Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • L’OTAN met en place une force de réaction à l’échelle d’une armée conventionnelle en Europe – c’est l’annonce d’une guerre impérialiste !

    Nous prévenons les travailleurs de Belgique et de France que, désormais, l’engrenage menant à une guerre de dimension continentale en Europe est enclenché. Lors de son sommet de Madrid des 29 et 30 juin 2022, l’OTAN a en effet décidé de porter à au-delà de 300 000 soldats sa « force de réaction », contre 40 000 jusqu’à présent. Cela implique à la fois que la superpuissance impérialiste américaine va envoyer des troupes en Europe et que l’ensemble des forces militaires européennes va passer sous le commandement direct de l’OTAN.

    L’objectif est de disposer d’une force armée suffisante pour affronter et mettre en déroute l’armée russe. Le chef d’état-major de l’armée britannique a expliqué en ce sens que 2022 était l’équivalent de l’année 1937, alors que la Suède et la Finlande sont désormais en train de rejoindre l’OTAN et donc de permettre une présence accrue sur le flanc nord de la Russie.

    Au sujet de ce dernier pays, il faut souligner que c’est un pays impérialiste qui a des visées néo-impériales, comme le montre ses intentions en Ukraine. Son président Vladimir Poutine se voit marcher dans les pas prétentieux des tsars et compte « rétablir » une vaste zone d’influence.

    Ce n’est toutefois qu’un aspect de la question, car l’Ukraine avait également été transformée en bastion militaire agressif par la superpuissance impérialiste américaine.

    Cette dernière compte en fait organiser un affrontement à vaste échelle sur le continent européen, cela dans le but de maintenir son hégémonie en écrasant la Russie, d’affaiblir par là indirectement ainsi la Chine, d’en même temps mettre au pas les pays européens et de contrer son propre déclin. Il ne s’agit pas d’un complot de la superpuissance impérialiste américaine, qui n’a nullement un regard matérialiste sur elle-même, mais l’expression de sa tentative de surmonter ses propres faiblesses historiques.

    L’objectif de la superpuissance impérialiste américaine de maintenir son hégémonie mondiale est le moteur d’un processus généralisé de militarisme occidental et de réimpulsion du capitalisme, notamment par l’élargissement du marché à de nouveaux domaines. Cela correspond à toute une époque historique, où le capitalisme connaît une crise générale en raison d’une expansion bloquée, où il y a désormais une bataille sino-américaine pour le maintien de l’hégémonie ou son obtention, avec une multitude d’autres contradictions impérialistes qui ont toujours comme substance la bataille pour le repartage du monde.

    En ce sens, « l’OTAN, c’est la guerre impérialiste et la contre-révolution préventive » (20 thèses finales des Brigades Rouges, 1980).

    C’est-à-dire que la mobilisation militariste prend une place centrale également en raison de la vaine tentative de souder l’ensemble des États européens dans une vaste chaîne impérialiste pour renforcer la stabilité d’un grand marché capitaliste qui reste sous contrôle dans un monde en proie aux troubles. C’est la tentative de l’impérialisme qui périclite de se revitaliser par la constitution d’un noyau dur plus large, plus actif, plus homogène.

    Le militarisme exprime ici un redéploiement structurel visant à empêcher la recomposition du prolétariat à travers la crise générale. Les restructurations en permanence et le maintien d’une société de consommation sont le moyen pour le capitalisme d’avoir un coup d’avance sur le prolétariat, de le désorienter, de le diviser et de l’atomiser.

    C’est la raison pour laquelle, de manière absolument indiscutable, l’Union européenne et l’OTAN sont deux structures qui forment deux aspects d’un seul et même processus. Ce processus est indéniable. Les sociétés belge et française se voient par conséquent toujours plus pénétrées et déterminées, dans tous les domaines et à tous les niveaux, par la réimpulsion capitaliste qu’implique l’Union européenne et par la marche à la guerre qu’implique l’OTAN.

    C’est cela qui forme le contenu de la troisième guerre mondiale qui a de fait commencé le 24 février 2022 avec l’invasion russe de l’Ukraine, mettant à jour le niveau des contradictions inter-impérialistes dans la situation mondiale qui inévitablement primeront jusqu’à emporter le monde dans la guerre pour un grand repartage. Le capitalisme à l’époque de la crise générale peut parvenir à des restructurations et les réaliser, mais dans tous les cas la guerre est inévitable en raison des contradictions inter-impérialistes toujours plus aiguës.

    Déjà on voit que toutes les initiatives des États s’inscrivent dans cette perspective de compétition mondiale, afin de renforcer un camp et d’en affaiblir un autre. Chaque pays cherche à se placer pour profiter du gâteau de la redivision du monde ou pour éviter de trop relever du butin à partager.

    Nous affirmons ici qu’il ne faut jamais reculer devant la dimension démesurée de ses propres buts et qu’il faut se préparer à affronter la guerre impérialiste. Il faut contrer la tendance à la guerre, saboter les entreprises impérialistes, affirmer que l’ennemi est dans son propre pays et aller dans le sens de la guerre civile. La Belgique et la France sont des puissances impérialistes, leur nature est réactionnaire ; les régimes capitalistes de la Belgique et de la France sont une partie du problème et non de la solution.

    La solution tient à l’inexorable cours de l’histoire, où les pays visent l’indépendance, les nations la libération, les peuples la révolution. Chaque pays doit pouvoir vivre en paix et sans interférence extérieure ; chaque nation doit être libre et ne pas connaître le joug d’une autre nation ; le peuple exige la justice par l’instauration d’une démocratie qu’il fait lui-même vivre.

    Nous affirmons pour cette raison qu’aucun pragmatisme n’est possible et qu’il n’y a aucune raison qui puisse être valable pour se placer sous la coupe d’une superpuissance impérialiste ou d’une puissance impérialiste. Il n’y a jamais lieu de converger avec la tendance à la guerre sous quelque forme que ce soit, parce que l’intérêt des masses mondiales est en contradiction formelle avec les démarches d’affrontements militaires conquérantes.

    Par là même, en raison des exigences de l’internationalisme prolétarien, l’ennemi est dans son propre pays et il faut toujours être à la hauteur des exigences, et partant de là aller résolument dans le sens de procéder au sabotage de son propre impérialisme. Cela est d’autant plus vrai que la tendance à la guerre déchire la pacification sociale mise en place par l’impérialisme, appauvrit les masses, provoque une situation révolutionnaire. Mao Zedong nous enseigne que soit la révolution conjure la guerre, soit la guerre provoque la révolution.

    C’est pour nous préparer à ce défi historique que nous avons œuvré jusqu’à présent à défendre, arborer et appliquer le marxisme-léninisme-maoïsme, notre idéologie qui est l’expression politique du matérialisme dialectique, vision du monde du prolétariat. Nous avons combattu le révisionnisme et affirmé les fondamentaux du Communisme, en assumant l’idéologie de l’URSS de Staline des années 1950 et de la Chine populaire de Mao Zedong de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

    C’est là le patrimoine incontournable pour assumer l’expression prolétarienne des choses et être capable d’ouvrir un espace révolutionnaire pour faire face au défi de notre époque qu’est la guerre impérialiste. Le capitalisme tourne inévitablement à l’impérialisme et rend la guerre inéluctable. Pour vaincre la guerre, il faut donc assumer l’Histoire et ses exigences. Mao Zedong nous enseigne que :

    « La guerre, ce monstre qui fait s’entretuer les hommes, finira par être éliminée par le développement de la société humaine, et le sera même dans un avenir qui n’est pas lointain. Mais pour supprimer la guerre, il n’y a qu’un seul moyen: opposer la guerre à la guerre, opposer la guerre révolutionnaire à la guerre contre-révolutionnaire, opposer la guerre nationale révolutionnaire à la guerre nationale contre-révolutionnaire, opposer la guerre révolutionnaire de classe à la guerre contre-révolutionnaire de classe…

    Lorsque la société humaine en arrivera à la suppression des classes, à la suppression de l’État, il n’y aura plus de guerres — ni contre-révolutionnaires, ni révolutionnaires, ni injustes, ni justes. Ce sera l’ère de la paix perpétuelle pour l’humanité. En étudiant les lois de la guerre révolutionnaire, nous partons de l’aspiration à supprimer toutes les guerres; c’est en cela que réside la différence entre nous autres communistes et les représentants de toutes les classes exploiteuses. »

    C’est le sens des mots d’ordre « Guerre à la guerre impérialiste ! Guerre à l’OTAN ! ». Ce sont les mots d’ordre que nous prônons alors qu’un mortel engrenage a été déclenché. La guerre du peuple est la réponse à la guerre impérialiste ; la 3e guerre mondiale connaît son pendant dialectique : la guerre populaire mondiale.

    Nous dépasserons les divisions nationales et instaurerons la République socialiste mondiale !

    1er juillet 2022

    Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste de Belgique

    Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)

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  • L’exclusion de Jacques Doriot

    L’exclusion de Jacques Doriot par la Conférence nationale du Parti Communiste Français de la fin juin 1934 s’est ainsi déroulé de manière strictement parallèle à l’unité antifasciste communiste – socialiste se mettant en place.

    C’est le paradoxe, puisque Jacques Doriot était censé être le représentant d’une telle unité. Mais les communistes n’ont pas été dupes et ont compris le sens liquidateur de son initiative, tout en réussissant véritablement l’unité antifasciste dans les faits. Il a bien été compris que Jacques Doriot s’était transformé en agent du fascisme, en cinquième colonne.

    Voici l’article de l’Humanité annonçant la nouvelle de l’exclusion de Jacques Doriot.

    « POUR LE FRONT UNIQUE ANTIFASCISTE POUR L’UNITÉ DU PARTI

    Doriot est exclu du Parti communiste

    La Conférence Nationale a dit avec force : « Le Parti communiste veut obtenir à tout prix l’unité d’action des masses contre la bourgeoisie et le fascisme. Le Parti communiste pratique loyalement et constamment la tactique du front unique ».

    La Conférence du Parti a rappelé la condamnation prononcée autrefois contre Treint, passé au trotskysme contre-révolutionnaire, pour qui la tactique du front unique consistait à « plumer la volaille ».

    La Conférence Nationale a condamné l’attitude scissionniste et antiunitaire de Doriot. Comme Treint autrefois, Doriot considère le front unique comme une manoeuvre subalterne et non comme un effort réel et sincère pour l’organisation effective de la lutte anti-fasciste de tous les travailleurs. Il souhaite le refus du Parti socialiste aux propositions d’action commune de notre Parti, alors que dans l’intérêt de la classe ouvrière, nous souhaitons la réalisation d’un accord pour la lutte contre le fascisme.

    Les phrases hypocrites de Doriot sur l’unité ont pour but de masquer le travail de désagrégation entrepris par lui contre le Parti communiste, champion et organisateur de l’unité ouvrière. Doriot mène son attaque antiunitaire au moment où les travailleurs poussent à l’organisation du front unique, au moment où les ouvriers socialistes se rapprochent de leurs frères communistes, au moment où rayonne d’un éclat toujours plus grand le prestige de l’Internationale Communiste et de l’Union soviétique.

