Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • PCMLM [F], OOA (MLM, pM): Vive la pensée Ibrahim Kaypakkaya!

    « Savaş arın kazan ! », « Guerre, purification, victoire ! » – c’est un grand slogan maoïste, utilisé par les maoïstes de Turquie dans les années 1980, après le détour causé par la mort du grand communiste Ibrahim Kaypakkaya, tué le 18 mai 1973, il y a 40 ans.

    Comme dit dans le document sur la Pensée – guide :

    « Ibrahim Kaypakkaya a fondé TIKKO, l’armée de libération ouvrière et paysanne de Turquie (Türkiye İşci ve Köylü Kurtuluş Ordusu).

    Ibrahim Kaypakkaya a lui-même été grièvement blessé durant un combat avec l’armée réactionnaire dans la montagne de Dersim ; il a réussi à s’échapper, toutefois il a été capturé une semaine après.

    Il fut forcé de marcher pieds nus sur 50 km de glace et de rivières gelées, de ville en ville, puis placé dans la prison de Diyarbakir pour pratiquement quatre mois, où il a été placé en cellule d’isolement et systématiquement torturé.

    Il fut finalement exécuté par la réaction, comme il ne révélait absolument aucune information. »

    Depuis cette mort héroïque, il y a le slogan « İbo yaşıyor, TİKKO savaşıyor ! » – « Ibrahim est vivant, TIKKO se bat ! »

    D’Afghanistan et de France, nous saluons la grande figure d’Ibrahim Kaypakkaya, et nous disons également : « Yaşasın Marksizm-Leninizm-Maoizm ! Yaşasın halk savaşı ! » – « Vive le marxisme-léninisme-maoïsme ! Vive la Guerre Populaire ! »

    Et nous savons qu’ Ibrahim Kaypakkaya est le porteur de la pensée guide en Turquie.

    En se fondant sur les enseignements du Président Mao Zedong, tous les dirigeants révolutionnaires du monde des années 60 et 70 du 20e siècle ont expliqué que les régimes faussement démocratiques des pays semi-féodaux semi-coloniaux / des colonies sont les représentants d’une dictature conjointe de la bourgeoisie bureaucratique / bureaucratique compradore et les grands propriétaires terriens.

    Cette dictature conjointe émerge comme fascisme dans de tels pays. Le grand dirigeant du prolétariat de la Turquie, le président Ibrahim Kaypakkaya, s’est affirmé dans la thèse du capitalisme bureaucratique du président Mao, s’opposant au kémalisme et à ses laquais.

    Comme Kaypakkaya l’a expliqué:

    « Le kémalisme est lui-même le fascisme, la dictature kémaliste est une dictature militaire fasciste. »

    Le régime kémaliste turc prétendait et prétend être « démocratique » ; en fait, « le kémalisme signifie: toutes les pensées progressistes et démocratiques sont mises dans les chaînes, tout type de presse qui ne chante pas les louanges du kémalisme est interdit. »

    Ibrahim Kaypakkaya a également mené une brillante lutte de deux lignes dans la défense du marxisme et dans le combat contre le révisionnisme.

    Les lignes alors guévariste et centriste, principalement le THKP-C de Mahir Cayan et le THKO de Deniz Gezmiş, qui n’ont pas adopté la ligne correcte du Mouvement Communiste International présentée par le président Mao Zedong au début des années 1960, se noyaient de jour en jour noyé dans le révisionnisme.

    Le camarade Ibrahim a rejeté cela comme du centrisme, et arboré, défendu et appliqué la ligne internationale du président Mao contre le révisionnisme moderne.

    Ibrahim KaIbrahim Kaypakkaya a expliqué ici:

    « Les considérations idéalistes et contraires à la réalité de la moyenne bourgeoisie, en particulier au sujet du kémalisme, sont allées tellement en eux [les révisionnistes] et sont donc fixés dans leurs têtes, comme une unité, qu’une considération communiste sur le kémalisme est devenue presque impossible.

    Nous savons trop bien que notre étude sur le thème du kémalisme fait trépigner de rage toutes les organisations et courants bourgeois et petit-bourgeois, depuis [les gens du courant centre républicain] Çetin Altan [journaliste et parlementaire du Türkiye İşçi Partisi, Parti des travailleurs de la Turquie], Doğan Avcioglu [journaliste], İlhan Selçuk [avocat et journaliste] jusqu’au TIP, Mihri Belli [principal théoricien de la gauche kémaliste, en faveur d’un coup militaire d’officiers kémalistes et ayant formulé le principe de Milli Demokratik Devrim – Révolution Nationale Démocratique],

    Hikmet Kıvılcımlı [membre du Parti Communiste de Turquie et fondateur du Vatan Partisi – Parti patriotique], le TKP [Parti Communiste de Turquie], le THKP-THKC [Türkiye Halk Kurtuluş Partisi – Cephesi, Parti – Front de libération du peuple du Turquie, une guérilla guévariste fondé par Mahir Çayan], la THKO [Türkiye Halk Kurtuluş Ordusu – Armée populaire de libération de la Turquie, la guérilla sans parti fondé par Deniz Gezmiş] et les révisionnistes de Safak.

    Mais n’est-il donc pas nécessaire de jeter un regard plus sérieux à l’histoire de la Turquie, d’essayer de la saisir correctement? La réalité de la Turquie nous montre que: le kémalisme signifie un anti-communisme fanatique. »

    Quand on étudie les oeuvres du Président Kaypakkaya, nous trouvons de grandes similitudes avec celles du Président Gonzalo qui a écrit près d’une décennie plus tard.

    Nous trouvons également des similitudes avec les Présidents Siraj Sikder et Akram Yari. Tout cela vient d’une position maoïste unique et fondée sur des principes, qui a été prise par de grands révolutionnaires de différents pays.

    C’est aussi une réaffirmation des Pensées – guides des dirigeants révolutionnaires mentionnés ci-dessus, dont les Pensées sont l’application créative de la vérité universelle du marxisme-léninisme-maoïsme aux conditions concrètes de leur pays.

    Comparons par exemple la similitude de la défense du Maoïsme par le Président Ibrahim Kaypakkaya et le Président Akram Yari en ce qui concerne la thèse du capitalisme bureaucratique et du combat contre les agendas bourgeois bureaucratiques.

    Ces deux dirigeants révolutionnaires ont tous les deux déclaré que: la politique de la bourgeoisie bureaucratique n’est rien d’autre qu’un scénario fasciste qui se bat au bénéfice de la dictature conjointe des grands propriétaires terriens et de la bourgeoisie compradore.

    Selon le camarade Ibrahim, même s’il y a une diminution du nombre de paysans dans un pays, et même si la paysannerie n’est pas la majorité dans un pays opprimé, la thèse maoïste du capitalisme bureaucratique est toujours valide.

    Et les armes doivent être prises à l’encontre du scénario fasciste de la bourgeoisie bureaucratique, c’est-à-dire le kémalisme, grâce à la stratégie de la guerre populaire: « la campagne encercle les villes » est la seule solution pour mener la guerre populaire.

    Voici ce qu’il a dit exactement:

    « Même dans le cas où la féodalité a été progressivement résolue et par conséquent la population paysanne est réduite, la stratégie reste toujours valable. »

    Il s’agit d’une position correcte et maoïste. Nous pouvons comparer cette position maoïste classique avec les positions révisionnistes d’aujourd’hui, comme celle du « Parti Communiste maoïste d’Italie » en faveur de Hugo Chàvez ; nous pouvons comparer cela avec la position du Parti Communiste des Philippines pour lequel Hugo Chàvez est un héros pour les masses, ou les illusions petites-bourgeoises de l’UOC-MLM (Colombie), qui s’oppose à l’héritage de la thèse maoïste du capitalisme bureaucratique.

    De l’autre côté, nous pouvons comparer la synthèse ci-dessus du camarade Ibrahim avec la position du camarade Akram Yari, et apprécier la similitude des positions:

    « Est-ce que le développement d’un tel capitalisme corrompu et dégénéré [le capitalisme bureaucratique] qui vient de la situation de l’impérialisme mondial, triomphe de la féodalité sur le long terme ?

    Est-ce que l’impérialisme est en mesure de développer son embryon (le capitalisme) sous cette forme dans ce pays (en Afghanistan)? [Sans s’appuyer sur une forme corrompue, qui est le capitalisme bureaucratique]

    La réponse à cette question, selon notre point de vue, est absolument négative! Tout d’abord, le développement et la croissance du capitalisme de marché libre, qui joue un rôle secondaire dans une telle circonstance, est sujet à la défaite dans la situation internationale du capitalisme impérialiste.

    Cela vient des tendances gloutonnes et de l’expansionnisme hégémonique de l’impérialisme, en particulier du social-impérialisme qui crée des obstacles et empêche le développement de cette classe capitaliste nationale [la bourgeoisie nationale].

    Deuxièmement, il y a la croissance et le développement du capitalisme bureaucratique, qui est mélangé avec l’oppression, les troubles et les discriminations féodales, et contaminé par des corruptions, la hiérarchie des privilèges, et en même temps la dictature religieuse fasciste qui lui est aussi inséparablement annexée, et est la seule forme qui a vu le jour dans tous les pays sous la domination du capitalisme [impérialiste] ; dans une telle forme dégénérée [qu’est le capitalisme bureaucratique], non seulement ne se développe pas le capitalisme dans de tels pays, mais plutôt se renforcent et se fortifient les vestiges du féodalisme, et cela joue un rôle pour sauver le féodalisme dans ses frontières, et par cela [un tel développement dégénéré du capitalisme], se maintient la stabilité du marché mondial impérialiste.

    Donc, la seule chose que le marché impérialiste apporte à de tels pays, et qu’il appelle « modernisation », est un capitalisme corrompu chétif, qui est pourri et dégénéré plutôt que progressiste, et est plus âgé que n’importe qui peut supposer [et celai est contraire aux allégations de ses apologistes qui argumentent pour son caractère moderne], et c’est plus que son caractère « moderne », cet appui sur le pourri et le vieux [les vieilles infrastructures et superstructures préalables]. »

    Avec tout cela à l’esprit, pour le 40e anniversaire du martyr du camarade Ibrahim Kaypakkaya, nous exprimons notre salut rouge au chemin brillant du camarade Kaypakkaya, la route dorée du communisme!

    Nous nous sentons engagés par rapport aux contributions que le Président Kaypakkaya a faites aux masses et à la classe ouvrière de Turquie.

    Il est vivant comme un héros des masses, et son nom inspire même les masses révolutionnaires des autres pays. Il est un symbole de l’internationalisme prolétarien, et sa Pensée – guide est la clé pour comprendre le chemin de la révolution pour la Turquie et à la conduite de la Guerre Populaire jusqu’au communisme.

    Nous exprimons notre haine illimitée aux bureaucrates bourgeois et seigneurs de la guerre réactionnaires qui sont les assassins du camarade Kaypakkaya, et nous savons qu’il est inévitable que la Guerre Populaire en Turquie se développe et triomphe.

    Vive la Guerre Populaire Prolongée en Turquie !

    Masses prolétariennes et opprimées de Turquie:
    arborez, défendez et appliquez la Pensée guide
    de la révolution du camarade Kaypakkaya!

    Vive le Marxisme-Léninisme-Maoïsme, principalement le Maoïsme!

    Guerre Populaire jusqu’au Communisme!

    Organisation des Ouvriers d’Afghanistan (Marxiste-Léniniste-Maoïste, principalement Maoïste)

    Parti Communiste Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste (France)

    Mai 2013

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  • Petit historique des organisations révolutionnaires en Turquie

    LA TURQUIE ET LA RÉVOLUTION

    LA NAISSANCE DE LA TURQUIE MODERNE

    La première guerre mondiale marque l’écroulement de l’Empire ottoman et son occupation par les alliés. De 1919 à 1922 la lutte de  » libération  » est menée par Mustafa Kemal, dit Atatürk,  » le père des Turcs « .

    Le kémalisme est une idéologie laïque, républicaine, visant au développement du pays. Toute la question de la révolution en Turquie passe par l’interprétation de Mustafa Kemal :

    – Pour certains, le kémalisme a été un pas en avant et il faut le pousser à son extrême ;

    – Pour d’autres le kémalisme a été un point positif mais a ensuite collaboré avec l’impérialisme ; il faut donc finir le travail ;

    – Pour les derniers enfin, le kémalisme revient à du fascisme, une  » révolution par en haut  » empêchant celle par en-bas. De fait, dans les années 1930-1940, la Turquie s’alliera à tous les pays capitalistes (l’Angleterre, l’Allemagne, la France, les USA…) pour après 1945 s’aligner principalement sur les USA.

