Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • De la théorie critique à la critique de la valeur

    Herbert Marcuse fut la figure majeure de l’école de Francfort à rompre avec l’Institut de recherche sociale, dans le prolongement par ailleurs d’une séparation déjà réalisée. Il y a toutefois une autre figure marquante qui va jouer un rôle bref, mais éminent.

    Hans-Jürgen Krahl, né en 1943, était une figure du mouvement étudiant, appartenant à la direction du SDS, la grande organisation estudiantine contestataire. Il était considéré comme le plus brillant et c’était également le seul étudiant que Theodor Adorno, dont il était un disciple en quelque sorte, considérait comme son égal.

    Hans-Jürgen Krahl fit cependant partie du mouvement chahutant le cours de Theodor Adorno, ce qui aboutit à la rupture ; lui-même décéda dans un accident de voiture en 1970. Max Horheimer écrivit à ses parents pour dire à quel point celui-ci avait été « irremplaçable ».

    La prise de position de Hans-Jürgen Krahl joua un rôle important, car les étudiants ayant chahuté le cours de Theodor Adorno espéraient en fait que celui-ci les soutiendrait.

    Hans-Jürgen Krahl assumait de vivre en homosexuel et n’avait pas de logement, habitant chez les uns les après les autres

    Hans-Jürgen Krahl se situait directement dans la perspective de Theodor Adorno, mais considérait que celui-ci avait été vaincu par la défaite du mouvement ouvrier allemand face au fascisme, comme par ailleurs tous les intellectuels. Cela a selon lui produit un décalage entre la théorie et la pratique, ce que le mouvement étudiant, avec sa contestation d’une soumission « allemande », entend résoudre justement.

    Hans-Jürgen Krahl dit ainsi à la suite du décès de Theodor Adorno :

    « Autant Adorno voyait à travers l’idéologie bourgeoise de la recherche désintéressée de la vérité un semblant de troc, autant il se méfiait des traces de la lutte politique dans le dialogue scientifique (…).

    L’écrasement du mouvement ouvrier par le fascisme et son intégration apparemment irrévocable dans la reconstruction du capitalisme ouest-allemand d’après-guerre ont changé le sens des termes de la théorie critique.

    Ils ont forcément dû perdre une certaine détermination, mais ce processus d’abstraction s’est fait à l’aveugle.

    L’histoire concrète et matérielle, qu’Adorno opposait de manière critique au « concept sans histoire de l’histoire », l’historicité de Heidegger, a migré de plus en plus de son concept de pratique sociale et s’est évaporée dans son dernier ouvrage, la « Dialectique négative », à tel point que elle est devenue la pauvreté transcendantale assimilable à la catégorie heideggérienne.

    Dans sa présentation au Congrès des sociologues allemands, Adorno insistait il est vrai sur l’application de l’orthodoxie marxiste : les forces productives industrielles sont toujours organisées dans des rapports de production capitalistes et le pouvoir politique est toujours basé sur l’exploitation économique des travailleurs salariés.

    Mais peu importe à quel point son orthodoxie est entrée en conflit avec la sociologie ouest-allemande dominante lors de cette conférence, elle devait rester sans conséquences, car les formes catégorielles n’étaient pas liées à l’histoire matérielle. »

    On parle ici d’une mouvance politique se définissant comme socialiste et rejetant le mouvement communiste, tout en entendant généraliser une contestation en raison de l’ambiance de l’époque. Si on n’est pas dans le trotskysme, on est tout de même dans l’esprit gauchiste des années 1920.

    Or, Rudi Dutchke, le grand dirigeant étudiant, ne parvint jamais à théoriser une ligne gauchiste réellement synthétique. Historiquement la conséquence fut que le mouvement étudiant donna naissance aux hippies, aux spontanéistes, aux marxistes-léninistes et à la RAF.

    Dans tous ces mouvements, c’est la pratique, et bien souvent la culture, qui étaient primordiales. Dans tous les cas un style de vie révolutionnaire était exigé, avec un esprit de rupture. C’est de cette démarche que naissent, dans le prolongement de ces mouvements, les Verts alternatifs et les autonomes.

    On remarquera par ailleurs que les intellectuels bourgeois ne comprenant pas la RAF l’assimile justement à une sorte de mouvement issu d’étudiants cherchant à faire « pénétrer » de force la théorie critique dans les masses. C’est là une incompréhension tant de la démarche prolétarienne de la RAF que son analyse de la société capitaliste et son 24 heures sur 24.

    Inversement, la lecture étudiante de type gauchiste pouvait bien entendu satisfaire des intellectuels bourgeois désireux de participer aux institutions, notamment universitaires. La polarisation dans la société allemande était telle alors qu’il était strictement impossible d’intégrer les institutions, un travail de fonctionnaire ou de professeur, si on relevait de la contestation. Or, les intellectuels bourgeois voulaient obtenir une reconnaissance et être acceptées par les institutions.

    Aussi, ce sont les jeunes intellectuels, déçus par Theodor Adorno, mais se maintenant dans la perspective d’une « théorie critique », qui commencèrent à publier une avalanche d’ouvrages.

    Helmut Reichelt (né en 1939) étudia ainsi chez Theodor Adorno à Francfort et collabora avec Hans-Georg Backhaus (né en 1929) pour procéder à une relecture des œuvres de Karl Marx, afin de redonner à la théorie critique un visage « marxiste ». Helmut Reichelt fut professeur de sociologie à l’université de Brême, Hans-Georg Backhaus maître de conférences à Francfort, puis Brême.

    L’idée est simple à comprendre. Puisque la théorie critique explique que l’industrialisme était une avancée de la civilisation et une barbarie en même temps, que le prolétariat était aspiré lui-même dans l’industrialisme et n’est plus un prolétariat… Alors, il suffit de relire Karl Marx, afin de lui faire dire précisément cela.

    Les écrits de Karl Marx sont donc à la fois découpés et rejetés, selon, afin de présenter la thèse comme quoi Karl Marx disait déjà la même chose que la théorie critique. Il n’y aurait pas d’antagonisme entre bourgeoisie et prolétariat, la lutte des classes n’existerait pas, car le capitalisme c’est à la fois la bourgeoisie et le prolétariat. Il faut voir le capitalisme comme un industrialisme et le critiquer selon le point de vue de la « théorie critique » de l’école de Francfort.

    Il fallait cependant bien justifier cela et c’est ce qui va donner naissance au mouvement qu’on désigne par celui procédant à une « critique de la valeur ». La « critique de la valeur » se pose dans la filiation de l’école de Francfort, et pour cause puisqu’on parle ici, en Allemagne et en Autriche, d’un mouvement ayant pris sa place dans les milieux universitaires.

    Cela n’est par contre pas le cas en France. En Allemagne et en Autriche, il est impossible d’échapper au courant de la « théorie critique » dans les milieux intellectuels ; produisant de nombreuses revues et ouvrages, ils ont également réussi à décapiter le mouvement autonome au début des années 1990, les restes post-autonomes se plaçant ensuite dans le giron de la théorie critique et de la critique de la valeur.

    Tout part ici de la fondation en 1991-1992 de la scène de Pour un courant de gauche (Für eine linke Strömung) à partir de multiples articles dénonçant violemment les traditions autonomes dans la revue autonome hebdomadaire clandestine berlinoise Interim (les débats « Heinz Schenk » du nom d’un pseudonyme utilisé par les pro-post-autonomes).

    La scène « anti-deutsch » du milieu des années 1990, qui entend déconstruire l’Allemagne comme « idéologie » foncièrement antisémite en finissant même finalement par devenir pro-armée américaine, est également directement liée à la théorie critique et finira d’achever le milieu des autonomes.

    En janvier 2005, il y aura également naissance de la Gauche interventionniste (Interventionistische Linke) comme « organisation post-autonome multicentrique » ; en décembre 2006 naîtra Ums Ganze (pour la totale), rassemblement « post-antifasciste » de groupes anticapitalistes.

    Mais ces mouvements assumaient d’avoir une portée activiste, engagée, dans un sens utopique. Les auteurs de la « critique de la valeur » n’y ont jamais participé, car tout comme dans l’école de Francfort, ils récusent tout engagement, toute prise de politique politique : leur rôle est celui de la « théorie critique ».

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  • L’école de Francfort et le capitalisme qui se subsiste à lui-même

    Ce qui caractérise l’école de Francfort, c’est une désignation de l’industrialisme. La critique née chez des intellectuels juifs bourgeois sympathisant avec la cause communiste émergeant en octobre 1917, mais incapable de suivre le prolétariat.

    Cela produisit une théorie critique, mêlant moralisme juif et allemand (avec Kant) à une lecture « industrialiste » de la société, par peur d’assumer le principe marxiste de mode de production.

    Si au début il y a de grandes ambiguïtés dans la démarche dans son rapport avec le marxisme, l’intégration aux institutions américaines, puis ouest-allemandes éjecte tout rapport, de près ou de loin, avec le communisme, à part chez Herbert Marcuse qui développe une ligne pro-mouvement étudiant de type para-maoïste, au nom du caractère central de la culture dans une société industrielle.

    Max Horkheimer et Theodor Adorno, avec tout à droite Jürgen Habermas (Jeremy J. Shapiro, wikipédia)

    Pour les intellectuels bourgeois d’ailleurs, l’école de Francfort est assimilée à une critique de l’industrie culturelle, et c’est la figure de Walter Benjamin qui est la plus appréciée.

    Il y a toutefois une chose qu’il faut comprendre : l’école de Francfort apparaît avant tout historiquement comme une réaffirmation de la thèse réformiste de la fin du 19e siècle, mise en avant par Bernstein, selon laquelle il fallait remettre en question la thèse de Marx dans le capital d’une paupérisation devant inéluctablement se systématiser, en raison de la chute tendancielle du taux de profit.

    Cette remise en cause de la thèse de Marx, à la différence d’au 19e siècle, se veut justifiée par la généralisation de la consommation de masse. C’est ainsi la thèse d’une nouvelle variante de capitalisme.

    Le fond de cette thèse intellectuelle – critique tient alors en la thèse d’une super-production capitaliste se débordant elle-même en permanence afin de maintenir les gens dans leur aliénation.

    C’est la thèse, également exposée par l’économiste français du PCF Paul Boccara dans les années 1960-1970, d’un capitalisme qui se survit à lui-même, en développant artificiellement une consommation, au moyen du « capitalisme monopoliste d’État ».

    Cependant dans l’école de Francfort, la source du maintien du capitalisme n’est pas le rôle accru de l’État, mais la consommation. Dans son intervention à la 16e conférence de la sociologie allemande en 1968, intitulée Capitalisme tardif ou société industrielle ?,Theodor Adorno expose ainsi la question de son point de vue :

    « On peut se fonder sur les convergences entre les pays les plus avancés technologiquement, les États-Unis et l’Union soviétique.

    En termes de niveau de vie et de conscience, les différences de classe deviennent beaucoup moins visibles dans les États occidentaux d’importance que dans les décennies pendant et après la révolution industrielle.

    Les prédictions de la théorie des classes, telles que celles de la paupérisation et de l’effondrement, ne se sont pas matérialisées aussi radicalement qu’il faut le comprendre si elles ne doivent pas être simplement ignorées ; on ne peut parler que de manière comique d’un appauvrissement relatif.

    Même si la loi ambiguë de Marx sur la baisse du taux de profit comme immanent au système s’était avérée vraie, il faudrait admettre que le capitalisme a découvert en lui-même des ressources qui permettent de remettre l’effondrement aux calendes grecques – des ressources dont relèvent incontestablement l’immense augmentation du potentiel technique et donc aussi la quantité de biens de consommation dont bénéficient tous les membres des pays hautement industrialisés.

    En même temps, compte tenu de ce développement technique, les rapports de production se sont avérés plus élastiques que Marx ne le croyait. »

    Des jeunes intellectuels vont voir ici la possibilité de prolonger la lecture de l’école de Francfort. Si les rapports de production se sont montrés plus élastiques, si les luttes de classe ne donnent rien, c’est qu’en fait le prolétariat est une composante du capitalisme, et que le capitalisme se survit à lui-même au moyen d’un capital fictif faisant tourner la machine capitaliste à l’infini, telle une sorte de casino à crédit.

    C’est la « critique de la valeur ».

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  • Herbert Marcuse prend parti avec Contre-révolution et révolte

    Publié en 1973 par Herbert Marcuse à l’âge de 75 ans, Contre-révolution et révolte est une œuvre inspirante qui maintient comme fond une dénonciation de la technologie, d’une époque des masses dans un cadre industrialiste…

    Mais elle tend à aller à une critique de la vie quotidienne, au nom du besoin considéré comme naturel de créativité et d’esthétique.

    L’ouvrage est bien plus lisible que les œuvres précédentes de Herbert Marcuse ou de l’école de Francfort dans leur totalité. On a ici une tentative de contribution à la transformation du monde, de manière engagée et assumée, avec une très violente dénonciation du capitalisme américain.

    On y lit ainsi :

    « Désormais, pour la majorité des populations métropolitaines, le capital engendre moins la privation matérielle qu’une satisfaction manipulée des besoins matériels, et cependant il fait de l’être humain tout entier – de son intelligence et de ses sens – un objet d’administration, embrayé sur la production et la reproduction non des seuls objectifs mais aussi des valeurs et des promesses du système, de son paradis idéologique.

    Sous le masque technologique, – sous le masque politique de la démocratie, apparaît la réalité de la servitude universelle, la dissolution de la dignité humaine en une liberté de choix préconditionnée.

    Et la structure du pouvoir n’est plus « sublimée » dans le style d’une culture se voulant libérale, elle n’est même plus hypocrite (ne sauve même plus ainsi des « apparences » polies, l’enveloppe de la dignité), elle est brutale et ne prétend plus le moins du monde à la vérité et à la justice. »

    De manière intéressante, Herbert Marcuse en aboutit à la conclusion qu’il faut une vision du monde pour transformer les choses. C’est ce qui fait qu’on a pu parfois le rapprocher du maoïsme, bien qu’en réalité, son positionnement est moraliste-culturel et ainsi absolument en phase avec l’austro-marxisme des années 1920-1930.

    Il assume entièrement de considérer le marxisme comme un prolongement pour ainsi dire concret de l’idéalisme allemand, en paraphrasant en même temps clairement la révolution culturelle chinoise :

    « Seule la conception marxiste, tout en conservant la composante critique, transcendante, de l’idéalisme, met au jour le terrain matériel, historique, propre à la réconciliation de la liberté humaine et de la nécessité naturelle, de la liberté subjective et de la liberté objective.

    Cette alliance suppose la libération, la praxis révolutionnaire destinée à abolir les institutions du capitalisme et à les remplacer par des institutions et des rapports socialistes.

    Mais dans cette transition, l’émancipation des sens doit accompagner celle de la conscience, ce qui englobe la totalité de l’existence humaine. S’ils veulent bâtir, associés, une société qualitativement différente, les individus eux-mêmes doivent changer dans leurs instincts et leur sensibilité. »

    Entraîné par le mouvement étudiant, Herbert Marcuse fait ainsi de Contre-révolution et révolte un appel à participer à la Nouvelle gauche pour mettre à bas le capitalisme, sur une base moraliste-culturelle, mais en axant les choses d’une telle manière que l’influence maoïste est patente.

    On lit ainsi dans Contre-révolution et révolte :

    « L’organisation totale de la société soumise au capitalisme de monopoles et l’opulence croissante qu’elle crée, ne peuvent ni inverser ni bloquer la dynamique de son expansion : le capitalisme ne peut satisfaire les besoins qu’il engendre.

    L’élévation même du niveau de vie exprime cette dynamique : elle a obligé à susciter sans cesse de nouveaux besoins qui puissent être satisfaits sur le marché ; elle provoque maintenant des besoins transcendants dont la satisfaction impliquerait l’abolition du mode de production capitaliste.

    Il reste vrai que le développement du capitalisme passe par une paupérisation croissante, et que la paupérisation sera un facteur fondamental de la révolution – mais sous de nouvelles formes historiques.

    Dans la théorie de Marx, la paupérisation voulait tout d’abord dire privation, insatisfaction de besoins vitaux, et avant tout de besoins matériels. Cette notion ayant cessé de représenter la condition des classes ouvrières dans les pays industriels de pointe, on l’a réinterprétée pour y voir une frustration relative, un appauvrissement culturel par rapport à la richesse sociale disponible.

    Mais cette réinterprétation suggère une continuité fallacieuse dans la transition vers le socialisme, à savoir l’amélioration de la vie dans le cadre de l’univers existant des besoins.

