Le 12 février 1934 et son impact

C’est en province que tout se joua. Dans les jours qui suivirent la tentative fasciste de coup d’État du 6 février 1934, il y eut de très nombreux rassemblements et une cinquantaine de manifestations antifascistes. Une dizaine de ces manifestations furent appelées par le Parti Communiste Français, une autre dizaine par la SFIO, 12 par les deux organisations (de manière commune ou pas), 17 par les syndicats ou comme unité antifasciste générale, une par la Ligue des Droits de l’Homme.

Et c’est cela qui produit une tendance à la mobilisation générale des socialistes, des communistes et de leurs sympathisants, avec un appel systématique à manifester le 12 février. Il y a alors 347 manifestations dans tout le pays ce jour-là, celle à Paris rassemblant 150 000 personnes en partant de Vincennes, les cortèges socialistes et communistes étant séparés, mais se réunissant de fait lors de l’aboutissement place de la Nation. Un million de personnes ont fait grève en région parisienne.

200 000 personnes se rassemblent alors le 17 février 1934 pour l’enterrement au cimetière parisien du Père-Lachaise de six ouvriers morts tués par la police. Il s’agit de l’ouvrier ajusteur communiste Vincent Perez, du sympathisant communiste Marc Tailler, de l’ouvrier du bâtiment syndiqué CGT Louis Lauchin, du membre du Comité de lutte contre la guerre Maurice Buleau, du sympathisant communiste Ernest Scharbach, de l’ouvrier Vincent Moris.

De fait, la répression policière n’a, depuis le 6 février, jamais cessé d’être extrêmement violente, faisant de nombreux morts, des centaines de blessés, des milliers d’arrestations. C’est particulièrement vrai en région parisienne où les initiatives fascistes se voient opposés des actions lancées par les communistes ; même le cortège funéraire, avec plus de 100 000 personnes, du jeune ouvrier parisien Henri Willemin, tué par la police, est attaqué par cette dernière.

A la mi-mars, lors d’un meeting communiste avec 8 000 personnes à Paris, un provocateur se suicida également après avoir échoué à assassiner Marcel Cachin.

Il y a alors, dans les faits, une convergence des actions des socialistes et des communistes, mais avec une sorte de division du travail, même si en théorie chacun entend l’emporter sur l’autre en se présentant comme le garant de l’unité générale des travailleurs.

Du côté communiste, la ligne est simple : le paquet est mis dans le style volontariste pour apparaître enfin comme l’organisation la plus active, la plus activiste, la plus sincère. Le souci est que s’il a décidé d’abandonner sa ligne « ultra » portée par le groupe Barbé-Celor, il reste poussé au sectarisme de par un style substitutiste issu du syndicalisme révolutionnaire.

Il n’est capable de lui-même que de mobiliser quelques milliers de personnes dans ses bastions, le plus souvent de la banlieue parisienne. Les rassemblements anti-guerres du traditionnel premier août 1933 furent un fiasco, la fête de la jeunesse ouvrière deux semaines plus tard à Garches en banlieue parisienne rassembla 25 000 personnes, un meeting international en rassembla six mille à Paris à la fin du mois, puis 80 000 à Garches début septembre pour la fête de l’Humanité, et encore 30 000 contre la guerre le 11 novembre 1933.

C’est peu, d’autant plus que lorsque les mairies communistes inaugurent en 1933, le même jour, une piscine à Saint-Denis et un groupe scolaire à Pierrefitte, ce ne sont pas moins de 30 000 travailleurs qui se rassemblent pour l’événement. Et lorsque la mairie communiste de Monitngy-en-Gohelle ouvre un groupe scolaire, elle le dénomme Marcel Cachin, du nom d’un de ses dirigeants, ce qui sera refusé par l’État.

On reconnaît ici une démarche syndicaliste « dure » considérant que ce qui est réel, c’est ce qui s’installe concrètement, même si de par l’assimilation des principes marxistes-léninistes, il accepte l’importance de la dimension morale et intellectuelle, et ce d’autant plus qu’il y a eu le succès du mouvement anti-guerre d’Amsterdam et du mouvement antifasciste de Pleyel.

Ainsi, le Parti Communiste Français est une grande bulle séparée du reste de la société, formant un milieu à part dans le prolongement du syndicalisme révolutionnaire, se proposant somme toute comme le Parti du syndicalisme, avec des réformes municipales comme seul argument parlant à des travailleurs français soutenant mais ne saisissant pas substantiellement ce qui se passe en URSS. Il n’est pas capable d’une initiative politique réelle.

Le 25 février 1934, l’Humanité parle d’ailleurs de « seconde vague d’assaut fasciste », alors que le gouvernement « d’union nationale » de Gaston Doumergue peut gouverner sans contrôle plusieurs mois, et début mars, le Parti socialiste est toujours présenté comme le « principal soutien » de la bourgeoisie, alors que les colonnes de l’Humanité ne parlent pas tant de la menace fasciste que des suites sans fin du scandale Stavisky.

Ce faisant, il ne comprend pas comment le processus de fascisation n’est pas mécanique mais implique une rupture, et il ne voit pas que la SFIO se présente comme désormais libérée de l’aile droite « participationniste », se prétendant dédouanée de tous ses soutiens passés aux gouvernements.

Or, le Parti socialiste SFIO, s’il n’a pas mené l’action systématique et vigoureuse du Parti Communiste cherchant à ce que le mouvement déborde dans un sens violemment contestataire, a une capacité de proposition et de programme bien plus élaborée.

Le concept clef qui apparaît ici dans le discours socialiste, c’est la « République », désormais systématiquement associé au terme « ouvrier », tout comme le terme « royaliste » se voit associé à celui de « fasciste ». C’est là non seulement un retour assumé à l’idéologie de Jean Jaurès, mais également l’adoption du style germano-autrichien, où face aux monarchistes encore extrêmement puissants il y avait la mise en avant de la République comme ne pouvant être, de manière authentique, qu’ouvrière.

Cela permet ici politiquement surtout une latitude très grande au niveau des propositions, en se tournant à la fois vers les communistes sur la gauche et les radicaux sur la droite. Les communistes n’ont pas encore d’autre ligne que celle de pousser, pousser et encore pousser, pour parvenir à un moment de rupture. Ils tentent de mettre à tout prix la direction du Parti socialiste SFIO derrière eux, et sont ainsi dénoncés comme sectaires par celle-ci.

