Nous voulons ici expliquer une caractéristique
essentielle du processus révolutionnaire, si importante que ne pas
la comprendre aboutit même à sortir de son champ. Nous voulons
parler de son évolution non linéaire, de son mouvement historique
en termes d’étapes. Il s’agit là d’une question essentielle
pour toute organisation d’un dispositif révolutionnaire, ainsi que
de sa maturation. Qui nie l’existence d’étapes ou bien se trompe
sur la nature de ces étapes est condamné à l’échec.
C’est une problématique à laquelle n’échappe
personne sympathisant ou soutenant l’idée de révolution. C’est
même elle qui va déterminer les cheminements personnels, les choix
de vie.
Lorsqu’on a en effet acquis un certain niveau de
conscience révolutionnaire, on décide toujours de s’impliquer
pour la Cause. On oscille alors entre faire directement la promotion
de la révolution ou bien chercher un terrain concret permettant une
lutte avec immédiatement un certain nombre de gens. Cela aboutit au
bout d’un certain à une situation intenable, avec au bout soit la
capitulation par rapport au principe même de révolution, soit au
repli total avec une activité théorique à l’écart des masses.
Les exemples de ce processus aboutissant au
réformisme ou à l’isolement sont très nombreux, mais se
généralisent en deux types. Le premier type est le raisonnement
s’appuyant sur la thèse de la révolution permanente. La démarche
à laquelle cela aboutit est ce qu’on appelle gauchisme, qui a une
apparence hyper-révolutionnaire, mais tourne en réalité totalement
à vide, dans une bulle s’appuyant sur la petite-bourgeoise
radicalisée.
Il faudrait appeler à la révolution, tout le
temps et n’importe comment, car celle-ci serait la seule actualité.
Ce n’est même pas ici que les autres aspects soient secondaires :
il n’y aurait qu’une seule chose à faire, « enclencher »
la révolution. Cela conduit à nier la vie politique, faire de la
société une sorte de vaste abstraction, rejeter en bloc tant la
culture que l’héritage culturel national historique.
Le second type est la démarche visant à ajouter
des étapes aux étapes, afin de finalement justifier la convergence
ou même la collusion avec les vieilles valeurs, les institutions, la
bourgeoisie, le capitalisme. Cela mène au raisonnement comme quoi le
système pourrait être modifié depuis son intérieur, la révolution
devant se dérouler dans le cadre des institutions, ce qui est une
absurdité cédant vite la place au réformisme.
Il est paradoxalement très difficile de se
positionner correctement par rapport à ces deux dangers ; c’est
un véritable défi. On a vite fait de tomber de Charybde en Scylla.
Se distinguer des gauchistes et des réformistes du passé ou du
moment présent n’empêche pas que, sans travail efficace, on ne
devienne comme eux dans le futur.
Le nombre d’énergies gâchées dans un sens ou
dans un autre est pour cette raison immense et, au sens strict, seuls
les communistes russes et chinois on trouvé le moyen de s’en
sortir, ainsi que les communistes dans les pays d’Europe de l’est
après 1945.
Le piège de la révolution permanente
Il existe deux moments importants dans la
réfutation du gauchisme. Le premier, c’est lorsque Lénine
écrit La maladie infantile du communisme (le
« gauchisme »), le second c’est lorsque le
trotskisme est écrasé en Union Soviétique sous la direction de
Staline. Ce sont des moments-clefs, dans la mesure où ils
établissent les bases d’une compréhension correcte de cette
question.
Le gauchisme, dont le trotskisme est une des
expressions, affirme que l’espace-temps politique est occupé par
une seule contradiction, celle entre la classe ouvrière (ou bien le
peuple, la multitude, etc.) et le capitalisme (ou bien le système,
l’État, etc.), avec une seule issue possible : la révolution.
Par conséquent, dans toutes les situations et ce sans exception, il
n’y a qu’un objectif : hâter la venue de ce « grand
soir ».
Il faut bien voir que cela prend l’apparence
d’une ligne se voulant authentiquement combative, avec un
engagement sincère et sans compromission, avec un sens de l’urgence
et des nécessités historiques. Il est très facile, si l’on
manque de connaissances idéologiques, de faire confiance à ceux qui
ont l’air de « vouloir aller jusqu’au bout ».