    Alors que ce qui est en jeu dans la révolution socialiste, ce n’est pas la seule généralisation de la satisfaction à l’intérieur de l’univers existant des besoins, ni le déplacement de la satisfaction d’un certain niveau à un niveau supérieur, mais la rupture avec cet univers, le saut qualitatif.

    La révolution implique une transformation radicale des besoins eux-mêmes et des aspirations, tant culturelles que matérielles ; de la conscience et de la sensibilité ; du processus du travail aussi bien que du loisir.

    Cette transformation transparaît dans la lutte contre la parcellisation du travail, contre l’impératif de productivité et l’accomplissement de tâches stupides pour une marchandise stupide, contre l’âpreté au gain de l’individu bourgeois, contre l’esclavage sous le nom de technologie, la frustration sous le nom de bien-être, contre la pollution comme mode de vie.

    Les besoins moraux et esthétiques deviennent des besoins fondamentaux, vitaux, qui appellent de nouvelles relations entre les sexes, entre les générations, entre hommes et femmes et la nature.

    On comprend la liberté comme plongeant ses racines dans de tels besoins, qui sont indissolublement des besoins sensibles, éthiques et rationnels. »

    On a de fait affaire à un marxisme non léniniste mais ancrée dans une perspective morale-culturelle, et pour cette raison Contre-révolution et révolte salue même le travail de la Gauche Prolétarienne en France, ainsi que de Sinistra Proletaria en Italie (qui donnera les Brigades Rouges). L’approche de Herbert Marcuse, s’alignant sur le mouvement étudiant, tend au maximum de ce que peut atteindre justement le mouvement étudiant le plus radical, un maoïsme moraliste à forme spontanéiste, mais comprenant ses propres limites et cherchant à les dépasser.

    On lit dans Contre-révolution et révolte :

    « Il s’agit de quelque chose de tout différent du « développement de la conscience de classe de l’extérieur » ; les groupes minoritaires d’aujourd’hui auxquels incomberont les tâches d’organisation seront fort différents de l’avant-garde léniniste.

    Celle-ci assurait la direction, théorique et pratique, d’une classe ouvrière dans laquelle elle était enracinée et qui avait l’expérience immédiate de la pauvreté et de l’oppression – à tel point que la perte d’une guerre suffit à l’organiser pour l’action révolutionnaire.

    Et ces masses étaient la base humaine de la reproduction matérielle de la société. Telle n’est pas la situation qui règne dans les métropoles impérialistes d’aujourd’hui (…).

    S’il est vrai que le peuple doit se libérer de sa servitude, il est tout aussi vrai qu’il doit d’abord se libérer de ce qu’on a fait de lui dans la société où il vit. Cette libération préalable ne peut être « spontanée », car une telle spontanéité n’exprimerait que les valeurs et les objectifs dérivés du système établi. L’autolibération est auto-éducation mais, en tant que telle, elle suppose d’abord éducation par autrui (…).

    En vérité, il n’y a pas de changement social qualitatif, pas de révolution possible, sans l’émergence d’une rationalité et d’une sensibilité nouvelles chez les individus eux-mêmes, pas de changement social radical sans changement radical des agents individuels de ce changement. »

    De manière marquante, Herbert Marcuse aborde également la question de la nature. Il appuie en effet son appel moraliste-culturel sur une nature humaine devant être libérée en fin de compte. Il prend pour cela appui sur les Manuscrits de 1844 de Karl Marx.

    « Domination de l’homme à travers la domination de la nature : le lien concret entre la libération de l’homme et celle de la nature est mis aujourd’hui en évidence par le rôle que joue, chez la Gauche radicale, la campagne pour l’écologie.

    La pollution de l’air et de l’eau, le bruit, l’empiétement de l’industrie et du commerce sur les grands espaces naturels pèsent physiquement sur les individus comme un esclavage, comme un emprisonnement. Les combattre, c’est une lutte politique, car on voit très bien combien inséparable de l’économie capitaliste est la violation de la nature (…).

    Le potentiel subversif de la sensibilité et la nature comme terrain de libération sont des thèmes centraux des Manuscrits de 1844 (…).

    Je rappellerai brièvement la grande idée des Manuscrits. Marx parle de « l’émancipation totale de tous les sens et de toutes les qualités humaines 1 » en tant que trait caractéristique du socialisme ; seule cette émancipation est « abolition de la propriété privée ».

    Ce qui signifie l’apparition d’un nouveau type humain, différent dans sa nature et sa physiologie même du sujet humain de la société de classes : « Les sens de l’homme social sont autres que ceux de l’homme non social. » L’ « émancipation des sens » implique qu’ils deviennent pratiquement actifs dans la reconstruction de la société, qu’ils engendrent des rapports nouveaux (socialistes) d’homme à homme, de l’homme aux choses, entre l’homme et la nature. »

    Cependant, il est impossible dans une telle démarche moraliste-culturelle d’assumer le principe de révolution, de matérialisme dialectique. Pour Herbert Marcuse, le communisme est en fait le meilleur des mondes possible. Aux États-Unis, le Parti Communiste Révolutionnaire des États-Unis, de Bob Avakian développa précisément cette conception dans les années 2000, en remplacement du maoïsme auparavant arboré.

    C’est qu’on a dans cette approche moraliste-culturelle ne comprenant pas le mouvement dialectique de l’univers inévitablement un basculement subjectiviste vers les « bons choix » à effectuer.

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  • Herbert Marcuse et l’homme unidimensionnel

    Herbert Marcuse fut mis de côté au moment du départ de l’Institut de recherche sociale aux États-Unis, il travailla pour les services secrets américains, espérant toujours revenir dans le giron de l’Institut, mais n’y parvint pas en raison notamment de la jalousie de Theodor Adorno qui monopolisait la figure de Max Horkheimer. Ce dernier resta toutefois en contact très étroit avec Herbert Marcuse, qui se situait tout à fait dans sa perspective de dénonciation de l’industrialisme.

    Herbert Marcuse va même devenir la figure la plus connue de « l’école de Francfort », en raison de son engagement, puisqu’il assumait de maintenir Georg Lukács comme référence essentielle, avec celle du philosophe existentialiste, historiquement pro-nazi, Martin Heidegger.

    Il considérait même que l’œuvre d’ultra-gauche Histoire et conscience de classe de Georg Lukács et le manifeste existentialiste pessimiste de l’ultra-droite Être et temps de Martin Heidegger disaient purement et simplement la même chose, mais de manière différente.

    C’est que s’il acceptait la thèse selon laquelle l’industrialisme était la source de tous les maux, il pensait qu’il était possible de sortir de cette situation historique au moyen d’une association du marxisme et de la psychanalyse de Freud, ce qui fait de lui la figure la plus connue du « freudo-marxisme ».

    Herbert Marcuse en 1955 (wikipédia)

    De fait, Herbert Marcuse publia en 1955 Éros et civilisation (ou Eros et culture, ou encore Structure pulsionnelle et société), qui prône une civilisation « non répressive » dans des termes qui sont ceux du premier freudo-marxiste, Wilhelm Reich, un disciple de Freud qui rompit avec lui en raison de la « soumission » de celui-ci à la répression des pulsions comme source nécessaire et inévitable de la civilisation.

    Herbert Marcuse reprend la thèse de Wilhelm Reich selon laquelle il faut au contraire libérer les pulsions pour réaliser l’utopie, ce que l’industrialisme empêche justement. Son obsession est une sorte d’individu spontané exerçant des choix conscients qui seraient fondamentalement justes s’ils sont individuels.

    Il y a ainsi une critique de la société moderne fondée sur l’industrialisme :

    « Il y a domination chaque fois que sont donnés par avance à l’individu, et vécus par lui comme tels, les buts auxquels il aspire et les moyens d’y atteindre. »

    « Les camps de concentration, les génocides, les guerres mondiales et les bombes atomiques ne sont pas des rechutes dans la barbarie, mais les résultats effrénés des conquêtes modernes de la technique et de sa domination. »

    Mais ce faisant, Herbert Marcuse critique-t-il le capitalisme ou le communisme ? En fait, il critique le capitalisme conservateur et le communisme, considérés par toute une série d’auteurs à l’époque comme convergeant dans un esprit à la fois étatique et bureaucratique.

    On est ici à la pointe de ce qu’on appelle les « liberals » aux États-Unis, formant un équivalent de ce qu’on appelle la « seconde gauche » en France, c’est-à-dire celle hostile au communisme. Herbert Marcuse publia d’ailleurs dans la foulée Le marxisme soviétique en 1958 comme fruit de son travail à l’Institut russe de l’Université de Columbia.

    Herbert Marcuse converge ici avec le développement d’une consommation de masse exigeant une remise en cause des normes dominantes, pour laisser des espaces libres aux nouvelles formes de vie consommatrice.

    Herbert Marcuse rejoignit pour cette raison l’Université Brandeis, près de Boston, une université mise en place par la communauté juive, dans un esprit résolument ancré dans le Parti démocrate américain. Louis Brandeis (1856-1941) a d’ailleurs été un très important juge de la Cour suprême américaine développant une approche « sociale » particulièrement prononcée, mêlant conformément à l’approche du Parti démocrate une mise en avant du bien public et un appui à l’élargissement des droits individuels.

    Et c’est avec L’homme unidimensionnel, un « Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée » publié en 1964, que Herbert Marcuse obtint une célébrité intellectuelle mondiale. On y retrouve les principes de Éros et civilisation :

    « L’autodétermination (individuelle) ne sera effective que lorsqu’il n’y aura plus des masses mais des individus libérés de toute propagande. »

    Sauf que, dans cet ouvrage, il dresse le portrait général d’une société devenue civilisation et programmant pour ainsi dire la production étouffant par conséquent les initiatives individuelles valorisées dans Éros et civilisation.

    En apparence, Herbert Marcuse dénonce l’aliénation et la société de consommation capitaliste, mais en réalité il dénonce le fait que la civilisation l’emporte, avec son principe d’organisation et d’efficacité, sur les instincts individuels, ce qui est très différent dans le fond.

    On lit dans l’introduction de L’homme unidimensionnel :

    « Le totalitarisme n’est pas seulement une uniformisation politique terroriste, c’est aussi une uniformisation économico-technique non terroriste qui fonctionne en manipulant les besoins au nom d’un faux intérêt général. Nous pouvons distinguer de vrais et de faux besoins.

    Sont « faux » ceux que des intérêts sociaux particuliers imposent à l’individu : les besoins qui justifient un travail pénible, l’agressivité, la misère, l’injustice. Le résultat est alors l’euphorie dans le malheur.

    Se détendre, s’amuser, agir et consommer conformément à la publicité, aimer et haïr ce que les autres aiment ou haïssent, ce sont pour la plupart de faux besoins.

    Plus l’administration de la société répressive devient rationnelle, productive, technique et totale, plus les individus ont du mal à imaginer les moyens qui leur permettraient de briser leur servitude et d’obtenir leur liberté.

    Choisir librement parmi une grande variété de marchandises et de services, ce n’est pas être libre si pour cela des contrôles sociaux doivent peser sur une vie de labeur et d’angoisse – si pour cela on doit être aliéné.

    Le refus intellectuel et émotionnel du conformisme paraît être un signe de névrose et d’impuissance. Tel est l’aspect socio-psychologique de l’événement politique le plus marquant de l’époque contemporaine : la disparition de ces forces historiques qui, au stade précédent, représentaient des possibilités et des formes de vie nouvelles. »

    Ce dernier point est le plus important pour saisir l’arrière-plan de la démarche de Herbert Marcuse, car celui-ci était le plus « marxiste » de l’école de Francfort, cependant c’est un marxisme sans lutte de classes, où le protagoniste est l’individu spontané, instinctif, anti-répressif.

    En fait, si l’on cherche un ouvrage strictement équivalent sur le plan de l’approche, c’est le roman Le Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley, où un individu à la marge parvient seul à saisir le conditionnement dans une société où les masses non seulement acceptent mais veulent une consommation confortable bloquant toute créativité, toute spontanéité.

    Ce faisant, Herbert Marcuse se dresse en théoricien des marges comme refuge d’une possibilité d’une vie nouvelle, car les marges vivraient à l’écart des mécanismes de l’industrialisme. Seules les marges abritent des gens qui ne seraient pas devenus « unidimensionnels », c’est-à-dire ayant un comportement façonné par l’industrialisme. Il expose la chose ainsi dans L’homme unidimensionnel :

    « Au-dessous des classes populaires conservatrices, il y a le substrat des parias et des « outsiders », les autres races, les autres couleurs, les classes exploitées et persécutées, les chômeurs, et ceux qu’on ne peut pas employer.

    Ils se situent à l’extérieur du processus démocratique leur vie exprime le besoin le plus immédiat et le plus réel de mettre fin aux conditions et aux institutions intolérables.

    Ainsi leur opposition est révolutionnaire même si leur conscience ne l’est pas. Leur opposition frappe le système de l’extérieur et de ce fait le système ne peut pas l’intégrer ; c’est une force élémentaire qui viole les règles du jeu et, en agissant ainsi, elle montre que c’est un jeu faussé. »

    Cette fascination pour un nouveau « sujet » d’une contestation l’amène à appeler à reproduire ce modèle marginal, en mode conscient. La scène spontanéiste de Francfort des années 1960, autour de la revue Pflasterstrand avec Daniel Cohn-Bendit, visait justement à la formation de petits groupes communautaires alternatifs comme porteurs d’une alternative.

    Herbert Marcuse dira à ce sujet que :

    « Vous savez peut-être que parmi les nombreuses choses qui m’ont été reprochées, il y en a deux qui ont récemment attiré une attention particulière.

    Premièrement, j’aurais affirmé que l’opposition étudiante en tant que telle est capable aujourd’hui déjà de faire la révolution. Deuxièmement, j’aurais affirmé que ce que nous appelons en Amérique les hippies et ce que vous appelez les beatniks constitue la nouvelle classe révolutionnaire. Je n’ai jamais rien prétendu de ce genre.

    Je voulais simplement dire qu’il y a aujourd’hui dans la société des tendances – des tendances anarchiques, désorganisées, spontanées – qui annoncent une rupture totale avec les besoins de la société répressive.

    [Ces groupes] dénotent un état de désintégration l’intérieur du système : le phénomène en lui-même n’est pas encore vraiment une force révolutionnaire, mais il pourra peut-être jouer un rôle le jour où il sera relié à d’autres forces objectives beaucoup plus fortes. »

    Le ton général reste cependant à un pessimisme général sur une portée de changement en général, tout en appelant à maintenir l’esprit de révolte.

    C’est pourquoi il expliquera en juillet 1967 à l’Université libre de Berlin-Ouest, en présence notamment du dirigeant étudiant gauchiste Rudi Dutschke, qu’un changement fondamental s’avère concrètement impossible en raison de l’industrialisme. Dans ses propos rassemblés dans l’ouvrage La fin de l’utopie dans la foulée, Herbert Marcuse présente ainsi les choses :

    « Pour développer les nouveaux besoins révolutionnaires il faut d’abord supprimer les mécanismes qui maintiennent les anciens besoins.

    Mais pour supprimer les mécanismes qui maintiennent les anciens besoins, il faut d’abord qu’il y ait le besoin de supprimer les anciens mécanismes. C’est exactement le cercle en présence duquel nous nous trouvons et je ne sais pas comment en sortir. »

    Il maintiendra cependant toujours un appel à l’engagement ; dans Contre-révolution et révolte en 1973,il se revendique ouvertement du processus de contestation mondiale, appelant à la révolution. Herbert Marcuse avait totalement convergé avec la contestation étudiante des années 1960 et ce ouvrage est un appel à renforcer la « Nouvelle gauche ».

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  • Le retour en Europe et la figure de Theodor Adorno

    L’Institut de recherche sociale était passé de Francfort à New York, puis ses principaux membres sur la côte ouest, tout en étant formellement rattaché encore à la Columbia University. La fin de la guerre donnait la possibilité d’une carrière en Allemagne de l’Ouest, avec le prestige d’une dimension « américaine ».

    Les membres de l’Institut de recherche sociale n’avaient en effet subi aucun travers de l’immense campagne anticommuniste après 1945 qui visa particulièrement les immigrés européens gravitant autour de Hollywood.

    En octobre 1949, la revue de la société américaine de sociologie, American Sociological Review, fit ainsi un appel pour que l’Institut de recherche soit rétabli dans ses droits à Francfort, comme avant 1933, tout en restant une sorte de filiale de la Columbia University.

    L’Institut reçut alors 50 000 dollars pour son installation et 110 000 dollars par an (dont 7 000 pour le directeur Max Horkheimer) pour son fonctionnement. La ville de Francfort apporta 150 000 marks et John McCloy, le commissaire principal représentant les États-Unis en Allemagne de l’Ouest, fit en sorte que soient apportés 435 000 marks.

