Statuts du Parti

1.
IDENTITÉ DU PARTI

1.1 Le Parti est l’organisation d’avant-garde de la classe ouvrière, de type léniniste, composé d’activistes faisant de la lutte pour le communisme leur identité et leur activité principales.

1.2 Le Parti a comme but le communisme, société sans classes ni État, avec comme étape intermédiaire le socialisme, c’est-à-dire la dictature du prolétariat.

1.3 Le Parti a comme idéologie le matérialisme dialectique, formulé par Karl Marx, Friedrich Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong.

1.4 Le Parti se revendique de la Russie révolutionnaire et de l’URSS (1917-1953), de la Chine populaire (1949-1976), ainsi que des pays de l’Est européens de régime de démocratie populaire (1945-1953).

1.5 Le Parti considère que nous en sommes à la troisième étape historique de l’idéologie : le maoïsme, qui suit le léninisme et le marxisme.

1.6 Le Parti valorise les enseignements du Péruvien Gonzalo, du Bangladeshi Siraj Sikder, du Turc Ibrahim Kaypakkaya, de l’Afghan Akram Yari, qui ont lutté sous la bannière de Mao Zedong et apporté des contributions à la troisième étape, notamment dans la compréhension du principe de la Pensée-Guide, application dans les conditions nationales concrètes de l’idéologie internationale de la classe ouvrière mondiale.

2.
INTÉGRER LE PARTI

2.1 Pour pouvoir être membre du Parti, il faut être âgé de plus de seize ans et résider en France.

2.2 La personne désireuse de rejoindre le Parti doit en faire, avec l’appui de deux personnes déjà membres, une demande motivée à la direction du Parti, indiquant le parcours politique et social personnel.

2.3 Dans le cas d’une réponse positive, la personne candidate à l’adhésion au Parti est alors stagiaire pendant huit mois, n’ayant pas le droit de décision ni de vote dans le Parti, ni de responsabilités de direction, mais pour autant les mêmes devoirs que les membres.

2.4 Le Comité central valide, ou non, la période de stage, de manière motivée.

2.5 Le Parti n’accepte pas d’intégrer d’autres organisations ; il n’accepte que les demandes individuelles.

3.
LA VIE DÉMOCRATIQUE AU SEIN DU PARTI

3.1 Toute personne membre du Parti a le droit de participer aux débats concernant la ligne du Parti, sa stratégie, sa tactique, sa presse, ses organismes générés.

3.2 Toute personne membre du Parti a le droit d’exprimer librement ses opinions dans les débats internes au Parti, ainsi que celui de proposer des débats au sein du Parti, à tous les niveaux.

3.3 Toute personne membre du Parti, en plus d’être électrice, a le droit d’être élue aux postes hiérarchiques du Parti.

3.4 Toute personne membre du Parti a le droit, en cas de conflit avec le Parti, d’exprimer son point de vue par écrit aux instances dirigeantes, ainsi qu’au congrès du Parti, ainsi que d’en appeler à ces instances en cas de souci local dans le fonctionnement du Parti.

3.5 Toute personne membre du Parti a le droit de critiquer tout autre membre du Parti, y compris les membres de la direction.

3.6 Toute personne membre du Parti a le droit de démissionner de celui-ci. Le Parti se réserve toutefois le droit de juger les renégats et les traîtres.

4.
LES EXIGENCES DU PARTI

4.1 Toute personne membre du Parti a le devoir de préserver les secrets de celui-ci, notamment face à la répression policière, militaire ou fasciste.

4.2 Toute personne membre du Parti doit toujours se comporter en adéquation avec les décisions de la direction de celui-ci.

4.3 Toute personne membre du Parti doit, s’il s’exprime en public, affirmer son plein-accord avec la ligne du Parti, réservant ses critiques uniquement au débat interne à celui-ci.

4.4 Toute personne membre du Parti doit organiser sa vie sociale et personnelle selon les intérêts du Parti.

4.5 Toute personne membre du Parti doit chercher à constamment s’améliorer et être toujours digne de la morale, de l’idéologie de celui-ci.

4.6 Le Parti n’autorise pas l’organisation de fractions en son sein.

5.
LES ACTIVITÉS AU SEIN DU PARTI

5.1 Toute personne membre du Parti doit faire partie d’un organisme généré par celui-ci. Le choix de l’organisme appartient à la direction du Parti.

5.2 Toute personne membre du Parti doit chercher à générer un organisme du Parti sur le lieu de travail, ou le territoire.

5.3 Toute personne membre du Parti doit s’engager en priorité dans l’organisme sur le lieu de travail, par rapport à l’organisme territorial.

5.4 Toute personne membre du Parti ne se comportant pas de manière conforme aux exigences de celui-ci reçoit un avertissement de la part du Comité Central, allant de la perte des responsabilités dans la hiérarchie, la perte des droits de vote, jusqu’à enfin l’exclusion. Dans ce dernier cas, le congrès avalise ou infirme la décision.

6.
LA HIÉRARCHIE DU PARTI

6.1 L’unité de base est la cellule, rassemblant entre 3 et 7 personnes. Si la cellule croit numériquement, elle doit se diviser en deux.

6.2 Les cellules sont coordonnées par le Comité du Parti au niveau local. La dimension de la zone gérée par le Comité du Parti est fixé par le Comité Central.

6.3 Lors des congrès, les délégués des Comités du Parti élisent un Comité Central, chargé d’appliquer les décisions prises lors du congrès où celui-ci a été élu.

6.3 Au sein du Comité Central, un Bureau Politique élu par celui-ci au sein de ses membres a comme tâche de gérer la vie du Parti entre les congrès.

6.4 Le Parti est régi par le centralisme démocratique, avec par conséquent l’ordre de subordination suivant : les membres à l’organisation, les instances inférieures aux instances supérieures, la minorité à la majorité, l’ensemble de l’organisation au comité central et le comité central au congrès.

7.
LES CONGRÈS DU PARTI

7.1 Les congrès du Parti se tiennent tous les trois ans, et ne peuvent pas être reportés de plus de six mois, sans quoi les Comités du Parti l’organisent en assumant entre-temps les responsabilités du Comité Central.

7.2 Pour être reconnu comme tel, le congrès doit représenter au moins 2/3 des membres du Parti.

7.3 Un congrès extraordinaire peut avoir lieu suite à la demande de 2/3 des membres ou bien du 2/3 des Comités du Parti.

7.4 Le Comité central décide du degré de proportionnalité et organise le rassemblement des délégués pour le congrès.

7.5 Les élections lors du congrès ont lieu à bulletin secret, les candidatures sont individuelles et toute personne membre du Parti peut proposer sa candidature.

7.6 A chaque congrès, le Comité Central récupère les rapports des organismes générés et présente ses conclusions à ce sujet.

7.7 Entre deux congrès, le Comité Central peut organiser des conférences du Parti, qui n’ont pas de pouvoir de décision.

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Le matérialisme dialectique et le rapport entre relatif et absolu, particulier et universel

La conception matérialiste dialectique refuse d’isoler des éléments, de les séparer les uns des autres. L’Univers est un ensemble unifié, une seule unité qu’il est impossible de diviser.

Toutefois, la nature de cet ensemble unifié est en mouvement et sa nature est dialectique. Pour cette raison, ce qui existe en particulier n’est pas isolé, mais relève d’un aspect relatif du général qui, lui, est absolu.

Et, en même temps, ce qui existe en particulier relève d’un aspect général qui, lui-même, est une expression du particulier.

C’est un point difficile à saisir, car il faut saisir le particulier dans le général et le général dans le particulier.

Pour saisir cela correctement, il faut porter son attention sur ce qui est particulier et que l’on peut retrouver dans son environnement. Un objet en particulier semble bien avoir une existence propre, un réveil-matin sur une commode par exemple.

Toutefois, ni le réveil-matin ni la commode n’existent de manière indépendante du reste de l’espace et du temps. Le réveil-matin est par exemple lié au temps, dont il reflète le mouvement en donnant l’heure, tout comme la commode utilise un espace bien déterminé dans une pièce.

Cela signifie que la moindre chose dispose de caractéristiques la reliant au reste de son environnement. Si l’on pousse plus loin l’analyse des caractéristiques, on peut s’apercevoir qu’à différents niveaux, chaque chose relève d’un universel.

Le réveil-matin relève de tous les réveils-matins, tout comme du temps qui passe (pris comme aspect universel) ; il consomme de l’énergie, par exemple avec des piles ou de l’électricité, ce qui le relie à d’autres particuliers – une prise électrique, une pile – et d’autres universels – l’électricité.

En tant qu’objet fabriqué, il relève des autres objets fabriqués ; en tant que marchandise, il se relie aux autres marchandises, donc au mode de production capitaliste, etc.

Le processus est sans fin. L’Univers est traversé de part en part, ou plutôt composé, d’une contradiction entre le particulier et l’universel, et partant de là entre le relatif et l’absolu.

Ce qu’on appelle la science est la saisie de différents aspects – les saisir tous est impossible, on ne peut que tendre vers la totalité, justement de par la contradiction entre le particulier et l’universel – en étudiant le mouvement pour voir ce qui est principal, ce qui est secondaire, les différents nœuds existants comme par exemple avec la « division » entre système solaire, galaxie, amas de galaxies, etc.

La pensée a comme dynamique le reflet de ce processus de distinction entre absolu et relatif, universel et particulier, qui existe dans l’Univers.

Voici comment Lénine explique cela dans des Notes philosophiques :

« La différence entre subjectivisme (le scepticisme et la sophistique, etc.) et la dialectique consiste entre autres en ce que dans la dialectique (objective), la différence entre le relatif et l’absolu est relative.

Pour la dialectique objective, il y a également l’absolu dans le relatif.

Pour le subjectivisme et la sophistique, le relatif est seulement relatif et exclut l’absolu (…).

Nous avons la dialectique en commençant par le plus simple, le plus habituel, les plus massivement répandu, etc., par n’importe quelle proposition : les feuilles de l’arbre sont vertes, Jean est un homme, le spitz est un chien, etc.

Déjà ici (comme l’a génialement remarqué Hegel), la dialectique est là : le particulier est général (cf. Aristote, Métaphysique, 3e livre, 4e chapitre, 8-9 : « En effet, nous ne pouvons pas dire qu’il y a une maison [Lénine : en général] en dehors des maisons particulières. »

Ainsi, les contraires (le particulier est en opposition au général) sont identiques : le particulier n’existe pas autrement que dans cette liaison qui conduit au général.

Le général n’existe que dans le particulier, par le particulier.

Chaque particulier est (d’une façon ou d’une autre) général.

Tout général est une parcelle ou un côté ou une essence du particulier.

Tout général n’englobe qu’approximativement tous les objets particuliers. Tout particulier entre incomplètement dans le général, etc., etc.

Tout particulier est relié par des milliers de passages à des particuliers d’un autre type (choses, phénomènes, processus), etc.

Nous avons déjà ici des éléments, des embryons du concept de nécessité, de liaison objective dans la nature, etc.

Le contingent et le nécessaire, le phénomène et l’essence sont déjà présents ici, car quand nous disons : Jean est un homme, le spitz est un chien, cela est une feuille d’arbre, etc., nous rejetons comme contingents une série de caractères, nous séparons l’essentiel de l’apparent et nous opposons l’un à l’autre.

Ainsi, dans toute proposition, on peut (et on doit), comme dans une « cellule », mettre en évidence les embryons de tous les éléments de la dialectique, montrant ainsi que la dialectique est inhérente à toute la connaissance humaine en général.

