Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Ibrahim Kaypakkaya et la « Révolution nationale démocratique »

    Si Ibrahim Kaypakkaya, Mahir Çayan que Deniz Gezmiş ont la même origine contextuelle, leurs positions étaient toutefois extrêmement différentes. Concrètement, tous les courants issus de la gauche née en 1968 en Turquie se sont placés dans la perspective de la « Révolution nationale démocratique », sauf Ibrahim Kaypakkaya et le TKP/ML.

    Ce sont THKP/C de Mahir Çayan et la THKO de Deniz Gezmiş qui ont ici formulé les conceptions les plus développées de la « Révolution nationale démocratique ».

    Ibrahim Kaypakkaya, Mahir Çayan, Deniz Gezmiş

    Mahir Çayan considérait la Turquie comme victime du néo-colonialisme. L’ancien colonialisme avait été abandonné et l’impérialisme maintenait la Turquie sous son joug. Le régime parvenait à se maintenir au moyen d’un équilibre artificiel entre l’oligarchie au service de l’impérialisme et les larges masses.

    Cela permettait d’acheter une forme de paix sociale, de réaliser une modernisation relative du pays et de disposer d’un agrandissement du marché national. Une clef pour cela était une sorte d’alliance entre la bourgeoisie nationale réformiste et la bourgeoisie vendue à l’impérialisme.

    Mahir Çayan explique les choses ainsi :

    « Parce que le capitalisme monopoliste ne s’est pas développé dans notre pays par sa propre dynamique interne et aussi parce que la bourgeoisie monopoliste autochtone est née dans la fusion avec l’impérialisme, notre but stratégique est la révolution anti-impérialiste et anti-oligarchique.

    (Le concept de révolution anti-impérialiste et anti-oligarchique ne se distingue guère de la Révolution Nationale Démocratique dans les termes. Mais elle détermine un contenu essentiellement plus profond et une qualité différente. Parce que cette notion désigne la forme d’occupation impérialiste de la troisième crise impérialiste, elle est donc plus adéquate. La notion de Révolution Nationale Démocratique caractérise généralement la période durant laquelle les anciennes méthodes d’exploitation impérialiste s’exerçaient.)

    Avant la seconde guerre de partage [la seconde guerre mondiale], le féodalisme était représenté par la classe dominante des pays arriérés abandonnés par les partenaires de l’alliance impérialiste, comme conséquence aux méthodes d’exploitation modernes.

    (La bourgeoisie moderne n’est rien d’autre que le prolongement de l’impérialisme.)

    Comme on l’a déjà montré dans la deuxième partie, le contrôle et la présence pratique de l’impérialisme était généralement confiné aux territoires maritimes, aux ports, aux endroits stratégiques et aux centres de communication principaux.

    L’autorité centrale était très faible, les trois quarts du pays et de la population étaient sous le contrôle de petites villes féodales rivales entre elles.

    Le capitalisme n’étant pas prédominant, l’urbanisation, les transports et les communications n’étaient pas très développés.

    L’impérialisme était pour le pays un symptôme externe et le processus social était féodal.

    C’est pourquoi la contradiction principale s’établissait entre les régions féodales faibles, qui contrôlaient les trois-quarts du pays et de la population, et les paysans qui vivaient une situation de semi-servage (…).

    Cependant, dans la troisième période de crise impérialiste, le processus social n’est pas féodal dans des pays comme le nôtre.

    Et l’impérialisme n’est plus un symptôme externe. Le fait que les rapports de production impérialistes aient imprégné totalement le pays a amené en même temps l’impérialisme à devenir interne.

    Les autorités régionales faibles ont fait place à l’État oligarchique en même temps qu’à l’impérialisme.

    Aussi l’impérialisme mène-t-il, dans ces pays, toutes sortes d’interventions, quand il le juge nécessaire, depuis la succession au pouvoir des diverses fractions de l’oligarchie jusqu’à la direction de la politique de répression exercée contre le peuple, à l’aide d’organisations comme la CIA, le FBI et d’autres.

    De plus, dans cette époque de force de frappe nucléaire, le contrôle impérialiste sur ces pays n’est plus seulement économique mais aussi politique et militaire.

    Par exemple, en Turquie (qui fait partie de l’OTAN), l’impérialisme américain a créé une véritable hégémonie, du contrôle de la direction du diktat oligarchique jusqu’à l’économie du pays (la mentalité de l’occupation masquée).

    C’est pourquoi il est pratiquement impossible de séparer par une ligne stricte les classes dominantes de notre pays et l’impérialisme américain.

    Dans notre pays la contradiction principale se situe entre l’oligarchie et le peuple (dans la pratique la contradiction se place entre les avant-gardes révolutionnaires du peuple et l’oligarchie).

    Comme l’impérialisme prend directement place au sein de l’oligarchie, la guerre révolutionnaire ne sera pas uniquement menée à un niveau de classe.

    La guerre va se dérouler au niveau national et au niveau de classe. »

    En ce sens, Mahir Çayan accorde une valeur positive à Mustapha Kemal et à la fondation de l’État turc après la première guerre mondiale. Pour lui, il s’agit d’un épisode de libération nationale dirigée par l’aile la plus à gauche de la petite-bourgeoisie ; à ses yeux, il faut prolonger le kémalisme originel.

    Par conséquent également, la voie révolutionnaire – il parle de « révolution ininterrompue » – vise à agrandir au maximum la séparation entre l’oligarchie et le reste du pays. Pour ce faire, il prône une propagande armée combinant villes et campagnes, dénommée « stratégie militaire politisée de combat » (PASS).

    La guérilla urbaine est le point de départ, car elle permet la propagande armée ; vient ensuite la guérilla rurale, permettant les démonstrations de force. Pour ces deux phrases, la dimension propagandiste, symbolique, joue le rôle principal.

    Au fur et à mesure se produit alors selon Mahir Çayan une accumulation de forces et le renversement du régime. Tout ce processus a une portée à la fois patriotique et révolutionnaire, d’où le caractère de l’organisation comme Parti se combinant directement à un Front.

    Deniz Gezmiş considérait pareillement que Mustapha Kemal avait accordé l’indépendance à la Turquie, mais qu’elle avait perdue sous l’effet du néo-colonialisme. Il mettait toutefois de côté la question du Parti, tout comme l’idée d’une propagande armée, pour considérer qu’il fallait simplement lever une armée populaire contre l’impérialisme, en se fondant sur les campagnes, où les grands propriétaires terriens étaient vus comme une anomalie issue de la situation d’oppression nationale.

    On lit dans le programme politique de la THKO, de l’armée populaire de libération de la Turquie :

    « 1. Mettre fin à la politique d’exploitation et d’oppression, économique, politique, militaire et culturelle de l’impérialisme nord-américain et de ses laquais.

    2. Continuer la lutte armée qui adopte la politique de violence, le niveau le plus élevé des méthodes de lutte politique, comme méthode fondamentale de lutte politique dans notre Turquie qui possède une économie capitaliste semi-dépendante et sous-développée sous l’hégémonie de l’impérialisme (…).

    Le THKO appelle toutes les classes et les couches patriotiques, opprimées et exploitées, à la lutte anti-impérialiste. Notre devoir le plus sacré est de lutter contre les États-Unis et la poignée de traîtres à leurs ordres qui sucent ensemble notre sang. »

    Ibrahim Kaypakkaya avait ici un point de vue entièrement différent, rejetant formellement Mustapha Kemal et accordant la primauté à l’idéologie. Surtout, il considérait que la question féodale était la clef de voûte de la contre-révolution. Il ne s’agissait pas de mener une « Révolution nationale démocratique », mais une révolution démocratique.

    La question nationale, principale pour les courants guévaristes, était secondaire pour Ibrahim Kaypakkaya, dans la mesure où c’est le maintien d’une forme de féodalisme qui permettait la domination impérialiste, et non l’inverse.

    =>Retour au dossier sur Ibrahim Kaypakkaya et le TKP/ML

  • Ibrahim Kaypakkaya et l’arrière-plan contestataire en Turquie

    Ibrahim Kaypakkaya avait rejoint en 1967 la Fikir Kulüpleri Federasyonu (Fédération des clubs d’idées), qui était depuis sa fondation en novembre 1965 le paravent de la jeunesse contestataire se plaçant en phase avec les événements révolutionnaires mondiaux, avec par ailleurs une influence significative du mai 1968 français.

    Le dirigeant de cette fédération était Doğu Perinçek, né en 1942 et le chef de file des étudiants se tournant vers Mao Zedong. La Fédération des clubs d’idées était toutefois un mouvement protéiforme, faisant se rejoindre l’ensemble des jeunes révolutionnaires de Turquie.

    On ne peut pas comprendre la démarche d’Ibrahim Kaypakkaya sans comprendre en quoi elle est justement une rupture avec l’ensemble de ce mouvement.

    Ibrahim Kaypakkaya

    On trouve à l’arrière-plan de tout cela deux figures importantes, la seconde jouant alors un rôle central historiquement.

    On a en effet Hikmet Kıvılcımlı ; né en 1902, il avait fait partie du comité central du Parti Communiste de Turquie et apportait à la fois une continuité et une légitimité (mort en 1971, il aura au total passé plus de 22 ans en prison en Turquie).

    On avait également Mihri Belli, né en 1915 et lui aussi un ancien membre du comité central du Parti Communiste de Turquie. Il avait également rejoint pour toute une période la guérilla en Grèce après 1945, où il fut commandant de bataillon, étant même blessé par deux fois.

    Mihri Belli

    Ces deux figures, qui étaient partie prenante du milieu des jeunes étudiants révolutionnaires, avaient rompu avec le Parti Communiste de Turquie afin de promouvoir une ligne dite celle de la « Révolution nationale démocratique ».

    Mihri Belli, le principal théoricien ici, justifiait la nécessité de la « Révolution nationale démocratique » par le fait que la Turquie n’était pas mûre pour le socialisme et que le kémalisme n’avait pas fini de réaliser le passage à l’indépendance réelle.

    Cela heurtait de plein front la dynamique en cours au sein du Parti Communiste de Turquie, qui cherchait à intégrer en douceur le paysage politique turc.

    En fait, il avait été interdit en 1946 et connaissait une sévère répression, il s’organisait très difficilement alors que depuis le départ sa base connaissait troubles et scission ; le révisionnisme du social-impérialisme soviétique s’imposa de ce fait assez aisément de par la complexité non gérée de la situation.