    L’Institut de recherche sociale était donc entièrement fonctionnalisé par les États-Unis et le nouveau régime allemand lorsqu’il rouvrit en grande pompe à Francfort le 14 novembre 1951, au point d’ailleurs que dans les évaluations « sociologiques » effectuées, être pour le réarmement de l’Allemagne (de l’Ouest) était évalué positivement, le pacifisme étant assimilé à un rejet du régime post-nazi.

    C’est dans le prolongement de cette installation institutionnelle que Theodor Adorno écrivit des ouvrages sur la musique et synthétisa sa propre philosophie dans Dialectique négative en 1966.

    On a ici une œuvre qui est l’expression la plus aboutie de « l’école de Francfort » portée par l’Institut de recherche sociale. Tout est magistralement incompréhensible, dans une avalanche de concepts et de références dont le seul dénominateur commun est la fascination pour l’opposition sujet / objet.

    Ce dernier aspect est important, car il puise dans Histoire et conscience de classe de Georg Lukács, publié 43 ans auparavant, qui se fondait justement sur cette pseudo dialectique du sujet et de l’objet.

    Theodor Adorno résume de la manière suivante sa démarche :

    « Il s’agit d’une tentative de philosophie qui ne présuppose pas le concept d’identité de l’être et de la pensée, et ne se conclut pas là-dessus non plus, mais justement du contraire, c’est-à-dire qui entend articuler le cheminement séparé du concept et de la chose, du sujet et de l’objet, et de leur inconciliabilité. »

    En termes clairs, cela signifie que si Georg Lukács expliquait dans Histoire et conscience de classe que le prolétariat résoudrait le conflit entre l’articulation du sujet et de l’objet, par la pratique révolutionnaire, Theodor Adorno dit que la séparation est radicale entre le sujet et l’objet.

    Il y aurait toujours un décalage désastreux et tel serait le drame humain.

    Cela donne donc, dans Dialectique négative, une série de propos à la fois cryptique et conceptuel, d’allure philosophique ultra-radicale et ne débouchant typiquement sur rien, etc. Voici quelques exemples.

    « Ce qui, dans la conscience morale, reproduit la monstruosité obstinément présente, répressive de la société, est le contraire de la liberté et doit être démystifié par la mise en évidence de sa détermination.

    En revanche la norme collective, inconsciemment annexée par la conscience morale, témoigne de ce qui, dans la société, comme principe de sa totalité dépasse la particularité. Voilà le moment de vérité de la société.

    À la question sur le juste et l’injuste de la conscience morale une réponse concluante est refusée parce que le juste et l’injuste sont absolument inhérents à la conscience morale et qu’aucun jugement abstrait ne pourrait les en séparer : la conscience solidaire, qui supprime la conscience répressive, ne se constitue que face à la forme répressive de la conscience.

    Pour la philosophie morale il est essentiel qu’entre individu et société ni ne surgisse une simple différence, ni ne s’accomplisse une réconciliation. »

    « Percevoir la constellation dans laquelle se trouve la chose signifie pour ainsi dire déchiffrer l’histoire que le singulier porte en lui en tant qu’advenu.

    De son côté, le chorismos [terme rarissime, relevant du grec ancien chez les critiques de Platon, désignant la séparation chez Platon des idées pures des objets avec les objets réels] de l’extérieur et de l’intérieur est conditionné historiquement.

    Seul un savoir auquel est aussi présente la valeur historique de l’objet dans son rapport aux autres objets, est capable de dégager l’histoire dans l’objet ; actualisation et concentration d’un déjà su qui transforme le savoir. »

    « La réification et la conscience réifiée actualisèrent avec l’essor des sciences de la nature, aussi la potentialité d’un monde sans manque ; du déshumanisé par chosification fut déjà auparavant condition de l’humanité ; celle-ci du moins se conjuguait à des figures chosifiées de la conscience alors que l’indifférence envers les choses tenues pour de purs moyens et réduites au sujet, contribua à niveler l’humanité.

    Dans le chosifié, ces deux éléments sont réunis : le non-identique de l’objet et l’assujettissement des hommes aux conditions de productions dominantes, leur propre interconnexion fonctionnelle méconnue d’eux-mêmes. »

    On ne s’étonnera donc pas si, au moment de la révolte étudiante en Allemagne de l’Ouest, Theodor Adorno rejette le mouvement. Lorsque l’Institut de recherche sociale fut occupé par les étudiants en janvier 1969, il les fit évacuer par la police.

    Les étudiants se vengèrent en venant chahuter son dernier cours de l’année en avril 1969, et lorsqu’il posa un ultimatum pour savoir dans les trois minutes qui suivirent si le cours aurait lieu ou pas, trois étudiantes vinrent se poser à ses côtés, seins nus, en lui posant des fleurs sur la tête.

    Il quitta les lieux outrés, alors que les examens d’avril 1969 furent également, en son absence, perturbés par des activistes (jets de peinture, etc.). Il décéda d’une crise cardiaque en août 1969 lors d’un séjour à la montagne.

    Theodor Adorno était ici d’accord avec Jürgen Habermas, un jeune philosophe né en 1929 ayant rejoint l’Institut de recherche sociale en 1956. Jürgen Habermas considérait que le mouvement étudiant était largement poreux au fascisme dans sa démarche même, comme « fascisme de gauche » ; par la suite, il développera le principe du patriotisme constitutionnel, voulant que ce qui compte pour les Allemands ne doit pas tant être l’Allemagne que les institutions « démocratiques » allemandes. C’est grosso modo l’idéologie actuelle de la République Fédérale d’Allemagne.

    Ce refus du mouvement étudiant aboutit à la rupture définitive avec Herbert Marcuse, qui lui accepta de se remettre en cause et de s’identifier à la contestation révolutionnaire. Herbert Marcuse exprima d’ailleurs son désaccord ouvert avec Theodor Adorno pour avoir appelé la police lors de l’intervention des étudiants dans son cours, soulignant que l’Institut de recherche sociale des années 1960 est différent de celui des années 1930 et que l’intervention des étudiants a un sens politique réel.

    Il rejeta également fermement la thèse de Jürgen Habermas d’un « fascisme de gauche ». Dans une lettre à Theodor Adorno, il souligna que :

    « Sur le « fascisme de gauche » : bien entendu, je n’ai pas oublié qu’il y a des contradictions dialectiques – mais je n’ai pas oublié que toutes les contradictions ne sont pas dialectiques – certaines sont simplement fausses.

    La gauche (authentique) n’est pas en mesure de se transformer en Droite « par la force de ses antinomies immanentes », sans changer de manière décisive sa base sociale et ses objectifs. Rien dans le mouvement étudiant n’indique un tel changement (…).

    Parler des « Chinois sur le Rhin » [en référence aux « pro-chinois »] est une impossibilité pour moi, tant que les Américains ont des bases sur le Rhin. »

    Dans une autre lettre, il dit encore :

    « Ma question de savoir si l’Institut d’aujourd’hui est vraiment toujours l’ancien ne faisait pas du tout référence aux publications, mais à l’abstention des positions politiques.

    Je le répète : en aucun cas je n’ai banni le concept de médiation, mais il y a simplement des situations dans lesquelles justement elle se manifeste concrètement.

    Selon sa propre dynamique, le grand, voire historique travail de l’Institut exige l’adoption d’une position claire contre l’impérialisme américain et pour la lutte de libération au Vietnam, et il n’est tout simplement pas question de parler des « Chinois sur le Rhin », tant que le capitalisme est l’exploiteur dominant.

    Dès 1965, j’ai entendu parler de l’identification de l’Institut avec la politique américaine en Allemagne. »

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  • L’antisémitisme de la personnalité autoritaire : l’échelle F

    En apparence, la critique de l’industrialisme par Max Horkheimer et Theodor Adorno a une portée radicale, en ce qu’elle dénonce une industrialisation atteignant la vie quotidienne par l’intermédiaire de la culture, et proposant des ersatz, des remplacements artificiels pour les échecs à avancer dans sa propre vie vers un bonheur par ailleurs indéfini, mais qu’on devine relevant du communisme vu par des intellectuels bourgeois, plus exactement donc d’une lecture intellectuelle d’une société utopiste.

    En pratique toutefois l’approche se retourne en son contraire puisqu’on avance par la raison, mais que celle-ci en avançant devient tyrannique et donc se transforme en barbarie. Il ne reste alors plus qu’une posture, qui reflète socialement clairement la position sociale d’intellectuels bourgeois juifs progressistes.

    Pour cette raison même, toute la tension, tant positive que négative, va s’exprimer concernant précisément la question de l’antisémitisme. Cela forme le pire et le meilleur de l’approche de Max Horkheimer et Theodor Adorno et plus généralement ce qu’on a appelé ensuite l’école de Francfort.

    Lorsque, en effet, il y a un déséquilibre marqué dans l’opposition inéluctable entre la raison qui avance et la barbarie qui est produite la raison, il se produit une diffusion d’une « personnalité autoritaire », avec en particulier l’antisémitisme, présenté comme un « rituel de civilisation ».

    L’antisémitisme est ici une explosion meurtrière porté par des personnalités autoritaires, sans intention réelle et n’exprimant dans son fondement même qu’une défaite de la civilisation, en raison de son incapacité à avancer sans se transformer en démarche tyrannique et donc barbare, ce qui caractérise l’industrialisme des sociétés.

    L’Institut de recherche sociale avait en fait entretenu de bons liens avec l’American Jewish Committee. Cela aboutit à un projet d’étude de l’antisémitisme comme phénomène, ce qui amena la publication de La personnalité autoritaire, en 1950, dans le cadre de la section d’Etudes sur les préjugés de l’American Jewish Committee.

    La personnalité autoritaire a comme auteurs Theodor W. Adorno (qui en assurait la direction), Else Frenkel-Brunswik, Daniel Levinson et Nevitt Sanford, avec comme arrière-plan l’université de Californie, Berkeley.

    Dans ce cadre, il fut proposé une « échelle F », pour caractériser au moyen d’un questionnaire (allant de -3 à +3 avec 0 au centre) les tendances antidémocratiques implicites et le potentiel de fascisme. Voici les critères de cette échelle F :

    – le conventionnalisme, c’est-à-dire le fait de s’en tenir purement aux conventions ;

    – la soumission autoritaire, autrement dit la subordination à des figures d’autorité ;

    – l’agression autoritaire, la tendance à intervenir afin de préserver les conventions ;

    – l’« anti-intraception », signifiant le rejet du subjectif, de l’imaginatif, du bel esprit ;

    – la superstition et la stéréotypie, avec les clichés, l’esprit de catégorisation, la croyance au destin ;

    – la puissance et la rudesse, désignant l’identification aux puissants ayant le pouvoir ;

    – la destructivité et le cynisme, exprimant l’hostilité et la dévalorisation d’autres personnes ;

    – la projectivité, comme tendance à croire en la présence du mal dans le monde et comme expression de sentiments émotionnels inconscients vers l’extérieur ;

    – la sexualité en tant qu’intérêt démesuré pour la vie sexuelle.

    Ce qui est marquant dans ces critères, c’est qu’il est procédé une sorte d’assemblage de conceptions, sans réelle cohérence.

    On retrouve ainsi l’exigence de conscience démocratique portée par le mouvement communiste avec le Front populaire (puis la Démocratie populaire). On a également la dénonciation anti-monarchique des mentalités féodales – hiérarchiques typiques de l’empire allemand d’avant 1918, dont l’une des expressions majeures est le roman de 1914 Le Sujet de l’Empereur, de Heinrich Mann.

    On a ensuite une critique des préjugés dû au manque de culture et d’éducation, avec une tendance marquée au reproche de nature intellectuelle – aristocratique fait au peuple arriéré incapable de culture, etc.

    On a une valorisation du libéralisme, avec un rejet des valeurs sociales – étatiques suprêmes, avec aussi une approche s’inspirant de la psychanalyse pour critiquer les gens ayant des obsessions à caractère « sexuel » ou dans leurs rapports avec la figure paternelle.

    En fait, vu du début du 21e siècle, il est facile de voir que tout cela correspond à une vision du Parti démocrate américain de ce que sont les partisans de Donald Trump.

    L’étude de la « personnalité autoritaire » se concentre d’ailleurs sur l’importance du cadre familial et de son influence sociale-culturelle-politique considérée comme une dimension conservatrice, une tendance à la rigidité mentale.

    On a ici la mise en place de l’idéologie de l’orientation sociale comme facteur majeur d’un « progrès » social – c’est l’idéologie du turbo-capitalisme qui déstabilise les normes afin d’imposer l’ouverture de nouveaux marchés.

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  • La « kulturkritik » contre l’industrialisme

    La situation américaine de l’Institut s’avéra toutefois rapidement mauvaise économiquement ; la plupart des protagonistes déménagèrent même au début des années 1940 sur la côte ouest, dans la région de Los Angeles, fréquentant le milieu populeux des intellectuels allemands cherchant coûte que coûte à se rapprocher de Hollywood afin d’y trouver des emplois, voire une carrière.

    Puis l’entrée en guerre des États-Unis amena tous les intellectuels à participer à l’effort de guerre dans les différents services d’analyse, de par leur maîtrise de la langue allemande et leur connaissance du national-socialisme. Cela les dispersa d’autant plus.

    Seuls Max Horkheimer et Theodor Adorno n’intégrèrent pas ces services dépendant de l’Office of Strategic Services, la future CIA ; leur positionnement grand-bourgeois sur le plan du mode de vie les empêchait de toutes manières de se plier à ce type d’exigences.

    Theodor Adorno

    C’est ce qui les amena à s’exprimer depuis leur tour d’ivoire pour dénoncer en quelque sorte l’éclipse de la raison, la mise entre parenthèses de la civilisation, à travers leur ouvrage commun de 1944, Dialectique de la Raison, avec comme premier titre Fragments philosophiques.

    La démarche de Max Horkheimer et Theodor Adorno est la suivante : la raison se retourne contre elle-même en basculant dans une approche totalitaire où tout doit se plier à la raison. C’est le « mythe du progrès ». L’expression la plus poussée de cette tyrannie de la raison est « l’industrialisme », la rationalisation technique-opérative.

    Ainsi, « l’animisme avait donné une âme à la chose, l’industrialisme transforme l’âme de l’homme en chose ».

    Il en découle une dénonciation de l’industrie culturelle, où les masses consomment des biens sans être incapable d’aller vers un sens esthétique réel. Cette consommation de masse produit des mythes embarquant toute la société – on retrouve ici la thèse initiale de la superstructure sur le capitalisme qu’on a dans Histoire et conscience de classe.

    Voici une citation tout à fait représentative, et où on retrouve la citation plus haut sur « l’âme de l’homme ».

    « La domination de l’homme n’a pas seulement pour résultat son aliénation aux objets qu’il domine, avec la réification de l’esprit les relations entre les hommes et la relation de l’homme avec lui-même sont comme ensorcelées.

    L’individu étiolé devient le point de rencontre des réactions et des comportements conventionnels qui sont pratiquement attendus de lui. L’animisme avait donné une âme à la chose, l’industrialisme transforme l’âme de l’homme en chose.

    En attendant la planification totale, l’appareil économique confère déjà de lui-même aux marchandises une valeur qui décidera du comportement des hommes. Les innombrables agences de production de masse et la civilisation qu’elles ont créées inculquent à l’homme des comportements standardisés comme s’ils étaient les seuls naturels, convenables et rationnels.

    L’homme ne se définit plus que comme une chose, comme élément de statistiques, en termes de succès ou d’échecs.

    Ses critères sont l’autoconservation, la conformité, réussie ou manquée à l’objectivité de sa fonction et aux modèles qui lui sont donnés.

    Cette négation de l’individuel et du particulier dans une égalité répressive ouvre la voie à l’affirmation de soi dans l’égalité du droit à l’injustice de la horde, telle celle des jeunesses hitlériennes. »

    On est là dans la « kulturkritik », une critique culturelle de la société. Mais il ne s’agit pas, comme on peut le penser si on s’en tient aux apparences, d’une critique de la société de consommation. Il s’agit d’une dénonciation de l’humanité prisonnière de ressorts la dépassant, d’où le besoin d’une « théorie critique ».

    C’est un strict équivalent de la dénonciation de la « technique » au même moment par Martin Heidegger, mais ici c’est l’industrialisme qui est dénoncé pour ainsi dire, comme triomphe de la raison au niveau des masses, tout en étant incapable de devenir des masses.

