Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Pensée-guide pour la France : le mouvement ouvrier a considéré de manière erronée que le capitalisme était un féodalisme renouvelé, avec la rente et la corvée

    Pour faire la révolution dans un pays, il faut comprendre son cheminement historique : d’où il vient, où il va, où il en est. C’est une tâche difficile qui demande de combiner la théorie et la pratique.

    Il ne s’agit pas seulement d’enquêter ou de participer à la lutte des classes, ou encore d’expérimenter des formes de lutte. Il est nécessaire d’atteindre une dimension historique, ce qui est beaucoup plus exigeant.

    C’est sur cet écueil que viennent se briser beaucoup de gens sincères. Ces derniers constatent la comédie contestataire et ils partent à la recherche d’une approche véritablement révolutionnaire.

    Cependant, comme ils apparaissent « étranges », comme ils sont en décalage sur le plan des idées par rapport à l’opinion publique, ils sombrent vite dans une certaine marginalité intellectuelle ou militante, et ils finissent par capituler.

    Périodiquement, on a ainsi de nouveaux groupes révolutionnaires qui apparaissent, portés par des gens jeunes ou très jeunes, qui pensent avoir découvert la « méthode » ultime pour faire avancer les choses. Cela s’agite un temps, puis ça s’arrête.

    C’est, au fond, qu’ils recherchaient une « clef » pratique, quelque chose qui fasse bouger les lignes. Or, ce n’est pas ce qu’il faut ; ce qu’il faut atteindre, c’est une dimension historique. C’est alors seulement que ce qu’on fait peut avoir une réelle portée.

    Nous voulons à ce titre exposer un aspect essentiel de la société française, du mouvement ouvrier en particulier. Il ne s’agit pas d’une idée que nous avons eu, c’est le fruit d’une synthèse politico-idéologique reposant sur notre activité révolutionnaire.

    Une activité révolutionnaire qu’on ne saurait confondre avec l’agitation et la propagande, même si elles sont nécessaires : ce qui compte avant tout c’est l’affirmation stratégique de l’idéologie communiste, telle que posée par Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong.

    Une idéologie qui est passée par le marxisme, puis le marxisme-léninisme et le marxisme-léninisme-maoïsme, ce que nous appelons désormais le matérialisme dialectique afin d’en souligner le caractère synthétique.

    Une idéologie qui consiste en la vision du monde du prolétariat et affirme la nécessité de l’océan des masses armées afin d’établir la république socialiste mondiale, comme produit de la révolution mondiale avec les révolutions socialistes dans les pays impérialistes et les révolutions démocratiques dans les pays semi-féodaux semi-coloniaux.

    Si on regarde l’histoire du mouvement ouvrier, dans la seconde moitié du 19e siècle et tout le 20e siècle, on a une idée fixe : celle que la bourgeoisie est injuste.

    Elle est injuste, car elle s’enrichit, alors qu’une partie grandement majoritaire de la société vit dans la pauvreté – cela, c’est pour la seconde moitié du 19e siècle et la première partie du 20e siècle.

    Elle est injuste, car elle parasite largement les fruits de la croissance économique – cela, c’est pour la seconde partie du 20e siècle.

    Le mouvement ouvrier français n’a pas considéré que la bourgeoisie exploitait, il a considéré que la bourgeoisie parasitait. Pour le syndicaliste de la fin du 19e siècle, pour les socialistes et les communistes du 20e siècle, le bourgeois est un rentier.

    C’est ce qui explique paradoxalement qu’il y ait toujours eu une France une Droite populaire : les masses ont bien vu que les patrons charbonnaient, que les entrepreneurs s’activaient. Ne comprenant pas l’accusation de la Gauche, considérée comme injuste, le peuple a accepté la Droite au nom du travail (et de la propriété).

    Naturellement, la dénonciation de l’exploitation a existé durant toute cette période, que ce soit dans la seconde partie du 19e siècle ou tout au long du 20e siècle. Mais cette exploitation n’était pas comprise comme Karl Marx l’a fait dans Le Capital.

    Pour Karl Marx, le capitalisme est un mode de production, et chaque fois qu’un prolétaire travaille, une partie du fruit de son travail « disparaît » comme plus-value pour le capitaliste. Pour le mouvement ouvrier français, l’exploitation vient au bout du processus productif, au moment de la répartition.

    C’est là une conception syndicaliste et il faut bien voir l’importance de la CGT à la fin du 19e siècle et au tout début du 20e siècle. Le style « syndicaliste révolutionnaire » a été massivement présent dans notre pays, il a réussi à s’ancrer et à maintenir une tradition. Même en 2025, on retrouve à la CGT des approches caractéristiques du syndicalisme révolutionnaire.

    Ce qui révèle la justesse de notre analyse, c’est qu’en raison de tout cela, la bourgeoisie n’est pas dénoncée comme classe au sein d’un mode de production.

    Ceux qui sont la vindicte d’une telle approche, ce sont les rentiers, l’oligarchie, le néo-libéralisme, éventuellement (mais de moins en moins) le grand capital.

    Nous ne voulons pas ici rentrer trop loin dans l’analyse idéologique, car il ne s’agit pas d’extrapoler ; en même temps, il faut bien souligner l’aspect suivant, qui explique bien des choses.

    Le matérialisme dialectique critique le capital en général ; bien entendu, il faut différencier le petit du grand, le capital industriel et le capital financier, etc. Cependant, l’ennemi, c’est la classe capitaliste.

    Le fascisme est né comme mouvement populiste prônant une distinction, une séparation entre un capital productif (national et bon) et un capital parasitaire (cosmopolite et mauvais).

    Heureusement, le mouvement ouvrier français n’est pas fasciste ; il faut en même temps noter que la tendance idéaliste visant les « rentiers » se retrouve immanquablement en écho avec le populisme fasciste. C’est que le mouvement ouvrier français se place historiquement en écho de la révolution française, qu’il souhaite rééditer.

    Si on regarde les positions historiques du mouvement ouvrier français, si on discute avec des « anticapitalistes » en 2025, on retrouvera deux ennemis : les riches et l’État.

    Les riches sont considérés comme des néo-féodaux : grâce à leur argent, ils parasitent l’économie. Ils font l’acquisition de leur capital en attendant leurs rentes, tout comme la noblesse dans le féodalisme.

    L’État est considéré comme exigeant et expéditif, il est au service des riches et il impose l’équivalent de la corvée au moyen-âge.

    Il va de soi qu’il est impossible de réellement combattre le capitalisme avec une telle approche. Le capitalisme n’est pas un féodalisme capitaliste, où l’argent a remplacé les titres de noblesse. C’est pourtant ainsi que voient 99,9 % des gens dénonçant le capitalisme en France en 2025.

    Les origines d’une telle position sont faciles à comprendre. Tout d’abord, la révolution française a été un très long processus, qui a marqué les esprits et a connu de nombreux soubresauts, reculs et avancées, de 1789 jusqu’à 1870 et l’instauration pour toute la nouvelle période de la république bourgeoise.

    Ensuite, le mouvement ouvrier français a connu sur le plan des conceptions une hégémonie du socialisme français, qui assumait ouvertement de faire triompher la République « jusqu’au bout ».

    C’était de l’opportunisme, car ainsi le mouvement ouvrier se mettait à la remorque des républicains bourgeois et de la franc-maçonnerie qui avaient besoin d’alliés pour combattre la droite monarchiste.

    C’est ce qui explique la défaite du Front populaire, où au lieu de déborder les « radicaux », les socialistes et les communistes les ont mis sur un piédestal, avant de se faire trahir par eux (et les socialistes trahissant alors les communistes).

    C’est ce qui explique que les armes ont été rendues après la victoire sur l’Allemagne nazie, ou bien que mai 68 n’a pas eu d’expression politique révolutionnaire continue.

    Tant les socialistes que les communistes ont systématiquement voulu rester dans le cadre de la « république », car la république doit aller jusqu’au bout, et ce serait ça le socialisme.

    C’est ce qui explique inversement le programme commun de 1981. L’objectif de nationaliser les banques et d’avoir un Etat dirigé par la Gauche correspondait entièrement au combat contre les rentes et la corvée.

    C’est également ce qui permet de comprendre pourquoi les ouvriers sont passés en masse dans un vote pour l’extrême-droite dans les années 2000-2010-2020 : ils on retrouvé chez Marine Le Pen la dénonciation des rentiers et de la corvée, à travers la dénonciation de la mondialisation et des décisions des élites de l’appareil d’État.

    Il suffit de se tourner vers ce que raconte la gauche contestataire pour retrouver les mêmes obsessions. Les prétentions à disposer d’une économie politique s’effacent devant la tradition française de dénoncer les rentes et la corvée. Dans sa version modernisée, ce vise les riches « hors-sol » et l’État.

    Fin mai 2025, Lutte Ouvrière propose une caricature où le ministre de l’intérieur (et désormais chef de la Droite) Bruno Retailleau veut construire des prisons. Un jeune avec des cités à l’arrière-plan lui dit : « Pour les voleurs capitalistes et leurs politiciens corrompus ? ». Sont ici exactement visées les rentes et la corvée.

    Le Parti Communiste Français explique dans une résolution de la mi-mai 2025 que « le pouvoir national comme les actionnaires s’enferment dans l’impératif de rentabilité avec comme seule variable d’ajustement les salaires ». On retrouve les rentiers et la corvée.

    Pour La France Insoumise, « La concentration des pouvoirs entraîne une dérive autoritaire. Elle favorise le pouvoir des milliardaires. » C’est encore les rentes et la corvée.

    On peut continuer longtemps ainsi, qu’on ait affaire à des partis électoralistes (donc ouvertement pro-républicains) ou à des mouvements d’ultra-gauche (étrangers à l’idéologie républicaine).

    C’est dans la matrice du mouvement ouvrier français, c’est la tradition dominante à l’arrière-plan, qui rattrape tout le monde.

    Le PRCF appelle à une « République sociale et souveraine au service du peuple et du monde du travail », le NPA constate qu’« il y en a ras-le-bol des politiques gouvernementales et patronales visant à prendre l’argent dans les poches de ceux qui travaillent pour les distribuer aux actionnaires ».

    Les « jeunes révolutionnaires » expliquent que « tout le monde a en tête décembre 2018, où ‘‘le peuple’’ attendait le triangle magique : Gilets jaunes, CGT, quartiers populaires… Nous pouvons imaginer réciproquement que tous les parasites de France (bourgeois monopolistes, banquiers, boursicoteurs, politicards achetés, Généraux, juges et flics pourris, mafieux) devaient trembler dans leurs redingotes face à cette possibilité. »

    Il ne faut pas s’étonner ici de la référence aux « gilets jaunes » de 2018, un mouvement populiste typique de la dénonciation des « rentes et de la corvée », tout comme avant eux Nuit debout en 2016, les bonnets rouges en 2013, etc.

    Si on veut parvenir à la révolution en France, il faut s’arracher à cette logique visant à se focaliser sur un capitalisme interprété comme un féodalisme renouvelé.

    Cela ne veut pas seulement dire qu’il faille éviter cette erreur. Il faut lui opposer également la ligne rouge, sans quoi inévitablement on retomberait dans un tel travers, tellement c’est ancré en France.

    Cette question de l’interprétation du capitalisme comme féodalisme renouvelé rejoint également bien d’autres questions, comme celle de savoir pourquoi il n’y a pas eu de social-démocratie révolutionnaire en France avant 1914, pourquoi Maurice Thorez et le Parti Communiste Français basculent dans les années 1930 dans le culte de la « République ».

    En fait, cela explique pourquoi, à chaque fois, la contestation a été intégrée par le capitalisme, par l’intermédiaire de la « République ».

    C’est la raison également pour laquelle les forces de répression visent en France systématiquement la désescalade. Si on met de côté la démagogie qui imagine la France comme Etat policier, on peut constater une ligne droite de mai 1968 à aujourd’hui, où les préfectures tolèrent les manifestations et la casse, afin d’éviter toute polarisation, en visant une réintégration « républicaine » progressive.

    Cela rejoint également la question du rôle des syndicats comme soutiens permanents au régime, au nom de la République ; tout révolutionnaire sérieux sait que depuis les années 1960, la CGT a joué un rôle contre-révolutionnaire majeur.

    Mais ce n’est pas le lieu pour systématiser cette hypothèse fondamentale, qui sonne juste et éclaire par-là même tellement de choses.

    Pour parvenir en France à la révolution, il faut comprendre le capitalisme pour ce qu’il est, et il n’est pas un féodalisme renouvelé.

    Il faut donc mettre en avant deux choses : d’une part, la dialectique qui permet de comprendre comment l’exploitation a lieu réellement, non pas après la production et dans la répartition, mais dans la production elle-même. Le Capital de Karl Marx est ici incontournable.

    D’autre part, le principe de mode de production, qui seul permet d’appréhender la réalité et sa transformation historique, depuis le matriarcat et l’esclavagisme jusqu’au féodalisme, au capitalisme, puis le socialisme et enfin le communisme.

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  • Le Pakistan sans le Bangladesh : la logique de la forteresse assiégée

    La perte du Pakistan oriental, qui devint le Bangladesh, fut une catastrophe stratégique pour le Pakistan dans son opposition à l’Inde. L’armée américaine dut même venir à sa rescousse, en envoyant des navires de guerre pour empêcher une intervention maritime militaire indienne.

    Quant aux forces aériennes, elles avaient prouvé leur efficacité, en décembre 1971, avec l’opération Gengis Khan. Furent alors visées de nombreuses bases aériennes indiennes : Amritsar, Ambala, Agra, Awantipur, Bikaner, Halwara, Jodhpur, Jaisalmer, Pathankot, Bhuj, Srinagar and Uttarlai, ainsi que les radars d’Amritsar et Faridkot.

    Ce fut un échec toutefois, dans le prolongement de celui de l’opération Gibraltar de 1965, où l’armée pakistanaise pénétra au Cachemire pour tenter de lancer une insurrection anti-indienne.

    Le nom de Gibraltar fait référence à la conquête de la péninsule ibérique par les forces arabes précisément depuis Gibraltar, au 8e siècle.

    L’invasion de l’Afghanistan par le social-impérialisme soviétique changea cependant totalement la donne. Le Pakistan devint l’interface américaine pour former et armer les rebelles.

    Les Talibans viennent de là : le terme veut dire « étudiants » et on parle des étudiants afghans ayant étudié dans les écoles coraniques pakistanaises après l’invasion soviétique.

