Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Le camarade Mao Zedong sur «l’impérialisme et tous les réactionnaires sont des tigres en papier» (1958)

    Rédaction du Renmin Ribao – 27 octobre 1958

    Comment arriver à bien connaître les forces de la révolution et les forces de la réaction est encore un grand problème en Chine comme partout dans le monde.

    Bien des gens n’arrivent toujours pas à le résoudre.

    L’impérialisme et ses laquais, dans tous les pays, sont semblables au soleil qui se couche à l’occident, alors que le socialisme et les mouvements de révolution nationale soutenus par le camp socialiste sont semblables au soleil se levant à l’orient.

    Ceci est la caractéristique de notre époque.

    Le temps où les impérialistes pouvaient imposer à leur guise leur domination féroce est à jamais révolu et ils en sont maintenant à la dernière extrémité.

    Ce sont les réactionnaires qui devraient craindre les forces révolutionnaires et non le contraire.

    A présent, il existe encore nombre de personnes qui ne se rendent pas compte de ce fait, qui ont des idées superstitieuses, qui nourrissent encore des illusions et qui redoutent encore les impérialistes en général et les impérialistes américains en particulier.

    Devant ce problème, ils restent encore passifs.

    Tous les progressistes et tous les marxistes et révolutionnaires doivent user de persuasion envers eux, afin que les larges masses aient une confiance et une résolution révolutionnaires, une clairvoyance et une fermeté révolutionnaires.

    C’est là une condition morale indispensable pour hâter l’avance triomphale de la cause de la révolution.

    Le camarade Mao Tsé-toung nous a souvent dit qu’en considérant un problème, il faut en saisir l’essence et non pas se laisser égarer par une simple apparence.

    Au cours des trente et quelques années passées, à chaque moment décisif dans la lutte des classes dans notre pays, le camarade Mao Tsé-toung a toujours fait une analyse pénétrante de l’état de la lutte en se fondant sur la science marxiste-léniniste, et montré que tous les réactionnaires sont condamnés à périr et que la cause de la révolution est destinée à triompher.

    Il a employé l’expression « tigre en papier » pour montrer que l’impérialisme et toutes les forces réactionnaires semblent puissantes mais sont faibles en réalité, il a utilisé le vieux dicton « Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine » pour montrer que les forces naissantes grandissent de jour en jour au cours de la révolution, et c’est en se basant sur cette appréciation qu’il a établi ses plans stratégiques.

    La conception du camarade Mao Tsé-toung selon laquelle les forces de la révolution sont invincibles et les forces réactionnaires, provisoirement puissantes, sont vouées à l’échec a armé les communistes chinois, a éduqué et encouragé le peuple chinois et nous a conduits à nos grandes victoires.

    Ce jugement clairvoyant du camarade Mao Tsé-toung nous montrant que « l’impérialisme et tous les réactionnaires sont des tigres en papier » a déjà été confirmé par la victoire de la révolution chinoise et ne cessera d’être confirmé par le développement victorieux de la cause de la révolution en Chine et dans le monde entier.

    La Rédaction de la revue Shijie Zhishi (Connaissance du monde) a récemment rassemblé et publié des passages des articles, discours et entretiens du camarade Mao Tsé-toung où il n’a cessé de démontrer que « l’impérialisme et tous les réactionnaires sont des tigres en papier ».

    C’est là un travail d’une grande signification politique, et très utile pour les peuples en lutte contre l’agression et l’oppression des impérialistes, en particulier des impérialistes américains.

    Nous publions ici les textes qui ont été réunis dans cette revue en y ajoutant quelques documents importants s’y rapportant et en introduisant quelques changements dans la forme et dans la disposition des paragraphes.

    L’ensemble du recueil reste divisé en trois parties.

    - La première partie traite du fait que l’impérialisme et tous les réactionnaires représentant les forces décadentes n’ont aucun avenir, et que leur violence momentanée montre simplement qu’ils sont entrés dans les convulsions de l’agonie.

    - La seconde partie montre que l’impérialisme et tous les réactionnaires sont forts en apparence mais faibles au fond, et que les révolutionnaires ont toutes les raisons de les mépriser, mais qu’ils méritent notre attention au cours de toutes les luttes concrètes.

    - La troisième partie décrit les traits essentiels de la situation internationale actuelle dans laquelle le vent d’est l’emporte sur le vent d’ouest, et où les forces du socialisme ont dépassé les forces de l’impérialisme.

    Bien que la plupart de ces articles, discours et entretiens aient déjà été publiés et qu’une petite partie seulement n’ait pas encore été publiée, bien qu’ils s’étalent sur une période de vingt ans et soient présentés sous forme de recueil, ils se lisent encore comme une thèse politique fraîche constituant un tout.

    Et cela parce que la contradiction fondamentale entre l’impérialisme et ses laquais d’une part, et les peuples de tous les pays de l’autre, n’a pas encore été résolue ; parce qu’il y a, en outre, l’impérialisme américain qui montre particulièrement griffes et dents et menace la paix du monde d’une guerre atomique, si bien que les peuples opprimés et menacés ont l’esprit tourmenté par cette situation tendue et qu’ils réclament instamment la solution de cette contradiction.

    Les lecteurs seront donc naturellement intéressés par l’opinion avancée par le camarade Mao Tsé-toung sur la question de savoir s’il s’agit ou non de tigres en papier, première et principale question à résoudre parmi les multiples problèmes relatifs à la solution de cette contradiction.

    Partie I

    Dans La Démocratie nouvelle, une œuvre d’importance historique publiée en janvier 1940, le camarade Mao Tsé-toung souligne que le capitalisme a atteint la phase de la décomposition et de la mort, tandis que le communisme « se répand dans le monde entier avec l’impétuosité de l’avalanche et la force de la foudre » :

    Le communisme est le système idéologique complet du prolétariat en même temps qu’un nouveau régime social.

    Ce système idéologique et ce régime social diffèrent de tout autre système idéologique et de tout autre régime social et sont les plus parfaits, les plus progressistes, les plus révolutionnaires et les plus rationnels de toute l’histoire de l’humanité.

    Le système idéologique et le régime social du féodalisme sont entrés au musée de l’histoire.

    Ceux du capitalisme sont, eux aussi, entrés au musée dans une partie du monde (en U.R.S.S.) ; partout ailleurs, ils ressemblent à « un moribond qui décline rapidement, comme le soleil derrière les collines de l’Ouest » ; ils seront bientôt bons pour le musée.

    Seuls le système idéologique et le régime social du communisme se répandent dans le monde entier avec l’impétuosité de l’avalanche et la force de la foudre ; ils feront fleurir leur merveilleux printemps.

    Dans La Démocratie nouvelle, le camarade Mao Tsé-toung souligne encore que le déchaînement furieux de tous les réactionnaires, qui représentent les forces décadentes, montre qu’ils sont entrés dans les convulsions de l’agonie :

    Le déchaînement furieux des forces ténébreuses de l’intérieur et de l’extérieur a plongé la nation dans le malheur ; mais ce déchaînement même, s’il montre la puissance que possèdent encore les forces ténébreuses, prouve d’autre part que ce sont leurs dernières convulsions et que les masses populaires se rapprochent de plus en plus de la victoire. Il en est ainsi en Chine comme dans tout l’Orient et le monde entier.

    Le 17 juin 1945, dans une allocution prononcée au cours d’une cérémonie pour commémorer les martyrs de la révolution chinoise, le camarade Mao Tsé-toung indique que plus les réactionnaires s’obstinent dans leur voie, plus ils approchent de leur fin :

    Tous les réactionnaires cherchent à étouffer la révolution par le massacre, et ils pensent que plus ils tueront de gens, plus ils affaibliront la révolution.

    Mais, contrairement à l’espoir que nourrit la réaction, le fait est que plus les réactionnaires massacrent de gens, plus grandissent les forces de la révolution et plus les réactionnaires approchent de leur fin. C’est là une loi inexorable.

    Le 6 novembre 1957, le camarade Mao Tsé-toung déclare à la réunion du Soviet suprême de l’U.R.S.S., lors de la célébration du 40e anniversaire de la Révolution d’Octobre :

    Le système socialiste remplacera finalement le système capitaliste.

    C’est là une loi objective, indépendante de la volonté humaine.

    Quels que soient les efforts des réactionnaires pour empêcher la roue de !’Histoire d’avancer, la révolution éclatera tôt ou tard et finira certainement par triompher.

    Un proverbe chinois qualifie l’action de certains sots en disant qu’« ils soulèvent une pierre pour se la laisser retomber sur les pieds ».

    Les réactionnaires de tous les pays sont justement de ces sots.

    Les répressions de toutes sortes qu’ils exercent contre le peuple révolutionnaire ne peuvent finalement que le pousser à étendre et à intensifier la révolution.

    Les diverses répressions auxquelles se sont livrés le tsar et Tchiang Kaï-chek n’ont-elles pas justement joué ce rôle de stimulant dans les grandes révolutions russe et chinoise ?

    Dans le discours Pour un régime constitutionnel de démocratie nouvelle, qu’il prononça à Yenan, le 20 février 1940, devant l’Association pour hâter l’avènement d’un régime constitutionnel, le camarade Mao Tsé-toung dénonce la propagande mensongère de Tchiang Kaï-chek sur le soi-disant établissement d’un régime constitutionnel et montre que les réactionnaires « avaient toujours abouti à un résultat contraire à celui qu’ils escomptaient » :

    Bien que tous les irréductibles du monde restent tels aujourd’hui et le resteront demain et après-demain, ils ne pourront le rester éternellement ; en fin de compte, ils devront changer.

    Wang Tsing-wei [1], par exemple, est resté longtemps un irréductible, mais quand il s’aperçut qu’il lui était impossible de le rester plus longtemps dans le camp des partisans de la résistance au Japon, force lui fut de se jeter directement dans les bras des Japonais.

    Prenons un autre exemple, celui de Tchang Kouo-tao [2] ; lui aussi est resté longtemps un irréductible, mais quand nous avons organisé plusieurs réunions pour le combattre et quand nous l’avons bien tancé, il a également filé.

    Au fond, les irréductibles sont des gens obstinés, mais sans solidité. Ils s’obstinent longtemps, mais finissent par changer : ils deviennent des canailles, odieuses à toute l’humanité.

    Il arrive aussi parfois que des irréductibles changent en mieux. Cela aussi résulte de la lutte, de la longue lutte menée contre eux : ils reconnaissent alors leurs torts et changent en mieux.

    En un mot, les irréductibles sont sujets à des changements.

    Ils ont toujours à leur disposition une série de plans, dans le genre de ceux-ci : réaliser un gain aux dépens d’autrui, jouer un double jeu, etc.

    Toutefois, tous les irréductibles, quels qu’ils soient, ont toujours abouti à un résultat contraire à celui qu’ils escomptaient : ils commencent toujours par porter préjudice à autrui, mais finissent par se nuire à eux-mêmes.

    Nous avons dit à l’époque que Chamberlain, « ayant soulevé la pierre, se la laisserait tomber sur les pieds ».

    C’est bien ce qui est arrivé. Chamberlain rêvait d’utiliser Hitler comme une pierre qu’il pourrait lancer dans les jambes du peuple soviétique.

    Cependant, en ce jour de septembre de Tan dernier où éclata la guerre entre l’Allemagne d’une part, et l’Angleterre et la France d’autre part, cette pierre tomba des mains de Chamberlain et lui écrasa les pieds.

    Et elle continue jusqu’à présent de punir Chamberlain. Il y a aussi beaucoup d’exemples analogues en Chine. Yuan Che-kai [3] voulait frapper le peuple, mais il se frappa lui-même : il mourut après quelques mois de règne.

    Touan Ki-jouei, Siu Che-tchang, Tsao Kouen, Wou Pei-fou et d’autres voulaient écraser le peuple, mais ils furent finalement renversés par lui.

    Quiconque recherche un profit aux dépens d’autrui se prépare à coup sûr une triste fin !

    Le 24 avril 1945, le camarade Mao Tsé-toung présenta son célèbre rapport politique : Du gouvernement de coalition au VIIe Congrès du Parti communiste chinois.

    Dans la partie intitulée « Notre programme concret », le camarade Mao Tsé-toung donne un avertissement aux réactionnaires du Kouo-Min-Tang qui tentent de mener en sous-main des activités contre le peuple sous prétexte de convoquer une « assemblée nationale », et il prédit qu’en appliquant cette politique réactionnaire, « ils se passent eux-mêmes la corde au cou » et vont à leur propre perte. Le camarade Mao Tsé-toung dit :

    Les mesures que nos héros, ennemis du peuple, sont en train d’adopter suivant leur politique de division risqueraient de les conduire dans une impasse.

    Ils sont en train de se passer une corde au cou dont le nœud coulant ne se desserrera pas ; cette corde, c’est l’« assemblée nationale » .

    Ils voudraient se servir de cette « assemblée nationale » comme d’une arme magique, tout d’abord pour contrecarrer la proposition d’un gouvernement de coalition, en second lieu pour maintenir leur régime dictatorial, et en troisième lieu pour trouver quelque justification à une guerre civile.

    L’Histoire, cependant, par sa propre logique, prendra une voie contraire à leurs vœux, et « ils soulèvent une pierre pour se la laisser tomber sur les pieds ».

    Dans le commentaire « Du danger de la politique de Hurley » qu’il écrivit pour l’Agence Hsinhua, le 12 juillet 1945, le camarade Mao Tsé-toung indique que la politique des Etats-Unis à l’égard de la Chine a engendré le danger d’une guerre civile en Chine ; et il lance l’avertissement selon lequel la politique des Etats-Unis, hostile au peuple chinois, plongerait le gouvernement et le peuple des Etats-Unis dans « des épreuves et des malheurs sans fin » :

    Sur les lèvres du même Hurley, le gouvernement du Kuomintang représenté par Tchiang Kaï-chek soudain devient la Belle, tandis que le Parti communiste chinois devient la Bête ; il va jusqu’à déclarer sans ambages que les Etats-Unis coopéreraient seulement avec Tchiang Kaï-chek et non avec le Parti communiste chinois.

    Naturellement, il ne s’agit pas là d’une vue personnelle de Hurley, mais d’une vue d’un groupe du gouvernement des Etats-Unis ; c’est une vue erronée et dangereuse.

    … Si l’on continue à appliquer cette politique de Hurley, le gouvernement des Etats-Unis s’enfoncera sans recours dans les profondeurs du cloaque de la réaction chinoise ; il se placera en opposition aux centaines de millions de Chinois conscients ou en train de prendre conscience, et il deviendra un obstacle pour la Guerre de Résistance contre le Japon, à présent, et pour la paix du monde, dans l’avenir ….

    On peut affirmer avec certitude que si la politique de Hurley, qui approuve et soutient les forces antipopulaires en Chine et qui est hostile à de si larges masses du peuple chinois, elle ne change pas, elle pèsera lourdement sur le gouvernement et le peuple des Etats-Unis et les plongera dans des épreuves et des malheurs sans fin ; c’est un point qu’il faut porter clairement à la connaissance du peuple des Etats-Unis.

    Dans son discours de clôture prononcé le 11 juin 1945 au VIIe Congrès du Parti communiste chinois : Comment le Vieux Fou déplaça les montagnes, le camarade Mao Tsé-toung dit :

    La politique de soutien à Tchiang Kaï-chek et d’opposition au Parti communiste, adoptée par le gouvernement des Etats-Unis, montre la frénésie des réactionnaires américains.

    Mais tous les plans des réactionnaires, de l’intérieur ou du dehors, pour empêcher le peuple chinois de remporter sa victoire sont voués à l’échec.

    Actuellement, dans le monde, la démocratie est le courant principal, et la réaction contre la démocratie n’est qu’un contre-courant.

    Le contre-courant de la réaction tente de l’emporter sur le courant principal : le mouvement pour l’indépendance nationale et la démocratie populaire, mais jamais il ne deviendra le courant principal.

    Il est sûr que les réactionnaires s’écroulent et que la révolution triomphe.

    Dans son discours de clôture au VIIe Congrès du Parti communiste chinois, le camarade Mao Tsé-toung lance un appel au peuple lui demandant d’avoir confiance dans la victoire certaine de la révolution.

    Il cite la fable antique « Comment le Vieux Fou déplaça les montagnes » pour montrer qu’aussi longtemps que le peuple révolutionnaire garde sa confiance, qu’il n’a pas peur des réactionnaires et est bien résolu à mener la lutte jusqu’au bout, le triomphe de la révolution est certain :

    Faire connaître la ligne politique du Congrès, c’est donner à tout le Parti et à tout le peuple la confiance que la victoire de la révolution est certaine.

    Tout d’abord, nous devons éveiller cette conscience chez les forces d’avant-garde de la révolution, afin que, fermes dans leur détermination et prêtes aux sacrifices, elles surmontent toutes les difficultés dans la lutte pour la victoire.

    Ceci, cependant, ne suffit pas ; nous devons aussi éveiller la conscience des masses populaires de tout le pays, afin qu’elles veuillent bien se joindre à nous dans la lutte commune pour la victoire.

    Nous devons leur donner la conviction que la Chine appartient au peuple chinois et non aux réactionnaires.

    Dans la Chine antique existait une fable intitulée « Comment le Vieux Fou déplaça les montagnes » .

    C’est l’histoire d’un vieillard de la Chine du Nord dans les temps anciens, communément appelé le Vieux Fou de la Montagne du Nord.

    Sa maison faisait face au sud et le chemin menant à sa porte était bloqué par deux hautes montagnes, les montagnes Taihang et Wangwou.

    Il prit la résolution de les enlever à la pioche, et emmena ses fils travailler avec lui.
    Un autre vieillard appelé le Vieux Sage, en voyant leurs efforts, riait et disait : Etes-vous fous de vous lancer dans une telle entreprise !

    Vous et vos fils, vous ne pourrez jamais arriver à enlever ces deux grosses montagnes ! Le Vieux Fou répliqua : Lorsque je mourrai, mes fils seront là pour continuer ; lorsqu’ils mourront à leur tour, il y aura leurs fils, et ainsi de suite à l’infini.

    Quant à ces deux montagnes, si élevées soient-elles, elles ne pourront plus grandir, au contraire, à chaque pelletée enlevée, elles diminueront d’autant.

    Pourquoi ne parviendrions-nous pas à les enlever ? C’est ainsi qu’il réfuta le point de vue erroné du Vieux Sage et continua à creuser imperturbablement jour après jour.

    Sa persévérance finit par émouvoir le dieu du Ciel ; celui-ci envoya deux génies célestes qui transportèrent les montagnes sur leur dos.

    Aujourd’hui, deux montagnes pèsent lourdement sur le peuple chinois : l’une, c’est l’impérialisme, l’autre le féodalisme. Depuis longtemps le Parti communiste chinois a décidé de s’en débarrasser.

    Nous devons persévérer et travailler sans relâche, et nous aussi nous parviendrons à émouvoir le dieu du Ciel.

    Ce dieu n’est autre que les masses populaires de toute la Chine. Et si celles-ci viennent creuser avec nous, pourquoi n’enlèverions-nous pas ces deux montagnes ?

    Dans le commentaire « Rejetez vos illusions et préparez-vous à la lutte » qu’il écrivit pour l’Agence Hsinhua le 14 août 1949, le camarade Mao Tsé-toung fait une analyse pénétrante des deux logiques entièrement différentes qui dominent le développement des forces réactionnaires et des forces populaires.

    Il fait aussi remarquer que ceux qui sont avancés doivent organiser des forces pour lutter contre les réactionnaires et qu’ils doivent éduquer, unir et gagner à leur cause tous ceux qui sont encore oscillants et hésitants, afin d’isoler complètement les réactionnaires :

    Combien la logique des impérialistes est différente de celle du peuple ! Provocation de troubles, échec, nouvelle provocation, nouvel échec, et cela jusqu’à leur ruine – telle est la logique des impérialistes et de tous les réactionnaires du monde à l’égard de la cause du peuple ; et jamais ils n’iront contre cette logique.

    C’est là une loi marxiste.

    Quand nous disons : « l’impérialisme est féroce », nous entendons que sa nature ne changera pas, et que les impérialistes ne voudront jamais poser leur couteau de boucher, ni ne deviendront jamais des bouddhas, et cela jusqu’à leur ruine.

    Lutte, échec, nouvelle lutte, nouvel échec, nouvelle lutte encore, et cela jusqu’à la victoire – telle est la logique du peuple, et lui non plus, il n’ira jamais contre cette logique.

    C’est encore une loi marxiste. La révolution du peuple russe a suivi cette loi, il en est de même de la révolution du peuple chinois.

    Lutte de classes – certaines classes sont victorieuses, d’autres sont éliminées.

    Cela, c’est l’histoire ; c’est l’histoire des civilisations depuis des millénaires. Interpréter l’histoire d’après ce point de vue, cela s’appelle le matérialisme historique ; se placer à l’opposé de ce point de vue, c’est de l’idéalisme historique.

    La méthode de l’autocritique ne s’applique qu’au sein du peuple ; il est impossible d’espérer qu’on puisse persuader les impérialistes et les réactionnaires chinois de faire preuve de bon cœur et de revenir dans le droit chemin.

    La seule voie à suivre, c’est d’organiser des forces pour lutter contre eux, comme ce fut le cas dans notre Guerre de Libération populaire et dans notre révolution agraire, c’est de démasquer les impérialistes, de « provoquer » les impérialistes et les réactionnaires, de les renverser, de les punir de leurs infractions à la loi, et de « ne leur permettre que de marcher droit, sans tolérer de leur part aucun propos ou acte contre le pouvoir établi ».

    C’est alors seulement qu’on pourra espérer traiter avec les pays étrangers impérialistes sur la base de l’égalité et de l’avantage mutuel.

    C’est alors qu’on pourra espérer donner aux éléments de la classe des propriétaires fonciers, aux éléments de la bourgeoisie bureaucratique et aux membres de la clique réactionnaire du Kuomintang ainsi qu’à leurs complices, quand ils ont déposé les armes et capitulé, une éducation propre à transformer les mauvais éléments en bons, et cela dans toute la mesure du possible.

    Si de nombreux libéraux chinois – éléments démocrates de type ancien, tenants de « l’individualisme démocratique », sur lesquels Truman, Marshall, Acheson, Leighton Stuart et consorts fondent leurs espoirs et qu’ils cherchent constamment à gagner à eux – sont souvent réduits à une position passive et se trompent fréquemment dans leurs jugements sur les gouvernants américains, sur le Kuomintang, sur l’Union soviétique et aussi sur le Parti communiste chinois, c’est précisément parce qu’ils ne considèrent pas ou n’admettent pas qu’on puisse considérer les problèmes du point de vue du matérialisme historique.

    C’est le devoir des progressistes – communistes, membres des partis démocratiques, ouvriers politiquement conscients, jeunesse estudiantine et intellectuels progressistes- de s’unir, au sein de la Chine populaire, avec les couches intermédiaires, les éléments du centre, les éléments retardataires des différentes couches et tous ceux qui sont encore oscillants et hésitants (ceux-ci continueront à osciller longtemps encore et, même après avoir pris un parti, ils recommenceront dès qu’ils se heurteront à une difficulté), de leur apporter une aide sincère, de critiquer leur attitude hésitante, de les éduquer, de les gagner à la cause des grandes masses populaires, d’empêcher que les impérialistes ne les attirent à eux, de leur demander de rejeter leurs illusions et de se préparer à la lutte.

    Il ne faut pas s’imaginer qu’avec la victoire, il ne soit plus besoin de faire du travail auprès d’eux.

    Il nous faut encore travailler, même travailler bien davantage et avec patience avant de pouvoir réellement gagner ces éléments.

    Une fois que nous les aurons gagnés, l’impérialisme sera complètement isolé, et les ruses d’Ache-sen ne trouveront plus à s’exercer.

    Partie II

    Dans l’éditorial « Le Tournant de la Seconde guerre mondiale » qu’il écrivit le 12 octobre 1942 pour le quotidien de Yenan Jiefang Ribao, le camarade Mao Tsé-toung analyse la nature même des forces réactionnaires qui, puissantes en apparence, dissimulent une faiblesse intérieure, et il rappelle au peuple révolutionnaire de ne pas se laisser tromper par cette simple apparence.

    Il dit :

    Dans l’histoire de l’humanité, toutes les forces réactionnaires qui sont au seuil de leur perte se lancent invariablement dans un ultime sursaut contre les forces de la révolution et, souvent, des révolutionnaires sont un moment induits en erreur par cette force apparente qui dissimule la faiblesse intérieure, ils ne voient pas ce fait essentiel que l’ennemi approche de sa fin et qu’eux-mêmes sont près de la victoire.