C’est en réalité un piège, qui trouve sa
source dans l’incompréhension de la nature du Parti Communiste. Le
gauchisme pense que les révolutionnaires ne sont qu’une
avant-garde quantitative, pas qualitative ; à court ou moyen
terme, tout le monde arriverait sur ces mêmes bases. Les
révolutionnaires ne seraient simplement qu’en avance.
De là vient l’apparence hyper-révolutionnaire,
puisqu’il y a un discours volontariste se proposant d’amener tout
le monde à la cause révolutionnaire. Cependant, c’est en réalité
totalement décalé des réalités historiques et par conséquent
cela ne pénètre pas les masses, qui reste imperméable aux
« ultras », ceux-ci apparaissant simplement comme
« déconnectés ».
En réalité, la révolution est objectivement
l’actualité de notre époque, mais ce n’est pas une actualité
subjective « permanente » pour autant. De plus, même le
processus objectif de la révolution consiste en plusieurs étapes
bien distinctes, en des moments sensiblement différents. Il faut
tout un travail de compréhension de ces dimensions subjective et
objective.
Croire qu’une situation révolutionnaire peut se
produire à tout moment, par un quelconque événement
« déclencheur », est une négation du rôle de
l’idéologie et du principe du Parti Communiste comme lieu d’études
et de synthèse pour exprimer une direction. C’est du spontanéisme.
Le rôle dirigeant du Parti Communiste
Le Parti Communiste est d’une nature qualitative
différente de la classe ouvrière au sens strict, car il en est la
synthèse politique et idéologique. Il est organiquement lié à la
classe ouvrière, mais il en est une expression historique nécessaire
et par conséquent il possède sa propre dignité.
Lénine a présenté ainsi cette nécessité
historique, dans Que faire ? :
« Tout culte de la spontanéité du mouvement ouvrier, toute diminution du rôle de « l’élément conscient », du rôle de la social-démocratie signifie par-là même – qu’on le veuille ou non, cela n’y fait absolument rien – un renforcement de l’idéologie bourgeoise sur les ouvriers.
Tous ceux qui parlent de « surestimation de l’idéologie », d’exagération du rôle de l’élément conscient, etc., se figurent que le mouvement purement ouvrier est par lui-même capable d’élaborer et qu’il élaborera pour soi une idéologie indépendante, à la condition seulement que les ouvriers « arrachent leur sort des mains de leurs dirigeants ».
Mais c’est une erreur profonde (…). Du moment qu’il ne saurait être question d’une idéologie indépendante, élaborée par les masses ouvrières elles-mêmes au cours de leur mouvement, le problème se pose uniquement ainsi : idéologie bourgeoise ou idéologie socialiste. Il n’y a pas de milieu (car l’humanité n’a pas élaboré une « troisième » idéologie ; et puis d’ailleurs, dans une société déchirée par les antagonismes de classes, il ne saurait jamais exister d’idéologie en dehors ou au-dessus des classes).
C’est pourquoi tout rapetissement de l’idéologie socialiste, tout éloignement vis-à-vis de cette dernière implique un renforcement de l’idéologie bourgeoise.
On parle de spontanéité.
Mais le développement spontané du mouvement ouvrier aboutit justement à le subordonner à l’idéologie bourgeoise, il s’effectue justement selon le programme du Credo, car mouvement ouvrier spontané, c’est le trade-unionisme, la Nur-Gewerkschaftlerei [que le syndicalisme, en allemand] ; or le trade-unionisme, c’est justement l’asservissement idéologique des ouvriers par la bourgeoisie.
C’est pourquoi notre tâche, celle de la social-démocratie, est de combattre la spontanéité, de détourner le mouvement ouvrier de cette tendance spontanée qu’a le trade-unionisme à se réfugier sous l’aile de la bourgeoisie, et de l’attirer sous l’aile de la social-démocratie révolutionnaire (…).
