Anton Pannekoek et la bureaucratie

Anton Pannekoek, avec sa critique du Parti social-démocrate, ne pouvait que revenir à l’anarchisme né justement de l’opposition à un tel parti. Par conséquent, Anton Pannekoek va faire toute une théorie comme quoi le principe de parti n’est là que pour permettre à une couche sociale composée d’intellectuels de former une bureaucratie dirigeante.

Cette théorie sort totalement de l’analyse matérialiste des classes, pour rejoindre la théorie anarchiste sur l’État.

« Le livre de Lénine [matérialisme et empirio-criticisme], tout au contraire, a pour but d’imposer aux lecteurs les croyances de l’auteur en une réalité des notions abstraites. Il ne peut donc être d’aucune utilité aux ouvriers.

Et en fait, ce n’est pas pour les aider qu’il a été publié en Europe occidentale. Les ouvriers qui veulent la libération de leur classe par elle-même, ont largement dépassé l’horizon du Parti communiste.

Le Parti communiste, lui, ne voit que son adversaire, le parti rival, la Deuxième Internationale, essayant de conserver la direction de la classe ouvrière.

Comme le dit Deborin dans la préface de l’édition allemande, l’ouvrage de Lénine avait pour but de regagner au matérialisme la social-démocratie corrompue par la philosophie idéaliste bourgeoise, ou de l’intimider par la terminologie plus radicale et plus violente du matérialisme, et apporter par là une contribution théorique à la formation du « Front Rouge ».

Pour le mouvement ouvrier en développement, il importe peu de savoir laquelle de ces tendances idéologiques non marxistes aura raison de l’autre.

Mais d’un autre côté, la philosophie de Lénine peut avoir une certaine importance pour la lutte des ouvriers.

Le but du Parti communiste – ce qu’il appelle la révolution mondiale – est d’amener au pouvoir, en utilisant les ouvriers comme force de combat, une catégorie de chefs qui pourront ensuite mettre sur pied, au moyen du pouvoir d’Etat, une production planifiée; ce but, dans son essence, coïncide avec le but final de la social-démocratie.

Il ne diffère guère aussi des idées sociales qui arrivent à maturation au sein de la classe intellectuelle, maintenant qu’elle s’aperçoit de son importance toujours accrue dans le processus de production, et dont la trame est une organisation rationnelle de la production, tournant sous la direction de cadres techniques et scientifiques.

Aussi le P.C. voit en cette classe un allié naturel et cherche à l’attirer dans son camp. Il s’efforce donc, à l’aide d’une propagande théorique appropriée, de soustraire l’intelligentsia aux influences spirituelles de la bourgeoisie et du capitalisme privé en déclin, et de la convaincre d’adhérer à un révolution destinée à lui donner sa place véritable de nouvelle classe dominante.

Au niveau de la philosophie, cela veut dire la gagner au matérialisme. Une révolution ne s’accommode pas de l’idéologie douceâtre et conciliante d’un système idéaliste, il lui faut le radicalisme exaltant et audacieux du matérialisme.

Le livre de Lénine fournit la base de cette action. Sur cette base un grand nombre d’articles, de revues et de livres ont déjà été publiés, d’abord en allemand, et en bien plus grand nombre, en anglais, tant en Europe qu’en Amérique, avec la collaboration d’universitaires russes et de savants occidentaux célèbres, sympathisants du Parti communiste. On remarque tout de suite, rien qu’au contenu de ces écrits, qu’ils ne sont pas destinés à la classe ouvrière, mais aux intellectuels des pays occidentaux.

Le léninisme leur est exposé – sous le nom de marxisme ou de « dialectique » – et on leur dit que c’est la théorie générale et fondamentale du monde et que toutes les sciences particulières n’en sont que des parties qui en découlent.

Il est clair qu’avec le véritable marxisme, c’est-à-dire la théorie de la véritable révolution prolétarienne, une telle propagande n’aurait aucune chance de réussite; mais avec le léninisme, théorie d’une révolution bourgeoise installant au pouvoir une nouvelle classe dirigeante, elle a pu et peut réussir.

Seulement, il y a un hic : la classe intellectuelle n’est pas assez nombreuse, – elle occupe des positions trop hétérogènes au point de vue social et, par conséquent, elle est trop faible pour être capable à elle seule de menacer vraiment la domination capitaliste.

Les chefs de la II° comme de la III° internationale, eux non plus, ne sont pas de force à disputer le pouvoir à la bourgeoisie, et cela quand bien même ils réussiraient à s’affirmer grâce à une politique ferme et claire, au lieu d’être pourris par l’opportunisme.

Mais si jamais le capitalisme se trouvait sur le point de sombrer dans une crise grave, économique ou politique, de nature à faire sortir les masses de leur apathie, et si la classe ouvrière reprenait le combat et réussissait, par une première victoire, à ébranler le capitalisme – alors, leur heure sonnera. Ils interviendront et se pousseront ou premier rang, joueront les chefs de la révolution, soi-disant pour participer à la lutte, en fait pour dévier l’action en direction des buts de leur parti.

Que la bourgeoisie vaincue se rallie ou non à eux, en sorte de sauver du capitalisme ce qui peut être sauvé, c’est une question secondaire; de toute manière, leur intervention se réduit à tromper les ouvriers, à leur faire abandonner la voie de la liberté.

Et nous voyons ici l’importance que peut avoir le livre de Lénine pour le mouvement ouvrier futur.

Le Parti communiste, bien qu’il puisse perdre du terrain chez les ouvriers, tente de former avec les socialistes et les intellectuels un front uni, prêt, à la première crise importante du capitalisme, à prendre le pouvoir sur les ouvriers et contre eux.

Le léninisme et son manuel philosophique servira alors, sous le nom de marxisme, à intimider les ouvriers et à s’imposer aux intellectuels, comme un système de pensée capable d’écraser les puissances spirituelles réactionnaires. Ainsi la classe ouvrière en lutte, s’appuyant sur le marxisme, trouvera sur son chemin cet obstacle : la philosophie léniniste, théorie d’une classe qui cherche à perpétuer l’esclavage et l’exploitation des ouvriers. »

La position d’Anton Pannekoek est la démonstration que le conseillisme n’est qu’une variante d’anarchisme, qui au lieu de se fonder sur les syndicats prend comme prétexte les conseils, cherchant à les arracher au léninisme, à les dévitaliser politiquement comme outil, pour les réduire à une forme syndicale anti-théorie.

=>Retour au dossier sur le gauchisme

Anton Pannekoek et le refus du Parti issu de la social-démocratie

On l’aura compris, Anton Pannekoek dénonce au fond le Parti dirigeant tel que la social-démocratie l’a théorisé. Voici comment il voit les choses :

« La social-démocratie a toujours vu dans le parti (lié aux syndicats) l’organe servant à mener la révolution à bonne fin.

Ceci ne veut pas dire forcément l’emploi exclusif des méthodes électorales; pour sa fraction radicale, le parti devait utiliser la pression conjointe des moyens parlementaires et de moyens extra-parlementaires tels que les grèves et les manifestations, afin de faire valoir la puissance du prolétariat.

Mais en fin de compte c’était tout de même le parti qui dirigeait la lutte (…).

Et si la chape oppressive du pouvoir d’État venait à sauter, c’est encore le parti, en sa qualité de représentant du prolétariat, qui devait prendre le pouvoir. »

La théorie d’Anton Pannekoek, inévitablement, amène à concevoir la révolution comme un processus où les masses organisées procèdent à la dissolution des institutions. Cela revient à de l’anarchisme et, fort logiquement, Anton Pannekoek finit par aboutir à la conclusion que la révolution de 1917 avait été une révolution bourgeoise.

Pannekoek théorise cela dans Lénine philosophe, publié en 1938, où il attaque frontalement la dialectique de la Nature.

Il ne le dit pas directement, car il ne comprend même pas le contexte ; il se contente de dénoncer tout ce qui y a trait.

Ce que dit Lénine dans Matérialisme et empirio-criticisme serait erroné, son matérialisme serait bourgeois, car en réalité le matérialisme ne concernerait que le rapport entre les classes.

Anton Pannekoek s’étonne ainsi :

« Il [=Lénine] qualifie de matérialiste la croyance selon laquelle les concepts de temps et d’espace absolus (théorie que la science soutenait autrefois mais qu’elle dut abandonner par la suite) sont la véritable réalité du monde. »

Et en note, il est ajouté au sujet de cela :

« Ces idées bizarres, partie essentielle du léninisme, c’est-à-dire de la philosophie d’État en Russie, furent imposées par la suite à la science russe.

On peut s’en rendre compte en lisant l’ouvrage de Waldemar Kaempfert La science en Russie Soviétique, dont voici un passage : « Vers la fin de la purge des trotskistes, le Département d’Astronomie de l’Académie des sciences vota quelques résolutions violentes, qui furent signées par le président et dix-huit membres, déclarant que « Ia cosmogonie bourgeoise moderne était dans un état de profonde confusion idéologique résultant de son refus d’accepter le seul concept vrai du matérialisme dialectique, à savoir l’infinité de l’univers en espace et en temps », et dénonçant comme « contre-révolutionnaire » la croyance en la relativité ». »

Comme on le voit, Anton Pannekoek rejette, et d’ailleurs ne comprend même pas le principe du matérialisme dialectique.

Dans Lénine philosophe, il insiste pour rejeter que le principe de sensation soit présente dans la matière en général, comme reflet. A ses yeux, le matérialisme ne peut être que historique ; il traite d’aspects « organisés » et n’est donc pas une science absolue.

Cela l’amène, nécessairement, à rejeter Gueorgui Plekhanov, à considérer que Hegel et Ludwig Feuerbach sont des penseurs unilatéralement bourgeois, et donc bien entendu que Lénine a mené une révolution forcément bourgeoise, puisque par en haut et fondée sur un tel matéralisme.

Lénine aurait été un bourgeois menant une révolution pseudo-socialiste, parce que ce sont les ouvriers qui faisaient la révolution que la bourgeoisie n’était pas en mesure de faire (plus tard, Enver Hoxha dira précisément la même chose de Mao Zedong).

Anton Pannekoek formule cela ainsi :

« En Chine, par exemple, Sun Yat-sen était socialiste; étant donné toutefois que la bourgeoisie chinoise, dont il se faisait le porte-parole, était une classe nombreuse et puissante, son socialisme était « national » et combattait les « erreurs » marxistes.

Lénine, au contraire, devait prendre appui sur la classe ouvrière, et, parce qu’il lui fallait poursuivre un combat implacable et radical, il adopta l’idéologie la plus extrémiste, celle du prolétariat occidental combattant le capitalisme mondial, à savoir : le marxisme.

Étant donné toutefois que la révolution russe présentait un double caractère – révolution bourgeoise quant aux objectifs immédiats révolution prolétarienne quant aux forces actives – la théorie bolcheviste devait être adaptée à ces deux fins, puiser par conséquent ses principes philosophiques dans le matérialisme bourgeois, la lutte des classes dans l’évolutionnisme prolétarien.

Ce mélange reçut le nom de « marxisme ».

Mais il est clair que le marxisme de Lénine, déterminé par la situation particulière de la Russie vis-à-vis du capitalisme, différait de manière fondamentale du marxisme d’Europe occidentale, conception planétaire propre à une classe ouvrière qui se trouve devant la tâche immense de convertir en société communiste un capitalisme très hautement développé, le monde même où elle vit, où elle agit (…).

Lénine a toujours ignoré en effet ce qu’est le marxisme réel.

Rien de plus compréhensible. Il ne connaissait du capitalisme que sa forme coloniale : il ne concevait la révolution sociale que comme la liquidation de la grande propriété foncière et du despotisme tsariste. On ne peut reprocher au bolchevisme russe d’avoir abandonné le marxisme, pour la simple raison que Lénine n’a jamais été marxiste.

Chaque page de l’ouvrage philosophique de Lénine est là pour le prouver.

Et le marxisme lui-même, quand il dit que les idées théoriques sont déterminées par les nécessités et les rapports sociaux, explique du même coup pourquoi il ne pouvait pas en être autrement.

Mais le marxisme met également en lumière les raisons pour lesquelles cette légende devait forcément apparaître : une révolution bourgeoise exige le soutien de la classe ouvrière et de la paysannerie.

Il lui faut donc créer des illusions, se présenter comme une révolution de type différent plus large plus universel.

En l’occurrence, c’était l’illusion consistant à voir dans la révolution russe la première étape de la révolution mondiale, appelée à libérer du capitalisme le prolétariat dans son ensemble; son expression théorique fut la légende du marxisme (…).

Le mouvement révolutionnaire russe englobait des couches d’intellectuels beaucoup plus importantes que le mouvement socialiste occidental : certains d’entre eux furent influencés par les courants d’idées bourgeois et anti-matérialistes.

Il était naturel que Lénine combatte violemment de telles tendances au sein du mouvement révolutionnaire, il ne les considérait pas comme l’aurait fait un marxiste, qui aurait vu en elle un phénomène social, les aurait expliquées par leur origine sociale, les rendant ainsi totalement inoffensives : nulle part dans son livre on ne trouve la moindre tentative d’une telle compréhension.

Pour Lénine le matérialisme était la vérité établie par Feuerbach, Marx et Engels, et les matérialistes bourgeois.

Ultérieurement, la stupidité, le conservatisme, les intérêts financiers de la bourgeoisie et la puissance spirituelle de la théologie avaient amené une forte réaction en Europe. Or cette réaction menaçait aussi le bolchevisme, et il fallait s’y opposer avec la plus grande rigueur (…).

Il est clair que l’idéologie d’une bourgeoisie satisfaite d’elle-même et déjà déclinante ne peut en aucun cas s’accorder avec un mouvement en développement, ne peut satisfaire, fût-ce une bourgeoisie en ascension. Une telle idéologie aurait conduit à un affaiblissement, là où justement il fallait faire preuve de la plus grande énergie. Seule l’intransigeance du matérialisme pouvait rendre le Parti fort et lui donner la vigueur nécessaire pour une révolution (…).

Sans aucun doute, le livre de Lénine [matérialisme et empirio-criticisme] laissa une empreinte décisive dans l’histoire du Parti, et détermina dans une grande mesure, le développement ultérieur des idées philosophiques en Russie.

Après la révolution, dans le nouveau système de capitalisme d’Etat, le « léninisme », combinaison de matérialisme bourgeois et de doctrine marxiste du développement social, le tout orné d’une terminologie dialectique, fut proclamé philosophie officielle.

Cette doctrine convenait parfaitement aux intellectuels russes, maintenant que les sciences de la nature et la technique formaient la base d’un système de production qui se développait rapidement sous leur direction et qu’ils voyaient se profiler un avenir où ils seraient la classe dirigeante d’un immense empire, où ils ne rencontreraient que l’opposition de paysans encore englués de superstitions religieuses. »

La critique anarchiste faite à la social-démocratie – comme quoi il s’agirait de scientistes cherchant à former une bureaucratie qui prendrait le pouvoir par l’intermédiaire des ouvriers – est directement réutilisée contre Lénine par les gauchistes.

Anton Pannekoek, une fois qu’il a dit que le matérialisme dialectique de Lénine était en réalité un matérialisme bourgeois, peut passer à son but réel : liquider le léninisme en tant que tel.

=>Retour au dossier sur le gauchisme

Anton Pannekoek et le conseillisme

Si Otto Rühle représente la principale figure du gauchisme dans sa variante largement ouverte au syndicalisme-révolutionnaire, au point de n’en être ouvertement qu’une variante, le hollandais Anton Pannekoek (1873-1960) est quant à lui la figure du « communisme des conseils » rejetant le syndicat.

Issu de la haute bourgeoisie, Anton Pannekoek mena une carrière institutionnelle d’astronome, devenant professeur à l’université d’Amsterdam en 1932 et la même année membre de l’Académie néerlandaise des sciences.

Cette carrière commença en 1916, deux années après qu’il ait été expulsé d’Allemagne, où il était actif depuis 1906 dans la social-démocratie allemande, en tant que professeur à l’école du Parti, à Berlin, notamment aux côtés de Rosa Luxemburg et de Rudolf Hilferding.

Anton Pannekoek se plaça dès le début dans l’aile gauche du Parti, mais dans une optique résolument intellectuelle, dans une sorte de combinaison entre actions spontanées de masse et intellectualisation à l’écart lors des phases de reflux.