    La Conférence Nationale, exprimant la volonté unanime du Parti, a demandé au Comité Central l’exclusion de Doriot.

    Le Comité Central déclare :

    Par sa lutte ouverte contre le Parti et l’Internationale Communiste, Doriot a couronné une longue période d’hostilité plus ou moins dissimulée, à l’égard du Parti et de ses organismes dirigeants.

    Doriot s’est désintéressé de ses propres responsabilités. Doriot a refusé d’accomplir de nombreuses délégations que voulait lui confier le Comité Central (grève de Strasbourg, meeting à Issoudun contre le renégat Chasseigne).

    Il a refusé d’interpeller à la Chambre sur les affaires Gorgulov et Staviski. Jetant les bases de son groupement fractionnel, Doriot a encouragé et soutenu Barbé qui refusa de se plier à une décision du Comité Central.

    Depuis son agression publique contre le Parti, Doriot a cessé d’assister aux séances du Bureau Politique. Rompant avec la plus élémentaire discipline, Doriot a rédigé et publié de nombreux factums hostiles au Parti et à l’Internationale Communiste.

    Il a transformé le journal communiste l’Emancipation en une feuille de ragots et de calomnies contre le Parti et ses militants. Il a désorganisé l’activité du rayon de Saint-Denis et des cellules. Il a rendu difficile et même impossible aux ouvriers fidèles à l’Internationale Communiste, la présence dans les assemblées du Parti et l’expression de leur attachement au communisme.

    Doriot a démissionné de ses fonctions de maire sans y être autorisé, afin de provoquer une campagne électorale dirigée exclusivement contre le Parti communiste, et tenter de dresser les ouvriers de Saint-Denis contre le communisme. Par la violence, il a empêché d’entendre, le 26 avril, au meeting de Saint-Denis le représentant du Comité Central, le camarade Marcel Cachin.

    Doriot s’est associé aux renégats du communisme, aux ennemis déclarés de l’Union soviétique, pour entreprendre une campagne de discrédit contre le Parti et l’Internationale communiste (meetings de Rouen et de Troyes).

    Malgré l’invitation répétée du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, et en dépit de ses propres déclarations destinées à tromper les ouvriers de Saint-Denis sur ses véritables intentions scissionnistes, Doriot a refusé de se rendre à Moscou. Par sa réponse hostile à la décision du Comité Exécutif, signée du nom glorieux de Dimitrov, Doriot s’est démasqué comme un ennemi de l’Internationale Communiste.

    Enfin Doriot, membre de droit de la Conférence Nationale, avisé par une lettre expresse de la Conférence, « qu’il eût pu et qu’il pouvait encore développer ses opinions à la tribune » n’a pas daigné se présenter, marquant ainsi sa volonté de rupture avec le Parti.

    Doriot a fait la démonstration qu’il est devenu un élément étranger à la classe ouvrière et au Parti communiste. Il a prouvé qu’il ne lutte pas pour l’unité de la classe ouvrière. Il a vérifié le jugement porté sur son activité par l’Internationale Communiste. Il rejoint le contre-révolutionnaire Trotsky. Il roule à l’abime.

    Par son activité, Doriot n’aide pas au front unique contre le fascisme ; il aide le fascisme.

    Le Comité Central du Parti, ayant épuisé tous les moyens de sauver Doriot, ratifiant la volonté unanime du Parti qui exige que soient écartés tous les obstacles s’opposant à l’unité d’action, exclut Doriot des rangs du Parti communiste.

    Appel de cette décision peut être fait devant le congrès du Parti et devant le congrès de l’Internationale Communiste.

    Le Comité Central.

    Le séquence de février 1934 est ainsi complexe : le Parti Communiste Français est combatif, mais n’a pas l’initiative politique ; il profite toutefois du travail effectué en amont et parvient à éviter le piège terrible tendu par Jacques Doriot. La voie est ouverte au Front populaire.

    =>Retour au dossier sur
    La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français

  • L’unité antifasciste ouvrière qui suit le 6 février 1934

    L’Humanité publia le document de l’Internationale Communiste au sujet de Jacques Doriot en soulignant la présence au Comité Exécutif de Dimitrov, grande figure antifasciste voire même principale antifasciste.

    Et la publication se produisit au moment où le Parti Communiste mobilisa, le 20 mai 1934, 30 000 personnes contre le fascisme à Vincennes, alors que se tenait un congrès national antifasciste, prolongement de la fusion en juin 1933 des mouvements anti-guerres d’Amsterdam et du mouvement antifasciste de Pleyel, avec 3487 délégués (les deux-tiers étant mandatés par des structures parisiennes).

    C’est là le succès qui va démarrer le processus du Front populaire, alors que le 27 mai 100 000 personnes se pressent à Paris au mur des Fédérés pour célébrer la Commune de 1871.

    En effet, la capacité du Parti Communiste Français à mettre en place une telle initiative antifasciste va imposer un rythme unitaire. Sur le plan de l’antifascisme, le Parti Communiste Français est à la fois légitime et concret sur le terrain. Il n’a pas été le porteur de la vague du 12 février, qui revient aux socialistes et à la CGT, mais en amont c’est lui qui a été le plus affirmatif à ce niveau.

    Pour cette raison, l’unité organique antifasciste devient toujours plus incontournable. En octobre 1934, le mouvement Pleyel-Amsterdam parvient ainsi à s’entendre avec le Centre de Liaison des Forces Antifascistes mis en place par la fédération de la Seine du Parti socialiste SFIO, dominée par l’aile gauche.

    Cela aboutit à un Comité Central d’Unité d’Action Antifasciste, qui se voit rejoint en novembre 1934 par le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, une structure fondée en mars 1934 par des intellectuels et scientifiques (avec notamment l’ethnologue Paul Rivet qui est socialiste, le philosophe écrivain Alain qui radical, le physicien Paul Langevin qui est proche du Parti Communiste, Victor Basch qui est président de la Ligue des droits de l’homme, l’écrivain surréaliste André Breton, le philosophe Georges Canguilhem, l’écrivain André Malraux).

    Il y a également, le même mois, l’adhésion du petit Parti radical-socialiste Camille Pelletan, scission de gauche des radicaux au congrès de mai 1934, puis les républicains-radicaux et radicaux-socialistes de la Seine, et enfin la Ligue des Droits de l’Homme (qui compte 180 000 adhérents) en janvier 1935.

    On a là la dynamique même du Front populaire. Le succès du congrès national antifasciste de mai 1934 joue donc un rôle capital et on peut dire que si le Parti Communiste Français n’a pas bien géré la séquence des 6 et 12 février 1934, heureusement il y avait le mouvement d’Amsterdam-Pleyel pour l’ancrer dans la réalité politique et l’arracher à sa démarche de type Parti politique du syndicalisme révolutionnaire.

    Il faut souligner ici également que les provocations fascistes et le soutien de la police à celle-ci ont également grandement joué. De février à mai 1934, les affrontements ouvriers avec les policiers protégeant les initiatives fascistes sont très nombreux en France, et particulièrement violents, faisant 18 morts du côté ouvrier.

    De plus, les provocateurs fascistes sont toujours plus munis d’armes, leur militarisation se faisant alors de manière systématique, les Croix-de-Feu possédant littéralement une petite armée.

    François de La Rocque, le fondateur du mouvement des Croix-de-Feu qui deviendra le Parti Social Français

    Qui plus est, le gouvernement forme un bloc réactionnaire unifié. L’instabilité politique suite au 6 février 1934 a amené la constitution dès le 9 février d’un gouvernement sous l’égide de Gaston Doumergue, avec un parlement court-circuité.

    On y retrouve déjà de nombreuses figures de la Collaboration, puisque Philippe Pétain est ministre de la Guerre, le néo-socialiste Adrien Marquet est ministre du Travail, Pierre-Étienne Flandin est ministre des Travaux Publics, Louis Germain-Martin est ministre des Finances, Georges Rivollet est ministre des Pensions, Pierre Laval en étant rapidement ministre des Affaires étrangères et Paul Marchandeau ministre de l’Intérieur, ainsi que Henry Lémery ministre de la Justice.

    La pression pour l’unité antifasciste vient pour cette raison vraiment de la base, non pas de manière politique au sens strict, mais dans une reconnaissance mutuelle d’une approche commune sur le terrain, de la même sensibilité antifasciste. Les discussions se multiplient ainsi, bon gré mal gré, au plus haut niveau du Parti Communiste Français et du Parti socialiste SFIO d’un côté, de la CGTU et de la CGT de l’autre.

    Tout le mois de juin – depuis une initiative du 30 mai 1934 pour être précis proposant une action commune contre le fascisme, contre les décrets-lois, pour la défense du dirigeant communiste allemand Thälmann et des victimes du nazisme – est ainsi marqué par l’irrépressible tendance à une rencontre entre les directions communiste et socialiste.

    Le 22 juin 1934, Marcel Cachin publie dans l’Humanité l’article « Poursuivons nos efforts pour l’unité d’action », qui regrette le refus de l’unité par la direction socialiste, et lorsque Léon Blum lui répond le 23 juin dans Le Populaire, il salue « un ton de mesure et de cordialité confiante », et met en avant un tableau censé refléter le point de vue socialiste : si les communistes cessent leur dénonciation de la direction socialiste, un accord est possible.

    Voici le tableau, publié initialement dans La bataille, le journal de la Fédération socialiste du nord.

    « Nous demandons une simple chose : la trêve. La trêve des partis prolétariens en face de la trêve des partis bourgeois.

    Le 29 novembre 1932, entre la République Française et la République des Soviets, il a été signé un pacte dont on lira ci-dessous les articles. |

    Nous voulons nous aussi signes un pacte de non-agression.

    A L’INSTAR DE CECI…

    Pacte de non-agression franco-soviétique

    M. Albert Lebrun, président de la République Française.

    M. Edouard Herriot, président du Conseil, ministre des Affaires étrangères;

    Le Comité central exécutif de l’Union des Républiques Soviétiques et Socialistes;

    M. Valérien Dovgalevsky, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de l’U.R.S.S. près le président de la République Française;

    Animés de la volonté de consolider la paix,
    Convaincus qu’il est dans l’intérêt des deux hautes parties contractantes d’aménager et de développer les relations entre les deux pays,

    Désireux de confirmer et de préciser, en ce qui concerne leurs rapports respectifs, le Pacte général de renonciation à la guerre du 27 août 1928, Ont résolu de conclure un traité à ces fins et ont convenu des dispositions suivantes :

    Article premier. – Chacune des hautes parties contractantes s’engage, vis-à-vis de l’autre, à ne recourir, en aucun cas contre elle, soit isolément, soit conjointement avec une ou plusieurs tierces puissances, ni à la guerre, ni à aucune agression par terre ou par mer.

    Art. 2. – Si l’une des hautes parties contractantes est l’objet d’une agression, l’autre partie contractante s’engage à ne prêter ni directement, ni indirectement, aide ou assistance à l’agresseur ou aux agresseurs, pendant la durée du conflit.