La conscience politique de classe ne peut être apportée
à l’ouvrier que de l’extérieur, c’est-à-dire de
l’extérieur de la lutte économique, de l’extérieur de la sphère
des rapports entre ouvriers et patrons. Le seul domaine où l’on
pourrait puiser cette connaissance est celui des rapports de toutes
les classes et couches de la population avec l’État et le
gouvernement, le domaine des rapports de toutes les classes entre
elles.
C’est pourquoi, à la question : que faire pour apporter
aux ouvriers les connaissances politiques ? – on ne saurait donner
simplement la réponse dont se contentent, la plupart du temps, les
praticiens, sans parler de ceux qui penchent vers l’économisme, à
savoir « aller aux ouvriers ». Pour apporter aux ouvriers
les connaissances politiques, les social-démocrates doivent aller
dans toutes les classes de la population, ils doivent
envoyer dans toutes les directions des détachements de
leur armée. »
Le Parti se fonde sur une théorie, c’est là la
base de son identité politique. Et c’est en même temps une
fonction idéologique dans la classe ouvrière et les larges masses.
Cela implique des choix tactiques.
La tactique et la stratégie
La question de la tactique employée par les
communistes a été au centre des différentes réunions de
l’Internationale Communiste. Chaque Parti Communiste était alors
en effet une composante de l’Internationale, qui décidait de
manière centralisée des tactiques à adopter.
Avec une vue d’ensemble et dans le cadre de la
crise générale du capitalisme, il s’agissait pour
l’Internationale d’agir tel un Parti Communiste mondial et
d’impulser les luttes de telle manière à ce qu’elles relancent
la vague révolutionnaire commencée avec Octobre 1917.
Par tactique, il faut comprendre ici la capacité
politique pour un parti à s’orienter, comprendre qu’il faut
faire des choix et effectuer les bons. Lénine nous en donne la
définition suivante :
« Sans un programme, le parti ne peut exister en tant qu’organisme politique plus ou moins intégral, capable en toutes occasions de maintenir fermement sa ligne à chaque tournant des événements.
Sans une ligne tactique, basée sur une estimation de la situation politique en cours et fournissant des réponses précises aux « questions fâcheuses » du moment, il est possible d’avoir un petit groupe de théoriciens, mais non une unité politique opérante.
Sans une évaluation des courants idéologico-politiques « actifs », actuels et « à la mode », un programme et des tactiques peuvent dégénérer en « points » morts et il serait alors impossible de s’en servir pour résoudre les milliers de problèmes pratiques détaillés et infiniment concrets avec la compréhension de l’essence de ces problèmes, la compréhension de « ce dont il retourne ». »
Lénine, De la campagne électorale et de la plate-forme électorale, 1911
Les congrès de l’Internationale Communiste
étaient marqués par des débats sur la situation du capitalisme à
l’échelle mondiale, avec des décisions prises concernant les
tactiques à appliquer en conséquence. Chaque Parti devait réaliser
ces tactiques et le Comité Exécutif de l’Internationale
Communiste procédait aux rectifications nécessaires si tel n’était
pas suffisamment le cas.
Au bout d’une certaine période, il fut
considéré toutefois que cela demandait un travail de compréhension
de chaque pays qui revenait à chaque Parti Communiste particulier,
en raison de la très haute complexité de la question.
Sans le comprendre alors, avec la dissolution de
l’Internationale Communiste durant la seconde guerre mondiale, on
passait de l’exigence d’une tactique adéquate à celle de la
Pensée-guide.
C’est Gonzalo qui, au Pérou, a formulé le
principe théorique de ce concept ; il existe un document
précieux à ce sujet, réalisé de notre part avec les camarades
d’Afghanistan, du Bangladesh et de Belgique. La Pensée-guide est
la voie de la révolution dans un pays particulier, synthétisée par
un communiste ayant pleinement compris ses aspects économiques,
sociaux, culturels, militaires, idéologiques, etc. C’est donc une
stratégie.
Ce concept est tardif, il émerge dans les années
1980 ; Gonzalo a compris cela en étudiant la révolution
chinoise dirigée par Mao Zedong. De manière logique, nous avons à
sa suite formulé, avec les camarades de Belgique, le principe que la
révolution russe s’était appuyée sur la Pensée-guide de Lénine.
