La dénonciation des néo-socialistes par Léon Blum et le tournant unitaire

Les formes de la lutte révolutionnaire, paru dans le Populaire le 31 juillet, formule clairement une redéfinition de la stratégie socialiste. Il est en effet parlé par Léon Blum de la nécessité de la violence à bas niveau dans le cadre de l’antifascisme, et de celle de l’unité des ouvriers et de leurs organisations.

C’est là entièrement modifier l’orientation gouvernementale – réformiste de la SFIO jusque-là pour converger au moins en partie avec le Parti Communiste Français en raison de l’antifascisme.

Léon Blum va si loin dans cette convergence que, sachant bien évidemment que le Parti Communiste Français c’est finalement avant tout la CGT Unitaire, il dresse un éloge de la grève générale, revenant ainsi à l’identité de la SFIO d’avant 1914.

Voici cet article :

« La motion de Toulouse nous a instruits à distinguer entre les coups de main insurrectionnels, vaines « escarmouches » de la bataille révolutionnaire et les vastes mouvements collectifs traduisant « l’émotion générale et profonde » des masses prolétariennes.

C’est en réalité cette distinction devenue classique pour nous que Paul Faure a reprise dans le passage de son discours qui a suscité de si singuliers commentaires. Oui, certaines formes de l’offensive ouvrière sont devenues aujourd’hui quelque chose d’archaïque et de « périmé ».

Oui, les grands tableaux du passé, depuis les sans-culottes jusqu’aux fédérés, si vivants dans notre mémoire, n’ont plus pour nous que la valeur d’une légende à la fois historique et lyrique ; il est utile de le rappeler parfois à ceux sur qui celte légende conserve une prise, en raison de son héroïsme même.

Mais, quand on a fait ce rappel, on n’a pas nié pour cela la nécessité d’organisations de combat ouvrières. Et surtout, on n’a pas renoncé pour cela à d’autres formes d’offensives de masses, à celles qui sont précisément adaptées aux conditions de la vie moderne.

C’est entendu : les organisations de combat ouvrières, les milices, les groupes de choc seront toujours hors d’état de livrer des batailles rangées contre les armes modernes ou même contre les polices modernes, équipées sur le modèle des armées.

Mais tel n’est pas non plus leur rôle ni leur but. Leur rôle est la défense et la protection ; leur but est de maintenir la liberté de la rue, la liberté des réunions.

Même munies de simples bâtons, même munies de leurs seuls poings, elles peuvent remplir ce rôle et atteindre ce but : la preuve en a été faite en Autriche, en Belgique, même en France.

Ce n’est pas là chose indifférente : si nous laissions s’établir dans le pays la conviction que le socialisme cède et mollit devant les jeunesses patriotes, les croix de feu et autres camelots du roi, qu’il leur abandonne sans résistance la maîtrise des réunions, de la rue, nous aurions fourni par là même le plus dangereux aliment à la propagande fasciste.

A l’inverse, tout acte de résistance énergique et efficace inspirera un nouvel élan de confiance aux masses qui nous suivent.

Mais cela c’est la défensive courante locale. Pour les défensives de grand style, comme pour l’offensive, pour résister à de véritables coups d’Etat fascistes, comme pour appuyer la conquête révolutionnaire du pouvoir, la classe ouvrière dispose de deux armes qu’il lui appartient de rendre efficaces.

La première est la propagande socialiste elle-même, en tant qu’elle a pénétré l’armée, la police, les cadres des services publics, en tant qu’elle est devenue capable de neutraliser et peut-être de retourner les mitrailleuses – ainsi qu’il advint somme toute pour les révolutions politiques du XIXe siècle. La seconde reste la grève générale.

J’ai été surpris, je l’avoue, de voir la grève générale tenir une place si effacée dans les motions soumises au congrès, sur les « méthodes de lutte pour la conquête du pouvoir ».

J’ai assisté, pour ma part, à l’éclosion et au développement de l’idée [Léon Blum est né en 1872] . J’ai pu constater quel enthousiasme avait soulevé dans la classe ouvrière la certitude de tenir dans ses mains une arme révolutionnaire forgée par elle, ou plutôt issue d’elle, qui fût à la fois son oeuvre propre et son bien propre.

Sans doute y avait-il un excès dans cette première exaltation, sans doute était-elle marquée de ce que nous appellerions aujourd’hui un caractère mystique. Mais je me demande si les défaites subies par la classe ouvrière en Italie et en Allemagne ne nous rejettent pas aujourd’hui dans l’excès contraire.

La grève générale n’a pas échoué en Allemagne, elle n’a pas même été essayée, ce qui est pis. Mais je demeure convaincu, quant à moi, qu’elle demeure le moyen suprême de défense et de conquête du prolétariat, un moyen qui n’appartient qu’à lui, dont nul ne peut le frustrer, et qu’il dépend de lui seul de rendre irrésistible.

Notre propagande devrait s’appliquer à ranimer dans les masses ouvrières cette confiance quelque peu atteinte.

Seulement, ne nous dissimulons pas que sa pleine efficacité dépend de trois conditions : la première est la pénétration de la pensée socialiste dans les masses paysannes, pénétration poussée assez profondément pour entretenir en elles un sentiment de solidarité avec les masses ouvrières.

La seconde est une coordination étroite d’action entre les organisations politiques du prolétariat et ses organisations coopératives.

La troisième – et d’ailleurs l’essentielle – est, comme bien l’on pense, l’unité organique du prolétariat.

La première est somme toute en heureuse voie d’accomplissement. La façon la plus sûre de préparer à la fois la défaite fasciste et la victoire socialiste est de travailler à la réalisation des deux autres. »

L’article Les formes révolutionnaires du 31 juillet 1933 est un tournant pour la SFIO, et son origine tient à une réfutation des néo-socialistes. Cela modifie toute la position de la SFIO dans le cadre politique, notamment et principalement son rapport aux communistes. On ne peut pas comprendre le Front populaire par la suite sans saisir cela.

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La vaste campagne de rectification quotidienne anti-néo-socialiste de Léon Blum

L’article paru dans le Populaire du 19 juillet 1933 ne fut que le premier de ce qui fut une véritable campagne politique. Suivirent ainsi différents articles de Léon Blum, tous publiés en première page du Populaire.

Cela commença par Le double danger le 20 juillet, reconnaissant la course au pouvoir engagée entre le fascisme et le socialisme. Cela fut suivi de Document-massue le 21 juillet, qui fait référence à la réaction du fascisme italien voyant en les néo-socialistes au congrès de la SFIO la preuve du progrès de la conception fasciste.

On a alors Autre document-massue le 22 juillet, qui fait référence à la réaction du national-socialisme allemand voyant pareillement quelque chose de victorieux en les néo-socialistes au congrès de la SFIO.

La peste brune ou noir ne doit pas passer par là, le 23 juillet, souligne la nécessité d’une barrière infranchissable avec le fascisme, l’absence complète de confusion.

La période intermédiaire, le 24 juillet, qui tente de formuler la question entre capitalisme et socialisme et constate :

« Je me demandais si, par analyse ou par correspondance avec ces formes intermédiaires du pouvoir politique généralement introduites par le capitalisme lui-même pour prolonger sa résistance et son existence, on ne verrait pas apparaître des formes sociales intermédiaires, elles aussi, entre le capitalisme à l’état pur et le socialisme réalisé.

En fait, des constructions de cet ordre s’élaborent actuellement sous nos yeux et il est exact qu’elles se circonscrivent dans des cadres nationaux.

Le bolchevisme avait déjà conçu et réalisé en grande partie, dans le cadre national, un type de société qui élimine le principe juridique de la propriété capitaliste, sans régénérer les conditions politiques, morales, matérielles de l’existence des travailleurs.

A l’inverse, le racisme et le fascisme, agissant eux aussi dans le cadre national, manifestent l’intention et la prétention de transformer les conditions politiques. morales, matérielles de l’existence des travailleurs, voire les conditions de la production elle-même, tout en préservant le principe juridique de la propriété capitaliste.

Si l’expérience américaine se poursuit, les formes originales de l’intervention de l’État qu’elle met en jeu pourront également aboutir à une variété sociale d’un type original. »

La leçon de l’Histoire, le 25 juillet, réfute de suivre les « aspirants au pouvoir fort » (comme le général Boulanger, suivi alors par la moitié de la direction du Comité révolutionnaire central, socialiste blanquiste).

Deux formes intermédiaires, le 26 juillet, engage le socialisme international à ne soutenir des expériences imparfaites, comme le capitalisme d’État dans un Etat prolétarien tel en URSS ou l’autocratie capitaliste qui avec Roosevelt utilise l’État pour parvenir sans doute à une forme « intermédiaire ».

Le point vif, le 27 juillet, rappelle que tous les socialistes sont d’accord à ce que, une fois les socialistes au gouvernement, ils poussent les masses de telle mesure à aller au socialisme en dépassant le simple cadre de l’exercice du pouvoir dans le cadre capitaliste.

La conquête du pouvoir, le 28 juillet, précise que dépasser le simple cadre de l’exercice du pouvoir dans le cadre capitaliste ne peut pas se faire sans perspective à plus ou moins court terme d’une « société internationale fondée sur la liberté totale et sur la démocratie absolue ». Sinon le régime transitoire devient permanent comme en URSS ou supprime le principe même de légalité comme le veulent les néo-socialistes (de la tendance Révolution constructive, Léon Blum ne mentionnant pas la tendance « néo » la plus acharnée).

Réforme et révolution, le 30 juillet, résume donc :

« Pas d’estampille socialiste sur les types transitoires qui pourront s’interférer dans le cadre national, entre le capitalisme classique et la révolution sociale. »

Les socialistes, comme le rappelle Léon Blum, pratiquent en effet une ligne de réformes en attendant le moment de la révolution sociale, qui doit être donc bref et avoir une portée internationale.

Mais il faut bien prendre parti dans le cadre de la montée du fascisme. C’est là que se produit le grand tournant, Léon Blum reconnaissant la nécessité d’une modification de ligne, c’est-à-dire concrètement d’une alliance au sein de la SFIO du centre avec l’aile gauche.

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La longue considération de Léon Blum sur la catastrophe néo-socialiste

L’irruption du discours néo-socialiste en plein congrès de la SFIO fut une catastrophe et provoqua une onde de choc terrible. Personne ne pouvait nier qu’une tendance fasciste s’était exprimée historiquement au sein de la SFIO, de manière « naturelle », donnant au fascisme une sorte de validité historique.

Léon Blum ne chercha nullement à cacher les faits, bien au contraire. Il pouvait même agir d’autant plus aisément qu’il était le directeur politique du Populaire et que ses articles en première page indiquait littéralement la ligne à suivre aux lecteurs du quotidien en général et aux membres de la SFIO en général.

Le 14 juillet 1933, le premier jour du congrès, un long article en première page du Populaire consistait ainsi en une dénonciation du concept de « pouvoir total » employé par la « bataille socialiste », présentée comme une preuve d’impatience et une erreur attribuant la toute-puissance à la politique, tout comme du côté participationniste. Il reprit même ce thème le lendemain.

Le congrès, qui s’était déroulé du 14 au 17 juillet 1933, à Paris, marquait cependant une majorité pour la « bataille socialiste ». Léon Blum se vit alors coincer entre l’aile gauche désormais dominante et l’aile droite portée principalement par les néo-socialistes.

Le SFIO risquait de se déchirer, aussi prit-il le parti de présenter les néo-socialistes comme la principale menace, avec la considération qu’une dénonciation de ceux-ci permettraient de maintenir le cadre général de la SFIO.

Léon Blum en 1932

Léon Blum commença ainsi par reprendre la base de ses propos tenus au congrès dans son article Parti de classe et non pas Parti de déclassés, paru dans le Populaire du 19 juillet 1933, abordant ouvertement la question de cette naissance d’un mouvement fasciste au sein même de la SFIO.

« Au Congrès, pendant la séance de dimanche matin, j’ai interrompu de ma place le discours de notre camarade Marquet en laissant échapper cette exclamation : Je suis épouvanté.

Mon « épouvante » n’a pas diminué à la réflexion.

Elle n’a fait que croître, au contraire, à la lecture des commentaires de la presse, dont assurément nos camarades ne sont ni coupables ni comptables, mais que leurs déclarations devaient fatalement susciter.

La nouvelle est maintenant lancée, sensation est maintenant créée dans le grand public, qu’en plein Congrès de la Section Française de l’Internationale le manifeste d’un parti socialiste national – pour ne pas dire national-socialiste – vient d’être défini avec éclat.

Avant d’exprimer mon « épouvante », j’avais manifesté déjà mon inquiétude. Je l’avais fait en trois articles du Populaire, peut-être un peu trop denses, peut-être abstraits et obscurs, mais à travers lesquels il n’était cependant pas difficile de discerner la cause de mes préoccupations.