Et la science de la nature nous montre (et de nouveau c’est ce qu’il faut montrer pour tout exemple le plus simple) la nature objective avec les mêmes qualités, la transformation du particulier en le général, du contingent en le nécessaire, les passages, le glissement, la liaison mutuelle des contraires. »

Dans la moindre chose, il y a la complexité des inter-relations, c’est-à-dire l’ensemble, l’universel, qui lui-même existe par le particulier. L’Univers comme universel est lui-même concret dans le particulier de la matière infinie et éternelle.

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Le matérialisme dialectique et la place historique de la femme

Le matérialisme dialectique considère que chaque chose a deux aspects, dont la contradiction forme le moteur du mouvement, du développement. Il n’est pas difficile de voir que chaque espèce animale connaît deux sexes, dont la contradiction a comme moteur la reproduction.

Pour cette raison, dans l’histoire de l’Humanité, la femme a possédé une reconnaissance particulière. Durant la première étape, celle du matriarcat, la femme était considérée comme un équivalent supérieur de l’homme, puisqu’elle était en mesure de donner la vie après l’avoir portée.

Durant ce long moment historique, de l’Humanité des débuts, le culte de la déesse-mère était accompagné d’un respect fondamental de l’ordre naturel.

A cela a suivi le patriarcat, forme idéologique ayant accompagné deux phénomènes : la domestication de certains animaux et l’agriculture. Le rapport à la Nature a changé : l’Humanité a modifié sa propre situation et considère, en arrachant à la Nature ses bienfaits, être en mesure de la contrôler.

Cette période se caractérise par un polythéisme où les déesses, de rôle secondaire, sont les restes des déesses-mères intégrées dans une nouvelle forme mystique de compréhension du monde, puis par un monothéisme caractérisé par un Dieu unique de logique tribale, puis ethnique.

L’émergence de la féodalité a affaibli le patriarcat, puis le mode de production capitaliste l’a liquidé.

Toutefois, le mode de production capitaliste lui-même émerge des formes précédentes d’organisation de la reproduction de la vie : c’est cela qui explique la situation des femmes qui, même dans des pays marqués par un capitalisme développé, souffrent de nombreux types d’oppression de type patriarcal.

Cela s’explique par l’absence de saut qualitatif par rapport aux deux périodes antagoniques qu’ont été le matriarcat et le patriarcat.

La libération de la femme ne peut se produire, dialectiquement, que par le dépassement du patriarcat, c’est-à-dire en récupérant le développement des forces productives permis par l’esclavagisme, le féodalisme, le capitalisme, mais en modifiant radicalement le rapport à la nature, pour en revenir, de manière plus développée, à celui qui existait durant le matriarcat.

Le matérialisme dialectique rejette les conceptions idéalistes selon lesquelles l’Humanité ne serait pas animale, selon lesquelles elle serait sortie de la nature, selon lesquelles elle serait marquée par une séparation du corps et de l’esprit.

Nier l’existence d’hommes et de femmes, comme le fait l’idéologie post-moderne, notamment des queers, est une tentative de nier la dialectique de la nature. De la même manière, il y a des idéologies réactionnaires qui privilégient le statu quo ou le retour en arrière dans le rapport hommes-femmes.

Le matérialisme dialectique prône lui l’avancée et considère que l’établissement de nouveaux rapports – non antagoniques – de l’Humanité avec la nature produit le dépassement du patriarcat, en asséchant définitivement sa base née de la domestication et de l’agriculture.

La femme est ici la clef, dans son vécu, du lien de l’Humanité avec la vie elle-même, avec la nature.

C’est la raison d’ailleurs pour laquelle l’Église catholiquetend toujours davantage à utiliser l’image de la Vierge Marie de manière toujours plus systématique, comme « lien » humain avec la « création », parallèlement à un pseudo discours écologiste.

La véritable écologie – le retour assumé de l’Humanité à la nature – passe par l’affirmation du féminisme au sein du mouvement communiste, comme abolition des rapports patriarcaux par l’émergence de nouveaux rapports avec la Nature.

C’est cela qui explique la proportion très importante de femmes dans les mouvements de défense de la Nature, dans ceux de protection des animaux, dans le pacifisme.

La figure de l’homme œuvrant à modifier violemment la Nature va céder la place à celle de la femme agissant de manière scientifique en harmonie avec la Nature.

Le féminisme, pour cette raison, profite de l’informatisation, de la robotisation, des connaissances scientifiques reconnaissant la biosphère comme ensemble organisé de la vie sur la Terre.

L’avènement de l’ère de paix universelle que sera la République socialiste mondiale va de paire avec l’expression toujours plus grande des femmes au sein de la société, de par leur position essentielle comme vectrice de la vie.

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Le matérialisme dialectique et la notion d’imitation

Le matérialisme dialectique considère que l’esprit est façonné par la réalité, c’est-à-dire que les pensées ne sont que le reflet, plus ou moins synthétisé, de la matière.

C’est le propre du matérialisme, dans son opposition à l’idéalisme, de réfuter la théorie du « libre-arbitre », de la spiritualité, et ce au profit de la seule réalité matérielle.

Les sens sont ainsi les caractéristiques essentielles aux êtres humains dans leur liaison avec la réalité comme ensemble. L’être humain n’a pas de sens : il est ses sens ; l’esprit est une capacité de raisonnement qui s’est fondée non pas à côté des sens, mais à partir des sens.

C’est pour cette raison que, dès de le début de la Métaphysique, Aristote souligne l’importance de la vue. Il le fait avec raison, car des « cinq sens » (Aristote n’en reconnaissait que cinq, mais en fait il y en a beaucoup plus), c’est la vue qui nous semble le plus important, qui est celui le plus avancé dans le principe du reflet. La vue permet de cerner le plus rapidement une partie de la réalité, d’y agir.

« L’homme a naturellement la passion de connaître ; et la preuve que ce penchant existe en nous tous, c’est le plaisir que nous prenons aux perceptions des sens.

Indépendamment de toute utilité spéciale, nous aimons ces perceptions pour elles-mêmes; et au-dessus de toutes les autres, nous plaçons celles que nous procurent les yeux.

Or, ce n’est pas seulement afin de pouvoir agir qu’on préfère exclusivement, peut-on dire, le sens particulier de la vue au reste des sens; on le préfère même quand on n’a absolument rien à en tirer d’immédiat ; et cette prédilection tient à ce que, de tous nos sens, c’est la vue qui, sur une chose donnée, peut nous fournir le plus d’informations et nous révéler le plus de différences. »

Aristote aborde directement la question du rapport entre la vue et le reflet, en parlant d’imitation dans la Poétique. Il préfigure ici absolument la conception matérialiste dialectique dans les arts, c’est-à-dire le réalisme socialiste.

Voici comment Aristote présente de manière magistrale le principe de l’imitation :

« I. Il y a deux causes, et deux causes naturelles, qui semblent, absolument parlant, donner naissance à la poésie.

II. Le fait d’imiter est inhérent à la nature humaine dès l’enfance; et ce qui fait différer l’homme d’avec les autres animaux, c’est qu’il en est le plus enclin à l’imitation : les premières connaissances qu’il acquiert, il les doit à l’imitation , et tout le monde goûte les imitations.

III. La preuve en est dans ce qui arrive à propos des oeuvres artistiques; car les mêmes choses que nous voyons avec peine, nous nous plaisons à en contempler l’exacte représentation, telles, par exemple, que les formes des bêtes les plus viles et celles des cadavres.

IV. Cela tient à ce que le fait d’apprendre est tout ce qu’il y a de plus agréable non seulement pour les philosophes, mais encore tout autant pour les autres hommes ; seulement ceux-ci ne prennent qu’une faible part à cette jouissance.

V. Et en effet, si l’on se plaît à voir des représentations d’objets, c’est qu’il arrive que cette contemplation nous instruit et nous fait raisonner sur la nature de chaque chose, comme, par exemple, que tel homme est un tel ; d’autant plus que si, par aventure, on n’a pas prévu ce qui va survenir, ce ne sera pas la représentation qui produira le plaisir goûté, mais plutôt l’artifice ou la couleur, ou quelque autre considération.

VI. Comme le fait d’imiter, ainsi que l’harmonie et le rythme, sont dans notre nature (je ne parle pas des mètres qui sont, évidemment, des parties des rythmes), dès le principe, les hommes qui avaient le plus d’aptitude naturelle pour ces choses ont, par une lente progression, donné naissance à la poésie, en commençant par des improvisations.

VII. La poésie s’est partagée en diverses branches, suivant la nature morale propre à chaque poète. Ceux qui étaient plus graves imitaient les belles actions et celles des gens d’un beau caractère; ceux qui étaient plus vulgaires, les actions des hommes inférieurs, lançant sur eux le blâme comme les autres célébraient leurs héros par des hymnes et des éloges. »

On voit ainsi que l’art apparaît comme imitation, avec toutefois un apport ; en effet, la pensée elle-même obéit au mouvement dialectique et par conséquent la représentation est travaillée par le mouvement dialectique donnant naissance à la représentation.

C’est ce qui a induit Hegel en erreur, voyant la dialectique dans la pensée elle-même et non plus dans la matière. Hegel a vu le mouvement dans la représentation, mais il n’a pas compris que ce mouvement était porté par ce qui était représenté, pas par la représentation.

Cependant, Hegel a bien saisi que l’art n’était pas uniquement une imitation, mais également un processus de synthèse. Voici comment, dans l’Esthétique, il montre que l’art comme imitation est quelque chose d’insuffisant :

« L’opinion la plus courante qu’on se fait de la fin que se propose l’art est qu’elle consiste à imiter la nature…

Dans cette perspective, l’imitation, c’est-à-dire l’habileté à reproduire avec une parfaite fidélité les objets naturels, tels qu’ils s’offrent à nous constituerait le but essentiel de l’art, et quand cette reproduction fidèle serait bien réussie, elle nous donnerait une complète satisfaction.

Cette définition n’assigne à l’art que le but tout formel de refaire à son tour, aussi bien que ses moyens le lui permettent, ce qui existe déjà dans le monde extérieur, et de le reproduire tel quel.

Mais on peut remarquer tout de suite que cette reproduction est un travail superflu, que ce que nous voyons représenté et reproduit sur de tableaux, à la scène où ailleurs: animaux, paysages, situations humaines, nous le trouvons déjà dans nos jardins, dans notre maison, ou parfois dans ce que nous tenons du cercle plus ou moins étroit de nos amis et connaissances.

En outre, ce travail superflu peut passer pour un jeu présomptueux, qui reste bien en-deça de la nature. Car l’art est limité par ses moyens d’expression, et ne peut produire que des illusions partielles, qui ne trompent qu’un seul sens.

En fait, quand l’art s’en tient au but formel de la stricte imitation, il ne nous donne, à la place du réel et du vivant que la caricature de la vie.

On sait que les Turcs, comme tous les mahométans, ne tolèrent qu’on peigne ou reproduise l’homme ou toute autre créature vivante. J.Bruce au cours de son voyage en Abyssinie, ayant montré à un Turc un poisson peint le plongea d’abord dans l’étonnement, mais bientôt après, en reçu la réponse suivante:  » Si ce poisson, au Jugement Dernier, se lève contre toi et te dit: tu m’as bien fait un corps, mais point d’âme vivante, comment te justifieras-tu de cette accusation? « .

