Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • La contradiction entre YHWH et les Élohim

    Il est courant de présenter le judaïsme comme un monothéisme pur, avec une grande insistance sur l’unité divine, ou plus exactement l’unicité divine. Dieu est une entité omnipotente, omniprésente, omnisciente, tellement lointaine et respectable que même son nom est mystérieux – YHWH (soit les lettres hébraïques yod/he/waw/he).

    Le véritable fondement du judaïsme est d’ailleurs le « Shema » : « Shema, Israël, Adonaï Elohénou, Adonaï Erad », soit « Écoute, Israël ! Le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est Un », formule qu’on retrouve dans la prière du matin et celle du soir.

    Tout cela est une belle narration, sauf qu’il existe un souci fondamental. Le terme YHWH revient 1419 fois dans la Torah, consistant en les textes dénommés la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome.

    Or, le terme « Elohim » revient quant à lui 2500 fois, surtout pour pareillement désigner le Dieu du judaïsme. Et ce terme signifie… « les dieux », les « entités divines ».

    Synagogue portugaise à Amsterdam

    Il y a un tour de passe-passe dans la Bible juive, qui fait en sorte d’utiliser le plus souvent au singulier le verbe et les adjectifs allant avec ce terme pourtant au pluriel de « Élohim ». Il n’en reste pas moins que ce terme désigne différents dieux, et que parfois même le verbe sont au pluriel, ou encore parfois ce qui relève de ce terme.

    C’est au moins, au minimum, un reste du passé. Si l’on regarde les principes de l’animisme cosmique, on voit très bien comment on a d’un côté les dieux, désignés ici par Élohim, de l’autre l’univers-dieu à l’arrière-plan, la source de l’énergie vitale, appelée ici YHWH.

    Ce qui caractérise le judaïsme, c’est l’assimilation des dieux à l’univers-dieu à l’arrière-plan. Les mésopotamiens, les Indiens, les Chinois, les amérindiens et les mésoaméricains… ont maintenu la séparation entre les dieux et l’univers, pas les Juifs.

    Encore est-il que ce processus a été long, tourmenté et nullement complet.

    Ainsi, on lit dans la Genèse : « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance ». Le terme pour « Dieu » est Élohim, soit « les dieux ». Le verbe dire est par contre au singulier. Cependant, la citation indique clairement un pluriel. Il y a très clairement ici une sorte de fusion-assimilation.

    Menorah de la synagogue de Naples, 19e siècle

    Encore dans la Genèse, il y a ce passage très connu : « L’Éternel Dieu dit : Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. » Le terme originel pour « l’Éternel Dieu », par ailleurs un pléonasme, est en fait les Élohim.

    Cela change bien entendu le sens du propos puisqu’il est dit sans ambiguïté : « comme l’un de nous ». La phrase réelle, c’est « Les Élohim dit [sic] : Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous ».

    Abraham dit par exemple encore dans la Genèse que « Et il arriva lorsque Dieu me fit errer loin de la maison de mon père… ». Non seulement le terme pour « Dieu » est Élohim, mais en plus le verbe est au pluriel. On doit donc lire : « Et il arriva lorsque les dieux me firent errer loin de la maison de mon père… ».

    Pour la petite histoire, ce terme d’Élohim qu’on retrouve tout au long de la Genèse est prétexte à une importante littérature faisant de ceux-ci des extra-terrestres « constructeurs ».

    La figure majeure de ce mouvement, assez vite délirant et poreux à l’irrationalisme d’extrême-droite, est le Suisse Erich von Däniken, qui a eu un grand succès avec ses livres au début des années 1970.

    Il faut également mentionner Zecharia Sitchin, qui a fait carrière aux États-Unis mais qui vient d’URSS, un pays qui lors de sa période social-impérialiste était par ailleurs frayant d’irrationalisme « psychique » ou extra-terrestres. Il y a également l’Italien, Mauro Biglino, spécialiste de l’hébreu ayant même travaillé en ce domaine pour le Vatican.

    Enfin, il y a le mouvement « raélien », de type sectaire-folklorique, qui défend ce même point de vue selon lequel les « Élohim » sont des « anciens astronautes » extra-terrestres ayant fabriqué l’humanité.

    Telle est la solution irrationnelle à la contradiction entre YHWH et Élohim, qui s’explique tout à fait bien lorsqu’on a compris au moyen du matérialisme dialectique ce qu’est l’animisme cosmique.

    La religion juive ne peut évidemment choisir ni l’une, ni l’autre option pour expliquer le problème, aussi se sort-elle de telles incohérences par des pirouettes interprétatives ou bien la réduction de Elohim à un mot support de plusieurs autres termes, comme les anges.

    Cela ferait que le même terme désignerait parfois Dieu, parfois les Anges, parfois même des rois. C’est ce que dit une figure majeure du judaïsme, Maïmonide : le Nom Élohim est homonyme, s’appliquant à dieu, aux anges et aux gouvernants régissant les états ».

    Or, c’est totalement incohérent par rapport au souci ou au prétendu souci d’unicité divine du judaïsme, au point même de ne pas vouloir prononcer YHVW.

    Dieu pourrait dans cette logique être désigné par un même terme que pour les faux dieux, comme ici dans l’Exode :

    « Et Jéthro dit : Béni soit l’Éternel, qui vous a délivrés de la main des Égyptiens et de la main de Pharaon; qui a délivré le peuple de la main des Égyptiens!

    Je reconnais maintenant que l’Éternel est plus grand que tous les dieux [Élohim] ; car la méchanceté des Égyptiens est retombée sur eux. »

    Tout cela ne tient pas debout. La seule explication possible, c’est que YHWH consiste en l’univers-dieu de l’animisme cosmique, et il n’y a jamais justement de définition de cette force vitale cosmique dans aucun animisme cosmique. D’où le caractère imprononçable, indéfinissable de YHWH.

    Elohim désigne les dieux, ceux de l’animisme cosmique qui ont été « fusionnés » entre eux et assimilés à l’univers-dieu.

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  • La distinction entre le monothéisme juif et le judaïsme

    Si l’on s’intéresse au monothéisme juif, il faut au préalable être en mesure d’enlever tout ce qui y a été ajouté, modifié, retranché. Le judaïsme en tant que religion ne se confond en effet pas du tout avec le monothéisme juif originel. Cela est rendu obscur par la prétention de la religion juive à la continuité historique et traditionnelle. Il n’en demeure pas moins que le judaïsme ne se confond nullement avec le monothéisme juif des origines.

    Il faut toujours avoir à l’esprit en effet qu’une religion se fonde d’une part sur des textes révélés ou relevant du divin, d’autre part sur un appareil de commentaires à portée juridique et directement religieuse.

    Le catholicisme romain est indissociable du catéchisme établi par le Vatican, en plus de l’ancien et du nouveau testament. L’Islam est indissociable, en plus du Coran, des propos rapportés du prophète (les « hadiths ») et de la tradition qui s’y rapporte.

    Dans le judaïsme, on a ce que les chrétiens appellent ancien testament (avec de très légères modifications). La première partie est la Torah, qui est composée de :

    – la Genèse,

    – l’Exode,

    – le Lévitique,

    – les Nombres,

    – le Deutéronome.

    Illustration religieuse juive, en France en 1930

    La Torah va d’Adam et Ève, les « premiers » êtres humains 3761 années avant notre ère, jusqu’à la Terre promise. La deuxième partie raconte la suite jusqu’à la déportation de l’élite juive à Babylone en 567 avant notre ère.

    Cette partie est racontée par l’intermédiaire des Prophètes : Josué, les « juges », Samuel, les rois, Isaïe, Jérémie, Ezechiel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahoum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie.

    La troisième partie contient des œuvres de différentes natures, et tient en trois sections :

    – trois livres dits poétiques (les Psaumes, les Proverbes, le livre de Job),

    – cinq « rouleaux » (le Cantique des Cantiques, Ruth, les Lamentions, l’Ecclésiaste, Esther),

    – trois livres « historiques » : Daniel, Esdras, les Chroniques.

    La Bible s’arrête en l’an 164 avant notre ère, au moment où une révolte juive a lieu et permet une réinstauration politique (temporaire).

    Une synagogue en Serbie

    Mais il y a surtout tout un appareil se rapportant à ces trois parties formant dans la religion juive le Tanakh.

    Ce qu’on peut constater, c’est que la véritable base du judaïsme en tant que religion est issue d’une période qui a suivi l’émergence de Jésus-Christ et du monothéisme systématisé.

    Cela suit la destruction du temple de Jérusalem par les Romains en l’an 70. Il avait déjà été détruit par les Babyloniens en 587 avant notre ère, ce qui a également une importance, mais plus directement pour le monothéisme juif originel justement.

    La défaite romaine est la véritable origine du judaïsme comme religion. C’est tellement vrai que les dirigeants juifs ont procédé à un grand renversement juridique concernant la définition même de la judéité.

    Initialement, dans la religion juive, on est Juif par son père, ou plus exactement il est considéré que la famille du père est la famille de l’enfant, pas celle de la mère. Cependant, en raison des répressions par l’empire romain au 1er siècle de notre ère, coûtant notamment la vie aux hommes, et en raison des viols, le judaïsme a adopté le modèle patrilinéaire romain.

    Le judaïsme a, en fait, systématisé son approche juridique à ce moment-là. Le rôle central est joué par Yohanan ben Zakkaï, une figure que le judaïsme ne met jamais en avant, mais qui joue littéralement le rôle d’un second Moïse.

    Il assiste en effet à la destruction du temple de Jérusalem et prend l’initiative, en accord avec les Romains, de rassembler dans la ville de Yavné l’ensemble de la direction religieuse des Juifs. Ce faisant, il organise ainsi le remplacement fonctionnel du Temple détruit et prend dans la foulée des mesures pour accompagner ce changement : les offrandes sont remplacées par des prières, le rôle du Temple est effacé et remplacé, etc.

    Les Juifs avaient auparavant une direction politico-religieuse typique de tous les peuples de la région. Avec cette initiative, les religieux s’approprièrent une aura politique sur les Juifs dans le cadre du triomphe romain.

    Des rouleaux de la Torah

    De là découle l’émergence de centres nationalistes utilisant la religion comme vecteur de maintien en tant que peuple face aux Romains : ce sont les écoles religieuses, les yeshivas (du terme pour dire « assis »), notamment à Lod, Bnei Bral, Tzippori, en Tibériade.

    Ce processus connaît un saut qualitatif lorsque les docteurs en religion juive décident de compiler leurs traditions orales, qu’ils firent prétendument remonter jusqu’à Moïse. Les villes de Sura (dans le sud de la Mésopotamie) et de Pumbedita (au milieu de l’Euphrate) revêtent dans ce cadre une importance particulière.

    Cette « tradition orale » est précisément ce qu’on appelle le judaïsme. Le judaïsme, c’est le culte des livres de la Torah à travers les prescriptions de la « tradition orale ». Celle-ci est constituée :

    – de la Mishna (« répétition »), 63 traités datant du début du 3e siècle de notre ère ;

    – de la Gemara (« étude »), un commentaire de la Mishna rédigé en araméen au 6e siècle de notre ère.

    Le plus ancien exemplaire complet de la Mishna est de Hongrie et date du 10e-11e siègle

    Ces deux ouvrages, Mishna et Gemara, forment ce qu’on appelle le Talmud. Sauf qu’il en existe deux qui sont concurrents, car deux « études » ont été faites : une en Galilée (Talmud dit de Jérusalem), l’autre à Babylone (Talmud dit de Babylone). Le Talmud de Babylone a au fur et à mesure totalement fait disparaître celui de Jérusalem.

    On retrouve ici toutefois un aspect essentiel du judaïsme : sa non-centralisation, sa non-uniformité. Si la « tradition orale » est adoptée en tant que tel, les interprétations sont innombrables et les conceptions théologiques au sein du judaïsme sont extrêmement différentes, voire antagoniques.

    Le judaïsme est en fait une religion de rituel répété – Yom Kippour, Hanoucca, etc. – et de commentaires sans fin. Parmi les auteurs jouant un rôle éminent de « commentateur », mentionnons le Français du 11e siècle Rachi, et Moïse Maïmonide qui vécut au siècle suivant dans l’Espagne musulmane. Ces deux auteurs ont été intégrés au judaïsme – avec une marge de manœuvre, puisqu’on peut les « commenter ».

    Au 13e siècle apparaît la Kabbale, qui prétend relever d’une tradition secrète remontant à Moïse, et former la vraie clef de la « tradition orale ». Là encore, la marge de manœuvre pour son acceptation ou son rejet, à différents degrés, est totale dans le judaïsme.

    Première édition du principal ouvrage de la kabbale, le Zohar, en 1558 à Mantoue en Italie

    Il faut également mentionner un travail de fond, appelé « massorétique », commencé au 7e siècle de notre ère et durant plusieurs siècles. Le texte de la Torah était en effet écrit en continu, avec une orthographe non réellement fixée, une prononciation non fixée, une cantillation pareillement non fixée.

    Avant le travail des Massorètes, il n’y avait donc pas d’unité sur tous ces points ! Cela en dit long sur le caractère multiforme du judaïsme si jusqu’à cette époque cela n’avait pas été réalisé. Ce sont également eux qui firent en sorte que lors de la lecture de la Bible, on prononce seigneur (Adonaï) en lieu et place de YHWH, par « respect ».

    C’est également cette marge de manœuvre historique au sein du judaïsme qui a donné naissance à la séparation entre Juifs séfarades et ashkénazes, formant deux grands courants à la fois proches et distincts, et qui a permis l’éclosion ininterrompue de courants « nouveaux ».

    Une opposition frontale fut notamment celle entre le hassidisme et les Mitnagdim, alors qu’il y eut des figures très importantes connaissant un succès temporaire comme « messie », Sabbataï Tsevi au 17e siècle dans l’empire ottoman, Jacob Frank en Pologne au 18e siècle.

