ces fluctuations accompagneront le capitalisme dans son agonie comme elles l’ont accompagné dans sa jeunesse et dans sa maturité.

    Au cas où le prolétariat serait repoussé par l’attaque du Capital dans la crise actuelle, il passera à l’offensive dès qu’il se manifestera quelque amélioration dans la situation.

    Son offensive économique qui, dans ce dernier cas, serait inévitablement menée sous les mots d’ordre de revanche contre toutes les mystifications du temps de guerre, contre tout le pillage et tous les outrages infligés pendant la crise, aura, pour cette même raison, la même tendance à se transformer en guerre civile ouverte que la lutte défensive actuelle.

    41. Que le mouvement révolutionnaire au cours de la prochaine période suive un cours plus animé ou plus ralenti, le parti communiste doit, dans les deux cas, devenir un parti d’action. il est à la tête des masses combattantes, il formule fermement et clairement des mots d’ordre de combat, il dénonce les mots d’ordre équivoques de la social-démocratie, basés toujours sur le compromis.

    Le parti communiste doit s’efforcer, au cours de toutes les alternatives du combat, de renforcer par des moyens d’organisation ses nouveaux points d’appui ; il doit former les masses aux manœuvres actives, les armer de nouvelles méthodes et de nouveaux procédés, basés sur le choc direct et ouvert avec les forces de l’ennemi.

    En profitant de chaque répit pour s’assimiler l’expérience de la phase précédente de la lutte, le parti communiste doit s’efforcer d’approfondir et d’élargir les conflits de classe et de les relier sur une échelle nationale et internationale dans l’idée du but et de l’action pratique, de façon qu’au sommet du prolétariat soient brisées toutes les résistances dans la voie de la dictature et de la Révolution sociale.

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    de l’Internationale Communiste

  • Convocation au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    À toutes les organisations prolétariennes appartenant à l’Internationale Communiste ou désirant y entrer

    Comité Exécutif de l’Internationale Communiste

    Le 3e Congrès universel de l’Internationale Communiste est convoqué à Moscou pour le 1er juin 1921. Nous avançons ce congrès de deux mois sur le terme prévu par le règlement de l’Internationale. Nous sommes convaincus que les Partis adhérant à l’internationale conviendront avec nous que l’intérêt de notre cause exige ce rapprochement de date.

    Au coure des neuf mois aujourd’hui écoulés depuis le 2e Congrès universel, une large discussion de principes s’est poursuivie dans plusieurs de nos Partis sur toutes les questions posées par le 2e Congrès. Dans plusieurs pays la différenciation a même atteint un degré tel que la rupture s’est enfin opérée entre les Communistes et les partisans du Centre.

    En Allemagne, en France, en Angleterre, en Suède, en Norvège, en Roumanie, en Yougoslavie, en Grèce, en Suisse, en Belgique et dans d’autres pays, la scission entre les communistes et les tenants de l’Internationale intermédiaire deux-et-demie est un fait accompli.

    Dans d’autres pays, comme la Tchécoslovaquie, cette scission sera l’œuvre de l’avenir le plus rapproché. En Italie les communistes ont constitué un Parti indépendant.

    De l’actuel Parti Socialiste, qui groupe des réformistes avérés et des révolutionnaires hésitants, se sépareront progressivement les éléments prolétarien et sains, qui adhéreront à l’Internationale Communiste. En Amérique, l’union de tous les groupements communistes s’opérera dans le plus bref délai.

    L’internationale doit tirer la conclution de tous ces événemetns qui se sont produits à l’intérieur de ces Partis. Le Comité Exécutif a dû prendre pendant cette période des résolutions de la plus haute gravité, il doit en rendre compte à toute l’internationale Communiste. Le 3e Congrès doit avant tout se convaincre que chacun des Partis affiliés a exécuté véritablement toutes les conditions posées par le 2e congrès.

    C’est toute une période de l’Internationale Communiste qui se termine. Jusqu’à son premier Congrès, l’Internationale était dans la phase préparatoire et embryonnaire. Entre le premier et le second, elle a passé par la phase première de propagande. Pendant tout ce temps elle n’était pas encore une organisation internationale possédant une forme précise. Elle n’était qu’un drapeau.

    La période qui s’est écoulée entre le second et le troisième Congrès est au contraires celle de la différenciation accusée entre les tendances et de la formation de véritables Partis Communistes. Le 3e Congrès fera la somme de tout ce travail et donnera à l’Internationale son organisation parfaite et sa tactique régulière.

    Le projet d’ordre du jour composé pour le 3e Congrès par le Comité Exécutif a été publie dans la presse. Le premier point est le rapport du Comité Exécutif. Pendant les neuf mois écoulés depuis le 2e Congrès, le Comité Exécutif a dû prendre la part la plus directe à la campagne et aux scissions qui se sont produites à l’intérieur des Partis. Il s’est élevé naturellement contre lui à ce sujet des protestations.

    Le 3e Congrès aura à dire si le Comité Exécutif a mis fidèlement en pratique la ligne de conduite fixée par le 2e Congrès, Mais l’Internationale Communiste en tout cas doit établir cette règle ferme et précise que le Comité Exécutif est entièrement subordonné au Congrès universel ; on peut en appeler de telle ou telle de ses décisions, mais dans l’intervalle entre les Congrès toute la plénitude de la direction lui appartient. Ses décisions doivent être exécutées.

    Sans cela l’existence même de l’Internationale Communiste, comme organisation mondiale centralisée et disciplinée, est impossible. Si l’internationale Communiste ne s’appelle pas en vain l’Internationale de l’action, elle doit avoir son État-major, elle doit être certaine qu’à l’égard de cet État-major la discipline sera observée non seulement en paroles, mais dans les actes.

    Le second point de l’ordre du jour est intitulé : « La crise économique universelle et les buts nouveaux de l’Internationale Communiste ».

    Les « théoriciens » de l’Internationale deux-et-demie, Otto Bauer, Hilferding, Kautsky et Cie, assurent que la bourgeoisie, après la fin de la guerre impérialiste, réussira aujourd’hui à restaurer l’équilibre économique et que l’Europe entre dans une ère de développement organique actif sur la base d’un système capitaliste « renouvelé » en vue de la production pacifique.

    De là les leaders de l’Internationale deux-et-demie sans parler des traîtres déclarés de la Seconde « Internationale », tirent certains avantages pratiques. Voilà de qui permet à tous ces Partis, comme par exemple les Indépendants d’Allemagne ou les Longuettistes de France, de passer cyniquement dans le camp de la contre-révolution avérée.

    Au 3e Congrès universel il appartiendra, en partant de l’appréciation exacte des faits, après l’analyse minutieuse de la crise économique avec toutes ses horreurs, chômage jusqu’à présent sans exemple et misère inouïe des masses, de faire apparaître aux travailleurs du monde entier toute la fausseté des illusions réformistes et toute la sottise des gens qui croient à l’avenir d’un capitalisme replâtré et prêchent au prolétariat international une tactique petite-bourgeoise de réformation pacifique.

    Le troisième et le quatrième points de l’ordre du jour concernent la tactique de l’Internationale Communiste pendant la période révolutionnaire et la période de transition (exigences partielles, actions partielles et enfin lutte révolutionnaire décisive).

    Dans la période de transition que nous traversons, il est fatal qu’il se produise, dans le mouvement révolutionnaire deux écarts. Si nous sommes à la veille de la Révolution, pourquoi donc émettre des exigences partielles, disent les uns ?

    Si nous pouvons émettre des exigences partielles, pourquoi donc répéterons-nous chaque fois tout le programme dans son ensemble, disent les autres ? Ne dissipons pas nos forces dans des manifestations partielles, accumulons-les pour la lutte finale et décisive, disent les premiers. Profitons de chaque occasion pour nous manifester, disent les seconds.

    Le 3e Congrès devra tirer les leçons de l’expérience concrète des camarades russes à la veille de la Révolution et de la lutte menée par les ouvriers allemands et les prolétaires des autres pays.

    Le 3e Congrès devra formuler exactement la ligne tactique des Partis Communistes, ligne également étrangère au sectarisme et à la recherche des succès éphémères, tendant également à établir la plus étroite liaison entre les Partis Communistes et les masses prolétariennes et à conserver l’intransigeance doctrinale et la fidélité à la théorie du marxisme révolutionnaire.

    Les articles 5 et 6 sont consacrés au mouvement professionnel international : la campagne contre l’Internationale jaune d’Amsterdam et le Soviet International des Syndicats Rouges. C’est une des questions les plus essentielles du 3e Congrès.

    La lutte s’engage de plus en plus vive dans le camp du mouvement professionnel. C’est elle qui décidera l’issue du débat entre la Seconde et la Troisième Internationale, c’est-à-dire entre la bourgeoisie et le prolétariat. Les syndicats groupent aujourd’hui plusieurs dizaines de millions de prolétaires.

    La tactique des noyaux communistes à l’intérieur des syndicats, préconisée par le deuxième Congrès pour conquérir à l’Internationale Communiste tout le prolétariat, a fait ses preuves.

    Elle a obtenu de sérieux succès en Allemagne, en France, en Angleterre et ailleurs. Les premiers coups graves ont été portés à l’association jaune d’Amsterdam. Les leaders jaunes d’Amsterdam se débattent de tous les côtés, aujourd’hui ils sont prêts a faire des concessions, demain ils se mettront à exclure tous les partisans de l’Internationale Communiste.

    C’est un signe non douteux de leur prochaine faillite complète. Le troisième Congrès aura à marquer les résultats de la lutte contre Amsterdam et à systématiser cette lutte pour l’avenir.

    Mais la principale question qui se posera à lui sera de définir exactement les relations entre l’Internationale Communiste et le Soviet International des Syndicats Rouges : y aura-t-il deux organisations internationales parallèles sous la direction de l’Internationale Communiste, ou bien n’aurons-nous qu’une Internationale Communiste renfermant non seulement les Partis Communistes, mais encore d’une façon générale toutes les organisations prolétariennes se plaçant sur le terrain de l’Internationale Communiste et entre autres les syndicats Rouges ?

    Dans ce dernier et le Soviet International des Syndicats Rouges ne serait qu’une section de l’Internationale unique. On peut fournir beaucoup de raisons pour et contre chacune de ces solutions. De l’une ou de l’autre dépendra en grande partie la structure du mouvement ouvrier international. Toutes les organisations appartenant à l’Internationale Communiste doivent examiner attentivement cette question sous toutes ses faces et apporter leur décision nettement formulée au 3e Congrès.