    Art. 3. – Les engagements énoncés aux articles 1 et 2 ci-dessus ne peuvent en aucune façon limiter ou modifier les droits et obligations découlant des accords conclus par elle avant l’entrée en vigueur du présent traité.

    Art. 4. – Chacune des hautes parties contractantes s’engage pour la durée aucune entente internationale ayant pratiquement pour effet d’interdire la vente ou l’achat de marchandises ou l’octroi de crédits à l’autre partie.

    Art. 5. – Chacune des hautes parties contractantes s’engage à respecter à tous égards la souveraineté ou l’autorité de l’autre partie, à ne s’immiscer en aucune façon dans ses affaires intérieures, à s’abstenir notamment d’une action quelconque tendant à susciter ou à favoriser toute agitation, propagande ayant pour but déporter atteinte à son intégrité territoriale ou de transformer par la force le régime politique ou social de tout ou partie de ses territoires.

    Fait à Paris en double expédition, le 29 novembre 1932

    Signé : LEBRUN, HERRIOT, pour la France. STALINE, DOVGALEVSKY, pour l’U.R.S.S.

    Celui-ci est une réalité et nous nous en félicitons

    EST-IL VRAIMENT IMPOSSIBLE D’OBTENIR CELA ?…

    Pacte de non-agression socialo-communiste

    Les citoyens Paul Faure, secrétaire général du Parti socialiste S.F.I.O. ;

    Léon Blum, directeur politique du «Populaire» ;

    La C.A.P. du Parti socialiste ;

    Les citoyens Thorez, secrétaire général du Parti communiste ;

    Marcel Cachin, directeur politique de l’«Humanité» ;

    Le Comité central du Parti communiste ;
    Animés de la volonté de battre le fascisme,
    Convaincus qu’il est dans l’intérêt de la classe ouvrière d’améliorer et de rendre plus fraternelles les relations entre les deux partis,

    A défaut d’unité organique dont les conditions ne sont peut-être pas encore réalisées, les contractants, en présence du danger que le fascisme fait courir au monde du travail, reconnaissent la nécessité de mener en commun accord des actions déterminées, et ont résolu de
    conclure un pacte contenant les dispositions suivantes :

    Article premier. – Chacune des parties contractantes s’engage, vis-à-vis de l’autre, à mettre fin aux attaques, injures et critiques contre leurs organismes et militants, responsables ou élus. Cet engagement vaut pour les organisations régionales et locales.

    Art. 2. – Si, à l’occasion de réunions ou de manifestations des militants appartenant à l’un ou à l’autre parti se trouvent aux prises avec des adversaires fascistes, les ressortissants des parties contractantes se devront aide et assistance mutuelle pour repousser les agressions.

    Art. 3. – Les engagements énoncés aux articles 1 et 2 ci-dessus ne peuvent, en aucune façon, limiter ou interdire le droit que conserve chaque parti de faire sa propre propagande et d’assurer son propre recrutement.

    Art. 4. – Les controverses doctrinales et la confrontation des méthodes tactiques, loin d’être proscrites, sont désirables en tant qu’elles élèvent le niveau intellectuel des masses, et qu’elles se déroulent dans une atmosphère correcte et loyale.

    Art. 5. – Chacune des parties contractantes s’engage à respecter à tous égards la souveraineté ou l’autorité des organismes dirigeants de l’autre partie à ne pas s’immiscer en aucune façon dans ses affaires intérieures, à s’abstenir notamment d’une action quelconque tendant à susciter ou favoriser toute tentative de désagrégation.

    Fait à Paris, le…

    Signé : Paul FAURE, Léon BLUM, pour le Parti Socialiste. M. THOREZ et Marcel CACHIN, pour le Parti Communiste.

    Celui-là n’est hélas, qu’une hypothèse et nous le déplorons »

    Cet appel à l’unité dans Le Populaire a lieu le même jour que le compte-rendu du verdict de Saint-Omer, qui tient en l’acquittement de deux « camelots du roi » de l’Action française ayant tué au pistolet l’ouvrier communiste Joseph Fontaine le 11 avril 1934 lors d’une contre-manifestation organisée à Hénin-Liétard ; la veuve de Joseph Fontaine dut payer les frais de justice.

    Dès le lendemain, Le Populaire lance une campagne en titrant : « Les travailleurs n’accepteront pas le verdict de Saint-Omer ». Et parallèlement, le Parti Communiste Français qui vient d’ouvrir une « conférence nationale », formula à ce titre des propositions au Parti socialiste SFIO le 25 juin :

    « Aux ouvriers et aux sections socialistes.

    A la C.A.P. du Parti socialiste.

    Camarades,

    traduisant les sentiments de la classe ouvrière et des masses laborieuses de France, la Conférence nationale du Parti communiste français est indignée par le verdict de Saint-Omer qui constitue un encouragement aux assassins de prolétaires.

    Seule l’action commune des travailleurs peut faire reculer la bourgeoisie et c’est pourquoi la Conférence propose aux ouvriers socialistes, aux sections socialistes, ainsi qu’à la C.A.P. du Parti socialiste, sans préjudices des propositions antérieures faites par le Comité central du P.C.F., d’engager dans tout le pays une large action de masse contre le verdict inique.

    Nous proposons l’organisation en commun de :

    1) Meetings et manifestations dans les principaux centres du pays déjà indiqués dans nos précédentes propositions pour arracher la libération du camarade Thälmann et de tous les antifascistes [emprisonnés en Allemagne].

    2) Meetings et manifestations dans les bassins miniers du Nord et du Pas-de-Calais, Hénin-Liétard, Lens, Douai, Béthune, Anzin.

    3) Pétitions de masse contre le verdict dans tout le pays, dans toutes les entreprises, les puits, les transports et lieux de pointage des chômeurs. Les petits commerçants, paysans, travailleurs, intellectuels, etc., qu’il est nécessaire de gagner à la lutte antifasciste seront invités à prendre part à ces pétitions.

    4) Groupes d’auto-défense de masse antifascistes constitués en commun.

    Nous proposons aussi que le groupe parlementaire socialiste et la fraction communiste à la Chambre déposent ensemble une proposition tendant à assurer la défense des libertés démocratiques conquises par les travailleurs (droit syndical de réunions, de manifestations, de grève, etc.) ainsi que le désarmement et la dissolution des ligues fascistes.

    Au cours de la campagne, dont nous proposons la réalisation, cette proposition de loi sera largement développée et les travailleurs seront appelés à lutter ensemble pour en imposer l’adoption.

    En raison de la gravité du verdict de classe, rendu par la cour d’assises de Saint-Omer, nous espérons avoir une réponse très rapide.

    Afin de ne pas perdre de temps et pour permettre l’organisation immédiate de l’action commune, vous pourriez, dès ce jour, comme nous le faisons nous-mêmes, donner des instructions à vos Fédérations et Sections pour qu’elles s’entendent d’urgence avec nos organisations correspondantes.

    Salutations communistes.

    La Conférence nationale du Parti communiste. »

    Le jour même un accord pour la réalisation d’un meeting fut trouvé entre la section parisienne du Parti Communiste et la Fédération socialiste de la Seine, alors que le dirigeant de la CGTU Cheminots, Pierre Sémard, fut accueilli pour prendre la parole au congrès de la CGT Cheminots.

    Voici le texte de l’accord, consistant en un appel.

    « Tous unis dans l’action !

    La Région communiste de Paris-Ville et la Fédération socialiste de la Seine ont décidé de mener la lutte en commun pour arracher les victimes du fascisme des mains de leurs bourreaux.

    En Allemagne, le chef du Parti communiste, Ernst Thälmann, et de nombreux antifascistes sont menacés de mort par les bandes hitlériennes.
    En Autriche, la militante socialiste Paula Wallisch et d’autres lutteurs ouvriers sont dans les prisons du sinistre Dollfuss.

    IL FAUT LES SAUVER !

    IL FAUT LES RENDRE A LA LIBERTÉ !

    IL FAUT BARRER LA ROUTE AU FASCISME EN FRANCE !

    SOCIALISTES, COMMUNISTES, VOUS TOUS TRAVAILLEURS

    Luttez ensemble pour vos frères de classe, otages du fascisme !
    Luttez ensemble contre les décrets-lois de misère, contre toutes diminutions de salaire, et pour. la défense des chômeurs !

    Luttez ensemble contre les manœuvres aériennes qui préparent la guerre !

    Luttez ensemble contre les provocations des bandes fascistes, protégées par le Gouvernement d’Union Nationale qui vient de faire prononcer l’odieux verdict de Saint-Omer, acquittant les fascistes assassins de Joseph Fontaine.

    Pour la défense des libertés ouvrières !

    Pour le désarmement et la, dissolution des ligues fascistes !

    TOUS EN MASSE AU GRAND MEETING D’UNITÉ D’ACTION
    qui se tiendra lundi 2 juillet à Bullier 20 h 30

    Orateurs

    Marcel CACHIN Jacques DUCLOS Maurice LAMPE
    du Parti Communiste du Parti Communiste Secrétaire de la Région Communiste de Paris.

    Jean ZYROMSKI Claude JUST Emile FARINET
    du Parti Socialiste du Parti Socialiste Secrétaire de la Fédération Socialiste de la Seine »

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    La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français

  • Le rejet par le Parti Communiste Français de la ligne de Jacques Doriot

    Voici la « décision du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste concernant la politique scissionniste du camarade Doriot », qui répond à la « lettre ouverte » et en condamne la démarche.

    « Moscou, le 16 mai 1934.

    En présence de la lutte commencée par Doriot contre le Comité central du Parti communiste de France, le Comité exécutif de l’Internationale communiste a proposé, le 23 avril dernier, au Comité central du Parti communiste de France et à Doriot, de cesser la lutte intérieure dans le Parti et de soumettre les divergences à l’examen du Comité exécutif de l’Internationale communiste.

    En prenant cette décision, le Comité exécutif de l’Internationale communiste était inspiré, par la nécessité d’assurer l’unité du Parti et de la classe ouvrière dans la lutte contre le fascisme ainsi que par le souci de protéger Doriot contre son isolement avec les masses ouvrières.

    Or, tandis que le Comité central du Parti communiste français, se conformant aux indications du Comité exécutif de l’Internationale communiste, cessait immédiatement la lutte, Doriot a continué sa lutte contre le Comité central du Parti communiste français.

    Aux demandes réitérées du Comité exécutif de l’Internationale communiste, il répondit invariablement par le refus d’accepter la proposition du Comité exécutif de l’Internationale communiste de se rendre à Moscou.

    Le Comité exécutif de l’Internationale communiste a épuisé ainsi tous les moyens en vue de sauver Doriot pour le Parti et empêcher son isolement des masses ouvrières. Pour l’Internationale communiste, il est clair que Doriot parle et écrit sur le front unique non pas dans l’intérêt de sa réalisation effective, mais simplement pour pouvoir, sous le couvert de phrases sur le front unique, préparer la scission dans le Parti.

    L’Internationale communiste ne croit pas, que Doriot, qui brise le front unique à l’intérieur du Parti, puisse être honnêtement et sincèrement pour le front unique de la classe ouvrière.