Le Prophète lui-aussi, comme il est dit dans la Sunna répondit à ses deux femmes, Ommi Habida et Ommi Selma, qui lui parlaient des peintures des temples éthiopiens: « Ces peintures accuseront leurs auteurs au jour du Jugement » (…).

D’une façon générale, il faut dire que l’art, quand il se borne à imiter, ne peut rivaliser avec la nature, et qu’il ressemble à un ver qui s’efforce en rampant d’imiter un éléphant. »

L’imitation n’est donc pas un reflet passif, mais une activité au sein de l’esprit. L’imitation est à la fois une réflexion de ce qui est extérieur à soi, mais en même temps une activité visant à reproduire à sa manière la réalité.

Hegel remarque par conséquent que :

« Les choses de la nature n’existent qu’immédiatement et d’une seule façon, tandis que l’homme, parce qu’il est esprit, a une double existence ; il existe d’une part au même titre que les choses de la nature, mais d’autre part il existe aussi pour soi, il se contemple, se représente à lui-même, se pense et n’est esprit que par cette activité qui constitue un être pour soi.

Cette conscience de soi, l’homme l’acquiert de deux manières : Primo, théoriquement, parce qu’il doit se pencher sur lui-même pour prendre conscience de tous les mouvements, replis et penchants du cœur humain et d’une façon générale se contempler, se représenter ce que la pensée peut lui assigner comme essence, enfin se reconnaître exclusivement aussi bien dans ce qu’il tire de son propre fond que dans les données qu’il reçoit de l’extérieur.

Deuxièmement, l’homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu’il est poussé à se trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement, dans ce qui s’offre à lui extérieurement.

Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu’il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations.

L’homme agit ainsi, de par sa liberté de sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger et pour ne jouir des choses que parce qu’il y retrouve une forme extérieure de sa propre réalité.

Ce besoin de modifier les choses extérieures est déjà inscrit dans les premiers penchants de l’enfant ; le petit garçon qui jette des pierres dans le torrent et admire les ronds qui se forment dans l’eau, admire en fait une œuvre où il bénéficie du spectacle de sa propre activité. »

Aristote et Hegel ont réalisé de splendides apports au matérialisme en abordant de manière franche la question de l’imitation. Cette notion est incontournable pour comprendre l’Humanité.

Si l’on porte son attention sur ce qui fascine l’Humanité, on trouve d’ailleurs, outre l’art, les activités sportives. Or, il est frappant que lorsqu’on joue aux échecs ou qu’on joue au football, on se retrouve projeté dans une activité qui est menée en même temps par la personne en face de nous.

L’imitation joue dans le sport un rôle moteur, de par la nature dialectique de la réalité, du principe de reflet, d’écho. À ce titre, la recherche en neurologie a établi le principe des « neurones miroirs ».

L’imagerie médicale montre, en effet, que des neurones présents dans certaines régions du cortex cérébral s’activent lorsqu’on exécute une action ; ces mêmes neurones s’activent lorsqu’on voit quelqu’un faire cette même action, voire même seulement lorsqu’on pense que la personne va faire cette action.

On a ici une véritable perspective de recherche, dont la substance ne pourra être montrée que par le matérialisme dialectique qui seul saisit la perspective de tout cela.

L’imitation est au cœur du concept de matière, du principe de déterminisme ; l’imitation est, dans ses modalités, le témoignage de la validité de la théorie du reflet.

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Le matérialisme dialectique et l’art

A partir du moment où l’être humain a commencé à travailler, c’est-à-dire à interagir de manière technique avec la nature, son esprit s’est agrandi, c’est-à-dire que ses raisonnements ont été toujours plus nombreux, parallèlement à la transformation matérielle de la réalité.

La nature de ces raisonnements n’acquière une dimension authentiquement matérialiste qu’avec l’émergence de la bourgeoisie ; le caractère dialectique de ce matérialisme apparaît avec la classe ouvrière.

Pour cette raison, les reflets de cette transformation dans l’esprit ont pu prendre, avec le matérialisme et le matérialisme dialectique, une nature troublée, brumeuse, déformée.

La religion dans sa forme polythéiste est un de ces types de reflet, tout comme l’art qui l’accompagne qui est caractérisé par une dimension magique, troublante, liée aux rites.

Cette étape était inévitable : le reflet de la réalité incomprise prenait nécessairement un aspect d’incompréhension, d’inquiétude face à la nature toute-puissante.

La seconde étape est marquée par une tentative de maîtriser, à défaut de la réalité, au moins la société.

Pour cette raison et en même temps en raison de l’arriération des modes de production à ce stade de l’humanité, l’art s’est vu considéré comme le vecteur de messages religieux idéalisés ou psychologiques.

Platon attribuait ainsi à l’art le statut de reflet imparfait de « l’idéal », tandis que chez Aristote l’art était un moyen d’améliorer la psychologie des individus.

Le christianisme prolonge cette démarche, où l’art se voit – avec les étapes romane et gothique – défini comme le témoignage de ce qu’il y a de meilleur, comme méthode de transmission des valeurs supérieures moralement.

Par la suite, l’art s’est vu attribué une nature se voulant résolument plus intimiste.

Avec la bourgeoisie apparaît l’émergence de l’individu, c’est la « vie intérieure » qu’est censé reflété l’art, avec également l’aspect important consistant à exposer de manière unilatérale le raffinement des couches supérieures de la société.

Cependant, le cadre social général était maintenu et l’art gardait sa dimension liée à la religion ; pour cette raison, des philosophes comme Kant et Hegel ont tenté, inévitablement sans succès, de conceptualiser la contradiction évidente entre un goût individuel et une esthétique universelle.

Avec le développement impérialiste du capitalisme, le relativisme, le nihilisme et le pessimisme ont donné naissance à l’art contemporain, dans un processus qui commence avec l’impressionnisme, en passant notamment par le cubisme et le surréalisme.

Cela signifiait, avec le triomphe de l’individu comme clef de voûte de la vision bourgeoise du monde, la fin du beau comme universel, apprécié de manière individuelle, au profit d’un beau uniquement individuel, apprécié de manière universelle de manière relativiste.

Les tourments individuels, le pessimisme quant à l’avenir, la fascination pour le morbide et l’insensé, le refus de ce qui semble harmonieux et agréable, la quête du sensationnalisme et des sensations fortes pour combler le manque intérieur, le culte du vide comme « absolu » et du trop-plein comme aboutissement productif, voilà ce qui définit l’art contemporain.

C’était là la conséquence inévitable de la décadence de la bourgeoisie. Cependant, elle avait joué un rôle historiquement progressiste, en arrachant la production d’objets considérés comme beau à la religion.

En agissant ainsi, elle permettait la reconnaissance de la très longue activité artistique populaire, qui a été défini comme folklore. Les artistes authentiques, producteurs et par conséquent porteurs d’une dimension démocratique, ont toujours puisé dans le folklore.

Cela est vrai dans tous les domaines, même s’il est plus aisé d’en saisir la nature dans la peinture (par exemple avec Alfons Mucha) ou dans la musique (avec Wolfgang Amadeus Mozart), que dans la sculpture ou l’architecture.

C’est qu’en arrière-plan, en plus de la question de la forme qui est reliée à la question démocratique – et par conséquent national dans de nombreux cas de nations opprimées – le contenu repose sur la reconnaissance entière de la réalité, dans toute sa complexité.

Le contenu de l’art authentique est, par conséquent, selon le matérialisme dialectique, le réalisme, défini comme réaliste socialiste en URSS par Staline et Maxime Gorki.

Le réalisme est, en effet, la retranscription synthétique de la réalité, avec comme exigences la véracité, le caractère historiquement concret, une haute maîtrise technique, une réelle simplicité permettant l’accessibilité, la présentation des différentes contradictions et la mise en avant de la tendance du nouveau contre l’ancien.

L’art est, pour le matérialisme dialectique, une expression agréable, harmonieuse, belle, de la vision matérialiste (dialectique) de la réalité. L’art est un regard authentique sur la réalité, avec un coeur vrai et chaud permettant de souligner ce qui est vrai, vivant.

Pour cette raison, Staline a pu désigner les écrivains réalistes socialistes comme les « ingénieurs des âmes ».

Pour cette raison également, il a toujours existé des formes de réalisme, plus ou moins développées, toujours lié à ce qui est nouveau, par opposition à l’ancien. C’est ce qui explique l’appréciation des œuvres d’art du passé : on y retrouve une expression, même si encore enfantine, d’un regard authentique sur la réalité.

Le réalisme est toujours ce qui a caractérisé les formes les plus développées, les plus authentiques d’art, accompagnant les idéologies portant les charges démocratiques les plus puissantes. Cela est vrai de la peinture flamande avec le protestantisme, comme de la peinture des ambulants dans le cadre du mouvement démocratique en Russie.

En France, on trouve notamment au XVIIe siècle, de manière liée au protestantisme, les portraits du graveur Abraham Bosse, ainsi que la peinture des frères Le Nain, alors qu’au XIXe siècle on trouvera, de manière liée à la bourgeoisie, la grande vague réaliste en littérature, dont Honoré de Balzacest le plus grand représentant.

Au XVIIe siècle encore, liée à la monarchie absolue (et en partie à la bourgeoisie) dans son rejet du féodalisme, on a également les écrivains se faisant les peintres de la psychologie : Molière, Jean Racine, Jean de La Bruyère.

Il faut également mentionner les peintres réalistes du XIXe siècle, avec non pas tant Gustave Courbetque Léon Lhermitte et Jules Breton.

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Le matérialisme dialectique et l’anticapitalisme romantique

Le matérialisme dialectique oppose, par définition, le nouveau à l’ancien ; le mouvement éternel de la matière procède par sauts qualitatifs et aucun retour en arrière n’est possible. Le nouveau, inévitablement, est faible, frêle, fragile, initialement, avant de triompher ; Mao a résumé cela par la formule « la voie est sinueuse, l’avenir est lumineux ».

Selon les principes dialectiques, la contradiction au cœur du mode de production capitaliste a deux aspects : la classe ouvrière et la classe capitaliste. Ces deux aspects sont antagoniques et appellent, de manière dialectique, à l’établissement de la dictature du prolétariat au lieu de la dictature de la bourgeoisie.

Une personne engagée de manière matérialiste dans la lutte des classes, le travail productif et l’expérimentation scientifique ne peut pas ne pas saisir cette dynamique dialectique. Si ce n’est pas le cas, alors inévitablement il y aura une tendance à être corrompu par le pessimisme, le nihilisme, qui relèvent de la bourgeoisie décadente.

Un sentiment très fort qui se produit est l’impression d’être inadapté à son époque ; c’est le « mal du siècle » romantique où il semble que les possibilités d’épanouissement sont impossibles, contrairement en apparence à une époque précédente.

Le romantisme exprime ainsi la nostalgie d’une époque qui n’a pas été connue, mais qui est idéalisée. Cette idéalisation permet de souligner des valeurs rentrant en conflit avec celles dominant à l’époque où la pseudo nostalgie est valorisée.

Le romantisme est en pratique un phénomène pratiquement religieux, fonctionnant à la fois comme consolation, par la fuite esthétique, intellectuelle, spirituelle, et en même temps comme vecteur d’une protestation contre l’idéologie dominante et l’ordre établi.

Or, de par les modalités d’existence du mode de production capitaliste, il existe des couches sociales qui, de manière temporaires, maintiennent un semblant d’existence, sans parvenir à devenir en tant que telles des classes sociales. Ces couches sociales, placées comme tampon entre le prolétariat et la bourgeoisie, peuvent être soit directement liées à la classe ouvrière comme les masses populaires, soit directement liées à la classe capitaliste comme l’appareil d’État.

