Parti Communiste Révolutionnaire du Chili: Contre le sectarisme

1969

Notre Parti, en seulement deux années et demi d’existence, a réussi à unir autour d’un programme révolutionnaire juste, marxiste- léniniste, un nombre appréciable d’activistes de la classe ouvrière, d’étudiants, professeurs, intellectuels, etc., dans presque toutes les villes importantes du Chili et a développé des noyaux militants dans diverses régions rurales et communautés indigènes. 

Il a réussi à éduquer beaucoup de ses militants et à les transformer en de bons cadres, tout en maintenant une lutte idéologique permanente, au travers de journaux, bulletins, revues, contre les tendances opportunistes au sein de la classe ouvrière, en particulier contre le révisionnisme contemporain et contre l’idéologie petite-bourgeoise représentée par le castrisme. 

Tout ce labeur, qui avait pour objectif principal de développer et de renforcer une véritable avant-garde révolutionnaire du prolétariat, a été mené au milieu de conditions difficiles, à cause du petit nombre d’activistes que comptait notre organisation à ses débuts, face à la grosse machinerie de fonctionnaires de parti et de bureaucrates syndicaux que possédait le révisionnisme, face aux liaisons de celui-ci avec les patrons, la police et le gouvernement, face à la démagogie réformiste impulsée, planifiée et dirigée par l’impérialisme yankee, représentée dans notre pays par le Parti Démocrate-chrétien et soutenue par les révisionnistes du vieux PC, et face à la confusion semée dans les rangs révolutionnaires par le castrisme et le trotskysme. 

Depuis le IIIème Plénum de notre Comité Central, lors duquel fut discuté et approuvé la « Note sur le travail de masses », notre parti a fait de grands efforts pour pénétrer dans les principaux centres ouvriers, pour participer à la luttes des masses, pour les organiser et les mobiliser, pour respecter les principes de la clandestinité, pour agir de façon planifiée et pour démasquer les révisionnistes et autres opportunistes et jaunes en les prenant sur le fait, dans leurs actions concrètes qui signifiaient une trahison des intérêts des travailleurs. 

Dans beaucoup de lieux de travail, ces efforts ont payé et nos militants, agissant à partir d’une position indépendante, ont gagné prestige et influence parmi les masses. 

Toutefois, ces expériences-là n’ont pas été les plus fréquentes et générales. La direction du parti n’a pas poussé assez catégoriquement à l’étude de la « Note sur le travail de masses » dans les comités régionaux et dans les bases, la discussion sur les fondements idéologiques de la ligne de masses n’a pas été approfondie, et pour ces raisons, le travail a été défectueux, partiel et étroit. 

Le parti dans son ensemble n’a pas compris la relation qui existe entre le travail de masses, sa mobilisation révolutionnaire et la préparation de la lutte armée, et dans certaines régions, on est tombé dans le travers d’un travail routinier et sans perspectives révolutionnaires, centré sur le recrutement de militants à la marge de la lutte des masses et sur la préservation et le perfectionnement de l’organisation, l’isolant ainsi de la vie de notre peuple, de ses problèmes et de ses luttes. 

Ces erreurs graves indiquent que dans notre Parti s’est développée une tendance au sectarisme qu’il est nécessaire de combattre avec la plus grande détermination. 

Pour combattre une tendance erronée, il faut la connaître précisément, déceler ses racines idéologiques et son origine de classe, analyser les formes qu’elle prend dans le travail du Parti et lancer contre elle une lutte idéologique qui éduque les militants et crée les conditions pour les rendre capables de la reconnaître et de la déterrer dans le travail partidaire. 

Si nous ne lançons pas cette lutte idéologique et que nous nous limitons à dicter des instructions de rectification, nous perdrions une occasion excellente d’élever le niveau de conscience des militants, et la rectification ne serait que superficielle, et la tendance erronée réapparaîtrait sous d’autres formes. 

Le sectarisme a pour base idéologique le subjectivisme, autrement dit la conception idéaliste et bourgeoise du monde, celle qui tente de faire croire que les idées ne naissent pas de la pratique sociale, mais qu’elles possèdent leur vie propre, indépendante de la pratique des êtres humains. 

Dans le sectarisme se manifeste le désir de s’isoler des larges masses, de tout résoudre au travers d’un groupe, d’une secte ou d’un clan d’élus. C’est une expression d’individualisme extrême et de mépris, de manque de confiance et de peur envers les masses du peuple. C’est une tendance propre aux classes exploiteuses. 

Tout au long de l’histoire, on voit la bourgeoisie recourir à toute sorte d’organisations sectaires, comme les loges, les fraternités, les sociétés secrètes, groupes terroristes, conciliabules, etc., pour atteindre ses buts politiques et défendre ses intérêts de groupe.

Le prolétariat, pour sa part, est étranger à l’esprit sectaire. Il n’a pas d’intérêts obscurs ni de privilèges à défendre. Ses intérêts de classe s’identifient avec les intérêts des larges masses du peuple. 

Sa lutte révolutionnaire, il ne peut pas la livrer dans l’isolement, mais au contraire en groupant autour de lui tous les secteurs capables de l’accompagner à chaque étape de la lutte.

Pour cette raison, le parti prolétarien, le parti marxiste- léniniste, doit être capable, depuis le départ, d’appliquer correctement la ligne de masses, d’être capable de s’unir aux masses, de les servir fidèlement, de les organiser, de diriger et orienter ses luttes, de les éduquer et de les mener mener sur le chemin de la révolution. 

C’est un devoir qu’il ne peut éluder, c’est l’essence de son travail et de son action, où qu’il soit et quelque soit le nombre de militants qu’il compte dans ses rangs. 

Seul le travail politique fondé sur la ligne de masses peut développer le parti et en faire la force-noyau capable de diriger la révolution de notre peuple. 

Seul le travail politique fondé sur la ligne de masses peut élever le prolétariat à la position dirigeante et lui faire jouer le rôle hégémonique dans la lutte armée pour la libération nationale, et c’est seulement par ce travail que peut être préparée, organisée et développée la guerre populaire, la guerre des masses capable de libérer les classes exploitées de notre pays. 

La politique, c’est l’activité consciente d’une classe qui vise à défendre ses intérêts fondamentaux. 

A travers elle, les forces qui représentent les divers intérêts de classe d’une société luttent pour gagner à leur cause les majorités, pour obtenir leur soutien et leur aide afin de dominer le pouvoir, servir ces intérêts et imposer leur propre conception du monde. 

L’impérialisme et la bourgeoisie comptent sur la machinerie du pouvoir, sur le contrôle des forces de répression, sur les armes du soudoiement, du conciliabule, de la corruption, etc. pour se maintenir au pouvoir et exercer leur exploitation.

Le prolétariat ne compte que sur l’unité autour de son parti et sur son action politique pour organiser et élever sa capacité combative, générer sa propre force militaire, déloger ses ennemis de classe du pouvoir et libérer lui-même et tout le peuple de l’exploitation.

Le sectarisme, c’est le contraire de la politique prolétarienne et de la lige de masses. C’est une tendance opposée à l’idéologie du prolétariat, opposée aux principes du marxisme-léninisme. C’est un cancer que nous devons apprendre à reconnaître et éliminer de la vie et du travail de notre Parti.

Poursuivons. Les erreurs principales qui ont mis à découvert l’existence du sectarisme dans notre travail sont les suivantes : 

1. Nous avons cherché à construire le Parti et à le développer en marge de la lutte des masses; ceci a généré un recrutement sectaire et étroit d’éléments qui étaient d’accord avec nous mais seulement en paroles, et nous a empêcher de connaître et de gagner les véritables activistes agissant dans les masses. 

2. Nous n’avons pas su comprendre le rapport qui existe entre le travail clandestin et le travail ouvert. Nous n’avons pas compris que notre organisation est clandestine pour pouvoir faire du travail ouvert parmi les masses, pour pouvoir les mobiliser et les diriger dans la lutte révolutionnaire. 

Nous n’avons pas impulsé de participation active dans les organismes de masses sous prétexte qu’ils sont dirigés par des jaunes, comme s’il n’était pas obligatoire de combattre l’opportunisme au sein des masses et de nettoyer leurs organisations des traîtres et des jaunes. 

Ceci signifie : manque de combativité et manque de confiance dans les masses. 

Nous n’avons pas promu la création de nouveaux organismes de masses ouverts et légaux, qui recueillent les inquiétudes et aspirations des travailleurs, servent leurs intérêts et établissent le lien entre le Parti et les masses. 

3. En ne participant pas activement à la lutte des masses, nous avons conduit le Parti vers l’isolement, nous n’avons pas pu synthétiser ces luttes pour en faire des plate-formes concrètes et des consignes capables d’orienter et d’impulser la lutte des classes, et pour cette raison, nous n’avons pas pu mobiliser les larges masses, faute de jouer notre rôle d’avant-garde prolétaire. 

4. Nous n’avons pas su travailler avec ceux qui ne sont pas totalement d’accord avec nous. C’est-à-dire que nous n’avons pas compris que dans les masses, il y a des éléments avancés, intermédiaires et attardés, et nous n’avons pas donné à chaque cas de figure un traitement approprié.

5. Nous avons pensé que nous ne pouvions intervenir dans la lutte des masses seulement là où le parti était déjà présent et renforcé. Dans de nombreux cas, même là où le Parti était présent, nous n’avons fait que suivre les masses, démontrant ainsi un manque d’intérêt et de détermination pour servir le peuple et représenter ses intérêts fondamentaux.

Ces expressions de sectarisme dans le rapport du Parti aux masses ont été accompagnées de manifestations de sectarisme dans le travail interne du Parti. A notre avis, les plus importantes sont : 1. Dans les divers organismes du Parti, nous n’avons pas implanté les méthodes correctes qui auraient permis d’établir les justes relations entre les tâches d’orientation et de direction politique et les tâches pratiques et d’organisation. 

Face à la surcharge de travail, nous avons donné la préférence aux tâches pratiques et d’organisation, laissant au second plan et même dans l’oubli les tâches politiques. C’est une grave erreur qui tend à écarter le Parti de ses devoirs révolutionnaires et de la vie de notre peuple. 

Le travail politique, fondamentalement, doit résumer et systématiser les expériences de la lutte des masses à la lumière du marxisme-léninisme, pour les faire revenir aux masses sous forme de ligne et d’orientation politiques. 

Voilà l’essence de notre travail révolutionnaire. En retour, faute de résoudre correctement les tâches pratiques et d’organisation, il sera impossible de transformer les orientations politiques en actions concrètes. 

2. L’erreur consistant à chercher à former des cadres à la marge de la lutte des masses. On s’est occupé de perfectionner l’organisation, d’élever le niveau politique des cadres, de les qualifier et même de les remodeler idéologiquement sur la seule base de l’étude livresque, des cours et des discussions internes à l’écart de la pratique concrète révolutionnaire. 

Cette erreur a conduit certains cadres à s’auto-perfectionner, à se prolétariser loin du prolétariat, à faire preuve d’orgueil et à traiter avec mépris leurs camarades.

3. L’erreur d’exiger un haut niveau idéologique et de faire obstacle au recrutement de prolétaires honnêtes qui acceptent les aspects fondamentaux de notre programme et sont prêts à lutter pour la libération de leur classe. 

On oublie ce faisant le rapport qui existe entre la qualité et la quantité et on oublie le fait qu’un prolétaire n’a principalement qu’un recours pour élever son niveau idéologique: s’incorporer aux tâches politiques de son parti de classe, à sa discipline et son éducation. 

4. L’erreur de n’avoir pas utilisé suffisamment et correctement la critique et l’autocritique dans les organismes du Parti. On a ainsi méprisé l’arme fondamentale pour atteindre l’unité et élever le niveau idéologique et politique des militants. Lorsqu’elles ont été utilisées, c’était seulement pour résoudre de graves problèmes internes, mais pas de façon systématique dans la chaleur de la pratique dans le travail politique du Parti.

5. L’erreur de placer l’origine de classe au-dessus de l’aspect idéologique dans l’évaluation des militants, ce qui tend à priver le Parti et la classe ouvrière de la contribution valable et nécessaire que peuvent apporter les intellectuels révolutionnaires. Cette manifestation de sectarisme a en général été accompagnée de l’erreur de confondre les artisans (qui appartiennent à la petite- bourgeoisie) avec le prolétariat.

La considération de l’origine de classe des cadres révolutionnaires est un facteur important dans leur évaluation, mais n’est pas le seul. Le mouvement ouvrier a compté de grands dirigeants provenant d’autres classes. 

Le facteur déterminant dans l’évaluation d’un cadre, c’est son niveau idéologique, qui doit se manifester principalement dans la fidélité et la ferveur pour la cause révolutionnaire du prolétariat.

6. L’erreur de cacher le Parti loin des yeux des masses, se refuser à mener les tâches de propagande sous le prétexte de maintenir la clandestinité; comme si celle-ci devait empêcher de mener une bonne et efficace propagande parmi les masses. On oublie ainsi que la meilleure clandestinité est celle que les masses elles-mêmes offrent à leur avant-garde révolutionnaire. 

Toutes ces erreurs provoquées par le sectarisme doivent être analysées par nos soins, de façon sérieuse et approfondie, à la lumière des principes du marxisme-léninisme et de la pensée de Mao Zedong. 

Elles ont causé grand tort au développement de notre Parti et à la cause révolutionnaire de notre peuple. La lutte contre le sectarisme est une tâche immédiate que nous devons réaliser pour rectifier ces erreurs et rendre le Parti apte à mener avec la plus grande efficacité son travail révolutionnaire. 

Nous pensons que nous ne pourrons réussir cette tâche que si, dans chaque comité et chaque cellule nous réalisons un bilan du travail et une discussion sérieuse pour déterminer de quelle façon le travail a été affecté par le sectarisme, et que nous impulsons avec la plus grande détermination le travail de masses dans chaque organisme du Parti. 

En rectifiant nos erreurs de sectarisme nous devons considérer : 

1. Que dans le travail du Parti, nous devons donner la première place à la politique et lui subordonner toutes les autres tâches. Que l’idéologie fait partie de la politique, et que pour notre Parti, il s’agit d’une politique prolétarienne qui se résume à impulser et diriger la lutte des classes, à servir les intérêts du peuple à court et à long terme. 

Cette définition politique est exprimée dans notre Programme et doit être présente dans chacun des actions du Parti. 

2. Que l’idéologie prolétarienne ne peut remplir son rôle dirigeant que dans la pratique révolutionnaire, dans l’élaboration d’une ligne politique juste pour chaque moment de la lutte et dans l’accomplissement des tâches politiques au sein des masses. 

3. Que le prolétariat doit développer une politique indépendante, qui prend chair et force grâce au soutien des larges masses exploitées et non pas grâce aux engagements et aux pactes conclu avec les directions des autres forces. Il doit élaborer ses propres formes d’action et ses propres méthodes de lutte, ou comme le dit Mao Zedong « Vous vous battez à votre façon, nous nous battons à notre façon. »

4. Que la lutte des masses, leur mobilisation révolutionnaire, la construction du Parti et la préparation de la lutte armée ne peuvent pas être séparées, étant des aspects d’une même tâche. 

5. Que la liaison avec les masses, leur organisation et leur mobilisation est ainsi une seule et constante tâche qui ne peut pas se diviser en étapes.

6. Que pour mobiliser les masses ils ne suffit pas de participer à leurs luttes. Ni même de parvenir à les diriger et à les rendre plus combatives. 

Comme il a été dit antérieurement, il faut que le Parti synthétise leurs luttes en plate-formes et directives politiques capables d’unir les différents mouvements spontanés, et en actions politiques à objectifs concrets, pour tirer les masses et les luttes revendicatives hors de l’économisme et les mettre sur le chemin de la révolution. S’il ne fait pas cela, le Parti ne pourra que rester le fourgon de queue de la lutte spontanée. 

7. Que la défaite du sectarisme implique l’élimination du subjectivisme qui est à sa source et qui se manifeste ainsi : a) méconnaissance des problèmes des masses; b) méconnaissance du degré de conscience des masses; c) méconnaissance des modes de vie des masses; d) méconnaissance des diverses formes d’expression des masses; e) méconnaissance des luttes spontanées des masses et de leurs traditions de lutte

8. Que le caractère clandestin du Parti ne saurait en aucun cas être une excuse pour s’isoler et se cacher des masses. 

Que tout notre peuple doit connaître l’existence du Parti, sa ligne politique et sa fidélité aux intérêts du prolétariat et des masses exploitées, bien qu’il ne sache pas quelle est son organisation et où il se réunit.

Que notre Parti est clandestin pour ne pas être éliminé par l’ennemi et pouvoir servir les masses et devenir la force-noyau capable de diriger la révolution de notre peuple. 

Que la contradiction entre travail clandestin et travail ouvert se résout au travers d’organismes de masses indépendants, ouverts et légaux, comme des comités, des centres, etc., qui reflètent les inquiétudes et les aspirations des masses, qui nous permettent d’unir les plus vastes secteurs des ouvriers, paysans, étudiants, employés, intellectuels, etc., en les organisant et en les dirigeant sous l’orientation du Parti. 

La participation active de nos militants dans les syndicats, centrales de travailleurs, confédérations, etc., doit être impulsée sérieusement, au plan national comme régional. 

Face à cela, le Parti doit fixer une politique claire et définie, pour que nos militants puissent y agir de façon décidée, regrouper autour d’eux les éléments les plus sains et combatifs de la classe laborieuse et transformer ces organismes de masses en instruments actifs de la lutte des classes, en isolant et en démasquant les traîtres et les renégats.

Notre Parti a déjà entamé avec succès la lutte contre le sectarisme. Sous cette orientation, quelques comités régionaux ont réussi, dans un court laps de temps, à rompre l’isolement et à établir des liens sérieux et définitifs avec les masses travailleuses. 

Dans les luttes, nous apprenons à connaître de nombreux activistes des masses, honnêtes et combatifs, qui comprennent immédiatement nos positions, qui travaillent à nos côtés et qui, bientôt, seront invités à militer dans notre Parti. Dans la mesure où nous battons les tendances sectaires, un nouveau souffle passe dans nos rangs. 

Les masses de notre pays sont en train d’être brutalement frappées par la politique de famine imposée par l’impérialisme yankee par l’intermédiaire de son instrument, le gouvernement de Frei et la poignée de grands exploiteurs autochtones. La démagogie réformiste commence à faire faillite et les politiciens opportunistes au service de la bourgeoisie commencent à être répudiés par les travailleurs.

Les luttes des masses prennent un caractère de plus ne plus combatif et outrepassent les instructions des dirigeants jaunes enkystés dans leurs organismes. Rien, à part nos propres défauts et limitations, n’empêchera notre Parti de remplir son devoir glorieux de diriger et prendre la tête de la lutte révolutionnaire de notre peuple.

Toutes les fois que nous mènerons un travail sérieux, dévoué et efficace, les masses seront avec nous.

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au Chili (1960-1980)

La Sécession viennoise et Otto Wagner

Otto Wagner (1841-1918) n’appartient pas directement à la Sécession, mais sa trajectoire est directement parallèle et il l’a soutenue de très près, défendant, de fait, les mêmes positions.

Toutefois, il existe une profonde nuance, dans la mesure où la Sécession était principalement liée à la bourgeoisie qui était son soutien financier, alors qu’Otto Wagner était en plus de cela lié à la monarchie tendant à être absolue.

Otto Wagner a été, en effet, le principal architecte de la ville de Vienne à la fin du XIXe siècle, alors que son orientation ne correspondait pas à celle des grands bâtiments de la Ringstrasse, d’esprit « néo » (néo-classique, néo-gothique, néo-renaissance).

Otto Wagner était le partisan d’un style linéaire épuré en général et ornementale en particulier, dans une contradiction étant à la base même de la dynamique de l’art national autrichien.

Cela correspondait parfaitement aux attentes de la monarchie tendant à être absolue, qui lui confia la régulation de la ville en 1893, et si son plan ne fut pas réalisé en tant que tel, sa démarche eut un impact considérable.

Il se vit également nommé à la commission de la régulation du Danube et fut responsable de l’esthétique du métro de Vienne, construit de 1892 à 1901. C’était là une tache d’un symbolisme extrême, dans la mesure où la ville devait se moderniser par le métro, celui-ci devenant le poumon du mouvement de la ville.

L’esthétique du métro (à vapeur) et de ses lignes uniquement aériennes donnaient à la ville une direction esthétique, devant pratiquement la guider sur le plan culturel, puisqu’Otto Wagner ne contentait pas du design des 36 stations, devant également gérer les stations consistant en des petits pavillons, les viaducs et les ponts.