    Or, la montée de l’ensemble des forces fascistes et les guerres d’agression qu’elles mènent depuis quelques années constituent justement cet ultime sursaut des forces réactionnaires et, dans la guerre actuelle, l’attaque sur Stalingrad marque l’ultime sursaut des forces fascistes elles-mêmes.

    Face à ce tournant de l’histoire, beaucoup de gens au sein du front antifasciste mondial se sont aussi laissé abuser par l’aspect féroce du fascisme et n’en ont pas discerné la réalité interne.

    Les réactionnaires se vantent toujours de la puissance purement apparente de leurs forces armées.

    Au sein du peuple, il est des gens qui, à des degrés divers, éprouvent une certaine crainte devant la force militaire des réactionnaires.

    C’est le point de vue de ceux qui sont partisans de la théorie dite « les armes décident de tout ».

    Dans son traité bien connu « De la guerre prolongée », écrit en mai 1938, le camarade Mao Tsé-toung donne une critique pénétrante de ce point de vue :

    … la théorie dite « les armes décident de tout » … est une théorie mécaniste, appliquée à la question de la guerre, un point de vue subjectiviste et unilatéral sur celle-ci.

    A la différence des partisans de cette théorie, nous considérons non seulement les armes, mais aussi les hommes.

    Les armes sont un facteur important, mais non décisif, de la guerre. Le facteur décisif, c’est l’homme et non le matériel.

    Le rapport des forces se détermine non seulement par le rapport des puissances militaire et économique, mais aussi par le rapport des ressources humaines et des forces morales.

    C’est l’homme qui dirige l’économie et les forces militaires.

    En août 1946, le camarade Mao Tsé-toung reçut à Yenan la journaliste américaine Anna Louise Strong et lui exposa sa thèse célèbre selon laquelle tous les réactionnaires sont des tigres en papier.

    Nous donnons ci-dessous le texte intégral de l’entretien :

    A. L. Strong : Pensez-vous qu’on puisse espérer un règlement politique, pacifique des problèmes de la Chine dans un proche avenir ?

    Mao Tsé-toung : Cela dépend de l’attitude du gouvernement des Etats-Unis. Si le peuple américain retient le bras des réactionnaires américains qui aident Tchiang Kaï-chek à mener la guerre civile, on peut espérer la paix.

    Question : A supposer que les Etats-Unis n’accordent plus d’aide à Tchiang Kaï-chek en dehors de ce qu’ils lui ont déjà donné, combien de temps Tchiang Kaï-chek pourra-t-il continuer la guerre ?

    Réponse : Plus d’un an.

    Question : Tchiang Kaï-chek peut-il, économiquement, tenir si longtemps ?

    Réponse : Il le peut.

    Question : Et si les Etats-Unis faisaient savoir clairement qu’ils n’accorderont plus d’aide à Tchiang Kaï-chek à partir de maintenant ?

    Réponse : Pour le moment, rien ne laisse prévoir que le gouvernement américain et Tchiang Kaï-chek aient le moindre désir d’arrêter prochainement la guerre.

    Question : Combien de temps le Parti communiste peut-il tenir ?

    Réponse : Pour autant qu’il s’agisse de nos propres désirs, nous ne demandons pas à nous battre même un seul jour. Mais si les circonstances nous y obligent, nous pouvons nous battre jusqu’au bout.

    Question : Si le peuple américain demande pourquoi le Parti communiste se bat, que dois-je répondre ?

    Réponse : Parce que Tchiang Kaï-chek veut massacrer le peuple chinois et que, pour survivre, le peuple doit se défendre. Cela, le peuple américain peut le comprendre.

    Question : Que pensez-vous de l’éventualité d’une guerre des Etats-Unis contre l’Union soviétique ?

    Réponse : La propagande pour une guerre contre l’Union soviétique présente un double aspect.

    D’une part, l’impérialisme américain prépare effectivement une guerre contre l’Union soviétique ; la propagande actuelle pour une guerre antisoviétique, comme toute autre propagande antisoviétique, constitue une préparation politique à une telle guerre.

    D’autre part, cette propagande est l’écran de fumée tendu par les réactionnaires américains pour couvrir de nombreuses contradictions réelles auxquelles l’impérialisme américain se heurte directement aujourd’hui.

    Ce sont les contradictions entre les réactionnaires américains et le peuple américain, et les contradictions qui opposent les Etats-Unis impérialistes à d’autres pays capitalistes et aux pays coloniaux et semi-coloniaux.

    A l’heure actuelle, le slogan d’une guerre contre l’Union soviétique lancé par les Etats-Unis signifie en fait l’oppression du peuple américain et l’expansion des forces agressives des Etats-Unis dans le monde capitaliste.

    Comme vous le savez, Hitler et ses partenaires, les militaristes japonais, ont longtemps utilisé des slogans antisoviétiques comme prétexte pour asservir le peuple de leur pays et pour se livrer à des agressions contre d’autres pays.

    Aujourd’hui, les réactionnaires américains agissent exactement de la même manière.
    Pour déclencher une guerre, les réactionnaires américains doivent d’abord s’attaquer au peuple américain.

    Ils le font déjà : ils oppriment politiquement et économiquement les ouvriers et les milieux démocratiques des Etats-Unis et se préparent à instaurer le fascisme dans leur pays.

    Le peuple des Etats-Unis doit se lever pour résister aux attaques des réactionnaires américains. Je suis persuadé qu’il le fera.

    Une zone très vaste englobant de nombreux pays capitalistes, coloniaux et semi-coloniaux en Europe, en Asie et en Afrique sépare les Etats-Unis de l’Union soviétique.

    Avant que les réactionnaires américains n’aient assujetti ces pays, une attaque contre l’Union soviétique est hors de question.

    Dans le Pacifique, les Etats-Unis contrôlent maintenant des régions plus étendues que l’ensemble de toutes les anciennes sphères d’influence qu’y possédait la Grande-Bretagne ; ils contrôlent le Japon, la partie de la Chine soumise à la domination du Kuomintang, la moitié de la Corée et le Pacifique Sud.

    Ils contrôlent depuis longtemps l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud. Ils cherchent en outre à contrôler tout l’Empire britannique et l’Europe occidentale.

    Sous divers prétextes, les Etats-Unis prennent des dispositions militaires de grande envergure et établissent des bases militaires dans de nombreux pays.

    Les réactionnaires américains disent que les bases militaires qu’ils ont établies et celles qu’ils se préparent à établir partout dans le monde sont toutes dirigées contre l’Union soviétique. Certes, elles visent l’Union soviétique.

    Mais pour le moment, ce n’est pas l’Union soviétique mais bien les pays où ces bases militaires se trouvent établies qui ont à souffrir les premiers de l’agression des Etats-Unis.

    Je crois que ces pays ne tarderont pas à comprendre qui, de l’Union soviétique ou des Etats-Unis, les opprime vraiment. Le jour viendra où les réactionnaires américains s’apercevront qu’ils ont contre eux les peuples du monde entier.

    Bien entendu, je ne veux pas dire que les réactionnaires américains n’aient pas l’intention d’attaquer l’Union soviétique.

    L’Union soviétique est le défenseur de la paix mondiale, elle est un puissant facteur qui fait obstacle à la conquête de l’hégémonie mondiale par les réactionnaires américains.

    Du fait de l’existence de l’Union soviétique, il est absolument impossible aux réactionnaires des Etats-Unis et du monde entier de réaliser leurs ambitions.

    C’est pourquoi les réactionnaires américains vouent une haine implacable à l’Union soviétique et rêvent effectivement de détruire cet Etat socialiste.

    Mais les réactionnaires américains font aujourd’hui, peu après la fin de la Seconde guerre mondiale, un tel tapage à propos d’une guerre américano-soviétique – au point d’empoisonner l’atmosphère internationale – que nous sommes obligés d’examiner de plus près leurs véritables intentions.

    Il apparaît alors que, sous le couvert de slogans antisoviétiques, ils se livrent à des attaques frénétiques contre les ouvriers et les milieux démocratiques de leur pays et transforment en dépendances américaines tous les pays visés par l’expansion des Etats-Unis.

    A mon avis, le peuple américain et les peuples de tous les pays menacés par l’agression américaine doivent s’unir et lutter contre les attaques des réactionnaires américains et de leurs laquais dans ces pays.

    Seule la victoire remportée dans cette lutte permettra d’éviter une troisième guerre mondiale ; sinon, celle-ci est inévitable.

    Question : Tout cela est très clair.

    Mais supposez que les Etats-Unis emploient la bombe atomique ? Supposez que les Etats-Unis bombardent l’Union soviétique en partant de leurs bases en Islande, à Okinawa et en Chine ?

    Réponse : La bombe atomique est un tigre en papier dont les réactionnaires américains se servent pour effrayer les gens.

    Elle a l’air terrible, mais en fait, elle ne l’est pas. Bien sûr, la bombe atomique est une arme qui peut faire d’immenses massacres, mais c’est le peuple qui décide de l’issue d’une guerre, et non une ou deux armes nouvelles.

    Tous les réactionnaires sont des tigres en papier. En apparence, ils sont terribles, mais en réalité, ils ne sont pas si puissants.

    A envisager les choses du point de vue de l’avenir, c’est le peuple qui est vraiment puissant, et non les réactionnaires.

    En Russie, avant la Révolution de Février 1917, de quel côté était réellement la force ?

    En apparence, le tsar était fort ; mais il fut balayé par le coup de vent de la Révolution de Février.

    En dernière analyse, la force en Russie était du côté des Soviets d’ouvriers, de paysans et de soldats. Le tsar n’était qu’un tigre en papier.

    Hitler n’a-t-il pas passé pour très fort ? Mais l’Histoire a prouvé qu’il était un tigre en papier. De même Mussolini, de même l’impérialisme japonais.

    Par contre, l’Union soviétique et les peuples épris de démocratie et de liberté de tous les pays se sont révélés beaucoup plus puissants qu’on ne l’avait prévu.

    Tchiang Kaï-chek et les réactionnaires américains qui le soutiennent sont aussi des tigres en papier.

    En parlant de l’impérialisme américain, il y a des gens qui semblent le croire terriblement fort et les réactionnaires chinois se servent de cette « force » des Etats-Unis pour effrayer le peuple chinois.

    Mais la preuve sera faite que les réactionnaires américains, comme tous les réactionnaires dans l’histoire, ne sont pas si forts que cela. Aux Etats-Unis, ce sont d’autres qui détiennent la force véritable : le peuple américain.

    Prenez le cas de la Chine. Nous n’avons que millet et fusils pour toute ressource, mais l’Histoire prouvera en fin de compte que notre millet et nos fusils sont plus puissants que les avions et les tanks de Tchiang Kaï-chek.

    Bien que le peuple chinois ait encore à faire face à beaucoup de difficultés et doive souffrir longtemps encore sous les coups des attaques conjuguées de l’impérialisme américain et des réactionnaires chinois, le jour viendra où ces réactionnaires seront battus et où nous serons victorieux.

    La raison en est simple : les réactionnaires représentent la réaction, nous représentons le progrès.

    Le 25 décembre 1947, le camarade Mao Tsé-toung fit un rapport sur « La Situation actuelle et nos tâches » à une réunion du Comité central du Parti communiste chinois.

    Dans ce rapport, il déclare :

    Ayant fait une appréciation lucide de la situation internationale et intérieure en se fondant sur la science du marxisme-léninisme, le Parti communiste chinois acquit la conviction que toutes les attaques des réactionnaires de l’intérieur et de l’extérieur non seulement devaient être, mais pouvaient être écrasées.

    Lorsque des nuages ont assombri le ciel, nous avons fait remarquer que ces ténèbres n’étaient que temporaires, qu’elles se dissiperaient bientôt et que le soleil brillerait sous peu.

    Quand Tchiang Kaï-chek et ses bandits déclenchèrent la guerre contre-révolutionnaire à l’échelle nationale, en juillet 1946, ils pensaient qu’il suffirait de trois à six mois pour battre l’Armée populaire de Libération.

    Ils avaient estimé qu’avec une armée régulière de 2 millions d’hommes, plus d’un million d’irréguliers et un autre million d’hommes au moins dans les organismes militaires et les unités armées à l’arrière, ils possédaient, au total, une force militaire de plus de 4 millions d’hommes ; qu’ils avaient pris le temps de terminer leurs préparatifs d’offensive ; qu’ils contrôlaient à nouveau les grandes villes ; qu’ils avaient sous leur domination une population de plus de 300 millions d’habitants ; qu’ils avaient pris possession de tout l’équipement d’un million de soldats de l’armée d’invasion japonaise ; et qu’ils avaient obtenu une aide militaire et financière énorme du gouvernement des Etats-Unis.

    De plus, ils jugeaient que l’Armée populaire de Libération était épuisée par les huit années de combats dans la Guerre de Résistance contre le Japon et qu’elle était de loin inférieure en effectifs et en équipement à l’armée du Kuomintang ; que la population des régions libérées dépassait à peine 100 millions d’habitants (Le recensement de la population était à l’époque inexact ; on évaluait généralement la population du pays à 450 millions d’habitants. Après la Libération, un recensement exact montra que la Chine avait une population de 600 millions d’habitants – Note de la Rédaction), que dans la plupart de ces régions les forces féodales réactionnaires n’étaient pas encore liquidées et la réforme agraire pas encore accomplie partout ni à fond, c’est-à-dire que les arrières de l’Armée populaire de Libération n’étaient pas encore solides.

    Partant de ces évaluations, la bande de Tchiang Kaï-chek ne tint aucun compte du désir de paix du peuple chinois, déchira finalement l’Accord de trêve signé par le Kuomintang et le Parti communiste en janvier 1946, ainsi que les résolutions adoptées par la Conférence consultative politique de tous les partis, et déclencha une guerre aventureuse.

    Nous avons dit à l’époque que la supériorité militaire de Tchiang Kaï-chek n’était que momentanée, qu’elle était un facteur qui ne pouvait jouer qu’un rôle temporaire, que l’aide de l’impérialisme américain était de même un facteur qui ne pouvait jouer qu’un rôle temporaire, alors que le caractère antipopulaire de la guerre de Tchiang Kaï-chek et les sentiments du peuple étaient des facteurs au rôle constant, et que, sous ce rapport, l’Armée populaire de Libération détenait la supériorité.

    Patriotique, juste et révolutionnaire de par sa nature, la guerre menée par l’Armée populaire de Libération devait forcément gagner l’appui du peuple dans le pays tout entier.

    C’était là la base politique de la victoire sur Tchiang Kaï-chek.

    L’expérience de dix-huit mois de guerre a pleinement confirmé notre jugement.
    Quand la clique réactionnaire de Tchiang Kaï-chek déclencha en 1946 la guerre civile à l’échelle nationale contre le peuple, elle osa prendre ce risque parce qu’elle comptait non seulement sur sa propre supériorité militaire, mais surtout sur l’impérialisme américain armé de ses bombes atomiques et qu’elle considérait comme « exceptionnellement puissant », « sans égal au monde ».

    D’une part, elle croyait que l’impérialisme américain pourrait pourvoir à flots continus à ses besoins militaires et financiers ; d’autre part, elle se livrait à d’extravagantes spéculations sur le thème « la guerre entre les Etats-Unis et l’Union soviétique est inévitable », « une troisième guerre mondiale doit inévitablement éclater ».

    Dépendre ainsi de l’impérialisme américain est le trait commun des forces réactionnaires des différents pays depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.

    Ceci reflète la gravité des coups subis par le capitalisme mondial au cours de cette guerre, la faiblesse des forces réactionnaires dans les différents pays, leur désarroi et leur perte de confiance, ainsi que la puissance des forces révolutionnaires mondiales – situation qui fait sentir aux réactionnaires des différents pays qu’ils n’ont plus d’autre issue que de compter sur l’aide de l’impérialisme américain.

    Mais l’impérialisme américain d’après la Seconde guerre mondiale est-il réellement aussi puissant que Tchiang Kaï-chek et les réactionnaires des divers pays se l’imaginent ?

    Peut-il réellement leur envoyer des approvisionnements à flots continus ? Non, ce n’est pas le cas.

    La puissance économique de l’impérialisme américain, qui s’était accrue pendant la Seconde guerre mondiale, doit faire face à des marchés intérieurs et extérieurs instables et qui se rétrécissent de jour en jour.

    Le rétrécissement plus accentué de ces marchés provoquera des crises économiques.

    Le boom du temps de guerre aux Etats-Unis n’était que temporaire. Leur puissance n’est que superficielle et passagère. Des contradictions inconciliables, tant à l’intérieur que sur le plan international, menacent quotidiennement comme un volcan l’impérialisme américain.

    L’impérialisme américain est assis sur ce volcan.

    Cette situation a poussé les impérialistes américains à dresser un plan d’asservissement du monde, à se ruer en forcenés comme des bêtes sauvages en Europe, en Asie et dans d’autres parties du monde, à rassembler dans les différents pays les forces réactionnaires, les rebuts vomis par le peuple, en vue de former un camp impérialiste et antidémocratique contre toutes les forces démocratiques ayant l’Union soviétique à leur tête, et à préparer la guerre dans l’espoir de déclencher un jour, à l’avenir, une troisième guerre mondiale pour vaincre les forces démocratiques.

    C’est un plan insensé. Les forces démocratiques du monde entier doivent déjouer ce plan et peuvent certainement le faire.

    La puissance du camp anti-impérialiste mondial a dépassé celle du camp impérialiste.

    C’est nous qui détenons la supériorité et non l’ennemi.

    Dans l’article Que les forces révolutionnaires du monde entier s’unissent pour combattre l’agression impérialiste qu’il écrivit en novembre 1948 pour le périodique Pour une paix durable, pour une démocratie populaire ! le camarade Mao Tsé-toung fait remarquer que « ce serait une erreur des plus graves de surestimer la force de l’ennemi et de sous-estimer celle de la révolution » :

    Après la victoire dans la Seconde guerre mondiale, l’impérialisme américain, qui a pris la place de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon fascistes, avec ses laquais de divers pays, se prépare frénétiquement à une nouvelle guerre mondiale et menace le monde entier.

    Ceci reflète l’extrême décadence du monde capitaliste et sa terreur devant la fin imminente.

    Cet ennemi est encore fort, c’est pourquoi toutes les forces révolutionnaires dans chaque pays et les forces révolutionnaires de tous les pays doivent s’unir, elles doivent former un front anti-impérialiste uni ayant à sa tête l’Union soviétique et suivre une politique juste, sinon elles ne pourront remporter la victoire.

    La base de cet ennemi est faible. Il se désagrège intérieurement, il est séparé du peuple et doit faire face à une crise économique inextricable.

    Donc, il peut être vaincu.

    Ce serait une erreur des plus graves de surestimer la force de l’ennemi et de sous-estimer celle de la révolution.

    Le 18 janvier 1948, dans la directive Sur quelques questions importantes de la politique actuelle du Parti qu’il écrivit pour le Comité central du Parti communiste chinois en vue de sa communication au Parti, le camarade Mao Tsé-toung nous dit que dans l’ensemble et du point de vue stratégique, nous devons mépriser l’ennemi, tandis qu’en même temps nous devons nous attacher à l’art de la lutte et, en ce qui concerne, chaque partie prise en elle-même et dans chaque lutte concrète, nous devons tenir pleinement compte de l’ennemi :

    Combattre la surestimation de la force de l’ennemi.

    Par exemple : la peur de l’impérialisme américain, la peur d’aller se battre dans les régions du Kuomintang, la peur d’éliminer le système comprador-féodal, de procéder à la distribution des terres des propriétaires fonciers et de confisquer le capital bureaucratique, la peur d’une guerre de longue durée, etc. ; tout cela est erroné.

    L’impérialisme dans le monde entier et le règne de la clique réactionnaire de Tchiang Kaï-chek en Chine sont pourris, ils n’ont pas d’avenir. Nous avons lieu de les mépriser, et nous sommes sûrs et certains de vaincre tous les ennemis, intérieurs et extérieurs, du peuple chinois.

    Mais dans chaque situation particulière, dans chaque lutte concrète (qu’il s’agisse d’une lutte militaire, politique, économique ou idéologique), nous ne devons absolument pas mépriser l’ennemi, mais au contraire, en tenir sérieusement compte et concentrer toutes nos forces dans la lutte pour remporter la victoire.

    Du point de vue de l’ensemble, de la stratégie, nous soulignons à juste titre que nous devons mépriser l’ennemi, mais dans aucune situation particulière, dans aucune question concrète, nous ne devons jamais le mépriser.

    Si, du point de vue de l’ensemble, nous surestimons la force de l’ennemi et n’osons par conséquent le renverser ni le vaincre, nous commettrons une erreur d’opportunisme de droite.

    Si, dans chaque situation particulière, dans chaque question concrète, nous n’agissons pas avec prudence, ne prenons pas soin d’étudier et de perfectionner l’art de la lutte, ne concentrons pas toutes nos forces dans le combat et ne nous attachons pas à gagner à notre cause tous les alliés qui devraient l’être (paysans moyens, artisans et commerçants indépendants, moyenne bourgeoisie, étudiants, instituteurs, professeurs et intellectuels en général, fonctionnaires en général, membres des professions libérales et hobereaux éclairés), nous commettrons une erreur d’opportunisme « de gauche ».

    Le 18 novembre 1957, dans son intervention à la Conférence des Représentants des Partis communistes et ouvriers des Pays socialistes tenue à Moscou, le camarade Mao Tsé-toung déclare :

    Lorsqu’en 1946, Tchiang Kaï-chek nous attaqua, beaucoup de nos camarades et le peuple tout entier étaient fort inquiets :

    Pourrait-on gagner la guerre ?

    J’étais moi-même aussi soucieux à ce sujet. Mais nous avions confiance.

    A ce moment, une journaliste américaine, Anna Louise Strong, vint à Yenan.

    Au cours de notre entretien, nous avons discuté de beaucoup de questions, y compris Tchiang Kaï-chek, Hitler, le Japon, les Etats-Unis, la bombe atomique, etc.

    J’ai dit alors que tous les réactionnaires réputés puissants n’étaient en réalité que des tigres en papier. Pour la bonne raison qu’ils sont coupés du peuple.

    Eh bien, Hitler n’était-il pas un tigre en papier ? Hitler n’a-t-il pas été jeté à bas ?

    J’ai dit aussi que le tsar en était un, de même que l’empereur de Chine, ainsi que l’impérialisme japonais.

    Vous voyez bien, tous ont été renversés. L’impérialisme américain ne s’est pas encore effondré et il a, de plus, la bombe atomique ; mais, à mon avis, il tombera lui aussi, il est également un tigre en papier.

    Tchiang Kaï-chek était très puissant ; il avait plus de 4 millions de troupes régulières.
    Nous étions alors à Yenan. Quelle était la population de Yenan ?

    7.000 habitants. Combien de troupes avions-nous ? Nous avions 900.000 partisans, tous divisés par Tchiang Kaï-chek en plusieurs dizaines clé bases. Mais nous disions que Tchiang Kaï-chek n’était qu’un tigre en papier et que nous le vaincrions sans aucun doute.

    Pour combattre l’ennemi, nous avons formé, au cours d’une longue période, ce concept, à savoir que, du point de vue stratégique, nous devons mépriser tous les ennemis, et, du point de vue tactique, en tenir pleinement compte.

    En d’autres termes, nous devons mépriser l’ennemi dans son ensemble, mais en tenir sérieusement compte en ce qui concerne chaque question concrète, si nous ne méprisons pas l’ennemi dans son ensemble, nous tomberons dans l’opportunisme.

    Marx et Engels n’étaient que deux, mais ils affirmaient déjà que le capitalisme serait renversé dans le monde entier.

    Mais sur les questions concrètes et sur les questions se rapportant à chaque ennemi particulier, si nous ne tenons pas suffisamment compte de l’ennemi, nous tomberons dans l’aventurisme.

    Dans la guerre, les batailles ne peuvent être livrées qu’une à une et les forces ennemies ne peuvent être anéanties qu’unité par unité.

    Les usines ne peuvent être bâties qu’une par une. Un paysan ne peut labourer la terre que parcelle par parcelle. Il en est de même pour les repas.

    Stratégiquement, prendre un repas ne nous fait pas peur : nous pourrons en venir à bout. Mais nous mangeons bouchée par bouchée. Il nous serait impossible d’avaler le repas entier d’un seul coup.

    C’est ce qu’on appelle la solution un par un. Et en langage militaire, cela s’appelle écraser l’ennemi unité par unité.