Leur nature sociale est variable et sujette à de nombreux changements, car ce ne sont pas des classes : seule la classe capitaliste et la classe ouvrière conservent leur stabilité historique, la bourgeoisie entrant toujours plus en décadence et comportant un nombre toujours plus réduit de gens, la classe ouvrière se renforçant.

Pour cette raison, il y a un nombre très important d’idéologies semi-cohérentes représentant les intérêts de ces couches sociales qui apparaissent. Selon ce qui est nécessaire, ces idéologies piochent dans tous les courants politiques historiques, maintenant la fiction de la cohérence par le volontarisme et la fuite en avant, un vocabulaire pseudo-révolutionnaire, etc.

Elles mettent en place un anticapitalisme romantique, c’est-à-dire mettant en avant une forme passée comme ayant été correcte mais corrompue, trahie. Il s’agirait, par conséquent, de faire repartir en arrière la roue de l’Histoire.

Ces idéologies visent à justifier l’existence de certaines couches sociales aux yeux du capitalisme en se montrant capable de manipuler les masses populaires, tout comme elles cherchent à manipuler les masses populaires afin d’exercer une pression sur le capitalisme.

Ces idéologies relèvent de l’anticapitalisme romantique. Elles ont un socle social commun, depuis les courants national-révolutionnaire, national-syndicaliste, fasciste, etc. jusqu’au communisme libertaire, l’anarchisme, etc.

Elles reflètent un moyen de « geler » le capitalisme, de le « réformer » dans un sens petit-bourgeois, tout en maquillant cela derrière une rhétorique révolutionnaire.

Lénine, dans La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), note de manière importante :

« On ne sait pas encore suffisamment à l’étranger que le bolchevisme a grandi, s’est constitué et s’est aguerri au cours d’une lutte de longues années contre l’esprit révolutionnaire petit-bourgeois qui frise l’anarchisme ou lui fait quelque emprunt et qui, pour tout ce qui est essentiel, déroge aux conditions et aux nécessités d’une lutte de classe prolétarienne conséquente.

Il est un fait théoriquement bien établi pour les marxistes, et entièrement confirmé par l’expérience de toutes les révolutions et de tous les mouvements révolutionnaires d’Europe, – c’est que le petit propriétaire, le petit patron (type social très largement représenté, formant une masse importante dans bien des pays d’Europe) qui, en régime capitaliste, subit une oppression continuelle et, très souvent, une aggravation terriblement forte et rapide de ses conditions d’existence et la ruine, passe facilement à un révolutionnarisme extrême, mais est incapable de faire preuve de fermeté, d’esprit d’organisation, de discipline et de constance.

Le petit bourgeois, « pris de rage » devant les horreurs du capitalisme, est un phénomène social propre, comme l’anarchisme, à tous les pays capitalistes.

L’instabilité de ce révolutionnarisme, sa stérilité, la propriété qu’il a de se changer rapidement en soumission, en apathie, en vaine fantaisie, et même en engouement « enragé » pour telle ou telle tendance bourgeoise « à la mode », tout cela est de notoriété publique. »

L’anticapitalisme romantique est toujours réactionnaire en tant qu’idéologie éclectique et anti-matérialiste ; les individus le portant sont de nature contradictoire politiquement, tendant vers la bourgeoisie ou le prolétariat selon les moments.

La démarche de Front populaire et de démocratie populaire a été mise en avant, durant les années 1930 et 1940, comme moyen de convaincre de manière rationnelle et progressiste les éléments petit-bourgeois de leur intérêt à la démocratie et au socialisme.

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Le matérialisme dialectique et le principe de l’identité

Dans la conception idéaliste du monde, on retrouve le principe de l’identité. Selon ce point de vue, si on nomme quelque chose A, on peut dire que A = A, c’est-à-dire qu’une chose est elle-même et reste elle-même.

Pierre est Pierre ; il n’est pas Paul et il ne le sera jamais. Tout existe de manière séparée, avec ses particularités, ses propriétés, son identité. Le capitalisme, qui se fonde sur la reconnaissance de capitaux multiples dans la concurrence et d’un capital unique avec le monopole, systématise cette approche.

Un individu est alors tellement identique à lui-même qu’il n’est, finalement, identique à personne, à part lui-même : il possède « son » code ADN, il peut « choisir » son « genre », il dispose d’un libre-arbitre complet, sa personnalité serait unique, etc.

Le matérialisme dialectique considère que tout cela est faux ; s’il faut parler d’identité, alors cela ne peut être valable que pour l’Univers, qui est infini, éternel et à ce titre est « identique » au sens que, même s’il se transforme, il est unique, la seule chose qui existe.

On peut parler de l’Univers aujourd’hui comme demain, car c’est le même espace, même en transformation. Il est la seule chose qui se maintienne, en tant que totalité organisée et en développement perpétuel.

Pour le reste, c’est-à-dire les éléments de l’Univers, il est possible de dire que A = A, mais en même temps c’est faux. C’est là le principe dialectique de la réalité matérielle. Tout est en effet en mouvement et, pour reprendre l’image employée par le philosophe grec Héraclite, on ne peut pas se baigner deux fois dans le même fleuve.

Pierre n’est déjà plus Pierre, car il s’est transformé, le faisant tout le temps ; on peut bien sûr parler de Pierre, mais cela sera relatif : il s’agit de Pierre à un moment précis, et encore cette manière de « fixer » la réalité, de la photographier, est une simplification.

Une définition relevant de l’identité ne peut être que relative, descriptive, mais certainement pas absolue. Une définition décrit ce qu’on connaît d’une chose à un moment donné, mais cela ne saurait être éternel, car tout change, et change dans une infinité d’inter-relations que la science justement vise à saisir de manière toujours meilleure.

Reprenons l’exemple de Pierre. Ce dernier n’existe pas isolément, pour le matérialisme historique : il est obligé d’obéir aux impulsions de sa classe sociale, selon des lois historiques. Il n’a pas un libre-arbitre, qui existerait de manière indépendante de la réalité.

À cela s’ajoute que, sur le plan matériel, il n’est pas isolé du reste de la nature. La maladie est, par exemple, considéré comme une agression, comme un « mal », venant déranger un équilibre par définition statique.

Un tel point de vue est idéaliste, faisant de l’individu une entité isolée. En réalité, l’individu est et n’est pas en même temps : il est relié à un ensemble – celui de la vie sur Terre, la Biosphère – dans la mesure où il est composé d’éléments chimiques, qui rentrent en interaction à une multitude de niveaux. Le réchauffement climatique est un exemple de cela.

De plus, l’individu se décompose lui-même en toute une série d’éléments, dont notamment les bactéries. Or, les bactéries ne connaissent pas les frontières fictives imaginées par l’être humain et ce qu’on appelle maladie n’est rien d’autre qu’un processus de synthèse qui se déroule.

Lorsque la maladie est remarquée, le saut produit par la synthèse a déjà eu lieu. Dans cette perspective, les maladies ne sont pas des « accidents », mais ont bien un sens, relevant du mouvement de la matière.

C’est un sens qui nous échappe encore totalement, mais c’est une piste à suivre, car on ne peut pas séparer un individu abstraitement sain du reste de la nature.

Naturellement, dans la conception idéaliste du monde, les individus font par contre « face » à la maladie ; c’est bien entendu la raison pour laquelle les scientifiques à la solde de la bourgeoisie butent entièrement sur des problématiques comme les cancers et le SIDA, caractérisées par un haut niveau de synthèse entre la maladie et le corps.

Bien entendu, il y a l’arrière-plan la question de savoir si ces maladies relèvent d’un processus naturel, en quoi consiste ce processus naturel : il y a ici une gigantesque perspective du travail.

Pour cela, encore faut-il comprendre que la matière en mouvement ne respecte pas le principe idéaliste d’identité ; elle ne connaît pas de frontières, que ce soit au niveau des bactéries comme des classes sociales, ainsi que de la Biosphère elle-même. Les êtres humains ne sont que des composantes de l’Univers ; le principe d’identité n’est qu’un fétichisme propre à la période capitaliste.

En réalité, chaque chose obéit, de fait, à la loi de la contradiction et, par conséquent, elle possède en elle-même un mouvement interne, résumé par Mao Zedong dans la formule « 1 devient 2 ». C’est le principe du mouvement dialectique de la matière, A étant A et en même temps ne l’étant pas, cette contradiction étant le moteur du mouvement, le mouvement lui-même.

Et non seulement A possède une contradiction interne, mais en plus il est inter-relié à d’autres choses, d’autres phénomènes. Le principe de l’identité isole arbitrairement une chose, un phénomène ; il prive également de mouvement de manière arbitraire, alors que tout est en mouvement.

On peut bien sûr effectuer une sorte de photographie d’une chose à un moment, mais considérer que la chose sera toujours ainsi est anti-matérialiste. Le seul moyen de justifier le principe de l’identité est d’ailleurs de faire comme Platon et de placer « au ciel » des chiffres magiques, des « idées » issues de Dieu, qui auraient « formé » la matière.

On voit aisément que la conception idéaliste du monde tente de systématiser une description purement mathématique de chaque phénomène, pour être en mesure d’agir immédiatement, avec un raisonnement de type unilatéral à court terme. C’est là sa nature pragmatique.

La conception idéaliste du monde ne voit pas le mouvement ; elle ne voit que l’identité. La Terre a pour elle un satellite, la Lune, et elle-même tourne autour du Soleil, le processus se répétant « à l’infini » de par le principe de l’identité, une chose ne changeant jamais à moins qu’un événement de cause extérieure ne se produise.

C’est cette conception idéaliste du monde qui fait que sont recherchées, de manière idéaliste, des causes « extérieures » aux problèmes (sociaux, sentimentaux, génétiques, etc.), au lieu de porter son attention sur le mouvement s’appuyant sur les contradictions internes.

La conception matérialiste dialectique du monde ne voit pas l’identité de manière absolue, mais uniquement de manière relative ; elle voit surtout le mouvement, qui est la caractéristique même de la matière. La Terre est le lien d’une transformation de la matière vivante, dans un processus toujours plus complexe, de par sa dynamique interne, inépuisable étant donné que rien n’est indivisible.

L’identité est au mieux une constatation propre à un moment défini arbitrairement, au pire une abstraction, un fétiche. Dans les faits, rien n’est identique, même pas à soi-même : tel est l’enseignement du matérialisme dialectique.

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Le matérialisme dialectique et le langage

Le langage est un dispositif d’échange d’informations entre différents être vivants disposant d’une capacité de synthèse. Le langage, au sens strict, se distingue donc du « langage » informatique qui est une diffusion de données, utilisées selon des programmes, sans capacité de synthèse.

Pour cette raison, le langage utilisé, par les humains et les animaux, est bien plus développé dans sa forme que le langage de type informatique. L’esprit de synthèse du récepteur n’est, en effet, possible que si les données elles-mêmes correspondent au façonnement d’un reflet dans l’esprit, d’une forme synthétique.

Sans cela, le langage s’assécherait, alors qu’on voit qu’il s’approfondit, se densifie, devient de plus en plus riche. La réduction des capacités oratoires et rédactionnelles au sein du Mode de Production Capitaliste actuel témoigne d’ailleurs de sa réalité contre-nature.