    Qui plus est, les Talibans sont des Pachtounes, et les 3/4 des Pachtounes vivent au Pakistan. Il fut facile pour les services secrets pakistanais, la Inter-Services Intelligence (ISI), d’agir en Afghanistan ; l’ISI acquiert alors un rôle éminent dans l’État pakistanais.

    Les avancées des Talibans sont absolument indissociables de l’État pakistanais ; des dizaines de milliers de Pakistanais ont combattu dans les rangs des Talibans par ailleurs, au-delà de l’appui technique.

    Cela conforta l’ISI dans sa démarche « profonde » et c’est lui qui joua un rôle clef dans l’appui militaire et technique au Sri Lanka afin d’écraser en 2009 les Tigres Tamouls, qui étaient appuyés par l’Inde dans leur tentative de former un État séparé.

    Surtout, il y a de la part de l’ISI l’appui aux forces islamistes au Cachemire, qui luttent contre l’Inde mais également contre les indépendantistes cachemiris.

    Ces forces islamistes sont multiples et d’autant plus prétextes à des actions armées pour lesquelles le Pakistan nie toute responsabilité : Jaish-e-Mohammed (l’armée de Mahomet), Lashkar-e-Taiba (l’armée des pieux), Hizbul Mujahideen (le parti des moudjahidines), etc.

    Le drapeau des fanatiques religieux de la Lashkar-e-Taiba

    C’est Lashkar-e-Taiba qui a revendiqué le meurtre de 25 touristes hindous et d’un guide touristique musulman au Cachemire le 22 avril 2025, déclenchant un nouvel affrontement indo-pakistanais.

    De manière notable, il y avait juste avant, le 16 avril 2025, un discours du dirigeant de l’armée pakistanaise, Asim Munir, à des Pakistanais expatriés. Le Cachemire y fut présenté comme « la veine jugulaire » du Pakistan.

    Il affirma de manière catégorique la théorie des deux nations :

    « Vous devez raconter l’histoire du Pakistan à vos enfants afin qu’ils n’oublient pas que nos ancêtres pensaient que nous étions différents des hindous dans tous les aspects de la vie.

    Nos religions sont différentes, nos coutumes sont différentes, nos traditions sont différentes, nos pensées sont différentes, nos ambitions sont différentes.

    C’est le fondement de la théorie des deux nations qui a été posée. Nous sommes deux nations, nous ne sommes pas une seule nation (…).

    Peu importe où vous vivez, rappelez-vous que vos racines se trouvent dans une haute civilisation, une idéologie noble et une identité fière. »

    Pour comprendre l’importance de l’armée comme fer de lance de l’idéologie nationale pakistanaise, il suffit de constater que jamais aucun premier ministre n’a été en mesure de terminer son mandat. Les coups d’État pour propulser un nouveau régime sont réguliers, ceux qui ont réussi s’étant déroulés en 1958, en 1977 et en 1999.

    Ce sont des généraux qui ont façonné les traits généraux du pays : Ayoub Khan dans les années 1960, Yahya Khan et Zia ul Haq dans les années 1980, Pervez Musharraf dans les années 2000.

    Tout cela tient à la combinaison d’une base féodale sur laquelle vient se construire une dimension coloniale, puisque le Pakistan est historiquement un acteur au service de la superpuissance impérialiste américaine.

    Mais à cela s’ajoute, comme pour Israël, une spécificité historique dans la constitution du pays lui-même, ce qui produit une logique de la forteresse assiégée devenant elle-même assiégeante.

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • La question du Bengale avec le Pakistan puis « l’indépendance »

    De 1574 à 1717, le Bengale a été gouverné par 32 subahdars – un subah étant une province moghole et le subahdar un mot désignant le gouverneur, bien sûr choisi par le (grand) moghol ou les plus hauts officiers.

    Le pays est considéré comme un territoire riche devant revenir à l’État central, avec de nombreux cadres envoyés en ce sens et même un nouveau calendrier, fondé sur les calendriers musulmans hégirien (donc lunaire) et hindou (donc solaire) par l’empereur Akbar afin de pouvoir mieux récolter les impôts des paysans au bon moment.

    La victoire moghole sur le dernier sultan du Bengale, Daud Khan Karrani (qui disposait de 40 000 cavalry, 3 600 éléphants, 140 000 fantassins et de 200 canons) en 1576, vers 1596-1600

    On a alors une domination qui étouffe le Bengale, avec une nouvelle aristocratie intégrée à l’empire moghol et qui parle ourdou comme au nord de l’Inde.

    Cela produit un pouvoir avec plus d’indépendance, Murshid Quli Khan devenant le premier Nawab (de 1717 à 1727), dans le cadre d’une réorganisation où l’empire perd en fait sa capacité à centraliser.

    Preuve de ce changement, Murshid Quli Khan fit en sorte d’abolir le système du jagirdar, terre donnée pour la vie à quelqu’un qui était considéré comme méritoire pour son service militaire (lors de sa mort, la terre revenait, théoriquement, dans les mains du monarque).

    C’en était fini de la logique militaire de conquête. Désormais, la terre était louée à un ijaradar – un fermier général, avec le système mal zamini.

    Akbar est informé de la victoire au Bengale en 1576, vers 1603-1605

    Murshid Quli Khan organisa son système ijaradar de la façon suivante. Il a divisé la province en 13 divisions administratives appelées chaklahs, les plus gros fermiers généraux étant des chaklahdars. Des 20 fermiers généraux choisis par Murshid Quli Khan, 19 étaient des hindous.

    Cette modification de l’agriculture, couplé au début de la pénétration coloniale britannique au Bengale, provoqua une instabilité majeure, dont l’une des expressions est la grande famine de 1770, qui tua le tiers de la population, soit 10 millions de personnes.

    L’empire britannique sera par la suite directement responsable d’autres famines, comme en 1783, 1866, 1873-1874, 1892, 1897, et surtout en 1943, provoquant la mort d’entre deux et quatre millions de personnes.

    Il est considéré qu’avec les famines et les maladies, cinquante millions de personnes sont mortes au Bengale entre 1895 et 1920.

    Le colonialisme britannique préférait bloquer les approvisionnements, qui étaient au service de ses bénéfices, même si cela signifiait la mort par la faim de millions de personnes.

    L’empire britannique a d’ailleurs directement repris le principe des fermiers généraux, instaurant un système héréditaire à la fin du 18e siècle.

    Karl Marx, dans La domination britannique en Inde (1853), a décrit cela comme un « despotisme européen, planté sur le despotisme asiatique » :

    « Il ne peut pas, cependant, rester aucun doute, comme quoi la souffrance infligée par les Britanniques sur l’Hindoustan est d’ordre essentiellement différente et infiniment plus intense que ce que tout l’Hindoustan a eu à souffrir auparavant.

    Je ne parle pas du despotisme européen, planté sur le despotisme asiatique, par la British East India Company, formant une combinaison plus monstrueuse que tout monstres divin nous surprenant dans le Temple de Salsette [île de Salsette, au nord de Bombay et célèbre pour ses grottes aux 109 temples bouddhistes].

    Ce n’est pas une caractéristique distinctive de la domination coloniale britannique, mais seulement une imitation des Hollandais (…).

    Aussi étrangement complexe, rapides et destructrices que puissent apparaître l’action successive en Hindoustan de toutes les guerres civiles, les invasions, les révolutions, les conquêtes, les famines, tout cela n’est pas allé plus loin que sa surface.

    L’Angleterre a décomposé l’ensemble du cadre de la société indienne, sans aucun symptôme de la reconstitution qui apparaîtrait.

    Cette perte de son ancien monde, avec aucun gain d’un nouveau, donne un genre particulier de mélancolie à la misère actuelle de l’Hindou, et sépare l’Hindoustan, gouverné par la Grande-Bretagne, de toutes ses anciennes traditions, et de l’ensemble de son histoire passée. »

    L’empire britannique sut s’accorder avec des couches prêtes à se lier à lui. Des commerçants travaillent avec la Compagnie des Indes dans les périodes 1736-1740, l’ensemble des 52 bengali à Calcutta étaient hindous, 10 des 12 de ceux à Dacca, et l’ensemble des 25 à Kashimbazar.

    L’empire britannique put ensuite défaire le nawab à la bataille de Plassey en 1757.

    Cette situation provoqua le développement du fondamentalisme musulman, avec le mouvement Faraizi (terme qui désigne l’obligation due à Dieu), fondée par Haji Shariatullah (1781-1840).

    Ce dernier se rendit pour toute une période en Arabie Saoudite et à son retour au Bengale appela à la modification des pratiques en cours, considérées comme ayant connu des déviations et des modifications.

    Mais ce fondamentalisme, comme on est au Bengale, fut interprété par les masses paysannes comme un appel à la révolte contre les propriétaires terriens hindous. La figure clef est ici Muḥsin ad-Dīn Aḥmad (1819–1862), connu sous le nom de Dudu Miyān, qui mena une lutte pour former un nouveau pouvoir régional.

    En miroir, on a un processus équivalent chez les hindouistes, dans les villes cette fois, et justement de manière inversée. C’est la Brahmo Samaj (société de Dieu), fondée par le brahmanes et bourgeois Dwarkanath Tagore (1794 – 1846) et le brahmane et intellectuel Raja Ram Mohan Roy (1772-1833).

    Le roman Gora de Rabindranath Tagore, publié en 1910, est incontournable pour saisir l’esprit de l’époque en Inde et notamment au Bengale avec la Brahmo Samaj

    On est ici dans le contraire du fondamentalisme, car il s’agit de pratiquer la méditation, de mettre de côté les rites contraignants, de faire des réformes sociales, d’accepter la modernité et de reconnaître la place de la femme.

    Il s’agit d’un courant porté par ce qui est appelé jusqu’à aujourd’hui les « bhadralok » (ou Bhodro Lok), c’est à dire les « gens meilleurs », qui rejetaient la culture occidentale tout en cherchant à en élaborer une variante conforme à leurs propres attentes.

    Cette situation très contrastée porte déjà les germes d’une opposition entre le Bengale à majorité hindoue et celui à majorité musulmane, et en 1905 l’empire britannique procéda à sa division administrative.

    De manière intéressante, l’opposition fut virulente et le Bengale fut réunifié dès 1919.

    Néanmoins, les élections étaient séparées pour les hindous et pour les musulmans et finalement les féodaux musulmans réussirent à faire en sorte que le Bengale oriental devienne le Pakistan oriental.

    Cela fait que, malgré l’indépendance du Bangladesh, au prix du sang, il existe une immense base féodale musulmane et celle-ci revient par vagues à la surface politiquement, produisant une relecture des événements, dans le sens d’un soutien à l’Islam totalement incohérent si on prend la guerre d’indépendance.

    La mosquée du Fort de Lalbagh, Dacca, 17e siècle

    C’est là que les grandes puissances jouent un rôle.

    Lors de l’indépendance du Bangladesh, le dirigeant de la Ligue Awami, Sheikh Mujib, est devenu le premier ministre, puis le président, avec comme ligne directrice « le nationalisme, la laïcité, la démocratie et le socialisme ».

    Mais il représentait une bourgeoisie bureaucratique inféodée à l’Inde, qui avait formé l’armée de libération, ainsi qu’au social-impérialisme soviétique.

    Sheikh Mujib devint donc président à vie, et il fit en sorte qu’un seul parti politique existe réellement, sous forme d’une coalition appelée Ligue Krishak Sramik Awami du Bangladesh (Baksal), avec la Ligue Awami et d’autres partis comme le Parti Communiste du Bangladesh soutenant l’URSS social-impérialiste.

    Les masses commencèrent à se révolter, notamment après la famine de 1974, qui provoqua 1,5 millions de personnes. Il se produisit alors un coup d’État militaire pro-américain en août 1975 ; Sheikh Mujib fut alors exécuté.

    L’officier Ziaur Rahman devint le dirigeant du pays, avec un nouveau parti politique exprimant les intérêts de la superpuissance impérialiste américaine et de la bourgeoisie bureaucratique qui lui était soumis : le Bangladesh Nationalist Party (BNP).

    Ziaur Rahman

    Ziaur Rahman a fait une politique qui était à l’opposé de la précédente, l’État a fait des privatisations, l’islam s’est vu donné un rôle national ; Ghulam Azam, chef exilé des islamistes Jamaat-e-Islami, a été autorisé à revenir en Juillet 1978 avec un passeport pakistanais et a pu rester, même après l’expiration du visa, etc

    Ziaur Rahman a subi quelques différents coups d’État, qui ont tous échoué, même si finalement l’un deux amena sa mort en 1981.

    Son successeur, le lieutenant-général Hussain Muhammad Ershad, a suivi sa politique, mais avec son propre parti politique, le Parti Jatiya.

    Gouvernant d’une manière autocratique, Ershad a ouvert la voie à un Bangladesh « démocratique » – une « démocratie » sous le contrôle des deux fractions de la bourgeoisie bureaucratique.

    Khaleda Zia, veuve de Zia, est alors devenue la dirigeante du BNP, qui a été (et est) une force pro-américaine, et a formé l’alliance des sept partis.

    Ziaur Rahman et Khaleda Zia

    De l’autre côté, la Ligue Awami a été dirigée par Sheikh Hasina, la fille de Sheikh Mujib ; la Ligue était (et est) une force pro-indo-soviétique, formant historiquement l’alliance des quinze partis.

    Sheikh Hasina et le président russe Vladimir Poutine

    La Ligue Awami boycotta les élections de 1987, rejoint par le BNP pour les élections de 1988, et Ershad démissionna en 1990.

    En 1991, les deux parties étaient à peu près équivalentes, puis, le BNP a gagné en 1996, la Ligue Awami dans une autre élection en 1996, le BNP gagna à nouveau en 2001, la Ligue Awami de nouveau en 2008.

    De 1991 à 1996, Khaleda Zia a été Première ministre, Sheikh Hasina a ensuite dominé de 1996 à 2001. Khaleda Zia revint de 2001 à 2006, et après un gouvernement de transition dans une situation instable, avec même un état d’urgence, Sheikh Hasina est revenue au 2009, jusqu’en 2024 où un soulèvement l’oblige à s’enfuir en Inde.

    Khaleda Zia, mise en prison depuis six ans, est alors libérée, alors que l’armée organise un gouvernement de transition.