    Partie III

    Le 18 novembre 1957, dans son intervention à la Conférence des Représentants des Partis communistes et ouvriers des Pays socialistes tenue à Moscou, le camarade Mao Tsé-toung fait une analyse de la situation internationale de l’époque et montre que les forces socialistes ont dépassé les forces impérialistes et que le vent d’est l’emporte sur le vent d’ouest.

    Il déclare :

    J’estime que la situation internationale est arrivée à un nouveau tournant. Il y a maintenant deux vents dans le monde : le vent d’est et le vent d’ouest.

    Selon un dicton chinois, « ou bien le vent d’est l’emporte sur le vent d’ouest, ou c’est le vent d’ouest qui l’emporte sur le vent d’est ».

    A mon avis, la caractéristique de la situation actuelle est que le vent d’est l’emporte sur le vent d’ouest, ce qui signifie que les forces socialistes ont acquis une supériorité écrasante sur les forces de l’impérialisme.

    S’adressant aux étudiants chinois poursuivant leurs études en Union soviétique, la veille du jour où il fit son intervention susmentionnée, donc le 17 novembre, le camarade Mao Tsé-toung dit :

    La direction du vent dans le monde a changé. Dans la lutte entre le camp socialiste et le camp capitaliste, ou bien le vent d’ouest l’emporte sur le vent d’est ou c’est le vent d’est qui l’emporte sur le vent d’ouest.

    La population mondiale atteint maintenant le chiffre de 2.700 millions, les différents pays socialistes totalisent une population de près de 1 .000 millions d’habitants, celle des anciens pays coloniaux qui ont conquis leur indépendance dépasse 700 millions, et les pays qui luttent actuellement pour l’indépendance ou pour l’indépendance complète, ainsi que les pays capitalistes à tendance neutre comptent 600 millions d’habitants.

    La population du camp impérialiste n’est donc que d’environ 400 millions d’hommes, lesquels, en outre, sont divisés intérieurement. Une « secousse sismique » peut se produire par là. A présent, ce n’est pas le vent d’ouest qui l’emporte sur le vent d’est, mais c’est le vent d’est qui l’emporte sur le vent d’ouest.

    Le 6 novembre 1957, dans son intervention au Soviet suprême de !’U.R.S.S., à l’occasion de la célébration du 40e anniversaire de la Révolution d’Octobre, le camarade Mao Tsé-toung déclare :

    Les impérialistes cherchent le salut dans les répressions à l’égard des peuples de leurs pays, des peuples des colonies et des semi-colonies ; ils fondent par surcroît leurs espoirs sur la guerre.

    Mais que peuvent-ils en attendre ?

    Au cours du dernier demi-siècle, nous avons connu deux guerres mondiales. Après la première, la Grande Révolution socialiste d’Octobre a éclaté en Russie.

    Après la deuxième, des révolutions nombreuses ont éclaté en Europe orientale et en Orient.

    Si ces messieurs les impérialistes se décident à déchaîner une troisième guerre mondiale, ils n’obtiendront rien d’autre que l’accélération de la débâcle complète du système capitaliste dans le monde entier.

    Le 27 février 1957, le camarade Mao Tsé-toung prononça son discours De la juste solution des contradictions au sein du peuple à la onzième session (élargie) de la Conférence suprême d’Etat.

    Dans la section 10 de son discours, sous le titre « Une chose mauvaise peut-elle se transformer en une bonne ?  » il dit :

    Actuellement, dans tous les pays du monde, on discute de l’éventualité d’une troisième guerre mondiale.

    Nous devons être préparés psychologiquement à cette éventualité et l’envisager d’une manière analytique.

    Nous sommes résolument pour la paix et contre la guerre.

    Mais si les impérialistes s’entêtent à déclencher une nouvelle guerre, nous ne devons pas en avoir peur.

    Notre attitude devant cette question est la même que devant tous les désordres : primo, nous sommes contre, et secundo, nous n’en avons pas peur.

    La Première guerre mondiale a été suivie par la naissance de l’Union soviétique avec une population de 200 millions d’habitants.

    La Seconde guerre mondiale a été suivie de la formation du camp socialiste qui englobe une population de 900 millions d’âmes.

    Il est certain que si les impérialistes s’obstinent à déclencher une troisième guerre mondiale, des centaines de millions d’hommes passeront du côté du socialisme et seul un territoire peu étendu demeurera aux mains des impérialistes ; il est même possible que le système impérialiste s’effondre complètement.

    Dans des conditions déterminées, chacun des deux aspects opposés d’une contradiction se transforme immanquablement en son contraire par suite de la lutte entre eux.

    Ici, les conditions sont importantes.

    Sans des conditions déterminées, aucun des deux aspects en lutte ne peut se transformer en son contraire.

    De toutes les classes dans le monde, c’est le prolétariat qui désire le plus changer de situation, et ensuite, c’est le semi-prolétariat ; car le premier ne possède absolument rien et le second ne possède que peu de choses.

    La situation qui existe aujourd’hui, où les Etats-Unis détiennent la majorité à l’O.N.U. et contrôlent de nombreuses régions du monde, est seulement temporaire. Un jour viendra nécessairement où elle changera.

    La situation de la Chine en tant que pays pauvre, auquel les droits sont déniés sur l’arène internationale, changera également : le pays pauvre deviendra un pays riche, l’absence de droits deviendra la plénitude des droits, c’est-à-dire qu’il se produira une conversion des choses en leur contraire.

    Ici, les conditions qui jouent un rôle décisif sont le régime socialiste et les efforts conjugués d’un peuple uni.

    Le 28 juin 1950, lorsque l’impérialisme américain entreprit ouvertement une guerre d’agression contre la Corée et envahit notre territoire de Taïwan, le camarade Mao Tsé-toung fit la déclaration suivante à la huitième réunion du Conseil du Gouvernement populaire central :

    Le peuple chinois a proclamé de longue date que les affaires des différents pays du monde devraient être dirigées par les peuples de ces pays, et que les affaires d’Asie devraient être dirigées par les peuples d’Asie et non pas par les Etats-Unis.

    L’agression des Etats-Unis en Asie ne fera que soulever une large et ferme résistance des peuples d’Asie. Le 5 janvier de cette année, Truman a déclaré que les Etats-Unis n’interviendraient pas à Taïwan.

    Maintenant, il a prouvé que sa propre déclaration était mensongère, et il a mis en pièces tous les accords internationaux concernant la non-ingérence des Etats-Unis dans les affaires intérieures de la Chine.

    Les Etats-Unis ont ainsi mis à nu leur visage d’impérialistes, ce qui est très profitable au peuple chinois et aux peuples d’Asie.

    Il n’y a aucune raison pour que les Etats-Unis interviennent dans les affaires intérieures de la Corée, des Philippines, du Viêt-Nam et d’autres pays.

    La sympathie de tout le peuple de Chine et des larges masses des peuples du monde entier ira aux victimes de l’agression, et sûrement pas à l’impérialisme américain.

    Le peuple ne se laissera ni acheter ni intimider par l’impérialisme.

    L’impérialisme est fort en apparence mais faible intérieurement, parce qu’il n’est pas soutenu par le peuple.

    Peuples de Chine et du monde, unissez-vous et préparez-vous à fond pour faire échouer toute provocation de l’impérialisme américain !

    Le 14 février 1955, à une réception donnée par l’Ambassade soviétique en Chine pour célébrer le Ve anniversaire de la signature du Traité sino-soviétique d’Amitié, d’Alliance et d’Assistance mutuelle, le camarade Mao Tsé-toung déclara :

    Avec la coopération entre nos deux grands pays, l’Union soviétique et la Chine, je suis convaincu que les plans d’agression de l’impérialisme seront réduits à néant.

    Nous pouvons tous nous rendre compte qu’avec la grande coopération entre la Chine et l’Union soviétique, il n’y a aucun des plans d’agression de l’impérialisme qui ne puisse être déjoué. Ils seront certainement tous complètement anéantis.

    Que les impérialistes déclenchent une guerre d’agression, nous et les peuples du monde entier, nous les balaierons certainement de la surface du globe !

    Le 8 septembre 1958, prenant la parole à la Conférence suprême d’Etat, le camarade Mao Tsé-toung dit :

    La situation actuelle est favorable aux peuples du monde entier en lutte pour la paix.

    La tendance générale est marquée par le fait que le vent d’est l’emporte sur le vent d’ouest.

    L’impérialisme américain occupe notre territoire de Taïwan depuis neuf ans, et tout récemment encore, il a envoyé ses forces armées occuper le Liban.

    Les Etats-Unis ont établi des centaines de bases militaires réparties dans de nombreux pays, à travers le monde entier.

    Cependant, le territoire chinois de Taïwan, le Liban ainsi que toutes les bases militaires américaines à l’étranger sont autant de cordes de potence passées au cou de l’impérialisme américain.

    Ce sont les Américains eux-mêmes, et personne d’autre, qui fabriquent ces cordes et se les mettent au cou, donnant l’autre bout de la corde au peuple chinois, aux peuples arabes et à tous les peuples du monde épris de paix et en lutte contre l’agression.

    Plus les agresseurs américains s’attarderont en ces lieux, plus se resserreront les cordes qui leur étreignent la gorge.

    L’impérialisme américain crée la tension partout dans le monde, en vue d’imposer aux peuples son agression et son joug asservissant.

    Les impérialistes américains se figurent que la situation de tension leur est toujours avantageuse, mais en réalité, cette situation qu’ils ont créée est allée à rencontre de leur désir : elle a eu pour effet de mobiliser les peuples du monde entier contre les agresseurs américains.

    Si les groupes de capitalistes monopoleurs américains persistent dans leur politique d’agression et de guerre, le jour viendra inévitablement où ils seront pendus par tous les peuples du monde. Le même sort attend les complices des Etats-Unis.

    Le 29 septembre 1958, le camarade Mao Tsé-toung rentra à Pékin après une tournée d’inspection dans plusieurs provinces de la vallée du Yangtsé.

    Dans une interview accordée à un correspondant de l’Agence Hsinhua, il déclare :

    Les impérialistes n’en ont plus pour longtemps, car ils commettent tous les méfaits possibles.

    Ils se font une spécialité de soutenir les réactionnaires hostiles au peuple dans les différents pays.

    Ils occupent beaucoup de colonies, semi-colonies et bases militaires. Ils menacent la paix d’une guerre atomique.

    Ce qui fait que plus de 90 pour cent de la population du monde se dressent ou vont se dresser en masse contre eux.

    Les impérialistes sont encore vivants ; ils continuent à faire régner l’arbitraire en Asie, en Afrique et en Amérique latine.

    En Occident, ils oppriment encore les masses populaires de leurs pays respectifs.

    Cette situation doit changer.

    Il appartient aux peuples du monde entier de mettre fin à l’agression et à l’oppression de l’impérialisme, et principalement de l’impérialisme américain.


    [1] Chef du groupe pro-japonais au sein du Kuomintang et traître à la nation. Il passa ouvertement aux envahisseurs japonais en décembre 1938, alors qu’il était vice-président du Kuomintang et président du Conseil politique national.

    En mars 1940, il devint président du gouvernement central fantoche à Nankin. Il mourut au Japon en novembre 1944.

    [2] Renégat de la révolution chinoise. Dans sa jeunesse, spéculant sur la révolution, il adhéra au Parti communiste chinois.

    Il commit dans le Parti un nombre considérable d’erreurs qui dégénérèrent en véritables crimes. Le plus connu fut celui de 1935, lorsque, s’opposant à la marche de l’Armée rouge vers le nord, il préconisa par esprit défaitiste et liquidationniste la retraite de l’Armée rouge vers les régions peuplées de minorités nationales, situées à la limite du Setchouan et du Sikang (province supprimée en 1955 et incorporée dans le Setchouan et la Région autonome du Tibet) ; en outre, il se livra ouvertement à une activité de trahison contre le Parti et son Comité central, forma un pseudo-Comité central et sapa l’unité du Parti et de l’Armée rouge, faisant subir de lourdes pertes au IVe Front.

    Cependant, grâce au patient travail d’éducation accompli par le camarade Mao Tsé-toung et le Comité central du Parti, l’Armée rouge du IVe Front et ses nombreux cadres revinrent rapidement se mettre sous la juste direction du Comité central et jouèrent un rôle honorable dans les luttes ultérieures. Quant à Tchang Kouo-tao, il resta incorrigible : au printemps de 1938, il s’enfuit seul de la région frontière du Chensi-Kansou-Ninghsia et devint un agent des services secrets du Kuomintang.

    [3] Chef de la clique des seigneurs de guerre du Peiyang dans les dernières années du règne de la dynastie des Tsing. Après que celle-ci eut été renversée en 1911, il s’appuya sur les forces armées de la contre-révolution, tabla sur le soutien de l’impérialisme et utilisa la tendance au compromis de la bourgeoisie – qui dirigeait alors la révolution – pour s’emparer de la présidence de la République et constituer le premier gouvernement des seigneurs de guerre du Peiyang, gouvernement représentant les intérêts des grands propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie compradore.

    Comme il aspirait à devenir empereur, il accéda en 1915, afin de s’assurer le soutien de l’impérialisme japonais, aux vingt et une demandes par lesquelles le Japon visait à exercer un contrôle exclusif sur la Chine. En décembre 1915 éclata dans le Yunnan un soulèvement dirigé contre Yuan Che-kai qui s’était fait proclamer empereur. Ce soulèvement trouva de nombreux échos dans tout le pays. Yuan Che-kai mourut à Pékin en juin 1916.

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    contre l’hégémonie des superpuissances

  • Être à la hauteur de notre époque

    La crise du Covid-19 ouvre une nouvelle époque, parce qu’elle porte en elle tout un faisceau de contradictions historiques. L’humanité ne peut plus vivre comme avant, elle fait face à un défi qui est celui de trouver sa place dans la Biosphère. Elle ne peut plus simplement continuer à porter le mode de production capitaliste, qui mène très clairement à la destruction dans tous les domaines. Il faut une rupture.

    On peut se douter que celle-ci n’est pas évidente. Elle implique une grande détermination face à la corruption capitaliste, une capacité à se tourner vers l’avenir, un sens de l’implication pour faire tourner les choses dans le bon sens. Sans un niveau idéologique suffisant, sans une lecture culturelle adéquate, on ne parvient pas à décrocher, à porter cette rupture, on est rattrapé par la vieille époque et ses valeurs.

    Avec la crise du Covid-19, il s’est d’ailleurs déroulé un double phénomène. Il y a eu en effet d’un côté un effet de surprise, de peur, d’angoisse, face à un événement semblant incompréhensible eu égard à la prétention capitaliste de proposer un monde stable. Ce qui se déroule semble alors incompréhensible, calamiteux, une catastrophe et il y a une fuite en avant dans des raisonnements social-darwinistes, comme quoi les faibles doivent périr.

    Cependant, de l’autre côté, il y a eu et il y a un sentiment de compréhension que toute une période s’était terminée. Avec le confinement, la fermeture des frontières, l’arrêt partiel des activités, la cessation du triomphalisme capitaliste… tout cela a dialectiquement également été une bouffée d’air frais. Cela a été enfin la preuve que le capitalisme ne pouvait pas se perpétuer sans connaître de blocages, qu’il n’est pas en mesure d’engloutir la vie privée et toute la société, et même la planète, sans que rien ne l’arrête. Le capitalisme apparaît comme dépassé.

    Ce qui se pose comme alternative, c’est le socialisme ou la barbarie. Soit il y a une prise de conscience, un dépassement des vieilles valeurs et l’affirmation du communisme – que ce soit au niveau de la société ou dans le rapport à la nature. Soit il y a un repli national, identitaire, une fuite dans l’esprit de concurrence, la compétition, avec une acceptation du désastre et la tentative d’en profiter pour dominer les autres.

    Soit la démocratie populaire, avec les masses laborieuses décidant des orientations de la société sur une base de partage, de coopération, de compassion, de refus des hiérarchies, d’unification des forces sociales et productives, soit le militarisme et la quête d’un sauveur national, menant au fascisme et la guerre impérialiste.

    Soit la bourgeoisie est mise de côté politiquement, son État démantelé, son appareil d’État liquidé, avec le pouvoir populaire autour de la classe ouvrière, soit la haute bourgeoisie prend les commandes de l’État et pousse le capitalisme à participer à la bataille impérialiste pour le repartage du monde, en mobilisant de manière nationaliste et militariste.

    Cette alternative ne se pose pas formellement. Il faudra du temps avant qu’elle se pose à tous les niveaux de la société. Du côté de la démocratie populaire, on ne sort pas du capitalisme facilement, que cela soit sur le plan des mentalités ou de l’établissement de nouvelles formes productives. Il y a beaucoup d’obstacles, comme l’aristocratie ouvrière, couche sociale achetée par les capitalistes, ou encore les influences néfastes d’une petite-bourgeoisie cherchant à abuser des masses pour négocier avec la bourgeoisie.

    Du côté de la Réaction, il est difficile de faire passer le pays du libéralisme politique, du relativisme idéologique, de l’individualisme généralisé… aux mêmes valeurs, mais imbriquées dans un projet « collectif » agressif exigeant une participation à « l’effort national ». Le capitalisme dans sa forme libérale et le capitalisme dans sa forme fasciste sont à la fois la même chose et pas la même chose ; le passage de l’un à l’autre ne va pas sans heurt.

    Il va de soi que ce qui est déterminant ici, ce sera la crise générale du capitalisme et plus précisément les formes qu’elle va prendre. On peut ainsi déjà voir que la dimension économique de la crise est terriblement profonde, qu’elle désarçonne de par son expression, qu’elle frappe pratiquement par surprise tel ou tel secteur. Le chômage, la précarité, la brutalité dans la vie quotidienne, l’angoisse pour le maintien de son existence sociale… tout cela peut être le terreau du fascisme, alors que la bourgeoisie cherche forcément une sortie par la rationalisation capitaliste et la guerre impérialiste.

    Inversement, le caractère prolongé de la situation contribue à la réflexion, à la prise de conscience. Et on peut même voir, de manière relative, que les gens qui avaient tourné le dos aux valeurs du mode de vie dominant, qui ne faisaient pas confiance aux prétentions capitalistes, qui cherchaient un mode de vie alternatif… se sont subitement retrouvés comme ayant une certaine valeur, au lieu d’apparaître comme de simples marginaux comme auparavant.

    Évidemment, il s’agit le plus souvent de démarches élémentaires, de repli, alors qu’il ne s’agit pas seulement de s’apercevoir que le rythme imposé par le capitalisme est insupportable. Si l’on s’arrête à cela, on ne voit pas que le capitalisme a fait son temps et qu’il ne s’agit pas de ralentir l’histoire, l’activité humaine en général, mais bien au contraire de l’accélérer. Il ne s’agit pas de faire triompher une démarche hippie pour « calmer », « encadrer » ou faire « reculer » le capitalisme, mais bien d’avoir une humanité active, protagoniste de choix nouveaux, permettant un nouveau développement. Il faut être à la hauteur de son époque.

    Néanmoins, on peut ainsi déjà lire des comportements, des attitudes, des positionnements qui passent dans l’universel, la dimension planétaire, en opposition avec les valeurs cyniques, individualistes, nihilistes du capitalisme. Le dénominateur commun de tout c’est qu’il est considéré qu’on « ne peut plus faire comme avant ». Le refus du nucléaire ou de la chasse, l’exigence d’un haut niveau dans la santé, la détestation du gaspillage ou des divisions religieuses, l’affirmation du partage des biens culturels, que ce soit pour la musique, les films ou les images en général… De tels phénomènes rentrent, qu’ils en aient conscience ou pas, de manière tendancielle en conflit avec les exigences du 24 heures sur 24 du capitalisme.

    Cela ne veut pas dire que les gens aient saisi toute l’ampleur du désastre, ni que la démarche ne soit pas récupérable en soi avec une modernisation du capitalisme. Ce qu’il y a ici, c’est une profonde contradiction entre d’un côté la bataille pour l’existence, avec la nécessité de travailler afin de pouvoir disposer d’un salaire pour vivre, de s’intégrer socialement, avec également l’aliénation faisant qu’on apprécie ce que propose le capitalisme… et de l’autre, de manière pas nécessairement comprise, un besoin culturel, matériel, psychologique de souffler, de temporiser, d’arrêter de sans cesse courir en suivant les desiderata du capitalisme, de s’épanouir en faisant les choses différemment, de manière meilleure. Dans quelle mesure cette contradiction sera positive, sous quelle forme, telle est la véritable question de fond.

    En tout cas, il est possible de dire que les gens qui ont saisi avec satisfaction cette cassure, ce moment de pause dans la machinerie capitaliste, représentent la pointe de la conscience émergente qu’il faut en terminer avec tout cela, qu’il faut tout changer, que rien ne va plus. On est bien entendu encore loin de passer à l’affirmation qu’il faut détruire ce qui nous détruit, néanmoins un processus s’est enclenché.

    Concrètement, on peut dire qu’il en est désormais terminé du grand élan capitaliste fondé sur l’effondrement du social-impérialisme soviétique et l’intégration de la Chine social-fasciste dans la division internationale du travail. Ce qui se brise, c’est le consensus capitaliste qui s’est maintenu entre 1989 et 2020, fondé sur une élévation relative du niveau de vie à l’échelle mondiale, l’absence de guerres majeures à travers le monde, une modernisation technologique et un meilleur accès à la santé.

    Cette période entre 1989 et 2020 a été une traversée du désert au point de vue de la proposition stratégique communiste, cela a été extrêmement difficile à vivre pour les avant-gardes révolutionnaires de par le monde. La thèse selon laquelle le capitalisme va à la guerre semblait périmée ; le capitalisme élargissait la consommation de masses et semblait rendre caduque l’affirmation que l’exploitation conduisait à l’appauvrissement. Le mode de vie des masses changeait, que ce soit avec les ordinateurs, internet, les téléphones portables, le renforcement du cinéma et de la télévision dans la vie quotidienne. Une vaste petite-bourgeoisie se renforçait dans les pays impérialistes, développant des activités culturelles semblant épanouissantes ou du moins divertissantes.

    Le terrain conquis avec tant de difficultés dans les années 1960-1970, lieu des engagements dans les années 1980, s’est littéralement évaporé en 1989. L’effondrement du social-impérialisme soviétique a permis aux pays impérialistes occidentaux de s’approprier de nouveaux marchés, et par l’intégration de la Chine social-fasciste, la production et la consommation capitalistes ont connu un grand élargissement.

    Dans un tel contexte, la reconstitution des avant-gardes a été un combat difficile, exigeant de la patience et de la ténacité. En France, le PCF(MLM) se fonde sur un processus né dans les années 1990, avec l’affirmation du maoïsme au tout début des années 2000, pour une grande opération de reconstruction idéologique des principes fondamentaux. En Belgique, pays connaissant pareillement une grande tradition révolutionnaire, le processus d’agrégation des forces assumant la rupture avec le capitalisme a abouti en 2010 à la formation du Centre MLM.

    Mais il ne s’agit pas que d’une récupération du patrimoine communiste. Il s’agit également d’un approfondissement, pour être à la hauteur des enjeux de l’époque. La question animale, notamment, se pose avec toute son acuité. On trouve à l’arrière-plan la contradiction entre villes et campagnes, avec la place de l’humanité dans la biosphère comme toile de fond d’une bataille pour l’orientation future qui doit être prise.

    Nous ne comprenons pas les gens qui disent qu’ils veulent la révolution, mais qui n’ont aucun point de vue concret, pratique, sur toutes les questions brûlantes de notre époque et dont le discours pourrait se situer en 1980, en 1960, en 1930, voire même en 1900. S’imaginer qu’on peut mener une politique révolutionnaire en étant totalement dépassé culturellement est simplement une aberration strictement équivalente aux fascinations petites-bourgeoises pour tout ce qui apparaît comme nouveau phénomène culturel ou social.

    Il faut être ancré dans son époque, dans sa société. La révolution n’est pas un processus cosmopolite. Ce qu’on appelle guerre populaire n’est pas un concept technique, mais une réalité populaire, avec le peuple composé de gens concrets, existant avec leur sensibilité dans une réalité matérielle bien définie. Il faut à la fois être en phase avec le peuple et avant-garde tourné vers le dépassement de la réalité, là est la contradiction productive définissant les communistes.

    C’est d’autant plus vrai à une époque de crise et qui dit crise dit révolution. Ce qui se termine, c’est une époque où les révolutionnaires étaient marginalisés ou corrompus en raison de l’élan capitaliste. Cette époque était celle d’une neutralisation relative des antagonismes. On peut même dire que, depuis les années 1950, les pays capitalistes ont d’ailleurs connu une telle neutralisation, la vague révolutionnaire s’exprimant principalement en Afrique, en Amérique latine, en Asie. Les gens des pays capitalistes ont été écrasés par le capitalisme et ses valeurs, ils ont été intégrés dans sa démarche, adoptant le mode de vie qu’il a exigé. On en arrive désormais au point de rupture.