    Les septième et huitième points de l’ordre du jour sont consacrés aux questions d’organisation : structure intérieure des Partis Communistes, méthodes et contenu de leur action, structure organique de l’Internationale Communiste et ses relations avec les Partis adhérents. Il y a à examiner ici deux groupes de questions.

    Le premier, c’est la façon dont doit être construit chaque Parti Communiste pris à part. C’est un fait notable qu’en Occident, même à l’intérieur des Partis Communistes, il n’existe pour ainsi dire pas d’organisation fonctionnant de façon permanente.

    C’est seulement au moment des élections ou dans des cas analogues que tous les membres du Parti agissent de façon combinée. Mais de noyaux communistes ayant une forme précise et fonctionnant régulièrement dans les usines, dans les mines, sur les chemins de fer, dans les villages, dans les syndicats ou dans les coopératives, le Parti n’en possède pas.

    Il n’y a pas non plus de subordination strictement déterminée de ces noyaux à un centre directeur unique. Il n’y a pas d’organisation illégale sérieuse capable de compléter l’organisation légale.

    Il est indispensable de mettre fin à cet état de choses, et c’est à quoi s’occupera le 3e Congrès. L’autre groupe de questions concerne les limites de l’autonomie dont chaque Parti jouira à l’égard du Comité Exécutif, c’est-à-dire l’agencement intérieur à donner à l’organisation prolétarienne internationale centralisée seule capable de diriger réellement la lutte internationale du prolétariat et les moyens à prendre pour perfectionner la liaison entre les divers Partis communistes ou bien entre eux pris dans leur ensemble et le Comité Exécutif.

    En d’autres termes sur quelles bases doit être construite l’organisation de l’Internationale Communiste pour être effectivement en état d’exécuter sa mission qui grandit de jour en jour ?

    Le neuvième point est consacré à une grave question. L’Internationale Communiste a remporté ses premières victoires parmi les peuples d’Orient.

    Le Congrès de Bakou a eu sans aucun doute une énorme importance historique. Celui se prépare pour les peuples d Extrême-Orient jouera également son rôle. Le troisième Congrès aura à traiter la question d’Orient non plus seulement d’un point de vue théorique comme le deuxième Congrès mais du point de vue pratique.

    Sans révolution en Orient, il n y a pas de victoire possible pour la révolution prolétarienne universelle. Voilà l’idée dont doit se pénétrer tout prolétaire communiste.

    C’est seulement alors que les ouvriers communistes seront suffisamment armés moralement contre « l’opportunisme européen » des Hilferding et autres héros de l’Internationale deux-et-demie qui ont toujours en réserve un sourire de mépris à l’adresse des peuples opprimés de l’Orient.

    Il faut accorder une immense importance au dixième point de l’ordre du jour concernant le Parti Socialiste d’Italie. Ce Parti appartenait précédemment à l’Internationale Communiste. Sous l’influence de la propagande centriste menée par Serrati, son Congrès de Livourne a refusé de mettre en pratique les vingt et une conditions élaborées par le 2e Congrès à l’usage de tous les Partis.

    Le groupe de Serrati, ayant rassemblé la majorité au Congrès, a voulu imposer à l’Internationale Communiste des agents avérés du capital comme les vieux réformistes connus de tous : Turati, Modigliani, d’Aragona, Treves et Cie – les Dittmann, les Bernstein et les Longuet d’Italie.

    En faveur de ces réformistes qui disposaient au Congrès de 14 000 voix, les chefs du centre italien, Serrati en tête, ont rompu avec 50 000 prolétaires communistes. Serrati a trahi les décisions prises au deuxième Congrès.

    A Livourne la victoire morale sur le centre a été remportée en réalité par les réformistes et Turati. Les ouvriers communistes ont constitué un Parti Communiste indépendant.

    Dans ces conditions le Comité Exécutif a estimé de son devoir de reconnaître comme unique section de l’Internationale Communiste en Italie le jeune Parti Communiste Italien et d’exclure de l’Internationale le Parti de Serrati qui a renié par ce fait les décisions du deuxième Congrès. Le Parti Socialiste d’Italie a fait appel contre cette décision devant le prochain Congrès. Son droit à faire appel est indubitable, comme pour tout Parti. Le Comité Exécutif est prêt à remettre le différend à la décision du 3e Congrès.

    Connaissant les us et coutumes des leaders centristes, qui aiment éviter de répondre nettement aux questions difficiles, le Comité Exécutif, dans une lettre spéciale au Comité Central du Parti Socialiste d’Italie a déclaré : 1° Nous vous invitons au 3e Congrès, mais nous demandons que vos délégués aient tous les pouvoirs nécessaires pour donner des réponses définitives à ce Congrès ; 2° Nous demandons que vous répondiez clairement et exactement si vous êtes d’accord oui ou non pour exclure du Parti de l’Internationale les groupes de Turati, Treves et Cie, car tel est l’unique différend.

    La question italienne a acquis une importance internationale. En Allemagne le groupe de Levi, qui depuis longtemps déjà tentait de constituer une sorte d’aile droite de l’Internationale Communiste, a saisi l’occasion, prétendant que le Comité Exécutif avait commis dans cette question des erreurs de tactique, préconisé les scissions « mécaniques », et autres prétextes du même genre.

    Le 3e Congrès fera toute la clarté, sur cette question, relèvera à sa hauteur de principe, débarrassera le différend de tous les éléments mesquins et accidentels, afin de montrer à tous que quiconque ne met pas en pratique les vingt et une conditions ne saurait être membre de la 3e Internationale.

    L’ordre du jour comporte encore la question du K. A. P. D. Ce Parti devra dire définitivement s’il se soumet oui ou non à la discipline internationale.

    Ensuite viendront les questions concernant le mouvement féminin, le mouvement des jeunesses, etc…

    Enfin le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a décidé de mettre sous une forme ou sous une autre à l’ordre du jour du 3e Congrès le problème d’une importance essentielle de la politique économique et de la situation générale de la République soviétiste, la première république dans laquelle le pouvoir ait été conquis par le prolétariat.

    Nous demandons à tous les Partis et organisations appartenant à l’Internationale Communiste ou désirant y entrer d’ouvrir immédiatement dans la presse et dans les réunions la plus large discussion sur les questions à l’ordre du jour du 3e Congrès. Nous leur demandons ensuite d’aborder immédiatement les élections à ce Congrès.

    Le Comité Exécutif a décidé à l’unanimité d’inviter tous les Partis : 1° A envoyer des délégations les plus nombreuses possibles ; 2° A faire en sorte qu’un tiers des délégués soit choisi dans le Comité Central du Parti et les deux autres tiers parmi les membres des plus importantes organisations locales les plus liées avec les masses ouvrières.

    Nous accordons une particulière importance à ce dernier point. Il faut qu’il y ait au 3e Congrès le plus grand nombre possible d’ouvriers reflétant immédiatement l’état d’esprit des masses prolétariennes.

    La préparation du Congrès n’a pas moins d’importance que le Congrès lui-même. Les décisions du troisième Congrès doivent avoir été préparées et réfléchies par les ouvriers de chaque pays au cours de dizaines et de centaines de réunions. À l’œuvre, car il nous reste peu de temps devant nous !

    Le Président du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste : G. ZINOVIEV.

    Les membres du Comité Exécutif :

    Pour la Russie : Lénine, Trotsky, Boukharine, Radek ;

    Pour la Finlande : Kuussinen, Manner, Rania ;

    Pour la Norvège : Freiss ;

    Pour la France : Rosmer ;

    Pour l’Autriche : Steinhardt ;

    Pour l’Angleterre : Quelch, Bell ;

    Pour la Hollande : Janssen ;

    Pour la Hongrie : Bela Kun, Rudnianszky ;

    Pour la Géorgie : Varga, Tskhakaia ;

    Pour la Lettonie : Stoutchka ;

    Pour la Pologne : Valetsky

    Pour la Suisse : Itchner ;

    Pour la Bulgarie : Dimitrov, Popov, Chabline ;

    Pour la Perse : Sultanzade ;

    Pour l’Internationale de la Jeunesse : Chatskine.

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  • La question syndicale au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    Au moment du troisième congrès de l’Internationale Communiste, une Internationale Syndicale Rouge est en train de se mettre en place et doit dans la foulée tenir son premier congrès. Elle a face à elle une internationale syndicale basée à Amsterdam et rassemblant tous les réformistes.

    Le symbole de l’Internationale Syndicale Rouge

    Grigori Zinoviev fait un long rapport de la question syndicale et dresse le portrait de trois courants auxquels il faut faire face :

    a) les réformistes, dont le Français Léon Jouhaux est une figure tutélaire ;

    b) le syndicalisme qu’on retrouve surtout en Suède et en Allemagne, faibles numériquement mais qui veulent aller dans le sens de l’Internationale Communiste, tout en ayant une ligne somme toute réformiste ;

    c) les syndicalistes révolutionnaires tenant de la charte d’Amiens, qui prône le « neutralisme » politique dans l’activité syndicale.

    Grigori Zinoviev dit au sujet de ce dernier courant notamment que :

    « On pouvait comprendre la Charte d’Amiens en 1906. On pouvait comprendre comment elle a émergé. Mais on ne peut vraiment que regretter qu’on vienne avec cela en 1921, 15 ans après, après la guerre, après la naissance de l’Internationale Communiste, après la révolution russe, après les luttes des syndicats russes qui ont joué un rôle si important dans notre révolution.

    Si on prend un ouvrier syndicaliste-révolutionnaire commun, il se sentirait insulté de mes explications comme quoi il est objectivement prisonnier de la bourgeoisie. C’est pourtant un fait. »

    La ligne des communistes russes était claire et dans le même esprit que lors du deuxième congrès : puisqu’il y avait un afflux dans les syndicats depuis 1918, ceux-ci avaient une nature de masse et il fallait donc y travailler.

    Mais le débat quant à la question syndicale fut à la fois long et prévisible, car il s’affrontait d’un côté les partisans du syndicalisme révolutionnaire avec comme représentant les IWW des États-Unis, et de l’autre la conception des communistes russes, finalement aisément accepter par tous, du moins en apparence.