    « Bienvenue Messie »: jusqu’à sa mort en 1992 et même après, Menachem Mendel Schneerson a été mis en avant de manière crypto-messianique par le mouvement hassidique dit des Loubavitch

    Dans le même ordre d’idée, le Talmud souligne que « La Loi du pays est la Loi » et que les Juifs doivent se plier aux lois du pays où ils vivent. Le judaïsme, en tant que religion, est le produit d’une défaite militaire d’un peuple et une tentative de maintenir des fondements pour une unité qui persiste, mais à travers une décentralisation massive.

    Et tout ce processus se déroule après l’émergence de Jésus-Christ comme figure historique et ne concerne donc pas la question du monothéisme originel. Pour l’étudier, il faut se tourner vers le Tanakh, surtout la Torah, et vers l’archéologie.

    La première chose à faire, c’est de voir dans quelle mesure on retrouve le polythéisme, l’animisme cosmique dans la Torah.

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  • Le paradoxe dans la constitution juive du monothéisme primitif

    Si on prend les apparences, le judaïsme est un monothéisme, qui puise sa source dans un prophète, Moïse, qui a conduit les Hébreux hors de l’esclavage en Égypte et vers une Terre promise. En réalité, le judaïsme consiste en une « loi orale » qui fournit les principes de la vie quotidienne : ce qu’on appelle la Bible, ou Torah, ne consiste qu’en des textes référentiels.

    Cette « loi orale » est récente : elle date de la période de Jésus-Christ. Elle est le fruit d’une tentative de maintenir les fondamentaux d’un royaume juif anéanti, celui de Juda.

    Ce royaume a deux particularités : il a duré, sous une forme ou une autre, pendant très longtemps. Il est fondé au 10-9e siècle avant notre ère, sa dernière forme disparaît au 1er siècle avant notre ère.

    Et il n’aura pratiquement jamais été indépendant, puisqu’il aura été sous domination assyrienne, babylonienne, perse, grecque séleucide, romaine.

    Pièces de monnaie utilisées par les Juifs lors de l’époque de la domination perse

    C’est ce parcours historique qui pose problème. Historiquement, on peut voir que le polythéisme a cédé la place au monothéisme. Le monothéisme correspond donc à une avancée historique ; il est autant une avancée qu’il reflète une avancée.

    Or, on ne voit pas pourquoi les Juifs s’appuieraient sur le monothéisme alors qu’ils n’ont aucunement un développement particulier. On s’attendrait à une Cité-État triomphante, formant un empire, unifiant les territoires, modifiant les cultes pour les uniformiser et aboutissant par là à un dieu unique.

    On n’a rien de tout cela.

    Il n’y a alors que deux hypothèses possibles. La première, c’est que Dieu s’est vraiment adressé à Moïse et a sorti les Hébreux d’Égypte, leur confiant la loi pour qu’ils s’établissent dans la Terre promise.

    Elle est évidemment fausse. Elle l’est d’autant plus que la Bible oublie une chose : le territoire de la Terre promise était, à l’époque dont il est parlé, une région égyptienne. Comme il n’y a aucune trace chez les Égyptiens d’un esclavage d’Hébreux, alors on comprend que la région a conquis son autonomie et qu’a posteriori, le décrochage vis-à-vis de l’Égypte a été formulé de manière mythique.

    Mosaïque de la synagogue antique de Beit Alpha, on notera que les signes du zodiaque ne sont pas correctement disposés par rapport aux saisons

    La seconde hypothèse est la suivante. Puisque ce n’est pas par la progression historique que les Juifs ont développé le monothéisme, alors c’est par la récession historique. Ce n’est pas parce qu’ils ont réussi que les Juifs ont produit le monothéisme, mais parce qu’ils ont échoué.

    Si on lit la Bible justement, on peut voir que tant le peuple que les rois juifs sont perpétuellement dénoncés comme incapables de suivre la loi, comme devant être châtiés par Dieu, etc.

    Le monothéisme n’est donc pas une expression de force, mais de faiblesse. La valorisation absolue de YHWH exprime le besoin des Juifs d’une force majeure pour les maintenir, pour les sauver.

    Mais il y a deux YHWH. C’est ça en fait le paradoxe du judaïsme et toute la substance du judaïsme est là. Absolument toutes les questions internes au judaïsme se résolvent si on le comprend.

    Il faut partir du polythéisme. Celui-ci n’est pas un vrai polythéisme, c’est un animisme cosmique. Il y a bien effectivement de très nombreux dieux. Il y a cependant toujours un dieu-univers à l’arrière-plan, sans forme et pure énergie, alimentant le monde, le monde lui-même n’étant qu’un mode d’existence de ce dieu-univers.

    On ne prie pas le dieu-univers, car cela ne sert à rien : il est tout. On prie les dieux qui sont des formes spirituelles, magiques, de certains aspects du monde qui nous entoure.

    C’est ainsi partout, chez les Chinois, les Indiens, les Babyloniens, les Égyptiens, les Aztèques, etc. C’est donc vrai pour les Juifs.

    Les Juifs appelaient ce dieu-univers par un nom. Et, parmi tous les dieux, certains comptaient plus que d’autres. Dans ce passé historique lointain, les gens vivaient comme des chasseurs-cueilleurs, ou bien dans des tribus et des clans allant dans le sens de l’agriculture et de la domestication des animaux.

    Lorsque des tribus se fédèrent et parviennent à une domination d’un certain niveau, elles s’unissent comme caste dominante d’une Cité-État. Et chaque Cité-État est sous le patronage d’un dieu. Ur avait le dieu lune, Babylone avait Mardouk, Athènes avait Athéna, Tenochtitlan avait Huitzilopochtli, etc.

    Le dieu babylonien Mardouk et le dragon Mušḫuššu

    Jérusalem avait YHWH. Ce même YHWH qui a été assimilé au dieu-univers. Pourquoi ? Non pas parce que YWHW serait monté d’un cran comme on le pense. On s’imagine trop souvent que le monothéisme serait un polythéisme où un dieu a pris le dessus.

    Ce n’est pas du tout le cas. Le monothéisme, c’est en fait le dieu-univers qui descend d’un cran. Voilà pourquoi Jésus-Christ, comme fils de dieu, établit réellement le monothéisme. Le dieu-univers devient matériel, au lieu d’être éloigné, inaccessible, impersonnel comme auparavant.

    Pourquoi les Juifs ont-ils les premiers fait descendre, relativement, le dieu-univers d’un cran ? Car leur dieu tutélaire avait échoué à les protéger. Le royaume n’avait pas maintenu son indépendance, Jérusalem se faisait en permanence agresser.

    Les Juifs existaient encore pourtant. Comme ils voulaient que la situation change, ils se sont adressés au monde lui-même : le dieu-univers. Ils ont assimilé leur dieu tutélaire au dieu-univers.

    Tout cela est une construction artificielle et branlante. Cela ne joue cependant strictement aucun rôle, car les Juifs n’ont jamais systématisé leur théologie. Les points de vue théologiques chez les Juifs sont extrêmement divers, voire antagoniques. Ils peuvent être aussi éloignés qu’entre un catholique et un Hindou.

    Cela ne compte pas pour les Juifs, car YHWH et la Torah ne forment qu’un arrière-plan virtuel justifiant la « loi orale », qui elle définit totalement la vie quotidienne.

    Initialement, c’était pour maintenir une unité juive face aux envahisseurs. Puis, avec la dispersion, c’est devenu une religion en roue libre. Sur le papier, elle est monothéiste. Mais c’est un monothéisme sans substance, purement fonctionnel.

    Les Juifs ont ainsi « inventé » le monothéisme, mais il est primitif. C’est pour cela que le christianisme est une production juive : la contradiction interne poussait nécessairement en ce sens.

    Il fallait bien que ce dieu parmi les autres ayant acquis des traits du dieu-univers devienne le dieu-univers se faisant dieu parmi les autres – ce qui est une contradiction : d’où le monothéisme complet du christianisme.

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  • Massification et rationalisation du « polythéisme »

    L’une des caractéristiques majeures de l’animisme cosmique, c’est la dimension festive-populaire des rites. Normalement, dans l’animisme, les gens suivent un rituel mené à petite échelle. Dans le polythéisme, on est de manière assumée dans l’ère des masses.

    La multitude des dieux de l’animisme cosmique correspond à la massification de la société, à une compréhension plus qualitative de chaque aspect représenté par les différents dieux, à un développement qualitatif des connaissances impliquant quantitativement de nouveaux dieux.

    Dans l’animisme, le rituel passe par un chamane pour aller vers les gens l’entourant et finalement revenir au chamane. Dans l’animisme cosmique, le rituel part des masses pour revenir aux masses. Les rites polythéistes, où les dieux représentent des aspects de l’univers, ne sont pas concevables sans l’agrégation de centaines de personnes, avec tout un cérémoniel.

    Gravure de 1891 représentant la danse des Esprits des Amérindiens Sioux

    On parle d’un événement avec une grande solennité, une alimentation spéciale, des représentations allégoriques, des décorations, des costumes, des chants, des danses, des jeux, etc.

    La fête polythéiste systématisée à une dimension civique, elle exprime est produit la cohésion, la communion pour mieux dire, de la communauté en son sein et de celle-ci avec ses dieux ou son dieu tutélaire, sa tychè selon le lexique grec.

    Voilà pourquoi l’ordre social systématisé par l’aristocratie patriarcale-militaire est relativisé dans ce cadre ritualisé, rappelant la communauté ancienne en apparence, mais en fait structurant les hiérarchies : la régie patriarcale cède à la participation des femmes au culte, l’esclavage cède à la convivialité en tout cas concernant l’esclavage dans sa dimension domestique, la dimension militaire est gommée.

    Voilà pourquoi aussi les fêtes sont des moments d’échanges de la communauté, en son sein avec les marchés, mais également avec l’extérieur, des foires où opèrent les marchands étrangers, où se règlent également les litiges, se paient les amendes et les dettes.

    Le temple maya à Chichén Itzá

    C’est à la fois une manière de conclure un cycle, et d’ailleurs les plus grandes fêtes religieuses servent le plus souvent de calendrier (comme le calendrier olympien, basé sur la fête de Zeus Olympien et ses fameux « Jeux Olympiques »), mais aussi et de plus en plus, à marquer le temps dans un processus de civilisation linéaire, impliquant de déterminer une origine de fondation (divinisée et fêtée) et une perspective cosmique : on s’inscrit dans la réalité « cosmique ».

    Il faut bien saisir toutefois que cette tendance civilisationnelle centralisatrice se heurte à la poly-lecture du polythéisme.

    Dans l’animisme cosmique, il y a une force masquée à l’arrière-plan. Elle est indéfinissable, en mouvement, éternel, mais on peut saisir ses modalités d’expression, en utilisant les dieux, sortes d’esprits en plus développés. C’est ce qui explique pourquoi au sein des religions polythéistes, il existe l’adoration de dieux différents, plusieurs types d’adoration du même dieu, plusieurs versions des mêmes mythes, etc.

    L’animisme cosmique est en fait le stade suprême de l’animisme. Il mélange les animismes produits à la sortie des communautés matriarcales, les systématise. L’étape suivante est le monothéisme, qui uniformise les différents aspects.

    Statère d’or avec la tête du dieu Zeus orné de lauriers, Asie Mineure, 360-340 avant notre ère

    Il est intéressant de voir que l’hindouisme est allé en direction du monothéisme, mais son échec est reflété par le maintien de cette démarche animiste cosmique visant à considérer que, étant donné que seul le dieu à l’arrière-plan est réellement ce qu’il est, tout le reste est ambivalent. Chacun voit ce qu’il peut voir de l’univers et partant de là, tant que c’est dans le même esprit général, on peut vénérer le dieu qu’on veut, qui forme un aspect particulier du dieu suprême à l’arrière-plan.

    On trouve la même chose dans l’empire aztèque, qui n’était ni un empire, ni aztèque. Lorsque les Mexicas, venant du pays mythique d’Aztlan, prennent le pouvoir dans une triple alliance avec les Acolhuas et les Tépanèques, ils accordent une immense marge de manœuvre pour les cérémonies religieuses de la trentaine de régions sur laquelle il y a l’hégémonie.

    Il est bien connu qu’on trouve la même chose dans l’empire Inca, dans la Grèce antique, dans la Rome antique, l’Égypte… Bien souvent d’ailleurs, les dieux étrangers des territoires conquis sont intégrés, sous une forme plus ou moins modifiée, dans le culte principal.

    Le mithraisme se développa au sein de l’empire romain à partir du premier siècle ; ici le dieu Mithra tuant le taureau, fin du 2e siècle

    Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une certaine centralisation ou surveillance. L’empire aztèque disposait par exemple d’un superviseur pour chaque culte majeur, le Teopixcatepachoani, et Rome décida à la fin du 2e siècle avant notre ère de demander aux interprètes des Livres sybillins (des oracles grecs) de procéder à la surveillance des cultes étrangers.

    Un rôle à également étudier ici est celui des centres religieux jouant un rôle dans toutes les zones et connaissant à ce titre des pèlerinages (Chichen Itza, Ixchel et Cholula en Mésoamérique ; Olympie, Delphes et Eleusis en Grèce antique ; Bénarès, Prayāg, Haridwar, Ujjain, Nashik, Mathura, Kanchipuram et Dwarka en Inde, etc.).

    Néanmoins, le syncrétisme reste partout la règle prédominante, aboutissant à une surenchère de dieux, au point qu’il est évident que tout le monde ne pouvait pas les connaître ni précisément, ni les déterminer.

    Le polythéisme n’est ainsi pas seulement un polythéisme, c’est un poly-poly-théisme. L’animisme cosmique (polythéiste) apparaît comme la négation de l’animisme (polythéiste), et le monothéisme comme la négation de la négation par le renversement : l’univers n’est plus « extérieur » au monde et les dieux à l’intérieur du monde, on a désormais l’univers à l’intérieur de notre monde, et un Dieu, un seul, à l’extérieur.