    La lettre ouverte de Doriot au Comité exécutif de l’Internationale communiste n’est qu’un masque couvrant la politique scissionniste de Doriot. Ainsi, Doriot prend le chemin sur lequel autrefois est parti le contre-révolutionnaire Trotsky dans sa lutte contre le Parti communiste de l’U. R. S. S. et contre l’Internationale communiste.

    Le Comité exécutif de l’Internationale communiste décide

    1) de refuser à Doriot la défense de l’Internationale communiste,

    2) d’autoriser le Comité central du Parti communiste français à prendre envers Doriot toutes les mesures d’ordre idéologique, et d’organisation qu’il considérera nécessaires afin de pouvoir assurer l’unité du Parti et la lutte victorieuse contre le fascisme.

    Par ordre du Comité exécutif de l’Internationale communiste.
    Dimitrov, Heckert, Kuusinen, mac Ilhone, Manouilsky, Piatnisky »

    Par conséquent, le Parti Communiste Français décida de la chose suivante, par une résolution de son Bureau Politique :

    « En affirmant à nouveau l’attachement indéfectible du Parti communiste de France à l’Internationale Communiste, guide sûr et éprouvé du prolétariat mondial, le Bureau politique, certain d’interpréter les sentiments unanimes des communistes, approuve sans réserve la décision du Comité exécutif de l’Internationale Communiste au sujet de l’activité scissionniste du camarade Doriot.

    Cette activité du camarade Doriot entrave l’action du Parti communiste pour la réalisation du front unique de lutte, contre le fascisme.

    Comme le Comité exécutif de l’Internationale Communiste, le Bureau politique du Parti communiste français ne croit pas que Doriot, qui brise le front unique à l’intérieur du Parti, puisse être honnêtement et sincèrement pour le front unique de la classe ouvrière.

    Le Bureau politique demande au camarade Doriot

    1) d’approuver et de se conformer au document de l’Internationale Communiste ;

    2) de cesser immédiatement la lutte contre le Comité central sous toutes ses formes (meetings, articles de presse, travail fractionnel dans le Parti, organisations de masse et municipalités, etc.) ;

    3) de publier le document du Comité exécutif de l’Internationale Communiste dans l’Emancipation ;

    4) de faire une déclaration, publiée dans l’Emancipation et l’Humanité, indiquant qu’il accepte de cesser toute lutte contre le Comité central et que, sous sa direction, il entreprendra la lutte contre le fascisme, pour le front unique d’action gêné jusqu’ici par sort travail scissionniste ;

    5) d’assurer la parution de l’Emancipation sous le contrôle du Comité régional de la région Paris-Nord, ainsi qu’il est prévu dans les statuts fondamentaux du Parti.

    Le Bureau politique fait appel à tout le Parti pour tendre ses efforts en vue de renforcer et d’élargir le front unique de lutte contre les décrets-lois, le fascisme et la guerre, de démasquer concrètement l’attitude de trahison et de division de la Social-démocratie et de faire échec à toute tentative ayant pour but d’aggraver la division et la scission dans les rangs de la classe ouvrière.

    Le Bureau politique du Parti communiste français appelle tous les communistes et tous les travailleurs de Saint-Denis, qui ont dû soutenir tant de combats pour conserver leur unité, à se serrer plus fortement que jamais autour du Parti communiste et de l’Internationale Communiste, seuls capables de les conduire à la victoire sur le fascisme et de les libérer définitivement de l’exploitation capitaliste.

    Le Bureau politique décide de porter la résolution du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste à la connaissance de tout le Parti et de toute la classe ouvrière. »

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    La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français

  • La crise interne du Parti Communiste Français portée par Jacques Doriot

    Lorsque le Parti socialiste SFIO tient son congrès à Toulouse en mai 1934, c’est pour lui une réussite. Il a surmonté la grande crise néo-socialiste, il a réussi à s’affirmer politiquement lors de la crise fasciste de février 1934.

    Comme le Parti Communiste ne parvient pas à le déborder dans cette situation, cela va provoquer une crise interne, sous la forme d’une capitulation ultra-opportuniste, avec Jacques Doriot.

    Né en 1898, il devient ouvrier métallurgiste, et rejoignant les Jeunesses Socialistes devenant les Jeunesses Communistes, il devient rapidement leur dirigeant de fait dès 1921 en raison des arrestations, puis officiellement en 1923-1924. Il représente d’ailleurs les Jeunesses Communistes à Moscou au congrès de l’Internationale communiste des Jeunes en 1921, ainsi qu’en 1922, faisant partie désormais de la direction internationale du mouvement.

    Jacques Doriot

    Dans ce cadre, il est poursuivi et condamné à la prison pour ses activités et c’est en prison qu’il est élu député et libéré en 1924, année où il devient membre du Bureau Politique du Parti Communiste. Un colosse physiquement, il obtient une réputation virile lorsque en 1925, dans le cadre d’un mouvement de grève, il affronte avec succès plusieurs policiers devant le siège parisien de la CGTU, rue de la Grange-aux-Belles.

    Il devient alors maire de Saint-Denis en 1931, qu’il transforme en royaume séparé, faisant même en sorte le 12 février 1934 que la section du Parti Communiste ne participe pas à la manifestation, mais mène une action localement, avec 10 000 personnes. Qui plus est, cela se fit sous la forme de la mise en place d’un Comité de Vigilance antifasciste, ouvert aux socialistes, aux radicaux et à la CGT.

    Dans la foulée fut tirée le 9 avril 1934 une brochure à 30 000 exemplaires, au nom de la section de Saint-Denis : « Les communistes de Saint-Denis et les événements du 6 au 12 février. Pour l’unité d’action ! Lettre ouverte à l’Internationale communiste ».

    C’était une tentative ouverte de putsch au sein du Parti Communiste. L’Internationale Communiste est censée ni plus ni moins que liquider la direction et placer Jacques Doriot à la tête du Parti. On lit ainsi :

    « La majorité des délégués à notre Conférence a adopté cette importante résolution pour les raisons suivantes :

    1° Elle est convaincue que les résolutions du C. C. ne correspondent pas aux nécessités de la lutte révolutionnaire actuelle.

    2° Elle est convaincue que les propositions formulées par Doriot au Comité Central du Parti correspondent à l’étape actuelle de la lutte, à la volonté et aux aspirations de la classe ouvrière et peuvent permettre son rassemblement rapide pour l’action.

    3° Elle est convaincue — ayant discuté profondément dans le Parti et avec les larges masses de travailleurs — que la tactique suivie par le Comité Central rend plus difficile le rassemblement contre le fascisme des masses laborieuses ;

    4° Parce que le Comité Central ne veut pas ouvrir dans le Parti une discussion approfondie sur tous les problèmes de tactique, alors qu’une telle discussion exprimerait le véritable sentiment de la base du Parti et renforcerait nos organisations ;

    5° Parce qu’au lieu d’accepter la discussion, le Secrétariat du Parti a, de toute évidence, déformé les propositions faites au Comité Central dans le but de montrer que l’unanimité du Parti (mal informé sur les véritables propositions faites) était contre l’union sans principe avec les chefs du Parti socialiste.

    Nous considérons que tous ces faits paralysent le fonctionnement normal du Parti, empêchent le sentiment de la base d’être connu, détruisent l’initiative, affaiblissent le Parti au lieu de le renforcer et entravent la mobilisation des masses contre le fascisme. Ce sont les raisons pour lesquelles nous avons décidé de nous adresser à vous. »

    Jacques Doriot aurait obtenu d’excellents résultats à Saint-Denis, alors que le Parti Communiste multiplie les échecs nationalement ; le journal local LÉmancipation serait un succès, ainsi que les activités syndicales et des anciens combattants, le recrutement en général, etc. La direction du Parti bloquerait toute discussion et entraverait les progrès.

    L’accusation principale qui justifierait un grand changement serait le péril fasciste, que la direction du Parti sous-estime, comme le refléterait l’article « pas d’énervement » du 1er février 1934, qui récuse les initiatives appelées par Jacques Doriot comme visant à « ressusciter la vieille théorie anarcho-syndicaliste des « minorités agissantes » condamnées par le marxisme et par les faits » .

    Le document dénonce qui plus est le Parti Communiste pour avoir, dans la foulée du 6 février, dénoncé également le gouvernement au lieu de se focaliser sur la menace fasciste. Constatant alors que les milliers d’initiatives du 12 février 1934 ont été réalisées dans un esprit commun, il faut en déduire qu’il faut entièrement renverser la ligne du Parti.

    Ce qui est ici fascinant, bien entendu, c’est qu’on sait ce que Jacques Doriot est devenu après : le fondateur en 1936 du Parti Populaire Français, un mouvement fasciste, alors que Jacques Doriot devint l’une des grandes figures de la collaboration avec l’Allemagne nazie au nom de l’anticommunisme le plus acharné.

    Mais c’est que le mouvement de Jacques Doriot est une ligne opportuniste de gauche, visant à liquider de l’intérieur le Parti, au nom d’un dépassement victorieux. Le document « Les communistes de Saint-Denis et les événements du 6 au 12 février. Pour l’unité d’action ! Lettre ouverte à l’Internationale communiste » présente en effet les comités antifascistes qui se sont mis en place comme les embryons des soviets à venir :

    « Durant ces journées, les masses ont imposé au Parti Socialiste et aux syndicats réformistes l’Unité d’Action et elles ont spontanément trouvé les moyens de la réaliser. Sous des noms divers (Comités d’Action, de Vigilance, d’Unité) elles ont créé des organismes de Front Unique.

    Ces Comités ont joué un rôle considérable pendant les journées de Février. En de nombreux cas, ils ont dirigé. les grandioses manifestations du 12. Cette multitude de comités se formant spontanément et prenant en mains la direction politique et technique des manifestations, formés des représentants des partis et des syndicats, élus avec enthousiasme par la masse, prenaient l’aspect d’organes du pouvoir révolutionnaire.

    Sous une forme embryonnaire et très imparfaite, ces comités représentent les ort3anes de direction des combats révolutionnaires de demain. Ils ont été, en fait, les premiers organes de direction du mouvement de masse au début de la vague révolutionnaire. C’est leur rôle révolutionnaire immense.

    Certes, on peut adresser à ces comités beaucoup de reproches ; leur programme n’a pas toujours été clair et net. Les communistes n’ont pas toujours su trouver les mots d’ordre justes. Parfois, ils ont accepté des mots d’ordre condamnés par notre Parti comme la défense de la République. Au reste, ils ont quelquefois aussi accepté le mot d’ordre d’Unité organique avec le Parti Socialiste.

    Par contre, des communistes ont, dans certains endroits, refusé d’entrer dans ces comités. Ces erreurs inévitables et qui peuvent parfaitement être rectifiées, n’enlèvent rien au rôle considérable joué par ces comités de Front Unique.

    Or, la direction du Parti n’a pas compris tout de suite le rôle important de ces comités. Elle a pris contre eux une position sectaire et parfois hostile. »

    Le document ne cache d’ailleurs pas qu’il faut considérer de manière unilatérale le Parti socialiste comme relevant du mouvement ouvrier et de la perspective révolutionnaire.