    LES ANNÉES 1960

    Le 13 Février 1961, des syndicats et des intellectuels d’extrême gauche fondent le TIP [Parti des Travailleurs de Turquie]. C’est le premier grand renouveau du mouvement ouvrier depuis l’écrasement du Parti Communiste de Turquie par les kémalistes dans les années 1920.

    Le TIP n’est pas un parti de masse mais plutôt un rassemblement des travailleurs urbains politisés, d’enseignants. Au milieu des années 60, le TIP crée une Fédération des Clubs d’Idées [FKF] pour rassembler des étudiants et des lycéens et les orienter ensuite vers le parti. La FKF va rassembler plusieurs tendances révolutionnaires, unies par une perspective antifasciste et anti-impérialiste.

    La FKF déborde très vite le TIP et se transforme en octobre 1969 en une fédération de la jeunesse révolutionnaire [Devrimci Gençlik, Jeunesse Révolutionnaire, également surnommé Dev Genç].

    En novembre 1970, deux tendances de Dev Genç déclarent leur intention de passer à la lutte armée et se lancent aussitôt dans la guérilla, influencées par les guérillas urbaines d’Amérique Latine. Leur ligne politique est la stratégie de révolution démocratique nationale, MDD [Milli Demoratik Devrim],pour développer la guerre populaire. Ces deux tendances prennent le contrôle de l’exécutif de Dev Genç. Les partisans de Mao Zedong quittent Dev Genç et fondent le TIIKP [Parti Révolutionnaire Ouvrier-Paysan de Turquie].

    DE 1970 AUX GUÉRILLAS

    Les deux tendances pro-guérilla de Dev Genç passent à l’action en 1971. Le 22 décembre 1970 est fondé le THKO [Armée de Libération du Peuple de Turquie], fondé par Deniz Gezmis. Le modèle révolutionnaire est Cuba : en fondant une armée unissant le peuple, l’État peut être très vite balayé.

    Le THKO se fait très vite liquidé et Deniz Gezmis condamné à mort. C’est alors la naissance en 1971 du THKP-C [Parti-Front Populaire de Libération de la Turquie], fondé par Mahir Cayan.

    Le THKP-C a attaqué à la bombe de nombreuses entreprises liées aux USA, les consulat américain et anglais d’Istanbul, un dépôt de l’armée US et une vedette marine militaire américaine. Il a également enlevé l’ambassadeur israélien et revendiqué la libération des prisonnier-e-s du THKO.

    Le 30 mars 1972, à Kizildere, Mahir Cayan et ses camarades sont tués par l’offensive de l’État turc. Se fonde alors le TKP-ML/TIKKO [Parti Communiste de Turquie – Marxiste-Léniniste / Armée Ouvrière et Paysanne de Libération de la Turquie], avec à sa tête Ibrahim Kaypakkaya, issu du FKF, et qui a provoqué une scission dans le TIIKP.

    Le TIKKO développe la guerre populaire dans les campagnes, selon les principes développés par Mao Zedong, mais est lui aussi liquidé par l’armée. Réfugié une semaine dans une grotte, Kaypakkaya est arrêté, une partie de ses membres devant être coupée car gelée. Torturé trois mois et demi sans parler, il meurt assassiné à l’âge de 24 ans.

    DE LA RECONSTRUCTION AU PUTSCH MILITAIRE DE 1980

    Les années suivant la destruction des trois guérillas sont marquées par leur reconstruction et le développement du mouvement de masse. Dès novembre 1975, des associations de jeunes révolutionnaires apparaissent sous le nom de Dev Genç et relancent le processus révolutionnaire. Ces organisations se réclament du prolongement des théories des dirigeants qui ont été torturés et massacrés par le régime fasciste de Turquie dans les années 70.

    Ce sont les années d’apogée des  » urgentistes « , pour qui la lutte armée doit être mené le plus vite possible pour casser  » l’équilibre artificiel  » imposé par l’État fasciste. En 1975 se forme ainsi la MLSPB [Ligue Marxiste-Léniniste de Propagande Armée] et en 1976 le THKP-C/HDÖ [THKP-C/Avant-garde Révolutionnaire du Peuple], qui vont mener plusieurs centaines d’actions armées.

    Se forme également la Fédération de la Jeunesse Révolutionnaire (DGDF) qui compte un nombre important d’associations qui lui sont liées un peu partout en Turquie, alors que le TKP-ML se reconstitue peu à peu depuis 1974.

    En 1976, des différences politiques qui existent au sein du DGDF se traduisent par la formation d’un nouveau groupe très important quantitativement, Dev Yol [Sentier révolutionnaire].

    Le mouvement se développe donc jusqu’au 1er mai 1977, un rassemblement exceptionnel de manifestants d’extrême- gauche qui s’est réuni à la place de Taksim située dans le centre ville d’Istanbul. Le nombre des manifestants (plus d’un million) a fait de ce 1er mai une date importante dans l’histoire du mouvement révolutionnaire en Turquie. Cependant, la répression sanglante qui émane de l’État réactionnaire turque s’est soldé par le massacre de 34 personnes ce jours-la.

    C’est alors la formation en 1978 de Devrimci Sol [Gauche Révolutionnaire, communément appelé  » Dev Sol « ], qui reprend le flambeau du THKP-C. Son succès est énorme et ses actions armées marquent la Turquie.

    DE 1980 À 1991 L’ÉVOLUTION DES TROIS TENDANCES PRINCIPALES

    En 1980, l’armée écrase le mouvement révolutionnaire par un putsch sanglant. Les organisations révolutionnaires sont pour la plupart écrasées, mais se reconstruisent très vite, particulièrement Devrimci Sol et le TKP-ML, qui deviennent les deux principales organisations menant la lutte armée.

    Coexistent à côté une multitude de petits groupes armés issus du THKO ou du THKP-C, même si la plupart des partisans du THKO ont privilégié une approche farouchement opposée aux groupes armés. Il y a donc à peu près une dizaine d’organisations menant la lutte armée de manière conséquente, au moins une trentaine de sous-groupes issus de ces groupes, et un grand parti réformiste : l’ÖDP, qui refuse tout lien avec les groupes armés.

    Les organisations issues du THKO

    Les partisans du THKO sont ceux qui avaient comme slogan  » nous sommes les vrais kémalistes « . Pour la majorité de ses partisans, la Turquie est un État capitaliste. Le THKO rejetait la nécessité du parti et était ainsi franchement populiste ; l’armée suffirait à rallier les masses. Idéologiquement, les partisans du THKO ont systématiquement été proches de l’Albanie d’Enver Hoxha. Le principal groupe issu du THKO fut Halkin Kurtulusu [La libération du peuple], qui donnera le TDKP [Parti communiste révolutionnaire de Turquie], créé le 2 février 1980.

    Le TDKP a laissé des traces importantes dans le domaine de la propagande de la lutte armée, sans pour autant s’investir réellement dans une stratégie de guérilla. Le repli révolutionnaire du TDKP dans les années 90 s’est d’ailleurs traduit par la continuation de la lutte de manière légale sous le nom du Parti du travail [Emek Partisi] et par une critique virulente des groupes menant la lutte armée. Une partie du TDKP formera le TDKP/Leninist, qui deviendra Ekim [Octobre] puis le TKIP [Parti Communiste Ouvrier de Turquie] en 1998.

    Le TIKB [Union des Communistes Révolutionnaires de Turquie], crée en 1978, est également issu du THKO. Soutenant la lutte armée et organisant des comités de jeunesse antifascistes, TIKB est aujourd’hui une organisation très active en Turquie. En 1980 s’est fondé le TKEP [Parti communiste du travail de Turquie] qui connaîtra par la suite une scission TKEP/Leninist, groupe pro-cubain soutenant la lutte armée.

    Les organisations issues du THKP-C

    Pour le THKP-C, la Turquie est une néo-colonie ; il faut une révolution  » anti-impérialiste et anti-oligarchique « . Aujourd’hui quasiment disparues, la MLSPB et le THKP-C/HDÖ ont eu avant 1978 un impact important, notamment par le fait que les Cellules Communistes Combattantes belges se sont reconnues dans leur idéologie et qu’Action Directe a mené à Paris une action armée contre la banque israélienne Leumi en commun avec le THKP-C/HDÖ.

    Mais à partir de 1978 (naissance de Devrimci Sol) et du putsch de 1980, les  » urgentistes  » disparaissent.

    Les organisations issues du TKP-ML

    Le TKP-ML a réussi à se reformer et à devenir dans les années 1980 une très grande organisation, notamment dans le bastion kurde du Dersim.

    En 1987 une grande scission sépare l’organisation en deux (TKP-ML troisième conférence et TKP-ML DABK) qui se réunissent en 1992. Les principaux théoriciens de ces trois tendances sont donc Deniz Gezmiç, Mahir Cayan et Ibrahim Kaypakkaya. Resté plus proche du kémalisme, Deniz Gezmiç est plus ou moins intégré dans l’idéologie dominante, où il est présenté comme un  » romantique « .

    Il est par contre bien plus difficile de mentionner Mahir Cayan ou de trouver sa littérature, ce qui relève presque de l’impossibilité pour celle d’Ibrahim Kaypakkaya, pour qui  » le kémalisme c’est le fascisme « .

    DE 1991 À 1996 L’APOGÉE DU MOUVEMENT

    Les années suivant la guerre du golfe sont celles de l’apogée du mouvement. Devrimci Sol, s’effondrant sous le poids de ses contradictions internes, renaît en 1994 sous la forme du DHKP-C [Parti / Front Révolutionnaire de Libération du Peuple], capable d’amener 30.000 partisans dans les rues d’Istanbul le 1er Mai, défilant derrière des foulards rouges et attaquant la police aux cris de  » Vive la guérilla « .

    Le quartier de Gazi à Istanbul, bastion du DHKP-C, se révolte contre la police pendant plusieurs jours, et le prestige de l’organisation est énorme ; c’est également l’ébullition dans les facultés. Dans les villes c’est également la naissance du MLKP (Parti Communiste Marxiste-Léniniste), qui rassemble les restes des groupes communistes non-armés et arrive à fonder une organisation de masse.

    Dans les campagnes, le TKP-ML se relance et se développe dans des régions sans guérilla jusqu’alors, notamment le nord-est du pays (la région de la mer noire). La grande grève de la faim de juin/juillet 1996, marqué par la mort de 12 détenus, est incroyablement bien soutenue et marque l’apogée du mouvement.

    DE 1996 À 2002

    Les années suivant la grande grève de la faim sont des années paradoxalement difficiles. Les raisons sont à la fois objectives et subjectives. Il y a déjà des problèmes internes.

    Le TKP-ML se transforme en un TKP(ML) et un TKP/ML, le TIKB en TIKB et TIKB Bolsevik, etc. Il y a ensuite l’arrêt de la lutte armée par le PKK, qui démoralise les masses kurdes et permet à l’armée turque de renforcer sa répression sur les organisations révolutionnaires. Le prestige de l’État turc suite à l’arrestation d’Öcalan a joué un rôle très négatif.

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  • L’irruption politique d’Éric Zemmour en France:un exemple d’activation mécanique par la contre-révolution

    Lorsqu’il y a une crise, il y a un renouvellement de la vie politique et une modification de celle-ci, conformément aux besoins de changement de forme du régime. C’est là quelque chose qui se vérifie aisément historiquement et l’Histoire est riche de figures propulsées par le capitalisme en crise, après avoir été façonné de manière adéquate.

    Les figures des années 1920-1930 sont bien connues. Benito Mussolini était une figure de la gauche du Parti socialiste italien, Adolf Hitler un ancien soldat rejoignant un regroupement ultra-nationaliste, Jozef Piłsudski le chef du parti socialiste polonais, Engelbert Dollfuss un ancien soldat représentant des grands propriétaires terriens, Salazar un économiste catholique, Metaxas un haut responsable militaire comme Franco et Horthy…

    Tous ont été propulsés de manière subite sur le devant de la scène, pour des raisons historiques propres à leur pays. Ainsi, Benito Mussolini a assumé le nationalisme et a diffusé le style syndicaliste révolutionnaire dans les couches petites-bourgeoises contestataires ; Hitler portait le pangermanisme ; Piłsudski avait une ligne expansionniste non étroitement ethnique polonaise ; Dollfuss portait le catholicisme, tout comme Salazar ; Metaxas, Fracnco et Horthy avaient l’armée avec eux…

    De nombreuses figures françaises ont cherché pareillement à profiter du même élan : le colonel La Rocque avec ses Croix de Feu qu’il transforma en Parti Social Français, Henri Dorgères avec ses chemises vertes paysannes, Jacques Doriot avec le Parti populaire français… C’est finalement le maréchal Pétain qui réussit, en profitant de la défaite de 1940 et alors qu’il était une figure du « recours » tendancielle au début des années 1920.