    Mais dans le contexte de cette bataille entre deux factions bourgeoises bureaucratiques pour le pouvoir central, les féodaux restent à l’arrière-plan, l’Islam reste prépondérant, les islamistes maintiennent un hyper-activisme et leur fanatisme se réactive toujours plus fort comme fondamentalisme, engloutissant les aspirations des masses du Bangladesh, nation séparée du Pakistan, un Pakistan séparé de l’Inde, une Inde où le Bengale occidental est issu de tout un parcours historique avec le Bengale oriental.

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • La question du Bengale avant le Pakistan : avant l’empire moghol

    Le fait que le Bengale se soit historiquement coupé en deux, avec une partie à grande majorité hindoue et de l’autre une partie à grande majorité musulmane, a toujours interpellé ceux qui s’y sont intéressés. Pourquoi un peuple, unifié culturellement et sur le plan linguistique, se scinde-t-il en deux parties religieuses bien distinctes ?

    L’un des facteurs essentiels fut, outre les conversions de masses dans le Bengale oriental amenées par les missionnaires musulmans et l’influence de la conquête islamique, l’importance du commerce, particulièrement sur la zone côtière, avec le port de Chittagong notamment.

    C’est un processus ainsi non violent, dissolvant les rapports féodaux, avec notamment la question des castes et des intouchables. Ces derniers avaient tout intérêt à se convertir à l’Islam, du moins ils n’avaient rien à perdre.

    Ce processus se déroula sans heurts ; pour preuve les musulmans du Bengale ont conservé de larges traits historiques propres au Bengale. La langue, le bangla ou bengali, puise massivement au niveau du vocabulaire dans le sanskrit, en plus des emprunts aborigènes, et tant les hindous que les musulmans l’ont conservé ainsi.

    Il faut dire que les autres zones musulmanes sont lointaines, et d’ailleurs l’Islam historique du futur Bangladesh est profondément marqué par le soufisme, le mysticisme.

    Ce qui joue ici, c’est que le Bengale a également connu une période où l’hégémonie était non pas hindouiste, mais bouddhiste, avec une bonne partie tendant au même bouddhisme mystique qu’au Tibet, ainsi qu’au Cachemire à cette époque-là.

    En fait, si l’Islam a réussi à se développer, c’est que tout le système des castes était déjà profondément ébranlé au Bengale, une zone qui plus est lointaine et excentrée des Indes.

    Ainsi, suivant les Manusmṛti, connus en Europe sous le nom de « Lois de Manu » (entre 200 avant et 200 de notre ère), le Bengale ne faisait pas partie de l’Āryāvarta (« la demeure des Aryens » en sanskrit).

    Ce n’est que sous l’empire Maurya (321-185 avant notre ère) que la partie occidentale du Bengale a été jointe pour la première fois à l’Inde ancienne, la partie orientale formant l’extrémité de l’empire.

    Cet Empire, c’est notamment le grand empereur bouddhiste Ashoka, avec un vrai saut dans la civilisation, une vraie administration.

    (wikipédia)

    Puis, c’est lors de l’empire Gupta (320-550 de notre ère), que les chefs locaux ont été écrasés au Bengale. Et cet empire pourchasse le bouddhisme, au nom de l’hindouisme.

    (wikipédia)

    Le Bengale est devenu le dernier endroit de confrontation entre l’hindouisme et le bouddhisme, et forcément, lorsqu’arrivent les missionnaires promouvant l’hindouisme, ils vont propager un vrai mysticisme pour convaincre les masses. Cela va conditionner toute la culture du Bengale.

    Ce processus contradictoire n’est pas terminé, puisque l’effondrement de l’empire Gupta a amené une situation de chaos au Bengale, une situation appelée « matsyanyayam », c’est-à-dire la loi du plus fort. On était dans une situation de chaos complet, d’anarchie générale.

    Une nouvelle dynastie connut une naissance localement, les Palas, qui mirent alors en avant le bouddhisme – clairement pour avoir un meilleur rapport de force avec l’Inde ancienne, qui était sous domination hindouiste. Même dans le sud est du Bengale, les rois locaux suivaient cette politique pro-bouddhisme.

    La déesse Durga, Bengale, 10e siècle

    Mais les Palas essayèrent d’envahir certaines parties de l’Inde ancienne, particulièrement le Bihar, à l’ouest du Bengale. Le centre de gravité se décala à l’ouest, s’éloignant toujours plus du Bengale oriental.

    Au cours de ce processus, l’hindouisme commença à prendre le dessus au niveau de l’État.

    Le bouddhisme n’était maintenu sous les Palas qu’afin de conserver une identité distincte et que le règne des Palas soit justifié, et également parce qu’il s’agissait d’une expression de la culture bengalie de cette époque.

    La principale figure bouddhiste de l’époque des Palas, Athisha, né en 982 au Bengale, décédé en 1054 au Tibet

    Cependant, les rois Palas étaient entourés d’un appareil d’Etat hindou (de la poésie aux ministres), ils se marièrent à des femmes de familles brahmanes ; dans ce processus, le Bengale occidental était attiré par l’Inde hindoue, cette fois de manière décisive, mais c’était beaucoup moins vrai pour le Bengale oriental.

    Ce n’était qu’une question de temps avant que les forces féodales reliées à l’Inde hindoue renversent la dynastie des Palas.

    Cela se fit sous Vijaysena, un brahmane-guerrier du sud de l’Inde, qui établit une dynastie hindoue, intégrant le Bouddha comme un avatar (maléfique) de Vishnou.

    La dynastie des Senas mit en avant l’hindouisme d’une manière massive, amenant des brahmanes du reste de l’Inde pour former une nouvelle classe dominante, avec des dons de terres également. Les Senas installèrent une petite minorité comme pure « élite » religieuse, d’une manière fortement hiérarchique.

    (wikipédia)

    La dynastie des Senas marqua la ruine du commerce des marchands, qui soutenaient le bouddhisme – ici l’aspect « égalitaire » du bouddhisme montre son aspect pré-bourgeois, très proche du protestantisme, avec également de soulignées la civilisation globale et l’administration unifiée.

    C’est alors que se produisit l’invasion musulmane. On devine que l’Islam a remplacé le bouddhisme comme outil d’opposition au féodalisme pour les marchands et artisans, mais également dans des secteurs de masse désireux d’échapper au système des castes.

    Cela ne veut pas dire pour autant que, en raison des zones aborigènes et des restes du bouddhisme mystique, les conceptions chamaniques disparurent.

    On en a la preuve quand on sait que l’Islam du Bengale oriental est très marqué par le soufisme, le mysticisme, le panthéisme. Les bardes itinérants, appelés Bâuls (les fous), sont incontournables de la culture bengalie, avec leur syncrétisme hindou-musulman à visée humaniste.

    L’irruption des conquérants musulmans a ainsi été en fait le détonateur de tout un moment historique de la lutte de classe. D’où un islam sunnite dans sa forme mais qui en même temps célèbre les saints, où il y a des pèlerinages sur les tombes, une approche mystique, etc.

    On peut le vérifier en regardant du côté de l’hindouisme au Bengale. La manière principale de considérer l’hindouisme est le kali-kula – le culte de la grande déesse (Mahadevi), également connu sous le nom de shaktisme, soit la « doctrine de l’énergie, du pouvoir, de la déesse éternelle ».

    Représentation de Mahadevi, Rajasthan, 18e siècle

    Le film de Satyajit Ray « Devi » dépeint cette réalité ; au Bengale, la déesse Kali est révérée, et le shaktisme est davantage présent au Bengale que le shivaïsme (le culte de Shiva) et le vaishnavisme (le culte de Vishnou), qui représentent quant à eux des aspects plus typiques de la culture et de l’idéologie patriarcales indo-aryennes.

    Pour cette raison, au Bengale occidental et oriental, l’hindouisme célèbre des déesses comme Durga, Kali, Lakshmi, Sarasvati, Manasa, ou Shashthi, Shitala, Olai Chandi.

    Kali, ici sous la forme Mahakali

    Pour en ajouter à la complexité, comme le shaktisme était la conception dominante, la résistance populaire a appuyé le vaishnavisme.

    C’est là où on retrouve l’illuminé Chaitanya qui au 16e siècle mit en avant un vaishnavisme adorant Krishna et rejetant le système des castes. Le mouvement dit des Hare Krishna au 20e siècle est un prolongement monothéiste américain du vaishnavisme.

    On voit la complexité de la situation historique du Bengale, mais ce n’est pas tout.

    Sous Shamsuddin Ilyas Shah, qui régna de 1342 à 1358, le Bengale a été unifié. Le Sultanat nouvellement formé a même été capable de résister, à la fois sous des généraux hindous et musulmans, à l’attaque du Sultanat de Delhi, dirigé par Firuz Shah Tughlaq.

    Le Bengale était alors connu sous le nom de Bangalah, et l’État était le sultanat musulman du Bengale. Le sultan était appelé Sultan-i-Bangalah, Shah-i-Bangalah, ou de Shah-i-Bangaliyan.

    La mosquée Adina construite au 14e siècle au Bengale (wikipédia)

    Le mot est venu en Europe par Marco Polo, donnant naissance au mot « Bengale » (Marco Polo n’a jamais été au Bengale et a même fait une confusion, pensant en fait à une partie de la Birmanie).

    Le nouvel État islamique a modernisé le pays et son système administratif. La culture idéologique, basé sur la culture populaire du Bengale, mettait en avant l’islam, mais de manière locale.

    De nombreux éléments ont ainsi été pris aux arts bouddhiste et hindou (lotus ouvert de profil, éléments floraux, le lotus et le diamant, le lotus à pétales en frise, le trèfle, la rosette, le fleuron, le feston, la corde torsadée, damier, le diamants croisé etc.).

    Husain Shah avait même des hindous comme Premier ministre (vizir), médecin, chef des gardes du corps, secrétaire privé, surintendant, etc.

    Le sultanat sous Husain Shah (wikipédia)

    Ala-ud-din Husain Shah, qui régna de 1494 à 1519, a également défendu la littérature bengalie, promu la coexistence religieuse au Bengale, donnant à Chaitanya pleine possibilité de faire la diffusion de sa version mystique du Vaishnavisme.

    Au cours de ce processus, les hindous ont été intégrés dans la noblesse bengalie nommée par les dirigeants musulmans. Le processus fut profond et connut un saut qualitatif lorsque le grand propriétaire terrien hindou Raja Ganesha prit le pouvoir, au 15e siècle.

    Il dut laisser la place à son fils devant se convertir à l’islam, fils qui redevint hindou, pour finalement revenir musulman, donnant en tout cas un élan plus directement « bengali » tant au pouvoir en place qu’à la diffusion massive et forcée de l’Islam.

    On a en fait ici une centralisation, mais elle parvint pas à ses fins, le sultanat du Bengale s’effondrant devant l’empire moghol, dont il devint une province.

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • La sanglante partition Pakistan – Bangladesh

    Muhammad Ali Jinnah se retrouva à la tête du Pakistan à sa fondation. Il s’adressait en anglais à la population, tout en soulignant que l’ourdou était la langue du Pakistan – lui-même ne le parlant toutefois pas, bien qu’il ait fait des efforts pour l’employer pour de brefs moments, à portée symbolique.

    L’ourdou n’était de toutes façons pas non plus la langue des peuples formant le Pakistan ; le choix de l’ourdou était de portée symbolique, avec comme référence le haut niveau de civilisation de l’empire moghol.

    L’ourdou n’est pas du tout la langue maternelle de l’écrasante majorité des Pakistanais (wikipédia)

    Muhammad Ali Jinnah présenta ainsi de manière suivante le Pakistan lors de son discours d’investiture à la présidence du nouveau pays, le 11 janvier 1947 :

    « Il n’y aura aucune limite au progrès que vous ferez si vous changez votre passé et travaillez ensemble dans un esprit tel que chacun d’entre vous, quelle que soit la communauté à laquelle il appartient, quel que soit le rapport qu’il avait avec vous dans le passé, quelles que soient sa couleur, sa caste ou sa croyance, est à la fois le premier, le second et le dernier des citoyens de cet Etat, avec des droits, des privilèges et des obligations égaux (…).

    Vous êtes libres ; vous êtes libres d’aller à vos temples, vous êtes libres d’aller à vos mosquées ou à toute autre place de vénération dans cet Etat du Pakistan.

    Vous pouvez appartenir à n’importe quelle religion, caste ou croyance – cela n’a rien à voir avec les affaires d’État. »

    Cette affirmation d’un État laïc, pourtant né d’une logique religieuse, est très étonnante et en fait très hypocrite.

    La partition, réalisée de manière forcée par les forces féodales musulmanes, a provoqué le déplacement de 12,5 millions de personnes et le massacre de centaines de milliers d’autres.

    Ce fut une véritable guerre de religion, sans pitié, hindous contre musulmans, avec les Sikhs au milieu.

    Il y eut également deux situations anti-populaires par définition : le souverain musulman du Hyderabad choisit le Pakistan, alors qu’il se retrouvait au sud de l’Inde et avec une large majorité hindoue. L’armée indienne résolut la question au moyen d’une invasion.

    Au Cachemire, le souverain était hindou et choisit l’Inde malgré une large majorité musulmane. Cela provoqua une situation explosive jusqu’à aujourd’hui.

    Reste que le Pakistan se retrouvait immédiatement avec une nouvelle problématique.

    L’engouement religieux avait, en effet, ajouté un élément nouveau au concept de Pakistan. La partie orientale du Bengale était musulmane et elle avait décidé de rejoindre le Pakistan au moment de la partition de l’Inde.

    Les majorités religieuses en 1909

    C’était une situation qui n’avait absolument pas été prise en compte à l’origine. La tradition musulmane de l’Inde puise sa source dans la Perse, ce sont les régions historiques du Nord-Ouest de l’Inde qui forment le noyau dur de la culture islamique indienne.

    Voilà que le Pakistan se retrouvait avec un territoire lointain, à 1 600 kilomètres de distance, avec sa propre tradition islamique, avec une langue, le bangla ou bengali, qui n’avait rien à voir avec l’ourdou.

    Il était facile de comprendre le point de vue du point de vue des féodaux de l’Est du Bengale : en se rattachant au Pakistan comme Pakistan « oriental », ils obtenaient une légitimité complète, espérant d’autant plus en profiter que le Pakistan « occidental » était loin.

    C’était cependant de l’idéalisme complet de la part des féodaux, qui n’avaient pas pris en compte la question du développement du capitalisme bureaucratique.