Le blanc limpide et un vert pomme bien spécifique devinrent les symboles de ce métro, fournissant une identité nouvelle à la ville.

Dans l’esprit de la Sécession, Otto Wagner réalisa une perspective artistique totale, s’occupant tant de l’architecture en tant que telle que des meubles, des installations à l’intérieur des bâtiments, notamment pour le bâtiment de la Caisse d’épargne de la Poste, ainsi que l’église Am Steinhof destinée aux personnes hospitalisées à l’asile.

Otto Wagner, qui fut également nommé professeur d’architecture à l’académie des Beaux-Arts, réalisa pareillement des villas, des maisons à l’esthétique très marquée sur une avenue partant du ring pour aller en direction du château impérial. Il fit également des plans pour tout un arrondissement, posant la question de l’organisation d’une grande ville.

C’était là l’émergence d’une profonde réflexion sur l’architecture et l’importance du rapport entre les besoins et les possibilités. Autant d’architecture que nécessaire, autant d’art que possible, affirmait en quelque sorte Otto Wagner.

« La construction est le germe de l’architecture; plus elle atteint son but, plus elle est parfaite. Cette notion correspond à celle d’utilité pure.

Mais celle-ci n’était pas suffisante, car le sentiment de beauté qui est propre à l’homme évoquait l’art et exigeait qu’il accompagne la construction.

Ainsi naquit l’architecture. La décoration de huttes et de grottes avec des fleurs, des branches, des trophées, des armes et des pierres commémoratives provoque l’émulation; ainsi, du premier art, l’architecture, naquirent des arts voisins: la peinture et la sculpture. Les produits de ces arts sont par nature des créations de beauté.

Le besoin, le but, la construction et l’idéalisme sont donc à l’origine de la vie artistique.

Ces éléments, réunis en une seule nofion, constituent en quelque sorte une nécessité pour l’évolution et l’existence de toute œuvre d’art, selon le dicton: «Artis solo domina necessitas », Seule la nécessité domine l’art.

Nous pouvons donc affirmer avec certitude que: « Toutes les formes architecturales sont nées de la construction et se sont transformées ensuite en art. » Ce principe, qui ne peut être démenti, explique l’origine de toute forme d’art (…).

Dans le chapitre consacré au «style », et ailleurs, j’ai affirmé que les formes d’art subissent des transformations.

Celles-ci se sont vérifiées en partie parce que la forme devait représenter l’idéal de beauté d’une certaine époque, mais surtout parce que le système de fabrication, le matériel, les outils, les moyens disponibles, les besoins, etc. variaient à chaque époque et devaient satisfaire des exigences différentes selon la diversité des lieux.

Par conséquent, c’est toujours un principe de construction qui a déterminé l’origine des formes d’art; il en résulte que de nouvelles constructions produisent forcément de nouvelles formes.

Notre époque a produit un nombre sans précédent de nouvelles constructions (il suffit de penser à la diffusion du fer dans l’industrie du bâtiment). Donc, si l’art recherche la nouveauté dans le domaine de la construction, ici aussi de nouvelles formes, et donc un nouveau style, devront nécessairement s’imposer.

La conséquence pratique de ces considérations est très simple: «L’architecte doit toujours développer une forme artistique en partant de la construction». »

C’est là le même esprit que la Sécession et on voit la perspective démocratique : il faut à la fois toujours améliorer et toujours rendre davantage beau.

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La Sécession viennoise et les Wiener Werkstätte

La contradiction fondamentale au sein de la Sécession ne manqua pas de faire imploser celle-ci rapidement ; Ver Sacrum n’eut, de fait, que 12 numéros. La Sécession en tant qu’association prolongea son existence, mais elle n’avait été qu’une étape affirmative.

En l’absence de solution national-démocratique en Autriche même, la tendance exigeant la généralisation de l’art forma son propre mouvement dès 1903, les Wiener Werkstätte, les « ateliers viennois ».

L’objectif était de réaliser des produits artisanaux se réalisant possiblement en série : c’est la bourgeoisie, par sa consommation esthétisante, qui devait devenir le vecteur de la généralisation du goût et de la beauté artistique.

C’est ce mouvement qui, on le comprend à l’arrière-plan, devait moderniser le pays, balayant l’idéologie féodale-cléricale-militariste.

L’un des deux fondateurs des Wiener Werkstätte, l’architecte Josef Hoffmann, formula son point de vue de la manière suivante :

« Il est impossible que cela suffise que nous acquérions des tableaux, aussi magnifiques qu’ils soient.

Tant que nos villes, nos maisons, nos pièces, nos armoires, nos appareils, nos habits et nos bijoux, notre langage et sentiments ne représentent pas symboliquement de manière expressive, de manière plus sobre, plus simple et plus belle, l’esprit de notre propre époque, nous sommes immensément loin de nos ancêtres et aucun mensonge ne peut nous tromper à ce sujet. »

Il s’agit d’une allusion à l’artisanat le plus développé du passé et on retrouve le principe des arts & crafts, développé par le communiste William Morris et théorisé notamment dans les Nouvelles de nulle part.

Le niveau artisanal le plus développé et le goût personnel à ce sujet le plus avancé doivent se généraliser dans une société remplie de beauté reflétant l’activité de l’esprit.

Chaque objet de la vie quotidienne doit avoir un haut niveau culturel, façonnant en retour l’esprit qui, se plaisant dans un environnement à son image, se tourne vers la beauté et l’apprécie.

Les Wiener Werkstätte, avec donc Josef Hoffmann, mais également le graphiste Koloman Moser, ainsi que de manière secondaire Carl Otto Czeschka, étaient une coopérative devant donner la dynamique à cela, par la production de meubles, de lampes, de bijoux, de la céramique, des tissus et de la haute couture, de la verrerie, des cartes postales et des affiches, du papier à lettre et des reliures, différents objets comme des couverts de table, des théières, etc.

L’organisation pouvait se montrer totale, dans le moindre détail, dans la production d’objets comme d’environnements sociaux, comme avec le sanatorium de Purkersdorf en Autriche et surtout le Palais Stoclet de Bruxelles, hôtel particulier du financier belge Adolphe Stoclet.

Aucun aspect n’est oublié, depuis les poignets de portes jusqu’aux lampes, des bacs à fleur jusqu’aux fenêtres, de la vaisselle jusqu’à la décoration, etc.

Dans une brochure des Wiener Werkstätte, on lit en 1905 :

« Le désastre incommensurable, que la production de masse de mauvaise qualité, d’une part, et l’imitation irréfléchie de styles anciens, d’autre part, ont causé dans le domaine des arts décoratifs, inonde le monde entier tel un fleuve gigantesque.

Nager à contre-courant serait de la folie. Et pourtant, nous avons nos ateliers.

Nous voulons instituer des rapports cordiaux entre le public, le concepteur et l’artisan, et fabriquer un équipement ménager simple et de bonne qualité.

Nous partons de la fonction de l’objet ; pour nous, il doit être avant tout pratique ; nous tirerons notre force de la qualité de nos relations et de la qualité de notre travail.

Là où il conviendra d’ornementer, nous chercherons à le faire, mais sans nous y forcer et pas à n’importe quel prix ».

On peut se douter que tout cela avait un prix élevé et visait uniquement la bourgeoisie, avec par ailleurs deux magasins en plein centre de Vienne, ainsi que dans les villes thermales tchèques Karlovy Vary (Karlsbad) et Mariánské Lázně (Marienbad), la petite ville de Velden au bord du lac autrichien Wörther, ainsi que Berlin, Zurich et New York.

Les matériaux utilisés étaient les plus coûteux et le projet ne pouvait viser qu’un public de plus en plus élitiste ; c’est la section haute couture et tissus qui rapportait réellement quelque chose, reflétant une orientation toujours plus grand-bourgeoise.

Les Wiener Werkstätte profitaient, de fait, initialement du mécénat du producteur de tissus juif Fritz Waerndorfer, qui fit faillite, le relais étant pris par Otto Primavesi qui fit faillite également. La crise générale du capitalisme, avec le tournant de 1929, fit s’effondrer le projet des Wiener Werkstätte.

Elles avaient été le prolongement le plus abouti de la Sécession viennoise, dans son projet d’esthétisation totale de la société, mais leur dynamique s’appuyait sur une classe sociale dont le mode de production happait toutes les énergies et de plus en plus les biens de consommation, se réservant l’art total devenant de plus en plus un simple raffinement de grand bourgeois.

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La Sécession viennoise et la question du rapport au peuple

Dans sa revue Ver Sacrum, les articles tendant à exposer une réalité plus qu’à se justifier idéologiquement. Le tempo de la vie exige des formes nouvelles et l’artiste est une figure réelle et activiste, désireuse de produire, conformément à son époque.

L’arriération de la culture autrichienne – désignée telle quelle, nationalement, à l’opposé de la culture allemande donc – est intolérable, car ne permettant pas de se conformer à ce rythme moderne.

L’artiste doit de nouveau puiser à la « source éternelle » de l’art pour se conformer à l’esprit de son époque – on a ici une contradiction productive : l’idéalisme artistique est prétexte à une adéquation culturelle avec la nouvelle réalité, celle où la féodalité commence à être abolie.

Ver Sacrum présente donc des œuvres d’autres pays, notamment de France, devant servir de pression culturelle pour aller en un sens nouveau, rompre avec l’académie, représentée par l’association officielle Künstlerhaus dont sont issus les « sécessionnistes ».

Elle présente également des œuvres relevant de son mouvement et, dans tous les cas, on se doute que la reproduction de ces œuvres provient d’un choix culturel bien déterminé.

Or, ce qu’on voit dans Ver Sacrum, c’est que si on y trouve des œuvres relevant de l’impressionnisme ou du symbolisme-décadentisme, on y voit également régulièrement des œuvres relevant du réalisme.

On comprend très bien comment la Sécession est tiraillée entre ses tendances, entre la tendance naturelle bourgeoise à tendre au subjectivisme avec ses succès et celle relevant de la bataille démocratique, populaire-nationale, contre la féodalité.

La tentative de résoudre cette contradiction existait bien sûr. On en a un exemple frappant avec l’article d’Adolf Bartels, intitulé « Qu’est-ce qui est conforme à son époque ? ». Adolf Bartels y explique qu’il faut que l’art soit en conformité avec l’esprit de l’époque et ancré dans la réalité du peuple.

« Qu’est-ce qui est conforme à son époque ? »

Cette position est d’autant plus frappante que le numéro de Ver Sacrum est accompagné de toute une série d’illustrations du peintre tchèque Hanuš Schwaiger (dont le père était juif), avec soit des images de contes populaires, notamment slaves, soit des dessins réalistes.

L’image ci-dessous montre par exemple « la pauvreté » et il est précisé que le dessin a été acheté par le professeur Masaryk, très certainement pas moins que Tomáš Masaryk, le grand théoricien national-bourgeois tchèque et premier président tchécoslovaque une vingtaine d’années plus tard.

Ce qui est extrêmement frappant quand on sait que par la suite, par incapacité à assumer la ligne artistique national-démocratique anti-féodale, Adolf Bartels va être l’un des plus grands activistes intellectuels du national-socialisme, pavant sa voie avec la théorie de « l’art de la patrie », la heimatkunst.

Dans « Qu’est-ce qui est conforme à son époque ? », Adolf Bartels répondait alors de la manière suivante :

« Ainsi, la réponse à la question « Qu’est-ce qui est conforme à son époque ? » est la suivante : tout ce qui n’a pas été déjà apporté dans des époques antérieures, qui obtient de solides racines dans le sol national et qui est amené par des personnalités artistiques significatives. »

On a ici quelque chose de très proche de la théorie du réalisme socialiste, mais avec des nuances amenant la définition à se retourner en son contraire, et à aller dans le sens du national-socialisme.

Adolf Bartels a compris que la pulsion ne suffisait pas : en cela, il rompt avec le subjectivisme bourgeois, au nom de l’art national. Mais il ne parvient pas à établir un rapport avec le peuple, avec son histoire, car il est allemand et l’Allemagne est un pays devenant impérialiste, tout comme les Autrichiens profitent de l’oppression nationale des plusieurs peuples.

Que l’on retouve la position d’Adolf Bartels dans un numéro de Ver Sacrum rempli d’illustrations d’œuvres de Hanuš Schwaiger est une contradiction historique tenant à la double nature de la Sécession.

Voici, comme illustrations, des exemples d’œuvres réalistes mises en avant dans Ver Sacrum.

La dimension folklorique est naturellement régulièrement présente, comme expression de la réalité populaire. On est le plus souvent dans une perspective nationale-démocratique. L’œuvre suivante est même présentée comme appartenant à la société praguoise des amis patriotiques de l’art.

L’œuvre suivante montre des lutins, dans l’esprit des contes populaires tchèques, avec une facture résolument réaliste.

Les deux œuvres suivantes sont présentées comme étant de J. Repin ; très certainement s’agit-il, vue la facture, de l’immense Illya Répine.

L’oeuvre ci-dessous est d’une des figures majeures du réalisme français, Léon Lhermitte.

Voici d’autres œuvres d’orientation réaliste présentées dans Ver Sacrum.

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Alfons Mucha et le baroque renversé

Né en 1860 en Moravie, Alfons Mucha est un artiste très célèbre en France, ayant vécu longtemps à Paris, où il a réalisé notamment de nombreuses affiches, au style éminemment reconnaissable. Résumer le style Mucha à une approche simplement art nouveau serait une profonde erreur, aussi y a-t-il lieu de se pencher sur ses ressources artistiques, tenant au foklore national tchèque.

Alfons Mucha, Portrait de  Josephine Crane Bradley
en tant que Slavia, 1908
Alfons Mucha, affiche pour Princesse Hyacinthe,
un ballet-pantomime de Oskar Nedbal, 1911
Alfons Mucha, affiche pour la chorale des professeurs moraves, 1911

Initialement artiste autodidacte, car se voyant refuser par les écoles d’art, il commence une carrière à Vienne, puis Mikulov, avant d’aller étudier à l’académie des arts de Munich, tout en faisant partie de l’association artistique tchèque locale, la Škréta, spolek mladých českých výtvarníků v Mnichově, fréquenté également par des artistes d’Europe de l’est en général.

Il part ensuite à Paris, étudiant à l’Académie Colarossi, où il finira lui-même par donner des cours ; en face de l’Académie se trouvait le café Crémerie et il y fréquente le milieu artistique, à la fois bohème et cosmopolite, devenant alors illustrateur.

Il participe à la vie du symbolisme-décadentisme et de sa vaste mouvance, partageant à un moment son atelier avec Paul Gauguin, découvrant l’occultisme avec l’écrivain suédois August Strindberg, connaissant un succès gigantesque pour son affiche du drame Gismonda, de Victorien Sardou, au théâtre de la Renaissance, dont Sarah Bernhardt était la grande figure. Elle engage en conséquence Alfons Mucha comme réalisateur des affiches, des costumes, du décor de scène, pour plusieurs années).

Avec l’imprimeur Champernois, Alfons Mucha fait alors réaliser des affiches en série et de qualité, lui amenant un grand succès, notamment avec différentes séries sur le thème des saisons, une présentation de femmes, dans un décor verdoyant, avec des habits ondulants, avec comme prétexte la lune, les étoiles, des pierres précieuses, etc.

La dimension érotique est fortement présente, typiquement dans l’esprit de la Sécession ; à la différence toutefois de Gustav Klimt, la pose et le style, la structuration des habits et du décor puisent largement dans le folklore slave.

Cela est particulièrement frappant sur les œuvres n’ayant qu’une fonction esthétisante. On voit très bien comment Alfons Mucha rompt avec le baroque en le renversant, non pas en le détournant, en le transformant en totalité artistique, comme ensemble esthétique, avec une orientation d’art populaire.

On peut comparer cette dernière œuvre à une publicité qu’Alfons Mucha a réalisé.

Alfons Mucha a, en effet, été un auteur prolixe, réalisant le rêve de la Sécession – un art se généralisant – à travers les opportunités commerciales qu’il a eu. L’éditeur Champenois déclinera ses travaux sur des cartes postales, des panneaux décoratifs, des calendriers, des programmes de théâtre, alors qu’Alfons Mucha lui-même réalisera de nombreuses publicités et contribuera à des œuvres de joaillerie.

En 1897, il participe au Salon des cent en tant que seul artiste présenté, avec 448 œuvres, sa réputation atteignant toutes les principales villes européennes, ainsi que New York. Il reçoit la légion d’honneur à Paris, tout en étant élu membre de l’Académie tchèque des sciences et des arts, se mariant en 1903 avec une tchèque.

Alfons Mucha terminera sa vie comme grand artistique national tchèque, alors que de plus la Tchécoslovaquie naît comme pays après l’effondrement de l’Autriche-Hongrie en 1918. Voici d’ailleurs une œuvre de cette année-là, intitulée La France embrassant la Bohème.

Alfons Mucha n’a, en fait, jamais perdu le fil avec l’art national tchèque, ni avec sa cause ; si l’on regarde ses illustrations et affiches, on reconnaît aisément à la fois le type ethnique slave et l’esprit des tenues folkloriques de l’est européen slave.

Lui-même s’est placé dans le prolongement de l’art national slave, avec la nation tchèque se libérant enfin. Voici une publicité pour la banque postale, sous l’égide de Slavia, la déesse des tribus slaves, ainsi qu’un exemple de sa décoration réalisée pour la mairie de Prague.

L’œuvre majeure de cette direction nationale reste indubitablement L’épopée slave, réalisée à partir de 1911. On y retrouve clairement l’esprit des ambulants, la représentation totale de l’histoire du peuple.

De très grand format, cette épopée est composé de vingt œuvres, dix concernant les Tchèques, quatre les Slaves en général, deux les Russes, une les Serbes, une les Croates, une les Polonais, une les Bulgares. Les œuvres sont en fait composées dans l’esprit du congrès panslave de Prague de 1848, où les nations slaves, trop petites face aux oppresseurs autrichien, hongrois et turc, décident de renforcer leurs liens, éventuellement avec le soutien russe.

On peut voir une œuvre, la première, où les Slaves fuiant les hordes germaniques (indiquées par l’incendie en arrière-plan), alors qu’un prêtre païen au premier plan annonce la survie des tribus. L’œuvre est intitulée Les Slaves dans leur site préhistorique – Entre le knout touranien et le glaive des Goths.

Après la bataille de Grünewald donne le ton, puisqu’il s’agit de l’écrasement en 1410 des forces de l’Ordre teutonique par le royaume de Pologne.

Ici, c’est la défense de Szigetvár face aux Turcs qui est montrée.

Voici le Serment d’Omladina, symbole du renouveau slave.

L’œuvre suivante montre l’instauration de la liturgie slave, c’est-à-dire du slavon d’église, avec comme sous-titre : Rendez louange à Dieu dans votre langue maternelle.

Voici La célébration de Svantovít – Quand les dieux sont en guerre, le salut est dans les arts, Svantovit étant le dieu de la fertilité et de la guerre.

L’œuvre suivante montre Le Roi Premysl Ottokar II de Bohême, dont la défaite aboutira à l’intégration forcée de la Bohême-Moravie dans l’Autriche et l’échec des Tchèques à prédominer dans le Saint-Empire romain germanique.

L’œuvre suivante montre un épisode important du hussitisme, avec Milíč de Kroměříž transformant une maison close en temple, dans le cadre de ce qui donnera le hussitisme.

Ici, c’est Jan Hus qui est présenté, dans la chapelle de Bethléem, base de départ du hussitisme qui va bouleverser l’histoire européenne.

Est ici présenté une communion hussite, dans l’Entretien à Křížky.

La grande figure de l’éducation, le tchèque Comenius, est ici présenté, lors de ses derniers jours, en exil.

On a ici une représentation du roi hussite Jiří z Poděbrad, Georges de Podebrady.

Voici, pour conclure, l’affiche présentant l’épopée slave, témoignage d’où provient l’œuvre d’Alfons Mucha : du peuple tchèque, de sa culture et de son histoire, qu’Alfons Mucha a tenté de diffuser dans l’art universel, à travers, pensait-il pouvoir le faire, la consommation esthétisée de la bourgeoisie.

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Gustav Klimt et le baroque détourné

Quand on s’intéresse à Gustav Klimt, il faut comprendre que tout comme avec Alfons Mucha, on n’a pas affaire en tant que tel à des peintres, mais à des décorateurs.