    C’est là très véritablement l’aspect principal, reflétant une capitulation sous la forme d’une convergence avec l’aile gauche du Parti socialiste SFIO qui en a pris le contrôle après l’éviction des « participationnistes » qu’ont été les néo-socialistes, mais qui reste sur une base « socialiste française » hostile au communisme.

    « L’acceptation du Parti Socialiste et la participation de toutes ces organisations à ce Congrès détermineraient un grand courant d’enthousiasme dans la classe ouvrière.

    L’organisation d’une vaste campagne d’agitation et la formation de comités d’action dans tout le pays ferait monter la vague révolutionnaire en France.

    La participation officielle du Parti Socialiste entraînerait des conséquences extrêmement favorables pour le développement de l’action révolutionnaire.

    L’union de ces forces et des forces inorganisées renforcerait considérablement la capacité d’action révolutionnaire des masses laborieuses de France. Elle créerait clans le pays une situation pré-révolutionnaire (…).

    Il faut faire, à propos de la social-démocratie française, les remarques suivantes : contrairement aux autres sections de la IIe Internationale, elle n’a jamais participé ouvertement au pouvoir.

    Ces actes de collaboration gouvernementale ont été faits sous la forme de soutien souvent interrompus par la pression de la base du Parti. Une scission s’est produite sur cette question. »

    L’aspect secondaire, qui va devenir principal par la suite, est l’insistance sur les « classes moyenne », un concept totalement étranger aux principes du communisme, pour qui il s’agit de la petite-bourgeoisie constituant une couche sociale oscillante entre prolétariat et bourgeoisie. Le document propose ainsi de mettre en place une « organisation et défense des luttes des classes moyennes (révision des baux commerciaux, moratoire des dettes, révision sur les patentes) ».

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    La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français

  • Le 12 février 1934 et son impact

    C’est en province que tout se joua. Dans les jours qui suivirent la tentative fasciste de coup d’État du 6 février 1934, il y eut de très nombreux rassemblements et une cinquantaine de manifestations antifascistes. Une dizaine de ces manifestations furent appelées par le Parti Communiste Français, une autre dizaine par la SFIO, 12 par les deux organisations (de manière commune ou pas), 17 par les syndicats ou comme unité antifasciste générale, une par la Ligue des Droits de l’Homme.

    Et c’est cela qui produit une tendance à la mobilisation générale des socialistes, des communistes et de leurs sympathisants, avec un appel systématique à manifester le 12 février. Il y a alors 347 manifestations dans tout le pays ce jour-là, celle à Paris rassemblant 150 000 personnes en partant de Vincennes, les cortèges socialistes et communistes étant séparés, mais se réunissant de fait lors de l’aboutissement place de la Nation. Un million de personnes ont fait grève en région parisienne.

    200 000 personnes se rassemblent alors le 17 février 1934 pour l’enterrement au cimetière parisien du Père-Lachaise de six ouvriers morts tués par la police. Il s’agit de l’ouvrier ajusteur communiste Vincent Perez, du sympathisant communiste Marc Tailler, de l’ouvrier du bâtiment syndiqué CGT Louis Lauchin, du membre du Comité de lutte contre la guerre Maurice Buleau, du sympathisant communiste Ernest Scharbach, de l’ouvrier Vincent Moris.

    De fait, la répression policière n’a, depuis le 6 février, jamais cessé d’être extrêmement violente, faisant de nombreux morts, des centaines de blessés, des milliers d’arrestations. C’est particulièrement vrai en région parisienne où les initiatives fascistes se voient opposés des actions lancées par les communistes ; même le cortège funéraire, avec plus de 100 000 personnes, du jeune ouvrier parisien Henri Willemin, tué par la police, est attaqué par cette dernière.

    A la mi-mars, lors d’un meeting communiste avec 8 000 personnes à Paris, un provocateur se suicida également après avoir échoué à assassiner Marcel Cachin.

    Il y a alors, dans les faits, une convergence des actions des socialistes et des communistes, mais avec une sorte de division du travail, même si en théorie chacun entend l’emporter sur l’autre en se présentant comme le garant de l’unité générale des travailleurs.

    Du côté communiste, la ligne est simple : le paquet est mis dans le style volontariste pour apparaître enfin comme l’organisation la plus active, la plus activiste, la plus sincère. Le souci est que s’il a décidé d’abandonner sa ligne « ultra » portée par le groupe Barbé-Celor, il reste poussé au sectarisme de par un style substitutiste issu du syndicalisme révolutionnaire.

    Il n’est capable de lui-même que de mobiliser quelques milliers de personnes dans ses bastions, le plus souvent de la banlieue parisienne. Les rassemblements anti-guerres du traditionnel premier août 1933 furent un fiasco, la fête de la jeunesse ouvrière deux semaines plus tard à Garches en banlieue parisienne rassembla 25 000 personnes, un meeting international en rassembla six mille à Paris à la fin du mois, puis 80 000 à Garches début septembre pour la fête de l’Humanité, et encore 30 000 contre la guerre le 11 novembre 1933.

    C’est peu, d’autant plus que lorsque les mairies communistes inaugurent en 1933, le même jour, une piscine à Saint-Denis et un groupe scolaire à Pierrefitte, ce ne sont pas moins de 30 000 travailleurs qui se rassemblent pour l’événement. Et lorsque la mairie communiste de Monitngy-en-Gohelle ouvre un groupe scolaire, elle le dénomme Marcel Cachin, du nom d’un de ses dirigeants, ce qui sera refusé par l’État.

    On reconnaît ici une démarche syndicaliste « dure » considérant que ce qui est réel, c’est ce qui s’installe concrètement, même si de par l’assimilation des principes marxistes-léninistes, il accepte l’importance de la dimension morale et intellectuelle, et ce d’autant plus qu’il y a eu le succès du mouvement anti-guerre d’Amsterdam et du mouvement antifasciste de Pleyel.

    Ainsi, le Parti Communiste Français est une grande bulle séparée du reste de la société, formant un milieu à part dans le prolongement du syndicalisme révolutionnaire, se proposant somme toute comme le Parti du syndicalisme, avec des réformes municipales comme seul argument parlant à des travailleurs français soutenant mais ne saisissant pas substantiellement ce qui se passe en URSS. Il n’est pas capable d’une initiative politique réelle.

    Le 25 février 1934, l’Humanité parle d’ailleurs de « seconde vague d’assaut fasciste », alors que le gouvernement « d’union nationale » de Gaston Doumergue peut gouverner sans contrôle plusieurs mois, et début mars, le Parti socialiste est toujours présenté comme le « principal soutien » de la bourgeoisie, alors que les colonnes de l’Humanité ne parlent pas tant de la menace fasciste que des suites sans fin du scandale Stavisky.

    Ce faisant, il ne comprend pas comment le processus de fascisation n’est pas mécanique mais implique une rupture, et il ne voit pas que la SFIO se présente comme désormais libérée de l’aile droite « participationniste », se prétendant dédouanée de tous ses soutiens passés aux gouvernements.

    Or, le Parti socialiste SFIO, s’il n’a pas mené l’action systématique et vigoureuse du Parti Communiste cherchant à ce que le mouvement déborde dans un sens violemment contestataire, a une capacité de proposition et de programme bien plus élaborée.

    Le concept clef qui apparaît ici dans le discours socialiste, c’est la « République », désormais systématiquement associé au terme « ouvrier », tout comme le terme « royaliste » se voit associé à celui de « fasciste ». C’est là non seulement un retour assumé à l’idéologie de Jean Jaurès, mais également l’adoption du style germano-autrichien, où face aux monarchistes encore extrêmement puissants il y avait la mise en avant de la République comme ne pouvant être, de manière authentique, qu’ouvrière.

    Cela permet ici politiquement surtout une latitude très grande au niveau des propositions, en se tournant à la fois vers les communistes sur la gauche et les radicaux sur la droite. Les communistes n’ont pas encore d’autre ligne que celle de pousser, pousser et encore pousser, pour parvenir à un moment de rupture. Ils tentent de mettre à tout prix la direction du Parti socialiste SFIO derrière eux, et sont ainsi dénoncés comme sectaires par celle-ci.

    Il y a également sur ce plan pour les socialistes le prestige du fait que la grève générale du 12 février 1934 a été appelée par la CGT, liée au Parti socialiste SFIO, ce qui accorde à ce tandem une réelle légitimité. Et comme le Parti socialiste SFIO a qui plus est coupé court aux initiatives de sa tendance pro-gouvernementale dite « néo-socialiste », il apparaît largement coupé de ses péchés.

    Le Parti socialiste SFIO, loin d’avoir été ébranlé au point de s’effondrer et qui s’appuie sur 130 000 membres (avec comme bastion le Nord et la région parisienne), s’est restructuré ; il n’a eu aucun mal, dès le 7 février, à prendre l’initiative politique, et ce non seulement au niveau de la direction, mais également de l’appareil lui-même. Dès le 8 février il fut également en mesure de s’aligner sur la CGT et son appel pour le 12 février.

    Il faut ici souligner l’importance de sa presse, avec de très nombreuses variantes locales : L’Eclaireur de l’Eure, Le Travailleur de l’Ain, Le Maroc socialiste, Le Populaire de l’Est, L’Eclaireur du Roannais, Alger socialiste, L’Eveil de la Meuse, Le Réveil socialiste du Cher, Le Travailleur des Alpes, Le Progrès social du Centre, Le Populaire de Corbières, Le Rappel du Morbihan, L’Auvergne socialiste, Le petit Limousin, La République socialiste de l’Ouest, Le Jura, Le Gers socialiste, Le Cri du Laonnais, Le Réveil Soissonnais, Le Socialiste savoyard, L’Ardèche socialiste, Le Midi socialiste, Le Socialiste ardennais, Le Socialiste de la Haute-Saône, etc.

    Enfin, de manière secondaire mais marquante, les socialistes autrichiens, qui forment le cœur de la gauche des socialistes à l’internationale et dont Vienne est un bastion formant une forteresse rouge, sont écrasés par le coup d’État austro-fasciste en février 1934. Cela propulse le Parti socialiste SFIO au premier plan à l’internationale, avec la hantise en plus de subir le même sort que les socialistes allemands et désormais les socialistes autrichiens.

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    La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français

  • Les suites immédiates du 6 février 1934

    Au moment du 6 février 1934, tout est particulièrement tumultueux. Il est compris, de part et d’autre, qu’une crise de régime s’exprime, dans le prolongement de la première crise générale du capitalisme commencée en 1917 et n’atteignant la France que dans un second temps, en liaison avec la crise américaine de 1929.

    Ainsi, dès le 7 février, la Confédération générale du travail appelle à la grève générale pour le 12 février, un lundi. L’appel est le suivant :

    « La Commission Administrative de la Confédération Générale du Travail a décidé hier, 7 février, que contre les menaces de fascisme et pour la défense des libertés publiques, une grève générale limitée à 24 heures devra être effectuée le 12 février.

