Le parti nazi et le grand capital

Le parti nazi disposait en réponse à cette tendance à la guerre et à la réaction de pas moins de trois organisations concernant l’économie, tissant des liens avec les grands capitalistes.

Le 31 janvier 1931 avait été fondé le « département de politique économique du NSDAP » (Wirtschaftspolitische Abteilung der NSDAP), où l’on retrouvera à la fois le directeur général de la Deutsche Bank Emil Georg von Stauß et le théoricien nazi de l’usure Gottfried Feder…

De cette structure sortit, d’octobre 1930 à octobre 1931, un « service de presse de politique économique » du NSDAP, à destination de 60 grands industriels, dont Fritz Thyssen, Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, Peter Klöckner, ou encore le responsable d’IG Farben Carl Duisberg par ailleurs chef de l’association nationale des industriels de 1925 à 1931.

Gustav Krupp von Bohlen und Halbach en 1931

Ce fut d’ailleurs Fritz Thyssen qui permit au parti nazi d’acheter son siège central à Munich, quant à l’association nationale des industriels – chapeautant 1000 unions industrielles, elle avait publié en décembre 1929 un manifeste intitulé pas moins que « Élévation ou effondrement ? » (Aufstieg oder Niedergang ?). En 1933, elle fera une grand donation financière à Adolf Hitler, instaurant le soutien officiel au régime dans ses rangs, avec y compris le salut nazi.

Fritz Thyssen en 1928

La seconde organisation touchant l’économie était le « Bureau du travail » (« Arbeitsstelle ») gérée par Hjalmar Schacht (1877-1970). Ce dernier avait été notamment le responsable de la banque centrale allemande et avait refusé de céder aux exigences lors de la conférence parisienne sur le plan Young. Obligé de le faire par le gouvernement social-démocrate, il démissionna et soutint le bloc national conservateur / nazi, puis le mouvement nazi lui-même.

Hjalmar Schacht en 1931

Il jouera un rôle central en redevenant responsable de la banque centrale allemande, avec les bons « Mefo », des bons de paiement garantis par l’Etat mais indirectement, servant à relancer l’industrie de l’armement sans exister officiellement dans les données monétaires et financières.

En concurrence avec Hjalmar Schacht à l’initial existait également le « cercle d’études des questions d’économie » (« Studienkreis für Wirtschaftsfragen ») autour de Wilhelm Keppler (1882-1960), qui rassemblait des industriels le plus souvent de second rang.

Wilhelm Keppler en 1943 à Berlin saluant la formation d’un pseudo-gouvernement
provisoire indien pro-allemand pro-japonais

C’est de là que vint la lettre du 19 novembre 1932 signé par des industriels et appelant à ce qu’Adolf Hitler soit nommé chancelier. Le cercle jouera un rôle essentiel, sous le nom de « Cercle d’amis du Reichsführer-SS [Himmler] », dans la déportation de masses et l’intégration à l’économie allemande des entreprises conquises par les nazis. Heinrich Himmler était ici aussi « arrosé » par des comptes secrets.

On rejoint ici un aspect particulier, celui où une sorte d’oligarchie nazie construisait des empires économiques à côté des grands capitalistes. Le cas le plus connu est celui de Hermann Göring (1893-1946). Dépendant aux drogues, vivant de manière luxueuse et décadente, au point de posséder sept lionceaux comme « animaux de compagnie », Hermann Göring était souvent ridiculisé pour son goût pour le faste et tout ce qui était brillant.

Hermann Göring

A partir de 1942, il ne joue plus aucun rôle en Allemagne nazie, dépensant une fortune en biens luxueux, pillant massivement des tableaux, passant son temps à la chasse, etc. tout en profitant de multiples entreprises, dont le monopole des préservatifs pour toute l’Allemagne nazie, notamment l’armée.

Enfin, parmi les soutiens à Adolf Hitler, il faut noter le monopole anglais des machines-outils et de l’armement Vickers, le richissime fondateur néerlandais de Shell Henri Deterding, le richissime suédois Ivar Kreuger qui obtint le monopole des allumettes (cela fut valable en RFA jusqu’en 1983), le plus grand marchand d’armes d’Europe et ultra-richissime Basil Zaharoff, l’association industrielle française le « Comité des Forges », etc.

De manière intéressante, le dirigeant politique du centre catholique, Heinrich Brüning qui fut également chancelier, écrivit ainsi le 28 août 1937 à Winston Churchill :

« La véritable ascension de Hitler commença seulement en 1929, lorsque les grands industriels allemands et d’autres refusèrent de continuer à distribuer de l’argent à une foule d’organisations patriotiques qui avaient jusque-là mené tout le travail pour le « Risorgimento » [« résurrection », allusion à l’Italie du 19e siècle s’unifiant] allemand.

Leur point de vue était que ces organisations étaient trop progressistes dans leur point de vue social. Ils étaient contents que Hitler voulait radicalement priver de droit les travailleurs. Les donations d’argent retenues aux autres organisations s’en allèrent à l’organisation de Hitler. C’est naturellement tout à fait le traditionnel début du fascisme. »

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L’appui logique du grand capital au national-socialisme

« L’ennemi est à gauche ! », tel était le titre du « journal des employeurs allemands » du 17 octobre 1929. Si en 1918 le régime monarchique s’était effondré, l’appareil d’État était lui resté le même et les généraux pesaient de tout leur poids sur le régime républicain, dans une sorte d’alliance contre-nature avec la social-démocratie qui avait été aux premières loges pour écraser la révolution de 1918 dirigée par Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.

Les dirigeants de la social-démocratie étaient aux premières loges de la répression contre les communistes, avec notamment le ministre national de l’intérieur Carl Severering, le ministre prussien de l’intérieur Albert Grzesinski, le chef de la police berlinoise Karl Zörgiebel.

Interdictions, répressions sanglantes de rassemblement furent la règle, dont le fameux « mai sanglant » à Berlin, ville sous hégémonie ouvrière (en mai 1928, la social-démocratie y faisait un score électoral de 32,9 %, les communistes de 24,7%).

Les manifestations du premier mai 1929 avaient été interdites, et la marche du Parti Communiste d’Allemagne fut réprimée dans le sang (au moins 32 personnes tuées et 200 blessées), puis le Rote Frontkämpferbund (Union des combattants du front rouge) interdit dans la foulée.

Le Rote Frontkämpferbund

Cette dynamique de soutien au régime par la social-démocratie divisa bien entendu totalement la classe ouvrière, dont une partie soutenait historiquement la social-démocratie et une autre le Parti Communiste d’Allemagne ; aux élections de mai 1928, la social-démocratie avait obtenu 9,1 millions de voix soit 29,8 %, le Parti Communiste d’Allemagne 3,3 millions de voix soit 10,6 %.

De l’autre côté, la bourgeoisie restait sur des positions particulièrement dures ; lors du conflit ouvrier de novembre 1928, la Ruhreisenstreit, 240 000 travailleurs furent licenciés pendant le mois de lutte ; par la suite un accord fut trouvé mais leurs revendications ne furent pratiquement pas satisfaites.

Cette situation conflictuelle devint d’une complexité totale avec le plan Young, fruit d’une conférence parisienne du 5 février au 11 juin 1929 et décidant de l’organisation du paiement des « réparations » allemandes pour la guerre de 1914-1918, qui avait été décidé lors du Traité de Versailles de 1919. Le paiement devait aller jusqu’en 1988 ; l’État allemand s’endetta de son côté jusqu’en 1965 à 5,5 % d’intérêts.

Les forces nationalistes et nazies menèrent une très vaste campagne à ce sujet, alors que la social-démocratie dans un esprit gouvernemental soutenait le plan Young, ce qui s’avéra catastrophique sur tous les plans avec l’irruption de la crise de 1929 et le recul qui a suivi de la production industrielle de 41,8 %.

La population allemande prit la crise de plein fouet, dans le prolongement de la crise de l’après-guerre : 1 mark de juillet 1914 en valait 100 en juillet 1922, 1000 en octobre 1922, 10 000 en janvier 1923, 100 000 en juillet 1923, un million en août 1923 10 millions en septembre 1923, un milliard puis 10 milliards en octobre 1923, mille milliards en novembre 1923.

En 1932, la crise se refait général, il y a six millions de personnes au chômage, pour 12 millions qui travaillent.

Les communistes d’Allemagne, mais aussi de France, s’opposèrent au plan Young, mais avec retard, et n’eurent pas l’initiative, malgré une position très franche. De manière juste, on lit dans l’Humanité du 23 avril 1931, dans l’article « Un 1er Mai sous le drapeau de l’Internationale » (signé Maurice Thorez) :

« C’est aussi plus particulièrement la solidarité active avec les prolétaires d’Allemagne écrasés sous les charges du plan Young et du système de Versailles, et soumis à la double exploitation des capitalistes allemands et des impérialistes français. »

C’est cette mise en perspective qui permet de comprendre l’adhésion et le soutien au parti nazi de la part des grands capitalistes, oscillant souvent entre celui-ci et le parti nationaliste conservateur appelé DNVP (parti national-allemand du peuple). C’est le cas du « vieux monsieur » Emil Kirdorf, figure éminente des industriels du bassin de la Ruhr, qui aida à la diffusion dans le milieu industriel de la brochure de 1927 de la brochure d’Adolf Hitler « La voie au renouveau » (« Der Weg zum Wiederaufstieg »).

Emil Kirdorf aura droit par la suite aux plus hauts honneurs nazis, à la plus haute décoration civile, et même au deuil national à sa mort en 1938, Adolf Hitler étant lui-même présent officiellement à l’enterrement.

Emil Kirdorf et Adolf Hitler

Emil Kirdorf faisait également partie d’un des nombreux « clubs » nationalistes conservateurs, en l’occurrence l’« Association économique pour le soutien aux forces morales de la reconstruction » (Wirtschaftsvereinigung zur Förderung der geistigen Wiederaufbaukräfte).

On trouve également parmi ces clubs le « Gäa », une association de grands bourgeois et d’aristocrates, de capitaines d’industrie et d’intellectuels ; on retrouve ici tant Oswald Spengler qu’Alfred Hugenberg, le chef du parti nationaliste conservateur DNVP.

Il y a aussi le « Hamburger Nationalklub » (Club National Hambourgeois), pareillement nationaliste conservateur et militariste, qui invitait de nombreux représentants ultra-nationalistes et nazis à ses colloques, mais également le « Deutscher Herrenklub », le « Club allemand des Messieurs », qui continua même à exister jusqu’en 1944 sous le nom de « Club allemand ».

C’est précisément à ce club que, dix jours après avoir été nommé lui-même chancelier, Franz von Papen (1879-1969) prononça le 10 juin 1932 une conférence. Parmi les personnes présentes, on trouvait 100 des principaux industriels et banquiers, 62 grands propriétaires terriens, 94 anciens minitres, mais également des dirigeants nazis, dont l’ancien militaire Hermann Göring, le propagandiste Joseph Goebbels et le responsable des S.A. Ernst Röhm.