    Le Parti Communiste de Turquie bascula ainsi ouvertement dans une ligne humaniste-réformiste en utilisant comme vecteur le Türkiye İşçi Partisi, le Parti des Travailleurs de Turquie (TIP). Les tenants de la « Révolution nationale démocratique » virent leur ligne battue en 1965 et furent eux-mêmes expulsés en 1966.

    Ils formèrent alors en novembre 1967 la revue Türk Solu (Gauche turque), qui propagea les principes de la « Révolution nationale démocratique ». Parallèlement à cela, la Fédération des clubs d’idées devint le centre névralgique de tous ceux attirés par les principes révolutionnaires dans la perspective d’une « Révolution nationale démocratique ».

    Un organe de presse joua ici le rôle principal : Aydınlık (clarté, lumières, lumineux, etc.). Cette revue avait été fondée en novembre 1968 comme porte-voix de la contestation étudiante et on y trouvait alors toutes les nuances et variétés de l’époque, avec d’un côté les deux figures du courant de la « Révolution nationale démocratique » au sein du Parti Communiste de Turquie, Mihri Belli et Hikmet Kıvılcımlı, et de l’autre des jeunes activistes aux approches aussi différentes que Doğu Perinçek, Vahap Erdoğdu, Ibrahim Kaypakkaya, Mahir Çayan, Deniz Gezmiş.

    Car, si tout le monde était d’accord sur le principe d’une « Révolution nationale démocratique », il existait des variétés très grandes dans la stratégie proposée.

    On avait en effet des tenants de Mao Zedong dans une lecture tiers-mondiste, des tenants de Mao Zedong avec une lecture tendant au maoïsme, des partisans de l’approche de Guevara en mode urbain ou paysan, des partisans d’un coup d’État militaire par les jeunes officiers (dont certains appartenaient au mouvement).

    Maintenir ensemble des gens avec une approche si différente n’était pas possible, et ce d’autant plus qu’en mai 1969 Türkiye İhtilâlci İşçi Köylü Partisi (Parti Révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans de Turquie), rassemblant les tenants de Mao Zedong. Son dirigeant était Doğu Perinçek, le dirigeant de la Fédération des clubs d’idées.

    Les membres du Comité Central furent Doğu Perinçek, Vecdi Özgüner, Hasan Yalçın, Ömer Özerturgut, Gün Zileli, Mehmet Altun et Oral Çalışlar, avec comme suppléants Bora Gözen, Ferit Ilsever, Halil Berktay et Ibrahim Kaypakkaya (qui seul assumera ensuite la ligne rouge, les autres assumant le nationalisme ou émigrant).

    Cette initiative fut réfutée par les autres courants, ce qui amena un double effondrement.

    En octobre 1969 eut ainsi lieu une scission majeure au sein de la fédération des clubs d’idées donnant naissance à la Türkiye Devrimci Gençlik Federasyonu (Fédération de la Jeunesse Révolutionnaire de Turquie), plus communément connue sous le nom de Dev-Genç (Devrimci Gençlik, Jeunesse Révolutionnaire).

    Dev-Genç eut un succès important, ses dirigeants étaient Münir Ramazan Aktolga et Mahir Çayan, qui dans la foulée fondèrent le mouvement armé nommé Türkiye Halk Kurtuluş Partisi-Cephesi (Parti – Front populaire de libération-Front de Turquie – THKP-C).

    Puis, une scission se produisit au niveau d’Aydınlık, en avril 1970, avec la formation de deux organes :

    Proleter Devrimci Aydınlık (Aydınlık prolétaire – révolutionnaire) rassemblant au sens large les partisans de Mao Zedong ;

    Aydınlık Sosyalist Dergi (revue socialiste Aydınlık), avec notamment Mihri Belli, Mahir Çayan et Deniz Gezmiş.

    Deniz Gezmiş fondera également dans la foulée une organisation armée, la Türkiye Halk Kurtuluş Ordusu (Armée populaire de libération de Turquie – THKO).

    C’est dans ce contexte que, de son côté, Ibrahim Kaypakkaya considérera que la direction du TIIKP était opportuniste, d’où la fondation du TKP/ML.

    Ainsi, au tout début des années 1970, la jeunesse étudiante contestataire donna naissance à trois mouvements majeurs dans le contexte : le THKP-C, la THKP, le TKP/ML, alors qu’eut lieu un coup d’État en Turquie en mars 1971.

    Tant Ibrahim Kaypakkaya, Mahir Çayan que Deniz Gezmiş, les trois icônes révolutionnaires en Turquie, avaient bataillé contre la visite de la 6e flotte américaine en Turquie.

    Tous trois avaient fondé une organisation révolutionnaire, et tous trois tombèrent en martyr : Mahir Çayan (né en 1946) le 30 mars 1972, Deniz Gezmiş (né en 1947) le 6 mai 1972, Ibrahim Kaypakkaya (né en 1949) le 18 mai 1972.

    =>Retour au dossier sur Ibrahim Kaypakkaya et le TKP/ML

  • Ibrahim Kaypakkaya et le mouvement révolutionnaire en Turquie

    Ibrahim Kaypakkaya est la principale figure du communisme en Turquie au début des années 1970.

    Né en 1949 – à une date inconnue – il est mort très jeune, le 18 mai 1973, sous la torture alors qu’il était le dirigeant du Türkiye Komünist Partisi/Marksist-Leninist (TKP/ML, Parti Communiste de Turquie / Marxiste-Léniniste) qui avait généré une organisation armée, la Türkiye İşci ve Köylü Kurtuluş Ordusu (TIKKO, Armée Ouvrière et Paysanne de Libération de la Turquie).

    Ibrahim Kaypakkaya ne révéla rien des structures du TKP/ML et de la TIKKO après son arrestation, malgré soixante jours de torture.

    Ibrahim Kaypakkaya

    Issu d’une famille de paysans pauvres de religion alévie – une variante musulmane chiite libérale-sociale – du village de Gökçam, au centre de la Turquie, il réussit l’examen d’entrée de l’institut de formation des maîtres d’école du quartier de Çapa à Istanbul, puis s’inscrivit dans cette ville à l’université de physique en 1965, dont il fut exclu en novembre 1968 pour l’organisation d’une protestation contre la visite de la 6e flotte américaine en Turquie.

    Il était devenu en mars de la même année le dirigeant la fédération des clubs d’idées de son université, qu’il avait rejoint en 1967 ; il rejoignit alors les rangs du Türkiye İhtilâlci İşçi Köylü Partisi (TIIKP, Parti Révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans de Turquie) qui formait une composante d’orientation « pro-chinoise » de ce mouvement.

    Cependant, le TIIKP ne parvenait pas à s’arracher à la tendance dominante dans le mouvement étudiant, qui était de considérer que, somme toute, la Turquie avait connu une réelle indépendance dans le prolongement de l’effondrement de l’empire ottoman, et que les problèmes réels ne surgissent qu’après 1945, avec la domination américaine.

    Le mouvement étudiant contestataire qui émergeait de manière massive dans les années 1960 se donnait ainsi comme tâche la « Révolution nationale démocratique » : il fallait finir le travail commencé par Mustafa Kemal lorsqu’il « instaura » la République de Turquie en 1920.

    Tel n’était pas le point de vue d’Ibrahim Kaypakkaya, qui considérait que le kémalisme des années 1920 ne correspondait pas à un mouvement d’officiers et d’intellectuels, mais exprimait la prise de contrôle du pays par des couches sociales relevant de la bourgeoisie commerçante vendue à l’impérialisme et des grands propriétaires terriens.

    Ibrahim Kaypakkaya

    Considérant, avec justesse, que la direction du TIIKP convergeant avec la ligne de la « Révolution nationale démocratique », Ibrahim Kaypakkaya forma une ligne rouge en son sein, qui donna naissance au Türkiye Komünist Partisi/Marksist-Leninist (Parti Communiste de Turquie / Marxiste-Léniniste) au début de l’année 1972.

    Ibrahim Kaypakkaya en écrivit les documents fondamentaux : la Critique générale – origine et développement des différences entre le révisionnisme de la Şafak et nous (75 pages au format A4 environ), la Critique du projet de programme du TIIKP (31 pages au format A4 environ), La question nationale en Turquie (32 pages au format A4 environ), Vues sur le kémalisme (33 pages au format A4 environ).

    Il faut également mentionner deux autres documents précédant ceux-là : Apprenons correctement l’enseignement du président Mao Zedong quant à l’édification du pouvoir rouge, et les Décisions du DABK, c’est-à-dire de la fraction rouge au sein du TIIKP.

    On retrouve l’état d’esprit, et la ligne en tant que telle d’ailleurs, de Charu Mazumdar avec le Parti Communiste d’Inde (Marxiste-Léniniste) ; on y trouve la même analyse d’un pays bloqué par le féodalisme formant un verrou anti-démocratique et anti-populaire, on y trouve la même perspective de révolution agraire par la lutte armée comme solution.

    On a naturellement également la considération que l’ouverture d’un tel front dans son pays correspond à la situation révolutionnaire mondiale, avec laquelle il faut être en adéquation, ou plus exactement en conjonction.

    =>Retour au dossier sur Ibrahim Kaypakkaya et le TKP/ML

  • Programme de la THKO (1972)

    PROGRAMME POLITIQUE DE L’ARMEE POPULAIRE DE LIBERATION DE LA TURQUIE

    1972

    1. Mettre fin à la politique d’exploitation et d’oppression, économique, politique, militaire et culturelle de l’impérialisme nord­américain et de ses laquais.

    2. Continuer la lutte armée qui adopte la politique de violence, le niveau le plus élevé des méthodes de lutte politique, comme méthode fondamentale de lutte politique dans notre Turquie qui possède une économie capitaliste semi­dépendante et sous­développée sous l’hégémonie de l’impérialisme.

    3. Confisquer les biens et les capitaux aux mains des impérialistes et des traîtres pour accroître les fonds du mouvement d’indépendance et employer une partie de l’argent à secourir les pauvres, et abolir l’exploitation des impérialistes et de leurs laquais, pour fortifier l’économie du pouvoir populaire.