    La résolution sur le rapport de l’Internationale Communiste et l’Internationale Syndicale Rouge se constituant montre bien la hiérarchie politique choisie :

    « Toute lutte économique est une lutte politique, c’est-à-dire une lutte menée par toute une classe. Dans ces conditions, Si considérables que soient les couches ouvrières embrassées par la lutte, celle-ci ne peut être réellement révolutionnaire, elle ne peut être réalisée avec le maximum d’utilité pour la classe ouvrière dans son ensemble que si les syndicats révolutionnaires marchent la main dans la main, en union et en collaboration étroite, avec le Parti Communiste du pays.

    La théorie et la pratique de la division de l’action de la classe ouvrière en deux moitiés autonomes est très pernicieuse, surtout dans le moment révolutionnaire actuel. Chaque action demande un maximum de concentration des forces, qui n’est possible qu’à la condition de la plus haute tension de toute l’énergie révolutionnaire de la classe ouvrière, c’est-à-dire de tous ses éléments communistes et révolutionnaires.

    Des actions isolées du Parti Communiste et des syndicats révolutionnaires de classe sont d’avance vouées à l’insuccès et à la débâcle. C’est pourquoi l’unité d’action, une liaison organique entre les Partis Communistes et les syndicats ouvriers, constituent la condition préalable du succès dans la lutte contre le capitalisme. »

    Désormais, la question de l’orientation à suivre dans le travail syndical allait devenir l’une des grandes actualités de l’Internationale Communiste et de son Exécutif.

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  • La question du Parti Socialiste Italien au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    A l’opposé d’une déviation gauchiste comme en Allemagne, le Comité Exécutif avait affaire en Italie à un positionnement centriste, avec Giacinto Menotti Serrati, dont les maximalistes n’ont pas voulu aller à la rupture au congrès de Livourne de janvier 1921 du Parti Socialiste italien, déjà membre de l’Internationale Communiste.

    Les votes donnèrent alors 98 028 aux maximalistes se présentant comme unitaires, 58 783 aux communistes et 14 695 aux réformistes de Filippo Turati qui était la hantise du Comité Exécutif. Les communistes partirent du congrès pour fonder dans un théâtre le Parti Communiste d’Italie.

    Il y avait là un énorme ratage, car le Parti Socialiste Italien était déjà membre de l’Internationale Communiste. Il avait un haut niveau, mais voulait procéder par étapes pour isoler son aile droite. Dans cette perspective, Giacinto Menotti Serrati désirait également que le Parti prenne le nom de Parti Socialiste-Communiste.

    Une place très importante du congrès fut par conséquent accordée à cette situation, avec une dénonciation acerbe de Giacinto Menotti Serrati pour son refus d’assumer la rupture avec les réformistes.

    Giacinto Menotti Serrati

    Ce qui posait encore plus souci, c’est que celui-ci était en fait d’accord sur le principe, mais considérait que c’était trop tôt. Les « maximalistes » du PSI se voyaient d’accord sur tout avec l’Internationale Communiste ; ils considéraient simplement que les modalités du processus d’exclusion de l’aile droite devaient prendre une tournure plus complexe, plus lente.

    Les délégués du PSI présents au troisième congrès cherchèrent à expliquer leur situation et leur souci d’aller dans le sens d’une large unification pour avancer, leur soumission aux 21 conditions, etc., tout en soulignant l’importance du mouvement d’isolement de l’aile droite.

    Dans une lettre d’explication faite pendant le congrès, les délégués soulignèrent notamment le fait suivant :

    « On ne doit pas oublier que dans les masses, qui n’ont pas de compréhension des discussions théoriques, les représentants de l’aile droite du PSI sont populaires.

    Ils se sont opposés à la guerre [mondiale], ils étaient déjà représentés à [la conférence anti-guerre de] Zimmerwald, ils appartiennent à l’Internationale Communiste.

    Ils ont défendu de manière enthousiaste la révolution russe, ils ont approuvé la remise des entreprises aux ouvriers [lors de la vague révolutionnaire italienne]. Il est vrai qu’ils n’ont pas approuvé l’élargissement de ce mouvement, mais c’était une position qu’on retrouvait chez beaucoup de socialistes.

    Ils ont pris dans les syndicats des postes à responsabilité et jouissent de la totale confiance des électeurs. Ce n’est pas une petite chose que de les remplacer.

    Les « communistes purs » qui se sont crus assez forts pour prendre l’entière direction du mouvement politique et syndical n’ont fait pour l’instant que des promesses, sur le terrain politique et économique ils ont été amenés soit à ne rien faire, soit à se précipiter dans des aventures désastreuses. »

    Cette position resta incompréhensible pour le congrès, qui rejeta unanimement le PSI. Les trois délégués du PSI présents firent un communiqué regrettant cette décision, considérant qu’il y avait une incompréhension de la situation italienne, mais soulignant l’importance de rejoindre l’Internationale Communiste.

    De fait, à son 19e congrès en janvier 1922, le PSI expulsa les réformistes et Filipo Turati, finissant par rejoindre l’Internationale Communiste.

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  • La question du KAPD au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    La question du Parti de masses était à l’arrière-plan de l’acceptation du KAPD comme observateur au troisième congrès, ou plus précisément comme organisation « sympathisante ». Le Parti Communiste Ouvrier d’Allemagne avait déjà saboté sa participation au deuxième congrès, mais le Comité Exécutif considérait que toute organisation un tant soit peu active et volontaire méritait qu’on s’y attarde pour chercher à ce qu’elle rejoigne le Parti Communiste, afin de contribuer à atteindre la dimension d’un Parti de masse.

    Cela n’était pas du tout apprécié du KPD qui voyaient là une perte du temps avec des gauchistes et les délégués du KAPD ne cessèrent d’ailleurs de réagir alors du congrès comme de vraies caricatures sur ce point, allant régulièrement à l’affrontement, dénonçant tout le monde sauf les gauchistes comme eux, etc.

    Le programme du KAPD en 1920

    C’est que le KAPD est la principale organisation gauchiste de la période. Il rejette la primauté du Parti et a une démarche « conseilliste » : l’avant-garde n’est là que pour préparer le terrain à la prise du pouvoir à court terme par les conseils. Il est à ce titre totalement anti-parlementaire, anti-syndical, contre le rôle avant-gardiste du Parti, contre la notion de démocratie en général, considérée comme par définition bourgeoise.

    On a ici une approche « conseilliste » qui sera définie par la suite également comme gauche « germano-hollandaise », les principaux théoriciens gauchistes du KAPD étant alors en fait néerlandais : Anton Pannekoek et Herman Gorter.

    Voici une intervention de Max Hempel (en fait Jan Appel) au nom du KAPD lors du troisième congrès de l’Internationale Communiste, reflétant bien sa démarche urgentiste n’hésitant pas à aller au conflit, y compris avec Lénine :

    « Il manque aux camarades russes une compréhension des choses telles qu’elles se passent en Europe occidentale. Les camarades russes comptent avec une population telle que celle qu’ils ont en Russie.

    Les russes ont vécu une longue domination tsariste, ils sont durs et solides, tandis que chez nous le prolétariat est pénétré par le parlementarisme et en est complètement infesté.

    En Europe il s’agit de faire quelque chose d’autre. Il s’agit de barrer la route à l’opportunisme (cris: théorie Scheidemannienne)… Absurdité ! ce n’est pas une théorie Scheidemanienne ! Depuis quand Scheidemann veut-il barrer la route à l’opportunisme ?

    Il s’agit [pour lui] de barrer [la route] aux combattants prolétariens, aux partis communistes, qui doivent lutter en première ligne, l’échappatoire de l’opportunisme, et l’opportunisme chez nous, c’est l’utilisation des institutions bourgeoises dans le domaine économique; même chose pour la tentative d’utiliser les coopératives de consommation comme moyen de lutte pour aider la Russie, non avec des moyens révolutionnaires, mais avec les moyens du capitalisme, dans la mesure où le prolétariat en dispose.

    Oui, camarades, qu’est-ce que cela signifie ? On agit sur le prolétariat international ? Quand vous proposez à vos coopératives de consommation d’entrer en relations commerciales avec la Russie, faites-vous alors quelque chose pour la Russie ? Non, rien.

    Les coopératives de consommation doivent, exactement comme tut autre entrepreneur, compter en capitaux. Avec elles ça reviendra même plus cher. Cela détournera du droit chemin. C’est le point central.

    La 3ème Internationale doit veiller à ce que la Russie ne soit pas soutenue de l’extérieur par des moyens capitalistes, mais par le prolétariat, avec des moyens révolutionnaires. Là est le point central.

    Et cela ne se produira pas en adoptant la tactique que se donne la 3ème Internationale. Nous réclamons une ligne plus dure. (Hilarité).

    Les camarades peuvent bien rire. Le camarade Lénine rit aussi, nous ne pouvons pas dire mieux. Telle est notre honnête conviction. (Interruption: le camarade Boukharine dira pourquoi nous rions).

    Chacun peut rire. Je veux encore une fois indiquer ce point qu’en Allemagne, dans tous les pays du monde, à la suite du développement prolongé de la démocratie, démocratie qui n’est pas révolutionnaire, la classe ouvrière et avec elle le grand parti communiste de masse, dans lequel se trouvent beaucoup d’éléments opportunistes, va prendre sans autre façon la voie qui consiste à ne pas utiliser le moyen difficile, et il va utiliser pour aider la Russie le parlementarisme, les syndicats et autres moyens. Mais cela n’est pas une aide; c’est une déviation de la lutte. »

    Les conflits furent récurrents lors du troisième congrès. Il y eut notamment une salutation à Max Hölz de la part du congrès, ainsi qu’une petite réunion de soutien. Ce militant allemand venait d’être condamné à la prison à vie en Allemagne pour des actions armées. Or, le KAPD rua dans les brancards, car c’était l’un de ses membres. Le KAPD voyait donc une tentative de récupération de la part de l’Internationale Communiste… Qu’elle était censée pourtant vouloir rejoindre.

    A cela s’ajoute que pour l’Internationale Communiste Max Hölz est simplement un « rebelle contre la société capitaliste », tandis que pour le KAPD il était un activiste armé assumant l’actualité de la guerre civile, de manière volontariste.

    Cette situation était considérée comme délirante par le Comité Exécutif et Karl Radek résume bien sa position en disant :

    « Nous allons demander aujourd’hui aux éléments italiens oscillant : avec qui voulez-vous aller, avec l’Internationale Communiste ou bien les réformistes ? Et nous posons en même temps la question aux ouvriers du KAPD : avec qui voulez-vous aller, avec quelques revues mal écrites d’une prétendue école hollandaise et la petite poignée qui portent ces idées, ou bien avec les millions de prolétaires qui sont derrière l’Internationale Communiste et qui règlent leurs luttes communes telle une armée, qui mènent la lutte contre le capitalisme.