L’idée du péril fasciste occupe aujourd’hui les esprits.

Rien n’est plus naturel. J’estime pour ma part qu’en ce qui concerne la France, on en parle trop et même qu’on y pense trop. Il est un peu du fascisme comme de la guerre qu’on rend inévitable dès qu’on la considère comme fatale.

On crée ainsi une première habitude, une première accoutumance des esprits. Ceux qui redoutent le plus le fascisme contribuent ainsi à sa propagande secrète en même temps que ceux qui l’appellent. Néanmoins, je le répète, rien n’est plus naturel que cette obsession.

Mais ce que je redoutais, c’est qu’en voulant barrer la route du pouvoir au fascisme, en voulant occuper avant lui le pouvoir, on ne se jetât plus ou moins consciemment à sa suite. C’est qu’en voulant détourner du fascisme sa clientèle possible, on n’en vînt à offrir an même public, par les mêmes moyens de publicité, un produit à peu près analogue.

Je redoutais qu’on transformât ainsi le socialisme, parti de classe, en un parti de déclassés.

Je redoutais qu’en procédant, comme le fascisme, par un rassemblement de masses confuses, en faisant appel, comme lui, à toutes les catégories d’impatiences, de souffrances, d’avidités, on ne noyât l’action de classe du Parti socialiste sous ce flot d’« aventuriers » – aventuriers, bien souvent par misère et par désespérance – qui a porté tour à tour toutes les dictatures de l’histoire.

On ne détruit pas l’idéologie fasciste en la plagiant ou en l’adaptant. Bien du contraire, on la fortifie.

On ne rajeunit pas le socialisme en détruisant toutes les notions organiques et toutes les méthodes de lutte sur lesquelles il repose.

On ne sauve pas les libertés par l’autorité, ou bien on les sauve selon la manière bien connue d’Ugolin qui dévorait ses enfants pour leur conserver un père.

Mon inquiétude, on le voit, était suffisamment justifiée.

Après le discours que j’avais interrompu, j’ai, à mon tour, porté mon « épouvante » à la tribune du Congrès.

Je l’ai expliquée dans un discours trop long sans doute par sa durée et où cependant, me prononçant sur beaucoup de questions différentes, j’étais réduit à trop de concision sur chacune.

J’ai dû procéder par une suite de projections rapides et de formules condensées – formules qu’il était trop facile ensuite d’isoler et d’exploiter. La presse de réaction, venue tout entière à la rescousse, s’est chargée avec empressement de ce travail.

Je demande aux lecteurs du Populaire la permission de reprendre ma démonstration plus à l’aise et, si je puis, plus claire ment, mais sans changer en rien le fond de ma pensée. Les trois articles que j’ai publiés, la semaine dernière me serviront, s’il le faut, de témoins.

Tous nos militants le comprennent : nul problème n’est plus grave, pour le Parti. C’est sa raison d’être qui est en cause. »

C’était là le début d’une vaste campagne de rectification : il fallait éteindre le feu qui allait engloutir la SFIO.

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L’opposition néo-socialiste lors du congrès de la SFIO de 1933

Dès le vote effectué et les résultats annoncés au congrès de la SFIO de juillet 1933, Pierre Renaudel prit la parole pour lire une déclaration des néo-socialistes, qui annonçaient leur rébellion. Le succès de la « bataille socialiste » au congrès impliquait en effet qu’à la prochaine incartade, ils seraient exclus conformément aux statuts ; la motion de la « bataille socialiste » en faisait même l’avertissement solennel.

Pierre Renaudel

Ce qui est ironique historiquement, c’est que cette rébellion est le strict équivalent du coup joué par Léon Blum au congrès de Tours de 1920 pour provoquer un vaste sabotage et récuser le vote. La SFIO a toujours connu en fait un affrontement majorité/minorité virulent et source d’instabilité, avec une minorité pratiquant le chantage à la scission.

Les néo-socialistes récusent en effet l’issue du congrès :

« Une lecture, pas de commentaires ; aucun commentaire. [Pierre Renaudel lit la déclaration néo-socialiste :]

Les militants et les élus qui se sentent atteints par la décision disciplinaire du Congrès, protestent contre celle-ci et ne peuvent l’accepter.

Les hommes qui ont eu à assumer jusqu’ici les lourdes responsabilités du Parti, en prenant l’initiative d’une telle décision ou en lui donnant leur assentiment ont risqué d’amener une sorte de scission morale capable de menacer et d’ébranler l’unité du Parti.

Ils ont brisé la solidarité cordiale qui doit nécessairement accompagner la discipline librement et volontairement acceptée dont ils avaient la garde.

Cette décision enlève au Groupe socialiste autorité tout à la fois pour la lutte quotidienne au Parlement et pour l’action de propagande et de recrutement à laquelle le Groupe participe dans le pays aux côtés des militants.

La menace d’exclusion qui l’accompagne dès aujourd’hui ne laisse aucun doute sur les suites qu’on entend lui donner.

A l’encontre de cette décision, nous affirmons, une fois de plus, la conviction que le Groupe socialiste, par son attitude et ses votes, a servi les intérêts de la classe ouvrière et du Socialisme, les libertés essentielles de la démocratie et l’organisation de la paix, quand il s’est refusé à servir d’instrument aux manœuvres de la réaction et à préparer le retour au pouvoir des vaincus des 1er et 8 mai 1932 : MM. Tardieu, Flandin, et leurs amis de la réaction, d’union nationale ou même de concentration, c’est-à-dire de tous ceux qui, en France, seraient inévitablement les fourriers du fascisme.

Demain, comme hier, le Groupe socialiste, ainsi que le Parti tout entier, aura encore le devoir de ne pas se résigner à une tactique d’abstention ou de passivité qui, bien que placée sous l’abri d’affirmations traditionnelles, symboliques et rituelles, laisserait passer les événements sans les marquer de l’empreinte du socialisme et de l’influence politique qu’il a conquise dans le pays.

Les règles de l’action auraient pu être déterminées ici dans cette amitié cordiale dont l’appel ne nous laissait pas insensibles et elles auraient été loyalement acceptées, si la majorité qui vient d’infliger le blâme, avait consenti à écarter un jugement où il y a plus de passion que de justice, et plus d’aveuglement tendancieux que de clairvoyance politique.

Nous ne renions ni la souveraineté du Parti, ni la nécessité de la discipline et nous sommes attachés autant que quiconque à une unité que nous voudrions indestructible.

Mais nous sommes obligés de déclarer qu’en rendant impossible la recherche de textes nouveaux destinés à l’accord, en rejetant notre motion de sauvegarde d’unité d’abord, en maintenant la proposition de sanctions ensuite, en la votant enfin, la majorité et les hommes responsables qui la dirigent ont rendu presque impossible toute entente véritable.

Nous rappelons, ici, que la majorité du Groupe parlementaire écrivait et signait des noms solidaires de quatre-vingts élus de la Chambre et du Sénat, ceci : ‘‘Les élus soussignés signalent aux militants que toute mesure qui tendrait à enlever au Groupe son initiative et sa responsabilité propres serait funeste à la vie intérieure et à l’action du Parti et que seule une politique claire peut apporter remède à une situation confuse, génératrice de malaise.

Entre une politique républicaine, animée par le socialisme et l’opposition, il n’y a plus désormais de position intermédiaire tenable, et c’est pourquoi il faut que le Parti, se dégageant enfin des équivoques choisisse entre ces deux politiques, et prenne franchement, honnêtement ses responsabilités.’’

Un motion de blâme n’est pas un choix politique.

Nous attendons encore que la majorité ait défini sa politique et dit franchement ce qu’elle entend faire désormais. Aux contraire, nos orateurs ont parlé avec clarté pour la classe ouvrière et pour le pays.

Ils ont montré que des événements et des circonstances identiques placeront le Groupe socialiste devant des responsabilités de même ordre. Ils ont apporté à la tribune du Congrès une volonté d’action et de méthode qui, en accord avec l’enseignement de nos maîtres et avec les principes et la doctrine établis par le Socialisme international répondent aux impatiences de la jeunesse ouvrière et paysanne et aux inquiétudes des masses.

On leur a répondu par l’expression d’une résignation dramatique en face du bouleversement du monde et des violences du fascisme. Il ne dépendra donc pas de nous que le choix d’une politique n’apparaisse pas avec netteté. Au surplus, celui-ci aurait pu dépendre de l’examen des problèmes posés pour la Conférence Internationale du 20 août.

Mais dominé et absorbé par ses préoccupations de sanctions, le Congrès n’a même pas eu le loisir d’en discuter sérieusement et il retrouverait devant lui toutes les motions clichées dont il eût convenu de faire table rase pour une recherche cordiale et loyale des méthodes d’action, si la plus importante fraction de la majorité n’estimait qu’il n’y a pas lieu pour elle de procéder à aucun vote et si elle n’avouait ainsi le singulier embarras dans lequel elle se trouve de définir une pensée et une politique communes à ses membres.

Notre minorité resta prête, à l’heure encore où nous parlons, à exprimer ses sentiments par le vote de ses motions qui sont connues sur la conquête du pouvoir, sur la lutte contre la guerre et sur l’unité socialiste et ouvrière.

Ces motions traduisent notre volonté de maintenir la tradition jaurèsienne de notre Parti. Elles comportent dans l’ordre intérieur : l’identification du socialisme et de la démocratie dont les libertés essentielles, notamment la liberté syndicale et le suffrage universel, doivent être défendues et étendues pour élargir la démocratie politique en démocratie sociale.

Dans l’ordre extérieur : elle comporte la volonté de lutter pour l’organisation de l’arbitrage international obligatoire dans les rapports entre les peuples ; de combattre pour l’élimination de la guerre, pour le désarmement général, simultané et contrôlé, sans pour cela refuser la reconnaissance de la Défense nationale…

[Mouvements divers dans les salles, cris dans les tribunes ou applaudissements, etc.]

Nous sommes prêts à attendre que la majorité du Parti socialiste déclare qu’elle ne reconnaît pas la défense nationale.

[Applaudissements, puis intervention d’une personne disant : « Mais pas en régime capitaliste. »]

Et permettez-moi de recommencer ma phrase puisqu’elle a été interrompue : de combattre pour l’élimination de la guerre pour le désarmement général simultané et contrôlé, sans pour cela refuser la reconnaissance de la Défense nationale dans les cas d’attaque et d’agression définis par les pactes particuliers ou généraux conclus en ces derniers temps entre les nations.

L’approbation qui nous est refusée, nous la chercherons au besoin dans l’Internationale même à laquelle nous sommes attachés et qui est instruite aux leçons de l’expérience. En attendant et dès ce jour, jusqu’en octobre, nous soumettrons aux fédérations et à l’opinion publique le différend profond qui continue de nous diviser.

[Huées, applaudissements, bruit prolongé.]

Dans la crise du capitalisme et du socialisme, nous représentons une volonté agissante pour sauver la démocratie du désordre, les peuples du chaos et l’humanité de la guerre et nous sommes certains d’avoir avec nous l’opinion républicaine et, socialiste de ce pays.

[Applaudissements, huées, sifflets, L’Internationale est entonnée, ovations agitation générale et rassemblements épars, jusqu’à l’arrivée du chef de la motion victorieuse au congrès, Paul Faure, qui prend la parole.]

Cette ambiance électrique témoigne du conflit immense au sein d’une SFIO qui, par son choix de refuser la crise générale du capitalisme, voyait au moment où celle-ci devenait prégnante, s’affronter ceux désireux de participer au gouvernement, à l’État, et ceux partisans d’un style « socialiste français » d’avant 1914.

Et il n’y avait pas d’issue en vue puisque le participationnisme était une conséquence logique de l’orientation non communiste de 1920 et que le principe socialiste était d’accepter toutes les tendances.

De fait, quand Marceau Pivert demanda dans la foulée l’exclusion des néo-socialistes, l’écrasante majorité du congrès n’accepta même pas de voter à ce sujet, malgré la situation. La commission des résolutions avait également initialement refusé la demande de Marceau Pivert.

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Le succès de la « bataille socialiste » dans la SFIO en 1933

Au moment du congrès de juillet 1933, la SFIO s’appuyait sur 5 000 sections, pour 120 000 membres. Sa taille était la même que la SFIO de 1914 ; en 1920, lors de la séparation des communistes il était également parlé de garder la « vieille maison », selon la formule de Léon Blum.

La ligne pratiquée fut cependant grandement modifiée par rapport à avant 1914. En raison en effet de la scission du congrès de Tours de 1920, où les socialistes étaient une minorité par rapport aux communistes, c’est l’aile droite des socialistes qui eut initialement le dessus, alignant la SFIO vers une position pro-gouvernementale, en direction des radicaux.