    Celui-ci se développa massivement au Pakistan occidental, dans le cadre d’une soumission complète à l’impérialisme britannique à l’origine, mais ensuite très rapidement à la superpuissance impérialiste américaine.

    La situation devint rapidement totalement déséquilibrée. Il y avait 69 millions de personnes au Pakistan occidental, contre 44 millions étant au Pakistan oriental. Le Pakistan occidental disposait de la capitale fédérale, du commandement militaire, de la cour suprême de justice.

    Il s’appropriait les ¾ des fonds de développement et le Pakistan oriental se voyait réduit à une colonie intérieure. Il produisait ainsi la plupart des exportations (jute, thé…), mais obtenait seulement ¼ des revenus.

    La domination des militaires du Pakistan occidental finit par rendre la situation explosive, avec la mise en place par les étudiants en 1969 d’une contestation générale, suivie ensuite par les paysans et les ouvriers.

    Le soulèvement amena un changement de dirigeant du côté de l’État central, avec un nouveau militaire prenant la place du précédent.

    Dans cette nouvelle situation, le Parti Awami National ne se présenta pas aux élections. Il avait été fondé par un intellectuel rural qui était parvenu à unir le mouvement démocratique paysan au Bengale : Maulana Abdul Hamid Khan Bhashani.

    Maulana Abdul Hamid Khan Bhashani à Cuba pour une réunion de la coopération afro-asiatique, en 1965

    Profondément influencé par la Chine, il s’était même séparé de la Ligue Awami pro-bourgeois (Awami signifiant peuple), pour former le Parti Awami National.

    Mais ce dernier fit le choix du boycott des élections de 1970, ce qui permit à la Ligue Awami d’obtenir une victoire totale, avec 167 des 169 sièges de l’Assemblée nationale au Pakistan oriental.

    Son dirigeant, Sheikh Mujibur Rahman, apparut alors comme le vrai porteur du soulèvement populaire de 1969.

    Sheikh Mujibur Rahman sortant de prison en 1969, à la suite d’une tentative de l’accuser de conspiration contre le Pakistan en liaison avec l’Inde

    Les contradictions ne cessèrent de se développer, notamment avec le cyclone de 1970, où 200 000 personnes sont mortes, et où l’État pakistanais n’avait pas été en mesure d’organiser un secours sérieux.

    À ce moment, l’armée officielle du Pakistan – où les officiers étaient bien entendu principalement du Pakistan occidental – a commencé à être considéré par les larges masses comme une armée d’occupation.

    Tout se précipita alors le 25 mars 1971, avec l’intervention militaire de l’armée pakistanaise.

    Son objectif était d’écraser tous les intellectuels de langue bengalie, de violer des femmes autant que possible (environ 200 000), de massacrer les hindous (qui formaient autour de 14 % de la population totale).

    Le massacre systématique des intellectuels bengalis (médecins, journalistes, professeurs, etc.) se produisit dès le début. Photo de Rashid Talukder, Ittefaq, 1971

    La langue bengalie et les hindous ont été considérés comme un obstacle à l’unification islamique, et donc, comme des cibles.

    Mais ce n’était pas seulement une tactique de l’armée pakistanaise. C’était conforme à l’idéologie d’une partie de la petite-bourgeoisie du Bengale, celle qui s’était placée dans l’orbite des féodaux, qui utilisaient l’Islam comme vecteur.

    Par conséquent, le parti Jamaat-e-Islami a aidé dans les massacres, en tant que volontaires (les « Razakars ») et la formation de milices – Al-Badar et Al-Shams.

    Les résultats de ce processus a été trois millions de morts. Ce fut un épisode terrifiant de plus pour les Bengalis à travers leur histoire et cela marqua très profondément les esprits au niveau mondial.

    Le télégramme horrifié du consul général américain à Dacca, Archer Blood, avec 19 autres membres du personnel diplomatique, sur les événements de 1971, avec une protestation ouverte contre le gouvernement américain

    Il faut ici souligner la tenue d’un grand concert de solidarité avec le Bangladesh à New York le premier août 1971, à l’initiative de l’ex-Beatles George Harrison et de l’illustre joueur de sitar Ravi Shankar. Ce fut le premier du genre historiquement.

    Les événements sur le terrain furent bien moins connus et pourtant leur dimension historiquement révolutionnaire étaient d’une immense ampleur. C’est le soulèvement de masse, la grève générale, la lutte armée généralisée qui a permis de vaincre l’offensive pakistanaise.

    Dans ce cadre, les conseils ouvriers et paysans se répandaient dans tout le pays, et la guerre populaire avait été déclenchée par différentes organisations adoptant la ligne de Mao Zedong, en particulier le Purba Bangla Sarbohara Party (Parti prolétarien du Bengale oriental), dirigé par Siraj Sikder.

    Siraj Sikder fut torturé et tué par la police, sur ordre direct de Sheikh Mujibur Rahman

    L’Inde vint d’un mauvais œil la tournure des choses ; Peter Hazlehurst du Times commentait alors que « Le Bengale rouge alarmerait Delhi encore plus qu’Islamabad ».

    L’armée indienne lança alors une offensive contre le Pakistan et organisa à grande échelle la « Mukti Bahini », « l’armée de libération » sous contrôle de la Ligue Awami.

    Cela torpilla le caractère populaire de la guerre de libération.

    Il est à noter que le philosophe français Bernard-Henri Lévy était allé au Pakistan tant occidental qu’oriental, et qu’il a participé à cette guerre de libération, dans les rangs de l’armée indienne. Il avait agi ainsi après avoir été déçu par une tendance gauchiste des partisans de Mao Zedong qui refusaient d’affronter le Pakistan ; s’il avait connu Siraj Sikder sa trajectoire aurait pu être totalement différente.

    Bernard-Henri Lévy soutint ensuite le nouveau régime et travailla un temps au ministère de l’Économie et du Budget, avant de se faire éjecter du jour au lendemain sous pression de l’Inde, car il avait connu des maoïstes auparavant.

    Ensuite, il devint une figure des « nouveaux intellectuels » prenant une direction anti-communiste et entièrement favorable à la superpuissance américaine.

    Quant à Siraj Sikder et son parti, ils échouèrent, bien qu’ils ouvrirent la voie de la révolution pour la suite (et même en fait de la guerre de libération contre le Pakistan occidental).

    Leur situation était incroyablement complexe ; ils ont dû se battre contre l’expansionnisme indien et le colonialisme pakistanais, mais aussi contre les forces féodales, alors qu’en plus l’impérialisme américain et le social-impérialisme soviétique étaient de la partie.

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  • La partition de l’Inde en août 1947

    L’indépendance de l’Inde le 15 août 1947 fut considérée comme un jour noir par beaucoup de progressistes dans tout le pays, en raison de la tragédie que cela impliquait avec la séparation du Pakistan.

    Mohandas Karamchand Gandhi ne participa ainsi pas aux festivités, et les communistes, qui s’étaient opposés au gandhisme comme idéologie passive et soumise aux féodaux indiens, aux capitalistes indiens liés aux Britanniques, se retrouvaient sur la même position. La division des peuples apparaissaient comme une catastrophe.

    En 1947, toutefois, le processus était déjà avancé ; Mohandas Karamchand Gandhi lui-même accepta de reconnaître le Pakistan afin d’éviter un bain de sang qui eut lieu de toute manière, sans doute de moindre ampleur cependant que ça l’aurait été dans le cadre d’une guerre de religion généralisée.

    (wikipédia)

    12,5 millions de personnes se déplacèrent pour rejoindre l’Inde ou le Pakistan, et le nombre de morts fut immense, et très difficile à évaluer, sans doute autour d’un million, à quoi il faut ajouter les viols en masse.

    Voici comment Mikhail Alexeïev présente les grands traits politiques de la partition dans sa présentation de la situation pour Bolchevik, la revue théorique du Parti Communiste d’Union Soviétique (Bolchevik), en juin 1948.

    « La haine envers les esclavagistes britanniques atteignit son paroxysme.

    Elle se manifesta par des manifestations massives à Calcutta et à Bombay à l’automne 1945, par une multiplication des grèves (près de deux millions de travailleurs y participèrent en 1946) et par le mécontentement au sein de l’armée et de la marine.

    La mutinerie des matelots de la Royal Indian Navy, qui éclata en février 1946, fut soutenue par de puissantes grèves de solidarité, auxquelles participèrent plus de 300 000 ouvriers, par des grèves dans l’armée de l’air et par des « mutineries » dans diverses unités de l’armée (à Jubbulpore et Dehra Dun). Au Bengale, au Bihar et dans plusieurs États du sud de l’Inde, le mouvement paysan contre les propriétaires fonciers prit une large ampleur (…).

    Déjà durant la période de lutte de libération nationale qui a suivi la Première Guerre mondiale, la grande bourgeoisie et les propriétaires fonciers indiens, alarmés par la montée du mouvement ouvrier et le développement de la révolution paysanne, avaient conclu un accord avec l’impérialisme britannique et trahi les intérêts de leur propre pays.

    Staline soulignait en 1925 : « Dans les conditions d’existence de colonies comme l’Inde, la nouveauté fondamentale réside non seulement dans la scission de la bourgeoisie nationale entre partis révolutionnaire et conciliateur, mais surtout dans le fait que la partie conciliatrice de la bourgeoisie a déjà trouvé un accord avec l’impérialisme sur les questions principales.

    Plus effrayée par la révolution que par l’impérialisme, plus soucieuse de ses richesses que des intérêts de son propre pays, cette partie de la bourgeoisie, la plus riche et la plus influente, a complètement rejoint le camp des ennemis irréconciliables de la révolution, en formant un bloc avec l’impérialisme contre les ouvriers et les paysans de son propre pays.» (Marxisme et question coloniale nationale, page 209, édition russe de 1939).

    Aujourd’hui, après la Seconde Guerre mondiale, la grande bourgeoisie indienne recourt à de nouvelles manœuvres face à la recrudescence de la lutte de libération nationale.

    Spéculant sur le mouvement anti-impérialiste des masses, elle tente de négocier avec les cercles dirigeants britanniques un certain nombre de concessions.

    Ils ne souhaitent pas une véritable indépendance du pays, craignant une révolution anti-impérialiste.

    Parallèlement, la grande bourgeoisie met tout en œuvre pour maintenir le mouvement de masse sous son influence et empêcher la classe ouvrière de le diriger.

    En recourant largement à la démagogie anti-impérialiste et sociale, elle appelle les masses à suivre le Congrès national indien et ses dirigeants – Gandhi et Nehru.

    Les cercles dirigeants britanniques, qui tentaient autrefois de présenter la lutte indienne comme un mouvement orchestré par une poignée d’agitateurs et d’instigateurs, peu enracinés dans la population, furent contraints d’admettre, comme le montrent les discours de plusieurs ministres du Travail en 1946, que le mouvement avait pris un caractère de masse et menaçait de balayer la domination britannique.

    Afin d’empêcher l’effondrement de leur domination en Inde, les colons britanniques décidèrent, d’une part, de faire quelques concessions à la grande bourgeoisie indienne et, d’autre part, d’intensifier leur politique traditionnelle de division du mouvement de libération nationale sur des bases religieuses et communautaires, en dressant hindous et musulmans les uns contre les autres.

    En mars 1946, une mission politique composée de trois ministres britanniques, dirigée par Pethick Lawrence, secrétaire d’État pour l’Inde, fut envoyée en Inde.

    La mission élabora un plan pour la forme de gouvernement de l’Inde, qui prévoyait sa partition en États hindou et musulman.

    L’impérialisme britannique comptait maintenir sa position en Inde en opposant ces États les uns aux autres et en s’appuyant sur les princes féodaux indiens.

    Cependant, à l’été 1946, les cercles dirigeants britanniques ne parvinrent pas à trouver un compromis avec la bourgeoisie indienne sur la base du plan de Pethick Lawrence.

    Le Congrès national indien, dont la direction représentait la grande bourgeoisie indienne, mais bénéficiait alors d’une large adhésion, s’opposa à la division du pays sur des bases religieuses et communautaires et exigea une déclaration d’indépendance complète de l’Inde.

    Le Congrès national accepta le plan de Pethick Lawrence uniquement comme base d’examen ultérieur par l’Assemblée constituante. La Ligue musulmane accepta ce plan, mais ne put compter que sur le soutien d’une minorité de la population.

    Mais, manœuvrant habilement, les cercles dirigeants britanniques tentèrent d’aggraver les divergences entre le Congrès et la Ligue et, en incitant à des émeutes hindoues-musulmanes, d’accroître la pression sur les dirigeants bourgeois du Congrès.

    En juin 1946, la Ligue musulmane déclara qu’elle boycotterait la convocation de l’Assemblée constituante pan-indienne et lancerait une lutte pour la formation de l’État musulman indépendant du Pakistan.

    Lord Wavell, vice-roi, demanda alors à Jawaharlal Nehru, président du Congrès national, de former un cabinet, réservant cinq sièges aux représentants de la Ligue.

    Le Congrès national accepta cette fois la proposition du vice-roi et Nehru forma un gouvernement provincial.

    La formation du gouvernement provincial, dirigé par Nehru, servit de prétexte à la Ligue musulmane pour lancer une campagne en faveur de la création d’un État musulman indépendant.

    Le 16 août 1946 fut déclaré journée de lutte pour le Pakistan. Ce jour-là, des conflits sanglants éclatèrent entre hindous et musulmans à Calcutta, au Bengale, puis au Bihar, où ils dégénérèrent en véritable massacre.

    Des bandes d’agents secrets de la police britannique tentèrent par tous les moyens de provoquer des pogroms dans toute l’Inde. La politique britannique de dresser les musulmans contre les hindous porta ses fruits.

    Le front anti-impérialiste unique des hindous et des musulmans fut brisé.

    Mais la fin de l’année 1946 fut marquée par une nouvelle poussée du mouvement ouvrier en Inde. La vague de grèves s’étendit à presque tous les secteurs de l’industrie indienne.

    Non seulement les ouvriers, mais aussi les fonctionnaires et les enseignants se mirent en grève. La grève des employés des Postes et Télégraphes et des Cheminots, en particulier, fut marquée par la ténacité et l’organisation.

    C’est à cette époque qu’un mouvement démocratique de masse s’éleva contre le régime des Princes des différents États.