Franz von Papen en 1933

Franz von Papen prôna comme mot d’ordre franco-allemand « Mort au bolchevisme », appelant à une coalition pour une intervention militaire. Le 20 juillet il supprima l’existence du gouvernement social-démocrate en Prusse ; en novembre il comptait modifier la constitution.

En ce sens, le 4 janvier 1933, Franz von Papen et Adolf Hitler eurent une discussion secrète chez le banquier Kurt Freiherr von Schröder, lui-même membre du « Club » et dont la banque J. H. Stein était largement présente dans IG Farben et le monopole industriel Vereinigte Stahlwerke.

C’est cette discussion qui servit de base à la nomination de Adolf Hitler comme chancelier le 30 janvier 1933, Franz von Papen devenant vice-chancelier.

Le 20 février, une réunion d’Adolf Hitler, Hermann Göring et 27 industriels permit le financement des prochaines élections du côté nazi, asseyant la vague instaurant la terreur et la mise en place du nouveau régime.

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Gottfried Feder et l’usurier comme figure générale internationale et particulière locale


Gottfried Feder a « découvert » une « clef » pour que le national-socialisme ne soit pas simplement un nationalisme allemand opposé aux autres pays, mais également une force capable de mobiliser à l’intérieur du pays même, dans un sens de « réconciliation » des classes sociales.

L’ajout de Gottfried Feder, essentiel pour le national-socialisme, est le proudhonisme, c’est-à-dire l’affirmation qu’il existe un capital, même petit, dont l’activité est purement parasitaire. Que le capitalisme, en soi, n’est pas mauvais, s’il est relié au travail, alors que s’il existe de manière « autonome », alors il relève de l’usure.

Comme solution, Gottfried Feder propose les « recettes » traditionnelles du proudhonisme. Tout d’abord, la banque centrale devait être nationalisée et le paiement des intérêts des dettes de l’État – pas le remboursement des dettes en lui-même – stoppé.

Ensuite un système de crédit gratuit pour l’État devait être proposé. C’est exactement la conception de Pierre-Joseph Proudhon, sauf qu’elle est adaptée à l’État, et non plus simplement aux individus.

Est-ce que Gottfried Feder prône le proudhonisme classique pour les individus ? Non, à ses yeux, la banque centrale doit accorder des concessions étatiques pour que de l’argent puisse être prêté, à intérêt, aux individus et aux entreprises produisant des biens.

Gottfried Feder modernise en pratique le romantisme économique traditionnel, dont Lénine parle dans « Pour caractériser le romantisme économique », où il critique Jean de Sismondi et les populistes russes. En effet, au lieu d’opposer les campagnes à la ville, le petit producteur paysan au capitaliste industriel, Gottfried Feder oppose le petit producteur industriel au grand capitaliste qui ne vit que des intérêts du crédit.

Le romantisme traditionnel regrette un moyen-âge idéalisé, où chaque paysan aurait été indépendant ; Gottfried Feder forme un romantisme plus avancé, où il défend l’entrepreneur contre le monopoliste, sauf qu’il ne l’appelle pas monopoliste, mais « capital financier ».

Il ne peut en effet pas l’appeler monopoliste, car le capitalisme aboutit nécessairement aux monopoles, comme notamment Lénine l’a expliqué, en 1916, dans « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme ».

Comme tous les romantiques – d’extrême-droite ou d’« extrême-gauche » – Gottfried Feder ne voit pas que le capital financier est lié au capital industriel ; comme Lénine l’a formulé :

« Concentration de la production avec, comme conséquence, les monopoles ; fusion ou interpénétration des banques et de l’industrie, voilà l’histoire de la formation du capital financier et le contenu de cette notion. »

« Le capital financier est le résultat de la fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le capital de groupements monopolistes d’industriels. »

Et Lénine, d’expliquer également, préfigurant la critique de Gottfried Feder :

« Le développement du capitalisme en est arrivé à un point où la production marchande, bien que continuant de « régner » et d’être considérée comme la base de toute l’économie, se trouve en fait ébranlée, et où le gros des bénéfices va aux « génies » des machinations financières.

A la base de ces machinations et de ces tripotages, il y a la socialisation de la production ; mais l’immense progrès de l’humanité, qui s’est haussée jusqu’à cette socialisation, profite… aux spéculateurs. Nous verrons plus loin comment, « sur cette base », la critique petite-bourgeoise réactionnaire de l’impérialisme capitaliste rêve d’un retour en arrière, vers la concurrence « libre », « pacifique », « honnête ». »

La position de Gottfried Feder est précisément cette critique petite-bourgeoise prônant un retour en arrière. Le national-socialisme n’a jamais prôné la socialisation d’entreprises, à part dans le cas spécifique où celles-ci agissent contre les intérêts de la nation. Son objectif a toujours été l’assainissement.

En romantique économique traditionnel, Gottfried Feder considère que le capitalisme consiste en la production de biens et leur consommation et la croissance ne peut provenir que de marchés extérieurs conquis. C’est cela la base justificative pour la négation intérieure des luttes de classe et l’affirmation extérieure des conquêtes territoriales – d’où le fait de porter objectivement les intérêts du grand capital allemand.

Gottfried Feder ne pouvait pas voir cela. Défendant le point de vue petit-bourgeois écrasé par les monopoles et refusant la prolétarisation, il pensait avoir un point de vue « national ». Il faut se souvenir de ce qu’enseignait Karl Marx sur ce plan :

« Il ne faudrait pas partager cette conception bornée que la petite bourgeoisie a pour principe de vouloir faire triompher un intérêt égoïste de classe. Elle croit au contraire que les conditions particulières de sa libération sont les conditions générales en dehors desquelles la société moderne ne peut être sauvée et la lutte des classes évitée. »

Pour cette raison, Gottfried Feder ne s’est pas contenté de voir en le « capital financier » simplement un ennemi extérieur, comme le faisait le nationalisme. Il l’a placé à l’intérieur du pays lui-même.

Au lieu de dénoncer simplement l’oligarchie « étrangère » exigeant des intérêts sur les crédits, il a affirmé l’existence d’une sorte de tendance maléfique existant dans le pays lui-même. C’est cela qui manquait à Adolf Hitler au départ.

Gottfried Feder a la même vision qu’Adolf Hitler : à ses yeux, les forces d’argent anglo-américaines sont à l’origine du revanchisme français, du panslavisme, de la guerre de 1914-1918 et également de la défaite « intérieure » allemande, etc. Mais il en fait une « vision du monde » et plus seulement des forces ennemies :

« La guerre mondiale est véritablement au fond une des très grandes décisions dans le processus de développement de l’humanité dans la bataille décisive de savoir si à l’avenir la vision du monde mammonististe-matérialiste ou la vision du monde socialiste-aristocratique déterminera le sort du monde. »

Cette vision du monde n’est évidemment, selon Gottfried Feder, pas produit par le mode de production capitaliste, c’est une « idée », un principe meurtrier, une « malédiction » :

« Nous reconnaissons clairement que le fléau de l’humanité n’est pas l’ordre économique capitaliste, le capital en soi en tant que tel. L’insatiable besoin d’intérêts du grand-capital de prêt est la malédiction de l’ensemble de l’humanité travailleuse ! »

Le « socialisme » est ici l’attitude « simple » reconnaissant l’existence de la société, du peuple, bref s’opposant à la « folie » de la course à l’argent, à cette « maladie » qui amène « l’envasement et la contamination de la mentalité de notre époque ».

Le véritable « socialisme » consisterait ainsi ici, pour Gottfried Feder, en la lutte contre les « puissances d’argent » :

« Notre législation fiscale toute entière est et restera, aussi longtemps que nous n’avons pas la libération de l’esclavage des intérêts, uniquement un tribut obligatoire au grand capital, mais pas, ce que nous nous imaginons parfois, le sacrifice volontaire à la réalisation d’un travail collaboratif.

Par conséquent, la libération de l’esclavage des intérêts de l’argent est le mot d’ordre clair pour la révolution mondiale pour la libération du travail réalisant des entraves des puissances financières supra-étatiques. »

Mais au sein même du pays, ces forces ont des agents, à savoir tous ceux qui vivent pareillement de l’usure. L’usurier devient ici non seulement une figure générale internationale, mais une figure particulière locale.

Bien entendu, dans l’anticapitalisme romantique, cette figure est portée par « le juif ». Il y a ici selon cette idéologie une « substance » commune à la « ploutocratie internationale » et à toute personne juive, même pauvre.

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Le «national-socialisme» et le proudhonisme de Gottfried Feder

L’anticapitalisme romantique des S.A. et du parti nazi s’appuie sur la conception de l’oppression et de l’exploitation comme venant de « l’extérieur ». C’est la conception de Eugen Dühring, critiquée par Friedrich Engels dans l’Anti-Dühring, ou encore de Pierre-Joseph Proudhon et du proudhonisme qui a suivi.

Cependant, il a bien fallu que cette conception soit adaptée aux conditions allemandes, et elle a été formulée par Gottfried Feder (1883-1941), principalement dans une oeuvre intitulée « Manifeste pour briser l’asservissement aux intérêts de l’argent », publiée en 1919.

Gottfried Feder en 1930

Pour bien comprendre le rôle de Gottfried Feder, il faut voir qu’il fait partie dès le départ du « Deutsche Arbeiterpartei » (Parti Allemand des Travailleurs), fondé par Anton Drexler en janvier 1919. Il prononça notamment en septembre 1919 à Munich une conférence intitulée « Comment et par quels moyens éliminer le capitalisme ? ».

Or, Adolf Hitler y fut présent et Gottfried Feder le convainquit alors de rejoindre le parti. Adolf Hitler en deviendra alors rapidement le « Führer », le parti prenant par la suite le nom de « Parti des travailleurs allemand national-socialiste » (NSDAP – Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei).

Adolf Hitler explique directement dans Mein Kampf  le rôle essentiel de Gottfried Feder :

« Quelque approfondie qu’ait été jusque-là mon attention sur le problème économique, elle s’était plus ou moins maintenue dans les limites de l’examen des questions sociales.

Plus tard seulement, mon horizon s’élargit en raison de mon étude de la politique allemande à l’égard de ses alliés. Elle était en très grande partie le résultat d’une fausse appréciation de la vie économique et du manque de clarté dans la conception des principes de l’alimentation du peuple allemand dans l’avenir.

Toute ces idées reposaient dans l’idée que, dans tous les cas, le capital était uniquement le produit du travail et, par conséquent, était, comme ce dernier, modifiable par les facteurs susceptibles de favoriser ou d’entraver l’activité humaine.

Donc l’importance nationale du capital résultait de ce que ce dernier dépendait de la grandeur, de la liberté et de la puissance de l’État, c’est-à-dire de la nation ; et cela si exclusivement que cette dépendance devait uniquement conduire le capital à favoriser l’État et la nation par simple instinct de conservation ou par désir de se développer.