    4. Chasser les impérialistes nord­américains et toutes les autres puissances impérialistes de notre pays ; éliminer les traîtres ; construire une Turquie sans ennemis, indépendante, démocratique, heureuse et libre pour établir un véritable pouvoir populaire.

    5. Confisquer toutes les terres qui ont été arrachées à notre peuple par les propriétaires fonciers et répartir ces terres aux paysans pauvres gratuitement ; protéger la propriété des paysans sur la base de « La terre à ceux qui la travaillent » ; abolir la spéculation et l’usure et donner aux paysans toute l’aide nécessaire pour augmenter la production.

    6. Mettre fin à toute oppression (politique d’assimilation, etc.) des peuples ; lutter contre l’ennemi commun sur la base de la fraternité des peuples en adhérant au principe du droit des nations à l’autodétermination.

    7. Appliquer la journée de travail de huit heures et le paiement des congés dans toutes les branches ; améliorer les conditions de travail ; augmenter les salaires ; promulguer une législation du travail qui reconnaisse le travail comme la valeur la plus sacrée ; mettre un terme au chômage.

    8. Résoudre le problème populaire du logement pourassurer des conditions de vie humaines ; prendre toutes les mesures nécessaires pour la santé du peuple ; les soins médicaux, l’hôpital et les médicaments seront gratuits.

    9. Garantir l’égalité des personnes sans distinction de nationalité, de sexe, de langue de religion et de secte, améliorer, le traitement social des femmes et respecter leur personne.

    10. Annuler toutes les dettes de notre peuple envers l’impérialisme et ses laquais, abolir tous les impôts qui pèsent sur le peuple travailleur ; en finir avec tous les monopoles exploiteurs ; améliorer les conditions de vie du peuple ; développer de façon uniforme une industrie, une agriculture et un commerce nationaux.

    11. Abolir le système d’éducation basé sur la politique d’exploitation ; appliquer un système d’éducation pour le peuple et assurer la possibilité d’une éducation gratuite à tous les niveaux.

    12. Respecter la liberté de presse, de publication, de réunion, d’association et tous les autres droits et libertés démocratiques, s’opposer au gouvernement terroriste maintenu par les puissances fascistes et à la fomentation des idées réactionnaires ; proclamer une amnistie générale dans tout le pays

    13.  Former une étroite alliance avec les peuples et les Etats qui adoptent une position égale à celle du peuple de Turquie ; maintenir des relations d’amitié avec les Etats qui manifestent leur bienveillance ou qui adoptent la neutralité à l’égard de notre Mouvement de Libération Nationale.

    14.  Abolir les traités inégaux que les gouvernements fantoches ont signé avec les Etats­ Unis et avec d’autres pays.

    15.  N’entrer dans aucune alliance militaire ; interdire les troupes ou les bases militaires étrangères sur le territoire turc.
     
    Le THKO appelle toutes les classes et les couches patriotiques, opprimées et exploitées, à la lutte anti­impérialiste. Notre devoir le plus sacré est de lutter contre les Etats-­Unis et la poignée de traîtres à leurs ordres qui sucent ensemble notre sang.

    Notre avenir à tous est précaire, nous vivons la faim au ventre, misérables, sans médecins, sans médicaments, sans écoles et sans routes.

    Tant que ce système de pillage se maintiendra, nous mourrons de faim, nous connaîtrons le chômage, nous ne serons pasconsidérés comme des hommes, nous souffrirons intensément du haut coût de la vie, de la hausse des prix et nous serons traités en esclaves.

    Permettez­nous de lutter sans peur contre les traîtres . C’est une dette d’honneur de lutter pour la libération de la patrie. 

    Le THKO s’engage à être toujours digne de la confiance du peule de Turquie et des peuples du monde. Le peuple de Turquie triomphera sûrement. Les agresseurs américains et leurs laquais seront sûrement battus.

    Le THKO accomplira sûrement ce programme.
    Le sang de nos martyrs est le flambeau de notre lutte.

  • Le matérialisme dialectique et la transformation de l’ancien en nouveau phénomène

    [Oeuvres choisies de Mao Zedong] « Porter bien haut la grande bannière rouge de la Pensée Mao Zedong pour mener jusqu’au bout la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne ! » « La révolution n’est pas un crime, on a raison de se révolter » « Viser ardemment la ligne réactionnaire bourgeoise et la poignée de partisans de la voie capitaliste en place dans le Parti ! »

    Lorsqu’on mange une banane, on enlève la peau qui fait obstacle : c’est la qualité, et on mange la banane elle-même formant une certaine quantité.

    Quand on a fini de manger la banane, que la quantité s’est transformée en qualité (de par le fait que l’aliment a été consommé et s’est transformé en apport pour le corps), la peau de banane avec laquelle on se retrouve en trop forme une qualité : c’est quelque chose dont on doit se débarrasser. Quand on s’en débarrasse, cela devient un déchet en plus, et donc une quantité.

    Cet exemple aurait pu se concevoir comme suit : la peau de banane est la négation de la banane à consommer, le fait de l’enlever est la négation de la négation. Le fait de manger la banane est également une négation et le fait de jeter la peau de banane, une négation de la négation.

    On sait toutefois que Mao Zedong rejetait la négation de la négation. Que cela signifie-t-il dans la considération à faire de la peau de banane restante ?

    Mao Zedong nous dit dans De la contradiction la chose suivante :

    « Nous parlons souvent du ‘‘remplacement de l’ancien par le nouveau’’. Telle est la loi générale et imprescriptible de l’univers.

    La transformation d’un phénomène en un autre par des bonds dont les formes varient selon le caractère du phénomène lui-même et les conditions dans lesquelles il se trouve, tel est le processus de remplacement de l’ancien par le nouveau.

    Dans tout phénomène, il existe une contradiction entre le nouveau et l’ancien, ce qui engendre une série de luttes au cours sinueux.

    Il résulte de ces luttes que le nouveau grandit et s’élève au rôle dominant ; l’ancien, par contre, décroît et finit par dépérir.

    Et dès que le nouveau l’emporte sur l’ancien, l’ancien phénomène se transforme qualitativement en un nouveau phénomène.

    Il ressort de là que la qualité d’une chose ou d’un phénomène est surtout déterminée par l’aspect principal de la contradiction, lequel occupe la position dominante.

    Lorsque l’aspect principal de la contradiction, l’aspect dont la position est dominante, change, la qualité du phénomène subit un changement correspondant. »

    On a ainsi 1 qui devient 2, avec l’aspect nouveau se développant, l’aspect ancien… non pas disparaissant, mais se transformant en quelque chose d’autre. C’est là un aspect essentiel, sans quoi on est amené à considérer que la matière « disparaît ».

    Si on raisonne en termes de négation de la négation, on a tendance à ne pas assez considérer que l’ancien devient un nouveau phénomène, de par une transformation qualitative. Si on dit par exemple de la naissance qu’elle est négation de l’existence comme fœtus, et que la mort est la négation de la négation, on entrevoit le phénomène de l’existence de la personne comme « terminée ».

    De la même manière, avec l’exemple de la banane, lorsqu’on dit que la peau de banane est la négation de la banane à consommer, et le fait de l’enlever est la négation de la négation, ou bien lorsqu’on dit que le fait de manger la banane est une négation et le fait de jeter la peau de banane, une négation de la négation, on se résume au phénomène de consommer la banane, et on perd de vue les liaisons avec le reste des phénomènes.

    Alors que si on pose le phénomène en cernant la qualité et la quantité, on voit que l’ancien devient une qualité, qu’il connaît par là une existence nouvelle comme phénomène avec une portée nouvelle.

    Si l’on préfère, on peut dire basiquement que la question des déchets ou de la production de CO2 dans l’atmosphère est bien plus facile à cerner si on considère que l’ancien devient « autre chose », que si on en reste à la négation de la négation cernant uniquement l’aspect principal du phénomène ayant donné le nouveau (la récupération l’objet utile qu’on a déballé du paquet qu’on jette, un déplacement au moyen d’un véhicule produisant du CO2, etc.).

    Autrement dit, si avec Mao Zedong on admet le principe qu’il existe un aspect principal et des aspects secondaires – c’est là un apport de sa part au matérialisme dialectique – alors immanquablement on doit se focaliser sur les liaisons et ne pas considérer un phénomène comme « fermé » – ce que fait la négation de la négation.

    >>Revenir au sommaire des articles sur le matérialisme dialectique

  • Le matérialisme dialectique et l’équivalence dans la division

    Vive la grande union fraternelle
    des peuples de l’URSS !

    Les mathématiques posent le principe de la division comme un moyen de trouver aisément une équivalence. Prenons par exemple :

    Les mathématiques disent qu’il est d’abord possible de rassembler les numérateurs de la partie droite puisqu’ils ont le même dénominateur. Cela donne :

    Puis, les mathématiques disent que puisque de toutes façons le dénominateur est le même, alors on peut s’en passer.

    Il n’y a ici rien d’étonnant, rien de choquant. Pourtant, il y a ici toute une série de raccourcis qui posent un véritable problème théorique.

    En effet, au sens strict, dire que :

    parce que :

    cela implique logiquement de dire que :

    Or, le souci est que :

    Ce qui ramène alors au fait erroné mathématiquement parlant comme quoi :

    Le nœud du problème est que lorsqu’on pose :

    on doit plus précisément entendre :

    Cela ne change cependant rien à l’affaire ou, plus exactement, cette affaire est dialectique. Il y a ici un phénomène dialectique qui n’est pas apparent.

    Il faut en effet bien que 6 = 6, puisque c’est une question d’identité. 6 n’est en même temps pas seulement 6, car il peut devenir 3. Il est dialectiquement 6 et non 6. En ce sens, on a bien 6 = 3 puisque sinon 6 ne pourrait jamais devenir 3. Et il le devient par la division par 2, qu’on peut utiliser ou non.

    Karl Marx aurait ici parlé de négation de la négation. En additionnant, à droite de l’opération initiale, les numérateurs 1, 3 et 2, on procède à une négation des numérateurs. Et en supprimant ensuite le dénominateur 2 des deux côtés, on procède à la négation de la négation, car la division par 2 est devenue la négation fondamentale découlant de l’addition des numérateurs !

    Voici ce que cela donne schématiquement.

    On a l’opération initiale.