Il y a également sur ce plan pour les socialistes le prestige du fait que la grève générale du 12 février 1934 a été appelée par la CGT, liée au Parti socialiste SFIO, ce qui accorde à ce tandem une réelle légitimité. Et comme le Parti socialiste SFIO a qui plus est coupé court aux initiatives de sa tendance pro-gouvernementale dite « néo-socialiste », il apparaît largement coupé de ses péchés.

Le Parti socialiste SFIO, loin d’avoir été ébranlé au point de s’effondrer et qui s’appuie sur 130 000 membres (avec comme bastion le Nord et la région parisienne), s’est restructuré ; il n’a eu aucun mal, dès le 7 février, à prendre l’initiative politique, et ce non seulement au niveau de la direction, mais également de l’appareil lui-même. Dès le 8 février il fut également en mesure de s’aligner sur la CGT et son appel pour le 12 février.

Il faut ici souligner l’importance de sa presse, avec de très nombreuses variantes locales : L’Eclaireur de l’Eure, Le Travailleur de l’Ain, Le Maroc socialiste, Le Populaire de l’Est, L’Eclaireur du Roannais, Alger socialiste, L’Eveil de la Meuse, Le Réveil socialiste du Cher, Le Travailleur des Alpes, Le Progrès social du Centre, Le Populaire de Corbières, Le Rappel du Morbihan, L’Auvergne socialiste, Le petit Limousin, La République socialiste de l’Ouest, Le Jura, Le Gers socialiste, Le Cri du Laonnais, Le Réveil Soissonnais, Le Socialiste savoyard, L’Ardèche socialiste, Le Midi socialiste, Le Socialiste ardennais, Le Socialiste de la Haute-Saône, etc.

Enfin, de manière secondaire mais marquante, les socialistes autrichiens, qui forment le cœur de la gauche des socialistes à l’internationale et dont Vienne est un bastion formant une forteresse rouge, sont écrasés par le coup d’État austro-fasciste en février 1934. Cela propulse le Parti socialiste SFIO au premier plan à l’internationale, avec la hantise en plus de subir le même sort que les socialistes allemands et désormais les socialistes autrichiens.

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La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français

Les suites immédiates du 6 février 1934

Au moment du 6 février 1934, tout est particulièrement tumultueux. Il est compris, de part et d’autre, qu’une crise de régime s’exprime, dans le prolongement de la première crise générale du capitalisme commencée en 1917 et n’atteignant la France que dans un second temps, en liaison avec la crise américaine de 1929.

Ainsi, dès le 7 février, la Confédération générale du travail appelle à la grève générale pour le 12 février, un lundi. L’appel est le suivant :

« La Commission Administrative de la Confédération Générale du Travail a décidé hier, 7 février, que contre les menaces de fascisme et pour la défense des libertés publiques, une grève générale limitée à 24 heures devra être effectuée le 12 février.

Pour ce faire, les Union doivent en informer leurs syndicats pour que ceux-ci réunissent leur corporation dans leurs locaux habituels, le dimanche 11 février, en vue de préparer l’application de la décision confédérale. »

À Paris l’Action française organise des marches sur les boulevards, cherchant à faire monter la tension, alors que le Parti Communiste Français organise un rassemblement place de la République, avec une série d’affrontements avec la police, notamment au pistolet ; il y a 573 arrestations et plusieurs tués.

Le Parti Communiste Française réitère le 8, mais surtout le 9, avec 40 000 manifestants affrontant la police pour accéder à une place de la République qui leur est interdite ; il y a même l’érection de barricades. Le bilan va être de 1200 arrestations, de plusieurs centaines de blessés et encore une fois de plusieurs tués. C’est le moment historique où les quartiers de Ménilmontant et de Belleville, au nord de Paris non loin de la place de la République, apparaissent comme les bastions révolutionnaires.

L’appel à la mobilisation du 9 février 1934 lancé par le Parti Communiste Français et les Jeunesses Communistes est ici exemplaire de l’approche faite. Il n’y a pas d’unité proposée organiquement au Parti socialiste, seulement un appel à sa base ; il n’est pas non plus considéré que le fascisme entend renverser le régime – bien au contraire, le régime est présenté comme manœuvrant lui-même les fascistes.

« Brisez la vague fasciste !

Travailleurs !

Le sang ouvrier coule dans les rues de Paris !
Ce n’était pas assez de la baisse des salaires et du chômage ! Ce n’était pas assez du vol des assurances sociales ! Ce n’était pas assez des scandales répétés illustrant un régime qui se décompose !

À la faveur d’une démonstration provocatrice de bandes fascistes qu’elle a aidé à s’organiser militairement, la bourgeoisie jette son masque démocratique. Elle ne peut plus gouverner avec les anciennes méthodes.

Elle recourt à la dictature ouverte et à la terreur pour résister à la poussée révolutionnaire des masses. Un nouveau pas est fait vers le fascisme.

La politique du moindre mal qui a assuré te soutien des socialistes aux ministères de baisse des salaires et des traitements, aux ministères clos scandales, au ministère des fusilleurs Daladier Frot, voudrait livrer aujourd’hui le prolétariat aux mains de cette Union nationale que les fascistes saluent de leurs acclamations, tandis que Chiappe, complice de Staviski, s’apprête à réintégrer triomphalement la Préfecture de police.

En face de cette situation, le parti socialiste n’ose même plus maintenir son appel démagogique à une manifestation dans Paris.

Seul, le Parti communiste, sous le drapeau de la Commune, sous le drapeau qui flotte victorieux sur un sixième du globe en U.R.S.S. et sur un quart de la Chine, sous le drapeau de Lénine, vous appelle à l’action de classe sur tous les terrains.

Il faut briser la vague fasciste montante. Le succès dépend de la classe ouvrière, et d’elle seule, de son action de masse vigoureuse, rapide et unie.

FRONT UNIQUE D’ACTION POUR BRISER L’OFFENSIVE DE LA BOURGEOISIE ! OUVRIERS SOCIALISTES ET COMMUNISTES ! Préparez dans l’action la grève revendicative et politique de masse pour lundi.

OUVRIERS PARISIENS EN MASSE CE SOIR, A 20 HEURES, PLACE DE LA REPUBLIQUE.

Rassemblement dans les quartiers ouvriers pour s’y rendre en groupes.

LUTTONS ENSEMBLE

Pour l’arrestation immédiate du provocateur CHIAPPE, des chefs des ligues fascistes et des fusilleurs DALADIER et FROT !
Pour la dissolution des ligues fascistes!

Pour vos revendications immédiates !

Pour la représentation proportionnelle et la dissolution de la Chambre !

Pour la liberté de manifestations et de réunions

Pour la défense des libertés et de la presse ouvrières !

A bas la dictature sanglante du capital !