L’Internationale Communiste n’avait pas cette
compréhension encore. Elle formulait la chose ainsi seulement
alors : chaque Parti Communiste devait employer la tactique
adéquate correspondant à la situation de son propre pays. Il n’y
avait pas de lecture stratégique d’exigée, puisque l’existence
de l’URSS impliquait que la stratégie était simplement de
rejoindre son camp.
Les forces révisionnistes, comme on le sait, ont
justement dévoyé cette question des conditions particulières pour,
à chaque fois, justifier la « voie pacifique » au nom de
tel ou tel aspect national particulier. Ils ont en fait proposé ni
plus ni moins qu’une « stratégie », mais réformiste.
En France, c’est Maurice Thorez qui a joué ce rôle de destruction
de l’orientation révolutionnaire, de choix du pacifisme, du
parlementarisme censé être « révolutionnaire ».
Maurice Thorez représente, pour ainsi dire,
l’anti-Pensée-guide. Il a proposé une stratégie, mais pas la
bonne. Il a rejeté la révolution permanente, ce qui est juste, mais
son analyse de la société française s’est empêtrée dans le
réformisme, la soumission aux institutions, la participation à
l’État, etc. Il a formulé une stratégie erronée.
La révolution par étapes
L’Internationale Communiste, dans sa recherche
des tactiques adéquates, a formulé deux approches qui, une fois
synthétisées, s’avèrent en réalité être des stratégies. Nous
tenons à insister sur cette nuance. L’Internationale Communiste
n’a pas directement formulé cela comme étant une stratégie, même
si cela en découle inévitablement.
La première approche concerne les pays de nature
coloniale ou semi-coloniale. Il est éventuellement possible
d’impliquer la bourgeoisie nationale dans la révolution et les
paysans doivent l’être de toutes façons. La révolution
socialiste passe par une étape anti-féodale anti-impérialiste,
c’est-à-dire une révolution démocratique.
La seconde approche concerne les pays
capitalistes. À leur stade impérialiste, les monopoles prennent
toujours plus de place, jusqu’à prendre le contrôle entier de
l’État afin d’aller à la guerre, en s’appuyant sur un régime
fasciste. La révolution socialiste passe par une étape démocratique
– populaire.
L’exemple réussi de la première approche est
la révolution chinoise. L’Internationale Communiste avait
toutefois mal paramétré la révolution démocratique, ce qui
provoqua des tensions momentanées entre l’Internationale
Communiste et les communistes chinois. C’est Mao Zedong qui en
exposera les fondements corrects, ce que Staline reconnaîtra.
Les exemples réussis de la seconde approche sont
les démocraties populaires d’Europe de l’Est, établies sur la
destruction du fascisme, il est vrai dans les conditions
particulières de la victoire de l’armée rouge sur l’Allemagne
nazie. À cela, il faut ajouter trois expériences essentielles :
– le Front populaire en France, se formant à
partir de 1934 et se réalisant en 1936 ;
– la guerre antifasciste en Espagne, née du Front
populaire et se réalisant comme front antifasciste ;
– la guerre antifasciste en Grèce, contre
l’occupant nazi puis après 1945 contre les forces britanniques
aidées par les États-Unis.
Ce que nous pouvons voir historiquement, c’est
que le concept de révolution démocratique a été théorisé de
manière définitive en Chine et repris par Gonzalo. Le Parti
Communiste de Chine, à l’époque de Mao Zedong, met en avant la
révolution démocratique comme stratégie dans les pays semi-féodaux
semi-coloniaux.
C’est une question réglée. La révolution
démocratique est l’étape inévitable pour les pays caractérisés
par une pénétration impérialiste ayant formé un féodalisme par
en haut et une bourgeoisie bureaucratique. L’aspect féodal est
principal par rapport à l’aspect colonial, parce qu’il n’y a
pas de dimension anti-impérialiste sans affirmation démocratique,
donc anti-féodale.