    Les paysans se soulevèrent contre l’exploitation et l’oppression des propriétaires fonciers féodaux. Dans les États de Travancore et d’Hyderabad, ce mouvement se transforma en soulèvements paysans.

    L’Inde était à la veille d’une révolution nationale anti-impérialiste. Non seulement la domination britannique en Inde, mais aussi les intérêts de classe de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers indiens étaient menacés.

    La peur de la classe ouvrière, l’exploit de la paysannerie, poussèrent la grande bourgeoisie indienne à conclure un nouveau pacte avec les colons britanniques. Cette situation fut également habilement exploitée par le gouvernement travailliste.

    Le 20 février 1947, le Premier ministre britannique, Attlee, fit une déclaration à la Chambre des communes sur la politique indienne du gouvernement. Voici en substance le contenu de cette déclaration.

    1. Le gouvernement britannique transférera le pouvoir aux Indiens au plus tard en juin 1948.

    2. Le pouvoir ne sera transféré au gouvernement central de l’Inde que s’il est reconnu par tous les principaux groupes politiques du pays. En l’absence d’un tel gouvernement en Inde, il sera transmis aux gouvernements provinciaux ou aux gouvernements des groupes de provinces qui seront constitués d’ici là.

    3. Le vice-roi Wavell a été rappelé et Lord Mountbatten a été nommé pour le remplacer.

    Appuyant ces propositions, Stafford Cripps et Alexander ont déclaré que si la Grande-Bretagne refusait volontairement de transférer le pouvoir aux Indiens, une révolution éclaterait en Inde.

    Cripps a déclaré que la Grande-Bretagne pourrait tenir l’Inde par la force pendant plusieurs années encore, mais qu’il serait nécessaire pour cela d’augmenter considérablement les contingents de forces britanniques sur place, ce qui constituerait un fardeau insupportable pour la Grande-Bretagne.

    Suivant les calculs des dirigeants du Parti travailliste, l’incitation des Britanniques à « quitter » l’Inde était de fournir à la Grande-Bretagne la possibilité de maintenir son autorité en Inde.

    Les nouvelles propositions britanniques envisageaient clairement la division de l’Inde en transférant le pouvoir non pas au gouvernement central, mais aux gouvernements des différentes provinces ou de leurs groupes.

    Néanmoins, les plus hautes instances du Congrès national indien accueillaient favorablement ce nouveau plan et trahissaient ouvertement les intérêts nationaux de l’Inde.

    La direction du Congrès national, qui reflétait les intérêts de la grande bourgeoisie indienne, accepta un compromis avec l’impérialisme britannique sur la base d’un partage de l’Inde selon des critères religieux.

    Cette fois encore, comme cela s’était produit à plusieurs reprises auparavant, l’impérialisme britannique conserva l’Inde en faisant des concessions aux classes possédantes indiennes, concessions qui contribuaient également à leur nouvelle trahison des intérêts de leur pays.

    La Ligue musulmane, qui représentait les intérêts des propriétaires fonciers musulmans et de la bourgeoisie commerciale compradore, soutint pleinement la politique du gouvernement britannique.

    Craignant une révolution paysanne, les dirigeants de la Ligue musulmane, en plein accord avec l’impérialisme britannique, prônèrent la partition de l’Inde et le maintien de la domination britannique.

    Ils réclamèrent la création d’un État musulman, attisant ainsi l’animosité religieuse entre hindous et musulmans.

    Le 3 juin 1947, un nouveau plan britannique de division de l’Inde, connu sous le nom de Plan Mountbatten, fut publié.

    Fruit d’un accord entre le gouvernement britannique, la [grande] bourgeoisie indienne et les propriétaires fonciers musulmans, ce plan comprenait essentiellement les propositions suivantes :

    1. L’Inde serait divisée en deux dominions : l’Hindoustan pour les hindous et le Pakistan pour les musulmans ;

    2. Afin de définir les frontières des dominions, les mesures suivantes seraient prises à titre provisoire :

    a) la question de la division des provinces du Pendjab et du Bengale serait tranchée ;

    b) un référendum sur l’annexion de la province de la Frontière du Nord-Ouest à l’Inde ou au Pakistan serait organisé ;

    c) un référendum similaire serait organisé dans le district de Sylhet, dans la province d’Assam ;

    d) le conseil législatif provincial du Sind déciderait du rattachement de cette province au Pakistan ou à l’Hindoustan.

    3. Par la suite, les assemblées constituantes seront convoquées et les gouvernements des deux dominions seront formés.

    4. Les États pourront rejoindre n’importe lequel des dominions nouvellement formés.

    La Ligue musulmane et le Congrès national acceptèrent ces propositions et appelèrent la population à collaborer avec les autorités britanniques pour mettre en œuvre le plan Mountbatten.

    Le 15 août 1947, la loi de partage de l’Inde entra en vigueur et, à la place de l’Inde unie, deux « Dominions » furent créés : l’Hindoustan, qui adopta par la suite le nom d’« Union indienne » ou simplement de « Dominion de l’Inde », et le Pakistan.

    Le pays fut alors divisé en deux parties selon des principes religieux et communautaires. Ni la composition nationale de la population, ni les liens économiques, ni même l’intégrité territoriale ne furent pris en compte.

    La partition de l’Inde n’a résolu aucun problème, y compris celui des hindous et des musulmans. Au contraire, elle a exacerbé les divergences religieuses, notamment en lien avec la partition de la province du Pendjab, et a favorisé l’exacerbation de conflits sanglants entre hindous, sikhs et musulmans.

    Des millions de réfugiés se sont précipités d’un territoire à l’autre. Les Hindous et les Sikhs ont fui vers l’Hindoustan et les musulmans vers le Pakistan.

    Des villages entiers ont été dépeuplés, les récoltes n’ont pas été faites, les champs n’ont pas été ensemencés.

    Dans l’Hindoustan, les organisations hindoues réactionnaires – l’Hindou Mahasabha et le Rashtria Swayam Sevak Sangh, ainsi que le Parti Sikh Akali – ont intensifié leurs massacres ; au Pakistan, les gardes nationaux ont été organisés par la Ligue musulmane.

    Ces bandes armées, organisées selon des principes fascistes et inondées d’agents de la police secrète britannique, organisèrent le massacre des musulmans dans l’Hindoustan, ainsi que des hindous et des sikhs au Pakistan.

    Les affrontements fratricides dans l’Hindoustan et au Pakistan furent bénéfiques à l’impérialisme britannique et à ses agents.

    La partition de l’Inde fut effectuée dans le but de maintenir la domination politique et économique de l’impérialisme britannique dans le pays divisé en plusieurs parties.

    Les dominions nouvellement formés sont des États extrêmement artificiels, tant du point de vue de leur économie que de la composition nationale de leur population. La population du Pakistan totalise environ 70 millions d’habitants. Toutes les provinces du Pakistan sont des régions agricoles arriérées.

    Sur son territoire, on ne compte que 10 % de l’industrie, y compris l’industrie minière, puisque 90 % des mines sont concentrées sur le territoire de l’Hindoustan. Il n’existe aucun grand centre industriel au Pakistan.

    Le Pakistan est un pays à l’économie coloniale typique, ce qui facilite la tâche de l’impérialisme anglo-américain qui veut faire du Pakistan son appendice agraire. Le Pakistan est composé de deux parties séparées l’une de l’autre.

    À l’ouest, les différentes provinces pakistanaises sont reliées économiquement entre elles : elles disposent d’un réseau ferroviaire commun et d’un accès maritime commun par le port de Karachi.

    En revanche, il n’existe aucune connexion économique entre les parties occidentale et orientale du Pakistan. Le Bengale oriental est séparé des autres provinces du Pakistan par une distance de 1 300 kilomètres. De plus, la composition nationale du Pakistan n’est pas homogène.

    L’Union indienne est devenue un pays relativement plus industrialisé que l’Inde avant sa partition. Près de 90 % de l’ensemble de l’industrie, y compris l’exploitation minière, subsiste sur son territoire.

    Pourtant, l’économie de l’Union indienne est également une économie coloniale typique. Le principal secteur industriel est le textile.

    La métallurgie s’est peu développée, tandis que la construction mécanique est quasi inexistante.

    Arrachée aux grandes régions agricoles qui ont été rattachées au Pakistan, l’Union indienne connaîtra sans aucun doute une grave pénurie de matières premières et de produits alimentaires.

    L’Union indienne reste plus multinationale que le Pakistan. La population totale de l’Union indienne est d’environ 300 millions d’habitants, sans compter la population de l’État d’Hyderabad (16 millions).

    La partition de l’Inde a été menée par le gouvernement travailliste, plus souple et plus à même de recourir à la démagogie sociale et nationale que le précédent gouvernement conservateur.

    Cette manœuvre fut plus facile pour le Parti travailliste, car les dirigeants du Congrès national indien avaient toujours entretenu un certain accord avec lui et étaient plus disposés à accepter un compromis avec le gouvernement travailliste.

    Il est caractéristique que le Parti conservateur ait soutenu le plan de partition de l’Inde proposé par le gouvernement travailliste.

    Cela témoigne du fait que ce plan est un plan impérialiste britannique dans son ensemble et correspond à ses intérêts et à ses calculs.

    Ce n’est pas sans raison que, lors du débat sur le projet de loi à la Chambre des communes et à la Chambre des lords britanniques, les dirigeants du Parti conservateur ont salué le plan du gouvernement comme un plan venant au secours de l’impérialisme britannique, et le gouvernement travailliste comme le fidèle défenseur des intérêts de l’Empire britannique.

    Après avoir divisé l’Inde et conféré à l’Hindoustan et au Pakistan le « titre de dominion », l’impérialisme britannique a ainsi maintenu sa domination coloniale sur l’Inde.

    Le capital britannique occupe, comme par le passé, une position dominante dans l’économie de l’Hindoustan et du Pakistan. Le système bancaire est un puissant levier de l’exploitation coloniale de l’Inde.

    Toutes les grandes banques indiennes, à l’exception de deux, sont gérées par des monopoleurs britanniques. Elles détiennent ainsi les plus gros capitaux qu’elles peuvent investir dans l’industrie, les chemins de fer, les ports, etc.

    L’industrie indienne dépend entièrement des banquiers britanniques. Plus de la moitié de l’industrie du jute et du thé de l’Hindoustan, un tiers de l’industrie sidérurgique, la totalité de la production minière, les plantations de caoutchouc, etc. appartiennent au capital britannique.

    L’un des leviers de la domination coloniale britannique en Inde est constitué par les sociétés par actions anglo-indiennes.

    Grâce à ces sociétés, qui occupent une place importante dans le commerce et l’industrie, les intérêts des capitalistes indiens sont étroitement liées à celles des capitalistes britanniques, le rôle dominant revenant bien sûr à ces derniers (…).

    Aucun changement fondamental n’a eu lieu dans la structure interne du Pakistan et de l’Union indienne.

    Au Pakistan, où les propriétaires terriens sont au pouvoir, tous les États ont conservé pleinement leur structure politique féodale.

    Le gouvernement pakistanais a déclaré considérer les États comme des gouvernements souverains et ne pas s’ingérer dans leurs affaires intérieures.

    Même dans l’Union indienne, où la bourgeoisie est au pouvoir et où le gouvernement est dirigé par les dirigeants du Congrès national, qui s’étaient autrefois prononcés contre le régime féodal arbitraire, les princes ont conservé leur pouvoir (…).

    Dans l’Union indienne comme au Pakistan, les inégalités nationales sont prédominantes.

    L’hindi et l’anglais ont été déclarés langues d’État de l’Union indienne. Les langues de la plupart des peuples de l’Inde ont été reléguées au second plan.

    Au Pakistan, le gouvernement a déclaré l’ourdou langue d’État, bien que plus de la moitié de la population ne la connaisse pas. »

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  • Muhammad Ali Jinnah et le Pakistan

    Il est intéressant de jeter un regard sur l’arrière-plan social de Muhammad Ali Jinnah pour comprendre son choix tactique puis stratégique de la rupture.

    Si la famille de Mohamed Iqbal, d’un milieu humble, était devenue musulmane depuis de nombreuses générations, la famille (aisée) de Muhammad Ali Jinnah était musulmane depuis trois générations seulement, et alignée sur l’Islam chiite ismaélien.

    Muhammad Ali Jinnah devint un chiite traditionnel et après sa mort des proches dirent qu’il était devenu sunnite. C’est obscur, mais révélateur : l’Islam est ici une identité, une tradition, avant toute chose.

    Muhammad Ali Jinnah

    Mohamed Iqbal et Muhammad Ali Jinnah avaient étudié en Angleterre, devenant des avocats, mais le second s’est orienté vers un style de vie largement occidentalisé, avec une très grande réputation pour ses costumes impeccables, et lui-même ne parlait pas ourdou, tandis que Mohamed Iqbal maîtrisait en poète tant le persan que l’ourdou.

    Cela n’empêchait pas Mohamed Iqbal de souligner l’identité musulmane, sans pour autant vouloir une séparation hindoue-musulman : son raisonnement s’appuyait sur une vision poétique de l’identité religieuse et c’est pour cette raison qu’il a pu écrire un poème en ourdou comme Sare Jahan se Accha Hindustan hamara (Mieux que le monde entier est notre Hindoustan).

    Mohamed Iqbal avait compris le rôle historique de l’Islam en Inde ; il en faisait un fétiche, mais il avait une lecture culturelle. Muhammad Ali Jinnah jetait quant à lui un regard politique et s’il avait initialement un positionnement similaire, sa démarche était pragmatique.

    C’est la raison pour laquelle il développa un discours toujours plus agressif contre le Congrès national indien et son projet d’Inde centralisée, chose qui se ferait selon lui inévitablement aux dépens de la minorité musulmane.

    Cela alla toujours plus loin et Muhammad Ali Jinnah devint la figure tutélaire de l’appel à un pays musulman rompant avec l’Inde.

    Muhammad Ali Jinnah en 1938

    Ce choix fut effectué par la Ligue musulmane à Lahore en 1940, avec la revendication d’États indépendants qui seraient « autonomes et souverains », ce qui peut sembler contradictoire car l’autonomie ne peut qu’exister dans un cadre fédéral, ce qui s’oppose au principe de souveraineté.