Historiquement, les socialistes avaient toujours été coupé en deux entre une aile droite et une aile gauche, la première se tournant vers le régime républicain, les radicaux, la franc-maçonnerie, la seconde se focalisant sur une orientation « socialiste française » pétrie dans l’attente de la grève générale.

En 1920, les communistes emportent l’aile gauche et la SFIO n’a comme seule orientation de se raccrocher au régime d’une manière ou d’une autre, puisqu’elle nie la crise générale du capitalisme.

Une faible opposition de gauche apparut pour cette raison seulement en novembre 1926 avec la « résistance socialiste », qui devint rapidement la « bataille socialiste » et produisit une revue mensuelle du même nom à partir de juin 1927, sur une ligne de lutte de classe affirmée, comme le précise la présentation dans le premier numéro :

« Contre l’affaiblissement de la conception générale d’action de classe qui s’est manifestée dans les diverses formes de l’activité du Parti, ils veulent agir vigoureusement et ils pensent que les événements en mettant en relief l’accentuation des antagonismes de classe, indiquent au socialisme sa véritable voie. »

Son dirigeant était Jean Zyromski, épaulé de Bracke, vieille figure socialiste issu du Parti Ouvrier Français.

En 1927

Voici comment Jean Zyromsky raconte son cheminement jusqu’à la SFIO, dans le Midi socialiste du 20 mars 1931. Dans sa première jeunesse il est républicain, mais à 20 ans il adopte le point de vue socialiste dans sa version française :

« Survint en 1910 la grève des cheminots, continue Zyromski. Et là, je fus frappé par un facteur d’ordre psychologique : Je vis la lutte de classe en fait. Lorsque la grève eut été brisée par le coup de force de Briand, j’ai senti pleinement ce qu’étaient les oppositions de classes.

Je méditai aussi sur l’attitude des gouvernants à propos de la réintégration des cheminots. Bref je compris ce qu’était la force de coercition d’un État mettant ses institutions militaires au service d’une classe et refusant ensuite d’intervenir, ne remplissant pas sa tâche d’arbitrage. Tu vois sur quel terrain juridique je me plaçais.

A partir de ce moment, je devins socialiste. En 1912, il y eut, aux élections municipales, une lutte très âpre entre le Parti et les radicaux. J’ai voté pour la liste socialiste, et quelques mois après j’ai adhéré au Parti.

En 1913, j’ai soutenu ma thèse sur : la protection légale du salaire. C’était une thèse socialiste. Mon président me reprocha même d’être « un théoricien de parti ».

– Et maintenant, dis-moi quels sont les socialistes qui ont eu le plus d’influence sur toi ?

– J’ai été influencé par la pensée de Guesde. Mais lui, je ne l’ai connu qu’à la fin de sa vie. C’est Bracke qui m’a fait comprendre le caractère scientifique du socialisme, son fondement doctrinal.

Je dois dire que j’ai été influencé aussi par le syndicalisme révolutionnaire. Les écrits de [Hubert] Lagardelle [l’un des principaux théoriciens du syndicalisme révolutionnaire] m’ont montré ce qu’était le mouvement de la classe ouvrière, la dynamique ouvrière. »

En 1930, Jean Zyromski a trente ans et il prend la tête de l’ aile gauche socialiste de la SFIO qui suit le congrès de Tours, d’ailleurs pratiquement à lui tout seul initialement, tout en assumant diverses fonctions dans la SFIO : membre suppléant de la commission administrative permanente de 1920 à 1924, puis membre du Bureau à partir de 1926 comme secrétaire de la sous-commission des conflits jusqu’en 1929, secrétaire de la sous-commission de propagande jusqu’en 1931, puis secrétaire de la sous-commission des éditions et de la documentation jusqu’en 1933.

Son courant monte en puissance lentement mais sûrement : il s’oppose à la direction en avril 1927 au congrès de la SFIO à Lyon, en prônant une « politique d’unité ouvrière » tournant le dos aux partis « de démocratie bourgeoisie » ; la « bataille socialiste » obtint même alors 23 % des voix au congrès.

Au conseil national de la SFIO d’octobre 1929, Jean Zymroski parvint à faire triompher une ligne de non-participation au gouvernement, en allant jusqu’à un rappel à l’ordre du groupe parlementaire. Cela se réédita au congrès national extraordinaire en janvier 1930 causé par l’indiscipline prolongée du groupe parlementaire.

Jean Zymroski joua également un rôle important lorsque se forma en novembre 1930 un « Comité des 22 » avec des membres de la CGT et de la CGTU appelant à l’unité syndicale.

Jean Zyromski en 1932

Le congrès de la SFIO de juillet 1933 marquait de fait l’apogée de la « bataille socialiste », puisque sa motion portée par Paul Faure – qui avait rompu avec Léon Blum au niveau de la direction – obtint 55 % des voix (2 127 mandats), contre 19 % pour les participationnistes / néo-socialistes (752 mandats), 24 % pour l’aile droite (971 mandats), et 2 % pour l’Action socialiste qui prône de se tourner vers les communistes (94 mandats).

Il faut remarquer ici que le bastion de la « bataille socialiste », c’était la région parisienne, avec les Fédérations de la Seine et de la Seine-et-Oise, soit la région parisienne, elle-même le principal centre de gravité du Parti Communiste Français.

La ligne de la « bataille socialiste » est ainsi socialiste française comme strictement parallèle au Parti Communiste Français, considéré en quelque sorte comme un équivalent désorienté qu’il s’agit de remettre sur pied. Au congrès, Jean Zyromski expliqua en ce sens que :

« Prenons les faits. Faisons une constatation. Entre les deux branches du mouvement ouvrier, la branche social-démocrate et la branche communiste, entre ces deux grands courants existent des divergences incontestables que nous ne songeons point à nier.

Nous sommes de ceux qui, au Congrès de Tours, en 1920, avons déclaré impossible l’acceptation d’un certain nombre de thèses et conditions qui modifiaient substantiellement les conceptions révolutionnaires du mouvement ouvrier et qui transformaient d’une manière fondamentale les conceptions d’organisation de ce mouvement.

Ces divergences fondamentales qui sont à l’origine même de la scission de 1920 n’ont pas disparu ; nous le constatons, nous le reconnaissons, et lorsque nous préconisons, néanmoins, une politique active d’unité ouvrière, ce n’est point pour rechercher je ne sais quel compromis, je ne sais quelle transaction doctrinale avec le bolchevisme, mais, malgré l’âpreté des luttes, malgré les injures, malgré les violences, malgré la responsabilité criminelle de la politique de l’Internationale communiste à l’égard des partis sociaux-démocrates, il y a les points de jonction que nous n’avons jamais cessé de voir ; il y a, néanmoins, entre les deux branches du mouvement ouvrier, et c’est ce qui fait que nous avons une espérance indestructible dans la reconstruction de l’unité ouvrière, il y a une communauté de but en ce qui concerne la socialisation des moyens de production et d’échange ; il y a une communauté de moyens en ce qui concerne la reconnaissance et la pratique du fait de la lutte des classes ; il a une communauté de méthodes en ce qui concerne l’organisation des travailleurs en parti de classe, et cette triple communauté reste pour nous les points de jonction qui font que les deux branches du mouvement ouvrier, si opposées en apparence qu’elles puissent être, sont néanmoins destinées à se rejoindre puisqu’elles poursuivent, sur le même terrain, l’émancipation des travailleurs.

Par conséquent, non seulement nécessité d’unité ouvrière, mais encore certitude de cette unité, non pas en nous plaçant au point de vue sentimental, mais en nous plaçant sur le terrain des faits, car si nous ajoutons à la communauté des méthodes envisagées sous le sens le plus large, la communauté de l’exploitation de classe, l’unité de classe, la solidarité de classe, qui est au-dessus des partis et qui découle de l’exploitation même du capitalisme ; nous avons le droit de dire que l’unité s’appuie sur des bases solides et permanentes.

Nous sommes de ceux qui pensent après treize années de scission ouvrière, après treize années de lutte que l’unité organique, l’unité d’organisation, ne résultera pas de la destruction préalable d’une branche quelconque du mouvement ouvrier au détriment de l’autre.

L’unité d’organisation est le but, et, à mon sens, le seul but véritablement positif et pratique à atteindre, mais nous savons aussi que, malheureusement, l’unité d’organisation n’est pas pour aujourd’hui ; et n’est même pas pour demain, par suite de l’atmosphère empoisonnée par treize années de guerre civile à l’intérieur du prolétariat.

Cela ne dépend pas de nous. Si cela dépendait de nous, elle pourrait être faite tout de suite, à la minute ; mais cela dépend de ceux qui sont intoxiqués par l’esprit de secte bolchevik (…).

Pour nous, le front unique loyal, l’unité d’action qui a pour but le rassemblement des forces prolétariennes dans certaines circonstances données, a une valeur unitaire et une valeur révolutionnaire (…).

Bien entendu, nous répudions le front unique à la mode bolchévique qui n’est fait, en réalité, que pour approfondir davantage les divisions ouvrières. Nous repoussons notamment la constitution d’organismes permanents se superposant aux organisations régulières de la classe ouvrière.

Au nom même des intérêts de l’organisation ouvrière, nous n’admettons pas la participation à la direction de ces actions communes des « inorganisés » (…).

Nous avons souligné avec une grande satisfaction et une grande joie l’offre de notre Internationale [Ouvrière Socialiste], le 17 février dernier, se déclarant prête à entrer en négociations avec l’Internationale communiste pour la réalisation de l’action commune sur le plan international.

Mais là où nous nous séparons à l’heure actuelle de la méthode et de la procédure de notre Internationale [Ouvrière Socialiste], c’est que nous estimons que ce n’est pas seulement sur le plan international qu’il faut faire cet effort ; il faut le faire aussi sur le plan national et le poursuivre à la base, sur le plan local (…).

La reconstitution de l’unité ouvrière et socialiste non seulement accroîtra nos capacités de lutte, notre potentiel révolutionnaire, mais, on peut dire qu’elle nous redonnera la foi dans le socialisme, la conviction que les principes fondamentaux du socialisme sont vrais, qu’en dehors de la conquête du pouvoir par le prolétariat, pour la socialisation des moyens de production et d’échanges, qu’en dehors du fonctionnement de la dictature de la classe ouvrière, pour permettre l’établissement de la vraie démocratie sans classe qu’est le régime socialiste, il n’y a rien à attendre, et nous n’irons pas rechercher dans je ne sais quel succédané du fascisme ou du réformisme les moyens de rénover notre doctrine et nos méthodes.

La reconstitution de l’unité nous rendra ce double service. »

On a ainsi au congrès de la SFIO une aile droite participationniste, un centre autour de Léon Blum constatant le cul-de-sac stratégique, une aile gauche qui l’emporte en prônant une orientation « socialiste française » revendicative et d’allure révolutionnaire.

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La réponse de Léon Blum face aux néo-socialistes au congrès de la SFIO de 1933

La proposition « néo-socialiste » au congrès de la SFIO de 1933 fut un coup terrible à celle-ci. Il faut bien saisir ici qu’on est moins de six mois après la prise du pouvoir par le national-socialisme en Allemagne.

En plus de justifier le participationnisme gouvernemental, il y avait toute une conception pour présenter cela comme une révolution par l’intermédiaire de l’État lui-même, c’est-à-dire par en haut et dans un cadre uniquement national, à rebours de l’imagerie socialiste « révolutionnaire » et « internationale ».

En réponse à Adrien Marquet, Léon Blum répondit ainsi de la manière suivante :

« Il faut maintenant que je réponde à ce discours de Marquet dont j’ai dit en l’interrompant, ce dont je m’excuse, qu’il m’épouvantait.

Mais à la réflexion, et je peux bien lui dire que depuis que je l’ai entendu, je n’ai guère fait que réfléchir à cela, ou bien à part moi, ou bien dans cette forme de discussion que le Congrès rend plus facile et qui s’appelle la controverse avec ses camarades, je ne peux que lui dire que ce sentiment d’épouvante ne s’est pas atténué et qu’il n’a fait que se fortifier, au contraire.

Il y a eu un moment, Marquet, où je me suis demandé si ce n’était pas le programme d’un Parti social-national de dictature. (…)

Vous êtes venus nous dire qu’il fallait des mots d’ordre d’autorité et d’ordre, avec l’impression que nous nous poserions devant le pays comme des défenseurs de l’autorité et de l’ordre (…).

Rassemblant autour de nous ces masses populaires de valeur hétérogène et inorganisées dont je parlais tout à l’heure et cela pour une preuve de rénovation sociale dans le cadre national.