Gustav Klimt (1862-1918)

Les ambulants, en Russie, étaient issus d’une petite couche cultivée liée à une bourgeoisie bien trop faible, les amenant à assumer entièrement la dimension démocratique, se tournant vers la réalité du peuple.

La situation était différente en Autriche, où la bourgeoisie était bien plus forte et formait par conséquent une clientèle réelle. C’est cela qui fait qu’il y a des tendances très clairement impressionnistes, symbolistes-décadentistes.

Toutefois, la bourgeoisie ayant un aspect progressiste, dans sa lutte nationale contre la féodalité, il y a un aspect progressiste dans la Sécession, que les artistes de ce mouvement ont compris comme appel à l’art dans la vie quotidienne, à l’art national.

Gustav Klimt est ainsi le peintre national-bourgeois autrichien, tandis qu’Alfons Mucha est le peintre national-bourgeois tchèque.

Portrait d’Adele Bloch-Bauer (1907)

De par l’importance du baroque en Autriche comme idéologie de la Contre-Réforme, les artistes ont dû, malgré eux, suivre cette tendance historique.

L’expression de l’art national autrichien passe par le détour du baroque, ce qui n’est pas le cas pour l’art national tchèque qui, comme avec Alfons Mucha, puise dans la culture slave historique afin de réfuter l’oppression nationale autrichienne dont le baroque était justement le vecteur idéologique et culturel.

Comme on le sait, le baroque possédait une exigence d’ensemble : son apparence se voulait en mouvement, occupant tout l’espace, pour subjuguer la raison et prétendre que le monde serait incompréhensible, seul Dieu l’étant, par sa stabilité unique.

Dans les œuvres suivantes, Gustav Klimt réussit admirablement bien à conjuguer la représentation et la décoration allant avec celle-ci, pour former une atmosphère pratiquement typique. On a ici affaire à une décoration typique, propre à une ambiance, une atmosphère.

Pour bien saisir cette question de la décoration, voyons la frise Beethoven montrant des forces hostiles.

Comme on le voit, Gustav Klimt a largement été marqué par le symbolisme-décadentisme et cela ira en empirant. Il faut s’extraire de ce basculement dans le mysticisme pour trouver l’intérêt en quelque sorte décoratif typique de Gustav Klimt. Les œuvres suivantes parviennent à une très intéressante synthèse décorative, témoignant d’une idée ou d’une personne représentée comme un ensemble. Ce qu’on voit dépasse un simple tableau ; on est dans une décoration.

On a ici Amour, un portrait du pianiste et professeur de piano Joseph Pembauer, l’acteur Josef Lewinsky en tant que Carlos.

Gustav Klimt, Amour (1985)
Gustav Klimt, Portrait du pianiste et professeur de piano Joseph Pembauer (1890)
Gustav Klimt, L’acteur Josef Lewinsky en tant que Carlos (1895)

C’est en ce sens qu’il faut comprendre pourquoi Gustav Klimt a réussi à faire des œuvres marquantes. S’il n’avait été qu’un impressionniste à la manière autrichienne, il serait passé inaperçu. Ce n’est qu’en se liant à la dimension progressiste de la culture autrichienne à son époque qu’il a su synthétiser artistiquement, dans le sens de la décoration typique.

Le tableau ici tout à fait représentatif de cet aboutissement est bien sûr Le baiser.

Gustav Klimt, Le baiser (1908-1909)

Dans le contexte propre à la domination du cléricalisme, Gustav Klimt a également souligné la dimension corporelle.

A la même époque, la social-démocratie mettait en avant en Autriche la natation, la gymnastique ou encore le cyclisme. On est dans la conquête du corps, qui a été aliéné par le catholicisme le plus forcené, car issu de la Contre-Réforme et visant à reconquérir des masses historiquement passées au protestantisme.

La clef culturelle pour comprendre l’Autriche est qu’il s’agit d’un pays non pas simplement catholique, mais re-catholicisé.

L’érotisme chez Gustav Klimt est donc présent de manière très forte, souvent en passant par le prisme symboliste-décadentiste où la femme est considérée comme un absolu, tout en restant un objet d’adoration sexuelle. Voici Danaë, Les trois âges de la femme, Les vierges, Judith et Holopherne.

Gustav Klimt, Danaë (1907)
Gustav Klimt, Les trois âges de la femme (1905)
Gustav Klimt, Les vierges (1913)
Gustav Klimt, Judith et Holopherne (1901)

Il est aisé de voir que Gustav Klimt va, sur le plan artistique, en direction de cette décoration typique, de cet ensemble formant une atmosphère, en tentant de maintenir un réalisme à travers l’impressionnisme.

C’est une contradiction en soi, qu’il réussit à dépasser parfois productivement. C’est tout à fait net dans les œuvres suivantes : Schubert au piano, portrait de Sonja Knips.

Gustav Klimt, Schubert au piano (1899)
Gustav Klimt, portrait de Sonja Knips (1898)

Ce qui caractérise la ville de Vienne, ainsi que le catholicisme autrichien, c’est un rapport très particulier à la mort, celle-ci étant un thème culturellement omniprésent, la mort étant même considéré comme devant avoir été une viennoise! Le chanteur Marx Augustin du XVIIe siècle est également connu pour avoir été tellement saoul qu’on le ramassa avec tous les morts de la peste et qu’il se réveilla dans un charnier…

Cette thématique est largement retranscrite dans Gustav Klimt, en tant qu’auteur national ; il serait erroné de rattacher cela au symbolisme-décadentisme et à sa fascination pour le morbide. Voici Vie et mort, Espoir I, Espoir II.

Gustav Klimt, Vie et mort (1910-1915)
Gustav Klimt, Espoir (1903)
Gustav Klimt, Espoir II (1907-1908)

Gustav Klimt a souvent réalisé ses œuvres en série, dans le cadre d’une décoration, par exemple à l’université. Voici Hygieia, la santé, placée à l’université de médecine. On retrouve toujours cet esprit de décoration typique.

Gustav Klimt, Hygieia, premières années du XXe siècle

Voici, enfin, deux œuvres absolument représentatives de la culture nationale autrichienne, avec Buchenwald I (c’est-à-dire un bois de hêtre) et L’accomplissement. On y voit les deux éléments moteurs de la représentation dans son cadre culturel : la décoration d’orientation contemplative dans un cadre atmosphérique, avec une tentative de rendre le plus complexe possible cela.

Gustav Klimt, Buchenwald I (1902)
Gustav Klimt, L’accomplissement (1905-1909)

C’est le baroque et sa richesse multiforme détourné dans le sens d’une décoration typique.

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L’importance du «ring» viennois pour la Sécession

La nature de la Sécession viennois naissant à la fin du XIXe siècle se lit parfaitement quand on connaît l’évolution des forces ayant soutenu ce mouvement, dont le symbole est le « ring ».

Terme signifiant anneau en allemand, il désigne ici une avenue circulaire entourant le centre-ville, à l’emplacement des anciennes fortifications, sur pratiquement cinq kilomètres de long, pour une largeur d’un peu moins de 60 mètres.

Le centre-ville dont les bords forment le Ring

A ces fortifications s’ajoutait un périmètre maintenu par l’armée comme « glacis », notamment après la révolte démocratique de 1848 ; à partir de 1849, toutefois, l’empereur avait décidé de faire de Vienne non plus une résidence royale, mais la capitale de l’empire.

Le glacis, terrain à découvert cerclant le centre historique de Vienne, disparaissant à partir de 1858

Le ring devint alors, à partir de son ouverture en mai 1865, un lieu de prestige, tant pour la monarchie tendant à être absolue que pour la bourgeoisie.

Ainsi, au palais monarchique de la Hofburg, au siège de la police, au ministère de la guerre et au palais de justice répondent le parlement, la bourse, l’opéra, le théâtre impérial, quatre lieux essentiels à la vie idéologique de la bourgeoisie.

L’opéra de Vienne vers 1870

On y trouve également, côte à côte, les musées d’histoire naturelle et d’histoire de l’art, ainsi que l’académie des Beaux-Arts, le musée des arts appliqués et l’université, symboles de l’alliance de la tradition monarchique, avec un esprit « monumental », et des sciences assumées par la bourgeoisie.

On y trouve également la nouvelle mairie, mais une seule église, et encore la Votivkirche avait été construit en l’honneur de l’empereur ayant échappé à un assassinat.

La mairie, construite dans un style néo-gothique en allusion
aux droits des villes importantes primant sur l’autorité centrale royale au Moyen-Âge

La dimension bourgeoise et monarchique de l’endroit, à l’opposé du cléricalisme, est encore renforcée par des lieux de civilités : on y trouve quatre parcs (Stadtpark, Burggarten, Volksgarten, Rathauspark) et de vastes places (Heldenplatz, Schwarzenbergplatz, Schillerplatz, Maria-Theresien-Platz).

On comprend alors pourquoi la haute bourgeoisie et la haute aristocratie se sont construit des hôtels particuliers sur le ring, leurs « palais » rivalisant de magnificence.

Le palais Epstein sur le Ring

On y trouvait notamment la famille aristocratique Colloredo-Mansfeld, celle du prince Ferdinand Georg August von Sachsen-Coburg-Saalfeld-Koháry, un archiduc d’Autriche, la famille de l’industriel Rudolf Auspitz, celle de la famille de financiers juifs Ephrussi (également présente à Paris alors) ainsi que celle du banquier juif Gustav von Epstein, celle du banquier Jonas von Königswarter, celle du banquier Friedrich Schey von Koromla, etc.

Le palais Ephrussi sur le Ring

Cette opulence était bien sûr à comparer avec la situation du reste de la population, 83% des logements viennois consistant en au maximum une pièce et une cuisine, sans eau ni sanitaires.

Il faut également souligner l’unité d’esprit architectural, orienté néo-classique – allusion à la démocratie athénienne -, néo-renaissance – allusion au renouveau des arts, seule la mairie étant de style néo-gothique, ce qui était une référence aux libertés des villes au moyen-âge.

On trouve ici comme figures centrales les architectes Theophil Hansen (Académie des Beaux-Arts, bourse, parlement, Palais Ephrussi, Epstein et Hansen), Gottfried Semper et Carl Hasenauer (palais impérial Neue Burg, musées d’histoire naturelle et d’histoire de l’art se tenant face à face, théâtre Burgtheater), Heinrich Ferstel (musée des arts appliqués, université, église Votivkirche, Palais Wertheim et Ludwig Viktor).

Couronnement symbolique absolu du ring, on y trouve un bâtiment de la Sécession, réalisé par Joseph Maria Olbrich, financé par l’industriel Karl Wittgenstein et destiné aux expositions.

La maison de la Sécession

Initialement prévu pour ne durer que dix ans, le petit bâtiment se présente avec un dôme décoré de feuilles dorées de lauriers, avec deux ailes en forme de cube, « ver sacrum » y étant inscrit, ainsi que « Der Zeit ihre Kunst, der Kunst ihre Freiheit » (« Au temps son art, à l’art sa liberté »).

En son sein, on trouve également la frise Beethoven du principal peintre de la Sécession : Gustav Klimt.

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La Sécession viennoise: art national, art total

La Russie avait, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, connu le mouvement des peintres ambulants, issu de la volonté d’artistes d’aller dans le sens démocratique. Pour cette raison, la monarchie tendant à être absolue a en partie soutenu ce mouvement contre la féodalité, tout en le réfutant en partie en raison de sa base démocratique, son orientation populaire.

L’Autriche-Hongrie connaissait une situation exactement similaire, avec une monarchie tendant à être absolue, se débattant contre la féodalité et les forces catholiques. On y trouve, dans un esprit parallèle aux ambulants russes, mais largement différent pour des raisons historiques, un mouvement d’artistes s’orientant vers la démocratie : le mouvement de la Sécession.

L’Autriche-Hongrie en Europe en 1914

La nature de la Sécession est différente des ambulants russes pour de multiples raisons : de par la dimension multi-nationale de l’empire, le mouvement était présent à Vienne, mais également à Prague et Budapest.

Carte des principaux peuples d’Autriche-Hongrie en 1910, avec les Allemands devenant les Autrichiens, les Hongrois, les Tchèques, les Slovaques, les Polonais, les Ukrainiens, les Slovènes, les Croates et les Serbes, les Roumains, les Italiens.

La bourgeoisie était bien plus forte qu’en Russie, rentrant ouvertement en concurrence avec l’aristocratie dans la capitale viennoise. Par conséquent, le libéralisme était une valeur bien plus omniprésente, avec une bourgeoisie pouvant devenir directement une clientèle, notamment avec les richissimes bâtiments du Ring, la grande avenue encerclant le premier arrondissement viennois.

La Sécession ne se voulait donc pas une force parallèle au pouvoir comme les ambulants en Russie, mais directement une force esthétique considérant devoir posséder l’hégémonie.

Publicité de Koloman Moser pour une eau minérale
liée à une station de cure en Bohême, en 1899.

Le choix du terme Sécession provient d’ailleurs de l’Antiquité romaine, de la secessio plebis, lorsque la plèbe faisait sécession en se déplaçant en masse sur une colline de Rome, en attendant la satisfaction de ses revendications.

La Sécession emprunta également à Tite-Live et au paganisme romain le titre de sa revue, Ver Sacrum, signifiant « printemps sacré », les artistes de la Sécession se présentant comme les représentants de la vie, de la créativité, s’arrachant par conséquent aux formes ossifiées, incompatibles avec l’art.

Couverture du numéro un de Ver sacrum, en janvier 1898, réalisée par Alfred Roller.

L’expression Sécession avait déjà été utilisé par des artistes à Munich, dès 1892 ; de même, il y aura à Berlin une Sécession à partir de 1898, celle de Vienne s’inaugurant en 1897. C’est celle-ci qui aura le plus d’impact, en raison des conditions historiques.

La Sécession viennoise était portée par sa nature contradictoire, de manière très similaire aux ambulants : d’un côté, c’était une expression démocratique anti-féodale, de l’autre un besoin de libéralisme dans le cadre de la concurrence de la bourgeoisie avec l’aristocratie.

Koloman Moser, affiche pour l’exposition des cinq ans de la Sécession

Par conséquent, on trouve dans la Sécession viennoise à la fois des éléments brutalement esthétisants, dans l’esprit bourgeois de l’art pour l’art, des influences du symbolisme-décadentisme notamment français, et des œuvres de haute qualité, d’esprit démocratique, faisant de l’art une question de culture, de civilisation.

La Sécession, en exigeant un art propre à son époque, généralisait cela en théorie générale du triomphe du printemps qui revient, en triomphe de la beauté artistique comme modèle de culture ; dès le premier numéro de Ver Sacrum, il était expliqué qu’il ne sera reconnu ni un art pour les riches, ni art pour les pauvres, mais l’art comme possession de tout un chacun.

En réalité, c’était une quête très précise de rupture avec la pesanteur aristocratique-cléricale, à une époque bien déterminée ; de fait, il fut affirmé dès le départ que les œuvres de l’étranger seront appréciés si besoin est, mais que la Sécession se pose comme art national autrichien.

La Sécession souligne, en effet, à la fois son caractère national, que le fait qu’il n’y ait alors aucune tradition artistique en Autriche, pays présenté comme arriéré sur le plan artistique, la Sécession venant combler ce manque.

Phase paradoxale de par l’histoire culturelle de l’Autriche, qu’on ne comprend que lorsqu’on voit que Vienne est opposée à Paris et Berlin, villes où les partisans du « nouveau » concurrencent ceux de « l’ancien », dans une bataille d’école : cela signifie que la Sécession accompagne la naissance de la nation autrichienne, qu’elle entend rompre avec la nation allemande dont l’Autriche était une composante, tout en refusant le cosmopolitisme grand-bourgeois qui amènerait à assumer de manière unilatérale le style parisien.

La maison dite des majoliques, réalisée par Otto Wagner
à Vienne en 1898-1899

La Sécession insiste de ce fait logiquement tant sur le niveau culturel nécessaire aux artistes que sur l’éducation du goût du public, à qui il y a par ailleurs encore à donner naissance.

C’est là l’exigence de la bourgeoisie qui veut une opinion publique, une société ouverte, libérale et la dimension militante sur ce plan est explicite: la revue Ver Sacrum affirme avoir une fonction d’agitation, de célébration de l’art comme projet général avec une démarche nécessairement rupturiste par rapport à la société.

De par cette dimension nationale-bourgeoise et démocratique, la Sécession se présente immédiatement en tant qu’association d’artistes des arts visuels : si quelqu’un n’aime pas les images, lit-on dans le premier numéro, alors on lui proposera des tapisseries, des verres, des bijoux pour les femmes ou les fiancées, des tissus, etc. Par la bourgeoisie et sa consommation, l’artiste peut propager l’utopie artistique totale.

Publicité réalisée par Koloman Moser, 1904-1906, pour la représentation de l’entreprise viennoise Kohn (s’occupant de fournitures pour les restaurants, théâtres, etc.) à Radosmko, une ville polonaise de l’empire russe servant de plaque tournante commerciale.

La Sécession connaîtra inévitablement un développement rapide, soutenue par la bourgeoisie et la monarchie absolue, avant de voir inévitablement une séparation entre le courant loyaliste par rapport au régime et la tendance bourgeoise donnant naissance aux ateliers de Vienne, les Wiener Werkstätte, dans le prolongement du projet d’art total et de marchandises relevant, tout au moins comme projet, non pas tant du commerce que de l’artisanat.

A cela s’ajoutera la question nationale tchèque au sein de la problématique autrichienne, pavant la voie à l’affirmation de l’art national tchèque, dont des figures marquantes sont Jan Kotěra, Alfons Mucha, auquel il faut également lier Egon Schiele.

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Lénine : Les enseignements de la révolution (1917)

Toute révolution marque un tournant brusque dans la vie d’énormes masses populaires. Tant, que ce tournant n’est pas arrivé à maturité, aucune révolution véritable ne saurait se produire.

Et, de même que chaque tournant dans la vie d’un homme est pour lui plein d’enseignements, lui fait vivre et sentir quantité de choses, de même la révolution donne au people entier, en peu de temps, les leçons les plus substantielles et les plus précieuses.

Pendant la révolution, des millions et des dizaines de millions d’hommes apprennent chaque semaine plus qu’en une année de vie ordinaire, somnolente. Car lors d’un brusque tournant dans la vie de tout un peuple, on aperçoit avec une netteté particulière les fins que poursuivent les différentes classes sociales, les forces dont elles disposent et leurs moyens d’action.

Tout ouvrier conscient, tout soldat, tout paysan doit mûrement réfléchir aux enseignements de la révolution russe, surtout, maintenant, à la fin de juillet, quand il apparaît clairement que la première phase de notre révolution a abouti à un échec.

I

En effet, voyons ce que les masses ouvrières et paysannes voulaient obtenir en faisant la révolution. Qu’attendaient-elles de la révolution ? On sait qu’elles en attendaient la liberté, la paix, le pain, la terre.

Or, que voyons-nous maintenant ?

Au lieu de la liberté, on commence à rétablir l’arbitraire d’autrefois. La peine de mort est instituée sur le front [1] pour les soldats. On traduit devant les tribunaux les paysans qui, d’autorité, se sont emparés des terres des grands propriétaires fonciers.

Les imprimeries des journaux ouvriers sont saccagées. Les journaux ouvriers sont interdits sans jugement. On arrête les bolcheviks, souvent sans même formuler contre eux la moindre accusation ou en en formulant de manifestement calomnieuses.

On objectera peut-être que les persécutions dont les bolcheviks sont l’objet ne constituent pas une atteinte à la liberté, puisqu’elles ne visent que des personnes déterminées, sur lesquelles pèsent des accusations précises.

Mais cette objection est d’une mauvaise foi notoire et évidente. Commuent. peut-on, en effet, saccager une imprimerie et interdire des journaux pour des délits commis par des individus, ces délits fussent-ils prouvés et reconnus par un tribunal ?

Il en serait autrement si le gouvernement avait reconnu pour criminels, au regard de la loi, le parti bolchevique tout entier, son orientation, ses idées. Mais chacun sait que le gouvernement de la libre Russie ne pouvait rien faire et n’a rien fait de tout cela.

Ce qui montre surtout le caractère calomnieux des accusations formulées contre les bolcheviks, c’est que les journaux des grands propriétaires fonciers et des capitalistes se sont furieusement attaqués aux bolcheviks à cause de la lutte menée par ceux-ci contre la guerre, contre les grands propriétaires fonciers et contre les capitalistes, et que ces journaux réclamaient ouvertement l’arrestation et la persécution des bolcheviks alors qu’aucune accusation contre aucun bolchevik n’avait encore été montée.