Cependant, il faut bien noter que cette réduction n’affaiblit pas tant le langage que les personnes l’utilisant. Pour cette raison, le matérialisme dialectique considère qu’il faut assumer la position culturellement la plus développée du langage, avant l’affaiblissement culturel individuel dû à la décadence impérialiste.

Le langage n’est pas une superstructure, propre à un mode de production ; c’est une conception petite-bourgeoise que d’appeler à une révolution des formes, un langage « libéré », des « mots en liberté », etc.

Staline, dans Le marxisme et les problèmes de linguistique, note de manière absolument juste :

« Toute base a sa propre superstructure, qui lui correspond. La base du régime féodal a sa superstructure, ses vues politiques, juridiques et autres, avec les institutions qui leur correspondent ; la base capitaliste a sa superstructure à elle, et la base socialiste la sienne.

Lorsque la base est modifiée ou liquidée, sa superstructure est, à sa suite, modifiée ou liquidée ; et lorsqu’une base nouvelle prend naissance, à sa suite prend naissance une superstructure qui lui correspond (…).

La langue à cet égard diffère radicalement de la superstructure.

La langue est engendrée non pas par telle ou telle base, vieille ou nouvelle, au sein d’une société donnée, mais par toute la marche de l’histoire de la société et de l’histoire des bases au cours des siècles. Elle est l’œuvre non pas d’une classe quelconque, mais de toute la société, de toutes les classes de la société, des efforts des générations et des générations.

Elle est créée pour les besoins non pas d’une classe quelconque, mais de toute la société, de toutes les classes de la société. C’est pour cette raison précisément qu’elle est créée en tant que langue du peuple tout entier, unique pour toute la société et commune à tous les membres de la société. »

Le langage, qui a pris la forme de langues dans chaque cadre national, est ainsi lié au mouvement même de la matière. En ce sens, il est vivant, il se développe, grandit. Il accompagne le développement de l’Humanité, étant son moyen de communication au sein de ses activités.

Il n’y a pas de langage sans activités ; le langage n’existe qu’au sein d’une Humanité agissante. Staline dresse par conséquent le constat suivant :

« La langue, au contraire, est liée directement à l’activité productrice de l’homme, et pas seulement à l’activité productrice, mais à toutes les autres activités de l’homme dans toutes les sphères de son travail, depuis la production jusqu’à la base, depuis la base jusqu’à la superstructure. C’est pourquoi la langue reflète les changements dans la production d’une façon immédiate et directe, sans attendre les changements dans la base.

C’est pourquoi la sphère d’action de la langue, qui embrasse tous les domaines de l’activité de l’homme, est beaucoup plus large et plus variée que la sphère d’action de la superstructure. Bien plus, elle est pratiquement illimitée.

Voilà la raison essentielle pour laquelle la langue, plus précisément son vocabulaire, est dans un état de changement à peu près ininterrompu. Le développement ininterrompu de l’industrie et de l’agriculture, du commerce et des transports, de la technique et de la science exige de la langue qu’elle enrichisse son vocabulaire de nouveaux mots et de nouvelles expressions nécessaires à cet essor.

Et la langue, qui reflète directement ces besoins, enrichit en effet son vocabulaire de nouveaux mots et perfectionne son système grammatical. »

La question du système grammatical est ici très importante. La question est, en effet, de savoir s’il est né uniquement de façon arbitraire, comme sous-produit des échanges, avec de multiples variantes possibles selon les situations, les possibilités d’échanger (faciles ou non, orales ou écrites, commerciales ou religieuses, etc.).

Staline a, sur ce plan, peut-être formulé de manière exacte la nature du système grammatical. Il a considéré que, dans le langage, les mots formaient l’aspect particulier et la grammaire l’aspect universel :

« Le trait distinctif de la grammaire est qu’elle fournit les règles de modification des mots, en considérant, non pas des mots concrets, mais des mots en général, vidés de tout caractère concret; elle donne les règles de la formation des propositions en considérant, non pas des propositions concrètes, par exemple un sujet concret, un prédicat concret, etc., mais d’une façon générale toutes les propositions indépendamment de la forme concrète de telle ou telle proposition.

Par conséquent, faisant abstraction du particulier et du concret, aussi bien dans les mots que dans les propositions, la grammaire prend ce qu’il y a de général à la base des modifications des mots et de la combinaison des mots au sein d’une proposition, et elle en tire les règles grammaticales, les lois grammaticales.

La grammaire est le résultat d’un travail prolongé d’abstraction de la pensée humaine, l’indice d’immenses progrès de la pensée.

A cet égard, la grammaire rappelle la géométrie qui énonce ses lois en faisant abstraction des objets concrets, en considérant ceux-ci comme des corps dépourvus de caractère concret et en définissant les rapports entre eux, non point comme des rapports concrets entre tels ou tels objets concrets, mais comme des rapports entre les corps en général, dépourvus de tout caractère concret. »

Le problème de poser les choses ainsi est que cela empêche de saisir le rapport dialectique entre le vocabulaire et la grammaire propre à une langue. De fait, les mots sont façonnés historiquement de telle manière à s’insérer de la manière la plus nette possible dans la grammaire ; il y a donc interaction de chaque aspect et non pas séparation concret / abstrait, particulier / général.

Le français, par exemple, sépare nettement chaque mot, alors que l’allemand peut en combiner certains tout en conservant également le principe de déclinaison, ce dernier étant encore généralisé en tchèque, alors qu’en finnois les prépositions sont placées à la fin de mots comme postpositions, etc.

La nécessité d’avoir une communication aisée a donné naissance à un vocabulaire adapté aux formes grammaticales, tout comme ces dernières ont pris forme en répondant à des besoins concrets, pratiques.

L’étude de l’approche concrète de chaque langue est ainsi nécessaire, afin de saisir comment l’unification mondiale du langage se développe, jusqu’à sa réalisation dans le communisme.

Il va de soi ici qu’on ne peut prendre en considération que les langues réelles, et non pas les langues fictives inventées par des intellectuels romantiques idéalisant une nation imaginaire, des traditions imaginaires, etc.

En ce sens, le constat fait par Staline est entièrement juste :

« La langue compte parmi les phénomènes sociaux qui agissent pendant toute la durée de l’existence de la société. Elle naît et se développe en même temps que naît et se développe la société. Elle meurt en même temps que la société. Pas de langue en dehors de la société.

C’est pourquoi l’on ne peut comprendre la langue et les lois de son développement que si l’on étudie la langue en relation étroite avec l’histoire de la société, avec l’histoire du peuple auquel appartient la langue étudiée et qui en est le créateur et le dépositaire.

La langue est un moyen, un instrument à l’aide duquel les hommes communiquent entre eux, échangent leurs idées et arrivent à se faire comprendre.

Directement liée à la pensée, la langue enregistre et fixe, dans les mots et les combinaisons de mots formant des propositions, les résultats du travail de la pensée, les progrès du travail de l’homme pour étendre ses connaissances, et rend ainsi possible l’échange des idées dans la société humaine. »

La langue n’obéit pas simplement au mouvement dialectique en général, elle le fait selon des modalités concrètes, restant à étudier. La formation du français moderne à l’époque du classicisme est certainement une période clef pour saisir les modalités d’approfondissement d’une langue.

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Le matérialisme dialectique et la matière vivante

La matière va au communisme : c’est le noyau idéologique véritable du matérialisme dialectique. Étant donné que la matière – qui est infinie et éternelle – se meut sans arrêt et dans la forme d’une spirale, à travers des sauts qualitatifs, elle avance de plus en plus en termes de complexité et d’organisation. Le communisme est le mouvement vers toujours plus de coordination, d’interrelation, d’interpénétration, de processus profonds de combinaisons. C’est le principe de la synthèse.

L’Humanité a joué un rôle important ici dans la transformation de la biosphère, c’est-à-dire de la Terre comme système vivant, en ce qu’elle a modifié les conditions de manière importante. Le problème est ici d’avoir une compréhension correcte du développement inégal.

Est-ce que l’Humanité est d’une nature spéciale, étant la seule partie de la matière vivante à avoir une valeur véritable ? Ou est-ce que l’humanité est la partie d’un processus général de la matière, en particulier de la matière vivante ?

Les communistes de l’Union Soviétique ont considéré que l’Humanité était l’expression d’une rupture dans le développement de la nature ; seule l’Humanité, comme meilleure expression de l’évolution, devrait être prise en compte. Ce point de vue anthropocentrique était commun à Staline, Maxime Gorki, Vladimir Vernadsky ou Ivan Mitchourine.

Une fameuse citation d’Ivan Mitchourine résume cela de la manière suivante : « Nous ne pouvons pas attendre les faveurs de la Nature. Les lui prendre – c’est notre tâche. »

Nous ne pouvons pas accepter ce point de vue, qui est l’expression seulement de l’arriération de l’Union Soviétique dans l’agriculture, avec un important secteur étant autonome du plan socialiste général – les kolkhozes – ou même indépendant, comme la petite production (qui était anecdotique mais jouait encore un rôle important dans la production de l’alimentation).

Pourquoi cela ? Parce qu’il n’y a pas de raison de séparer l’Humanité en tant que matière vivante du processus général de la matière en développement. Faire cela – ce que nous devrions qualifier d’anthropocentrique – n’est pas conforme au matérialisme dialectique.

Il est de signification historique que Staline, Maxime Gorki, Vladimir Vernadsky, Ivan Mitchourine, ont tous souligné la nécessité de voir les choses en termes de système, mais, précisément sur ce point particulier, sont allés dans le sens d’une conception d’une Humanité comme séparée, ce qui est en contradiction avec toutes leurs propres conceptions.

Mao Zedong est celui qui a compris cela. En ce sens, il n’est absolument pas en contradiction avec Staline (ou Maxime Gorki, Vladimir Vernadsky, Ivan Mitchourine). Il prolonge le matérialisme dialectique, comprenant le besoin de voir de meilleure manière comment la matière se développe elle-même.

C’est exactement pourquoi il a rejeté le concept de « négation de la négation ». Ce concept donne la fausse impression qu’il serait possible de séparer des stades d’autres stades dans un processus qui, en réalité, est d’un type qu’on doit définir comme multiforme.

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne avait, en fait, une fonction : généraliser la conception selon laquelle rien n’est indivisible, que tous les processus sont dialectiques et qu’ainsi chaque personne doit avoir un point de vue matérialiste dialectique dans chaque domaine.

Cela fut déjà formulé en URSS, mais là les domaines étaient séparés, tandis que Mao Zedong a unifié tous ces domaines dans ce que nous pouvons appeler une cosmologie, une compréhension directe de la substance de l’Univers, qui doit être pris comme un, et un seul, sans stades, domaines, etc.

Bien entendu, il est plus simple de définir des stades et des domaines, mais cela ne peut être que descriptif ; le socialisme est vraiment un stade suivant le capitalisme, mais il n’est pas négation de la négation (le capitalisme niant le féodalisme), parce que quelque chose comme un stade ancrerait le mouvement qui, en fait, ne s’arrête jamais.

C’est pourquoi nous devons considérer que la matière se développe dans un processus général, que la matière vivante est un processus dialectique qui, en tant que tel, dispose d’une dignité.

De la même manière qu’il est absurde de briser des atomes pour produire de l’énergie – alors que la Nature a utilisé le mouvement dialectique pour produire des sauts qualitatifs pour fusionner des atomes – il est absurde de détruire de la matière vivante qui consiste en le développement dialectique produit par la Nature.