    On additionne les numérateurs à droite : on les nie en les rassemblant. Cela donne :

    On procède alors à la négation de la négation. Mais la négation n’est plus dans les numérateurs désormais, elle est dans le dénominateur. La négation s’est retournée en son contraire ! C’est donc la division qui est la négation, qu’il s’agit de supprimer. Ce qui donne :

    Mais comme Mao Zedong a raison, il faut considérer que la négation de la négation existe bien, mais n’est pas une proposition absolue car tout est relié à tout, et on s’aperçoit de l’importance du fait que dans le processus de négation de la négation, on ait :

    Cela ramène en effet à :

    C’est là qu’on comprend l’apport de Mao Zedong, puisque si on suit uniquement la négation de la négation on obtient une identité unilatérale, 6 = 6, alors que si on voit la dialectique à tous les niveaux, on constate qu’il y a 6 = 3 qui découle du processus.

    C’est là une limite à la forme mathématique, car mathématiquement 6 n’est pas égal à 3, mais 6 peut pourtant bien se ramener à 3 dans un processus de transformation. La négation de la négation ne se pose pas de manière découplée du reste, elle relève d’une vague (forcément infinie et éternelle de par ses liaisons dialectiques infinies).

    L’équivalence utilisée dans la division, avec la question du dénominateur qu’on peut mettre de côté ou non, est vue comme un raccourci mathématique pratique ; elle reflète en réalité une réalité dialectique, celle d’une avancée vers un résultat impliquant une remise en cause de l’identité du nombre – 6 devenant ici 3 – comme témoignage du mouvement inexorable de chaque chose dans ses liaisons inépuisables au niveau de l’univers.

    >>Revenir au sommaire des articles sur le matérialisme dialectique

  • Le matérialisme dialectique et la dialectique du particulier dans son rapport à l’infini à l’exemple de 1 et -1

    Unissez-vous pour une plus grande victoire !

    Le positif s’oppose au négatif et inversement ; pour cette raison, toute définition ou détermination est en même temps une non-définition et une non-détermination, ou plus exactement une anti-définition, une anti-détermination. Dialectiquement, dire qu’une chose est cette chose en particulier revient ainsi en même temps, négativement, à dire tout ce qu’elle n’est pas.

    Cela permet de saisir de manière meilleure l’unité des contraires d’une chose particulière dans son rapport à l’infini.

    De manière dialectique, s’il y a 1, il y a -1, et inversement. Or, cela pose une question d’approche, à l’instar de si l’on prend :

    4 + 5 + 1 = 10

    Soit en effet -1 y est présent de manière masquée, soit il faut partir du principe que -1 est présent dans une addition miroir, qui serait alors une soustraction :

    – 4 – 5 – 1 = – 10

    Cela étant, la formule miroir peut très bien être également considérée comme en réalité présente de manière masquée dans l’addition, puisque son reflet sous forme de soustraction existe de toutes façons inévitablement aussi, comme unité des contraires.

    La soustraction est forcément présente dans l’addition, même si elle n’est pas visible, car il n’y a pas d’addition sans soustraction, et inversement.

    Il y a un moyen de saisir cet aspect fondamental en posant une soustraction sur la base de l’infini. C’est une hypothèse jamais pratiquée, mais elle semble tout à fait pertinente puisqu’elle correspond à la définition établie par Spinoza, reprise par Hegel puis Karl Marx, selon laquelle toute détermination est négation.

    Cela donne :

    ∞ – 4 – 5 – 1 = 10

    Autrement dit, si on retire 4, 5 et 1 à l’infini, on va se retrouver avec 10. De manière normale, on aurait dû avoir ce qui reste de l’infini sans 4, 5 et 1. On aurait cependant alors perdu la détermination.

    Si l’on veut, l’addition comme aspect positif et la soustraction comme aspect négatif ont comme socle ce qu’on peut qualifier d’extraction du particulier « hors » de l’universel.

    C’est là où on voit bien que l’addition est une soustraction et inversement : il ne s’agit pas tant d’additionner ou de soustraire, que de déterminer.

    Lorsqu’on prend un paquet de dix bonbons, qu’on en enlève trois et qu’on calcule qu’il en reste sept, on détermine ce qui reste, et d’ailleurs on pourrait tout autant considérer qu’on ôte sept à dix que trois à dix, selon quels bonbons on considère de manière principale.

    Tout calcul est concrètement avant tout une détermination, donc une négation de l’infini, afin de forcer à la particularité.

    Une addition ne saurait être considérée séparément de ce rapport entre l’infini et le particulier. Si l’on prend :

    4 + 5 + 1 = 10

    On doit considérer que 4, 5, 1 sont ôtés à l’infini, que c’est un processus de détermination.

    Comment, cependant, ce processus de détermination peut-il poser un particulier puisque l’infini reste ce qu’il est, et que 4, 5, 1 ainsi que 10 en relèvent donc toujours ?

    On a beau en effet utiliser 4, 5, 1 ainsi que 10 autant qu’on le voudra, 4, 5, 1 ainsi que 10 restent pourtant toujours, en même temps, une composante de l’infini. Ils ne flottent pas de manière séparée quand on se met à les employer.

    C’est là qu’on peut se tourner vers la dialectique de 1 et – 1. En effet, le particulier relève de l’infini et tout en étant déterminé, il reste une composante de l’infini. 4, 5, 1 ainsi que 10 sont à la fois à part de l’infini, hors de lui en tant que particuliers, et indissociables de l’infini, sans quoi ce ne serait plus un infini.

    Cela implique qu’ils sont ce qu’ils sont et qu’en même temps ils ne le sont pas. Ils sont particuliers et universels. Chaque phénomène, chaque chose est lui-même et son contraire, relevant de l’infini et en même temps du particulier.

    Et cette nature contradictoire éclaire l’existence du positif et du négatif, comme fruit de cette réalité contradictoire. C’est pourquoi 4, 5, 1 ainsi que 10 sont à la fois 4, 5, 1 ainsi que 10 et – 4, – 5, – 1 ainsi que – 10.

    Non seulement la réalité est en mouvement contradictoire, mais elle est elle-même contradiction dans sa nature même. L’univers n’est pas « composé » de choses contradictoires, il est tel un univers en oignons avec des couches infinies entremêlés et se faisant écho telles des vagues, où tout obéit à la loi de l’unité des contraires, également la loi elle-même en tant qu’expression de l’univers lui-même.

    >>Revenir au sommaire des articles sur le matérialisme dialectique

  • Le matérialisme dialectique et la base humaine, les mentalités propres aux modes de production

    Nous célébrons l’ouverture avec succès du quatrième congrès national populaire !
    Avançons bravement avec les routes de la Révolution tracées par le Président Mao !

    L’humanité est le produit du mouvement général de la Nature ; c’est une espèce animale qui a la particularité d’exprimer le développement inégal dans ce domaine du vivant. Cela implique une nuance avec les autres expressions animales, mais également du vivant en général, une différence, et partant de là une contradiction, qui s’exprime dans un parcours particulier, le décrochage avec ces autres expressions animales pour suivre son propre développement en particulier.

    Karl Marx a perçu dès le départ, au moyen du principe de négation de la négation, que l’humanité niant la Nature établissait un phénomène qui lui-même serait nié, avec un grand retour de l’humanité, désormais socialisée, ayant connu un saut qualitatif, au sein de la Nature.

    Ce faisant, Karl Marx faisait reposer sa mise en perspective en considérant que l’humanité connaissait un parcours différent seulement de manière relative, que c’était un développement historique qui avait un début et une fin, et dont l’expression cesserait par conséquent.

    Si Karl Marx avait bien entendu compris la dialectique de la Nature, le parcours de l’humanité était surtout saisi comme un aspect du mouvement de la matière éternelle, et c’est la raison pour laquelle, à sa mort et à la suite de celle de Friedrich Engels, le marxisme s’est toujours plus orienté vers une simple lecture historique, à tendance évolutionniste, sous l’impulsion de Karl Kautsky, le grand dirigeant de la social-démocratie allemande, la principale figure de la Seconde Internationale.

    Lénine et Staline, puis Mao Zedong ont rétabli les fondements matérialistes dialectiques du marxisme, mais ce faisant ils ont également permis de saisir que le développement de l’humanité n’était pas un simple processus à part dans le mouvement général de la matière, car il n’existe pas de processus à part en réalité.

    Grâce à Mao Zedong, le mouvement historique de l’humanité se comprend ainsi à l’échelle du cosmos ; Mao Zedong nous dit que :

    « L’univers aussi se transforme ; il n’est pas éternel.

    Le capitalisme mène au socialisme, le socialisme mène au communisme. Le communisme aussi connaîtra des transformations ; il aura un commencement et une fin.

    Il n’existe rien dans le monde qui ne passe par le processus naissance – développement – disparition.

    Les singes se sont transformés en Hommes et les Hommes sont apparus. A la fin, l’humanité entière cessera d’exister. Elle pourra se transformer en quelque chose d’autre.

    A ce moment-là, la terre elle-même disparaîtra. Elle s’éteindra et le soleil se refroidira. La température du soleil est déjà beaucoup plus basse que jadis…

    Toute chose doit avoir un commencement et une fin. Seules deux choses sont infinies : le temps et l’espace. »

    Cette lecture cosmologique est essentielle pour saisir les mentalités humaines dans les différents modes de production. Si en effet, on considère que l’humanité connaît un processus différent, mais relativement à part, alors on va partir du principe de négation de la négation, comme Karl Marx, et envisager un retour de l’humanité à la Nature autrefois niée, donc une sorte de récupération avec, en plus, les avantages matériels réalisés par le développement des forces productives.

    On saisit ici pourquoi Mao Zedong, se fondant sur la lecture d’envergure cosmologique, rejetait la négation de la négation. Cela reviendrait en effet à un expression séparée qui n’est pas possible dans un univers « en oignon » où tout est relié à tout.

    Cela modifie bien substantiellement la compréhension des mentalités dans les modes de production. Si l’on s’en tient à une lecture non cosmologique, alors on va partir du principe que l’humanité s’éloigne de sa base naturelle, de manière toujours plus prononcée, pour finalement y retourner (en profitant cette fois de l’aisance matérielle).

    L’humanité naturelle est niée par son développement social, ce dernier étant nié par l’humanité socialisée redevenant naturelle.

    On peut en déduire, de manière raccourcie, qu’il y aurait alors une évolution négative de l’humanité sur le plan de son existence – sur le plan des sentiments, des émotions, de tout ce qui est naturel –, ce qui à l’inverse permettrait à la culture d’élever le niveau de conscience et de compréhension du monde et de de modifier la réalité matérielle par le travail.