    Pour ce faire, les Union doivent en informer leurs syndicats pour que ceux-ci réunissent leur corporation dans leurs locaux habituels, le dimanche 11 février, en vue de préparer l’application de la décision confédérale. »

    À Paris l’Action française organise des marches sur les boulevards, cherchant à faire monter la tension, alors que le Parti Communiste Français organise un rassemblement place de la République, avec une série d’affrontements avec la police, notamment au pistolet ; il y a 573 arrestations et plusieurs tués.

    Le Parti Communiste Française réitère le 8, mais surtout le 9, avec 40 000 manifestants affrontant la police pour accéder à une place de la République qui leur est interdite ; il y a même l’érection de barricades. Le bilan va être de 1200 arrestations, de plusieurs centaines de blessés et encore une fois de plusieurs tués. C’est le moment historique où les quartiers de Ménilmontant et de Belleville, au nord de Paris non loin de la place de la République, apparaissent comme les bastions révolutionnaires.

    L’appel à la mobilisation du 9 février 1934 lancé par le Parti Communiste Français et les Jeunesses Communistes est ici exemplaire de l’approche faite. Il n’y a pas d’unité proposée organiquement au Parti socialiste, seulement un appel à sa base ; il n’est pas non plus considéré que le fascisme entend renverser le régime – bien au contraire, le régime est présenté comme manœuvrant lui-même les fascistes.

    « Brisez la vague fasciste !

    Travailleurs !

    Le sang ouvrier coule dans les rues de Paris !
    Ce n’était pas assez de la baisse des salaires et du chômage ! Ce n’était pas assez du vol des assurances sociales ! Ce n’était pas assez des scandales répétés illustrant un régime qui se décompose !

    À la faveur d’une démonstration provocatrice de bandes fascistes qu’elle a aidé à s’organiser militairement, la bourgeoisie jette son masque démocratique. Elle ne peut plus gouverner avec les anciennes méthodes.

    Elle recourt à la dictature ouverte et à la terreur pour résister à la poussée révolutionnaire des masses. Un nouveau pas est fait vers le fascisme.

    La politique du moindre mal qui a assuré te soutien des socialistes aux ministères de baisse des salaires et des traitements, aux ministères clos scandales, au ministère des fusilleurs Daladier Frot, voudrait livrer aujourd’hui le prolétariat aux mains de cette Union nationale que les fascistes saluent de leurs acclamations, tandis que Chiappe, complice de Staviski, s’apprête à réintégrer triomphalement la Préfecture de police.

    En face de cette situation, le parti socialiste n’ose même plus maintenir son appel démagogique à une manifestation dans Paris.

    Seul, le Parti communiste, sous le drapeau de la Commune, sous le drapeau qui flotte victorieux sur un sixième du globe en U.R.S.S. et sur un quart de la Chine, sous le drapeau de Lénine, vous appelle à l’action de classe sur tous les terrains.

    Il faut briser la vague fasciste montante. Le succès dépend de la classe ouvrière, et d’elle seule, de son action de masse vigoureuse, rapide et unie.

    FRONT UNIQUE D’ACTION POUR BRISER L’OFFENSIVE DE LA BOURGEOISIE ! OUVRIERS SOCIALISTES ET COMMUNISTES ! Préparez dans l’action la grève revendicative et politique de masse pour lundi.

    OUVRIERS PARISIENS EN MASSE CE SOIR, A 20 HEURES, PLACE DE LA REPUBLIQUE.

    Rassemblement dans les quartiers ouvriers pour s’y rendre en groupes.

    LUTTONS ENSEMBLE

    Pour l’arrestation immédiate du provocateur CHIAPPE, des chefs des ligues fascistes et des fusilleurs DALADIER et FROT !
    Pour la dissolution des ligues fascistes!

    Pour vos revendications immédiates !

    Pour la représentation proportionnelle et la dissolution de la Chambre !

    Pour la liberté de manifestations et de réunions

    Pour la défense des libertés et de la presse ouvrières !

    A bas la dictature sanglante du capital !

    Vive le gouvernement ouvrier et paysan

    LE PARTI ET LES JEUNESSES COMMUNISTES. »

    On peut comparer cet appel à celui fait par la CGT et mis en avant par le Parti socialiste SFIO pour mobiliser le 12 février :

    « Au Peuple ! Aux Travailleurs !

    Le sang a coulé. Aujourd’hui, les factieux, fauteurs d’émeutes, sont démasqués.

    L’offensive qui se dessinait depuis quelques mois contre les libertés publiques et la démocratie, a éclaté. Comptant sur la misère, sur le chômage, sur l’affreuse angoisse des jeunes, les forces fascistes militantes dressées contre le régime, ont agi.

    Les scandales récents, la soif de justice du peuple ont été odieusement exploités. Pas un mot, pas une pensée pour les malheureux morts de la tragédie de Lagny. L’émeute a dicté sa volonté et la démocratie en reste dangereusement menacée.

    Nous, travailleurs organisés, nous le répétons, nous ne voulons pas que soient confondus les voleurs, leurs suppôts et la démocratie. Nous voulons conserver les libertés fondamentales, si héroïquement arrachées par nos aïeux, et sans lesquelles la vie n’est plus digne d’être vécue.

    C’est pour affirmer cette volonté inébranlable que les travailleurs, tous les travailleurs, doivent cesser le travail le lundi 12 février. Il faut démontrer que les forces populaires n’assisteront pas muettes et immobiles aux tentatives de substituer la dictature à la démocratie.

    JEUNES HOMMES ! Devant vous, l’avenir est fermé. Vous avez cependant droit à la vie et c’est pour vous que les organisations syndicales agissent pour un ordre économique nouveau.

    PAYSANS ! La classe ouvrière connaît votre misère. Elle a toujours pactisé avec vos propres révoltes. La Confédération Générale du Travail a toujours préconisé, sur le plan national et international, les mesures économiques propres à assurer votre condition de vie par l’écoulement normal et régulier de vos produits. Vous êtes attachés aux libertés républicaines et vous serez avec nous pour en assurer la défense.

    INTELLECTUELS ET TECHNICIENS ! Vous êtes, vous aussi, profondément touchés par la crise qui vous prive de vos moyens d’existence et consomme la ruine de vos espérances les plus légitimes. Le fascisme vous asservirait. Votre personnalité ne peut s’exprimer totalement que dans un régime acceptant la liberté de pensée et la liberté de son expression.

    TRAVAILLEURS ! Prenez garde ! La dictature hideuse vous guette. La barbarie hitlérienne avec ses violences, ses camps de concentration, ses matraquages, essaie de s’imposer en France. Vous ne voulez pas du traitement fasciste ou hitlérien. Vous voulez vivre libres, et travailler pour vivre !

    Pour cela, à titre d’avertissement et pour manifester votre force et votre volonté, vous appliquerez unanimement, le lundi 12 février, le mot d’ordre de grève générale de 24 heures proclamé par la C. G. T.

    La Confédération Générale du Travail »

    Le Parti Communiste Français et la CGT Unitaire se cantonnèrent quant à eux dans des appels à l’action, se positionnant encore et toujours sur une ligne de débordement. Le 12 février 1934 fut alors le grand révélateur politique.

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    La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français

  • Le désastre du 6 février 1934 pour le Parti Communiste Français

    Lors de l’affaire Stavisky, le Parti Communiste Français procéda à la dénonciation du « régime des escrocs » qui spolie les travailleurs, « l’avalanche des scandales politico-financiers » ; il entreprit de lancer une vague d’opposition à la répression contre les travailleurs et la corruption gouvernementale. Il exigea la dissolution de la Chambre et l’instauration de la proportionnelle.

    Ce faisant, il s’inscrivit dans une démarche non pas politique, mais protestataire dans un esprit anti-étatique d’orientation anarchisante, un phénomène typiquement français voire parisien.

    D’un côté, cela parla justement forcément à la base parisienne, dont c’était finalement le fondement. De par son implantation parisienne, le Parti Communiste Français parvint ainsi à rassembler 50 000 travailleurs à Paris le 22 janvier 1934, suivi le lendemain d’un meeting de 8 000 personnes, avec à chaque fois de très violents accrochages avec la police.

    De l’autre, c’était cependant totalement en retard sur l’énorme dynamique protestataire d’extrême-droite utilisant la même approche, mais avec tout l’arrière-plan idéologique qui allait avec. Du 9 janvier au 5 février, l’Action française organisa 8 manifestations à Paris, les Jeunesses patriotes et Solidarité française prenant l’initiative d’une autre, tout comme la Fédération des contribuables de son côté.

    Il y eut également plusieurs rassemblements d’extrême-droite à Lyon, Marseille, Lille, Dijon, Montpellier, Nancy, Nantes, Rouen. Dans tous les cas, surtout à Paris où cela se prolongea plusieurs fois jusqu’à minuit, les manifestants d’extrême-droite furent extrêmement violents, au point même une fois d’annuler une manifestation en raison de la pluie, ce qui aurait nui à l’expression de la violence.

    Seuls les Croix-de-Feu de La Rocque, mieux organisés, se contentèrent d’une petite manifestation pacifique comme démonstration de force symbolique devant le ministère de l’intérieur le 5 février, en étant toutefois extrêmement structurés, avec des personnes dans les cafés pour utiliser les téléphones et assurer les communications.

    Le 6 février 1934 fut alors le jour d’une émeute consistant en l’aboutissement de toute une vague fasciste, et également celui d’un désastre communiste, passé à la trappe par la suite mais tout à fait marquant.

    Le Parti Communiste Français chercha en effet à profiter de l’affaire Stavisky pour passer en force. Le secrétariat du Comité Central lança un appel formel à la mobilisation le 6 février 1934, alors que l’assemblée devait aborder la question du scandale de l’affaire Stavisky :

    « A toutes les organisations et aux membres du Parti des cinq régions parisiennes

    Toutes les organisations du Parti et tous les militants doivent se mobiliser au maximum pour la réussite des manifestations de masse prévues aux usines et lieux de concentration des ouvriers d’une part, de l’autre pour les contre-manifestations à l’égard des organisations fascistes.

    Tout doit être mis en œuvre tans les ateliers, sur les chantiers, etc., pour convaincre les ouvriers socialistes, et confédérés de la nécessité d’un front unique d’action puissant sur les mots d’ordre donnés par ailleurs par notre Parti.

    Toutes les réunions intérieures de rayons, de cellules, de fractions, prévues pour ce soir sont annulées. La place de tous les communistes est à la tête des masses dans la bataille, suivant la ligne fixée par le Comité Central. »

    Il s’agissait de tenter de profiter de l’affaire Stavisky pour provoquer la génération d’un mouvement ouvrier de contestation. Maurice Thorez devait également tenir un discours à l’assemblée le 6 février 1934, ce qu’il ne put faire en raison des événements ; en voici un extrait représentatif :

    « Vous ne pouvez contrôler ceux qui spéculent et qui raflent les millions, mais vous pouvez découvrir et faire radier arbitrairement des fonds de chômage les malheureux qui n’avaient que les dix francs de secours pour tous moyens (…).

