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  • La crise générale des années 1920 en Espagne

    L’armée avait un rôle essentiel dans l’État espagnol, servant de colonne vertébrale à un régime caractérisé par la toute-puissance des caciques locaux. C’est la raison pour laquelle le général Miguel Primo de Rivera (1870-1930), capitaine général de Catalogne, organisé un pronunciamiento, c’est-à-dire un coup d’État militaire.

    Dans son Manifeste « au pays et à l’armée », le 13 septembre 1923, Primo de Rivera appela à se débarrasser de « la propagande communiste impunie », de « l’impiété et de l’inculture », de « l’indiscipline sociale », de « la justice influencée par la politique ». Par conséquent, c’est un directoire militaire qui prend le contrôle du pays, pendant deux ans, puis un directoire civil.

    L’annonce du coup d’État du général Miguel Primo de Rivera en 1923 à Madrid

    Miguel Primo de Rivera met en place une société de type corporatiste, notamment au niveau municipal, avec à chaque fois des représentants militaires comme délégués représentant l’État. C’était une réorganisation de la domination féodale, par l’intermédiaire d’une réimpulsion, d’une modernisation au moyen du corporatisme.

    L’Unión Patriótica, seul mouvement autorisé, était ouvert à tous les gens « de bonne volonté » ; Miguel Primo de Rivera le définira comme « un parti central, monarchique, tempéré et sereinement démocratique ». La démarche était de régénérer le pays, selon la perspective social-chrétienne traditionnelle, de manière cléricale-autoritaire s’il le fallait.

    En pratique, tous les secteurs de l’économie étaient régulés administrativement, au moyen d’organismes corporatistes liées au Consejo de Economía Nacional ; le régime privilégia également l’autarcie, avec le protectionnisme comme moyen d’éviter la concurrence et les crises.

    Une Organización Corporativa Nacional fut aussi mise en place pour gérer les conditions de travail et les encadrer dans le sens du régime ; de fait, dès le départ, les grèves passèrent, de 1923 à 1924, de 495 à 165, de 1,2 million de grévistes à 529 000.

    Miguel Primo de Rivera et le roi, en février 1925

    Dans les secteurs demandant de lourds moyens, comme les infrastructures, les transports, l’État intervint directement, transformant le pays en capitalisme monopoliste d’État. 9 455 kilomètres de routes sont construites en six ans, contre 2 756 seulement les cinq années précédentes ; l’irriguation fut développée afin de renforcer la production agricole restée féodale.

    Le régime subventionna la Transmediterránea et la Transatlántica, forma la Compañía telefónica nacional en concédant le secteur du téléphone à l’américain ITT en partenariat avec des fonds espagnols, sous supervision de l’État. Il nationalisa le secteur du pétrole (importation, distribution, vente) pour former la société CAMPSA appartenant aux différentes banques espagnoles, remit le monopole du tabac marocain à l’homme d’affaires espagnol Juan March.

    Le symbole de l’Unión Patriótica

    La ligne était cependant plus subtile qu’il n’y paraît, au-delà d’une démarche ultra-conservatrice, exprimant les intérêts directs de la féodalité devenant monopoliste. En effet, la bourgeoisie catalane a, initialement, ouvertement soutenue l’initiative. La féodalité savait qu’elle devait conjuguer des forces anciennes et nouvelles pour se maintenir.

    Il y a ici une alliance de fond, dans l’esprit d’une modernisation, par l’alliance entre les grands propriétaires terriens et la haute bourgeoisie d’affaires, sous l’égide de l’armée. Cela se fit surtout aux dépens de la CNT, qui pendant toute la dictature de Miguel Primo de Rivera – soit jusqu’en 1930 – fut pratiquement démantelée par « l’état de guerre » mis en place, et contre le Parti Communiste d’Espagne en tant que fraction démocratique la plus avancée idéologiquement.

    En pratique, le développement tant de la CNT que du PCE était « gelé ». Le régime tenta également, pour ce faire, d’avoir des rapports qui ne soient pas trop hostiles avec l’UGT et même le PSOE, par l’intermédiaire de leur dirigeant Julián Besteiro.

    Le plan échoua cependant devant la résistance de la base du PSOE ; la dévaluation de la monnaie acheva également de briser l’alliance féodalité – haute bourgeoisie d’affaires, de par la pression de la bourgeoisie en général. Le régime devait se transformer et céda la place à la Seconde République. Les années 1920 étaient l’expression d’une crise générale, qui devait inévitablement se résorber.

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  • L’Espagne face au système féodal

    La réaction avait dû accorder en 1869 une constitution libérale ; avec l’échec de la République, la constitution de 1876 qui la remplace rétablit un ordre particulièrement autoritaire.