    Si on prend une photographie historique de l’humanité sur 300, 500, 2000, 10 000 ans, cela peut donner cette impression. Si l’on se fonde cependant sur une lecture cosmologique, qu’on regarde l’évolution de la planète Terre comme Biosphère sur des centaines de milliers, des millions d’années, alors on est pourtant dans l’obligation de replacer l’humanité dans un mouvement général.

    Cela change tout, car les mentalités dans les modes de production ne sont alors plus un rabougrissement, mais un processus non linéaire sur le long terme, où il y a non plus négation de la négation et une sorte de fusion Nature / Culture à la fin, mais un approfondissement toujours plus intense de la contradiction apparente entre Nature et Culture avant une résolution dialectique, synthétique, communiste.

    Autrement dit, si l’on prend les mentalités de l’humanité à chaque mode de production, il ne faut plus envisager simplement les choses comme une évolution vers un grand retour, comme une récupération de ce qui a été perdu. L’Eden n’est pas dans le passé pour être retrouvé, mais devant, et toujours devant, à l’infini, puisque le communisme se généralise à toujours plus de niveaux de la matière, dans un processus infini.

    Le mode de production capitaliste n’est ainsi pas seulement à saisir comme négation de la féodalité, étant lui-même nié par le mode de production socialiste, mais comme une étape dans la complexification de l’humanité dans tous les domaines.

    C’est ce que Mao Zedong entendait en parlant de transformation de l’univers, de début et de fin : il faut comprendre qu’il y a des niveaux de temporalités et des différences au niveau spatial qui concernent toutes les échelles du Cosmos, avec un décalage et donc un ajustement.

    Et si ce mouvement de transformation n’aura pas de fin, pas plus qu’il a eu de commencement, étant par définition éternel, le rapport différentiel entre les couches spatiales (et donc temporelles) de la matière impliquent des transformations à différents niveaux, allant à la fois vers la complexification et vers la symbiose.

    Par exemple, une fois le communisme établi concernant l’Humanité, le processus de généralisation du communisme s’étend au-delà de l’Humanité ; le communisme pour l’Humanité ne saurait exister de manière isolée, même si cela concerne un domaine en particulier.

    Il est absolument nécessaire ici de parler de complexification, d’approfondissement, et non pas de formes nouvelles, car l’humanité en tant qu’espèce animale reste la même tout au long du processus. Les émotions, les sentiments, l’amour, le couple hétérosexuel, etc. sont des expressions naturelles, qui forment la base de l’humanité et non pas une superstructure ; cette base n’est pas modifiée par les différents modes de production, bien qu’elles doivent s’adapter aux réalités concrètes imposées par les faits.

    C’est là précisément ce que l’on peut appeler l’Histoire concernant l’Humanité, au sens que son mouvement spatial et donc temporel, relativement étroit à l’échelle de l’Univers, s’inscrit positivement et nécessairement dans ce mouvement général de la Nature : l’être humain reste naturel.

    Mais en même temps, l’humanité connaît un parcours qui s’exprime négativement comme par à coups, dans la génération de modes de production successifs, permettant le développement inégal de l’Humanité dans sa Biosphère.

    D’où le caractère dialectique de la Culture : portant d’un côté la symbiose et la complexification croissante et infinie, et de l’autre, subissant le poids de toutes les contradictions dépassées et erronées bloquant, ou plutôt tentant de bloquer, le mouvement de la matière, suscitant désordres et effondrement de la société dans la barbarie comme refus de se conformer à la dictature naturelle des faits.

    Les mentalités relèvent ainsi de la superstructure, comme expression conditionnée et nécessaire, s’exprimant de manière pour ainsi dire mécanique, car répondant à la reproduction de la vie réelle mise en place par le mode de production en place.

    Cependant, la base humaine n’est pas modifiée par le parcours historique, elle est approfondie, elle se complexifie – pavant la voie justement à la transformation prochaine de l’Humanité, une fois qu’elle sera arrivée au communisme, dans un saut qualitatif civilisationnel supérieur.

    >>Revenir au sommaire des articles sur le matérialisme dialectique

  • Le matérialisme dialectique et le rapport du vide au plein en relation avec la notion d’énergie

    « Nous sommes tous des tireurs d’élite » (Chine populaire, 1975)

    Le vide et le plein sont des contraires : ce qui est vide n’est pas plein et inversement. Cependant, ce sont là des concepts pratiques qui indiquent une tendance et non pas un absolu. Lorsqu’on remplit le réservoir d’un véhicule, on dit qu’on fait le plein, cependant on ne peut pas atteindre un plein parfait, absolu, en raison d’un espace qui restera forcément vide dans le réservoir, d’une poche d’air, de l’absence de pureté complète du carburant, etc.

    De la même manière, un réservoir ne peut pas être totalement vide, il y aura toujours des résidus, même infimes. Dire qu’on fait le plein ou que le réservoir est vide est ainsi lié à la pratique et indique une tendance de fond permettant ou non les choses ; en termes scientifiques, ce sont des approximations.

    Ces approximations pratiques prennent des proportions cosmologiques lorsqu’on s’intéresse au vide spatial, c’est-à-dire à un « lieu » considéré comme étant sans matière. Il y aurait la matière et, à un moment, une absence de matière, par exemple dans l’espace entre le Soleil et la Terre.

    Or, il existe entre le Soleil et la Terre un mouvement : celui de la lumière. S’il n’y a rien, comment la lumière peut-elle parcourir ce rien pour arriver jusqu’à nous ? La réponse bourgeoise est de dire que la question ne se pose pas ainsi, car la lumière est de l’énergie, et pas de la matière.

    Même en admettant ce point de vue idéaliste, comment alors une fusée partie de la Terre peut-elle arriver jusqu’à la lune, puisqu’il n’y a rien entre les deux, puisque tout est vide ? La réponse bourgeoise est de dire que ce vide a des particularités physiques.

    On saisit alors l’incohérence bourgeoise : si le vide a en effet des particularités physiques, alors il est matériel. C’est un tour de passe-passe de nier au vide des caractéristiques matériels sous prétexte qu’il y a une contradiction avec la matière telle qu’on la connaît usuellement sur Terre.

    Bien plus, le vide est la preuve du développement inégal de la matière et la particularité du vide n’est pas d’être immatériel, mais de représenter une qualité dans la quantité générale de matière.

    Dans un univers en oignon, où toutes les couches s’entremêlent, le vide n’est pas le rien, mais le point d’achoppement avec une autre couche de la réalité. Seul l’idéalisme considère que la matière a une forme fixe, qu’on connaît, et que dès que cela devient compliqué car « invisible » ou « insaisissable » alors il n’y aurait rien, ce serait le vide.

    Cette erreur bourgeoise aboutit à la conception d’une matière statique, fixée, conduisant inéluctablement à une notion idéaliste d’énergie. La science a beau savoir que la matière est en mouvement par définition, dès que le cadre fixé semble « invisible », « insaisissable », on sort le concept d’énergie comme on sort le concept de vide, afin d’expliquer la différence dans le processus matériel… sans avoir besoin de l’expliquer.

    Pourtant, si l’énergie est en mouvement, si elle est même mouvement en tant que tel, alors elle est bien matérielle, puisque c’est la matière qui est mouvement et inversement. En 1908 déjà, Lénine posait la question dans Matérialisme et empirio-criticisme : le mouvement est-il concevable sans matière ?

    Il y répondait de la manière suivante : si on pense que oui, alors une telle affirmation ne vise qu’à séparer de manière idéaliste, le corps et l’esprit, au moyen d’une « énergie » qui flotterait et accorderait du mouvement à telle ou telle chose, matérielle comme immatérielle. Et cela nie la complexité infinie de la matière.

    Lénine, dans Matérialisme et empirio-criticisme, fait cette remarque ô combien importante sur le caractère inépuisable de la matière :

    « L’admission d’on ne sait quels éléments immuables, de l’« essence immuable des choses », etc., n’est pas le matérialisme ; c’est un matérialisme, métaphysique, c’est-à-dire anti-dialectique.

    [Le social-démocrate allemand] Joseph Dietzgen soulignait pour cette raison que « l’objet de la science est infini », que « le plus petit atome » est aussi incommensurable, inconnaissable à fond, aussi inépuisable que l’infini, « la nature n’ayant dans toutes ses parties ni commencement ni fin » (Kleinere philosophische Schriften, pp. 229-230) ».

    Les notions de vide et d’énergie visent précisément à supprimer le caractère infini de la connaissance scientifique toujours en développement.

    Ce sur quoi bute la science enfermée par la bourgeoisie, c’est d’une part bien entendu sur le fait de s’appuyer sur concept mécanique de cause et de conséquence, mais d’autre part surtout une lecture unilatérale du rapport entre le fond et la forme.

    Si l’on prend ainsi le concept de masse, il est en effet utile pour établir certains rapports matériels ; il est toutefois inopérant pour saisir d’autres rapports matériels. C’est inévitable, car aucun concept n’est absolu d’une part, les rapports matériels sont infinis d’autre part.

    La science comprimée intellectuellement par la bourgeoisie fait un fétiche de ce qu’elle voit, sans en saisir le caractère relatif, par peur d’assumer qu’il n’y a que de la matière, que celle-ci est inépuisable, qu’il y a « autant » de matière dans un grain de sable que dans une galaxie, car les différentes couches de matière sont infinies.

    Le matérialisme dialectique revendique le caractère infini de la matière-mouvement constituant l’espace, le temps n’étant qu’une différenciation entre les différentes caractéristiques de ce mouvement.

    >>Revenir au sommaire des articles sur le matérialisme dialectique

  • Le matérialisme dialectique et la négation de la négation dans sa liaison avec l’affirmation

    Qu’ait une longue vie et que se renforce notre puissante patrie – l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques !

    Karl Marx et Friedrich Engels s’appuient sur le principe de négation de la négation pour étudier les phénomènes dans leur développement contradictoire en particulier ; Mao Zedong rejette le concept comme inutile, puisque la loi de la contradiction n’a pas besoin de postuler une négation de la négation comme universelle.