Toutefois, Anton Pannekoek ne considère paradoxalement pas qu’il s’agit d’attendre la crise finale ; il reproche à Karl Kautsky, qu’il considère encore comme un grand révolutionnaire au début des années 1910, de ne pas considérer la révolution comme un processus.

Anton Pannekoek

En fait, Anton Pannekoek est très proche de Rosa Luxemburg dans l’interprétation des actions de masses apparaissant au XXe siècle. Elles sont considérées comme un moyen réel d’avancer et pour cette raison, l’activité parlementaire semble pour Anton Pannekoek devenir un contre-poids dont il faut se débarrasser.

L’idée de Anton Pannekoek est ainsi tout à fait proche de celle du syndicalisme-révolutionnaire, sauf qu’il ne croit pas au syndicat, mais aux conseils ouvriers. Le Parti est un regroupement valorisant les conseils, enregistrant les expériences et les diffusant, diffusant l’idée des conseils, etc.

Ainsi, pour Anton Pannekoek, il est vrai de dire, comme le fait Otto Rühle, qu’un Parti et un syndicat sont deux formes antagoniques, toutefois c’est le syndicat qui est en réalité inutile pour lui, car dans le processus révolutionnaire les masses se mettent au niveau du Parti.

Plus précisément, Anton Pannekoek abandonne la question de la définition de la classe, pour se tourner vers le concept de masses. Ce qu’il reproche à Karl Kautsky, c’est de se méfier de la spontanéité, de ne pas accorder une place suffisante aux mouvements de masse, au nom d’une lutte des classes comprise de manière trop étroite selon lui.

Anton Pannekoek

Ce qu’Anton Pannekoek reproche à Karl Kautsky, juste avant la Première guerre mondiale, c’est en réalité la traditionnelle perspective social-démocrate où les classes sont considérées comme devant être délimitées afin de pouvoir bien déterminer leur rapport au socialisme et de saisir les nécessités pratiques pour faire avancer le niveau de conscience.

Là où Karl Kautsky considère que rien n’est possible tant que la classe prolétaire n’est pas largement organisée et encadrée par la social-démocratie, Anton Pannekoek considère que les conseils ouvriers sont une forme permettant, de fait, de sauter cette étape social-démocrate d’organisation et de conscientisation, ou plus exactement de la réaliser, de la faire se réaliser elle-même, spontamént, lors de la révolution.

Il faut saisir ici que la question syndicaliste révolutionnaire ne se pose pas en Allemagne, car le syndicalisme ne s’est développé que bien après le Parti social-démocrate. La théorie d’Anton Pannekoek apparaît de ce fait comme une proposition stratégique syndicaliste-révolutionnaire, passant par les conseils en l’absence de réel syndicat historique indépendant.

Aux yeux d’Anton Pannekoek, le marxisme est ainsi résumé en une « théorie de l’action prolétarienne » et Karl Kautsky ne se priva pas de critiquer celui-ci de faire l’éloge de « la forme la plus primitive de la lutte syndicale », de promouvoir la « gymnastique révolutionnaire » dans l’esprit anarchiste et la perspective syndicaliste révolutionnaire.

Encore faut-il noter qu’Anton Pannekoek ne pense pas que tout le prolétariat puisse être concerné par cette « gymnastique ». Il dit ainsi :

« Le temps du développement capitaliste tranquille – où la social-démocratie avec sa meilleure bonne volonté ne pouvait rien faire d’autre qu’expliquer une politique de principe comme préparation à des périodes révolutionnaires futures – est passé.

Le capitalisme s’effondre ; le monde ne peut pas attendre jusqu’à ce que notre propagande a amené la majorité à une conception communiste claire ; les masses doivent tout de suite attaquer et le plus vite possible, afin de se sauver elles-mêmes ainsi que le monde. »

Quant à la révolution, elle se déroulerait « de manière spontanée » et aucun parti, qu’il soit petit et activiste ou de masse et réformiste, ne peut la déclencher. Voici comment Anton Pannekoek présente la chose, en 1936, dans Les conseils ouvriers :

« La classe ouvrière en lutte a besoin d’une organisation qui lui permette de comprendre et de discuter, à travers laquelle elle puisse prendre des décisions et les faire aboutir et grâce à laquelle elle puisse faire connaître les actions qu’elle entreprend et les buts qu’elle se propose d’atteindre.

Certes, cela ne signifie pas que toutes les grandes actions et les grèves générales doivent être dirigées à partir d’un bureau central, ni qu’elles doivent être menées dans une atmosphère de discipline militaire.

De tels cas peuvent se produire, mais le plus souvent les grèves générales éclatent spontanément, dans un climat de combativité, de solidarité et de passion, pour répondre à quelque mauvais coup du système capitaliste ou pour soutenir des camarades. De telles grèves se répandent comme un feu dans la plaine (…).

La véritable organisation dont ont besoin les ouvriers dans le processus révolutionnaire est une organisation dans laquelle chacun participe, corps et âme, dans l’action comme dans la direction, dans laquelle chacun pense, décide et agit en mobilisant toutes ses facultés – un bloc uni de personnes pleinement responsables. Les dirigeants professionnels n’ont pas place dans une telle organisation. Bien entendu, il faudra obéir : chacun devra se conformer aux décisions qu’il a lui-même contribué à formuler. Mais la totalité du pouvoir se concentrera toujours entre les mains des ouvriers eux-mêmes.

Pourra-t-on jamais réaliser une telle organisation ? Quelle en sera la structure ?

Il n’est point nécessaire de tenter d’en définir la forme, car l’histoire l’a déjà produite : elle est née de la pratique de la lutte des classes.

Les comités de grève en sont la première expression, le prototype.

Lorsque les grèves atteignent une certaine importance, il devient impossible que tous les ouvriers participent à la même assemblée. Ils choisissent donc des délégués qui se regroupent en un comité.

Ce comité n’est que le corps exécutif des grévistes ; il est constamment en liaison avec eux et doit exécuter les décisions des ouvriers. Chaque délégué est révocable à tout instant et le comité ne peut jamais devenir un pouvoir indépendant. De cette façon, l’ensemble des grévistes est assuré d’être uni dans l’action tout en conservant le privilège des décisions (…).

Nous voyons clairement comment le système des conseils ne peut fonctionner que lorsque l’on se trouve en présence d’une classe ouvrière révolutionnaire.

Tant que les ouvriers n’ont pas l’intention de poursuivre la révolution, ils n’ont que faire des soviets.

Si les ouvriers ne sont pas suffisamment avancés pour découvrir la voie de la révolution, s’ils se contentent de voir leurs dirigeants se charger de tous les discours, de toutes les médiations et de toutes les négociations visant à l’obtention de réformes à l’intérieur du système capitaliste, les parlements, les partis et les congrès syndicaux – encore appelés parlements ouvriers parce qu’ils fonctionnent d’après le même principe – leur suffisent amplement.

Par contre, s’ils mettent toutes leurs énergies au service de la révolution, s’ils participent avec enthousiasme et passion à tous les événements, s’ils pensent et décident pour eux-mêmes de tous les détails de la lutte parce qu’elle sera leur oeuvre, dans ce cas, les conseils ouvriers sont la forme d’organisation dont ils ont besoin.

Ceci implique également que les conseils ouvriers ne peuvent être constitués par des groupes révolutionnaires. Ces derniers ne peuvent qu’en propager l’idée, en expliquant à leurs camarades ouvriers que la classe ouvrière en lutte doit s’organiser en conseils. »

En raison de cette forme conseilliste de la révolution prolétarienne, alors la forme Parti est nocive, car par définition statique et donc opposé au caractère révolutionnaire, en mouvement, des conseils.

=>Retour au dossier sur le gauchisme

Le national-bolchevisme de Hambourg

L’un des courants relativement exemplaire du volontarisme gauchiste – avec toute l’apologie d’une énergie vitaliste se précipitant dans une sorte de recette-miracle comme « clef » de la révolution – fut ce qui sera par la suite appelé le « national-bolchevisme ».

Ce courant n’a rien rien à voir avec les courants de droite qui utilisent la démagogie sociale ; le national-bolchevisme initial est une tentative gauchiste de profiter d’une situation particulière pour faire avancer la révolution.

L’idée national-bolchevique consistait en la considération que l’Allemagne défaite en 1918 était désormais dirigée par une poignée de capitalistes servant en tant qu’agents du capital financier de l’Entente.

Une dictature militaire prolétarienne, fondée sur les Conseils ouvriers, devait mener la guerre contre l’Entente, en particulier contre la France, l’impérialisme présenté comme le plus agressif car cherchant à renverser la position dominante de l’Angleterre.

Dans ce cadre d’armement général du peuple réalisant le rêve d’Otto von Bismarck d’une population en armes – on reconnaît ici l’approche de Carl von Clausewitz – une certaine paix sociale pourrait être réalisée avec la bourgeoisie, mais sous hégémonie de la mobilisation totale et armée de tous les « travailleurs » (terme remplaçant ici celui d’ouvrier).

Cela fut conceptualisé dans la brochure de 1919 intitulée « Guerre populaire révolutionnaire ou guerre civile contre-révolutionnaire ? », diffusée par les principaux représentants de cette option « national-bolchevique » que furent Heinrich Laufenberg (1872-1932) et Fritz Wolffheim (1888-1942).

Heinrich Laufenberg

Ce dernier avait vécu plusieurs années aux États-Unis et avait été profondément marqué par l’IWW (Industrial Workers of the World), le courant syndicaliste-révolutionnaire américain, poursuivant la même stratégie qui sera celle de la CNT espagnole, où le syndicat est censé organiser une contre-société allant jusqu’à l’action directe, menant à la fin du processus une grève générale expropriatrice.

Fritz Wolffheim avait également été le rédacteur du Vorwärts der Pacific-Küste, un organe social-démocrate destiné aux émigrants allemands présents sur la côte américaine du Pacifique.

Également de Hambourg, Heinrich Laufenberg était au départ un journaliste agissant dans le cadre de la social-démocratie ; il avait d’ailleurs réalisé une étude sur l’histoire du mouvement ouvrier à Hambourg, devenant responsable de l’école du Parti dans cette ville.

Il publia également en 1919 un écrit très détaillé au sujet des événements révolutionnaires à Hambourg, et pour cause : il y avait été pas moins que le président de son grand Conseil ouvrier en 1918, lors d’une prise momentanée du pouvoir les ouvriers et les soldats insurgés.

Fritz Wolffheim avait également été au premier rang de la révolution de 1919, où il avait été l’un des principaux orateurs du grand meeting du 6 novembre 1918, où il avait appelé à prendre d’assaut la centrale militaire locale.

Heinrich Laufenberg et Fritz Wolffheim s’étaient opposés à la première Guerre Mondiale, considérée comme impérialiste, mais raisonnaient sur le fond en termes de défense nationale. Ils entrevoyaient en fait dans la question nationale le « levier » suffisant pour que la révolution bouleverse toute la société, dépassant les limites posées par la seule question sociale.

La dimension « nationale » de la révolution devait permettre de réaliser une révolution techniquement parfaite, à coups de mesures censées être décisives. Elle n’est prise en compte que dans la mesure où elle va de pair avec la formation d’une administration par les conseils ouvriers.

Heinrich Laufenberg peut ainsi explique que :

« Jusqu’à présent, le vivre-ensemble national reposait sur la violence imposée par en-haut. Le nouveau système organisera la nation par en bas. »

« La Nation bourgeoise se meurt et la Nation socialiste croît. L’idée nationale a cessé d’être un moyen de puissance aux mains de la bourgeoisie contre le prolétariat et se retourne contre celle-ci. La grande dialectique de l’Histoire fait de l’idée nationale un moyen de puissance du prolétariat contre la bourgeoisie. »

La IIIe Internationale imposa au KAPD l’exclusion de ces partisans de la « guerre nationale » comme préalable à la poursuite des discussions pour une éventuelle adhésion. Il était considéré comme inacceptable de nier l’existence des classes sociales en Allemagne au nom de la lutte contre la situation de l’Allemagne vaincue.

Lénine, dans La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), explique ainsi :

« Enfin, une des erreurs incontestables des « gauchistes » d’Allemagne, c’est qu’ils persistent dans leur refus de reconnaître le traité de Versailles. Plus ce point de vue est formulé avec « poids » et « sérieux », avec « résolution » et sans appel, comme le fait par exemple K. Horner, et moins cela paraît sensé.

Il ne suffit pas de renier les absurdités criantes du « bolchevisme national » (Laufenberg et autres), qui en vient à préconiser un bloc avec la bourgeoisie allemande pour reprendre la guerre contre l’Entente, dans le cadre actuel de la révolution prolétarienne internationale.

Il faut comprendre qu’elle est radicalement fausse, la tactique qui n’admet pas l’obligation pour l’Allemagne soviétique (si une République soviétique allemande surgissait à bref délai) de reconnaître pour un temps la paix de Versailles et de s’y plier. »

Le courant national-bolchevique s’ouvrit, suite à cet échec, immédiatement à une ligne nationaliste ouverte à des membres des couches sociales les plus aisées, fondant une Freie Vereinigung zum Studium des deutschen Kommunismus (Association libre pour l’étude du communisme allemand) se revendiquant ouvertement du courant de pensée ultra-nationaliste pangermaniste et servant de relais théorique à une Bund der Kommunisten (Union des Communistes) d’orientation national-révolutionnaire.

S’ensuivirent un cheminement séparé pour Fritz Wolffheim et Heinrich Laufenberg, ce dernier fondant en 1922 un Bund für Volk, Freiheit und Vaterland (Union pour le peuple, la liberté et la patrie), d’orientation national et social-révolutionnaire, tandis que Fritz Wolffheim menait le Bund der Kommunisten vers une ligne ethique ultra-nationaliste.

Heinrich Laufenberg cessa par la suite toute activité, revenant à ses origines sociales consistant en un milieu chrétien ultra conservateur, refusant désormais le marxisme pour prôner un christianisme socialisant, lui-même participant à des initiatives pour les démunis, tout en vivotant dans les milieux d’ultra-gauche.

Fritz Wolffheim, d’origine juive, rejoignit quant à lui en 1929 un Groupe de nationalistes sociaux-révolutionnaires, avant de mourir en camp de concentration.

Le terme de national-bolchevisme fut quant à lui récupéré pour désigner des nationalistes partisans d’une alliance avec l’URSS.

=>Retour au dossier sur le gauchisme

Otto Rühle et le refus du Parti issu de la social-démocratie

Otto Rühle n’est pas original dans son propos, dans la mesure où il prolonge sa critique du Parti de type social-démocrate. Ce dernier s’étant développé en le parti de type léniniste, Otto Rühle ne fait que continuer sa critique, en l’adaptant à la nouvelle forme. En arrière-plan, c’est la notion même de parti social-démocrate qui est remis en cause, le léninisme étant sa forme la plus développée.

Otto Rühle insiste très lourdement sur ce point, de manière systématique. Le léninisme n’est qu’une forme de kautskysme et comme Karl Kautsky a basculé dans le réformisme, Lénine fait de même. Ce que vise Otto Rühle, dans sa période après 1925, année où il cessa toute activité politique, c’est que le léninisme soit assimilé au kautskysme.

Pour cette raison, Otto Rühle présente Lénine comme un opportuniste bureaucrate, cherchant à faire imposer ses idées par en haut. Voici comment les choses sont présentées dans La lutte contre le fascisme commence par la lutte contre le bolchevisme :

« Dès le début, Lénine concevait le bolchevisme comme un phénomène purement russe. Au cours de ses nombreuses années d’activité politique, il ne tenta jamais de hisser le système bolchevique au niveau des formes de lutte utilisées dans les autres pays.

C’était un social-démocrate, pour qui Bebel et Kautsky restaient les leaders géniaux de la classe ouvrière, et il ignorait l’aile gauche du mouvement socialiste allemand qui s’opposait précisément aux héros de Lénine et à tous les opportunistes.

Ignorant cette gauche, il resta donc isolé, entouré par un petit groupe d’émigrés russes, et il demeura sous l’influence de Kautsky alors même que la «gauche » allemande, dirigée par Rosa Luxembourg, était déjà engagée dans la lutte ouverte contre le kautskysme (…).

Quoique les soviets, développés par les mencheviks, soient étrangers au schéma bolchevique, c’est pourtant grâce à eux que les bolcheviks arrivèrent au pouvoir. Une fois la stabilisation du pouvoir assurée et le processus de reconstruction économique entamé, le parti bolchevique ne savait plus comment coordonner le système des soviets, qui n’était pas le sien, avec ses propres activités et ses décisions.