    Max Horkheimer et Theodor Adorno ont en ligne de mire les masses, leur faiblesse qui serait inhérente :

    « La mystérieuse disposition qu’ont les masses à se laisser fasciner par n’importe quel despotisme, leur affinité autodestructrice avec la paranoïa fasciste, toute cette absurdité incompréhensible révèle la faiblesse de l’intelligence théorique actuelle. »

    Il ne s’agit pas d’une critique de l’aliénation dans le capitalisme, mais d’un phénomène aliénant se superposant au capitalisme, comme abrutissement de masse en raison de la société de masse.

    L’ennemi de Max Horkheimer et Theodor Adorno, c’est la raison, qui produit les masses historiquement, pensent-t-ils, en amenant le capitalisme. Mais eux-mêmes sont des intellectuels, donc des tenants de la raison… Ils dénoncent « l’industrialisme » comme figure monstrueuse portée par les masses qui sont totalement incapables d’esprit critique.

    « L’abstraction, instrument de la raison, se comporte envers son objet comme le destin dont elle supprime le concept : c’est une entreprise de liquidation.

    Sous la domination de l’abstraction nivelante suivant laquelle toute chose, dans la nature, est reproductible, et sous la domination de l’industrie pour qui l’abstraction organise cette reproductibilité, les hommes libérés devinrent eux-mêmes ce « troupeau » dont Hegel dit qu’il est le produit de la Raison. »

    En apparence, on a une dénonciation du caractère aliénant de la société de consommation, en réalité, on a une « kulturkritik » à l’allemande d’une société de masse porté par l’industrialisme et de l’industrialisme porté par les masses. Et ce processus est sans fin, car tout progrès de la raison contre la barbarie implique un triomphe de la raison l’amenant à se retourner en son contraire :

    « À chaque progrès de la civilisation, les nouvelles perspectives de domination ouvraient en même temps des perspectives de suppression de celle-ci. »

    Il en découle que concrètement rien ne peut être changé, mais que la théorie critique peut contribuer à faire prendre conscience intellectuellement de ce processus.

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  • Les débuts de la théorie critique

    Lorsque l’Institut de recherche sociale, passé de Francfort à New York, se tourne vers la question de l’autorité, il ne se place pas dans une optique démocratique, mais dans une perspective libérale à l’américaine.

    On est dans une période où les sociologues enquêtent au moyen de questionnaires sur les valeurs des gens, afin d’être en mesure d’interpréter leurs comportements, du moins le pensent-ils, car en réalité ils contribuent à pousser les choses dans une certaine direction, tout en faisant des photographies aidant le capitalisme à s’adapter aux modifications idéologiques-culturelles dans le pays.

    Mais les intellectuels de l’Institut de recherche sociale ne voient pas les choses ainsi ; venant de la bourgeoisie, mais poussé par leurs origines juives à se tourner vers la rationalité, le marxisme, ils considèrent qu’ils dénoncent une sorte de barbarie rampante, avec une petite-bourgeoisie délirante portant le fascisme.

    La cible devient la « personnalité autoritaire », ce qui converge avec le libéralisme modernisateur américain, mais est conçu par les acteurs de l’Institut comme une réflexion de fond sur la barbarie. Max Horkheimer fait ainsi une analyse de 79 pages en 1936 intitulé « Égoïsme et mouvement de libération, Anthropologie de l’époque bourgeoise », où il aborde la question de l’irrationalisme des masses en mouvement.

    Max Horkheimer

    En fait, la particularité réelle, sur le plan idéologique, du courant de l’Institut, est de considérer la petite-bourgeoisie comme une classe et d’en dénoncer l’irrationalisme au moyen de ce qui relève en Allemagne de la « kulturkritik », de la critique culturelle.

    En même temps, il y a la considération petite-bourgeoise que les États deviennent historiquement monopolistes et bureaucratiques. On a en fait affaire à des intellectuels juifs cherchant à se tourner vers le socialisme, mais n’y arrivant pas, et se retrouvant arrimés au capitalisme américain dans sa version libérale-modernisatrice.

    Pour cette raison, au début des années 1940, tout un contingent d’intellectuels qui ont été pro-communistes ou communistes dans les années 1920, puis en-dehors du mouvement communiste dans les années 1930, développent l’idéologie du « totalitarisme » (Franz Borkenau, Leopold Schwarzschild, Emil Lederer, etc.).

    L’Institut convergea avec ce positionnement, tout en tenant à en rester à un esprit critique « à l’européenne ». Cela se lit avec la tentative effectuée par Herbert Marcuse, en 1941, de proposer une sorte de marxisme humaniste avec Raison et révolution : Hegel et l’émergence de la théorie sociale.

    Herbert Marcuse en reste à l’esprit des années 1920, à l’approche de Marxisme et philosophie et Histoire et conscience de classe ; il affirme qu’une « libération » est possible, consistant en une « conscience » libérée du capitalisme, ce dernier étant assimilé à une forme bureaucratique – monopoliste finalement équivalent à ce qui existerait en URSS.

    Dans un épilogue ajouté en 1954, il exprime ce qui est la ligne de l’Institut au sens strict : celle d’une « théorie critique ».

    « La raison est dans son essence même contradiction, opposition, négation, tant que la liberté n’est pas encore réelle.

    Si le pouvoir contradictoire, oppositionnel, négatif de la Raison est brisé, la réalité se meut selon sa propre loi positive et, sans être gênée par l’Esprit, déploie sa force répressive.

    Un tel déclin du pouvoir de la négativité a de fait accompagné les progrès de la civilisation industrielle tardive.

    Avec la concentration et l’efficacité croissantes de contrôle économique, politique et culturel, l’opposition dans tous ces domaines a été pacifiée, coordonnée ou liquidée. La contradiction a été absorbée par l’affirmation du positif. »

    C’est l’idée d’un capitalisme en roue libre, exactement comme on l’avait dans Histoire et conscience de classe avec un « fétichisme de la marchandise » donnant naissance à des domaines aliénés comme superstructure du capitalisme.

    Il n’y a en fait plus de capitalisme, mais une sorte de post-capitalisme avec des formes aliénées capitalistes subsistant grâce à l’acceptation des gens « pétrifiés » par les marchandises. L’économiste révisionniste théoricien du « capitalisme monopoliste d’État » dans le prolongement d’Eugen Varga, Paul Boccara, ne dira pas autre chose.

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  • Walter Benjamin et la culture de masse

    On connaît finalement en France assez bien le passage de la part de l’école de Francfort d’une critique « philosophique » à prétention « marxiste » d’une société des faux-semblants en raison du capitalisme à une constatation psychologique – sociologique de celle-ci.

    En effet, une figure très appréciée par les intellectuels bourgeois, figure qui ne relève pas de l’école de Francfort directement car son parcours n’est pas du tout universitaire, est Walter Benjamin (1892-1940). Ce dernier fait partie de la mouvance de l’école de Francfort, lui-même étant extrêmement proche de Theodor Adorno, qu’il influença.

    Venant pareillement de la bourgeoisie juive, tout en étant acquis aux idées révolutionnaires (et ce de plus en plus dans une perspective communiste au sujet de sa vie), Walter Benjamin est surtout connu pour son texte de 1936, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.

    L’œuvre fut précisément publiée à Paris par l’Institut de recherche sociale, dans la foulée du départ forcé de 1933.

    Walter Benjamin

    C’est une critique, tout à fait dans l’esprit de l’école de Francfort, de comment la culture souffre du développement de « l’industrialisme ». Cependant, Walter Benjamin considère qu’il existe une possibilité de retourner l’industrialisme en socialisme ; à rebours de l’école de Francfort, il aborde la question des masses et de leurs intérêts.

    En fait, il exprime le tourment de l’artiste désireux de rester, pense-t-il, authentique dans son activité, mais se confrontant à la réalité industrielle. Son positionnement est, avec des décennies de retard, le même que celui de William Morris, un grand artiste anglais d’esprit communiste romantique de la fin du 19e siècle.

    Walter Benjamin exprime le point de vue, qui sera très connu dans les années 1950 notamment en France et en Italie, comme quoi un artiste doit s’engager, auprès des communistes, pour tenir comme artiste.

    En fait, si les artistes ne sont pas politisés, ils se font happer par l’industrialisme dans leur démarche, et ce ne sont alors plus des artistes :

    « Il est indispensable de tenir compte de ces circonstances historiques dans une analyse ayant pour objet l’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée. Car elles annoncent cette vérité décisive : la reproduction mécanisée, pour la première fois dans l’histoire universelle, émancipe l’œuvre d’art de son existence parasitaire dans le rituel.

    Dans une mesure toujours accrue, l’œuvre d’art reproduite devient reproduction d’une oeuvre d’art destinée à la reproductibilité.

    Un cliché photographique, par exemple, permet le tirage de quantité d’épreuves : en demander l’épreuve authentique serait absurde.

    Mais dès l’instant où le critère d’authenticité cesse d’être applicable à la production artistique, l’ensemble de la fonction sociale de l’art se trouve renversé.

    À son fond rituel doit se substituer un fond constitué par une pratique autre : la politique. »

    Walter Benjamin cherche à justifier son point en développant toute une conception particulière du statut de l’œuvre d’art à une époque « industrielle », c’est-à-dire à une époque où une œuvre peut être reproduite industriellement.

    Concrètement, la « magie » – Walter Benjamin parle d’une « aura » – d’une peinture par définition unique n’est pas transposable dans un film reproduit mécaniquement à des centaines d’exemplaires.

    L’industrialisme implique une remise en cause fondamentale de la culture dans ses traditions :

    « Ce qui, dans l’œuvre d’art, à l’époque de la reproduction mécanisée, dépérit, c’est son aura. Processus symptomatique dont la signification dépasse de beaucoup le domaine de l’art.

    La technique de reproduction – telle pourrait être la formule générale – détache la chose reproduite du domaine de la tradition.

    En multipliant sa reproduction, elle met à la place de son unique existence son existence en série et, en permettant à la reproduction de s’offrir en n’importe quelle situation au spectateur ou à l’auditeur, elle actualise la chose reproduite.

    Ces deux procès mènent à un puissant bouleversement de la chose transmise, bouleversement de la tradition qui n’est que le revers de la crise et du renouvellement actuel de l’humanité.

    Ces deux procès sont en étroit rapport avec les mouvements de masse contemporains. Leur agent le plus puissant est le film. Sa signification sociale, même considérée dans sa fonction la plus positive, ne se conçoit pas sans cette fonction destructive, cathartique : la liquidation de la valeur traditionnelle de l’héritage culturel.

    Ce phénomène est particulièrement tangible dans les grands films historiques. Il intègre à son domaine des régions toujours nouvelles.

    Et si Abel Gance, en 1927, s’écrie avec enthousiasme : Shakespeare, Rembrandt, Beethoven feront du cinéma… Toutes les légendes, toute la mythologie et tous les mythes, tous les fondateurs de religions et toutes les religions elles-mêmes… attendent leur résurrection lumineuse, et les héros se bousculent a nos portes pour entrer, il convie sans s’en douter à une vaste liquidation. »

    De manière intéressante, il dit que le fascisme est obligé de procéder à une esthétisation de sa démarche, afin de prétendre fournir aux masses une perspective réelle. C’est là une question indéniable de la démagogie fasciste.

    Voici ce que dit Walter Benamin :

    « La prolétarisation croissante de l’homme d’aujourd’hui, ainsi que la formation croissante de masses, ne sont que les deux aspects du même phénomène. L’État totalitaire essaye d’organiser les masses prolétarisées nouvellement constituées, sans toucher aux conditions de propriété, à l’abolition desquelles tendent ces masses.

    Il voit son salut dans le fait de permettre à ces masses l’expression de leur nature, non pas certes celle de leurs droits.

    Les masses tendent à la transformation des conditions de propriété. L’État totalitaire cherche à donner une expression à cette tendance tout en maintenant les conditions de propriété.

    En d’autres termes : l’État totalitaire aboutit nécessairement à une esthétisation de la vie politique. Tous les efforts d’esthétisation politique culminent en un point.

    Ce point, c’est la guerre moderne. La guerre, et rien que la guerre permet de fixer un but aux mouvements de masses les plus vastes, en conservant les conditions de propriété. »

    Walter Benjamin systématise cependant sa pensée, au point de considérer que la guerre est le fruit même de l’industrialisme cherchant à tromper les masses. Il en conclut avec la position gauchiste selon laquelle les artistes doivent prendre position politiquement dans l’art lui-même.

    « Fiat ars, pereat mundus, dit la théorie totalitaire de l’état qui, de l’aveu de Marinetti, attend de la guerre la saturation artistique de la perception transformée par la technique.

    C’est apparemment là le parachèvement de l’art pour l’art. L’humanité, qui jadis avec Homère avait été objet de contemplation pour les dieux olympiens, l’est maintenant devenue pour elle-même.

    Son aliénation d’elle-même par elle-même a atteint ce degré qui lui fait vivre sa propre destruction comme une sensation esthétique de tout premier ordre. Voilà où en est l’esthétisation de la politique perpétrée par les doctrines totalitaires.

    Les forces constructives de l’humanité y répondent par la politisation de l’art. »

    Walter Benjamin est exemplaire du passage d’une critique « philosophique » à prétention « marxiste » d’une société des faux-semblants en raison du capitalisme à une constatation psychologique – sociologique de celle-ci.

    Il se situe exactement entre les deux – alors que dans les années suivant sa mort, l’école de Francfort passée à New York va justement se transformer en « théorie critique ».

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    L’école de Francfort, la théorie critique et la critique de la valeur

  • L’Institut de recherche sociale, de Francfort à New York

    Karl Korsch et Georg Lukács se revendiquaient du marxisme orthodoxe, et l’Internationale Communiste les rejeta catégoriquement pour leurs tentatives « philosophiques ». Karl Korsch rejoignit alors l’ultra-gauche, tandis que Georg Lukács se plia aux exigences demandées et intégra le mouvement communiste, avec un parcours tourmenté toutefois.

    Les intellectuels « marxistes » avaient bien constaté la signification de ce rejet, ainsi que l’absence de triomphe de la révolution en Europe ; par conséquent, ils rejetèrent toute posture de « bolchevik de salon » et décidèrent de relativement masquer leur positionnement, afin de s’installer dans les institutions universitaires tout en développant leurs propres activités.

    Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas chez certains éléments encore le choix d’appartenir au mouvement communiste. Mais à l’instar du fils de millionnaire Julian Gumperz, né aux États-Unis, cela ne dura que quelques années, au grand maximum jusqu’à la fin des années 1920.

    C’est pour cette raison que les efforts furent toujours plus tournés vers l’Institut de recherche sociale fondé en juin 1924 et financé par Felix Weil, comme dépendance de l’Université de Francfort, une ville où la bourgeoisie juive était puissante et jouait un rôle d’aiguillon libéral – modernisateur. Les nazis parlaient de la ville de Francfort, sur les bords de la rivière dénomme la Main, comme de « la Nouvelle Jérusalem sur le Jourdain de la Franconie ».

    Le bâtiment de l’Institut de recherche sociale

    En 1928, cet Institut disposait déjà d’une bibliothèque de 37 000 ouvrages, d’une salle de lecture pour 5 000 personnes, d’un abonnement à 340 revues et 37 journaux, 18 salles de travail.

    Et, dans le cadre de cet élan, c’est Max Horkheimer qui devint le dirigeant de l’Institut, en remplacement de Carl Grünberg désormais trop malade pour assumer les fonctions. On a ici l’une des principales figures de ce qui va être par la suite appelée « l’école de Francfort ».

    Max Horkheimer

    Mais cette école n’est en fait pas allemande, elle est américaine. Il faut attendre en effet l’émigration de l’Institut aux États-Unis pour que ce courant d’idées à prétention « marxiste » philosophique soit entièrement reconnu.

    En attendant ce départ américain, l’Institut siphonne en Allemagne tous les jeunes intellectuels, pratiquement uniquement de très bonne famille juive et sans aucune activité politique, qui développe une « philosophie » para-marxiste ou marxisante coupée de manière assumée du mouvement ouvrier, à l’instar de Friedrich Pollock, Erich Fromm, Leo Löwenthal, Theodor Adorno, à quoi va s’ajouter par la suite Herbert Marcuse, Kurt Mandelbaum, Otto Kirchheimer, Franz Neumann.

    Et il ne participe pas au mouvement d’affrontement avec le nazisme. L’Institut vit dans un monde parallèle, se focalisant sur des recherches notamment au moyen de questionnaires à l’intention d’ouvriers et d’employés. Les aspects fondamentaux étudiés étaient la morale, les valeurs, les traits psychologiques, voire psychiques.

    On se situe ici à la fois dans la perspective de la « philosophie » à prétention « marxiste » de Karl Korsch et Georg Lukács et dans celle de l’austro-marxisme avec son marxisme à lecture moraliste – éducative par l’intermédiaire de la philosophie d’Emmanuel Kant.