    Une vie authentique n’est possible que dans le combat pour la libération et auparavant, c’est de manière isolée socialement qu’émergeait une telle démarche, que ce soit dans les « gauchistes » français autour de mai 1968, dans des initiatives ouvrières violentes italiennes des années 1970, dans les squats de Berlin des années 1980. Il y avait une coupure complète entre des avant-gardes prisonnières de leur style alternatif et des larges masses entièrement coupées de leur démarche et même inaccessible de par leur dédain pour ce qui n’était pas le mode de vie capitaliste traditionnel. La situation a changé avec l’ouverture de la crise ; le décrochage antagonique avec le 24 heures sur 24 du capitalisme reprend son sens !

    Le projet de recomposer le tissu prolétarien par le mouvement démocratique des masses déchirant violemment l’hégémonie capitaliste à tous les niveaux peut reprendre son cours naturel. Le besoin de communisme peut s’exprimer de nouveau, secteurs par secteurs dans les masses populaires, en se posant comme hypothèse stratégique s’adressant de manière la plus large possible.

    C’est un processus dont ne nous sommes qu’au début. Mais notre fierté est de l’avoir préparé, d’être en première ligne dans ce début. Et nous avons confiance dans la victoire de ce processus de dépassement de la crise générale du capitalisme, par la victoire des masses populaires pays par pays dans un processus prolongé et l’instauration, comme réalisation finale de la république socialiste mondiale.

    Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste de Belgique

    Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)

    Septembre 2020

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  • La Turquie, maillon faible de la chaîne des pays dépendants

    Si l’on prend les 500 entreprises mondiales les plus importantes, on trouve pour la Turquie, à la 420e place la Koç Holding, qui regroupe 113 entreprises dont des institutions de crédit, une raffinerie de pétrole, des usines de tracteurs, des usines de carrosseries d’autobus, des entreprises touristiques, la production d’électro-ménager notamment avec Beko, etc. On trouve également, de manière importante bien que moins puissante, la Sabancı Holding (avec notamment l’un des leaders du textile Kordsa Teknik Tekstil), la OYAK Holding, ainsi que trois monopoles étatiques : Turkish Airlines, la Halkbank et la Vakıfbank.

    Dans tous les cas, on est très loin d’une exportation de capital de type impérialiste, dans un pays où le quart des femmes se marient avant 18 ans. D’ailleurs, pour une partie significative de leurs activités, toutes ces principales entreprises turques sont en étroit partenariat avec des entreprises de pays impérialistes (Toyota, Citibank, Philip Morris, Carrefour, DuPont, etc.).

    La Turquie est en fait un pays dépendant très actif. Cela se lit dans les chiffres suivants. Ses investissements directs à l’étranger étaient de 27 millions de dollars en 1991, d’un milliard de dollars en 2005, de 4,7 milliards de dollars en 2015. En apparence, c’est très impressionnant. Cependant, en réalité, en 2015, cela ne formait pour autant que 0,32 % des investissements directs à l’étranger dans le monde, contre 0,01 % en 1991. Cela reste profondément marginal. La Turquie a profité de l’élan capitaliste après 1989, mais n’a pas changé de base. D’ailleurs, en 2015, la Turquie a connu une pénétration du capital étranger de 16,5 milliards de dollars, soit bien plus que ses propres interventions capitalistes hors de son territoire.

    L’agressivité expansionniste du militarisme turc

    Pourtant, malgré cette faiblesse très claire du point de vue économique, la Turquie est particulièrement agressive. Elle est active avec l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, elle a occupé une partie de Chypre en 1974, elle fait du Kurdistan irakien un satellite, elle intervient en Libye, elle a soutenu activement l’État islamique afin de profiter de pénétrer militairement en Syrie et elle a décidé, au nom de forages pétroliers en mer, d’assumer une position frontale avec la France et la Grèce.

    Signe de cette tendance, la Turquie produit 70 % de son armement et le but, à l’horizon 2023, c’est de parvenir à ce que ce soit à hauteur de 100 %. On voit mal comment c’est possible technologiquement, comme le prouve l’achat à la Russie, au grand dam de l’impérialisme américain, du système de défense anti-aérienne et anti-missile S 400, extrêmement avancé.

    La question de savoir d’où provient une telle agressivité est d’une grande importance. Il existe de très nombreuses organisations révolutionnaires en Turquie depuis les années 1970 et elles s’écharpent précisément sur cette question. Certaines voient la Turquie exprimer une agressivité propre au capitalisme, d’autres y voient l’activité d’un satellite américain, d’une néo-colonie. Certaines parlent de semi-capitalisme, d’autres de capitalisme avec des restes féodaux dans la superstructure ou encore de capitalisme bureaucratique.

    La matrice de la Turquie : la crise générale du capitalisme

    Ce n’est nullement un hasard que la Turquie devienne particulièrement agressive dans le cadre de la seconde crise générale du capitalisme. Ce pays est né de la première crise générale du capitalisme. C’en est même une composante.

    Depuis la fondation de la République de Turquie par Mustafa Kemal en 1923, ce pays connaît d’innombrables soubresauts politiques, économiques, militaires, idéologiques, au point qu’en fait il aura été en crise permanente pendant pas moins d’un siècle. La moitié de son existence, au moins une partie du territoire aura été sous le régime de l’état d’urgence !

    Il faut saisir que le pays est né sur les ruines de l’empire ottoman, ce qui a généré l’expulsion de plus d’un million de Grecs de son territoire, à quoi il faut ajouter à l’arrière-plan le génocide arménien de 1915 à 1923. La Turquie a réussi à sa fondation à expulser de son territoire les armées étrangères visant à une occupation permanente, mais est passée sous emprise allemande, puis sous emprise britannique, enfin sous emprise américaine. Il y a eu une instabilité permanente, avec des coups d’État militaires en 1960, 1971 et en 1980. Il y a de plus une importante minorité nationale kurde, qui a été inlassablement réprimée militairement pendant un siècle, alors que le pays a également d’importantes autres minorités, tels les Lazes, les Tcherkesses, les Arabes, les Zazas, de nombreux peuples caucasiens, etc.

    Le régime turc, traversé par la violence

    La Turquie est ainsi un pays d’une immense culture, mais également d’une immense complexité. Il existe de très nombreuses minorités, le pays a été formé par en haut ; il est à la fois un mélange de peuples et de nations et en même temps il forme une véritable bloc unifié. L’État central est quant à lui, depuis sa naissance, ultra-paranoïaque. Lors de l’effondrement de l’empire ottoman, les pays impérialistes voulaient en effet dépecer la partie turque de celui-ci et ont envoyé des troupes d’occupation. Une partie devait passer sous domination britannique, une autre sous domination française, des zones grecque et arménienne être mises en place et Istanbul former un petit État.

    Ce scénario de cauchemar du point de vue turc est une clef de ce dispositif ultra-militariste turc, profitant d’un énorme écho populaire au nom de la « défense » des intérêts nationaux, mais en réalité au service de grands propriétaires terriens alliés à une haute bourgeoisie liée aux pays impérialistes et servant d’intermédiaires. Dans un tel cadre, l’armée joue un rôle omniprésent et les interventions clandestines de sa part – par des « disparitions », des meurtres, la contre-guérilla – ont été innombrables.

    Cela fait de ce pays l’un des principaux maillons faibles de la chaîne des pays dépendants. Le pays est né sur le tas, dans le cadre de la première crise générale du capitalisme. Il a été relativement « gelé » avec l’affrontement des superpuissances américaine et soviétique. Mais une fois le cadre général remis en cause par la seconde crise générale du capitalisme, il repart en roue libre.

    Le kémalisme

    Le kémalisme naît comme réponse bourgeoise nationale à la tentative de partage impérialiste du pays. C’est ce qui explique son nationalisme ultra, son insistance sur la primauté absolue de l’État central et sur les nécessités de moderniser le pays. Les premiers succès militaires de Mustafa Kemal et le développement de la première crise générale du capitalisme aboutirent à un compromis et le kémalisme instaura un régime avec la reconnaissance des impérialistes, en échange d’une importante pénétration de ceux-ci dans le pays.

    La Turquie est alors un pays comme bloqué. La bourgeoisie a commencé sa guerre d’indépendance mais s’est vendue dès le départ, en alliance avec les grands propriétaires terriens afin d’asseoir le nouveau régime. La bourgeoisie nationale authentique, arrivée trop tard historiquement (et en partie non-turque et notamment arménienne), s’est effacée devant une bourgeoisie « turquifiée » vendue à l’impérialisme .

    Tout au long des années 1920, la Turquie connaît alors un terrible déficit commercial, alors que le capital des pays impérialistes s’approprie des entreprises ferroviaires, des mines, des industries, des commerces, des banques. En 1924, l’Allemagne possédait déjà 2352 des 4086 km de voies ferrées ; en 1937, 42 % des exportations et 36,5 % des importations sont avec l’Allemagne. La Turquie soutiendra d’ailleurs indirectement l’Allemagne nazie, maintenant ses échanges économiques massifs jusqu’à la toute fin de la guerre.

    Cela se situait dans le prolongement d’une pression toujours plus grande sur les masses. De très nombreuses grèves avaient été réprimées dans le sang par le régime, alors qu’en janvier 1921 avait déjà été liquidée physiquement la direction du Parti Communiste de Turquie.

    À partir de 1931 la police avait toute latitude pour les arrestations ; en 1934 le parlement donne à Mustafa Kemal le nom d’Atatürk, « le père des Turcs ». En 1936 furent supprimés les jours fériés et l’interdiction du travail des enfants, avec même une loi sur le travail repris de l’Italie fasciste ; en 1931 la presse fut contrôlée et en 1939 toute organisation chapeautée par l’État ; en 1943 les produits agraires furent taxés de 12 %, frappant durement les petits paysans, etc.

    Le changement de tutelle après 1945

    Le CHP, Parti républicain du peuple, qui avait été pro-Allemagne nazie, perdit la main après la seconde guerre mondiale au profit du DP, le parti démocratique, qui était pro-américain. La Turquie « bénéficia » du plan Marshall et d’un soutien militaire massif, les entreprises des pays capitalistes investirent en Turquie de manière approfondie, ce pays basculant dans l’OTAN en 1952 et en 1955 dans ce qui sera appelé le CENTO, faisant de ce pays une forteresse pro-impérialiste aux frontières avec l’URSS. C’est alors l’armée qui est passée aux commandes, commençant à mettre en place un complexe militaro-industriel.

    C’est ainsi elle qui renverse le gouvernement du DP en 1960, qui avait été incapable de stabiliser le régime malgré sa démagogie pro-religieuse et nationaliste, aboutissant notamment à l’émeute d’Istanbul de 1955 contre la dernière communauté grecque, avec de nombreux morts et des dégâts très importants contre des bâtiments liés aux Grecs (4348 magasins, un millier de maisons, 110 hôtels, 27 pharmacies, 23 écoles, 21 usines, 73 églises, 2 monastères, une synagogue…). Cela provoqua l’exode de plus de 100 000 Grecs.

    Le DP devenu AP (Parti de la justice) reprit le pouvoir quelques années après, accompagnant la transformation de la Turquie en une base productive pour les pays impérialistes, le déficit commercial de 1960 à 1972 étant d’entre 113 et 677 millions de dollars selon les années. La Turquie dépend alors très largement des États-Unis et de l’Allemagne de l’Ouest, puis de la France, du Japon, de la Grande-Bretagne, de la Suisse, de l’Italie, des Pays-Bas, de la Belgique.

    Le social-impérialisme soviétique fut également toujours plus présent, fournissant entre 1966 et 1979 2,7 milliards de dollars de crédit, soit plus que les États-Unis entre 1930 et 1974. L’instabilité continua cependant au point que l’armée intervint de nouveau, pour un second coup d’État, en 1971.

    Les années 1970 et la systématisation de l’ultra-violence

    En 1970, le régime turc était à l’agonie. Le quart du budget du pays passait à l’armée, contre seulement 4,7 % pour le développement de l’agriculture où vivait 65 % des habitants en 1970, et 3,8 % pour la santé. En 1970, plus du tiers des habitants des villes habitaient dans des bidonvilles (les « gecekondus », bâtiment construits en une nuit) ; plus de la moitié de la population est analphabète. 55 % des enfants meurent avant d’atteindre 18 ans. L’émigration devint massive vers l’Allemagne de l’Ouest, mais aussi l’Autriche, la Suisse.

    Dans ce contexte misérable, marqué par des révoltes alors que l’impérialisme s’installa toujours plus largement, que les grands propriétaires terriens écrasaient les paysans, l’armée bascula alors dans l’écrasement. Le coup d’État de 1971 ouvrit une séquence qui allait s’étendre jusqu’à la fin des années 1990, avec une systématisation de l’ultra-violence. Face à la crise ininterrompue, l’armée prit les commandes en tant que tel et généralisa les arrestations, les meurtres, la torture, les interventions violentes, légales comme clandestines, directes ou par l’intermédiaire de réseaux nationalistes mafieux. Ceux-ci agirent notamment de manière marquante avec leur massacre, en décembre 1978, dans la ville de Kahramanmaraş, d’un millier de militants de gauche, jusque leurs familles.

    Le premier mai 1977 avait déjà été marqué par des tirs contre la foule, faisant des dizaines et des dizaines de tués, alors que manifestaient 600 000 personnes. Les services secrets, le MIT, développaient directement des stratégies avec l’impérialisme US, pour contrer la multitude d’organisations révolutionnaires issues des trois premières initiatives du début des années 1970, la THKO, le THKP/C, le TKP/M-TIKKO, qui développaient la lutte armée. Les affrontements se généralisaient, avec une dizaine de morts par jour, plus de 5 000 au total, dont plus de 2000 militants des organisations révolutionnaires.

    Alors que l’économie était à deux doigts de l’effondrement, l’armée prit alors l’initiative de mener un nouveau coup d’État, en décembre 1980, arrêtant 650 000 personnes, plaçant 1,6 million de personnes sur des listes noires, etc.

    Des années 1980 à l’affirmation expansionniste ouverte

    L’armée géra directement le pays de 1980 à 1983 et les organisations révolutionnaires ne furent pas en mesure de se réorganiser avant 1987, atteignant ensuite un haut niveau de combativité durant les années 1990. Les organisations révolutionnaires qui eurent alors le plus de succès furent le DHKP/C (guévariste), le MLKP (hoxhaiste), ainsi que relativement le TKP(ML) et le TKP/ML (tous deux maoïstes). Elles se sont toutefois enlisées, alors qu’inversement le PKK connaissait un succès toujours plus grand dans les masses kurdes, atteignant une grande ampleur et réussissant clairement à soumettre les organisations révolutionnaires par rapport à son propre agenda, sauf le DHKP/C.

    L’échec des organisations révolutionnaires à faire basculer les choses dans les années 1990 a comme pendant le succès de Recep Tayyip Erdoğan. Celui-ci a été élu maire d’Istanbul en 1994, premier ministre de 2003 à 2014, année où il est devenu président de la République. Sa domination politique correspond à tout un changement dans la réalité turque. Islamiste, Recep Tayyip Erdoğan prônait une réactivation de l’idéologie islamique-ottomane, et non plus simplement un républicanisme « turc ». Il était en phase avec une haute bourgeoisie cherchant l’expansion.

    L’erreur des organisations révolutionnaires de Turquie a ainsi été très simple. Toutes ont considéré que la Turquie était entièrement soumise à l’impérialisme américain par l’intermédiaire de l’armée. Or, l’arrivée de Recep Tayyip Erdoğan au pouvoir correspond à l’arrivée d’une nouvelle faction au pouvoir. On en a la preuve avec le procès de centaines de personnes à la fin des années 2000, accusées de faire partie du réseau Ergenekon composé de militaires et de membres des services secrets. C’était là la décapitation de l’appareil d’État kémaliste. La réponse américaine fut notamment la tentative de coup d’État en 2016 par l’intermédiaire de la congrégation islamique Gülen, qui a échoué.

    Mais le nouveau régime a réussi à se mettre en place. Il dépasse le nationalisme kémaliste né de la première crise générale du capitalisme pour y ajouter et placer comme aspect principal les visées néo-ottomanes.

    La question du PKK et la Rojava

    L’affirmation expansionniste de la Turquie ne pouvait concrètement pas être suivie par les Kurdes, ce qui explique que le PKK a été le seul mouvement capable de tenir face à la déferlante nationaliste-islamique, puisque les organisations révolutionnaires avaient fait l’erreur de croire qu’il y aurait un statu quo dans le suivisme des États-Unis.

    Le PKK, Parti des Travailleurs du Kurdistan, est historiquement un mouvement très incohérent ; né sur une base communiste, il a néanmoins immédiatement cherché l’affrontement militaire, à la fin des années 1970, avec les organisations révolutionnaires de Turquie, et il a souvent été adepte du coup de force contre elles, jusqu’à aujourd’hui. Le PKK ne tolère aucune concurrence.

    Inversement, il peut par moment exprimer un véritable internationalisme et une grande sympathie pour celles-ci, de par une convergence naturelle, notamment de sa base. De plus, le PKK exprime une bataille démocratique des masses kurdes et cela produit une abnégation par moments, un combat démocratique d’une grande profondeur. Il est également d’autant plus difficile d’appréhender le PKK de par le fait que les Kurdes sont historiquement divisés territorialement dans plusieurs pays (Turquie, Iran, Irak, Syrie).

    En tout cas, afin de subsister politiquement et surtout militairement lors de l’existence de branches armées, toutes les organisations révolutionnaires de Turquie, à l’exception du DHKP/C, se sont alors mises littéralement à la remorque du PKK. Cela est vrai dès juin 1998 avec la Plate-forme des forces révolutionnaires unies (BDGP), regroupant le PKK, le TKP(ML), le MLKP, le TKP/ML, le TDP, le DHP, le TKP-Kıvılcım. Et cela prendra une ampleur encore plus grande lorsque dans la guerre civile syrienne, les forces kurdes établissant une zone indépendante, la Rojava, amenant en Turquie et au Rojava la mise en place du Mouvement révolutionnaire uni des peuples (HBDH), avec le PKK, le TKEP/L, le TKP/ML, le MKP, TIKB, le DKP, le MLKP, le THKP-C/MLSPB, le DK.

    Est-ce là un choix adéquat contre la Turquie expansionniste ? En fait, à l’arrière-plan, il y a la question de savoir si la Turquie existe réellement et si la révolution se définit dans son cadre, ou bien si elle doit disparaître au profit d’un cadre régional de dimension proche-orientale. Il va de soi que le PKK pousse en ce dernier sens, de par son agenda national se définissant sur plusieurs pays, alors qu’inversement il y a une lecture considérant qu’un cadre national est toujours spécifique, à l’instar du DHKP/C et du TKP/ML (ce dernier s’étant retiré du HBDH précisément au sujet de cette question).

    La fuite en avant panturquiste de la Turquie

    Les organisations révolutionnaires furent ainsi dépassées par cette émergence d’une Turquie ouvertement agressive ; à leurs yeux, cela n’était pas concevable. Pourquoi les organisations révolutionnaires de Turquie ont-elles fait cette erreur ? En fait, elles n’ont pas vu que la Turquie partait en roue libre. En 1974, la Turquie avait déjà occupé une partie de Chypre, affirmant son expansionnisme qui ensuite, avec l’effondrement du social-impérialisme soviétique, s’est d’autant plus exprimé. Il existe en effet de très nombreux peuples dans le monde qui relèvent de l’histoire turque, avec son langage et sa culture : les Ouzbeks, les Ouïgours en Chine, les Azéris, les Kazaks, les Kirghizes, de nombreux peuples de Russie tels les Iakoutes ou les Tatars, les Turkmènes, etc.

    Beaucoup de ces peuples vivaient en URSS et l’impérialisme américain a massivement appuyé le panturquisme afin de contribuer à déstabiliser son concurrent. La Turquie actuelle prolonge en fait, en roue libre, cette démarche, qui est un fanatisme culturalo-racialiste. Ainsi, une partie importante des gens d’origine turque en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en France, en Suisse… refuse toute assimilation, se définissant comme « Turcs », ne se mariant qu’entre Turcs, etc. Le panturquisme vise à l’union des Turcs et ce jusqu’en Chine et en Sibérie.

    Il y avait là un espace pour que la haute bourgeoisie turque, disposant d’une armée massive issue de la guerre froide, ultra-agressive de par les fondements de la Turquie « moderne », se précipite dans une orientation expansionniste.

    Ces ambitions démesurées ont littéralement porté une nouvelle vague politique en Turquie, dont

    Recep Tayyip Erdoğan est l’expression directe. La dimension musulmane est toutefois également extrêmement importante ici, car le panturquisme, déjà largement présent dans le kémalisme, s’est couplé aux Frères musulmans, dont le Qatar et la Turquie sont les bastions.

    La fuite en avant ottomane de la Turquie et le Qatar

    Il n’y a pas d’Islam (sunnite) sans calife et c’est l’empire ottoman qui pendant plusieurs siècles a joué le rôle du califat. Son effondrement en 1918 a provoqué la naissance de l’islamisme comme mouvement visant à la reconstitution d’un califat. Lancé dans ses velléités expansionnistes, la Turquie a réactivé l’idéologie de l’empire ottoman, se proposant comme « protectrice » de l’Islam. Cela l’amène à avoir une influence très importante en Albanie et en Bosnie-Herzégovine.

    Cette ligne islamique néo-ottomane est évidemment en conflit avec les prétentions de l’Arabie saoudite à se proposer comme modèle et gardienne de la Mecque. Les « wahabites » saoudiens sont ainsi en conflit ouvert avec la Turquie qui se fonde sur l’idéologie des frères musulmans, dont le bastion est le Qatar. Le « printemps arabe », où la chaîne qatarie Al-Jazeerah a joué un grand rôle, a en fait été une série de révoltes pro-frères musulmans, notamment en Égypte.

    Le Qatar a très peu d’investissements en Turquie, mais très ciblée, épaulant celle-ci lorsque ses dettes sont trop importantes, faisant en 2008 l’acquisition pour plus d’un milliard de dollars du second groupe de médias (dirigé entre 2007 et 2013 par le gendre de Recep Tayyip Erdoğan), achetant pour 1,4 milliards de dollars le plus grand satellite de télévision turque, rentrant à 49 % dans une production de véhicules militaires avec même un représentant militaire qatarie membre de la direction.

    La Turquie et la double dynamique de sa fuite en avant

    La Turquie est dans un double système idéologique : d’un côté, en tant que « prolongement » de l’empire ottoman, il se prétend le cœur de l’Islam, ce qui justifie son hégémonie ; de l’autre, il y a un discours racialiste non religieux. Ce bricolage a comme base des velléités expansionnistes, mais en même temps il ne peut tenir que par les velléités expansionnistes.

    On peut dire que, depuis le départ, la Turquie est le maillon faible de la chaîne des pays dépendants, parce qu’elle est née dans un bricolage issu de la première crise générale du capitalisme, qu’elle s’est maintenue artificiellement dans le cadre de la guerre froide et qu’avec la seconde crise générale du capitalisme sa fuite en avant se transformer littéralement en détonateur.

    La bourgeoisie nationale qui a immédiatement joué le rôle de bourgeoisie bureaucratique à l’indépendance, en alliance avec les grands propriétaires terriens, a profité de son importance durant la guerre froide pour asseoir ses bases et prolonger sa fuite en avant au moyen d’une perspective néo-ottomane correspondant à son agressivité redoublée alors que la seconde crise générale du capitalisme s’affirme.

    La Turquie est ainsi toujours en crise depuis 1923 et elle bascule, selon la nature de la crise générale au niveau mondial, dans telle ou telle agressivité. Elle se perd elle-même, comme le reflète le fanatisme et l’irrationalisme religieux.

    Les tourments de l’histoire turque seront ainsi au cœur de la seconde crise générale du capitalisme. Des bouleversements de grande ampleur sont inévitables. La Turquie va connaître une période intense de crise durant les années 2020 et sera l’un des pays au cœur de la question révolutionnaire au niveau mondial.

  • Turkey, weak link in the chain of dependent countries

    If we take the 500 most important global companies, we find, for Turkey, on the 420th place the Koç Holding, which brings together 113 companies including credit institutions, an oil refinery, tractor factories, bus bodies, tourist companies, the production of household appliances in particular with Beko, etc. Important though less powerfully, there are also Sabancı Holding (notably with one of the textile leaders Kordsa Teknik Tekstil), OYAK Holding, and three state monopolies: Turkish Airlines, Halkbank and Vakıfbank. In any case, we are very far from an imperialist-type export of capital, in a country where a quarter of women marry before the age of 18. Moreover, for a significant part of their activities, all these main Turkish companies are in close partnership with companies from imperialist countries (Toyota, Citibank, Philip Morris, Carrefour, DuPont, etc.).