    Cependant, lors d’une adresse à la Ligue musulmane à cette occasion, Muhammad Ali Jinnah fut très clair sur le plan de la signification de la rupture :

    « Un journal d’importance comme le London Times, commentant le Government of India Act de 1935, a écrit que « sans nul doute, la différence entre les hindous et les musulmans n’est pas religieuse au sens strict, mais également de nature juridique et culturelle, ce qui fait qu’on peut dire de fait qu’ils représentent deux civilisations entièrement distinctes et séparées. Néanmoins, au cours du temps, les superstitions s’épuiseront et l’Inde se façonnera en une seule nation. » (…)

    C’est certainement un dédain flagrant de l’histoire récente du sous-continent indien, tout comme de la conception islamique fondamentale de la société vis-à-vis de l’hindouisme, que de les caractériser de pures « superstitions ».

    Malgré mille ans de contact proche, les nationalités divergent aujourd’hui plus que jamais, on ne peut pas attendre qu’à un moment elles se transforment en une seule nation purement et simplement en les soumettant à une constitution démocratique et en les maintenant par la force ensemble, avec les méthodes non naturelles et artificielles des statuts parlementaires britanniques (…).

    Il est extrêmement difficile d’apprécier pourquoi nos amis hindous ne parviennent pas à comprendre la nature réelle de l’islam et de l’hindouisme.

    Ce ne sont pas des religions au sens strict du mot, mais, en fait, des ordres sociaux différents et distincts, et l’idée que les hindous et les musulmans puissent jamais parvenir à une nation commune est un songe, et cette erreur d’une nation indienne unique est allé au-delà des bornes, et mènera l’Inde à sa destruction si nous échouons à corriger nos idées à temps.

    Les hindous et les musulmans appartiennent à deux philosophies religieuses, des pratiques sociales et des littératures différentes.

    Ils ne se marient pas ensemble, ni ne mangent ensemble et, en effet, ils appartiennent à deux civilisations différentes qui sont principalement fondées sur des idées et des conceptions différentes.

    Il est assez clair que les hindous et les musulmans puisent leur inspiration de sources historiques différentes. Ils ont des épopées différentes, des héros différents, et différentes périodes historiques [essentielles]. Très souvent, le héros de l’un est l’antagoniste de l’autre, et de la même manière, leurs victoires et leurs défaites se correspondent.

    Assujettir ensemble deux telles nations sous un seul État, l’une en tant que minorité numérique et l’autre comme majorité, ne manquera pas de mener à un mécontentement grandissant et à la destruction finale de toute structure qui pourrait avoir été conçue pour le gouvernement d’un tel État. »

    Muhammad Ali Jinnah considère ici comme un fait acquis la théorie des deux nations, que lui-même rejetait pourtant encore quelque temps auparavant.

    Muhammad Ali Jinnah en 1943

    Et à partir de 1940, le concept de Pakistan qui avait désormais sa base fut diffusée massivement par la Ligue musulmane désormais entièrement sous le contrôle de Muhammad Ali Jinnah, qui était désormais le QuaideAzam (le grand dirigeant).

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  • Muhammad Ali Jinnah et la faiblesse de la Ligue musulmane

    Muhammad Ali Jinnah était initialement favorable à une jonction des efforts hindous et musulmans, dans le prolongement du pacte de Lucknow initié en 1916. Il ne participa toutefois qu’à deux des trois conférences ayant respectivement lieu en 1930, 1931 et 1932, décidant alors de passer plusieurs années en Angleterre.

    Muhammad Ali Jinnah en 1910

    Cette décision ne doit pas surprendre, l’élite musulmane ayant fait le choix de soutenir le Raj, la Grande-Bretagne se montrait particulièrement bienveillante.

    De 1924 à 1936 à part en 1933, tous les présidents de la Ligue musulmane ont été nommés chevaliers (Sir Reza Ali en 1924, Muhammad Ali Jinnah en 1925 mais il refusera, Sir Abdur Rahim en 1926, Sir Mohammad Yakub et Sir Muhammad Shafi en 1927, Sir Ali Muhammad Khan en 1928, Sir Mohamed Iqbal en 1930, Sir Zafarullah Khan en 1931, Mian Abdul Aziz et Khan Bahadur Hafiz Hidayat Hussain en 1933, Sir Wazir Hasan en 1936).

    Toutefois, le Government of India Act de 1935, qui marquait l’établissement d’une certaine autonomie et d’élections directes, fit que Muhammad Ali Jinnah revint en Inde, reprenant les commandes d’une Ligue musulmane qui s’était assoupi et n’avait plus tenu de congrès depuis 1933, alors que deux factions se faisaient face.

    Face au processus d’indépendance qui s’enclenchait, l’élite musulmane ne pouvait pas rester passive et devait se poser comme une sorte d’équivalent pour la population musulmane du Congrès national indien, comme au moment du pacte de Lucknow en 1916.

    Ce fut toutefois un échec électoral relatif lors des élections de 1937 : la Ligue musulmane obtint 40 des 119 sièges réservés aux musulmans au Bengale, 2 de 86 au Pendjab, aucune au Sind et dans la province du nord-ouest en raison de l’absence de candidats.

    Les résultats furent meilleurs par contre dans les régions où les musulmans étaient minoritaires : 29 de 39 en Uttar Pradesh, 20 de 29 à Mumbai, 11 de 28 à Madras.

    Au total, cela fit que la Ligue musulmane obtint 109 sièges des 482 destinés aux musulmans, alors que le Congrès national indien avait 707 sièges en tout, dont 25 des sièges réservés aux musulmans.

    Les féodaux musulmans ne parvenaient pas à avoir une prise sur la situation et il leur était absolument nécessaire de provoquer une rupture, une cassure, pour apparaître comme la seule solution pour l’ensemble des musulmans.

    Cela provoqua une intense polarisation de leur part, avec notamment trois thèmes conducteurs.

    La première est ce qui fut appelé le « Wardha Scheme », c’est-à-dire la ligne éducative élaborée par la India National Education Conference en octobre 1937 à partir d’un article de Gandhi dans l’hebdomadaire Harijan, le 31 juillet 1937 : il s’agissait d’instaurer une éducation laïque. C’était considéré comme inacceptable pour des tenants de l’Islam.

    Le second reproche portait sur la politique de Vidya Mandir pratiquée dans les provinces contrôlées par le Congrès national indien. Ces « temples de l’éducation » étaient directement calqués sur le système éducatif hindou, le gurukula. Ce ne pouvait qu’être repoussé pour des musulmans cherchant à activer un fondamentalisme.

    Enfin, l’hymne Vande Mataram restait un obstacle identitaire majeur. Cela aurait été reconnaître la majorité hindoue et donc temporiser, remettre en cause la logique de l’Islam exigeant que l’hégémonie lui revienne toujours.

    Cela amena le Congrès national indien à considérer toujours plus la Ligue musulmane comme le jouet de la politique extérieure britannique cherchant à « diviser pour régner », ce qui était objectivement vrai.

    Inversement, la Ligue musulmane considérait que le Congrès national indien tentait de le phagocyter au nom du combat pour l’indépendance, ce qui était vrai également, dans la mesure où l’arrière-plan féodal – hindou l’emportait tendanciellement sur la dimension démocratique.

    L’élite musulmane fit alors bloc autour de Muhammad Ali Jinnah. C’est lui qui allait assumer la revendication d’un « Pakistan », alors que paradoxalement il avait été jusqu’au milieu des années 1930 un partisan de l’unité indienne.

    Mais c’est qu’il représente les intérêts de la féodalité musulmane et celle-ci comptait conserver ses prérogatives coûte que coûte, et là la situation exigeait de la jouer à quitte ou double de leur point de vue. Toutes les combinaisons, y compris menant à des désastres humains, étaient acceptables du moment que la féodalité musulmane restait le socle des zones où il y avait des musulmans.

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  • Choudhry Rahmat Ali et le concept de Pakstan

    L’affirmation en faveur d’une entité musulmane sur un territoire déterminé, théorisée de manière romantique par Mohamed Iqbal, fut par la suite repris par un jeune étudiant, Choudhry Rahmat Ali, qui forma alors le concept de « Pakstan ».

    Étudiant à l’université anglaise de Cambridge, Choudhry Rahmat Ali reprenait directement la conception de Syed Ahmed Khan.

    Choudhry Rahmat Ali publia en janvier 1933 un pamphlet intitulé Now or Never; Are We to Live or Perish Forever (Maintenant ou jamais ; allons-nous vivre ou périr pour toujours).

    Il y proposa l’unification étatique des cinq zones du nord-ouest de l’Inde, en tant que « Pakstan », acronyme des régions concernées : le Pendjab, la North-West Frontier (Afghan), le Cachemire, le Sind et le Baloutchistan. Cette unification devait se faire dans un cadre extérieur à l’Inde, de manière explicitement contraire à la ligne de Mohamed Iqbal, qui lui souhaitait maintenir le cadre fédéral.

    Choudhry Rahmat Ali

    Il est à noter la construction intellectuelle choisie : en persan, en ourdou et en pachtoune, pak signifie « pur », alors que le suffixe persan -stan signifie « pays », « terre de ». Le « Pakstan », par la suite le « Pakistan », c’est ainsi « la terre des purs ».

    Choudhry Rahmat Ali proposa le « Pakstan » aux délégués indiens de la troisième des Round Table Conferences organisées par le gouvernement britannique pour discuter du futur de l’Inde avec des délégués indiens.

    Dans sa lettre accompagnant le pamphlet, Choudhry Rahmat Ali expliqua ainsi sa démarche :

    « Je joins à la présente un appel au nom des trente millions de musulmans du Pakistan, qui vivent dans les cinq régions du nord de l’Inde : le Pendjab, la province de la Frontière du Nord-Ouest (Afghanistan), le Cachemire, le Sind et le Baloutchistan.

    Cet appel incarne leur demande de reconnaissance de leur statut national, distinct de celui des autres habitants de l’Inde, par l’octroi au Pakstan d’une Constitution fédérale distincte sur des bases religieuses, sociales et historiques. »

    Le pamphlet commençait de la manière suivante :

    « En cette heure solennelle de l’histoire de l’Inde, alors que les hommes d’État britanniques et indiens posent les bases d’une Constitution fédérale pour ce pays, nous vous adressons cet appel, au nom de notre héritage commun, au nom de nos trente millions de frères musulmans qui vivent au PAKSTAN – par lequel nous entendons les cinq unités du nord de l’Inde, à savoir : le Pendjab, la province de la frontière du Nord-Ouest (province afghane), le Cachemire, le Sindh et le Baloutchistan. »

    Le pamphlet attaque ensuite violemment les responsables de la Ligue musulmane pour accepter des discussions sur Inde indépendante et unie, qui se ferait selon lui aux dépens des musulmans.

    « La délégation musulmane indienne à la Table ronde a commis une erreur inexcusable et prodigieuse. Elle s’est soumise, au nom du nationalisme hindou, à la soumission perpétuelle de la nation musulmane malchanceuse.

    Ces dirigeants ont déjà accepté, sans la moindre protestation ni objection et sans la moindre réserve, une Constitution fondée sur le principe d’une Fédération pan-indienne.

    Cela revient, en substance, à signer l’arrêt de mort de l’islam et de son avenir en Inde. Ce faisant, ils se sont abrités derrière le prétendu Mandat de la communauté (…).

    En ce moment critique, alors que cette tragédie se joue, permettez-nous de faire appel à votre compassion et à votre soutien actif pour la revendication d’une Fédération séparée – une question de vie ou de mort pour les musulmans d’Inde – telle que décrite et expliquée ci-dessous.

    L’Inde, telle qu’elle est constituée actuellement, n’est pas le nom d’un seul pays, ni le foyer d’une seule nation. Il s’agit en réalité de la désignation d’un État créé pour la première fois dans l’histoire par les Britanniques.

    Elle comprend des peuples qui n’ont jamais fait partie de l’Inde à aucune période de son histoire, mais qui, depuis l’aube de l’histoire jusqu’à l’avènement des Britanniques, ont possédé et conservé leurs propres nationalités.

    Dans les cinq provinces du nord de l’Inde, sur une population totale d’environ quarante millions d’habitants, nous, les musulmans, représentons environ trente millions.

    Notre religion, notre culture, notre histoire, nos traditions, notre système économique, nos lois sur l’héritage, la succession et le mariage sont fondamentalement différents de ceux des populations du reste de l’Inde.

    Les idéaux qui poussent nos trente millions de frères et sœurs vivant dans ces provinces à consentir aux plus grands sacrifices sont fondamentalement différents de ceux qui inspirent les hindous. Ces différences ne se limitent pas aux grands principes fondamentaux, loin de là.

    Elles s’étendent aux plus infimes détails de nos vies.

    Nous ne dînons pas entre nous ; nous ne nous marions pas entre nous. Nos coutumes nationales, nos calendriers, et même notre alimentation et nos vêtements sont différents (…).

    Nous sommes confrontés à une tragédie de premier ordre, sans précédent dans la longue et mouvementée histoire de l’islam.

    Il ne s’agit pas de la disparition d’une secte ou d’une communauté ; il s’agit du problème suprême qui affecte le destin de l’islam tout entier et des millions d’êtres humains qui, jusqu’à récemment, étaient les gardiens de la gloire de l’islam en Inde et les défenseurs de ses frontières.

    Un avenir encore plus grand s’ouvre à nous, si seulement notre âme pouvait être sauvée de l’esclavage perpétuel forgé dans une Fédération pan-indienne.

    Ne nous y trompons pas. L’enjeu est maintenant ou jamais. Soit nous vivons, soit nous périssons à jamais.

    L’avenir ne nous appartient que si nous vivons fidèlement à notre foi. Il ne repose pas entre les mains des dieux, mais entre nos mains.

    Nous pouvons le construire ou le gâcher. L’histoire du siècle dernier est pleine d’avertissements clairs, et ils sont aussi clairs que ceux qui ont jamais été adressés à une nation.

    Devra-t-on dire de nous que nous avons ignoré tous ces avertissements et laissé notre héritage ancestral périr entre nos mains ?

    Il y aurait donc une prétendue opposition intrinsèque aux non-musulmans en Inde. La séparation est donc catégoriquement nécessaire. C’est Muhammad Ali Jinnah qui va en devenir le porte-drapeau.

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  • Mohamed Iqbal et l’Islam en Inde comme réalisation éthique

    Le mouvement du Khilafat était né du terreau de l’identité musulmane en Inde ; sa nature était à la fois religieuse et sentimentale, il y manquait la dimension intellectuelle : c’est le poète et avocat Mohamed Iqbal (1877-1938) qui l’apportera. C’est lui qui allait donner à la Ligue musulmane sa vision du monde.