    Le scandale Stavisky fait apparaître le mal incurable qui ronge votre société corrompue. Il est un des symptômes de la crise profonde qui secoue le monde capitaliste, qui ébranle la France bourgeoise et impérialiste (…).

    La crise économique, entre autres conséquences, dresse violemment, les uns contre les autres, les capitalismes rivaux. De nouveau, la lutte pour les sources de matières premières, pour les marchés de plus en plus restreints, la guerre pour le partage du monde est à l’ordre du jour. »

    On a ici une ligne générale juste, mais une incapacité à formuler les choses dans le cadre français, d’où l’idée de forcer les choses. Cela amena la présence d’anciens combattants et d’ouvriers communistes lors des rassemblements multiples devant l’Assemblée le 6 février culminant en tentative fasciste de prise d’assaut de celle-ci.

    L’État avait réagi en faisant venir dans la capitale des compagnies de mitrailleuses, des tanks, une division de cavalerie, des pelotons de gardes mobiles, etc. ; ce fut un affrontement d’une extrême violence, faisant 15 morts, 669 manifestants blessés et 781 blessés du côté des forces de l’ordre (avec 120 chevaux blessés).

    L’Action française revendiqua 4 morts, 16 membres blessés, 10 sympathisants blessés, les Jeunesses Patriotes 2 morts et 2 blessés, Solidarité française 1 mort et 8 blessés, les Croix de Feu 2 morts et 2 blessés, et enfin… le Parti Communiste Français 2 morts et 2 blessés.

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    La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français

  • L’affaire Stavisky et le Parti Communiste Français

    La séquence allant du milieu de l’année 1933 au triomphe électoral du Front populaire en mai 1936 est extrêmement complexe dans ses fondements, alors qu’elle est en apparence très simple.

    Ce qui semble en effet si on porte un regard unilatéral, c’est que le Parti Communiste Français, isolé socialement et politiquement avant la tentative de coup d’État fasciste du 6 février 1934, est en première ligne dans la contre-offensive antifasciste et parvient, par là-même, à ce que se mette en place un Front populaire avec les socialistes de la SFIO et les radicaux de gauche. Il obtient alors une véritable assise de masse et s’inscrit enfin dans la société française.

    La réalité est bien plus complexe et si on ne la cerne pas, on ne comprend pas l’impasse totale dans laquelle se retrouve le Parti Communiste Français dès 1938, alors qu’il est même interdit en 1939 et totalement disloqué dans la foulée.

    Car, en réalité, si la séquence de 1934-1936 est une victoire en général pour le Parti Communiste Français, elle est aussi une défaite en particulier. Il réussit sa socialisation, ce qui est une victoire, mais il a perdu le fil révolutionnaire, basculant dans une Ligne Opportuniste de Droite.

    Pourquoi cela ? Parce que la société française n’a pas été analysée de manière suffisamment profonde et correcte, et que les contradictions sont internes. Il y a alors un prix à payer.

    Avec le congrès antifasciste européen de juin 1933 à Paris, qui intégra en son sein le mouvement anti-guerre d’Amsterdam, le Parti Communiste Français avait pourtant acquis une position moteur sur le plan de l’initiative politique, grâce aux orientations de l’Internationale Communiste. Les socialistes de la SFIO étaient quant à eux très brutalement touchés par la scission néo-socialiste appelant à un soutien de l’État et même du gouvernement, convergeant avec le fascisme dans son approche.

    Le Parti Communiste Français avait de plus réussi à très largement toucher les masses populaires avec sa campagne anti-guerre, là encore lancée grâce aux orientations de l’Internationale Communiste.

    Il va toutefois se dérouler une crise politique majeure en France et bien entendu l’Internationale Communiste n’était pas en mesure de l’analyser de manière concrète, avec toutes ses spécificités. Cette crise, c’est l’affaire Stavisky, et le Parti Communiste Français va y répondre seul, d’une manière totalement opportuniste.

    L’affaire tourne autour de l’escroc Alexandre Stavisky, qui a écumé le milieu des hautes figures du pays (députés, sénateurs, ministres et anciens ministres, responsables de police, directeurs de journaux et journalistes, etc.), ce dans le but de faire fructifier ses affaires en arrosant ces figures au passage, détournant au total 300 millions de francs aux Crédits municipaux d’Orléans et de Bayonne.

    Lors de son arrestation le 7 janvier 1934 à Chamonix où il se cachait, il se « suicida » de deux balles dans la tête. Le conseiller à la cour d’appel de Paris et chef de la section financière du parquet de Paris, Albert Prince, qui enquêtait sur lui, fut ensuite découvert déchiqueté par un train le 20 février 1934, une malle vide à ses côtés.

    Entre-temps, le gouvernement de Camille Chautemps avait sauté le 27 janvier et une grande émeute fasciste devant le parlement s’était déroulé le 6 février, provoquant le lendemain la démission du gouvernement d’Edouard Daladier et une contre-réponse ouvrière générale les 9 et 12 février.

    Le scandale fut de fait retentissant et électrise la société française, alors qu’Alexandre Stavisky, escroc notoire, avait vu ses procès reportés à 19 reprises entre octobre 1929 et octobre 1933, avec pas moins de 18 rapports sur lui depuis 1924 de la part de la Sûreté et de la Police judiciaire.

    Le problème était alors le suivant : soit l’affaire Stavisky était comprise avec à l’arrière-plan une analyse réelle de la société française et de la déchéance de la bourgeoisie comme classe suivant tout un processus historique, soit elle était simplement utilisée dans une argumentation rhétorique contre le régime.

    N’ayant aucune pensée-guide, c’est-à-dire aucune analyse de fond de la société française, de son parcours, de l’Histoire de la lutte des classes, le Parti Communiste Français se précipita d’autant plus dans la seconde option.

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    La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français

  • Le japonisme

    En juillet 1853, le commandant de marine américain Matthew Perry débarqua avec plusieurs navires sur les côtes japonaises et exigea d’être reçu par le gouvernement, ce qui fut fait. Il réitéra en février 1854 pour exiger l’ouverture de l’économie japonaise, avec différents traités, ce qui fut obtenu, aboutissant à l’effondrement du pouvoir en place qui maintenait jusque-là le Japon dans l’isolement international.

    Ce furent alors les grands propriétaires terriens et les grands capitalistes qui prirent le pouvoir au Japon, l’empereur étant leur représentant, amenant le pays, majoritairement agricole et arriéré, à voir émerger toute une frange capitaliste monopoliste immédiatement tourné vers le militarisme.

    Cette ouverture internationale du Japon eut un grand retentissement culturel, avec notamment la diffusion des estampes, notamment de Katsushika Hokusai, et du style japonais dans les meubles ou encore certains petits objets comme les vases, les tasses, les sabres, les éventails, les ombrelles, etc.

    Cela produisit un phénomène appelé le japonisme, particulièrement fort en France, pays qui signa un traité commercial avec le Japon en 1848, alors que ce pays fut présent à l’exposition universelle de Paris de 1867.

    Une figure majeure ici fut le capitaliste allemand Siegfried Bing (1838-1905), qui ouvrit une boutique à Paris, dont l’une des expressions fut la revue Le Japon artistique, documents d’art et d’industrie ; il faut également mentionner un Japonais, Hayashi Tadamasa, qui possédait également une boutique parisienne.

    Il faut souligner le double caractère du japonisme. D’un côté, c’est une simple consommation exotique pour une bourgeoisie aisée cherchant des motifs pour être remarquée, ainsi qu’une fascination cosmopolite pour des « artistes » prétendant trouver de nouvelles voies pour l’art et ainsi surtout faire carrière.

    On a pour ce dernier point un paradoxe historique où le subjectivisme d’une bourgeoisie développée prend l’art d’une bourgeoisie émergente pour insister sur ses faiblesses afin de rejeter le réalisme.

    De l’autre il y a une vraie curiosité à la fois internationaliste et productive, lié à l’existence encore relativement forte d’artisans liés à la création industrielle. C’est une rencontre produite par l’accroissement des forces productives.

    On lit ainsi dans le premier numéro de la revue Le Japon artistique, documents d’art et d’industrie, dans l’article introductif :

    « Elle [cette publication] s’adresse tout particulièrement aux nombreuses personnes qui, à un titre quelconque, s’intéressent à l’avenir de nos arts industriels, à vous notamment, ouvriers modestes ou grands manufacturiers, qui avez un rôle actif dans cette partie de notre force productive.

    Dans les nouvelles formules d’art qui nous sont venues de la côte la plus extrême de l’Extrême-Orient, nous avons en effet à chercher quelque chose de plus qu’un régal platonique pour nos dilettantes d’humeur contemplative.

    Nous y trouverons des exemples dignes à tous égards d’être suivis, non certes pour ébranler les bases de notre vieil édifice esthétique, mais pour venir ajouter une force de plus à toutes celles que depuis des siècles nous nous sommes appropriées pour en étayer notre génie national. »

    Il s’agit pour la revue de présenter

    « tour à tour des paysages vaporeux et des études de fleurs ou d’oiseaux, des scènes de vie populaire, et jusqu’aux types étranges de la comédie mystique dont les masques expressifs ne le cèdent en rien à leurs congénères de la Grèce antique. »

    Le public visé est défini comme suit :

    « L’Amateur spécial et l’artiste,

    L’industriel et l’artisan,

    L’Homme du monde que séduit toute production élégante de l’art »

    C’est là d’un côté une approche nullement cosmopolite, mais bien au contraire allant dans le sens de la synthèse et on doit y voir ici une tendance strictement parallèle à l’art nouveau viennois, avec son souci d’esthétiser la vie quotidienne, en cherchant à s’appuyer sur une partie de la bourgeoisie encore industrieuse et cultivée.

    C’est de l’autre côté une lecture cosmopolite visant à ouvrir des perspectives en apparence, mais en réalité à pratiquer la liquidation du réalisme au nom de la « modernité ». On a ici affaire à l’impressionnisme. On a ainsi Claude Monet, Edgar Degas, Camille Pissarro, Henri de Toulouse-Lautrec… qui collectionnaient les estampes japonaises, Vincent Van Gogh prétendait s’inspirer de l’art japonais, etc.

    Vincent Van Gogh : La Courtisane (d’après Keisai Eisen), 1887,
    Pruniers en fleurs (d’après Hiroshige), 1887
    Père Tanguy, 1887

    Ainsi, au-delà de l’inspiration, le japonisme apparaît comme l’idéologie d’une sorte d’utopie artistico-bourgeoise, porté par des artistes et intellectuels se reconnaissant de fait sans le savoir dans l’art japonais une bourgeoisie émergente et s’élançant, dont on pourrait en quelque sorte happer les forces historiques.

    Le compromis historique fantasmé entre esthétisme et capitalisme qu’on trouve ici à l’arrière-plan se résume parfaitement dans la formule comme quoi les Japonais seraient « les premiers décorateurs du monde » : l’art appliqué, en tant que décoration, est dans ce cadre un savant équilibre entre une activité artistique réelle et une consommation bourgeoise.

    De manière idéaliste, la bourgeoisie japonaise émergente proposant une activité réaliste de conquête du monde artistique japonais est « oubliée » et l’art japonais idéalisé est interprété comme une conception universelle d’embellissement de la vie quotidienne.