    Car le recours par la bourgeoisie, ou plutôt la haute bourgeoisie, à une figure « providentielle » est toujours tendancielle. Il ne s’agit pas d’un processus rationnel, d’une construction sur le sol du réel, comme pour les dirigeants du mouvement ouvrier. Il s’agit simplement d’une capacité à propulser.

    Il y a besoin d’une figure qui soit le vecteur de certaines valeurs, d’un certain style. Il n’y a nullement besoin de cohérence idéologique et d’ailleurs justement moins il y en, mieux c’est, puisqu’il s’agit de mettre en avant une figure providentielle agissant de manière pragmatique pour re-solidifier les fondations de la société capitaliste.

    Il n’y aucune règle qui puisse ici prévaloir, d’où l’échec de La Rocque, alors que son Parti Social Français était dans les années 1930 un très large mouvement de masses. Pareillement, l’ancien Chef d’État-major des Armées Pierre de Villiers s’était placé comme un tel homme providentiel pour 2022, jouant de la carte du militaire capable de décisions… et c’est pourtant un simple journaliste, Éric Zemmour, qui l’a remplacé à ce poste.

    C’est un excellent exemple de cette tendance qui n’est jamais qu’une simple tendance. Chercher de manière rationnelle le positionnement de tels hommes providentiels, c’est rater leur substance et tomber dans le piège.

    Rien ne présageait d’ailleurs à ce qu’Éric Zemmour, sans même encore avoir annoncé sa candidature, soit début octobre à 15 % d’intentions de vote. Éric Zemmour a en effet eu une carrière tout à fait classique : d’un milieu modeste, il fait Sciences Po et rate l’ENA, devient journaliste dans les milieux bourgeois conservateurs alors que lui-même intègre la bourgeoisie juive de l’Ouest parisien (avec sa vraie religiosité et son affection pour le Paris Saint-Germain au Parc des Princes), il publie des romans et des essais, tout en étant chroniqueur à la radio et la télévision.

    Seulement, avec la seconde crise générale du capitalisme, le point de vue d’Éric Zemmour est utile, car il consiste en un anticapitalisme romantique. Il ne faut pas chercher bien entendu d’idéologie à Éric Zemmour : il n’en a pas.

    Déjà, parce qu’aucun homme « providentiel » n’en a, par définition même, et ensuite parce que c’est une tradition française bourgeoise que d’éviter tous système de pensée (ce qui est commun à Napoléon, Napoléon III, Maurras, Jaurès, de Gaulle, etc.).

    De plus, Éric Zemmour écrit aussi mal qu’il parle bien et ses œuvres sont d’une faiblesse inouïe, sans aucune colonne vertébrale intellectuelle par ailleurs. Tout est pioché, bricolé, tel un copié collé typique du début du 21e siècle avec toute sa décadence.

    Cependant, cet anticapitalisme romantique mis en avant par Éric Zemmour correspond aux besoins de la haute bourgeoisie et il est connu qu’on retrouve comme proches d’Éric Zemmour le riche financier Charles Gave qui promeut une ligne identitaire, le banquier d’affaires de Rotschild puis JP Morgan Jonathan Nadler, l’ancien banquier d’affaire chez Rothschild Julien Madar.

    Quand on parle ici de la haute bourgeoisie, on parle en fait d’une certaine haute bourgeoisie, celle de l’Ouest parisien. Celle-ci a connu une profonde transformation, dans la mesure où elle a abandonné le conservatisme catholique qui lui a longtemps servi de porte-drapeau. Elle est désormais ouvertement cosmopolite, fascinée par la modernité du capitalisme américain dans la finance et les startups, elle a largement balancé le racisme par-dessus bord par souci d’efficacité et d’ailleurs elle s’est ouverte aux gens d’origine juive.

    C’est ce changement qui, au fond, a torpillé l’ancien Chef d’État-major des Armées Pierre de Villiers, dont la ligne était ouvertement néo-catholique à l’ancienne. Et c’est ce changement qui permet le succès d’Éric Zemmour.

    Les financiers qui le soutiennent sont en effet typiques de ces jeunes trentenaires ou légèrement plus âges combinant costumes et baskets, vivant pour l’argent et par l’argent tout en écoutant du rap US sans aucun préjugé.

    Le capitalisme est pour eux mondialisé et ils trouveraient absurdes de rejeter un capitaliste parce que noir ou asiatique ; consuméristes et ayant profité d’une France où ils pouvaient librement consommer de Saint-Tropez à Avoriaz, ils sont un mélange de Christian Clavier et de Gerard Depardieu tout en s’imaginant Jean-Paul Belmondo et Alain Delon.

    Pour cette raison, cette bourgeoisie nouveau style n’a rien non plus contre la bourgeoisie « catho tradi » dont un excellent exemple est le milliardaire Vincent Bolloré, à la tête du conglomérat possédant notamment CNews transformé en chaîne populiste de droite où justement Éric Zemmour a pu agir en tant qu’agitateur-chroniqueur de 2019 à sa lancée politique en 2021.

    C’est en fait, sans aucune originalité, un retour à l’alliance RPR-UDF du tout début des années 1980, avec une aile libérale-commerciale-bancaire pro-Europe (l’UDF) et une aile conservatrice-entrepreneuriale gaulliste (le RPR).

    Lorsque se tient en 1990 une convention des états-généraux de l’opposition sur l’immigration, le RPR demande la « Fermeture des frontières » et la « suspension de l’immigration », parle de « réserver certaines prestations sociales aux nationaux » et d’une « incompatibilité entre l’islam et nos lois », etc.

    Éric Zemmour dit précisément la même chose et, d’ailleurs, lui aussi entend faire baisser les impôts et les charges pour les entreprises, se prononçant – plus en privé que publiquement – pour un choc libéral, espérant d’ailleurs à ce titre un soutien général de toute la droite, y compris de l’extrême-droite puisque c’était également l’objectif de Jean-Marie Le Pen.

    Marine Le Pen a pris entre-temps une orientation nationale-sociale lui permettant de s’acquérir de larges parts du vote ouvrier et populaire, mais elle est incapable de prolonger le tir. Éric Zemmour se pose d’autant plus comme rassembleur de la droite et de l’extrême-droite, sur une base RPR-UDF, avec un RPR revenu « aux sources ».

    Il dit lui-même que « Les idées que je défends unissent déjà la droite depuis des années ».

    Éric Zemmour ne cache pas d’ailleurs que sa nostalgie, c’est la France des années 1960-1980, c’est-à-dire d’une France produisant les années fric à la Bernard Tapie et les Bronzés font du ski, avec Jean-Jacques Goldmann pour faire de la variété engagée et Coluche pour se moquer.

    Ce qu’il représente ainsi, c’est une valorisation de la mondialisation pour les couches sociales valorisées – les vacances à Cancún et New York – et une dévalorisation de la mondialisation en général, qui déclasse la France n’ayant pas réussi à s’insérer suffisamment dans la nouvelle dynamique capitaliste commencée en 1989 avec la chute du mur de Berlin.

    Les iPhone et les Mac, c’est bien, mais les prénoms non français comme Mohammed et Kevin, c’est mal.

    Pour cette raison, Éric Zemmour est utilisable et utilisé par la haute bourgeoisie, car :

    – il promeut l’occidentalisme comme idéologie, avec l’Islam servant de paratonnerre aux inquiétudes ;

    – il affirme la nécessité d’une réimpulsion du capitalisme français ;

    – il propose un modèle de société dans le passé et non pas dans le futur.

    Il y a toutefois deux problèmes de fond. Tout d’abord, Éric Zemmour ne pose pas la question de l’orientation stratégique de la France par rapport à l’affrontement sino-américain. Il devra bien le faire, mais cela va nuire à l’unité de ses partisans dans la haute bourgeoisie, cette question étant encore largement en suspens.

    Ensuite, il y a un soutien populaire à Éric Zemmour, car l’immigration s’est déroulée en France sans aucun encadrement et il en relève une véritable anarchie. Le département du 93 est ainsi devenu une vaste zone de réservoir de main d’œuvre bon marché, avec une population coupée historiquement des traditions du mouvement ouvrier, un terrible désœuvrement social, une fuite dans les religions, une montée en puissance des mafias, d’où un violent ressentiment populaire.

    Tout cela relève classiquement de l’immigration capitaliste et de son anarchie – il suffit de regarder les États-Unis pour voir cela exprimé de la manière la plus « pure » – mais Éric Zemmour tourne les choses de manière « occidentaliste » en parlant de « grand remplacement », parce qu’il doit jouer un rôle contre-révolutionnaire dans le peuple.

    Il le fait d’autant plus aisément d’une part parce que les immigrés ont des conceptions féodales de par leur pays d’origine et que le décalage est total avec un capitalisme développé, et parce que l’immigration capitaliste de ces trente dernières années a accompagné une expansion du capitalisme et qu’ainsi la petite-bourgeoisie et la bourgeoisie en est contente dans la mesure où cette main d’œuvre bon marché l’a bien aidé.

    Avec la crise, l’expansion est terminée, la bourgeoisie change son fusil d’épaule, d’où Éric Zemmour comme levier idéologique.

    Et là c’est un problème, car soit il bascule dans le populisme à la Marine Le Pen, mais la haute bourgeoisie n’aime pas vraiment cela (trop risqué !), soit il tombe dans un conservatisme révolutionnaire à la Marion Maréchal, mais alors on perd la base populaire.

    Ce qui revient à dire que pour gagner la présidentielle, Éric Zemmour doit toujours plus utiliser de démagogie envers le peuple – ce qui est le fascisme – mais que cela implique de faux espoirs agitant les masses et pouvant par la suite se retourner en son contraire.

    Dans tous les cas et il faut ici insister sur ce point : il n’y aura pas de cohérence dans les propos, ni sur le plan intellectuel. C’est justement un piège contre-révolutionnaire visant à happer en ce sens.

    Naturellement, les courants « révolutionnaires » petits-bourgeois tomberont dans le panneau, parce qu’ils récusent tant la crise générale du capitalisme que le communisme.

    Mais du côté communiste, il faut au contraire se focaliser sur la proposition stratégique révolutionnaire, en considérant qu’Éric Zemmour comme « homme providentiel » – lui ou un autre – représente une tentative de frein, de contournement contre-révolutionnaire.

    C’est une course contre la montre entre la révolution et la contre-révolution, Éric Zemmour ne représente rien d’autre qu’une tendance et c’est cette tendance qu’il faut dénoncer, et non pas ce qu’il est ou ce qu’il prétend, qui n’est que démagogie, avec d’autant plus de provocations qu’il s’agit de précipiter le plus de gens possibles dans le piège, afin d’être au centre du jeu.

  • Crise ouverte dans les inter-relations Maroc-Algérie-Tunisie-Libye-France-Grèce-Turquie-Russie-Mali

    La situation est explosive dans toute une zone et la série de faits tout récents expliquent d’eux-mêmes la situation. Les voici, avec quelques précisions préalables pour bien saisir l’ensemble.

    Le Maroc et l’Algérie sont en tension forte depuis cinquante ans. Leurs régimes sont très différents. Le Maroc est une monarchie corrompue et dictatoriale, où l’économie est aux mains d’un capitalisme bureaucratique particulièrement lié à la France, la ville de Marrakech servant de Sodome et Gomorrhe français. L’Algérie est une dictature militaire profitant des ressources en gaz et en pétrole pour se maintenir extrêmement difficilement, notamment depuis la vague de contestation de 2019 (appelé le Hirak) alors que le président Abdelaziz Bouteflika, dont on ne sait même pas s’il était encore en vie, briguait un cinquième mandat.

    L’Algérie est ainsi obligée de devenir expansionniste de manière agressive pour faire face à sa crise générale s’insérant dans la seconde crise générale du capitalisme et les ponts ont été rompus avec le Maroc. Ce dernier a reconnu Israël en 2020, en échange d’une reconnaissance américaine de sa domination sur le Sahara occidental, ce que l’Algérie ne reconnaît pas.

    L’Algérie qui s’est rapprochée de la Russie, qui elle-même gagne en influence notamment au Mali, au grand dam de la France, qui par conséquent exerce une nouvelle pression sur l’Algérie pour la faire vaciller, avec l’appui du Maroc.