    Son rôle historique est immense ; en fait, il préfigure toute une génération de musulmans éduqués à l’occidental et basculant dans une lecture idéale-romantique de l’Islam.

    Désorienté par le poids des transformations historiques, par la dimension et l’ampleur des changements, ce type d’intellectuel devient le partisan de la fuite en avant.

    Somme toute, on est dans ce qu’on appelle historiquement le fascisme, qui idéalise le passé pour appeler à une unité raciale, ethnique, nationale ou religieuse.

    Et les idéologues du FLN algérien ou du Hamas palestinien sont très exactement, au-delà de leurs perspectives divergentes, des intellectuels de ce type. Ce sont des féodaux intellectualisés par le processus colonial.

    Mohamed Iqbal attribuait à l’Islam une importante signification éthique, de dimension universelle, liée à la nature même de l’Islam, de par sa prétention universaliste et son affirmation d’une Umma, la communauté, sans frontières ethniques ni nationales.

    Mohamed Iqbal

    Il formula sa conception dans un ouvrage publié en 1934, intitulé Reconstruire la pensée religieuse de l’Islam, qui rassemble ses propos tenus lors de conférences en faveur d’un Islam essentiellement spirituel et tenus à Madras, Hyderabad, Aligarh, Londres, de 1928 à 1932.

    Les conférences dont on parle ici ont comme titres, tout à fait représentatifs de la vision du monde de Mohamed Iqbal, « La connaissance et l’expérience religieuse », « Le « test » philosophique des révélations de l’expérience religieuse », « La conception de Dieu et la signification de la prière », « L’ego humain : sa liberté et son immortalité », « L’esprit de la culture musulmane », « Le principe du mouvement dans la structure de l’Islam », « La religion est-elle possible ? ».

    Il s’agit d’une tentative de combiner rationalisme et religiosité la plus profonde, Mohammed Iqbal considérant que le Coran permet justement d’ailleurs la rationalité.

    Si Averroès était matérialiste et rejetait de manière formelle le mysticisme, utilisant dans le Coran ce qui lui était utile pour affirmer la philosophie d’Aristote, Mohamed Iqbal a une lecture associant directement rationalité et mysticisme, au nom du caractère naturaliste du Coran, formulation par Dieu de la nature elle-même de l’univers.

    C’est une « modernisation » de l’idéologie musulmane des forces féodales. Cela amène évidemment Mohamed Iqbal à faire du Coran le point de départ du rationalisme et même sa base :

    « Ce qu’il y a lieu de noter, c’est l’attitude empirique en général du Coran, laquelle engendra chez ses adeptes un sentiment de respect pour les faits et fit d’eux en définitive les fondateurs de la science moderne (…).

    Le Coran, reconnaissant que l’attitude empirique constitue une étape indispensable dans la vie spirituelle de l’humanité, accorde une égale importance à tous les champs de l’expérience humaine, en tant qu’ils offrent une possibilité de connaissance de la Réalité ultime, laquelle révèle ses symboles à la fois au-dedans et au-dehors.

    Une façon indirecte d’établir des relations avec la réalité qui nous confronte consiste en l’observation réfléchie et le contrôle de ses symboles, tels qu’ils se révèlent à la perception sensorielle ; l’autre moyen est de s’associer directement avec cette réalité telle qu’elle se révèle à l’intérieur de nous-mêmes. »

    Ainsi, seul le Coran permettrait à la science d’acquérir une certaine plénitude. Pour cette raison, le maintien de la communauté musulmane en tant que structure est considéré par Mohamed Iqbal comme primordial.

    C’est l’identité même de celle-ci qu’il s’agit de préserver et cela amena Mohamed Iqbal à vouloir considérer comme nécessairement séparée la communauté musulmane.

    Il est historiquement considéré que ce sont les propos tenus par Mohamed Iqbal à Allahabad lors de la 25e conférence de la Ligue musulmane, en décembre 1930, qui inaugurèrent la théorie des deux nations.

    Il y dit notamment les choses suivantes :

    « Ce n’est de fait pas une exagération que de dire que l’Inde est le seul pays dans le monde où l’Islam, comme force construisant le peuple, a fonctionné le mieux.

    En Inde, comme ailleurs, la structure de l’Islam en tant que société est presque entièrement due au travail de l’Islam comme culture inspirée par un idéal éthique spécifique.

    Ce que je veux dire est que la société musulmane, avec sa remarquable homogénéité et son unité intérieure, a grandi jusqu’à être ce qu’elle est, sous la pression des lois et institutions associée à la culture de l’Islam (…).

    Jamais dans l’histoire, l’Islam n’a eu à faire face à une telle épreuve que celle à laquelle il est confronté aujourd’hui (…).

    Les éléments de la société indienne ne sont pas territoriales comme dans les pays européens. L’Inde est un continent de groupes humaines appartenant à différentes races, parlant différentes langues, et ayant différentes religions.

    Leur comportement n’est pas entièrement déterminé par la conscience ethnique [race-consciousness], comme dans les pays européens. Même les hindous ne forment pas un groupe homogène.

    Le principe de la démocratie européenne ne peut pas être appliquée en Inde sans la reconnaissance du fait des groupes communautaires. La revendication des musulmans pour la création d’une Inde musulmane au sein de l’Inde est, pour cette raison, parfaitement justifiée (…).

    Personnellement, j’irai plus loin que les exigences formulées [par la résolution de la conférence de tous les partis musulmans à Delhi].

    J’aimerais voir amalgamés le Penjab, la province frontalière du Nord-Ouest [North-West Frontier Province], le Sindh et le Baloutchistan en un seul État.

    L’auto-gouvernement au sein de l’empire britannique, ou sans l’empire britannique, la formation d’un État musulman indien du Nord-Ouest consolidé, apparaît à mes yeux comme la destinée finale des musulmans, au moins dans l’Inde du Nord-Ouest. »

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  • Le mouvement du Khilafat

    Le phénomène colonialiste n’a pas que ruiné historiquement l’hégémonie musulmane aux Indes, il a également joué un rôle dans d’autres pays marqués par l’Islam.

    Et l’un des facteurs déterminants pour que puisse apparaître la théorie des deux nations a été l’affirmation identitaire musulmane indienne au moment où l’empire ottoman connaissait son processus d’effondrement.

    La branche sunnite de la religion islamique se fonde en effet sur le principe qu’un calife doit diriger politiquement la communauté, prenant le relais du prophète Mahomet.

    La tradition islamique sunnite valorise de manière très importante les « califes bien guidés », c’est-à-dire les quatre premiers califes après Mahomet (al-Khulafā’u r-Rāshidūn). Or, l’empire ottoman a prétendu représenter cette tradition dès sa fondation, le sultan étant en même temps calife.

    Son affaiblissement et son effondrement à la suite de la première guerre mondiale faisaient donc craindre que la religion musulmane n’aurait plus de calife. Par conséquent émergea en Inde le mouvement du « Khilafat », c’est-à-dire du califat, exigeant du gouvernement britannique qu’il préserve l’empire ottoman, au nom de la préservation du califat.

    Pour cette raison, des érudits musulmans, appelés maulanas, intervinrent dans l’opinion publique de leur communauté : Maulana Mohammad Ali Jauhar (1878-1931) publia l’hebdomadaire Comrade et le quotidien Hamdard, Maulana Zafar Ali Khan (1873-1956) lança le quotidien Zamindar et Maulana Sayyid Abul Kalam Ghulam Muhiyuddin Ahmed Azad (1888-1958) l’hebdomadaire Al-Hilal.

    Maulana Mohammad Ali Jauhar

    Il est intéressant de noter ici que ce dernier rejoindra par la suite les initiatives du « Mahatma » Gandhi, devenant un partisan de l’Inde unifié. Mais il est vrai qu’alors, le mouvement du Khilafat ne se posait pas de manière communautaire isolée : Mahatma Gandhi participa en personne à la journée panindienne du khilafat, le 17 octobre 1919.

    Le comité central du mouvement du Khilafat, la ligue musulmane panindienne et le Congrès national indien participèrent d’ailleurs tout à fait officiellement à la campagne. Les émissaires du mouvement rendirent également visite au pape au Vatican.

    Le mouvement du Khilafat s’orientait principalement autour de deux soucis, exprimant une profonde inquiétude autour des valeurs musulmanes considérées comme essentielles sur le plan de l’identité.

    Il s’agissait de préserver les lieux sacrés de toute « souillure » non musulmane, ainsi que de maintenir l’empire ottoman comme force capable de servir à la protection des musulmans à travers le monde et de fait notamment en Inde, où les musulmans consistaient en une communauté minoritaire à l’échelle du pays.

    Des activistes du mouvement du Khilafat

    On est dans un fantasme idéologique, propre au clergé et à certains secteurs des masses qui prennent au pied de la lettre la fiction d’une communauté musulmane unifiée à l’échelle mondiale.

    Pour cette raison même, cela sous-tendait une posture identitaire très forte, qui se cristallisa en effet dans le mouvement de la hijrat, c’est-à-dire de l’émigration vers un pays considéré comme correspondant au statut de daru’l-Islam (maison de l’Islam) et non de daru’l-harab (maison de la guerre).

    Dans l’Islam, en effet, si la juridiction n’est pas musulmane, alors il faut l’imposer militairement. Si c’est impossible, alors il faut émigrer.

    Naturellement, dans les faits, cela se passe bien différemment. Cependant, c’est le principe de base, qui a donné comme on le sait de multiples variantes non-militaires afin de parvenir à ses fins : formation d’îlots piétistes séparés de la société (les salafistes), conquête de positions idéologiques et institutionnelles (les Frères musulmans), etc.

    Maulana Shaukat Ali, grand frère de Maulana Mohammad Ali Jauhar mentionné plus haut (et partisan de Muhammad Ali Jinnah, qui joua un rôle essentiel ici), expliqua dans une conférence en faveur du Khilafat à Patna, en 1920, que :

    « Tous les musulmans qui veulent remplir leurs obligations islamiques doivent quitter l’Inde. Ceux qui ne peuvent pas émigrer immédiatement doivent aider les émigrants. La Charia ne donne pas d’autre alternative que l’émigration.

    L’émigration depuis l’Inde était désirable avant la guerre, maintenant elle est obligatoire. Ne peuvent seulement rester en Inde les musulmans qui sont nécessaires pour mener la lutte ou ont des raisons acceptables contre l’émigration. »

    Dans les faits, cela se concrétisa par une émigration de 25 000 personnes en Afghanistan, le gouvernement de ce pays bloquant finalement le mouvement, qui mobilisa encore 60 000 personnes en Inde.

    Quant au mouvement en faveur du Khilafat, il dut reconnaître sa défaite avec la fondation de la république turque le 29 octobre 1923, dont le parlement abolit le califat le 3 mars 1924.

    Le clergé voyait ses rêves se défaire et l’aristocratie musulmane voyait arriver à grands pas une situation où elle devrait s’effacer devant la majorité hindoue dans le cadre d’une Inde devenant un jour indépendante.

    C’était inenvisageable de par la dimension patriarcale de l’Islam façonné par la conquête de l’Inde. Cela donna naissance à la théorie du « Pakistan ».

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  • La Ligue musulmane

    Un événement déterminant pour la formation de la Ligue musulmane fut le processus aboutissant en 1905 à la division administrative du Bengale.

    Justifiée par l’empire britannique pour une question d’efficacité administrative concernant un vaste territoire, elle provoqua cependant la colère du Congrès national indien, qui y vit une politique de « diviser pour régner », dans la mesure où le Bengale oriental devenait alors une province à majorité musulmane.

    Le mouvement d’opposition hindoue à l’empire britannique était par ailleurs très puissant au Bengale, avec comme symbole le roman Le Monastère de la félicité publié en 1882 par Bankim Chandra Chatterji.

    Bankim Chandra Chatterji

    On y découvre une présentation romancée d’une vaste révolte de renonçants contre le nabab musulman du Bengale, en pleine famine à la fin du 19e siècle, dans une opposition sanglante tant avec l’empire britannique qu’avec les musulmans.

    Le culte de la déesse-mère est assimilé à la protection de l’Inde face aux envahisseurs, en l’occurrence anglais et musulman.

    Le roman aura un immense succès et le slogan revenant dans le roman, Vande mataram, « Salut à la mère », deviendra le grand mot d’ordre des nationalistes indiens se revendiquant de l’hindouisme.

    La réunification administrative du Bengale fut ensuite obtenue dans la foulée, en 1911, au grand dam des dirigeants musulmans qui perdaient ce qui formait à leurs yeux une base sûre.

    C’est dans ce contexte que se forme la Ligue musulmane panindienne, en décembre 1906, comme rassemblement de l’élite musulmane, en tant que prolongement direct de la All India Muhammadan Educational Conference à Dacca.

    La réunion de 1906 de la All India Muhammadan Educational Conference dans le palais du Nawab de Dacca.

    Le « Nawab » Vicar-ul-Mulk, c’est-à-dire un aristocrate musulman (le mot existe en français sous la forme nabab) est élu secrétaire général à cette occasion ; dans son discours d’intronisation le jour même, il présenta de la manière suivante la situation :

    « Les musulmans ne sont qu’un cinquième, en nombre, comparé à la population totale du pays, et il est manifeste que si dans un certain délai le gouvernement britannique cesse d’exister en Inde, alors le pouvoir passera dans les mains de la communauté qui est pratiquement quatre fois plus nombreuse que nous le sommes.

    Maintenant, messieurs, considérons chacun ce que sera notre considération si une telle situation se produit en Inde. Alors, notre vie, notre propriété, notre honneur et notre foi seront tous en grand danger. »

    Pour cette raison, explique le Nawab, il faut soutenir, de manière égoïste, l’autorité de la Grande-Bretagne, de la manière la plus loyale.

    On a ici le développement naturel de l’activité de Syed Ahmad Khan.

    Et cela exprime une claire convergence des féodaux de la minorité musulmane avec le colonialisme britannique, très heureux de trouver des alliés dans son travail de stabilisation de la situation afin de perpétuer sa domination.

    Dans ce cadre, les Britanniques mirent en place en 1909 une séparation électorale entre hindous et musulmans ; en 1919, il en alla de même pour les Européens, les chrétiens, les Sikhs.

    C’était la voie ouverte pour les partis communautaires, la Ligue musulmane en premier lieu.