Eh bien, je le répète, quand vous disiez cela à la tribune du Parti socialiste (Section Française de l’Internationale Ouvrière), eh bien, je me demandais où j’étais. Je me demandais ce que j’entendais et si je n’étais pas le jouet d’une illusion des sens. »

Léon Blum mit alors tout le poids de sa légitimité historique, lui qui avait « sauvé » la SFIO des communistes au congrès de Tours de 1920 au moyen d’un véritable coup de force. Il rejeta formellement la conception néo-socialiste de la formation d’une sorte de régime intermédiaire entre capitalisme et socialisme.

Bien entendu, cela laissait ouverte la question du sens d’une participation ou d’un soutien socialiste à un gouvernement.

Mais si les néo-socialistes l’emportaient, tout l’idéal « révolutionnaire » de la SFIO s’évaporait et c’en était fini du « socialisme français ». La priorité fut donc de fermer la porte à l’hypothèse néo-socialiste, ce que Léon Blum formula ainsi :

« Et alors, Marquet, si vous me permettez d’argumenter un instant avec vous, je vous dirai que moi, qui suis l’auteur de cette formule d’ailleurs mal comprise, comme toutes les formules, mais, enfin devenue à demi légendaire « les vacances de la légalité », moi qui ai rédigé dans tous nos programmes socialistes, depuis la fin de la guerre, les passages relatifs à la dictature du prolétariat, moi qui n’abandonne rien sur ce point de ce que j’ai écrit et pensé, je vous dirai simplement que la propagande socialiste n’est pas une propagande d’autorité, qu’elle n’est même pas une propagande d’ordre au sens où vous l’entendez, mais qu’elle est une propagande de liberté et une propagande de justice.

Et j’ai parfois l’inquiétude que Déat, dont je connais la force de pensée et la rigueur de déduction, ne soit en ce moment lui aussi enclin par la direction de sa pensée vers cette conception du socialisme dans le cadre national.

Eh bien, quand je dois cela, je me demande ce qui reste de la doctrine du socialisme international qui a été la nôtre (…).

La synthèse de Jaurès, c’est la synthèse de l’action de classe et de la démocratie, et on nous présente en ce moment une espèce de notion de socialisme national par l’autorité, dans laquelle il n’y a plus ni action de la démocratie, ni action spécifique de la classe ouvrière organisée (…).

Je veux vous répéter simplement que dans ces formes intermédiaires, le socialisme ne doit pas s’aventurer, ne doit pas se compromettre, il ne doit pas engager là ce qu’il peut posséder de crédit, de force de pression auprès des masses populaires, il doit vis-à-vis de cela préserver intactes, dans toute la mesure où il le peut, et son organisation et sa doctrine, c’est-à-dire sa véritable unité. »

Le conflit avait cependant pris la forme d’une crise générale. La SFIO était face à un mur concernant ses perspectives, coincé dans le cadre de la crise générale du capitalisme entre sa réfutation de celle-ci justifiant un participationnisme gouvernemental et un discours « révolutionnaire » de portée « internationale ».

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L’épouvante de Léon Blum face aux néo-socialistes au congrès de la SFIO de 1933

La conception néo-socialiste était cohérente du point de vue du groupe parlementaire, mais cela ne correspondait nullement à la vision que les socialistes avaient d’eux-mêmes. En raison de la catastrophe de l’Union Sacrée de 1914, ils avaient été obligés d’insister sur leur dimension « internationale » pour rester crédibles après 1918 ; en raison de la présence communiste, ils étaient obligés de renforcer leur discours « révolutionnaire ».

Il y avait donc un décalage entre l’approche néo-socialiste, conséquence logique des choix socialistes, et la SFIO telle qu’elle s’imaginait. C’est cela qui provoqua l’onde de choc lors du congrès de 1933, par l’intermédiaire d’Adrien Marquet dressant l’importance de la participation non seulement gouvernementale, mais en fait même étatique, et donc nationale.

Adrien Marquet en 1933

Les néo-socialistes prenaient acte que les socialistes acceptaient les institutions : il fallait selon eux aller jusqu’au bout. Et c’était selon eux d’autant plus à faire qu’il y avait un renforcement apparent du rôle de l’État aux Etats-Unis, en URSS, en Italie (fasciste), en Allemagne (nazie). C’était une tendance générale, il fallait en prendre les commandes, à tout prix.

De fait, le groupe parlementaire justifiait son participationnisme en convergeant avec le fascisme, tout en se prétendant justement contre lui. Et la SFIO se voyait prise au piège avec en son sein une telle tendance qui, de fait, était naturelle de par le choix de la SFIO de ne pas considérer comme les communistes qu’il y avait une crise générale et d’affirmer la possibilité de réformes importantes y compris dans le capitalisme lui-même, par l’intermédiaire du gouvernement.

D’où les propos d’Adrien Marquet et « l’épouvante » de Léon Blum.

« La notion d’autorité est aussi nécessaire que celle d’ordre.

Au cours de la matinée, alors qu’un orateur déclarait à cette tribune que c’était par le gouvernement que l’on pouvait faire la révolution, Léon Blum a murmuré « C’est presque du fascisme. »

Dans ces conditions, que signifie l’extrait de la charte du Parti qui est sur notre carte ? « Conquête du pouvoir politique pour la transformation de la société capitaliste en société collectiviste ou communiste. »

Par cette déclaration, n’affirmons-nous pas la suprématie du pouvoir politique sur les conditions de la révolution économique ?

Nous avons toujours laissé entendre à la classe ouvrière et à la démocratie, qui nous ont cru, que la conquête du pouvoir mettrait à leur service l’appareil qui leur permettrait de réaliser leurs aspirations.

Est-ce là maintenant « presque du fascisme » ? A l’heure présente même, si une analyse démontrait que tout cela n’est qu’erreur, cette analyse ne pénétrerait pas jusqu’aux masses populaires françaises.

Les expériences russe, italienne et allemande ont fixé notre enseignement dans la pensée du peuple.

La classe ouvrière sent que le moment est venu d’employer pour elle les forces gouvernementales qui, jusqu’à ce jour, ont été mises en œuvre contre elle.

Elle incorpore d’elle-même la notion d’autorité dans une action socialiste qu’elle voudrait logique, cohérente et forte.

Ordre et autorité sont, je crois, les bases nouvelles de l’action que nous devons entreprendre pour attirer à nous les masses populaires (…).

Voyez-vous, et avant de terminer, je remercie le Congrès de sa bienveillante attention, je me demande si nous ne sommes pas entrés dans une nouvelle période historique, et si tous ceux d’entre nous qui vivent encore sur les idéologies du XIXe siècle peuvent comprendre et agir aujourd’hui.

Le XIXe siècle avait pensé et une organisation du monde basée sur la liberté et sur la justice. Nos théoriciens et nos grands propagandistes ont cru à l’établissement de relations internationales continues sur ces plans senti-mentaux. Selon leurs paroles, les nations allaient s’épanouir jusqu’à leur plein développement et constituer une humanité harmonieuse et pacifiée.

Mais à l’heure actuelle, les nations ne sont-elles pas en train de passer sur le plan d’une réalité nationale nouvelle ?

[à Léon Blum qui fait des gestes] Permettez, chacun a le droit ici d’exprimer sa pensée.

[Léon Blum intervient : Je vous écoute avec une attention dont vous pouvez être juge, mais je vous avoue que je suis épouvanté.]

Je vous demande, car j’ai eu parfois un sentiment identique à celui que vous venez d’exprimer, de faire ce que j’ai fait en pareil cas. Il m’arrive en effet de ne plus comprendre, mais je n’ai pas l’orgueil de croire que j’ai seul raison contre tous.

Au moment où nous sommes, il faut bien essayer cependant de rechercher dans quelle direction s’engagent masses populaires de chaque pays, et ces pays eux-mêmes.

C’est pourquoi la question se pose de savoir si nous ne sommes pas arrivés dans la phase qui préparera et permettra la réalisation des idéologies du XIXe siècle, chaque nation constituant d’ans son cadre intérieur un pouvoir fort qui se substitue à la bourgeoisie défaillante.

Les gouvernements ayant ainsi résolu les problèmes intérieurs posés par la crise, leurs rencontres ultérieures dans des conférences internationales aboutiraient alors, non à des vœux platoniques, mais à des possibilités d’organisation rationnelle du monde.

S’il en était ainsi, les démocraties qui voudraient se sauver devraient s’adapter à ce mouvement des choses et des esprits. »

Les propos sont très forts et correspondent à une situation extrêmement grave pour la SFIO.

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La conception néo-socialiste au congrès de la SFIO de 1933

La crise interne au sein de la SFIO couvait depuis des semaines, voire des mois ou plusieurs années, de manière toujours plus virulente, au point que pour son 30e congrès, la SFIO fut obligée de faire voter le premier jour, le 14 juillet 1933, la résolution suivante, adoptée à 3 379 voix contre 22 et 662 abstentions :

« Toutes les Fédérations, réunies dans leur Congrès National, s’engagent à ne trouver dans aucune décision prise par ce Congrès, en conformité des statuts du Parti S.F.I.O., un motif de s’en séparer. »

C’est que le 30e congrès était clairement celui du règlement de compte, tous les débats se focalisant sur le groupe parlementaire, son autonomie par rapport aux principes et aux décisions de la SFIO, sa vision du monde.

Or, les tenants du groupe parlementaire insistaient sur le fait que, selon eux, ils avaient agi conformément aux besoins du socialisme et de la classe ouvrière. Ils refusaient par avance toute sanction contre le groupe parlementaire ou sa partie pro-participation au gouvernement, considérant qu’une sanction poussait à la scission.

L’aile gauche dénonça donc un chantage, il y eut de violentes altercations, provocations, troubles divers, etc.

Lorsque André Costedoat prit ainsi la parole au nom de la minorité de la Gironde, une Fédération pro-participationniste (au 3/5) avec Adrien Marquet à sa tête, il fut ovationné.

Adrien Marquet se leva en protestation, recevant alors cris et sifflets, toute une masse de délégués s’agglutinant autour de lui dans un chaos général.

Adrien Marquet en 1932

L’ambiance était donc électrique et c’est l’existence même de la SFIO qui était en jeu. Chacun accusait l’autre d’être la cause que la SFIO se retrouve dans une sorte de cul-de-sac historique, ce que résuma de manière correcte alors Louis Périgaud, de l’Action socialiste rassemblant l’aile la plus à gauche ultra minoritaire, résuma très bien :

« Pendant des années, vous vous êtes associés à la politique que vous condamnez aujourd’hui ; pendant des années, vous avez pris avec le Groupe parlementaire des décisions que vous condamnez aujourd’hui sous la pression des événements économiques, et sous la pression des masses militantes du Parti. »

C’était un fait : les pro-participation gouvernementale au groupe parlementaire servaient de bouc-émissaire et c’est d’autant plus facile qu’ils avaient théorisé leur participationnisme.

C’est que, en plus de vouloir une participation au gouvernement, les participationnistes ont toute une conception faisant de l’État tel qu’il existe le pivot de ce qui peut exister en général, même dans une perspective socialiste.

Barthélemy Montagnon, une des figures néo-socialistes, résume ainsi la question de leur point de vue : puisqu’on ne veut pas le communisme et que le capitalisme s’effondre, il faut trouver une voie concrète, qui ne peut être que la prise de l’État de l’intérieur.

« Chez nous, il n’y a pas seulement un différend grave entre le Groupe Parlementaire et le Parti ; il y a — et c’est là-dessus que je veux insister — il y a une crise doctrinale sur laquelle nous avons le devoir de nous expliquer (…).

Crise doctrinale ? — Oui.

Pourquoi ? Le Capitalisme meurt ; nous le disons ; nous le savons; on le sait en dehors de nous.

Alors, d’après nos formules, d’après notre propagande, nous devrions être heureux de cet écrasement du capitalisme, de l’effondrement de ce système que nous condamnons tous les jours.

Cependant, nous ne sommes pas heureux ; nous sommes inquiets ; et c’est cette inquiétude qui constitue précisément le drame socialiste dans toute sa profondeur.

Pourquoi sommes-nous inquiets ? — Parce que nous savons bien, au fond de nous-mêmes — et rappelez-vous les articles de Blum des jours derniers — nous savons bien que le Socialisme ne peut pas sortir du chaos, et nous avons de plus cette peur suprême, c’est que de ce chaos puisse sortir la guerre (…).

Quand donc nous examinons les faits, quand nous examinons nos possibilités actuelles, dans cette période de transition, de chute capitaliste, nous sommes obligés de constater l’antinomie qui existe entre notre formulaire doctrinal d’une part, et, d’autre part, les faits et l’action pratique conseillée même par nos amis les plus doctrinaires.