Cette orientation favorable du capital à l’égard de la liberté et de l’indépendance de l’État devait le conduire à intervenir de son côté en faveur de la liberté, de la puissance et de la force, etc., de la nation.

Dans ces conditions, le devoir de l’État à l’égard du capital devait être relativement simple et clair : il devait simplement veiller à ce que ce dernier restât au service de l’État et ne se figurât point être le maître de la nation.

Cette position pouvait donc se maintenir entre les deux limites suivantes : d’une part, soutenir une économie nationale viable et indépendante ; d’autre part, assurer les droits sociaux du travailleur.

Précédemment, je n’étais pas. à même de reconnaître, avec la clarté désirable, la distinction entre ce capital proprement dit, dernier aboutissement du travail producteur, et le capital dont l’existence et la nature reposent uniquement sur la spéculation.

J’en étais capable dorénavant grâce à un des professeurs du cours dont j’ai parlé, Gottfried Feder. Pour la première fois de ma vie, je conçus la distinction fondamentale entre le capital international de bourse et celui de prêt.

Après avoir écouté le premier cours de Gottfried Feder, l’idée me vint aussitôt que j’avais trouvé le chemin d’une condition essentielle pour la fondation d’un nouveau parti.

A mes yeux, le mérite de Gottfried Feder consistait en ceci, qu’avec une tranchante brutalité il précisait le double caractère du capital : spéculatif, et lié à l’économie populaire ; et qu’il mettait à nu sa condition éternelle : l’intérêt.

Ses déductions, dans toutes les questions fondamentales, étaient tellement justes que ceux qui, a priori, voulaient le critiquer, en contestaient moins l’exactitude théorique qu’ils ne mettaient en doute la possibilité pratique de leur mise à exécution. Ainsi, ce qui, aux yeux des autres, était un point faible dans l’enseignement de Gottfried Feder, représentait à mes yeux sa force. »

Ce que dit Adolf Hitler est simple : à la base, c’est un nationaliste, il veut exalter la nation et s’aperçoit que le capitalisme national a par définition intérêt à exister dans un pays puissant.

Or, dans la situation de l’Allemagne – entre les réparations exorbitantes à la France et la crise économique – le pays est rendu en quelque sorte dépendant en raison des emprunts effectués.

Gottfried Feder, La lutte contre la haute finance

Adolf Hitler aboutit par conséquent à une séparation de « nature » entre les deux capitalismes, l’un national, l’autre étranger. Cela n’a rien d’original et c’est précisément là où l’Action française en était restée, malgré la tentative du « Cercle Proudhon » de trouver une « clef » concernant les contradictions internes au pays lui-même.

C’est là que Gottfried Feder intervient : c’est lui qui participa à la rédaction du Programme en 25 pointsau tout début du parti nazi, qui rédigea en 1927 le « Programme du NSDAP et les bases de sa vision du monde », en 1931 le « Programme du NSDAP » ainsi que « Que veut Adolf Hitler ? ».

Sa « clef » était une théorie de « l’usure », relevant du proudhonisme, où la « finance » devient une « maladie » qui « contaminerait » la rationalité industrielle.

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Clausewitz et les milices «nationales» par en haut

C’est Carl von Clausewitz (1780-1831) qui théorisa toute la conception militaire prussienne, dans son ouvrage De la guerre, écrit surtout pendant les guerres napoléoniennes. Lorsque Carl von Clausewitz y affirme que « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », il souligne l’importance de la fusion de l’armée et de la direction politique, de l’offensive militaire et de la société toute entière.

Lorsqu’il explique que « La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté », il exprime la vision aristocratique du principe hiérarchique.

C’est une conception directement pré-fasciste, directement issue de la Prusse où l’aristocratie s’est octroyée l’ensemble des postes de direction de l’armée, formant une sorte de caste, alors que pareillement le capitalisme était imposé par le haut.

Carl von Clausewitz (1780–1831),
Copie d’un tableau de
Karl Wilhelm Wach  (1787–1845)

De la guerre de Carl von Clausewitz fut d’ailleurs historiquement popularisé par Helmuth von Moltke, chef d’Etat-major de l’armée prussienne notamment lors des guerres victorieuses face à l’Autriche (1866) et la France (1870-1871).

L’ouvrage de Carl von Clausewitz est une sorte de manuel pour général, rempli d’indications techniques, avec en perspective la gestion absolument totale du pays, sur la base de la fusion du pays et de l’armée, sous direction bien entendu de l’aristocratie.

Selon Carl von Clausewitz, la guerre s’est élargie au XIXe siècle, elle touche des domaines qu’elle n’atteignait pas auparavant, elle concerne désormais, de par son ampleur, toute la population, et plus seulement des armées composées par l’Etat, de manière nettement séparée du peuple. Carl von Clausewitz considère ainsi que :

« C’est ainsi que depuis Bonaparte, tout d’abord chez les Français, puis partout en Europe la guerre est devenue une cause nationale, a pris une autre nature ou plus exactement est revenue à sa vraie nature, s’est approchée de son absolue perfection.

Les moyens à y mettre en œuvre n’eurent désormais plus de limites visibles et ne dépendirent plus que de l’énergie et de l’enthousiasme des gouvernements et de leurs sujets. »

Bien entendu, la différence fondamentale que Carl von Clausewitz feint d’oublier est que la révolution française était une révolution populaire. Il considère que ce serait simplement un nouveau principe militaire : il « oublie » la dimension sociale.

Il en tire une théorie de la mobilisation par en haut, une mobilisation prétendument nationale, mais en fait au service de l’aristocratie, qui par ailleurs s’appropria ainsi le contrôle de l’Allemagne qu’elle unifiera.

Carl von Clausewitz considère ainsi, dans De la guerre, que la guerre concerne désormais également l’armement de parties de la population. La guerre atteint une dimension complète au point que Carl von Clausewitz traite même directement de la « guerre populaire », c’est-à-dire de l’imbrication des masses dans la guerre elle-même.

Le peuple en armes doit être utilisé pour agir tel un « brouillard » insaisissable afin d’agir sur les périphéries des forces ennemies, un « nuage » qui peut se former à n’importe quel moment, par surprise.

De la guerre

Carl von Clausewitz ne conçoit l’action des masses armées que dans une situation où c’est l’armée classique qui prime : le peuple ne sert que de force d’appoint. Il a une perspective totalement « utilitaire » et le peuple en action a ici une fonction d’outil. Les masses en action sont d’ailleurs forcément paysannes : c’est le point de vue aristocratique qui s’exprime ici.

Lénine notera l’aspect intéressant de la démarche de Carl von Clausewitz, qui « trahit » la dimension éminemment politique de la guerre. Avec sa mobilisation complète, totale, par en haut, Carl von Clausewitz comprend que la guerre est forcément politique, en cela il démontre la totale validité de la thèse matérialiste dialectique sur la nature de l’Etat, de la bourgeoisie.

L’Allemagne nazie reprendra logiquement, de manière la plus franche, la plus cynique, la conception de Carl von Clausewitz de mobilisation populaire, par en haut, de mobilisation générale, totale.

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De la «landsturm» à la «volkssturm»

Lors de la révolution française, la Prusse pensait profiter de son armée très organisée pour écraser ce qu’elle considérait comme des troupes éparpillées. La marche sur Paris fut cependant écrasée lors de la fameuse bataille de Valmy en 1792 : la levée en masse avait permis une gigantesque progression qualitative et quantitative.

Ce traumatisme fut suivi des guerres napoléoniennes, qui profitaient de l’élan républicain initial pour disposer d’armées puissantes. L’armée prussienne devait absolument se moderniser si elle voulait se maintenir, et elle le fit en organisant, par en haut, dans un esprit anti-démocratique, la levée en masse.

Ce fut la formation d’un appareil d’État ultra militarisé, procédant à un service militaire obligatoire. L’armée passa de 54 000 membres en 1719 à 70 000 en 1728 et enfin plus de 80 000 en 1739 (pour 2,5 millions de personnes vivant en Prusse), pour atteindre en pleine guerre napoléonienne, base du saut qualitatif et numérique, 300 000 personnes en 1813, soit 6 % de la population en fait largement mobilisée.

Une citation connue, attribuée à Mirabeau et à l’officier prussien Friedrich von Schrötter, explique que

« La Prusse n’est pas un État qui possède une armée, c’est une armée ayant conquis la nation. »

Friedrich Engels raconte ainsi :

« Après 1807, les réorganisateurs de l’administration et de l’armée firent tout ce qui était en leur pouvoir pour refaire vivre cet esprit [de la résistance nationale]. A cette époque, l’Espagnole montrait avec son exemple glorieux qu’une nation pouvait faire face à une armée menant une invasion. Tous les dirigeants militaires de Prusse montrèrent à leurs compatriotes cet exemple valant le coup d’être suivi.

Scharnhorst, Gneisenau, Clausewitz étaient tous d’accord sur ce point. Gneisenau alla même en Espagne afin de participer lui-même à la lutte contre Napoléon. Tout le système militaire qui fut instauré ensuite en Prusse fut la tentative d’organiser une résistance populaire contre l’ennemi, dans la mesure où cela est possible de la part d’une monarchie absolue.

Non seulement chaque homme en mesure d’aller au service militaire était dans l’obligation d’y aller et de servir jusqu’à quarante ans dans la Landwehr [défense territoriale sous la forme d’une armée non régulière], mais les jeunes hommes entre 17 et 20 ans et les hommes entre 40 et 60 ans devaient participer à la levée en masse, dans le Landsturm [unités irrégulières avec armement organisé sur le tas] se soulevant dans le dos et sur les flancs de l’ennemi, dérangeant ses mouvements, le coupant de son approvisionnement et de ses courriers, devant pour cela utiliser toute arme qui pouvait être trouvée afin d’inquiéter les envahisseurs – « plus ce moyen est efficace, mieux c’est » – en plus de cela « sans porter aucun uniforme que ce soit », afin que les membres du Landsturm puissant à n’importe quel moment reprendre leur caractère en tant que civils et rester inconnus de l’ennemi. »

Cet esprit de défense militaire à la base, de « Wehr », deviendra alors essentiel à la Prusse, et ainsi à l’Allemagne, car cette dernière ne s’unifiera justement qu’en réaction aux conquêtes napoléoniennes, et sous hégémonie prussienne (la Prusse ayant battu l’Autriche, celle-ci se tournant alors vers les Balkans et devenant une nation en tant que telle).

La peur allemande face à l’invasion française fut telle que la bourgeoisie, dont le romantisme était le fer de lance (avec Goethe et Schiller ou encore Hegel), décida d’accepter tous les compromis avec la bourgeoisie. C’est le sens du romantisme qui passa du rejet du formalisme académique français qu’il était à la nostalgie du moyen-âge et de sa société « pacifique », organisée de manière corporatiste, etc.