    Initialement, le nombre d’adhérents à la Ligue musulmane était limité à 400, avec un revenu annuel important exigé pour pouvoir être membre ; la constitution votée lors de la première conférence, à Karachi, s’appuyait sur un projet établi tout d’abord à Dacca, puis à Aligarh, alors que fut nommé président Aga Khan III, chef de file religieux des ismaéliens nizârites.

    La Ligue musulmane représentait des forces féodales, dont le capital accumulé tient entièrement à une position aristocratique dans un cadre musulman. La remise en cause de ce cadre signifiait simplement la perte de la base de la production de cette richesse.

    Cependant, la première guerre mondiale fit évidemment vaciller la confiance en la domination de la Grande-Bretagne sur l’Inde, alors que le mouvement pour l’indépendance s’amplifiait également. La Ligue musulmane avait grandi, mais les possibilités de se placer sous l’égide de l’empire britannique s’amenuisait clairement.

    Le sol commençait à se dérober sous les pieds des forces féodales musulmanes. Pour cette raison, grâce au rôle d’intermédiaire de Muhammad Ali Jinnah, un musulman membre du Congrès national indien, ce dernier réalisa avec la Ligue musulmane le pacte de Lucknow en 1916.

    Ce pacte exigeait de la Grande-Bretagne, à la sortie de la première guerre mondiale, un gouvernement proprement indien, avec également 1/3 des places du gouvernement central qui soient réservés aux musulmans.

    Pour les musulmans de l’Inde, c’était le début d’une fuite en avant : puisque l’empire britannique reculait et qu’aucun retour en arrière n’apparaissait comme possible, alors il fallait faire monter les enchères, faire vibrer l’identité, développer un fondamentalisme.

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  • Syed Ahmad Khan et l’inquiétude de l’Islam autrefois dominant

    Il faut souligner ici deux faits importants datant de la domination britannique et mettant symboliquement à mal l’influence musulmane sur le sous-continent indien.

    Tout d’abord, l’anglais devint la langue prédominante selon le English Education Act de 1835, ce qui mit de côté le persan dans les hautes cours juridiques. Le persan fut également mis de côté par un Act de 1837 imposant une langue indienne vernaculaire comme langue officielle locale.

    Ensuite, l’ourdou qui avait pris en partie la place du persan fut également lui-même écarté sous la pression des partisans du hindi.

    L’ourdou et l’hindi sont historiquement la même langue, le premier étant pratiqué par les musulmans (et écrit en s’appuyant sur l’alphabet arabe), le second par les hindous (et écrit en s’appuyant sur l’alphabet Devanagari issu du sanskrit), avec parfois le terme de hindoustani pour éviter toute connotation religieuse.

    Le poète Nusrati écrivant (en 1657) Gulshan-i ʿishq, Le Jardin de roses de l’amour, 1743

    En 1872, le hindi remplaça ainsi l’ourdou dans neuf districts des provinces centrales (l’actuel Madhya Pradesh).

    Avec la fondation en 1885 du parti politique dénommé Congrès national indien (avec bientôt Mohandas Karamchand Gandhi à sa tête), il apparaissait comme évident, aux yeux d’une partie des intellectuels musulmans et bien sûr des féodaux, que la communauté musulmane voyait son hégémonie historique entièrement s’évanouir.

    C’est alors Syed Ahmad Khan qui prit les rênes des revendications musulmanes.

    Syed Ahmad Khan

    S’il travailla pour la East India Company et resta loyaliste envers l’empire britannique, y compris durant la révolte des cipayes de 1857, Syed Ahmad Khan était intransigeant à l’encontre du Congrès national indien, y voyant une force portée par l’hindouisme pour phagocyter la communauté musulmane.

    Il développa alors la thématique selon laquelle il existait plusieurs nations dans le Raj britannique, les hindous n’en formant pas une en tant que telle, ce qui était par contre le cas pour les musulmans. Dans un discours à Lucknow en 1887, il affirma ainsi :

    « Quelle est notre nation ? Nous sommes ceux qui ont dirigé l’Inde pour six ou sept cent ans (…).

    Notre nation est du sang de ceux qui ont fait trembler non seulement l’Arabie, mais également l’Asie et l’Europe.

    C’est notre nation qui a conquis par son épée l’ensemble de l’Inde, bien que ses peuples avaient la même religion. »

    Dans un discours à Meerut, en 1888, Syed Ahmad Khan exposa de la manière suivante la question des « deux nations » qui se poserait inévitablement en l’absence du pouvoir britannique :

    « Supposons que tous les Anglais, et l’ensemble de l’armée anglaise, quittait l’Inde, prenant avec eux tous les canons et toutes leurs splendides armes et tout, alors qui seraient les dirigeants de l’Inde ?

    Est-il possible que dans de telles circonstances, deux nations – les musulmans et les hindous – pourraient s’asseoir sur le même trône et resteraient égaux en pouvoir ? Très certainement pas.

    Il est nécessaire que l’un deux subjugue l’autre et écarte l’autre. Espérer que les deux restent égaux est désirer l’impossible et l’inconcevable. »

    Pour cette raison, il fallait selon Syed Ahmad Khan appuyer le pouvoir britannique, afin d’empêcher la mainmise hindoue sur l’Inde, et cela signifiait aussi élever considérablement le niveau de connaissance de l’élite musulmane, dans le domaine de la langue anglaise, mais également sur le plan des sciences, des techniques.

    Il fallait que la communauté musulmane s’abstienne de toute politique, tout en se montrant indispensable au pouvoir britannique.

    C’est pourquoi Syed Ahmad Khan fonda une « association patriotique » en 1888, puis une « association de défense musulmane anglo-orientale », en 1894, ainsi que dans le domaine de l’éducation, l’université à Aligarh, le Muhammadan Anglo-Oriental College, en 1875, ainsi que la All India Muhammadan Educational Conference, en 1886.

    Lui-même mourut en 1899, mais son positionnement eut un succès très important, refaçonnant toute la perspective de l’élite musulmane.

    La conséquence la plus concrète fut la formation de la Ligue musulmane.

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  • Les populations musulmane et hindoue dans le Raj britannique et la théorie des deux nations

    Le Royaume-Uni a colonisé « les Indes » ; le territoire est passé à partir de 1757 sous la coupe de la « Compagnie des Indes orientales », avant d’être administré directement par le gouvernement britannique assumant le contrôle du pays.

    Pour comprendre la question musulmane dans l’Inde britannique, il faut regarder la proportion de musulmans et d’hindous.

    La part de la population musulmane en Inde en 1909

    Voici les chiffres des documents officiels de l’empire britannique à l’époque.

    Date du recensementPopulation hindouePopulation musulmane
    1867/1876139 343 82040 867 125
    1901158 601 28853 904 517
    1911163 621 43157 423 889

    C’est l’un des points les plus importants et les plus significatifs : la population musulmane est importante, mais les Hindous sont trois fois plus nombreux. Cela tient à ce que les Indes ont été colonisées par les conquérants musulmans avant de l’être par le colonialisme britannique.

    Le Nord des Indes devient le Sultanat de Delhi au 13e siècle et la conquête se prolongera jusqu’à l’empire des Moghols.

    Cet empire, c’est notamment le fameux Taj Mahal ; c’est également pour le suzerain un trône en or serti de 26 733 pierres précieuses, pour un prix équivalant à l’époque à la construction du château de Versailles.

    En pratique, la domination moghole était classique de l’Islam : la conquête militaire produit un État militaire, qui exerce un pouvoir centralisé et vit des tributs organisés administrativement de manière toujours meilleure. Cela instaure une féodalité, mais militarisée et encore largement liée à la logique du mode de production esclavagiste.

    Le Taj Mahal dans les années 1870

    Un tel système ne pouvait qu’entrer en décadence et, naturellement, ne faisait pas le poids face au colonialisme britannique porté par le capitalisme en pleine lancée.

    Le contraste justement entre la prépondérance de la minorité musulmane de l’époque précédente et la gestion coloniale britannique va provoquer une profonde inquiétude dans l’élite musulmane, bien entendu avant tout composée de féodaux.

    Ce n’était pas seulement que, désormais, l’hindouisme et l’Islam apparaissaient comme équivalents, somme toute, face à l’empire britannique dirigé par des chrétiens.

    C’est surtout – et c’est là absolument capital – que cela remet en cause la lecture tant des élites musulmanes que celles des hindoues.

    Avant la colonisation, les musulmans considèrent l’hindouisme comme les restes d’une invasion qui n’est pas allée jusqu’au bout. Ils pensent que l’hindouisme va s’effacer. Inversement, les hindouistes considèrent l’islam comme le produit d’une invasion, et pensent donc qu’il va disparaître car formant un phénomène étranger.

    Le colonialisme britannique vient annuler les prétentions des uns et des autres.

    Le poète de langue ourdou Mir Taqi Mir, 1786

    Cela impose une coexistence, qui de fait existait déjà, mais pas dans les imaginaires, pas dans les idéologies. Il y avait bien sûr des échanges religieux, des emprunts et des influences, ainsi que la naissance de syncrétismes. L’empereur Akbar essaya même d’impulser une Dîn-i-Ilâhî (religion de Dieu) pour relier Islam et hindouisme.

    Mais les Moghols exprimaient la logique féodale-militaire de conquête de l’Islam, avec une tendance à l’esclavagisme, ce qui n’était aucunement capable de donner naissance à un phénomène idéologiquement supérieur.

    Il y avait donc de la part des Moghols à la fois une acceptation qu’une majorité de la population des Indes était païennes, une volonté de convaincre, une envie de réprimer, une grande tolérance et une féroce agressivité.

    Ce fut d’autant plus la panique sur le plan idéologique avec le colonialisme britannique et c’est là que naît la « théorie des deux nations ».

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  • La mise en place du Raj britannique

    L’impérialisme colonial britannique en Inde, comme celui des autres nations de cette époque, a été mené initialement par une Compagnie commerciale, c’est-à-dire un monopole de marchands capitalistes agissant dans le cadre d’un contrat avec l’État britannique : l’East India Company, fondée en 1600.

    Cette Compagnie, inspirée des premières associations de marchands formées dans la féodalité méditerranéenne, arabe puis latine, fut même un modèle du genre, inspirant la fondation de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (Vereenigde Oostindische Compagnie) en 1602, en attendant les Compagnies françaises fondées par Colbert, en tant que Compagnie du levant et Compagnie des Indes, quelques décennies plus tard.

    L’East India Company peut compter sur les forces armées britanniques pour étendre son influence auprès des royaumes féodaux d’Inde, jouant sur leurs contradictions internes, notamment religieuses, et sur les allégeances concurrentes, aux Français notamment.

    La Guerre de 7 ans, opposant les colonialismes français et britannique par l’intermédiaire de leurs Compagnies, en Amérique et en Inde notamment, donne l’avantage définitif aux seconds.

    L’East India Company étend progressivement sa « protection » militaire, commerciale et administrative notamment sur le principal État féodal indien : l’Empire moghol, fondé par une dynastie turco-mongole de culture persane.

    L’empereur moghol Akbar avec des jésuites et des représentants de différentes religions, fin du 17e siècle

    L’Empire moghol est démantelé de fond en comble par l’East India Company suite au traité Surji-Anjengaon en 1803, la Compagnie faisant feu de tout bois pour élever toutes les contradictions (y compris religieuses) de l’Empire en sa propre faveur.

    Mais sa pression continue entraîne en 1857-1858 la grande révolte dite des Cipayes, nom donné aux soldats indigènes de l’armée coloniale de l’East India Company et formé sur le persan sipayi (soldat), composés tant de combattants hindous que musulmans.

    Cipayes dépendant de la France à Pondichéry en 1905

    Formellement, la révolte démarra avec la découverte par ces soldats que la graisse enrobant les cartouches à déchirer avec les dents pour charger leurs fusils était lubrifiée au moyen de graisse de porc ou de bœuf, deux animaux relevant d’un interdit religieux.

    La révolte est cependant le fruit d’une société dépassée par la dimension capitaliste moderne du colonialisme britannique. La révolte des Cipayes fut brutalement écrasée, l’armée britannique faisant notamment exécuter les officiers indiens révoltés en les attachant à la bouche d’un canon.

    C’était la fin de l’empire moghol, avec comme dernier avatar une proclamation faite à Azamgarh en 1857 par Firoz Shah, petit-fils de l’empereur Muhammad Bahadur II (1837-1858). Celle-ci est explicitement adressée aux plus riches et aux moudjahidines, pour qu’ils se rebellent contre le colonialisme britannique et que les hindous se rallient à eux.

    L’empereur déchu Bahadûr II présenté comme un calligraphe, milieu du 19e siècle

    La Couronne britannique prit ensuite directement en main l’administration de l’Inde et de sa conquête, c’est la fin de l’East India Company et le début du Raj britannique, c’est-à-dire de l’Empire des Indes.

    Le Raj reprend largement les bases de l’Empire moghol, et des autres principautés féodales.

    Pour cela, il ôta tout pouvoir militaire aux gestionnaires – fonctionnaires des différents territoires, tout en les transformant en grands propriétaires terriens pour en faire des subordonnés, leur reconnaissant toute une série de statuts : Maharaja, Raja et Rai, Babu, Malik, Chaudhary et Chowdhury, Nawab (ou Navab), Munshi, Khan, Sardar.

    L’empereur déchu Bahadûr II (au centre, assis) entouré de ses fils Mirza Jawan Bakht et Mirza Shah Abbas, vers 1858

    Il y a donc, pour la première fois, une unification des « Indes », mais c’est réalisé depuis l’extérieur, par l’impérialisme britannique qui compte perpétuer les bases de sa domination. Le colonialisme, ouvert ou bien masqué, a toujours besoin d’un socle féodal.

    Les Britanniques jouèrent à fond sur ce plan ; c’est une époque où il y a une mise en valeur « rationalisée » et modernisée des bases féodales de l’Inde, notamment avec les études systématiques par les savants britanniques des textes de l’hindouisme, et il en sera de même pour l’Islam, les traditions bouddhistes, zoroastriennes, etc.

    Concrètement, le Raj britannique s’instaura en utilisant toutes les variantes du féodalisme indien déjà présentes, en jouant sur leurs variété interne, dans une perspective séparatiste imposant l’unification par le haut, par l’administration et l’armée britannique.

    Cela permit à l’empire britannique de devenir la première puissance mondiale, avec comme principale figure la reine Victoria (1837-1901) couronnée en 1876.

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