    Il y a ici un aspect essentiel à prendre en compte pour approfondir la question : le fait que Karl Marx reprenne le principe de Spinoza selon laquelle toute détermination est une négation. Spinoza se fonde sur le fait que l’univers est un tout et que donc chaque particulier se définit par ce qu’il n’est pas par rapport au reste.

    On peut, pour simplifier, assimiler les termes de détermination, au sens de définition, et celui d’affirmation, au sens d’affirmation au monde comme différence, et donc comme définition.

    Hegel dit à ce sujet que :

    « Le caractère défini est la négation posé de manière affirmative, – c’est la phrase de Spinoza : Omnis determinatio est negatio (Toute détermination est négation).

    Cette phrase est d’une importance infinie ; seule la négation en tant que telle est l’abstraction sans forme. »

    Si l’on suit cette mise en perspective allant de Spinoza à Hegel, de Hegel à Karl Marx, alors cela implique qu’une négation de la négation est également une détermination de la détermination, ou si l’on veut une affirmation de l’affirmation.

    Or, il y a un risque : celui de considérer l’affirmation, la détermination, comme produit de la négation de la négation dans son ensemble, en réduisant la première négation à une simple fonction sans contenu. C’est exactement ce qu’a fait le révisionnisme en considérant le socialisme comme une simple fonction sans contenu devant mécaniquement amener au communisme, telle une négation (du capitalisme) appelée à être niée.

    Lorsque Mao Zedong propose la révolution culturelle dans le socialisme, il considère qu’il y a une contradiction dans le socialisme : il n’y a pas de socialisme comme mouvement unilatéral, comme simple négation du capitalisme.

    Inversement, si on comprend mal Mao Zedong, alors on bascule dans le révisionnisme et on ouvre la porte au relativisme : puisqu’il n’y a pas de négation unilatérale, alors il n’y a pas de négation en soi et le socialisme est une « utopie », un projet super-humaniste.

    En réalité, Mao Zedong dit que toute négation implique affirmation, et inversement ; si on prend la négation de la négation, alors on perd la contradiction de la première négation, ce qui est impossible. Mao Zedong dit ainsi :

    « Engels a parlé au sujet des trois catégories, mais en ce qui me concerne je ne crois pas à deux de ces catégories (l’unité des opposés est la loi la plus fondamentale, la transformation de la qualité et de la quantité l’une en l’autre est l’unité des contraires [que sont] qualité et quantité, et la négation de la négation n’existe pas du tout).

    La juxtaposition, au même niveau, de la transformation de la qualité et de la quantité l’une en l’autre, la négation de la négation, et la loi de l’unité des opposés est « triplisme », pas le monisme. La chose la plus fondamentale est l’unité des opposés.

    La transformation de la qualité et de la quantité l’une en l’autre est l’unité des contraires [que sont] qualité et quantité.

    Il n’y a pas de telle chose comme la négation de la négation.

    Affirmation, négation, affirmation, négation… dans le développement des choses, chaque maillon de la chaîne des événements est à la fois affirmation et négation. »

    Chaque maillon de la chaîne des événements est à la fois affirmation et négation, et donc la négation de la négation ne peut pas se poser car ce serait supprimer l’affirmation.

    Le problème que souligne ainsi Mao Zedong, c’est que si on obtient un résultat dialectique par une négation de la négation, alors la détermination s’obtient à la fin du processus. On aurait alors une négation, la première, qui n’aurait pour ainsi dire pas de contraire, puisque ce n’est qu’avec la seconde négation (c’est-à-dire la négation de la négation) qu’on aurait la détermination.

    Ce faisant, Mao Zedong précise la pensée de Karl Marx (et de Friedrich Engels). Il pose un cadre plus large – d’où son apport avec le concept de contradiction principale et de contradiction secondaire, qui n’avait pas été vu auparavant.

    >>Revenir au sommaire des articles sur le matérialisme dialectique

  • La « critique de la valeur-dissociation »

    Il va de soi que la « critique de la valeur » ne pouvaient pas échapper aux problématiques « sociétales » mises en avant par les milieux universitaires en général. Il existe, pour cette raison, de multiples adaptations de la « critique de la valeur » en fonction de différentes questions.

    La variante la plus marquée, ou la plus exemplaire dans cette perspective, a été élaborée par l’intellectuelle allemande Roswitha Scholz, née en 1959.

    Son concept de « critique de la valeur-dissociation » explique que les activités des femmes dans le couple (le ménage, les enfants, la cuisine, etc.) sont séparées, dissociées de la valeur, et que donc les femmes sont opprimées en plus du rapport d’exploitation capitaliste.

    Cela n’a rien d’original en soi. Sauf que le matérialisme dialectique a toujours expliqué que l’exploitation des femmes relevait du mode de production capitaliste, étant insérée dans les rapports capitaliste en général, et que cela ne formait pas une base extérieure à la réalité sociale.

    Roswitha Scholz ne peut évidemment pas dire cela, car la « critique de la valeur » considère que le monde capitaliste est une bulle fictive. Elle est obligée de présenter la situation de la famille comme une sorte d’îlot à l’écart, séparé, mais nécessaire au capitalisme.

    Cela s’oppose de manière formelle au principe de mode de production, bien entendu. Mais c’est un excellent prétexte pour un discours intellectuel à prétention hyper-révolutionnaire, mais ne portant aucune valeur idéologique ou culturelle. Voici un exemple dans des réponses à une interview effectuée par la philosophe et féministe espagnole Clara Navarro Ruiz.

    « Je pars du principe que ce n’est pas simplement la valeur comme sujet automate qui est une totalité constituante, mais qu’il faut tout autant tenir compte des « circonstances » qui font que, dans le capitalisme, il y a aussi des activités de reproduction qui sont réalisées, et qu’elles sont accomplies avant tout par des femmes.

    Ce faisant, la « valeur-dissociation » signifie que les activités de reproduction déterminées comme essentiellement féminines, mais aussi les sentiments, les qualités et les attitudes (la sensualité, l’émotivité, la sollicitude entre autres) qui y sont attachés sont précisément dissociés de la valeur/survaleur.

    Dès lors, les activités féminines de reproduction dans le capitalisme ont un caractère différent de celui du travail abstrait, c’est pourquoi elles ne peuvent pas être facilement subsumées sous ce concept ; il s’agit d’un aspect de la société capitaliste qui ne peut pas être compris grâce à l’appareil conceptuel marxien.

    Cet aspect, conjoint à la valeur/survaleur, se rattache nécessairement à elle, d’un autre côté il se trouve pourtant au dehors, et c’est pourquoi il en est la condition préalable. La (sur)valeur et la dissociation se trouvent ainsi dans un rapport dialectique l’une à l’autre.

    L’une ne peut pas être déduite de l’autre, mais les deux sont issues l’une de l’autre.

    La valeur-dissociation peut alors être comprise également comme une métalogique qui déborde les catégories intra-économiques (…).

    Adorno n’était pas aveuglé par le marxisme du mouvement ouvrier et n’était pas un socialiste du bloc de l’Est. La lutte des classes n’était pas son repère central ; il était davantage question chez lui d’aliénation, de réification et de fétichisme au cœur de la société, tandis que l’économie ne jouait qu’un rôle marginal.

    Sa critique du fétichisme est cependant à reprendre aujourd’hui sur le plan économique également, sans pour autant adopter son recours primitif à l’« échange » comme forme de base du capitalisme.

    Il faut bien davantage reprendre la contradiction en procès et le travail abstrait/l’activité de soin d’après la théorie de la (sur)valeur-dissociation comme noyau de la socialisation capitaliste-patriarcale.

    Adorno a déjà vu dans le renversement d’Hegel que la totalité est le faux, et plaide par conséquent pour une totalité fragmentée qui doit faire éclater l’hermétisme. Aujourd’hui, nous avons de fait une totalité fragmentée.

    À l’issue de la postmodernité, on voit cependant que ceci ne débouche pas nécessairement sur l’émancipation, mais sur des guerres (civiles). Quand les différences sont laissées flottantes, comme l’avait anticipé théoriquement le post-structuralisme, cela conduit, en lien avec les processus matériels de paupérisation de l’« effondrement de la modernité » (Robert Kurz), à la barbarie.

    Comme cela a déjà été dit, Adorno ne traitait jamais abstraitement de différences en soi ; chez lui, la non-identité était toujours poursuivie dans le contexte d’un capitalisme total et de sa pensée réifiante.

    La pensée positiviste de la différence dans la postmodernité correspond, de façon inversée, à une pensée classique de la modernité de l’identification et de la classification. Il faudrait alors faire valoir la reconnaissance du non-identique comme condition préalable à une autre société, sans pour autant la laisser dans l’abstraction, et cela veut dire aussi ne pas valoriser chaque différence barbare, mais aussi ne pas faire de l’identique-spécifique à soi un étalon de mesure.

    Dans cette perspective, la continuation des idées d’Adorno est tout à fait actuelle. Un appel renouvelé à Lénine et à un marxisme du mouvement ouvrier, comme on peut l’observer encore aujourd’hui, est encore bien loin de cela et essaie dans l’urgence de réveiller un vieux modèle enterré depuis longtemps. »

    Cette guerre au « vieux modèle », de fait, résume entièrement le sens historique de la « critique de la valeur » dans sa dimension contre-révolutionnaire.

    =>Retour au dossier sur
    L’école de Francfort, la théorie critique et la critique de la valeur

  • La critique de la valeur et l’obsession pour l’anticapitalisme romantique

    La critique de la valeur n’est ainsi qu’un anticapitalisme romantique, qui cherche en permanence à dénoncer les anticapitalismes romantiques qui lui font concurrence. Sa particularité, parmi les anticapitalismes romantiques, est d’être « rationalisé ».

    Cela se lit parfaitement dans l’intéressant texte de Moishe Postone, de 1986, intitulé Antisémitisme et National Socialisme. Sans le dire, le texte reprend la conception de Walter Benjamin, exposé dans L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, selon laquelle le national-socialisme procède à une esthétisation de la politique afin de faire croire aux masses qu’il répond à ses besoins.

    Comme la « critique de la valeur » prétend être une dénonciation rationnelle du capitalisme (en fait, de l’industrialisme), le national-socialisme est vu comme une dénonciation irrationnelle du capitalisme, et donc ayant une rationalité inversée.