Pour cette raison, et c’est un point essentiel bien entendu, les S.A. n’appréciaient pas que les chansons des corps-francs : ils possédaient également dans leur répertoire celles des guerres face aux armées napoléoniennes. La dimension martiale et brutale de ces chansons reflète logiquement l’idéologie des S.A.

De la même manière, lors de la grande réunion des S.A. en octobre 1931 à Braunschweig – exigeant 5 000 camions, 40 trains spéciaux, avec plus de 100 000 S.A. -, la référence fut la « bataille de Lepizig » d’octobre 1813, la plus grande confrontation de forces lors des guerres napoléoniennes (plus de 500 000 personnes s’affrontant).

L’esprit de la « Wehr », de la défense « par en bas » fut également celui de la « Volkssturm » (tempête populaire), la mobilisation populaire faite par l’Etat nazi tout à la fin de la seconde guerre mondiale, utilisant en masse notamment des adolescents pour « protéger » Berlin face à l’armée rouge. Le principe d’unités « civils » agissant sur les arrières de l’ennemi fut également appliqué avec la « Werwolf », les unités nazies agissant dans les zones où les alliés avaient vaincu les armées nazies.

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Le «socialisme national» de Rudolf Jung

Les thèses de Rudolf Jung dans « Le socialisme national. Ses fondements, son devenir et ses buts » posent les bases de l’idéologie national-socialiste telle qu’elle a existé au départ.

Tout le début de l’œuvre consiste en une histoire idéalisée du moyen-âge depuis Charlemagne. Rudolf Jung utilise ici en fait de manière démagogique le très haut niveau culturel des pays allemands et de la Bohème qui leur sont reliés durant la fin du moyen-âge, avec le formidable développement des villes et le grand élan humaniste.

Cette dimension culturelle, extrêmement appréciée par les masses allemandes et par ailleurs base de la formation de la nation allemande avec le capitalisme naissant, est prétexte pour Rudolf Jung à l’éloge de la paysannerie médiévale et du petit commerce. De là il prolonge sur une critique des « Juifs » et de l’usure au moyen-âge, pour dénoncer le capitalisme qui a déraciné les paysans.

C’est ici la vision traditionnelle de Jean de Sismondi et des populistes russes, analysée en détail par Lénine dans « Pour caractériser le romantisme économique ». Rudolf Jung considère pareillement que le capitalisme appauvrit, divise les masses, etc. Dans l’optique du proudhonisme, il critique également la perte de l’activité créative du travailleur individuel.

Rudolf Jung présente les choses toutefois de manière très « neutre », de manière prétendument scientifique : il est obligé en raison de l’influence de la social-démocratie. Rudolf Jung raconte ainsi le rôle des machines à vapeur, il affirme que les banques jouent un rôle dans la formation des monopoles en agissant sur les entreprises, etc.

Cependant, il attribue cela non pas à une évolution propre au capitalisme, mais à « l’esprit juif » qui influence les masses par « l’argent, la presse, l’art et la science juives ». Rudolf Jung insiste par conséquent lourdement sur l’antisémitisme médiéval, qu’il tente de réactualiser en s’appuyant sur l’évolution récente de l’Autriche-Hongrie.

L’empereur tentait en effet d’appuyer les forces libérales face au féodalisme ; en ce sens, il prônait l’émancipation des personnes juives, à contre-courant des valeurs dominantes. Des figures historiques sont ici l’impératrice Marie-Thérèse et l’empereur Joseph II.

Rudolf Jung attribue donc l’existence du capitalisme bouleversant l’économie arriérée austro-hongroise aux « juifs »: le capitalisme serait une sorte d’excroissance de l’usure. Tout cela formerait une sorte de complot historique et mondial ; Rudolf Jung utilise bien entendu le fameux faux tsariste des « Protocoles des sages de Sion ».

Les « marxistes » sont alors des traîtres agissant en agent des « juifs » :

« Les sociaux-démocrates ne combattent en fait que le capital national, qui agit pourtant en tout et pour tout de manière créatrice, mais pas celui véritablement international, le capital juif de prêt, vivant du travail des autres. »

Rudolf Jung fait, en pratique, en fait l’apologie d’une forme de « socialisme prussien », mais comme il fait partie des communautés liées à l’Allemagne mais existant en-dehors de celle-ci, il est obligé d’« expliquer » de manière idéaliste ce qui a bloqué l’avènement du grand empire allemand. Puisque l’histoire a amené à la non unité de tous les peuples d’origine allemande, alors, pour Rudolf Jung, l’histoire a tort.

L’ouvrage de Rudolf Jung, Le socialisme national. Ses fondements, son devenir et ses buts

Rudolf Jung exprime donc une position très proche d’Oswald Spengler (qu’il soutient par ailleurs), mais bien plus agressive, qui l’amène justement à la rupture avec la conception nationaliste traditionnellement conservatrice.

Oswald Spengler a en effet une position qui est celle de la « révolution conservatrice », une position administrative : seule une aristocratie peut gérer les affaires et instaurer le « socialisme ».

Ici, Rudolf Jung a un rôle historique sur le plan idéologique : il fait passer le « socialisme prussien » d’une conception administrative à une vision du monde. Le « socialisme national » est une « vision du monde » et d’ailleurs, selon lui, elle peut exister et elle a existé « sans parti national-socialiste ».

C’est un point important, car Rudolf Jung a ici une conception « basiste » et même son parti fonctionnera de manière relativement démocratique, en tout cas absolument sans principe de « Führer » absolu comme avec Adolf Hitler, pour qui par ailleurs le parti nazi était une obligation absolue.

Rudolf Jung rejetait le centralisme comme le fruit de Rome, de l’Église catholique, des Habsbourg alliés à l’Église catholique. S’il défend Jésus comme figure « aryenne », il rejette le centralisme catholique comme une influence « juive ».

Lorsque Rudolf Jung considère que les grandes entreprises industrielles en situation de monopole doivent revenir à l’Etat, la région ou la commune, il n’est pas pour leur socialisation, mais pour leur « prussianisation », leur gestion directe par l’aristocratie, de manière pratiquement locale, sauf qu’il élargit cette élite « aristocratique » à un « esprit ».

L’aristocratie échouant historiquement, Rudolf Jung prône en fait leur régénération, en faisant vivre « l’esprit » allemand naturel, qui va reformer une élite. C’est le principe d’une « communauté populaire réconciliée ». Rudolf Jung va jusqu’à considérer que l’armée pourrait être reconstituée à partir des clubs de sport, dont la base fut par ailleurs donnée par le racialiste Friedrich Ludwig Jahn (1778-1852).

Ce principe d’une armée « populaire » tient en fait à une « découverte » faite par l’armée prussienne, et synthétisée par Carl von Clausewitz. Le socialisme « national » puise sur ce point directement dans l’idéologie de la Prusse.

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Rudolf Jung, le premier national-socialiste, modèle pour Hitler et le parti nazi

Les positions de la « révolution conservatrice » n’ont pas directement influencé le national-socialisme, du moins pas avant la prise du pouvoir, puisque là l’intégration des forces ultra-conservatrices à ses propres forces a amené une synthèse aristocratique – national-socialiste.

Avant cette arrivée au cœur de l’État, et de la société allemande, le national-socialisme est une idéologie de la périphérie. L’Allemagne ne rassemblait en effet à la fin du XIXe siècle, ainsi qu’au début du XXe siècle, pas du tout l’ensemble du peuple allemand. Des parties importantes existaient en dehors, commençant tendanciellement ou franchement à vivre une destinée nationale différente, au sein de la Bohême et de l’Autriche notamment.

C’est ainsi dans ces zones qu’on trouve les forces pangermanistes les plus virulentes, à l’idéologie littéralement d’apartheid par rapport aux peuples slaves. La première grande figure est l’autrichien Georg von Schönerer (1842-1921), activiste essentiel au pangermanisme rejetant l’existence de l’Autriche et de l’Autriche-Hongrie, prônant un rattachement des zones « allemandes » à l’Allemagne.

Georg von Schönerer diffusait une idéologie pangermaniste, qui synthétisa un programme à la conférence de Linz en 1882, prônant le rattachement à l’empire allemand. Mais la ligne de Georg von Schönerer était également violemment anti-catholique – l’Allemagne était en grande majorité protestante. L’antisémitisme était au cœur de sa démarche, en tant que reflet du refus de l’absolutisme éclairé de l’empire austro-hongrois s’ouvrant au libéralisme et réfutant l’antisémitisme.

Adolf Hitler a été profondément influencé par Georg von Schönerer ; sa famille venait par ailleurs de la même zone géographique en Autriche. Mais c’est à un Allemand de Bohême qu’Adolf Hitler a repris le principe de « national-socialisme » et la croix gammée comme symbole : Rudolf Jung (1882 – 1945).

Rudolf Jung, vers 1921

A la base, Rudolf Jung est un pangermaniste classique, membre du Deutsche Arbeiterpartei (Parti allemand des travailleurs), fondé en 1903 en Bohème. Mais justement sous l’influence de Rudolf Jung, ce parti évolue, modifie son programme en 1913 et finalement même son nom en 1918, devenant le « Parti national-socialiste allemand des travailleurs » (DNSAP -Deutsche Nationalsozialistische Arbeiterpartei).

Rappelons ici que le parti nazi d’Adolf Hitler s’appelait « Parti allemand national-socialiste des travailleurs », il y a juste deux mots d’intervertis. La croix gammée fut également utilisée d’abord par le parti en Bohème, sur une idée de Walter Riehl, et Rudolf Jung fut celui qui convainquit Adolf Hitler d’utiliser le terme de « national-socialiste ».

Rudolf Jung fut d’ailleurs le premier théoricien « national-socialiste », par l’intermédiaire de son ouvrage publié en 1919 intitulé « Le socialisme national. Ses fondements, son devenir et ses buts ».

Rudolf Jung, Le socialisme national

Si Rudolf Jung est totalement inconnu, c’est pour deux raisons. Tout d’abord, on a de façon tout à fait incorrecte assimilé le parti nazi et les S.A. à l’idéologie mystique S.S. qui s’est développée en système après la prise du pouvoir et au cours de la guerre mondiale impérialiste.

Ensuite, le parti actif en Bohème n’eut qu’un succès très relatif. Rudolf Jung s’enfuira même en Allemagne nazie, mais n’obtiendra que des postes honorifiques dans le parti nazi et dans la S.S., ainsi que des emplois de fonctionnaires comme responsable de la banque à Prague, responsable des demandeurs d’emploi de l’Allemagne centrale, puis finalement responsable de l’emploi dans le protectorat nazi de Bohème-Moravie.

Arrêté en 1945, Rudolf Jung se suicidera avant d’être jugé. Son parcours n’aura nullement marqué les esprits, puisque dès sa prise du contrôle du parti nazi en Allemagne, Adolf Hitler a immédiatement contrôlé totalement le parti nazi et exclu ceux qui n’acceptaient pas sa domination complète.