    Naturellement, les résultats conceptuels élaborés en-dehors de la vie réelle des masses aboutissaient à une sorte de pessimisme progressiste, qui sera la marque de fabrique de « l’école de Francfort ».

    L’Institut fut fermé par les nazis en mai 1933 ; une base fut établie à Genève, avec des liens à Londres et à Paris avec le Centre de documentation de l’École Normale Supérieure. Les éditions parisiennes Félix Alcan, de renommée et d’importance mondiale alors dans les domaines de psychologie, sociologie, philosophie, assura la publication de la revue (800 exemplaires en librairie à quoi s’ajoutent 300 en abonnement).

    Dans la continuité de la position d’avant 1933, l’Institut en exil refusa même toute forme d’organisation politique et toute prise de position ouverte, malgré la situation totalement modifiée. C’est également la raison qui a poussé l’Institut à choisir les États-Unis comme refuge, bien à l’abri des événements en Europe.

    Les États-Unis, pourtant déjà farouchement anti-communistes, acceptèrent volontiers ces intellectuels tournés vers la philosophie, la sociologie, la psychologie, avec une prétention « marxiste », car les temps étaient justement à la mise en place d’une idéologie « démocrate » réformiste, avec le « New Deal » comme vecteur idéologique et comme programme.

    C’est donc la très prestigieuse Columbia University de New York qui accueillit l’Institut, qui bien évidemment amena lui-même son financement, ce qui était d’autant plus appréciable côté américain.

    L’Institut orienta alors son premier grand travail sur l’autorité dans la famille, une perspective sociologique « neutre », mais qui correspondait à la conception dominante désormais. On était passé d’une critique « philosophique » à prétention « marxiste » d’une société des faux-semblants en raison du capitalisme à une constatation psychologique – sociologique de celle-ci.

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  • « Marxisme et philosophie » et « Histoire et conscience de classe »

    L’impact de la révolution d’Octobre 1917 en Russie fut phénoménal en Europe centrale et pour un nombre significatif d’intellectuels, il fallait résolument se placer sur ce terrain nouveau afin d’être en phase avec les événements historiques se produisant et bouleversant le panorama.

    Il faut bien prendre en considération ici que l’effondrement des empires allemand et austro-hongrois avait démantelé les formes sociales traditionnelles, les luttes de classes faisant vaciller les sociétés elles-mêmes.

    On parle également des couches intellectuelles, donc de cercles particulièrement minoritaires, existant uniquement dans les centres urbains, en particulier dans la capitale ; il s’agit plus particulièrement de personnes juives, qui faisaient face à un problème historique d’intégration, oscillant entre repli communautaire religieux, sionisme, semi-intégration par le libéralisme, fusion avec l’ensemble national dans une perspective socialiste.

    Dans un contexte où la contre-révolution en Allemagne s’alignait sur un nationalisme pangermaniste et antisémite, cela devait provoquer un basculement, qui s’exprime par l’initiative de Felix Weil. Né à Buenos Aires d’un père richissime mécène de l’Université de Francfort, il distribua son argent à des initiatives « philosophiques » se revendiquant du marxisme, telle la semaine de travail marxiste à partir de 1923, ainsi que l’Institut de recherche sociale auprès de l’Université de Francfort en 1924.

    « Bolchevik de salon », une biographie en espagnol de Felix Weil, avec en couverture une peinture de celui-ci par George Grosz en 1926

    Le directeur de cet Institut de recherche sociale était Carl Grünberg, qui avait été professeur à Vienne à partir de 1912 et eu comme étudiants les principaux représentants de l’austro-marxisme : Otto Bauer, Max Adler, Friedrich Adler, Rudolf Hilferding, Karl Renner.

    Il avait également publié au début des années 1920 les deux auteurs les plus marquants de cet état d’esprit marxiste philosophique existant à l’extérieur du mouvement ouvrier : Karl Korsch et Georg Lukács. Leurs ouvrages respectifs, tous deux de 1923, Marxisme et philosophie et Histoire et conscience de classe, furent des bombes intellectuelles établissant le terrain pour la suite.

    Il va de soi que ces deux ouvrages furent littéralement exécutés par l’Internationale Communiste, qui y voyait des démarches intellectuelles coupées de la réalité et largement marquées par les influences moralistes de la seconde Internationale, avec notamment les références à Emmanuel Kant.

    Le problème de fond de Marxisme et philosophie et Histoire et conscience de classe étaient qu’ils visaient somme toute à montrer aux intellectuels bourgeois que le marxisme était « respectable », qu’il était finalement une « philosophie », ce qui revient à la posture austro-marxiste d’un marxisme mécaniste au service d’une perspective moraliste-culturelle.

    Cette « philosophie » marxiste consistait, selon Karl Korsch et Georg Lukács, en une sorte de méthode permettant d’appréhender le marxisme de l’intérieur ; naturellement, on a besoin d’une couche particulière d’intellectuels « philosophes » pour appréhender cette méthode.

    Georg Lukács

    La différence avec la philosophie en général existant auparavant est que la nouvelle philosophie, « marxiste », aurait une portée pratique. Cela serait d’ailleurs une tendance historique en général et il n’y aurait pas de primauté à accorder en quelque manière que ce soit aux bolcheviks, même si les deux auteurs se revendiqueront en même temps totalement fidèles à la « philosophie » de Lénine, ce que ce dernier réfutera totalement.

    Selon Karl Korsch :

    « Aujourd’hui encore, la plupart des théoriciens marxistes conçoivent l’efficacité des phénomènes dits intellectuels dans un cadre purement sens négatif, abstrait et non dialectique, alors qu’ils devraient analyser ce domaine de la réalité sociale avec le matérialiste et méthode scientifique modelée par Marx et Engels.

    La vie intellectuelle doit être conçue en union avec la vie sociale et politique, et l’être et le devenir social (au sens le plus large, comme l’économie, la politique ou le droit) doivent être étudiés en liaison avec la conscience sociale dans ses multiples manifestations, en tant que composante réelle mais aussi idéale (ou « idéologique ») du processus en général. »

    Il y aurait ainsi une « philosophie » flottant au-dessus de la réalité, une sphère intellectuelle qui se voudrait entièrement pratique car correspondant à une époque de transformation. Le « philosophe » serait en fait le vrai « sujet » de l’Histoire, car lui seul parviendrait à placer sa conscience au niveau de la réalité, ce qui lui permettrait de saisir la « totalité » du monde.

    Georg Lukács dit la même chose, dans un langage intellectuel-illisible, dans Histoire et conscience de classe, mais avec en plus une tentative de présenter la conscience « philosophe » comme le point culminant d’un prolétariat qui aurait pris conscience de lui-même. La conscience « philosophe » du prolétariat historiquement conscient joue un rôle messianique, la bourgeoisie serait dépassée car sa conscience ne serait plus adéquate historiquement.

    La raison pour cela est la transformation de chaque rapport en chose, car la valeur des choses semble « naturelle » en l’absence de compréhension du capitalisme, et tout n’est plus lu que de manière dispersée, en se fondant sur la valeur supposée.

    Georg Lukács appelle réification / choséification ce processus où les rapports marchands façonnent entièrement les psychologies, incapables d’avoir un avis objectif désormais.

    « La métamorphose de la relation marchande en chose dotée d’une « objectivité fantomatique » ne peut donc pas en rester à la transformation en marchandise de tous les objets destinés à la satisfaction des besoins.

    Elle imprime sa structure à toute la conscience de l’homme ; les propriétés et les facultés de cette conscience ne se relient plus seulement à l’unité organique de la personne, elles apparaissent comme des « choses » que l’homme « possède » et « extériorise », tout comme les divers objets du monde extérieur.

    Et il n’y a, conformément à la nature, aucune forme de relation des hommes entre eux, aucune possibilité pour l’homme de faire valoir ses « propriétés » physiques et psychologiques, qui ne se soumettent, dans une proportion croissante, à cette forme d’objectivité. »

    Dans le capitalisme, la conscience est ainsi selon Georg Lukács perdue dans un capitalisme qui fait régner la marchandise et disperse les choses ; la conscience « philosophe » permet de ne pas vivre dans une immédiateté aliénante, mais de saisir la « totalité ».

    « La méthode dialectique ne se distingue pas seulement de la pensée bourgeoise parce qu’elle seule est capable de la connaissance de la totalité, mais cette connaissance n’est possible que parce que la relation du tout aux parties est devenue différente dans son principe de celle qui existe pour la pensée réflexive.

    Bref, l’essence de la méthode dialectique consiste – de ce point de vue – en ce que dans tout moment saisi de façon dialectiquement correcte, la totalité entière est contenue et qu’à partir de tout moment on peut développer la méthode entière. »

    Et, fait essentiel, il est exprimé de manière tendancielle dans l’œuvre que le processus de réification / choséification est devenu autonome, il s’exprime librement dans le capitalisme, jusqu’à construire des formes nouvelles, qui n’ont de sens que pour la réification / choséification, en dehors de la vie réelle et de ses besoins. C’est comme si la réification / choséification était une superstructure du mode de production capitaliste, le capitalisme produisant des marchandises qui n’ont, en soi, plus aucun sens.

    « Le caractère fétichiste des formes économiques, la réification de toutes les relations humaines, l’extension croissante d’une division du travail qui atomise abstraitement et rationnellement le processus de production sans se soucier des possibilités et des capacités humaines des producteurs immédiats, transforme les phénomènes de la société et avec eux leur aperception.

    Des faits « isolés » surgissent, des ensembles de faits isolés, des secteurs particuliers ayant leurs propres lois (théorie économique, droit, etc.). »

    De là vient que Georg Lukács fait appel au philosophe Emmanuel Kant : ce qui est révolutionnaire, c’est que la conscience devienne « sujet », l’Histoire est en fait l’histoire de la conscience dans son rapport aux choses, pour savoir si elle est maître ou esclave des choses. Il n’y a plus d’Histoire comme progrès à travers des modes de production, il n’y a plus que l’Histoire de la conscience maître ou esclave des choses.

    C’est là le détonateur de l’école de Francfort, puis de la « critique de la valeur ».

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    L’école de Francfort, la théorie critique et la critique de la valeur

  • Karl Marx et le calcul différentiel

    Les notions de dérivée et de différentielle forment un aspect essentiel des mathématiques, parce qu’elles correspondent à la rencontre des mathématiques en tant que calcul séparé de la physique avec l’évolution dialectique de la réalité elle-même. Les notions de dérivée et de différentielle relèvent d’un nexus entre mathématiques et physique ; c’est le point où les mathématiques ne peuvent plus se contenter d’être des mathématiques, devenant physique, et où la physique devient mathématique.

    C’est la raison pour laquelle Karl Marx a accordé une importance substantielle à la dérivée, la différentielle, voyant en cette dernière l’expression de la négation de la négation ; non seulement il s’exerçait au calcul d’une dérivée et d’une différentielle pour se reposer l’esprit, mais il a laissé un millier de pages de manuscrits mathématiques, dont les plus importantes concernent précisément la dérivée et la différentielle.

    Pour comprendre adéquatement cette question, il faut bien saisir que tout se joue au niveau d’une variable, c’est-à-dire d’un nombre qui se voit être modifié. La réflexion à ce sujet est directement dans le prolongement de l’association de l’algèbre à la géométrie.

    On se rappellera ici de ce qu’a dit la savante française Sophie Germain (1776-1831) :

    « L’algèbre n’est qu’une géométrie écrite, la géométrie n’est qu’une algèbre figurée. »

    Friedrich Engels, dans La dialectique de la Nature, nous dit à ce sujet que :

    « La grandeur variable de Descartes a marqué un tournant en mathématique. C’est avec elle que le mouvement et la dialectique sont entrés dans la mathématique et que devinrent tout de suite indispensables le calcul différentiel et intégral ; qui naissent d’ailleurs immédiatement et devaient être en général et dans l’ensemble mis au point, non pas inventés, par Newton et Leibniz ».

    Il y a cependant une problème de fond qui va se poser ; pour cela il faut comprendre comment on procède à une dérivée et à une différentielle.

    Imaginons que nous suivions le parcours d’un cycliste pendant une dizaine de secondes. Le déplacement se fait à 20 km/h de manière régulière, soit environ 5,5 mètres par seconde. Voici le nombre de mètres parcourus par seconde, pendant les dix secondes.

    15,56
    211,12
    316,68
    422,24
    527,80
    633,36
    738,92
    844,48
    950,04
    1055,60

    Il est également possible de retracer ces dix secondes sur un graphique, au moyen d’un repère cartésien. Sur la ligne horizontale, on a les secondes, sur la ligne verticale, le nombre de mètres parcourus ; autrement dit, la ligne horizontale représente le temps, la ligne verticale la distance parcourue, c’est-à-dire l’espace.

    On remarquera que, de manière logique, si l’on divise le nombre de mètres par le temps effectué, on retombe sur 5,56 ; on a ainsi 44,48 : 8 = 5,56, 50,04 : 8 = 5,56, etc.

    Autrement dit, l’évolution de y divisé par l’évolution de x permet de retrouver la vitesse : 5,56 mètres par seconde, soit 20 km/h.

    De manière dialectique, si l’on divise les secondes par les mètres effectués, on a également un résultat. Ainsi, si on prend 8 secondes et 44,48 mètres et qu’on fait 8 : 44,48, on obtient alors 0,179856115. Cela veut dire qu’on parcourt un mètre en 0,179856115 seconde. Cela est ici toutefois secondaire, même s’il y a une réflexion fondamentale à faire à ce niveau.

    Imaginons maintenant qu’on ait pas affaire à un mouvement qui ait une vitesse constante. Le cycliste, par exemple, commence à accélérer à un moment donné. On ne peut plus représenter cela par une ligne droite : on obtient une courbe.

    La ligne droite connaît une rupture : il y a ici un saut qualitatif dans l’accumulation quantitative. Dit plus simplement, la vitesse modifiée, ce qui est une qualité, modifie l’accumulation des mètres effectuée par le cycliste, ce qui est une quantité.

    Sur un repère cartésien, on voit qu’au début, chaque seconde correspond à peu de mouvement, puis à un moment donné chaque seconde correspond à un mouvement bien plus prononcé.

    Cela pose un problème pour calculer la vitesse, qui n’est pas la même à chaque moment.

    On peut contourner le problème en prenant la vitesse en général, c’est-à-dire en se tournant vers le tout début du mouvement et sa toute fin, pour calculer une moyenne générale.

    Si on sait que le cycliste part au temps 0 et parcourt 250 mètres en une minute, on a 250 : 60 = 4,166666667, soit 4,166666667 mètres par seconde, ce qui fait un tout petit plus que 15 km/h.

    Cependant, cela ne permet pas de savoir quelle est la vitesse entre deux moments précis – ce qui est le principe de la dérivée – ni quelle est la vitesse à un moment précis – ce qui est le principe de la différentielle.

    La méthode employée en mathématiques pour contourner le problème posé par la courbe est le suivant. On place une ligne droite sur la courbe, de manière la plus correspondante possible à un moment particulier de la courbe nous intéressant spécifiquement.

    Cette ligne droite est appelée la tangente, du verbe latin tangere, toucher.

    On obtient alors une zone bien particulière, qui va permettre de saisir l’évolution de la courbe pour une partie précise – de manière contournée, puisqu’on va regarder non plus la courbe ou une partie de la courbe en tant que telle, mais la partie de la ligne droite qu’on a plaqué et qui est censée équivaloir grosso modo à la courbe.

    Ce grosso modo va jouer un rôle capital par la suite.

    Concrètement, voici ce que cela donne. On a une courbe et dessus on a x’ et y’, extrémités de la partie de la tangente qui nous intéresse.

    Voici comment on procède. On remarque qu’il existe une différence entre x et y, puisque ce ne sont pas les mêmes valeurs.

    On remarque qu’il y a, par définition, également une différence entre x’ et y’.

    Ces deux différences vont être justement utilisées. Appelons les A et B.

    Pour la ligne droite pour faire la moyenne, on avait y divisé par x.

    Ici, on divise B par A. Cela veut dire que, dans les faits, on place un repère cartésien au sein d’un repère cartésien, même si ce n’est pas dit ainsi.

    Il ne faut pas oublier que les mathématiques procèdent par association permanente de leurs outils, sans forcément un recul. Cela va particulièrement se remarquer à un moment dans la différentielle. On notera ici la remarque intéressante de Jean-Jacques Rousseau dans Les Confessions :

    « Je n’ai jamais été assez loin pour bien sentir l’application de l’algèbre à la géométrie. Je n’aimais point cette manière d’opérer sans savoir ce qu’on fait, et il me semblait que résoudre un problème de géométrie par les équations, c’était jouer un air en tournant une manivelle.