C’est parce que nous n’osons pas avouer cette différence, cette antinomie ; parce que nous n’osons pas faire le point ; parce que nous n’avons pas le courage – je ne dis pas de réviser notre doctrine, mais de la remettre sur le chantier pour l’adapter à la situation présente ; c’est parce que nous ne voulons pas voir les choses telles qu’elles sont, que d’autres partis plus jeunes nous écrasent ou nous « mangent ».

Voilà la tragique faiblesse du socialisme international. Oui, crise générale, crise socialiste, crise des vieilles choses, vous m’entendez, crise des vieilles formules, des vieilles idées, crise de transition (…).

Crise générale de la démocratie ! Pourquoi ? Parce que l’État est trop faible, c’est une constatation de fait ; parce que l’État n’a aucune action possible sur les perturbations économiques, sur les grands courants sociaux.

Nous sommes dans cette période de transition économique dont je parlais. Comment se présente-t-elle ? Économie libérale : tout le monde le reconnaît, elle est finie, passée.

Économie collective et sociale : elle naît à peine, elle se cherche, elle hésite dans ses premières manifestations. C’est cette recherche d’un équilibre capitaliste nouveau qui provoque des troubles, des souffrances (…).

La naissance du fascisme, la force du fascisme, vient de la nécessité qui semble évidente partout, d’un État fort, d’un État puissant, d’un État d’ordre (…).

En vérité, Hitler et Mussolini nous ont volé une partie de ce programme syndicaliste.

Et puis une autre tendance très marquée : l’intérêt porté aux classes moyennes. Les classes moyennes souffrent, écrasées ici et là par l’inflation, écrasées partout par le développement même du capitalisme. Elles jouent un rôle important, remarquez-le, non seulement par leur nombre, mais également par la valeur personnelle de leurs membres, par le rôle social des individus qui les composent.

Il est un fait historique qu’il faut enregistrer : c’est dans les classes moyennes qu’existent aujourd’hui les ferments révolutionnaires (…).

Et du côté de la classe ouvrière ? Je dis des choses désagréables, laissez-moi les dire jusqu’au bout.

Dans la période de crise, la classe ouvrière, déjà affaiblie politiquement et syndicalement par ses divisions, a perdu, par le fait même du chômage, toutes possibilités de réaction.

J’en suis navré, mais je suis obligé de le constater (…).

Le drame, voyez-vous, c’est que nous croyions qu’il n’y avait qu’une direction pour aller au socialisme et aujourd’hui par les faits mêmes, nous nous rendons compte que notre voie n’est pas la seule, qu’il peut y en avoir une autre : la voie fasciste. »

D’où la solution proposée par les néo-socialistes : réorganiser l’État. Les socialistes ne doivent plus contribuer à ce que la classe ouvrière fasse la conquête du pouvoir, mais à ce qu’elle participe directement à l’État lui-même, qu’elle le renforce, car celui-ci est un outil directement utile de par sa capacité à peser sur les orientations d’un pays.

« Que devons-nous faire ? D’abord, régénérer notre parlementarisme, apporter nous-mêmes des solutions pour modifier cette grande machine vieillotte qui ne rend pas.

Puis transformer l’État – et c’est là que vous serez obligés d’adapter votre doctrine.

Oui, transformer l’État, en arriver à la conception d’un État fort, maître de sa monnaie, capable de contrôler l’économie et la finance, d’imposer au grand capitalisme certaines directives.

Oui, État fort, avec des rouages mieux adaptés aux besoins modernes, de telle sorte, que si un jour, directement ou indirectement nous prenons le pouvoir, nous ayons là un instrument, une possibilité d’action transformatrice.

C’est nous qui devrions prendre la direction de ce mouvement en faveur de la réorganisation de l’État, de l’État moderne.

Je sais bien, qu’au fond, tout ce qui pense dans ce pays au point de vue économique appelle de tous ses vœux cette réforme. C’est nous qui devrions l’apporter, la soutenir, même si certains vieux textes doivent être dépassés.

Et puis nous devons préparer cette économie dirigée qui est dans la logique des choses et qui se fera contre nous si nous ne la faisons pas nous-mêmes. »

Les néo-socialistes poussent jusqu’au bout la démarche socialiste de soutien ou de participation gouvernementale, justifiée par le réformisme en attendant la révolution. Et ils disent même que c’est la résolution de l’opposition réformisme/révolution, car c’est par l’État que se fait la révolution elle-même.

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Les néos-socialistes : la nature de la crise dans la SFIO

En juillet 1933, le parti socialiste SFIO connaît une très grave crise interne. Son quotidien, le Populaire, où ont le droit de s’exprimer les différences nuances ou plutôt tendances, connaît depuis des semaines d’incessantes joutes verbales et récriminations, accusations et critiques. C’est que la SFIO a joué avec le feu.

Lors de la scission du congrès de Tours en 1920, les tenants de la continuité « socialiste », récusant le bolchevisme et l’adhésion à l’Internationale Communiste, étaient une minorité. Très vite ils sont cependant devenus numériquement plus nombreux que les communistes et électoralement de plus d’importance. Qui plus est, la SFIO est en étroite relation avec la CGT, elle aussi de plus grande importance que la CGT Unitaire lié au Parti Communiste.

Le congrès de Tours en 1920

La SFIO a alors considéré que le Parti Communiste Français n’était qu’un accident historique, qu’il fallait le mépriser, l’ostraciser, l’isoler, puisque preuve en était que finalement rien n’avait réellement changé dans le fond ni pour les socialistes, ni pour la société française.

La SFIO a alors d’autant plus aisément repris son travers d’avant 1914, à savoir consister en un parti de faible taille en termes de militant, mais d’une grande capacité électorale, tendant à la participation gouvernementale. Aux élections de mai 1924, la SFIO obtient 120 députés sur 552 et soutiennent le gouvernement du « Cartel des gauches », avec les radicaux indépendants, le Parti radical et radical-socialiste, le Parti républicain-socialiste et des socialistes indépendants.

Les socialistes s’étaient d’autant plus précipités dans cette alliance que cela leur donnait d’autant plus une crédibilité face aux communistes alors qui plus est en mode ultra-gauchiste. Les socialistes « prouvaient », du moins à leurs propres yeux, la validité de leur affirmation de la nécessité de réformes concrètes y compris dans le capitalisme, alors que c’était également une réponse politique à la chambre dite « bleue horizon » de 1919 où 70 % des députés étaient des conservateurs.

On notera ici que, en fait, même en 1924 les conservateurs étaient majoritaires (avec 51,7 % des voix), le type de vote permettant cependant la victoire du cartel des gauches.

Couverture de la revue satirique Le Carnet de la Semaine en 1924 dénonçant le « bloc national », au pouvoir et auquel s’oppose le cartel des gauches

Seulement voilà, le cartel des gauches reposait sur une alliance électorale hétéroclite, avec des députés du centre et de la gauche fondamentalement éparpillés en différents partis et courants, voire fonctionnant en fait même selon leur bon vouloir. Aussi, le cartel des gauches ne dura pas, s’effondrant devant la crise monétaire de juillet 1926, qui par ailleurs disparut aussi vite que fut formé un gouvernement conservateur autour de Raymond Poincaré. Les conservateurs remportèrent ensuite les législatives de 1928.

Une tentative de réédition du cartel des gauches fut faite dans le cadre des élections de 1932, la SFIO obtenant 131 députés sur 607. Les conditions socialistes, dites Huygens, du nom de la salle où avait eu lieu le congrès socialiste, furent toutefois refusées par les radicaux.

La crise néo-socialiste part de là, reflétant la fin d’un cycle pour la SFIO et l’émergence d’un nouveau contexte de par la crise générale du capitalisme commençant à réellement à toucher la France à la suite de la crise boursière de 1929 aux Etats-Unis.

La SFIO fut concrètement coincée sur le fait de soutenir de l’extérieur le gouvernement ou pas ; en raison de sa propre histoire opportuniste depuis 1920, la SFIO ne sut pas affronter ce défi. Le résultat fut que le groupe parlementaire SFIO agissait selon ses propres exigences et indépendamment de la SFIO, que les dissensions dans celles-ci à ce sujet se multiplièrent, alors que les gouvernements étaient faits et défaits en série, un phénomène typique de la troisième république.

La SFIO se mit alors à tanguer de toutes parts, avec trois grands groupes nullement unifiés. Le premier est constitué de gens prônant un alignement bien plus à gauche, mais dans la tradition du socialisme français (comme Jean Zyromski) ou proche du trotskysme (comme Marceau Pivert). Léon Trotsky va se reconnaître dans le développement qu’il voit ici et exiger des trotskystes français qu’ils rejoignent la SFIO, ce qui provoquera des dissensions terribles entre eux, bien que la « Ligue Communiste » rejoigne tout de même la SFIO en 1934 pour y former le « Groupe bolchevik-léniniste » (qui sera exclu dès 1935).

Le second groupe consiste en les centristes avec Léon Blum ; c’est lui qui est à la direction et qui a brûlé ses cartouches avec des soutiens gouvernementaux n’aboutissant à rien de concluant et avec sa théorie attentiste d’une construction patiente et prolongée du mouvement socialiste.

Le troisième groupe tient à des socialistes représentant les intérêts du groupe parlementaire à « jouer le jeu », c’est-à-dire à participer à la mise en place de gouvernements, d’influer sur les choix gouvernementaux lors des votes, etc.

Et cela va jusqu’à l’élaboration d’une nouvelle conception, dite « néo-socialiste », posant qu’il est nécessaire d’intégrer l’État, de le renforcer le plus possible, et de l’utiliser pour mener des réformes de fond, dans le cadre du système, pour avancer vers une sorte de socialisme par en haut.

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Le Congrès Européen contre le fascisme et la guerre

Le congrès antifasciste devant se tenir à Prague les 16 et 17 avril 1933, à l’appel des oppositions syndicales allemande, italienne, polonaise, finit par devoir se tenir à Copenhague les 4 et 5 juin, pour finalement se dérouler à Paris.

Dénommé Congrès Européen contre le fascisme et la guerre, il était clairement porté par l’Internationale Communiste, mais de telle manière en fait à laisser la dynamique se former par en bas, formant une nouvelle culture antifasciste.

C’est particulièrement vrai pour le Parti Communiste Français. Coincé dans une ligne ultra-gauchiste jusqu’à Maurice Thorez, il s’est redressé, mais en perdant toujours ses membres. Avec la question antifasciste, l’activisme typiquement français trouve une base assez solide pour développer du contenu sur une base qui ne soit pas syndicaliste étroite, ni une démarche ultra-révolutionnaire.

Il y a ainsi un réel mouvement à la base et d’ailleurs pas seulement chez les ouvriers communistes. On doit parler d’une véritable redéfinition. Cela est d’autant plus vrai que la violence anti-ouvrière s’exprime plus fortement, tant par les gardes mobiles contre les grévistes (et les communistes) qu’avec les commandos des Jeunesses Patriotes.

75 000 personnes manifestent ainsi le 28 mai 1933 au Père-Lachaise pour célébrer la Commune de Paris, et le Congrès Européen contre le fascisme et la guerre accueille 3 277 délégués venus de toute l’Europe à la Salle Pleyel à Paris.

Voici la Résolution contre le fascisme hitlérien :

« Les délégués au congrès antifasciste élèvent une protestation véhémente contre le procès intenté par le gouvernement hitlérien en vue d’aboutir à l’assassinat légal des camarades Torgler, Dimitrov, Popov et Tanef.

Ces chefs ouvriers, connus et aimés du prolétariat du monde entier, on veut les traduire devant le tribunal sanglant des nazis à Leipzig et les mêler à l’incendie du Reichstag aux côtés du provocateur Van der Lubbe.

Il n’est plus personne au monde qui ignore aujourd’hui que le feu a été mis au Reichstag par l’état-major fasciste des Goering et des Hitler.

Le chef de la fraction communiste parlementaire au Reichstag, Torgler, n’a pas plus de responsabilités dans cet acte que les dirigeants du mouvement prolétarien bulgare Dimitrov, Popov et Tanev.

La preuve en a été faite clairement, ouvertement, irréfutablement. La faiblesse du gouvernement fasciste éclate dans la faiblesse même de l’inculpation qui vise nos camarades. Il ne s’agit pas d’autre chose que d’un assassinat préparé de sang-froid.

Le congrès antifasciste européen en appelle à tous les travailleurs, à tous les antifascistes de tous les pays. Qu’ils organisent immédiatement l’action pour sauver la vie des victimes promises au tribunal des bourreaux fascistes.

Que le 18 juin, dans toutes les villes d’Europe, se déroulent d’ardentes démonstrations contre le honteux procès de Leipzig et pour la libération des chefs prolétariens emprisonnés.