Le peuple veut la paix.

Or, le gouvernement révolutionnaire de la libre Russie a recommencé la guerre de conquêtes en exécution de traités secrets, ceux-là mêmes que l’ex-tsar Nicolas II avait conclus avec les capitalistes anglais et français pour que les capitalistes de Russie puissent piller les peuples étrangers. Ces traités secrets ne sont toujours pas publiés.

Le gouvernement ont de la libre Russie a éludé la question par des dérobades et n’a pas proposé jusqu’à ce jour une paix équitable à tous les peuples.

Il n’y a pas de pain. De nouveau, la famine menace.

Tous voient que les capitalistes et les riches trompent sans vergogne le Trésor sur les fournitures de guerre (actuellement, la guerre coûte au peuple 50 millions de roubles par jour) ; qu’ils réalisent, grâce à la hausse des prix, des bénéfices exorbitants, tandis que rien, absolument rien, n’a été fait pour organiser un recensement sérieux de la production et de la répartition des produits par les ouvriers.

Les capitalistes, de plus en plus arrogants, jettent les ouvriers sur le pavé, cela à un moment où le peuple souffre de la disette de marchandises.

L’immense majorité des paysans ont proclamé haut et clair, en une longue suite de congrès, qu’ils considéraient l’existence de la grande propriété foncière comme une injustice et un vol.

Et le gouvernement, qui se prétend révolutionnaire et démocratique, continue depuis des mois à berner les paysans, à les tromper par des promesses et des atermoiements. Durant des mois les capitalistes n’ont pas permis au ministre Tchernov de promulguer la loi interdisant l’achat et la vente des terres.

Et lorsque cette loi a enfin été promulguée, les capitalistes ont déclenché contre Tchernov une odieuse campagne de calomnies qu’ils continuent jusqu’à ce jour.

Dans son zèle à défendre les grands propriétaires fonciers, le gouvernement en est arrivé à une telle impudence qu’il commence à faire poursuivre en justice les paysans qui se sont emparés «arbitrairement» des terres.

On berne les paysans en leur recommandant d’attendre l’Assemblée constituante, cette Assemblée dont les capitalistes continuent à différer la convocation.

Maintenant que, sous la pression des bolcheviks, sa convocation a été fixée au 30 septembre, les capitalistes crient bien haut que ce délai est trop court, «impossible» ; et ils exigent que l’Assemblée soit renvoyée à une date ultérieure… Les membres les plus influents du parti des capitalistes et des grands propriétaires fonciers – le parti «cadet» ou parti de la «liberté du peuple » – préconisent ouvertement, comme Panina par exemple, le renvoi de l’Assemblée constituante à la fin de la guerre.

Pour la terre, attends jusqu’à l’Assemblée constituante. Pour l’Assemblée constituante, attends jusqu’à la fin de la guerre. Pour la fin de la guerre, attends jusqu’à la victoire totale. Voilà ce qu’il en est. Les capitalistes et les grands propriétaires fonciers, qui ont la majorité dans le gouvernement, se moquent tout bonnement des paysans.

II

Mais comment cela a-t-il pu se produire dans un pays libre, après que le pouvoir tsariste a été renversé ?

Dans un pays non libre, le peuple est gouverné par un tsar et une poignée de grands propriétaires fonciers, de capitalistes, de fonctionnaires que personne n’a élus.

Dans un pays libre, le peuple n’est gouverné que par ceux qu’il a lui-même élus à cet effet. Aux élections, le peuple se divise en partis, et chaque classe de la population forme ordinairement son propre parti.

Ainsi, les grands propriétaires fonciers, les capitalistes, les paysans, les ouvriers forment des partis distincts. C’est pourquoi le peuple des pays libres est gouverné par le moyen d’une lutte ouverte entre les partis et de libres accords entre ces derniers.

Après le renversement du pouvoir tsariste, le 27 février 1917, la Russie fut gouvernée pendant près de quatre mois comme un pays libre, précisément par le moyen d’une lutte ouverte entre des partis librement formés et de libres accords entre eux.

Aussi, pour comprendre le développement de la révolution russe, faut-il établir avant tout quels étaient les principaux partis en présence, quelles étaient les classes dont ils défendaient les intérêts, quels étaient les rapports qui existaient entre tous ces partis.

III

Après le renversement du tsarisme, le pouvoir d’Etat passa aux mains du premier Gouvernement provisoire. Celui-ci était composé de représentants de la bourgeoisie, c’est-à-dire des capitalistes auxquels s’étaient joints les grands propriétaires fonciers.

Le parti «cadet», principal parti des capitalistes, y tenait la première place comme parti dirigeant et gouvernemental de la bourgeoisie.

Ce n’est pas par hasard que le pouvoir est tombé aux mains de ce parti, bien que ce ne soient pas les capitalistes, évidemment, mais les ouvriers, les paysans, les matelots et les soldats qui aient combattu les troupes du tsar et versé leur sang pour la liberté.

Le pouvoir est tombé aux mains du parti des capitalistes parce que cette classe possédait la force que donnent la richesse, l’organisation et l’instruction. Depuis 1905, et surtout pendant la guerre, la classe des capitalistes et des grands propriétaires fonciers qui marchent de conserve avec eux a fait en Russie de grands progrès quant à son organisation.

Le parti cadet a toujours été un parti monarchiste, aussi bien en 1905 que de 1905 à 1917.

Au lendemain de la victoire du peuple sur la tyrannie tsariste, ce parti se déclara républicain. L’histoire montre que, lorsque le peuple triomphe de la monarchie, les partis capitalistes consentent toujours à être républicains, pourvu qu’ils puissent sauvegarder les privilèges des capitalistes et leur pouvoir absolu sur le peuple.

En paroles, le parti cadet est pour la «liberté du peuple». En fait, il est pour les capitalistes ; c’est pourquoi tous les grands propriétaires fonciers, tous les monarchistes, tous les Cent-Noirs, se sont, aussitôt rangés de son côté. Témoin la presse et les élections. Après la révolution, tous les journaux bourgeois et toute la presse des Cent-Noirs se sont mis à chanter à l’unisson avec les cadets.

Tous les partis monarchistes, n’osant pas se présenter ouvertement aux élections, ont soutenu le parti cadet, comme ce fut le cas à Petrograd.

Maîtres du pouvoir, les cadets se sont employés de toutes leurs forces à continuer la guerre de conquête et de brigandage commencée par le tsar Nicolas II, qui avait signé des traités secrets de brigandage avec les capitalistes anglais et, français. Ces traités promettaient aux capitalistes russes, en cas de victoire, l’annexion et de Constantinople, et de la Galicie, et de l’Arménie, etc.

Quant au peuple, le gouvernement des cadets lui donnait le change par des dérobades et des promesses vaines, renvoyant, le règlement de tous les grands problèmes d’un intérêt vital pour les ouvriers et les paysans à l’Assemblée constituante, dont il ne fixait d’ailleurs pas la date de convocation.

Le peuple, profitant de la liberté, commença à s’organiser de lui-même. Les Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans étaient l’organisation principale des ouvriers et des paysans, qui forment l’immense majorité de la population de la Russie.

Ces Soviets avaient commencé à se constituer dès la révolution de Février ; quelques semaines plus tard dans la plupart des grandes villes de Russie et dans nombre de districts, tous les éléments conscients et avancés de la classe ouvrière et de la paysannerie étaient groupés dans les Soviets.

Les Soviets avaient été élus en toute liberté. Ils étaient les organisations authentiques des masses populaires, ouvrières et paysannes, les organisations authentiques de l’immense majorité du peuple. Les ouvriers et les paysans revêtus de l’uniforme militaire étaient armés.

Il va sans dire que les Soviets pouvaient et devaient prendre en main tout le pouvoir d’Etat. Il n’aurait dû y avoir dans l’Etat, jusqu’à la convocation de l’Assemblée constituante, aucun autre pouvoir que les Soviets.

Alors seulement notre révolution aurait été vraiment populaire, vraiment démocratique.

Alors seulement les masses laborieuses, qui aspirent réellement à la paix, qui ne sont réellement pas intéressées à une guerre de conquête, auraient pu commencer à appliquer, avec résolution et fermeté, une politique susceptible de mettre un terme à la guerre de conquête et d’amener la paix.

Alors seulement les ouvriers et les paysans auraient pu mater les capitalistes qui réalisent des bénéfices fabuleux «grâce à la guerre» et qui ont conduit le pays à la ruine et à la famine.

Mais, dans les Soviets, seule une minorité de députés se rangeait du côté du parti des ouvriers révolutionnaires, des social-démocrates bolcheviques, qui exigeaient la remise de tout le pouvoir d’Etat aux Soviets. Quant à la majorité des députés, elle se rangeait du côté du parti social-démocrate menchevique et du parti socialiste-révolutionnaire, qui étaient contre la remise du pouvoir aux Soviets.

Au lieu de supprimer le gouvernement de la bourgeoisie et de le remplacer par un gouvernement des Soviets, ces partis préconisaient le soutien du gouvernement de la bourgeoisie, l’entente avec lui, la formation d’un gouvernement de coalition.

C’est dans cette politique d’entente avec la bourgeoisie, pratiquée par les partis socialiste‑révolutionnaire et menchevique à qui la majorité du peuple avait donné sa confiance, que réside le contenu essentiel du développement de la révolution au cours de ces cinq premiers mois.

IV

Voyons d’abord comment, se faisait cette politique d’entente des socialistes-révolutionnaires et des mencheviks avec la bourgeoisie. Nous rechercherons ensuite la raison pour laquelle la majorité du peuple leur a fait confiance.

V

La politique d’entente des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires avec les capitalistes a été pratiquée, tantôt sous une forme, tantôt sous une autre, à toutes les étapes de la révolution russe.

Juste à la fin de février 1917, dès que le peuple eut remporté la victoire et que le pouvoir tsariste eut été renversé, le Gouvernement provisoire des capitalistes s’adjoignit Kérenski, en tant que «socialiste».

A la vérité, Kérenski n’avait jamais été socialiste ; il n’était que troudovik [2] et ne commença à figurer parmi les «socialistes-révolutionnaires» qu’à partir de mars 1917, c’est-à-dire au moment où la chose n’offrait plus aucun danger et ne laissait pas d’être avantageuse. Le Gouvernement provisoire capitaliste s’appliqua aussitôt, par l’intermédiaire de Kérenski, vice-président du Soviet de Petrograd, à s’attacher le Soviet, à l’apprivoiser.

Et le Soviet – c’est-à-dire les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks qui y prédominaient – se laissa apprivoiser dès la formation du Gouvernement provisoire capitaliste, il accepta de «le soutenir» «dans la mesure» où il remplirait ses engagements.

Le Soviet se considérait comme un organisme de vérification, de contrôle des actes du Gouvernement provisoire. Les leaders du Soviet instituèrent une commission dite «de contact», qui devait assurer la liaison avec le gouvernement [3].

Au sein de cette commission de contact, les leaders socialistes-révolutionnaires et mencheviques du Soviet, qui étaient à vrai dire des ministres sans portefeuille ou des ministres non officiels, étaient constamment en pourparlers avec le gouvernement des capitalistes.

Cet état de choses dura pendant tout le mois de mars et presque tout le mois d’avril. Les capitalistes procédaient par atermoiements et dérobades, cherchant à gagner du temps.

Pendant cette période, le gouvernement capitaliste ne prit aucune mesure tant soit peu sérieuse pour développer la révolution. Même pour s’acquitter de la tâche immédiate qui lui incombait directement – convoquer l’Assemblée constituante -, le gouvernement ne fit absolument rien ; il ne posa pas la question devant les organisations locales, il ne créa même pas la commission centrale qui devait l’étudier.

Le gouvernement n’avait qu’une seule préoccupation : renouveler secrètement les traités internationaux de brigandage que le tsar avait signés avec les capitalistes d’Angleterre et de France ; freiner, aussi prudemment et insensiblement que possible, la révolution ; tout promettre, ne rien tenir.

A la «commission de contact», les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks faisaient figure de benêts que l’on nourrit de phrases pompeuses, de promesses, de «tu l’auras».

Les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks se laissaient prendre à la flatterie comme le corbeau de la fable et écoutaient avec plaisir les capitalistes qui protestaient de leur haute estime pour les Soviets sans lesquels, disaient-ils, ils n’entreprenaient rien.

En fait, le temps passait, sans que le gouvernement des capitalistes eût absolument rien fait pour la révolution.

Mais, contre la révolution, il avait réussi pendant ce temps à renouveler les traités secrets de brigandage, ou plus exactement, à les sanctionner et à les «ranimer» par des négociations complémentaires, non moins secrètes, avec les diplomates de l’impérialisme anglo-français.

Contre la révolution, le gouvernement, avait réussi pendant ce temps à jeter les bases d’une organisation (ou du moins d’un rapprochement) contre-révolutionnaire des généraux et des officiers de l’armée engagée sur les théâtres d’opérations.

Contre la révolution, le gouvernement avait commencé à organiser les industriels, les fabricants, les usiniers, qui, contraints de faire concession sur concession sous la poussée des ouvriers, commençaient, cependant, en même temps, à saboter la production et à en préparer l’arrêt au moment propice.

Cependant, l’organisation des ouvriers et des paysans d’avant-garde dans les Soviets progressait sans cesse.

Les meilleurs représentants des classes opprimées se rendaient compte que le gouvernement, malgré son accord avec le Soviet de Petrograd, malgré la grandiloquence de Kérenski, malgré l’existence de la «commission de contact», restait un ennemi du peuple, un ennemi de la révolution.

Les masses se rendaient compte que, si la résistance des capitalistes n’était pas brisée, la cause de la paix, de la liberté, de la révolution serait perdue à coup sûr. L’impatience et la colère grandissaient dans les masses.

VI

Elles débordèrent les 20 et 21 avril. Le mouvement fut spontané, personne ne l’avait préparé. Il était si nettement, dirigé contre le gouvernement qu’un régiment manifesta même en armes et se présenta au palais Marie pour arrêter les ministres.

Il apparut clairement aux yeux de tous que le gouvernement ne pouvait plus se maintenir. Les Soviets pouvaient (et devaient) prendre le pouvoir en main sans rencontrer la moindre résistance de quelque coté que ce fût.

Au lieu de cela, les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks soutinrent le gouvernement capitaliste en train de s’effondrer, se lièrent davantage par la recherche d’accords avec lui et prirent des initiatives plus funestes encore, qui conduisaient le révolution à sa perte.

La révolution instruit toutes les classes avec une rapidité et une profondeur inconnues en temps ordinaire, en temps de paix. Les capitalistes, mieux organisés et plus expérimentés en matière de lutte des classes et de politique s’instruisirent plus vite que les autres.

Voyant que la situation du gouvernement était intenable, ils eurent recours à un procédé dont ont usé des dizaines d’années durant, depuis 1848, les capitalistes des autres pays, afin de mystifier, de diviser et d’affaiblir les ouvriers. Ce procédé consiste à former un ministère dit de «coalition», c’est-à-dire réunissant des représentants de la bourgeoisie et des transfuges du socialisme.

Dans les pays où la liberté et la démocratie existent depuis plus longtemps qu’ailleurs à côté du mouvement ouvrier révolutionnaire, en Angleterre et en France, les capitalistes ont maintes fois usé de ce procédé avec grand succès.

Les chefs «socialistes», entrés dans un ministère bourgeois, ne manquaient pas de se révéler des hommes de paille, des marionnettes, qui jouaient le rôle de paravent pour les capitalistes, d’instrument de mystification à l’égard des ouvriers.

Les capitalistes «démocrates et républicains» de Russie ont eu recours à ce même procédé. Socialistes-révolutionnaires et mencheviks se sont tout de suite laissé jouer et, le 6 mai, un ministère «de coalition» comprenant Tchernov, Tsérétéli et Cie était un fait accompli.

Les benêts des partis socialiste-révolutionnaire et menchevique exultaient, pâmés d’admiration sous les rayons de la gloire ministérielle de leurs chefs. Les capitalistes, ravis, se frottaient les mains ; ils s’étaient assuré contre le peuple le concours des «chefs des Soviets», qui leur avaient promis de soutenir des «actions offensives sur le front», c’est-à-dire la reprise de la guerre impérialiste de brigandage, qui avait été sur le point de s’interrompre pour de bon.

Les capitalistes connaissaient bien la présomptueuse impuissance de ces chefs ; ils savaient que les promesses faites par la bourgeoisie – au sujet du contrôle et même de l’organisation de la production, au sujet de la politique de paix, etc., – ne seraient jamais tenues.

C’est ce qui se produisit. La deuxième phase du développement de la révolution, du 6 mai au 9 ou au 18 juin, a parfaitement confirmé les calculs des capitalistes qui avaient compté se jouer sans peine des socialistes-révolutionnaires et des mencheviks.

Pendant que Péchékhonov et Skobélev se leurraient eux-mêmes et leurraient le peuple par des phrases pompeuses, en disant qu’on prélèverait 100% sur les profits des Capitalistes, que la «résistance» de ces derniers «était brisée», etc., les capitalistes continuaient à se renforcer. Pratiquement, rien, mais absolument rien ne fut fait pendant ce temps pour mater les capitalistes.

Les transfuges du socialisme devenus ministres n’étaient en réalité que des machines à parler, destinées à donner le change aux classes opprimées cependant que tout l’appareil de l’administration d’Etat demeurait aux mains de la bureaucratie (des fonctionnaires) et de la bourgeoisie.

Le fameux Paltchinski, sous-secrétaire d’Etat à l’Industrie, était le représentant typique de cet appareil, qui entravait la réalisation de toutes les mesures dirigées contre les capitalistes. Les ministres bavardaient, et les choses restaient inchangées.

La bourgeoisie se servait surtout du ministre Tsérétéli pour combattre la révolution. On l’envoya «apaiser» Cronstadt : les révolutionnaires de là-bas avaient eu le front de destituer le commissaire [4] nommé par le gouvernement.

La presse bourgeoise lança contre Cronstadt une campagne extrêmement tapageuse, haineuse, acharnée, de mensonges, de calomnies et d’excitations, l’accusant de vouloir «se séparer de la Russie », répétant cette ineptie et d’autres analogues sur tous les tons, terrorisant la petite bourgeoisie et les philistins.

Tsérétéli, représentant le plus typique des philistins obtus et terrorisés, s’est laissé prendre avec une «bonne foi» inégalable à l’hameçon des calomnies répandues par la bourgeoisie ; plus que tous les autres, il s’employa avec zèle à «foudroyer et mater» Cronstadt, sans comprendre qu’il jouait le rôle d’un valet de la bourgeoisie contre-révolutionnaire.

Il se trouva être l’instrument grâce auquel un «accord» fut passé avec Cronstadt révolutionnaire, en ce sens que le commissaire de la ville n’était pas purement et simplement nommé par le gouvernement, mais élu à Cronstadt et agréé par le gouvernement. C’est à ces misérables compromis que consacraient leur temps les ministres transfuges passés du socialisme dans le camp de la bourgeoisie.

Là où un ministre bourgeois n’aurait pas pu se présenter pour assumer la défense du gouvernement, devant les ouvriers révolutionnaires ou dans les Soviets, on voyait paraître (ou plutôt la bourgeoisie y envoyait) un ministre «socialiste» – Skobélev, Tsérétéli, Tchernov, d’autres encore – qui œuvrait en conscience au profit de la bourgeoisie, suait sang et eau pour défendre le ministère, blanchissait les capitalistes, bernait le peuple en répétant des promesses, des promesses et des promesses, et en lui recommandant d’attendre, d’attendre et d’attendre.

Le ministre Tchernov était surtout absorbé par des marchandages avec ses collègues bourgeois ; jusqu’en juillet même, jusqu’à la nouvelle «crise du pouvoir» qui s’ouvrit alors à la suite du mouvement des 3 et 4 juillet, jusqu’à la démission des ministres cadets, le ministre Tchernov consacra tout son temps à une œuvre utile, intéressante et profondément conforme aux aspirations du peuple : il «exhortait», il engageait ses collègues bourgeois à consentir au moins à l ‘interdiction des transactions de vente et d’achat des terres.

Cette mesure fut solennellement promise aux paysans, au congrès (Soviet) des députés paysans de Russie à Petrograd. Promesse qui n’a jamais été tenue. Tchernov ne put la tenir ni en mai ni en juin, jusqu’au moment où la vague révolutionnaire des 3 et 4 juillet, explosion spontanée qui coïncida avec la démission des ministres cadets, lui permit d’appliquer cette mesure.