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  • Le soleil et la naissance, clef des cycles

    Quetzalcoatl, le dieu serpent à plumes mésoaméricain, a un frère jumeau, Xolotl, qui est aussi monstrueux qu’est splendide son frère. Cela répond à la lecture systématiquement dialectique qu’on trouve en Mésoamérique.

    Xolotl, difforme, est un dieu protecteur des êtres monstrueux, qui étaient particulièrement valorisés dans cette partie du monde. C’est lui qui, chaque nuit, accompagne le soleil dans le monde d’en bas, pour le ramener à la surface. Il est également l’accompagnateur des âmes des morts dans le monde d’en bas.

    L’analogie avec le Christ est évidente. Il faut un intermédiaire avec l’univers pour, par son sacrifice, œuvrant au maintien du monde.

    Et la statue où on voit Xolotl, avec le soleil sur le dos, est le symbole le plus clair, le plus splendide de l’animisme cosmique. L’univers existe, éternellement, et tout est mouvement, de naissance, de mort, de naissance, de mort, perpétuellement.

    Xolotl portant le soleil sur son dos lors du passage dans l’infra-monde

    Le soleil représente cette naissance et cette mort s’alternant. Et la réapparition du soleil est le miracle permanent, le cadeau-mouvement fait aux êtres humains. D’ailleurs, chez les Aztèques, les dieux doivent se sacrifier pour former le soleil, et le dernier dieu se sacrifier pour le mettre en mouvement.

    Lorsque l’empereur romain Aurélien, en 274, inaugure le culte du Soleil invaincu, Sol invictus, et fait du 25 décembre son jour de naissance (Dies Natalis Solis, qui donnera le mot « Noël ») en rapport avec le solstice d’hiver, il se fonde directement sur le caractère le plus substantiel de l’animisme cosmique.

    L’animisme cosmique est, avant tout, un culte solaire. Les temples de l’animisme cosmique accordent une valeur primordiale à l’étude astronomique, aux étoiles en général, à la planète Vénus en particulier, au soleil avant tout.

    Les solstices et les équinoxes ont ainsi une place fondamentale, en tant que « symptômes » du mouvement du soleil. Les temples mésoaméricains ont leurs architectures directement fondées sur eux, afin d’être en rapport le plus étroit avec eux pour le culte.

    Avec cet arrière-plan solaire, être un prêtre, c’est être un astronome, et de fait un astrologue, car les cycles déterminent les choses à venir tout comme ils ont déterminé les choses passées.

    Puisque le mouvement se répète, il suffit d’établir son mode pour pouvoir en « lire » le résultat allant avec. Aucun mouvement n’étant linéaire, il suffit d’observer les « péripéties » des astres et de voir, de les relier aux faits historiques se déroulant alors, et de tracer un bilan pour l’avenir.

    C’est là l’expression d’un fétichisme du mouvement des astres, d’une humanité qui, rappelons-le, pouvait observer les étoiles en levant les yeux la nuit.

    Le dieu solaire Shamash est au centre de cette scène divine de Mésopotamie : avec des éclairs sortant de ses épaules, il se fraie un passage vers l’aube

    Si l’astronomie a été particulièrement développée notamment en Mésopotamie, c’est le calendrier mésoaméricain qui a sans doute le plus fasciné, de par sa découverte tardive.

    En Mésoamérique, les cycles tiennent à quatre soleils (chez les Mayas par exemple), ou cinq soleils (chez les Aztèques). Pour ce dernier cas, il y avait dans le premier cycle qui dura 13 fois 52 ans des géants qui furent finalement tués, dans le second cycle de la même durée des sortes d’êtres humains finalement transformés en singes. Dans le troisième de 7 fois 52 d’autres sortes d’êtres humains qui furent supprimés, alors que dans le quatrième cycle de 6 fois 52 ils furent transformés en poissons.

    Le cinquième cycle amène l’existence des êtres humains tels qu’on les connaît ; la mission cosmique des Aztèques est de maintenir l’équilibre en nourrissant le soleil. Il est considéré toutefois qu’à un moment ce sera l’échec et la destruction du monde dans des séismes.

    Les glyphes aztèques de 26 années, soit la moitié d’un siècle mésoaméricain ; la femme représente la nuit et verse le contenu d’un bol, l’homme représente le jour et se perce d’une aiguille pour faire une offrande de sang

    Le calendrier maya est ici très intéressant.

    Le calendrier pour la vie quotidienne s’appelle Haab et consiste en 18 périodes de 20 jours, soit 360 jours. Ces périodes ne se « succèdent » pas, elles s’entremêlent comme en spirale, une forme considérée en Mésoamérique comme essentielle dans son rapport au mouvement.

    Cinq jours y sont ajoutés, pour une année solaire de 365,2420 jours (avec donc une marge d’erreur très faible, puisqu’elle est en réalité de 365,2422 jours).

    Cela signifie que la vie des Mayas, dans son déroulement, dépend du soleil. Ce sont les enfants du soleil.

    Le calendrier religieux s’appelle Tzolk’in et consiste en 13 périodes de 20 jours, soit 260 jours. Rappelons que la durée de gestation d’un être humain est entre 255 et 265 jours. 260 jours est également une durée d’observation de Vénus, l’étoile du matin qui était considéré comme jouant un grand rôle dans la fertilité.

    Le calendrier Tzolk’in

    Cela signifie que la vie religieuse des Mayas, dans son déroulement, dépend du mouvement porté par l’univers – et ce mouvement, c’est la vie elle-même, d’où les 260 jours, formant une naissance, le calendrier reflétant des cycles de naissance.

    La vie a son calendrier, mais son existence sous-tend un autre calendrier, qui permet la vie. C’est la dualité de l’animisme cosmique : il y a le monde et un arrière-plan énergétique à ce monde.

    On retrouve le nombre 52 comme chez les Aztèques, puisque les deux calendriers mayas ne se combinaient que tous les 52 ans, le premier multiple commun de 260 et 365 étant 18 980 (soit 52×365).

    Le cycle de 52 ans est le fruit d’un double calendrier – d’une humanité ayant vu, à défaut de comprendre, le caractère dialectique de la vie en elle-même.

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  • La vision cyclique comme fétiche des paliers : le droit et la réincarnation

    Les joueurs de l’époque de l’animisme cosmique ne considèrent pas que le résultat est aléatoire ; pour eux, il correspond à quelque chose, à sa place dans l’univers. Gagner au jeu, c’est la preuve que l’énergie fournie par l’univers est là ; perdre indique le contraire.

    Les jeux pratiqués sont le miroir de la réalité, avec donc la liaison à « l’au-delà », qui n’est pas un « Ciel » monothéiste mais un univers « magmatique », « nuageux », insondable et pourtant aliment en énergie vitale le monde, le monde n’en étant qu’une expression.

    Il y a donc une contradiction entre la stabilité de l’univers et l’instabilité de la vie individuelle. Et le but imaginaire de cette vie individuelle, qui commence à être personnelle même puisqu’on est sorti de la communauté matriarcale, est de participer de manière suffisamment forte avec l’au-delà, de fusionner avec.

    Il y a donc un palier à franchir. La vision cyclique est le fétiche de ce palier. C’est tout à fait logique si l’on pense que :

    – les dieux eux-mêmes connaissent des tribulations, des aléas, des aventures et des mésaventures ;

    – tout le monde des êtres vivants est dépendant de l’énergie de l’univers.

    Tout ce qui existe doit en fait franchir le palier. Le monothéisme n’est rien d’autre que la synthèse de cette obsession du palier à franchir, puisque tous les monothéismes naissent comme promesse d’un passage réussi dans l’au-delà.

    L’animisme cosmique ne fait pas du tout une telle promesse : il la vit, de manière ininterrompue.

    Contrairement à ce qu’on pourrait penser en effet, la société de l’animisme cosmique est ultra-codifiée. Le moindre acte du quotidien est légalement déterminé et ne pas obéir aux règles implique une punition sévère.

    C’est que, forcément, tous les actes du quotidien sont en étroit rapport avec l’univers, avec l’énergie de l’univers, avec l’équilibre de l’univers. Gaspiller de l’énergie, c’est bousculer l’ordre des choses et c’est un comportement anti-social, anti-cosmique, inacceptable.

    Tablette de copie du prologue du Code de Hammourabi, 18e siècle avant notre ère

    L’archéologie a permis de retrouver de nombreux codes mésopotamiens, comme celui, sumérien, du roi Urukagina, il y a 2400 ans, ou encore celui, babylonien, de Hammourabi, de 1600 avant notre ère, où ce roi est représenté avec Shamah, le dieu solaire. La loi est en effet toujours justifiée par sa correspondance avec les principes de l’univers et elle porte sur tous les détails de la vie, tant pour la famille que le commerce, les crimes, les délits, etc.

    Voici le contenu d’une tablette juridique hittites datant de 1650-1100 avant notre ère : homicide, coups et blessures, enlèvement, esclaves fugitifs, contamination de vaisselle (?), famille, meurtre justifié, service féodal et tenures, mort accidentelle, perte de propriété, service féodal et tenures, litiges sur les animaux domestiques, brigandage, incendies volontaires.

    C’est évidemment une tablette parmi d’autres, car tous les aspects sont juridiquement codifiés, rien ne doit échapper à la loi car rien ne peut lui échapper, la loi correspond à l’ordre cosmique.

    Le roi d’Ur Ur-Nammu reçoit une délégation, sceau imprimé, vers 2100 avant notre ère

    On ne peut pas comprendre cette obsession juridique, jusqu’au moindre détail, de l’humanité plus de mille ou deux mille ans avant notre ère, sans voir qu’elle témoigne de l’animisme cosmique.

    Et, donc, cette obsession du droit correspond à une exigence de l’ordre cosmique. Mais les êtres humains sont en perpétuelle agitation, bien loin du « calme » de l’ordre cosmique. D’où le fait qu’il faille tendre vers la réalisation des actes les meilleurs, pour franchir le palier vers l’ordre cosmique.

    Et devant la contradiction entre l’agitation humaine et le calme cosmique, l’humanité a tenté de répondre dialectiquement par une évolution cyclique : au fur et à mesure, on y arrive !

    C’est très exactement le sens de la réincarnation. On connaît l’expression « cycle des réincarnations » : elle est bien plus juste, bien plus en rapport avec sa nature substantiellement cyclique.

    Initialement, le védisme n’aborde pas vraiment la question de la réincarnation. On est ici dans un patriarcat élémentaire, guerrier-primitif, celui des populations aryennes pratiquant des conquêtes au moyen de leurs chariots de guerre.

    Dans le document fondamental, le Rig-Véda (en fait le rg-véda avec un r rétroflexe), composé entre 1500 et 900 ans avant notre ère, il n’y a pas de réincarnation ou du moins n’est-ce pas clair et totalement secondaire. Il est surtout parlé de voie du nord, celle des dieux, et de voie du sud, celle des pères.

    Après le décès, ceux qui ont eu une vie ascétique, de prêtres, prennent la voie du nord, ils rejoignent l’univers, Brahman. Ceux qui ont simplement agi correctement, dans le respect des rites, comme un bon père de famille, prennent la voie du sud.

    Par contre, lorsque le brahmanisme remplace le védisme, on a affaire à un animisme cosmique. Par conséquent, ceux qui prennent la voie du sud, après avoir profité de leurs bonnes actions, reviennent sur Terre sous la forme de la pluie.

    Leur âme est alors hébergée dans une plante, puis une fois celle-ci mangée soit dans un animal, soit dans un être humain. L’hindouisme s’est ensuite débarrassé des plantes, passant sous silence ou niant qu’on puisse se réincarner en elles, contribuant à se débarrasser du panthéisme.

    Le poète Jayadeva et Vishnou, 1730

    Ce qu’il est ici fondamental de voir, surtout, c’est que la réincarnation est cyclique dans sa liaison au droit. C’est la fameuse question du karma. Bien se comporter, c’est avoir du mérite (dharma), que de faire en sorte que l’acte (karma) commis soit en conformité avec l’ordre cosmique.

    Si l’on agit en parfaite connivence, on sort du cycle des réincarnations pour « fusionner » avec l’énergie universelle. Dans le cas contraire, on est amené à renaître, pour affronter une vie plus ou moins remplie d’adversités selon les actes bons et mauvais de sa vie précédente.

    Cette conception cyclique a été systématisée au niveau de l’univers « matériel » lui-même, qui connaît la naissance, la subsistance, la destruction, puis tout recommence, à l’infini.

    Exactement comme le soleil. C’est lui la clef de la conception cyclique du monde. C’est le symbole de la naissance et de la mort, avec le jour et la nuit.

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  • Les cycles et la fin du monde : les jeux

    Les êtres humains aiment jouer. Et, justement, la période de l’animisme cosmique est celle où les jeux de société se mettent réellement en place.

    On parle en effet ici d’une société qui n’est plus clanique-immédiatiste ; il y a suffisamment d’échanges pour que des amusements plus élaborés se mettent en place.

    Mais surtout, et c’est là c’est une formidable clef, les jeux s’inscrivent dans la vision du monde de l’animisme cosmique. Ils correspondent à la manière de concevoir la vie.

    C’est très important, car pour jouer, il faut que le reflet soit présent à l’esprit : le reflet de la réalité, le reflet de l’activité de quelqu’un d’autre faisant la même chose, son propre reflet.

    Les activités de l’être humain reflètent forcément son rapport à la réalité. C’est pourquoi les jeux de société qui se sont développés passent :

    – par un face à face, reflet du monde où tout a deux aspects s’opposant ;

    – par un parcours, reflet du caractère sinueux de la réalité ;

    – par des références au cosmos qui est lui inversement impeccablement organisé ;

    – par l’utilisation de dés comme « hasard » qui n’en est pas un, car il est conçu comme expression du cosmos.

    Ce dernier point est absolument capital et il est excessivement difficile à comprendre pour les peuples passés par le prisme de la rationalisation bourgeoise. Pour le comprendre au mieux, il faut se tourner vers le « livre des mutations » chinois, le Yi King.

    Ce n’est pas un jeu à proprement parler, mais concrètement il relève très exactement de l’aspect « hasard » qui n’en est pas un des jeux de société.