Dans toutes les entreprises, dans tous les syndicats, dans toutes les organisations de masse, dans des milliers de meetings et d’assemblées, protestez contre l’assassinat légal, médité par les incendiaires nazis !

Accablez de télégrammes de protestation contre le gouvernement Hitler ! Multipliez les délégations dans les ambassades allemandes au cours de la période qui précédera la honteuse session du tribunal de Leipzig.

A bas la dictature sanglante de Hitler !

A bas le tribunal d’assassins des fascistes !

Luttez pour la libération de Torgler, Dimitrov, Popov et Tanev ! »

Aspect essentiel, 2 000 de ces délégués n’étaient pas communistes, mais sans-parti, social-démocrates, syndicalistes, républicains, chrétiens, anarchistes… L’Humanité peut alors constater à la conclusion du congrès que :

« Le Comité européen élu au congrès représente toutes les nuances de l’antifascisme agissant. »

C’était d’autant plus un succès que la direction socialiste française a totalement passé sous silence le Congrès, qui a toutefois obtenu une véritable attention à la base. De fait, le Parti Communiste Français a défini un nouveau terrain en France en mai : l’antifascisme.

Et c’est une révolution culturelle pour lui. C’est aussi toutefois une porte de sortie, puisque dans les faits, il n’a pas été capable de trouver une voie révolutionnaire pour la France, ni même de parvenir au niveau pour être en mesure d’avancer en ce sens.

C’est là un aspect essentiel, sans quoi on ne peut pas comprendre le basculement complet que va connaître le Parti Communiste Français sur le plan des fondements idéologiques, adoptant un drapeau bleu blanc rouge jusque-là honni.

La mobilisation contre la guerre lui a apporté une crédibilité, l’antifascisme lui permet désormais une socialisation. Mais encore faut-il tenir le choc de celle-ci sans dévaluer les principes. Or, le Parti Communiste Français n’a pas un socle idéologique suffisant pour cela.

Et cela se produit alors que le Parti socialiste connaît une terrible crise interne, avec les « néos-socialistes », l’obligeant à formuler une nouvelle proposition idéologique. De cette rencontre entre socialistes et communistes à ce moment-clef va surgir le Front populaire.

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Mars 1933 : Maurice Thorez devient réellement le dirigeant du Parti Communiste Français

Jusqu’au début de l’année 1933, Maurice Thorez avait été l’artisan de la rectification au sein du Parti Communiste Français, qui était passé sous la coupe d’une direction secrète de type ultra-gauchiste, le groupe Barbé-Celor.

Avec la question de l’unité antifasciste de mars 1933, il est désormais le porteur d’une ligne. C’est un moment absolument historique sans quoi on ne saurait comprendre l’histoire du Parti Communiste Français.

La raison en est la suivante. Jusqu’en janvier-février 1933, la ligne pour chaque Parti Communiste est fixée par l’Internationale Communiste lors de congrès et par le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste entre les congrès.

Or, l’appel antifasciste de l’Internationale Communiste a bien souligné que c’était désormais à chaque Parti Communiste d’entamer des discussions avec les socialistes, selon les conditions concrètes. Cela laisse une marge politique aux Partis Communistes de chaque pays.

Maurice Thorez, en tant que principale figure du Parti Communiste Français, n’est alors plus seulement le représentant en France de la ligne de l’Internationale Communiste pour la France : il devient également, voire surtout et en tout cas alors de plus en plus ; le « transcripteur » français de la ligne générale de l’Internationale Communiste.

Maurice Thorez

Or, qui est Maurice Thorez ? C’est un jeune ouvrier acquis à un Parti Communiste Français qui s’affirme de manière gauchiste et syndicaliste dans les années 1920, lui-même comprenant que cela ne va pas et œuvrant à rectifier le tir.

En février-mars 1933, Maurice Thorez fait donc avec ce qu’il a. Et ce qu’il a, dans la mesure où il s’est affirmé historiquement ainsi, c’est le maintien de l’unité du Parti Communiste Français, par le refus du sectarisme et de la bureaucratie. Il reprend donc ce positionnement, cette fois pour l’unité avec les socialistes, et cela va toujours plus monter en puissance, jusqu’à une ligne opportuniste de droite.

Dans son article pour L’Humanité du 11 mars 1933 – « Unité d’action L’ennemi est dans notre propre pays »– il souligne que les conditions sont différentes selon les pays. Et par conséquent :

« La question qui se pose aux prolétaires de toute tendance est donc bien simple.

Pouvons-nous et voulons-nous nous unir pour résister à la moindre attaque contre nos conditions matérielles d’existence ?

Pouvons-nous et voulons-nous nous unir pour riposter à la moindre tentative de propagande et d’action de caractère fasciste ?

Pouvons-nous et voulons-nous opposer à la concentration des forces de la bourgeoisie avec ses Tardieu et ses Daladier, avec ses Boncour et ses Weygand la concentration de toutes les forces du prolétariat, luttant à la tête des exploités de toutes conditions ?

Bref, pouvons-nous et voulons-nous nous tenir, pour combattre, résister et vaincre ?

OUI, disent de toutes leurs forces, de tout leur cœur les ouvriers communistes. OUI, pensent et disent avec eux de nombreux ouvriers socialistes.

NON, estime le Populaire dans ses articles, embrouillés, avant même la réponse de la C. A. P. à la lettre ouverte que nous avons adressée à la direction du parti socialiste, ainsi qu’à tous les ouvriers socialistes.

Cependant, nous répétons sans nous lasser le front unique est possible tout de suite. Il est possible et il est nécessaire. Il est indispensable. Et notre voix sera entendue.

La crainte de l’action féconde oblige les dirigeants socialistes à rechercher mille prétextes pour tenter de repousser nos propositions et contrecarrer la réalisation du FRONT UNIQUE. Les faits montrent, toutefois, que nous avons des amis, des frères parmi les ouvriers socialistes.

Ensemble, nous parviendrons à nous unir pour la défense de nos revendications et pour l’aide au peuple allemand.

Ensemble, nous parviendrons à combattre et à vaincre la bourgeoisie capitaliste et la réaction fasciste. »

Ce rôle prédominant de Maurice Thorez va d’autant plus être facilité que les événements en Allemagne se précipitent : mars 1933 est marqué par une gigantesque répression menée par les nazis, broyant les socialistes et les communistes allemands.

Profitant de l’impact du mouvement anti-guerre, le Parti Communiste Français utilise alors cet aspect pour pousser à l’unité, avec l’appel du 25 mars 1933 :

« Aux travailleurs socialistes !

A la C.A.P. du Parti socialiste

Pour faire face aux graves événements et aux menaces qui pèsent sur la classe ouvrière, le Parti communiste vous a adressé le 6 mars dernier des propositions pour la réalisation d’une action commune entre les travailleurs socialistes, communistes et inorganisés.

Nous vous avions proposé notamment l’organisation d’une journée de manifestations dans tout le pays. La C. A. P. ne nous a pas répondu.

Or, voici que le Comité National de lutte contre la guerre, organise à la date du 9 avril, une grande démonstration contre le fascisme et la guerre. Il est évident que nous, communistes, nous allons travailler de toutes nos forces au succès de cette démonstration.

Nous vous proposons dès lors d’organiser en commun, ouvriers socialistes et ouvriers communistes, notre participation à la manifestation du 9 avril, dont l’ampleur et la répercussion peuvent être considérables et aider utile ment nos frères d’Allemagne.

Aucun obstacle ne doit s’opposer au rassemblement pour la lutte de tous les travailleurs, ce qui est nous en sommes convaincus le sentiment des ouvriers socialistes comme il est celui des ouvriers communistes, et nous insistons vivement pour qu’une réponse précise soit faite à nos propositions.

Le Comité Central du P.C.F. »

Or, il s’agit là d’une approche pragmatique, car il ne s’agit pas de conquérir la base ouvrière socialiste en la convainquant, de réaliser une unité réelle provoquant un entraînement, mais de la conduire comme malgré elle dans le bon sens, en profitant de bons leviers. On doit qualifier cette ligne de pragmatique-machiavélique.

Tendanciellement, cependant, il y a également un mouvement dans le sens de l’unité. C’est ce qui explique que le mois de mars 1933 est marqué par plus d’une cinquantaine de réunions contre la guerre, avec parfois des manifestations, comme à Nice avec 7 000 manifestants et 1500 personnes au meeting, 2 000 personnes au meeting à Hautmont, 1 200 à Metz, 1 500 à La Rochelle, etc.

Maurice Thorez

De manière beaucoup plus intelligente, il y a un congrès antifasciste (devant initialement se tenir à Prague les 16 et 17 avril 1933) par les oppositions syndicales allemande, italienne, polonaise, trois pays ayant un régime fasciste. 60 000 personnes manifestent le 9 avril 1933 à Bagnolet, en banlieue parisienne, en soutien au congrès.

L’appel de la CGTU du 24 avril est également très concret, calibré pour avoir un écho efficace (ce qui témoigne d’ailleurs du maintien du syndicalisme révolutionnaire comme matrice) :

« Il y a trop de produits et des millions d’êtres humains souffrent de la faim et réclament du pain et du travail. Dans les administrations publiques comme dans l’industrie privée, les salaires sont diminués et les conditions de travail aggravées criminellement.

Le fascisme fait rage. Hitler s’est installé au pouvoir par le fer et par le ̃feu. En France, la bourgeoisie, [André] Tardieu en tête, multiplie ses provocations chauvines et réactionnaires.

La guerre impérialiste se prépare fébrilement dans tous les pays. Elle tue déjà en Chine, en Amérique du Sud, aux colonies. Contre la formidable réaction du prolétariat au pouvoir en URSS, le capitalisme croulant dresse ses batteries guerrières et destructrices.

Mais dans tous les pays, les masses laborieuses s’élèvent avec vigueur contre ta misère, la réaction, le fascisme et la guerre impérialiste. Le Premier Mai sera une journée de lutte ardente pour les revendications de tous les travailleurs, sans distinction de nationalité.

UNITE D’ACTION !

UN SEUL MEETING UNE SEULE DEMONSTRATION !

C’est le désir de tous les travailleurs. C’est l’appel de la C.G.T.U. auquel la C.G.T. vient de répondre par une fin de non-recevoir, mais auquel les OUVRIERS CONFEDERES répondront favorablement et avec enthousiasme.

Constituez vos comités d’action et du Premier Mai dans chaque entreprise, dans chaque localité. Élaborez et déposez en commun vos cahiers de revendications. Préparez de vastes protestations collectives, de puissantes démonstrations de rues, préparez la grève.

Contre toute diminution de salaires et pour leur relèvement. Pour des contrats collectifs garantissant les avantages arrachés par les travailleurs.

Pour la semaine de quarante heures sans diminution de salaire.

Contre toute atteinte aux avantages de la loi des assurances sociales, pour son amélioration, pour l’assurance-chômage et l’augmentation immédiate des indemnités. Allocation de l’indemnité aux chômeurs partiels pour chaque journée perdue.

Pour la défense du droit syndical et du droit de manifestation. Contre toutes les méthodes de coercition envers les Syndicats et syndiqués. Pour l’amnistie.

Contre la réaction et le fascisme, pour le soutien des travailleurs d’Allemagne.
Contre la guerre impérialiste, pour la défense de l’U.R.S.S.

Le Premier Mai, tous ensembles répondez à l’appel des syndicats unitaires ! Désertez les entreprises ! Manifestez en faveur de vos revendications !

Vive l’unité d’action de tous les travailleurs !

Vive l’unité syndicale dans une C.G.T. unique lutte de classe !

EN AVANT POUR UN PREMIER MAI PUISSANT D’ACTION
DIRECTE ! »

Le choix de l’expression « action directe » en dit long sur l’esprit syndicaliste-révolutionnaire prédominant en France ; on la retrouve même en grands caractères pour un appel de la CGTU dans L’Humanité du 30 avril 1933 ! De fait, pour les communistes français, le Parti Communiste est en quelque sorte le « Parti » du syndicalisme révolutionnaire.

C’est là un aspect essentiel, car le pendant du gauchisme politique est une ligne droitière économiste de type syndicaliste révolutionnaire, apparaissant très radical en apparence, mais « unitaire » réformiste (et substitutiste) dans les faits.

C’est ce que représente Maurice Thorez, qui débarrasse le Parti Communiste Français d’une bolchevisation mal comprise et d’une approche sectaire, pour faire basculer la ligne vers une ligne de masses syndicaliste révolutionnaire « partidaire ».

Le 2 mai 1933, L’Humanité titre ainsi : « A Vincennes, 70 000 prolétaires répondent à l’appel de la CGTU ! ».

Au moment clef où il faut faire de la politique, le Parti Communiste Français reste confondu avec la CGTU.