    La première fois que je trouvais par le calcul que le carré d’un binôme était composé du carré de chacune de ses parties et du double produit de l’une par l’autre, malgré la justesse de ma multiplication, je n’en voulus rien croire jusqu’à ce que j’eusse fait la figure. Ce n’était pas que je n’eusse un grand goût pour l’algèbre en n’y considérant que la quantité abstraite ; mais appliquée à l’étendue, je voulais voir l’opération sur les lignes, autrement je n’y comprenais plus rien. » 

    Concrètement, cela donne la chose suivante avec x, y, x’, y’. On a x qui correspond à x’, y à y’, et inversement, c’est-à-dire que les x indiquent par exemple le temps, les y la distance correspondante, et inversement.

    On a ici affaire à une fonction : pour x donné, on a un x’ donné, soit F(x) = x’, F(y) = y’, etc.

    Chaque élément, et c’est fondamental ici, dépend dans le repère soit de la ligne horizontale, soit de la ligne verticale (on a l’abscisse comme coordonnée horizontale et l’ordonnée comme coordonnée verticale).

    Si on regarde bien A et B, on s’aperçoit des choses suivantes.

    On voit que pour passer de x à y, sur la ligne horizontale, on ajoute A. Cela veut dire que x + A = y.

    On voit que pour passer de x’ à y’ en se focalisant sur la ligne verticale, on ajoute B. Cela veut dire que x’ + B = y’.

    Or, si x + A = y, cela veut dire qu’on peut remplacer y par x + A, et ainsi on peut dire que F(y) = y’ a comme strict équivalent F(x + A) = y’.

    Par conséquent, comme x’ + B = y’ et comme F(x + A) = y’, alors x’ + B = F(x + A).

    On prend alors F(x) = x’, ce qui fait que :

    x’ + B = F(x + A)

    On procède alors à un renversement, déplaçant x’ de la gauche vers la droite, en en inversant le sens:

    B = F(x + A) – x’

    On a alors :

    Et comme F(x) = x’, alors :

    On a alors un résultat qui présente l’évolution de la contradiction entre x et y et entre x’ et y’, autrement dit dans quelle mesure il y a accélération, davantage d’eau qui coule, plus de sable d’ajouté, etc. C’est ce qu’on appelle en mathématiques effectuer une dérivée.

    Cela présuppose naturellement qu’on connaisse x, y, x’, y’. Il va également de soi que pour qu’un calcul soit le plus juste possible, il faut que l’espace entre x et y soit le plus restreint possible, car n’oublions pas qu’on se rapproche de la courbe au moyen d’une droite : plus cette droite « correspond » à la courbe, plus le résultat sera proche de la réalité.

    Regardons maintenant en quoi il y a ici une intense question dialectique, en se tournant vers Karl Marx. Ce dernier parle de cette question de la dérivée, mais également de celle de la différentielle, les deux choses étant similaires et en même temps fondamentalement différentes, formant une opposition dialectique.

    Une dérivée s’appuie sur l’existence de deux points ; sans ces deux points, il n’est pas possible d’effectuer l’opération qu’est la dérivation. La différentielle est l’équivalent d’une dérivée, mais avec une technique particulière pour ne s’intéresser qu’à un seul point en particulier.

    Le problème est alors en effet qu’on ne dispose plus de moyen de faire B/A, puisque pour obtenir A et B, il fallait avoir deux points. Si on a seulement x et F(x) = x’, on n’a pas y et F(y) = y’, et par conséquent on ne dispose plus de A et B.

    Les mathématiques utilisent alors, afin de passer de la dérivée à la différentielle, la notion de limite. Autrement dit, on va utiliser un y qui se rapproche le plus possible de x, sans être x pour autant, tout en étant x en même temps.

    Une limite va dans les faits être un y virtuel, qu’on va faire tendre le maximum vers x, en reprenant pour cette opération visant la différentielle les principes de la dérivée ; le résultat qu’on cherche est toujours B/A, qu’on va trouver réellement au moyen d’un y virtuel. Il y a là un paradoxe.

    Pour les mathématiques, c’est juste un contournement, un y qu’on va mettre entre parenthèses au final, et ce qu’on va mettre de côté est considéré insignifiant du point de vue du calcul. Pour Karl Marx, justement, il va y avoir ici un point absolument fondamental.

    Voyons comment cela se passe. Le « truc » consiste dans la différentielle en le remplacement de B par Δy et celui de A par Δx. C’est purement symbolique, cela permet d’effacer pour ainsi dire B et A.

    On a alors :

    Par conséquent on n’a plus :

    On a désormais :

    Or, dans ce cas précis, on veut que l’écart entre x et x’ soit le plus restreint possible. On va donc partir du principe que l’écart est nul, équivalent à 0. Cela signifie que A, ici Δx, est égal à zéro, car il n’y a aucun « écart » entre x et x’.

    Que signifie dans les faits que Δx = 0 ? Eh bien qu’on a :

    On obtient ici quelque chose dont on ne peut pas se servir mathématiquement. Et pourtant, cela va servir quand même. Il y a ici un « mystère » qui n’a pas échappé à Karl Marx. Il dit :

    « Introduire tout d’abord la différenciation et ensuite la faire disparaître de nouveau ne mène ainsi littéralement à rien.

    Toute la difficulté pour comprendre l’opération différentielle (tout comme de toutes façons dans la négation de la négation) tient justement à voir comment elle se distingue d’une telle simple procédure et conduit par là à des résultats réels. »

    Voyons comment le processus aboutit dans les faits à un résultat malgré tout. Prenons la fonction F(x) = x², et prenons le calcul pour obtenir la différentielle.

    Et comme on part du principe que Δx = 0, alors on a 2x. Au point x, l’évolution, l’accélération, le coefficient directeur… est 2.

    Karl Marx prend un autre exemple, avec une fonction plus complexe, cette fois non linéaire.

    Il pose : F(x) = ax³ + bx² + cx – e = x’ ; cela implique qu’on connaisse a, b, c et e : Karl Marx utilise des lettres afin de généraliser.

    Posons ensuite un y, avec F(y) = y’. On a alors :

    x’ = ax³ + bx² + cx – e

    y’ = ay³ + by² + cy – e

    Rappelons ici qu’on cherche A et B, dénommée désormais Δx et Δy.

    Ainsi, puisque :

    x’ = ax³ + bx² + cx – e

    y’ = ay³ + by² + cy – e

    On a alors :

    y’ – x’ = a (y³ – x³) + b (y² – x²) + c (y – x)

    y’ – x’ = a (y – x) (y² + yx + x²) + b (y – x) (y + x) + c (y – x)

    Et ainsi :

    Et comme on part du principe pour la différentielle que x = y, alors cela donne:

    a (x² + xx + x²) + b (x + x) + c = 3ax² + 2bx + c

    On voit ici quel que soit x, on obtiendra forcément un résultat, même si x est égal à zéro. Contrairement à l’exemple précédent, où on avait 2x, le rapport entre B et A est bien plus complexe.

    On a ici un problème de fond. On a réussi à trouver un résultat juste en un point, en utilisant la méthode de la dérivée, au moyen d’un Δx virtuel, c’est-à-dire d’une assimilation de x à un x’ virtuel.

    Il y a ici une double problématique : tout d’abord, x est x’ et n’est pas x’. On a ici un rapport dialectique, où les contraires sont identiques tout ne l’étant pas.

    Ensuite, on a un calcul faux aboutissant à un résultat juste, puisque à un moment on va se retrouver à diviser par 0, sauf qu’on ne le fait pas. S’agit-il alors d’un vrai zéro, d’une quantité virtuelle ou d’une quantité réelle infime qu’on met de côté ?

    Pour Karl Marx, ces deux aspects témoignent de la négation de la négation dans le processus. Il cherche alors à savoir d’où vient la transformation.

    Il constate alors la chose suivante. Pour F(x) = ax, si :

    F(x1) = ax1 = x2 et F(y1) = ay1 =y2

    alors :

    y2 – x2 = ay1 – ax1 = a(y1-x1)

    soit :

    Il se demande alors d’où vient le mouvement dans le cadre d’une différentielle. Si on prend y1, on s’aperçoit que ce nombre dépend de x1 (tout comme en fait y2 dépend de x2 mais la question ne se pose pas ici car on a posé que x1 = x2). On ne peut pas avoir par conséquent de mouvement indépendant des y : il faut se tourner vers les x.

    C’est un aspect de la contradiction.

    L’autre aspect, c’est que poser y1 = x1 implique a(y1-x1) = a(0) = 0

    Autrement dit, pour qu’on ait un résultat, il faut une différence, mais pour obtenir cette différence, il faut un mouvement, qu’on supprime par définition en posant que x2 – x1 = 0. Et on obtient pourtant tout de même un résultat, en mettant comme entre parenthèses cette négation.

    Il n’y a alors qu’un seul moyen de s’en sortir, du point de vue de Karl Marx : considérer que l’opération est une négation de la négation.

    Friedrich Engels, qui connaissait naturellement les manuscrits mathématiques de Karl Marx, résume cela ainsi dans son Anti-Dühring :

    « Il en va de même en mathématiques.

    Prenons une grandeur algébrique quelconque, par exemple a.

    Nions-la, nous avons – a. Nions cette négation en multipliant – a par – a, nous avons +a², c’est-à-dire la grandeur positive primitive, mais à un degré supérieur, à la seconde puissance. Ici non plus, il n’importe pas que nous puissions obtenir le même a² en multipliant le a positif par lui-même pour parvenir aussi à a².

    Car la négation niée est si ancrée dans a² qu’il a dans tous les cas deux racines carrées, soit a et -a.

    Et cette impossibilité de se débarrasser de la négation niée, de la racine négative contenue dans le carré prend une signification très sensible dès les équations du second degré.

    La négation de la négation apparaît d’une façon plus frappante encore dans l’analyse supérieure, dans ces additions “de grandeurs infiniment petites” que M. Dühring déclare lui-même être les opérations les plus élevées des mathématiques et que dans le langage ordinaire on appelle calcul différentiel et intégral.

    Comment s’opèrent ces sortes de calculs ? J’ai, par exemple, dans un problème déterminé deux grandeurs variables x et y dont l’une ne peut pas varier sans que l’autre varie aussi dans un rapport déterminé pour chaque cas.

    Je différencie x et y, c’est-à-dire je suppose x et y si infiniment petits qu’ils disparaissent par rapport à n’importe quelle grandeur réelle si petite soit-elle, qu’il ne reste rien d’autre de x et de y que leur rapport réciproque, mais sans aucune base pour ainsi dire matérielle, un rapport quantitatif sans aucune quantité; dy/dx, le rapport des deux différentielles de x et y, est donc = 0/0, mais 0/0 posé comme expression de y/x.

    Je ne mentionne qu’en passant le fait que ce rapport entre deux grandeurs disparues, l’instant de leur disparition promu à la fixité est une contradiction ; mais cela ne nous trouble pas plus que les mathématiques dans l’ensemble n’en ont été troublées depuis près de deux cents ans.

    Qu’ai-je donc fait d’autre, sinon de nier x et y, mais non pas nier au point de ne plus m’en soucier, comme nie la métaphysique, mais nier de la manière correspondant au cas donné ?

    Au lieu de x et y, j’ai donc leur négation dx et dy dans les formules ou équations qui sont devant moi.

    Je continue dès lors à calculer avec ces formules, je traite dx et dy comme des grandeurs réelles bien que soumises à certaines lois d’exception, et arrivé à un certain point, je nie la négation, c’est-à-dire que j’intègre la formule différentielle, j’obtiens de nouveau à la place de dx et dy les grandeurs réelles x et y; mais je ne me retrouve pas disons aussi peu avancé qu’au début : j’ai au contraire résolu le problème sur lequel la géométrie et l’algèbre ordinaires se seraient peut-être cassé les dents. »

    Seulement, cela ne résout pas la question de la transformation : où se déroule-t-elle ? De fait, dès la parution de la traduction des Manuscrits mathématiques de Karl Marx par l’URSS révisionniste en 1968, la Chine populaire de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne s’est précipitée sur cette question, considérant qu’il y avait la clef pour de réelles mathématiques.

    Il fallait étudier cette question de la différentielle pour comprendre comment les mathématiques pouvaient se développer en se conformant à la réalité matérielle en mouvement ; Friedrich Engels avait souligné dans La dialectique de la Nature que justement :

    « Le calcul différentiel rend seulement possible à la science naturelle de présenter de manière mathématique non seulement des états, mais des processus : le mouvement. »

    Les Manuscrits mathématiques en tant que tel seront traduits en chinois en 1975, mais dès 1968 leur questionnement de fond et connu et donnent naissance à de nombreuses études qui vont s’élancer avec l’approfondissement de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

    Cela produit un processus de refondation des études mathématiques, avec la publication en 1973 des trois volumes de « Mathématiques avancées » à destination des sciences réalisés en majeure partie par l’Université Fudan avec l’Université normale de Shanghai et l’Université des sciences et technologies de Shanghai, des deux volumes des « Mathématiques avancées » à destination des ingénieurs produits par l’Université de Tongji, de « Calcul » réalisé par l’École de génie chimique.

    La question de la différentielle devient alors primordiale ; on a ainsi en 1974 une vague d’articles dans la Revue de la dialectique de la Nature, avec « Comment comprendre le concept de limite ? » de He Fang, « La différentielle est comparable à zéro » de Zheng Li-Xing, « La différentielle est l’unité de zéro et de non-zéro » par Xu Ting-dong, « La différentielle reflète le changement quantitatif de (deux) différents points de vue » de Shen Tian-ji, « La différentielle est l’unité des opposés » de Ren Zheng-wing, « Sur l’expérience d’appliquer la dialectique à la réforme de l’apprentissage du calcul » de Fu Xi-tao…

    Pour 1975, il faut mentionner « Fonder le concept de dérivée sur la loi des opposés » de Yan Shao-zhong dans la Revue de l’université Fu Dan, « Comment comprendre les dérivées – notes en étudiant les manuscrits mathématiques de Marx » de Zhi Zhou dans la Revue de l’université normale de Pékin, « La brillante victoire de la dialectique – notes en étudiant les ‘‘manuscrits mathématiques’’ de Marx » de Zhejiang dans les Acta Mathematica Sinica, « La différentielle et la dialectique » par Wu Wen-jing dans la Revue de l’université Fu Dan, « Sur l’étude d’une lettre d’Engels pour une compréhension approfondie des Manuscrits mathématiques » de Zhu Xue-yan et Ou Yang Guang-zhong dans la Revue de l’université Fu Dan, « Comprendre le calcul du point de vue des paradoxes du mouvement » de Wu Wie-He dans le Bulletin scientifique, « Rapport préliminaire d’une conférence d’étude des ‘‘manuscrits mathématiques’’ de Marx » dans Pratique et compréhension des Mathématiques, « Utiliser le marxisme pour conquérir le champ de bataille des mathématiques » de Shu Li dans Science chinoise, « Un point de départ pour le calcul avec les différentielles » de Shu Zuo dans la Revue de l’université Fu Dan

    Pour 1976, il faut mentionner « La différentielle est ‘‘l’infiniment petit’’ » de Zhou Guan-Xiong dans la Revue de l’université industrielle de Chine centrale, « Utiliser le point de vue du développement et de la transformation pour comprendre le calcul » par Wu Xie-He et Zhang Hua-xia dans la Revue du collège politique de Chine centrale, « La différentielle est l’unité des opposés (synthèse des antithèses) zéro et non-zéro » de Yu Wen dans la Revue de l’université industrielle de Chine centrale, le « Résumé des discussions du symposium d’étude des ‘‘manuscrits mathématiques’’ de Marx » de Quao Chong-qi dans Pratique et compréhension des Mathématiques, « Un brillant exemple utilisant le matérialisme dialectique pour transformer les mathématiques » de Huang Shun-ji dans la Revue de l’université normale de Pékin, « La différentielle est l’anti-thèse / la synthèse de zéro et de l’infiniment petit » de Gao Ke-qiang dans la Revue de l’université industrielle de Chine centrale, « L’étude des visions différentes du monde à partir de deux approches différentes des mathématiques » par le groupe d’étude des Manuscrits mathématiques de Marx du département de mathématiques de l’école normale des enseignants dans Pratique et compréhension des Mathématiques…

    Les apports de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne permettent de comprendre la question de la différentielle. Le fond du problème est la question du repère cartésien. Ce repère divise comme on le sait graphiquement les abscisses des ordonnées , mais son arrière-plan est de diviser l’espace et le temps.

    Si on prend le graphique initial avec le parcours d’un cycliste en dix secondes, on voit bien la séparation.