    Plus précisément, le national-socialisme est considéré comme un véritable anticapitalisme, mais ayant une lecture irrationnelle des choses. À rebours du matérialisme dialectique qui considère le national-socialisme comme un anticapitalisme romantique sur le plan de la forme mais certainement pas du contenu, la « critique de la valeur » voit en le national-socialisme un anticapitalisme romantique sur le plan du contenu, avec une forme erronée, d’où une « erreur de ciblage ».

    Moishe Postone raconte ainsi que :

    « Le problème de ces théories qui – comme celle de Max Horkheimer – reposent essentiellement sur l’identification des juifs à l’argent et à la sphère de la circulation, c’est qu’elles ne sont pas en mesure de rendre compte de l’idée antisémite selon laquelle les juifs constituent aussi le pouvoir qui se tient derrière la social-démocratie et le communisme (…).

    Quand on considère les caractéristiques spécifiques du pouvoir que l’antisémitisme moderne attribue aux juifs – abstraction, insaisissabilité, universalité et mobilité -, on remarque qu’il s’agit là des caractéristiques d’une des dimensions des formes sociales que Marx a analysées : la valeur (…).

    Les juifs n’étaient pas seulement identifiés à l’argent, à la sphère de la circulation, mais au capitalisme même. Cette vision fétichisante excluait de sa compréhension du capitalisme tous les aspects concrets tels que l’industrie et la technologie.

    Le capitalisme n’apparaissait plus que dans sa dimension abstraite, qui était rendue responsable de toute la série de transformations sociales et culturelles concrètes liées au développement rapide du capitalisme industriel moderne.

    Les juifs n’étaient pas simplement considérés comme les représentants du capital (dans ce cas, en effet, les attaques antisémites auraient été spécifiées en termes de classe). Ils devinrent les personnifications de la domination internationale, insaisissable, destructrice et immensément puissante du capital.

    Si certaines formes de mécontentement anticapitaliste se dirigeaient contre la dimension abstraite phénoménale du capital personnifié dans la figure du Juif, ce n’est pas parce que les juifs étaient consciemment identifiés à la dimension abstraite de la valeur, mais parce que, dans l’opposition de ses dimensions abstraite et concrète, le capitalisme apparaît d’une manière telle qu’il engendre cette identification.

    C’est pourquoi la révolte « anticapitaliste » a pris la forme d’une révolte contre les juifs. La suppression du capitalisme et de ses effets négatifs fut identifiée à la suppression des juifs. »

    Ce faisant, Moishe Postone attribue donc une « dignité » anticapitaliste au national-socialisme et ses massacres ! L’Holocauste aurait ici été une tentative rationnelle de se libérer du capitalisme, mais sur des bases erronées :

    « L’usine capitaliste est un lieu où est produite la valeur, production qui, « malheureusement », doit prendre la forme d’une production de biens, de valeurs d’usage.

    C’est en tant que support nécessaire de l’abstrait que le concret est produit. Les camps d’extermination n’étaient pas la version d’horreur d’une telle usine — il faut y voir au contraire la négation « anticapitaliste », grotesque, aryenne, de celle-ci.

    Auschwitz était une usine à « détruire la valeur », c’est-à-dire à détruire les personnifications de l’abstrait. Son organisation était celle d’un processus industriel diabolique dont le but était de « libérer » le concret de l’abstrait.

    Le premier pas pour réaliser ce but consista à déshumaniser les juifs, c’est-à-dire à leur arracher le « masque » de l’humanité, de la spécificité qualitative, pour les montrer « tels qu’ils sont réellement » : des ombres, des chiffres, des abstractions.

    Le second pas consista à exterminer ces abstractions, à les transformer en fumée, tout en essayant de récupérer les derniers restes de la « valeur d’usage » matérielle et concrète : vêtements, or, cheveux, savon.

    C’est Auschwitz — et non la prise de pouvoir en 1933 — qui fut la véritable « révolution allemande », la véritable tentative de « renversement » non seulement d’un ordre politique mais de la formation sociale existante. Cet acte devait préserver le monde de la tyrannie de l’abstrait. »

    Cette lecture d’un national-socialisme pratiquant un anticapitalisme conscient mais erroné ne tient bien entendu pas une seconde. Le national-socialisme distinguait de manière très clair le « capital créateur » (sous-entendu allemand et national) du « capital accapareur » (sous-entendu juif et international). La concurrence capitaliste existait encore sur le plan économique, si l’on omet les grands monopoles se renforçant encore davantage, en liaison avec l’armée.

    Mais c’est que la « critique de la valeur » ne peut voir les choses que par le prisme déformé de son propre anticapitalisme romantique.

    =>Retour au dossier sur
    L’école de Francfort, la théorie critique et la critique de la valeur

  • L’obsession pour le capital financier de la part de la critique de la valeur

    La « critique de la valeur » a comme particularité de perpétuellement dénoncer ceux qui résument le capitalisme au capital financier. Mais dans son propre dispositif idéologique, le capitalisme financier est « l’explication » employée pour expliquer que le capitalisme se subsiste à lui-même sous la forme d’un gigantesque casino tournant à crédit.

    Dans le texte de 2013 « Sur l’immense décharge du capital fictif » d’Ernst Lohoff et Norbert Trenkle, on trouve formulé ainsi cette conception :

    « Depuis la fin des trente glorieuses et du fordisme, une accumulation auto-entretenue dans l’économie réelle est devenue définitivement impossible.

    L’énorme gain de productivité qui a suivi la troisième révolution industrielle entraîne une éviction massive de la force de travail hors des secteurs produisant de la valeur et mine ainsi la seule base de la valorisation de la valeur : l’utilisation de force de travail vivante dans la production de marchandises.

    Depuis plusieurs décennies, le mouvement global d’accumulation ne peut se poursuivre uniquement grâce à la sphère financière qui, en produisant inlassablement de nouvelles créances monétaires, est devenue le moteur central de l’accroissement du capital.

    Si ce « processus de production » de l’industrie financière s’enraye, l’effondrement catastrophique de l’économie mondiale devient inéluctable. »

    Cette thèse tient précisément au romantisme anticapitaliste que la « critique de la valeur » est censée dénoncer ! Il y aurait un capital financier flottant au-dessus du capitalisme, l’ayant même remplacé, et le capitalisme tournerait de manière virtuelle, sans rapport avec la production, ne consistant somme toute qu’en une course en avant pour satisfaire les intérêts du capital financier qui seul dispose de l’argent en suffisante quantité.

    On comprend ici l’obsession permanente pour l’anticapitalisme romantique : la « critique de la valeur » en est une simple variante, elle s’imagine inverser les principes de l’anticapitalisme romantique, mais en réalité elle en possède précisément les mêmes travers, la fuite irrationnelle en moins.

    La « critique de la valeur » est en fait un anticapitalisme romantique rationalisé. Cela est rendu possible parce qu’au lieu de dire que le capital financier est une partie du capitalisme, la « critique de la valeur » fait de tout le capitalisme le capital financier.

    Pour la « critique de la valeur », le capital serait devenu… « fictif ». On lit encore dans « Sur l’immense décharge du capital fictif » :

    « Dans le jargon boursier, on dit toujours que le cours des actions serait « nourri » par des attentes et que les marchés financiers font commerce avec « l’avenir ». À travers de telles formules, même si elles ne sont pas bien comprises, on peut apercevoir le secret de base du capitalisme contemporain.

    Lors de la création de nouveaux titres de propriété, une chose incroyable se produit qui serait impensable dans le monde des biens réels et de la richesse matérielle et sensible. La richesse matérielle et sensible doit avoir une existence en amont de sa consommation. Jamais par exemple on ne pourra s’assoir sur une chaise dont la construction est en projet.

    Pour la richesse produite par l’industrie financière, cette logique temporelle est renversée. De la valeur qui n’est pas encore produite, et qui ne verra éventuellement jamais le jour, se transforme à l’avance en capital, en capital fictif.

    Lorsque quelqu’un achète des parts d’emprunts d’États ou d’entreprises, lors de l’émission d’actions ou de nouveaux produits financiers dérivés, on voit de l’argent-capital qui était dans les mains d’un acheteur s’échanger contre une promesse de paiement.

    L’acheteur se lance dans cette transaction avec l’espoir que dans le futur la revente de cette promesse de paiement lui rapportera plus que ce qu’il lui en a coûté aujourd’hui pour l’acheter. C’est grâce à cette perspective que la promesse de paiement devient la forme actuelle de son capital.

    Pour le bilan global de la richesse du capitalisme, ce n’est pas tant la question de la conversion des promesses qui est importante. Ce qui est particulier, c’est une bizarrerie qui se produit dans le laps de temps entre l’émission et la vente d’un titre de propriété. Aussi longtemps que cette promesse de paiement est valable et crédible, elle constitue un capital supplémentaire, à côté du capital de départ.

    Par la simple création d’une créance monétaire écrite, on dédouble le capital. Ce capital supplémentaire n’existe pas uniquement sur le papier comme simple écriture dans le bilan d’un capitaliste monétaire.

    Il mène une vie autonome, participe en tant que titre de propriété au circuit économique et au processus de valorisation, tout comme un capital monétaire provenant de la valorisation réelle l’aurait fait. En tous points semblables, il peut être utilisé pour l’achat de biens de consommation ou être investi, sa provenance ne se reconnaît pas. »

    D’où la critique de la valeur : la valeur est, dans le capital fictif, une illusion, car elle a décroché de tout lien avec le réel, c’est une abstraction, une abstraction qui domine le monde.
    On est ici en plein fantasme.

    =>Retour au dossier sur
    L’école de Francfort, la théorie critique et la critique de la valeur

  • La source de la critique de la valeur et de sa vue du travail comme abstraction

    La critique de la valeur a ceci de foncièrement étrange, et c’est ce qui le pousse à la marginalité de par son irréalisme, de considérer que les marchandises sont produites d’elles-mêmes dans le capitalisme (en fait un industrialisme).

    Le travail serait une abstraction et on vivrait ainsi directement dans le communisme, pour ainsi dire, si ce n’était pas le cas. Cela donne une dimension hyper-révolutionnaire, à l’instar du mot d’ordre « Life deluxe for all », qui peut autant être compris comme partage généralisé de richesses toujours plus grandes par le socialisme que comme cessation du travail dans une société où les marchandises se produiraient d’elles-mêmes.