Un événement important fut par exemple, les 7 et 8 août 1920, un rassemblement à Salzbourg en Autriche des différentes forces national-socialistes, avec 235 délégués et 100 invités :

– le Parti national-socialiste allemand des travailleurs (d’Autriche) ;

– le Parti national-socialiste allemand des travailleurs (de Tchécoslovaquie) ;

– le Parti national-socialiste (de Silésie orientale) ;

– le Parti allemand national-socialiste des travailleurs (d’Allemagne et basé à Munich) ;

– le Parti social-allemand (d’Allemagne et basé à Hanovre).

Ces forces devaient s’unir, sous le nom de « parti national-socialiste du peuple allemand », mais Adolf Hitler – par ailleurs présent à Salzbourg mais sans rôle important – écrasa toutes les autres forces une fois le parti nazi devenu puissant en Allemagne, et ce donc après avoir puisé chez Rudolf Jung le « style » de son idéologie.

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Le socialisme prussien et révolution conservatrice

Ce qui est notable dans les S.A. était la division hiérarchique selon l’origine sociale. La base des S.A. était peuplée des classes les plus basses socialement, les cadres intermédiaires provenaient plutôt de la petite-bourgeoisie. Mais les dirigeants provenaient souvent de l’armée, à laquelle ils avaient appartenu avant même la guerre impérialiste de 1914-1918, et étaient d’origine aristocratique.

Cela n’est pas étonnant, car l’aristocratie, avec l’effondrement de la monarchie, s’est élancée dans une grande campagne idéologique anticapitaliste romantique, prônant une société « organisée » face au chaos capitaliste. Le terme employé pour désigner pour cette organisation sociale fut celui de « socialisme », désignant par là en réalité une société divisée en corporations avec l’armée comme colonne vertébrale.

L’idée de l’aristocratie était d’opposer au socialisme de la social-démocratie et du mouvement communiste naissant un « socialisme » consistant en une vague romantique. Ce « socialisme » serait fondé sur la « solidarité nationale » face aux « ennemis » de l’Allemagne, ainsi que fondé sur les valeurs féodales de l’Allemagne d’avant 1914, tout cela face au chaos capitaliste, aux crises économiques, etc.

Cette idéologie consiste très précisément en ce qui a été appelé la « révolution conservatrice », portée historiquement par l’écrivain Ernst Jünger (1895-1998), le philosophe Oswald Spengler (1880-1936), le juriste Carl Schmitt (1888-1985), ainsi que l’écrivain Arthur Moeller van den Bruck (1876-1925), exprimant un ultra-élitisme refusant toute participation à la société ou à de quelconques responsabilités sociales, cultivant un esthétisme aristocratique, etc.

La lutte comme expérience intérieure, une oeuvre d’Ernst Jünger, 1922

En France, on retrouvera cette idéologie, ce style, cette approche, de manière la plus précise chez l’écrivain Julien Gracq, notamment dans les romans Au château d’Argol et Le rivage des syrtes, ce dernier roman étant par ailleurs influencé par le roman d’Ernst Jünger Sur les falaises de marbre.

Les principes de la « révolution conservatrice » ont été théorisés de manière la plus nette par Oswald Spengler, tout d’abord dans Le Déclin de l’Occident puis dans Prussianité et socialisme, publiés juste après 1918.

 Prussianité et socialisme, 1919

Le principe est extrêmement simple : le raisonnement se fonde sur le concept de civilisation, chaque civilisation étant considérée comme autonome et relevant d’un certain « esprit ». Il n’y a historiquement pas de « progrès », simplement une réalité conflictuelle où vivent des civilisations, qui peuvent donc périr. Pour Oswald Spengler, « la vie n’a pas de système, pas de programme, pas de raison ».

C’est l’idéologie ultra-libérale et ultra-individualiste appliquée à une nation, sauf que la nation est ici masquée derrière le concept de « civilisation ». Il n’y a pas de dimension racialiste, même si l’antisémitisme est présent de manière diffuse au nom d’une sorte de différentialisme civilisationnel.

Ce qu’on appelle « peuple » relève donc ici d’une « civilisation », et non pas simplement d’une nation. D’où la nécessité de l’union la plus grande du « peuple », et Oswald Spengler prend comme contre-modèle le « libéralisme » anglais où règne l’individualisme appuyé par sa situation d’île, ainsi que « l’égalitarisme » français uniquement empêché par le despotisme de généraux ou de présidents.

A ce chaos libéral et ces pulsions égalitaires niant l’Etat au profit du césarisme, Oswald Spengler oppose la conception d’un État central puissant, reprenant en fait le modèle de la Prusse féodale contrôlée par les junkers, les grands propriétaires terriens, qui introduisirent le capitalisme par en haut.

« Le trait caractéristique du premier [type d’évolution de l’agriculture, ici la « voie prussienne »] est que les rapports médiévaux dans la propriété de la terre ne sont pas liquidés d’un coup, mais adaptés graduellement au capitalisme, qui pour cette raison conserve pour une longue période des traits semi-féodaux.

Les grandes propriétés terriennes prussiennes n’ont pas été détruites par la révolution bourgeoise; elles ont survécu et sont devenus la base de l’économie « Junker », qui est essentiellement capitaliste, mais implique un certain degré de dépendance de la population rurale, comme la Gesindelordnung [Régulation des serfs, 1854, une des nombreuses lois de Prusse supprimant tout droit civil aux travailleurs agricoles; la moindre tentative de grève était punissable par exemple d’emprisonnement.]

Comme conséquence, la domination sociale et politique des Junkers a été consolidé pour de nombreuses décennies après 1848, et les forces productives de l’agriculture allemande se sont développées bien plus lentement qu’en Amérique. »
(Lénine, La question agraire en Russie vers la fin du XIXe siècle, 1908)

La voie prussienne, cela signifie ainsi une large présence de l’aristocratie dans l’armée et l’administration, et l’habitude de décider par en haut. C’est précisément la conception de la fraction « national-révolutionnaire » du nazisme, avec notamment Otto Strasser et son « socialisme national », ou encore Ernst Niekisch avec sa thèse dite « national-bolchevik » de la « mobilisation totale ».

Pour Oswald Spengler, la social-démocratie a abandonné l’idée de révolution du marxisme, et doit donc revenir à la nation, apportant son socialisme à la vieille tradition prussienne, permettant une véritable organisation « socialiste » à l’échelle de tout le pays, c’est-à-dire une économie ayant en son cœur non pas l’intérêt « individuel », mais « national ».

Au « succès », Oswald Spengler oppose le métier, à la « dictature de l’argent », celle de l’organisation. Au travailleur qui veut éviter le travail et au libéral voulant manipuler celui-ci, Oswald Spengler oppose la figure du « travailleur » honnête, moral, travaillant par devoir. C’est précisément la notion de « travailleur » utilisé par le national-socialisme.

Travailleur, fonctionnaire, militaire, tout cela relève d’une même fonction non pas individuelle, mais directement à l’échelle de la société toute entière.

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L’organisation méthodique du «national-socialisme»

Les S.A. avaient une démarche particulièrement agressive, principalement dans les années 1931-1932, années de guerre civile larvée. Un exemple parlant est la situation à Berlin en juin 1930 : en une semaine il y eut pas moins de 25 attaques par les S.A., avec comme bilan 5 morts, 38 grièvement blessés, 75 légers. Par la suite, la situation ne fit que s’envenimer.

Un autre exemple berlinois fut, le 12 septembre 1931, à l’occasion du nouvel an juif appelé Rosh Hashana, lorsque les S.A. menèrent une grande opération antisémite dans le quartier chic de l’avenue Kurfürstendamm (qui fait 3,5 kilomètres de long), dont un quart des personnes y vivant étaient juives.

La quête de l’affrontement est la règle de la part des SA

Agissant ainsi, ils prolongeaient des activités antisémites récurrentes dans ce quartier, notamment le samedi soir. Pendant 45 minutes et en absence de toute police, 1000 S.A. agressèrent ainsi les personnes ayant « l’air » juif à leurs yeux et attaquèrent la sortie d’une synagogue. L’organisation était méthodique : les chefs se trouvaient dans un camion roulant sur l’avenue Kurfürstendamm et envoyaient des émissaires en moto pour informer les troupes.

Le principe même des S.A. tient précisément à cette intervention brutale, marquant les esprits, avec comme principe l’apparition d’une jeunesse de moins de 30 ans (et surtout entre 20 et 25 ans) en uniforme brun, en adoptant une démarche militarisée, avec une stricte hiérarchie. Les personnes au-dessus de 40 ans pouvaient éventuellement faire partie de la « réserve » des S.A., utilisée si besoin était.

La défense des drapeaux était un moyen de galvaniser et de jouer sur la virilité

Afin de renforcer l’unité et la discipline, les S.A. disposaient sur leurs uniformes, chacun payant le sien, de signes indiquant les grades et même l’origine géographique, sur une base s’appuyant sur les symboles impériaux. Chaque section disposait de son propre drapeau nazi à son nom, avec des tailles réglementaires et obligatoires, et ce drapeau, comme les responsables S.A., devaient obligatoirement être salué.

De fait l’objectif est bien sûr physique, dans une logique d’affrontement, mais il est également idéologique-culturel. D’ailleurs, les S.A. ne possédaient pas de formation politique en tant que telle, malgré diverses tentatives à ce niveau. A partir de 1930, une période d’accompagnement de quatre semaines était toutefois théoriquement nécessaire à tout nouvel S.A. avant d’obtenir une adhésion complète, mais il est évident qu’en pratique ce n’est pas cela qui comptait pour les chefs locaux.

L’idée de se transcender
est essentielle chez les SA

Le programme tenait, de fait, à la démarche même, comme « vision du monde ». Les uniformes, les drapeaux et les bannières, les marches organisées en détail, la musique militaire, les chansons militantes, tout cela formait un ensemble précis, devant former un appel d’air activiste.

Les S.A. se divisaient en pratique tout d’abord en regroupement de 4 à 12 personnes, formant au niveau supérieur une troupe d’une vingtaine à une soixantaine de personnes environ. Trois de ces regroupements formaient la « section » en tant que telle. Deux niveaux supérieurs existaient encore, regroupant à chaque fois trois unités du niveau inférieur, permettant à la fois donc des interventions locales et d’autres en grand nombre, avec plusieurs centaines de personnes.

Au-delà de la dimension militaire, il y a une dimension politique conforme à l’idéologie des S.A. comme « levée en masse » populaire. En effet, dès qu’une unité à un certain niveau a atteint un certain niveau de croissance, elle se divise telle une cellule, en deux unités équivalentes.

L’image du SA, des chemises brunes, fut la source de toute une iconographie

Géographiquement, cela signifie aussi que le niveau d’intervention se réduit au fur et à mesure. La S.A. « Standarte I » agissait en 1926 l’ensemble de la ville de Berlin. Suite à la croissance et à la division s’en procédant, elle n’agissait plus en 1928 que dans trois quartiers : Spandau, Charlottenburg et Tiergarten. En 1932, elle n’agissait plus qu’à Charlottenburg.