    Cette séparation révèle son caractère arbitraire si on prend le repère en partant des trois cas de figures. En effet, soit on connaît le temps mais pas la distance parcourue (c’est la thèse), soit on connaît cette dernière mais pas le temps effectué (c’est l’antithèse)… Soit on connaît les deux ou ni l’un ni l’autre (c’est la synthèse).

    Or, de ces représentations, il n’y a que la synthèse qui corresponde à la réalité. En effet, ce qui est représenté est en mouvement. Et pourtant, lorsqu’on prend la thèse ou l’antithèse, lorsqu’on prend le temps effectué ou la distance parcourue, on supprime le mouvement puisqu’on abandonne le point concerné pour se diriger vers l’information manquante.

    Autrement dit, lorsqu’on dispose du temps effectué, qu’on se tourne vers le point concerné pour connaître l’équivalent en termes de distance parcourue, comme dans le schéma suivant, on passe du temps à l’espace par l’intermédiaire du point – alors que le point est ce qui justifie tant l’espace que le temps.

    Ce n’est pas tout. On a ici un mouvement linéaire, mais dans le cas où il n’y a pas de linéarité, la représentation échoue à la représenter figurée.

    On comprend également cette idée lorsqu’on s’intéresse au jeu d’échecs. Ici, le mouvement possible de la tour qui est linéaire non évolutif correspond dans les faits au repère cartésien, le mouvement possible du fou à un mouvement linéaire évolutif, le mouvement possible du cavalier à un mouvement non linéaire.

    Or, le mouvement du cavalier combine dans les faits le mouvement de la tour et celui du fou. Qui joue aux échecs sait que cela pose un problème fondamental. Et cela revient très exactement à :

    Le mouvement qui se réalise tend en effet à s’autosupprimer en se réalisant. C’est cela qui oblige à ce qu’on trouve un élément qui soit 0 et non 0 en même temps. Pour Karl Marx, Δx = 0 et revient à une négation, qui va connaître une négation pour qu’on parvienne au résultat.

    Cependant, le résultat est là en même temps que la première négation, car si dans le calcul on a un processus, le calcul fige le processus. C’est pourquoi Mao Zedong dit qu’il n’y a pas de négation de la négation, que parler de l’unité des contraires suffit.

    Autrement dit, et là est le piège dans la différentielle : la fonction indique une évolution. Cette évolution est représentée graphiquement. Cependant, chaque point n’existe en réalité pas en même temps avec les autres, il y a succession, l’un devenant l’autre.

    On peut faire un tableau avec les mètres et les secondes. Mais ce tableau est faux.

    15,56
    211,12
    316,68
    422,24
    527,80
    633,36
    738,92
    844,48
    950,04
    1055,60

    Il faudrait avoir initialement cela.

    15,56


















    Puis ensuite cela.



    211,12
















    Et ainsi de suite.

    Il faudrait même diviser à l’infini, ne pas en rester aux secondes ni aux mètres, car les secondes sont divisibles à l’infini, tout comme les mètres – ce qui aboutirait à des tableaux à l’infini, et ramène aux problématiques du mouvement posées dans l’antiquité par Zénon d’Élée et auxquelles seul le matérialisme dialectique peut répondre.

    Car c’est le mouvement de la matière, par la matière elle-même, qui établit l’espace, le temps étant une expression de ce mouvement dans l’espace, ou plus exactement de ce mouvement de l’espace dans lui-même par lui-même.

    La différentielle est en fait le point où les mathématiques, comme connaissance prenant appui sur elle-même, connaît un saut dialectique dans sa propre avancée, et cela parce que le principe de la fonction correspond à la contradiction entre l’espace et le temps, par le mouvement.

    C’est pour cela que Friedrich Engels dit que du moment où l’on sépare l’espace et le temps dans un repère cartésien, alors on tombe sur la différentielle inévitablement – les travaux de Leibniz et de Newton sur la différentielle étaient inévitables de par le cadre posé, au-delà de leurs méthodes différentes.

    La notion de 0 qui n’est pas 0 correspond au déplacement d’une chose, qui est et n’est pas à sa place, et en fait c’est vrai de tout phénomène tout le temps, car tout est en mouvement.

    Ce qui se passe dans la différentielle, ce n’est pas qu’on utilise un y virtuel infiniment proche de x, c’est qu’en réalité ce y est x et n’est pas x – conformément à la nature dialectique de x.

    La différentielle est le moment où les mathématiques découvrent que le calcul est l’unité des opposés de la division infinie et de l’agrégation infinie, comme cela a été compris lors de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

    C’est parce qu’il avait compris que la différentielle reposait sur cette question de la division et de l’agrégation que Friedrich Engels disait justement dans La dialectique de la Nature :

    « La chimie décompose les molécules en atomes, grandeurs d’une masse et d’une extension spatiale plus faibles, mais grandeurs du même ordre, de sorte que les unes et les autres sont réciproquement dans des relations finies déterminées.

    L’ensemble des équations chimiques qui expriment la composition moléculaire des corps sont donc par leur forme des équations différentielles. Mais, en réalité, elles sont déjà intégrées du fait des poids atomiques qui y figurent. C’est avec des différentielles, dont le rapport réciproque de grandeur est connu, que la chimie calcule. »

  • 24 septembre 1992 – 24 septembre 2022 – le PCF(mlm), le Parti du Maoïsme en France !

    Le 24 septembre 1992, le dirigeant du Parti Communiste du Pérou, Gonzalo, était présenté aux journalistes alors qu’il était enfermé dans une cage, lui-même revêtu d’un uniforme de bagnard, avec des rayures blanches et noires et un numéro de prisonnier. Cela devait être le symbole du triomphe de la contre-révolution péruvienne, alors que les médias du monde entier dénonçaient avec un acharnement sans bornes le « fanatisme » du « sentier lumineux ».

    La propagande contre le Parti Communiste du Pérou était allée crescendo, avec une peur bleue de la bourgeoisie mondiale. En déclenchant la guerre populaire en 1980 avec d’indéniables réussites et en affirmant le maoïsme comme troisième étape du marxisme après le léninisme, le Parti Communiste du Pérou était en effet la brigade de choc de la révolution mondiale.

    Alors que dans les autres pays du monde, la contre-révolution avait isolé voire battu les avant-gardes, dans un contexte dramatique d’affrontement entre la superpuissance impérialiste américaine et la superpuissance social-impérialiste soviétique pour l’hégémonie mondiale, le Parti Communiste du Pérou portait le flambeau de la lutte armée pour le communisme.

    La présentation dans une cage de Gonzalo le 24 septembre 1992 devait pour la bourgeoisie mondiale servir à contrer ce mouvement historique de relance, d’affirmation du mouvement communiste. Mais, fidèle aux traditions communistes justement, Gonzalo tint un discours accusatoire, soulignant le caractère inéluctable de la victoire de la Révolution.

    « Nous sommes ici dans ces circonstances, certains pensent qu’il s’agit d’une défaite. Ils se leurrent! Qu’ils continuent de rêver. C’est tout simplement un détour, rien de plus, un détour sur notre route ! La route est longue, nous la parcourrons et puis nous triompherons ! Vous le verrez, vous le verrez ! »

    Le Parti Communiste du Pérou ne fut pas à la hauteur de son grand dirigeant, s’effondrant en quelques années sous les coups d’une Ligne Opportuniste de Gauche prétendant continuer le combat et l’amener au succès en se plaçant sur le terrain légal et institutionnel, et d’une Ligne Opportuniste de Droite prônant le réformisme armé. Il n’y a aujourd’hui plus de Parti Communiste du Pérou qui soit fonctionnel, alors que Gonzalo est décédé en prison, dans l’isolement carcéral, le 11 septembre 2021.

    C’est là toutefois une question propre au Pérou et ce qui compte pour nous en France, c’est l’affirmation du Maoïsme le 24 septembre 1992. Gonzalo a transformé une défaite en victoire, grâce à son positionnement révolutionnaire. Trente ans après, nous arborons, défendons et appliquons, principalement appliquons le Maoïsme – le PCF(mlm) est le Parti du Maoïsme en France !

    Le Marxisme-Léninisme-Maoïsme est l’idéologie communiste de notre époque, c’est la concrétisation historique actuelle du matérialisme dialectique !

    Le Marxisme-Léninisme-Maoïsme est la seule idéologie correspondant aux exigences historiques en France !

    Et le Marxisme-Léninisme-Maoïsme doit être d’un niveau réel, il doit être puissamment développé sur tous les plans. Nous avons œuvré en ce sens, avec succès car le maoïsme français avait été défait au début des années 1970 ; les rares maoïstes qui ont existé ensuite étaient dispersés, marginalisés politiquement voire socialement, très faibles au niveau idéologique, inexistant culturellement, espérant toujours un renouveau d’un mouvement « spontané » des masses.

    C’est que le Marxisme-Léninisme-Maoïsme consiste en une économie politique très riche et complexe. Il faut avoir le niveau sur le plan des idées, des notions, des concepts, mais également profiter d’une situation historique adéquate, sans parler du fait d’avoir à disposition les thèses elles-mêmes du Marxisme-Léninisme-Maoïsme, que le révisionnisme cherche à fausser et la contre-révolution à effacer.

    Nous avons totalement rétabli les choses en France à partir du début des années 2000, dans un élan commencé au début des années 1990 ; que ce soit sur le plan idéologique, intellectuel, culturel, activiste… nous avons produit une démarche qui s’appuie sur la maturité et l’intelligence !

    Nous avons réussi à affirmer le Marxisme-Léninisme-Maoïsme dans tous les domaines, rétablissant les fondamentaux, analysant le parcours historique de la France, saisissant l’importance de la culture (et ainsi du réalisme socialiste dans les arts et les lettres), compris le rôle de la conscience dans l’activisme révolutionnaire, multiplié les thèmes et les pistes de réflexion notamment au sujet de la planète comme Biosphère et des animaux.

    Le Maoïsme, c’est l’intelligence ! Le Maoïsme, c’est la reconnaissance de la dignité du réel !

    Nous avons établi la base idéologique, théorique pour la victoire, sur des fondements pratiques.

    Nous ne disons pas là que le Marxisme-Léninisme-Maoïsme peut rivaliser seulement en France avec les conceptions d’extrême-gauche ou d’ultra-gauche – non, c’est avec la bourgeoisie elle-même que le Marxisme-Léninisme-Maoïsme que nous avons développé est en mesure de rivaliser.

    Avec nous, le Marxisme-Léninisme-Maoïsme est vivant, productif, il est à la hauteur. Qui veut fonder un nouvel État socialiste doit obligatoirement passer par nous, car pour la grande majorité des questions qui se posent, nous fournissons des réponses.

    Des réponses proposées par des personnes concrètes, incarnées par des personnes concrètes.

    Même quelqu’un considérant que nous avons tort sur le plan idéologique est dans l’obligation de retraverser toutes nos analyses et nos expériences, en raison de leur richesse, de leur profondeur, de leur variété, de se confronter à ce que nous incarnons.

    Beaucoup de groupes et d’individus ont également tenté de bloquer ce processus que nous avons mis en place. Il serait fastidieux de nommer tous les gens qui ont pillé nos efforts pour trafiquer avec le maoïsme, qui n’ont cessé de nous copier et de nous dénoncer, pour disparaître du jour au lendemain sans prévenir, ou bien pour mettre le maoïsme de côté afin de créer la confusion dans l’esprit des gens, ou bien pour sombrer dans un misérabilisme de « masses ».

    La liste de ces opportunistes, aventuriers, petits-bourgeois ne saisissant pas les enjeux, contre-révolutionnaires assumées, est longue. Toutes les variantes, toutes les variétés d’opportunisme ont eu lieu à notre sujet.

    Mais elles ont échoué dans leur rôle – nous avons réussi à affirmer le Marxisme-Léninisme-Maoïsme en France.

    Cela a été une bataille victorieuse, cette séquence historique d’affirmation est désormais terminée et le PCF(mlm) est la seule organisation arborant le Maoïsme en France, plus personne n’osant se placer sur le terrain des idées, de l’idéologie.

    Nous avons réussi à être un phénomène historique à contre-courant. Alors que la société française est déliquescence totale, et ce depuis deux décennies, nous avons réussi à être productif de manière ininterrompue, afin de forger l’arme idéologique nécessaire à la révolution dans notre pays.

    Cela a également une portée internationale. Nous avions été au milieu des années 2000 les premiers à dénoncer le révisionnisme du Parti Communiste du Népal (maoïste), qui avait décidé de capituler dans la guerre populaire qu’il avait déclenché. Nous avons été en première ligne dans la dénonciation des agissements du « Parti Communiste Maoïste d’Italie » qui prétend vouloir la guerre populaire alors qu’il existe depuis pratiquement cinquante ans et qu’il dénonçait alors les Brigades Rouges.

    Nous avons également mis en avant, au début des années 2010, le principe de Pensée Guide systématisé par Gonzalo, œuvrant ainsi à protéger le Marxisme-Léninisme-Maoïsme du cosmopolitisme niant cet aspect fondamental de chaque révolution, une démarche développée quelques années plus tard par un courant latino-américain autour du Parti Communiste du Brésil (fraction rouge).

    Nous avons compris la signification de la pandémie de 2020 dans le cadre de la contradiction entre les villes et les campagnes, nous avons saisi que cela ouvrait la seconde crise générale du capitalisme, et c’est pourquoi nous avons annoncé la guerre entre la Russie et l’Ukraine six mois avant son déclenchement.

    Nous avons réussi à ouvrir la nouvelle voie, celle de l’affirmation stratégique du Communisme.

    Pour reprendre une manière de voir utilisée par Mao Zedong, nous avons été correct à 80 % dans notre travail pour la période commençant le 24 septembre 1992. Nous sommes confiants quant au résultat efficace de ce travail pour la période à venir, alors que la seconde crise générale du capitalisme s’est ouvert au début de l’année 2020.

    Nous avons réussi à battre le révisionnisme, à protéger les fondamentaux, à développer et approfondir la compréhension du monde à partir du matérialisme dialectique, sur la base du Marxisme-Léninisme-Maoïsme. Nous saurons faire face aux défis gigantesques de l’époque qui s’ouvre.

    Viva el Presidente Gonzalo !
    Viva, viva, viva !

    Viva la Guerra Popular en el Peru !
    Viva, viva, viva !

    Ne jamais reculer devant
    la dimension démesurée de ses propres buts !

    Placer le Maoïsme au poste de commandement
    de la Révolution mondiale –
    Guerre populaire jusqu’au Communisme !

    Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste)
    Septembre 2022

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  • Le matérialisme dialectique et les nombres premiers et composés

    Le principe de l’égalité en mathématiques implique que ce qu’on trouve des deux côtés du signe égal soit un équivalent. On a par exemple 1 + 1 = 2, où l’on peut remplacer 1 + 1 par 2 et inversement, soit :

    2 = 1 + 1

    2 = 2

    1 + 1 = 1 + 1

    Cela présuppose cependant l’identité. Dire que 1 + 1 = 2 revient à poser que 1 + 1 est 2 et inversement.

    Les mathématiques ne raisonnent pourtant pas ainsi ; pour elles, cela veut simplement dire que 1 + 1 et 2 reviennent au même. Le signe égal n’est pour les mathématiques pas tant une égalité, une équivalence, qu’un aboutissement à une égalité, une équivalence.

    Les mathématiques sont concrètement ambiguës en ce domaine. Et ce point faible relatif au signe égal obscurcit les choses, car cela aboutit à ce que pour les mathématiciens, il y ait indifférence entre 1 + 1 et 2, de manière unilatérale.

    Le matérialisme dialectique souligne quant à lui la différence. Cela tient au mouvement général de la matière. Le matérialisme dialectique considère que tout phénomène est à la fois lui-même et en transformation.

    Cela signifie que si l’on prend 1, on a 1 qui est 1, 1 est bien lui-même, mais en même temps 1 n’est pas lui-même, car il se transforme. De plus, il relève d’une contradiction, et même d’une faisceau de contradictions.

    Il faut prendre les choses à plusieurs niveaux pour saisir en quoi cela a une grande portée.

    Si on prend 1 et ensuite 1 de nouveau, on prend une chose, et on la reprend, ce qui implique que normalement on devrait avoir 1 + 1 = 1, car 1 reste 1, quel que soit le nombre de fois où on le reprend.

    Si 1 ne restait pas 1, alors lorsqu’on aurait 1 + 1 + 3, peut-être que 1 vaudrait 4, ou 2, ou 0, et alors cela n’aurait plus de sens. Mais si 1 reste 1, comment est-il possible de le compter deux fois, si c’est le même ?

    C’est naturellement valable pour 2, 3, 4, 5, etc. Si l’on prend 2 et qu’on reprend 2, cela revient à prendre 2 et à le reprendre ; on peut le reprendre autant de fois qu’on le voudra, on aura toujours 2.