Vive le gouvernement ouvrier et paysan

LE PARTI ET LES JEUNESSES COMMUNISTES. »

On peut comparer cet appel à celui fait par la CGT et mis en avant par le Parti socialiste SFIO pour mobiliser le 12 février :

« Au Peuple ! Aux Travailleurs !

Le sang a coulé. Aujourd’hui, les factieux, fauteurs d’émeutes, sont démasqués.

L’offensive qui se dessinait depuis quelques mois contre les libertés publiques et la démocratie, a éclaté. Comptant sur la misère, sur le chômage, sur l’affreuse angoisse des jeunes, les forces fascistes militantes dressées contre le régime, ont agi.

Les scandales récents, la soif de justice du peuple ont été odieusement exploités. Pas un mot, pas une pensée pour les malheureux morts de la tragédie de Lagny. L’émeute a dicté sa volonté et la démocratie en reste dangereusement menacée.

Nous, travailleurs organisés, nous le répétons, nous ne voulons pas que soient confondus les voleurs, leurs suppôts et la démocratie. Nous voulons conserver les libertés fondamentales, si héroïquement arrachées par nos aïeux, et sans lesquelles la vie n’est plus digne d’être vécue.

C’est pour affirmer cette volonté inébranlable que les travailleurs, tous les travailleurs, doivent cesser le travail le lundi 12 février. Il faut démontrer que les forces populaires n’assisteront pas muettes et immobiles aux tentatives de substituer la dictature à la démocratie.

JEUNES HOMMES ! Devant vous, l’avenir est fermé. Vous avez cependant droit à la vie et c’est pour vous que les organisations syndicales agissent pour un ordre économique nouveau.

PAYSANS ! La classe ouvrière connaît votre misère. Elle a toujours pactisé avec vos propres révoltes. La Confédération Générale du Travail a toujours préconisé, sur le plan national et international, les mesures économiques propres à assurer votre condition de vie par l’écoulement normal et régulier de vos produits. Vous êtes attachés aux libertés républicaines et vous serez avec nous pour en assurer la défense.

INTELLECTUELS ET TECHNICIENS ! Vous êtes, vous aussi, profondément touchés par la crise qui vous prive de vos moyens d’existence et consomme la ruine de vos espérances les plus légitimes. Le fascisme vous asservirait. Votre personnalité ne peut s’exprimer totalement que dans un régime acceptant la liberté de pensée et la liberté de son expression.

TRAVAILLEURS ! Prenez garde ! La dictature hideuse vous guette. La barbarie hitlérienne avec ses violences, ses camps de concentration, ses matraquages, essaie de s’imposer en France. Vous ne voulez pas du traitement fasciste ou hitlérien. Vous voulez vivre libres, et travailler pour vivre !

Pour cela, à titre d’avertissement et pour manifester votre force et votre volonté, vous appliquerez unanimement, le lundi 12 février, le mot d’ordre de grève générale de 24 heures proclamé par la C. G. T.

La Confédération Générale du Travail »

Le Parti Communiste Français et la CGT Unitaire se cantonnèrent quant à eux dans des appels à l’action, se positionnant encore et toujours sur une ligne de débordement. Le 12 février 1934 fut alors le grand révélateur politique.

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La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français

Le désastre du 6 février 1934 pour le Parti Communiste Français

Lors de l’affaire Stavisky, le Parti Communiste Français procéda à la dénonciation du « régime des escrocs » qui spolie les travailleurs, « l’avalanche des scandales politico-financiers » ; il entreprit de lancer une vague d’opposition à la répression contre les travailleurs et la corruption gouvernementale. Il exigea la dissolution de la Chambre et l’instauration de la proportionnelle.

Ce faisant, il s’inscrivit dans une démarche non pas politique, mais protestataire dans un esprit anti-étatique d’orientation anarchisante, un phénomène typiquement français voire parisien.

D’un côté, cela parla justement forcément à la base parisienne, dont c’était finalement le fondement. De par son implantation parisienne, le Parti Communiste Français parvint ainsi à rassembler 50 000 travailleurs à Paris le 22 janvier 1934, suivi le lendemain d’un meeting de 8 000 personnes, avec à chaque fois de très violents accrochages avec la police.

De l’autre, c’était cependant totalement en retard sur l’énorme dynamique protestataire d’extrême-droite utilisant la même approche, mais avec tout l’arrière-plan idéologique qui allait avec. Du 9 janvier au 5 février, l’Action française organisa 8 manifestations à Paris, les Jeunesses patriotes et Solidarité française prenant l’initiative d’une autre, tout comme la Fédération des contribuables de son côté.

Il y eut également plusieurs rassemblements d’extrême-droite à Lyon, Marseille, Lille, Dijon, Montpellier, Nancy, Nantes, Rouen. Dans tous les cas, surtout à Paris où cela se prolongea plusieurs fois jusqu’à minuit, les manifestants d’extrême-droite furent extrêmement violents, au point même une fois d’annuler une manifestation en raison de la pluie, ce qui aurait nui à l’expression de la violence.

Seuls les Croix-de-Feu de La Rocque, mieux organisés, se contentèrent d’une petite manifestation pacifique comme démonstration de force symbolique devant le ministère de l’intérieur le 5 février, en étant toutefois extrêmement structurés, avec des personnes dans les cafés pour utiliser les téléphones et assurer les communications.

Le 6 février 1934 fut alors le jour d’une émeute consistant en l’aboutissement de toute une vague fasciste, et également celui d’un désastre communiste, passé à la trappe par la suite mais tout à fait marquant.

Le Parti Communiste Français chercha en effet à profiter de l’affaire Stavisky pour passer en force. Le secrétariat du Comité Central lança un appel formel à la mobilisation le 6 février 1934, alors que l’assemblée devait aborder la question du scandale de l’affaire Stavisky :

« A toutes les organisations et aux membres du Parti des cinq régions parisiennes

Toutes les organisations du Parti et tous les militants doivent se mobiliser au maximum pour la réussite des manifestations de masse prévues aux usines et lieux de concentration des ouvriers d’une part, de l’autre pour les contre-manifestations à l’égard des organisations fascistes.

Tout doit être mis en œuvre tans les ateliers, sur les chantiers, etc., pour convaincre les ouvriers socialistes, et confédérés de la nécessité d’un front unique d’action puissant sur les mots d’ordre donnés par ailleurs par notre Parti.