    Turkey is in fact a very active dependent country. This can be read in the following figures. Its foreign direct investment was $ 27 million in 1991, $ 1 billion in 2005, $ 4.7 billion in 2015. On the surface, it is very impressive. However, in reality, in 2015, this represented only 0.32% of foreign direct investment in the world, against 0.01% in 1991. This remains deeply marginal. Turkey took advantage of the capitalist momentum after 1989, but has not changed its base. Moreover, in 2015, Turkey experienced a penetration of foreign capital of 16.5 billion dollars, much more than its own capitalist interventions outside its territory.

    The expansionist aggressiveness of Turkish militarism

    However, despite this very clear weakness from an economic point of view, Turkey is particularly aggressive. It is active with Azerbaijan against Armenia, it occupied part of Cyprus in 1974, it makes Iraqi Kurdistan a satellite, it intervenes in Libya, it actively supported the Islamic State in order to take advantage of its military penetration into Syria and it decided, in the name of offshore oil drilling, to assume a frontal position with France and Greece.

    A sign of this trend, Turkey produces 70% of its weapons and the goal, by 2023, is to achieve this at 100%. It is difficult to see how this is technologically possible, as evidenced by the purchase from Russia, to the chagrin of US imperialism, of the highly advanced S 400 anti-aircraft and anti-missile defense system.

    The question of where such aggression stems from is of great importance. There are really many revolutionary organizations in Turkey since the 1970s and they are frantic on precisely this issue. Some see Turkey expressing an aggressiveness peculiar to capitalism, others see it as the activity of an American satellite, of a neo-colony. Some speak of semi-capitalism, others of capitalism with feudal remnants in the superstructure, or of bureaucratic capitalism.

    Turkey’s matrix: the general crisis of capitalism

    It is by no means a coincidence that Turkey becomes particularly aggressive in the context of the second general crisis of capitalism. This country was born from the first general crisis of capitalism. It is even a component of it.

    Since the founding of the Republic of Turkey by Mustafa Kemal in 1923, this country has experienced countless political, economic, military and ideological upheavals, to the point that in fact it has been in permanent crisis for no less than a century. Half of its existence, at least parts of the territory have been under a state of emergency!

    It must be understood that the country was born on the ruins of the Ottoman Empire, which generated the expulsion of more than a million Greeks from its territory, to which must be added the Armenian genocide in the background from 1915 to 1923. Turkey succeeded at its foundation in expelling from its territory the foreign armies aiming at a permanent occupation, but came under German control, then under British control, finally under American control. There has been permanent instability, with military coups in 1960, 1971 and 1980. There is also a significant Kurdish national minority, which has been tirelessly suppressed militarily for a century, while the country has also important other minorities, such as Lazs, Circassians, Arabs, Zazas, many Caucasian peoples, etc.

    The Turkish regime, crossed by violence

    Turkey is thus a country of immense culture, but also of immense complexity. There are a lot of minorities, the country was formed from above; it is at the same time a mixture of peoples and nations and at the same time it forms a real unified block. The central state has been, since its birth, ultra-paranoid. During the collapse of the Ottoman Empire, the imperialist countries indeed wanted to carve up the Turkish part of it and sent occupying troops. One part was to come under British rule, another under French rule, Greek and Armenian areas to be established and Istanbul to form a small state.

    This nightmare scenario from the Turkish point of view is a key to this ultra-militarist Turkish device, benefiting from a huge popular echo in the name of the “defense” of national interests, but in reality in the service of large landowners allied to a upper bourgeoisie linked to imperialist countries and serving as intermediaries. Within such a framework, the army plays an omnipresent role, and its clandestine interventions – through “disappearances”, murders, counter-guerrillas – have been innumerable.

    This makes this country one of the main weak links in the chain of dependent countries. The country was born on the job, in the framework of the first general crisis of capitalism. It has been relatively “frozen” with the clash of the American and Soviet superpowers. But once the general framework has been called into question by the second general crisis of capitalism, it sets off again.

    Kemalism

    Kemalism is born as a national bourgeois response to the attempt at imperialist partition of the country. This explains its ultra nationalism, its insistence on the absolute primacy of the central state and on the need to modernize the country. The first military successes of Mustafa Kemal and the development of the first general crisis of capitalism resulted in a compromise and Kemalism established a regime with the recognition of the imperialists, in exchange for their significant penetration into the country.

    Turkey is then a country as if blocked. The bourgeoisie began its war of independence but sold itself from the start, in alliance with the big landowners in order to establish the new regime. The authentic national bourgeoisie, which arrived too late historically (and partly non-Turkish and notably Armenian), has withdrawn in front of a “turkified” bourgeoisie sold to imperialism.

    Throughout the 1920s, Turkey then experienced a terrible trade deficit, while the capital of the imperialist countries appropriated railway companies, mines, industries, businesses, banks. In 1924, Germany already had 2,352 of the 4,086 km of railways; in 1937, 42% of exports and 36.5% of imports were with Germany. Turkey will also indirectly support Nazi Germany, maintaining its massive economic exchanges until the very end of the war.

    This was a continuation of ever greater pressure on the masses. Many strikes had been bloodily suppressed by the regime, while in January 1921 the leadership of the Communist Party of Turkey had already been physically liquidated. From 1931 the police had full latitude for arrests; in 1934 the parliament gave Mustafa Kemal the name Ataturk, “the father of the Turks”. In 1936 public holidays and the ban on child labor were abolished, with even a labor law taken over from fascist Italy; in 1931 the press was controlled and in 1939 any organization headed by the state; in 1943 agrarian products were taxed at 12%, hitting hard small peasants, etc.

    The change of supervision after 1945

    The CHP, the Republican People’s Party, which had been pro-Nazi Germany, lost control after World War II to the DP, the Democratic Party, which was pro-American. Turkey “benefited” from the Marshall Plan and a massive military support, the companies of the capitalist countries invested in Turkey in a deep way, this country switching over to NATO in 1952 and in 1955 in what will be called the CENTO, making this country a pro-imperialist fortress on the borders with the USSR. It was then the army that took control, starting to build a military-industrial complex.

    It was thus the army who overthrew the DP government in 1960, which had been unable to stabilize the regime despite its pro-religious and nationalist demagoguery, leading in particular to the Istanbul riot of 1955 against the last Greek community, with numerous deaths and very significant damage to buildings linked to the Greeks (4,348 stores, a thousand houses, 110 hotels, 27 pharmacies, 23 schools, 21 factories, 73 churches, 2 monasteries, a synagogue…). This caused the exodus of more than 100,000 Greeks.

    The DP, which became the AP (Justice Party), resumed power a few years later, accompanying the transformation of Turkey into a productive base for the imperialist countries, the trade deficit from 1960 to 1972 being between 113 and 677 million dollars according to the years. Turkey then depended very largely on the United States and West Germany, then on France, Japan, Great Britain, Switzerland, Italy, the Netherlands, Belgium. Soviet social-imperialism was also ever more present, providing between 1966 and 1979 $ 2.7 billion in credit, more than the United States between 1930 and 1974. However, instability continued to the point that the army intervened to intervene again, for a second coup, in 1971.

    The 1970s and the systematization of ultra-violence

    In 1970, the Turkish regime was in agony. A quarter of the country’s budget went to the military, compared to only 4.7% for agricultural development where 65% of the population lived in 1970, and 3.8% for health. In 1970, more than a third of the inhabitants of the cities lived in shanty towns (the “gecekondus”, a building built overnight); more than half of the population was illiterate. 55% of children die before they turn 18. Emigration became massive to West Germany, but also to Austria, Switzerland.

    In this miserable context, marked by revolts whereas imperialism became increasingly oresebtn as the large landowners crushed the peasants, the army then fell into crushing. The 1971 coup set off a sequence that would extend into the late 1990s, with a systematization of ultra-violence. Faced with the uninterrupted crisis, the army took the lead as such and generalized arrests, murders, torture, violent interventions, legal and clandestine, direct or through nationalist mafia networks. These notably acted in a terrible way with their massacre, in December 1978, in the city of Kahramanmaraş, of a thousand left activists, including their families.

    May 1, 1977 had already been marked by shootings against the crowd, killing dozens and dozens of people, while 600,000 people demonstrated. The secret services, MIT, were developing strategies directly with US imperialism, to counter the multitude of revolutionary organizations resulting from the first three initiatives of the early 1970s, the THKO, the THKP / C, the TKP / M-TIKKO, who were developing the armed struggle. The clashes spread, with around ten deaths per day, more than 5,000 in total, including more than 2,000 militants of revolutionary organizations.

    With the economy on the brink of collapse, the army then took the initiative of carrying out a new coup in December 1980, arresting 650,000 people, placing 1.6 million people on black lists, etc.

    From the 1980s to open expansionist assertion

    The army directly managed the country from 1980 to 1983 and the revolutionary organizations were not able to reorganize themselves until 1987, then reaching a high level of combativeness during the 1990s. The revolutionary organizations which then had the most success were the DHKP ​​/ C (Guevarist), the MLKP (Hoxhaist), as well as relatively the TKP (ML) and TKP / ML (both Maoists). They got bogged down, however, while conversely the PKK enjoyed ever greater success among the Kurdish masses, reaching great scale and clearly succeeding in subduing the revolutionary organizations to its own agenda, except for the DHKP / C.

    The failure of the revolutionary organizations to turn things around in the 1990s was similar to the success of Recep Tayyip Erdoğan. He was elected mayor of Istanbul in 1994, prime minister from 2003 to 2014, when he became President of the Republic. Its political domination corresponds to quite a change in Turkish reality. Islamist Recep Tayyip Erdoğan advocated a reactivation of the Islamic-Ottoman ideology, and no longer simply a “Turkish” republicanism. He was in tune with an upper bourgeoisie seeking expansion.

    The mistake of the revolutionary organizations in Turkey was thus very simple. They all considered Turkey to be fully subjugated to US imperialism through the military. However, the arrival of Recep Tayyip Erdoğan to power corresponds to the arrival of a new faction in power. We have proof of this with the trial of hundreds of people at the end of the 2000s, accused of being part of the Ergenekon network made up of soldiers and members of the secret service. This was the beheading of the Kemalist state apparatus. The American response included the attempted coup in 2016 through the Islamic congregation Gülen, which failed.

    But the new regime managed to take hold. It goes beyond the Kemalist nationalism born of the first general crisis of capitalism to add to the neo-Ottoman aims and placed it as its main aspect.

    The question of the PKK and Rojava

    Turkey’s expansionist assertion could not concretely be followed by the Kurds, which explains why the PKK was the only movement able to hold out against the nationalist-Islamic wave, since the revolutionary organizations had made the mistake of believing that there would be a status quo in the following of the United States.

    The PKK, Kurdistan Workers’ Party, is historically a very incoherent movement; born on a communist basis, it nonetheless immediately sought military confrontation in the late 1970s with the revolutionary organizations in Turkey, and has often been a follower of the coup against them until today. The PKK does not tolerate competition.

    Conversely, it can at times express a real internationalism and a great sympathy for them, by a natural convergence, in particular of its base. Moreover, the PKK expresses a democratic battle of the Kurdish masses and this produces self-denial at times, a democratic struggle of great depth. It is also all the more difficult to apprehend the PKK by the fact that the Kurds are historically divided territorially in several countries (Turkey, Iran, Iraq, Syria).

    In any case, in order to subsist politically and especially militarily in the case of the existence of armed branches, all revolutionary organizations in Turkey, with the exception of the DHKP / C, then literally followed the PKK. This is true from June 1998 with the Platform of United Revolutionary Forces (BDGP), bringing together the PKK, TKP (ML), MLKP, TKP / ML, TDP, DHP, TKP-Kıvılcım. And this will take on an even greater scale when in the Syrian civil war, the Kurdish forces establishing an independent zone, Rojava, bringing in Turkey and Rojava the establishment of the United Peoples Revolutionary Movement (HBDH), with the PKK, TKEP / L, TKP / ML, MKP, TIKB, DKP, MLKP, THKP-C / MLSPB, DK.

    Is this an adequate choice against expansionist Turkey? In fact, in the background, there is the question of knowing if Turkey really exists and if the revolution is defined in its framework, or if it should disappear in favor of a regional framework of near-eastern dimension. It goes without saying that the PKK is pushing in the latter direction, due to its national agenda being defined over several countries, while conversely there is a reading considering that a national framework is always specific, like for the DHKP / C and TKP / ML (the latter having withdrawn from HBDH precisely on this issue).

    Turkey’s pan-Turkish headlong rush

    The revolutionary organizations were thus overtaken by this emergence of an openly aggressive Turkey; in their eyes, it was inconceivable. Why did the revolutionary organizations in Turkey make this mistake? In fact, they didn’t see that Turkey was coasting. By 1974, Turkey had already occupied part of Cyprus, affirming its expansionism which then, with the collapse of Soviet social-imperialism, was all the more expressed. There are indeed many peoples in the world who are part of Turkish history, with its language and culture: the Uzbeks, the Uighurs in China, the Azeris, the Kazaks, the Kyrgyz, many peoples of Russia such as the Yakuts or Tatars, Turkmens, etc.

    Many of these peoples lived in the USSR, and US imperialism overwhelmingly supported pan-Turkism in order to help destabilize its competitor. Today’s Turkey is in fact, sustaining this approach, which is culturalo-racialist fanaticism, frewheeling. Thus, a significant portion of people of Turkish origin in Germany, Austria, Belgium, France, Switzerland… refuse any assimilation, defining themselves as “Turks”, only marrying between Turks, etc. Pan-Turkism aims at the union of the Turks and this as far as China and Siberia.

    There was space there for the Turkish upper bourgeoisie, with its massive Cold War army, ultra-aggressive on the basis of “modern” Turkey, to rush into an expansionist orientation.

    These inordinate ambitions literally carried a new political wave in Turkey, of which

    Recep Tayyip Erdoğan is the direct expression. The Muslim dimension is, however, also extremely important here, as pan-Turkism, already widely present in Kemalism, has merged with the Muslim Brotherhood, of which Qatar and Turkey are the strongholds.

    Turkey’s Ottoman headlong flight from and Qatar

    There is no (Sunni) Islam without a Caliph and it is the Ottoman Empire which for several centuries has played the role of the Caliphate. Its collapse in 1918 sparked the birth of Islamism as a movement to reconstitute a caliphate. Launched into its expansionist ambitions, Turkey has reactivated the ideology of the Ottoman Empire, proposing itself as “protector” of Islam. This leads it to have a very important influence in Albania and in Bosnia and Herzegovina.

    This neo-Ottoman Islamic line is obviously in conflict with Saudi Arabia’s claims to offer itself as the model and guardian of Mecca. The Saudi “Wahabis” are thus in open conflict with Turkey, which is based on the ideology of the Muslim Brotherhood, whose stronghold is Qatar. The “Arab Spring”, in which the Qatari channel Al-Jazeerah played a big role, was in fact a series of pro-Muslim brotherhood revolts, notably in Egypt.

    Qatar has very little investment in Turkey, but very targeted, supporting it when its debts are too important, making in 2008 the acquisition for more than a billion dollars of the second group of media (led between 2007 and 2013 by Recep Tayyip Erdoğan’s son-in-law), buying Turkey’s largest television satellite for $ 1.4 billion, earning 49% in military vehicle production with even a Qatari military representative on the board.

    Turkey and the double dynamic of its headlong rush

    Turkey is in a double ideological system: on the one hand, as an “extension” of the Ottoman Empire, it claims to be the heart of Islam, which justifies its hegemony; on the other, there is a non-religious racialist discourse. This tinkering is based on expansionist inclinations, but at the same time it can only hold up through expansionist inclinations.

    It can be said that, from the start, Turkey has been the weak link in the chain of dependent countries, because it was born in a tinkering resulting from the first general crisis of capitalism, that it maintained itself artificially in the framework of the cold war and that with the second general crisis of capitalism its headlong flight literally turns into a detonator.

    The national bourgeoisie which immediately played the role of bureaucratic bourgeoisie at independence, in alliance with the large landowners, took advantage of its importance during the Cold War to establish its bases and prolong its flight forward by means of a neo-Ottoman perspective corresponding to its redoubled aggressiveness while the second general crisis of capitalism asserts itself.

    Turkey has thus always been in crisis since 1923 and it tilts, depending on the nature of the general crisis at the world level, in such and such aggressiveness. It is losing itself, as reflected in religious fanaticism and irrationalism.

    The turmoil of Turkish history will thus be at the heart of the second general crisis of capitalism. Large-scale upheavals are inevitable. Turkey will experience an intense period of crisis during the 2020s and will be one of the countries at the heart of the revolutionary question at the global level.

  • Keeping up with the times

    The Covid-19 crisis opens a new era, because it carries with it a whole bundle of historical contradictions. Humanity can no longer live as before, it faces a challenge which consists in finding its place in the Biosphere. It can no longer simply continue to carry the capitalist mode of production, which very clearly leads to destruction in all areas. There is the need for a break.

    We can imagine that this is not simple. It involves a great determination in the face of capitalist corruption, an ability to look to the future, a sense of involvement to make things turning in the right direction. Without a sufficient ideological level, without an adequate cultural reading, we cannot turn off, carry this rupture, we are caught up by the old era and its values.

    With the Covid-19 crisis, a double phenomenon has unfolded. On the one hand, there was an effect of surprise, of fear, of anguish, in the face of an event that seemed incomprehensible given the capitalist claim to propose a stable world. What is unfolding then seems therefore incomprehensible, calamitous, a catastrophe and there is a headlong rush in social-Darwinist reasoning, that the weak must perish.

    However, on the other hand, there was and there is a sense of understanding that a whole period has ended. With the confinement, the closing of the borders, the partial shutdown of activities, the cessation of capitalist triumphalism … all of this has dialectical been a breath of fresh air as well. It was finally the proof that capitalism could not perpetuate itself without knowing blockages, that it is not able to swallow up private life and the whole of society, and even the planet, without being stopped by something. Capitalism appears to be outdated.

    What arises as an alternative is Socialism or barbarism. Either there is an awareness, a going beyond old values and the affirmation of Communism – whether at the level of society or in relation to nature. Either there is an identitarian, national withdrawal, an escape in the spirit of concurrence, competition, with an acceptance of the disaster and the attempt to take advantage of it to dominate others.

    Either popular democracy, with the working masses deciding the orientations of society on a basis of sharing, cooperation, compassion, refusal of hierarchies, unification of social and productive forces, or militarism and the quest for a national savior, leading to fascism and imperialist war.

    Either the bourgeoisie is politically put aside, its state dismantled, its state apparatus liquidated, with popular power around the working class, or the upper bourgeoisie takes control of the state and pushes capitalism to participate in the imperialist battle for the redistribution of the world, mobilizing in a nationalist and militarist manner.

    This alternative does not arise formally. It will take time before it arises at all levels of society. On the side of popular democracy, we do not get out of capitalism easily, whether in terms of mentalities or the establishment of new forms of production. There are many obstacles, such as the workers’ aristocracy, a social layer bought by the capitalists, or even the nefarious influences of a petty bourgeoisie seeking to abuse the masses to negotiate with the bourgeoisie.

    On the Reaction side, it is difficult to get the country from political liberalism, ideological relativism, generalized individualism… to the same values, but nested in an aggressive “collective” project requiring participation in “the national effort”. Capitalism in its liberal form and capitalism in its fascist form are both the same and not the same; the transition from one to the other is not smooth.

    It goes without saying that what is decisive here will be the general crisis of capitalism and more precisely the forms it will take. We can already see that the economic dimension of the crisis is terribly deep, that it surprises by its expression, that it strikes almost by surprise this or that sector. Unemployment, precariousness, brutality in everyday life, anxiety for maintaining its social existence… all of this can be the breeding ground for fascism, while the bourgeoisie necessarily seeks an exit through capitalist rationalization and imperialist war.

    Conversely, the prolonged nature of the situation contributes to reflection, to awareness. And we can even see, in a relative way, that people who had turned their backs on the values of the dominant way of life, who did not trust the capitalist pretensions, who sought an alternative way of life … suddenly found themselves having a certain value, instead of appearing as mere freaks as before.

    Obviously, it is most often elementary steps, of withdrawal, while it is not only a question of realizing that the pace imposed by capitalism is unbearable. If we stop at that, we do not see that capitalism has had its day and that it is not a question of slowing down history, human activity in general, but quite the contrary of accelerating it. It is not about making a hippie approach triumph in order to « calm », « frame » or « roll back » capitalism, but rather to have an active humanity, protagonist of new choices, allowing a new development. You have to live up to the times.

    Nevertheless, we can thus already read behaviors, attitudes, positions that pass into the universal, the planetary dimension, in opposition to the cynical, individualist, nihilist values of capitalism. The common denominator of all is that it is considered that we “can’t do the same anymore”. The refusal of nuclear power or of hunting, the requirement of a high standard in health, the detestation of waste or religious divisions, the affirmation of the sharing of cultural goods, whether for music , films or images in general… Such phenomena, whether they are aware of it or not, come tendencially into conflict with the 24 hour a day demands of capitalism.

    This does not mean that people have grasped the full scale of the disaster, nor that the process is not recuperable in itself with a modernization of capitalism. What there is here is a deep contradiction between, on the one hand the battle for existence, with the need to work in order to have a salary to live, to integrate socially, with also alienation making us appreciate what capitalism offers… and on the other, in a way not necessarily understood, a cultural, material, psychological need to breathe, to temporize, to stop incessantly running by following the desiderata of capitalism, to flourish by doing things differently, in a better way. To what extent this contradiction will be positive, in what form, that is the real basic question.

    In any case, it is possible to say that the people who have grasped with satisfaction this break, this moment of pause in the capitalist machinery, represent the point of the emerging consciousness that we must put an end to all this, that we must change everything, that nothing is right anymore. Of course, we are still a long way from coming to the affirmation that we must destroy what destroys us, nevertheless a process has started.

    Concretely, we can say that the great capitalist impetus founded on the collapse of Soviet social-imperialism and the integration of social-fascist China into the international division of labor is now over. What shatters is the capitalist consensus that was maintained between 1989 and 2020, based on a relative rise in the standard of living on a global scale, the absence of major wars across the world, technological modernization and better access to health.

    This period between 1989 and 2020 was a crossing of the desert from the point of view of the communist strategic proposal, it was extremely difficult for the revolutionary vanguards around the world to experience. The thesis that capitalism goes to war seemed out of date; capitalism was expanding mass consumption and seemed to overturn the claim that exploitation leads to impoverishment. The way of life of the masses was changing, whether with computers, internet, cell phones, the reinforcement of cinema and television in everyday life. A vast petty-bourgeoisie was getting stronger in the imperialist countries, developing cultural activities that seemed fulfilling or at least entertaining.

    The ground conquered with so much difficulty in the years 1960-1970, place of the engagements in the years 1980, literally evaporated in 1989. The collapse of Soviet social-imperialism allowed the Western imperialist countries to appropriate new markets, and through the integration of social-fascist China, capitalist production and consumption have been greatly enlarged.

    In such a context, the reconstitution of the avant-gardes was a difficult struggle, requiring patience and tenacity. In France, the CPF (MLM) is based on a process born in the 1990s, with the affirmation of Maoism at the very beginning of the 2000s, for a major operation of ideological reconstruction of fundamental principles. In Belgium, a country with a similarly great revolutionary tradition, the process of aggregation of forces assuming the break with capitalism led in 2010 to the formation of the MLM Center.

    But it is not just about reclaiming the Communist heritage. It is also about deepening, to be up to the challenges of the time. The animal question, in particular, arises with all its acuteness. In the background there is the contradiction between city and country, with humanity’s place in the biosphere as the backdrop to a battle for the future direction to be taken.

    We do not understand people who say they want revolution, but who have no concrete, practical point of view on all the burning issues of our time and whose speech could be in 1980, in 1960, in 1930, or even in 1900. To imagine that one can lead a revolutionary policy while being completely out of date culturally is simply an aberration strictly equivalent to the petty-bourgeois fascinations for anything that appears as a new cultural or social phenomenon.

    You have to be anchored in your time, in your society. Revolution is not a cosmopolitan process. What is called people’s war is not a technical concept, but a popular reality, with the people made up of concrete people, existing with their sensibility in a well-defined material reality. It is necessary both to be in phase with the people and to be a vanguard turned towards overtaking reality, there is the productive contradiction defining the communists.