Il faut particulièrement insister sur ce point,
car il existe une large tendance opportuniste faisant de la question
coloniale l’aspect principal, pour promouvoir un
« anti-impérialisme » qui correspond en réalité aux
intérêts de la bourgeoisie nationale, de la petite-bourgeoisie la
plus radicale. De nombreuses organisations « maoïstes »
de pays opprimés ne sont que des vecteurs de la bourgeoisie
nationale.
Cependant, le Parti Communiste de Chine n’a pas
parlé en profondeur des pays capitalistes, dont il ne connaissait
pas suffisamment la situation ; Gonzalo demande de son côté
que le Front populaire soit analysé par les communistes des pays
capitalistes, ainsi que la lutte armée des années 1970-1980. Il est
possible désormais de répondre à cette exigence théorique.
Nous affirmons par conséquent que, de la même
manière que la révolution démocratique, de type anti-féodale
anti-impérialiste, est une étape nécessaire dans les pays
opprimés, la révolution démocratique – populaire, de type
anti-monopoliste antifasciste, est une étape nécessaire dans les
pays capitalistes.
La nature de l’étape
L’étape consiste en un moment particulier
propre au processus révolutionnaire en général. Sa substance est
de dépasser des contradictions qui ne sont pas, au sens strict,
directement liées à la contradiction classe ouvrière –
bourgeoisie, même si cela en forme l’arrière-plan fondamental. En
termes politiques, il s’agit pour la classe ouvrière d’élargir
son alliance jusqu’à ce qu’on arrive à un point de basculement
historique en sa faveur.
Il est possible de formuler une loi générale
concernant cette question. Plus la classe ouvrière est forte, moins
l’étape prend un aspect important. Il y a en effet moins le besoin
d’une alliance élargie. Inversement, s’il y a une large
paysannerie ou bien une petite-bourgeoisie solidement implantée,
plus l’étape démocratique, démocratique – populaire est
significative.
Il va de soi que cela dépend des situations
propres à chaque pays. Certains pays sont très marqués par le
féodalisme, d’autres beaucoup moins ; l’emprise
semi-coloniale est bien plus forte dans certains pays que d’autres.
Dans certains pays, le développement s’est fait en maintenant
simplement des restes idéologiques de féodalisme, dans d’autres
l’arriération structurelle est quasi complète.
Dans les pays capitalistes, les couches sociales
intermédiaires sont plus ou moins fortes, les techniciens et cadres
jouent un rôle plus ou moins grand dans l’économie. L’hégémonie
idéologique – culturelle connaît différents types, notamment en
fonction de la capacité des notables à prédominer. Le pays
lui-même peut être dans une situation de développement inégal :
en Italie, les Brigades rouges étaient portées par la classe
ouvrière, mais celle-ci était trop faible dans tout le sud du pays,
ce qui imposait une étape qui n’a pas été vue.
À l’arrière-plan, pour l’étape démocratique
(anti-féodale, anti-impérialiste) comme pour l’étape
démocratique – populaire (anti-monopoliste, antifasciste), tout
est une question d’alliance – sous sa direction – de la classe
ouvrière avec les couches sociales intermédiaires. Il est
nécessaire de souligner l’importance centrale de cette question de
la direction.
Seule la classe ouvrière, de par son affrontement
avec la bourgeoisie, est capable de porter le nouveau et de combattre
sans compromis l’ancien. Cela est valable dans n’importe quelle
situation historique. Même si c’est seulement une partie de la
bourgeoisie qui est devenue l’ennemi principal, cela n’empêche
pas qu’il n’y ait de lutte réellement conséquente que si la
classe ouvrière la dirige.
Seule la classe ouvrière est capable de lire les
nécessités historiques, sous la direction de son Parti Communiste.
Le Front réalisé à chaque étape vise à la résolution de tâches
allant dans le sens général de l’Histoire et il faut donc que la
classe ouvrière en soit le moteur. Il s’agit de dépasser une
situation historique bloquée pour lancer le processus de
transformation générale, allant au socialisme, au communisme.