Toutefois, réaliser le socialisme était aussi le désir des bolcheviks, et cela nécessitait l’intervention du prolétariat mondial. Pour Lénine, il était essentiel de gagner les prolétaires du monde aux méthodes bolcheviques. Il était donc très gênant de constater que les ouvriers des autres pays, en dépit du grand triomphe obtenu par le bolchevisme, montraient peu d’inclination pour sa théorie et sa pratique, mais étaient plutôt attirés par le mouvement des conseils, qui apparaissaient alors dans plusieurs pays et particulièrement en Allemagne.

Ce mouvement des conseils ne pouvait plus être d’aucune utilité à Lénine en Russie. Dans les autres pays européens, il manifestait une tendance marquée à s’opposer aux soulèvements de type bolchevique. En dépit de l’énorme propagande entretenue par Moscou dans tous les pays, l’agitation menée par ce qu’on appelle l’ultra-gauche pour une révolution fondée sur le mouvement des conseils éveilla, ainsi que Lénine lui-même l’a souligné, un écho bien plus large que ne le firent tous les propagandistes envoyés par le parti bolchevique.

Le Parti Communiste Allemand, suivant l’exemple du bolchevisme, restait un petit groupe hystérique et bruyant, formé principalement d’éléments prolétarisés de la bourgeoisie, alors que le mouvement des conseils attirait à lui les éléments les plus déterminés de la classe ouvrière.

Pour faire face à cette situation, il fallait renforcer la propagande bolchevique, il fallait attaquer l’ultra-gauche et renverser son influence en faveur du bolchevisme.

Puisque le système des soviets avait échoué en Russie, comment la « concurrence» radicale osait-elle essayer de prouver au monde que là où le bolchevisme lui-même avait échoué en Russie, on pouvait réussir ailleurs en se passant de lui ?

Pour se défendre, Lénine écrivit son pamphlet Le gauchisme, maladie infantile du communisme, dicté par la peur de perdre le pouvoir et par l’indignation devant le succès des hérétiques.

Le pamphlet parut tout d’abord avec le sous-titre «Essai d’exposé populaire de la stratégie et de la tactique marxistes, mais ultérieurement cette phrase ambitieuse et idiote fut supprimée. C’en était trop.

Cette bulle papale agressive, grossière et odieuse était une véritable aubaine pour tout contre-révolutionnaire. De toutes les déclarations programmatiques du bolchevisme, c’est celle qui révèle le mieux son caractère réel. C’est le bolchevisme mis à nu. »

On a ici le cœur du gauchisme comme idéologie : le léninisme est un kautskysme, qui dénonce comme gauchisme ce qui est le communisme authentique. Pour les gauchistes, le léninisme empêche la spontanéité des masses, l’émergence des conseils révolutionnaires. Le léninisme serait par nature légaliste et parlementaire, syndicaliste et favorable aux institutions bourgeoises.

L’ouvrage de Lénine sur le gauchisme comme maladie infantile est donc considéré comme le prolongement logique du kautskysme et une pièce-maîtresse de la contre-révolution ; Otto Rühle va jusqu’à fantasmer que les nazis ne l’ont pas interdit à leur prise de pouvoir, afin de contrer la révolution.

Otto Rühle, Fascisme brun, fascisme rouge

Le léninisme apparaît pour les gauchistes comme le modèle de la prise du pouvoir par en haut, comme le putsch d’intellectuels non liés à la classe. Cette critique est commune à tout ce qui forme l’ultra-gauche : les syndicalistes-révolutionnaires, les anarchistes, les trotskystes, les conseillistes, etc.

Voici un autre passage où Otto Rühle insiste sur la question de la direction, qui est en fait au cœur de la question gauchiste. Pour le léninisme, dans le prolongement de la position de Karl Kautsky comme il est affirmé dans Que faire ?, le Parti s’appuie sur le socialisme scientifique, c’est un parti de cadres, maintenant la ligne rouge. Les gauchistes s’opposent formellement à cette approche au nom de la spontanéité des masses qui aboutirait de manière naturelle à la révolution :

« Le parti bolchevique, originellement section sociale-démocrate russe de la IIe Internationale, se constitua non en Russie, mais dans l’émigration.

Après la scission de Londres en 1903, l’aile bolchevique de la social-démocratie russe se réduisait à une secte confidentielle.

Les «masses » qui l’appuyaient n’existaient que dans le cerveau de ses chefs.

Toutefois, cette petite avant-garde était une organisation strictement disciplinée, toujours prête pour les luttes militantes et soumise à des purges continuelles pour maintenir son intégrité. Le parti était considéré comme l’académie militaire des révolutionnaires professionnels.

Ses principes pédagogiques marquants étaient l’autorité indiscutée du chef, un centralisme rigide, une discipline de fer, le conformisme, le militarisme et le sacrifice de la personnalité aux intérêts du parti.

Ce que Lénine développait en réalité, c’était une élite d’intellectuels, un noyau qui, jeté dans la révolution, s’emparerait de la direction et se chargerait du pouvoir (…).

Selon la méthode révolutionnaire de Lénine, les chefs sont le cerveau des masses.

Possédant l’éducation révolutionnaire appropriée, ils sont à même d’apprécier les situations et de commander les forces combattantes. Ils sont des révolutionnaires professionnels, les généraux de la grande armée civile.

Cette distinction entre le cerveau et le corps, entre les intellectuels et les masses, les officiers et les simples soldats, correspond à la dualité de la société, de classe, à l’ordre social bourgeois.

Une classe est dressée à commander, l’autre à obéir.

C’est de cette vieille formule de classe que sortit la conception léniniste du Parti.

Son organisation n’est qu’une simple réplique de la réalité bourgeoise. Sa révolution est objectivement déterminée par les mêmes forces qui créent l’ordre social bourgeois, abstraction faite des buts subjectifs qui accompagnent ce processus.

Quiconque cherche à établir un régime bourgeois trouvera dans le principe de la séparation entre le chef et les masses, entre l’avant-garde et la classe ouvrière, la préparation stratégique à une telle révolution. Plus la direction est intelligente, instruite et supérieure, et les masses disciplinées et obéissantes, plus une telle révolution a de chances de réussir. En cherchant à accomplir la révolution bourgeoise en Russie, le parti de Lénine était donc tout à fait adapté à son objectif.

Quand, toutefois, la révolution russe changea de nature, quand ses caractéristiques prolétariennes devinrent évidentes, les méthodes tactiques et stratégiques de Lénine perdirent leur valeur. S’il l’emporta en fin de compte, ce ne fut pas grâce à son avant-garde, mais bien au mouvement des soviets, qu’il n’avait pas du tout inclus dans ses plans révolutionnaires.

Et quand Lénine, une fois le triomphe de la révolution assuré par les soviets, décida une fois de plus de s’en passer, tout caractère prolétarien disparut de la révolution russe. Le caractère bourgeois de la révolution occupa à nouveau la scène, trouvant son aboutissement naturel dans le stalinisme.

En dépit de son souci de la dialectique marxiste, Lénine était incapable de concevoir dialectiquement l’évolution historique des processus sociaux. Sa pensée restait mécaniste, suivant des schémas rigides. Pour lui, il n’existait qu’un seul parti révolutionnaire – le sien; qu’une seule révolution – la révolution russe ; qu’une seule méthode – le bolchevisme. Et ce qui avait réussi en Russie devait réussir aussi en Allemagne, en France, en Amérique, en Chine et en Australie.

Ce qui était correct pour la révolution bourgeoise russe, l’était aussi pour la révolution prolétarienne mondiale. L’application monotone d’une formule découverte une fois pour toutes évoluant dans un cercle égocentrique où n’entraient en considération ni l’époque ni les circonstances, ni les niveaux de développement, ni les réalités culturelles, ni les idées ni les hommes.

Avec Lénine, c’était l’avènement du machinisme en politique : il était le « technicien», « l’inventeur » de la révolution, le représentant de la volonté toute-puissante du chef.

Toutes les caractéristiques fondamentales du fascisme existaient dans sa doctrine, sa stratégie, sa «planification sociale » et son art de manier les hommes. Il ne pouvait pas saisir la profonde signification révolutionnaire du rejet par la gauche de la politique traditionnelle de parti. Il ne pouvait pas comprendre la véritable importance du mouvement des soviets pour l’orientation socialiste de la société. Il ignorait les conditions requises pour la libération des ouvriers.

Autorité, direction, force, exercées d’un côté, organisation, encadrement, subordination de l’autre – telle était sa manière de raisonner.

Discipline et dictature sont les mots qui reviennent le plus souvent dans ses écrits. Staline proclamait Lénine « le génial mécanicien de la locomotive de l’histoire ».

On trouve de multiples exemples de cette conception mécaniste dans la prose bolchevique, et ce dans tous les domaines. »

Otto Rühle exprime le point de vue du petit-bourgeois pris de rage devant le triomphe des monopoles, mais incapable de saisir le principe de planification, d’organisation, propre à la classe ouvrière. Il ne saisit pas ce qu’est le socialisme scientifique comme science de la matière dans son ensemble ; il réduit tout à une colère qui se voudrait anti-démocratique.

=>Retour au dossier sur le gauchisme

Otto Rühle et la rupture anti-Parti

L’une des principales figures du gauchisme allemand fut Otto Rühle. Professeur membre de la social-démocratie, il fut élu au parlement en 1912 et fit partie des 15 parlementaires sociaux-démocrates sur 111 qui le 3 août 1914 refusèrent de voter pour les crédits de guerre.

Il participa ensuite à une importante réunion de la gauche, en mars 1915, dans l’appartement de Wilhelm Pieck, qui sera par la suite dirigeant du KPD (Parti Communiste d’Allemagne), avec Karl Liebknecht, Franz Mehring et neuf autres personnes, qui fondèrent la revue Die Internationale, qui n’aura qu’un numéro mais donnera naissance au Gruppe Internationale, qui deviendra le Spartakusgruppe et donnera naissance au KPD.

Otto Rühle

Otto Rühle rompit cependant rapidement avec Karl Liebknecht, qui fondera de son côté, avec Rosa Luxemburg, le KPD sur la base du Spartakusgruppe. Il ne rejoignit pas non plus les 18 députés socialistes exclus pour ne pas avoir voté l’état d’urgence et ayant fondé la Sozialdemokratische Arbeitsgemeinschaft (communauté social-démocrate de travail), qui donnera l’USPD.

Il se revendiquera, en novembre 1918, « linksradikal », c’est-à-dire d’extrême-gauche ou encore gauchiste, se revendiquant d’une nouvelle organisation, appelée Internationalen Kommunistem Deutschlands.

Lors de la révolution de 1918, il fut président pendant une semaine du conseil révolutionnaire unifié ouvriers-soldats de Dresde, regroupant le SPD, l’USPD et le reste de la gauche révolutionnaire, accusant tous les non « gauchistes » d’être contre-révolutionnaire.

Rejoignant initialement le KAPD, Otto Rühle rompit rapidement avec également. En raison du voyage de retour bloqué en Estonie des délégués du KAPD partis en URSS, Otto Rühle y fut envoyé en juin 1920.

Il y rencontra notamment Lénine, mais ce qu’il en retient est alors que « les ouvriers russes sont plus esclavagisés, plus opprimés, plus exploités que les ouvriers allemands ».

Les gauchistes, fascinés par la révolution russe, révisèrent en effet à partir de 1919-1920 entièrement leur position, révélant leur nature syndicaliste-révolutionnaire et mettant un terme au malentendu, plus précisément leur interprétation selon laquelle Lénine avait rompu historiquement avec la social-démocratie.

Otto Rühle avait déjà une position totalement opposé au principe de « Parti » avant d’aller en URSS et la IIIe Internationale avait déjà demandé sa mise à l’écart du KAPD. Présent à Moscou, Otto Rühle refusa même de participer au second congrès de la IIIe Internationale.

Otto Rühle

La situation étant intenable et les dirigeants du KAPD – Karl Schröder, Hermann Gorter, Fritz Rasch – se rendirent eux-mêmes à Moscou à l’automne, le KAPD gagnant alors le statut de parti « sympathisant » de la IIIe Internationale, pouvant exprimer son opinion aux congrès, mais ayant comme devoir de s’unir au KPD.

Le KAPD reconnut alors la nécessité du Parti, mais à demi-mot : « au moins jusqu’à la conquête du pouvoir politique et probablement encore au-delà ». Otto Rühle fut alors exclu du KAPD en raison de ce qui sera considéré comme son « anarcho-communisme ».

Il se rapprocha alors effectivement, sans succès, du courant syndicaliste-révolutionnaire organisé en une FAU, tentant de fédérer des forces gauchistes, pour en fin de compte fonder en 1921 une AAU (organisation d’unité).

Selon Otto Rühle, dans sa vie quotidienne, l’ouvrier connaissait uniquement des formes bourgeoises comme le mariage, la famille, un certain rapport à la propriété, alors que dans l’entreprise il est un « prolétaire pur face au capital ».

Otto Rühle abandonna, de ce fait, toute prétention idéologique et culturelle – alors que historiquement la social-démocratie en faisait son noyau dur – c’est-à-dire qu’il rejettait le principe de Parti dans son essence même.

Pour lui :

« Le KPD est également devenu un parti politique. Un parti au sens historique, comme les partis bourgeois, comme le SPD et l’USPD. Les chefs ont le premier mot. Ils parlent, promettent, attirent, commandent. Les masses, quand elles s’y retrouvent, se retrouvent devant des faits établis.

Elles doivent se tenir en rang, bien droit. Doivent marcher à pas cadencé. Doivent croire, se taire, payer. Ont à recevoir les ordres et les instructions, à les appliquer. Et elles doivent voter!

Leurs chefs veulent aller au parlement. Alors il faut voter pour eux. Pendant que les masses persistent dans un muet dévouement et une passivité dévote, les chefs font la haute politique au parlement.

Le KPD est également devenu un parti politique. Le KPD veut également au parlement. La centrale du KPD dit un mensonge, quand elle persuade les masses qu’il ne veut aller au parlement que pour le faire sauter. Il dit un mensonge quand il assure ne pas vouloir faire de collaboration parlementaire – positive (…).

Mais il reste une consolation pour les masses : il y a toujours de nouveau une opposition! Cette opposition ne participe pas à la marche dans le camp de la contre-révolution (…). Les éléments les plus mûrs, révolutionnaires les plus décidés et les plus actifs, ont comme tâche de former la phalange de la révolution.

Ils ne peuvent accomplir cette tâche qu’en tant que phalange, c’est-à-dire en formation fermée. Ils sont l’élite du prolétariat révolutionnaire. Ils gagnent par la détermination une force croissante. Et une profondeur accrue de connaissance.

Ils sont visibles en tant que volonté d’agir par les vacillants et ceux dans l’obscurité. Au moment décisif ils forment le centre magnétique pour toute activité. Ils sont une organisation politique. Mais pas un parti politique. »

Otto Rühle développa alors, dans la continuité de sa démarche, un thème qui sera repris par la suite par l’historien ultra-conservateur Ernst Nolte : le bolchevisme est la cause du fascisme.

Dans un ouvrage intitulé La lutte contre le fascisme commence par la lutte contre le bolchevisme, publié en 1939, Otto Rühle affirme ainsi que :

« Il faut placer la Russie au premier rang des nouveaux États totalitaires. Elle a été la première à adopter le nouveau principe d’État. C’est elle qui a poussée le plus loin son application. Elle a été la première à établir une dictature constitutionnelle, avec le système de terreur politique et administrative qui l’accompagne.

Adoptant toutes les caractéristiques de l’État totalitaire, elle devint ainsi le modèle pour tous les pays contraints à renoncer au système démocratique pour se tourner vers la dictature. La Russie a servi d’exemple au fascisme (…).

Nationalisme, autoritarisme, centralisme, direction du chef, politique de pouvoir, règne de la terreur, dynamiques mécanistes, incapacité à socialiser— tous ces traits fondamentaux du fascisme existaient et existent dans le bolchevisme. Le fascisme n’est qu’une simple copie du bolchevisme.

Pour cette raison, la lutte contre le fascisme doit commencer par la lutte contre le bolchevisme. »

Cette thèse est exemplaire de la ligne gauchiste, qui voit en le mouvement communiste la principale menace contre-révolutionnaire. On voit tout de suite, le document datant de 1939, le rapport avec le trotskysme.