Mais, même alors, ce ne fut qu’une mesure isolée, impuissante à améliorer sérieusement la situation des paysans en lutte pour la terre, contre les grands propriétaires fonciers.

Sur le front, la tâche contre-révolutionnaire, impérialiste, de reprendre la guerre impérialiste de brigandage, tâche dont un Goutchkov détesté du peuple n’avait pu s’acquitter, était à ce moment accomplie brillamment et avec succès par le «démocrate révolutionnaire» Kérenski, membre tout frais émoulu du parti socialiste-révolutionnaire.

Kérenski se laissait griser par son éloquence ; les impérialistes, qui le maniaient comme on pousse un pion sur l’échiquier, lui offraient de l’encens, le flattaient, l’idolâtraient.

Tout cela parce qu’il servait avec foi et amour les intérêts des capitalistes et engageait les «troupes révolutionnaires» à accepter la reprise de la guerre en exécution des traités conclus par le tsar Nicolas II avec les capitalistes d’Angleterre et de France, de la guerre menée pour faire obtenir aux capitalistes russes Constantinople et Lvov, Erzeroum et Trébizonde.

Ainsi se passa la deuxième période de la révolution russe, du 6 mai au 9 juin. La bourgeoisie contre-révolutionnaire se renforça, se consolida, sous le couvert et sous l’égide des ministres «socialistes» ; elle prépara l’offensive à la fois contre l’ennemi extérieur et contre l’ennemi intérieur, c’est-à-dire contre les ouvriers révolutionnaires.

VII

Le parti des ouvriers révolutionnaires, le parti bolchevique, préparait pour le 9 juin une manifestation à Petrograd, afin de permettre aux masses d’affirmer de façon organisée leur mécontentement et leur indignation irrésistiblement accrus.

Les chefs socialistes-révolutionnaires et mencheviques, empêtrés dans leurs accords avec la bourgeoisie et liés par la politique impérialiste de l’offensive, furent terrifiés en sentant s’effondrer l’influence dont ils jouissaient auprès des masses.

Et ce fut contre la manifestation une clameur générale, qui associait cette fois aux cadets contre-révolutionnaires les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks.

Sous la direction de ces derniers et par suite de leur politique d’entente avec les capitalistes, la volte-face opérée par les masses petites-bourgeoises vers une alliance avec la bourgeoisie contre-révolutionnaire se précisa complètement, se dessina avec un relief saisissant. Là est la portée historique, la signification de classe, de la crise du 9 juin.

Les bolcheviks décommandèrent la manifestation, inspirés par le souci de ne pas mener les ouvriers à une bataille désespérée, à ce moment-là, contre les cadets, les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks réunis. Mais ces deux derniers partis, désireux de conserver tout au moins quelque reste de la confiance des masses, se virent obligés de fixer au 18 juin une manifestation commune.

L’exaspération de la bourgeoisie était à son comble, car elle interprétait à juste titre cette décision comme l’indice que la démocratie petite-bourgeoise penchait vers le prolétariat ; elle résolut de paralyser l’action de la démocratie en déclenchant l’offensive sur le front.

Effectivement, le 18 juin, les mots d’ordre du prolétariat révolutionnaire, les mots d’ordre du bolchevisme remportaient une victoire particulièrement imposante parmi les masses de Pétersbourg et, le 19 juin, la bourgeoisie et le bonapartiste [5] Kérenski annonçaient solennellement que, justement le 18, l’offensive avait commencé sur le front.

Pratiquement l’offensive signifiait la reprise de la guerre de brigandage dans l’intérêt des capitalistes, contre la volonté de l’immense majorité des travailleurs.

Aussi l’offensive impliquait-elle nécessairement, d’une part, une accentuation prodigieuse du chauvinisme et le passage du pouvoir militaire (et, par conséquent, politique) à la clique militaire des bonapartistes ; d’autre part, l’emploi de la violence contre les masses, la persécution des internationalistes, la suppression de la liberté d’agitation, les arrestations et les exécutions des adversaires de la guerre.

Si le 6 mai avait attaché les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks au char triomphal de la bourgeoisie par une corde, le 19 juin les y a rivés, et en tant que serviteurs des capitalistes, par une chaîne.

VIII

Par suite de la reprise de la guerre de brigandage, la colère des masses s’intensifia, naturellement, avec une rapidité et une violence accrues. Les 3 et 4 juillet, leur indignation éclata, malgré les efforts des bolcheviks pour contenir l’explosion à laquelle ils devaient, bien entendu, s’efforcer de donner une forme aussi organisée que possible.

Esclaves de la bourgeoisie, enchaînés par leur maître, les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks acceptèrent tout : et le rappel de troupes réactionnaires à Petrograd, et le rétablissement de la peine de mort, et le désarmement des ouvriers et des troupes révolutionnaires, et les arrestations, les poursuites, l’interdiction des journaux sans jugement.

Le pouvoir, que la bourgeoisie ne pouvait prendre en entier au sein du gouvernement et dont les Soviets ne voulaient pas, tomba aux mains des bonapartistes, de la clique militaire, soutenue sans réserve, cela s’entend, par les cadets et les Cent-Noirs, les grands propriétaires fonciers et les capitalistes.

De déchéance en déchéance. Une fois engagés sur la pente d’une entente avec la bourgeoisie, les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks glissèrent irrésistiblement et touchèrent le fond.

Le 28 février, au Soviet de Petrograd, ils avaient promis un soutien conditionnel au gouvernement bourgeois. Le 6 mai, ils le sauvaient de la déconfiture et, en acceptant l’offensive, se laissaient transformer en valets et en défenseurs du gouvernement.

Le 9 juin, ils s’unissaient à la bourgeoisie contre-révolutionnaire dans sa campagne de haine farouche, de mensonges et de calomnies contre le prolétariat révolutionnaire. Le 19 juin, ils approuvaient la reprise, devenue effective, de la guerre de rapine, Le 3 juillet, ils acceptaient que l’on fît venir les troupes réactionnaires ; ce fut le début de l’abandon définitif du pouvoir aux bonapartistes. De déchéance en déchéance.

Cette fin honteuse des partis socialiste-révolutionnaire et menchevique n’est pas l’effet du hasard ; c’est le résultat, maintes fois confirmé par l’expérience européenne, de la situation économique des petits patrons, de la petite bourgeoisie.

IX

Tout le monde évidemment a observé que les petits patrons se mettent en quatre, font l’impossible pour «parvenir», devenir de vrais patrons, se hausser au niveau de patron «aisé», au niveau de la bourgeoisie. Tant que règne le capitalisme, les petits patrons n’ont que cette alternative : ou devenir eux-mêmes capitalistes (ce qui arrive, dans le meilleur des cas, à un petit patron sur cent), ou passer à l’état de petit patron ruiné, de semi-prolétaire, puis de prolétaire.

Il en est de même en politique : la démocratie petite-bourgeoise, notamment ses chefs, s’aligne sur la bourgeoisie. Les chefs de la démocratie petite-bourgeoise bercent leurs masses de promesses et d’assurances sur la possibilité d’une entente avec les gros capitalistes. En mettant les choses au mieux, ils obtiennent des capitalistes, pour un temps très court et au profit d’une faible couche supérieure des masses laborieuses, de menues concessions.

Mais, dans toutes les questions décisives, importantes, la démocratie petite-bourgeoise a toujours été à la remorque de la bourgeoisie dont elle était un appendice impuissant et a toujours été un instrument docile entre les mains des rois de la finance. L’expérience de l’Angleterre et de la France a maintes fois confirmé cette vérité.

L’expérience de la révolution russe pendant laquelle les événements, influencés surtout par la guerre impérialiste et la crise profonde qu’elle a provoquée, se sont déroulés avec une rapidité extrême, cette expérience de février à juillet 1917 a confirmé avec une vigueur et une netteté remarquables le vieil axiome marxiste de l’instabilité de la petite bourgeoisie.

L’enseignement de la révolution russe, c’est que les masses laborieuses ne pourront s’arracher à l’étreinte de fer de la guerre, de la famine et du joug des grands propriétaires fonciers et des capitalistes qu’à la condition de rompre complètement avec les partis socialiste-révolutionnaire et menchevique, de prendre nettement conscience du rôle de trahison de ces partis, de repousser toute entente avec la bourgeoisie, de passer résolument aux côtés des ouvriers révolutionnaires.

Seuls les ouvriers révolutionnaires, s’ils sont soutenus par les paysans pauvres, sont en mesure de briser la résistance des capitalistes, de conduire le peuple à la conquête sans rachat de la terre, à la liberté complète, à la victoire sur la famine, à la victoire sur la guerre, à une paix juste et durable.

POSTFACE

Cet article, comme il ressort du texte, fut écrit fin juillet.

L’histoire de la révolution au cours du mois d’août en a pleinement confirmé le contenu. Ensuite, fin août, la rébellion de Kornilov [6] a amené la révolution à un nouveau tournant, en montrant nettement au peuple entier que les cadets unis aux généraux contre-révolutionnaires entendaient dissoudre les Soviets et rétablir la monarchie.

Quelle est la force de ce nouveau tournant de la révolution et réussira-t-il à mettre un terme à la funeste politique d’entente avec la bourgeoisie ? C’est ce que montrera le proche avenir…

N. Lénine

6 septembre 1917.

Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1]. Le 12 (25) juillet, le Gouvernement provisoire décréta la peine de mort sur le front. Des «cours martiales révolutionnaires» dont les verdicts étaient exécutoires immédiatement après publication, furent instituées dans les divisions. [N.E.]

[2]. Les troudoviks (Groupe du travail), fraction des démocrates petits-bourgeois dans les Doumas d’Etat, comprenant des paysans et des intellectuels de tendance populiste. La fraction des troudoviks, qui avait été constituée en avril 1906 par les députés paysans de la 1re Douma d’Etat hésitait entre les cadets et les social-démocrates révolutionnaires. Pendant la première guerre mondiale la majorité des troudoviks avait adopté des positions sociales-chauvines.

Après la révolution de Février, Ies troudoviks, porte-parole des intérêts des koulaks, soutinrent activement le Gouvernement provisoire. Hostiles à la révolution socialiste, ils prirent part. à la contre-révolution bourgeoise. [N.E.]

[3]. La Commission de contact fut instituée par le Comité exécutif menchevique et socialiste-révolutionnaire du Soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd, le 8 (21) mars 1917, pour «influencer» et «contrôler» l’activité du Gouvernement provisoire.

Pratiquement, la « commission de contact» aidait le Gouvernement provisoire à utiliser l’autorité du Soviet de Petrograd pour masquer sa politique contre-révolutionnaire. Avec son aide les mencheviks et les s.-r. espéraient. détourner les masses ouvrières d’une lutte révolutionnaire active pour le passage de tout le pouvoir aux Soviets. Tchkhéidzé, Steklov, Soukhanov, Philippovski, Skobélev (et un peu plus tard Tchernov et Tsérétéli) en firent partie. La «commission de contact» fut liquidée vers la mi-avril 1917, ses fonctions ayant été transmises au Bureau du Comité Exécutif. [N.E.]

[4]. A la suite d’un conflit entre le Soviet de Cronstadt et le commissaire du Gouvernement provisoire Pépéilaïev, le 17 (30) mai 1917, sur l’initiative de la fraction sans-parti du Soviet soutenue par les bolcheviks, une résolution fut adoptée sur la suppression du poste de commissaire gouvernemental et sur le passage de la totalité du pouvoir au Soviet de Cronstadt.

Le texte déclarait en substance que le seul pouvoir dans la ville de Cronstadt était le Soviet des députés ouvriers et soldats qui, pour toutes les affaires d’Etat, se mettait en contact direct avec le Soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd.

La presse bourgeoise, s.-r. et menchevique déclencha aussitôt une campagne de diffamation contre les responsables de Cronstadt et les bolcheviks, déclarant que la Russie commençait à se désagréger, que l’anarchie régnait, que Cronstadt s’était séparé, etc.

Pour résorber l’incident, une délégation (composée notamment de Tchkhéidzé et Gotz) fut dépêchée par le Soviet de Petrograd, puis par le Gouvernement provisoire (les ministres Skobélev et Tsérétéli). Ces derniers réussirent à faire voter par le Soviet de Cronstadt une décision de compromis en vertu de laquelle le commissaire devait être élu par le Soviet et confirmé dans son poste par le Gouvernement provisoire.

S’y ajouta une résolution de politique générale par laquelle le Soviet de Cronstadt déclarait que tout en reconnaissant le pouvoir du Gouvernement provisoire, «il ne renonçait nullement au droit de critique ni à son désir de voir la démocratie révolutionnaire créer un nouvel organisme du pouvoir central en transmettant la totalité du pouvoir au Soviet des députés ouvriers et soldats» ; il exprimait l’espoir que l’influence idéologique des bolcheviks suffirait pour y parvenir. La résolution se terminait par une protestation énergique contre la tentative d’attribuer aux bolcheviks de Cronstadt «l’intention de séparer Cronstadt du reste de la Russie ». [N.E.]

[5]. Le bonapartisme (du nom des deux empereurs français) est un gouvernement qui affecte d’être indépendant des partis, en mettant à profit la lutte aiguë que mènent entre eux les partis des capitalistes et des ouvriers. Servant en réalité les capitalistes, un gouvernement de ce genre s’attache surtout à tromper les ouvriers par des promesses et de menues aumônes.

[6]. La rébellion de Kornilov, soulèvement contre-révolutionnaire fomenté par la bourgeoisie et les propriétaires fonciers en août 1917 et dirigé par le commandant en chef de l’armée, le général Kornilov. La conspiration avait pour but de prendre Petrograd, de démanteler le parti bolchevique, de disperser les Soviets, d’instaurer la dictature militaire et préparer le rétablissement de la monarchie.

Le chef du Gouvernement provisoire, Kérenski, prit part au complot mais une fois le soulèvement déclenché, craignant qu’il serait lui-même balayé avec Kornilov, il se sépara de ce dernier et le déclara rebelle au Gouvernement provisoire.

La sédition fut déclenchée le 25 août (7 septembre). Kornilov lança contre Petrograd le 3e corps de cavalerie, dans la ville même les organisations contre-révolutionnaires se préparaient à intervenir.

Le parti bolchevique prit la tête de la lutte des masses contre Kornilov, sans cesser pour autant de dénoncer, comme l’exigeait Lénine, le Gouvernement provisoire et ses acolytes s.-r. et mencheviques.

Sur l’appel du C.C. bolchevique, les ouvriers de Petrograd, les soldats et les matelots révolutionnaires engagèrent la lutte. Les ouvriers de la capitale constituèrent rapidement des détachements de gardes rouges. Plusieurs comités révolutionnaires furent constitués. La progression des troupes de Kornilov fut stoppée. Démoralisées par la propagande bolchevique, elles commencèrent à se désorganiser.

La rébellion de Kornilov fut, étouffée. Sous la pression des masses le Gouvernement provisoire fut contraint d’ordonner l’arrestation de Kornilov et de ses acolytes, et de les traduire en justice pour rébellion. [N.E.]

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Lénine : Le « grand départ » (1917)

Le « grand départ » de la bourgeoisie s’écartant du gouvernement. La formation du gouvernement de coalition, l’entrée d’ex-socialistes dans le ministère étaient ainsi définies le dimanche par le rapporteur du Comité exécutif.

Les deux premiers mots de cette phrase sont les seuls justes. « Grand départ », l’expression s’applique parfaitement au 6 mai (formation du gouvernement de coalition).

Le «grand départ » a vraiment commencé ou, plus exactement, c’est alors qu’il s’est manifesté avec le plus d’évidence. Seulement cela n’a pas été le grand départ de la bourgeoisie s’écartant du gouvernement, mais celui des chefs menchéviques et populistes s’écartant de la révolution.

Le congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats qui se tient en ce moment l’a montré avec un relief admirable, et c’est précisément ce qui en fait l’importance.

Le 6 mai a été pour la bourgeoisie une journée fructueuse. Son gouvernement était près de sa perte. Les masses lui étaient, manifestement et sans réserve, ardemment et irréductiblement hostiles. Il suffisait d’un seul mot des chefs populistes et menchéviques du Soviet pour que le gouvernement abandonnât sans condition le pouvoir, et Lvov dut en convenir franchement à la séance du palais Marie.

La bourgeoisie se livra à une habile manœuvre qui stupéfia les petits bourgeois russes et en général les grandes masses de la Russie, grisa les chefs à prétentions intellectuelles du menchévisme et du populisme, et qui partait d’une juste appréciation du caractère véritable de nos Louis Blanc.

Rappelons que Louis Blanc, socialiste petit-bourgeois bien connu, entra au gouvernement français en 1848 et se rendit aussi tristement célèbre en 1871.

Louis Blanc se considérait comme le chef de la « démocratie laborieuse » ou de la « démocratie socialiste » (ce dernier mot fut aussi souvent employé en France en 1848 qu’il l’est dans la littérature des socialistes-révolutionnaires [1] et des menchéviks en 1917), alors qu’il était en réalité à la remorque de la bourgeoisie et n’était qu’un jouet entre ses mains.

Près de 70 années se sont écoulées depuis, au cours desquelles la manœuvre qui semble en Russie une nouveauté, servit maintes et maintes fois à la bourgeoisie occidentale.

Son principe consiste à mettre les chefs de la « démocratie socialiste » qui « se retirent » du socialisme et de la révolution, en posture de surnuméraires, inoffensifs pour la bourgeoisie, auprès d’un gouvernement bourgeois, à faire écran entre ce gouvernement et le peuple à l’aide de ministres pseudo-socialistes, à masquer la nature contre-révolutionnaire de la bourgeoisie sous la brillante et impressionnante enseigne du ministérialisme «socialiste ».

Ce procédé de la bourgeoisie, maintes fois mis à contribution dans les pays anglo-saxons et scandinaves, ainsi que dans bien des pays latins, a surtout été poussé à la perfection en France. Le 6 mai 1917 l’a introduit en Russie.

«Nos» ministres pseudo-socialistes se sont trouvés dans une situation telle que la bourgeoisie s’est mise à tirer les marrons du feu avec leurs mains, à faire par leur intermédiaire ce qu’elle n’aurait jamais pu faire sans eux.

Il n’était pas possible avec un Goutchkov d’entraîner les masses à la continuation de la guerre impérialiste, d’une guerre de conquêtes, d’une guerre pour le partage des colonies et des annexions en général. Avec Kérenski (et Tsérétéli, plus occupé à défendre Térechtchenko qu’à défendre les travailleurs des postes et télégraphes), la bourgeoisie y est parvenue, comme l’ont reconnu justement Milioukov et Maklakov, et a pu « arranger » la continuation d’une guerre qui porte précisément ce caractère.

Avec un Chingarev il n’était pas possible d’assurer le maintien de la propriété foncière, même jusqu’à l’Assemblée constituante (« l’assainissement de la Russie sera complet », a dit Maklakov, si l’offensive a lieu : c’est-à-dire que l’Assemblée constituante sera, elle aussi, « assainie »).

On y arrivera avec Tchernov.

On a persuadé les paysans – bien qu’ils ne s’y soient pas prêtés très volontiers – qu’affermer les terres des propriétaires fonciers en accord avec ces derniers, c’est l’« ordre », tandis qu’abolir sur l’heure la propriété foncière et recevoir les anciens grands domaines à bail des mains du peuple, jusqu’à l’Assemblée constituante, c’est de l’« anarchie ».

Nul autre que Tchernov n’aurait pu faire prévaloir cette idée de grand propriétaire foncier, cette idée contre-révolutionnaire.

Avec un Konovalov, il n’était pas possible de faire triompher la défense (et l’augmentation : voir ce que dit le journal ministériel Rabotchaïa Gazéta à propos des propriétaires des houillères) des scandaleux bénéfices des fournisseurs de guerre.

Par l’intermédiaire de Skobélev ou avec son concours, on peut mener cette défense à bien en prétendant maintenir l’état de choses antérieur, en niant d’une manière pseudo-marxiste la possibilité d’« instaurer » le socialisme.

On ne peut pas instaurer le socialisme : aussi peut-on dissimuler au peuple et conserver quelque temps encore les bénéfices scandaleux réalisés par les capitalistes non dans leurs entreprises purement capitalistes, mais sur les fournitures faites à l’armée, au Trésor ! Voilà l’admirable raisonnement à la Strouvé qui réunit Térechtchenko, Lvov et le « marxiste » Skobélev.