    Yi King, 10-13e siècle

    Le « livre des mutations » est un « classique » du confucianisme, élaboré au premier millénaire avant notre ère. On prend une plante, le millefeuille, ou plus exactement ses tiges. On en prend 49, puis on pose une question à l’univers : vais-je réussir ceci ou cela, etc.

    On sépare alors les tiges en deux, et on va les compter de telle manière à ce que, pour faire court, on se retrouve avec les chiffres 2 ou 3 en série. Cela forme alors une ligne soit longue soit brisée, de telle manière à former un hexagramme de six lignes.

    Selon la forme de cet hexagramme, le « livre des mutations » fournit une réponse. Chaque hexagramme correspond en effet à une « réponse » de l’univers, du type la réception, la guerre, la suite, le rapprochement, la contemplation, le repli, le développement, la limitation, la diminution, etc.

    Lorsque par exemple les six lignes sont courtes pour les trois premières en haut et longues pour les trois en bas, c’est la paix ; lorsque seule la première est courte, c’est la percée, etc.

    C’est très exactement en ayant cela à l’esprit que les joueurs se confrontaient au hasard dans les jeux à l’époque de l’animisme cosmique. Gagner ou perdre, c’est être en adéquation avec l’univers.

    Jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs, les joueurs compulsifs exposent précisément cette vision du monde, ils « sentent » la chance. Ils veulent même « fusionner » avec elle : pour eux, ne pas jouer à certains moments, c’est rater son tour avec le destin. Ce serait comme ne pas obéir au résultat expliqué dans le « livre des mutations ».

    Le drapeau sud-coréen reprend le symbole du Ying et du Yang entouré de quatre trigrammes tirés du Yi King (la terre, le ciel, le feu et l’eau)

    C’est pourquoi, dans la grande épopée indienne appelée Mahābhārata, qui fait 81 936 strophes, on a le roi Yudhishthira qui est sans faille et qui se précipite pourtant dans le jeu. Il est marié, au même titre que ses quatre frères, avec Draupadi. Et il bascule en jouant une partie de dés où il mise absolument tout : sa femme, ses frères, son royaume, lui-même…

    La partie était en fait truquée, et à la fin il se venge. Mais il a pensé « suivre » le cours des choses, hasard « organisé ».

    Les échecs, nés en Inde, s’appuyaient d’ailleurs sur les dés initialement. La stratégie, la tactique, n’étaient rien sans l’énergie cosmique venant ou justement ne venant pas.

    On notera que la prise de contrôle du roi adverse comme suffisante pour avoir la victoire reflète une particularité de l’époque de l’animisme cosmique : dans une bataille, dès que le chef ennemi est mis hors d’état de nuire, son camp s’effondre. C’est propre au patriarcat.

    On remarquera également que le jeu d’échecs n’avait initialement pas deux joueurs, mais quatre. C’est un aspect très important, car l’animisme cosmique est systématiquement porté à accorder une valeur centrale aux quatre points cardinaux.

    Lorsque Mahomet fait en sorte qu’on prie en se tournant vers la Mecque, il attaque sans doute ce dernier aspect et il est fort logique par ailleurs qu’il ait interdit les jeux de « hasard ».

    Les Espagnols ont fait de même lors de la colonisation de la Nouvelle Espagne. Le jeu du patolli consistait chez les Aztèques en un jeu du type des « petits chevaux » de 52 cases, correspondant aux 52 ans de chaque cycle solaire.

    Le déplacement des pions se faisait sur un parcours dont la forme correspondait aux quatre points cardinaux et où on saluait le dieu Macuilxochitl (cinq-fleurs). Le catholicisme l’a donc interdit.

    Le patolli

    Le « jeu royal d’Ur », ou jeu des vingt carrés, 2700 ans avant notre ère, était pareillement de portée animiste cosmique ; le jeu, pratiquement l’ancêtre du Backgammon, fait directement référence à la divination sur certaines cases.

    Ur est aujourd’hui en Irak, et on a trouvé ce type de jeu en Iran, à Chypre, en Crète, au Sri Lanka, en Syrie, en Égypte (notamment des variantes dans la tombe de Toutankhamon).

    Le jeu royal d’Ur

    L’Égypte antique connaissait le Senet, 3000 ans avant notre ère. On ne connaît pas les règles exactes, mais c’est une sorte de jeu des « petits chevaux » et de jeu « de l’oie », sur trente cases, un osselet servant de dé.

    On sait par contre avec certitude que le jeu est une allégorie de la « force vitale » après le décès, de son parcours dans l’au-delà. Le livre des morts le mentionne de manière explicite et des tombes montrent des participants au jeu.

    Un Senet égyptien, 14e siècle avant notre ère

    On trouve la même idée de parcours jusqu’à un « au-delà » avec le jeu des 5 lignes de l’antiquité grecque, qui présente une ligne sacrée au milieu des pions qui doivent la traverser pour rejoindre l’autre côté, selon le résultat des dés. Si on ne sait rien du jeu dit de Knossos de la civilisation minoenne, graphiquement on reconnaît aisément la même idée de ligne à franchir pour atteindre l’au-delà.

    C’est précisément ce principe de parcours, de franchissement, qui explique la conception cyclique.

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  • Les cycles et la fin du monde : l’origine de la philosophie grecque

    Il est un point précis qui est extrêmement connu concernant le « polythéisme », mais qui n’est jamais expliqué. Ce point, c’est l’obsession pour les cycles.

    L’animisme cosmique considère toujours le temps du monde de manière cyclique. Même les dieux ne font que passer, ce que les commentateurs bourgeois « oublient » constamment.

    Cette compréhension cyclique est étonnante, puisqu’on devrait s’attendre à ce qu’il y ait un flux ininterrompu d’énergie fourni par l’univers (et étant l’univers) et donc une sorte de mouvement perpétuel, à l’infini et toujours dans la différence.

    Mais pour saisir la différence il faut disposer du matérialisme dialectique, l’animisme cosmique comprenant parfaitement bien les oppositions, la contradiction, car il se fonde sur la Nature, sans saisir toutefois le principe de production, de synthèse.

    D’où vient cette obsession de la destruction, et pourquoi y a-t-il toujours des cycles ?

    Pourquoi l’animisme cosmique qui valorise le monde comme un principe vital de l’univers envisage-t-il toujours des cycles menant à sa destruction ?

    Ce qui semble expliquer cette double caractéristique, c’est la contradiction entre l’animisme et la dimension cosmique. Dans l’animisme cosmique, l’univers reste toujours ce qu’il est, à l’infini. Mais il s’exprime infiniment dans des formes qui changent tout le temps.

    Partant de là, il est cohérent que l’univers, qui prime, ait le dessus sur les choses qui changent, les refaçonnant. Mais pourquoi cela se déroule-t-il par cycles ? Et pourquoi la fin du monde, alors que le monde renaît perpétuellement ?

    Il existe un moyen très pratique de saisir cela, en se tournant vers la Grèce antique. Jusqu’à présent, la Grèce antique n’aidait pas pour l’animisme cosmique, puisqu’elle avait relativement dépassé ce stade. Maintenant, de par ce dépassement relatif, elle va nous permettre de reconstituer la conception animiste cosmique.

    Et pour cela, il ne faut pas se tourner vers la mythologie, mais justement vers la philosophie. Car cette dernière est en Grèce le produit de l’animisme cosmique. Quand on regarde ce qu’il en est, c’est tout à fait flagrant.

    La philosophie grecque commence avec Socrate et les auteurs majeurs le précédant sont désignés sous le terme de pré-socratiques. Les premières figures pré-socratiques remontent aux 6e-5e siècles avant notre ère, et ce qu’elles disent correspond très exactement à l’animisme cosmique.

    Que dit Anaximandre ? La même chose que l’animisme cosmique, comme le rapporte Diogène Laërce :

    « Anaximandre, fils de Praxiade, était de Milet. Il admettait pour principe et élément des choses l’infini, sans déterminer si par là il entendait l’air, l’eau, ou quelque autre substance.

    Il disait que les parties de l’infini changent, mais que l’infini lui-même, dans son ensemble, est immuable. »

    L’infini qu’est l’univers est immuable, ses parties qui sont portées par l’énergie de l’univers changent.

    Que dit Parménide ? Que l’être existe et que le non-être n’est pas, et que cet être est toujours le même, qu’il ne change jamais.

    C’est très exactement la vision de l’univers qu’a l’animisme cosmique. Pour l’animisme cosmique, les dieux relèvent de l’agitation des formes de l’univers, permises par la vitalité de l’univers, mais ce dernier reste toujours le même, il n’a pas de parties, il est « un ».

    Voici ce que dit Parménide, tout à fait conforme à l’animisme cosmique, et même de fait une expression conceptuelle de l’animisme cosmique : on est avant la philosophie.

    « Il n’est plus qu’une voie pour le discours, | c’est que l’être soit ; par là sont des preuves | nombreuses qu’il est inengendré et impérissable, | universel, unique, immobile et sans fin. |

    Il n’a pas été et ne sera pas ; il est maintenant tout entier, | un, continu.

    Car quelle origine lui chercheras-tu ? | D’où et dans quel sens aurait-il grandi ? De ce qui n’est pas ? Je ne te permets | ni de le dire ni de le penser ; car c’est inexprimable et inintelligible que ce qui est ne soit pas.

    Quelle nécessité l’eût obligé | plus tôt ou plus tard à naître en commençant de rien ? | Il faut qu’il soit tout à fait ou ne soit pas. | Et la force de la raison ne te laissera pas non plus, de ce qui est, | faire naître quelque autre chose.

    Ainsi ni la genèse ni la destruction ne lui sont permises par la Justice ; elle ne relâchera pas les liens | où elle le tient.

    [Là-dessus le jugement réside en ceci] : | Il est ou n’est pas ; mais il a été décidé qu’il fallait | abandonner l’une des routes, incompréhensible et sans nom, comme sans vérité, | prendre l’autre, que l’être est véritablement.

    Mais comment ce qui est pourrait-il être plus tard ? Comment aurait-il pu devenir ? | S’il est devenu, il n’est pas, pas plus que s’il doit être un jour. | Ainsi disparaissent la genèse et la mort inexplicables. |

    Il n’est pas non plus divisé, car il est partout semblable ; | nulle part rien ne fait obstacle à sa continuité, soit plus, soit moins ; tout est plein de l’être, | tout est donc continu, et ce qui est touche à ce qui est. |

    Mais il est immobile dans les bornes de liens inéluctables, | sans commencement, sans fin, puisque la genèse et la destruction | ont été, bannies au loin, chassées par la certitude de la vérité.

    Il est le même, restant en même état et subsistant par lui-même ; | tel il reste invariablement ; la puissante nécessité | le retient et l’enserre dans les bornes de ses liens. »

    Que dit Héraclite ? Selon lui tout change tout le temps. C’est très exactement ce que dit l’animisme cosmique concernant les formes que prend le principe vital cosmique. Pour l’animisme cosmique, rien n’est stable car l’énergie se consume tout le temps, tout se transforme.

    Héraclite dit pareillement que « tout passe », « on ne peut entrer deux fois dans le même fleuve », « la contrariété est avantageuse », « La plus belle harmonie naît des différences », « Toutes choses naissent de la discorde ».

    L’Inde antique, les Aztèques… pourraient reprendre mot pour mot ce qui est dit. Ni les Indiens ni les Aztèques n’ont pourtant développé la philosophie, pourquoi ? Et quel rapport avec les cycles ?

    Il faut pour comprendre cela se tourner vers Platon et Aristote, les deux principales figures de la philosophie grecque. Rappelons tout de suite qu’ils apparaissent à la fin de la Grèce antique, ce qui est de la plus haute importance.

    En effet, la « philosophie » est une expression « laïque » de l’animisme cosmique, à un moment où cette vision du monde commence à être puissamment ébranlée, et est en passe de céder la place au monothéisme.

    Que disent Platon et Aristote ? Platon dit que le monde matériel est purement illusoire, que ce qui compte ce sont les idées « pures » ayant façonné le monde matériel, et que la puissance qui l’a façonné, l’au-delà, est la seule chose qui compte.

    Platon parle très clairement de l’au-delà qui ne change jamais comme l’animisme cosmique le conçoit. Il est encore sur le terrain de l’animisme cosmique, sauf qu’il en parle sans liaison avec les rituels, rites qui lui sont liés. Un philosophe, c’est un chamane sans les rites, si l’on veut.

    Aristote dit que le monde matériel n’est pas illusoire, qu’il n’y a même que lui qui compte. L’au-delà qui amène l’énergie au monde est un simple moteur – rien de plus. Il n’y a pas à se tourner vers lui.

    Autrement dit, Platon et Aristote parlent sans les rites et rituels, tous deux maintiennent l’univers comme réelle source énergétique du monde. La différence est que le premier fait un fétiche de l’au-delà, alors que le second assume le matérialisme sous une forme panthéiste.

    Les bases de ces deux pensées étaient sous-jacentes dans l’animisme cosmique – un devient deux.

    Les preuves de tout cela sont faciles à voir s’il en faut. Tant Platon et Aristote maintiennent le principe de l’animisme cosmique comme quoi il n’y a pas de création du monde, mais une matière informe façonné par l’énergie de l’univers.

    La philosophie d’Aristote est même une « énergologie » assumée, puisque pour lui la clef de tout c’est ce qu’il appelle l’entéléchie : chaque phénomène agit conformément au mouvement qui est dans sa nature. Et le mouvement vient du moteur invisible qu’est l’univers.

    C’est là dire la même chose que l’animisme cosmique, mais le redire de manière non religieuse, pour assumer un panthéisme mécaniste qui ouvre la voie du matérialisme.

    Platon réfute toute orientation « énergétique » c’est-à-dire une valorisation du mouvement, car la matière ne l’intéresse pas, il veut se fondre dans l’univers conçu comme un « 1 » totalement pur.

    Il ouvre la voie à l’idéalisme et à la théologie en tant que telle.