    Il est propre à ce type de gauchisme de cultiver l’ambiguïté. Et la source de la « critique de la valeur » est historique. Il s’agit de l’expression d’un sentiment de dépassement total des intellectuels bourgeois devant la nature toujours plus complexe de la production des marchandises.

    Une marchandise s’appuie désormais sur de très nombreux aspects, amenant les travailleurs à d’autant plus se focaliser dans leurs activités que sur un seul aspect en particulier, pour des raisons techniques.

    Incapables de suivre ce rythme de complexification, les intellectuels bourgeois sont horrifiés sans commune mesure, tout comme l’école de la Francfort le fut dans les années 1930-1960 par le développement de l’industrie.

    Tout comme l’école de Francfort dénonça le fordisme, la critique de la valeur dénonce le travail complexifié. Et les intellectuels bourgeois sont tellement dépassés qu’ils sont obligés d’expliquer que le prolétariat a été avalé par le capitalisme.

    Il n’y a ainsi plus de travail comme activité concrète, mais un « travail » en général et la critique de la valeur la définit comme « abstraite » – à la fois pour critique le travail comme abstraction pour le travailleur aliéné et pour dénoncer le travail en général comme abstraction.

    On ne saurait sous-estimer les abus que fait ici la critique de la valeur. Celle-ci prétend s’appuyer par exemple sur les Manuscrits de 1844 de Karl Marx, mais ce dernier y présente pourtant bien le travail dans la société communiste comme une expression complète d’une personne, comme jeu des facultés.

    Chez la « critique de la valeur », c’est le travail lui-même qui est une abstraction, ce qui donne cette ambiguïté hyper-révolutionnaire : en apparence on dénonce le travail comme abstraction (pour le travailleur aliéné à qui on vole sa force de travail), en réalité on attaque le travail lui-même qui ne serait en général, de manière absolue, qu’une abstraction.

    Voici comment Norbert Trenkle expose la conception de la critique de la valeur dans son exposé de 1998 intitulé « Qu’est-ce que la « valeur » ? Qu’en est-il de la « crise » ? ».

    « Pour le marxisme, le travail était une évidence. Il affirmait que le travail créait de la valeur littéralement comme le boulanger fait des petits pains. Il pensait aussi que la valeur stockait le temps de travail écoulé sous forme morte.

    Marx lui-même n’a pas soulevé le fait que le travail abstrait présuppose, logiquement et historiquement, déjà le travail comme forme spécifique d’activité sociale, qu’il s’agit donc de l’abstraction d’une abstraction.

    Autrement dit, la réduction d’activités à des unités de temps homogènes présuppose déjà l’existence d’une mesure abstraite du temps dominant la sphère du travail. Il ne serait par exemple jamais venu à l’idée d’un paysan du Moyen Âge de mesurer en heures et en minutes le temps qu’il lui fallait pour moissonner un champ.

    Ceci non pas parce qu’il ne possédait pas de montre, mais parce que cette activité était intimement liée à l’ensemble de sa vie et qu’en faire une abstraction temporelle n’aurait donc pas eu de sens.

    Bien que Marx n’ait pas éclairé suffisamment le rapport entre le travail comme tel et le travail abstrait, il ne laisse planer aucun doute sur la folie absolue d’une société dans laquelle l’activité humaine, comme processus vivant, se coagule en une forme réifiée et s’érige en puissance sociale dominante (…).

    Il démontre que la valeur et le travail abstrait ne sont pas de pures représentations que les humains pourraient simplement effacer de leur esprit. Le système de travail et de production moderne de marchandises forge le cadre de leurs pensées et activités.

    Dans celui-ci, toujours présupposé, leurs produits se tiennent réellement face à eux comme une manifestation réifiée de temps de travail abstrait, comme une force de la nature.

    Les rapports sociaux sont devenus pour les bourgeois leur « deuxième nature », selon la formule pertinente de Marx. C’est cela le caractère fétichiste de la valeur, de la marchandise et du travail (…).

    La valeur n’est pas matérielle ; elle doit traverser différents niveaux de médiation avant d’apparaître sous une forme transformée à la surface de l’économie.

    Ce que Marx a accompli dans « Le Capital », c’est de démontrer le lien logique et structurel entre ces différents niveaux de médiation. Il explique comment les niveaux de la surface économique que sont le prix, le profit, le salaire et l’intérêt découlent et peuvent être analysés à partir de la catégorie de la valeur et de sa dynamique interne.

    Mais il n’a jamais sacrifié à l’illusion que ces médiations pourraient être calculées empiriquement au cas par cas. C’est ce que l’économie politique et le marxisme positiviste exigent, sans jamais parvenir à répondre à cette exigence.

    Mais tout cela n’est pas un déficit de la théorie de la valeur, cela ne fait que révéler l’inconscience de ces médiations. Marx n’a jamais eu la prétention de formuler une théorie positive et encore moins un instrument de politique économique. Son désir était de démontrer la folie, les contradictions internes et finalement le côté intenable d’une société basée sur a valeur.

    De ce point de vue, on peut considérer sa théorie de la valeur comme étant au fond une critique de la valeur et aussi essentiellement une théorie de la crise (ce n’est pas pour rien que le sous-titre de son œuvre principale s’intitule : « Critique de l’économie politique »). »

    Mais alors pourquoi travaille-t-on concrètement ou plus exactement comment ce capitalisme industrialiste s’auto-justifie-t-il ? Parce qu’il est devenu financier. La critique de la valeur porte ce paradoxe de dénoncer avec justesse comme romantique les obsessions pour le capital seulement financier… et de fonder précisément sa critique sur un tel romantisme.

    =>Retour au dossier sur
    L’école de Francfort, la théorie critique et la critique de la valeur

  • Les principes de la critique de la valeur

    La thèse principale de la « critique de la valeur » qui suit la théorie critique de l’école de Francfort, est que la société est une mystification. Les valeurs dominantes sont fictives et ne servent qu’à permettre au capitalisme de se maintenir.

    On est ici dans un capitalisme sans contradictions : il n’y a pas de contradiction valeur/travail, le prolétariat est lui-même une composante du capitalisme. La manière dont est présentée ce capitalisme revient strictement à de l’industrialisme comme le critiquait l’école de Francfort. Et on aura compris que, tout comme dans l’école de Francfort, cela attribue une signification « révolutionnaire » aux intellectuels et leur critique.

    La principale référence fut ici la revue Krisis, avec comme figure majeure Robert Kurz (1943-2012), et comme œuvre la plus connue le « Manifeste contre le travail » en 1999. On y retrouve toutes les thèses de l’école de Francfort sur l’industrialisme, mais maquillées derrière un discours « marxiste ».

    On lit ainsi dans le « Manifeste contre le travail » que le capitalisme serait passé à autre chose, une accumulation délirante de marchandises, sans rapport avec le travail. Or, c’est impossible chez Marx puisque les marchandises sont produites par le travail et doivent être consommées, ce qui implique une contradiction dans l’accumulation du capital, puisque les travailleurs ne peuvent pas consommer assez pour suivre le rythme d’accumulation.

    C’est qu’en réalité, le capitalisme dont parle la « critique de la valeur », c’est l’industrialisme de l’école de Francfort. Il n’y a pas de capitalisme comme mode de production, il y a un « capitalisme » formant un système industrialiste fonctionnant comme fin en soi.

    On lit dans le « Manifeste contre le travail » la chose suivante :

    « Par suite de la révolution micro-informatique, la production de « richesse » s’est toujours davantage décrochée de la force de travail humaine – à une échelle que seule la science-fiction aurait pu concevoir voilà quelques décennies. »

    Le capitalisme serait fictif, il tiendrait de manière religieuse, et le travail est une abstraction qu’on chercherait à faire passer pour quelque chose ayant un sens et une signification, alors que non :

    « Le travail n’a rien à voir avec le fait que les hommes transforment la nature et sont en relation les uns avec les autres de manière active.

    Aussi longtemps qu’il y aura des hommes, ils construiront des maisons, confectionneront des vêtements, produiront de la nourriture et beaucoup d’autres choses ; ils élèveront des enfants, écriront des livres, discuteront, jardineront, joueront de la musique, etc.

    Ce fait est banal et va de soi. Ce qui ne va pas de soi, c’est que l’activité humaine tout court, la simple « dépense de force de travail », sans aucun souci de son contenu, tout à fait indépendante des besoins et de la volonté des intéressés, soit érigée en principe abstrait qui régit les rapports sociaux. »

    Ainsi, à l’inverse de Karl Marx où le travail produit la valeur, ici c’est la valeur qui crée le travail :

    « Dans la sphère du travail, ce qui compte n’est pas tant ce qui est fait, mais le fait que telle ou telle chose soit faite en tant que telle, car le travail est une fin en soi dans la mesure même où il sert de vecteur à la valorisation du capital-argent, à l’augmentation infinie de l’argent pour l’argent.

    Le travail est la forme d’activité de cette fin en soi absurde. C’est uniquement pour cela, et non pour des raisons objectives, que tous les produits sont produits en tant que marchandises. Car ils ne représentent l’abstraction argent, dont le contenu est l’abstraction travail, que sous cette forme. Tel est le mécanisme de la machine sociale autonomisée qui tient l’humanité moderne enchaînée.

    Et c’est bien pourquoi le contenu de la production importe aussi peu que l’usage des choses produites et leurs conséquences sur la nature et la société.

    Construire des maisons ou fabriquer des mines antipersonnel, imprimer des livres ou cultiver des tomates transgéniques qui rendent les hommes malades, empoisonner l’air ou « seulement » faire disparaître le goût : tout cela importe peu, tant que, d’une manière ou d’une autre, la marchandise se transforme en argent et l’argent de nouveau en travail.

    Que la marchandise demande à être utilisée concrètement, fût-ce de manière destructrice, est une question qui n’intéresse absolument pas la rationalité d’entreprise, car pour elle le produit n’a de valeur que s’il est porteur de travail passé, de « travail mort ».

    L’accumulation de « travail mort » en tant que capital, représenté sous la forme-argent, est la seule « signification » que le système de production marchande moderne connaisse. »

    La critique de la valeur déplace en fait la question du travail, afin de la neutraliser dans le sens de l’intellectualisme universitaire. Le capital et le travail sont considérés comme les simples composantes d’un capitalisme « industrialiste ».

    =>Retour au dossier sur
    L’école de Francfort, la théorie critique et la critique de la valeur