Avec Lvov, Milioukov, Térechtchenko, Chingarev et Cie, on ne peut pas influencer les assemblées populaires et les Soviets.

Avec Tsérétéli, Tchernov et Cie, on peut les influencer dans le même sens bourgeois, on peut les orienter vers la même politique impérialiste bourgeoise à l’aide de phrases d’une «agréable» sonorité et d’un effet particulièrement « heureux » ; on peut les amener jusqu’à la négation du droit démocratique élémentaire d’élire les autorités locales et de ne point tolérer qu’elles soient nommées ou agréées par les autorités supérieures.

Par la négation de ce droit, Tsérétéli, Tchernov et Cie, cessant d’être des ex-socialistes, sont devenus en réalité, sans s’en rendre compte, des ex-démocrates.

« Grand départ », en vérité !

Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1]. Socialistes-révolutionnaires (.s.-r.), parti petit-bourgeois né en Russie fin 1901-début 1902 de l’union des divers groupes et cercles populistes. Leurs conceptions étaient un mélange éclectique d’idées populistes et révisionnistes.

Pendant la première guerre mondiale la majorité des socialistes-révolutionnaires adopta les positions du social-chauvinisme.
Après la victoire de la Révolution démocratique bourgeoise de Février 1917, les socialistes-révolutionnaires furent, avec les menchéviks et les cadets, le principal appui du Gouvernement provisoire contre-révolutionnaire des bourgeois et propriétaires fonciers.

Quant aux leaders du parti (Kérenski, Avksentiev, Tchernov), ils firent partie dudit gouvernement. Le parti socialiste-révolutionnaire refusa de soutenir les paysans qui réclamaient la liquidation de la propriété foncière et s’affirma en faveur du maintien de la propriété seigneuriale. Les ministres socialistes-révolutionnaires du Gouvernement provisoire envoyèrent des expéditions punitives contre les paysans qui s’étaient emparés des terres des propriétaires fonciers.

Fin 1917, l’aile gauche créa le parti indépendant des socialistes-révolutionnaires de gauche. Désireux de conserver leur influence sur les masses paysannes, les socialistes-révolutionnaires de gauche reconnurent officiellement le pouvoir soviétique et s’entendirent avec les bolchéviks, mais engagèrent peu après la lutte contre le pouvoir des Soviets.

Durant les années de l’intervention étrangère et de la guerre civile, les socialistes-révolutionnaires se livrèrent à une activité subversive, soutinrent activement les interventionnistes et les gardes blancs, trempèrent dans des complots contre-révolutionnaires, organisèrent des actions terroristes contre les dirigeants de l’Etat soviétique et du Parti communiste.

La guerre civile terminée, ils poursuivirent leur activité hostile à l’Etat soviétique à l’intérieur du pays et dans le camp de l’émigration blanche. [N.E.]

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Lénine : Le congrès socialiste international de Stuttgart (1907)

Écrit en septembre 1907. Publié en octobre 1907 dans l’ « Almanach pour tous, 1908 ». Signé : N. L. —— e

Le récent congrès de Stuttgart a constitué la douzième assemblée de l’ Internationale prolétarienne. Les cinq premiers congrès remontent à l’époque de la première Internationale (1866-1872) placée sous la direction de Marx, qui, selon une expression heureuse de Bebel, s’était efforcé de faire par le haut l’unité internationale du prolétariat combattant.

Cette tentative ne pouvait connaître le succès tant que les partis socialistes des différents pays ne s’étaient pas unis et affermis, mais il reste que par ses activités la première Internationale rendit de grands services an mouvement ouvrier de tous les pays et laissa une empreinte durable.

La naissance de la deuxième Internationale fut l’œuvre du congrès socialiste international de Paris de 1889. Forte du soutien de solides partis nationaux, la deuxième Internationale devait finir de se consolider aux congrès ultérieurs de Bruxelles (1891), Zurich (1893), Londres (1896), Paris (1900) et Amsterdam (1904).

A Stuttgart s’étaient réunis 884 délégués venus de 25 pays d’Europe, d’Asie (Japon et une partie de l’Inde), d’Amérique, d’Australie et d’Afrique (un délégué d’Afrique du Sud).

L’importance considérable du congrès socialiste international de Stuttgart réside précisément dans le fait qu’il a achevé de consolider la deuxième Internationale et qu’avec lui les congrès internationaux se sont transformés en assemblées de travail exerçant une influence profonde sur le caractère et l’orientation des activités du mouvement socialiste dans le monde entier.

En principe, les différents partis nationaux ne sont pas obligés d’appliquer les décisions des congrès internationaux, mais la portée morale de ces décisions est telle que leur non-application est une exception presque aussi rare que la non-application par les partis des décisions de leurs propres congrès.

Le congrès d’Amsterdam était parvenu à unir les socialistes français et sa résolution contre le « ministérialisme » [1] traduisait véritablement la volonté du prolétariat conscient du monde entier et définissait la politique des partis ouvriers.

Le congrès de Stuttgart a constitué lui aussi un grand pas dans cette direction, s’avérant sur toute une série de questions importantes d’instance suprême qui allait déterminer la ligne politique du socialisme.

Cette ligne, le congrès de Stuttgart, plus fermement encore que celui d’Amsterdam, l’a définie dans l’esprit de la social-démocratie révolutionnaire face à l’opportunisme.

C’est avec raison que Die Gleichheit (l’égalité), organe des travailleuses social-démocrates allemandes publié sous la direction de Clara Zetkin, écrit à ce propos :

« sur toutes les questions, les déviations opportunistes des différents partis socialistes ont été corrigées dans un esprit révolutionnaire grâce au travail commun des socialistes de tous les pays ».

Cependant, phénomène à la fois remarquable et attristant, la social-démocratie allemande, qui s’en était jusqu’ici toujours tenue aux conceptions révolutionnaires marxistes, a fait preuve d’instabilité ou adopté des positions opportunistes.

Le congrès de Stuttgart a donc confirmé la profondeur de la remarque faite par Engels au sujet du mouvement ouvrier allemand.

Engels, le 29 avril 1886, écrivait a Sorge, vétéran de la première Internationale :

« Il est somme toute bon que les Allemands se voient contester le rôle de dirigeants du mouvement socialiste international, en particulier après qu’ils ont envoyé au Reichstag un si grand nombre de philistins (ce qui était toutefois inévitable).

Quand les temps sont calmes, tout en Allemagne devient philistin, et en de tels moments l’aiguillon de la concurrence française s’avère absolument indispensable, et n’est pas près d’ailleurs de faire défaut. »

L’aiguillon de la concurrence française n’a pas fait défaut à Stuttgart, et il était vraiment indispensable, car l’esprit philistin des Allemands a eu l’occasion de se manifester largement.

Il importe au plus haut point pour les social-démocrates russes de ne pas perdre ces faits de vue, étant donné que nos libéraux (et pas seulement eux) font des pieds et des mains pour nous présenter comme modèle digne d’être imité les aspects les moins reluisants de la social-démocratie allemande.

Les maîtres à penser les plus éminents et les plus perspicaces de la social-démocratie allemande n’ont pas été sans s’en apercevoir et, sans fausse honte, ils considèrent cela comme un avertissement.

« Amsterdam, écrit le journal de Clara Zetkin, avait vu la résolution de Dresde servir de leitmotiv révolutionnaire à tous les débats des assises du prolétariat mondial, mais à Stuttgart on a ressenti comme de désagréables dissonances opportunistes les interventions de Vollmar à la commission sur le militarisme, de Päplow à la commission sur l’émigration, de David (auquel nous joindrons Bernstein) à la commission coloniale.

Dans la majorité des commissions et sur la majorité des questions, les représentants de l’Allemagne sont apparus pour cette fois comme les têtes de file de l’opportunisme. » Commentant le congrès de Stuttgart, Kautsky écrit de son côté : « le rôle dirigeant joué en fait jusqu’à présent à la IIeme Internationale par la social-démocratie allemande ne s’est en l’occurrence nullement fait sentir ».

Passons à l’examen des différentes questions qui furent l’objet des débats du congrès. Les divergences surgies sur la question coloniale ne purent être surmontées en commission, et c’est le congrès lui-même qui mit fin à la discussion entre opportunistes et révolutionnaires en donnant à ces derniers une majorité de 127 voix contre 108, et 10 abstentions.

Il faut se réjouir à ce propos du fait que les socialistes russes aient tous voté à l’unanimité en faveur d’une résolution révolutionnaire de toutes les questions.

(Signalons que la Russie avait droit à 20 voix, dont 10 pour le P.O.S.D.R., Polonais exclus, 7 pour les socialistes-révolutionnaires, et 3 pour les représentants des syndicats. La Pologne, elle, avait 10 voix, dont 4 pour les social-démocrates, et 6 pour les représentants du P.P.S. [2] et des régions non-russes de la Pologne. Enfin les deux représentants de la Finlande avaient 8 voix).

Sur la question coloniale, la commission a vu se dégager une majorité opportuniste, et le projet de résolution comportait cette phrase monstrueuse : « Le congrès ne condamne pas, en principe et pour tous les temps, toute politique coloniale, qui, en régime socialiste, pourra être une œuvre civilisatrice. »

Cette disposition équivaut en fait à un recul direct vers la politique et la conception du monde bourgeoises justifiant guerres et violences coloniales. C’est un recul vers les positions de Roosevelt, a affirmé un délégué américain.

Mais les tentatives de justifier ce recul au nom des tâches de la « politique coloniale socialiste » et des réelles réformes susceptibles d’être accomplies aux colonies ont été vraiment en dessous de tout.

Le socialisme ne s’est jamais refusé et ne se refusera jamais à réclamer des réformes aux colonies comme ailleurs, mais cela ne doit nullement impliquer un relâchement de notre position de principe d’hostilité aux conquêtes, à la soumission des autres peuples, aux violences et au pillage qui sont les composantes de la « politique coloniale ».

Le programme minimum de tous les partis socialistes est valable aussi bien pour les métropoles que pour les colonies. La notion même de « politique coloniale socialiste » relève d’une extrême confusion.

Le congrès a eu parfaitement raison de retrancher de la résolution les formulations citées plus haut pour leur substituer une condamnation de la politique coloniale encore plus ferme que dans les résolutions des congrès précédents.

La résolution portant sur les rapports entre partis socialistes et syndicats revêt une importance toute particulière pour nous autres Russes, car chez nous cette question est à l’ordre du jour.

Le congrès de Stockholm s’était prononcé en faveur de syndicats non rattachés au parti, venant ainsi étayer les positions de nos propres partisans de la neutralité, Plékhanov en tête.

Mais le congrès de Londres, lui, avait penché pour des syndicats rattachés au parti, s’affirmant de la sorte opposé à la neutralité. La résolution de Londres avait, comme on le sait, donné lieu à de longues discussions ainsi qu’à un mécontentement de la part de certains syndicats, mécontentement qui s’était fait jour dans la presse de la démocratie bourgeoise.

À Stuttgart, la question s’est trouvée, au fond, posée de la façon suivante : neutralité ou relations toujours plus étroites des syndicats avec le parti ?

Le congrès socialiste international, comme le lecteur peut s’en convaincre à la lecture de la résolution, s’est prononcé en faveur du rapprochement entre les syndicats et le parti.

Aussi la résolution ne comporte-t-elle pas le moindre mot ni à propos de la neutralité, ni à propos du non-rattachement des syndicats au parti.

Kautsky, qui au sein de la social-démocratie allemande s’était fait le partisan d’un tel rapprochement et s’était élevé contre l’idée de neutralité prônée par Bebel, avait donc parfaitement le droit de proclamer dans son compte rendu sur le congrès de Stuttgart à l’adresse des ouvriers de Leipzig (Vorwärts [3], 1907, n° 209, Beilage [Appendice N.R.]) : « La résolution du congrès de Stuttgart dit tout ce qui nous est nécessaire. Elle met un terme définitif à la notion de neutralité. »

Clara Zetkin écrit de son côté : «Dans le principe, il ne s’est plus trouvé (à Stuttgart) qui que ce soit pour aller contre la tendance historique fondamentale de la lutte de classe prolétarienne qui est de lier le combat politique et le combat économique, de regrouper aussi étroitement que possible les organisations de l’un et l’autre front en une force unie de la classe ouvrière socialiste.

Seul le camarade Plékhanov, représentant des social-démocrates russes » (il aurait mieux valu dire représentant des mencheviks qui l’avaient envoyé en commission pour défendre la « neutralité ») « ainsi que la majorité de la délégation française s’employèrent à l’aide d’arguments assez malheureux à justifier une certaine limitation de ce principe en se référant aux particularités de leur pays. Mais l’écrasante majorité du congrès se prononça pour une politique résolue d’union de la social-démocratie et des syndicats… »

Il est à noter que l’argument de Plékhanov, considéré à juste titre par Clara Zetkin comme malheureux, a fait le tour des journaux légaux russes sous la forme suivante : « il existe en Russie onze partis révolutionnaires » ; « avec lequel d’entre eux les syndicats doivent-ils s’unir ? »

Tel est l’argument (nous citons d’après Vorwärts, n° 196, 1. Beilage) que Plékhanov avait avancé en commission au congrès de Stuttgart. Mais cet argument est inexact tant sur le plan des faits que sur celui des principes.

En réalité, il n’existe pas en Russie, pour chaque nationalité, plus de deux partis qui s’affrontent afin de s’assurer une influence dans le prolétariat socialiste : social-démocrates et socialistes-révolutionnaires, social-démocrates polonais et P.P.S., social-démocrates lettons et socialistes-révolutionnaires lettons (connus sous le nom d’ « Union social-démocrate de Lettonie »), social-démocrates arméniens et dachnaktsoutioun [4], etc.

C’est en deux groupes aussi que s’est divisée immédiatement la délégation russe à Stuttgart. Ce chiffre de onze partis révolutionnaires a été cité de façon tout à fait arbitraire et ne fait qu’induire les ouvriers en erreur.

Et le plan des principes ne donne pas plus raison à Plékhanov, étant donné que la lutte entre le socialisme prolétarien et le socialisme petit-bourgeois ne peut manquer de surgir partout en Russie, y compris à l’intérieur des syndicats. Pour leur part les Anglais n’ont pas estimé nécessaire de s’opposer à la résolution, bien qu’il y ait également chez eux deux partis socialistes concurrents, les social- démocrates (S.D.F. [5]) et les « indépendants » (I.L.P. [6]).

Que l’idée de neutralité rejetée à Stuttgart ait déjà causé un tort considérable au mouvement ouvrier, l’exemple de l’Allemagne le montre d’une façon particulièrement frappante.

La neutralité y avait été très largement prônée et appliquée, ce qui a eu pour conséquence de faire dévier les syndicats allemands du côté de l’opportunisme, et cela d’une manière si ostensible que même un homme aussi prudent que Kautsky pour ce qui est de cette question, n’a pu faire autrement que de reconnaître qu’il y avait déviation.

Dans son compte rendu aux ouvriers de Leipzig, Kautsky a affirmé sans détour que « l’esprit conservateur » dont a fait preuve la délégation allemande à Stuttgart « est parfaitement compréhensible si l’on considère la composition de cette délégation.

Celle-ci comprenait une moitié de représentants des syndicats, ce qui fait que « l’aile droite » de notre parti y disposait de plus de forces qu’elle n’en a réellement dans le parti lui-même ».

La résolution de Stuttgart va sans aucun doute hâter le moment où la social-démocratie russe rompra avec cette idée de neutralité qui jouit d’une si grande faveur chez nos libéraux.

En évitant toute imprudence, toute précipitation et tout faux pas tactique, nous devons travailler inlassablement au sein des syndicats afin de les rapprocher sans cesse du parti social-démocrate.

La commission sur l’émigration et l’immigration du congrès de Stuttgart vit, elle aussi, apparaître de manière très nette des dissensions entre opportunistes et révolutionnaires, les premiers s’étant mis dans la tête l’idée de restreindre le droit des ouvriers de pays arriérés d’émigrer (en particulier de Chine et du Japon).

L’esprit de corporation borné, l’exclusive trade-unioniste l’emportaient chez de tels gens sur leur compréhension des tâches du socialisme : travail d’éducation et d’organisation des couches du prolétariat qui ne prennent pas encore part au mouvement ouvrier. Mais le congrès repoussa toutes les invités à suivre cette voie.

Même en commission, les partisans d’une telle limitation de la liberté d’émigrer restèrent totalement isolés, et la résolution du congrès réaffirme le principe de la solidarité dans la lutte de classe des ouvriers de tous les pays.

Sur la question du droit de vote des femmes, la résolution a été également adoptée à l’unanimité.

Seule une Anglaise de la semi-bourgeoise société fabienne a voulu faire admettre la possibilité d’une lutte en faveur d’un droit de vote amputé au profit des femmes appartenant aux couches aisées.

C’est de façon catégorique que le congrès a rejeté cette idée, recommandant aux travailleuses de ne pas mener le combat pour le droit de vote de concert avec les femmes de la bourgeoisie qui réclament l’égalité des droits de la femme, mais avec les partis de classe du prolétariat.

Le congrès a souligné la nécessité, au cours de la campagne pour le vote des femmes, de défendre intégralement les principes du socialisme et l’égalité des droits entre hommes et femmes, et de ne pas se laisser détourner de ces principes par des considérations d’opportunité.

La commission a vu surgir sur cette question un différend non dépourvu d’intérêt. Les Autrichiens (Victor Adler, Adelheid Popp) s’efforçaient de justifier la tactique qui avait, été la leur dans la lutte pour l’octroi du droit de veto aux hommes : on sait que dans le but de conquérir ce droit, ils avaient estimé plus à propos de ne pas mettre au premier plan de leur campagne l’exigence du droit de vote pour les femmes.

Les social-démocrates allemands, notamment Clara Zetkin, avaient protesté contre une telle position dès l’époque où les Autrichiens avaient mené la bataille pour le suffrage universel.

Clara Zetkin avait alors déclaré pour le suffrage universel.

Clara Zetkin avait alors déclaré dans la presse que l’on ne devait en aucun cas laisser dans l’ombre l’exigence du droit de vote pour les femmes, que les Autrichiens avaient agi en opportunistes, en sacrifiant le principe à des considérations de commodité et que fiant le principe à des considérations de commodité et que réclamer avec autant d’énergie le droit de vote pour les femmes n’aurait pas affaibli mais amplifié l’action et la force du mouvement populaire.

En commission, une autre social-démocrate allemande en vue, Zietz, manifesta son accord total avec Clara Zetkin.

L’amendement d’Adler, qui justifiait indirectement la tactique autrichienne (car il se bornait à dire qu’il ne devait pas y avoir d’interruption dans la lutte pour le droit de vote effectif de tous les citoyens, sans affirmer que cette lutte devait comporter invariablement l’exigence de l’égalité des droits entre hommes et femmes), l’amendement d’Adler fut rejeté par 12 voix contre 9.

Les paroles prononcées par cette même Zietz dans son intervention à la conférence internationale des femmes socialistes (conférence qui se tint à Stuttgart en même temps que le congrès) traduisent fidèlement le point de vue de la commission et du congrès à ce sujet : « Nous devons par principe exiger tout ce que nous estimons juste, déclara Zietz, et ce n’est que dans le cas où nous manquons des forces nécessaires à la lutte que nous nous contentons de ce que nous pouvons obtenir.

Telle a toujours été la tactique de la social-démocratie. Plus modestes seront nos revendications, plus modestes seront les concessions du gouvernement… » De cette discussion entre social- démocrates autrichiennes et allemandes, le lecteur peut constater combien les meilleurs d’entre les marxistes jugent sévèrement les moindres déviations par rapport à la tactique révolutionnaire conséquente et fidèle aux principes.

La dernière journée du congrès a été consacrée à une question que tous attendaient avec un grand intérêt, celle du militarisme.

Incapable de faire la relation entre la guerre et le régime capitaliste en général et d’établir un lien entre la propagande antimilitariste et l’ensemble du travail des socialistes, le fameux Hervé s’est fait le défenseur de conceptions indéfendables.

Le projet d’Hervé de « répondre » à toute guerre par la grève et l’insurrection a montré combien son auteur était inapte à comprendre que l’emploi de tel ou tel moyen de lutte ne dépendait pas d’une décision prise au préalable par les révolutionnaires, mais des conditions objectives de la crise, tant politique qu’économique, provoquée par la guerre.

Mais si Hervé, se laissant entrainer a des phrases ronflantes, a fait preuve d’une légèreté et d’un manque de réflexion évidents, c’eut été avoir la vue bien courte que de lui opposer le seul énoncé dogmatique des vérités générales du socialisme.