    Reste qu’il y a un souci fondamental dans cette reconstruction a posteriori. Si on suit Platon jusqu’au bout, alors finalement, même s’il ne le dit pas, on est obligé de faire de Dieu la « cause » du monde, puisque ce Dieu est là avant la matière qu’il façonne (même si la matière existait de manière informe auparavant).

    Et Aristote raisonne entièrement en termes de cause et de conséquence. Dieu c’est le moteur premier, et tout ce qui existe est une « énergie », un mouvement provoqué par une cause.

    Or, l’animisme cosmique ne connaît pas ce concept, pas plus qu’il ne connaît son pendant, celui de conséquence. Pour lui tout se produit de manière « énergétique » au sens d’élan vital immédiat.

    Il connaît cependant le concept de cycles – c’est ce concept qui permettra par la suite les concepts de cause et de conséquence. Pour comprendre cela, il faut voir comment était conçu le mouvement du monde lui-même : comme un jeu.

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  • La fusion cosmique dans une société complète

    L’animisme cosmique considérant que l’énergie traverse toute chose, est toute chose, alors absolument rien n’échappe à l’énergie, absolument rien ne saurait ne pas être énergie. Cela signifie qu’on a la même lecture animiste du monde qu’à l’époque des petits regroupements d’êtres humains, de tribus, de clans, mais cette fois de manière bien plus développée, plus approfondie, et au niveau d’une dimension d’un royaume, d’un empire.

    On ne saurait assez souligner que les civilisations babylonienne, égyptienne, chinoise, grecque, romaine, indienne, maya, aztèque, etc., étaient saturées de lectures cosmiques des événements, y compris dans l’ordre du quotidien.

    L’exemple mésoaméricain est ici plein d’enseignements.

    Deux nobles mayas jouent à la balle, vers le 8e siècle (wikipedia)

    En Mésoamérique, on employait l’arbre à caoutchouc dénommé aujourd’hui castilla elastica ; on mélangeait sa sève au suc de la plante dénommée ipomée blanche afin de renforcer son élasticité. Cela permettait de former une grosse balle, bien rebondissante, dont on se servait pour un jeu de balle où l’on doit frapper celle-ci avec les hanches, les coudes ou les genoux.

    Les points étaient accumulés et il existait également un anneau où l’on gagnait directement si on parvenait à y faire passer la balle. Le jeu a été pratiqué sans réelle modification pendant 2700 ans et toute la Mésoamérique accueillait des terrains pour cette activité : les archéologues en ont retrouvé 1300.

    Anneau sur le terrain de jeu à Chichén Itzá (wikipedia)

    Ce jeu avait une portée symbolique fondamentale. La sève tirée de l’arbre étant conçu comme parallèle au sang venant du cœur, comme la forme vivante de l’énergie du principe cosmique éternel, le Teotl.

    La balle en mouvement était elle-même l’allégorie de la réalité en mouvement perpétuel des formes prises par le Teotl.

    Terrain de jeu de balle à Monte Albán (wikipedia), dont la civilisation s’étale du 5e au 1er siècle avant notre ère

    Pour cette raison, le terrain de jeu à Tenochtitlan, la future Mexico City, était aligné selon axe Est-Ouest, comme la ville elle-même : la balle était une allégorie du soleil, qui doit triompher de l’infra-monde et en ressortir.

    Chez les Mayas, la légende de Hunahpu et Xbalanque consiste justement en l’aventure de deux frères jumeaux joueurs de balle réussissant à vaincre les dieux de la mort et de la maladie, à Xibalba, le « lieu effrayant », l’infra-monde.

    Dora Panfilia López Márquez, dite l’exploratrice, avec les jumeaux Hunahpu et Xbalanque

    Le jeu était une expression de la systématisation à tous les niveaux de la vision du monde animiste cosmique. C’est également le sens des sacrifices, où il s’agissait de verser le sang, la vie, afin de contribuer au maintien de l’ordre cosmique sous sa forme actuelle.

    Le Teotl existe en effet indépendamment de tout choix et puisqu’il est dans l’intérêt des êtres humains que le monde existe, il faut contribuer à sa stabilisation. C’est le sens du sacrifice effectué aux dieux, chaque mois de 20 jours à raison de 5-6 à une vingtaine de sacrifiés par temple, à raison d’une centaine, de centaines ou de milliers lors des grandes ou très grandes occasions.

    C’est le sens de la pratique régulière de l’écorchement afin d’habiller les prêtres, qui portent le vêtement humain pendant 2-3 semaines, sa décomposition étant l’équivalent d’une peau qui mue, du maïs sortant de sa feuille, d’un nouveau cycle.

    Le dieu Xipe Totec (Notre Seigneur l’écorché) ici recouvert de peau humaine, en référence à la cérémonie où un prisonnier célébré est finalement tué et écorché pour honorer le dieu qui s’est lui-même écorché pour donner naissance au maïs

    Il existait dans ce cadre grosso modo sept formes de sacrifices ou plus exactement, de sacrifiés. Ce qui compte dans le sacrifice, c’est en effet le sacrifié, qui est offert aux dieux et à l’ordre cosmique.

    Les sacrifiés correspondent à différents degrés d’importance des sacrifices, qui étaient parfaitement ritualisés et considérés comme impératifs pour l’ordre du monde.

    Le sacrifié est accueilli avec joie, dans les chants, la musique, la danse, avec une procession où la foule leur accorde un caractère divin, il est le « prix des dieux », un « cadeau à celui qui encercle la Terre » et chaque sacrifice répond à un aspect particulier de la puissance cosmique.

    Les pepechhuan, les « fondements », ouvrent les cérémonies en étant sacrifié ; on parle ici de soldats ennemis de moindre importance et de criminels.

    Les messagers des dieux sont des prisonniers sacrifiés pour envoyer des demandes aux dieux en spécifique ; les ixiptla sont des esclaves ou des captifs qui représentent pendant un certain temps des dieux, vivant dans le luxe, se promenant librement, bénissant les gens chacun dans sa maison, avant d’être sacrifiés.

    Scène du film Apocalypto de 2007 qui reflète la démarche mésoaméricaine du sacrifice

    Le ixtipla du dieu de la guerre Huitzilopochtli gouvernait même symboliquement l’empire aztèque pendant une journée avant sa mise à mort, l’empereur quittant la capitale de Tenochtitlan.

    Les tlacatetcuhine sont quant à eux des enfants de familles importantes achetés à leur naissance pour être sacrifiés à l’âge de 3-7 ans ; les xochimicqui sont des soldats ennemis prisonniers qui vont « mourir telle une fleur ».

    Les tlaaltilli, ceux qui sont « baignés », sont des esclaves achetés pour les sacrifices de manière plus générale, étant chacun « l’enfant chéri », « l’enfant du soleil ».

    Les variantes de sacrifices sont très nombreuses, reflétant la volonté d’obéir à toutes les gammes, toutes les modalités de l’existence. Il s’agit de correspondre à tous les modes d’existence possible, d’honorer ces modes, de saluer l’énergie de ce mode en sacrifiant pour rendre cette énergie.

    Dans un cas, un prêtre aztèque ne mange que des tortillas et ne boit que de l’eau pendant 80 jours, afin de faire basculer une femme au moyen d’une corde pour qu’elle s’écrase sur un rocher symbole d’un dieu.

    Dans un autre, les victimes se voient pressées par un filet jusqu’à ce que les intestins sortent ; dans un autre encore, de jeunes enfants sont placés dans un petit canoë débouchant sur une cascade.

    Il y a les victimes attachées à un mât et sur lesquels on tire des flèches ; il y a ceux attachés à une lourde pierre, munis d’une massue avec non pas des lames de verre volcanique tranchant mais des plumes et devant affronter plusieurs guerriers.

    Plus communément, comme c’est bien connu, quatre prêtres tiennent un sacrifié qui se voit arracher le cœur vivant par un cinquième prêtre s’étant tranché un accès, au son des flûtes et des sifflets. L’action est si rapide que la victime a le temps de voir son propre cœur avant de mourir au bout de ces quelques rapides secondes.

    Le coeur rejoint le soleil

    Le cœur fumant est alors montré au soleil par le prêtre puis placé dans un récipient destiné au temple à l’intérieur de la pyramide, le corps dévalant les marches de celles-ci qui étaient à cet effet peu profondes et avec un bon dénivellement.

    Sans cette offrande de sang, l’ordre cosmique connaîtrait une instabilité et pourrait changer de manière défavorable pour l’humanité. Les auto-mutilations étaient pour cette raison également une norme, avec le sang coulant du pénis, des oreilles, de la langue où l’on fait passer une ficelle avec des lames tranchantes, etc.

    Le sacrifice est une obsession pour le maintien de la stabilité cosmique et il y eu même pendant plusieurs décennies une guerre fleurie entre Aztèques et leurs ennemis, avec des rendez-vous pour des batailles où chaque soldat a comme but de capturer son ennemi afin que par la suite il puisse être sacrifié.

    Il y a ainsi une apparence macabre, parfaitement exprimé par le tzompantli, une structure de poteaux en bois sur lesquels sont empalés les crânes des suppliciés. L’alimentation de cette structure est, finalement, le sens même de l’idéologie mystico-militaire aztèque, car il s’agit pas moins que de porter l’énergie cosmique, de la révéler de l’exprimer, de la saluer, de la vivre.

    Un tzompantli recueillant les crânes des sacrifiés

    L’inauguration du temple majeur fut ainsi marqué par le sacrifice ininterrompu de 20 000 victimes pendant quatre jours, non pas comme expression de la mort, mais comme un immense tribut à la vie elle-même !

    La société de l’animisme cosmique est complète, rien ne lui échappe, et à chaque moment l’être humain fusionne avec le mouvement de l’univers lui-même.

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  • La force invisible apportant l’énergie

    Ce qui justifie le droit systématisé par l’animisme cosmique, c’est l’arrière-plan cosmique. Ce qui est juste, c’est ce qui va dans le sens de l’univers ; ce qui est injuste, c’est ce qui nuit à l’ordre de l’univers.

    Ce qui est juste est en phase avec l’énergie transportée par l’univers, ce qui est injuste affaiblit l’énergie du monde.

    Ce qu’on appelle polythéisme, c’est en effet en réalité une vision du monde où les dieux, les êtres humains, les animaux, les plantes, bref tout ce qui est vivant, dispose d’une certaine énergie. Celle-ci n’est pas inépuisable, pour personne, à part pour l’univers, qui l’apporte indifféremment, de manière neutre, impersonnelle, mais selon certaines modalités.

    Le polythéisme est en fait un animisme cosmique, car l’univers repose sur un principe énergétique inépuisable, auto-régénérateur, vital, dynamique. Les dieux font partie du panorama de cet univers « énergétique » au même titre que les êtres humains, les animaux, les plantes.

    Si on rate cet aspect, on ne comprend pas pourquoi les dieux connaissent des péripéties et doivent eux-mêmes obéir à un équilibre général de l’univers.

    Stèle représentant la déesse Shaushga, ou la déesse Ishtar, 10-9e siècle avant notre ère

    Il faut ici distinguer deux aspects fondamentaux : la nature de l’énergie et les modalités d’accès à celle-ci.

    Pour le premier aspect, ce qui est commun à l’animisme cosmique dans ses différentes variantes est la non-définition de l’énergie. S’il est parlé à ce point-là des dieux pour qu’on pense qu’il s’agit d’un simple polythéisme, c’est parce que l’énergie implique des mots toujours négatifs.

    Cette énergie est indéfinie, illimitée, immatérielle, inépuisable, non statique, inarrêtable, etc.

    Elle circule par conséquent sans arrêt et un exemple très connu tient à l’expression chamanique (ou néo-chamanique) « ouvre tes chakras ». Les chakras dans l’hindouisme sont des points de jonction énergétique, un concept qu’on trouve dans tous les animismes, le concept s’appelant par exemple « dantian » dans la version chinoise.

    Car dans tous les animismes cosmiques, il s’agit de faire passer cette énergie, de la faire circuler en soi et dans l’univers, pour être en jonction à cet élan vital dispersé, insaisissable, inépuisable sans quoi rien ne peut avoir une existence, ou plus exactement être en existence.

    L’animisme cosmique assimile à la base même les notions d’énergie, d’élan vital, de destin, car tout cela façonne chaque être humain en particulier, mieux : c’est l’être humain lui-même.

    Tous les commentateurs bourgeois séparent radicalement les termes employés pour désigner cela, termes qui en réalité se rejoignent toutes si on comprend ce qu’est réellement l’animisme cosmique : le « ka » égyptien, le « tonalli » aztèque, le « chi » chinois, le « mana » polynésien, le « prāṇa » hindouiste, le « manitou » algonquin, le « silap » inuit sont une seule et même chose.

    Dans tous les cas, les représentants de cette conception auraient dit non pas qu’ils avaient le ka, le tonalli, le chi, etc., mais qu’ils étaient le ka, le tonalli, le chi, le mana, le prāṇa, le manitou, le silap, car c’est l’univers lui-même qui les porte et qu’ils sont eux-mêmes.

    Série de dualités divines indiennes assurant la création, la conservation et la destruction: Brahma et Sarasvati, Vishnou et Lakshmi, Shiva et Parvati, 18e siècle

    Pour le second aspect, la chose est relativement simple à saisir. Comme on est à l’époque barbare, l’arrière-plan idéologique porté par le patriarcat est « énergétique » au sens de vitaliste, suprématiste.

    Autrement dit, l’animisme cosmique est vitaliste, car c’était la manière de l’humanité, dans un matérialisme élémentaire, de saisir la Nature comme ensemble et tous les êtres vivants comme ses composantes actives en interrelation.

    Toutefois, la globalité est saisie comme un ensemble statique où, en son sein, tout s’agite de manière fondamentalement impermanente, de manière frénétique, dans une alternance ininterrompue de vie et de mort – en raison du patriarcat, la vision du monde des êtres humains était très négative, pour ainsi dire survivaliste.