    Camarades, nous ne renonçons pas aisément au moindre groupe de travailleurs conscients, de travailleurs voulant lutter. »

    Les délégués du KAPD refusèrent même de prendre la parole le jour du congrès où un représentant du KAPD et un du KPD devaient prendre la parole pendant une demi-heure, pour clore le débat. La position du Comité Exécutif fut acceptée alors à l’unanimité moins les deux délégués mexicains. Le KAPD devait capituler ou rester étranger à l’Internationale Communiste.

    De fait, s’il avait 80 000 adhérents environ en 1920, il n’en avait déjà plus que la moitié en 1921. Il fonda en 1922 une Internationale Communiste Ouvrière qui provoqua une scission, alors qu’une partie était déjà allée dans une dynamique syndicaliste-révolutionnaire autour d’Otto Rühle (AAUE).

    Le « conseillisme » dans sa version allemande disparut alors pratiquement de la scène, une partie significative de ses cadres rejoignant les socialistes puis, après 1945, même les institutions de l’Allemagne de l’Ouest.

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  • Crise générale, parti de masse et révolution mondiale au dossier sur le troisième congrès de l’Internationale Communiste

    Les sensibilités des délégués au troisième congrès de l’Internationale Communiste étaient à la fois différentes et à fleur de peau. Les cadres du KPD étaient outrés que le KAPD soit invité, alors que les militants de cette organisation gauchiste étaient justement en train de les rejoindre, un flot tari par l’invitation.

    Les tenants du gauchisme tiraient d’ailleurs à boulets rouges sur le Comité Exécutif et prônaient une ligne « dure », amenant les débats à se perdre dans des récriminations, des reproches, des querelles de détails, etc.

    Le fait que le Parti Communiste d’Italie soit né dans une rupture non organisée passait également pour certains pour quelque chose de forcé, alors que cela aurait pu être anticipé ou mené différemment.

    Une partie de la direction du KPD notamment prit cela comme prétexte, devint l’ennemi de l’Internationale Communiste et fut exclue. Paul Levi en faisait partie, il avait été le quatrième dirigeant du KPD (après Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, suivi de Leo Jogiches, tous les trois assassinés) mais avait notamment dénoncé la révolte armée de mars 1921 dans une optique de droite l’amenant finalement à rejoindre les socialistes.

    A ce panorama s’ajoute que des délégués d’un même pays ne sont pas nécessairement sur la même ligne, ce qui provoque là-aussi des conflits ajoutant à la confusion. Les uns reprochent au Comité Exécutif de chercher indirectement à rétrécir les partis de chaque pays à des sectes en les mettant trop sous pression, d’autres au contraire qu’il faut aller plus loin, etc.

    Affiche allemande appelant à voter pour le KPD en 1920, afin de démolir le parlement

    A l’arrière-plan, mais sans qu’au congrès on en soit conscient en tant que tel, il y a toute la problématique de savoir comment faire pour avoir un Parti Communiste de masse, tout en conservant une vraie qualité sur le plan des cadres. L’Internationale Communiste ne parviendra jamais à concrètement résoudre ce qui lui apparaît comme un dilemme, seuls les communistes chinois, au moyen de la pensée guide, sortiront de ce problème fondamental dans la construction et l’identité des partis communistes à la suite de la révolution d’Octobre 1917.

    Affiche allemande du KAPD appelant à boycotter les élections,
    à refuser le parlementarisme, à soutenir l’action directe
    pour le pouvoir aux conseils

    Cependant, lors du troisième congrès, il n’y a encore aucun recul par rapport à tout cela. On est dans l’urgence et la considération du Parti de masse va de pair avec la question de la crise à venir. Il faut faire vite, car la vague de la révolution mondiale n’est pas terminée, elle va connaître une nouvelle phase.

    Voici comment Karl Radek, qui présente la question de la tactique pour le Comité Exécutif au congrès, résume le sens de l’exposé initial et de l’évaluation de la situation :

    « L’Internationale Communiste doit se fonder sur l’analyse concrète de l’époque dans la définition de sa tactique.

    C’est pourquoi nous avons essayé, avec l’exposé au début du congrès du camarade Trotsky [et en fait de Varga] de donner une présentation la plus objective possible des forces agissantes en ce moment, une présentation qui permette de dire si la révolution mondiale se trouve de manière générale en phase ascendante ou descendante.

    Car il est tout à fait clair que l’Internationale Communiste existerait et agirait également dans le cas d’une défaite de la révolution mondiale.

    Dans le cas d’un long répit pour la société capitaliste, elle a d’autres tâches que dans une situation que nous voyons en général comme la tendance à la phase ascendante de la révolution.

    Elle n’aurait pas alors comme tâche d’organiser directement les prolétaires pour toutes les possibilités de la guerre civile. Elle aurait en premier lieu comme devoir l’organisation et l’agitation, la formation d’une armée pour les batailles à venir.

    Maintenant, camarades, l’exposé du camarade Trotsky a montré que nous sommes d’avis qu’il n’y a pas pour l’instant de forces apparentes nous amenant à considérer que le développement de la révolution mondiale serait interrompu par les forces en construction et en consolidation du capitalisme.

    Dans l’exposé de Trotsky et dans la discussion [qui s’en est suivie], il a été indiqué que lorsque nous prenons la ligne, le cours vers la révolution mondiale, cela ne signifie aucunement que de manière doctrinaire nous nous fermions à la possibilité qu’il puisse y avoir des intervalles, que la crise de l’économie mondiale puisse connaître une amélioration passagère.

    Mais comme ligne fondamentale, comme cours général, ce que nous prenons s’appuie sur le fait constaté que les forces de la révolution mondiale continuent de s’étendre et nous ne sommes pas devant un déclin de la révolution mondiale, mais nous sommes devant le rassemblement des forces révolutionnaires pour de nouvelles luttes. »

    Il n’est pas possible de comprendre le sens des débats et la nature des conflits sans saisir ce sens profond de l’urgence. Il y avait trois sensibilités prédominantes : les gauchistes voulant une avant-garde « pure » et directement combative, les centristes désireux de gagner au maximum une forte base avant d’assumer la bataille révolutionnaire, les communistes russes exigeant un Parti de masse mais ayant rompu clairement avec les réformistes.

    Cela se cristallise au troisième congrès avec les questions allemande (le KAPD gauchiste) et italienne (le Parti Socialiste Italien centriste).

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  • La question du rythme de la crise générale du capitalisme au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    La question qui se pose au troisième congrès de l’Internationale Communiste, c’est celle de savoir dans quelle mesure il y a un temps mort ou pas. Faut-il continuer à pousser et aller dans le sens de l’offensive, ou faut-il temporiser pour la prochaine initiative générale ?

    Il existe ainsi un profond décalage entre les communistes russes et les autres. Pour les premiers, la crise générale du capitalisme est telle qu’une tentative pour celui-ci de s’en sortir par la guerre est inévitable. La grande présentation de Trotsky de la situation économique de chaque pays – à partir des travaux d’Eugen Varga qui lui-même publiait des documents à ce sujet, notamment avant le congrès – rentre dans ce cadre.

    Délégués au 3e congrès de l’Internationale Communiste, en 1921. Tout à droite : la russe Alexandra Kollontaï. A sa gauche, Clara Zetkine.

    Pour les communistes russes, le tempo de la crise économique est le tempo de la crise révolutionnaire et le rapport à la guerre impérialiste la clef de tout.

    Les communistes des pays occidentaux ne saisissent pas cette question. Ayant rompu avec la social-démocratie qui a été chauvine, pro-guerre, ils font de la question des contradictions inter-impérialistes un lointain arrière-plan. Pour eux, l’insurrection réside dans l’affirmation politique, pratiquement de manière volontariste.

    Il y a donc incompréhension des préoccupations russes pour évaluer l’évolution économique. Le Polonais Ernest Brand (pseudonyme de Henryk Lauer) affirma qu’on était sur la défensive, qu’il pouvait y avoir des défaites, mais que la déroute du capitalisme était totale. Il ne s’agissait donc pas de prophétiser tous les aspects d’une crise arrivant rapidement à son terme :

    « Nous menons en ce moment une lutte défensive. Nous pouvons encore connaître des défaites dans cette lutte, mais il ne peut aucunement être parlé d’une prospérité du capitalisme. Il ne peut être parlé que d’une putréfaction du capitalisme et c’est de cette putréfaction qu’il faut faire sortir les travailleurs.

    Nous n’avons pas comme tâches de prophétiser les détails du développement, nous avons comme tâche d’intervenir dans le cours du développement. »

    Le Hongrois József Pogány allait dans le même sens. Pour lui la crise économique renforçait la résistance ouvrière et le refus de satisfaire les exigences de la bourgeoisie, qui militarisait par conséquent sa répression face aux revendications. C’est de là qu’il fallait partir pour aller à l’affrontement : la période était à la guerre civile. Il formula notamment la chose ainsi :

    « Nos leitmotivs devraient être : non pas prospérité et nouvelle guerre mondiale, mais nouvelles guerres civiles et crises. »

    Les représentants du KAPD Emil Sachs (« Erdmann ») et Bernard Reichenbach (« Seemann ») considéraient que la bourgeoisie avait conscience de la crise capitaliste et était en mesure de prendre des décisions pour chercher à l’éviter. Ils voyaient en les conseils d’entreprise un exemple d’une telle manœuvre de la bourgeoisie, tout comme ils professaient les mêmes thèses que les sociaux-démocrates sur le capitalisme censé être désormais organisé. « Seemann » dit ainsi :

    « Le capitalisme a compris que toutes les limitations nationales, tous les chauvinismes et impérialismes nationaux, qui lui sont pour ainsi dire innées, doivent être fait reculés pour le moment, qu’il faut combattre l’ennemi de manière déterminée, et que l’ennemi, c’est justement le prolétariat, dont les communistes sont la partie active la plus avancée du prolétariat (…).

    Les choses sont tellement avancées qu’objectivement et subjectivement, le capitaliste français et le capitaliste anglais ont intérêt à ce que réussisse la construction capitaliste de l’Allemagne. Lorsqu’on a 30 ou 25 % de parts dans une entreprise, alors on a intérêt à ce que cette affaire se mette sur pied. »

    L’Allemand August Thalheimer du KPD expliqua qu’il considérait que si avant on raisonnait trop en jours, on raisonnait désormais trop en années ; les choses iraient tout de même rapidement. Wilhelm Koenen du KPD également affirma pareillement que les thèses ne devaient pas se concentrer sur la guerre impérialiste de 1923-1924 mais sur les conflits en 1921.