    Ici, on a un paradoxe mathématique qu’on peut résumer simplement. On peut autant prendre cinq fois le même citron que cinq citrons différents, on aura mathématiquement dans les deux cas :

    1 + 1 + 1 +1 + 1 = 5

    Autrement dit, la différence n’apparaît pas, le signe égal masque la nature de l’opération.

    Lorsqu’on a 1 + 1 = 2, il est possible que ce soit la même orange qu’on prenne deux fois, ou bien une orange et une autre orange, ce qui fait deux oranges. Cela ne se lit pourtant pas mathématiquement parlant, le signe égal n’indiquant pas la nature de l’opération.

    Et cette question du rapport dialectique entre les nombres à travers le nexus du signe égal prend un sens plus marqué encore lorsque l’opération correspond à une synthèse.

    Si on parle d’un œil, et d’un autre œil, qu’on fait 1 + 1, on a alors deux yeux, qui forment un ensemble organisé, soit plus que simplement un œil et un œil. Le signe égal ne révèle pas cette réalité synthétique. Le résultat, 2, n’indique pas la dimension inséparable des deux éléments, leur fusion même.

    Le signe égal est ainsi indifférent à ce que les nombres soit ajoutées quantitativement, qualitativement, ou bien produisent, dans la contradiction entre quantité et qualité, un somme synthétique.

    Ce caractère particulier du signe égal, ou plus exactement, inversement de manière dialectique, la portée d’ordre générale du signe égal, en dehors justement du caractère particulier propre aux opérations, vient provoquer une rupture, une déchirure dans la structuration des nombres.

    Cela s’exprime par les nombres premiers et composés.

    Les nombres premiers ne sont divisibles que par 1 et par eux-mêmes. Ce sont par exemple les nombres 1, 2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23, 29, 31, 37, 41, 43, 47, 53, 59, 61, 67, 71, 73, 79, 83, 89, 97.

    Les nombres composés sont quant à eux dits composés, car on peut les retrouver au moyen d’autres nombres au moyen de la division ; 4 est dit composé, car 4 est divisible par 4, 2 et 1 ; 6 est dit composé car divisible par 3, 2 et 1, etc.

    On a par exemple 4, 6, 8, 9, 10, 12, 14, 15, 16, 18, 20, 21, 22, 24, 25, 26, 27, 28, 30, 32.

    Le problème se pose ici toutefois de manière inversée. Si les mathématiques constatent que c’est par la division qu’on remarque l’existence des nombres premiers et composés, le processus réel est quant à lui productif, positif, et relève donc de la multiplication.

    Les mathématiques considèrent les choses comme statiques, elles voient les nombres comme une donnée fixée. Le matérialisme dialectique affirme quant à lui que la matière va du simple au complexe, le complexe d’hier étant le simple d’aujourd’hui, dans un processus ininterrompu.

    Il n’y a donc pas d’abord la série des nombres et ensuite une division, il y a au contraire une montée en puissance des nombres, avec des sauts qualitatifs au cours du processus.

    Cette question épineuse permet ici de comprendre comment les mathématiques se sont heurtées à 1, ce dernier nombre étant considéré comme n’étant pas premier.

    1 est en effet divisible par lui-même et par 1, mais étant donné que le matérialisme dialectique n’est pas compris, 1 est assimilé à lui-même, il n’est pas vu que les deux 1 sont différents. 1 est ainsi rejeté des nombres premiers comme étant divisible « seulement » par lui-même.

    En réalité, 1 est lui-même et n’est pas lui-même ; 1 est bien un nombre premier. 1 est divisible par 1 et 1 est divisible par 1, dans le premier cas c’est le même 1, dans le second cas, cela ne l’est pas. Il y a identité et différence.

    S’il en était autrement, 1 serait toujours 1 et seulement 1, il resterait ainsi de manière absolue, il n’y aurait alors jamais de 2 possible, ni d’ailleurs de différence en général. Tout serait 1, tout le temps.

    1 est bien un nombre premier. Et si 1 est considéré comme un nombre premier, on a alors 1, 2 et 3 comme nombres premiers.

    On a ensuite 4 comme premier nombre non premier, ce qui est cohérent avec 1 comme thèse, 2 comme antithèse, 3 comme synthèse et l’on peut d’ailleurs voir que 1 + 3 = 4, 2 x 2 = 4, 2 x 2 = 1 + 3, soit l’addition portant la qualité qui équivaut ici à la multiplication.

    C’est une approche néanmoins qui relève plus de Hegel que du matérialisme dialectique, car cela voudrait dire qu’il faut 1 et 2 pour avoir la contradiction, alors que la contradiction est là dès 1.

    En réalité, 2 est le produit contradictoire de 1 (car 1 devient 2), 3 étant une production de 1 et 2, avec une développement inégal, et on revient ici à la question du pair et de l’impair.

    Or, la question des nombres premiers et composés ne relève pas du pair et de l’impair, mais pour ainsi dire de la question du caractère général du signe égal.

    L’existence « mystérieuse » des nombres premiers composés est dû à l’inégalité de développement dans la production matérielle des nombres, à travers l’addition et la multiplication, dans la contradiction justement du quantitatif et du qualitatif.

    Les mathématiques ne le voient pas, car elles cherchent les nombres premiers et composés à partir des nombres déjà donnés, procédant à la division. En réalité, il faut partir du phénomène dans son développement pour le saisir.

    Il n’y a pas simplement 1, 2, 3, 4, 5, etc. Il y a une élaboration des nombres à partir des rapports dialectiques de ceux produits. 5 ne peut pas se comprendre sans 1, 2, 3, 4. La science sera en mesure, un jour, de voir comment 5 a été produit par 1, 2, 3, 4.

    Mais c’est là une autre question et ce qu’il faut voir, c’est que tout développement implique une dimension inégale et une tension dialectique.

    C’est la source des nombres premiers et composés. Mais pour le comprendre il faut renverser la proposition. Le choix des termes est, en effet, impropre. On devrait bien plutôt appeler les nombres premiers composés et inversement.

    Un nombre composé n’est en effet pas composé, mais l’expression première d’autres nombres.

    Les nombres premiers ne sont pas « premiers », mais au contraire justement une expression composée à un niveau synthétique.

    1, 2, 3, 5, 7, 11 sont des nombres premiers, dans les faits ils sont une composition dialectique nouvelle, ils sont nouveaux, de première facture. Ils représentent la qualité dans le phénomène des nombres.

    4, 6, 8, 9, 10, 12, 14, 15 sont des nombres composés, non pas parce qu’on peut les diviser, mais parce qu’ils sont le fruit de multiplication, formant une expression première de rapports entre les nombres. Ils représentent la quantité dans le phénomène des nombres.

    On peut ainsi dire que concrètement, l’existence des nombres premiers et composés est l’expression du problème de l’égalité, que c’est une question propre à la pratique mathématique et au développement dialectique de la pratique arithmétique.

    Loin d’être une simple accumulation de nombres, la succession des nombres porte la question de l’égalité, parce que chaque nombre est en rapport avec l’ensemble des précédents, au sens où chaque nombre est une production des nombres le précédent.

    Mais la nature de cette égalité est dialectique ; elle porte la quantité, la qualité, et même leur contradiction, de manière synthétique. Les nombres ne sont pas abstraits ni statiques ; ils forment un phénomène obéissant au parcours dialectique.

  • Le matérialisme dialectique et 3x+1

    Je voudrais, camarades, que vous influenciez systématiquement vos députés, que vous leur fassiez comprendre qu’ils devaient avoir devant eux une grande image de Lénine et imiter Lénine en tout. (Le texte est en ukrainien).

    Par 3x+1, on entend une problématique mathématique également dénommée conjecture de [Lothar] Collatz, problème de Syracuse, conjecture d’[-e Stanislaw] Ulam, algorithme de Hasse, problème de Kakutani, conjecture tchèque, etc.

    Cette problématique tient à la tentative d’expliquer le constat suivant. On peut prendre n’importe quel nombre (entier), et effectuer les opérations suivantes, tout se terminera forcément par la répétition de la série 1,4,2.

    Les opérations consistent à prendre un nombre, à le diviser par deux si c’est un nombre pair, à multiplier par trois et ajouter un si le nombre est impair. On refait l’opération pour le nombre obtenu.

    Voici quelques exemples.

    3, 10, 5, 16, 8, 4, 2, 1, 4, 2, 1, 4, 2, etc.

    6, 3, 10, 5, 16, 8, 4, 2, 1, 4, 2, 1, 4, 2, etc.

    12, 6, 3, 10, 5, 16, 8, 4, 2, 1, 4, 2, 1, 4, 2, etc.

    14, 7, 22, 11, 34, 17, 52, 26, 13, 40, 20, 10, 5, 16, 8, 4, 2, 1, 4, 2, 1, 4, 2, 1, 4, 2, etc.

    19, 58, 29, 88, 44, 22, 11, 34, 17, 52, 26, 13, 40, 20, 10, 5, 16, 8, 4, 2, 1, 4, 2, 1, 4, 2, etc.

    27, 82, 41, 124, 62, 31, 94, 47, 142, 71, 214, 107, 322, 161, 484, 242, 121, 364, 182, 91, 274, 137, 412, 206, 103, 310, 155, 466, 233, 700, 350, 175, 526, 263, 790, 395, 1186, 593, 1780, 890, 445, 1336, 668, 334, 167, 502, 251, 754, 377, 1132, 566, 283, 850, 425, 1276, 638, 319, 958, 479, 1438, 719, 2158, 1079, 3238, 1619, 4858, 2429, 7288, 3644, 1822, 911, 2734, 1367, 4102, 2051, 6154, 3077, 9232, 4616, 2308, 1154, 577, 1732, 866, 433, 1300, 650, 325, 976, 488, 244, 122, 61, 184, 92, 46, 23, 70, 35, 106, 53, 160, 80, 40, 20, 10, 5, 16, 8, 4, 2, 1, 4, 2, 1, 4, 2, etc.

    36, 18, 9, 28, 14, 7, 22, 11, 34, 17, 52, 26, 13, 40, 20, 10, 5, 16, 8, 4, 2, 1, 4, 2, etc.

    55, 166, 83, 250, 125, 376, 188, 94, 47, 142, 71, 214, 107, 322, 161, 484, 242, 121, 364, 182, 91, 274, 137, 412, 206, 103, 310, 155, 466, 233, 700, 350, 175, 526, 263, 790, 395, 1186, 593, 1780, 890, 445, 1336, 668, 334, 167, 502, 251, 754, 377, 1132, 566, 283, 850, 425, 1276, 638, 319, 958, 479, 1438, 719, 2158, 1079, 3238, 1619, 4858, 2429, 7288, 3644, 1822, 911, 2734, 1367, 4102, 2051, 6154, 3077, 9232, 4616, 2308, 1154, 577, 1732, 866, 433, 1300, 650, 325, 976, 488, 244, 122, 61, 184, 92, 46, 23, 70, 35, 106, 53, 160, 80, 40, 20, 10, 5, 16, 8, 4, 2, 1, 4, 2, etc.

    Les mathématiciens se posent la question de la nature de ce phénomène, tout en cherchant à savoir si le processus aboutit toujours à la répétition de 1, 4, 2. Concernant ce dernier aspect, cela semble bien le cas.

    Les mathématiciens se sont surtout concentrés sur les successions des nombres, ou bien sur le nombre nécessaire d’étapes pour arriver à la série finale, cherchant une clef de fonctionnement. En réalité, c’est vers la contradiction entre le pair et l’impair qu’il faut se tourner.

    Le principe de 3x+1 veut en effet que si on a un nombre pair, on le divise par deux. Or, que fait-on lorsqu’on divise un nombre par deux ? On le scinde en deux parts égales, disent les mathématiques. Cependant, le matérialisme dialectique affirme qu’on oppose également deux pôles.

    Diviser par deux est pour les mathématiques un mouvement régressif, une opération quantitative où on abaisse un nombre. Pour le matérialisme dialectique, diviser par deux est une avancée, une opération qualitative où deux pôles se révèlent pour se retrouver face à face.

    Reste la question du nombre impair ; soulignons ici que le matérialisme dialectique considère qu’il y a une dialectique à l’oeuvre entre le pair et l’impair.

    Pour l’impair, le processus tient à multiplier par trois et ajouter un. Pourquoi multiplier par trois ? Les mathématiciens n’ont ici, rappelons-le, que constater ce phénomène. Eh bien le matérialisme dialectique dit qu’il est inévitable que ce soit par trois.

    Cela ne peut pas être O, car sinon le nombre n’est plus. Cela ne peut pas être par 1, sinon le nombre est simplement identique à lui-même. Et justement le matérialisme dialectique oppose ce 0 à ce 1, car toute chose est à la fois identique et non-identique à elle-même, c’est-à-dire qu’elle n’est plus elle-même, car elle est en transformation ininterrompue.

    Il y a deux, mais une multiplication par deux n’a pas le sens d’une division par deux, car la multiplication par deux est une réplication d’une chose, alors que la division est l’affirmation de deux pôles. Naturellement, si l’on se cantonne aux nombres pour les nombres cela semble abstrait, mais dans une démarche cosmologique, c’est inévitable.

    On se retrouve alors avec 3. Mais quel est le sens de multiplier par trois et d’ajouter 1 ?

    Ce mystère mathématique se comprend aisément avec le matérialisme dialectique. 3 est le nombre minimal qui n’est pas 0, 1, 2. Son caractère impair implique l’inégalité de développement. Si on rajouter 1, c’est pour le ramener ensuite à la dimension du pair pour ensuite de nouveau bien se retrouver avec les deux pôles de la contradiction.

    Prenons la série 3, 10, 5, 16, 8, 4, 2, 1, 4, 2, 1, 4, 2, etc.

    Lorsqu’on prend 3 et qu’on le multiplie par 3, on lui fait connaître un développement inégal. On ajoute 1 afin de rétablir une opposition dialectique. Naturellement, celle-ci existait déjà. Mais en termes mathématiques, il faut un nombre pair pour le voir. Une fois qu’on l’a, avec 10, on divise par deux afin d’avoir deux pôles.

    Et là est la clef de la problématique. Quand on prend 5, on ne prend pas 5 et 5, cela veut dire qu’on prend un seul aspect de la contradiction.

    3X+1 est donc un processus où la contradiction est la suivante : quand on a un nombre pair, on prend un seul aspect d’une contradiction interne, quand on a un nombre impair on réalise un saut qualitatif ramené à sa contradiction. Dans un cas on ne prend pas la contradiction en entier, dans l’autre on la révèle.

    La conséquence en est un mouvement inégal particulier, aboutissant justement à la série finale qui se répète. Pour cela il faut constater que le pair et l’impair ne s’alternent pas.

    Prenons l’exemple de 6, 3, 10, 5, 16, 8, 4, 2, 1, 4, 2, 1, 4, 2, etc.

    6 est pair, on prend la contradiction entre 3 et 3, on en garde un seul aspect. 3 est impair, on réalise un saut qualitatif en multipliant par 3, on ajoute 1 pour se retrouver avec une contradiction. On en garde un seul aspect, on a 5. On remultiplie par trois en ajoutant 1, on obtient 16.

    On a alors 16, 8, 4, 2, 1, 4, 2, 1, 4. Or, 16, 8, 4 et 2 sont pair. 1 est impair, mais il représente également l’identité. En fait, quand on a 1, on a l’identité de la chose avec elle-même, ce n’est pas que le processus de 3x+1 est terminé, mais qu’il est lui-même.

    Pourquoi alors y a-t-il une répétition de 1, 4 ,2 ? Mais justement parce que toute chose connaît un développement inégal – d’où la multiplication par trois. On ajoute 1 pour se retrouver avec un nombre pair et une contradiction visible. On a alors 2 et 2. Et on prend un seul aspect, car un des deux aspects est principal… On retrouve alors 1, en raison du principe d’identité.

    On est obligé, pour tout nombre, de revenir à ce principe de développement inégal (multiplication par 3), d’affirmation des deux pôles contradictions (on ajoute 1), d’un aspect principal l’emportant et maintenant l’identité du phénomène.

    Si l’identité du phénomène ne l’emportait pas, il n’y aurait que des phénomènes devenant les uns les autres partout, sans cohérence aucune, dans le chaos. C’est pour cette raison qu’un nombre ne se retrouve au maximum qu’une seule fois dans tout calcul de 3x+1.

    Mais pareillement le développement inégal est inévitable, imposant le mouvement. C’est pour cela que, à chaque fois qu’on a un nombre impair, le nombre suivant est toujours pair : tout développement inégal implique la contradiction.