Toutes les réunions intérieures de rayons, de cellules, de fractions, prévues pour ce soir sont annulées. La place de tous les communistes est à la tête des masses dans la bataille, suivant la ligne fixée par le Comité Central. »

Il s’agissait de tenter de profiter de l’affaire Stavisky pour provoquer la génération d’un mouvement ouvrier de contestation. Maurice Thorez devait également tenir un discours à l’assemblée le 6 février 1934, ce qu’il ne put faire en raison des événements ; en voici un extrait représentatif :

« Vous ne pouvez contrôler ceux qui spéculent et qui raflent les millions, mais vous pouvez découvrir et faire radier arbitrairement des fonds de chômage les malheureux qui n’avaient que les dix francs de secours pour tous moyens (…).

Le scandale Stavisky fait apparaître le mal incurable qui ronge votre société corrompue. Il est un des symptômes de la crise profonde qui secoue le monde capitaliste, qui ébranle la France bourgeoise et impérialiste (…).

La crise économique, entre autres conséquences, dresse violemment, les uns contre les autres, les capitalismes rivaux. De nouveau, la lutte pour les sources de matières premières, pour les marchés de plus en plus restreints, la guerre pour le partage du monde est à l’ordre du jour. »

On a ici une ligne générale juste, mais une incapacité à formuler les choses dans le cadre français, d’où l’idée de forcer les choses. Cela amena la présence d’anciens combattants et d’ouvriers communistes lors des rassemblements multiples devant l’Assemblée le 6 février culminant en tentative fasciste de prise d’assaut de celle-ci.

L’État avait réagi en faisant venir dans la capitale des compagnies de mitrailleuses, des tanks, une division de cavalerie, des pelotons de gardes mobiles, etc. ; ce fut un affrontement d’une extrême violence, faisant 15 morts, 669 manifestants blessés et 781 blessés du côté des forces de l’ordre (avec 120 chevaux blessés).

L’Action française revendiqua 4 morts, 16 membres blessés, 10 sympathisants blessés, les Jeunesses Patriotes 2 morts et 2 blessés, Solidarité française 1 mort et 8 blessés, les Croix de Feu 2 morts et 2 blessés, et enfin… le Parti Communiste Français 2 morts et 2 blessés.

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La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français

L’affaire Stavisky et le Parti Communiste Français

La séquence allant du milieu de l’année 1933 au triomphe électoral du Front populaire en mai 1936 est extrêmement complexe dans ses fondements, alors qu’elle est en apparence très simple.

Ce qui semble en effet si on porte un regard unilatéral, c’est que le Parti Communiste Français, isolé socialement et politiquement avant la tentative de coup d’État fasciste du 6 février 1934, est en première ligne dans la contre-offensive antifasciste et parvient, par là-même, à ce que se mette en place un Front populaire avec les socialistes de la SFIO et les radicaux de gauche. Il obtient alors une véritable assise de masse et s’inscrit enfin dans la société française.

La réalité est bien plus complexe et si on ne la cerne pas, on ne comprend pas l’impasse totale dans laquelle se retrouve le Parti Communiste Français dès 1938, alors qu’il est même interdit en 1939 et totalement disloqué dans la foulée.

Car, en réalité, si la séquence de 1934-1936 est une victoire en général pour le Parti Communiste Français, elle est aussi une défaite en particulier. Il réussit sa socialisation, ce qui est une victoire, mais il a perdu le fil révolutionnaire, basculant dans une Ligne Opportuniste de Droite.

Pourquoi cela ? Parce que la société française n’a pas été analysée de manière suffisamment profonde et correcte, et que les contradictions sont internes. Il y a alors un prix à payer.

Avec le congrès antifasciste européen de juin 1933 à Paris, qui intégra en son sein le mouvement anti-guerre d’Amsterdam, le Parti Communiste Français avait pourtant acquis une position moteur sur le plan de l’initiative politique, grâce aux orientations de l’Internationale Communiste. Les socialistes de la SFIO étaient quant à eux très brutalement touchés par la scission néo-socialiste appelant à un soutien de l’État et même du gouvernement, convergeant avec le fascisme dans son approche.

Le Parti Communiste Français avait de plus réussi à très largement toucher les masses populaires avec sa campagne anti-guerre, là encore lancée grâce aux orientations de l’Internationale Communiste.

Il va toutefois se dérouler une crise politique majeure en France et bien entendu l’Internationale Communiste n’était pas en mesure de l’analyser de manière concrète, avec toutes ses spécificités. Cette crise, c’est l’affaire Stavisky, et le Parti Communiste Français va y répondre seul, d’une manière totalement opportuniste.

L’affaire tourne autour de l’escroc Alexandre Stavisky, qui a écumé le milieu des hautes figures du pays (députés, sénateurs, ministres et anciens ministres, responsables de police, directeurs de journaux et journalistes, etc.), ce dans le but de faire fructifier ses affaires en arrosant ces figures au passage, détournant au total 300 millions de francs aux Crédits municipaux d’Orléans et de Bayonne.

Lors de son arrestation le 7 janvier 1934 à Chamonix où il se cachait, il se « suicida » de deux balles dans la tête. Le conseiller à la cour d’appel de Paris et chef de la section financière du parquet de Paris, Albert Prince, qui enquêtait sur lui, fut ensuite découvert déchiqueté par un train le 20 février 1934, une malle vide à ses côtés.

Entre-temps, le gouvernement de Camille Chautemps avait sauté le 27 janvier et une grande émeute fasciste devant le parlement s’était déroulé le 6 février, provoquant le lendemain la démission du gouvernement d’Edouard Daladier et une contre-réponse ouvrière générale les 9 et 12 février.

Le scandale fut de fait retentissant et électrise la société française, alors qu’Alexandre Stavisky, escroc notoire, avait vu ses procès reportés à 19 reprises entre octobre 1929 et octobre 1933, avec pas moins de 18 rapports sur lui depuis 1924 de la part de la Sûreté et de la Police judiciaire.

Le problème était alors le suivant : soit l’affaire Stavisky était comprise avec à l’arrière-plan une analyse réelle de la société française et de la déchéance de la bourgeoisie comme classe suivant tout un processus historique, soit elle était simplement utilisée dans une argumentation rhétorique contre le régime.

N’ayant aucune pensée-guide, c’est-à-dire aucune analyse de fond de la société française, de son parcours, de l’Histoire de la lutte des classes, le Parti Communiste Français se précipita d’autant plus dans la seconde option.

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La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français

Le japonisme

En juillet 1853, le commandant de marine américain Matthew Perry débarqua avec plusieurs navires sur les côtes japonaises et exigea d’être reçu par le gouvernement, ce qui fut fait. Il réitéra en février 1854 pour exiger l’ouverture de l’économie japonaise, avec différents traités, ce qui fut obtenu, aboutissant à l’effondrement du pouvoir en place qui maintenait jusque-là le Japon dans l’isolement international.