La détermination de la nature du Front à
construire prend par conséquent une forme différente selon les
contextes, les particularités nationales, le processus de la lutte
de classes, etc. Dans les années 1930, la forme d’alliance du
Front populaire français n’était pas exactement la même qu’en
Espagne, où par exemple la bourgeoisie catalane jouait un rôle
progressiste. Après 1945, le Front antifasciste en Allemagne de
l’Est avait des particularités par rapport à celui en
Tchécoslovaquie, en raison de l’importance de la base de masse du
nazisme.
La question du calibrage du Front, de ses luttes,
représente donc une dialectique tactique – stratégie devant
s’appuyer sur une compréhension historique de la situation
nationale, au moyen d’une maîtrise approfondie du matérialisme
dialectique.
L’étape, moment dialectique de la révolution
Il faut bien saisir que, au sens strict, la
révolution démocratique et la révolution démocratique –
populaire ne sont que des étapes. La révolution démocratique
formulée par l’Internationale Communiste et Mao Zedong a toujours
été considéré comme imbriquée dans le processus révolutionnaire
socialiste. Elle n’existe pas de manière indépendante. Il s’agit
d’une étape, d’un moment dialectique.
Pour cette raison, les communistes ont toujours
parlé de révolution par étapes, de révolution
ininterrompue. Il n’y a ainsi pas véritablement de
révolution démocratique comme réalité séparée, seulement une
révolution socialiste dans un pays semi-féodal semi-colonial avec
une étape révolutionnaire-démocratique. Il en va de même pour la
révolution démocratique – populaire, étape de la révolution
socialiste dans les pays capitalistes.
En fait, qui ne comprend pas les principes du
matérialisme dialectique et ne voit pas que, dans l’ensemble des
processus matériels, tout est relié de manière dialectique à la
base, ne peut pas comprendre le principe d’étape. L’étape est
un moment propre à la nature générale du processus révolutionnaire
porté par la classe ouvrière dans son affirmation du socialisme, du
communisme.
Les tâches se définissent par rapport à cette
perspective, car la tendance au communisme est irrépressible. Il ne
s’agit pas d’une orientation morale, d’un choix « politique »
ou quoi que ce soit de ce genre. Il s’agit de questions à régler
dans le cheminement historique, de tâches à mener pour pouvoir
aller plus loin.
Cela part du principe matérialiste dialectique
comme quoi la matière va au communisme. À partir du moment où la
matière connaît des sauts qualitatifs dans ses processus, alors
inévitablement elle va vers davantage de complexité, un appui
renforcé, amélioré à sa propre existence, une organisation
collective toujours plus grande, une expression plus approfondie. Le
communisme est propre au mouvement même de la matière.
Il ne faut d’ailleurs jamais perdre de vue que
la période historique de révolution socialiste, avec son étape
démocratique – populaire, consiste en la socialisation des forces
productives, en l’effacement des conceptions intellectuelles,
culturelles, pratiques, allant dans le sens d’une interprétation
du monde fondée sur la considération comme quoi il existerait des
éléments séparés, des « briques » dans la
constitution du monde.
Cette socialisation des forces productives est le
dépassement des contradictions historiques, et par là l’affirmation
d’une nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité, et dans
une moindre mesure dans l’histoire éternelle de l’univers. Tant
les gauchistes que les réformistes négligent ou nient cet aspect :
le mouvement de la matière elle-même.
L’étape est un moment dialectique de la
révolution ; c’est la réalisation de tâches allant dans le
sens de l’affirmation du mouvement de la matière. Calibrer son
activité en fonction de cela est nécessaire pour accomplir les
différentes tâches de l’étape.
Les tâches dans l’étape et la question du
calibrage
Le calibrage est une approche fondamentale du
matérialisme dialectique. Toute décision, revendication,
affirmation… doit reposer sur une évaluation adéquate de la
situation, son rapport avec le processus d’ensemble, son intérêt
dans la lutte de classes, ses conséquences économiques, politiques,
culturelles, idéologiques, militaires.