    Une Algérie qui soutient également la Turquie dans son intervention en faveur du gouvernement libyen contre l’Armée Nationale Libyenne du maréchal Haftar qui a largement profité du soutien français et de l’appui de l’Égypte, de l’Arabie saoudite, des Émirats Arabes Unis et de la Russie.

    La Turquie qui vient de réaliser des manœuvres militaires en Azerbaïdjan, avec des forces armées de ce pays et du Pakistan, au grand dam de l’Iran qui a répondu par ses propres manœuvres, alors que de son côté la France signait une alliance militaire avec la Grèce.

    Ces précisions préalables, censées apporter de la clarté, reflètent en fait plutôt un terrible enchevêtrement d’intérêts et de conflits, le tout renforcé par les poussées impérialistes et expansionnistes des uns et des autres. C’est ni plus ni moins la guerre qui s’annonce, aux dépens des peuples.

    13-14 juillet 2021 : rencontre virtuelle du Mouvement des non-alignés en Azerbaïdjan, où le ministre algérien des affaires étrangères Ramtane Lamamra souligne la nécessaire indépendance du Sahara Occidental occupé par le Maroc et le délégué permanent du Maroc auprès des Nations Unies Omar Hellal a appelé à « l’indépendance du peuple kabyle » en Algérie.

    18 juillet 2021 : l’Algérie rappelle son ambassadeur au Maroc.

    25 juillet : le président tunisien Kaïs Saïed limoge le gouvernement, gèle le parlement, suspend l’immunité des députés et prend les pleins pouvoirs.

    18 août 2021 : l’Algérie décide de réviser ses relations avec le Maroc.

    24 août 2021 : l’Algérie rompt les relations diplomatiques avec le Maroc en accusant celui-ci d’être à l’origine d’incendies meurtriers en Kabylie en liaison avec des mouvements séparatistes.

    14 août 2021 : visite du ministre algérien des affaires étrangères, Ramtane Lamamra, à son homologue turc Mevlut Cavusoglu ; il est parlé de feuille de route et de convergence concernant les questions de la Libye, de la Tunisie et de l’Afrique en général.

    9 septembre 2021 : le ministre algérien des affaires étrangères Ramtane Lamamra explique lors d’un Conseil de la Ligue arabe qu’ « une analyse de la situation nous fait comprendre que certains cherchent à s’attribuer des rôles influents dans la structure de l’ordre régional et international en établissant des alliances dangereuses dans l’unique but de réaliser des acquis immédiats au détriment des nobles objectifs du système de l’action arabe commune ».

    Il y a « des parties [qui] recourent à l’aide et la puissance d’un ennemi historique pour attenter aux frères et s’attaquer directement aux voisins ». L’Agence de presse algérienne APS explique que ces propos font « allusion aux actes perpétrés par le Maroc qui s’allie avec l’entité sioniste pour entamer les intérêts de l’Algérie ».

    Ramtane Lamamra s’est rendu dans les jours suivant à Niamey au Niger, Nouakchott en Mauritanie, Le Caire en Égypte, Kinshasa en République démocratique du Congo (qui préside actuellement l’Union africaine, Brazzaville au Congo-Brazzaville (qui préside le Haut comité africain de suivi du dossier libyen).

    12 septembre 2021 : début en Azerbaïdjan des manœuvres militaires « Trois frères » avec des forces armées de la Turquie, de l’Azerbaïdjan et du Pakistan.

    22 septembre 2021 : l’Algérie n’autorise plus les avions civils et militaires marocains à la survoler, alors qu’elle ne renouvelle pas le contrat d’acheminement de gaz algérien jusqu’à l’Espagne via le gazoduc Maghreb Europe passant par le territoire marocain.

    25 septembre 2021 : à l’assemblée des Nations-Unies le Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga explique que « La nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires ».

    Le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov a confirmé que le Mali avait pris contact avec des sociétés privées russes (servant de forces militaires, par ailleurs présentes au Syrie, au Soudan, en Libye, en République centrafricaine et au Mozambique, en Guinée et au Tchad).

    28 septembre 2021 : la France annonce la réduction drastique de visas pour les ressortissants du Maroc, de l’Algérie et la Tunisie, au motif que ces pays ne reprennent pas leurs ressortissants expulsés. Conférence de presse du président français Emmanuel Macron et du premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis annonçant un partenariat stratégique.

    29 septembre 2021 : l’ambassadeur français à Alger est convoqué et se voit notifier une protestation du gouvernement algérien.

    1er octobre 2021 : l’Iran, qui accuse l’Azerbaïdjan de collusion avec Israël, mène de vastes manœuvres militaires à la frontière avec l’Azerbaïdjan, nommées Fatehan-e Khaybar (les conquérants de Khaybar, du nom du village d’une tribu juive conquise par Mahomet).

    2 octobre 2021 : Le Monde relate des propos du président français Emmanuel Macron lors d’une rencontre deux jours plus tôt avec des petits-enfants de familles liées à la guerre d’Algérie : il parle d’une haine de la France de la part « du système politico-militaire qui s’est construit sur cette rente mémorielle ». Il dit également que le « système algérien est fatigué, le [mouvement de contestation lancée en 2019 et nommé] Hirak l’a fragilisé ».

    Enfin, il dénonce la Turquie : « La construction de l’Algérie comme Nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question. Il y avait de précédentes colonisations. Moi, je suis fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée. Et d’expliquer qu’on est les seuls colonisateurs, c’est génial. Les Algériens y croient ». 

    Le jour même, l’Algérie rappelle son ambassadeur à Paris et ferme son espace aérien aux avions militaires français.

    3 octobre 2021 : l’ambassadeur français à Alger est convoqué et se voit notifier une protestation du gouvernement algérien. 80 militaires de l’armée algérienne participent à des manœuvres avec la Russie en Ossétie du Nord. La Russie est le premier fournisseur de l’armée algérienne et sa part a augmenté de 64% entre 2016 et 2020.

    4 octobre 2021 : Omer Celik, porte-parole du Parti de la Justice et du Développement du président turc Recep Tayyip Erdoğan, dénonce Emmanuel Macron : « si vous deviez faire une déclaration sur un pays en particulier, pourquoi mariez-vous le nom de la Turquie, de notre président et de l’Empire ottoman dans cette affaire ? »

    6 octobre 2021 : en visite à Bamako une seconde fois depuis le 28 août pour rencontrer le colonel putschiste pro-russe Asimi Goïta, le ministre algérien des affaires étrangères Ramtane Lamamra déclare que « le président de la République Abdelmajid Tebboune m’a dépêché auprès du Président de la transition et auprès du Premier ministre pour témoigner la solidarité agissante de l’Algérie au peuple, au gouvernement malien, en cette période de l’histoire contemporaine de votre nation avec laquelle nous avons un destin commun ».

    7 octobre 2021 : le ministre algérien des affaires étrangères Ramtane Lamamra explique à l’agence de presse turque Anadolu, en marge du sommet Italie-Afrique, qu’il était nécessaire de dénoncer « très fortement » et « très fermement » la position française, et que « quelle que soit la crise que traversent les relations algéro-françaises, elle n’aura pas d’impact sur les relations de l’Algérie avec des pays frères comme la Turquie ». Il a souligné que la Turquie était un « acteur international très important ».

  • L’important concept de guerre hybride comme masque de la systématisation du militarisme impérialiste

    Le concept de guerre hybride est désormais tout à fait établi ; on parle là d’un concept couramment employé par les armées et présenté comme la guerre du futur. Voici l’histoire du concept présenté dans le document « Le piège de la guerre hybride », publié en 2015 par le Laboratoire de Recherche sur la Défense de l’Institut français des relations internationales, un très important club de pensée para-étatique français.

    « Le terme de « guerre hybride » (hybrid war) apparaît au mois de novembre 2005 dans un article de deux officiers américains du corps des Marines, le général James Mattis et le colonel Frank Hoffman. Leur objectif est notamment de peser sur le débat autour de la Quadrennial Defense Review (QDR) de 2006 en cours de rédaction.

    L’armée américaine est alors empêtrée en Irak et en train de faire demi-tour sur le programme de « Transformation », poussé par Donald Rumsfeld lors de la QDR de 2001.

    Là où la Transformation faisait la part belle aux nouvelles technologies et à la réduction des effectifs terrestres, les contraintes de l’occupation irakienne donnent une nouvelle voix aux partisans des « boots on the ground » : c’est l’époque du grand retour de la contre-insurrection qui insiste sur les compétences humaines plus que techniques et invite à repenser le centre de gravité des nouveaux conflits.

    Hoffman et Mattis abondent dans ce sens et insistent sur la nouvelle complexité de la guerre moderne qu’ils qualifient pour la première fois d’hybride.

    Selon eux l’Amérique serait, dans les années à venir, susceptible d’être confrontée « simultanément à l’effondrement d’un État failli ayant perdu le contrôle de certaines armes biologiques ou balistiques, tout en devant faire face à une violence fondée sur des clivages ethniques, ainsi qu’à des groupes terroristes radicaux ».

    Cette nouvelle complexité, dont le tableau rappelle à s’y méprendre l’Irak des années 2003-2004, comporterait un potentiel de déstabilisation plus élevé qu’au cours des décennies précédentes. Le concept demeure cependant théorique et il faut attendre août 2006 avec la campagne israélienne contre le Hezbollah pour le voir prendre corps.

    La communauté stratégique est alors surprise par les capacités sophistiquées du Parti de Dieu libanais qui prend en défaut les forces israéliennes, écartelées entre une armée de l’air trop confiante en l’efficacité de ses frappes stratégiques à distance et une armée de terre calibrée sur un conflit de basse intensité dans les territoires palestiniens.

    L’idée qui émerge alors est que le « milieu » du spectre a été négligé au profit de ses deux extrémités et qu’il existe désormais des acteurs irréguliers dont les capacités et les compétences n’ont rien à envier à celles de certains Etats (défense sol-air, missiles antichar, drones, etc.) tout en continuant de bénéficier des avantages traditionnels de l’irrégularité (fugacité tactique, asymétrie morale, soutien populaire). »

    Au début des années 2000, ce qu’on appelle guerre hybride, c’est en fait d’avoir à faire face à un ennemi qui, même s’il n’est pas une structure étatique, dispose de moyens techniques dont il n’aurait pas pu disposer une vingtaine d’années auparavant.

    Pour prendre un exemple concret jamais mentionné, mais de fait tout à fait exemplaire, les Tigres Tamouls au Sri Lanka avaient réussi à mettre en place des mines anti-blindés depuis copiés partout dans le monde, ainsi qu’à réaliser toute une flotte artisanale très variée de semi-sous-marins, de torpilles humaines, de petits patrouilleurs, d’embarcations suicides, de mines marines, etc.

    Le concept de guerre hybride a toutefois été totalement modifié depuis, pour ne pas dire révolutionné, et c’est la Russie qui aurait été la première à en formuler une forme concrète, avec l’annexion de la Crimée par des soldats sans uniformes nationaux et la mise en place de pseudo-États dans l’Est de l’Ukraine.

    Il a été considéré que l’intervention en Crimée des « petits hommes verts », soldats aux moyens techniques ultra-modernes mais sans appartenance officielle à la Russie, présentait une sorte de nouveau coup dans la gamme des actions possibles, tout comme, de manière relative, la mise en place de structures « étatiques » fantoches pour masquer l’occupation de l’Est de l’Ukraine.

    On considère que le théoricien de cette approche nouvelle est Valéri Guérassimov, qui est depuis 2012 chef de l’État-Major général des forces armées de la Fédération de Russie et vice-ministre russe de la Défense. On parle de la doctrine Guérassimov.

    Cependant, en réalité, la doctrine Guérassimov exposée lors d’une conférence par ce militaire consistait en une présentation des menaces pesant sur la Russie, considéré comme une pression à la fois technologique, diplomatique, militaire, économique, culturelle, psychologique, etc.

    On retrouve à l’arrière-plan la menace que représentent les opérations « oranges » des États-Unis. En effet, si on parle de « révolution orange » pour l’Ukraine en 2004-2005, il faut savoir que cette couleur est typique des pseudos-oppositions mises en avant par la superpuissance américaine dans les pays de l’Est européen durant les années 1980.

    Guérassimov pensait également au « printemps arabe », une pure fiction mise en place par les Frères musulmans notamment avec la chaîne du Qatar Al-Jazeerah.

    On l’aura compris, la Russie parle de la menace de guerre hybride et les États-Unis également, et l’expression s’est généralisée, au point que la définition de celle-ci apparaît comme toujours très fluide.