Bien sûr, ce que nous appelons ici Nature est l’Univers lui-même ; il n’y a pas de différence entre la Nature et l’Univers, et c’est également la seule chose qui existe, en tant que substance unifiée, comme processus unifié de toute la matière.

C’est le véritable monisme, c’est le vrai athéisme, c’est ce qu’explique le matérialisme dialectique.

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Au sujet d’une compréhension erronée de ce que signifie «thèse antithèse synthèse»

Une compréhension erronée de la dialectique consiste à la voir comme un processus caractérisé par les étapes « thèse antithèse synthèse ». C’est une erreur que Mao Zedong a essayé d’éviter en soulignant qu’il n’existe pas une chose telle que la « négation de la négation ».

En France, une telle façon de voir la dialectique est très traditionnelle, un de ses promoteurs les plus importants étant Pierre-Joseph Proudhon, dont le « socialisme français » est une « synthèse » de la propriété privée et du socialisme conçus comme thèse et antithèse.

En fait, c’est le fascisme qui intervient en unifiant les pôles antithétiques. Le fameux document chinois sur « un devient deux »est ici très utile pour rejeter le principe « deux devient un ».

Selon « Le socialisme français », et nous devons y inclure ici l’anarchisme et le trotskysme, la « révolution » est le produit de la collision de la bourgeoisie et la classe ouvrière. Le fascisme réunit les deux, alors que l’anarchisme et le trotskysme prétendent les surmonter, dans le « socialisme démocratique », le « communisme libertaire », etc., ce qui n’est rien d’autre qu’une conception petite-bourgeoise.

En réalité, selon le matérialisme dialectique, chaque processus est une unité, une synthèse, consistant en l’unité des opposés. La bourgeoisie et la classe ouvrière ne se meuvent pas vers une « collision » : le syndicalisme révolutionnaire français est ici une caricature horrible d’une telle conception erronée.

La bourgeoisie et la classe ouvrière sont deux opposés de la même unité, du même processus, qui a été défini par le grand Karl Marx comme un mode de production.

La révolution socialiste n’est donc pas une lutte idéaliste d’un opposé contre un autre, mais l’expression matérielle de l’échec du mode de production. La classe ouvrière ne peut pas « décider » de faire la révolution – c’est une partie du mode de production, qui est uni et qui est limité dans le temps, en raison de transformations intérieures de la réalité elle-même.

Citons Mao Zedong qui est très précis ici :

« En fin de compte, le régime socialiste se substituera au régime capitaliste ; c’est une loi objective, indépendante de la volonté humaine. Quels que soient les efforts des réactionnaires pour freiner la roue de l’histoire dans son mouvement en avant, la révolution éclatera tôt ou tard et sera nécessairement victorieuse. »

« Les changements qui interviennent dans la société proviennent surtout du développement des contradictions à l’intérieur de la société, c’est-à-dire des contradictions entre les forces productives et les rapports de production, entre les classes, entre le nouveau et l’ancien. Le développement de ces contradictions fait avancer la société, amène le remplacement de la vieille société par la nouvelle. »

Dans la seconde citation, nous devons comprendre que la contradiction entre l’ancien et le nouveau, c’est la loi universelle de la matière en mouvement. Dans notre cas, la contradiction entre les forces productives et les rapports de production est l’aspect principal, la contradiction entre les classes est l’aspect secondaire, sa propre base étant l’aspect principal.

La contradiction entre les classes n’est pas « abstraite », avec des classes métaphysiques étant « thèse » et « antithèse », comme le syndicalisme révolutionnaire et de gauchisme essaient de l’expliquer.

Il y a en fait un mode de production, comme unité des contraires. Ce mode de production joue un rôle progressiste, puis se désintègre, comme nous pouvons le voir avec la « contradiction entre les forces productives et les rapports de production ».

Cette contradiction fait mûrir le rapport toujours plus antagoniste entre les classes.

C’est un enseignement tout à fait basique du matérialisme dialectique. Cela explique ici pourquoi la révolution démocratique chinoise n’a pas supprimé la bourgeoisie, étant donné que les conditions matérielles ne permettaient pas de procéder ainsi.

De la même manière, le Front populaire démocratique antifasciste propose une alliance de différentes classes non monopolistiques qu’il est absolument impossible à comprendre pour les gens voyant la lutte des classes comme un conflit entre une « thèse » et un « antithèse » qui devrait être surmontée en une « synthèse ».

En fait, avec le mode de production capitaliste, nous avons déjà une nouvelle unité (d’opposés), une synthèse, et le socialisme est une nouvelle synthèse dépassant l’ancienne. Le communisme sera également une nouvelle synthèse dépassant l’ancienne, c’est-à-dire le socialisme. Le processus sera éternel.

Mais qu’en est-il de la dictature du prolétariat, alors ? N’est-ce pas une conception appartenant à la perception de la lutte des classes comme une « collision » entre une thèse et une antithèse ?

Absolument pas. Il est erroné de considérer la dictature du prolétariat en tant qu’« antithèse » prolétarienne à la « thèse » de la dictature bourgeoise, avant la période socialiste de la « synthèse ».

Bien sûr, nous pouvons précisément voir comment l’anarchisme et le trotskysme soutiennent cette conception erronée.

La dictature du prolétariat n’est pas une négation de la négation. C’est une partie du mode de production socialiste en tant que tel. C’est un processus de réorganisation de la société, à tous les niveaux, avec le matérialisme dialectique prenant le commandement dans tous les domaines.

Il est incorrect d’imaginer que la dictature du prolétariat est une transition avant le socialisme – c’est en fait une partie du socialisme lui-même. Lénine, dans le classique qu’est L’Etat et la révolution, nous enseigne ici que:

« Cela, Engels l’a admirablement exprimé dans sa lettre à Bebel, où il disait, comme le lecteur s’en souvient : « … tant que le prolétariat a encore besoin de l’Etat, ce n’est point pour la liberté, mais pour réprimer ses adversaires. Et le jour où il devient possible de parler de liberté, l’Etat cesse d’exister comme tel. »

Démocratie pour l’immense majorité du peuple et répression par la force, c’est-à-dire exclusion de la démocratie pour les exploiteurs, les oppresseurs du peuple; telle est la modification que subit la démocratie lors de la transition du capitalisme au communisme (…).

L’expression [de l’extinction de l’État] est très heureuse, car elle exprime à la fois la gradation du processus et sa spontanéité. Seule l’habitude peut produire un tel effet et elle le traduira certainement, car nous constatons mille et mille fois autour de nous avec quelle facilité les hommes s’habituent à observer les règles nécessaires à la vie en société quand il n’y a pas d’exploitation, quand il n’y a rien qui excite l’indignation, qui suscite la protestation et la révolte, qui nécessite la répression.

Ainsi donc, en société capitaliste, nous n’avons qu’une démocratie tronquée, misérable, falsifiée, une démocratie uniquement pour les riches, pour la minorité. La dictature du prolétariat, période de transition au communisme, établira pour la première fois une démocratie pour le peuple, pour la majorité, parallèlement à la répression nécessaire d’une minorité d’exploiteurs. Seul le communisme est capable de réaliser une démocratie réellement complète; et plus elle sera complète, plus vite elle deviendra superflue et s’éteindra d’elle-même. »

La dictature du prolétariat n’est pas une antithèse, une nécessité « militaire » abstraite, mais toujours une composante du mode suivant de production : le socialisme.

Dans les années 1970, nous avons pu voir comment le guévarisme a défendu la lutte armée comme une « solution » technique, une « antithèse », alors que le maoïsme a proposé la guerre populaire, c’est-à-dire la lutte armée toujours connecté à la tâche de donner naissance à la nouvelle société, à travers des zones rouges où les rapports sociaux sont modifiés.

Le guévarisme a proposé le militarisme, le maoïsme a proposé les zones libérées militarisées – parce que pour le maoïsme, c’est-à-dire la troisième étape du matérialisme dialectique, la dictature du prolétariat n’est pas une « antithèse ».

Par conséquent, pour éviter l’erreur d’admettre une conception abstraite du type « thèse antithèse synthèse », nous devons avoir à l’esprit que la synthèse est un processus. Elle n’existe que dans la mesure où elle avance, à travers la dynamique de l’unité des opposés.

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Document : l’exclusion de Spinoza par le clergé

Voici le texte excluant Spinoza de la communauté juive à l’initiative du clergé juif d’Amsterdam, prononcé le 27 juillet 1656. Spinoza a alors 24 ans et n’a encore publié aucun ouvrage. Le texte reprend une version vénitienne de 1618 et n’a servi qu’une seule autre fois, contre les Karaïtes c’est-à-dire le courant religieux juif ne reconnaissant pas la tradition de la loi orale.

Les Messieurs du Mahamad vous font savoir qu’ayant eu connaissance depuis quelque temps des mauvaises opinions et de la conduite de Baruch de Spinoza, ils s’efforcèrent par différents moyens et promesses de le détourner de sa mauvaise voie.

Ne pouvant porter remède à cela, recevant par contre chaque jour de plus amples informations sur les horribles hérésies qu’il pratiquait et enseignait et sur les actes monstrueux qu’il commettait et ayant de cela de nombreux témoins dignes de foi qui déposèrent et témoignèrent sur tout en présence dudit Spinoza qui a été reconnu coupable : tout cela ayant été examiné en présence de Messieurs les Hahamim, les Messieurs du Mahamad décidèrent avec l’accord des rabbins que ledit Spinoza serait exclu et écarté de la Nation d’Israël à la suite du hérem que nous prononçons maintenant :

A l’aide du jugement des saints et des anges, nous excluons, chassons, maudissons et exécrons Baruch de Spinoza avec le consentement de toute la sainte communauté en présence de nos saints livres et des six cent treize commandements qui y sont enfermés.

Nous formulons ce hérem comme Josué le formula à l’encontre de Jéricho. Nous le maudissons comme Élie maudit les enfants et avec toutes les malédictions que l’on trouve dans la Loi. Qu’il soit maudit le jour, qu’il soit maudit la nuit ; qu’il soir maudit pendant son sommeil et pendant qu’il veille.

Qu’il soit maudit à son entrée et qu’il soit maudit à sa sortie.

Veuille l’Éternel ne jamais lui pardonner. Veuille l’Éternel allumer contre cet homme toute Sa colère et déverser sur lui tous les maux mentionnés dans le livre de la Loi : que son nom soit effacé dans ce monde et à tout jamais et qu’il plaise à Dieu de le séparer de toutes les tribus d’Israël en l’affligeant de toutes les malédictions que contient la Loi.

Et vous qui restez attachés à l’Éternel, votre Dieu, qu’Il vous conserve en vie.

Sachez que vous ne devez avoir avec Spinoza aucune relation ni écrite ni verbale. Qu’il ne lui soit rendu aucun service et que personne ne l’approche à moins de quatre coudées. Que personne ne demeure sous le même toit que lui et que personne ne lise aucun de ses écrits.

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Document : texte du Chéma Israël

Le Chéma Israël est le principal texte de prière dans la religion juive. Il est récité le matin et le soir et c’est lui qui est inscrit dans les mezouzah, le petit réceptable placé devant les portes.

Écoute Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est UN.

Tu aimeras l’Éternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. Que ces paroles que Je te prescris aujourd’hui soient gravées en ton cœur.

Tu les enseigneras à tes enfants, tu en parleras lorsque tu demeureras chez toi comme lorsque tu seras en chemin, à ton coucher comme à ton lever.