Cela ajoute d’autant plus à la pression politique, et il faut noter ici les « sauts » qui ont existé. Ainsi, dans la région de Brandebourg (comprenant Berlin), les S.A. passèrent de 9 000 à 27 000 rien qu’entre novembre 1931 et avril 1932. Cela bouleverse par définition les rapports de force.

A chaque étape de la progression numérique, il y a également l’organisation de lieux de réunion et de rendez-vous. Bien souvent, cela consiste également en des tavernes, avec des cuisines à prix modiques, et même plus rarement des dortoirs. Alors qu’entre un tiers et la moitié des S.A. connaissait le chômage, cela fut d’une importance capitale pour l’ambiance de « camaraderie ».

« Ils se sont battus et se sont retrouvés ensanglantés pour la liberté de l’Allemagne »

De plus, ces « lieux de vie » des S.A. servirent aussi de base de soins pour les blessés, avec une pratique généralisée de personnes aux activités paramédicales dans les S.A. et même une supervision par des médecins en certaines occasions. En 1932 rien qu’à Berlin, il y avait 20 sections S.A. paramédicales de trente personnes chacune.

Cela participait à l’engagement dans les S.A., qui était une activité devenant centrale pour ses membres. Chaque jour apportait son lot d’activités, depuis les « marches » jusqu’aux entraînements militaires et sportifs (comme la boxe, la lutte et le ju-jutsu, la course et la natation, la gymnastique, etc.), à la présence symbolique à des mariages, dans les fêtes populaires, l’apprentissage de chansons, etc. En pratique, en raison de ce rythme élevé, les S.A. rassemblaient à chaque fois, en dehors des grosses occasions, environ 75 % de leurs effectifs.

Ernst Röhm, chef des SA
de 1931 à 1934

Les voitures, camions et motos jouaient un rôle important, afin d’organiser des tournées, de déplacer les activistes ainsi que la propagande. Par conséquent, des structures de liaison spécifiques à ce sujet furent formées.

Un aspect important était également la transmission des messages. Afin d’être indépendant dans certains cas de la poste, du téléphone et du télégraphe, les S.A. avaient organisé pour diffuser les messages un réseau de relais partant de Munich et allant à Berlin, Breslau, Siegen et Vienne. Un voyage de Munich à Berlin, faisant 640 kilomètres, se parcourait en quinze heures au moyen de relais à Nuremberg, Hof, Zwickau et Leipzig, avec changement de conducteur en quinze minutes à chaque fois.

En plus de cela, les S.A. disposaient de structures dans les clubs nautiques et d’aviation, mais aussi hippiques et cyclistes. Quelques projets d’entreprises furent montés ou tentés, mais abandonnés après 1930 ; seules les cigarettes « Storm » eurent un certain succès.

Une cuisine organisée par les SA au moment des élections

Les S.A. disposaient également de petits orchestres, et de cuisines de campagne utilisées lors des longues marches, avec une sorte de pistolet à eau pour propulser la nourriture dans les écuelles. A l’occasion des défilés, des S.A. en civil étaient par ailleurs utilisés pour surveiller la foule, intervenir pour bloquer des opposants ou bien provoquer des bagarres.

Des femmes liées aux S.A. étaient utilisées dans certains cas pour faire disparaître les armes si la police intervenait. La même technique était utilisée dans les meetings, où les S.A. surveillaient l’entrée, mais se plaçaient également dans la foule.

Si les S.A. se rassemblaient sous la forme de bandes d’hommes, de gangs, sur plan de l’organisation, rien n’était laissé au hasard.

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La conception des S.A. selon Hitler

D’où provient l’attribution à « Mein Kampf » d’une telle importance pour le national-socialisme, au lieu de voir les S.A. comme élément central ? En fait, la confusion a eu lieu car la bataille politico-militaire de la S.A. a été d’une violence inconnue pour la plupart des autres pays. On prétend ainsi encore en France qu’Adolf Hitler a été élu « démocratiquement », alors que les dernières élections de la république de Weimar en mars 1933 ont été marquées par une violence extrême des S.A..

Un autre aspect très important qui n’a pas été vu est que, justement, « Mein Kampf » traite notamment des S.A., dans le chapitre 9 de la seconde partie. C’est-à-dire que « Mein Kampf » pose justement les S.A. comme élément moteur du national-socialisme. Voici ce que dit Adolf Hitler :

« La force de l’ancien État reposait principalement sur trois colonnes : sa forme monarchique, son corps de fonctionnaires administratifs et son armée. La révolution de 1918 a aboli la forme de l’État, a dissous l’armée et a livré le corps des fonctionnaires à la corruption des partis ; les appuis essentiels de ce qu’on appelle l’autorité d’État étaient ainsi abattus (…).

Tout peuple considéré dans son ensemble s’articule en trois grandes classes : d’une part, un groupe extrême, composé de l’élite des citoyens est bon, doué de toutes les vertus, et par-dessus tout, est remarquable par son courage et par son esprit de sacrifice ; à l’opposé, un autre groupe extrême, composé du pire rebut des hommes, est rendu exécrable par la présence en son sein de tous les instincts égoïstes et de tous les vices.

Entre ces deux groupes extrêmes est la troisième classe, la grande et large classe moyenne, qui ne participe ni à l’héroïsme éclatant de la première ni à la mentalité vulgaire et criminelle de la seconde. Les périodes d’ascension d’un corps social se produisent, il faut le dire, exclusivement sous l’impulsion de la classe extrême des meilleurs citoyens.

Les périodes de développement normal et régulier ou d’état stable, se produisent et durent visiblement lorsque dominent les éléments moyens, tandis que les classes extrêmes ne bougent pas ou s’élèvent. Les époques d’effondrement d’un corps social sont déterminées par l’arrivée au pouvoir des pires éléments (…).

Si les meilleurs ont eu le dessus, la grande masse les suivra ; si ce sont les pires, elle ne s’opposera pas, tout au moins, à leur action : car la masse du centre ne combattra jamais (…).

Que l’on pense donc, avant tout, que l’année 1914 a mis sur pied des armées entières de soi-disant volontaires, qui, par suite du criminel manque de conscience de nos propres-à-rien de parlementaires, n’avaient reçu, en temps de paix, aucune instruction de quelque valeur : ils furent donc livrés à l’ennemi comme une chair à canon sans défense.

Les quatre cent mille hommes qui tombèrent alors, tués ou mutilés dans les Flandres, ne purent plus être remplacés. Leur perte n’était plus seulement numérique. Leur mort fit rapidement pencher la balance et pas du bon côté : plus lourds qu’auparavant pesaient les éléments de grossièreté, d’infamie et de lâcheté, bref, la masse extrême, la mauvaise (…).

Peu à peu les combattants des barricades [en 1918], spartakistes, d’un côté et, de l’autre, les fanatiques et les idéalistes nationalistes, perdirent tout leur sang ; et, dans la mesure même où ces deux partis extrêmes s’usaient l’un contre l’autre, la masse du centre, comme toujours, restait victorieuse. La bourgeoisie et le marxisme se rencontrèrent sur le terrain des faits acquis et la République commença dès lors à se consolider (…).

Ce qui avait donné naguère la victoire au marxisme, ce fut la parfaite cohésion entre leur volonté politique et leur brutalité dans l’action. Ce qui priva entièrement l’Allemagne nationale de toute influence sur le développement du sort de l’Allemagne, ce fut l’absence d’une collaboration de la force brutale avec une volonté nationale.

Quelle que fût la volonté des partis « nationaux », ils n’avaient pas la moindre force pour la faire triompher, du moins dans la rue. Les ligues de défense avaient la force, elles dominaient la rue et l’Etat, mais elles ne possédaient aucune idée politique ni aucun but politique, pour lesquels leur force aurait pu être engagée, dans l’intérêt de l’Allemagne nationale (…).

Ce qui distingue essentiellement le service d’ordre du mouvement national-socialiste de cette période de toutes les ligues de défense, c’est qu’il ne fut ni ne voulut être, même dans la plus faible mesure, le serviteur des conditions créées par la révolution, mais qu’il combattit exclusivement pour une Allemagne nouvelle.

Ce service d’ordre avait, il est vrai, au début le caractère d’un service de protection des salles. Sa première tâche était limitée : il devait assurer la possibilité de tenir des réunions sans que l’adversaire pût les saboter. Il avait d’ores et déjà été créé pour attaquer à fond, non par adoration exclusive de la matraque – comme on le prétendait dans les stupides cénacles des racistes allemands – mais parce que l’idée la plus élevée peut être étouffée si son protagoniste est assommé d’un coup de matraque. C’est un fait que bien souvent, dans l’histoire, les têtes les plus nobles tombèrent sous les coups des derniers des ilotes.

Notre organisation ne considérait pas la violence comme but en soi, mais voulait protéger contre la violence ceux qui poursuivaient des buts idéaux. Et elle comprit en même temps qu’elle n’avait pas à assumer la protection d’un État qui n’accordait aucune protection à la nation, mais qu’elle devait, au contraire, se charger de la défense de la nation contre ceux qui voulaient détruire le peuple et l’État (…).

Seul, le développement de nos propres services de protection pouvait garantir la sécurité de notre mouvement, et lui attirer en même temps l’attention et l’estime générales qu’on octroie à celui qui se défend lui-même quand on l’attaque.

Notre idée directrice pour l’organisation intérieure de cette section d’assaut, fut toujours d’en faire, outre une troupe de choc parfaite, une force morale inébranlablement pénétrée de l’idéal national-socialiste, et d’y faire régner la discipline la plus stricte. Elle ne devait avoir rien de commun avec une organisation bourgeoise de défense, ou avec une société secrète (…).

Ce dont nous avions besoin, ce n’étaient pas de cent ou deux cents conspirateurs audacieux, mais de centaines de milliers de militants fanatiques épris de notre idéal. Il fallait travailler non pas dans des conciliabules secrets, mais par de puissantes démonstrations de masses, et ce n’était point par le poignard ou le poison ou le revolver que le mouvement pouvait vaincre, c’était seulement par la conquête de la rue.

Nous devions faire comprendre au marxisme que le national-socialisme était le maître futur de la rue, et qu’il serait un jour le maître de l’État (…).

Le marxisme avait triomphé non pas grâce au génie supérieur d’un chef quelconque, mais à cause de la faiblesse pitoyable et sans bornes, à cause du lâche renoncement du monde bourgeois. Le reproche le plus cruel qu’on puisse faire à notre bourgeoisie, c’est de constater que la révolution n’a pas mis en vedette le moindre cerveau, mais qu’elle l’a soumise quand même.