    La revue de l’OTAN, dans un article de mai 2015 intitulé « La guerre hybride existe-t-elle vraiment ? », présente la « guerre hybride » et dit que sa nature conceptuelle est trop floue, qu’il vaut mieux, par conséquent, s’en passer.

    « La récente intervention de la Russie en Ukraine a suscité de nombreux débats sur le recours à la guerre hybride et son efficacité. Il s’agit d’un type de guerre généralement présenté comme alliant guerre conventionnelle et non conventionnelle, guerre régulière et irrégulière, guerre de l’information et cyberguerre (…).

    L’idée générale est que les adversaires d’aujourd’hui ont recours à des moyens conventionnels et non conventionnels, réguliers et irréguliers, visibles et dissimulés.

    Ils exploitent toutes les dimensions de la guerre pour s’attaquer à la supériorité dont jouit l’Occident en matière de guerre conventionnelle. Les menaces hybrides exploitent pleinement tous les aspects de la guerre moderne : elles ne se limitent pas aux moyens conventionnels (…).

    Lors d’une récente rencontre parrainée par l’OTAN et organisée par l’Atlantic Council, les participants ont appris qu’il n’existait « aucune définition unanimement reconnue des termes liés à la guerre hybride ».

    Autrement dit, les vingt-huit membres de l’Alliance atlantique ne parviennent pas à se mettre d’accord sur une définition claire des menaces auxquelles ils sont confrontés.

    Comment les dirigeants de l’OTAN pourraient-ils élaborer une stratégie militaire efficace s’ils ne peuvent définir ce qu’ils considèrent comme la principale menace du moment ?

    Je recommande donc que l’OTAN et les autres décideurs occidentaux oublient toutes les références à l’« hybridité » et qu’ils se concentrent sur la spécificité et l’interconnexion des menaces qui se présentent à eux. »

    C’est que les militaires impérialistes sont coincés, du fait de leur incapacité à porter un regard historique. Car il n’y a en réalité rien de nouveau avec la « guerre hybride » et on parle là simplement du militarisme impérialiste de l’époque de la guerre atomique.

    Les années 1960-1970-1980 ont ainsi déjà connu une telle guerre « hybride », celle-ci s’arrêtent en cours de route en raison de l’effondrement de la superpuissance social-impérialiste soviétique, qui était alors la force la plus agressive dans le monde et qui a été cassé dans son élan.

    Cependant, comme les années 1990-2000-2010 ont été marquées par une paix impérialiste, avec une grande expansion du capitalisme, il n’y a plus eu un tel militarisme impérialiste.

    Il reprend désormais avec la seconde crise générale du capitalisme et cela apparaît comme « nouveau », alors que c’est la simple reprise de ce qui existait au moment de l’affrontement entre les superpuissances américaine et soviétique.

    Il suffit par exemple de penser à l’Afghanistan. Les Soviétiques envahissent le pays à l’appel d’une faction pro-soviétique soutenue à bout de bras pour justifier l’invasion, alors que par la suite les Américains arment les rebelles musulmans par l’intermédiaire de l’Arabie Saoudite, en fournissant des armes soviétiques pour ne pas officialiser trop bruyamment leur action.

    On peut penser aussi aux ordinateurs soviétiques des années 1980, consistant en un pillage des conceptions américaines, ou à la contre-guérilla américaine consistant en des actions armées ciblées contre par exemple les cadres du Black Panther Party et de l’American Indian Movement. On notera que les actions menées ici, sous l’égide du COINTELPRO, utilisaient également la diffamation, l’agression, le sabotage, etc.

    On notera également que cela pouvait se dérouler en dehors des États-Unis, avec ainsi un soutien aux groupes fascistes italiens posant des bombes dans des lieux publics pour mettre en place une stratégie de la tension.

    Pareillement, les « barbouzes » français ont liquidé des indépendantistes algériens puis des partisans de l’OAS, les services secrets espagnols ont tué des cadres basques dans le sud France, l’Allemagne de l’Ouest a aidé le FLN algérien et des néo-nazis poseurs de bombes dans le Tirol du Sud italien, etc.

    Tout cela est de la guerre « hybride ». Mais alors qu’est-ce que la guerre hybride ? En quoi doit-on la définir comme le masque du militarisme impérialiste de l’époque de la guerre atomique ?

    C’est relativement simple à comprendre. La concurrence entre États se doit de respecter un cadre diplomatique pour ne pas basculer dans un conflit ouvert non désiré. Cependant, lorsqu’il y a la crise générale du capitalisme, beaucoup de barrières tombent et la prise de risques est plus grande.

    Ce qu’on ne voulait pas espionner ou saboter auparavant, car cela risquait de provoquer un éventuel trouble, désormais on le fait.

    La présence de l’arme atomique modifie cependant cette prise de risques, au sens où le risque d’une éventuelle escalade pose tout de même un problème majeur. Le souci n’est pas l’arme atomique, en fait, mais qu’il n’y ait que l’arme atomique. C’était le problème des années 1960 pour les superpuissances américaine et social-impérialiste soviétique : entre les frictions et l’utilisation des bombes atomiques, la gamme de ce qui existait était très faible.

    C’est sur ce terrain que s’est développée la « guerre hybride » en multipliant dans tous les domaines les champs d’intervention, et cela d’autant plus que l’expansion capitaliste ouvrait de nouvelles possibilités culturelles ou technologiques.

    L’idée est de conquérir des espaces dans le camp de l’ennemi lui-même, afin de l’affaiblir, voire de provoquer des troubles, mais de telle manière que cela apparaisse comme interne. Cette dimension « interne » est censée avoir plus d’impact, et qui plus est protège en apparence puisqu’il n’y a pas d’intervention extérieure visible de manière claire.

    Et cela peut atteindre la dimension d’un territoire. On parle aujourd’hui des pseudos-républiques populaires de Louhansk et Donetsk mis en place par la Russie à l’Est de l’Ukraine. Mais la superpuissance américaine l’a déjà fait dans le passé, Ulrike Meinhof constatant en 1976 que des morceaux de pays ont été conçus par les États-Unis comme des bases opérationnelles : l’Allemagne de l’Ouest, la Corée du Sud, le Vietnam du Sud.

    Toutefois, c’est là quelque chose de plutôt rare. Plus couramment, il y a des couches vendues à une superpuissance, comme les partis pro-Russie actuellement en Ukraine ou le Parti « Communiste » Français des années 1960-1970-1980, totalement un satellite soviétique, entièrement au service du social-impérialisme soviétique.

    On remarquera d’ailleurs ici une chose : la Fraction Armée Rouge fut littéralement obsédée par cette question de la mise en place d’interventions impérialistes pour instaurer un terrain favorable ; elle visait l’« agglomération », le « formatage » réalisé par l’impérialisme pour s’établir une base toujours plus solide.

    C’est d’ailleurs le cas pour les Brigades Rouges italiennes, Action Directe en France à partir de 1984, le DHKP/C en Turquie. Pour le DHKP/C, toutes les grandes décisions étatiques avaient comme source le MGK (le Conseil national de sécurité, mis en place par l’armée). La résolution de la direction stratégique d’avril 1975 des Brigades Rouges dit ainsi que :

    « Il apparaît clairement que ‘‘crise de l’impérialisme’’ dans l’immédiat, ne signifie pas ‘’effondrement’’ mais contre-révolution impérialiste globale, c’est-à-dire :

    a) restructuration des modèles économiques de base ;

    b) restructuration rigidement planifiée des fonctions économiques à l’intérieur d’une division internationale du travail et des marchés ;

    c) réajustement des structures institutionnelles, militaires et étatiques des régimes moins stables et plus menacés dans le cadre de l’ordre impérialiste. »

    Ainsi, on peut voir une tendance assez prononcée à raisonner en termes de « plans impérialistes ». Car là est le risque : si l’on parle de guerre hybride, alors on parle de choix de la mener, et on a vite fait de basculer dans la conception erronée d’un capitalisme qui est conscient de lui-même, qui pense, qui prévoit et établit des « plans ».

    Or, il ne peut pas y avoir de « plan », et donc pas de « guerre hybride » qui soit « consciente ; il n’y a pas lieu de tomber dans une lecture « géopolitique » (on trouvera d’ailleurs dans Crise n°12 un intéressant débat italien sur cette question de la « photographie » des rapports inter-impérialistes).

    La guerre hybride est toujours une poussée, dans le sens d’une opportunité qu’un pays impérialiste (ou expansionniste) se voit obliger de saisir parce qu’il est irrémédiablement forcé par la crise générale du capitalisme et la sienne en particulier.

    La Russie ne choisit pas de saboter l’existence de l’Ukraine, elle y est forcée de par sa propre situation.

    Et cela, comme les gens le voient sans en avoir une conscience juste, est détournée par les nationalistes ukrainiens (ou polonais) comme quoi la Russie serait une entité maléfique « en soi ».
    Les impérialistes français tentent de présenter la Chine et la Turquie sous le même jour, assimilant les poussées de leur régime à la nature même d’un pays.

    Ce qu’on appelle guerre hybride, c’est en fait la généralité de la compétition pour le repartage du monde et donc la systématisation du militarisme, qui prend le masque du militarisme du concurrent.
    La guerre hybride, c’est toujours celle de l’autre – personne ne prétend la faire, chaque force argumentant qu’elle ne fait que répondre à celle entreprise par l’adversaire.

    C’est cela, la véritable nature de la « guerre hybride », cette systématisation des interventions plus ou moins feutrées dans le camp du concurrent pour l’affaiblir de manière interne, afin d’être plus fort à terme pour la confrontation – conflagration.

  • « Une propagande démagogique parallèle à celle de Poujade parmi les commerçants »

    Pendant la seconde guerre mondiale, Henri Dorgères a été un cadre paysan du pétainisme, tout en aidant de nombreux prisonniers de guerre à s’évader. Il est condamné à dix ans d’indignité nationale mais immédiatement amnistié pour services rendus à la Résistance.

    Aux élections législatives de janvier 1956, il est élu député d’Ille-et-Vilaine dans le cadre du mouvement de Pierre Poujade, l’équivalent de Henri Dorgères pour les commerçants et à la tête depuis 1953 d’une Union de défense des commerçants et artisans.

    Pierre Poujade

    Jean-Marie Le Pen est alors un cadre poujadiste et le plus jeune député de France à 27 ans ; il faut mentionner également Jean Dides, autre cadre poujadiste élu et jouant un rôle du plus haut niveau dans l’appareil policier.

    Le journal du MRAP Droit et Liberté écrit dans un article du 20 janvier 1956 intitulé « Dorgères : antiparlementaire de naissance » :

    « condamné à une peine dérisoire après la Libération, il reprend peu à peu ses activités. Il mène dans les milieux agricoles une propagande démagogique parallèle à celle de Poujade parmi les commerçants. Ses agents et ceux de Poujade coopèrent à maintes occasions dans l’Ouest »

    Au cours de l’été et l’automne 1955, les troupes poujadistes, accompagnés de certains fidèles de Henri Dorgères, mènent l’action directe anti-fiscale. En août 1955, la perception de Léoville en Charente-Maritime est pillée et saccagée ; le 21 septembre ce sont de violentes émeutes à Chartres, avec le pillage quelques jours plus tard des perceptions à Aigrefeuille et Pont l’Abbée-d’Arnoult.

    Dans certaines de ces manifestations, les orateurs fustigent « une colonisation de la France en des termes que le décret Marchandeau interdit de rapporter ». Édicté en avril 1939, le décret Marchandeau modifie la loi sur la liberté de la presse de 1881 afin d’autoriser des sanctions pénales vis-à-vis des propos antisémites ou « haineux ».

    Mais pour Henri Dorgères, le cycle historique était fini. Le terrain social et culturel qui l’avait fait naître et l’avait développé s’asséchait toujours plus vite : à partir des années 1960, la paysannerie n’était plus le lieu névralgique de la contestation petite-bourgeoise.

    L’intergroupe parlementaire qu’il fonde en 1957, réunissant une partie des poujadistes, et une partie des indépendants comme Paul Antier dans le l’inter-groupe « Rassemblement Paysan » ne pouvait qu’échouer.

    La paysannerie était dorénavant plus homogène et solidement encadrée par la FNSEA qui puisait dans les notables de la Corporation paysanne de Vichy, gérant l’agriculture en « cogestion » avec l’État, dans le cadre de la modernisation capitaliste passant par l’intégration de l’agriculture dans le marché commun européen.