    This is all the more true at a time of crisis and when one says crisis it means revolution. What is ending is a time when revolutionaries were marginalized or corrupted by capitalist momentum. It was a time of relative neutralization of antagonisms. We can even say that, since the 1950s, the capitalist countries have experienced such a neutralization, the revolutionary wave being expressed mainly in Africa, Latin America and Asia. The people of the capitalist countries were crushed by capitalism and its values, they were integrated into its process, adopting the way of life that it demanded. We are now at the breaking point.

    An authentic life is only possible in the fight for liberation and before that, it is in a socially isolated way that such an approach emerged, whether in the French “leftists” around May 1968, in violent workers’ initiatives. Italians of the 1970s, in the Berlin squats of the 1980s. There was a complete break between avant-gardes prisoners of their alternative style and the broad masses entirely cut off from their approach and even inaccessible by their disdain for what was not the traditional capitalist way of life. The situation changed with the onset of the crisis; the antagonistic stall with the 24 hours a day of capitalism takes on its meaning!

    The project of recomposing the proletarian fabric by the democratic movement of the masses violently tearing up capitalist hegemony at all levels can resume its natural course. The need for Communism can be expressed again, sector by sector in the popular masses, posing as a strategic hypothesis addressed as broadly as possible.

    This is a process in which we are only at the beginning. But our pride is to have prepared, to be on the front line in this start. And we have confidence in the victory of this process of overcoming the general crisis of capitalism, by the victory of the popular masses country by country in a prolonged process and the establishment, as final achievement, of the world socialist republic.

    Marxist Leninist Maoist Center [Belgium]
    Communist Party of France (marxist leninist maoist)

  • Face à la crise, le Parti et la question de la massification des syndicats et de leur nécessaire unification

    La seconde crise générale du capitalisme pose un défi extrêmement grand au prolétariat de par la rationalisation qui en découle. La bourgeoisie ne peut en effet que se précipiter dans un vaste mouvement de restructuration sur le dos des masses, afin de chercher à sauvegarder le taux de profit.

    Face à cette opération d’envergure, la réponse ne peut qu’être politique avant tout, ce qui implique également une initiative de défense des intérêts matériels des masses sur le terrain immédiat des revendications élémentaires.

    Historiquement, ce sont les syndicats qui jouent ici le rôle de levier essentiel pour une telle activité. Or, ceux-ci possèdent en France un style corrompu et prétentieux. Ils sont à la fois divisés et sans réelle base de masse, à part chez les fonctionnaires. Ils sont donc en décalage complet avec le défi historique auquel fait face le prolétariat. La question syndicale se pose ainsi avec une grande acuité et soit les syndicats seront une partie du problème, soit une partie de la solution.

    Le premier moment de la question syndicale

    Du point de vue communiste, la question syndicale a connu deux moments.

    Le premier consiste en les inlassables appels de l’Internationale Communiste à rejoindre les syndicats. Il n’y avait pas d’illusions sur la nature des dirigeants syndicaux, toujours favorables à des accords avec la bourgeoisie et l’État ; il était cependant considéré que la présence d’une partie des masses dans les syndicats rendait cela nécessaire. Le programme de l’Internationale Communiste, en 1928, souligne que les défaites lors de la première vague révolutionnaire sont dues « à la tactique de trahison des chefs sociaux-démocrates et des dirigeants réformistes du mouvement syndical ».

    Les communistes des pays capitalistes étaient extrêmement rétifs à ce travail, à la fois ingrat et très difficile de par les multiples exclusions imposées par les directions syndicales à leur encontre, notamment par l’intermédiaire de la social-démocratie. La défaite totale du Parti Communiste d’Allemagne en 1933 a cependant montré que cette question était importante, de par l’articulation nécessaire du mouvement syndical à la lutte contre le fascisme et la guerre.

    La preuve en est que, à la suite du tentative du coup de force fasciste en février 1934 en France, le Front populaire a porté en lui l’unification syndicale. Les masses considéraient que l’unité était nécessaire et on a vu alors qu’elles considéraient les syndicats comme relevant de leur mouvement historique et comme devant relever de l’unité organique.

    Le fait est que, si les masses ne rejoignent pas nécessairement les syndicats, elles ont un rapport ambigu avec eux, particulièrement en France où les syndicalistes se présentent souvent comme une sorte d’avant-garde combattant à la place des masses. C’est évidemment du substitutisme de type syndicaliste-révolutionnaire.

    Le second moment

    Le second moment concernant la question syndicale date des années 1960, alors que le mode de production capitaliste se relance après la seconde guerre mondiale. Cela change beaucoup de choses, puisque les syndicats s’inscrivent dans l’accompagnement du développement capitaliste.

    Ici encore l’exemple français est très parlant. Le mouvement des étudiants opposés au révisionnisme et levant la bannière de Mao Zedong, l’UJCML, avait initialement décidé d’appliquer le principe de l’Internationale Communiste et de promouvoir l’adhésion à la CGT, pour la pousser dans la direction d’une CGT de lutte de classes.

    Ce fut une défaite et l’UJCML devint la Gauche Prolétarienne, farouchement anti-syndicaliste, tout comme d’ailleurs tous les communistes des pays capitalistes, en raison de la compréhension du fait que les syndicats, notamment en raison de la transformation de l’URSS en social-impérialisme, étaient ouvertement alliés à la bourgeoisie. En France, la CGT a été l’un des piliers de la sauvegarde du régime en mai 1968, combattant ardemment les « gauchistes ».

    Les communistes des pays capitalistes assumèrent alors la ligne de l’autonomie prolétaire, contre les syndicats cherchant à intégrer les mouvements de contestation afin de les conduire dans des opérations de réimpulsion du mode de production capitaliste. Il n’est pas possible d’être communiste et de valoriser les syndicats pour la période 1953-2020. C’est une ligne de démarcation infranchissable entre les communistes et les révisionnistes.

    Y a-t-il un troisième moment ?

    La question qui se pose désormais, avec l’irruption de la seconde crise générale du capitalisme, est de savoir dans quelle mesure les syndicats peuvent, ou non, jouer un rôle s’inscrivant dans le processus de défense des intérêts du prolétariat. Ils sont en effet faciles d’accès et représentent un sas possible pour le combat.

    Comme le formule le programme de l’Internationale Communiste en 1928, « les syndicats, organisations ouvrières de masses dans lesquelles s’organisent et s’éduquent pour la première fois les couches les plus étendues du prolétariat, sont, en régime capitaliste, le principal instrument de la lutte par la grève, puis de l’action de masses contre le capital trusté et son État ».

    Le second moment a neutralisé cette possibilité ; peut-on alors parler d’un troisième moment provoqué par la seconde crise générale du capitalisme ?

    Si l’on regarde sur le plan subjectif, on ne peut que répondre négativement. Les syndicalistes n’ont pas changé ; ils représentent une approche anti-politique, anti-communiste même, avec systématiquement l’espoir de présenter de « meilleurs » plans aux directions des entreprises. On peut partir du principe que le syndicat désire « être calife à la place du calife » et que rien d’autre ne l’intéresse.

    Si l’on regarde sur le plan objectif, on ne peut pas répondre positivement non plus. Les syndicats ont, depuis 2000, inlassablement cherché à gagner des batailles au moyen du forcing et du substitutisme. Ils n’ont jamais cherché à gagner les masses, à se massifier donc. Ils savent très bien qu’une massification les remettrait entièrement en cause et ils préfèrent vivre de leurs rentes, exprimant les intérêts des syndicalistes qui relèvent de l’aristocratie ouvrière, couche corrompue par le capitalisme et l’État bourgeois.

    Toutefois, cette question de la massification est justement l’aspect pouvant amener un changement complet. Si les syndicats et les syndicalistes sont inutiles aujourd’hui et même, concrètement, nuisibles à la cause révolutionnaire, une éventuelle massification renverserait la donne. Elle bousculerait tout l’appareil, elle pousserait à une unification des travailleurs à la base.

    Il suffirait que dans une entreprise il y ait un mouvement général d’adhésion au syndicat, une modification du style et de la direction de celui-ci, une lutte qui triomphe et on aurait alors un modèle pouvant servir de base aux initiatives populaires à l’échelle du pays. Le souci est bien sûr que cela signifie un haut niveau de conscience politique pour engager un tel processus, un haut niveau d’implication et d’activités.

    Cependant, si la seconde crise générale du capitalisme frappe une entreprise en particulier et qu’une résistance réelle se développe, c’est une démarche praticable.

    Si cela ne se produit pas, de toute façon, on va avoir une résistance des masses qui échappera alors entièrement aux syndicats. Une lutte réelle, de toute façon, ne peut pas se fonder sur une « intersyndicale ». Soit les masses sont unies autour d’un (seul) syndicat, soit elles sont organisées elles-mêmes à la base, remplaçant le syndicat manquant pour former un comité de grève, voire même un comité populaire, le fameux « soviet ».

    Syndicat ou soviet ?

    Cette question du syndicat ou du soviet est, d’ailleurs, le sens même de la question syndicale dans le cadre de la seconde crise générale du capitalisme. Soit les masses résistent et passent à l’établissement de comités populaires, de soviets, rompant totalement avec les institutions, et donc les syndicats. Soit les masses résistent, mais choisissent le terrain le plus immédiat et investissent les syndicats pour les transformer.

    Ces deux hypothèses d’initiative populaire de résistance à la seconde crise générale du capitalisme impliquent, naturellement, deux scénarios totalement différents.

    Il est même possible que la résistance des masses décide de sortir du terrain des revendications économiques pour s’exprimer sur un autre terrain. Il est également possible que, selon les secteurs, il y ait tel ou tel choix et qu’on se retrouve ici avec des syndicats passés sous contrôle populaire, là-bas un comité de lutte à dimension populaire dans une entreprise ou en-dehors du terrain de l’entreprise, par exemple au sujet d’une question écologiste, d’une question de logement, d’une question du coût de la vie, etc.

    Dans tous les cas, il n’y aura toutefois aucune spontanéité. La résistance à la rationalisation capitaliste ne peut provenir que d’éléments conscientisés par la politique communiste, éléments dont l’activité naît directement de la confrontation avec la seconde crise générale du capitalisme.

    Le Parti et la question de la massification des syndicats et de leur nécessaire unification

    Le Parti ne peut pas poser de préalable en ce qui concerne la forme que prendra le mouvement de résistance des masses. Parler de massification des syndicats est juste, dans tous les cas ; si cette massification n’a pas lieu avant la révolution socialiste, elle aura lieu après elle, dans le cadre de l’établissement du socialisme. Cela est indéniable. Tout va dépendre du retour de la lutte des classes et des modalités de la massification de celle-ci.

    Ce qui est toutefois évident, politiquement, est qu’il faut exiger l’unification des syndicats, car c’est en phase avec l’exigence historique des masses dans leur résistance.

    « Un seul syndicat, pour la défense des droits des travailleurs ! » est une revendication qui, par définition, pose l’unité des masses laborieuses dans un contexte de résistance à la rationalisation capitaliste. C’est, de toutes façons, en conflit avec la nature corrompue et bureaucratique des syndicats eux-mêmes, qui doivent être révolutionnés pour pouvoir jouer un rôle favorable aux masses et par rapport à la révolution socialiste.

    Les bureaucrates syndicaux, corrompus et étant un obstacle à la lutte des classes par définition même, s’opposeront toujours à l’unification syndicale. La lutte des classes exigeant l’unité populaire, leur position se démasquera comme étrangère et même opposée aux besoins historiques des masses.

    Les communistes ne considèrent ainsi pas qu’il faille soutenir la CGT ou bien qu’il faille « monter un nouveau syndicat » comme le prétendent les différents courants syndicalistes révolutionnaires, qui ont par ailleurs essayé cela avec la CNT dans les années 1990-2000. Ce qu’il faut exiger, c’est l’unification de toutes les forces syndicales afin de refléter et de contribuer à l’unité populaire, d’avoir confiance dans les masses, une massification des syndicats confiant à ceux-ci une nature nouvelle.

    Cette direction vers l’unification des masses est l’aspect principal et la question syndicale est secondaire ici, puisque les masses peuvent choisir la voie des soviets. Ce sont elles qui décident, selon les exigences de la lutte des classes et du développement de leur conflictualité, sous l’inévitable direction politique du Parti. Les masses font l’Histoire, le Parti les dirige.

  • Le congrès extra-ordinaire de Bâle de la seconde Internationale en 1912

    Les événements obligèrent à ce que se tienne un congrès extra-ordinaire de la seconde Internationale, à Bâle, les 24 et 25 novembre 1912. Les partis lui appartenant rassemblaient 3,3 millions de membres, avec 10 millions de travailleurs dans les syndicats lui étant liés.

    Ils menaient une intense propagande contre la guerre, avec des initiatives communes, comme à Bussang, une petite commune de France à la frontière avec l’Allemagne, où se rassemblèrent 15 000 personnes.

    Cependant, seuls Lénine et Rosa Luxembourg agissaient de manière conséquente ; Lénine quitta même la conférence du Bureau Socialiste International de la fin septembre 1911 par solidarité avec celle-ci, victime d’une énorme pression de la part de la direction de la social-démocratie allemande.

    Pour les sociaux-démocrates authentiques, comme Lénine et Rosa Luxembourg, on rentrait dans une époque nouvelle : ils avaient en fait une vision de la guerre comme liée à la nature même du mode de production capitaliste, alors que pour la seconde Internationale, il fallait en fait faire face, de manière décidée, au « militarisme ».

    La seconde Internationale se réunit ainsi à Bâle de manière extra-ordinaire pour débattre de comment s’opposer à la guerre, mais la mise en perspective était à la base même erronée. On le voit bien à la tenue, deux ans avant une guerre qui fut acceptée pratiquement partout, d’un congrès extra-ordinaire anti-guerre avec 555 délégués de la seconde Internationale venant de 33 pays. L’impact fut simplement historiquement nul.

    On doit bien voir ici, au-delà de la terrible défaite que cela représente pour la social-démocratie allemande qui s’est totalement enlisée, que cela concerne également le mouvement ouvrier français en particulier.

    Au congrès de Bâle, c’est la SFIO qui a le plus de délégués : 127, soit pratiquement le quart des délégués. Ses porte-paroles tinrent des paroles ardentes, mais concrètement ils n’apportèrent rien et furent en faillite complète en 1914.

    L’aspect principal fut cependant l’opportunisme des Allemands (75 délégués) et des Autrichiens (59), qui eux disposaient réellement du marxisme et qui s’étaient littéralement écrasés devant la pression de leurs États, convergeant complètement avec ses choix.

    Pour cette raison, le texte du manifeste du congrès de Bâle n’était pas faux en soi. Il cherchait à évaluer la situation, posait les bases d’une opposition à la guerre. Ce qui manquait, c’était l’arrière-plan : seul Lénine l’avait.

    Voici le manifeste :

    « L’Internationale a formulé dans ses Congrès de Stuttgart et de Copenhague les règles d’action du prolétariat de tous les pays pour la lutte contre la guerre :

    « Si une guerre menace d’éclater, c’est un devoir de la classe ouvrière dans les pays concernés, c’est un devoir pour leurs représentants dans les Parlements, avec l’aide du Bureau socialiste international, force d’action et de coordination, de faire tous leurs efforts pour empêcher la guerre par tous les moyens qui leur paraîtront le mieux appropriés, et qui varient naturellement, selon l’acuité de la lutte des classes et la situation politique générale.

    Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, c’est leur devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. »

    Plus que jamais, les événements font une loi au prolétariat international de donner à son action concertée toute la vigueur et toute l’énergie possibles ; d’une part, la folie universelle des armements, en aggravant la cherté de la vie, a exaspéré les antagonismes de classe et créé dans la classe ouvrière un intolérable malaise.

    Elle veut mettre un terme à ce régime de panique et de gaspillage ; d’autre part, les menaces de guerre qui reviennent périodiquement sont de plus en plus révoltantes, les grands peuples européens sont constamment sur le point d’être jetés les uns contre les autres, sans qu’on puisse couvrir ces attentats contre l’humanité et contre la raison du moindre prétexte d’intérêt national.

    La crise des Balkans qui a déjà causé tant de désastres, deviendrait, en se généralisant, le plus effroyable danger pour la civilisation et pour le prolétariat.

    Elle serait, en même temps, un des plus grands scandales de l’histoire, par la disproportion entre l’immensité de la catastrophe et la futilité des intérêts qu’on invoque.

    C’est donc avec joie que le Congrès constate la pleine unanimité des partis socialistes et des syndicats de tous les pays dans la guerre contre la guerre.

    Partout les prolétaires se sont élevés en même temps contre l’impérialisme.

    Chaque section de l’Internationale a opposé au gouvernement de son pays la résistance du prolétariat, et mis en mouvement l’opinion publique de sa nation contre les fantaisies guerrières.

    Ainsi s’est affirmée une grandiose coopération des ouvriers de tous les pays, qui a déjà contribué beaucoup à sauver la paix du monde menacée.

    La peur des classes dirigeantes devant une révolution prolétarienne qui serait la suite d’une guerre universelle a été une garantie essentielle de la paix.

    Le Congrès demande aux partis socialistes de continuer vigoureusement leur action par tous les moyens qui leur paraîtront appropriés. Pour cette action commune, il assigne à chaque parti socialiste sa tâche particulière. Les socialistes des Balkans devront s’opposer au renouvellement des anciennes inimitiés.

    Les Partis socialistes de la péninsule des Balkans ont une lourde tâche.

    Les grandes puissances de l’Europe ont contribué, par l’ajournement systématique de toutes les réformes, à créer, en Turquie, un désordre économique et politique et une surexcitation de passions nationales qui devaient conduire nécessairement à la révolte et à la guerre contre l’exploitation de cet état de choses par les dynasties et par les classes bourgeoises, les socialistes des Balkans ont dressé avec un héroïque courage les revendications d’une Fédération démocratique.

    Le Congrès leur demande de persévérer dans leur admirable attitude, il compte que la démocratie socialiste des Balkans mettra tout en œuvre, après la guerre, pour empêcher que les résultats conquis au prix de si terribles sacrifices soient confisqués et détournés par les dynasties, par le militarisme, par une bourgeoisie balkaniques avide d’expansion.

    Le Congrès demande particulièrement aux socialistes des Balkans de s’opposer avec force, non seulement au renouvellement des anciennes inimitiés entre Serbes, Bulgares, Roumains et Grecs, mais à toute oppression des peuples balkaniques qui se trouvent à cette heure dans un autre camp : les Turcs et les Albanais.

    Les socialistes des Balkans ont le devoir de combattre toutes violences faites aux droits de ces peuples, et d’affirmer contre le chauvinisme et les passions nationales déchaînées, la fraternité de tous les peuples des Balkans y compris les Albanais, les Turcs et les Roumains.

    Les socialistes d’Autriche, de Hongrie, de Croatie, de Slavonie, de Bosnie et d’Herzégovine ont le devoir de continuer de toutes leurs forces leur opposition énergique à toute attaque de la monarchie du Danube contre la Serbie.

    C’est leur devoir de résister comme ils l’ont fait jusqu’ici à la politique qui tend à dépouiller la Serbie, par la force des armes, des résultats de son effort pour la transformer en une colonie autrichienne, et, pour des intérêts dynastiques, à impliquer les peuples de l’Autriche-Hongrie, et avec eux toutes les nations de l’Europe, dans les plus graves périls.

    Les socialistes d’Autriche-Hongrie doivent lutter aussi dans l’avenir pour que les fractions des peuples sud-slaves, dominés maintenant par la maison des Habsbourg, obtiennent à l’intérieur même de la monarchie austro-hongroise le droit de se gouverner eux-mêmes démocratiquement.

    Les socialistes d’Autriche-Hongrie, comme les socialistes d’Italie, donneront une attention particulière à la question albanaise. Le Congrès reconnaît le droit du peuple albanais à l’autonomie, mais il n’entend pas que, sous prétexte d’autonomie, l’Albanie soit sacrifiée aux ambitions austro-hongroises et italiennes.

    Le Congrès voit là, non seulement un péril pour l’Albanie elle-même, mais encore dans un temps peu éloigné une menace pour la paix entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie. C’est seulement comme membre autonome d’une Fédération démocratique des Balkans que l’Albanie peut mener vraiment une vie indépendante.

    Le Congrès demande donc aux socialistes d’Autriche Hongrie et d’Italie de combattre toute tentative de leur gouvernement d’envelopper l’Albanie dans leur sphère d’influence, il leur demande de continuer leurs efforts pour assurer des résultats pacifiques entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie.

    C’est avec une grande joie que le Congrès salue les grèves de protestation des ouvriers russes : il y voit une preuve que le prolétariat de Russie et de Pologne commence à se remettre des coups que la contre-révolution tsariste lui a portés.

    Le Congrès voit dans cette action ouvrière la plus forte garantie contre les criminelles intrigues du tsarisme qui, après avoir écrasé dans le sang les peuples de son empire, après avoir infligé des trahisons nombreuses aux peuples des Balkans livrés par lui à leurs ennemis, vacille maintenant entre la peur des suites qu’une guerre aurait pour lui et la peur d’un mouvement nationaliste que lui-même a créé.

    Quand donc, maintenant le tsarisme s’essaie à paraître comme un libérateur des nations balkaniques, ce n’est que pour reconnaître sous un hypocrite prétexte et par une injure sanglante, sa prépondérance dans les Balkans.

    Le Congrès compte que la classe ouvrière des villes et des campagnes de Russie, de Finlande et de Pologne, usant de sa force accrue, déchirera ce voile de mensonges, s’opposera à toute aventure guerrière du tsarisme, à toutes entreprises, soit sur l’Albanie, soit sur Constantinople, et concentrera toutes ses forces dans un nouveau combat de libération contre le despotisme tsariste.

    Le tsarisme est l’espérance de toutes les puissances de réaction de l’Europe, le plus terrible ennemi de la démocratie européenne, comme il est le plus terrible ennemi du peuple russe.

    L’Internationale considère qu’amener sa chute est une de ses tâches principales. Mais la tâche la plus importante dans l’action Internationale incombe aux travailleurs d’Allemagne, de France et d’Angleterre.

    En ce moment, les travailleurs de ces pays doivent demander à leurs Gouvernements de refuser tout secours à l’Autriche-Hongrie et à la Russie, de s’abstenir de toute immixtion dans les troubles balkaniques et de garder une neutralité absolue.

    Si, entre les trois grands pays qui guident la civilisation humaine, une guerre éclatait pour la querelle serbo-autrichienne au sujet d’un port, ce serait une criminelle folie. Les travailleurs d’Allemagne et de France n’acceptent pas que des traités secrets puissent jamais leur faire une obligation d’entrer dans le conflit des Balkans.

    Si, dans la suite, l’effondrement militaire de la Turquie ébranlait la puissance ottomane en Asie-Mineure c’est le devoir des socialistes d’Angleterre de France et d’Allemagne de s’opposer de toutes leurs forces à une politique de conquête en Asie-Mineure, qui mènerait droit à la guerre universelle.

    Le Congrès considère comme le plus grand danger pour la paix de l’Europe, l’hostilité artificiellement entretenue entre la Grande-Bretagne et l’empire allemand.

    Il fallut les efforts de la classe ouvrière des deux pays pour apaiser cet antagonisme.

    Il estime que le meilleur moyen à cet effet sera la conclusion d’un accord sur la limitation des armements navals et sur l’abolition du droit de prise maritime.

    Le Congrès demande aux socialistes d’Angleterre et d’Allemagne leur propagande en vue de cet accord L’apaisement des antagonismes entre l’Allemagne d’un côté, la France et l’Angleterre de l’autre, écarterait le plus grand péril pour la paix du monde.

    Il ébranlerait la puissance du tsarisme qui exploite cet antagonisme, il rendrait impossible toute attaque de l’Autriche contre la Serbie, et il assurerait la paix universelle ; tous les efforts de l’Internationale devant tendre vers ce but.

    Le Congrès constate que toute l’Internationale socialiste est unie sur ces idées essentielles de la politique extérieure.

    Il demande aux travailleurs de tous les pays d’opposer à l’impérialisme capitaliste la force de la solidarité Internationale du prolétariat ; il avertit les classes dirigeantes de tous les pays de ne pas accroître encore, par des actions de guerre, la misère infligée aux masses par le mode de production capitaliste. Il demande, il exige la paix.

    Que les Gouvernements sachent bien que dans l’état actuel de l’Europe et dans la disposition d’esprit de la classe ouvrière, ils ne pourraient, sans péril pour eux-mêmes, déchaîner la guerre.