On peut encore comprendre qu’on puisse capituler devant un Robespierre, un Danton, un Marat, mais il est scandaleux de s’être mis à quatre pattes devant le grêle Scheidemann ou le gros Erzberger, ou un Friedrich Ebert, et tous les autres innombrables nains politiques. Il n’y eut vraiment pas une tête dans laquelle on aurait pu voir l’homme de génie de la révolution. Dans le malheur de la patrie, il n’y avait que des punaises révolutionnaires, des spartakistes de pacotille en gros et en détail (…).

Si la S. A. ne devait être ni une organisation de défense militaire, ni une association secrète, il fallait tirer de cela les conséquences suivantes. 1° Leur entraînement devait avoir lieu non pas sous l’angle de leur utilité militaire, mais sous celui de leur conformité aux intérêts du parti.

Dans la mesure où leurs membres devaient se perfectionner au point de vue physique, le centre de gravité ne devait pas être dans les exercices militaires, mais plutôt dans la pratique des sports. La boxe et le jiu-jitsu m’ont toujours paru plus essentiels qu’un entraînement au tir, qui ne pouvait qu’être mauvais, parce qu’incomplet.

Qu’on donne à la nation allemande six millions de corps parfaitement entraînés au point de vue sportif, brûlants d’un amour fanatique pour la patrie et élevés dans un esprit offensif le plus intense ; un Etat national en saura faire, en cas de besoin, une armée en moins de deux ans, si toutefois il y a des cadres (…).

2° Pour empêcher dès l’abord que la S. A. revête un caractère secret, il faut que, indépendamment de son uniforme auquel tous peuvent immédiatement la reconnaître, ses effectifs, par leur nombre même, soient utiles pour le mouvement et connus de tous. Elle ne doit pas siéger en secret ; elle doit marcher à ciel découvert et se consacrer à une activité qui dissipe définitivement toutes les légendes sur son « organisation secrète ».

Pour préserver aussi son esprit de toutes les tentations de nourrir son activité par de petites conspirations, on devait, dès le début, l’initier complètement à la grande idée du mouvement et l’entraîner si entièrement à la tâche de la défense de cette idée, que son horizon s’élargirait aussitôt et que chacun de ses membres ne verrait plus sa mission dans l’élimination de tel filou plus ou moins grand, mais le don total de soi en vue de l’édification d’un nouvel Etat national-socialiste et raciste (…).

3° Les formes de l’organisation de la S. A., ainsi que son uniforme et son équipement, ne devaient pas suivre les modèles de l’ancienne armée ; elles devaient se conformer aux besoins de la tâche qui lui incombait. »

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La conception «organique» du «national-socialisme»

La dimension paramilitaire, voire militaire, des formations politiques est une donnée essentielle des luttes de classe en Allemagne après 1918. A l’opposé de la France victorieuse, le pays est marqué par un changement de régime puisque la monarchie s’est effondrée, et doit de très importantes « réparations » de guerre.

Les forces réactionnaires sont très puissantes et tentent des coups d’État, alors que du côté révolutionnaire depuis l’échec de la révolution de 1918, c’est une lente et patiente réorganisation des très larges mouvements de masse qui a lieu, pavant la voie à un puissant Parti Communiste.

Dans ce contexte, Adolf Hitler donna l’ordre de formation de la S.A. dès le 3 août 1921. Depuis ce moment-là, les S.A. se considéreront toujours comme ayant une place à part, et ce même après 1933. Les S.A. se voyaient comme les soldats politiques du national-socialisme ; à leurs yeux, ce n’était pas les élections, mais leur propre mouvement qui avait permis l’avènement du régime hitlérien.

Affiche d’un congrès
du parti nazi
dans les années 1920

Les S.A., dans leur existence en tant qu’organisation, se définissaient eux-mêmes comme des gens d’une abnégation complète, d’un engagement absolu. Cela sous-tend que pour eux, l’aspect central dans l’Etat nazi après 1933 n’est pas l’État lui-même, mais le « peuple » compris comme unité ethnique, morale, culturelle et « spirituelle ».

L’effet « boule de neige » du recrutement renforça encore plus cette dynamique. Au milieu des années 1920, les S.A. comptaient environ 30 000 membres, et le double environ en 1930. A partir de là et surtout de la crise économique de 1929, la tendance ne cesse plus ; les S.A. sont 100 000 au milieu de l’année 1931 et se retrouvent à 500 000 personnes en 1933.

Le logo des SA

Les S.A. se considéraient comme l’expression invincible du « peuple » compris racialement, comme une apparition « naturelle » venant de la société elle-même. D’une certaine manière, leur démarche se veut pratiquement apolitique, toutes les tâches sur ce plan étant d’ailleurs laissées au parti nazi existant parallèlement.

Cela formera bien entendu une contradiction dangereuse pour le parti nazi durant tout le temps où le régime se maintiendra. Mais les S.A. ont été organisées dès le départ de manière militaire, avec un encadrement strict, différents statuts de responsables intermédiaires, un règlement intérieur, etc. Or, toute cette tradition militaire sera systématiquement utilisée après 1933 pour appuyer la militarisation de la société.

Les S.A., qui ne sont pas moins de 1,2 millions en 1938, continueront d’avoir leur presse, d’organiser des défilés de type militaire. Ils organiseront des compétitions de sport, des campagnes d’agitation, des meetings.

Ils joueront un rôle important dans la prise de contrôle des Sudètes et de l’Autriche. Ils participeront également par la suite à la surveillance des villes, à la capture des parachutistes des forces alliées. Ils iront voir les veuves des S.A. morts et rendront visite dans les hôpitaux aux S.A. blessés.

Des SA en train de défiler

Ils joueront un grand rôle dans la première formation militaire, notamment le tir, des jeunes hommes qui sont trop âgés pour la jeunesse hitlérienne mais encore trop jeunes pour l’armée. Les S.A. ayant rejoint le front envoyèrent régulièrement des lettres à la presse de leur section locale, présentant évidemment sous un jour favorable la « camaraderie » militaire.

Les S.A. auront donc une continuité pratique, même si bien entendu la guerre les désorganisera pour beaucoup, leur enlevant par définition leur base qui devient soldats. En 1944, 70 % des S.A. sont devenus soldats, et même 86 % de leurs cadres.

Ce qui compte cependant ici est que les S.A. se sont toujours conçus comme les « milices » naturelles du peuple allemand, dans une perspective « organique ». Les S.A. se définiront pratiquement comme ceux qui « servent » le peuple, et cela toujours dans l’action : les S.A. combattront sans cesse les tentatives d’aller dans le sens d’une réflexion, d’une idéologie autre que « l’Allemagne ».

L’Allemagne a servi ici de fantasme communautaire utilisant les forces vives désireuses de rendre service, que ce soit pour enlever la neige ou pratique du sport, et le national-socialisme utilisa cela afin d’encadrer, de militariser et de monter en progression dans le militarisme.

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Le « national-socialisme » : « le drapeau levé »

L’idéologie national-socialiste est synthétisée le mieux dans la chanson de la S.A., intitulée chanson de Horst Wessel. Cette chanson n’a d’ailleurs pas été que l’hymne de la S.A., mais celle du parti nazi lui-même ; elle fut systématiquement chantée, de 1933 à 1945, après l’hymne allemand dans les cérémonies officielles.

Horst Wessel rejoignit le parti nazi en 1926 et devint une des principales figures de la S.A. berlinoise, extrêmement violente et étant dans une situation extrêmement difficile dans une ville étant un bastion communiste. Il fut par la suite exécuté dans des conditions obscures, liées plus ou moins à la prostitution, mais son histoire fut récupérée comme symbole par le parti nazi, qui en fit un martyr ; il fut même raconté que les autres S.A. refusèrent à un médecin juif d’intervenir alors qu’il était grièvement blessé, etc.

L’esthétique romantique
du martyr au service
du rétablissement national

Le contenu de la chanson reflète parfaitement l’idéologie S.A., associant le communisme aux réactionnaires, et prétendant trouver une « troisième voie ». La démarche qui compte est celle de l’élan national, dans une dynamique romantique collective.

Le drapeau haut
Les Rangs bien serrés.
La SA marche
D’un pas calme et ferme  !
Dans nos esprits les camarades fusillés par le Front rouge et la réaction
Marchent dans nos rangs avec nous !

Libre la rue
Pour les bataillons bruns.
Libre la rue
Pour le membre de la Section d’Assaut !
Déjà pleins d’espoir par millions ils regardent la croix gammée.
Le jour de la liberté
Et du pain surgit !

Pour la dernière fois
L’alarme pour l’assaut est sonné !
Pour le combat nous nous tenons
Déjà tous prêts !

Bientôt les drapeaux de Hitler flottent sur toutes les rues
La servitude n’en a plus pour longtemps!

Il y a ainsi deux caractéristiques essentielles pour comprendre le national-socialisme. Tout d’abord le romantisme est également collectif et non pas simplement individuel comme dans le courant de la « révolution conservatrice », qui se veut élitiste et aristocratique.

Ensuite, il y a une dimension « grandiose », affirmant l’épopée.

Les SA sont toujours présentés à l’offensive, dans un désordre au service de l’ordre

Il n’est pas difficile de comprendre que ces deux aspects visent directement à récupérer les masses tendant au communisme, ni de voir que si le communisme ou l’antifascisme ne comprennent pas les attentes des masses quant à une sortie totale de la crise du capitalisme, ils ne sauraient triompher.

En fait, c’est une course, où le national-socialisme tente de déborder le matérialisme dialectique, de le prendre de vitesse, en présentant des choses qui ont l’apparence d’un progrès, mais n’aboutissant qu’à réimpulser le capitalisme.

C’est la signification de la dimension « totale » du national-socialisme, opposée à la dimension réellement totale pour le coup de la révolution socialiste.

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Le «national-socialisme» comme un projet anti-dialectique et romantique

Le « national-socialisme » est un phénomène propre au capitalisme en crise : il s’agit d’une réponse qui lui est immanente, naturelle. Tentant de prolonger son existence, le capitalisme tente de s’unifier intérieurement, ce qui signifie nier les luttes de classe au sein de la société. A côté de cela, il s’agit de satisfaire ses propres besoins, et cela signifie la guerre.

Ces deux aspects ont besoin d’une idéologie qui soit commune, qui permette tant un aspect que l’autre, et tel est le sens du national-socialisme. La version la plus connue, car la plus aboutie, est bien entendu le national-socialisme qui a existé en Allemagne, avec Adolf Hitler à sa tête.

Néanmoins, il a existé et il existe de multiples autres variantes, moins abouties mais tendant à la même dynamique. On trouve ainsi en Italie le fascisme, en Espagne le « national-syndicalisme », en Hongrie le mouvement des « croix fléchées », en Roumanie le mouvement de la « garde de fer », etc.

Comprendre sa nature est fondamentale à qui veut tant s’opposer au fascisme que comprendre la logique de destruction du capitalisme en fin de vie.