    La pression des monopoles et la menace de prolétarisation allait toucher essentiellement l’artisanat et le petit commerce avec l’arrivée des grands supermarchés, rappelant ainsi les débuts politiques d’Henri Dorgères dans la « Ligue des contribuables ».

    C’est le sens de l’Union de défense des commerçants et artisans e Pierre Poujade, mais aussi, dans les années 1970, de Gérard Nicoud et son Comité d’Information et de Défense, qui devint la Confédération intersyndicale de défense et d’union nationale des travailleurs indépendants.

    Un vinyl 33 tours de Gérard Nicoud avec un discours tenu à Lyon en 1971

    Il n’empêche qu’Henri Dorgères a permis de diffuser dans les campagnes ce qui s’avère être une tradition politico-culturelle : l’action directe antiparlementaire visant à s’opposer à la prolétarisation de la petite-bourgeoisie. Il y a, dans cette tradition, un socle commun composé des valeurs suivantes :

    1. antiparlementarisme ;
    2. apolitisme et incapacité organisationnelle durable ;
    3. admiration-répulsion pour la Gauche ouvrière comme modèle et contre-modèle ;
    4. populisme ;
    5. romantisme anti-État ;
    6. discours anti-fiscal accompagné de demandes de soutien étatique.

    Le dorgérisme est ainsi une préfiguration de nombreux mouvements de la contestation française, comme partie intégrante de l’histoire de la France : poujadisme, bonnets rouges, gilets jaunes, etc.

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    Henri Dorgères et les chemises vertes

  • La corporation paysanne, l’élan vers les années 1960

    Depuis la fin de l’année 1935, le Front paysan vivote cependant pour n’être plus qu’un réseau, principalement grâce à un nouveau journal lancé par Henri Dorgères et Jacques Leroy-Ladurie, Le cri du sol.

    C’est le rapport avec la droite agrarienne qui pose souci et la rupture est consommée en 1938 ; en mai 1937, Henri Dorgèes n’est pas invité au congrès paysan de l’UNSA et Jacques Leroy-Ladurie, président de l’UNSA anciennement lié au Front paysan, écrit en septembre l’article « silence aux incapables ».

    Le document « Vers une politique paysanne » sert de base à la droite agrarienne, qui se réoriente vers une politique où la corporation paysanne devient une manière d’influencer directement la politique agricole de l’État.

    Dans la même perspective, en 1937, Rémy Goussault, président de l’Association Générale des Producteurs de Blé publie « le fait paysan et le fait syndical » ; Louis Salleron, ancien secrétaire de Jacques Bainville à la Revue universelle et véritable idéologue de l’UNSA, propose « un régime corporatiste pour l’agriculture ».

    Ainsi, en 1938, lors de l’application de la loi sur les allocations familiales, Henri Dorgères s’y oppose comme une interférence « étatique » alors que la droite agrarienne y voit une opportunité pour rattacher leurs organisations syndicales et ainsi fonder la corporation.

    La création de la corporation paysanne en décembre 1940, après la défaite face à l’Allemagne nazie, confirme ce changement de rapport de forces dans le mouvement agrarien une fois le pétainisme instauré.

    Henri Dorgères reçoit la francisque et continue à diffuser le Cri du sol, mais il est mis de côté pour les fonctions essentielles. Le maréchal Pétain se prononce pour un régime corporatif défendant la propriété familiale. En avril 1941, à Toulouse, il déclare :

    « Grâce à un programme agraire méthodiquement conçu, nous développerons le nombre des propriétés paysannes ou familiales qui favorisent l’accès des salariés à l’exploitation et multiplieront ainsi sur des bases solides, le nombre des belles familles terriennes. »

    La corporation paysanne avait été instaurée le 2 décembre 1940. Louis Salleron en avait rédigé le texte, et les responsables régionaux étaient tous issus de la droite agrarienne.

    Intégrée dans quelques régions, la « défense paysanne » ne fut donc pas la véritable colonne vertébrale de la Corporation mais bien les anciens notables du PAPF et de l’UNSA comme Rémy Goussault, le comte de Guébriant, Pierre Caziot, Leroy-Ladurie…

    En 1946, les principaux chefs de l’UNSA fondèrent la FNSEA et impulsèrent un modèle de cogestion de l’agriculture entre le corporatisme professionnel et l’État.

    L’intégration au marché européenne avec les lois de 1960 et 1962 aboutit ensuite au regroupement des exploitations en les concentrant, tout en modernisant les outils de travail et en développement l’exploitation laitière et l’élevage (très faible dans les années 1920-1930).

    Le Parti Communiste devenu révisionniste mit en place, de son côté, en 1959, le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) afin de s’opposer de manière populiste-petite-bourgeoise à la concentration agricole.

    Dans « Vers l’émancipation paysanne », l’un de ses dirigeants Waldeck Rochet fustige ainsi « l’élimination de la petite production par la grande », ayant pour conséquence que « les 4/5 de petits exploitants qui existaient il y a 50 ou 60 ans sont devenus de simples prolétaires ».

    C’était là reprendre la ligne de Renaud Jean, pourtant critiquée par Lénine, ainsi que lors du IVe congrès de l’Internationale Communiste, et pouvant désormais pleinement se développer avec le révisionnisme.

    Les années 1960 marquent pourtant en même temps la fin de la « question paysanne » par le biais de la modernisation capitaliste. Henri Dorgères écrivit de son côté une sorte de bilan critique dans « Au XXe siècle : 10 ans de jacquerie » publié en 1959, fantasmant sur une paysannerie populiste dont le style se généraliserait :

    « Et si nous n’avions pas trouvé chez les ouvriers et si nous n’avions pas trouvé chez les commerçants, les artisans, les industriels et chez ceux qui exerçaient des professions libérales, des groupements poursuivant un combat parallèle au nôtre, nous avions l’espoir pourtant de pouvoir les susciter. »

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    Henri Dorgères et les chemises vertes

  • 1934-1937 : la ceinture verte contre la ceinture rouge

    La poussée fasciste du 6 février 1934 a essentiellement été une action parisienne. Elle a rassemblée les ligues d’extrême droite implantées surtout dans le monde urbain. Pour Henri Dorgères, il fallait absolument imposer une stratégie « rurale », « paysanne » de la contestation antiparlementaire, antisémite, anticommuniste.

    Avec le Front paysan, il s’imagina un grand rôle national et s’acheta un appartement à Paris. Il multiplia les meetings, parfois en compagnie des chefs fascistes comme Taittinger ou La Rocque, à la fin de l’année 1934, meetings qui débordaient régulièrement en des agitations tapageuses.

    La défense paysanne se posait comme l’incontournable outil pour le renversement du régime, par un biais illégal mais passif, une sorte de « désobéissance civile » :

    « Prendre le pouvoir légalement, c’est-à-dire électoralement, nous semble une chimère, mais prendre le pouvoir de force nous semble également impossible tant que les dirigeants de ce pays auront la volonté de défendre le régime.

    Ils disposent de tant de gardes mobiles, de tant de mitrailleuses que je recule d’effroi, pour ma part, devant le fleuve de sang que ferait couler une telle opération.

    Mais la prise illégale du pouvoir me semble possible si nous amenons nos dirigeants à abdiquer.

    De nombreux régimes ont ainsi abdiqué en France et, récemment encore, des gouvernements qui avaient des majorités parlementaires importantes ont fui sous la poussée de l’opinion publique.

    Cette poussée, il faut l’exercer de telle sorte que la somme des inconvénients du pouvoir devienne pour nos politiciens plus grande que la somme de ses avantages. »

    À la suite des élections municipales de mai 1935, qui voient la forte progression communiste dans la banlieue parisienne, voici ce qu’en dit Henri Dorgères dans un article au titre explicite « La ceinture rouge, soit, nous ferons donc la ceinture verte » :

    « Le danger communiste existe aussi bien dans les fermes des environs de Paris que dans les boutiques petites et grandes de la capitale.

    Or, les cultivateurs de la grande banlieue ne sont pas organisés en vue de la lutte contre le communisme.

    Ils possèdent des associations professionnelles prospères, mais qui ne peuvent se battre sur ce terrain.

    Par contre, des groupements de défense paysanne ne s’occupant ni de coopérations, ni de mutuelles, pourraient fort bien remplir ce rôle.

    Autour de la ceinture rouge, ils pourraient établir une ceinture verte fort utile à la fois pour défendre leurs intérêts matériels et pour maintenir en respect les éléments révolutionnaires de la banlieue. »

    C’est une véritable stratégie d’encerclement des mairies socialistes et communistes qui est « reprise » par les Croix de feu du colonel de la Rocque. Après une réunion parisienne « secrète » des Croix de feu début octobre 1935, Le Populaire (socialiste) écrit :

    « le colonel de La Rocque a prouvé l’authenticité de nos révélations. S’adressant à ses gradés parisiens rassemblés lundi soir, salle Wagram, avec leurs hommes de confiance, il s’est écrié :

    « Les cadres de la région parisienne seront la clef de la situation et les camarades de province on les yeux tournés vers eux, car ils savent que lorsque Paris aura donné le signal, la province devra les appuyer en immobilisant la ceinture rouge et EN MENANT L’OFFENSIVE parallèlement à celle de Paris.’’

    Pour cette opération dont les chefs de l’armée de la tête de mort ne se dissimulent pas la difficulté, elles seront appuyées par les « chemises vertes » de Dorgères, venant principalement des départements normands : ‘‘à la ceinture rouge, a déclaré un chef Croix de feu, nous opposerons la ceinture verte !’’ »

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    Henri Dorgères et les chemises vertes

  • Les chemises vertes, une mystique anticommuniste

    Profitant de son implantation et des succès populistes de son agitation, Henri Dorgères fait alliance la droite agrarienne dans le cadre du Front paysan, juste quelques mois après le 6 février 1934 donnant lieu un sursaut populaire antifasciste dans tous les pays.

    Il écrivait encore, en mars 1934, dans le journal le Progrès Agricole de l’Ouest :

    « Pour ma part, je crois au développement d’un mouvement de genre fasciste »

    Et en décembre 1935, il dit pourtant :

    « je ne suis ni fasciste, ni antifasciste, je suis pour l’ordre, la justice, la propriété »

    C’est une simple ré-orientation tactique, pour contourner le front antifasciste, en maniant l’apolitisme pour mieux mobiliser la paysannerie sur la base du « bon sens » communautaire.

    L’Humanité raconte un épisode avec les chemises vertes et les agrariens

    D’ailleurs, c’est au tournant de l’année 1934-1935 que la « défense paysanne » se dote d’un véritable service d’ordre du mouvement ; auparavant, Henri Dorgères avait profité des « dispos » des Croix de feu de La Rocque pour assurer certaines de ses réunions.

    C’est que le Front paysan oblige à une certaine autonomie, du moins en apparence. Ainsi sont lancées les « Jeunesses paysannes » dirigées par Modest Legouez qui, calquées sur le modèle des Jeunesses Patriotes de Pierre Taittinger, vise surtout à contrer la gauche.

    Voici comment Henri Dorgères présente une anecdote sur ces « chemises vertes » :

    « Les socialistes et les communistes ont annoncé une contremanifestation et nos amis ont pris leurs précautions. Une centaine de jeunes paysans portant une chemise verte, assurent le service d’ordre.

    300 gueulards veulent forcer l’entrée de notre salle. Ils sont éjectés en vitesse et courent se mettre à l’abri derrière les gardes mobiles qui ont été mobilisés. »

    Cette jeunesse paysanne de type fasciste a un uniforme (chemises vertes) et toute une panoplie militante. Au serment de fidélité « croire, obéir, servir », calqué sur le « Croire, Obéir, Combattre » fasciste italien, s’accompagne d’un insigne où une fourche et une faux s’entrecroise sur une gerbé de blé.

    Existent même des disques vinyles avec des chants d’un côté et les discours de Herni Dorgères de l’autre ; la brochure « Haut les fourches » est diffusée à plus de 100 000 exemplaires.

    L’organisation développe alors son propre organe de presse du même nom que la brochure, devenant même un slogan lors de manifestations ou d’oppositions aux vente-saisies ou à la gauche socialiste et communiste.

    Il y aura des tentatives de sections sportives, des groupes de théâtres ruraux ; l’insigne « haut les fourches » est même un label de qualité déposé sur les bouteilles de vin, notamment pour les vignerons de la Loire.