    C’est précisément ce que n’a pas compris le philosophe allemand Nietzsche, à la fin du 19e siècle. Lorsqu’il a alors parlé de la « volonté de puissance » comme principe universel, il n’a simplement rien inventé : il ne fait que reprendre les découvertes scientifiques au sujet des conceptions des peuples colonisés alors étudiés dans les universités européennes.

    Il prônait dans les faits lui-même un retour au « barbare », car il représentait les intérêts de l’aristocratie allemande prussienne violemment anti-ouvrière, et il a puisé chez les barbares leur vision du monde « énergétique », vitaliste, pour en faire un outil idéologique.

    Nietzsche n’avait rien compris au sens de l’histoire. Le survivalisme barbare s’est toujours voulu en correspondance avec le maintien de la stabilité de l’univers, et non pas comme une fin en soi.

    On est pour cette raison dans une sorte d’idéologie du sacrifice permanent. Chacun doit se sacrifier pour être à sa place dans l’ordre cosmique. Chaque fonction sociale est précisément délimitée, tout est codifié car tout acte tient à se sacrifier dans l’ordre cosmique qui seul existe réellement.

    Lorsque les civilisations mésoaméricaines procédaient à des sacrifices, ou lorsqu’il était procédé à des auto-mutilations afin de verser du sang (en s’incisant le pénis, en se faisant passer à travers la langue des lames tranchantes accrochées à un fil, etc.), c’était pour ramener l’énergie à sa source, comme témoignage également du passage et du passage seulement de l’énergie.

    C’est le sens initial de tout sacrifice et initialement les sacrifices étaient humains. Le patriarcat imposait une vision du monde comme bataille pour « l’énergie » – mais le but n’est pas l’accumulation d’énergie pour soi, il s’agit de le rendre à l’univers.

    On est ici dans une distinction, malaisée, entre l’animisme et l’animisme cosmique, le premier se focalisant sur l’immédiateté, donc l’immédiateté de l’énergie, alors que l’animisme cosmique systématise l’énergie à toutes les choses, à tous les niveaux, de manière très développée.

    Guerriers grecs dits de Riace, 5e siècle avant notre ère

    Lorsque dans les tribus de Papouasie-Nouvelle-Guinée, les garçons de 7 à 17 ans doivent boire le sperme des hommes adultes lors de plusieurs cérémonies, c’est directement pour « récupérer » l’énergie cosmique, imaginée comme immédiate. C’est là une démarche fondamentalement animiste-patriarcale, comme le montre le fait que les femmes sont rejetées, l’odeur de leurs parties génitales considérées comme impures, etc.

    On retrouve cette même démarche animiste comme reste dans le polythéisme grec, avec la pédérastie généralisée comme mode de transmission du maître au disciple. C’est vrai pour la Crète, pour Thèbes, pour Athènes, pour Sparte ; Platon valorise directement le principe dans l’ouvrage Le Banquet.

    On est là dans un reste majeur du fétichisme patriarcal directement animiste, où il est raisonné en termes d’énergie, fut-elle symbolique. Mais même le symbolisme porte une valeur « énergétique », car tout est énergie, élan vital, puissance.

    C’est là qu’on voit la longueur temporelle des visions du monde. D’ailleurs, la dimension sacrificielle a puissamment marqué l’humanité. Après les sacrifices d’êtres humains vinrent les animaux comme substituts, puis la suppression du sacrifice lui-même. Cependant, les alimentations cacher et halal (ou encore la circoncision) relèvent d’une dimension sacrificielle, alors que dans le catholicisme on mange littéralement le corps du Christ tandis que le prêtre boit même son sang, etc.

    Ce dernier point est d’ailleurs exemplaire, car c’est seulement avec cette eucharistie, où l’on mange le Christ comme aboutissement d’une cérémonie, que l’univers tient encore en place selon le catholicisme !

    On est là directement dans le prolongement de l’animisme cosmique et il faudra le protestantisme pour qu’il soit tenté de balayer ce reste animiste – après pas moins de 16 siècles de catholicisme entre-temps !

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  • La déesse égyptienne Maât

    Dans l’Égypte ancienne des pharaons, la déesse Maât est l’équivalent direct du Brahman du brahmanisme ou du Teotl aztèque. Elle conceptualise l’arrière-plan cosmique auquel les êtres doivent tout, qu’ils soient humains ou divins.

    C’est la raison pour laquelle, lorsqu’un être humain meurt, il passe en jugement et son cœur est placé sur une balance, le second poids étant la plume de Maât.

    La déesse égyptienne Maât avec sa plume

    Si la balance est déséquilibrée, la personne décédée a contribué au déséquilibre de l’univers et doit être condamnée. La plume de Maât est d’ailleurs une plume d’autruche qui a comme caractéristique d’être symétrique le long de son axe. On doit cependant également raisonner en termes de dualité : pour l’animisme cosmique, tout relève de la dualité.

    La pesée du cœur à l’aune de la plume de Maât devant le tribunal des dieux, papyrus datant de 1250 avant notre ère

    Maât est typique de cet univers vénéré par l’animisme cosmique, mais seulement à l’arrière-plan, « invisible » si on lit les choses en termes de « polythéisme ». Maât se voyait offrir une offrande par le pharaon chaque matin – en fait, comme dans les autres polythéismes, elle n’est qu’un dieu suprême à l’arrière-plan, dans un au-delà inaccessible.

    Il y a 42 divinités épaulant Maât, correspondant à 42 lois à ne pas transgresser pour ne pas modifier l’ordre cosmique. Voici comment ces lois sont présentées dans le papyrus composant le « livre des morts » reposant dans le tombeau du scribe royal Ani ; le papyrus fait 23 mètres de long sur 39 centimètres de hauteur et date de la 18e dynastie (-1550/-1292).

    1. Je n’ai rien fait de mal
    2. Je n’ai pas été une personne malhonnête
    3. Je n’ai pas volé
    4. Je n’ai tué personne
    5. Je n’ai pas détruit de nourriture destinée aux offrandes
    6. Je n’ai pas triché sur les mesures
    7. Je n’ai pas volé la propriété des Dieux
    8. Je n’ai pas dit de mensonges
    9. Je n’ai pas volé de nourriture
    10. Je n’étais pas maussade
    11. Je n’ai pas forniqué avec le fornicateur
    12. Je n’ai fait pleurer personne
    13. Je n’ai pas dissimulé
    14. Je n’ai pas transgressé les lois
    15. Je n’ai pas fait de profit avec la nourriture cultivée
    16. Je n’ai pas volé de parcelle de terre
    17. Je n’ai trahi aucun secret.
    18. Je n’ai pas intenté d’action en justice
    19. Je n’ai pas cherché à m’approprier le bien d’autrui
    20. Je n’ai pas convoité une femme mariée.
    21. Je n’ai pas tué de bête sacrée
    22. Je n’ai pas eu de relations sexuelles à tort.
    23. Je n’ai pas semé la terreur
    24. Je n’ai pas transgressé la Loi
    25. Je ne me suis pas mis en colère
    26. Je n’ai pas contredit la parole divine
    27. Je n’ai maudit personne
    28. Je n’ai pas été violent
    29. Je n’ai pas égaré autrui
    30. Je n’ai pas été impatient
    31. Je n’ai pas eu de litige
    32. Je n’ai pas été inutilement bavard
    33. Je n’ai trompé personne, Je n’ai rien fait de mal
    34. Je n’ai pas contesté le Roi (ou les Dieux)
    35. Je n’ai pas souillé l’eau d’autrui
    36. Je n’ai pas parlé avec arrogance ou avec colère
    37. Je n’ai pas maudit une Divinité.
    38. Je n’ai pas fait preuve de vanité.
    39. Je n’ai pas nui à la nourriture réservée aux Divinités
    40. Je n’ai pas volé la nourriture réservée aux morts (Khenfu)
    41. Je n’ai pas volé la nourriture réservée aux jeunes (Hefnu)
    42. Je n’ai pas entravé les divinités de ma ville

    On pense tout de suite au décalogue de Moïse et on voit ici très bien comment le monothéisme prolonge le polythéisme. En fait, le décalogue de Moïse date nécessairement d’avant le monothéisme lui-même.

    Et là on trouve un aspect très intéressant : qui dit loi religieuse universelle dit religion universelle. Or, le polythéisme va de pair avec une poly-lecture des cultes, ce qui implique une relative décentralisation. On voit ici comment la contradiction entre centralisation administrative / décentralisation religieuse a joué en rapport avec la question du droit général exigé par l’État central.

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  • La cosmologie de l’animisme cosmique (« om »)

    L’animisme cosmique a déjà une « métaphysique » de l’univers. L’univers est ici un flux ininterrompu de choses, rien ne reste à sa place. Les êtres humains morts continuent leur périple dans l’au-delà : rien ne s’arrête jamais. Dans cette transformation générale ininterrompue, même les dieux sont mortels : le Ragnarök est connu pour consister en le crépuscule des dieux scandinaves dans une grande bataille finale.

    Vidar déchire la gueule du loup Fenrir, scène du Ragnarök sur une croix du Xe siècle à Gosforth en Angleterre

    Ce crépuscule des dieux scandinaves a toujours été compris par les commentateurs comme devant se dérouler dans l’avenir, mais en réalité cela peut être le passé également. Car la fin n’est dans l’animisme cosmique jamais une réelle fin, seulement l’ouverture d’un nouveau cycle.

    Tous les « polythéismes » raisonnent en termes de cycles. À un cycle en succède un autre, et ce pour l’éternité. Ce qu’on appelle les dieux sont une expression de ces cycles. En ce sens, on doit parler de polythéisme. Mais ce polythéisme n’est qu’un aspect de l’univers et ce n’est pas le plus important.

    La raison est que ces cycles ont lieu à « l’intérieur » d’un univers stable dans sa substance. Derrière tout polythéisme, il y a un univers considéré comme une source énergétique organisée. Tous les « polythéismes » placent au-dessus des dieux une entité suprême parallèle permanente, statique, à l’écart.

    Cette dimension a été « oubliée » des commentateurs bourgeois, en raison de l’absence de culte de cette entité suprême. Mais c’est que les prières, rituels et sacrifices polythéistes, dans le prolongement de l’animisme, ne concernent que le monde de l’impermanence, le monde où vivent les êtres humains.

    Il n’y aurait aucun intérêt à prier une entité uniquement elle-même, consistant en l’univers lui-même. Ce n’est qu’avec le monothéisme que cet univers dieu abstrait devient précisément concret, par l’intermédiaire d’un homme « choisi » par le dieu-univers personnalisé pour « communiquer ».

    Traduction actuelle de la Bible dans la langue amérindienne cree ; le terme employé pour Dieu (ici en jaune) reprend directement celui, animiste cosmique, de grand esprit: Kice-Manitou

    Ce qu’on prie dans l’animisme cosmique, ce sont des forces au sein de cet univers, des éléments qui relèvent du flux ininterrompu et qui peuvent agir. Non seulement il y a des dieux pour la pluie, les moissons, la foudre, les montagnes, mais tous ces dieux emplissent la réalité de manière générale, englobant tous les aspects de la vie. On retrouve ici l’animisme – sauf que l’animisme cosmique systématise l’animisme et lui offre un arrière-plan « cosmique ».

    Il est malheureusement difficile d’établir en détail cet arrière-plan. On connaît trop peu de choses des civilisations mésopotamiennes. On ne peut pas non plus regarder le polythéisme grec ou romain, voire égyptien, car là déjà on est engagé sur la voie du monothéisme, la période intermédiaire ayant été en majeure partie balayée.

    Pour saisir cette vision du monde animiste cosmique, il faut pour cette raison se tourner vers les Aztèques, qui ont une civilisation datant du moyen-âge du point de vue du référentiel occidental, mais bloquée aux portes du monothéisme en pratique. Ce retard immense s’explique par l’incapacité de finaliser la domestication des animaux en l’absence d’animaux de trait et de l’inexistence de métaux dans la région.

    Et on a la chance de retrouver dans l’hindouisme de très larges restes de cette période particulière, même si elle a été dépassée. La Chine propose également de nombreuses choses.

    Le Taijitu, ou symbole chinois du Yin et du Yang, désigne l’énergie cosmique marquée par la dualité

    Chez les Aztèques, tout repose sur le Teotl, une force impersonnelle, qui forme le véritable sacré. Plusieurs noms lui sont attribués, qui associent le plus souvent deux termes, une manière typiquement aztèque d’exprimer au maximum la dualité :

    – Tloque Nahaque (le possesseur de ce qui est proche),

    – Yohualli ehecatl (le mouvement de l’air et la nuit),

    – Ometeotl (dieu-deux),

    – Ipalnemoani (Celui par qui on vit),

    – Tonacatecuhtli-Tonacahuatli (Seigneur et Dame de notre chair).

    L’entité suprême Ometeotl (deux-énergie) chez les Aztèques, representé en termes de dualité par le dieu Ometecuhtli et la déesse Omecihuatl

    Dans sa substance, c’est le strict équivalent de la formule du « grand Manitou » qu’on connaît comme concept amérindien ; on parle ici de ce qui est dénommé Orenda chez les Amérindiens Iroquois, Wakan, chez les Amérindiens Sioux, Pokunt chez les Amérindiens Shoshones, Manitowi chez les Amérindiens Algonquins, Urente chez les Amérindiens Iroquois Tuscarora, etc.

    Ce Teotl, ou Manitou, est un sacré inaccessible, dans l’au-delà ; il ne change jamais de forme, il est ce qu’il est. Il est le principe énergétique du monde, l’énergie restant ce qu’elle est. Mais l’énergie s’exprime à travers des formes impermanentes. C’est là qu’on trouve les êtres humains, les animaux, les plantes, mais aussi en un certain sens les dieux, même s’ils sont plus proches de l’énergie « pure » que les autres.

    Une référence extrêmement connue de ce concept est également le fameux « om » de l’hindouisme.