Ce furent alors les grands propriétaires terriens et les grands capitalistes qui prirent le pouvoir au Japon, l’empereur étant leur représentant, amenant le pays, majoritairement agricole et arriéré, à voir émerger toute une frange capitaliste monopoliste immédiatement tourné vers le militarisme.

Cette ouverture internationale du Japon eut un grand retentissement culturel, avec notamment la diffusion des estampes, notamment de Katsushika Hokusai, et du style japonais dans les meubles ou encore certains petits objets comme les vases, les tasses, les sabres, les éventails, les ombrelles, etc.

Cela produisit un phénomène appelé le japonisme, particulièrement fort en France, pays qui signa un traité commercial avec le Japon en 1848, alors que ce pays fut présent à l’exposition universelle de Paris de 1867.

Une figure majeure ici fut le capitaliste allemand Siegfried Bing (1838-1905), qui ouvrit une boutique à Paris, dont l’une des expressions fut la revue Le Japon artistique, documents d’art et d’industrie ; il faut également mentionner un Japonais, Hayashi Tadamasa, qui possédait également une boutique parisienne.

Il faut souligner le double caractère du japonisme. D’un côté, c’est une simple consommation exotique pour une bourgeoisie aisée cherchant des motifs pour être remarquée, ainsi qu’une fascination cosmopolite pour des « artistes » prétendant trouver de nouvelles voies pour l’art et ainsi surtout faire carrière.

On a pour ce dernier point un paradoxe historique où le subjectivisme d’une bourgeoisie développée prend l’art d’une bourgeoisie émergente pour insister sur ses faiblesses afin de rejeter le réalisme.

De l’autre il y a une vraie curiosité à la fois internationaliste et productive, lié à l’existence encore relativement forte d’artisans liés à la création industrielle. C’est une rencontre produite par l’accroissement des forces productives.

On lit ainsi dans le premier numéro de la revue Le Japon artistique, documents d’art et d’industrie, dans l’article introductif :

« Elle [cette publication] s’adresse tout particulièrement aux nombreuses personnes qui, à un titre quelconque, s’intéressent à l’avenir de nos arts industriels, à vous notamment, ouvriers modestes ou grands manufacturiers, qui avez un rôle actif dans cette partie de notre force productive.

Dans les nouvelles formules d’art qui nous sont venues de la côte la plus extrême de l’Extrême-Orient, nous avons en effet à chercher quelque chose de plus qu’un régal platonique pour nos dilettantes d’humeur contemplative.

Nous y trouverons des exemples dignes à tous égards d’être suivis, non certes pour ébranler les bases de notre vieil édifice esthétique, mais pour venir ajouter une force de plus à toutes celles que depuis des siècles nous nous sommes appropriées pour en étayer notre génie national. »

Il s’agit pour la revue de présenter

« tour à tour des paysages vaporeux et des études de fleurs ou d’oiseaux, des scènes de vie populaire, et jusqu’aux types étranges de la comédie mystique dont les masques expressifs ne le cèdent en rien à leurs congénères de la Grèce antique. »

Le public visé est défini comme suit :

« L’Amateur spécial et l’artiste,

L’industriel et l’artisan,

L’Homme du monde que séduit toute production élégante de l’art »

C’est là d’un côté une approche nullement cosmopolite, mais bien au contraire allant dans le sens de la synthèse et on doit y voir ici une tendance strictement parallèle à l’art nouveau viennois, avec son souci d’esthétiser la vie quotidienne, en cherchant à s’appuyer sur une partie de la bourgeoisie encore industrieuse et cultivée.

C’est de l’autre côté une lecture cosmopolite visant à ouvrir des perspectives en apparence, mais en réalité à pratiquer la liquidation du réalisme au nom de la « modernité ». On a ici affaire à l’impressionnisme. On a ainsi Claude Monet, Edgar Degas, Camille Pissarro, Henri de Toulouse-Lautrec… qui collectionnaient les estampes japonaises, Vincent Van Gogh prétendait s’inspirer de l’art japonais, etc.

Vincent Van Gogh : La Courtisane (d’après Keisai Eisen), 1887,
Pruniers en fleurs (d’après Hiroshige), 1887
Père Tanguy, 1887

Ainsi, au-delà de l’inspiration, le japonisme apparaît comme l’idéologie d’une sorte d’utopie artistico-bourgeoise, porté par des artistes et intellectuels se reconnaissant de fait sans le savoir dans l’art japonais une bourgeoisie émergente et s’élançant, dont on pourrait en quelque sorte happer les forces historiques.

Le compromis historique fantasmé entre esthétisme et capitalisme qu’on trouve ici à l’arrière-plan se résume parfaitement dans la formule comme quoi les Japonais seraient « les premiers décorateurs du monde » : l’art appliqué, en tant que décoration, est dans ce cadre un savant équilibre entre une activité artistique réelle et une consommation bourgeoise.

De manière idéaliste, la bourgeoisie japonaise émergente proposant une activité réaliste de conquête du monde artistique japonais est « oubliée » et l’art japonais idéalisé est interprété comme une conception universelle d’embellissement de la vie quotidienne.

Le caractère idéaliste de cette lecture se révéla rapidement avec l’oubli complet de cette question esthétique pour un japonisme se réduisant entièrement à une consommation chic de la bourgeoisie parisienne et à un prétexte pour un renforcement de l’affirmation subjectiviste de l’impressionnisme en peinture.

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Katsushika Hokusai et les « Cent vues du mont Fuji »

Katsushika Hokusai est né en 1760 et décédé en 1849 ; durant les années 1830, il considéra qu’il avait encore passé un cap et publia une centaine de dessins au trait, les Cent vues du mont Fuji. Il y explique la chose suivant dans la postface :

« Depuis l’âge de six ans, j’avais la manie de dessiner les formes des objets. Vers l’âge de cinquante, j’ai publié une infinité de dessins ; mais je suis mécontent de tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans.

C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons, des plantes, etc.

Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond des choses ; à cent, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de cent dix, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant.

Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiens parole. Écrit, à l’âge de soixante-quinze ans, par moi, autrefois Hokusai, aujourd’hui Gakyo Rojin, le vieillard fou de dessin »

Il est formidable de voir comment Hokusai avait compris qu’il était sur un chemin d’approfondissement du réalisme. Voici les œuvres les plus significatives des Cent vues du mont Fuji, qui n’ont pas la profondeur des Trente-six vues du mont Fuji en raison de l’absence de couleur et de la non utilisation du principe de l’estampe, mais qui soulignent son avancée vers toujours plus d’ampleur dans le réalisme. Hokusai est le titan du Japon et une composante significative des arts et des lettres de l’humanité.