    Jean Bohuon, l’ancien cultivateur-cultivant rallié à la défense paysanne déclare au congrès officiel des Jeunesses paysannes de décembre 1935 à Bannalec, dans le finistère :

    « Nous les vieux, on lutte pour la revalorisation des produits agricoles, vous les jeunes, vous devez lutter pour la revalorisation des consciences. »

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    Henri Dorgères et les chemises vertes

  • Le Front paysan, front de la droite agrarienne

    La chute du prix du blé entraîne entre 1933 et 1935 une crise des ciseaux. Les paysans sont moins bien payés alors que le coût d’investissement est resté le même. L’augmentation des cotisations sociales et l’exode rural des ouvriers agricoles rend la situation intenable, d’autant plus que les paysans-propriétaires, appuyée par la droite, se refuse à toute mécanisation.

    En 1927, Gabriel Fleurant dit « Agricola », président de l’Union des paysans de l’Oise, fonde le Parti agraire paysan français (PAPF). Il se veut apolitique et corporatiste et souhaite offrir une passerelle politique pour envoyer des « députés paysans ».

    En 1934, la puissante Union Centrale des Syndicats Agricoles (regroupant des gros propriétaires) passe sous la présidence de Jacques Leroy-Ladurie, issue de la grande famille normande ; elle devient l’UNSA (union nationale des syndicats agricoles) qui se proclame l’outil de « l’émancipation paysanne » et profite des fonds de la banque Worms grâce à Gabriel Leroy-Ladurie, frère de Jacques.

    C’est l’aboutissement d’une fracture née à la fin du XIXe siècle au sein du syndicalisme agricole. L’UNSA est le prolongement du syndicalisme d’obédience catholique, connue sous le nom de « Rue d’Athènes » du fait du lieu de son siège social à Paris.

    L’autre, de nature républicaine, dit du « boulevard Saint-Germain », pareillement en raison de l’adresse (en l’occurrence de la Société des agriculteurs de France), souhaitait une fusion avec les mutuelles agricoles, très liées aux républicains radicaux-socialistes depuis la fin du XIXe siècle, et offrant des crédits aux paysans. C’est une logique très affairiste et libérale de l’agriculture.

    Il faut noter tout de même que des régions comme le midi, le centre et le sud-ouest restaient des zones rurales acquises à la gauche, socialiste ou communiste.

    Avec la tension des années 1930, les agrariens-catholiques forment le bloc le plus actif, combinant finalement le style antiparlementaire porté par Henri Dorgères et la tradition catholique-conservatrice de la droite agrarienne traditionnelle.

    Henri Dorgères

    À l’été 1934, c’est la naissance du Front paysan réunissant la « défense paysanne », le PAPF et l’UNSA, avec Henri Dorgères, Jacques Leroy-Ladurie et Pierre Mathé (militant lorrain du PAPF) comme figures notables.

    L’expérience du Front paysan marque les esprits avec de grandes rassemblements dans le nord et l’ouest du pays ; il y a ainsi 5 000 personnes à Caen le 29 septembre 1934.

    Le 1er octobre 1934, ce sont 25 000 personnes réunies à Rennes, avec des pancartes « pas d’argent, pas d’impôts », « a bas la déflation des prix », « Front Paysan », « ruiner le paysan, c’est ruiner la France ».

    Des journaux locaux comme l’Action paysanne à Toulouse soutiennent l’élan ; de son côté, Henri Dorgères écrit en 1935 une petit brochure militante intitulée « Haut les fourches ! », conforme au style fasciste :

    « À la République parlementaire et individualiste qui divise et qui corrompt, la paysannerie désire de plus en plus voir substituer une République corporative et familiale.

    Pour nous, la souveraineté dans l’État doit résider dans le métier, qui assure la vie matérielle des individus ainsi que la prospérité de la nation, et dans la famille qui en garantit la continuité. »

    Lors d’une élection législative partielle à Blois en mars 1935, Henri Dorgères est investi par le Parti agraire paysan français et parvient au second tour. C’est une des premières confrontations entre le Front paysan, soutenu par toute la droite, et le front commun antifasciste qui soutiendra au second tour le candidat radical-socialiste finalement vainqueur.

    Henri Dorgères

    Le journal de la SFIO, Le Populaire, titre le premier avril : « le fasciste-royaliste Dorgères, pseudo-paysan et démagogue est battu à Blois ! »

    Henri Dorgères et son mouvement incarne alors clairement le fascisme rural. Le 27 juillet, le journal antisémite « Je suis partout » écrit :

    « Ce qui compte, heureusement, ce sont les ligues nationales, ce sont les groupements de « Défense paysanne », dont nous avons, dès l’origine, souligné ici le caractère (Famille, Région, Pays, Métier) et la portée sociale et nationale. Avez-vous vu lu Haut les fourches, le premier livre où M. Henri Dorgères exprime ses vues simples, claires et saines ?

    Achetez et lisez Haut les fourches. Ne décourager pas les « condamnés de Rouen ».

    Bourgeois des villes, comprenez-vous que les Henri Dorgères, Les Mathé, les Leroy-Ladurie sont seuls capables de vous éviter une « Jacquerie » ? 

    Sans eux, la paysannerie française mal informée et exaspérée par les sacrifices qu’on lui impose sans profit pour les consommateurs, passerait au communisme.

    Capitalistes, grands financiers, ne gaspillez plus vos millions pour corrompre les hommes et les partis de gauche et d’extrême-gauche. Vous avez devant vous des forces jeunes et incorruptibles, lesquelles vous vaincront. »

    Le 25 août 1935 au parc des expositions à Rouen, un meeting du Front paysan rassemble 10 000 personnes, avec 30 départements représentés, en présence de Jacques Leroy-Ladurie et de Pierre Mathé. Des hauts parleurs sont placés pour que les nombreuses personnes massées en dehors écoutent les discours.

    Ce meeting vise à soutenir Henri Dorgères qui était mis en accusation pour atteinte au crédit de l’État après des appels à refuser l’impôt et se retirer des caisses de dépôts.

    Cela intervient quelques semaines après le serment antifasciste des socialistes et des communistes à Paris, le 14 juillet.

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  • L’Humanité sur l’incident de Bray-sur-Somme

    Voici ce que dit l’Humanité au sujet de l’affaire Salvaudon.

    La démonstration pro-fasciste du koulak de Bray-sur-Somme, 20 juin 1933

    Quatre paysans ont été blessés dont un grièvement par les grades mobiles

    Le bilan des brutalités policières de dimanche à la terme de Bray-sur-Somme, se traduit par 4 paysans blessé, dont un grièvement.

    Le gros propriétaire terrien Salvaudon, soutenu par les chefs fascistes de la ligue des contribuables et les Dorgères et Delhay, dirigeants d’une organisation agraire-fasciste de l’ouest, avait fait appel aux petits paysans, aux ouvriers agricoles, amenés par les koulaks, la contrée.

    Pour leur agitation fasciste, pour la défense de leurs propres intérêts, les capitalistes de la terre exploitent la misère gui augmente à la campagne chez les petits paysans qui eux, ne font pas des « démonstrations » à la manière du koulak de Bray, mais veulent lutter contre la misère, contre les saisies véritables !

    Saisies dont la menace plane sur eux de plus en plus, aussi bien de la part des gros propriétaires que de l’Etat bourgeois – l’Humanité ne signalait-elle pas samedi dernier, le cas d’un petit paysan menacé de saisie par le Crédit agricole ?

    Le gouvernement de gauche ne trouve pas de crédits pour les petits paysans, mais il trouve des sommes énormes pour son armée de mercenaires qui, comme hier, frappaient à coups de sabre paysans pauvres et ouvriers agricoles, trompés par la démagogie des chefs fascistes à la d’Anthouard et à la Dorgères !

    L’exemple des petits vignerons

    Nous devons être dans toutes les manifestations paysannes, en développant nos revendications précises, pour combattre la démagogie fasciste, pour éclairer les exploités qui, comme hier, ont suivi les émules du baron d’Anthouard, pour briser le « bloc rural » chez à MM. les chefs verts, admirateurs de Hitler.

    Et, dans ces manifestations, et partout à la campagne, il faut populariser l’exemple des petits vignerons du Bitterois qui, brisant le « bloc viticole », ont soutenu activement les ouvriers viticoles en grève contre les vinassiers – l’ennemi commun.

    Les sept arrêtés avant-hier à Brai, ont vu leur mandat d’arrêt confirmé. Ils passeront prochainement devant le tribunal correctionnel de Péronne.

    Parmi eux, on sait qu’il y a les chefs agraires Dorgères et Delhay.

    Gageons que leur condamnation (?) sera plus faible que celle que le gouvernement de gauche a fait prononcer contre les ouvriers agricoles de Capestang qui eux luttaient pour leur pain ! »

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  • Le tournant de l’affaire de Bray-sur-Somme en juin 1933

    Au cours des années 1930, une des principales formes prises par l’action directe dans la paysannerie est l’opposition à la vente-saisie des biens. C’est en grande partie la CGPT (Confédération Générale des Paysans-Travailleurs), fondée en 1929 et liée au Parti communiste, qui développe ce type d’action visant à s’opposer, parfois physiquement, à la vente de biens après le non-remboursement d’emprunts. On voit cela par exemple dans le film « la vie est à nous » de 1936.

    La « défense paysanne » réactionnaire va ainsi reprendre à son compte cette forme d’opposition là où elle est bien implantée. La difficulté résidait dans l’équilibre à avoir puisque la vente sur saisie révélait parfois une expropriation par une grand propriétaire lorsque le paysan était un fermier. Pour éviter la dimension lutte des classes, la « défense paysanne » s’opposait surtout au vente-saisie de la part de l’État.

    L’affaire de la vente-saisie de Salvaudon en 16 juin 1933 est alors un grand marqueur.

    Henri Dorgères

    Salvaudon était le propriétaire d’une ferme de 240 hectares à Bonfray à quelques kilomètres de Bray-sur-Somme ; il employait 18 salariés et 20 saisonniers. Salvaudon était aussi un notable, conseiller d’arrondissement de son village et membre de la Ligue des contribuables depuis 1931.

    Il avait ainsi juré de ne jamais cotiser pour les assurances sociales et avait été condamné à payer une amende de plus de 10 000 francs, qu’il refusait d’ailleurs de payer. Le 16 juin 1933, l’État devait procéder à la vente-saisie de son camion et d’une automobile, signe révélateur d’un style de vie éloigné des masses paysannes.

    Salvaudon avait ainsi appelé l’Action française et la Ligue des contribuables à venir le soutenir lors de la venue des fonctionnaires. Henri Dorgères était là en tant que membre de la Fédération des contribuables, afin d’en faire une tribune politique ; il s’était fait au préalable connaître lors de réunions politiques les dimanches des foires agricoles.

    Au matin du 18 juin, ce sont 1 500 personnes en soutien de Salvaudon qui font face à plusieurs centaines de gendarmes et 150 gardes mobiles à cheval, alors que les routes d’accès sont fermées.

    Salvaudon est dans son bureau, revêtu son uniforme d’officier décoré de croix de guerres et propose des objets ridicules pour la vente. Des discours sont prononcés dans la cour de la ferme, dont un par Henri Dorgères. Alors que la gendarmerie donne l’ordre de dispersion, elle reçoit des projectiles. Il y a quatre blessés et huit arrestations, dont Henri Dorgères et deux membres du Parti agraire paysan français.

    Des barricades sont alors montées autour de la ferme, avec des charrues, des râteaux, des herses… Lorsque la vente commence, les acquéreurs sont bousculés, sifflés et les opposants font en sorte de placer les acheteurs de leur camp.

    Le procès de Henri Dorgères fut par la suite l’occasion d’une vaste campagne de soutien. L’arrestation parallèle de membres du Parti agraire paysan français favorisa également le rapprochement avec les notables de la droite agrarienne représentés par celui-ci.

    Adolphe Pointier, futur président de l’Association générale des producteurs de blé et Jacques Leroy-Ladurie, un des hauts responsables de la puissante Union Centrale des Syndicats Agricoles, apportèrent un soutien public à Dorgères.

    La « défense paysanne » devint ainsi un véritable mouvement d’ampleur, reconnu nationalement.

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  • Le dorgérisme comme développement d’un mouvement antiparlementaire

    Comme la petite-bourgeoisie est une couche sociale coincée entre prolétariat et bourgeoisie, elle s’enferme dans une instabilité qui s’exprime dans un style politique. Le « dorgérisme » est avant tout une méthode d’action qui combine l’antiparlementarisme et l’action directe, mélange politique tout à fait français.