    Peinture indienne pahari de la fin du 18e siècle, représentant « Om » en trois groupes symboles de la création, la conservation, la destruction (dont deux groupes au moyen d’une dualité de dieux masculin et féminin)

    Dans l’hindouisme actuel, il existe plusieurs courants, chacun considérant que tel ou tel dieu, sous telle ou telle forme, est le dieu suprême, avec telle ou telle nature. Pour certains c’est Brahma, pour d’autres Shiva, pour d’autres Vishnou sous la forme de Krishna, etc.

    Cependant, à la base, dans l’hindouisme, il y a un dieu conceptuel à l’arrière-plan, « Brahman ». Ce dieu était au centre de la religion précédant directement l’hindouisme, qu’on a appelé a posteriori le brahmanisme. Concrètement, il y a d’abord le védisme qui apparaît 1500 avant notre ère, cède la place au brahmanisme vers l’an – 500, pour être remplacé par l’hindouisme vers l’an 500.

    Il existe bien un dieu dénommé Brahma, mais il est employé pour former un certaine représentation concrète du principe du « Brahman », et grosso modo l’intégrer aux autres dieux. Pour l’hindouisme actuel, Brahma est le créateur du monde, Vishnou le porteur du monde, Shiva le destructeur du monde, dans des cycles infinis.

    Ces dieux sont représentés dans chacune des lettres du son « om », en fait AUM, considéré comme la « vibration primordiale ».

    Om

    Mais là on sort déjà du cadre du brahmanisme, où le « Brahman » est l’arrière-plan fondamental ; si on trouve déjà le concept dans le « védisme », il n’était pas systématisé avant justement de se transformer en brahmanisme.

    Le védisme est un animisme particulièrement développé et il atteint justement sa dimension cosmique en conceptualisant le « Brahman ». Voici comment Krishna, dans la Bhagavat-Gita, présente la force cosmique qui est elle-seule réelle en fin de compte, par rapport à ce qui en profite dans le monde « réel » :

    « Il n’est rien au-dessus de moi, tout est rattaché à moi, comme les rangs de perles au fil où ils sont suspendus.

    Je suis la saveur de ce qui est liquide, je suis l’éclat du Soleil et de la Lune, je suis le mot mystique des Ecritures, je suis la virilité dans l’homme, l’odeur pure dans la terre, la brillance dans les flammes, je suis la vie dans tous les êtres, la contemplation dans le pénitent, la force vitale en tout ce qui vit, l’éclat en tout ce qui brille.

    Toutes les natures qui existent vraiment, apparentes ou obscures, viennent de moi ; elles sont en moi, et non moi en elles. »

    Le Teotl aztèque dit précisément la même chose, même si ici on a une forme de personnalisation de l’univers qui tend déjà au monothéisme, du moins à une forme en gestation qu’est l’hindouisme.

    Dans le brahmanisme, on n’a pas affaire à une telle personnalisation ; on reste dans l’identification à l’univers, à la force vitale dont parle Krishna dans l’extrait de la Bhagavat-Gita mentionné. Dans le brahmanisme, se tourner vers cette force permet d’accéder à une forme supérieure sur le plan mental, appelée Satcitananda – sat signifiant en sanskrit l’être, cit la conscience spirituelle, ananda la félicité.

    Les textes fondamentaux employés par le brahmanisme, ce sont les Upanishad, au nombre de 108 et on lit dans le Brihadaranyaka Upanishad, l’Upanishad des grandes forêts :

    « En vérité, Brahman possède deux formes : grossière et subtile, mortelle et immortelle, limitée et infinie, définie et indéfinie.

    La forme grossière est autre que l’air et l’éther (akasha – cf. shloka II-i-5). C’est une forme mortelle, elle est limitée et définie. L’essence de ce qui est grossier, mortel, limité et défini, est le soleil étincelant, car il est l’essence des trois autres éléments (terre, eau et feu).

    Quant à la forme subtile, elle est d’air et d’éther. C’est une forme immortelle, elle est illimitée et indéfinie. L’essence de ce qui est subtil, immortel, illimité et indéfini, est le Purusha de l’orbe solaire, car cet Être est l’essence des deux éléments (air et éther). Cette forme subtile concerne les dieux. »

    Une forme grossière, matérielle, et une forme subtile, spirituelle, c’est la vision du monde de l’animisme cosmique : il y a une force vitale qui est l’univers, et ce qui existe, dans toutes ses variations, se confond avec cette force par qui elle existe, et qui finalement seule existe, car elle seule reste.

    C’est exactement ce qu’on retrouve avec Maât, la divinité suprême de l’Égypte antique.

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  • La nature réelle du « polythéisme »

    Il est bien connu que selon les historiens bourgeois, le polythéisme a précédé le monothéisme. C’est entièrement faux et une telle affirmation correspond idéologiquement aux intérêts du monothéisme et de la bourgeoisie elle-même.

    Le monothéisme a besoin de présenter sa révélation comme une victoire sur les superstitions et la barbarie, afin de gagner en prestige. Il y a là quelque chose de pragmatique-machiavélique pour nier l’intérêt des formes religieuses concurrentes, pour se prétendre radicalement différent en nature des autres expressions religieuses.

    L’autre aspect est que le monothéisme représente un saut historique et forme une base authentiquement nouvelle désireuse de s’extirper de la période barbare qui la précédait, et dont elle est issue, à son corps défendant.

    La déesse de la lune Séléné sur un sarcophage romain, 3e siècle

    La bourgeoisie a également besoin de présenter la période précédent le monothéisme comme un polythéisme. Le mode de production capitaliste implique en effet un flux ininterrompu de marchandises s’écoulant dans la production et la consommation ; il ne peut pas concevoir un autre « flux » ou une autre conception en termes de « flux » valorisant un autre « flux ».

    Or, justement, le « polythéisme » est justement en réalité un animisme cosmique, avec la considération que l’univers consiste en un flux ininterrompu de choses en transformation. La vie, les péripéties, la mort, que ce soit pour les humains, les animaux ou les dieux, relèvent de ce flux.

    L’animisme cosmique est à ce titre perpétuellement agité, autant que le capitalisme l’est avec les marchandises, mais il ne l’est pas avec les marchandises. La bourgeoisie donc nier cette période et l’assimiler à un polythéisme chaotique.

    On remarquera ici deux choses importantes. Le romantisme idéalisant le moyen-âge et le romantisme idéalisant les petites tribus animistes vivant dans les forêts tropicales parlent, en réalité et sans le savoir, de la période de l’animisme cosmique.

    Le romantisme idéalisant le moyen-âge imagine celui-ci comme organisé, avec une importance religieuse-mystique pour chaque aspect de la vie ; le romantisme idéalisant les petites tribus animistes des jungles imagine celles-ci comme ayant une conception cosmique de l’univers. Dans les deux cas, c’est erroné.

    C’est en effet l’animisme cosmique qui exprime une vision cosmologique hyper-élaboré, où chaque instant de la vie relève d’un grand mouvement universel et possède partant de là une dignité en propre.

    L’animisme cosmique, qu’on caricature comme « polythéisme », ne tient pas en une société humaine superstitieuse et superficielle voyant des dieux pleins de défaut humains dans toute chose, et inventant des histoires abracadabrantes à leur sujet.

    Bien souvent on souligne d’ailleurs le caractère « ridicule » des dieux polythéistes, avec leurs aventures étranges, extraordinaires ou grotesques. Ganesh a ainsi une tête d’éléphant, car fils de Pârvatî, il gardait la porte alors qu’elle prenait un bain : Shiva rentrant chez lui coupa la tête à cet intrus, pour ensuite devant la colère de Pârvatî lui remettre la tête du premier « enfant » qu’il verrait, la tête originale ayant été perdue pour avoir été projeté trop loin. Ce fut un jeune éléphant.

    Représentation de Ganesha au début du 19e siècle ; on le voit traditionnellement avec des sucreries dans une main et un petit rat (ici grand) l’accompagne, lui servant de moyen de transport

    Tout cela semble absurde et il est courant de dire que les Grecs de l’Antiquité ne croyaient en réalité pas vraiment en leurs dieux, que tout cela était tradition, manipulations politiques et sociales, etc.

    Les choses sont bien différentes. Le « polythéisme » n’a en fait jamais existé ; il n’y a jamais eu de période avec des dieux super-puissants décidant du sort du monde. Ce qui a existé, c’est un animisme cosmique, où les dieux sont des acteurs au rôle limité au même titre que les humains et les animaux.

    Le polythéisme n’est plus un animisme. L’animisme est la vision du monde des êtres humains vivant en petites tribus, voyant des esprits à l’œuvre dans chaque phénomène naturel. On parle ici d’une humanité carencée sur le plan alimentaire, consommant des produits hallucinogènes afin d’expérimenter, jusqu’au « paradis », leur esprit en plein développement.

    L’animisme cosmique prolonge cette vision du monde, qui est même une « vision » au sens le plus direct du terme, mais on passe un cran au-dessus de l’époque où l’on attribue directement aux éléments naturels une dimension divine-mystique.

    On continue cette attribution, et c’est l’origine des multiples dieux. Cependant, ils ne sont pas tout puissants et toutes ces histoires rocambolesques des dieux du « polythéisme » ont une origine très simple : tous obéissent à l’ordre cosmique.

    Les dieux ne sont pas l’ordre cosmique, le « polythéisme » n’est pas un univers cosmique divin où des dieux auraient la place du futur dieu unique. Les dieux ne sont qu’un aspect de l’ordre cosmique.

    La déesse originelle japonaise Amaterasu sortant de la caverne, estampe de Shunsai Toshimasa, vers 1887

    Dans l’animisme, l’univers est saisi de manière fragmentaire, à travers l’immédiateté des choses, dans des rituels immédiatistes, de nature directement magique, où l’on s’adresse à tel esprit-dieu, tel esprit-dieu, selon les besoins.

    Dans l’animisme cosmique, il y a toute une cosmologie, l’univers est saisi de manière conceptuelle. On continue de s’adresser à tel esprit-dieu, pour la pluie notamment, mais on « sait » que ce n’est qu’un aspect d’un univers unifié et structuré.

    L’animisme cosmique est un animisme qui a universalisé son propos en proposant une lecture de l’univers, avec au passage un assemblage ininterrompu provoquant une accumulation énorme de dieux.

    On parle en effet d’une humanité dépassant le tribalisme-localisme pour former des grands ensembles, avec des mélanges où les dieux sont assimilés, mélangés, ajoutés.

    On sait comment il est parlé de la Grèce antique comme d’un monument de l’humanité, car celle-ci aurait atteint un degré élevé de compréhension « scientifique » des choses. C’est un raccourci. La Grèce antique exprimait bien une énorme avancée humaine, mais sous la forme d’un animisme cosmique, et non d’une compréhension « scientifique ».

    De nombreux autres peuples sont parvenus, à différents degrés, à un tel degré de développement qui se situe juste avant le monothéisme. D’où le prestige des Babyloniens, des Égyptiens, des Mayas, des Aztèques, des Indiens, des Chinois.

    La déesse bouddhiste Mārīcī, Tibet, 17e siècle ; elle fut particulièrement vénérée par la caste des guerriers en Chine, en Corée et au Japon

    L’animisme cosmique n’est déjà plus l’animisme se préoccupant uniquement des choses immédiates, dans une frénésie perpétuelle pour survivre. Il correspond à une période de l’humanité où le rythme de la vie quotidienne est déjà plus stabilisé.

    L’animisme correspond aux chasseurs – cueilleurs ayant commencé de manière extrêmement vague la domestication des animaux et l’agriculture ; l’animisme cosmique a déjà plus avancé en ce domaine, il peut se permettre d’avoir du temps pour l’élaboration de la culture.

    En systématisant l’agriculture et la domestication des animaux, il permet l’avènement du monothéisme.

    Ce dernier n’est pas la simple prise du pouvoir d’un Dieu unique qui effacerait les autres dieux ; il est le Dieu-Univers remplaçant l’univers divin de l’animisme cosmique. Car l’animisme cosmique dispose d’une très haute cosmologie.

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  • Un an de conflit armé en Ukraine: faire face à la guerre de repartage du monde, à l’exemple de Rosa Luxembourg !

    Cela fait désormais une année que la Russie intervient militairement en Ukraine. Une année de conflit armé, où chaque jour il y a eu des soldats qui meurent, des bombes qui tombent, où la destruction est devenue reine, dans un processus assassin qui ne semble pas vouloir s’arrêter.

    Et il n’y aura effectivement pas d’arrêt, car le conflit militaire en Ukraine est un aspect d’une troisième guerre mondiale qui a déjà commencé, avec en toile de fond l’affrontement entre la superpuissance impérialiste américaine hégémonique et son challenger, la superpuissance chinoise.

    Cette effroyable compétition entre les deux puissances majeures qui forment le premier monde entraîne dans son sillage toutes les puissances secondaires formant le second monde.

    Le troisième monde, le tiers-monde, forme quant à lui le butin.

    L’Ukraine est un pays du tiers-monde, c’est une part du butin.

    C’est cela la réelle raison du conflit militaire en Ukraine.

    Les superpuissances et les puissances se placent pour disposer de la meilleure position mondiale possible. La Russie a pris l’initiative pour replacer l’Ukraine dans son orbite historique, la superpuissance américaine voit la possibilité de démanteler la Russie, la France entrevoit le moyen de reprendre pied en Roumanie, le Royaume-Uni aimerait se placer en Mer Noire notamment à Odessa…

    Il faut se confronter à cette bataille pour le repartage du monde !

    Prolétaires de tous les pays, nations et peuples opprimés, unissez-vous !

    Un conflit militaire inéluctable dans le cadre de la crise générale du capitalisme

    Nous avons averti du caractère inévitable du conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine plus de six mois avant son commencement. Qui maîtrise le matérialisme dialectique est en effet capable de comprendre les tendances historiques.

    Le mode de production capitaliste est en crise depuis 2020. La machinerie capitaliste d’accumulation de capital s’est enrayée avec la pandémie. Tout le système de production et de consommation continue à tourner, mais de manière perturbée, voire détraquée.