    Léon Trotsky répondit longuement, et notamment de la manière suivante:

    « Je dis encore dans mon exposé et nous disons dans nos thèses avec le camarade Varga : si dans deux ou trois mois ou dans six mois il y a une amélioration de la situation, alors on peut naturellement dire cela [= la lutte défensive sur le terrain économique], à condition qu’entre-temps la révolution ne fasse pas irruption.

    Si elle fait irruption, alors ensemble avec le camarade Pogány, nous ne nous y opposerons pas, nous y participerons de toutes nos forces.

    Mais posons-nous la question : que se passera-t-il, si cela n’arrive pas, camarade Pogány ? Si au lieu de la révolution c’est une amélioration de la situation économique qui se déroule ?

    Le camarade Varga a en effet dans sa brochure noté certains symptômes de cette amélioration. Et même dans le cas où il ne peut pas être parlé d’amélioration, on doit dans tous les cas constater que le tempo de l’aggravation s’est ralenti. C’est certain (…).

    Cela ne dépend pas de moi, ni du camarade Pogány, ni des résolutions du congrès. »

    Le Suisse Erwin Schaffner résuma de la manière suivante la question en jeu à l’arrière-plan :

    « Camarades, je rejoins les propos que vient de tenir le camarade Frölich [comme quoi il faut une discussion sur la tactique à suivre selon l’interprétation du rythme de la crise actuelle]. Car il y a un point qui s’est vraiment montré prétexte à des divergences d’opinion, et c’est le point 39, où il est dit :

    « Le prolétariat, amené à reculer au cours de la crise actuelle suite à l’assaut du capital, va tout de suite passer à l’offensive à l’entrée d’une meilleur conjoncture. »

    (…) Je propose que prenions les lignes directrices mais que le congrès traite des thèses présentées par la commission [du congrès sur la situation économique mondiale] – cela sera une affaire de courte durée pour le congrès.

    Car les thèses ne peuvent pas se présenter au monde comme l’œuvre des camarades Trotsky et Varga et de la commission, mais comme œuvre de la IIIe Internationale. »

    Karl Radek exprima bien le sentiment des communistes russes :

    « Le camarade Fröhlich et d’autres camarades ont fait partie de la commission. Ils n’y ont pas exprimé de présentation fondamentale de la situation qui soit différente (…).

    J’entends une proposition : nous ne prenons pas les thèses comme principe, mais comme base, car il n’y a pas encore d’autres thèses. Ou alors vous avez d’autres thèses, ou bien vous ne les avez pas. Il n’y a pas de troisième solution. Je demande pour cette raison que le vote soit effectué.

    Le camarade Schaffner dit : oui, il y a eu une différence principale entre Trotsky et Pogány. Trotsky dit [au nom des communistes russes] : quand la prospérité arrive, les ouvriers passent à l’attaque ; Pogány défend l’autre point de vue : ils peuvent déjà attaquer.

    Il a été demandé à Trotsky de la part du congrès de travailler à un Manifeste, il a accepté. Camarades, il faut prendre les choses plus sérieusement lors d’un congrès international. »

    Le vote se déroula donc tout de même, le Bulgare Vasil Kolarov s’occupant de le gérer :

    « Suit maintenant le vote sur la proposition du camarade Radek comme quoi passent à la commission les thèses des camarades Trotsky et Varga, avec lesquelles le congrès est principiellement en accord. Qui est en faveur de cela lève sa carte [des cartes sont levées].

    Je constate que la majorité est pour cette proposition [appels à un contre-vote]. Je demande le contre-vote. Qui est contre lève sa carte [des cartes sont levées]. Minorité. »

    La question était réglée pour l’Internationale Communiste. Mais cette résolution par en haut du problème ne supprimait pas les vastes différences de sensibilité à la base, la problématique essentielle étant celle du rapport entre le Parti, les masses et la révolution mondiale, avec l’évaluation à l’arrière-plan de la crise générale du capitalisme.

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  • Gravité et pesanteur au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    Le congrès s’ouvre sur un rappel par Zinoviev des communistes décédés dans la lutte l’année passée, une marche funèbre étant même joué à la fin de son propos. Il y mentionna notamment les Français Raymond Lefebvre, Jules Lepetit et Marcel Vergeat qui sont décédés sur le chemin du retour du deuxième congrès. Venus clandestinement en raison du refus du gouvernement français de leur fournir des passeports, ils furent obligés de prendre un bateau qui fit toutefois naufrage.

    Cependant, il y a en plus des milliers de tués dans les affrontements avec la réaction, également des milliers d’emprisonnés, notamment en Allemagne, aux États-Unis, en Finlande, en Hongrie, en Bulgarie. Grigori Zinoviev explique pour cette raison dès le départ que :

    « Cette année n’a pas été simple dans l’histoire de l’Internationale Communiste. »

    En sachant qu’on en est seulement au troisième congrès, c’est un semi-aveu d’échec, même s’il est toujours considéré que la victoire complète se produirait à court terme. Les expériences ont été très douloureuses.

    Le vaste mouvement ouvrier italien, avec occupation d’usines et qui dura deux semaines, avec la mise en place de milices armées, n’a pas abouti. Le soulèvement d’un million d’ouvriers tchécoslovaques s’est très rapidement enlisé et a échoué. Le soulèvement en Allemagne a pareillement mobilisé des centaines de milliers d’ouvriers, mais pour arriver au même résultat.

    Occupation d’usine en Italie en 1920

    On rentre en fait dans le dur et l’atmosphère du congrès est marquée par de la gravité, un sens de l’urgence, et une très grande pesanteur ressentie de tous les côtés en raison du travail d’organisation et de réorganisation à mener.

    C’est que les résultats positifs obtenus amènent avec eux d’autant plus de travail. En Italie, un Parti Communiste a été fondé. Cependant, Giacinto Menotti Serrati n’a pas suivi, considérant que c’était trop tôt ; il est resté dans le Parti Socialiste Italien et avec lui une large partie du mouvement. Le PCI naît donc sans l’élan profond qu’il aurait pu avoir. Grigori Zinoviev tiendra des propos acerbes dans un très long discours quant à Giacinto Menotti Serrati, considéré comme un traître ayant maquillé la réalité.

    La Grande-Bretagne connaît enfin un mouvement communiste, les organisations communistes s’unifiant enfin, mais le nombre des adhérents témoigne d’une profonde faiblesse : ils ne sont que 10 000. Il y a toutefois en toile de fond une très grande grève des mineurs.

    Un Parti Communiste de Tchécoslovaquie s’est fondé juste avant le congrès, avec 400 000 travailleurs, ce qui est un immense succès (le PCT sera toujours historiquement numériquement le plus important en rapport avec la population). Au second congrès, les délégués ne représentaient encore qu’une poignée de propagandistes. Cependant, au lendemain d’une grande défaite ouvrière et l’émergence d’une organisation de masse de cette ampleur, il y a encore plus une accentuation du travail à mener en termes d’orientation, de structuration, etc.

    L’excellente nouvelle est toutefois le congrès de Tours où la majorité des socialistes français rejoignent le Parti Communiste – Section Française de l’Internationale Communiste. Avec ses 120 000 membres, il est bien plus important que la SFIO maintenue. Grigori Zinoviev souligna lors d’une présentation de la France dans le rapport du Comité Exécutif qu’il a toujours été veillé à procéder lentement, afin de ne pas faire capoter processus et le mouvement vers l’Internationale Communiste.

    Le congrès de Tours en 1920

    La France était considérée comme un pays où le mouvement communiste devait avancer avec succès ; le premier orateur à parler après Gregori Zinoviev pour le Comité Exécutif et Lev Kamenev pour le Parti Communiste de Russie fut d’ailleurs Paul Vaillant-Couturier pour une salutation de l’armée rouge.

    Il prit ainsi même la parole avant le représentant du Parti Communiste d’Allemagne (unifié), Paul Fröhlich. Le premier syndicaliste à prendre la parole, alors que doit suivre après le troisième congrès de l’Internationale Communiste le premier de l’Internationale Syndicale Rouge, fut également un Français, Joseph Tommasi. Celui-ci fut également l’un des tout premiers à intervenir dès le second jour du congrès, pour demander que soit en priorité étudiée la question du rapport entre le Parti et le syndicat.

    La gravité et la pesanteur se lisent enfin dans le rapport sur la situation économique mondiale. Lors des premiers congrès de l’Internationale Communiste, c’est Eugen Varga qui se chargea à chaque fois de compiler de manière synthétique un bilan de la crise générale du capitalisme.

    Lors du troisième congrès, Léon Trotsky se chargea de résumer toutes les données dans le sens d’une présentation de la situation économique mondiale, pour un très long discours consistant typiquement à la Varga en une avalanche de statistiques.

    Dès le départ, on a les difficultés qui sont soulignées au sens où il est ouvertement dit qu’il y a comme un temps mort, qu’il va falloir approfondir les analyses des moments-clefs :

    « Dans nos manifestes des 1er et 2e Congrès, nous avons donné une caractéristique de la situation économique sans entrer néanmoins dans son examen et son analyse détaillée.

    Depuis lors, il s’est produit certains changements dans le rapport des forces, changement impossible à nier.

    La question est seulement de savoir si nous avons affaire à un changement radical ou de caractère superficiel.

    Il faut constater que la bourgeoisie se sent aujourd’hui sinon plus forte qu’il y a un an, du moins plus forte qu’en 1919.

    Il suffit de parcourir la presse capitaliste la plus influente pendant les derniers mois de cette année pour apporter une série d’extraits éloquents montrant à quel point a diminué sa panique devant le danger universel du communisme, bien qu’elle reconnaisse elle-même que les communistes de petits groupes isolés qu’ils étaient, se sont changés en un grand mouvement de masses. »

    On a là très exactement résumé la perception générale lors du troisième congrès : la victoire rapide a échoué, la révolution mondiale connaît un temps d’arrêt, mais il y a des partis de masse qui se forment.

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  • La mise en place du troisième congrès de l’Internationale Communiste

    Le troisième congrès de l’Internationale Communiste s’est tenu à Moscou, du 22 juin au 12 juillet 1921. Le Comité Exécutif a en pratique avancé sa tenue de deux mois par rapport à ce qui avait été prévu, en raison de l’intense actualité.