    Le 1er février 1930, lors du lancement officiel des « Comités de défense paysanne », ce sont 16 000 personnes qui se rassemblent au nom du refus de l’inscription à la caisse d’assurance sociale. La « Défense paysanne » récupère alors des syndicalistes issus des « cultivateurs-cultivants » et va en progressant toujours plus, profitant du laxisme du ministre de l’agriculture André Tardieu.

    Une quarantaine de réunions se succèdent dans l’année et la Défense Paysanne compose une partie de la contestation anti-fiscale, portée officiellement par la Ligue des contribuables, Dorgères étant le délégué régional et son président à Rennes.

    Lors de la campagne électorale des législatives de 1932, ce sont 20 000 personnes qui se rassemblent à Rennes en compagnie de nombreux notables agrariens, à Lisieux ce sont 6 000 paysans qui sont présents, ainsi que plusieurs milliers à Caen, 15 000 personnes à Angers quelques mois plus tard…

    La lutte anti-fiscale se propage en fait dans les couches petites-bourgeois et l’enjeu en Bretagne est l’encadrement de la paysannerie. L’augmentation du prix du blé va alors permettre le durcissement du mouvement. Henri Dorgères assume le combat brutal, puisant dans une démarche patriarcale et populiste, comme ici :

    « Il faut que les parlementaires se mettent dans la tête que le passage a tabac est devenu pour eux un risque professionnel.

    En Bretagne, cette année, contrairement a ce qui se faisait depuis un temps immémorial, les parlementaires – les députés surtout – n’ont fait que de rares apparitions dans les comices agricoles.  »

    Ou encore, cette consigne :

    « Lorsque le député vient à la campagne, il ne lui est pas possible de se faire escorter partout par des gendarmes ou des policiers.

    En pareil cas, loin de la garde prétorienne, vous avez entre les mains un des responsables de la situation. C’est le moment de lui faire voir, non seulement par des paroles, mais par des violences, que vous n’êtes pas contents. »

    À Rennes, une manifestation à la suite d’un rassemblement culmine dans un mouvement au domicile du député radical-socialiste Cadoret. Cela termine en des jets de pierre contre le domicile, avec des carreaux brisés. A Chartes, c’est à l’appel du Parti agraire paysan français que 3 000 cultivateurs enfoncent les grilles de la préfecture.

    Tout au long de l’année 1933, la contestation paysanne antiparlementaire s’intensifie, comme à Nantes où 10 000 personnes se réunissent le 24 mars 1933.

    Dans ce cadre, Henri Dorgères fonde un empire de presse financé par le Duc d’Harcourt, éleveur et député du calvados, proche de l’Action française puis du Parti Social Français de La Rocque.

    En avril 1933 est lancé le mensuel « La voix du paysan » et de nouveaux soutiens de la bourgeoisie foncière affluent, comme le marquis de Kérouartz, le Comte Roger de la Bourdonnaye, alors président de la chambre d’agriculture d’Ile-et-Vilaine, et Jacques Lemaigre-Dubreuil, actionnaire des huiles Lesieur.

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    Henri Dorgères et les chemises vertes

  • Henri Dorgères lance un soulèvement paysan-populiste

    Au début de l’année 1919, de vastes grèves en France débouchaient sur la reconnaissance légale de la journée de 8 heures.

    Or, l’exploitation agricole est alors en concurrence avec l’industrie, et la journée de 8 heures et le mode de vie urbain attirent bien davantage que l’isolement social et culturel et les 12 à 16 heures de travaux ruraux.

    La petite et la moyenne paysannerie, propriétaire ou fermière, celle dont le recours à la main d’œuvre est essentielle, va alors chercher à s’opposer à cette prolétarisation des ouvriers agricoles.

    Et cela produit une panique petite-bourgeoise devant l’affaiblissement du statut paysan et de son poids social. Henri Dorgères joue alors le rôle de catalyseur.

    Diffusé à plus de 26 000 exemplaires, le journal qu’il dirige, Le Progrès Agricole de l’Ouest, lui permet de diffuser des éléments agricoles techniques et de proposer une aide juridique concernant les ennuis avec les administrations fiscales.

    Son objectif assumé est la sauvegarde de la communauté d’intérêt du paysan-villageois, ou du village paysan, en cherchant à former une communauté « historique », opposée à la lutte des classes.

    Il faut ainsi arriver, coûte que coûte, à unifier le grand producteur de betterave du Nord, le petit vigneron de la Loire, les maraîchers du Bassin parisien :

    « Nous avons créé une fierté paysanne qui n’existait pas, un esprit de corps qui s’opposait à l’esprit de classe du prolétariat. Nous répétions sans cesse qu’on ne pouvait bien défendre un métier qu’à la condition d’en être fier.

    A l’époque, un complexe d’infériorité atteignait presque toute la Paysannerie et il en a fallu des efforts pour chasser ce complexe. »

    Évidemment, l’agriculture recoupe des réalités différentes, de statuts (métayage, fermage), de conditions, ouvriers agricoles ou propriétaires, de cultures. Henri Dorgères pouvait cependant s’appuyer sur un processus de concentration agricole encore très lent.

    En 1920, il y a en France 32 000 exploitations de plus de 100 hectares pour 2 685 000 de moins de 10 hectares, avec un inégal développement entre l’Île-de-France, le sud avec des exploitations mécanisés et concentrés, et le reste du pays où subsiste la petite et moyenne exploitation, plutôt familiale.

    Il fallut donc d’autant plus renforcer l’aspect agressif, avec une contestation typiquement petite-bourgeoise qui est la lutte contre l’imposition.

    C’est après l’instauration de la loi Loucheur du 5 avril 1928 sur les assurances sociales pour les ouvriers agricoles que Henri Dorgères adhère à la Ligue des contribuables et se lance dans les premières batailles. Selon lui, cela augmente les charges sociales et entraîne une voile administratif intolérable dans une communauté villageoise préservée du contractualisme libéral (assigné au monde urbain opposant capitalistes et ouvriers).

    Le 28 février 1928, ce sont 12 000 personnes qui manifestent à Vannes contre la loi Loucheur et où Henri Dorgères prend la première fois la parole.

    Jusqu’au début de l’année 1933, Henri Dorgères se présentera sous l’étiquette de la Ligue des contribuables, mouvement anti-fiscaliste qui bascule dans le fascisme en 1934 sous la présidence de Jacques Lemaigre-Lebreuil, actionnaire principal des huiles Lesieur et soutien du journal de Dorgères avec des encarts publicitaires.

    L’essentiel était l’organisation des paysans – dans une forme paysanne populiste – et c’est pourquoi Dorgères mit en place, avec une trentaine de paysans, au début du mois de janvier 1929 un « Comité de défense contre les assurances sociales » dans les locaux du journal Le Progrès Agricole de l’Ouest, à Rennes, en même temps qu’une pétition qui va recueillir plus de 150 000 signatures en un mois et demi.

    Toute l’instabilité de la petite-bourgeoisie passe alors par la couche de la moyenne paysannerie, qui réclame tout à la fois moins de taxes et d’impôts, et plus de protectionnisme.

    Henri Dorgères explique alors à ce sujet :

    « La Défense Paysanne c’était les « Etats-Généraux » de la Paysannerie appuyés sur la masse des petits cultivateurs et dressés contre un Etat qui les oppressait. Nous n’étions nous que leurs mandants, que leurs « délégués » et c’est d’ailleurs ce titre de délégué général qui m’avait été attribué. »

    Et en 1935 il raconte dans « Haut les fourches » :

    « Chaque cultivateur syndiqué, chaque syndicat local, chaque union régionale doit comprendre que l’action commune ne libérera la terre de la double hypothèque libérale et marxiste, dont elle acquitte depuis de trop longues années le lourd tribut, que lorsque leurs aspirations collectives pourront se faire jour sur le plan national.

    Dussions-nous fonder 10 000 syndicats nouveaux, enregistrer 500 000 adhésions nouvelles, rien ne sera fait tant que l’Union nationale ne sera pas devenue un instrument aussi efficace et redouté que la C.G.T. ou le Comité des Forges.

    Guerre de classes ? Non pas.

    Nous entendons tout au contraire imposer sur le terrain syndical ce tiers parti, fier de ce qu’il a su réaliser dans la fraternité des sillons, mais plus fier encore d’être dès maintenant le précurseur de l’ordre corporatif de demain. »

    Henri Dorgères va jusqu’à parler d’un « État paysan », d’une « dictature paysanne ». Il a été au cœur d’un mouvement paysan-populiste, qui converge entièrement avec le Fascisme se développant dans les années 1920-1930 comme expression de la contre-révolution.

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    Henri Dorgères et les chemises vertes

  • La Bretagne, la bataille pour l’hégémonie catholique et Henri Dorgères

    L’installation de la République a produit une division dans le monde agricole entre syndicats républicains et syndicats catholiques liés à l’Église. Et, dans la mouvance catholique elle-même, une division entre démocrates-chrétiens et catholiques traditionalistes était née.

    En 1894, Marc Saignier fonde la revue démocrate-chrétienne Le Sillon, et en 1898 c’est le journal l’Action française qui apparaît.

    Cette division de la mouvance catholique s’aiguisait avec l’intervention du pape Pie X. En 1910, le pape condamna la mouvance démocrate-chrétienne issue du Sillon pour son rapprochement considéré comme blasphématoire de la « Révolution française » et des principes chrétiens. D’un autre côté, c’est en décembre 1926, que l’Église condamna l’Action française à cause de la subordination de la foi religieuse à l’action militante, politique.

    Cela souligne l’instabilité de cette question paysanne-catholique, historiquement si entremêlés et dont on a un fameux exemple en Pologne, en Autriche, au Portugal.

    António de Oliveira Salazar, professeur d’économie catholique, à la tête de l’Estado Novo fasciste portugais de 1932 à 1968

    Et, pour des raisons historiques, c’est en Bretagne que cette question va se cristalliser.

    On y trouve le Nouvelliste de Bretagne, soutenu par l’Épiscopat de Bretagne et financé par Paul Féron-Vrau, propriétaire d’une industrie textile à Lille organisée autour des principes du catholicisme social.

    On trouve également dans la région le journal Ouest-éclair (qui deviendra Ouest-France à la sortie de la guerre) soutenant le mouvement syndical des « cultivateurs-cultivants » de l’abbé Mancel et les caisses mutuelles rurales de l’abbé Trochu.

    Ouest-éclair évoluait dans le sillage du Parti démocrate-populaire fondé en 1924, qui visait à établir l’indépendance économique et morale des petits paysans et ouvriers agricoles, au nom du catholicisme social.

    C’est alors une véritable bataille pour l’unification politique des catholiques et lors des élections législatives de 1928, ces divisions s’expriment largement. Le 17 avril, Eugène Delahaye, rédacteur en chef du Nouvelliste écrit, dans un article titré « Oh la barbe ! » :

    « Être avec Trochu ou être avec Maurras ! Il n’y a pas de milieu, prétend tous les matins l’Ouest-Eclair. Eh bien si, il y a un milieu… et un large milieu dans lequel se trouvent des milliers et des milliers de braves gens qui, catholiques, patriotes, homme d’ordre, cherchent dans l’union la victoire contre toutes les gauches. »

    Et l’Ouest-Éclair de répondre le lendemain :

    « Contre le cartel des gauches, nous avons réalisé l’union la plus large. Ce que nous n’avons pas voulu faire, c’est l’alliance avec les monarchistes et nous croyons que cette attitude d’indépendance et de fidélité à notre idéal démocratique et républicain, bien loin d’affaiblir la position des défenseurs de la politique d’union nationale, la renforcera. »

    Dans le cadre de cette tension, on trouve la figure de Henri Auguste-d’Halluin. Né en 1897 à Wasquehal, petite ville de 6 000 habitants dans le Nord, il est envoyé à Rennes en 1921 comme journaliste au Nouvelliste de Bretagne.

    En fait, avec ses premiers écrits dans l’Action française contre l’« excès de centralisation et de paperasserie de la République », il a rencontré l’évêque Charost de Lille, qui l’a propulsé comme journaliste politique.

    Il quitte ensuite le Nouvelliste de Bretagne, considérant que la ligne n’y était pas pas assez dure, et fonde d’abord La Province, puis surtout en mars 1925 le Progrès Agricole de l’Ouest, où il signe ses articles Henri Dorgères, du nom d’un petit village en périphérie de Rennes.

    Le crash de 1929 et la Grande Dépression qui s’en suivit avec la chute des prix agricoles aiguisèrent alors les contradictions sociales, aussi l’objectif devenait directement l’unification de la droite rurale.

    Henri Dorgères devint alors une figure de premier plan.

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    Henri Dorgères et les chemises vertes