Milices nazies, avec une représentation traditionnelle du culte de virilité au service du rétablissement d’un ordre censé être sain. Sur le mur, on lit écrit KPD,
soit Parti Communiste d’Allemagne.

L’une des erreurs les plus courantes concernant le national-socialisme allemand est par exemple de l’associer à l’oeuvre d’Adolf Hitler intitulée Mein Kampf, c’est-à-dire « Mon combat ». C’est là quelque chose de tout à fait erroné ; s’il faut associer directement quelque chose au national-socialisme, alors cela doit être les « S.A. », les « sections d’assaut » (« Sturmabteilungen »).

Le national-socialisme, et cela dans toutes ses variantes, exprime en effet un romantisme. Il ne s’agit pas d’un mouvement « conservateur révolutionnaire », comme ont pu l’être de nombreuses dictatures semi-fascistes, comme l’Etat-corporatiste de l’austro-fascisme ou encore le franquisme espagnol, et finalement d’ailleurs le national-socialisme lui-même une fois au pouvoir, cela tant en Allemagne qu’en Italie.

Le national-socialisme, tant qu’il n’est pas parvenu au pouvoir, se veut un mouvement « élémentaire », partant de la base, exprimant le besoin de socialisme et considérant que la voie nationale permet d’arriver à ce socialisme.

« Tant que les SA marcheront, l’Allemagne vivra » : un romantisme typique des miliciens censés rétablir un ordre passé idéalisé

Le national-socialisme est ainsi le mouvement contraire du communisme. Là où le communisme parle de « pensée guide », où le dirigeant portant cette pensée est à l’avant-garde et donc rejoint par les autres, dans le national-socialisme le « Führer » est au-dessus de tout et ne peut pas être rejoint.

Là où le communisme affirme la nécessité de changer de mode de production car la contradiction est interne, le national-socialisme explique que la contradiction est externe et que les soucis du capitalisme proviennent d’un « parasitage ».

Là où le communisme explique qu’il faut dépasser la contradiction villes / campagnes, le national-socialisme prétend avoir trouvé un rapport non conflictuel avec la nature, qui est « métaphysique », « spirituel », etc.

Le national-socialisme, c’est ainsi une machine de guerre de contre-propositions visant directement le communisme, le matérialisme dialectique. Refusant la dialectique comme vision du monde, refusant le principe de la contradiction interne, le national-socialisme prétend purifier, nettoyer, remettre sur pied, et pour cela il a besoin bien entendu d’un anticapitalisme romantique violent, de l’antisémitisme.

Le dirigeant nazi Adolf Hitler avec ses partisans en 1927,
avec une esthétique ouvertement nationaliste romantique

Le national-socialisme se veut donc un élan naturel pour contrer le « parasitage », et s’affirme révolutionnaire, car désireux de renverser tout ce qui est lié à ce parasitage. Le national-socialisme se présente donc un mouvement voulant changer de régime, mais en fait il veut en conserver la base, en prétendant seulement l’épurer.

Le caractère vain de cette entreprise nécessite bien entendu alors deux choses une fois l’arrivée au pouvoir : tout d’abord, la liquidation de ceux qui seraient porteurs d’une illusion de changement de régime en tant que tel, et enfin mener la guerre relativement rapidement pour profiter de la mobilisation de masse, et de toutes manières afin de maintenir l’économie qui devient une économie de guerre à court ou moyen terme.

Le national-socialisme est par conséquent un mouvement puissant et l’on comprend que la bourgeoisie n’assume d’aller en ce sens que lorsqu’elle est aux dernières extrémités. C’est d’ailleurs sa fraction la plus agressive, portée par les monopoles, qui prend la direction de l’État et porte en tant que tel le national-socialisme.

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«Le monde en images» – remarques de Comenius au lecteur (1658)

[Extrait de la préface au lecteur de l’ouvrage Le monde en images de Comenius.]

Le vrai antidote de l’ignorance, c’est l’érudition dont on doit abreuver les jeunes esprits dans les écoles; encore faut-il que celle-ci soit vraie, parfaite, claire et solide.

L’érudition est vraie quand on n’enseigne ni n’apprend que des choses utiles à la vie humaine afin que personne n’ait sujet de se plaindre et de dire: Nous ignorons les choses nécessaires à être sues, parce que nous ne les avons jamais apprises.

Elle sera profitable (pleine) quand on formera l’esprit à la sagesse, la langue à l’éloquence, et les mains à la diligence requise pour exécuter adroitement les fonction ordinaires, d’autant que le sel de la vie c’est savoir, agir et parler (discourir).

Elle sera claire et, par conséquent, solide si tout ce que l’on enseigne et apprend n’est ni obscur, ni embrouillé ou confus, mais au contraire, clair, distinct et bien articulé, ainsi que les doigts de la main. Le fondement de tout ceci consiste à bien représenter à nos sens les objets sensibles, de sorte qu’ils puissent être compris avec facilité.

Je dis et je le répète à haute voix que c’est là la base de toutes les autres actions, puisqu’on ne saurait ni agir ni parler sagement, à moins de comprendre bien comment on doit agir ou parler.

Or, il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été auparavant dans les sens.

Par conséquent, c’est poser le fondement de toute sagesse, de toute éloquence et de toute bonne et prudente action que d’exercer soigneusement les sens à bien concevoir les différences des choses naturelles.

Comme ce point, tout important qu’il est, est négligé ordinairement dans les écoles d’aujourd’hui et qu’on propose aux écoliers des objets qu’ils ne comprennent point parce qu’ils ne sont pas bien présentés à leur sens et à leur imagination, il en résulte la fatigue aussi bien pour le maître qui enseigne que pour l’élève qui apprend, de sorte que le travail éducatif devient malaisé et fâcheux et apporte fort peu de fruit.

Voici donc une aide et un expédient nouveau pour les écoles: la peinture et la nomenclature de toutes les choses fondamentales qui existent au monde et aussi de toutes les actions principales qui se font au cours de la vie humaine!

Afin qu’il ne vous semble pas ennuyeux, mes très-chers maîtres et précepteurs, de feuilleter et de parcourir ce livre, je vais vous dire, en peu de mots, le grand profit que vous pourrez en tirer.

Ce livre, tel que vous le voyez, n’est pas un gros volume. Il est pourtant un compendieux abrégé de l’ensemble du monde et de toute la langue, abrégé qui est embelli et rempli de peintures, de nomenclatures et de descriptions de toutes choses.

I. Les peintures ou figures, ce sont des idées ou portraits de tout ce qu’il y a de visible au monde; à ces idées de choses visibles se rattachent, en une certaine façon, celles des choses invisibles, et ceci dans l’ordre selon lequel elles ont été rangées et décrites dans la Porte des Langues, de sorte que rien de nécessaire et d’essentiel n’y a été omis ou négligé.

II. Les nomenclatures sont les titres et les inscriptions qu’on a joints à chacune des peintures ou figures et qui expriment, par un mot général, le contenu de son sujet.

III. Les descriptions sont les explications de la peinture ou de la figure selon ses parties. Ces explications sont ex-primées par leurs propres noms, de sorte que le même chiffre mis sur la figure ou la peinture et auprès de leur signification, montre d’une façon évidente les choses qui se correspondent.

Ce livre donc, disposé ainsi, servira (comme je l’espère), premièrement, pour y allécher et attirer les jeunes esprits afin qu’ils ne s’imaginent point que l’école soit un fardeau, une croix, une gêne pour eux, mais qu’au contraire ils ne s’y figurent que des délices et du divertissement. Car il est manifeste que les petits (depuis leur tendre enfance) se plaisent aux peintures (images), s’amusent avec elles, et repaissent volontiers leurs yeux sur de semblables objets.

Or, il faut avouer qu’il aura fait un bel exploit, celui qui aura repoussé en arrière, de dessus les parterres de la sagesse, les épouvantails qui font peur aux gens.

En second lieu, ce livre servira à éveiller et à aiguiser de plus en plus l’attention sur les objets qui nous entourent et qui se présentent à nos sens, ce qui n’est pas de peu d’importance, vu que les sens (ces principaux guides de l’âge tendre qui n’est pas encore capable de s’élever à la contemplation des choses immatérielles) cherchent toujours des objets matériels autour d’eux; s’ils ne les trouvent pas, ils s’ennuient et languissent dans leur absence en se tournant çà et là, tout obtus et dégoûtés; si on leur montre des objets intéressants, ils reprennent courage et s’y laissent attacher jusqu’à ce qu’ils aient tout saisi parfaitement.

C’est pourquoi ce livre sera fort propre pour captiver principalement les esprits volages, qui ne savent s’arrêter à une chose, et pour les préparer à d’autres études plus sublimes. De là s’ensuit la troisième utilité de ce livre, à savoir que les enfants, alléchés et encouragés à cette attention, se procureront, par manière du jeu et sans savoir comment, la connaissance des principales choses de l’univers (…).

Il me reste à dire quelque chose sur l’usage fructueux que les jeunes écoliers pourront faire de ce livre.

1. Qu’on leur donne entre les mains pour se divertir à leur aise par la seule vue des peintures et des figures afin qu’ils se les rendent toujours plus familières même chez eux, avant qu’on les envoie à l’école.

2. Par la suite, on doit les examiner quelquefois (surtout lorsqu’ils y vont déjà) et les interroger, en leur demandant : Qu’est-ce que ceci ? Comment appelle-t-on cela ?, etc., afin qu’ils ne voient rien qu’ils ne sachent montrer.

3. Ce n’est pas assez de leur montrer, en peinture ou figure, les choses dont ils ont entendu parler, mais il faut qu’on les leur montre ainsi qu’elles sont en elles-mêmes, dans la réalité, comme p. ex. les membres du corps, les habits, les livres, les bâtiments, etc., avec leurs meubles et ustensiles.

4. Qu’on leur permette aussi d’en dessiner les figures de leur propre main pourvu que leur nature les y porte; on doit même tâcher de leur en faire venir l’envie s’ils n’en avaient point; et cela premièrement pour aiguiser d’autant plus leur attention aux choses que l’imagination leur aura apprises. En second lieu, pour leur faire observer peu à peu la proportion (symétrie) des parties des corps entre eux; enfin, pour faciliter le mouvement et l’action de la main, ce qui peut servir à bien des choses.

5. S’il y a des choses, que nous mentionnons ici, lesquelles ne peuvent pas être représentées à l’oeil, p. ex. les couleurs et les saveurs (qu’on ne saurait dépeindre à l’encre), il sera besoin de les leur montrer chacune à part (en particulier). C’est pourquoi il serait à souhaiter que dans chaque Collège illustre on conservât certaines pièces rares et qu’on ne rencontre guère ailleurs, pour pouvoir les montrer aux écoliers, toutes les fois qu’on aurait besoin d’en parler.

Voilà, en effet, ce qu’on appelle avec raison: Ecole ou Théâtre des choses sensibles, qui sert de Prélude à l’Ecole des choses intellectuelles (immatérielles).

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