    Ce Comité Exécutif de l’Internationale Communiste existe concrètement depuis le second congrès, les communistes de Russie ayant géré le passage du premier au second congrès. De nombreux partis, comme le KPD allemand, aurait espéré d’ailleurs que cela continue ainsi et qu’ils n’aient pas à envoyer de délégués à Moscou pendant toute une année.

    Les communistes de Russie furent toutefois intransigeants quant à cette question. Dix partis se plièrent donc à cela, les autres ne le faisant somme toute que partiellement, ou très partiellement.

    Le Comité Exécutif s’était réuni 31 fois en onze mois depuis le congrès précédent, abordant 196 questions, dont pas moins de 68 concernant l’organisation.

    Pour les pays qui en furent le thème principal, on a l’Allemagne (21 fois), l’Italie, la Roumanie et les États-Unis (12 fois chacun), la Tchécoslovaquie et l’Orient (10 fois chacun), la Grande-Bretagne (9 fois), la Bulgarie et la France (7 fois chacun).

    Si le premier congrès tablait en fait sur un mouvement révolutionnaire se formant rapidement et avait une portée surtout symbolique, le second congrès a catalysé tout un processus d’organisation de chaque Parti Communiste, avec les fameuses « 21 conditions ».

    Le troisième congrès vise ainsi à concrétiser ces deux premières étapes en structurant l’Internationale Communiste de manière beaucoup plus avancée.

    Lénine au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    L’appel du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste pour la tenue du congrès présente 15 points :

    1. Le rapport du Comité Exécutif ;

    2. La crise économique mondiale et les nouvelles tâches de l’Internationale Communiste ;

    3. La tactique de l’Internationale Communiste durant la révolution ;

    4. La période de transition (revendications partielles, actions partielles et lutte révolutionnaire finale) ;

    5. La lutte contre l’union des syndicats jaunes basée à Amsterdam ;

    6. Le rapport de l’Internationale Communiste avec le conseil international des syndicats rouges ;

    7. La construction organisationnelle des Partis Communistes, les méthodes et contenus de leur travail ;

    8. La construction organisationnelle de l’Internationale Communiste et ses rapports avec les Partis qui en sont membres ;

    9. La question de l’Orient ;

    10. L’appel du Parti Socialiste Italien à l’Internationale Communiste suite à la décision du Comité Exécutif à son sujet ;

    11. L’appel du KAPD à l’Internationale Communiste suite à la décision du Comité Exécutif à son sujet ;

    12. Le mouvement des femmes ;

    13. Le mouvement de la jeunesse ;

    14. L’élection du Comité Exécutif ;

    15. Divers.

    48 pays sont représentés. Il y a 291 mandats pour le congrès, à quoi s’ajoutent 218 mandats à valeur consultative lors des votes. Il y a également une centaine de figures politiques de différents pays invitées à assister au congrès.

    Les mandats ont été choisis par le Comité Exécutif de manière particulière, puisqu’il y a eu une prise en compte combinée :

    – du nombre de membres ;

    – de la signification politique du pays ;

    – de la possibilité de développement du mouvement ouvrier et du mouvement communiste.

    On a ainsi la répartition suivante :

    – avec 40 voix : l’Allemagne, la France, l’Italie, la Russie et la Tchécoslovaquie, ainsi que l’Union de la jeunesse, structure internationale regroupant 800 000 jeunes ;

    – avec 30 voix : l’Angleterre, la Bulgarie, les États-Unis, la Norvège, la Pologne, l’Ukraine, la Yougoslavie ;

    – avec 20 voix : l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Finlande, la Hollande, la Hongrie, la Lettonie, la Roumanie, la Suisse ;

    – avec 10 voix : l’Azerbaïdjan, le Danemark, l’Estonie, la Lituanie, la Géorgie, le Luxembourg, la Perse, la Turquie ;

    – avec 5 voix : l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Arménie, l’Australie, l’Indonésie, l’Islande, le Mexique, la Nouvelle-Zélande.

    Sont également présents des représentants de Chine, du Japon.

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  • L’échec de SHAC

    L’ALF, en tant que produit de la lutte de classes, sur le terrain de la contradiction villes – campagnes, était invincible. Sa charge morale était inébranlable, l’engagement produit inlassable.

    La question révolutionnaire posée par l’ALF ne pouvait qu’aboutir à une confrontation authentique avec une société figée sur des valeurs dépendants des classes dominantes : c’était ce qu’avait compris Barry Horne.

    En ce sens, la mort de Barry Horne fut un épisode d’une importance capitale pour l’ALF britannique et pour les luttes de classes de ce pays. Ce que posait Barry Horne, c’est la nécessité de la constitution d’un noyau dur, sur une base d’avant-garde, capable de poser la rupture.

    Barry Horne ne disposait pas des outils idéologiques pour être à même de réaliser son projet, aussi s’est-il sacrifié en cherchant à ouvrir un espace pour cela, coûte que coûte. Cela fait de lui la point le plus haut de l’histoire de l’ALF britannique.

    Ronnie Lee, quant à lui, avait clairement reculé par rapport à cela, cherchant à contourner la question politique de manière complète. Il cherchait à faire triompher la cause des animaux parallèlement à la société, en refusant d’avoir une vue d’ensemble, échappant à la question sociale en exigeant simplement que l’humanité recule.

    Ronnie Lee

    Il y avait ainsi véritablement deux lignes : celle posant une offensive, exigeant de s’appuyer sur les fondamentaux et l’exigence de révolution, au nom de la morale, de la justice. Et celle faisant de l’ALF une composante d’un mouvement considéré comme parallèle à la société.

    On a alors un exemple à la fois éloquent et dramatique d’incompréhension de la question de l’opposition dialectique de deux lignes. Les activistes britanniques se sont en effet précipités dans une démarche puisant tant dans une ligne que dans l’autre et, malheureusement, faisant un fétiche des faiblesses de l’une et de l’autre.

    Cela abouti, inévitablement, à l’effondrement complet du mouvement. En 1994, il y eut près de 800 actions de l’ALF britannique, en 1999 il y en eut 1200. En 2003, il n’y en eut que 80, puis désormais leur nombre est entre 30 et 60 par an. Si certaines font de très importants dégâts, il n’y a plus de mouvement, ni aucune perspective.

    Le chemin de la catastrophe a été le suivant. Le mouvement a retenu de Ronnie Lee qu’il fallait être en mesure de faire une intervention dans la société au sujet de la question animale. Mais c’était là une lecture anti-politique, anti-culturelle. C’était un refus de ce que Barry Horne avait apporté comme dimension révolutionnaire.

    Le mouvement a, après la mort de Barry Horne, quitté entièrement le terrain d’une critique révolutionnaire de la société. C’était le prolongement d’un phénomène dénoncé par Barry Horne dès les années 1990 : le mouvement ne se place plus par rapport aux animaux dans le cadre de la société, mais par rapport à lui-même.

    Il ne prétend pas tout changer, de manière révolutionnaire, mais faire avancer les choses par lui-même.

    On aboutit à ce qui est puisé dans l’approche de Barry Horne : le volontarisme. Barry Horne justifiait cela par la nécessité morale de l’intervention, mais il se plaçait dans la logique d’un processus. En arrière-plan, il y a la formation d’une rupture subjective, la formation d’une proposition stratégique.

    Or, ne comprenant rien à cela, le mouvement s’est précipité dans un volontarisme totalement délirant, fondé sur le harcèlement, l’intimidation, l’esprit d’agression, etc. Tout cela donnait une impression de radicalité, mais c’était ni plus ni moins qu’un réformisme volontariste entièrement séparé des principes de violence révolutionnaire, auxquels il faut rattacher Barry Horne.

    La combinaison de cette double inspiration, essentiellement erronée, se révèla fatale au cours de plusieurs campagnes qui furent alors lancées par une même base d’activistes. Les plus importantes furent :

    – celle fondée en 1996 et visant à sauver les chiens beagles de l’élevage Consort les destinant à la vivisection ;

    – celle fondée en 1997 et intitulée Save the Hill Grove Cats, visant un élevage de chats destinés à la vivisection ;

    – celle fondée en 1999 et intitulée Save the Shamrock Monkeys, visant un centre de primates destinés à la vivisection ;

    – celle fondée en 1999 et intitulée Save the Newchurch Guinea Pigs, visant un élevage de cochons d’Inde destinés à la vivisection ;

    – celle fondée en 1999 et intitulée Stop Huntingdon Animal Cruelty, visant le plus centre de vivisection en Europe ;

    – celle fondée en 2003 et intitulée SPEAK et visant l’expérimentation animale en général.

    La campagne contre Consort fut victorieuse, l’élevage fermant en septembre 1997. Pendant dix mois, des initiatives quotidienne de propagande avaient lieu, accompagnées d’actions de l’ALF, dont une libération de 26 chiens en mai 1997.

    Un événement marquant fut une manifestation de plusieurs centaines de personnes prenant d’assaut l’élevage en découpant les barbelés, se retrouvant face à 300 policiers anti-émeutes, avec un chiens libéré tout de même, mais finalement récupéré par la police.

    La campagne Save the Hill Grove Cats fut également victorieuse, la SPA britannique récupérant les 800 derniers chats en août 1999. La lutte fut particulièrement ardue, au moins 350 personnes ayant été arrêtés pour leurs action et 21 condamnées à de la prison.

    La police fit même en sorte de mettre en place une « zone d’exclusion » de huit kilomètres autour de l’élevage. Les employés de l’élevage avaient également dispersé des pesticides toxiques sur les lieux des rassemblements, provoquant des nausées, vomissements, etc.

    L’éleveur avait déjà déjà reçu une lettre piégée en 1993, lui causant des brûlures au visage et au centre, et il reçut de multiples menaces, notamment de l’Animal Rights Militia au moment des grèves de la faim de Barry Horne.

    La campagne Save the Shamrock Monkeys fut un succès, le centre fermant en 2000 au bout d’une campagne de quinze mois. 350 primates y étaient en permanence, plus de 50 000 y étant passés dans les années 1990.

    La campagne Save the Newchurch Guinea Pigs fut un succès également, mais elle dura plus longtemps: six ans. Elle commença par une opération de l’ALF libérant 600 cochons d’Inde de cete élevage et diffusant une vidéo sur la situation là-bas.