Otto Rühle et Léon Trotsky

Otto Rühle avait d’ailleurs soutenu Trotsky en participant en 1937 à une pseudo commission chargée de l’innocenter des accusations faites contre lui en URSS. Trotsky préfaça de son côté l’édition abrégée du Capital publiée par Otto Rühle en 1939.

=>Retour au dossier sur le gauchisme

Le KAPD et l’AAUD

L’élan de la révolution allemande fut très profond et, malgré la mort de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, le Parti Communiste d’Allemagne (KPD) se construisit de manière très rapide.

Toutefois, il y avait deux axes possibles qui en découlaient. Soit il fallait se tourner vers tout un ensemble de structures dispersées liées directement à la perspective de l’insurrection, dans l’idée d’aller le plus rapidement possible, en mettant l’idéologie et l’organisation de côté.

Soit il fallait, au contraire, se tourner vers la base de la social-démocratie, notamment l’USPD (Unabhängige Sozialdemokratische Partei Deutschlands – Parti Social-Démocrate Indépendant d’Allemagne).

L’USPD est né en 1917 de son exclusion de la social-démocratie, en raison de son opposition à la guerre ; il rassemblait alors les principales figures historiques de la social-démocratie : Karl Liebnecht et Rosa Luxembourg, Karl Kautsky et Rudolf Hilferding, ainsi qu’Eduard Bernstein.

Le KPD est issu de la tendance de Karl Liebnecht et Rosa Luxembourg considérant qu’il fallait précipiter les choses, mais l’USPD se maintenait encore sur une ligne tout à fait social-démocrate de gauche.

Dès sa fondation, il parvient à rassembler 120 000 membres, puis pas moins de 893 000 membres en septembre 1920.

Naturellement, le KPD eut comme consigne de chercher à gagner la base de l’USPD, ce qu’il parvint. L’aile gauche de l’USPD et le KPD formèrent, en décembre 1920, le KPD unifié (VKPD), avec pas moins de 448 500 membres.

Cette évolution fut largement décriée par les secteurs « insurrectionnalistes » tenant une ligne gauchiste et considérant qu’il fallait une rupture complète avec la social-démocratie historique.

Cela fait que pour rejoindre l’USPD, le KPD a été obligé de rompre avec une partie significative de ses membres.

L’exclusion se produisit au congrès dit de Heidelberg (le KPD étant illégal, le congrès eut lieu dans plusieurs endroits autour de cette ville), en octobre 1919. La tendance exclue, d’orientation syndicaliste-révolutionnaire et d’optique insurrectionnaliste, donna alors naissance en avril 1920 au Kommunistische Arbeiterpartei Deutschlands (Parti Ouvrier Communiste d’Allemagne).

Tu ne devrais pas voter Le parlement est la coulisse de la domination du capital Tout le pouvoir aux conseils A bas le parlement Boycott des élections

Pour le KAPD, la révolution est imminente et par conséquent il faut tabler sur une prise de conscience rapide et décentralisée du prolétariat. Toute tentative de faire de la politique – par les élections ou la participation aux syndicats, notamment – retarde l’échéance.

La tentative de coup d’Etat par l’extrême-droite en mars 1920 – brisé par une grève générale historique et des masses en armes – forme l’arrière-plan culturel et idéologique expliquant l’impact du KAPD, qui dispose dès le départ d’environ 38 000 membres.

Le KPD, avant son unité avec l’USPD peu après, avait alors environ 66 000 membres.

Le KAPD profitait également de l’impact de son syndicat nouvellement formé, l’AAUD (« Union PanOuvrière d’Allemagne »), s’appuyant sur environ 200 000 membres.

L’organisation révolutionnaire d’entreprise, Union PanOuvrière d’Allemagne

L’organe de presse de l’AAUD, der Kampfruf c‘est-à-dire L’appel à la lutte, suivait la même ligne d’insultes (« reptiles », « putes », etc.) envers les réformistes, ainsi qu’envers les communistes liés à l’URSS, et de propagande pour la révolution prétendument immédiate et complète.

Voici un exemple de comment l’AAUD, à sa fondation prétendait trouver une voie « pure » :

« La croissance de l’organisation dans cette direction repoussera de plus en plus à l’arrière-plan la lutte entre ce que l’on appelle le centralisme et le fédéralisme.

Du point de vue de l’AAU, la polémique autour de ces deux principes, de ces deux formes d’organisation, deviendra une querelle de mots vides. Il faut évidemment comprendre ces termes d’après la signification qu’ils ont eu jusqu’à présent et ne leur donner aucun sens nouveau.

Nous entendons par centralisme la forme qui, par la volonté de quelques-unes, tient les masses en laisse et les asservit. Pour l’AAU il s’agit du démon qui doit être exterminé.

Il est anti-social. Le fédéralisme est sont antagoniste, mais son antagoniste sur la base du même système économique. C’est la souveraineté, l’entêtement obstiné de l’individu (ou de l’entreprise, ou de la région, ou de la nation) pris en soi-même. Il est également antisocial et on doit le combattre tout autant.

Ces deux formes se développèrent progressivement dans les siècles passés. Le fédéralisme l’emporta au Moyen Âge, le centralisme pendant la période du capitalisme avancé.

La sympathie pour le fédéralisme repose tout simplement sur le fait que voyant en lui la négation du centralisme, on suppose qu’il apporterait la libération et le aradis. Ce désir de fédéralisme conduit à une caricature d’autonomie (droit d’auto-détermination). On croit agir de façon sociale et prolétarienne quand on attribue à chaque région, chaque lieu (on devrait même le faire pour chaque personne) l’autonomie dans tous les domaines.

En fait, on ne fait qu’abolir l’empire pour le remplacer par une quantité de petites principautés. De partout surgissent des roitelets (fonctionnaires), qui régissent de leur côté de façon « centralisée » une fraction des adhérents comme si c’était leur propriété: il s’ensuit une dislocation et une ruine générale.

Le centralisme et le fédéralisme sont tous deux des formes d’expression bourgeoises. Le centralisme étant plus de caractère grand-bourgeois, le fédéralisme petit-bourgeois. Tous deux sont anti-prolétariens et entravent la pureté de la lutte de classe. »

Ce positionnement « ultra » fit que, dès 1922, il existait déjà deux KAPD (dite de Berlin et d’Essen), l’une formant en quelque sorte le « canal habituel » et l’autre le « canal historique », conservant chacun le nom de KAPD, alors que parallèlement l’AAUD se divisa elle-même rapidement en cinq structures différentes.

Le canal habituel disposait de 400 personnes dans son KAPD, 600 dans son AAUD ; sa ligne était que rien n’était possible à part la réfutation des syndicats et l’appel à la préparation pour la nouvelle vague révolutionnaire.

Le canal historique, quant à lui, était plus solide, disposant de 2000 membres dans son KAPD, de 12000 dans son AAUD, se fondant sur une ligne de type syndicaliste-révolutionnaire. Une scission se produira également lors de l’intégration dans ce KAPD canal historique de gauchistes exclus du KPD, Ernst Schwarz mettant son salaire de député et sa possibilité de transports gratuits au service du KAPD, ce qui fut considéré comme inacceptable par une fraction fondant alors un KAPD Opposition.

Du côté de l’AAUD, une des cinq tendances, d’orientation anti-organisation, disparut dès 1923, alors que la même année une autre de ces tendances rejoignit l’anarcho-syndicalisme.

Der Kampfruf, l’appel à la lutte, organe de l’Union PanOuvrière d’Allemagne

Une autre se maintint sur une ligne anarchiste violemment anti-intellectuelle, une autre suivit une ligne conseilliste tout en disparaissant en 1932, alors que la dernière fondée avec Otto Rühle basculait dans le syndicalisme-révolutionnaire, aboutissant finalement en 1931 à un rassemblement avec d’autres factions gauchistes pour fonder la Kommunistische Arbeiter-Union (Revolutionäre Betriebs-Organisationen), c’est-à-dire l’Union Ouvrière Communiste (Organisations Révolutionaires d’Entreprises), avec 343 membres.

De fait, l’échec du KAPD tenait à sa nature finalement contradictoire, puisque la démarche « conseilliste » revenait à du syndicalisme-révolutionnaire. Le KAPD rejetait le centralisme démocratique et prônait le parti comme simple regroupement conscient. Il n’y avait aucune base idéologique à part le fait de ne pas en vouloir, au nom de la spontanéité : l’effondrement était programmé dans la matrice même du KAPD.

Ne restèrent plus qu’aux gauchistes à masquer cet échec complet derrière un « reflux » de la révolution, le rôle « contre-révolutionnaire » du KPD, etc. C’est Anton Panekoek qui s’en chargea, aux côtés d’Otto Rühle.

=>Retour au dossier sur le gauchisme

La source du gauchisme

Le gauchisme n’est pas sorti de nulle part ; il n’est nullement une tendance radicale spontanée qui serait le fruit d’une vague révolutionnaire, comme les gauchistes le prétendent pourtant. Il est issu des courants défaits par la social-démocratie et renouvelant leurs formes.

Il suffit de voir ainsi quelle était la situation aux Pays-Bas, pays où le gauchisme en tant que courant organisé fut particulièrement fort. Il est d’ailleurs parlé, chez les gauchistes, de la « gauche germano-hollandaise » et de la « gauche italienne ».

Les Hollandais Anton Pannekoek et Herman Gorter, ainsi que Henriette Roland Horst, formaient un courant à part dans la social-démocratie hollandaise ; largement influencés par le philosophe allemand Josef Dietzgen, ils considéraient que la conscience gagnait historiquement en puissance, jusqu’à parvenir au niveau de la vision socialiste du monde.

Anton Pannekoek

C’était, de fait, la même vision moraliste et par en bas que les syndicalistes révolutionnaires. L’approche était fondamentalement différente de celle de la social-démocratie ; dès 1907, une revue autonome intitulée De Tribune fut d’ailleurs publiée, avec notamment David Wijnkoop et Willem Van Ravesteyn.

Un congrès extraordinaire de la social-démocratie hollandaise – le Sociaal Democratische Arbeiders Partij –, se tenant à Deventer, exigea alors la fin de cette revue et l’obéissance à la discipline du Parti, à quoi fut répondu par la fondation d’un nouveau parti, le Sociaal-Democratische Partij, qui resta toujours extrêmement minoritaire, ses adhérents atteignant le chiffre de 700 en 1916, bien loin des 25 000 membres du Parti historique en 1913, son activité ouvrière n’étant réelle qu’à Amsterdam.

Il obtint cependant quatre places sur cent au Parlement en 1918, grâce à une alliance avec des petits groupes gauchistes ; il prit par la suite le nom de Parti Communiste aux Pays-Bas, puis de Parti Communiste de Hollande, enfin de Parti Communiste des Pays-Bas.

Henriette Roland Horst, figure du Parti Communiste fondé aux Pays-Bas sur une base gauchiste

Cette histoire parallèle à la social-démocratie est caractéristique du gauchisme, qui se précipitait après 1917 pour apparaître comme « communiste », alors que le communisme est issu de la social-démocratie.

En France, avant le Parti Communiste français né en 1920, il y eut en 1919 un éphémère « Parti communiste », publiant « Le communiste, organe officiel du PCF et des soviets adhérant à la section française de la IIIe Internationale de Moscou, des conseils ouvriers, de paysans et de soldats ».

Fondé par le syndicaliste Raymond Péricat, il fut classiquement sur les positions gauchistes : refus unilatéral des institutions et de la théorie au nom de la pratique immédiatement « révolutionnaire ».

Attirant à lui des anarchistes, des syndicalistes révolutionnaires, il s’effondra rapidement, après avoir pris la dénomination de « Fédération communiste des soviets ».

En Italie, ce fut Amadeo Bordiga qui, après avoir adhéré à la social-démocratie en 1910, tenta d’amener le Parti Communiste d’Italie sur des positions similaires, avec un échec finalement complet.

En Allemagne, le processus se déroula de manière similaire par une tentative de parasitage du Parti Communiste d’Allemagne fondé par Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, à la suite de 1917. Le gauchisme fut toutefois repoussé par vagues successives, avec notamment une « résolution contre le syndicalisme » en juin 1919.

Les fondements du gauchisme sont donc les mêmes, dans tous les pays où il a existé de manière significative, c’est-à-dire en Hollande, en Allemagne et en Italie. Des éléments extérieurs à la tradition social-démocrate ne cernent que les problèmes de celle-ci et posent une ligne ultra-volontariste qu’ils s’imaginent conformes au léninisme.

Puis vient la désillusion complète, le léninisme les réfutant de manière systématique, ce qui produit une tentative de formation d’une idéologie qui sera historiquement qualifiée d’ultra-gauche, rejoignant de multiple manière les rangs syndicalistes révolutionnaires.

En effet, le gauchisme est simplement une forme nouvelle du syndicalisme révolutionnaire, dont il se distingue par la mise en valeur, non pas de la forme syndicale, mais des conseils de travailleurs, les fameux Soviets ayant pris le pouvoir en URSS à l’initiative des bolcheviks.

Par contre, tant le syndicalisme révolutionnaire que le gauchisme en tant que « conseillisme » rejettent la conception d’avant-garde et de Parti Communiste comme état-major du prolétariat, c’est-à-dire le léninisme.

Mais ce n’est pas tout : il refuse surtout, fondamentalement et c’est là son noyau dur, le principe du Parti fondant sa démarche sur une théorie scientifique.

=>Retour au dossier sur le gauchisme

La nature du gauchisme

Historiquement, la social-démocratie a été le mouvement ouvrier s’appuyant sur un Parti de cadres autour d’une idéologie bien précise : le socialisme scientifique.

Ce Parti dirige les luttes de classe, dans l’intégralité du processus ; la spontanéité est rejetée. Cette forme de Parti a été accepté par Lénine, lui-même un social-démocrate initialement ; dans Que faire?, il souligne son accord avec Karl Kautsky sur ce point.

Ce qu’on appelle le gauchisme est la réfutation de ce type de Parti. Le gauchisme prétend mettre dos à dos la social-démocratie réformiste et la social-démocratie révolutionnaire développée par Lénine. Tous deux auraient une démarche positiviste et dogmatique, accordant à la théorie une importance centrale alors que ce serait le mouvement spontané des masses qui compterait.

Dans toute la littérature gauchiste, quel que soit son positionnement, on trouve de visés Karl Kautsky et Lénine, la notion de Parti dirigeant, le principe d’une idéologie comme guide. C’est là la clef absolue pour comprendre le gauchisme et saisir en quoi il est très proche, dans sa nature, sa démarche, ses fondements, du syndicalisme-révolutionnaire, de l’anarchisme, du trotskysme.

Lénine

Le texte de Paul Mattick de 1939, Karl Kautsky : de Marx à Hitler, est exemplaire de l’approche gauchiste visant à refuser de voir toute différence entre la social-démocratie du début du XXe siècle et celle échouant à s’opposer à la première guerre mondiale impérialiste, ainsi qu’avec le léninisme.

Il y a d’ailleurs deux ouvrages philosophiques « marxistes », ayant un impact certain dans les milieux bourgeois, qui tentèrent d’intellectualiser cette opposition entre d’un côté la révolution comme processus prolétarien spontané, de l’autre l’orthodoxie de Karl Kautsky et Lénine, associée au réformisme.

Le premier est Histoire et conscience de classe, de Georg Lukàcs, le second est Marxisme et philosophie, de Karl Korsch, tous deux publiés en 1923. Ces deux auteurs rejettent la dialectique de la nature, accusant Karl Kautsky et Lénine d’être des positivistes, des matérialistes bourgeois. 

Histoire et conscience de classe

Karl Korsch visera ensuite particulièrement Karl Kautsky dans ses études et le grand théoricien gauchiste Anton Pannekoek, lorsqu’il s’attaquera à Lénine, visera naturellement tout particulièrement Matérialisme et empiro-criticisme.

Ce qui est très intéressant ici, c’est que le gauchisme n’étant rien d’autre qu’une posture de gauche, il est né paradoxalement en s’imaginant que le léninisme consistait en ce gauchisme. 

Marxisme et philosophie

Lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté, la social-démocratie n’a pas été à la hauteur de ses propres engagements révolutionnaires, à part en Russie, avec Lénine.

Ce dernier, à la tête des bolchéviks (c’est-à-dire de la majorité) du Parti Ouvrier Social-Démocrate Révolutionnaire, fut en mesure de peser sur l’histoire russe, avec le soulèvement d’Octobre 1917.