Tu les attacheras comme signe sur ton bras ; elles seront comme un fronteau entre tes yeux. Tu les écriras sur les linteaux de ta maison et sur tes portes (Deutéronome 6,4-9).

Si vous observez Mes commandements, ceux que Je vous ordonne aujourd’hui, d’aimer l’Éternel votre Dieu et de Le servir de tout votre cœur et de toute votre âme, J’enverrai la pluie sur votre pays en son temps, pluie précoce et pluie d’arrière-saison.

Et tu récolteras ton froment, ton moût et ton huile fraîche.

Je donnerai de l’herbe à ton champ pour ton bétail. Tu mangeras et tu seras rassasié.

Mais gardez bien votre cœur contre la séduction ; vous pourriez vous dévoyer et servir d’autres dieux, en vous prosternant devant eux. La colère de l’Éternel s’enflammerait alors contre vous. Il fermerait les vannes du ciel et il n’y aurait plus de pluie, la terre ne donnerait plus ses fruits et vous disparaîtriez bientôt de ce bon pays que l’Éternel vous a donné.

Placez Mes paroles sur votre cœur et dans votre âme, attachez-les en signe sur votre bras, et qu’elles soient comme un fronteau entre vos yeux. Enseignez-les à vos enfants, parlez-en dans vos demeures comme en chemin, à votre lever comme à votre coucher. Inscrivez-les sur les linteaux de votre maison et sur vos portes.

Cela, afin que se multiplient les jours de votre présence et de celle de vos enfants sur la terre que l’Éternel a juré de donner à vos ancêtres, aussi longtemps que le ciel sera au-dessus de la terre (Deutéronome 11,13-21).

L’Éternel S’adressa à Moïse en ces termes : parle aux enfants d’Israël. Tu leur diras de se confectionner une frange aux coins de leurs vêtements, pour toutes les générations.

Ils placeront sur la frange, un fil couleur d’azur. Ce sera pour vous une frange [distincte] et, lorsque vous la verrez, vous vous souviendrez de toutes les ordonnances de l’Éternel et vous les accomplirez.

De la sorte, vous ne vous laisserez pas égarer par les penchants ni de votre cœur ni de vos yeux, par lesquels vous vous avilissez. Mais qu’à sa vue, vous remémorant tous Mes commandements, vous les exécutiez et deveniez saints pour votre Dieu. Je suis l’Éternel votre Dieu qui vous a fait sortir du pays d’Égypte pour être votre Dieu. Oui, Je suis l’Éternel votre Dieu (Nombres 15,37-41).

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L’Éthique de Spinoza et le monisme matérialiste dialectique

De la question du pilote et du navire fait que Spinoza n’a pas été en mesure d’affirmer un matérialisme total, où la matière cherche le meilleur et où par conséquent la matière vivante est à défendre dans sa quête pour persévérer dans son être.

On a la preuve de cet échec avec la définition du bonheur donné par Spinoza, qui est exactement la même que l’averroïsme, elle-même étant la même qu’Aristote. La connaissance raisonnée, contemplant l’univers, suffirait en soi.

Spinoza dit ainsi :

« Les désirs qui suivent de notre nature de façon qu’ils se puissent connaître par elle seule sont ceux qui se rapportent à l’âme en tant qu’on la conçoit conne composée d’idées adéquates.

Pour les autres désirs, ils ne se rapportent à l’âme qu’en tant qu’elle conçoit les choses de manière inadéquate (…).

Il est donc utile avant tout dans la vie de perfectionner l’entendement ou la raison autant que nous pouvons.

Et en cela seul consiste la félicité suprême ou béatitude de l’homme, car la béatitude de l’homme n’est rien d’autre que le contentement intérieur lui-même, lequel naît de la connaissance intuitive de Dieu, et perfectionner l’entendement n’est aussi rien d’autre que connaître Dieu et les attributs de Dieu et les actions qui suivent de la nécessité de sa nature.

C’est pourquoi la fin ultime d’un homme qui est dirigé par la raison, c’est-à-dire le désir suprême par lequel il s’applique à gouverner tous les autres [désirs], est celui qui le porte à se concevoir adéquatement et à concevoir adéquatement toutes les choses pouvant être pour lui objets de connaissance claire.

Il n’y a donc point de vie conforme à la raison sans la connaissance claire et les choses sont bonnes dans la mesure seulement où elles aident l’homme à jouir de la vie de l’âme, qui se définit par la connaissance claire. »

On a ici un raisonnement qui est à la fois son propre début et sa propre fin. Ce qui fait que l’être humain a une dignité… est qu’il puisse raisonner, atteignant ainsi l’universel. Mais en même temps, sa nature tient justement à ce qu’il peut le faire. Le seule problème étant que les passions le dispersent, l’attirant vers des choses particulières, empêchant les « actions droites » et réduisant la connaissance à être mutilée.

« Mais la puissance de l’homme est extrêmement limitée et infiniment surpassée par celle des causes extérieures.

Nous n’avons donc pas un pouvoir absolu d’adapter à notre usage les choses extérieures.

Nous supporterons toutefois d’une âme égale les événements contraires à ce qu’exige la considération de notre intérêt, si nous avons conscience de nous être acquittés de notre office, savons que notre puissance n’allait pas jusqu’à nous permettre de les éviter, et avons présente cette idée que nous sommes une partie de la nature entière, dont nous suivons l’ordre.

Si nous connaissons cela clairement et distinctement, cette partie de nous qui se définit par la connaissance claire, c’est-à-dire la partie la meilleure de nous, trouvera là un plein contentement et s’efforcera de persévérer dans ce contentement.

En tant en effet que nous sommes connaissants, nous ne pouvons rien appéter que ce qui est nécessaire ni, absolument, trouver de contentement que dans le vrai ; dans la mesure donc où nous connaissons cela droitement, l’effort de la meilleure partie de nous-même s’accorde avec l’ordre de la nature entière. »

Comment Spinoza aurait-il pu résoudre le problème? En fait, il faut plonger ici dans l’approche même de Spinoza. Celui-ci n’était pas un cabaliste, puisque pour lui Dieu est intégré dans notre monde, au point d’être notre monde. Cependant, il répond forcément aux arguments cabalistes, puisque lui-même est issu du judaïsme, dont la Kabbale est une partie théologiquement incontournable pour cette religion.

Le problème se pose de la manière suivante : les kabbalistes ont tout à fait compris qu’il existait une contradiction entre la conception d’un Dieu infini et d’un monde fini. Voici comment le kabbaliste Moïse Cordovero pose le problème, dans un texte kabbaliste de première importance, le Pardes rimmonim :

« Nous poserons une question qui a embarrassé plusieurs adeptes de la Cabale, à savoir si l’Infini, le Roi des Rois, le Très Saint, béni soit-il, a ou non en son pouvoir d’émaner plus que ces Dix Sefirot [l’équivalent des sphères néo-platoniciennes ou bien des anges, c’est-à-dire des intermédiaires entre Dieu et le monde matériel], si nous pouvons nous exprimer ainsi.

La question est légitime, car dans la mesure où il est dans la nature de sa bienveillance de s’épancher en-dehors de lui, et où cela ne dépasse pas sa puissance, on peut à juste titre se demander pourquoi il n’a pas produit des centaines de millions d’émanations.

Il devrait, en effet, lui être possible de produire plusieurs fois Dix Sefirot de la même façon qu’il a produit le monde. »

On l’aura compris, Spinoza répond simplement que justement Dieu a donné naissance à plusieurs fois Dix Sefirot, qu’il consiste en réalité en une infinité de choses, sans aucune limite, ce qui est de manière logique la seule conclusion logique du fait qu’une chose infinie produise quelque chose de manière naturelle.

Les kabbalistes ont, de leur côté, apporté la seule réponse cohérente du point de vue religieux, au moins concernant le judaïsme. Dieu a les moyens de choisir, ne dépendant pas de sa propre nature, et surtout il s’est « rétracté », afin de laisser la place à un monde fini.

Ce repli de Dieu sur lui-même, comme acte de bonté d’un être infini pour permettre à des êtres finis d’exister, est la seule conclusion logique de l’existence d’un monde matériel d’un Dieu étant absolument tout… à moins de ne s’orienter sinon vers la position de Spinoza et de faire de Dieu tout simplement le Cosmos, l’Univers, la Nature.

Aucune autre proposition n’est tenable, car sinon on obtient un Dieu qui n’est pas en mesure de créer plus qu’il ne l’a fait, ce qui s’oppose à la définition de Dieu.

Il faut donc soit considérer cela comme un mystère, soit puiser dans la Kabbale l’idée d’un monde exprimant un trop-plein de bonté de l’infini au point de laisse de la place pour le fini (qui va alors refusionner avec l’infini à la fin des temps, ce qui montre à quel point cette conception est un mélange de néo-platonisme et de judaïsme).

Spinoza, de son côté, considère que le concept de Dieu implique la réalisation de celui-ci comme absolu :

« Tout ce qui est au pouvoir de Dieu est nécessairement. »

On a remarqué dans la citation du kabbaliste Cordovero que Dieu est présenté comme le Roi des Rois ; citons ici Spinoza, qui fait directement allusion à cette conception :

« On compare, en effet, très souvent, la puissance de Dieu à celle des Rois (…). Nul, en effet, ne pourra percevoir correctement ce que je veux dire s’il ne prend garde à ne pas confondre la puissance de Dieu avec la puissance humaine ou le droit des Rois. »

Il y a ici un point important et le problème de fond qui apparaît alors est que Spinoza maintient une opposition au sein de sa vision de Dieu. Ces deux concepts de Spinoza sont extrêmement connus en philosophie, existant avant lui également : ceux de nature naturante et de nature naturée.

Ces deux concepts, qui se répondent et forment deux aspects d’une même contradiction du point de vue du matérialisme dialectique, sont la conclusion logique de la conception d’un Dieu qui est tout et qui existe sous la forme de différents « modes » formant les différents aspects de la réalité matérielle.

Voici ce que dit Spinoza dans L’Éthique :

« Avant d’aller plus loin, je veux expliquer ici ou plutôt faire remarquer ce qu’il faut entendre par Nature naturante et par Nature naturée.

Car je suppose qu’on a suffisamment reconnu par ce qui précède, que par nature naturante, on doit entendre ce qui est en soi et est conçu par soi, ou bien les attributs de la substance qui expriment une essence éternelle et infinie, c’est-à-dire (par le Corollaire 1 de la Proposition 14 et le Corollaire 2 de la Proposition 16) Dieu, en tant qu’on le considère comme cause libre.

J’entends, au contraire, par nature naturée tout ce qui suit de la nécessité de la nature divine, ou de chacun des attributs de Dieu ; en d’autres termes, tous les modes des attributs de Dieu, en tant qu’on les considère comme des choses qui sont en Dieu et ne peuvent être ni être conçues sans Dieu. »

Il y a ici une opposition entre Dieu et ce qu’il produit, rendue nécessaire chez Spinoza car Dieu produit des modes et le monde consiste en la réalisation de ces modes.

Mais le matérialisme dialectique que la réalisation de ces modes consiste en les modes eux-mêmes, que l’instabilité du monde tient au mouvement, car les modes ne sont pas éternels. Là est la différence.

Spinoza ne pouvait pas résoudre le problème sans la classe ouvrière, mais il a atteint le point le plus haut du matérialisme avant la compréhension de la signification du mouvement, en tant que propriété de la matière. Spinoza était obligé de couper en deux la notion de réalité, de maintenir une approche déiste, avec Dieu comme démarreur, même si Dieu est aussi la totalité matérielle l’univers.