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Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : cerner l’essentiel

L‘arrière du Fuji depuis la Minobu est la 42e estampe des Trente-six vues du mont Fuji, alors que dix estampes ont été ajoutées à la série initiale. Si le réalisme est freiné par le dessin ayant du mal à retracer la complexité de la Nature, l’idée de mouvement, de passage, est très marqué.

Il y avait en fait l’idée, la vue partant de la droite, de provoquer un effet d’aspiration par un mouvement vers la droite des voyageurs et le grand poids graphique à gauche.

Ono Shinden dans la province de Suruga se concentre sur le rendu des figure individuelles, en cherchant à maintenir la puissance de la couleur pour sa tonalité atmosphérique. Cela a ses limites, les deux plans ayant du mal à se conjuguer.

On voit néanmoins que Hokusai a cherché à relier le typique, le mouvement, la couleur. On a ici un travail réaliste.

Cela réussit parfaitement pour La plantation de thé de Katakura dans la province de Suruga. En reprenant du champ, comme pour L’aurore à Isawa dans la province de Kai , Hokusai parvient à cerner l’essentiel dans un portrait de groupe dont l’esprit à la fois concret et poétique est flagrant.

On a ici la substance même de Hokusai, la mise en perspective.

Le Fuji depuis Kanaya dans la région de Tōkaidō procède du même esprit. Le nombre d’éléments aboutit cependant à une certaine surcharge ; chaque élément étant efficace mais leur combinaison ayant du mal à se réaliser.

C’est qu’en fait le mouvement principal est par trop écrasant. C’est que pour Hokusai il s’agissait de souligner la difficulté pour les passeurs de franchir le fleuve Ōi , au courant très puissant. Un propos connu alors dit que Même les chevaux peuvent traverser les huit ris (31 km) d’Hakone, mais le fleuve Ōi est dur à passer de toutes les manières (Hakone hachiri wa uma demo kosu ga, kosu ni kosarenu Ōigawa).

Les passeurs devaient même parfois attendre plusieurs jours avant de pouvoir faire franchir le fleuve, qui se situe entre Edo et Kyoto, aux voyageurs et à leurs marchandises. Le pouvoir central empêchait très largement la construction de ponts, ainsi que l’utilisation de bac, afin d’empêcher tout vaste mouvement pouvant le menacer. L’oeuvre est ainsi trop marquée par l’élément central, mais cela un sens puissamment réaliste dans les faits.

L’ascension du Fuji est la 46e et dernière estampe. Les pèlerins progressent vers une grotte où d’autres se trouvent déjà.

L’oeuvre manque de réalisme au sens strict ; elle témoigne cependant de la reconnaissance de la dignité du réel, d’une orientation vers ce qui est matériel, en mouvement, collectif. Hokusai entend cerner l’essentiel et le mettre en perspective. C’est le sens du réalisme.

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Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : le réalisme, l’esprit synthétique

Nakahara dans la province de Sagami est la 38e estampe des Trente-six vues du mont Fuji, soit la seconde des dix estampes ajoutées. Comme pour la précédente, Hokusai se précipite dans le réalisme, avec un haut niveau de synthèse.

Les mouvements directionnels sont combinées aux figures présentes, qui consistent en des samouraïs munis de mousquets. On peut voir à l’arrière-plan deux femmes se reposant au niveau des champs. Le mont Fuji est sous la neige ; ce qu’on voit toute à droite est une maison de thé.

Shinagawa sur le Tōkaidō conserve cette orientation. On y voit des cerisiers en fleurs sur une colline se situatnt au nord de Shinagawa, un quartier d’Edo. Cette colline est appelée « Montagne du Palais » (Goten-yama) car le Shogun y avait sa demeure ; l’endroit était réputé pour sa vue de l’océan et ainsi un lieu de pique-nique.

L’oeuvre semble un peu se perdre en raison du nombre de figures, mais si l’on connaît le thème, qui est celui du pique-nique populaire, alors cela reste une bonne représentation, d’autant plus qu’il y a clairement comme thème d’un côté la masse de gens dans la nature, formant un « poids », et de l’autre les cerisiers faisant opposition directionnelle au regard (qui part de la droite au Japon).

Soshu Nakahara se situe encore dans cet approfondissement du réalisme. On voit bien ici que l’attention s’accentue sur les figures personnelles, qui sont ici typiques et très bien soutenues par l’excellent jeu des couleurs.

Ce qui nuit à l’oeuvre, c’est que le mont Fuji semble disproportionné par rapport au reste ; il est présenté comme trop près.

L’aurore à Isawa dans la province de Kai ne présente pas ce problème de proportions et es un chef d’oeuvre, même si cela se fait aux dépens d’une représentation détaillées des figures présentes. On a ici les masses se mettant en branle, le début d’une journée dans sa sincérité la plus directe, dans sa dignité immédiate. Et en même temps, il y a une formidable poésie qui se dégage de la scène.

La synthèse réussie de cette oeuvre tient notamment à l’opposition dialectique de la partie haute de couleur continue et non réellement marquante, unidirectionnelle, avec la richesse de la partie basse, aux couleurs très denses, saturant littéralement la scène représentée, le fort mouvement directionnel étant comme bloqué en deux temps par des « poids » graphiques. C’est un admirable travail, dont le point culminant est le bleu, typique de la partie haute et pourtant présent dans la partie basse, écrasant cette dernière vers le bas et ouvrant vers le haut. C’est le nexus de cette oeuvre dialectique.

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Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : la fin de la série et le redémarrage

La 34e estampe des Trente-six vues du mont Fuji, intitulé Le lac d’Hakone dans la province de Sagami, est indéniablement l’oeuvre la plus minimaliste de la série. Il s’agit en quelque sorte d’un exercice de style. Il y a une dimension naïve assumée.

Même les mouvement directionnels sont très basiques, avec par ailleurs aucune contre-tendance. Sans doute que c’est le calme du lac qui est ici souligné, mais la perspective n’est ici pas suffisante.

On a par contre une réelle profondeur pour le Reflet du mont Fuji dans le lac Kawaguchi, vu depuis le col Misaka dans la province de Kai, grâce au très bel agencement des couleurs, avec des tonalité de bleu et de vert se combinant de manière particulièrement remarquable.

Le mouvement est très élémentaire, ce qui est notable ; le reflet sur l’eau est le point faible toutefois. Cela reste une aproche naïve, assumée par ailleurs.