Cependant, il existait également de nombreux courants, d’esprits syndicalistes-révolutionnaire, anarchistes, marxisants, qui s’opposaient depuis le début à la social-démocratie, notamment en France. Lorsque la révolution russe se produisit en 1917, ils s’imaginèrent pendant un certain temps que cela confirmait leurs propres idées.

Ils comprirent, plus ou moins rapidement (ce qui donna naissance aux différentes variantes de gauchisme), que les bolchéviks se situaient dans la tradition social-démocrate, que leurs positions s’opposaient radicalement aux leurs, ce que Lénine souligna formellement dans le document écrit à leur sujet : « Le gauchisme (la maladie infantile du communisme) ».

Le gauchisme (la maladie infantile du communisme)

Ces courants gauchistes développèrent alors toute une théorie « anti-bureaucratique », considérant que les faits leur donnaient toujours raison, mais qu’ils étaient toujours victimes à la fois des capitalistes et des communistes « autoritaires ».

Les masses seraient aptes à faire la révolution de manière spontanée, mais les « partis » viendraient les parasiter et les empêcher de réaliser leur affirmation autonome.

Une liste sans fin de mythes fut alors diffusée, associant des lieux et des dates (Kronstadt 1921, Barcelone 1936, Budapest 1956, Prague 1968, etc.), témoignant du martyr des « véritables » révolutions par « en bas ».

Dans la foulée de mai 1968, le chef de file du spontanéisme, Daniel Cohn-Bendit publia un ouvrage représentatif de cette perspective : « Le gauchisme remède a la maladie sénile du communisme ».

En apparence, les variantes du gauchisme prétendent représenter les révolutionnaires les plus authentiques, les seuls désireux d’aller jusqu’au bout, les seuls qui seraient incorruptibles, les seuls qui sauraient se mettre au service des masses de manière dévouée. Tous les autres seraient des manipulateurs, des bureaucrates.

Pour certains gauchismes, il faut prouver qu’on a alors raison par le syndicalisme, un travail à la base uniquement économique comme garant de la « pureté » et comme refus conséquent de la théorie, pour d’autres il faut se mettre résolument à l’écart et se considérer comme uniquement la « phalange » du prolétariat insurrectionnel, ce qui signifie que le prolétariat est considéré comme entre-temps décomposé.

Dans tous les cas, le gauchisme est fondamentalement anti-démocratique. A ses yeux, les masses sont révolutionnaires ou ne sont pas. C’est la raison pour laquelle le gauchisme a toujours réfuté de manière absolue l’antifascisme, considéré comme un frein à la révolution.

Le gauchisme se pose ainsi, bien souvent, comme cinquième colonne de la réaction, happant des éléments vraiment révolutionnaires en les amenant vers une voie de garage « ultra » les coupant des masses et sabotant les progrès de celle-ci par des actions sur le mode du « coup de force ».

L’exemple le plus connu fut la tentative de « révolution » en Espagne, en pleine guerre civile. Le gouvernement républicain anti-franquiste devait être renversé et la « révolution » menée, en plein affrontement avec le général Francisco Franco et son armée.

Le gauchisme apparaît donc comme semblant le plus révolutionnaire, le plus radical en paroles, mais ses actes ne visent que le spectaculaire et sa structuration est toujours éphémère et éparse.

Le gauchisme prétend en faire, d’ailleurs, une qualité : cette dimension éphémère et dispersée est censée témoigner qu’il est issu de la « vague » révolutionnaire, qu’il forme le rassemblement des éléments les plus avancés, etc.

Dans tous les cas, aucune évaluation n’est possible, car le gauchisme le refuse par principes. Tout ce qui relève de la rationalité, de l’analyse, est rejeté comme dogmatique et organisé, c’est-à-dire en fin de compte social-démocrate.

Là est la clef du gauchisme. Il est directement issu de la critique syndicaliste-révolutionnaire et anarchiste de la social-démocratie et lorsqu’il dénonce le léninisme et le maoïsme, c’est en fait pour renouveler la critique fondamentale de la social-démocratie, c’est-à-dire du principe comme quoi un Parti fondé sur le socialisme scientifique doit diriger les masses.

=>Retour au dossier sur le gauchisme

Discours de Dimitrov à la séance de clôture du 7e congrès de l’Internationale Communiste

Georgi Dimitrov

Discours au 7e congrès de l’Internationale communiste à la séance de clôture: Congrès de large mobilisation des forces contre le fascisme et la guerre

20 aout 1935

Le VIIe congrès mondial de l’Internationale communiste, le congrès des communistes de tous les pays et de tous les continents du monde, termine ses travaux.

Quel en est le bilan, qu’est-ce que le congrès représente pour notre mouvement, pour la classe ouvrière mondiale, pour les travailleurs de tous les pays ?

Ce congrès a été le congrès du triomphe complet de l’unité entre le prolétariat de l’Union soviétique, ‑ le pays où le socialisme a vaincu, ‑ et le prolétariat du monde capitaliste en lutte pour son affranchissement. La victoire du socialisme dans l’Union soviétique, victoire qui intéresse l’histoire mondiale, provoque dans tous les pays capitalistes un puissant mouvement vers le socialisme.

Cette victoire affermit l’oeuvre de paix entre les peuples, en augmentant l’importance internationale de l’Union soviétique et son rôle de puissant rempart des travailleurs dans leur lutte contre le Capital, contre la réaction et le fascisme. Elle fortifie l’Union soviétique en tant que base de la révolution prolétarienne mondiale.

Elle met en mouvement dans le monde entier non seulement les ouvriers qui se tournent de plus en plus vers le communisme, mais aussi des millions de paysans, de petits travailleurs des villes, une partie considérable des intellectuels, les peuples asservis des colonies; elle les remplit d’enthousiasme pour la lutte, elle augmente leur attachement à la grande patrie de tous les travailleurs, elle intensifie leur résolution de soutenir et de défendre l’État prolétarien contre tous ses ennemis.

Cette victoire du socialisme accroît la confiance du prolétariat international dans ses propres forces et dans la possibilité réelle de remporter sa propre victoire, confiance qui devient elle-même une immense force en action contre la domination de la bourgeoisie.

C’est dans l’union des forces du prolétariat de l’Union soviétique avec les forces de combat du prolétariat et des masses travailleuses des pays capitalistes que réside la formidable perspective d’un proche effondrement du capitalisme et la garantie de la victoire du socialisme dans le monde entier.

Notre congrès a jeté les fondements d’une vaste mobilisation des forces de tous les travailleurs contre le capitalisme, comme il n’en fut encore jamais dans l’histoire de la lutte de la classe ouvrière. Le congrès place devant le prolétariat international, comme étant la tâche immédiate la plus importante, le rassemblement de ses forces dans le domaine politique et d’organisation, et la liquidation de l’isolement où l’a conduit la politique social-démocrate de collaboration de classe avec la bourgeoisie: le rassemblement des travailleurs autour de la classe ouvrière dans un vaste Front populaire de lutte contre l’offensive du Capital et de la réaction, contre le fascisme et la menace de guerre dans chaque pays et sur l’arène internationale.

Cette tâche, nous ne l’avons pas inventée de toutes pièces. C’est l’expérience même du mouvement ouvrier mondial qui l’a mise en évidence, et surtout l’expérience du prolétariat de France. Le mérite du Parti communiste français, c’est d’avoir compris ce qu’il a à faire aujourd’hui, de ne pas avoir écouté les sectaires qui tiraillaient le Parti et gênaient la réalisation du front unique de lutte contre le fascisme, mais d’avoir, au contraire, préparé courageusement, à la manière bolchévik, par un pacte d’action commune avec le Parti socialiste, le front unique du prolétariat comme le fondement du Front populaire antifasciste en voie de formation.

Par cet acte, qui répond aux intérêts vitaux de tous les travailleurs, les ouvriers français, communistes et socialistes, mettent à nouveau le mouvement ouvrier français à la première place, en tête dans l’Europe capitaliste; ils montrent qu’ils sont les dignes descendants des communards et les héritiers des glorieux enseignements de la Commune de Paris.

C’est le mérite du Parti communiste et du prolétariat français d’avoir, par la pratique de leur lutte dans le front unique prolétarien contre le fascisme, aidé à préparer les décisions de notre congrès dont l’importance est si énorme pour les ouvriers de tous les pays.

Mais ce qui a été fait en France, ce ne sont que les premiers pas. Notre congrès qui trace la ligne tactique pour les prochaines années, ne pouvait se borner à enregistrer simplement cette expérience; il est allé plus loin.

Nous, communistes, nous sommes un parti de classe, un parti prolétarien. Mais nous sommes prêts, en tant qu’avant-garde du prolétariat, à organiser des actions communes du prolétariat et des autres classes travailleuses intéressées à la lutte contre le fascisme. Nous, communistes, nous sommes un parti révolutionnaire. Mais nous sommes prêts aux actions communes avec les autres partis en lutte contre le fascisme.

Notre but final à nous, communistes, est autre que celui de ces classes et de ces partis, mais tout en luttant pour nos buts, nous sommes prêts en même temps à lutter en commun pour les tâches immédiates dont la réalisation affaiblit les positions du fascisme et fortifie les positions du prolétariat.

Nos méthodes de lutte à nous, communistes, diffèrent de celles des autres partis; mais tout en luttant contre le fascisme par leurs propres méthodes, les communistes soutiendront aussi les méthodes de lutte des autres partis, si insuffisantes qu’elles puissent leur paraître, pourvu que ces méthodes soient réellement dirigées contre le fascisme.

Si nous sommes prêts à faire tout cela, c’est que nous voulons, dans les pays de démocratie bourgeoise, barrer la route à la réaction et à l’offensive du Capital et du fascisme, empêcher la suppression des libertés démocratiques bourgeoises, prévenir l’écrasement terroriste par le fascisme du prolétariat de la partie révolutionnaire de la paysannerie et des intellectuels, soustraire la jeune génération à la dégénérescence du corps et de l’esprit.

Si nous sommes prêts à faire tout cela, c’est que nous voulons, dans les pays fascistes, préparer et précipiter le renversement de la dictature fasciste. Si nous sommes prêts à faire tout cela, c’est que nous voulons sauver le monde de la barbarie fasciste et des horreurs d’une guerre impérialiste.

Notre congrès est le congrès de la lutte pour le maintien de la paix contre la menace de guerre impérialiste.

Cette lutte, nous l’entendons aujourd’hui d’une manière nouvelle. Notre congrès repousse résolument l’attitude fataliste à l’égard des guerres impérialistes, inspirée par les vieilles conceptions social-démocrates.

Il est vrai que les guerres impérialistes sont le produit du capitalisme, que, seul, le renversement du capitalisme mettra un terme à toutes les guerres; mais il est également vrai que les masses travailleuses, par leurs actions de lutte, peuvent empêcher la guerre impérialiste. Le monde aujourd’hui n’est plus ce qu’il était en 1914. Actuellement, sur un sixième du globe, est établi un puissant État prolétarien, qui s’appuie sur la force matérielle du socialisme victorieux. Grâce à sa sage politique staliniste de paix, l’Union soviétique a plus d’une fois fait échouer les plans agressifs des fauteurs de guerre.

Actuellement, dans la lutte contre la guerre, le prolétariat mondial ne dispose pas seulement de l’arme que constitue son action de masse, comme en 1914. Aujourd’hui, la lutte de masse de la classe ouvrière internationale contre la guerre se conjugue avec l’ascendant de l’État soviétique et avec sa puissante Armée rouge, principal gardien de la paix.

Aujourd’hui, la classe ouvrière internationale ne se trouve pas, comme en 1914, sous l’influence exclusive de la social-démocratie coalisée avec la bourgeoisie. Aujourd’hui, il existe un Parti communiste mondial: l’Internationale communiste. Aujourd’hui, les masses d’ouvriers social-démocrates se tournent vers l’Union soviétique et sa politique de paix, vers le front unique avec les communistes.

Aujourd’hui, les peuples des pays coloniaux et semi-coloniaux ne considèrent pas la cause de leur affranchissement comme une cause désespérée. Au contraire, ils passent de plus en plus à la lutte résolue contre les oppresseurs impérialistes. La meilleure preuve en est fournie par la Révolution soviétique de Chine et les exploits héroïques de l’Armée rouge du peuple chinois.

La haine des peuples contre la guerre devient de plus en plus profonde et intense. La bourgeoisie, qui pousse les travailleurs dans l’abîme des guerres impérialistes, y risque sa tête.

Actuellement, on voit se dresser pour la cause du maintien de la paix non seulement la classe ouvrière, la paysannerie et les autres travailleurs, mais aussi les nations opprimées et les peuples, faibles, dont l’indépendance est menacée par de nouvelles guerres. Même certains grands États capitalistes, redoutant les pertes qu’ils pourraient subir à la suite d’un nouveau partage du monde, sont intéressés, à l’étape présente, à éviter la guerre.

De là, la possibilité d’un très vaste front unique de la classe ouvrière, de tous les travailleurs et de peuples entiers contre la menace de guerre impérialiste.

S’appuyant sur la politique de paix de l’Union soviétique et sur la volonté de paix de millions et de millions de travailleurs, notre congrès a montré la perspective du développement d’un vaste front anti-guerrier non seulement à l’avant-garde communiste, mais aussi à toute la classe ouvrière internationale et aux peuples de tous les pays. Du degré de réalisation et d’activité de ce front mondial dépendra la question de savoir si, dans l’avenir le plus proche, les fauteurs de guerre fascistes et impérialistes réussiront à allumer l’incendie d’une nouvelle guerre impérialiste, ou si leurs mains criminelles seront tranchées par la hache du puissant front de lutte contre la guerre.

Notre congrès est le congrès de l’unité de la classe ouvrière, le congrès de la lutte pour le front unique prolétarien.

Nous ne nous faisons pas d’illusions sur la possibilité de surmonter aisément les difficultés que la partie réactionnaire des leaders social-démocrates opposera à l’oeuvre de réalisation du front unique prolétarien. Mais nous n’avons pas peur de ces difficultés, parce que nous exprimons la volonté de millions d’ouvriers; parce qu’en luttant pour le front unique, nous servons au mieux les intérêts du prolétariat; parce que le front unique prolétarien est la voie sûre pour renverser le fascisme et le régime capitaliste, pour conjurer les guerres impérialistes.

Nous avons levé bien haut, à ce congrès, le drapeau de l’unité syndicale. Les communistes ne tiennent pas à tout prix à l’existence indépendante des syndicats rouges. Mais les communistes veulent l’unité syndicale sur la base de la lutte de classe et de la suppression, une fois pour toutes, de l’état de choses où les partisans les plus conséquents et les plus résolus de l’unité syndicale et de la lutte de classe subissent des exclusions hors des syndicats de l’Internationale d’Amsterdam.

Nous savons que les militants des syndicats faisant partie de l’Internationale syndicale rouge n’ont pas encore tous compris et ne se sont pas tous assimilé cette ligne du congrès.

Il existe encore des survivances de présomption sectaire, qu’il nous faudra faire disparaître chez ces militants pour appliquer fermement la ligne du congrès. Mais cette ligne, nous la réaliserons coûte que coûte et nous trouverons une langue commune avec nos frères de classe, nos camarades de lutte, les ouvriers adhérant aujourd’hui à la Fédération syndicale d’Amsterdam.

A ce congrès, nous avons adopté l’orientation vers la création du parti politique de masse unique de la classe ouvrière, vers l’abolition de la scission politique du prolétariat, causée par la politique de collaboration de classe de la social-démocratie. L’unité politique de la classe ouvrière n’est pas, pour nous, une manoeuvre, mais la question du sort futur du mouvement ouvrier tout entier.

S’il se trouvait parmi nous des gens pour envisager la formation de l’unité politique de la classe ouvrière comme une manoeuvre, nous lutterions contre eux, comme on lutte contre des gens qui font du tort à la classe ouvrière.

C’est précisément parce que nous envisageons cette question avec une gravité et une sincérité profondes, dictées par les intérêts du prolétariat que nous mettons des conditions de principe déterminées à la base d’une telle unité. Ces conditions de principe n’ont pas été inventées par nous; elles sont le fruit des souffrances du prolétariat au cours de sa lutte; elles répondent également à la volonté de millions d’ouvriers social-démocrates, volonté émanant de l’enseignement des défaites subies. Ces conditions de principe ont été vérifiées par l’expérience de l’ensemble du mouvement ouvrier révolutionnaire.