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Le refus socialiste de l’unité antifasciste appelée par le Parti Communiste Français

C’est Léon Blum qui répondit à l’appel du Parti Communiste Français (allant dans le sens de l’Internationale Communiste) au sujet de l’antifascisme, à la suite de la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne.

Il le fit par son article « L’unité ouvrière », en tête du Populaire, le 7 mars 1933. Il résume la position de l’Internationale Communiste, en disant que celle-ci a réagi à l’appel de l’Internationale Ouvrière Socialiste. Cependant, il ne répond à rien concrètement malgré la longueur de l’article, à part pour faire le reproche que l’Internationale Communiste ne s’adresse pas directement à l’Internationale Ouvrière Socialiste.

Il explique à la fin qu’il va analyser la proposition du Parti Communiste Français. Ce qu’il fait lendemain, le 8 mars, dans un article au même titre, en reprochant au Parti Communiste de s’adresser aux socialistes et non à leur parti. D’où l’accusation comme quoi :

« La communauté de lutte serait obtenue par la désagrégation ou plus exactement par l’évacuation des organismes socialistes et syndicalistes, devenus des cadres vides. »

Le même jour est publié un message de l’Internationale Ouvrière Socialiste reprochant à l’Internationale Communiste de proposer des discussions de parti à parti dans chaque pays, et non pas au niveau international. Il est craint que ce soit prétexte à des « manœuvres » – il est clair ici que les tendances droitières de cette Internationale ont cherché à relativiser le premier appel.

Reste que la base socialiste a donc été touchée par l’appel de l’Internationale Ouvrière Socialiste et la réponse de l’Internationale Communiste, mais que le Parti Communiste Français s’y est mal pris, permettant à la direction de la SFIO de tergiverser.

Léon Blum est alors, avec un tel arrière-plan, obligé de continuer son article sur L’unité ouvrière dans le Populaire du 9 mars 1933. Le ton change alors radicalement, puisque Léon Blum non seulement parle d’unité, mais même d’unification !

Léon Blum en 1932

Il est évident que le mouvement anti-guerre lancé par l’Internationale Communiste et l’appel à l’unité antifasciste lancé par l’Internationale Ouvrière Socialiste après la prise du pouvoir par les nazis a entièrement changé la situation pour la base socialiste, auparavant fermée aux communistes sous l’influence délétère des dirigeants socialistes et sous l’effet du sectarisme gauchiste du Parti Communiste Français.

« Le sujet qui m’occupe depuis deux jours est sans doute le plus grave et le plus pressant qui puisse se poser devant les militants socialistes. Je ne m’excuse donc pas de le traiter avec quelque insistance.

Nous savons tous qu’il est dans la nécessité des choses que le prolétariat retrouve un jour son unité, nationale et internationale, et il ne peut évidemment recouvrer l’une sans l’autre : comment concevoir, disait un jour notre ami Bracke, que le prolétariat réunifié d’une nation quelconque puisse se rattacher à deux Internationales différentes.

Nous savons qu’en attendant la « réunification » organique, l’intérêt immédiat, ou même le salut immédiat du prolétariat peuvent imposer devant des périls communs, à une communauté de lutte et de résistance. Mais nous savons aussi que cette coordination d’efforts ne saurait résulter que d’un accord loyal entre les partis, lié lui-même à un accord loyal entre les Internationales. »

Mais Léon Blum, bien évidemment, ne propose rien de concret et se revendique bien plus du second message de l’Internationale Ouvrière Socialiste que du premier, expliquant encore qu’il faut attendre, que les choses doivent se décider de manière internationale, etc.

En ce sens, il évacue tout sens de l’urgence antifasciste. Cela est capital parce qu’on comprend aisément qu’il suffira que celle-ci apparaisse concrètement en France même pour que tout bascule. L’unité antifasciste de février 1934 ne tombe pas du ciel, mais part de tout un processus commencé en 1930 avec le mouvement anti-guerre et prolongé par la (lente) prise de conscience antifasciste émergeant en février – mars 1933.

Pour preuve, le 11 mars 1933, Léon Blum prolonge son article sur L’unité ouvrière, disant que la balle est dans le camp de l’Internationale Communiste pour une discussion au niveau international, que c’est dans l’intérêt de l’URSS elle-même sur le plan des relations internationales.

On a déjà tous les ingrédients pour ainsi dire du Front populaire.

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La prise en considération de l’appel de l’Internationale Ouvrière Socialiste

Le Parti Communiste Français et la CGTU avaient, tout comme le Parti socialiste et la CGT, lancé un appel de solidarité avec le prolétariat allemand, et en appelaient aux « ouvriers socialistes, confédérés, unitaires, communistes et sans parti » pour former des comités de soutien du prolétariat allemand.

Mais c’était là unilatéral et forcé. Le Parti Communiste Français organise d’ailleurs un grand meeting le 7 mars à Paris de son côté, sans chercher une unité.

Maurice Thorez annonce ensuite cependant le 5 mars 1933 dans L’Humanité que le Parti Communiste Français va de nouveau s’adresser à la SFIO, exposant ainsi un désaveu de sa propre ligne de fermer complètement la porte quelques jours auparavant.

Maurice Thorez en 1932

C’est que cela va de pair le même jour avec la parution d’un appel de l’Internationale Communiste, qui prenant acte de l’appel de l’Internationale Ouvrière Socialiste, ouvre la porte de manière très claire. On a là une décision prise par l’Internationale Communiste, obligeant de fait le Parti Communiste Français à ne pas pratiquer une ligne sectaire ; l’Internationale Communiste expose que :

« Le bureau de l’Internationale ouvrière socialiste, dans son appel du 19 février de cette année, déclare que les partis socialistes adhérant à cette Internationale sont prêts à établir le front unique avec les communistes pour lutter, contre la réaction fasciste en Allemagne.

Cette déclaration verbale est en contradiction flagrante avec, tous les actes de l’Internationale socialiste, et de ses partis jusqu’à ce jour.

Toute la plateforme: politique de l’Internationale socialiste et tous ses actes donnent jusqu’à présent toute raison à l’Internationale Communiste et aux partis communistes de ne pas croire à la sincérité de la déclaration du bureau de l’Internationale socialiste ouvrière qui fait cette proposition au moment où, dans toute une série de pays et avant tout, en Allemagne, la masse ouvrière prend déjà l’initiative d’organiser le front unique de lutte.

Néanmoins, en face du fascisme qui mène son agression contre la classe ouvrière en Allemagne, qui développe toutes les forces de la réaction mondiale, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste appelle tous les partis communistes à tenter encore une fois d’établir le front unique de lutte avec les masses des ouvriers socialistes par l’intermédiaire des partis socialistes. »

Par conséquent, l’Internationale Communiste explique qu’elle dira aux Partis Communistes de cesser de dénoncer les partis socialistes dans leur pays si un accord est passé pour l’organisation antifasciste commune (grèves, manifestations, autodéfenses…) et la défense commune de la condition ouvrière, c’est-à-dire, sans le dire, une unité syndicale ou para-syndicale.

Le message du 6 mars 1933 du Parti Communiste Français à la SFIO est ainsi obligé de se plier à cette juste analyse de la situation par l’Internationale Communiste. Il le fait avec une certaine mauvaise volonté comme on le voit bien, la progression de l’idée avancée étant laborieuse, l’absence d’engouement étant très net :

« Aux travailleurs socialistes et à la commission administrative du Parti socialiste

Au moment où l’accession de Hitler au pouvoir en Allemagne aggrave considérablement la situation internationale et où déferle de pays en pays la réaction fasciste, l’Internationale communiste vient d’adresser aux travailleurs de tous tes pays un vibrant appel à l’unité d’action des masses ouvrières contre l’offensive du capital ; contre fascisme et contre la guerre.

Le Parti communiste français en approuve tous les termes et tient à vous faire publiquement des propositions susceptibles de rassembler les masses travailleuses de France en vue d’une action immédiate et énergique contre la bourgeoisie.

Actuellement, la crise s’aggrave dans la plupart des industries et dans l’agriculture. Le déficit budgétaire, les difficultés économiques et financières provoquent une attaque acharnée de la bourgeoisie et de son Etat contre les conditions de travail, et d’existence de tous les travailleurs des villes et des champs.

Des centaines de milliers de chômeurs complets ou partiels sont privés de toute allocation les pensions et avantages des anciens combattants sont menacés alors
que des sommes énormes sont consacrées à la préparation de la guerre ou servent à renflouer les banques et les grandes entreprises capitalistes.

Contre l’offensive du capital, les travailleurs de toutes conditions ont engagé là lutte en de nombreuses grèves et manifestations.

La politique du Parti communiste a toujours été dominée par le souci de réaliser l’unité d’action de tous les travailleurs.

A plusieurs reprises déjà, aussi bien pour la lutte contre la guerre que pour la défense des salaires et traitements pour lutter contre la répression et arracher l’amnistie intégrale, notre Parti a fait des propositions précises de front unique aux travailleurs ainsi qu’aux organisations socialistes.

Mais le parti socialiste, jusqu’à présent, a mis tout en oeuvre pour empêcher la réalisation de l’unité d’action de la classe ouvrière.

Il est allé jusqu’à exclure des travailleurs socialistes qui, dans la lutte contre la guerre, ont pris place aux côtés de leurs frères communistes et sans-parti, alors qu’il apportait son appui et sa collaboration aux gouvernements bourgeois (vote des douzièmes provisoires comportant notamment la réduction des traitements des fonctionnaires et l’approbation des budgets de guerre et de police).

Néanmoins, au moment où toutes les couches de la population laborieuse du pays subissent une violente attaque, alors que grandit la violence réactionnaire, que se développe la terreur sanglante dans les colonies, alors que s’impose une action plus vigoureuse contre, la bourgeoisie, le Parti communiste vous adresse un nouvel et pressant appel pour réaliser pratiquement le front commun de lutte de tous les travailleurs.

Nous vous soumettons comme base de réalisation de ce front unique les propositions suivantes :

1) Contre l’offensive du capital et pour les principales revendications des travailleurs :

a) Contre toute diminution des salaires, traitements, indemnités et pensions ; pour le relèvement immédiat de l’allocation de chômage pour le maintien et l’amélioration des assurances sociales pour la semaine de 40 heures sans diminution de salaire ;

b) Contre toute augmentation et pour la réduction des charges fiscales frappant les travailleurs ;

c) Pour la réduction des fermages, la révision des baux, les deux tiers aux métayers, et pour les allocations de crise aux paysans pauvres.

2. Contre la réaction pour l’amnistie intégrale, pour la liberté d’organisation, de réunion, de manifestation et pour le droit de grève à tous les travailleurs en France et dans les colonies.

Pour faire aboutir toutes ces revendications et enrayer l’attaque capitaliste, nous proposons l’organisation de manifestations de rues et, éventuellement, de grèves dans tout le pays. Dans ce but, nous proposons que les ouvriers socialistes et communistes entreprennent de suite la constitution de comités d’action rassemblant les travailleurs de toutes tendances, organisés et inorganisés, dans les entreprises et dans les localités.

Le Parti communiste suggère l’organisation d’une journée nationale de manifestations de rues en faveur des revendications des travailleurs de France et pour l’aide aux travailleurs d’Allemagne.

Une telle manifestation nationale contre l’impérialisme français constituerait une aide efficace au prolétariat allemand dans son combat contre le fascisme et accentuerait la lutte commune des prolétaires, français et allemands contre le traité de Versailles et les menaces de guerre impérialiste.

Nos propositions exprimant, nous en sommes persuadés l’intérêt de la classe ouvrière, doivent avoir pour conséquence l’abandon de toute politique de collabo-
ration avec la bourgeoisie.

L’accord étant réalisé dans la pratique, nous sommes disposés au cours de l’action commune à cesser toute attaque contre les organisations luttant avec nous, mais dans l’intérêt même du succès de cette bataille commune nous serons impitoyables envers ceux qui entravent la réalisation du front unique, désertent et tentent de briser le mouvement.

Le Parti communiste, ayant ainsi exprimé clairement sa position, attend de la commission administrative permanente du parti socialiste une réponse aussi nette.

Le Parti communiste, conscient de l’aggravation, des coups qui s’abattent sur la classe ouvrière et de la nécessité d’une riposte urgente et vigoureuse, appelle dès maintenant les ouvriers socialistes et sans parti à se réunir de suite avec leurs frères communistes dans tes entreprises et les comités de chômeurs pour élaborer ensemble leurs revendications et organiser leur action commune.

A la coalition des forces de la bourgeoisie, opposons le front unique de lutte de la classe ouvrière.