Hodogaya sur le Tōkaidō clôt normalement les Trente-six vues du mont Fuji, avant que l’éditeur ne rajoute par la suite une série de dix estampes. C’est en quelque sorte un résumé des estampes précédentes, dont divers éléments sont ici rassemblés, afin de marquer les esprits. Si les couleurs rendent bien, la démarche reste toutefois assez élémentaire, malgré la dimension typique montrée, le statut des serviteurs n’étant guère à envier.

Le mouvement est par ailleurs basique. Sans nul doute, c’est un choix de terminer la série par un ralentissement.

La scierie à Honjo, qui ouvre la série ajoutée, repart par contre dans un sens éminemment réaliste. On a ici le travail, présenté de manière typique, on a les masses laborieuses, qui construisent le pays, et d’ailleurs des constructions nombreuses sont visibles. C’est d’un haut niveau de réalisme.

De manière frappante, on n’a plus de mouvement, c’est la matière transformée qui prime, formant deux poids centraux dans l’image. C’est vraiment très fort et on voit que Hokusai est une figure majeure du réalisme, du peuple.

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Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : le perspectivisme

La 31 estampe des Trente-six vues du mont Fuji, intitulée Le pont de Nihonbashi à Edo, ne nous montre pas tant l’intense activité sur le pont, qui relie les cinq routes majeures partant d’Edo alors, que les entrepôts et les barques de transport. Il y a ici une puissante mise en perspective.

Le fait de tronquer la représentation de ceux qui passent sur le pont – en fait le pont du Japon – a une immense portée symbolique, puisque c’est pratiquement le manifeste du capitalisme développé prenant le dessus sur le caractère relativement peu élaboré des commerçants et artisans. L’ordre capitaliste sort de la cohue initiale.

Le village de Sekiya sur la Sumida a une approche plus simple, on peut dire plus traditionnelle du point de vue européen, on se rapproche d’ailleurs littéralement du principe de la bande dessinée, avec le mouvement symbolisé. On notera que, encore et toujours, il n’y a rien au centre, en reconnaissance de la nécessité du développement inégal, de l’absence de symétrie « pure » relevant du formalisme.

La présence marquée des couleurs accorde une grande valeur à cette oeuvre, dont la dimension naturelle est très ample. Le drapé des habits des deux cavaliers au premier plan tranche avec la simplicité générale, et est très inspirant, très gracieux.

La baie de Noboto nous présente des torii, ces portails indiquant un sanctuaire du shintoïsme, la religion impériale. Le mont Fuji est vu à travers l’un d’eux, alors que les villageois – on voit le village au loin – pêche des crustacés.

On a ici un portrait typique d’une situation typique, avec naturellement un côté pittoresque de par les torii, côté à relativiser car on est ici dans l’émergence seulement de la nation japonaise : l’oeuvre relève de l’affirmation bourgeoise du cadre national. Sur le plan de la dynamique, on a un mouvement directionnel appuyé de manière mutiple, puis relativisé mais en même temps renforcé. L’oeuvre est quasiment du perspectivisme.

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Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : une perspective et non le paysagisme

La 27e estampe des Trente-six vues du mont Fuji, intitulée Enoshima dans la province de Sagami, nous montre l’accès à cette île très touristique de quatre kilomètres de circonférence. Le mont Fuji est sur la droite, juse derrière le navire.

On retrouve ici la simplicité, par le mouvement directionnel et le contre-poids, le mont Fuji servant pour la profondeur, la mise en perspective.

On a plus de mouvement pour la Côte de la baie de Tago, Ejiri dans la région de Tōkaidō, avec cependant l’application de la même méthode. L’effet de basculement est cependant très prononcé.

On notera que le mouvement de l’océan tranche avec la dimension statique du mont Fuji : pour ce dernier le mouvement accordé à l’image provient de sa forme, tandis que pour les navires il n’y a pas que la forme, il y a les marins et l’océan.

Yoshida dans la région de Tōkaidō, avec son gros plan, change entièrement de mise en perspective. Cette 29e estampe accorde une place éminente à des femmes, ainsi qu’au décor de l’endroit. C’est une scène avec une dimension intimiste, appuyée par conséquents par de multiples éléments graphiques. Ce qu’on lit sur la bannière horizontale signifie littéralement la maison de thé avec vue du mont Fuji (Fujimi chaya). Il s’agit là d’une station sur la route d’Edo à Kyoto (ou inversement), dite route de Tokaido.

On notera, pour saisir le réalisme de la représentation, que le bâtiment est fait de bois et de bambou, mais les portes et les fenêtres selon le principe du shoji, soit un bois très fin, avec du papier du Japon également très fin, pour laisser passer la lumière. Cela explique le ton de la scène, marquée par une direction et une semi-contre-direction.

La route maritime de la province de Kazusa, la 30e estampe, revient à une mise en perspective générale, avec un mouvement simple.

On notera bien qu’il est ici parlé d’une route maritime, on a ici une marine marchande, on est dans le transport de matières. On est ici du côté de la représentation de la bourgeoisie transformatrice, pas du paysagisme.

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Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : direction et contre-poids

La 23e estampe des Trente-six vues du mont Fuji, Terrasse Sazai, le temple de 500 rakan, présente des pélerins admirant le mont Fuji. Les rakan sont des saints dans le bouddhisme, ayant leur statue grandeur nature dans le temple.

Ce qu’on voit à droite du mont Fuji est un chantier de construction. C’est intéressant, car c’est très représentatif de la présence dans cette série d’estampes des activités de construction, de modification du Japon dans le sens de l’urbanisation, alors que la bourgeoisie se développe.

On notera le caractère plastique classique de l’estampe, avec une vue venant de la droite relativement linéaire, simplement redressé en bas à droite par les pèlerins posant leurs bagages.

La Maison de thé à Koishikawa, le matin après une chute de neige, la 24e estampe, a une orientation inversée. Tout part de la gauche, mais comme au Japon on regarde par la droite, le mont Fuji a été déplacé pour stabiliser l’image.

En fait, l’œil vient s’enliser en quelque sorte par un mouvement venant de la droite. On a une direction et contre-poids. L’oeuvre dégage moins de puissance, mais il s’agit toutefois surtout de montrer la vue depuis le salon de thé. C’est en ce sens une belle représentation.

La représentation de Shimomeguro – désormais un quartier urbanisé de Tokyo – emploie une même simplicité. On reconnaît la grande insistance sur le principe du passage, comme si au Japon alors l’activité était permanente – c’est bien entendu vrai en fait pour le peuple, dont la bourgeoisie fait alors partie, pas pour les couches aristocratiques-patriarcales parasitaires.