    La campagne de harcèlement fut d’une dureté significative, visant toutes les entreprises et les lieux liés de près ou de loin au propriétaire. Les personnes concernées voyaient des rassemblement réguliers devant chez elles, étaient harassés d’appels téléphoniques, de lettres, d’emails, de spam, leurs poubelles étaient renversées, des menaces leur étaient envoyés, des feux d’artifice étaient projetés sur leur logement en pleine nuit, des dégradations à la peinture étaient commises, des taxis ou des pizzas étaient commandés, etc.

    L’Animal Right Militia allant jusqu’à déterrer le cadavre de la belle-mère du propriétaire en octobre 2004. Il ne sera retrouvé enterré dans une forêt qu’en mai 2006. Trois personnes furent condamnées à 12 ans de prison pour cela, une à quatre ans, alors qu’une autre fut condamné à deux années de prison pour intimidation.

    La campagne la plus célèbre reste cependant celle nommée Stop Huntingdon Animal Cruelty (SHAC). SHAC représentait le grand tournant, la tentative de former une action légale strictement parallèle à celle de l’ALF.

    C’était ni plus ni moins que jouer à quitte ou double et ce fut l’expression la plus pure de la double combinaison erronée issue de l’incompréhension de ce que Barry Horne avait tenté de formuler.

    Huntingdon Life Sciences (HLS) disposait de deux centres de tests, à Huntingdon et à Eye, utilisant 75 000 animaux par an, étant le plus grand organisme d’expérimentation animale d’Europe. De nombreuses infiltrations d’activistes eurent lieu, aboutissant à des compte-rendus écrits ou des vidéos sur les brutalités très importantes contre les animaux s’y déroulant.

    En 1997, l’association PETA diffusa une vidéo, amenant HLS à perdre sa licence pour six mois. Par la suite, HLS menaça PETA de procès et la campagne de SHAC prit en tant que tel le relais.

    Les méthodes furent les mêmes que celles contre l’élevage de Newchurch, mais cette fois décuplées et systématisées. Les cibles n’étaient même plus indirectes, mais doublement indirectes.

    L’intimidation, le harcèlement et les attaques visaient non seulement HLS, ses employés, mais également les partenaires économiques de HLS, les partenaires de ces partenaires, les assurances de ces entreprises, ainsi que les entreprises de nettoyage, etc., le tout étant déclinés à l’infini.

    Tout ce qui avait rapport avec HLS, ou avec des gens ayant un rapport avec HLS, était visé. C’était là une première erreur, empêchant de cibler de manière correcte l’ennemi, d’exprimer cela politiquement. C’était là un réformisme actif, parallèle à la société, qui était le prolongement des erreurs de Ronnie Lee.

    Pire encore, le pragmatisme était complet. La campagne allait même jusqu’à faire de fausses accusations de viol contre des personnes, des menaces du type « on sait où tes enfants vont à l’école », etc.

    De par sa nature, elle témoigne d’une gigantesque fuite en avant, d’une tentative de forcer l’histoire, en-dehors de tout lien avec la société, même si de très importantes sommes d’argent étaient reçues lors des campagnes.

    Le cadavre enlevé était déjà l’expression d’une démarche catastrophique : SHAC systématisa cette démarche, jusqu’à l’écœurement. Au lieu de la violence révolutionnaire et de la rupture subjective sur la base d’un projet politique bien délimité, l’action directe était menée tout azimut, sans délimitation morale, dans un esprit d’agressivité générale.

    De prime abord, cela put apparaître comme un succès.En 2000, SHAC fut en mesure de connaître la liste intégrale des gens ayant des parts dans HLS, et le parti travailliste fut obligé de vendre les 75 000 parts qu’ils possédait.

    Mais, surtout, 32 millions de parts furent mis en bourse à Londres suite à ces révélations, tandis qu’à celle de New York HLS fut éjecté en raison de sa trop faible capitulation. Cela se produisit également à Londres ensuite.

    L’action passa de 300 euros à 2 euros en janvier 2001, puis quelques centimes au milieu de l’année 2001. La valeur de l’entreprise passa de 400 à 5 millions d’euros.

    La Royal Bank of Scotland ferma le compte de HLS et le gouvernement britannique décida d’intervenir pour lui ouvrir un compte à la banque d’Angleterre. HLS devint ensuite une entreprise américaine et SHAC États-Unis fut alors fondé en 2004 pour élargir la campagne.

    Les actions, très nombreuses, se démultiplièrent. Mais les conséquences d’un positionnement erroné étaient inéluctables et la campagne SHAC fut alors littéralement broyé, emportant le mouvement pour la libération animale tant en Grande-Bretagne qu’aux États-Unis.

    Les États de ces deux pays parèrent à toutes les activités de SHAC. Dans les deux pays, des lois furent instaurées interdisant les menaces, intimidations contre des entreprises liées aux animaux, transformant en terrorisme les actions contre elles.

    En Grande-Bretagne, les quêtes d’argent furent églament condamnées comme illégales ; la présence d’activistes étaient interdites dans un périmètre de 45 mètres autour des lieux ou employés des entreprises, sous la pression de HLS, Chiron UK, Phytopharm, Daiichi UK, Asahi Glass, Eisai, Yamanouchi Pharma, Sankyo Pharma, BOC.

    David Blenkinsop fut condamné à trois ans de prison pour une opération de tabassage du directeur du management de HLS ; le directeur du marketing de HLS avait également reçu des produits chimiques dans les yeux, le rendant temporairement aveugle. Donald Currie fut condamné à 12 ans de prison pour des incendies réalisés contre des clients de HLS.

    Mais la répression ciblait, donc, directement les activistes « légaux ». En 2006, six membres de SHAC États-Unis furent condamnés à entre 3 et 6 années de prison, ainsi qu’un million de dollars d’amende collective.

    L’opération policière « Achille » se déroula en mai 2007 en Grande-Bretagne, en Belgique et aux Pays-Bas, avec 700 policiers, 32 activistes de SHAC étant arrêtés, sept étant condamnés à respectivement onze années de prison, neuf années pour deux, huit années, cinq années, quatre années pour deux.

    En 2009, 13 activistes de SHAC États-Unis étaient arrêtés par le FBI et condamnés à des peines allant de 15 mois à 6 ans de prison.

    Des activistes de SHAC condamnés à de la prison

    SHAC finit par capituler en août 2014. Par ricochet, la campagne SPEAK contre l’expérimentation animale s’effondra de manière similaire. Son porte-parole fut condamné à dix années de prison pour deux attaques à l’engin incendiaire contre l’université d’Oxford.

    L’histoire des campagnes est un mélange de confusion de la légalité et de l’illégalité, les mêmes gens agissant d’un côté dans les campagnes légales, de l’autre dans des actions illégales en tant qu’ALF ou ARM.

    C’était déjà le reproche fait par Barry Horne durant les années 1990 : le mouvement d’action directe s’est prolongé, mais il a vécu en vase-clos, combinant refus d’un mouvement de masse et élitisme séparatiste, pragmatisme total sur le plan des actions et absence d’élaboration d’un projet révolutionnaire.

    Malgré l’apparence de radicalité, SHAC n’était rien d’autre qu’un mouvement moraliste agressif entièrement réformiste, totalement dénué de proposition révolutionnaire.

    La stratégie du mégaphone et des voitures incendiées s’est avérée, dans les faits, le contraire exact de la ligne populaire de l’ALF britannique des débuts et la conséquence directe de l’incompréhension de la question de la rupture subjective posée par Barry Horne comme saut qualitatif nécessaire.

    Cela provoqua l’effondrement du mouvement à la base, l’ALF britannique étant happé de manière unilatérale dans une fuite en avant sans perspectives et aux pratiques incohérentes ou fausses.

    Non seulement le véganisme n’a alors pas connu de déferlante, mais qui plus est le nombre d’expérimentations animales avait augmenté de moitié, celui fait à Porton Down par l’armée ayant doublé. Tout cela renforça encore plus le repli, le défaitisme, que déjà Barry Horne avait deviné, devant le manque d’organisation stricte, d’esprit révolutionnaire.

    Une organisation stricte, un esprit révolutionnaire, qui ne pouvait être porté que par une avant-garde saisissant les luttes de classe, source de l’ALF : tel est l’enseignement qui découle de cet échec. SHAC a produit la figure de l’activiste séparé de la société, fonctionnant en cercle fermé, avec les animaux objets de la lutte et non plus au centre de l’identité.

    Le jusqu’au boutisme n’était que le masque de la retombée dans le réformisme du bien-être animal, avec toute sa passivité par rapport au consensus dominant dans la société, sans aucune perspective révolutionnaire, avec les animaux disparaissant derrière le discours sur eux.

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  • L’ALF britannique, Barry Horne et la tentative de rupture subjective

    L’ALF était né comme rupture révolutionnaire, en-dehors du consensus dominant et de l’encadrement des syndicats et du parti travailliste. Cependant, étant une forme de lutte de classes, liée à la contradictions villes-campagnes, il fallait inéluctablement qu’il y ait un conflit avec ce consensus et cet encadrement.

    Sans cela, il y aurait un mur. Ce mur, Ronnie Lee ne l’a pas vu ou n’a pas voulu le voir, espérant que la question animale reste parallèle à la société. Ce fut le rôle historique de Barry Horne de tenter de faire sauter le verrou.

    Barry Horne

    Barry Horne est né le 17 mars 1952 ; prolétaire de la ville de Northampton, il était un balayeur de rues. Il avait une conscience de gauche, avait participé à un rassemblement anti-fasciste, mais sans être engagé. Sa petite amie l’engagea à aller voir une conférence sur la libération animale et le déclic se produisit, à 35 ans.

    Il rejoignit alors un groupe local, Northampton Animal Concern, qui fit notamment avec succès des rassemblement devant le magasin Beatties, afin qu’il cesse de vendre de la fourrure. Il devint également végétarien et participa aux actions de Hunt Saboteurs.

    En 1988, il fut condamné avec plusieurs activistes pour la tentative de « vol » d’un dauphin, Rocky, du Marineland de Morecombe dans le Lacanshire. Rocky n’était qu’à 230 mètres de la mer, mais pesait 290 kilos et les activistes avaient mis en place tout un système de poulies avec une grande civière.

    Ils avaient également nagé plusieurs fois avec Rocky dans les nuits précédentes pour se familiariser avec lui. Mais lors de la tentative, les activistes durent renoncer en raison de la complexité de l’opération et lorsqu’ils furent contrôlés au retour, ne purent pas donner d’explication pour l’étrange matériel transporté.