C’est pourtant ce qu’a fait notamment Vollmar (Bebel et Guesde n’ont pas été absolument purs de ce péché). Avec la singulière fatuité d’un homme épris de parlementarisme stéréotypé, il s’est attaqué à Hervé sans remarquer que sa propre étroitesse d’esprit et sa raideur opportuniste obligent à trouver dans l’hervéïsme une pointe de fraîcheur et de nouveauté, en dépit de l’absurdité théorique et de la stupidité avec laquelle Hervé posait le problème.

Il peut se produire, en effet, qu’à un tournant du mouvement des absurdités théoriques recèlent une part de vérité pratique.

Et cet aspect de la question, l’appel à ne pas se contenter des seuls moyens parlementaires de lutte, l’appel à l’action en tenant compte des conditions de la guerre future et des crises futures, furent mis en relief par les social-démocrates révolutionnaires et, en particulier, par Rosa Luxemburg dans son discours.

De concert avec les délègues de la social-démocratie russe (Lénine et Martov intervinrent dans le même sens sur cette question) Rosa Luxemburg proposa des amendements à la résolution de Bebel, amendements qui mettaient l’accent sur la nécessité de mener la propagande parmi les jeunes, la nécessité de mettre à profit la crise engendrée par la guerre pour accélérer la chute de la bourgeoisie, la nécessité inévitable de prévoir un changement des méthodes et des moyens de lutte à mesure que s’aggraverait la lutte de classe et qu’évoluerait la situation politique.

La résolution de Bebel, à l’origine dépourvue de vie, unilatérale parce que dogmatique et influencée par les interprétations proposées par Vollmar, finit ainsi par se transformer en une toute autre résolution.

Toutes les vérités théoriques y étaient reprises pour l’édification des partisans d’Hervé, trop prompts à oublier le socialisme par zèle antimilitariste.

Cependant, ces vérités ne doivent pas aboutir à justifier le crétinisme parlementaire, ni à consacrer les seuls moyens pacifiques, ni à renoncer à la lutte en cas de situation relativement paisible et tranquille, mais à utiliser tous les moyens de lutte, à tirer parti de l’expérience de la révolution russe, à développer le côté créateur, efficace du mouvement.

Le journal de Clara Zetkin, que nous avons mentionné à plusieurs reprises, a précisément su saisir de manière très exacte ce caractère, qui s’avère comme le plus important et le plus remarquable de la résolution du congrès sur l’antimilitarisme.

« Sur cette question également, dit Clara Zetkin à propos de cette résolution, l’énergie (Tatkraft) révolutionnaire et la foi de la classe ouvrière dans sa combativité et dans sa vaillance ont fini par prendre le pas d’une part sur l’évangile pessimiste de notre impuissance et la tendance figée à s’en tenir aux vieilles méthodes exclusivement parlementaires de lutte, et d’autre part sur le gymnastique antimilitariste simpliste de Français à demi anarchistes du genre d’Hervé.

La résolution finalement adoptée à l’unanimité, tant par la commission que par la presque totalité des 900 délégués de tous les pays, traduit en termes énergiques l’essor gigantesque du mouvement ouvrier révolutionnaire depuis la tenue du précédent congrès international ; la résolution souligne comme principe de la tactique prolétarienne sa souplesse, son aptitude à se développer, à devenir plus acérée (Zuspitzung) à mesure que les conditions en viennent à maturité. »

Si l’hervéïsme a été réfuté, ce n’est pas au profit de l’opportunisme, ni du point de vue du dogmatisme et de la passivité. Le prolétariat international a ressenti un vif désir de recourir à des nouvelles méthodes de lutte toujours plus résolues, désir qu’il a replacé dans le contexte de l’aggravation des contradictions économiques, dans le contexte des conditions des crises engendrées par le capitalisme.

Ce n’est pas une vaine menace à la Hervé, mais une claire conscience de l’inévitabilité de la révolution sociale, une ferme volonté de mener la lutte jusqu’au bout et d’utiliser les moyens de lutte les plus révolutionnaires qu’on peut lire dans la résolution du congrès socialiste international de Stuttgart sur la question du militarisme.

L’armée du prolétariat grandit dans tous les pays. Sa conscience, sa volonté et son unité se font d’heure en heure plus fortes.

Et le capitalisme se charge, lui, de multiplier les crises dont cette armée ne manquera pas de tirer profit pour l’abattre.

Notes

[1] Ministérialisme (millerandisme), courant opportuniste qui se fit jour dans les partis socialistes d’Europe occidentale à la fin du XIXe et au début du XXe siècle ; il tire son nom du socialiste français, A. Millerand, qui, en 1899, entra dans le gouvernement bourgeois réactionnaire et aida la bourgeoisie à promouvoir sa politique.

[2] Les social-démocrates polonais, membres de la social-démocratie du Royaume de Pologne et de la Lituanie, parti révolutionnaire de la classe ouvrière polonaise. Ce parti naquit d’abord, en 1893, comme social-démocratie du Royaume de la Pologne, puis, à dater du mois d’août 1900, après le congrès des organisations social-démocrates du Royaume de Pologne et de la Lituanie, qui vit la fusion des social-démocrates polonais et une partie des social-démocrates lituaniens, il prit le nom de Social-démocratie du Royaume de Pologne et de la Lituanie. Le mérite de ce parti était de pousser le mouvement ouvrier polonais à l’alliance avec les ouvriers russes et de lutter contre le nationalisme.

Durant la révolution de 195-1907, le S.D.R.P.L. adopta des mots d’ordre proches de ceux des bolcheviks et eut une position intransigeante vis-à-vis de la bourgeoisie libérale. Cependant elle commit plusieurs erreurs : elle ne comprit pas la théorie de Lénine sur la révolution socialiste, le rôle dirigeant du parti dans la révolution démocratique, elle sous-estima le rôle de la paysannerie comme alliée de la classe ouvrière et l’importance du mouvement de libération nationale. V. Lénine, tout en critiquant les conceptions erronées de la S.D.R.P.L., a souligné les mérites qui furent siens au sein du mouvement révolutionnaire de Pologne. Les social-démocrates polonais, a-t-il dit, « ont eu raison de créer pour la première fois un parti purement prolétarien en Pologne, de proclamer le principe éminemment important de l’alliance la plus étroite de l’ouvrier polonais et l’ouvrier russe dans la lutte de classe » (voir Œuvres, Paris-Moscou, t. 20, p. 458). Au IVeme Congrès du P.O.S.D.R. (congrès d’unification de 1906), la S.D.R.P.L. fut admise au sein du P.O.S.D.R. en qualité d’organisation territoriale.

La S.D.R.P.L. salua la Grande Révolution socialiste d’Octobre et engagea une lutte de grande envergure pour la victoire de la révolution prolétarienne en Pologne. En décembre 1918, au congrès d’unification, la S.D.R.P.L. et la « lewica » du P.P.S. fusionnèrent et créèrent le Parti communiste ouvrier de Pologne.

P.P.S., parti socialiste polonais (Polska Partia Socjalituszna) crée en 1892 ; réformiste et nationaliste. En 1906, le parti se scinda en un groupement de gauche, la « lewica » du P.P.S., et en un groupement de droite, chauvin, dit « fraction révolutionnaire » du P.P.S.

[3] « Vorwärts » [En Avant], quotidien, organe central du Parti social-démocrate d’Allemagne ; publié à Berlin à partir de 1891 sous le titre exact de Vorwärts, Berliner Volksblatt, par décision du congrès de Halle ; prenait la succession de Berliner Volksblatt [Journal populaire de Berlin] qui existait depuis 1884. Dans les pages du Vorwärts, F. Engels combattait toutes les formes d’opportunisme. Après 1895, c’est-à-dire après la mort d’Engels, la rédaction du journal tomba aux mains de l’aile droite du parti et se mit à publier systématiquement des articles opportunistes. Par des analyses tendancieuses de lutte contre l’opportunisme et le révisionnisme au sein du P.O.S.D.R., Vorwärts apporta son soutien aux « économistes », puis, après la scission du parti, aux mencheviks. Durant les années de réaction, il publia des articles calomniateurs de Trotski sans offrir à Lénine ni aux autres bolcheviks la possibilité de riposter et de donner une appréciation objective de la situation au sein du parti.

Durant la première guerre mondiale, Vorwärts adopta des positions social-chauvines ; après la Grande Révolution socialiste d’Octobre, il mena une propagande antisoviétique. Il continua à paraître à Berlin jusqu’en 1933.

[4] Dachnaktsoutioun, un parti nationaliste bourgeois. Créé au début années 90 du XIXeme siècle en Arménie turque pour libérer les Arméniens de Turquie du joug du sultanat ; ce parti consistait en un conglomérat bourgeois démocratique de représentants de diverses classes : bourgeois et intellectuels ; paysans et ouvriers non touchés par la propagande social-démocrate ; une partie du lumpen-prolétariat, organisée en groupes de « zinvor ».

À la veille de la révolution de 1905-1907, le parti centra son activité sur le Caucase et se rapprocha des socialistes-révolutionnaires. Son aile gauche adhéra à ce parti en 1907, après avoir formé le groupe des « jeunes dachnaktsoutioun ».

Les activités du Dachnaktsoutioun avaient un caractère antipopulaire. Sa propagande nationaliste a nui énormément à l’éducation internationaliste du prolétariat et des masses laborieuse d’Arménie et de toute la Transcaucasie.

Après la révolution démocratique bourgeoise de Février 1917, les « dachnaks » apportèrent leur appui à la politique du Gouvernement bourgeois provisoire ; après la Révolution socialiste d’Octobre, ils participèrent au bloc contre-révolutionnaire des mencheviks et socialistes-révolutionnaires dirigé contre les bolcheviks. Entre 1918 et 1920, les dachnaks furent à la tête du gouvernement bourgeois-nationaliste contre-révolutionnaire d’Arménie ; tous leurs actes eurent pour effet de transformer l’Arménie en colonie des impérialistes étranger et en base des interventionniste anglo-français, ainsi que des gardes blancs russes en lutte contre le pouvoir des Soviets. Les travailleurs d’Arménie, sous la direction du parti bolchevique et avec le soutien de l’Armée rouge, renversèrent le gouvernement dachnaque en novembre 1920. La victoire du pouvoir des Soviets entraîna le démantèlement et la liquidation des organisations dachnaktsoutioune de Transcaucasie.

[5] La S.D.F. (Social Democratic Federation) fut fondée en 1884. Y adhérèrent, outre des réformistes (dont Hyndman) et des anarchistes, des social-démocrates révolutionnaires, partisans du marxisme (H. Quelch, Th. Mann, E. Eveling, E. Marx-Eveling, etc.) qui formaient l’aile gauche du mouvement socialiste anglais. F. Engels critiqua la S.D.F. pour son dogmatisme et son sectarisme, lui reprochait d’être isolée du mouvement ouvrier de masse et de méconnaître ses particularités. En 1907, la S.D.F. devint le parti social-démocrate. Celui-ci constitua en 1911 avec des éléments de gauche de l’Independent Labour Party, le Parti socialiste britannique. C’est à ce parti ainsi qu’au groupe socialiste de l’unité que revient l’initiative de fonder en 1920 le Parti communiste de Grande-Bretagne.

[6] I.L.P. (Independent Labour Party), organisation réformiste fondée en 1893 par les leaders des « nouvelles trade-unions » à l’époque d’une reprise du mouvement gréviste et du mouvement en faveur de l’indépendance de la classe ouvrière vis-à-vis des partis bourgeois. Adhérent à ce parti des membres des « nouvelles trade-unions » et d’anciens syndicats des intellectuels, des représentants de la petite bourgeoisie influencés par les idées fabiennes. Dès sa création, l’I.L.P., se plaça sur les positions du réformisme bourgeois, accordant l’essentiel de son attention à la lutte parlementaire et accords parlementaires avec le parti libéral. Lénine disait de lui que c’est « en fait un parti opportuniste qui a toujours dépendu de la bourgeoisie ». (Œuvres, Paris-Moscou, t. 20, p. 499).

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Lénine : Par où commencer ? (1901)

Première parution en mai 1901 dans le n°4 de l’Iskra

Ces dernières années, la question : « Que faire ? » se pose avec force aux social-démocrates russes. Il ne s’agit plus de choisir une route (comme c’était le cas à la fin des années 80 et début des années 90), mais de déterminer ce que nous devons faire pratiquement sur une route connue, et de quelle façon.

Il s’agit du système et du plan d’activité pratique. Il faut avouer que cette question, essentielle pour un parti d’action, relative au caractère et aux modalités de la lutte, est toujours sans solution et suscite encore parmi nous de sérieuses divergences, qui témoignent d’une instabilité et de flottements de pensée regrettables.

D’une part, la tendance « économiste », qui s’attache à tronquer, à rétrécir le rôle de l’organisation et de l’agitation politiques, est encore loin d’être morte.

D’autre part, continue à porter la tête haute la tendance de l’éclectisme sans principes qui s’adapte à toute nouvelle « orientation » et est incapable de distinguer entre les besoins du moment et les buts essentiels et les exigences permanentes du mouvement pris dans son ensemble.

Comme on sait, cette tendance a pris racine dans le Rabotchéïé Diélo [1]. Sa dernière déclaration-« programme », le retentissant article portant le titre retentissant « Un tournant historique » (n° 6 du Listok du « Rabotchéïé Diélo [2]»), confirme de façon éclatante cette définition.

Hier encore, nous étions en coquetterie avec l’« économisme », nous nous indignions de la condamnation catégorique portée contre la Rabotchaïa Mysl [3], nous « mitigions » la façon dont Plekhanov envisageait la lutte contre l’autocratie; aujourd’hui, nous voilà déjà citant la phrase de Liebknecht : « Si les circonstances changent en 24 heures, il faut aussi en 24 heures changer de tactique »; nous parlons déjà de créer une « solide organisation de combat » pour attaquer de front, pour livrer assaut à l’absolutisme; de faire « une large agitation politique révolutionnaire (comme nous y allons : politique et révolutionnaire à la fois !) dans les masses »; de lancer « un appel incessant à la protestation dans la rue »; « de préparer des manifestations publiques d’un caractère politique bien tranché » (sic), etc., etc.

Nous pourrions, certes, exprimer notre satisfaction de voir le Rabotchéïé Diélo assimiler si vite le programme formulé par nous dès le premier numéro de l’Iskra [4] : constituer un parti solidement organisé, visant non seulement à arracher des concessions de détail mais à enlever la forteresse même de l’autocratie. Cependant, l’absence chez nos assimilateurs de tout point de vue bien ferme, est de nature à gâter tout notre plaisir.

Le nom de Liebknecht est, il va de soi, invoqué à tort par le Rabotchéïé Diélo. En 24 heures, on peut modifier la tactique de l’agitation sur quelque point spécial, modifier un détail quelconque dans l’activité du Parti. Mais pour changer, je ne dirai pas on 24 heures, mais même en 24 mois, ses conceptions sur l’utilité générale, permanente et absolue d’une organisation de combat et d’une agitation politique dans les masses, il faut être dénué de tout principe directeur.

Il est ridicule d’invoquer la diversité des circonstances, le changement des périodes : la constitution d’une organisation de combat et l’agitation politique sont obligatoires dans n’importe quelles circonstances « ternes, pacifiques », dans n’importe quelle période de « déclin de l’esprit révolutionnaire ».

Bien plus, c’est précisément dans ces circonstances et dans ces périodes qu’un pareil effort est nécessaire, car au moment de l’explosion, de la conflagration, il est trop tard pour créer une organisation; elle doit être déjà prête, afin de déployer immédiatement son activité. « Changer de tactique on 24 heures ! »

Mais pour on changer, il faut au préalable en avoir une. Or, sans une organisation solide, rompue à la lutte politique en toutes circonstances et en toutes périodes, il ne saurait même être question de ce plan d’action systématique établi à la lumière de principes fermes, suivi sans défaillance, qui seul mérite le nom de tactique.

Voyez en effet : on nous assure déjà que le « moment historique » pose à notre parti un problème « absolument nouveau », celui de la terreur.

Hier, ce qui était « absolument nouveau », c’était le problème de l’organisation et de l’agitation politiques; aujourd’hui, c’est celui de la terreur. N’est-il pas singulier d’entendre des gens aussi oublieux de leurs antécédents parler d’un changement radical de tactique ?

Heureusement, le Rabotchéïé Diélo a tort. Le problème de la terreur n’a rien de nouveau. Il nous suffira de rappeler brièvement les conceptions établies de la social-démocratie russe.

Sur le plan des principes, nous n’avons jamais rejeté ni ne pouvons rejeter la terreur. C’est un des aspects de guerre, qui peut convenir parfaitement, et même être indispensable à un certain moment du combat, dans un certain état de l’armée et dans certaines conditions.

Mais le fait est justement qu’on nous propose aujourd’hui la terreur non point comme l’une des opérations d’une armée combattante, opération étroitement rattachée et articulée à tout le système de la lutte, mais comme un moyen d’attaque isolée, indépendant de toute armée et se suffisant à lui-même. D’ailleurs, à défaut d’une organisation révolutionnaire centrale et avec des organisations révolutionnaires locales faibles, la terreur ne saurait être autre chose.

C’est bien pourquoi nous déclarons résolument que, dans les circonstances actuelles, la terreur est une arme inopportune, inopérante, qui détourne les combattants les plus actifs de leur tâche véritable et la plus importante pour tout le mouvement, et qui désorganise non pas les forces gouvernementales, mais les forces révolutionnaires. Souvenez-vous des derniers événements : sous nos yeux, la grande masse des ouvriers et du « bas peuple » des villes se ruait au combat, mais il manquait aux révolutionnaires un état-major de dirigeants et d’organisateurs.

Dans ces conditions, si les révolutionnaires les plus énergiques se consacrent à la terreur, ne risquons-nous pas d’affaiblir les détachements de combat, les seuls éléments sur lesquels on puisse fonder un espoir sérieux ?

N’avons-nous pas à craindre une rupture de liaison entre les organisations révolutionnaires et ces foules dispersées d’hommes mécontents, protestant et prêts au combat, dont la faiblesse ne tient qu’à leur dispersion ? Or, cette liaison est le gage unique de notre succès.

Loin de nous l’idée de refuser toute importance à des coups héroïques isolés, mais notre devoir est de mettre en garde de toute notre énergie contre cet engouement pour la terreur auquel tant de gens sont si enclins aujourd’hui, au point d’y voir notre arme principale et essentielle.

La terreur ne sera jamais un acte de guerre à l’égal des autres : dans le meilleur des cas, elle ne convient que comme l’une des formes de l’assaut décisif. La question se pose : pouvons-nous, au moment actuel, appeler à cet assaut ? Le Rabotchéïé Diélo pense probablement que oui.

Du moins, il s’écrie « Formez les colonnes d’assaut ! » Mais c’est là encore un zèle mal inspiré. Le gros de nos forces est formé de volontaires et d’insurgés. En fait d’armée permanente, nous n’avons que quelques petits détachements, et encore ils ne sont pas mobilisés, n’ont pas de liaison entre eux, ne sont pas entraînés à se former en colonnes d’une façon générale, sans même parler de colonnes d’assaut.

Dans ces conditions, tout homme capable d’envisager l’ensemble de notre lutte, sans s’en laisser distraire à chaque « tournant » de l’histoire, doit comprendre que notre mot d’ordre, à l’heure actuelle, ne saurait être « A l’assaut ! », mais bien « Entreprenons le siège en règle de la forteresse ennemie ! »

En d’autres termes, l’objectif immédiat de notre Parti ne peut pas être d’appeler toutes les forces dont il dispose à se lancer dès maintenant à l’attaque, mais d’appeler à mettre sur pied une organisation révolutionnaire capable de rassembler toutes les forces et d’être le dirigeant non seulement en titre, mais réel, du mouvement, c’est-à-dire une organisation toujours prête à soutenir chaque protestation et chaque explosion, en les mettant à profit pour accroître et endurcir une armée apte à livrer le combat décisif.

La leçon des événements de février et de mars [5] est si suggestive qu’on ne rencontre guère aujourd’hui d’objections de principe à cette conclusion. Seulement, ce que l’heure présente réclame de nous, ce ne sont pas des principes, mais une solution pratique.

Il ne suffit pas de voir clairement quel type d’organisation est nécessaire, et pour quel travail précis, il faut en tracer le plan, de façon à pouvoir commencer à la bâtir, de tous les côtés à la fois. Vu l’urgence et l’importance de cette question, nous nous décidons, pour notre part, à soumettre à l’attention des camarades l’esquisse d’un plan que nous développerons plus longuement dans une brochure en cours de préparation.