    Qu’ils se souviennent que la guerre franco-allemande a provoqué l’explosion révolutionnaire de la Commune, que la guerre russo-japonaise a mis en mouvement les forces de révolution des peuples de la Russie ; qu’ils se souviennent que le malaise provoqué par la surenchère des dépenses militaires et navales a donné aux conflits sociaux en Angleterre et sur le continent une acuité inaccoutumée et déchaîné des grèves formidables.

    Ils seraient fous s’ils ne sentaient pas que la seule idée d’une guerre monstrueuse soulève l’indignation et la colère du prolétariat de tous les pays.

    Les travailleurs considèrent comme un crime de tirer les uns sur les autres pour le profit des capitalistes ou l’orgueil des dynasties ou les combinaisons des traités secrets.

    Si les Gouvernements, supprimant toute possibilité d’évolution régulière, acculent le prolétariat de toute l’Europe à des résolutions désespérées, c’est eux qui porteront toute la responsabilité de la crise provoquée par eux.

    L’Internationale redoublera d’efforts pour prévenir la guerre par sa propagande toujours plus intense, par sa protestation toujours plus ferme.

    Le Congrès charge, à cet effet, le Bureau Socialiste International de suivre les événements avec un redoublement d’attention et de maintenir, quoi qu’il advienne, les communications et les liens entre les partis prolétariens de tous les pays.

    Le prolétariat a conscience que c’est sur lui que repose, à cette heure, tout l’avenir de l’humanité et il emploiera toute son énergie pour empêcher l’anéantissement de la fleur de tous les peuples menacés de toutes les horreurs des massacres énormes, de la famine et de la peste.

    Le Congrès fait appel à vous tous, prolétaires socialistes de tous les pays, pour que, dans cette heure décisive, vous fassiez entendre votre voix et affirmiez votre volonté sous toutes les formes et partout.

    Élevez de toute votre force votre protestation unanime dans les Parlements ; unissez-vous dans des manifestations et actions de masses, utilisez tous les moyens que l’organisation et la force du prolétariat met entre vos mains, de telle sorte que les Gouvernements sentent constamment devant eux la volonté attentive et agissante d’une classe ouvrière résolue à la paix.

    Opposez ainsi au monde capitaliste de l’exploitation et du meurtre les masses du monde prolétarien de la paix et de l’Union des peuples. »

    La seconde Internationale ne tiendra pourtant pas le choc lors du déclenchement de la guerre mondiale.

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  • Le huitième congrès de la seconde Internationale et la guerre

    La démarche syncrétique de la seconde Internationale, en particulier lors de son huitième congrès, ne pouvait que donner une approche bancale en général et en particulier dans la Résolution sur la guerre.

    D’un côté la guerre est définie de manière juste. De l’autre, la réponse à la guerre relève d’une tentative de trouver des solutions depuis la situation telle qu’elle est.

    On est dans une approche totalement différente de celle de Lénine, qui lui exigeait qu’on prenne la situation dans sa substance et qu’alors on s’oppose à la guerre par une initiative politique de rupture. S’opposant à l’antimilitarisme anarchiste totalement vain, la seconde Internationale bascule dans un esprit constructif finalement impuissant.

    Voici ce que dit la résolution :

    « Le Congrès constate que dans ces dernières années, malgré le Congrès de la paix et les déclarations pacifistes des gouvernements, les armements ont été augmentés d’une façon considérable.

    En particulier, la concurrence des armements maritimes, dont la dernière phase est la construction des [cuirassés de type] Dreadnoughts, entraîne non seulement un gaspillage insensé des deniers publics pour des buts stériles et est cause, par conséquent, du manque de ressources et de l’absence de dépenses pour les réformes sociales et pour la législation protectrice du travail ; elle menace aussi d’épuiser matériellement toutes les nations, par les charges intolérables des impôts indirects, et tous les Etats, par la ruine des finances publiques.

    En même temps, ce sont ces armements précisément qui ont menacé dernièrement encore la paix du monde, comme ils en seront forcément la menace perpétuelle.

    En face de cette évolution, qui est un danger à la fois pour la civilisation humaine, pour la prospérité des peuples et pour l’existence des masses, le Congrès confirme les résolutions des Congrès antérieurs et en particulier celle du Congrès de Stuttgart et rappelle :

    Que les travailleurs de tous les pays n’ont entre eux ni démêlé ni désaccord, de nature à provoquer une guerre ; que les guerres ne sont actuellement causée que par le capitalisme et particulièrement par la concurrence économique internationale des États capitalistes sur le marché du monde, et par le militarisme, qui est un des instruments les plus puissants de la domination bourgeoise à l’intérieur pour l’asservissement économique et politique du prolétariat.

    Les guerres ne cesseront complètement qu’avec la disparition de la société capitaliste. La classe ouvrière, qui supporte les charges les plus lourdes de la guerre et a le plus à en souffrir, est donc le plus intéressé à leur disparition.

    Le prolétariat socialiste organisé de tous les pays est donc le seul garant sûr de la paix du monde. C’est pourquoi le Congrès engage à nouveau les partis ouvriers à répandre la lumière sur les causes des guerres dans tout le prolétariat et en particulier dans la jeunesse, et à éduquer cette dernière dans l’esprit de la fraternité des peuples.

    Le Congrès, en maintenant, pour les représentants socialistes dans les parlements, l’obligation, plusieurs fois répétée déjà, de combattre de toutes leurs forces les armements et de refuser pour cette destination toute dépense financière, attend de ces députations :

    a) Qu’elles réclament sans cesse la solution obligatoire de tous les conflits entre États par des cours d’arbitrage internationales ;

    b) Qu’elles renouvellent constamment les propositions tendant au désarmement général et d’abord et avant tout, les propositions de conclure des conventions limitant les armements maritimes et d’abolir le droit de prise maritime ;

    c) Qu’elles réclament l’abolition de la diplomatie secrète et la publication de tous les traités existants et futurs entre gouvernements ;

    d) Qu’elles réclament avec insistance l’autonomie de tous les peuples et les défendent contre toute attaque belliqueuse et contre toute oppression.

    Le Bureau Socialiste International aidera tous les groupes parlementaires socialistes dans la lutte contre le militarisme, par l’envoi de documents, et tendra à amener une action commune de ces groupes.

    Pour les cas de complications guerrières, le Congrès confirme la motion antimilitariste du Congrès de Stuttgart, qui dit :

    « Si une guerre menace d’éclater, c’est un devoir de la classe ouvrière dans les pays concernés, c’est un devoir pour leurs représentants dans les parlements avec l’aide du Bureau International, force d’action et de coordination, de faire tous leurs efforts pour empêcher la guerre par tous les moyens qui leur paraissent les mieux appropriés et qui varient naturellement selon l’acuité de la lutte des classes et la situation politique générale.

    Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, ils ont le devoir de s’ entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. »

    Afin d’assurer l’exécution de ces mesures, le Congrès invite le Bureau Socialiste International à faire, pour les cas de conflits internationaux, entre les partis ouvriers des pays intéressés, l’entente pour une action commune, afin d’empêcher la guerre.

    En tous cas où il y aurait menace de conflit entre deux ou plusieurs pays, s’il y a hésitation ou retard de décision de leurs partis nationaux consultés, le secrétaire du Bureau Socialiste International, sur la demande d’au moins un des prolétariats intéressés, convoquera d’urgence le Bureau Socialiste International et la Commission Interparlementaire qui devront aussitôt se réunir, soit à Bruxelles, soit en tout lieu qui, suivant les circonstances, paraîtrait mieux convenir. »

    Formellement, on a quelque chose de juste. Cependant, l’esprit est clairement posé, conciliateur, pratiquement pragmatique-machiavélique. C’est là la source de la faillite en 1914.

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  • Le huitième congrès de la seconde Internationale et le syncrétisme

    Les slogans inscrits en danois, en français, en anglais et en allemand lors du huitième congrès de la seconde Internationale résume tout à fait les limites de l’unité existant au sein de la seconde Internationale.

    On lisait ainsi : « Le travail est la source de toute richesse », « La solidarité est notre base », « Connaissance est puissance », « La religion est affaire privée », « Abolition de la division des classes », « Suppression des monopoles privés », « La volonté du peuple est la loi suprême », « Suffrage universel pour tous », « Journée maximum de huit heures », « Le désarmement, c’est la Paix », « Donnez à la femme les mêmes droits qu’à l’homme », « Liberté, Égalité, Fraternité ».

    Les délégués au huitième congrès

    On a ainsi un double mouvement : d’un côté il y a l’affirmation systématique de la nécessité du socialisme, de l’autre une acceptation d’œuvrer à l’amélioration des conditions de vie des travailleurs, sans réflexion sur le rapport dialectique entre les deux.

    Ainsi, la résolution du congrès sur le chômage dit que :

    « Aussi longtemps que la production capitaliste sera à la base de la société, tout ce qu’on fera dans ce domaine ne sera qu’un palliatif.

    Le Congrès réclame donc des pouvoirs publics l’assurance générale obligatoire dont l’administration sera confiée aux organisations ouvrières et dont les frais seront supportés par les détenteurs des moyens de production. »

    Il est évident que les deux paragraphes se contredisent dans leurs définitions même.

    Si la bourgeoisie peut céder des droits qui relèvent littéralement du socialisme, alors on n’est plus dans un palliatif comme il est dit dans le premier paragraphe, mais dans un nouveau système de répartition. Il y a ici un espace béant dans lequel va se précipiter l’aile réformiste, en profitant de la modernisation du mode de production capitaliste pour expliquer que, finalement, tout a changé.

    On trouve le même problème de fond dans la résolution sur la législation ouvrière. La première phrase pose déjà en elle-même une question d’économie politique :

    « L’exploitation des travailleurs qui augmente avec le développement de la production capitaliste, a mené une situation qui rend absolument nécessaire une législation protectrice de la vie et de la santé des travailleurs. »

    On a ici à l’arrière-plan la question de la paupérisation relative et absolue, qu’on a déjà vu dans l’affrontement entre Eduard Bernstein et Karl Kautsky, et qui en germe un aspect de l’opposition entre socialistes et communistes après 1917. En effet, si l’exploitation augmente, comment peut-il y avoir en même temps une amélioration ?

    Il ne s’agit ici pas tant de considérer le propos comme faux que de voir qu’il aurait exigé un véritable travail de fond concernant cette question, la moindre ambiguïté provoquant une distorsion immense dans la démarche révolutionnaire.

    Il s’agit là cependant d’une approche visant à nuancer, assécher, nier les contradictions au nom d’un syncrétisme ouvrier qui se suffirait en soi.

    La résolution sur l’unité est ainsi également typique de cette démarche gommant les questions idéologiques concrètes. Voici ce qu’elle dit :

    « Le Congrès rappelant de nouveau la décision d’Amsterdam au sujet de l’unité du parti ;

    Considérant que le prolétariat étant un et indivisible, chaque section de l’Internationale doit former un groupement unique et fortement constitué et qu’il est obligé d’abolir ses divisions intérieures dans l’intérêt de la classe ouvrière de son pays et du monde entier ;

    Considérant le grand accroissement de puissance et de prestige que le socialisme français a retiré de son unification,

    Invite toutes les sections nationales qui demeurent encore divisées, à réaliser au plus tôt l’unité et donne mandat au Bureau International de prêter ses bons offices pour l’accomplissement de cette œuvre nécessaire. »

    Le principe de l’unité est fondamentale et le huitième congrès souligne la nécessité de l’unité syndicale dans les empires ayant en leur sein plusieurs nationalités. Il en va de même ici pour le parti.

    Cependant, on n’a pas une unité comprise comme une synthèse. La seconde Internationale n’avait d’ailleurs strictement aucune volonté de saisir les questions nationales d’Autriche-Hongrie et de Russie (sans parler de l’Espagne, la Turquie, etc.). Le Bureau International doit ainsi simplement procéder à une unité formée mécaniquement et cette unité va elle-même mécaniquement contribuer au mouvement.

    On a littéralement un double jeu de la seconde Internationale, qui cherche à intégrer à la fois la droite et la gauche autour d’un centre, un centre qui ne voit pas qu’il y a la contradiction entre les « sociaux-démocrates » et les « socialistes » qui change tout.

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  • Le huitième congrès de la seconde Internationale et sa nature

    Le thème de la guerre, considérée comme si important au septième congrès de la seconde Internationale, devint littéralement brûlant lors du huitième congrès, à Copenhague, du 28 août au 3 septembre 1910.

    Cependant, le Bureau Socialiste International, qui avait été mis en place pour des réunions entre les congrès et rassemblait 25 pays, ne tenait des conférences qu’annuellement. Il faut attendre 1909 pour qu’il y ait un bulletin d’information, en allemand, en anglais et en français. Ainsi, il n’y avait pas le travail nécessaire à l’arrière-plan pour parvenir à une réelle unité organique.

    Le journaliste français Jean Bourdeau y fut présent et il raconte notamment dans la Revue des Deux Mondes, avec son ton à la fois dédaigneux, humoristique et fasciné :

    « L’Internationale compte actuellement 33 sections dans tous les pays du globe à développement industriel. Ces sections correspondent moins à des États qu’à des nations. Celles qui luttent pour leur indépendance forment des sections spéciales. La Pologne, la Finlande, etc., possèdent ainsi des partis distincts de ceux d’Allemagne et de Russie (…).

    Une animation extraordinaire, des duels oratoires passionnés sur les questions brillantes du Millerandisme, des rapports entre les partis socialistes et la démocratie bourgeoise, entre ces partis et les syndicats ouvriers, de l’attitude des socialistes en cas de guerre, qui mettaient aux prises Bebel et Jaurès, Hervé et Vollmar, avaient signalé les précédents congrès de Paris, d’Amsterdam, de Stuttgart.

    L’ordre du jour du Congrès de Copenhague n’offrait rien de bien excitant : relation des coopératives et des partis politiques, chômage, arbitrage et désarmement, résultats internationaux de la législation ouvrière, manifestation à organiser contre la peine de mort, procédés à suivre pour l’exécution rapide des décisions prises par les congrès internationaux, organisation de la solidarité internationale. Le programme du spectacle semblait médiocre.

    Ces représentations théâtrales sont d’ailleurs réglées d’une manière monotone comme une tragédie classique ou un vaudeville à tiroirs, avec leurs motions, résolutions, amendements et compromis final (…).

    Le total [des délégués] s’élevait à 887 membres, dont 189 allemands, 72 autrichiens [en fait 65], 84 anglais, 49 français, [146 Danois, 86 Suédois, 44 Tchèques, 39 Russes, 31 Norvégiens, 26 Belges, 24 Polonais, 24 Américains, 19 Finlandais, 14 Hollandais, 14 Hongrois, 13 Suisses, 9 Italiens, 7 Bulgares, 5 Espagnols, 3 Serbes, 2 Arméniens de Turquie, 2 Roumains, 1 Argentin] etc. (…).

    De tous les États européens, l’Empire allemand est celui qui semble le plus solide. Son organisation militaire, policière et bureaucratique ne laisse apercevoir aucune lézarde. Aussi longtemps qu’il restera debout, la Révolution internationale n’a aucune chance de succès.

    Mais, si le socialisme est ailleurs plus bruyant et emphatique, nulle part il n’a de racines plus profondes qu’en Allemagne. Ses partisans sont enflammés du fanatisme de secte, Pas à pas, suivant un plan de campagne, la démocratie sociale s’avance, et nous ne voyons pas ce qui peut la faire reculer (…).

    Les séances se tinrent dans la vaste salle des concerts. Le matin de l’ouverture, une cantate composée pour la circonstance et merveilleusement exécutée par 400 choristes souhaitait la bienvenue aux camarades accourus de tous les coins du globe. Puis retentis le chant de guerre de l’Internationale écouté debout, tête nue.

    Une procession de 25 000 personnes avait été organisée pour l’après-midi. Elle devait traverser la ville et se rendre au parc de Sondermarken. En avant-garde marchaient les agents de police.

    Quinze corps de musique précédaient le premier bourgmestre Jensen, accompagné de sa femme. Suivaient les employés des postes sanglés dans leur redingote rouge, une escouade de femmes coiffées du bonnet phrygien, des sociétés de gymnastique et de chant, en casquettes blanches, les midinettes de la machine à coudre, les employés des chemins de fer, ceux du gaz, etc. : vingt-deux bannières bariolées distinguaient les groupements.

    On défilait sous des arcs de triomphe : pressés aux fenêtres, les spectateurs : échelonnaient jusque sur les toits. De jolies blondes jetaient des fleurs. Des soldats en uniforme admiraient le cortège sans y prendre part. Les membres les plus connus de l’Internationale étaient acclamés au passage : pas un cri séditieux ne fut poussé (…).

    Il [=le congrès] ne marquera pas une date importante dans l’histoire du socialisme. Le Vorwaerts [allemand] qui, au lendemain de ces congrès, entonne des hymnes d’allégresse, a, cette fois, baissé le ton.

    Les délibérations n’étaient pas de nature à exciter un grand enthousiasme, et les Allemands n’y ont pas joué le premier rôle. La solidarité internationale ne parait pas si étroite qu’on le proclame. A mesure que le mouvement s’accroit, il se différencie, selon la loi de tout organisme.

    Les querelles entre Tchèques, Italiens et Allemands au sein de la démocratie autrichienne, les divergences d’opinion entre Allemands, entre Français et Anglais sur les mesures à prendre en cas de guerre prouvent que les nations suivent chacune leur chemin, selon le train habituel de la nature humaine. Ce fut en somme un congrès de compromis qui s’acheva par des danses. Une petite fête avait ouvert le Congrès, une grande fête l’a terminé. »

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  • Lénine au septième congrès de la seconde Internationale

    Lénine était venu en personne, depuis la clandestinité au septième congrès de la seconde Internationale, à Stuttgart. Voici les principales remarques qu’il fit dans un article de synthèse.

    On voit qu’il fait tout à fait confiance encore à la seconde Internationale ; il est évident qu’il se pose comme une figure d’une fraction rouge en son sein, considérant que tendanciellement la seconde Internationale va dans le bon sens et qu’il faut savoir l’aiguiller, réfuter l’opportunisme.

    « Le récent congrès de Stuttgart a constitué la douzième assemblée de l’Internationale prolétarienne (…).

    À Stuttgart s’étaient réunis 884 délégués venus de 25 pays d’Europe, d’Asie (Japon et une partie de l’Inde), d’Amérique, d’Australie et d’Afrique (un délégué d’Afrique du Sud).

    L’importance considérable du congrès socialiste international de Stuttgart réside précisément dans le fait qu’il a achevé de consolider la deuxième Internationale et qu’avec lui les congrès internationaux se sont transformés en assemblées de travail exerçant une influence profonde sur le caractère et l’orientation des activités du mouvement socialiste dans le monde entier.

    En principe, les différents partis nationaux ne sont pas obligés d’appliquer les décisions des congrès internationaux, mais la portée morale de ces décisions est telle que leur non-application est une exception presque aussi rare que la non-application par les partis des décisions de leurs propres congrès.

    Le congrès d’Amsterdam était parvenu à unir les socialistes français et sa résolution contre le « ministérialisme » traduisait véritablement la volonté du prolétariat conscient du monde entier et définissait la politique des partis ouvriers.

    Le congrès de Stuttgart a constitué lui aussi un grand pas dans cette direction, s’avérant sur toute une série de questions importantes d’instance suprême qui allait déterminer la ligne politique du socialisme (…).

    Cependant, phénomène à la fois remarquable et attristant, la social-démocratie allemande, qui s’en était jusqu’ici toujours tenue aux conceptions révolutionnaires marxistes, a fait preuve d’instabilité ou adopté des positions opportunistes (…).

    Les divergences surgies sur la question coloniale ne purent être surmontées en commission, et c’est le congrès lui-même qui mit fin à la discussion entre opportunistes et révolutionnaires en donnant à ces derniers une majorité de 127 voix contre 108, et 10 abstentions (…).

    Sur la question coloniale, la commission a vu se dégager une majorité opportuniste, et le projet de résolution comportait cette phrase monstrueuse : « Le congrès ne condamne pas, en principe et pour tous les temps, toute politique coloniale, qui, en régime socialiste, pourra être une œuvre civilisatrice. »

    Cette disposition équivaut en fait à un recul direct vers la politique et la conception du monde bourgeoises justifiant guerres et violences coloniales (…).

    La dernière journée du congrès a été consacrée à une question que tous attendaient avec un grand intérêt, celle du militarisme. Incapable de faire la relation entre la guerre et le régime capitaliste en général et d’établir un lien entre la propagande antimilitariste et l’ensemble du travail des socialistes, le fameux Hervé s’est fait le défenseur de conceptions indéfendables.

    Le projet d’Hervé de « répondre » à toute guerre par la grève et l’insurrection a montré combien son auteur était inapte à comprendre que l’emploi de tel ou tel moyen de lutte ne dépendait pas d’une décision prise au préalable par les révolutionnaires, mais des conditions objectives de la crise, tant politique qu’économique, provoquée par la guerre.

    Mais si Hervé, se laissant entraîner a des phrases ronflantes, a fait preuve d’une légèreté et d’un manque de réflexion évidents, c’eut été avoir la vue bien courte que de lui opposer le seul énoncé dogmatique des vérités générales du socialisme. C’est pourtant ce qu’a fait notamment Vollmar (Bebel et Guesde n’ont pas été absolument purs de ce péché) (…).

    Cet aspect de la question, l’appel à ne pas se contenter des seuls moyens parlementaires de lutte, l’appel à l’action en tenant compte des conditions de la guerre future et des crises futures, furent mis en relief par les social-démocrates révolutionnaires et, en particulier, par Rosa Luxemburg dans son discours.

    De concert avec les délègués de la social-démocratie russe (Lénine et Martov intervinrent dans le même sens sur cette question) Rosa Luxemburg proposa des amendements à la résolution de Bebel, amendements qui mettaient l’accent sur la nécessité de mener la propagande parmi les jeunes, la nécessité de mettre à profit la crise engendrée par la guerre pour accélérer la chute de la bourgeoisie, la nécessité inévitable de prévoir un changement des méthodes et des moyens de lutte à mesure que s’aggraverait la lutte de classe et qu’évoluerait la situation politique (…).

    Ce n’est pas une vaine menace à la Hervé, mais une claire conscience de l’inévitabilité de la révolution sociale, une ferme volonté de mener la lutte jusqu’au bout et d’utiliser les moyens de lutte les plus révolutionnaires qu’on peut lire dans la résolution du congrès socialiste international de Stuttgart sur la question du militarisme.

    L’armée du prolétariat grandit dans tous les pays. Sa conscience, sa volonté et son unité se font d’heure en heure plus fortes. Et le capitalisme se charge, lui, de multiplier les crises dont cette armée ne manquera pas de tirer profit pour l’abattre. »

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  • Les faiblesses révélées au septième congrès de la seconde Internationale

    La révolution russe vint ébranler la seconde Internationale dans ses contradictions. Désormais, toute l’attention était portée sur l’effondrement de la Russie tsariste, qui était considérée comme imminente. Cependant, cette attention était directement politique et, à ce titre, elle n’émergeait nullement au sein de la seconde Internationale.

    En effet, le bolchevisme posait la question de l’organisation et du rôle du Parti dans la révolution, ainsi que de la fonction de l’économie politique, en l’occurrence avec la question paysanne.

    Or, la seconde Internationale se posait comme centre unificateur et n’abordait pas, pour ne pas dire évitait même toutes les questions de fond.

    Le lieu du septième congrès

    Ainsi, le septième congrès, qui se tint en Allemagne, à Stuttgart, du 18 au 24 août 1907, correspond à un syncrétisme marqué par des oppositions de fond qui s’expriment mais qui ne finissent jamais par s’incarner politiquement.

    Rosa Luxembourg prenant la parole en 1907 à Sttutgart

    Le journaliste français Jean Bourdeau fit de nouveau un article pour la Revue des Deux Mondes. Tout le début de son article est encore marqué par l’opposition entre les traditions social-démocrate et socialiste :

    « Au Congrès international d’Amsterdam, en 1904, les social-démocrates allemands, gênés par la politique ministérielle des socialistes français, dont M. de Bülow se servait, à la tribune du Reichstag, pour dénoncer l’esprit sectaire de la social-démocratie allemande, firent condamner cette politique.

    Conformément aux décisions de ce Congrès, les Français s’unifièrent, et, après avoir dénoncé l’alliance des radicaux, déserté le Bloc, passèrent à l’autre extrême : ils cherchèrent à se rapprocher des syndicalistes révolutionnaires de la Confédération générale du Travail.