    Le caractère idéaliste de cette lecture se révéla rapidement avec l’oubli complet de cette question esthétique pour un japonisme se réduisant entièrement à une consommation chic de la bourgeoisie parisienne et à un prétexte pour un renforcement de l’affirmation subjectiviste de l’impressionnisme en peinture.

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  • Katsushika Hokusai et les « Cent vues du mont Fuji »

    Katsushika Hokusai est né en 1760 et décédé en 1849 ; durant les années 1830, il considéra qu’il avait encore passé un cap et publia une centaine de dessins au trait, les Cent vues du mont Fuji. Il y explique la chose suivant dans la postface :

    « Depuis l’âge de six ans, j’avais la manie de dessiner les formes des objets. Vers l’âge de cinquante, j’ai publié une infinité de dessins ; mais je suis mécontent de tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans.

    C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons, des plantes, etc.

    Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond des choses ; à cent, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de cent dix, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant.

    Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiens parole. Écrit, à l’âge de soixante-quinze ans, par moi, autrefois Hokusai, aujourd’hui Gakyo Rojin, le vieillard fou de dessin »

    Il est formidable de voir comment Hokusai avait compris qu’il était sur un chemin d’approfondissement du réalisme. Voici les œuvres les plus significatives des Cent vues du mont Fuji, qui n’ont pas la profondeur des Trente-six vues du mont Fuji en raison de l’absence de couleur et de la non utilisation du principe de l’estampe, mais qui soulignent son avancée vers toujours plus d’ampleur dans le réalisme. Hokusai est le titan du Japon et une composante significative des arts et des lettres de l’humanité.

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  • Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : cerner l’essentiel

    L‘arrière du Fuji depuis la Minobu est la 42e estampe des Trente-six vues du mont Fuji, alors que dix estampes ont été ajoutées à la série initiale. Si le réalisme est freiné par le dessin ayant du mal à retracer la complexité de la Nature, l’idée de mouvement, de passage, est très marqué.

    Il y avait en fait l’idée, la vue partant de la droite, de provoquer un effet d’aspiration par un mouvement vers la droite des voyageurs et le grand poids graphique à gauche.

    Ono Shinden dans la province de Suruga se concentre sur le rendu des figure individuelles, en cherchant à maintenir la puissance de la couleur pour sa tonalité atmosphérique. Cela a ses limites, les deux plans ayant du mal à se conjuguer.

    On voit néanmoins que Hokusai a cherché à relier le typique, le mouvement, la couleur. On a ici un travail réaliste.

    Cela réussit parfaitement pour La plantation de thé de Katakura dans la province de Suruga. En reprenant du champ, comme pour L’aurore à Isawa dans la province de Kai , Hokusai parvient à cerner l’essentiel dans un portrait de groupe dont l’esprit à la fois concret et poétique est flagrant.

    On a ici la substance même de Hokusai, la mise en perspective.

    Le Fuji depuis Kanaya dans la région de Tōkaidō procède du même esprit. Le nombre d’éléments aboutit cependant à une certaine surcharge ; chaque élément étant efficace mais leur combinaison ayant du mal à se réaliser.

    C’est qu’en fait le mouvement principal est par trop écrasant. C’est que pour Hokusai il s’agissait de souligner la difficulté pour les passeurs de franchir le fleuve Ōi , au courant très puissant. Un propos connu alors dit que Même les chevaux peuvent traverser les huit ris (31 km) d’Hakone, mais le fleuve Ōi est dur à passer de toutes les manières (Hakone hachiri wa uma demo kosu ga, kosu ni kosarenu Ōigawa).

    Les passeurs devaient même parfois attendre plusieurs jours avant de pouvoir faire franchir le fleuve, qui se situe entre Edo et Kyoto, aux voyageurs et à leurs marchandises. Le pouvoir central empêchait très largement la construction de ponts, ainsi que l’utilisation de bac, afin d’empêcher tout vaste mouvement pouvant le menacer. L’oeuvre est ainsi trop marquée par l’élément central, mais cela un sens puissamment réaliste dans les faits.

    L’ascension du Fuji est la 46e et dernière estampe. Les pèlerins progressent vers une grotte où d’autres se trouvent déjà.

    L’oeuvre manque de réalisme au sens strict ; elle témoigne cependant de la reconnaissance de la dignité du réel, d’une orientation vers ce qui est matériel, en mouvement, collectif. Hokusai entend cerner l’essentiel et le mettre en perspective. C’est le sens du réalisme.

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  • Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : le réalisme, l’esprit synthétique

    Nakahara dans la province de Sagami est la 38e estampe des Trente-six vues du mont Fuji, soit la seconde des dix estampes ajoutées. Comme pour la précédente, Hokusai se précipite dans le réalisme, avec un haut niveau de synthèse.

    Les mouvements directionnels sont combinées aux figures présentes, qui consistent en des samouraïs munis de mousquets. On peut voir à l’arrière-plan deux femmes se reposant au niveau des champs. Le mont Fuji est sous la neige ; ce qu’on voit toute à droite est une maison de thé.

    Shinagawa sur le Tōkaidō conserve cette orientation. On y voit des cerisiers en fleurs sur une colline se situatnt au nord de Shinagawa, un quartier d’Edo. Cette colline est appelée « Montagne du Palais » (Goten-yama) car le Shogun y avait sa demeure ; l’endroit était réputé pour sa vue de l’océan et ainsi un lieu de pique-nique.

    L’oeuvre semble un peu se perdre en raison du nombre de figures, mais si l’on connaît le thème, qui est celui du pique-nique populaire, alors cela reste une bonne représentation, d’autant plus qu’il y a clairement comme thème d’un côté la masse de gens dans la nature, formant un « poids », et de l’autre les cerisiers faisant opposition directionnelle au regard (qui part de la droite au Japon).

    Soshu Nakahara se situe encore dans cet approfondissement du réalisme. On voit bien ici que l’attention s’accentue sur les figures personnelles, qui sont ici typiques et très bien soutenues par l’excellent jeu des couleurs.

    Ce qui nuit à l’oeuvre, c’est que le mont Fuji semble disproportionné par rapport au reste ; il est présenté comme trop près.

    L’aurore à Isawa dans la province de Kai ne présente pas ce problème de proportions et es un chef d’oeuvre, même si cela se fait aux dépens d’une représentation détaillées des figures présentes. On a ici les masses se mettant en branle, le début d’une journée dans sa sincérité la plus directe, dans sa dignité immédiate. Et en même temps, il y a une formidable poésie qui se dégage de la scène.

    La synthèse réussie de cette oeuvre tient notamment à l’opposition dialectique de la partie haute de couleur continue et non réellement marquante, unidirectionnelle, avec la richesse de la partie basse, aux couleurs très denses, saturant littéralement la scène représentée, le fort mouvement directionnel étant comme bloqué en deux temps par des « poids » graphiques. C’est un admirable travail, dont le point culminant est le bleu, typique de la partie haute et pourtant présent dans la partie basse, écrasant cette dernière vers le bas et ouvrant vers le haut. C’est le nexus de cette oeuvre dialectique.

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  • Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : la fin de la série et le redémarrage

    La 34e estampe des Trente-six vues du mont Fuji, intitulé Le lac d’Hakone dans la province de Sagami, est indéniablement l’oeuvre la plus minimaliste de la série. Il s’agit en quelque sorte d’un exercice de style. Il y a une dimension naïve assumée.

    Même les mouvement directionnels sont très basiques, avec par ailleurs aucune contre-tendance. Sans doute que c’est le calme du lac qui est ici souligné, mais la perspective n’est ici pas suffisante.

    On a par contre une réelle profondeur pour le Reflet du mont Fuji dans le lac Kawaguchi, vu depuis le col Misaka dans la province de Kai, grâce au très bel agencement des couleurs, avec des tonalité de bleu et de vert se combinant de manière particulièrement remarquable.

    Le mouvement est très élémentaire, ce qui est notable ; le reflet sur l’eau est le point faible toutefois. Cela reste une aproche naïve, assumée par ailleurs.

    Hodogaya sur le Tōkaidō clôt normalement les Trente-six vues du mont Fuji, avant que l’éditeur ne rajoute par la suite une série de dix estampes. C’est en quelque sorte un résumé des estampes précédentes, dont divers éléments sont ici rassemblés, afin de marquer les esprits. Si les couleurs rendent bien, la démarche reste toutefois assez élémentaire, malgré la dimension typique montrée, le statut des serviteurs n’étant guère à envier.

    Le mouvement est par ailleurs basique. Sans nul doute, c’est un choix de terminer la série par un ralentissement.

    La scierie à Honjo, qui ouvre la série ajoutée, repart par contre dans un sens éminemment réaliste. On a ici le travail, présenté de manière typique, on a les masses laborieuses, qui construisent le pays, et d’ailleurs des constructions nombreuses sont visibles. C’est d’un haut niveau de réalisme.

    De manière frappante, on n’a plus de mouvement, c’est la matière transformée qui prime, formant deux poids centraux dans l’image. C’est vraiment très fort et on voit que Hokusai est une figure majeure du réalisme, du peuple.

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  • Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : le perspectivisme

    La 31 estampe des Trente-six vues du mont Fuji, intitulée Le pont de Nihonbashi à Edo, ne nous montre pas tant l’intense activité sur le pont, qui relie les cinq routes majeures partant d’Edo alors, que les entrepôts et les barques de transport. Il y a ici une puissante mise en perspective.

    Le fait de tronquer la représentation de ceux qui passent sur le pont – en fait le pont du Japon – a une immense portée symbolique, puisque c’est pratiquement le manifeste du capitalisme développé prenant le dessus sur le caractère relativement peu élaboré des commerçants et artisans. L’ordre capitaliste sort de la cohue initiale.

    Le village de Sekiya sur la Sumida a une approche plus simple, on peut dire plus traditionnelle du point de vue européen, on se rapproche d’ailleurs littéralement du principe de la bande dessinée, avec le mouvement symbolisé. On notera que, encore et toujours, il n’y a rien au centre, en reconnaissance de la nécessité du développement inégal, de l’absence de symétrie « pure » relevant du formalisme.

    La présence marquée des couleurs accorde une grande valeur à cette oeuvre, dont la dimension naturelle est très ample. Le drapé des habits des deux cavaliers au premier plan tranche avec la simplicité générale, et est très inspirant, très gracieux.

    La baie de Noboto nous présente des torii, ces portails indiquant un sanctuaire du shintoïsme, la religion impériale. Le mont Fuji est vu à travers l’un d’eux, alors que les villageois – on voit le village au loin – pêche des crustacés.

    On a ici un portrait typique d’une situation typique, avec naturellement un côté pittoresque de par les torii, côté à relativiser car on est ici dans l’émergence seulement de la nation japonaise : l’oeuvre relève de l’affirmation bourgeoise du cadre national. Sur le plan de la dynamique, on a un mouvement directionnel appuyé de manière mutiple, puis relativisé mais en même temps renforcé. L’oeuvre est quasiment du perspectivisme.

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