Le Comité Central du P. C. F. »

Modifiant le tir, le Parti Communiste Français invite également les socialistes à prendre librement la parole au meeting du 7 mars à Paris, qui avait été initialement formaté de manière unilatérale, sectaire. Mais seul une jeune socialiste prendra la parole dans ce meeting de 8 000 personnes.

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La non prise en considération de l’appel de l’Internationale Ouvrière Socialiste

L’appel de l’Internationale Ouvrière Socialiste contre le fascisme peu après la prise du pouvoir par les nazis ne pouvait pas passer inaperçu en France, malgré sa mise de côté à la fois par incompréhension et refus. Pour cette raison, le 23 février 1933, soit deux jours plus tard, Léon Blum publie un long commentaire à ce sujet en première page du Populaire.

Il ne se concentre que sur la première partie du document, expliquant qu’il faut « se porter au secours de la social-démocratie allemande », qu’il faut sauver la République allemande. C’est à peine s’il conclue en parlant des communistes, pour les dénoncer comme anti-socialistes, comme des fanatiques amenant à ce que l’Allemagne de Hitler attaque à terme l’URSS qui plus est.

C’est là une position n’ayant strictement rien à voir avec la position de l’Internationale Ouvrière Socialiste, qui ne parle pas de guerre possible mais inévitable dans le capitalisme, et appelle à une unification socialiste – communiste encore plus qu’une unité d’ailleurs.

Et pour bien enfoncer le clou vient immédiatement s’ajouter alors une déclaration commune de la SFIO et de la CGT, où l’on ne trouve bien entendu pas un seul mot quant à l’unité.

« Aux travailleurs de France !

La Commission administrative de la Confédération générale du travail et la Commission administrative permanente du Parti socialiste (S.F.I.O.) dénoncent la situation d’extrême danger pour les libertés ouvrières et démocratiques existant en Allemagne.

Suspension de toutes les libertés et armement des bandes hitlériennes en sont l’illustration la plus nette.

Les troupes d’assaut fascistes ont à leur disposition les armes les plus modernes. Il ne fait de doute pour personne que l’on prépare le « coup ».

Cette menace est un danger, non seulement pour les libertés allemandes, mais pour la Paix.

Contre cette situation atroce, nous avons la conviction que les forces unies de la classe ouvrière allemande se lèveront, certaines de trouver pour les encourager avec toute l’Internationale, la classe ouvrière et le socialisme français.

Dès maintenant, nous dénonçons la ruée de ces bandes armées qui seront aidées et protégées par la Schupo (police armée) et la Reichswehr (l’armée).

S’il est vrai que nous assistons à la préparation d’une Saint-Barthélémy de la démocratie allemande, une protestation doit monter du prolétariat international contre un tel crime.

Aujourd’hui, ce sont les libertés de parole et de presse qui sont cyniquement supprimées. Demain, ce seront les personnes qui seront assassinées : ce sera la République allemande détruite.

Travailleurs allemands, dans cette lutte, nous sommes avec vous ! Votre cause est la nôtre. La cause de la démocratie allemande et celle de la Paix sont liées.

La Commission administrative de la Confédération générale du travail,
La Commission administrative permanente du Parti socialiste (S.F.I.O.) »

On doit donc considérer le mois de février 1933 comme un tournant, car tant les communistes – par espoir de prendre le dessus dans la crise – que les socialistes dont les dirigeants sont anti-communistes – ferment la porte à l’unité antifasciste.

Les choses auraient été fondamentalement différentes si l’appel de l’Internationale Ouvrière Socialiste avait été valorisé, tant par les communistes que les socialistes.

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L’appel antifasciste de l’Internationale Ouvrière Socialiste

La question allemande disparaît pratiquement complètement au bout de deux semaines après la nomination d’Adolf Hitler comme chancelier. Symbole terrible de cette incompréhension française du drame allemand, Le Populaire, l’organe de la SFIO, publie seulement en troisième page, dans une colonne de côté, le 21 février 1933, l’appel de l’Internationale Ouvrière Socialiste intitulé « Debout, pour la lutte contre le fascisme : Debout, pour la lutte contre la guerre! ».

Les pages 1 et 3 du Populaire du 21 février 1933, l’appel de l’Internationale Ouvrière Socialiste n’a même pas de titre marqué page 3

Il commence ainsi :

« C’est en un moment de danger suprême pour la classe ouvrière, pour la liberté et la paix, pour la civilisation, nous nous adressons à vous !

Allié à la réaction du grand capitalisme et de la féodalité, Hitler a pris le pouvoir en Allemagne. La lutte décisive est actuellement engagée entre le fascisme et la classe ouvrière en Allemagne. L’enjeu est énorme.

Si le fascisme réussissait se maintenir et à se fortifier en Allemagne, alors, avec la démocratie allemande, avec la République allemande, se perdraient les résultats d’un demi-siècle de lutte de classe prolétarienne.

Si l’assaut du fascisme devait anéantir les organisations ouvrières en Allemagne, le prolétariat de toute
l’Europe centrale se trouverait dans le grave danger, et la réaction du monde entier se sentirait encouragée à attaquer tout ce que la classe ouvrière a réalisé dans le domaine social.

Aussi avons-nous pleine confiance que les travailleurs d’Allemagne dont la lutte est si dure et pleine de sacrifices, et dont les socialistes de tous les pays sont solidaires, infligeront une défaite au fascisme et à la contre-révolution.

C’est pourquoi nous appelons les travailleurs de tous les pays à aider de toutes leurs forces le prolétariat d’Allemagne en pensant à l’importance historique mondiale de sa lutte. »

Et la suite du document, appelant à l’unité socialiste-communiste, explique en fait pourquoi le document a été relégué à la page 3. C’est qu’en Europe centrale, il y a une tradition social-démocrate historique, d’une part, et une compréhension concrète et non pas abstraite du fascisme, d’autre part.

Le document est donc formel dans son exigence d’unité et cela va totalement à rebours de ce qu’a toujours fait la SFIO depuis 1920. On peut voir ici qu’on a dans l’Internationale Ouvrière Socialiste une expression hégémonique temporaire de la très puissante social-démocratie autrichienne, qui formait son aile gauche et est pro-URSS (considérée comme socialiste) tout en rejetant le bolchevisme.

Ce qu’on lit ensuite est non seulement acceptable pour une discussion avec les communistes, mais cela converge même entièrement avec eux.

« L’Internationale ouvrière socialiste a toujours reconnu que la lutte fratricide du prolétariat est la principale raison de son affaiblissement et, partant, la meilleure alliée du fascisme.

Aussi, l’Internationale Ouvrière Socialiste a-t-elle toujours été convaincue que la fin de la scission et l’unité du prolétariat sont les conditions préalables du déploiement complet de la force prolétarienne.

En face du terrible danger qui menace la classe ouvrière d’Allemagne et du monde entier, les conséquences tragiques de la scission apparaissent plus évidentes que jamais auparavant.

Les maux engendrés par une quinzaine d’années de scission ne peuvent malheureusement pas être abolis d’un moment à l’autre. Mais l’expérience historique de l’heure présente ne doit pas seulement servir à stimuler dans l’avenir la volonté de réédifier une organisation de, combat unique de la classe ouvrière, mais, dès à présent, elle doit conduire à l’effort pour accroître autant que possible la puissance combative du prolétariat.

Les dangers sont trop grands pour que l’aspiration unanime des travailleurs à l’unité du prolétariat dans la bataille soit exploitée pour des manœuvres de partis. L’Internationale Ouvrière Socialiste vise à l’organisation d’une action commune sur la base d’une entente sincère et honnête.

En face des dangers tragiques qui les menacent, nous exhortons les prolétaires allemands, les prolétaires de tous les pays à mettre fin à toutes les attaques réciproques et à lutter ensemble contre le fascisme. L’Internationale Ouvrière Socialiste a toujours été prête à négocier, au sujet d’une telle communauté de lutte, avec l’Internationale Communiste, dès que celle-ci se déclarerait prête à le faire.

Travailleurs du monde entier !

Tandis que le capitalisme vous précipite en masse dans la misère et la détresse, tandis qu’il organise les hordes fascistes contre vous, il prépare l’immense catastrophe d’une nouvelle guerre.

Déjà, nous nous trouvons devant le fait sanglant de la guerre en Extrême-Orient, mais aussi devant le danger qu’en Europe également s’accomplisse une évolution de plus en plus rapide qui menace d’aboutir à une nouvelle guerre mondiale.

L’impérialisme japonais triomphe. Au mépris des traités qu’il a solennellement signés, le Japon a occupé à main année le territoire chinois, il a créé l’État-pantin de Mandchourie et il s’apprête à conquérir encore d’autres provinces chinoises.

L’apparence soigneusement gardée jusqu’ici, qu’il n’y a pas guerre entre la Chine et le Japon, s’évanouit.

Les plans monstrueux des impérialistes japonais deviennent de plus en plus clairs et la Société des Nations a été impuissante à les arrêter.

Tandis qu’en Extrême-Orient la guerre sévit et menace de s’étendre indéfiniment, en Europe même se préparent les événements qui, tôt ou tard, finiront par compromettre la paix en Europe.

Depuis plus d’un an, la Conférence du désarmement se prolonge sans aucun résultat. Transformés en gigantesques camps armés, groupés en alliances puissantes, les États européens armés de pied en cap, se trouvent en face les uns des autres.
Le danger s’aggrave que non seulement la Conférence n’aboutisse pas au désarmement, mais qu’elle donne prétexte à de nouveaux armements.

Le progrès du fascisme met à la tête des nations les forces nationalistes et militaristes. Hitler en Allemagne, Mussolini en Italie, Pilsudski en Pologne, Horthy en Hongrie, la dictature royale en Yougoslavie, des dictatures ouvertes ou dissimulées dans tous les autres pays des Balkans, tous sont prêts à diriger vers l’extérieur les forces sur lesquelles ils s’appuient à l’intérieur et à transformer de nouveau l’Europe en un champ de bataille.

Les fascistes en Italie, la Hongrie contre-révolutionnaire, la dynastie détrônée des Habsbourg, s’efforcent d’exploiter, pour leurs fins respectives, le mouvement des races yougoslaves dont la dictature militaire a aggravé les antagonismes ; ils suscitent ainsi dans l’Europe centrale une zone de graves dangers pour la paix.

Les projets de former un bloc des États fascistes et de l’opposer à la France et à ses alliés de l’Est menacent désormais de partager l’Europe en deux camps ennemis s’armant l’un contre l’autre. L’Europe sait, par sa sanglante expérience, où conduit la politique des alliances.

Si les antagonismes des grandes puissances paralysent la Société des Nations, si la direction de la bourgeoisie tombe de plus en plus dans les mains des groupes fascistes, il est évident que seule la force du prolétariat est capable d’empêcher la catastrophe mondiale, qui sinon s’abattra fatalement sur l’humanité et anéantira de nouveau des millions de jeunes vies humaines.

L’Internationale Ouvrière Socialiste n’a jamais manqué de mettre en garde contre la catastrophe menaçante et de mener la lutte la plus énergique contre la guerre et la préparation de la guerre. Aussi a-t-elle le droit, dans cette heure décisive, d’élever une fois encore la voix pour avertir des événements terribles qui se préparent.

L’Internationale Ouvrière Socialiste appelle tous les travailleurs à s’unir afin de repousser en une lutte solidaire le danger imminent d’une nouvelle guerre mondiale !

L’Internationale Ouvrière Socialiste invite tous les hommes qui veulent empêcher un nouveau massacre, préserver la paix et les progrès de la civilisation, à prendre place dans l’armée du prolétariat.

Travailleurs du monde entier !

La responsabilité des dangers terribles qui menacent la liberté et la paix incombe aux classes dominantes de tous les pays. D’une part, la bourgeoisie capitaliste des pays vainqueurs a, par sa politique impérialiste, entravé et paralysé dans les pays vaincus la jeune démocratie naissante et l’ascension de la classe ouvrière. De l’autre, la bourgeoisie des pays vaincus a utilisé les conséquences de la défaite pour attiser les passions nationalistes et pour reconquérir, sous la forme du fascisme meurtrier et belliqueux, le pouvoir qui lui échappait.

C’est pourquoi il importe de lier la lutte de défense contre le fascisme et contre le danger de guerre à la lutte contre le capitalisme, pour la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, pour le socialisme.

La victoire est à nous, si nous nous unissons pour la remporter !

Vive la liberté !

Vive la paix !

Vive le socialisme !

Zurich, le 19 février 1933.

Le Bureau de l’Internationale Ouvrière Socialiste »

La publication en page 3 d’un tel document historique représente une faillite sans pareille. Cela montre que la prise de conscience par les ouvriers socialistes (mais aussi communistes) de la victoire du nazisme en Allemagne ne fut que tardive.

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