    Singulièrement embarrassés, à leur tour, dans leur campagne antimilitariste et anti-patriotique par la prudence, la réserve, lors des affaires du Maroc, les discours empreints de nationalisme, des chefs socialistes d’Allemagne, les Français en ont appelé aux délégués socialistes de toutes les nations, réunis à Stuttgart, pour secouer le joug de l’hégémonie allemande, faire sortir les camarades d’Allemagne, ou plutôt ceux qui les dirigent de façon si autoritaire, de leur rôle commode d’insupportables régents, d’éternels critiques, et les obliger à prendre, dans l’éventualité de conflits internationaux, l’engagement solennel de seconder, par les mêmes moyens d’action, les efforts des socialistes français, afin d’imposer la paix au monde.

    C’est dans cette sorte de duel franco-allemand, dans cette lutte pour la prééminence au sein de l’Internationale, dans cette opposition de traditions, de méthodes, de tempérament et de races, que réside tout l’intérêt du Congrès de Stuttgart. »

    Cependant, en formulant les choses ainsi, Jean Bourdeau constate en même temps que cela ne change pas grand-chose, pour la simple raison que personne n’a de perspective concrète.

    Il raconte avec un humour caustique un épisode du congrès :

    « Le député hollandais Troelstra a posé une question indiscrète ; le moment n’était-il pas venu d’étudier un système politique particulier, de rechercher comment l’État pourrait être constitué en un système socialiste, distinct de la politique bourgeoise et du socialisme d’État bourgeois ?

    M. Vaillant a jugé la recherche presque impossible. M. Jaurès, rappelant sa proposition d’exposer par le détail l’appareil juridique de l’État futur, a ajouté, avec belle humeur, qu’heureusement il n’avait pu mener l’entreprise à bonne fin, parce qu’il s’était trouvé souffrant.

    Toujours sarcastique, le docteur Adler déclara qu’il avait la vue un peu basse, sur ces questions d’avenir, mais que la vue à distance n’était pas une vertu : si l’on nommait une commission pour ordonner toutes les propositions qui surgiraient à ce sujet, et si l’on cherchait à les concilier, on mettrait en danger non le mouvement socialiste, mais la santé de ses membres. Bref, les socialistes travaillent de leur mieux à détruire la société actuelle, sans savoir le moins du monde par quoi ils la remplaceront. »

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  • L’irruption du bolchevisme au sein de la seconde Internationale

    La domination du centrisme dans la seconde Internationale fut puissamment ébranlée par un nouveau phénomène : l’émergence et le renforcement immédiat de la social-démocratie russe.

    En décembre 1900 sortit en Russie un nouveau journal, l’Iskra (l’Étincelle). Étaient à l’origine de sa fondation les principales figures social-démocrates russes alors : Georgi Plékhanov, Pavel Axelrod, Julius Martov, Véra Zassoulitch, Alexandre Potressov et Lénine, ce dernier étant la plaque tournante de cette initiative.

    Le premier numéro de l’Iskra

    L’Iskra était imprimée les premières années à Munich (du numéro 2 au numéro 21), puis finalement à Londres (de 22 à 38) et Genève, pour être acheminées clandestinement en Russie, par différents points : la Prusse, la Scandinavie, la Galicie, la Roumanie, la Bulgarie, l’Iran, par mer vers Arkangelsk ou par l’intermédiaire d’Alexandrie vers Cherson ou encore de Marseille à Batum.

    Le journal fut un très puissant vecteur de la social-démocratie et tira à boulets rouges sur l’opportunisme, qu’il soit allemand, français, italien ou belge.

    Les contacts internationaux furent d’ailleurs puissants, un Écho de la Russie étant publié en France grâce au courant guesdiste, alors que le tsar Nicolas II abandonna l’idée de venir à Paris et à Vienne en raison des vastes campagnes contre lui menées en France et en Autriche-Hongrie. Dans ce dernier pays, la police dut également abandonner les poursuites contre les passeurs de l’Iskra.

    Georgi Plékhanov, figure de la social-démocratie russe

    On a ici un moment clef dans l’affirmation de la social-démocratie russe. Dès 1903 il y a des imprimeries clandestines de l’Iskra à Kichinev (l’actuelle Chișinău moldave), Bakou et Nijni Novgorod.

    Cela impliquait une organisation très approfondie en Russie même, avec notamment Ivan Babouchkine (tué par un escadron de la mort en 1906), Yakov Sverdlov (une des principales figures de la révolution russe, mort en 1919), Nikolaï Bauman (tué par un monarchiste en 1905 et pour qui 100 000 personnes participèrent de manière disciplinée à l’enterrement).

    Yakov Sverdlov en 1919

    Seulement, la même année, au mois d’août, eut lieu une scission dans la social-démocratie russe. Les « bolcheviks » (« majoritaires ») exigeaient que le Parti repose sur des cadres éprouvés, suivant les thèses formulées par Lénine dans son ouvrage Que faire ? en 1902.

    Les « menchéviks » (« minoritaires ») étaient pour ouvrir la base du Parti de manière large et ils s’approprièrent l’Iskra durant la scission.

    Lénine, Que faire ?, 1902

    Cette scission fut cependant historique de par la naissance du bolchevisme comme courant au sein de la social-démocratie internationale. La gauche n’était pas représentée que par des courants seulement ; on avait ici une cassure nette sur le plan organisationnel également.

    Les bolcheviks levaient le drapeau de la primauté du Comité Central dans l’organisation, organisation devant s’appuyer sur des membres jouant le rôle de cadres ou du moins d’éléments parfaitement intégrés dans l’appareil, celui-ci étant centralisé.

    Karl Kautsky réagit en centriste à cette scission et fit tout pour valoriser les menchéviks au nom de la « démocratie » dans le Parti, et cela alors que ceux-ci agissaient en sous-main pour réaliser un putsch intérieur. Rosa Luxembourg reprocha également aux bolcheviks des méthodes jacobinistes et une perspective blanquiste.

    Lénine

    La gauche du parti bulgare soutint résolument les bolcheviks, y compris matériellement notamment avec des passeports bulgares, alors que la droite soutenait ouvertement les menchéviks. Un affrontement similaire eut lieu dans la Social-démocratie du royaume de Pologne et de Lituanie (deux pays annexés par la Russie), la grande figure de la gauche étant Félix Dzerjinski (le futur fondateur de la Tchéka).

    Cependant, même pour ces rares cas, la contradiction entre menchéviks et bolcheviks ne fut pas bien comprise et la social-démocratie allemande pesa de tout son poids pour l’unification sous hégémonie menchevique. La révolution russe de 1905 lança alors un processus nouveau, ébranlant le pays et le mouvement en Russie s’unifia de lui-même, en avril 1906 à Stockholm.

    Initialement, les mencheviks étaient majoritaires (62 contre 46 délégués aux bolcheviks), profitant de la désorganisation provoquée par la répression. Mais au congrès de mai 1907 à Londres, les bolcheviks reprirent la direction, alors que l’ensemble de la seconde Internationale considérait que la Russie tsariste allait bientôt tomber et que cela provoquerait une onde de choc.

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  • August Bebel contre Jean Jaurès au sixième congrès de la seconde Internationale

    August Bebel critiqua de manière brutale Jean Jaurès, défendant la social-démocratie contre Jean Jaurès.

    Le contenu est très clair et pourtant, ni August Bebel ni les autres sociaux-démocrates ne comprirent qu’au-delà de Jean Jaurès, il y avait un problème français et que ce problème reflétait celui de toute la tradition « socialiste » résolument étrangère, dans ses fondements, à la social-démocratie.

    August Bebel

    Voici un extrait des propos d’August Bebel.

    « Si fort que nous vous envions, à vous Français, votre République et que nous la désirions pour nous, nous ne nous ferons pas cependant casser la tête pour elle : elle n’en vaut pas la peine. (Tonnerre de bravos)

    Monarchie bourgeoise, République bourgeoise, l’une et l’autre sont des États de classe; l’une et l’autre sont nécessairement, par leur nature, faites pour le maintien de l’ordre social capitaliste.

    L’une et l’autre doivent travailler de toutes leurs forces à ce que la bourgeoisie conserve toute la puissance dans la législation.

    Car, du moment qu’elle perdrait le pouvoir politique, elle perdrait aussi sa situation économique et sociale. La monarchie n’est pas aussi mauvaise, et la République bourgeoise n’est pas rien plus si bonne que vous les faites. (Vifs applaudissements )

    Même dans notre Allemagne de militarisme, de hobereaux, de bourgeoisie, nous avons des institutions qui pour votre République bourgeoise sont encore un idéal. Regardez la législation de l’impôt en Prusse et dans d’autres Etats fédérés et regardez-la en France.

    Je ne connais pas de pays en Europe qui ait un système d’impôts aussi misérable, aussi réactionnaire, aussi exploiteur que la France. En face de ce système de succion, avec un budget de trois milliards et demi de francs, nous avons au moins l’impôt progressif sur le revenu et la fortune.

    Et quand il s’agit de réaliser les revendications de la classe ouvrière, la République bourgeoise elle-même déploie toutes ses forces contre les travailleurs. Où les travailleurs pourraient-ils être traités de façon plus brutale, plus cynique et plus vile que dans la grande République bourgeoise d’au-delà l’océan, qui est l’idéal de tant de gens ?

    Même en Suisse, une République de beaucoup plus démocratique que n’est votre France, rien que dans ce court été, les milices ont été six fois convoquées contre les ouvriers, qui faisaient usage de leur droit de coalition et d’association, même dans de toutes petites grèves.

    Je vous envie votre République particulièrement pour le suffrage universel appliqué à tous les corps élus. Mais je vous le dis sans mystère : Si nous avions le droit de suffrage dans la même extension et avec la même liberté que vous, nous vous aurions fait voir tout autre chose (Vifs applaudissements) que vous ne nous avez fait voir jusqu’ici (Nouveaux applaudissements).

    Mais lorsque chez vous, ouvriers et patrons viennent en conflit, c’est d’une façon odieuse qu’on procède contre les prolétaires français. Qu’est-ce aujourd’hui que l’armée sinon le meilleur des instruments de la domination de classe ?

    Il n’y a pas eu de lutte un peu importante dans ces quatre dernières années, ni à Lille, ni à Roubaix, ni à Marseille, ni à Brest, ni à la Martinique, ni tout récemment encore en Normandie contre des grévistes verriers (Vifs applaudissements), où le ministère Waldeck-Rousseau-Millerand, où le ministère Combes, n’ait fait donner l’armée contre les travailleurs.

    En novembre dernier, la police a envahi de la manière la plus honteuse et la plus violente la Bourse du Travail de Paris ; elle a blessé, elle a frappé soixante‑dix ouvriers. Et à cette occasion, il y a une partie de nos amis socialistes à la Chambre qui n’ont pas voté pour que le préfet de police fût puni (Nombreuses réprobations).

    Jaurès nous a donné une leçon sur ce que nous devrions faire.

    Pour maintenant, je ne réponds qu’une chose : si en Allemagne quelqu’un s’avisait de voter un ordre du jour en faveur du gouvernement, qui abandonnât les intérêts les plus considérables du prolétariat, le lendemain il perdrait son mandat (Vif assentiment), il ne pourrait pas rester une heure représentant du peuple ; nous sommes trop disciplinés pour cela (…).

    Si, dans ces dernières années, en France, la République a été mise en danger ‑ j’admets cela comme un fait ‑ vous avez eu parfaitement raison si vous l’avez sauvée de concert avec ses défenseurs bourgeois. Nous aurions fait de même.

    Nous ne vous faisons pas non plus un reproche de la lutte contre le cléricalisme. Alliez-vous, si vous êtes trop faibles contre lui tout seul, avec les libéraux; nous la faisons aussi, mais après le combat, nous sommes des étrangers.

    Et où donc, dans ces dernières années, en Europe, était menacée la Paix universelle, que Jaurès a aussi sauvée ? (Grande hilarité). Parler pour la paix universelle nous l’avons fait aussi.

    Mais, contrairement à nous, vous votez le budget de l’armée et de la marine (Les jaurésistes : Non !), le budget colonial (Les jaurésistes : Non !), les impôts indirects (Et vous ?), les fonds secrets (Bruit chez les jaurésistes) et, par là, vous donnez votre appui à tout ce qui peut menacer la paix (Vifs applaudissements).

    Le vote de confiance qui est dans l’approbation du budget, nous ne pouvons pas, nous, le donner à un gouvernement bourgeois (Vifs applaudissements).

    Jaurès espère encore, de cette collaboration avec les partis bourgeois, l’étatisation des chemins de fer et des mines. Un des points les plus importants de son programme a donc été réalisé par l’Allemagne, gouvernée monarchiquement (Rires).

    Si nous voulons, en Allemagne, obtenir un progrès de ce genre, nous sommes naturellement amenés aussi à soutenir les partis bourgeois, mais une alliance permanente avec ses éléments, nous la rejetons résolument (…).

    Jaurès a encore parlé de l’impuissance politique de la démocratie socialiste allemande. Qu ‘a t-il donc attendu de nous après la victoire des trois millions de suffrages ? Devions nous mobiliser les trois millions d’hommes et les amener devant le château royal ? (Rires).

    J’ai dit immédiatement après cette victoire, qui ne m’a pas surpris du tout, que provisoirement elle ne changerait pas grand’chose. Chez nous, ces trois millions ne suffisent pas. Mais laissez-nous avoir quatre et huit millions, et alors nous verrons (vifs applaudissements). »

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  • Le conflit franco-allemand au sixième congrès de la seconde Internationale

    Le congrès d’Amsterdam, du 14 au 20 août 1904, reflète bien les contradictions à l’œuvre au sein de la seconde Internationale. Jean Bourdeau, un journaliste français, le regarda de manière à la fois amusée et savante, décrivant avec sagacité le profond conflit se jouant à l’arrière-plan.

    Au-delà de la question de la droite et de la gauche dans la seconde Internationale, il y a la question de la mise en perspective, social-démocrate comme Karl Marx et Friedrich Engels ou bien « socialiste ».

    Les principaux dirigeants de la seconde Internationale en 1904

    Voici comment Jean Bourdeau présente la chose dans la Revue des Deux Mondes :

    « Les premières assises en ont été jetées au Congrès de Paris en 1889. L’Internationale s’est reconstituée au second Congrès de Paris en 1900, avec un bureau permanent : en 1904, elle réunissait à Amsterdam 5 délégués de l’Italie, 7 du Danemark, 66 de l’Allemagne, 3 de la Hongrie, 1 de l’Australie, 11 des Etats-Unis, 1 du Canada, 1 de l’Arménie, 101 de l’Angleterre, 2 de la République Argentine, 11 de l’Autriche, 38 de la Belgique, 3 de la Bohême, 2 de la Bulgarie, 5 de l’Espagne, 89 de la France, 33 de la Hollande, 1 du Japon, 2 de la Norvège, 29 de la Pologne autrichienne, russe et allemande, 45 de la Russie, 6 de la Suède, 7 de la Suisse, 1 de la Serbie : au total 470 délégués, qui représentent les organisations socialistes de ces divers pays.

    Jamais les Russes n’avaient figuré aussi complètement à un Congrès (…).

    En France, au contraire, où les députés socialistes, bourgeois en majorité, jouent le premier rôle à la Chambre, les organisations socialistes paraîtront extrêmement faibles.

    Ç’a été une stupéfaction pour les Anglais d’apprendre que les bataillons sacrés de M. Guesde et de M. Vaillant ne comptent dans toute la France que 16 000 membres cotisans : ils ont fait élire 13 députés à la Chambre, et leurs candidatures multiples ont réuni 487 000 suffrages.

    Quant aux jauressistes, ils ne dépassent pas 8 500 membres organisés, auxquels on a peine à arracher 30 centimes de cotisation par an !

    Malgré un nombre si minime d’adhérents, qui diminue d’une année à l’autre, les jauressistes ont obtenu 406 377 voix aux dernières élections, un peu plus d’une trentaine de sièges à la Chambre, et, alliés aux radicaux et à 25 000 francs-maçons, ils gouvernent la Chambre, le Ministère et 38 millions de Français (…).

    Les Allemands tiennent de beaucoup la tête, avec leurs trois millions de voix, qui les ont mis au premier rang des partis allemands dans le corps électoral, et au second rang au Reichstag avec leurs 81 députés.

    De 1898 à 1903, ils ont gagné 900 000 voix. Ils n’ont devant eux que le centre catholique pour leur barrer la route ; mais ils subissent des échecs aux élections partielles, grâce au zèle de presque tous les partis à se grouper contre eux.

    Les Belges, au nombre de 28 députés, ont perdu sept mandats au dernier renouvellement de la Chambre, mais au profit des libéraux, lesquels, s’ils arrivent au pouvoir, ne pourront se passer du concours des socialistes.

    En 1900, les socialistes autrichiens ont perdu cinq sièges, et leur douzaine de députés ne joue au Reichsrath qu’un rôle modeste. En Italie, les socialistes comptent 42 000 membres régulièrement cotisants ; ils sont 27 au Parlement ; ils ont vu M. Giolitti, au début de son ministère, rechercher leur concours et leur offrir un portefeuille (…).

    A partir de 1889, ce furent les socialistes allemands, les plus savants et les mieux organisés, les plus préoccupés de doctrines et de discipline, qui eurent la haute main sur ces Congrès.

    Dans tous les pays où le socialisme s’est répandu, les partis socialistes se sont formés sur le modèle de la démocratie allemande. C’est le cas, par exemple, en Autriche, en Belgique, en Italie, en Espagne, etc.

    Dans les pays où le socialisme allemand a trouvé plus de peine à se répandre, à cause de son caractère exotique, des sortes de succursales, de filiales de la Social-démocratie allemande, se sont maintenues à côté des organisations plus conformes au caractère national.

    Ainsi, en Angleterre, la Social-democratic Federation ; en France, l’ancienne organisation guesdiste ; en Pologne, le parti social démocratique ; en Russie, le parti ouvrier social démocrate que dirige M. Plekhanoff, restent sous l’inspiration directe des socialistes allemands (…).

    Enfin c’est en France, avec M. Jaurès, que le révisionnisme a trouvé sa plus éclatante expression.

    M. Jaurès, qui fut le conseil, l’appui de M. Millerand, tant que dura le ministère Waldeck-Rousseau, et son plus ardent défenseur, M. Jaurès a repris en l’aggravant la politique ministérielle, il a fait de son parti à la Chambre le ciment du bloc radical, il a couvert de son approbation et de ses votes tous les actes du ministère Combes.

    La motion Kautsky, édictée par le Congrès international de 1900, trop élastique, trop « Kaoutchousky, » selon le mot d’un plaisant, était donc restée lettre morte ; il s’agissait de la reprendre et de la renforcer.

    Il suffisait pour cela d’internationaliser la motion de Dresde, en la faisant ratifier par le Congrès d’Amsterdam. Telle est la proposition que présentait au Congrès le parti de M. Vaillant et de M. Guesde, lequel joue en France le rôle d’une sorte de nonce apostolique de M. Bebel et de M. Kautsky.

    La question fut d’abord discutée au sein d’une commission nommée à cet effet, car les socialistes sont dressés, depuis nombre d’années, aux jeux parlementaires, et deviennent en vérité des virtuoses.

    Ce fut comme une répétition à huis clos de la grande scène attendue par le Congrès avec une impatience fébrile, répétition plus intéressante et plus passionnée que la pièce même. Dans une salle assez étroite où se pressaient les délégués qui avaient vidé le Congrès, M. Jaurès, le représentant le plus autorisé de la nouvelle méthode, était assis, assisté de quelques fidèles.

    Il avait en face de lui Minos et Rhadamanthe : M. Kautsky ; Mlle Rosa Luxembourg, révolutionnaire exaltée, qui brandit parfois, dans les Congrès allemands, la torche de la Commune ; Bebel, le « Kaiser » de la social-démocratie allemande ; puis M. Guesde et M. Vaillant, le continuateur de la tradition blanquiste. Contrairement aux précédents Congrès, il n’y eut aucun tumulte.

    M. Kautsky fit d’abord remarquer à M. Jaurès que son cas était bien plus grave que celui de M. Millerand, qui ne gouvernait pas en qualité de mandataire de son parti. La scène la plus vive se passa entre M. Guesde et M. Jaurès, à propos des résultats réciproques de leurs deux méthodes.

    M. Jaurès reprochait à M. Guesde d’avoir fait perdre au socialisme, par son intransigeance, la place forte de Lille, et M. Guesde rendit au contraire le bloc responsable de cet échec.

    Il constata que toutes les candidatures des socialistes ministériels furent des candidatures officielles, à peu d’exceptions près.

    Devant la prétention de M. Jaurès d’avoir empêché la République de sombrer dans la tourmente nationaliste, M. Guesde douta que la République ait été en péril. Il opposa à la conception de M. Jaurès « que le socialisme sortira de la République, » la conception marxiste qui fait surgir le socialisme de l’évolution capitaliste.

    Nous entendîmes Mlle Rosa Luxembourg s’étonner que M. Jaurès pût allier à une mine si florissante une si mauvaise conscience. Elle se plut à constater à quel point M. Jaurès était isolé, rencontrant une opposition dans son propre parti.

    M. Jaurès n’eut pour alliés que des Belges, M. Furnémont, surtout M. Anseele. Ce n’est pas un ministère que M. Anseele, l’habile directeur du Vooruit de Gand, réclame du roi des Belges, c’est deux ministères, trois ministères, tous les ministères : que les socialistes s’emparent de toutes les places de la bourgeoisie, il n’y a pas de meilleure tactique.. — L’attaque de M. Bebel et la contre-attaque de M. Jaurès remplirent deux longues séances de la commission et deux séances du Congrès.

    M. Jaurès se déclara, avec force, partisan de la lutte de classes, de la destruction de la propriété privée. Le fait pour le prolétariat de poursuivre son but par de violents combats, n’exclut pas l’alliance des radicaux bourgeois.

    Cette alliance a porté ses fruits. La République, l’instrument indispensable à l’émancipation prolétarienne, a été sauvée. Les lois ouvrières ont abrégé le temps de travail ; les lois d’assurances, d’impôt sur le revenu, sont en préparation. Des ministres, tel M. Pelletan, fraternisent avec les syndicats (…).

    Les deux conceptions contraires de la théorie et de la tactique socialistes s’exprimèrent par ces deux discours.

    La doctrine marxiste, défendue par Bebel, considère les formes politiques comme subordonnées, et n’accorde d’importance qu’aux transformations économiques ; M. Jaurès attribue à la République bourgeoise la vertu mystérieuse de réaliser peu à peu le socialisme.

    M. Jaurès, par ses attaques, a blessé les Allemands, très influents dans le socialisme international ; il aura donc à se débrouiller avec ses coreligionnaires d’outre-Vosges.

    Comment d’ailleurs les socialistes pourraient-ils s’entendre ? Ils ne parlent pas la même langue.

    Les délégués ouvriers anglais ne comprenaient rien au Congrès. Ils rejettent le shibboleth socialiste de la « lutte de classes, » qui n’exprime pas exactement, à leur sens, le conflit des intérêts économiques entre employeurs et employés. Pour eux, le socialisme consiste à gagner dix schellings par jour et à ne travailler que huit heures.

    Les Français ne goûtent le socialisme qu’enguirlandé de phrases sonores : la Fraternité de l’avenir ! la République ! l’Émancipation du genre humain !

    Les Allemands méprisent la rhétorique, construisent le socialisme sur la dialectique hégélienne, la conception matérialiste de l’histoire, l’infrastructure économique de la société, et autres formules alambiquées qu’ils démolissent ensuite, mais avec autant de logique.

    En France, les polémiques entre socialistes vont se raviver.

    — Vous n’êtes pas socialistes, disent les guesdistes aux jauressistes ministériels. — Vous n’êtes pas républicains, ripostent ces derniers ; — et cela ne sera pas pour fortifier les guesdistes devant le corps électoral.

    Le bureau international a offert ses bons offices, en vue de faire cesser ces divisions fratricides ; il s’est chargé de la mission délicate de réconcilier M. Guesde et M. Jaurès, mais aucun des deux partis ne semble préparé à une entente. Ce qui peut nous toucher de plus près, c’est que M. Jaurès, afin de se laver du soupçon de réformisme et de modérantisme, tentera peut-être d’accentuer, dans le sens socialiste, la politique du bloc. »

    C’est le grand paradoxe : la social-démocratie allemande tire à boulets rouges sur Jean Jaurès, mais en même temps appelle à l’unité de tous les socialistes, lui y compris. L’unité sera effective en 1905, comme Section Française de l’Internationale Ouvrière.

    Il y avait, du côté de la social-démocratie allemande, avec Karl Kautsky à sa tête, une absence d’esprit de conséquence et de résolution.

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