Et du fait que notre congrès s’est déroulé sous le signe de l’unité prolétarienne, il n’a pas été seulement le congrès de l’avant-garde communiste; il a été le congrès de la classe ouvrière internationale tout entière, qui aspire ardemment à l’unité de lutte syndicale et politique.

Bien qu’à notre congrès n’aient pas assisté de délégués des ouvriers social-démocrates, bien qu’il n’y ait pas eu ici de délégués sans-parti, bien que les ouvriers embrigadés de force dans les organisations fascistes n’y aient pas été représentés, le congrès n’en a pas moins parlé non seulement pour les communistes, mais aussi pour ces millions d’ouvriers; il a exprimé les pensées et les sentiments de l’immense majorité, de la classe ouvrière. Et si les organisations ouvrières des diverses tendances procédaient à l’examen vraiment libre de nos décisions devant les prolétaires du monde entier, les ouvriers soutiendraient, nous n’en doutons pas, les résolutions que vous avez votées avec une telle unanimité.

Cette circonstance nous oblige d’autant plus, nous, communistes, à faire vraiment des décisions de notre congrès le bien de toute la classe ouvrière.

Il ne suffit pas de voter pour ces résolutions. Il ne suffit pas de les populariser parmi les membres des Partis communistes. Nous voulons que les ouvriers des partis de la Deuxième Internationale et de la Fédération syndicale d’Amsterdam, aussi bien que les ouvriers adhérant aux organisations d’autres tendances politiques, étudient ces résolutions avec nous; qu’ils apportent leurs propositions et amendements pratiques; qu’ils méditent avec nous sur la meilleure façon de les appliquer dans la vie; que, coude à coude, avec nous, ils les réalisent en fait. Notre congrès a été le congrès de la nouvelle orientation tactique de l’Internationale, communiste.

En s’en tenant fermement à la position inébranlable du marxisme-léninisme confirmée par toute l’expérience du mouvement ouvrier international et, avant tout, par les victoires de la grande Révolution d’Octobre, notre congrès a révisé, dans l’esprit même et à l’aide de la méthode du marxisme-léninisme vivant, la position tactique de l’Internationale communiste en fonction de la situation mondiale modifiée.

Le congrès a pris une ferme résolution sur la nécessité d’appliquer d’une manière nouvelle la tactique du front unique.

Le congrès exige expressément que les communistes ne se contentent pas simplement de propager les mots d’ordre généraux de la dictature prolétarienne et du pouvoir soviétique, mais qu’ils fassent une politique bolchévik concrète et active sur toutes les questions de politique intérieure et extérieure de leurs pays, sur toutes les questions d’actualité touchant aux intérêts vitaux de la classe ouvrière, de tous les peuples et du mouvement ouvrier international.

Le congrès insiste de la façon la plus décidée pour que toutes les démarches tactiques des Partis soient basées sur une saine analyse de la réalité concrète en tenant compte du rapport des forces de classe et du niveau politique des grandes masses. Le congrès exige que tous les vestiges de sectarisme soient entièrement extirpés de la pratique du mouvement communiste, sectarisme qui, au moment actuel, représente l’obstacle le plus grand à l’application de la vraie politique bolchévik de masse des Partis communistes.

Inspiré par la résolution de faire appliquer cette ligne tactique et par l’assurance que cette voie mènera nos Partis à d’importants succès, notre congrès a tenu compte en même temps de la possibilité que l’application de cette ligne bolchévik ne se fasse pas toujours tout uniment sans fautes, sans certaines déviations à droite ou à « gauche », — déviations tantôt dans le sens du conformisme des suiveurs, tantôt dans le sens de l’isolement sectaire de soi-même. Lequel de ces dangers est, « en général », le plus important, c’est une question que seuls des scolastiques peuvent discuter.

Le plus grand et le pire danger est celui qui, au moment donné, dans un pays donné, gêne le plus l’application de la ligne de notre congrès, le déploiement d’une juste politique de masse des Partis communistes.

L’intérêt de la cause du communisme exige non pas une lutte abstraite, mais une lutte concrète contre les déviations, une riposte donnée à temps et de façon décisive aux tendances nuisibles qui se font jour, la correction à temps des fautes commises. Substituer à la lutte concrète nécessaire contre les déviations une sorte de sport, faire la chasse aux déviations ou aux déviationnistes imaginaires, c’est se livrer à une surenchère nuisible et inadmissible. Dans la vie pratique de nos Partis, il faut aider de toutes les façons au développement de l’initiative dans la position des problèmes nouveaux, favoriser l’examen approfondi des questions relatives à l’activité du Parti et ne pas qualifier hâtivement de déviation le moindre doute ou la moindre observation critique faite par un membre du Parti au sujet des tâches pratiques du mouvement. Il faut faire en sorte que le communiste qui a commis une erreur, puisse la corriger pratiquement et frapper sans merci ceux-là seulement qui persistent dans leurs erreurs et qui désorganisent le Parti.

Luttant pour l’unité de la classe ouvrière, nous lutterons en même temps avec une énergie et une intransigeance d’autant plus grandes pour l’unité intérieure de nos Partis.

Il ne peut y avoir de place, dans nos rangs, pour des fractions, pour des tentatives fractionnelles. Quiconque essaiera de violer l’unité de fer de nos rangs par une action fractionnelle quelconque, apprendra par lui-même ce que signifie la discipline bolchévik que nous ont toujours enseignée Lénine et Staline. Que cela serve d’avertissement aux quelques éléments qui, dans certains Partis, pensent pouvoir profiter des difficultés éprouvées par leur Parti, des blessures, des défaites et des coups de l’ennemi déchaîné, pour réaliser leurs plans fractionnels ou poursuivre leurs intérêts de groupe! Le Parti par-dessus tout! Garder l’unité bolchévik du Parti comme la prunelle de ses yeux, telle est la loi première, la loi suprême du bolchévisme!

Notre congrès est le congrès de l’autocritique bolchévik et du renforcement de la direction de l’Internationale communiste et de ses sections.

Nous n’avons pas peur de signaler ouvertement les erreurs, les faiblesses et les défauts qui se manifestent dans nos rangs, parce que nous sommes un parti révolutionnaire qui sait qu’il ne peut se développer, grandir et accomplir ses tâches qu’à la condition de se débarrasser de tout ce qui gêne son développement comme parti révolutionnaire.

Et le travail qu’a accompli le congrès par sa critique implacable du sectarisme plein de suffisance, du schématisme, de la standardisation, de la paresse de pensée, de la substitution des méthodes de direction du Parti aux méthodes de direction des masses, tout ce travail il faut le poursuivre respectivement dans tous les Partis à la base, à tous les échelons de notre mouvement, car c’est là une des conditions les plus essentielles de la juste application des décisions du congrès.

Dans sa résolution sur le rapport d’activité du Comité exécutif, le congrès a décidé de concentrer pour notre mouvement, la direction des opérations dans les sections elles-mêmes.

D’où l’obligation de renforcer à tous égards le travail de formation et d’éducation des cadres, ainsi que le travail de raffermissement des Partis communistes à l’aide de véritables dirigeants bolchéviks, afin que les Partis, forts des décisions des congrès de l’Internationale communiste et des Assemblées plénières de son Comité exécutif, puissent, au moment des brusques tournants des événements, trouver avec rapidité et par eux-mêmes une solution juste aux tâches politiques et tactiques du mouvement communiste.

En élisant les organismes dirigeants, le congrès s’est efforcé de créer une direction de l’Internationale communiste composée de gens qui ont fait leurs, non par un sentiment de discipline, mais par l’effet d’une profonde conviction, les directives et décisions nouvelles du congrès, de gens prêts et aptes à les transformer en actes fermement.

Il faut également assurer dans chaque pays l’application juste des décisions adoptées par le congrès; cela dépendra, en premier lieu, de la vérification, de la répartition et de l’orientation adéquates des cadres. Nous savons que cette tâche n’est pas facile. Il ne faut pas perdre de vue qu’une partie de nos cadres a été formée non pas par l’expérience de la politique de masse bolchévik, mais principalement sur la base d’une propagande générale. Nous devons tout faire pour aider nos cadres à se refaire, à se rééduquer dans l’esprit nouveau, dans l’esprit des décisions du congrès.

Mais là où il apparaîtra que les vieilles outres ne valent rien pour le vin nouveau, il faudra en tirer les conclusions qui s’imposent: ne pas verser ou laisser se gâter le vin nouveau dans les vieilles outres, mais remplacer les vieilles outres par de nouvelles.

Nous avons éliminé à dessein des rapports aussi bien que des résolutions du congrès les phrases sonores sur les perspectives révolutionnaires. Mais ce n’est pas parce que nous aurions des raisons d’apprécier d’une façon moins optimiste qu’auparavant l’allure du développement révolutionnaire, c’est parce que nous voulons débarrasser nos Partis de toute tendance à remplacer l’activité bolchévik par des phrases révolutionnaires ou des discussions stériles sur l’appréciation de la perspective.

Tout en combattant toute orientation vers la spontanéité, nous voyons et nous faisons entrer en ligne de compte le processus de développement de la révolution, non pas en observateurs, mais en participants actifs de ce processus. Comme parti de l’action révolutionnaire, accomplissant dans l’intérêt de la révolution les tâches posées à chaque étape du mouvement, tâches correspondant aux conditions concrètes de l’étape donnée, tenant sainement compte du niveau politique des grandes masses travailleuses, nous accélérons de notre mieux la formation des conditions subjectives nécessaires à la victoire de la révolution prolétarienne.

Prendre les choses telles qu’elles sont, disait Marx [Extrait de la lettre de K. Marx à Kugelmann, du 23 août 1866], c’est-à-dire faire prévaloir les intérêts de la révolution d’une manière conforme aux circonstances changées.

C’est là l’essentiel! Nous ne devons jamais l’oublier!

Il est nécessaire de porter dans les masses les décisions du congrès mondial, de les expliquer aux masses, de les appliquer comme des directives pour l’action des masses, en un mot d’en faire la chair et le sang de millions et de millions de travailleurs!

Il est nécessaire de renforcer partout, au maximum, l’initiative des ouvriers sur place, l’initiative des organisations de base des Partis communistes et du mouvement ouvrier dans l’application de ces décisions.

En partant d’ici, les représentants du prolétariat révolutionnaire doivent emporter dans leur pays la ferme conviction que nous, communistes, nous portons la responsabilité du sort de la classe ouvrière, du mouvement ouvrier, du sort de chaque peuple, du sort de l’humanité travailleuse tout entière. C’est à nous, ouvriers, et non aux parasites sociaux et aux oisifs, qu’appartient le monde, le monde construit par les mains ouvrières. Les gouvernants actuels du monde capitaliste, ce sont des hommes provisoires.

Le prolétariat est le véritable maître du monde, le maître de demain. Et il doit entrer en possession de ses droits historiques, prendre en main les rênes du pouvoir dans chaque pays, dans le monde entier. Nous sommes les élèves de Marx et d’Engels, de Lénine et de Staline. Nous devons être dignes de nos grands maîtres.

Avec Staline à sa tête, notre armée politique, forte de nombreux millions d’hommes, surmontant toutes les difficultés, passant courageusement à travers tous les barrages, doit et saura détruire la forteresse du capitalisme, et faire triompher le socialisme dans le monde entier!

Vive l’unité de la classe ouvrière!

Vive le VIIe congrès mondial de l’Internationale communiste!

>Retour au dossier sur le septième congrès de l’Internationale Communiste

Décision sur l’admission de nouveaux partis au sein de l’IC au 7e congrès de l’Internationale Communiste

(Adoptée le 20 août 1935)

a) Les Partis Communistes d’Indochine, des Philippines, du Pérou, de Colombie, Costa-Rica, Porto Rico et Venezuela sont reconnus comme Sections de l’IC

b) Le Parti Populaire Révolutionnaire de Touva [de l’extrême sud de la Sibérie] est admis comme Section de l’IC ayant les droits d’un parti sympathisant.

>Retour au dossier sur le septième congrès de l’Internationale Communiste

7e congrès de l’Internationale Communiste: La victoire du socialisme en URSS et sa portée historique mondiale

Résolution sur le rapport du camarade Manouilski, adoptée le 20 août 1935.

Après avoir entendu le rapport du camarade Manouilski sur le bilan de l’édification socialiste en URSS, le 7e Congrès Mondial de l’IC constate avec une profonde satisfaction que, sous la direction du PC de l’URSS, la reconstruction socialiste de l’économie nationale, la collectivisation agricole, l’évincement des éléments capitalistes et la liquidation des koulaks en tant que classe, ont eu pour résultat la victoire définitive et sans retour du socialisme en URSS et la consolidation sous tous les rapports de l’État de la dictature du prolétariat.

§1. Le succès de l’industrialisation socialiste.

— De pays arriéré au point de vue économique et technique, l’URSS est devenue un grand pays industriel avancé de la métallurgie, constructions mécaniques, de la construction d’avions, d’automobiles et de tracteurs.

Elle devient aussi le pays de l’électricité et de la chimie. L’URSS est en mesure de fabriquer dans ses usines n’importe quelle machine, n’importe quel instrument de production.

Dans des régions jadis inhabitées, de grandes villes industrielles ont poussé. On agrandit les anciennes régions industrielles, et l’on en crée de nouvelles. On travaille avec succès à l’Industrialisation des régions autrefois arriérées et des anciennes colonies tsaristes, qui se transforment en républiques et territoires nationaux florissants à industrie avancée.

Des cadres hautement qualifiés de techniciens, d’organisateurs et de dirigeants de branches et procédés de production multiples et variés ont été créés. Les progrès réalisés ouvrent de nouvelles et vastes possibilités au développement continu de l’industrialisation de toute l’économie soviétique.

§2. La plus grande révolution a été réalisée avec succès à la campagne : la collectivisation de l’économie agricole.

— Avec le triomphe du système des kolkhoz, a été résolu pratiquement un problème des plus difficiles : faire passer l’énorme majorité de la paysannerie dans la voie du développement socialiste. Une grande agriculture mécanisée a été créée selon les principes socialistes.

On voit s’étendre le réseau des stations de tracteurs et machines agricoles, et se consolider les sovkhoz. Les avantages que présente au point de vue matériel et sous le rapport de la production le système des kolkhoz sont devenus désormais force motrice de la consolidation croissante de ces derniers et de l’extension de la collectivisation volontaire. Le problème des céréales est résolu.

L’élevage est entré dans une période d’essor continu. L’existence d’énormes étendues de terres fertiles encore en friche et te début du revirement vers la culture intensive, allant de pair avec une application toujours plus large de l’agronomie et de la technique agricole, assurent grâce aux kolkhoz et aux sovkhoz, la possibilité d’un prodigieux essor de l’agriculture socialiste de l’URSS

§3. La situation matérielle des travailleurs de l’URSS a été radicalement améliorée et le niveau culturel porté à un degré très élevé.

— Le chômage a disparu. Le nombre des ouvriers et des employés grandit et leur qualification professionnelle augmente. Les fonds et taux de leurs salaires et des assurances sociales (sanatoriums, maisons de repos, assistance médicale gratuite, pensions aux invalides, aux vieillards, etc.) s’accroissent.

La journée de travail a été réduite à 7 et 6 heures. Les conditions de travail s’améliorent progressivement. On surmonte victorieusement les difficultés de ravitaillement (suppression des cartes de pain, augmentation de l’approvisionnement des travailleurs en viande et en graisse au fur et à mesure du développement de l’élevage).

L’aspect des grandes des villes et des centres industriels a changé : les conditions de vie et d’habitation des travailleurs s’améliorent sans cesse ; à la place des taudis typiques pour les quartiers ouvriers sous le régime du capital, on a construit et l’on continue de construire dans les grandes villes et centres industriels des maisons ouvrières spacieuses, claires et saines.

Grâce la collectivisation de l’économie agricole et à la liquidation des koulaks en tant que classe, la misère a disparu dans les campagnes et la possibilité a été assurée aux paysans de vivre dans l’aisance et de travailler dans des conditions affermissant leurs forces au lieu de les épuiser.

Le souci des hommes, des travailleurs, des cadres et, en premier lieu le souci des enfants, est au centre de l’activité du Parti, de l’État et de toutes les organisations syndicales et sociales.