    La tentative de libération du dauphin lui valut une amende et six mois avec sursis, mais l’impact populaire fut immense. Rocky, maintenu pendant 22 ans dans une petite piscine, devint un symbole ; les visites au Marineland chutèrent de 85 %, amenant sa fermeture et la vente de Rocky pour une forte somme aux associations.

    Celui-ci fut amené aux Îles Turques-et-Caïques, dans les Caraïbes, dans une zone fermée de 320 000 m² pour la réhabilitation des animaux marins enfermés.

    Pour le nouvel an de 1990, Barry Horne participa à un raid avec neuf autres personnes à Oxford contre un élevage d’animaux destinés à la vivisection, libérant 36 chiens beagles. Deux activistes furent condamnés pour cela à 9 et 18 mois de prison.

    En mars 1990, Danny Attwood, Keith Mann et Barry Horne démolirent le toit d’un laboratoire de Harlan Interfauna à Cambridge, libérant 82 chiens beagles et 26 lapins, récupérant au passage la liste des clients du laboratoire. John Curtin et Danny Attwood furent condamnés pour cela à respectivement neuf et dix-huit mois d’emprisonnement.

    Barry Horne fut de la partie par la suite lors du saccage de la conférence sur l’expérimentation animale à l’université d’Exeter, à Oxford.

    En octobre, cependant, Barry Horne fut arrêté près d’Alconbury, alors qu’il mettait en place un engin incendiaire contre Duncans, une entreprise de transport s’occupant d’amener les employés au laboratoire d’expérimentation de Huntingdon Life Sciences.

    Il fut condamné à trois années de prison, en 1991. Il commença à produire les bulletins du Support Animal Rights Prisoners (SARP), ce qui était pour lui le moyen de souligner l’importance centrale de l’activisme, à tout prix. Être en prison signifiait avoir compris qu’il en allait avant tout des animaux.

    Le point de vue qu’il exprime en juin 1993, dans la dernière édition du bulletin, est révélateur de sa philosophie :

    « Les animaux continuent de mourir et la torture continue de manière toujours plus grande.

    La réponse des gens à cela ? Plus de veggie burgers, plus de bières spéciales, et plus d’apathie. Il n’y a plus de mouvement libération animale. Cela est mort il y a bien longtemps.

    Tout ce qui reste, c’est une petite poignée d’activistes qui se préoccupent, qui comprennent et qui agissent.

    Pour certains d’entre nous, la libération animale EST une guerre que nous avons l’intention de gagner… Les larmes sont réelles, nos cœurs se brisent vraiment et nous SOMMES préparés à mourir pour cela, pas simplement à chanter cela. »

    Il est alors arrêté en juillet 1996, accusé d’avoir placé deux engins incendiaires devant agir la nuit dans le centre commercial Broadmead de Bristol. Sur lui, la police découvrit quatre autres engins du même type.

    C’est alors que commença l’épisode qui fit de Barry Horne un martyr de la cause.

    Le 6 janvier 1997, Barry Horne commença sa première grève de la faim, avec comme exigence que le gouvernement britannique cesse de financer l’expérimentation animale dans les cinq ans.

    Cela provoqua un mouvement d’activisme, avec des manifestations significatives contre les laboratoires Harlan, ainsi que Consort et Hilligrove, qui furent également la cible de raids de libération, ainsi que d’attaques.

    Cette grève de la faim dura 35 jours et apparut comme une victoire, car le parti travailliste, dont il était clair qu’il allait gagner les élections, engagea une forme de discussion, avec Elliot Morley, le responsable du bien-être animal pour les travaillistes, expliquant que « le Labour est engagé dans la réduction et une fin éventuelle de la vivisection ».

    Il faut bien saisir la nature particulière de la situation. Le parti travailliste avait un certain vent en poupe, se replaçant comme force centriste avec Tony Blair, mais développant l’espoir de mettre de côté une domination conservatrice particulièrement pesante.

    Margaret Thatcher avait été première ministre de 1979 à 1990, John Major de 1990 à 1997. Le parti travailliste, désormais New Labour et non plus Labour, avec une ligne de centre-gauche, se voulait le vecteur du « progrès ».

    Son manifeste électoral de 1996, New Labour, New Life for Britain, abordait la question des animaux, de manière inévitable vu le contexte idéologique et culturel. S’il défendait la pêche à la ligne, présenté comme le « sport britannique le plus populaire », il affirmait vouloir promouvoir le bien-être animal.

    Qui plus est, il escomptait faire un vote parlementaire sur la chasse à courre, et permettre un accès meilleur aux campagnes. C’était là cibler très précisément la contradiction villes-campagnes.

    Le New Labour mit également à la disposition de sa propagande électorale une brochure intitulée pas moins que New Labour, New Life for animals. Il promettait alors des commissions royales d’enquête sur l’expérimentation animale, ainsi que sur les animaux génétiquement modifiés.

    L’initiative de Barry Horne semblait alors aller dans une sorte de convergence générale vers un certain « progrès » pour les animaux, dont le New Labour serait un vecteur.

    Le travailliste Tony Blair devint ensuite premier ministre le 2 mai 1997 et Barry Horne commença une nouvelle grève de la faim, le 11 août 1997. Son initiative eut un impact énorme.

    Des manifestations eurent le 12 septembre à Londres et à Southampton, ainsi qu’à La Haye aux Pays-Bas, Cleveland aux Etats-Unis, Umea en Suède où les activistes tentèrent de forcer l’entrées des laboratoires de l’université.

    Des centaines de manifestants se rassemblèrent devant Shamrock Farm, un centre pour les primates destinés aux laboratoires, ainsi que devant les laboratoires Wickham, les locaux du parti travailliste, la maison de Jack Straw, ministre de l’intérieur.

    Un camp fut monté devant Huntingdon Life Sciences, avec des tunnels souterrains pour retarder leur délogement par la police, alors que l’élevage de cochons d’Inde Newchurch fut la cible d’un raid, 600 cochons d’Inde étant libérés.

    Barry Horne cessa sa grève de la faim le 26 septembre, au bout de 46 jours, lorsqu’un membre du gouvernement rencontra des représentants des partisans de Barry Horne, afin d’ouvrir des négociations.

    Cependant, dans la foulée commença le procès de Barry Horne, en novembre 1997. Malgré 14 parades d’identification qui n’aboutirent à rien, il fut condamné à 18 années de prison en raison du fait que les engins incendiaires en sa possession étaient du même type que ceux employés sur l’île de Wight.

    Barry Horne commença une nouvelle grève de la faim le 6 octobre 1998. Ses exigences étaient les suivantes : la fin des nouveaux permis pour des expérimentations animales, le non-renouvellement des anciens, une interdiction de l’expérimentation animale pour des buts non médicaux, une fin totale de l’expérimentation animale pour le 6 janvier 2002, une fin immédiate de l’expérimentation animale dans la base militaire de Porton Down, la disparition de l’Animal procedures committee, un organisme de conseil au gouvernement sur l’expérimentation animale, considéré comme favorable à celle-ci.

    Barry Horne expliqua alors :

    « Ce combat n’est pour nous, pour nos volontés personnelles et nos besoins. Il est pour chaque animal qui ait souffert et est mort dans les laboratoires de la vivisection, et pour chaque animal qui souffrira et mourra dans ces mêmes laboratoires, à moins que nous mettions maintenant un terme à ce commerce maléfique.

    Les esprits des morts torturés crient justice, le cri des vivants est liberté. Nous pouvons créer cette justice et nous pouvons accorder cette liberté.

    Les animaux n’ont personne d’autres que nous. Nous ne leur ferons pas défaut. »

    Dans une autre lettre, il expliquait :

    « Il est toujours plus facile de voir pourquoi nous ne pouvons pas réussir, toujours plus facile de hausser les épaules et de croire que le mieux que nous puissions faire est d’essayer, presque comme un acte de consolation.

    Sans croire au succès, le succès devient difficile à réaliser, presque une impossibilité. Tout comme la libération des animaux en fait, [est dit être] un concept impossible.

    Cependant, sachez que ce n’est pas le cas, ou bien pourquoi est-ce que nous combattons? Nous ne devrions jamais craindre le succès de nos actions ou cesser d’y croire. Et nous ne devrions jamais avoir peur de vouloir atteindre les étoiles, si c’est correct (…) Comment pourrions-nous demander moins?

    Cela revient à condamner tant d’animaux à une vie de souffrance et de mort. Croyez-moi, il est temps d’atteindre ces étoiles et de croire que c’est possible. »

    Si officiellement le gouvernement refusa toute négociation, il en entama finalement une, au 44e jour de la grève de la faim. Barry Horne décida alors de réduire ses revendications à une mesure promise par le Labour au moment des élections : la mise en place d’une commission d’enquête royale sur l’expérimentation animale.

    Il affirma alors :

    « Une commission royale ou quelque chose de similaire est le minimum que nous pouvons accepter. Nous faisons toujours des compromis, alors que le Labour joue avec la souffrance des animaux. Pourquoi des animaux devraient-ils souffrir en raison de négociations politiques? (…)

    Je ne fais pas de chantage au Labour. Le Labour a fait du chantage aux gens, afin qu’ils votent pour lui. J’essaie seulement de lui rappeler ses promesses. »

    Des négociations commencèrent et Barry Horne, à la limite du coma, décida de boire du jus d’orange et du thé sucré pendant trois jours, afin d’être en mesure de saisir les textes des négociations. Cela fut un prétexte pour les médias pour l’accuser de mener une fausse grève de la faim.

    Des nombreuses initiatives de soutien à Barry Horne se développèrent tout au long de la grève de la faim ; l’ARM menaça alors d’exécuter plusieurs dirigeants d’organismes liés à la vivisection, ceux-ci restèrent alors parfois pendant plusieurs années sous la protection de la police.

    Barry Horne cessa la grève de la faim au bout de 68 jours, mais devant le blocage de la situation, alors que lui-même était devenu isolé et extrêmement affaibli par ses actions, en recommença une nouvelle le 21 octobre 2001, mais décéda dès le 5 novembre, ne s’étant jamais réellement remis de la précédente grève de la faim.

    Plusieurs centaines de personnes participèrent aux funérailles, munies d’une banderole où était inscrit « Labour lied – Barry died » (le Labour a menti – Barry est mort). Il est enterré dans sa ville natale de Northampton, habillé d’un maillot de football du club local.

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