Les implications d’une étape intermédiaire au
socialisme sont donc nombreuses. La première est la détermination
des alliés, des formes d’alliances possibles, souhaitables,
nécessaires. Cela implique une analyse de l’ensemble des couches
sociales et de la possibilité de former un rapport politique,
social, culturel avec elles. Il va de soi que cela ne peut pas avoir
une mise en place effective sans le maintien de l’autonomie
prolétarienne comme noyau dur du processus révolutionnaire.
La seconde est le calibrage politique en fonction
des rapports entre les différentes couches sociales. Il ne
s’agit pas simplement de faire des revendications de type
démocratique et populaire, qui iraient d’elles-mêmes,
spontanément, dans le sens du socialisme. Ce serait là
revenir à la démarche du Parti Communiste Français de Maurice
Thorez, amenant à l’abandon de tout principe.
Il s’agit de calibrer les positionnements
politiques en fonction des nécessités historiques. Nous pensons
être en mesure de poser une orientation générale pour cela, au
moyen d’une grille de lecture s’appuyant :
– sur la contradiction travail manuel / travail
intellectuel ;
– sur la contradiction villes / campagnes.
L’insistance sur la seconde contradiction est
notre apport historique ; nous considérons qu’il y a ici la
clef pour comprendre l’évolution de la société capitaliste en
termes géographiques, l’émergence de l’anticapitalisme
romantique comme nostalgie du passé, mais également la crise
écologique et le rapport aux animaux, questions essentielles du 21e
siècle.
En fait, il est possible maintenant de dire que
nous avons les deux grands repères pour ne pas se perdre dans les
tâches relevant de l’étape de la démocratie populaire et même
du socialisme. Il suffit pour cela d’avoir en ligne de mire le
communisme comme résolutions de la contradiction ville – campagne
et de la contradiction travail manuel – travail intellectuel.
Ces résolutions ne sont pas des événements se
déroulant uniquement dans le futur ; leurs processus sont
inhérents au dépassement du capitalisme, ils sont déjà en cours.
On ne peut d’ailleurs comprendre aucun phénomène historique sans
l’étudier en rapport à ces deux contradictions. Le mode de
production capitaliste fait suffoquer toutes les activités humaines,
l’existence humaine, mais pas seulement : les conséquences
écologiques à l’échelle planétaire sont en rapport direct avec
cela.
Cela impose une compréhension, une sensibilité
particulière. Il n’est pas possible d’être communiste au 21e
siècle et de ne pas être révolté par la destruction de
l’environnement, par la condition animale ; c’est là une
insulte à la dignité de l’évolution de la matière, à la
matière elle-même. L’idéologie communiste ne peut pas aller sans
valorisation de la dignité de la matière vivante.
Cette exigence historique s’associe avec les
tâches de l’étape intermédiaire : il est évident que la
révolution démocratique – populaire porte en elle l’affrontement
ouvert avec les grands monopoles détruisant la planète. Il ne
s’agit pas de développer une critique comme celle faite contre le
néo-libéralisme, contre les « excès » du capitalisme.
Il s’agit d’aller dans le sens du démantèlement à la fois
concret et culturel de monstres comme McDonald’s, l’urbanisation
débridée, l’industrie du nucléaire, les usines de l’exploitation
animale ou les monopoles de l’armement.
Le démantèlement n’est pas la socialisation.
La grande distribution, les banques, la grande industrie… doivent
être socialisées, et non pas démantelées. Les deux tâches sont
bien distinctes. En fait, le démantèlement apparaît comme une
tâche davantage démocratique que socialiste, d’où son
appartenance à l’étape nécessaire historiquement.
Calibrer l’activité communiste
par rapport
à l’étape et aux moments politiques !
La compréhension de la nature de l’étape
permet de bien distinguer les moments d’affirmation des positions
communistes, ainsi que leur cadrage. Cela permet d’éviter les
postures propres à la « révolution permanente ». Avec
la juste compréhension des contradictions ville – campagne et
travail manuel – travail intellectuel, on évite également
l’écueil du basculement dans le réformisme.
Il appartient à chaque communiste de se saisir
d’une des deux contradictions comme principale et de s’intégrer
dans le processus de la lutte de classes en fonction des nécessités
historiques. Cela n’est qu’ainsi que des résultats
réels, prolongés, peuvent être obtenus. Nous
affirmons que le reste n’est que pragmatisme, démarche
velléitaire, pouvant avoir parfois l’air spectaculaire, mais sans
qu’il n’en ressorte rien pour autant.