Le niveau culturel des travailleurs s’élève rapidement : l’instruction primaire obligatoire et générale a été instituée dans toutes les républiques de l’Union, dans leur langue maternelle, nationale. Des millions d’enfants d’ouvriers, de paysans et d’employés fréquentent les écoles secondaires et supérieures, On a créé un réseau serré d’établissements préscolaires, ainsi qu’un réseau d’écoles du soir spéciales, cercles et cours pour adultes.

Des dizaines de milliers de clubs de théâtres et de cinémas ont été créés dans les quartiers ouvriers, dans les usines, dans les villages. On assiste au développement et à l’épanouissement de la culture, nationale par la forme et socialiste par le contenu des peuples de l’URSS, jadis opprimés, abattus et voués à dégénérescence, aujourd’hui libres et jouissant de la plénitude de leurs droits. La femme, à l’égal de l’homme, participe activement à la construction socialiste.

Celle-ci englobe la génération de Jeunes, formés dans les conditions soviétiques, des jeunes qui Ignorent l’exploitation capitaliste, les privations et l’absence de droits, et ne reconnaissent que les intérêts, les tâches les buts du socialisme. La science et tous les arts sont désormais à la portée des grandes masses.

Académiciens, savants, explorateurs, artistes, écrivains, peintres et maîtres de toutes les formes de l’art se sont tournés vers les travailleurs. Toutes ces réalisations matérielles et culturelles, si immenses qu’elles soient en comparaison d’un passé récent et de la situation des travailleurs des pays capitalistes, ne marquent que le début d’un avenir magnifique et riche, plein d’épanouissement et de prospérité vers lequel s’achemine le pays du socialisme dans tous les domaines.

§4. L’État de la dictature du prolétariat a été fortement consolidé au point de vue politique.

— Au pays des Soviets, nous avons le régime politique le plus solide, le plus inébranlable, un État de large démocratie, qui n’est pas séparé de la masse du peuple et ne lui est pas opposé, mais est organiquement lié aux masses, défend leurs intérêts, traduit et réalise leur volonté.

Les changements profonds et radicaux, intervenus dans la structure sociale de l’URSS du fait de la construction socialiste de l’économie soviétique, de la liquidation des classes d’exploiteurs et de la victoire du système des kolkhoz, ont eu pour résultat d’élargir et de consolider encore plus la base sociale du pouvoir des Soviets.

En conformité avec ces changements, et en s’appuyant sur la confiance accrue des grandes masses en la dictature du prolétariat, le pouvoir soviétique a appliqué de nouvelles mesures, d’une grande portée historique, en vue de rendre son régime encore plus démocratique : substitution du vote égal au vote qui ne l’était pas tout à fait : du vote direct et secret au vote public à plusieurs degrés ; extension des droits électoraux : de nouvelles couches de la population adulte ; rétablissement du droit de vote à ceux des anciens koulaks qui ont prouvé en fait, par un travail honnête, qu’ils ont cessé de combattre le régime soviétique.

Le développement de la dictature du prolétariat progresse de façon continue dans la voie d’un renforcement et d’une extension sans cesse accrus de la liaison directe de l’État soviétique avec les masses du peuple, avec la majorité écrasante de la population, dans la voie d’une large participation croissante, directe et active des masses populaires à la direction de l’État de l’édification socialiste.

Le développement de la démocratie prolétarienne, réalisé grâce à la liquidation des classes exploiteuses, la consécration de la propriété socialiste en tant que base de la société soviétique, réalisation de l’unité des intérêts de majorité de la population de toutes les républiques de l’US, fortifient sous tous les rapports de la dictature du prolétariat.

Fidèle à ses principes de fraternité, de liberté et d’indépendance de tous les peuples et des nations, l’URSS lutte constamment pour la paix entre les peuples, dénonce les plans agressifs des impérialistes et prend toutes les mesures nécessaires pour assurer la défense de la patrie socialiste des travailleurs du monde entier contre l’agression qui la menace de la part des forbans impérialistes.

Le 7e Congrès de l’IC constate avec satisfaction qu’à la place de la vieille Russie tsariste qui se faisait battre par tout le monde, et qu’à la place du faible pays soviétique qui, au début de son développement, se trouvait devant la possibilité d’un partage entre les impérialistes, un puissant État socialiste se dresse maintenant.

L’URSS devient le pays de l’homme nouveau, d’une nouvelle vie sociale et individuelle. C’est dans le grand creuset du travail socialiste planifié, sur la base de l’émulation socialiste, du travail de choc et de l’initiative créatrice des masses, que s’opère la grande refonte des hommes. Les habitudes et mœurs antisociales, rapaces, liées l’esprit à la propriété privée et héritées du capitalisme, disparaissent progressivement.

L’atmosphère créée par le travail socialiste passionnant contribue à rééduquer les criminels et les délinquants. Les principes d’inviolabilité de la propriété collective s’implantent de plus en plus dans toutes les branches de l’économie nationale des villes et des campagnes. L’opinion publique des masses travailleuses et l’autocritique sont devenues une force puissante d’influence morale, d’éducation et de rééducation des hommes.

Grâce à la nouvelle attitude qui se fortifie de plus en plus, envers le travail et la société, une nouvelle vie est créée et on voit se transformer la conscience la mentalité des hommes et se former de nouvelles générations saines, aptes au travail et développées à tous égards.

Du plus profond du peuple sortent en masse organisateurs dirigeants, inventeurs, explorateurs hardis de régions arctiques restées inconnues jusqu’à ce jour, héros vainqueurs de la stratosphère, des airs et des profondeurs océaniques, des cimes de montagnes et des entrailles de la terre. Des millions de travailleurs prennent d’assaut les citadelles inexpugnables de la technique, de la science et de l’art.

L’URSS devient le pays de l’homme nouveau, qui, plein d’élan et de la joie de vivre, concentre son effort sur le but à atteindre, surmonte tontes les difficultés et de grandes choses…

§5. La victoire du socialisme en URSS a été remportée au cours d’une lutte énergique du PC de l’URSS contre l’opportunisme de droite et de «gauche», au cours d’une lutte opiniâtre et de longue haleine pour surmonter les difficultés énormes, dues au faible niveau technique et économique hérité du passé, provoquées par la nécessité d’assurer dans le plus bref délai, par ses propres forces et moyens dans les conditions de l’encerclement Impérialiste hostile, la reconstruction de la base technique de l’économie nationale et une refonte radicale des rapports sociaux et économiques.

Cette refonte et, surtout, cette transformation de la base technique de l’économie agricole, rattachée à l’union des petites exploitations paysannes dans de grandes fermes collectives et à la liquidation des koulaks en tant que classe, ont été réalisées sous le signe d’une offensive résolue du prolétariat contre les éléments capitalistes.

Perdant toute base économique les restes des classes d’exploiteurs soutenues par les impérialistes opposaient une résistance acharnée, recouraient à la résistance passive et au sabotage, incendiaient les récoltes, empêchaient les semailles, égorgeaient le bétail, etc. Le prolétariat a réussi à briser la résistance de ses ennemis, à créer une puissante industrie socialiste, à consolider le système des kolkhoz, vaincre les difficultés liées à la nécessité d’un essor rapide de l’économie nationale.

La possibilité de construire le socialisme dans un seul pays, pris séparément, possibilité prévue par le génie de Lénine et de Staline, est devenu une réalité tangible et palpable pour les millions de travailleurs du monde entier.

La question historique : «Qui l’emportera ?» sur l’arène intérieure, la question de la victoire du socialisme sur le capitalisme en URSS a été résolue définitivement et sans retour, en faveur socialisme, ce qui n’exclut pas le fait que les débris décimés de l’ennemi de classe, qui ont perdu tout espoir d’empêcher développement du socialisme, continueront à nuire aux kolkhoziens de l’URSS. Le développement ultérieur du socialisme victorieux se heurtera à l’intérieur de l’URSS à des difficultés d’un autre ordre, à des difficultés conditionnées par la nécessité de vaincre les survivances du capitalisme dans la conscience des hommes.

Avec le triomphe du socialisme en URSS la révolution prolétarienne mondiale conquis des positions imprenables dans la lutte de plus en plus aiguë pour la solution du problème «Qui l’emportera ?» sur l’arène internationale.

§6. La victoire du socialisme en URSS est une victoire d’une portée mondiale.

— Remportée avec le soutien du prolétariat international par les ouvriers et les kolkhoziens de l’URSS, sous la direction du meilleur compagnon d’armes du grand Lénine, le sage chef des travailleurs du monde entier, le camarade Staline, la victoire du socialisme en URSS provoque un profond revirement dans la conscience des hommes de tous les pays : elle convainc les grandes masses d’ouvriers social-démocrates et d’autres tendances, de la nécessité d’une lutte commune pour le socialisme et intervient comme un facteur décisif dans la réalisation de l’unité prolétarienne de combat.

Elle détruit des conceptions et notions inculquées durant des siècles sur l’éternité et l’immuabilité de l’ordre capitaliste, révèle la faillite théories et projets bourgeois de «rénovation» de la société capitaliste, développe les sentiments révolutionnaires des masses travailleuses, leur donne l’assurance en leurs propres forces, leur démontre la nécessité et la possibilité de renverser le capitalisme et de bâtir le socialisme.

Sous les yeux des millions de travailleurs des pays capitalistes et coloniaux, de tous les exploités et opprimés, une vive clarté illumine le chemin de la libération, le chemin du socialisme, frayé par exemple vivant de l’URSS

Le régime soviétique, socialiste, assure : Aux ouvriers : la délivrance des horreurs qu’apportent le chômage et l’exploitation capitaliste ; la possibilité de travailler pour soi et non pour les parasites exploiteurs, de gérer l’État et l’économie nationale, d’améliorer sans cesse la situation matérielle, de mener une vie cultivée.

Aux paysans : la terre et la libération du joug des propriétaires fonciers, des usuriers des banquiers, l’abolition des impôts démesurés, la fin des crises, de la ruine, de la décadence et de la misère, une aisance de plus en plus accrue, niveau culturel toujours plus élevé, un allégement énorme de leur travail.

Aux éléments petits-bourgeois des villes : la fin du cauchemar des faillites, de l’oppression par le grand capital, de la ruine et de la dégénérescence : la possibilité de travailler honnêtement dans le système de l’économie socialiste ; la possibilité d’une amélioration de leur vie matérielle et spirituelle.

Aux intellectuels : les conditions nécessaires et le plus vaste champ d’action pour le perfectionnement de leurs connaissances, de leurs aptitudes et de leurs talents : de fortes impulsions et de larges horizons d’activité créatrice, une amélioration radicale de leur vie matérielle et culturelle.

Aux peuples des colonies et pays vassaux : la libération nationale du joug de l’impérialisme, la possibilité d’élever à une cadence rapide leur économie nationale au niveau des pays les plus avancés, l’essor et l’épanouissement de culture nationale, une participation active, sur un pied d’égalité complète, à la vie internationale.

§7. Avec la victoire du socialisme, l’URSS est devenue une grande force politique d’État, une grande force économique et culturelle, influençant la politique mondiale ; un centre d’attraction et de rassemblement de tous les peuples, pays et même d’État intéressés au maintien de la paix internationale, le rempart des travailleurs de tous les pays contre la menace de guerre ; un puissant instrument de rassemblement des travailleurs du monde entier contre la réaction mondiale.

— La victoire du socialisme, transformant l’URSS en une force qui met en mouvement les grandes masses de la population, les classes, les nations, les peuples et les États, marque un nouvel et grand changement dans le rapport des forces de classes, à l’échelle mondiale, en faveur socialisme, au détriment du capitalisme. Elle marque le début d’une nouvelle étape dans le de la révolution prolétarienne mondiale.

De ce bilan historique, réalisé depuis le 6e Congrès de l’IC, bilan que le mouvement prolétarien mondial enregistre au seuil du second cycle de guerres et de révolutions et qui détermine les tâches essentielles de révolution prolétarienne mondiale, découle pour la classe ouvrière, pour les travailleurs du monde entier et pour toutes les Sections de l’IC ce devoir primordial :

Aider de toutes leurs forces et tous les moyens à la consolidation de l’URSS, lutter contre les ennemis de l’US. En temps de paix comme dans les conditions d’une guerre dirigée contre l’URSS.

Les intérêts de la consolidation de l’US, de l’accroissement de sa puissance, de la victoire qui doit lui être assurer dans tous les domaines et sur tous les secteurs de la lutte, coïncident pleinement et indissolublement avec les intérêts des travailleurs du monde entier dans leur lutte contre les exploiteurs. Ils coïncident avec les intérêts des peuples coloniaux et opprimés, en lutte contre l’impérialisme.

Ils conditionnent et favorisent le triomphe de la révolution prolétarienne mondiale, la victoire du socialisme dans le monde entier.

C’est pourquoi la défense de l’URSS, l’aide à lui prêter pour contribuer à sa victoire sur tous les ennemis, doivent dicter ses actes à chaque organisation révolutionnaire du prolétariat, à chaque véritable révolutionnaire, à chaque socialiste, à chaque communiste, à chaque ouvrier sans parti, à chaque paysan travailleur, à chaque intellectuel et démocrate honnête, à tous ceux qui veulent la suppression de l’exploitation, du fascisme et du joug impérialiste, l’abolition des guerres impérialistes, qui veulent la fraternité et la paix entre les peuples, le triomphe du socialisme dans le monde entier.

>Retour au dossier sur le septième congrès de l’Internationale Communiste

7e congrès de l’Internationale Communiste: Les tâches de l’IC en liaison avec la préparation d’une nouvelle guerre mondiale par les impérialistes

Résolution sur le rapport du camarade Ercoli, adoptée le 20 août 1935.

1. — Préparation de la guerre pour un nouveau partage du monde

La crise économique mondiale et la rupture de la stabilisation capitaliste ont engendré une extrême instabilité de toutes les relations internationales. L’aggravation de la lutte sur le marché mondial, rétréci l’extrême à la suite de la crise économique, a conduit une guerre économique acharnée, En fait, le nouveau partage du monde a déjà commencé.

L’impérialisme japonais qui mène la guerre en Extrême-Orient, a déjà inauguré le nouveau partage du monde. L’occupation militaire de la Mandchourie et de la Chine du Nord signifie l’annulation de fait des accords de Washington qui réglaient la répartition des sphères d’influence entre les puissances impérialistes en Chine et leurs relations dans l’océan Pacifique.

L’expédition de rapine du Japon conduit d’ores et déjà un affaiblissement de l’influence des impérialismes anglais et américain en Chine, elle menace les positions de la Grande-Bretagne et des États-Unis dans l’océan Pacifique et est une préparation de la guerre contre-révolutionnaire contre l’US.

Du traité de Versailles, seules restent debout les frontières d’État et la répartition des mandats coloniaux. La liquidation du traité de Versailles a été consommée à la suite de la cessation des paiements au titre des réparations, du rétablissement du service militaire général par le gouvernement d’Hitler, ainsi que de la conclusion de l’accord naval de l’Angleterre avec l’Allemagne.

Les fascistes allemands, qui sont les principaux instigateurs de la guerre et aspirent établir l’hégémonie de l’impérialisme allemand en Europe, posent la question de la modification des frontières européennes par la voie de la guerre et aux dépens de leurs voisins.

Les plans aventuriers des fascistes allemands vont très loin : ils visent à la revanche militaire contre la France, au partage de la Tchécoslovaquie, à l’annexion de l’Autriche, l’anéantissement de l’indépendance des pays baltes dont ils entendent faire une place d’armes pour l’attaque contre l’US, au détachement de l’URSS de l’Ukraine soviétique.

Ils réclament pour eux des colonies, cherchant à exciter les esprits en faveur de la guerre mondiale pour un nouveau partage du monde. Tous ces projets des fauteurs de guerre sans scrupules contribuent à aggraver les contradictions entre les États capitalistes et créent le trouble dans toute l’Europe.

L’impérialisme allemand a trouvé en Europe un allié dans le fascisme polonais qui cherche également à étendre son territoire aux dépens de la Tchécoslovaquie, des pays baltes et de l’US.

Les milieux dirigeants de la bourgeoisie anglaise appuient les armements allemands pour affaiblir l’hégémonie de la France sur le continent européen, pour tourner la pointe des armements allemands de l’Occident vers l’Orient et, pour diriger l’agressivité de l’Allemagne contre l’US.

Par cette politique, l’Angleterre cherche à créer à l’échelle mondiale, un contrepoids aux États-Unis et à renforcer du même coup les tendances antisoviétiques, non seulement de l’Allemagne, mais aussi du Japon et de la Pologne.