A notre avis, le point de départ de notre activité, le premier pas concret vers la création de l’organisation souhaitée, le fil conducteur enfin qui nous permettrait de faire progresser sans cesse cette organisation en profondeur et en largeur, doit être la fondation d’un journal politique pour toute la Russie. Avant tout, il nous faut un journal, sans quoi, toute propagande et toute agitation systématiques, fidèles aux principes et embrassant les divers aspects de la vie, sont impossibles.

C’est pourtant là la tâche constante et essentielle de la social-démocratie, tâche particulièrement pressante aujourd’hui, où l’intérêt pour la politique et le socialisme s’est éveillé dans les couches les plus larges de la population.

Jamais encore on n’avait senti avec autant de force qu’aujourd’hui le besoin de compléter l’agitation fragmentaire par l’action personnelle, les tracts et les brochures édités sur place, etc., par cette agitation généralisée et régulière que seule la presse périodique permet.

On peut dire sans crainte d’exagération que la fréquence et la régularité de parution (et de diffusion) du journal permet de mesurer de la façon la plus exacte le degré d’organisation atteint dans ce secteur vraiment primordial et essentiel de notre activité militaire. Ensuite, il nous faut, très précisément, un journal pour toute la Russie.

Si nous n’arrivons pas et tant que nous n’arriverons pas à unifier l’action que nous exerçons sur le peuple et sur le gouvernement par la presse, ce sera une utopie de penser coordonner d’autres modes d’action plus complexes, plus difficiles, mais aussi plus décisifs.

Ce dont notre mouvement souffre le plus, sur le plan idéologique et sur celui de la pratique, de l’organisation, c’est de la dispersion, du fait que l’immense majorité des social-démocrates est à peu près totalement absorbée par des besognes purement locales qui réduisent à la fois leur horizon, l’envergure de leurs efforts, leur accoutumance et leur aptitude à l’action clandestine.

C’est dans cette dispersion qu’il faut chercher les racines les plus profondes de cette instabilité et de ces flottements dont nous avons parlé plus haut. Aussi le premier pas à franchir pour échapper à ce défaut, pour faire converger plusieurs mouvements locaux en un seul mouvement commun à toute la Russie, doit être la fondation d’un journal pour toute la Russie.

Enfin, il nous faut absolument, un journal politique. Sans journal politique, dans l’Europe moderne, pas de mouvement qui puisse mériter la qualification de politique. Sans cela, impossible de venir à bout de notre tâche concentrer tous les éléments de mécontentement et de protestation politiques pour en féconder le mouvement révolutionnaire du prolétariat.

Nous avons fait le premier pas, nous avons suscité dans la classe ouvrière la passion des révélations « économiques », touchant la vie des fabriques. Nous devons faire le pas suivant : éveiller dans tous les éléments un peu conscients de la population la passion des révélations politiques.

Ne nous inquiétons pas si les voix accusatrices en politique sont encore si faibles, si rares, si timides. La cause n’en est nullement dans une résignation générale à l’arbitraire policier. La cause, c’est que les hommes capables d’accuser et disposés à le faire n’ont pas de tribune du haut de laquelle ils puissent parler, pas d’auditoire écoutant avidement et encourageant les orateurs, et qu’ils ne voient nulle part dans le, peuple de force à laquelle il vaille la peine d’adresser ses plaintes contre le gouvernement « tout-puissant ».

Mais maintenant tout cela change avec une extrême rapidité. Cette force existe, c’est le prolétariat révolutionnaire; il a déjà prouvé sa volonté non seulement d’entendre et de soutenir un appel à la lutte politique, mais encore de se jeter hardiment dans la mêlée.

Nous avons aujourd’hui le moyen et le devoir d’offrir au peuple tout entier une tribune pour faire le procès du gouvernement tsariste : cette tribune doit être un journal social-démocrate. La classe ouvrière russe, à la différence des autres classes et catégories de la société russe, manifeste un intérêt soutenu pour les connaissances politiques et présente constamment (non pas seulement dans les moments d’effervescence particulière) une énorme demande de publications illégales.

Etant donné cette demande massive, la formation déjà amorcée de dirigeants révolutionnaires expérimentés, le degré de concentration atteint par la classe ouvrière et qui lui assure en fait la maîtrise des quartiers ouvriers des grandes villes, des centres usiniers, des bourgs industriels, la fondation d’un journal politique est parfaitement à la mesure du prolétariat.

Par l’entremise du prolétariat, le journal pénétrera parmi la petite bourgeoisie des villes, les artisans des campagnes et les paysans et deviendra ainsi un véritable organe politique populaire.

Le journal ne borne pas cependant son rôle à la diffusion des idées, à l’éducation politique et au recrutement d’alliés politiques. Il n’est pas seulement un propagandiste collectif et un agitateur collectif; il est aussi un organisateur collectif.

On peut à cet égard le comparer à l’échafaudage dressé autour d’un bâtiment on construction; il ébauche les contours de l’édifice, facilite les communications entre les différents constructeurs, à qui il permet de répartir la tâche et d’embrasser l’ensemble des résultats obtenus par le travail organisé.

Avec l’aide et à propos du journal se constituera d’elle-même une organisation permanente, qui ne s’occupera pas seulement d’un travail local mais aussi général et régulier, habituant ses membres à suivre de près les événements politiques, à apprécier leur rôle et leur influence sur les diverses catégories de la population, à trouver pour le parti révolutionnaire la meilleure façon d’agir sur ces événements.

Les problèmes techniques – la fourniture dûment organisée au journal de matériaux, sa bonne diffusion – obligent déjà à avoir un réseau d’agents locaux au service d’un seul et même parti, d’agents en relations personnelles les uns avec les autres, connaissant la situation générale, s’exerçant à exécuter régulièrement les diverses fonctions fragmentaires d’un travail à l’échelle de toute la Russie, s’essayant à la préparation de telle ou telle action révolutionnaire.

Ce réseau d’agents [6] sera justement la carcasse de l’organisation qui nous est nécessaire suffisamment étendue pour embrasser tout le pays; suffisamment large et diverse pour réaliser une division du travail stricte et détaillée; suffisamment ferme pour pouvoir on toutes circonstances, quels que soient les « tournants » et les surprises, poursuivre sans défaillance sa besogne propre; suffisamment souple pour savoir, d’une part, éviter la bataille à découvert contre un ennemi numériquement supérieur qui a rassemblé toutes ses forces sur un seul point, et, d’autre part, profiter du défaut de mobilité de cet ennemi et tomber sur lui quand et où il s’y attend le moins.

Aujourd’hui nous incombe la tâche relativement facile de soutenir les étudiants qui manifestent dans les rues des grandes villes.

Demain la tâche sera peut-être plus malaisée, comme celle de soutenir le mouvement des sans-travail dans telle ou telle région. Après-demain, nous devrons être à nos postes pour prendre une part révolutionnaire à une révolte paysanne. Aujourd’hui nous devons exploiter la tension politique qu’a engendrée le gouvernement par sa campagne contre les zemstvos.

Demain nous devrons encourager l’indignation de la population contre les abus de tel ou tel bachi-bouzouk tsariste et contribuer, par le boycottage, les campagnes d’excitation, les manifestations, etc., à lui infliger une leçon qui le fasse battre on retraite publiquement. Pour arriver à ce degré de préparation au combat, il faut l’activité permanente d’une armée régulière.

Et si nous groupons nos forces dans un journal commun, nous verrons se former à l’oeuvre et sortir du rang non seule-ment les plus habiles propagandistes, mais encore les organisateurs les plus avertis, les chefs politiques les plus capables du Parti, qui sauront à point nommé lancer le mot d’ordre de la lutte finale et on assumer la direction.

En conclusion, deux mots pour éviter un malentendu possible. Nous avons parlé tout le temps d’une préparation systématique, méthodique, mais nous n’avons nullement voulu dire par là que l’autocratie ne pouvait tomber que par suite d’un siège en règle ou d’un assaut organisé. Ce serait raisonner en absurde doctrinaire.

Il est fort possible et bien plus probable sur le plan historique, au contraire, qu’elle tombe sous le choc d’une explosion spontanée ou d’une de ces complications politiques imprévues qui menacent constamment de tous côtés.

Mais il n’est point de parti politique qui puisse, sans tomber dans l’esprit d’aventure, régler sa conduite sur des explosions et des complications hypothétiques.

Nous devons poursuivre notre chemin, accomplir sans désemparer notre labeur systématique, et moins nous compterons sur l’inattendu, plus nous aurons de chance de n’être jamais pris de court par les « tournants historiques. »

Notes

[1] Le Rabotchéïé Diélo (La cause ouvrière) était une revue « économiste » publiée par l’ « Union des Social-Démocrates russes à l’étranger ». Elle paraîtra de 1899 à 1902 et son orientation est amplement critiquée par Lénine dans Que Faire ?

[2] Il s’agit d’un supplément au Rabotchéïé Diélo.

[3] La Rabotchaïa Mysl (La Pensée Ouvrière) était un autre organe économiste qui parût de 1897 à 1902. Son orientation est aussi amplement critiquée dans Que Faire ?

[4] L’Iskra (L’étincelle) était le journal de Lénine. Y participaient également Plekhanov, Martov, Axelrod, V. Zassoulitch, puis Trotsky. Le journal sera l’épine dorsale du combat pour construire un parti marxiste en Russie et paraitra de 1900 à 1903 sous cette forme. Après la scission entre bolchéviques et menchéviques, l’Iskra passe sous contrôle menchévique.

[5] En février et mars 1901, manifestations et grèves se succèderont à travers la Russie.

[6] Il va de soi que ces agents ne pourraient travailler avec profit que s’ils étaient très proches des comités locaux (groupes, cercles) de notre Parti.

En général, tout le plan esquissé par nous demande naturellement pour sa réalisation le concours le plus actif des comités, qui ont tenté maintes fois l’unification du Parti et qui, nous en sommes persuadés, obtiendront cette unification un jour ou l’autre, sous une forme ou sous une autre. (Note de l’auteur)

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Lénine : Anarchisme et Socialisme (1901)

  1. Thèses :

a) en 35-40 ans (Bakounine et l’Internationale depuis 1866) d’existence (et depuis Stirner beaucoup plus longtemps) l’anarchisme n’a rien apporté sinon des généralités contre l’exploitation.

Ces phrases sont en usage depuis plus de 2000 ans. Il manque :

b) la compréhension des causes de l’exploitation ;

c) la compréhension du développement de la société qui conduit au socialisme ;

la compréhension de la lutte des classes comme force créatrice de la réalisation du socialisme.

2. La compréhension des causes de l’exploitation. La propriété privée, base de l’économie marchande. La propriété sociale des moyens de production. Nil [1] dans l’anarchisme.
L’anarchisme, c’est un individualisme bourgeois à l’envers. L’individualisme, base de toute la philosophie de l’anarchisme.

Défense de la petite propriété et de la petite exploitation rurales.

Keine Majorität [2]

Négation de la force d’union et d’organisation du pouvoir.

3. Incompréhension du développement de la société – rôle de la grande production – du développement du capitalisme en socialisme.
(L’anarchisme est la conséquence du désespoir . Mentalité de l’intellectuel à la dérive ou du va-nu-pieds, mais non du prolétaire.)

4. Incompréhension de la lutte de classe du prolétariat.

Négation absurde de la politique dans la société bourgeoise.

Incompréhension du rôle de l’organisation et de l’éducation des ouvriers.

Comme panacée, des moyens unilatéraux, détachés du contexte.

5. Dans l’histoire récente de l’Europe, quel résultat a donné l’anarchisme qui régnait auparavant dans les pays latins ?

Aucune doctrine, aucun enseignement révolutionnaire, aucune théorie.

Morcellement du mouvement ouvrier.

Fiasco complet des expériences de mouvement révolutionnaire (proudhonisme 1871, bakouninisme 1873) [3] .

Soumission de la classe ouvrière à la politique bourgeoise sous couleur de rejeter toute politique.

Notes

[1] Nihil : rien.
[2] Aucune majorité (c’est-à-dire la négation par les anarchistes de la soumission de la minorité à la majorité).

[3] L’influence du proudhonisme était très forte en 1871 parmi les dirigeants de la Commune de Paris. Ce fut l’une des causes de l’échec du mouvement ; mais, corollairement, cet échec porta un coup sévère au proudhonisme. En 1873, Bakounine se retira de la vie publique en abandonnant ses responsabilités. Cette démission fut considérée comme un aveu d’impuissance.

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Paul Verlaine et la «musique avant toute chose»

Voici deux autres exemples, les derniers, de poèmes de Paul Verlaine témoignant avec réussite de cet engagement dans la fluidité de la langue française. Ils sont tous deux tirés de Romances sans paroles, datant de 1891.

Le premier se caractérise par un choix du bon mot particulièrement bien réalisé. Le souci est que la dimension parnassienne amène l’œuvre à être très gratuite, ouvertement tourné vers son propre ego, voire son ennui, etc.

III

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

O bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie
O le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui écœure.
Quoi ! nulle trahison ? …
Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine!

Le second poème est empreint d’une musicalité tout à fait réussie. L’absence de direction y est cependant tout aussi patent.

VIII

Dans l’interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune,
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Comme des nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Corneille poussive
Et vous les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive ?

Dans l’interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Il faut enfin mentionner le poème Art Poétique, le 13e du recueil Jadis et Naguère, de 1884. Il n’est nullement bon, ni même intéressant, ne serait-ce la première strophe, considérée comme une sorte de manifeste en faveur de la musicalité.

                                   À Charles Morice

De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.

C’est des beaux yeux derrière des voiles
C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est par un ciel d’automne attiédi
Le bleu fouillis des claires étoiles!

Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance!
Oh! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L’Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur
Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l’éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d’énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?

Ô qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.

Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.

Le fait est que Paul Verlaine n’a jamais considéré qu’il s’agissait là d’un manifeste, même s’il a utilisé de manière régulière les vers impairs, pour se déconnecter de l’encadrement fourni par l’alexandrin. Cependant, c’était là un processus décadent.

La véritable exigence se situait dans le bon mot, qui devait être musical, et non pas dans une musicalité abstraite à découvrir par un anti-formalisme jouant sur une dimension numérique.

L’envolée recherchée par Paul Verlaine – qualifiée bien présomptueusement de symbolisme – n’est que l’apanage d’écrivains cherchant à parasiter la société au nom d’une littérature qui serait une fin en soi.

La preuve est toute trouvée quand on voit l’extrême faiblesse des œuvres de Paul Verlaine à part les quelques une reflétant une tendance historique : celle au bon mot, exposé de manière fluide, témoignant d’un élargissement de la culture populaire.

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Paul Verlaine et le compactage de l’expression

Les poèmes saturniens, la première œuvre de Paul Verlaine, relèvent donc du Parnasse et ne sont pas intéressants, sauf quand ils en décrochent et assument la mélodie. Ils font alors sauter les alexandrins, pour se tourner vers un compactage incisif, un minimalisme concis mais pointu dans le choix des termes.

Mais le caractère de chanson des (très rares) œuvres réussies de Paul Verlaine exige une certaine brièveté. Une chanson trop longue s’enlise. En voici un exemple avec un poème tiré donc du premier recueil de Paul Verlaine, les Poèmes saturniens. Il y a une véritable dynamique, mais elle finit par s’effondrer.

C’est que la concision à la française ne va pas sans une certaine préciosité, une certaine rareté et c’est d’autant plus vrai quand cela a pris une tournure populaire.

SUB URBE

Les petits ifs du cimetière
Frémissent au vent hiémal,
Dans la glaciale lumière.

Avec des bruits sourds qui font mal,
Les croix de bois des tombes neuves
Vibrent sur un ton anormal.

Silencieux comme les fleuves,
Mais gros de pleurs comme eux de flots,
Les fils, les mères et les veuves,

Par les détours du triste enclos,
S’écoulent, — lente théorie,
Au rythme heurté des sanglots.

Le sol sous les pieds glisse et crie,
Là-haut de grands nuages tors
S’échevèlent avec furie.

Pénétrant comme le remords,
Tombe un froid lourd qui vous écœure,
Et qui doit filtrer chez les morts,

Chez les pauvres morts, à toute heure
Seuls, et sans cesse grelottants,
— Qu’on les oublie ou qu’on les pleure ! —

Ah ! vienne vite le Printemps,
Et son clair soleil qui caresse,
Et ses doux oiseaux caquetants !

Refleurisse l’enchanteresse
Gloire des jardins et des champs
Que l’âpre hiver tient en détresse !

Et que, — des levers aux couchants,
L’or dilaté d’un ciel sans bornes
Berce de parfums et de chants,

Chers endormis, vos sommeils mornes !

Tout cela est bien trop long. Cela ne veut pas dire que pour autant que la brièveté soit un un gage de haut niveau culturel en soi. Voici un rare poème sortant du lot tiré des Romances sans paroles (de 1891).

Le principe du reflet utilisé est très bien, il est tout à fait dialectique. Mais il est trop bref pour acquérir une réelle dimension marquante, alors qu’il a toute une série d’éléments très pertinents.

Ariettes IX

Le rossignol qui du haut d’une branche se regarde dedans, croit être tombé dans la rivière. Il est au sommet d’un chêne et toutefois il a peur de se noyer. (Cyrano de Bergerac.)

L’ombre des arbres dans la rivière embrumée
Meurt comme de la fumée,
Tandis qu’en l’air, parmi les ramures réelles
Se plaignent les tourterelles.

Combien, ô voyageur, ce paysage blême
Te mira blême toi-même,
Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées
Tes espérances noyées !

Mai, Juin, 1872.

Le souci fondamental est que Paul Verlaine ne se sort pas du Parnasse. On le classe dans le symbolisme, mais il n’a pas d’élans transcendants et lorsqu’il parle de la nature, ce ne sont pas des symboles : Paul Verlaine est bien plus un romantique en retard historiquement, ce qui explique de manière d’ailleurs efficace la vague de décadentisme, le romantisme catholique, l’avènement d’un néo-romantisme catholique avec notamment Georges Bernanos.

Mon rêve familier, un poème très connu des Poèmes saturniens, est ici un excellent exemple. Son approche est très clairement celle du Parnasse, avec donc un exercice de style, le sentiment étant exprimé de manière raffinée, esthétisée. On sent toutefois que Paul Verlaine essaie d’aller plus loin, qu’il pousse dans un sens romantique.

MON RÊVE FAMILIER

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? — Je l’ignore.
Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Le style est totalement propre au Parnasse, avec une esthétisation – stylisation d’un phénomène. On retrouve les éléments appréciables dans les poèmes réussis de Paul Verlaine.

Si le poème est en alexandrins, on peut ainsi s’apercevoir qu’il consiste en toute une série de découpages, tous pointus, chaque élément étant pratiquement autonome. Le balancement par la césure à l’hémistiche souligne le côté chanson, mélodie : Je fais souvent ce rêve / étrange et pénétrant // D’une femme inconnue, / et que j’aime, et qui m’aime, etc.

Ces découpages sont encore plus marqués pour le poème Clair de lune, qui se trouve dans le second recueil, les Fêtes galantes, paru en 1869. Chaque vers est littéralement autonome, il pourrait être une phrase seule, d’une tournure extrêmement précise, d’un raffinement extrême mais sans préciosité, assumant en réalité la fragilité, la nervosité.

CLAIR DE LUNE

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques,
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L’amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d’extase les jets d’eau,
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.

Il faut bien saisir que cette œuvre très belle est un travail d’orfèvre – encore une fois dans l’esprit du Parnasse. C’est un travail de laboratoire : le recueil dont il relève, les Fêtes galantes, a été publié à 350 exemplaires à compte d’auteur en 1869, puis à 600 exemplaires en 1886 (dont cent pour l’auteur).

Voici un autre exemple, du même recueil.

Cythère

Un pavillon à claires-voies
Abrite doucement nos joies
Qu’éventent des rosiers amis ;

L’odeur des roses, faible, grâce
Au vent léger d’été qui passe,
Se mêle aux parfums qu’elle a mis ;

Comme ses yeux l’avaient promis,
Son courage est grand et sa lèvre
Communique une exquise fièvre ;

Et l’Amour comblant tout, hormis
La Faim, sorbets et confitures
Nous préservent des courbatures.

Il n’y a ici strictement aucun symbolisme. On est dans le Parnasse – avec un saut vers le compactage de l’expression qui reflète une tendance générale.

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