Nous affirmons qu’aucune activité communiste ne
peut être « spontanée », ne peut s’exprimer
« directement » ; elle doit passer par le
matérialisme dialectique et historique pour trouver le vecteur
adéquat, pour trouver le moyen d’une médiation appropriée,
adaptée à la société.
Ne pas agir ainsi, c’est s’imaginer qu’il
suffit de se placer au service de la révolution de manière
subjective pour parvenir à quelque chose. Nous ne nions pas
l’importance de la rupture subjective, bien au contraire. Mais pour
que celle-ci soit complète, il faut un haut niveau de synthèse,
d’analyse historique, de participation à la vie réelle des
masses.
La combinaison de la rupture subjective et d’une
interprétation matérialiste dialectique, historique de la réalité,
est la clef pour être communiste, à l’opposé de
tout subjectivisme.
Il ne s’agit pas de se plier au niveau
« moyen » de conscience des larges masses en pratiquant
un réformisme lisse ou de courir derrière la petite-bourgeoisie en
adoptant une démarche semi-anarchiste. Il s’agit de
calibrer sa propre activité en se tenant à un terrain bien
déterminé, en ayant une démarche conforme aux exigences
économiques, sociales, culturelles, écologiques, etc. afin de
profiter de la force de la tendance historique au communisme.
Dans le cadre d’un pays capitaliste hautement
développé, avec de nombreuses couches sociales intermédiaires,
avec de puissants monopoles, avec un haut niveau d’aliénation,
avec des structures économiques et culturelles à démanteler, cela
impose une perspective démocratique – populaire.
La démocratie populaire et la guerre populaire
prolongée
Il va de quoi qu’aucune perspective
révolutionnaire sérieuse ne peut faire l’économie de la question
de la démocratie populaire, rien que de par la question du poids de
la classe ouvrière et de son rapport aux couches sociales
intermédiaires, principalement la petite-bourgeoisie.
La révolution présuppose l’engagement de
l’ensemble des masses sur le terrain de la lutte armée, ce
qui exige une situation révolutionnaire bien déterminée,
mobilisant bien plus que simplement la classe ouvrière. Toutes les
tentatives de type insurrectionnelles, pratiquées notamment dans les
années 1920, ont échoué précisément parce qu’elles étaient
incapables d’englober l’ensemble des masses.
La défaite face au fascisme correspond d’ailleurs
à la chute de nombreux secteurs populaires dans les mains de la
réaction. Si le Parti Communiste est incapable d’organiser
un vaste Front de masses, alors c’est le fascisme qui organisera
son propre front réactionnaire ! Telle est une
terrible leçon historique, payée très chèrement.
Avec l’approfondissement de la crise générale
du capitalisme, toute cette problématique réapparaîtconséquemment. La
révolution avait été littéralement paralysée, pendant plusieurs
décennies, par la formation d’un capitalisme avancé, exploitant
les pays du tiers-monde et neutralisant un maximum de
contradictions. Il y a là un important changement de
situation.
Être marxiste-léniniste-maoïste, c’est
considérer que la seconde moitié du 20e siècle se caractérise par
le déplacement de la crise révolutionnaire dans la zone des
tempêtes, l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie. Cela
implique qu’il faille considérer la situation actuelle
comme un renouveau en France de la problématique révolutionnaire,
qui s’extirpe d’une paralysie liée au
développement d’une société aux forces productives développées.
Cela implique une vaste petite-bourgeoisie
s’excitant toujours davantage et cherchant vainement à
s’approprier la direction de la société, une aristocratie
ouvrière cherchant à maintenir ses positions, mais aussi d’un
prolétariat métropolitain, vivant dans le 24 heures sur 24 de la
vie capitaliste.
Cela renforce d’autant plus le sens de la
démocratie populaire comme sas au socialisme.
Parti Communiste de France
(marxiste-léniniste-maoïste)
Février 2019
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