Cette politique de l’impérialisme anglais est un des facteurs qui accélèrent l’explosion de la guerre impérialiste mondiale.

L’impérialisme italien passe directement à la conquête de l’Abyssine, en suscitant par là même une nouvelle tension entre les grandes puissances impérialistes.

Le principal antagonisme dans le camp des impérialistes est l’antagonisme anglo-américain qui exerce son influence sur toutes les contradictions de la politique mondiale.

Cet antagonisme a conduit dans l’Amérique du Sud, où les intérêts opposés de l’Angleterre et des États-Unis se heurtent avec le plus de violence, à la guerre entre les vassaux sud-américains des deux puissances (Bolivie, Paraguay, Colombie, Pérou) et menace de provoquer de nouveaux conflits militaires dans l’Amérique méridionale et centrale (Colombie, Venezuela).

Au moment où ce sont surtout les États fascistes — l’Allemagne, la Pologne, la Hongrie, l’Italie — qui aspirent ouvertement à un nouveau partage du monde et au changement des frontières en Europe, la tendance existe chez d’autres États à conserver la situation actuelle (statu quo). Cette tendance est représentée actuellement, à l’échelle mondiale, par les États-Unis et, en Europe, avant tout par la France.

Et la tendance de ces deux États impérialistes principaux à conserver le statu quo est appuyée par un certain nombre de petits États (la Petite Entente et l’Entente balkanique, quelques États baltes), dont l’indépendance est menacée par une nouvelle guerre impérialiste.

La victoire du national-socialisme allemand, qui et la forme la plus réactionnaire, la plus agressive du fascisme, et ses provocations à la guerre, ont poussé les partis de guerre, représentant les éléments les plus réactionnaires et les plus chauvins de la bourgeoisie, à accentuer dans tous les pays la lutte pour le pouvoir et à intensifier la fascisation de l’appareil d’État.

Les armements effrénés de l’Allemagne fasciste et, en particulier, le rétablissement du service militaire et l’énorme renforcement des armements navals et aériens de l’Allemagne ont provoqué dans tout le monde capitaliste une nouvelle course renforcée aux armements.

Malgré la crise économique mondiale, l’industrie de guerre s’épanouit dans une mesure plus grande que jamais. Dans les pays qui sont allés le plus loin dans la préparation de la guerre (Allemagne, Japon, Italie, Pologne), l’économie nationale est déjà mise sur le pied de guerre. À côté de l’armée régulière, on prépare des détachements fascistes spéciaux pour assurer l’arrière et pour faire le service de gendarmerie sur le front ; dans tous les pays capitalistes, la préparation prémilitaire est étendue même aux adolescents.

L’éducation et la propagande dans de l’esprit de la démagogie chauvine et raciste se font aux frais de l’État et sont encouragées de toutes les façons.

Bien que à l’heure actuelle l’aggravation des contradictions impérialistes rende plus difficile la formation d’un bloc antisoviétique les gouvernements fascistes et les partis de la guerre dans les pays capitalistes n’en cherchent pas moins à résoudre ces contradictions aux dépens de la patrie de tous les travailleurs, aux dépens de l’US.

Le danger de l’explosion d’une nouvelle guerre menace l’humanité de jour en jour.

2. — Le rôle de l’US dans la lutte pour la paix

L’essor rapide de l’industrie socialiste et de l’agriculture, la liquidation des koulaks — dernière classe capitaliste — la victoire définitive du socialisme sur le capitalisme et le renforcement de la capacité de défense du pays, qui en résulte, ont fait que les relations réciproques de l’US avec les pays capitalistes sont entrées dans une phase nouvelle.

La contradiction fondamentale entre le monde socialiste et le monde capitaliste est devenue encore plus aiguë. Mais, grâce à sa puissance croissante, l’US a été en mesure de prévenir l’agression déjà préparée des puissances impérialistes et de leurs vassaux, et de déployer une politique conséquente de paix contre tous les instigateurs de guerre.

Par là même, l’US est devenu le centre d’attraction non seulement des ouvriers doués d’une conscience de classe, mais aussi de tout le peuple travailleur aspirant à la paix dans les pays capitalistes et coloniaux.

En outre, la politique de paix de l’URSS a non seulement déjoué les plans des impérialistes visant à l’isolement de l’US, mais a en même temps jeté les fondements de sa collaboration en vue de conserver la paix avec les petits États, pour lesquels la guerre, qui menace leur indépendance, constitue un danger particulier, de même qu’avec ceux des États qui, au moment donné, sont intéressés au maintien de la paix.

La politique de paix de l’URSS, opposant l’internationalisme prolétarien aux querelles nationalistes et de races, n’pas seulement pour but de défendre le pays des Soviets, d’assurer la sécurité de l’édification socialiste ; elle défend la vie des ouvriers de tous pays ; la vie de tous les opprimes et exploités ; elle signifie la défense de l’indépendance nationale des petites nations ; elle sert les intérêts vitaux de l’humanité ; elle défend la culture contre la barbarie de la guerre.

Au moment où une nouvelle guerre entre les États impérialistes devient de plus en plus proche, la puissance de l’Armée rouge et paysanne de l’URSS acquiert une importance de plus en plus grande dans la lutte pour la paix. Devant les armements tassés avec frénésie par les pays impérialistes, surtout par l’Allemagne, le Japon et la Pologne, le renforcement de l’Armée rouge et son soutien actif sont d’un intérêt vital pour tous ceux qui aspirent à conserver la paix.

3. — Les tâches de l’IC dans la lutte pour la paix contre la guerre impérialiste

Le 7 e Congrès Mondial de l’IC, fort de la doctrine de Marx-Engels- Lénine-Staline sur la guerre, a élaboré concrètement les tâches des PC et du prolétariat révolutionnaire dans la lutte contre la guerre impérialiste. Guidés par ces principes, les PC du Japon et de la Chine, directement touchés par la guerre, ont mené et mènent d’une façon bolchéviste la lutte contre la guerre impérialiste, pour la défense du peuple chinois.

Le 7e Congrès Mondial de l’IC en confirmant les résolutions du 6e Congrès sur la lutte contre la guerre impérialiste, pose devant les PC, les ouvriers révolutionnaires, les paysans travailleurs et les peuples opprimés du monde entier les tâches principales suivantes :

§1. La lutte pour la paix et pour la défense de l’URSS — Face aux provocations à la guerre des fascistes allemands et des militaristes japonais et aux armements poussés à l’extrême par les partis de guerre dans les pays capitalistes, face au danger imminent d’explosion d’une guerre contre révolutionnaire contre l’US, le mot d’ordre central des PC doit être : la lutte pour la paix.

§2. Le front populaire unique dans la lutte pour la paix, contre les instigateurs de guerre. — La lutte pour la paix ouvre devant les PC les plus grandes possibilités de créer le front unique le plus large.

Dans les rangs de ce front unique doivent être entraînés tous ceux qui sont intéressés par la conservation de la paix. La concentration des forces (à chaque moment donné contre les principaux instigateurs de la guerre l’heure actuelle contre l’Allemagne fasciste et contre la Pologne et Japon qui sont liés avec elle) est la tâche tactique la plus importante des PC.

Pour le PC allemand, il est particulièrement important de démasquer la démagogie nationaliste du fascisme hitlérien, qui se dissimule sous des phrases sur l’unification du peuple allemand, mais qui, en fait, mène le peuple allemand à l’isolement et à une nouvelle catastrophe militaire. La condition nécessaire et la prémisse de l’unification du peuple allemand c’est le renversement du fascisme hitlérien.

L’établissement du front unique avec les organisations social-démocrates et réformistes (partis, syndicats, organisations coopératives, sportives et culturelles) et avec la masse de leurs adhérents, ainsi qu’avec les organisations de masse d’affranchissement national, démocratiques-religieuses, pacifistes et leurs partisans, a une importance décisive dans la lutte contre la guerre et les fauteurs fascistes de guerre dans tous les pays.

La formation du front unique avec les organisations social-démocrates et réformistes en vue de la lutte pour la paix exige une lutte idéologique résolue contre les éléments réactionnaires dans les rangs de la Social-démocratie, éléments qui, en présence du danger immédiat de guerre, tendent à une collaboration encore plus étroite avec la bourgeoisie pour défendre la patrie bourgeoise, et par leurs excitations contre l’URSS, soutiennent directement la préparation d’une guerre antisoviétique.

Elle exige une collaboration étroite avec ceux des éléments se trouvant au sein des partis social-démocrates, des syndicats réformistes et autres organisations ouvrières de masse, qui se rapprochent des positions de la lutte révolutionnaire contre la guerre impérialiste.

L’entraînement des organisations pacifistes et de leurs partisans dans les rangs du front unique de lutte pour la paix, acquiert une grande importance front unique pour la mobilisation contre la guerre des masses petites bourgeoises, des intellectuels avancés, des femmes et des jeunes. Tout en soumettant toujours à une critique explicative les conceptions erronées des pacifistes de bonne foi, en luttant énergiquement contre ceux parmi les pacifistes qui, par leur politique, masquent la préparation de la guerre impérialiste par les fascistes allemands (la direction du Labour Party en Angleterre, etc.), les communistes doivent s’assurer la collaboration de toutes les organisations pacifistes prêtes à faire avec eux au moins une partie du chemin de la lutte effective contre les guerres impérialistes.

Les communistes doivent appuyer par leur collaboration active le mouvement Amsterdam-Pleyel contre la guerre et le fascisme, et aider à l’étendre.

§3. La coordination de la lutte contre la guerre impérialiste et de la lutte contre le fascisme. — La lutte contre la guerre des masses qui aspirent conserver la paix, doit être coordonnée de la façon la plus étroite avec la lutte contre le fascisme et le mouvement fasciste.

Il est nécessaire non seulement de mener une propagande générale pour la paix, mais en premier lieu contre les principaux instigateurs de la guerre, contre les partis fascistes et autres partis de guerre impérialistes et contre les mesures concrètes de préparation de la guerre impérialiste.

§4. La lutte contre le militarisme et les armements. — Les PC dans tous les pays capitalistes doivent lutter contre les dépenses de guerre (budgets militaires) pour le rappel des forces militaires des pays coloniaux et sous mandats, contre les mesures de militarisation appliquées par les gouvernements capitalistes, et surtout contre la militarisation des jeunes, des femmes et des chômeurs ; contre les lois d’exception limitant les libertés démocratiques bourgeoises dans le but de préparer la guerre ; contre la limitation des droits des ouvriers travaillant dans les usines de guerre ; contre les subsides à l’industrie de guerre et contre le trafic et le transport des armes.

On ne peut mener la lutte contre les mesures de préparation à la guerre qu’en liant cette lutte de la façon la plus étroite à la défense des intérêts économiques et des droits politiques des ouvriers, des employés, des travailleurs et la petite bourgeoisie urbaine.

§5. La lutte contre le chauvinisme. — Dans la lutte contre le chauvinisme, la tâche des communistes est d’éduquer les ouvriers et tout le peuple travailleur dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien.

Ceci n’est réalisable que dans la lutte contre les exploiteurs et les oppresseurs pour les intérêts vitaux de classe du prolétariat, de même que dans la lutte contre chauvinisme bestial des partis nationaux-socialistes et de tous autres partis fascistes. En même temps, les communistes doivent montrer que la classe ouvrière mène une lutte conséquente pour la défense de la liberté nationale et de l’indépendance du peuple entier ; contre toute oppression et exploitation, car seul la politique communiste défend jusqu’au bout la liberté nationale et l’indépendance du peuple.

§6. La lutte pour l’affranchissement national et le soutien des guerres d’affranchissement national.

— Dans le cas où un État faible serait attaqué par une ou plusieurs grandes puissances impérialistes qui voudraient détruire son indépendance et son unité nationales, ou bien en taire le partage comme cela eut lieu dans l’histoire lors du partage de la Pologne, par exemple, la guerre de la bourgeoisie nationale d’un tel pays, pour repousser cette attaque, peut revêtir le caractère d’une guerre de libération, dans laquelle la classe ouvrière et les communistes de ce pays ne peuvent pas ne pas intervenir.

La tâche des communistes d’un tel pays consiste en ce que, tout en menant une lutte irréductible pour assurer les positions économiques et politiques des ouvriers, des paysans travailleurs et des minorités nationales, ils se mettent en même temps aux premiers rangs des combattants pour l’indépendance nationale et mènent jusqu’au bout la guerre d’émancipation, en ne permettant pas à «leur propre» bourgeoisie de rechercher des compromis avec les puissances agressives aux dépens des intérêts de leur pays.

Les communistes ont le devoir de soutenir activement la lutte pour la libération nationale des peuples opprimés des colonies et semi- colonies, et surtout la lutte de l’armée rouge des Soviets chinois contre les impérialistes japonais et autres et contre le Kuomintang, Le PC de Chine doit faire tous les efforts pour élargir le front de la lutte pour l’affranchissement national et y entraîner toutes les forces nationales prêtes à opposer une résistance à l’expédition de brigandage de l’impérialisme Japonais et des autres impérialistes.

4. — De la lutte pour la paix à la lutte pour la révolution

Le 7 e Congrès Mondial de l’IC repousse de la façon la plus énergique l’affirmation calomnieuse d’après laquelle les communistes désireraient la guerre dans l’espoir qu’elle amène la révolution. Le fait que les PC de tous les pays prennent une part dirigeante à la lutte pour la conservation de la paix et pour le triomphe de la politique de paix de l’US, démontre que les communistes tendent de toutes leurs forces à entraver la préparation et le déclenchement d’une nouvelle guerre.

Les communistes, tout en menant également une lutte énergique contre les illusions selon lesquelles il serait possible de supprimer les guerres tant que le régime capitaliste existe encore, déploient et déploieront tous les efforts pour conjurer la guerre.

Mais, dans le cas où une nouvelle guerre impérialiste mondiale éclaterait en dépit de tous les efforts faits par la classe ouvrière pour la conjurer, les communistes s’efforceront d’entraîner les adversaires de la guerre organisés dans la lutte pour la paix, à la lutte pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile contre les instigateurs fascistes de guerre, contre la bourgeoisie, pour le renversement du capitalisme.

En même temps le Congrès met les communistes et les ouvriers révolutionnaires en garde contre les méthodes anarcho-syndicalistes de lutte contre la guerre sous forme de refus de se rendre à l’appel de la classe, sous la forme dite de boycottage de la mobilisation, de sabotage dans les usines de guerre, etc.

Le Congrès estime que de pareilles méthodes de lutte ne peuvent que nuire au prolétariat. Les bolchéviks russes qui, pendant la guerre mondiale luttaient énergiquement contre la guerre et qui se prononçaient pour la défaite du gouvernement russe, repoussaient cependant de telles méthodes.

Ces méthodes ne font que faciliter la répression de la bourgeoisie contre les communistes et les ouvriers révolutionnaires, et empêchent la conquête par les communistes des masses travailleuses, et surtout la masse des soldats pour la lutte de masse contre la guerre impérialiste et pour sa transformation en guerre civile contre la bourgeoisie.

Le 7e Congrès de l’IC en fixant les tâches des PC et de toute la classe ouvrière en cas de guerre, s’en rapporte à la thèse proposée par Lénine et par Rosa Luxembourg et adoptée par le Congrès de Stuttgart de la 2e Internationale d’avant-guerre :

«Si la guerre est néanmoins déclarée, il est du devoir des travailleurs de lutter pour la faire finir promptement et en tendant tous leurs efforts, de mettre à profit la crise politique provoquée par la guerre pour soulever le peuple et précipiter la ruine de la domination de classe capitaliste.»

Dans l’étape historique actuelle, alors que sur un sixième du globe l’US défend le socialisme et la paix pour l’humanité tout entière, les intérêts les plus vitaux des ouvriers et des travailleurs de tous les pays exigent que la politique de la classe ouvrière, la lutte pour la paix, la lutte contre la guerre impérialiste avant et après le déclenchement de la guerre, soient menées sous l’angle de la défense de l’US.

Si le déclenchement d’une guerre contre-révolutionnaire contraint l’US à faire marcher l’Armée rouge ouvrière et paysanne pour la défense du socialisme, les communistes appelleront tous les travailleurs à contribuer par tous les moyens et à n’importe quel prix à la victoire de l’Armée rouge sur les armées des impérialistes.

>Retour au dossier sur le septième congrès de l’Internationale Communiste