    Cette crise générale a clairement modifié les mentalités, les points de vue, la situation économique, le rapport à la politique, la question militaire… Plus rien n’est pareil, et rien n’en finit plus de ne plus être pareil.

    Cela précipite la bataille pour le repartage du monde. Et que voit-on du côté occidental ? Quel est le point de vue à l’arrière-plan de toutes les initiatives concernant l’Ukraine ?

    Ce pays devrait devenir une base industrielle pour le capital financier occidental, en profitant des ressources d’une Russie démantelée en de multiples petits États et payant des sommes colossales de « réparations ».

    Une Ukraine vassalisée, une Russie colonisée, tel est le plan des impérialistes occidentaux, superpuissance impérialiste américaine en tête !

    Tel est leur souhait, afin de relancer le capitalisme !

    La guerre contre la Russie sert à renforcer la légitimité des régimes occidentaux

    L’espoir de se « sauver » de la crise générale en utilisant l’Ukraine, puis la Russie, est immense du côté occidental.

    C’est pourquoi nous avons pu voir, pendant cette première année de conflit militaire en Ukraine, que l’ensemble des forces politiques occidentales, à quelques très rares exceptions, a entièrement avalisé le discours comme quoi la Russie serait la seule menace et l’OTAN, à l’inverse, une force de paix et de concorde.

    Il serait dans l’ordre des choses que l’OTAN fournisse absolument tout le soutien matériel possible au régime ukrainien, et il en irait de même pour les gouvernements des États-Unis et de l’Union européenne. Des milliards de dollars et d’euros sont ainsi donnés ou prêtés, ainsi que des armements, des informations stratégiques et tactiques, des conseillers spéciaux.

    Les médias, dans leur totalité, déversent depuis une année, dans l’ensemble des pays impérialistes occidentaux, un tel bourrage de crâne que pour trouver un parallèle, il faut se tourner vers la guerre de 1914-1918.

    La convergence des sociétés occidentales avec les projets impérialistes est complète. C’est tellement vrai que du côté de la gauche politique, et de la gauche de la gauche, on chercherait pratiquement en vain la thématique de la guerre en Ukraine, de l’escalade militaire de l’OTAN, des objectifs impérialistes de repartage du monde.

    C’est véritablement l’Union sacrée, comme en 1914.

    Contre la métropole impérialiste et le 24 heures sur 24 du capitalisme

    Nous nous posons contre l’Union sacrée ; nous nous opposons à l’initiative de la superpuissance américaine de mise en place d’une structure militaire européenne homogène afin de participer à la guerre contre la Russie.

    Nous sommes en mesure d’avoir ce positionnement, car nous savons faire la part des choses et voir comment la « vie politique et sociale » dans les pays impérialistes ne sort pas du cadre du capitalisme.

    Les « événements » politiques ou sociaux qui se déroulent dans les pays impérialistes occidentaux n’entrent, absolument jamais, en conflit ou en rupture avec les bases fondamentales du régime.

    L’exemple du mouvement actuel en France contre la réforme des retraites est révélateur : malgré la mobilisation de millions de personnes, il n’y aucune dénonciation ni du capitalisme, ni de la guerre impérialiste.

    C’est inévitable, car le 24 heures du capitalisme exerce sa domination systématique sur la vie quotidienne des gens dans les pays impérialistes occidentaux.

    L’aliénation au travail est massive, l’exploitation encore plus approfondie que par le passé au niveau des nerfs, de l’intellect. La dépolitisation est massive, les syndicats sont totalement imbriqués dans les institutions, le niveau de vie est élevé et la corruption par la propriété est massive.

    Nous affirmons que, dans un tel cadre, celui des métropoles impérialistes, rien n’est possible sans rupture idéologique et culturelle, avec un poids accru de la subjectivité. Qui ne veut pas rompre sciemment avec le système resté lié à lui d’une manière ou d’une autre.

    Cela souligne deux aspects nécessaires à toute politique révolutionnaire : l’autonomie prolétarienne vis-à-vis des institutions capitalistes, l’anti-impérialisme avec les intérêts du tiers-monde comme aspect fondamental de toute orientation politique.

    C’est pourquoi il faut bien comprendre le sens de l’Histoire.

    Si le régime ukrainien s’effondre, alors seulement tout est possible

    Une victoire des pays occidentaux par l’intermédiaire du régime ukrainien, le démantèlement de la Russie, la fonctionnalisation de l’Ukraine et de la Russie dans le dispositif capitaliste occidental… relanceraient le capitalisme pour une période d’une, deux, plusieurs décennies.

    Un triomphe fournirait aux peuples du monde l’enseignement, temporaire mais effectif, de la supériorité militaire, technologique, stratégique des pays occidentaux. Ce serait un équivalent de la victoire occidentale sur l’Irak en 1990-1991.

    L’ordre mondial témoignerait alors de sa stabilité dans les faits, de sa possibilité de toujours se rattraper. Ce serait, après la neutralisation des effets économiques apparents de la pandémie, une preuve, formelle mais puissamment subjective, du caractère « invincible » du capitalisme occidental, de son mode de vie.

    Inversement, l’effondrement du régime ukrainien montrerait que les pays occidentaux ne sont pas tout-puissants. Cela indiquerait qu’un pays peut bien choisir de passer entièrement dans la subordination à la superpuissance américaine, mais que cela ne le sauverait pas pour autant.

    Si le régime ukrainien sauve sa tête, il servira d’exemple aux autres pays : la seule possibilité de « développement » serait l’intégration des initiatives impérialistes. Si le régime ukrainien tombe, cela exprimera l’impuissance occidentale et le fait que ce n’est pas une voie réalisable que de se vendre à la superpuissance américaine.

    La chute du régime ukrainien correspond ainsi à une exigence historique, à l’époque de la chute de la suprématie du bloc capitaliste occidental ! Et du point de vue communiste, cela correspond à une vague montante, nouvelle : celle de la révolution mondiale parallèlement à la décomposition de l’ordre mondial défini par l’impérialisme.

    Indépendance stratégique et lutte contre son propre impérialisme

    Les communistes doivent toujours se fonder sur l’indépendance stratégique. Des pays comme la Russie et la Chine ont leur propre agenda, qui correspond à leurs intérêts en tant que grandes puissances. La Chine veut être la superpuissance dominante, la Russie réussir à tenir son rang en forçant à une nouvelle configuration « géopolitique ».

    Cela peut sembler aller de soi, mais il est des forces politiques, qu’on dénomme souvent « campiste », qui ne maîtrisent en rien la dialectique et qui considèrent de manière unilatérale que tout ce qui s’oppose à la superpuissance américaine serait positif par essence. Ce sont souvent des gens qui en arrivent au raisonnement absurde que les attentats du 11 septembre 2001 auraient possédé une dimension « anti-impérialiste ».

    Ni la Russie, ni la Chine ne sont en réalité des acteurs directs ou indirects de la révolution mondiale. Leurs activités jouent simplement un rôle dissolvant dans le cadre de la dégénérescence historique du mode de production capitaliste et de l’ordre impérialiste.

    Il est significatif à ce niveau que face à la Russie, de nombreux pays ne s’alignent plus sur la superpuissance américaine, à l’instar du Brésil, de la Turquie, du Mexique, de l’Arabie Saoudite.

    Les initiatives politiques et militaires russe, chinoise, comme sud-africaine, brésilienne, turque, mexicaine, iranienne ou encore des pays du Golfe… correspondent à l’élévation particulière des forces productives à l’échelle mondiale depuis 30 ans et de toute une série de contradictions nouvelles qui apparaissent.

    C’est là une des expressions d’une situation mondiale où tout se dérègle en quantité : réchauffement climatique, développement exponentiel de la consommation de viande, expansion à marche forcée de l’urbanisation, destruction massive des écosystèmes, effondrement de la vie sauvage, accroissement de la pollution industrielle et chimique.

    Plus rien ne tient dans la situation mondiale. C’est l’effondrement du capitalisme comme « civilisation ».

    Et dans ce cadre, la fin du mode de vie occidental, de l’hégémonie occidentale, est un premier pas vers la grande remise en cause historique du capitalisme à l’échelle mondiale.

    L’isolement anti-guerre comme Rosa Luxembourg

    Il n’y a aucun mouvement de masse de dénonciation de l’OTAN dans aucun pays occidental ; tout au mieux y a-t-il des embryons de revendications pacifistes, qui assument toutefois de ne surtout pas se confronter à la question de fond, qui est celle de la situation mondiale, de la bataille pour le repartage du monde.

    C’est une situation catastrophique, mais cela ne change en rien la nécessité révolutionnaire, qui est de suivre l’exemple de Rosa Luxembourg pendant la première guerre mondiale.

    Isolée politiquement dans une Allemagne militarisée et militariste, trahie par une social-démocratie passée dans le camp de la guerre impérialiste, accusée de collaboration avec l’ennemi, frappée par la répression, elle n’en a pas moins levé le drapeau rouge et affirmé que l’ennemi était dans son propre pays.

    Nous devons suivre son exemple, se rappeler l’adversité qu’elle a connu. C’est à ce prix que peut être maintenue la ligne rouge pour la prochaine séquence historique.

    Il faut maintenir les fondamentaux. L’aspect politique principal dans les pays occidentaux est la lutte contre son propre impérialisme.

    Il ne s’agit pas, comme le font les opportunistes, de critiquer la guerre de temps en temps, comme un arrière-plan militariste qui serait somme toute secondaire. Il ne s’agit pas non plus de dénoncer la guerre en général, en évitant soigneusement de se focaliser essentiellement sur son propre impérialisme.

    Il ne s’agit certainement pas de faire le portrait neutre d’une situation où l’on met les forces dos à dos. Il s’agit d’oeuvrer à l’effondrement du régime en place, à sa défaite militaire.

    Arborer, défendre et appliquer, principalement appliquer le marxisme-léninisme-maoïsme !

    L’adversité politique complète que connaît le camp révolutionnaire depuis le tout début des années 1990 tient au développement général des forces productives dans le cadre du capitalisme.

    L’intégration des pays de l’Est de l’Europe dans le capitalisme occidental à la suite de l’effondrement du social-impérialisme soviétique a joué un rôle essentiel. Le rôle majeur est bien sûr l’intégration de la Chine au marché mondial, dans le prolongement de la prise du pouvoir par le révisionnisme à la suite de la mort de Mao Zedong en 1976.

    Un autre aspect tient bien entendu au développement technologique, avec l’informatique, le numérique en général.

    Le 24 heures sur 24 du capitalisme s’est terriblement développé, approfondi, systématisé, enserrant encore plus les prolétaires dans le mode de production capitaliste. C’est également vrai, de manière plus relative toutefois, dans les pays du tiers-monde.

    Mais les choses se transforment en leur contraire. La situation mondiale actuelle est un chaos en développement, prix à payer pour ce développement du capitalisme depuis trente ans.

    C’est pourquoi nous affirmons que notre ligne est juste : ce qui compte, c’est le maintien de la proposition stratégique communiste, avec ses fondamentaux que sont le matérialisme dialectique comme science et le marxisme-léninisme-maoïsme comme idéologie.

    Un immense espace s’ouvre, appelant à un saut qualitatif d’envergure historique, une rupture révolutionnaire exigeant la formation d’une nouvelle Humanité, d’une nouvelle Culture assumant le meilleur de l’héritage des siècles passés, en harmonie avec la Biosphère, les yeux tournés vers le Cosmos.

    Le 21e siècle appartient aux masses mondiales, qui vont mettre à bas le mode de production capitaliste à l’échelle de la planète.

    L’ennemi est dans notre propre pays : contre l’intervention politico-militaire intégrée du camp occidental contre la Russie !

    Contre les projets d’asservissement de l’Ukraine et de la Russie par la superpuissance américaine pour résorber la crise générale du capitalisme !

    Face à la troisième guerre mondiale, la guerre populaire mondiale !

    Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste)

    Février 2023

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  • Le matérialisme dialectique et la dialectique du carré et du rond

    Le matérialisme dialectique considère que rien ne peut être statique, en équilibre, symétrique. Il y a forcément une nuance, une différence, une lutte, une contradiction, une transformation. C’est là qu’on comprend qu’il faut accorder une importance fondamentale au développement inégal, bien plus que cela ne l’a été fait au 20e siècle.

    Le carré présente ici un défi puissant. En effet, dans un carré, on semble chercher en vain une transformation, une contradiction, une lutte, une simple différence, ou même juste une nuance.

    Les côtés a, b, c, d d’un carré ont la même taille. Ils sont bien entendu différents, cependant ils ont une identité substantielle : on peut indifféremment les remplacer l’un par l’autre. On ne peut pas fonder une identité réelle, une différence authentique, simplement là-dessus.

    Les angles sont pareillement tous de 90°. On a beau chercher, on ne trouve rien ! Il faut bien pourtant que le carré obéisse à la dialectique !

    La solution est la suivante. La contradiction du carré tient à celle entre le tout et les parties. Ce n’est pas tant que les côtés du carré soient différents qui comptent, que le fait qu’il faille passer de l’un à l’autre. Ce passage est discontinu. C’est là l’aspect qualitatif.

    Et quel est l’opposé du carré ? C’est le rond, justement. Car chez lui, il n’y a pas cette discontinuité ! On passe en effet d’un point à un autre, sans rupture. Par contre, ce n’est pas en suivant une ligne que l’on « progresse », mais justement de manière discontinue.

    Inversement, il n’y a pas de contradiction entre le tout et les parties !

    Ainsi, le carré voit sa contradiction se poser entre le tout et les parties, la discontinuité se situant au niveau du passage d’un côté à un autre. Là est la différence permettant la lutte.

    Le rond voit quant à lui sa contradiction se poser dans le mouvement des points, qui n’est pas linéaire, qui n’est pas continu : il ne s’agit en effet pas simplement d’un point ajouté après un autre, mais d’une ligne connaissant une tendance à la courbe. Il n’y a par contre pas d’opposition entre le tout et les parties.

    Et les deux sont des opposés, dans une opposition correspondant à la contradiction entre le tout et les parties qui s’oppose à la discontinuité linéaire.

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