On monte, on descend, à l’inverse des directions du mont Fuji, c’est très simple.

Le Moulin à Onden est tout aussi simple, tout en ayant plus de complexité, en raison bien entendu de la roue. Les activités laborieuses sont plus accentuées également. Les couleurs sont plus présentes également, tout en restant assez pâles, sans s’imposer donc.

Direction et contre-poids : c’est exemplaire de l’approche de Hokusai.

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Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : le portrait du typique

Ushibori dans la province de Hitachi, la vingtième estampe des Trente-six vues du mont Fuji, est d’une grande pertinence en tant qu’oeuvre exposant le réalisme mis en perspective. C’est une présentation efficace.

On retrouve ici la capacité de Hokusai à partir d’un « poids » pour obtenir une perspective qui s’élance, tout en profitant d’une couleur principalement uniforme pour donner du champ. On notera ici que le « poids » de départ est vraiment extrêmement centralisé vers le bas, pour accentuer le mouvement du navire. Les détails ne manquent pas, avec les oiseaux sur la gauche, les maisons sur la droite. La présence du mont Fuji est ici admirable de calme et d’ampleur.

Un croquis des magasins Mitsui dans la rue Suruga à Edo est étonnant à cela qu’on ne voit pas tant les magasins que les travailleurs en action et les cerfs-volants. C’est une grande reconnaissance du peuple qui est ici faite.

Les directions proposées sont intéressantes en ce qu’elles sont inverses de celles du mont Fuji, placé d’ailleurs au centre (mais pas exactement, naturellement, comme c’est le principe chez Hokusai, ce qui est une reconnaissance du caractère inégal du développement). Le mont Fuji permet un savant découpage de la scène (a, b, c).

La 22e estampe, Coucher de soleil à travers le pont de Ryōgoku depuis la rive de la Sumida à Onmayagashi, est un portrait exemplaire d’une situation typique. L’opposition entre un cours d’eau mouvementé et le mont Fuji statique, avec tous deux en bleu, pose parfaitement l’oeuvre, l’eau et le ciel connaissant de subtils dégradés. On notera que le pont fait un peu plus de 160 mètres de long.

On retrouve ici également un jeu majestueux de directions et de contre-directions, avec deux « poids » ancrant l’oeuvre de manière particulièrement agréable, avec l’homme assoupi et le mont Fuji, qui sont des repères essentiels dans l’estampe.

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Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : les couleurs et le mouvement en interaction

Le lac Suwa dans la province de Shinano, la 17e estampe des Trente-six vues du mont Fuji, est une oeuvre magistrale avec encore ce jeu de couleurs associé à la perpsective. Le lac Suwa est particulièrement connu pour avoir une source d’eau chaude amenant en hiver des crêtes à se former à la surface du lac gelé.

Les couleurs en interaction sont admirablement appuyés par trois « poids » – un mineur au départ de l’image à droite, puis au centre (qui n’est jamais au centre d’ailleurs et heureusement, on est en dehors de tout formalisme), sur la gauche enfin. Les mouvements contradictoires de droite et de gauche fournissent à la fois mouvement et équilibre.

Ejiri dans la province de Suruga est exemplaire de l’approche de Hokusai. On voit aisément ici comment tous les éléments se rejoignent, même par leur absence, lorsqu’il n’y a que des couleurs uniformes (ou principalement uniformes).

Ce qui est notable, c’est de voir comment Hokusai parvient à présenter la projection produite par le vent. C’est une réalisation très synthétique.

La 18e estampe, Le Fuji depuis les montagnes de la province de Totomi, est focalisé sur le travail. Le titre ne le précise pas. L’oeuvre est moins frappante sur le plan de l’atmosphère, le travail est montré mais sa portée est plus symbolique que concrète.

C’est sans doute que la dynamique est ici trop prononcée, avec d’ailleurs, de manière étrange, deux figures pratiquement au centre de l’image.

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Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : les couleurs et la perspective

La 13e estampe est une oeuvre très réussie d’un réalisme en perspective. Avec La plage de Shichiri dans la province de Sagami, on a en effet une présentation concrète d’un lieu concret, avec l’esprit du lieu de retransmis par la disposition générale.

On peut voir en effet que le deux principaux « poids » de l’image sont reliés à deux autres petits « poids » donnant une dynamique de droite à gauche, alors que le mouvement est posé délicatement par les nuages (a) et la mer (b). C’est simple, mais subtil, et inversement.

Umezawa dans la province de Sagami est très intéressante également dans la mesure où ce sont des oiseaux qui sont les protagonistes de l’estampe, tout en étant, bien évidemment, en adéquation, ou plus exactement en conjonction avec les lieux.

Cette quatorzième estampe des Trente-six vues du mont Fuji élabore pour ce faire une série très prononcée de dynamiques et de contre-dynamiques, avec des mouvements d’élévation et d’abaissement. C’est puissamment inspirant au niveau artistique.

Le pêcheur de Kajikazawa est une oeuvre majeure de Katsushika Hokusai. La version uniquement en bleu est très réputée, mais n’a pas la fine subtilité, les merveilleux accords de cette estampe. Le geste du pêcheur au-dessus du fleuve Fuji est typique, le fleuve est tumultueux comme il l’est effectivement, l’ensemble forme une harmonie générale (malgré que, de fait, le pêcheur par son activité trouble l’océan et les poissons).

C’est le jeu des couleurs qui est ici admirable et qui, encore une fois, est une source d’inspiration. Cependant, au-delà des combinaisons puissantes des couleurs, maniées de manière excellente avec un jeu de gradation, on peut s’apercevoir qu’il y a tout un échafaudage pour maintenir une tension parfaite. La ligne à droite en haut, d’où part l’œil (au Japon), connaît deux contre-tendances, faisant qu’on passe du mont Fuji à un pêcheur penché dont le propre corps rappelle l’élévation et l’abaissement du mont.

La seizième estampe, intitulée La passe de Mishima dans la province de Kai, est également une réussite. La conjonction entre les personnages et leur environnement est ici encore très marquant.

C’est encore le jeu des couleurs qui fait ici office de force de frappe esthétique. Néanmoins, on a également le mont Fuji jouant un rôle majeur à l’arrière-plan de l’arbre, comme pour assurer une mise en perspective adéquate. On remarquera que l’arbre n’est pas au centre, afin de s’abstenir de tout formalisme. C’est formidable de voir comment l’oeuvre est entièrement pleine, alors qu’une large partie de l’estampe consiste « simplement » en de la couleur.

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