Cependant, il a développé la notion de psychologie propre aux individus, faisant en pratique se fusionner les deux matérialisme historiques : celui d’Aristote et celui d’Épicure.

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L’Éthique de Spinoza, le pilote et le navire

Comme on le comprend, la notion d’individu et la tentative d’explication des affections sont le problème que tente de résoudre Spinoza. Les deux dernières parties de l’Éthique ont de ce fait comme titre « De la servitude de l’homme » (avec en sous-titre « ou des forces des affections ») et « De la puissance de l’entendement » (avec en sous-titre « Ou de la liberté de l’homme »).

Spinoza tente à tout prix d’intégrer ces aspects en les soumettant à ce qu’il a formulé dans sa première partie où il définit Dieu comme la totalité, c’est-à-dire comme la Nature.

Dans son étude, le philosophe idéaliste Toni Negri, soutenu d’ailleurs par Gilles Deleuze sur ce point, tente de construire un Spinoza qui chercherait à s’émanciper de la première partie, qui chercherait la puissance de l’individu, sa spontanéité, le discours sur Dieu n’étant qu’un prétexte.

En réalité, c’est le contraire : Spinoza tente de maintenir la notion d’absolu, de totalité.

On comprend alors ici tout à fait que Spinoza termine l’épisode féodal du matérialisme, annonçant le passage à une étape supérieure. Les titres des derières deux parties montrent, en effet, de manière claire que Spinoza en reste à l’approche classiquement féodale considérant l’esprit dans son rapport au corps comme celui du pilote à son navire.

D’un côté, l’homme est esclave, car prisonnier des affections, qui sont liées au corps, mais aussi à un esprit dans sa dimension faible, dans la mesure où il s’agit de l’interaction directe avec le corps. De l’autre, l’homme est libre, car il peut réfléchir indépendamment (faisant basculer alors sa pensée individuelle dans le raisonnement universel).

Il faut ici employer le terme « homme », car Spinoza ne parvient pas non plus à s’arracher à une approche patriarcale propre au Moyen-Âge, se distinguant de celle de l’antiquité par un rapport non pas tant à la violence qu’à ce qu’on pourrait appeler un certain « esprit de décision ».

A cela s’ajoute un problème majeur pour Spinoza. Si, en effet, le monde correspond à Dieu, c’est-à-dire si le monde a une structure interne naturelle, comment expliquer que les êtres humains ne se comportent pas de manière adéquate? Comment expliquer d’ailleurs que cela soit même possible?

Comme déjà dit, c’est là toute la clef du problème de Spinoza, qui ne connaît que le principe cause-conséquence et pas la notion de mouvement.

Pourtant Spinoza devait résoudre cela s’il compte justifier qu’il a réellement apporter quelque chose de nouveau à l’averroïsme outre son insistance sur la notion d’unité de l’univers, son monisme. Il s’appuie d’ailleurs là-dessus pour se sortir de l’impasse le guettant, à savoir de se voir réduit au dilemme d’un monde organisé contenant des êtres humains désorganisés.

Spinoza affirme tout d’abord que les êtres humains sont à considérer comme des parties du monde. Or, comme seul le système dans son ensemble compte, les parties peuvent très bien se voir aller dans un sens particulier, voire négatif.

Spinoza articule ainsi sa pensée :

« Nous pâtissons en tant que nous sommes une partie de la Nature qui ne peut se concevoir par soi sans les autres parties (…). La force avec laquelle l’homme persévère dans l’existence est limitée et surpassée infiniment par la puissance des causes extérieures. »

Spinoza, ici, témoigne de sa non-compréhension de la dialectique de la matière, qui lui aurait fait comprendre l’interaction générale et absolue de la matière, à tous les niveaux, ce que Mao Zedong et le physicien japonais Sakata ont appelé « l’univers en oignon ».

Ce titan qu’est Spinoza est obligé, de son côté, en raison de ses limites historiques, de faire avec des éléments séparés, chose qu’il aurait préféré éviter puisqu’en dernier ressort seul l’ensemble compte. Il reflète ici la bourgeoisie s’affirmant avec le mode de production capitaliste et entrevoyant tout par le prisme de l’individu.

Spinoza est très clairement dans le prolongement de l’averroïsme d’un côté, de la philosophie et de la religion juives de l’autre ; il peut encore penser en termes d’unité. Après lui, ce ne sera plus possible sans s’appuyer directement sur le matérialisme dialectique.

Donc, Spinoza est obligé de s’appuyer sur les individus en tant que « parties » et il affirme que leur changement doit également à des « causes extérieures », c’est-à-dire aux chocs et divers événements se produisant dans la réalité les concernant.

On a ainsi toute une perspective psychologique : d’un côté, on tente de s’épanouir, chose naturelle, de l’autre on est confronté à des obstacles dus au monde extérieur.

Voici comment Spinoza définit le socle psychologique de chaque personne :

« Comme la raison ne demande rien qui soit contre la nature, elle demande donc que chacun s’aime lui-même, cherche l’utile propre, ce qui est réellement utile pour lui, appète tout ce qui conduit réellement l’homme à une perfection plus grande et, absolument parlant, que chacun s’efforce de conserver son être, autant qu’il est en lui. »

Le problème évident dans cette perspective est qu’on perd de vue l’être humain générique, l’universalisme de l’humanité, pour basculer dans une addition et une soustraction de choses bonnes ou mauvaises dans des cas individuels.

C’est précisément sur cette faiblesse que s’appuient certains intellectuels libéraux ou libertaires pour tenter de s’approprier Spinoza, en le transformant en partisan nietzschéen de l’individu cherchant à s’élancer individuellement autant qu’il le peut.

Spinoza avait conscience du danger et c’est pour cela qu’il a maintenu, dans le prolongement d’Aristote, l’entendement comme étant au-dessus des affections et comme permettant un accès à la totalité :

« Le bien suprême de l’âme est la connaissance de Dieu et la suprême vertu de l’âme est de connaître Dieu. »

Dans la mesure où les êtres humains raisonnent, ils basculent dans l’universel ; dans la mesure où les affections triomphent, où les passions submergent « l’âme », les êtres humains se retrouvent en conflit.

On a là d’un côté une préservation de la supériorité de la totalité, mais de l’autre la faiblesse historique, sous la forme d’une lecture individualiste, bourgeoise. Cela se voit nettement dans l’incapacité de Spinoza à généraliser, au nom d’une vision utilitaire, pragmatique, la protection de ceux qui veulent persévérer dans leur être :

« On peut voir par là que cette loi qui interdit d’immoler les bêtes est fondée plutôt sur une vaine superstition et une miséricorde de femme que sur la saine raison.

La règle de la recherche de l’utile nous enseigne bien la nécessité de nous unir aux hommes, mais non aux bêtes ou aux choses dont la nature est différente de l’humaine.

Nous avons à leur endroit le même droit qu’elles ont sur nous. Ou, plutôt, le droit de chacun étant défini par sa vertu ou sa puissance, les hommes ont droit sur les bêtes beaucoup plus que les bêtes sur les hommes.

Je ne nie cependant pas que les bêtes sentent, mais je nie qu’il soit défendu pour cette raison d’aviser à notre intérêt, d’user d’elles et de les traiter suivant qu’il nous convient le mieux, puisqu’elles ne s’accordent pas avec nous en nature et que leurs affections diffèrent en nature des affections humaines. »

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L’Éthique de Spinoza, la notion d’individu et le libre-arbitre

Portons notre attention sur la notion d’individu, au coeur du problème de Spinoza dans son questionnement sur le rapport entre universel et un particulier. En apparence, ce point est relativement faible, mais est en réalité profondément dialectique dans sa perspective ; le développement inégal est flagrant.

Spinoza parle des corps et dans la perspective de l’averroïsme et reprend la thèse d’Aristote de la cause et de la conséquence. Si un corps est en mouvement, c’est qu’un autre l’a amené à l’être.

Ce qui définit d’ailleurs un corps, c’est sa nature en repos et en mouvement. Il peut être plus grand, plus petit, cela ne change rien à sa nature si sa réalité en tant que fonction est pareil. Car Spinoza se précipite dans la brèche pour considérer les parties du corps humain comme autant de corps relativement indépendant.

Cette thèse est, bien sûr, relativement forcée, mais pas du tout toutefois si l’on parle des bactéries, que Spinoza ne connaissait pas, mais qui confirme son approche et la conclusion de son raisonnement.

Spinoza, donc, parle du corps comme composé de multiples corps ; il a même pensé à l’urine, aux excréments, aux sécrétions humaines, aux poils, aux cheveux, avec cette explication pouvant sembler énigmatique :

« Si d’un corps, c’est-à-dire d’un Individu composé de plusieurs corps, on suppose que certains corps se séparent et qu’en même temps d’autres en nombre égal et de même nature occupent leur place, l’Individu retiendra sa nature telle qu’auparavant sans aucun changement dans sa forme. »

C’est logique : lorsqu’on urine, on perd un corps composant son corps ; comme elle est remplacée, l’équilibre est maintenu.

Mais il en alors pareil des individus : certains meurent, d’autres naissent. Ce qui est interchangeable relève d’une manière globale d’exister.

A cela s’ajoute que les corps s’emboîtent les uns dans les autres. Ce qui signifie que des corps peuvent être dans des corps, ceux-ci eux-mêmes étant dans d’autres, etc.

Comme Dieu est tout, qu’il est donc alors tous les modes d’existence, il est le corps absolu contenant tous les corps. Ces corps peuvent changer – Paul peut remplacer Pierre – mais leur nature, en tant que « mode » de Dieu, sera la même.

De ce fait, on a des corps dans des corps qui sont dans des corps.

« Et continuant ainsi à l’infini, nous concevrons que la Nature entière est un seul Individu dont les parties, c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de manières, sans aucun changement de l’individu total. »

Spinoza revient tout de fois à la question du corps humain, car tout cela vise en fait à définir l’âme comme un simple reflet du corps. Il dit ainsi :

« Le corps humain est composé d’un très grand nombre d’individus (de diverse nature) dont chacun est très composé.

Des individus dont le corps humain est composé, certains sont fluides, certains mous, certains enfin sont durs. »

Or, ces corps peuvent être affectés, et la question est alors de savoir à quel niveau ces affections vont jouer. Évidemment, Spinoza va dire que l’âme enregistre ces affections, sous la forme d’images, associées à une capacité imaginative (relatives à des images connues).

D’ailleurs, nous ne connaissons pas tout ce qui se passe dans le corps, nous le savons uniquement par les affections de celui-ci, quand il y a du plaisir ou de la douleur, de la chaleur ou du froid, etc.

Cela est même la base de la pensée, puisque ces affections pensées forment la base de la pensée se connaissant elle-même. C’est une inversion du « je pense, donc je suis » : c’est l’existence matérielle qui forme la base où peut exister la pensée.

La conclusion est alors logique :

« Il n’y a dans l’âme aucune volonté absolue ou libre ; mais l’âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause qui est aussi déterminée par une autre, et cette autre l’est à son tour par une autre, et ainsi à l’infini. »

Ce qui revient à dire que les individus connaissant des affections réagissent en fonction de celles-ci, qui elles-mêmes sont des réactions à d’autres choses, qui elles-mêmes sont des réactions à autre chose, etc. Il n’y a pas de libre-arbitre et tout est un jeu de cause-conséquence.

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