    C’est l’armée qui a rétabli la dynastie des Bourbons et placé Alphonse XII sur le trône ; à côté de la chambre des députés, avec élections au suffrage universel pour les hommes, on a un sénat résolument féodal, composé de la famille royale, des grandes familles aristocratiques, des plus hauts responsables ecclésiastiques, des dirigeants de l’armée, des plus hauts membres de l’administration, ainsi que de personnes nommés à vie par le roi et de membres élus au suffrage indirect par les grands corps d’État et les plus riches contribuables.

    Alphonse XII et la reine Marie-Christine

    On a ainsi un système féodal renouvelé, où prédominent les « caciques », des figures féodales locales ayant pratiquement tout pouvoir décisionnaire.

    Le pays n’était ainsi pas unifié culturellement et économiquement, maintenant une sorte de localisme et d’éloge du particularisme, alors que de toutes manières l’État central, tout à fait arriéré, apparaissait uniquement comme une force bureaucratique.

    Le régime est logiquement particulièrement faible ; il ne peut pas maintenir ses colonies, perdant les dernières qu’il possédait en 1889 (Cuba, Puerto Rico et les Philippines), échouant dans sa tentative de colonisation du Nord du Maroc (1909-1925).

    Sa tentative de pressuriser la bourgeoisie amène à un affrontement avec sa partie catalane, zone où le capitalisme est le plus dynamique ; en 1898, 150 corporations de Catalogne pratiquent pendant trois mois une fermeture des caisses, refusant de payer les impôts.

    Cet affrontement fait de la Catalogne la région-phare de l’affrontement avec le féodalisme ; les œuvres de l’architecte Antoni Gaudí (1852-1926) témoigne de cet esprit national.

    La Casa Batlló à Barcelone, réalisé de 1904 à 1906, conçu par l’architecte Antoni Gaudí.

    Le « modernisme » de la bourgeoisie catalane, associé au rejet du centralisme d’un État considéré comme parasitaire (car en fait féodal), donna un vigoureux élan à l’anarchisme, idéologie prônant l’autogestion et l’anticléricalisme, dans un esprit individualiste.

    L’anarchisme catalan développa même une telle dynamique qu’il put canaliser l’ensemble des révoltes s’étant développées dans la seconde partie du XIXe siècle. Les révoltes paysannes avaient pris un élan spontané, exigeant l’indépendance sociale et basculant ainsi déjà facilement dans les thèses anarchistes.

    Les paysans sans terre d’Andalousie, notamment, affrontaient vigoureusement les propriétaires terriens ; un exemple connu fut la révolte de Jerez en 1892, 4 000 paysans prenant en armes la ville en revendiquant l’anarchie, alors qu’après la répression qui s’ensuivit, une tentative d’attaque à la bombe fut faite contre le général Martinez Campos.

    La Confederación Nacional del Trabajo (Confédération Nationale du Travail) fut le prolongement de cette intense activité anarchiste commençant dans les années 1870 et connaissant donc toutes les variantes : pacifistes, partisans de la propagande armée, syndicalistes. La CNT fut en tant que tel le produit du courant anarcho-syndicaliste ; fondée en 1911, elle se développa dès la seconde moitié des années 1910, avec pas moins de 700 000 adhérents.

    L’emblème de la CNT, avec Hercule et le lion de Némée

    Une des grandes raisons fut que la CNT ne s’organisa pas uniquement en métiers, en branches, comme son concurrent social-démocrate l’UGT, mais comme syndicat unique. Une autre raison est que l’anarchisme transportait avec lui une violence qui permettait de se confronter aux traditions féodales que, en pratique, la social-démocratie évitait par incompréhension de la situation du pays.

    La CNT était un syndicat combatif ; sa grève de quatre jours, dite La Canadiense, à l’entreprise électrique Barcelona Traction, Light and Power Company limited, appartenant à une banque canadienne, paralysa l’économie et fut un acte majeur pour obtenir la journée de huit heures de travail.

    Rassemblement lors de la grève de 1919
    de  La Canadiense

    Le mouvement anarchiste disposait même de pistoleros, rendant coup pour coup aux assassins payés par la bourgeoisie industrielle et ceux des « Syndicats Libres » liées aux forces catholiques et monarchistes, avec en arrière-plan pas moins de 300 assassinats politiques durant ce qui fut appelé les « anos del pistolerismo ». Les premiers ministres Eduardo Dato Iradier, en 1921, Canalejas, en 1912 et Antonio Cánovas del Castillo, en 1898, périrent sous des balles anarchistes.

    Parallèlement eurent lieu des soulèvement paysans violents, inspirés par la révolution bolchevique dans le Sud du pays, du printemps 1918 au printemps 1920 et appelés « Trienio Bolchevique ».

    Le mouvement était pourtant bien éloigné de la social-démocratie. A certains égards, le mouvement ouvrier était, malgré l’arriération économique du pays, assez conscient et puissant pour fonder un Partido Socialista Obrero Español (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) en 1879, ainsi que, neuf ans plus tard, un syndicat, l’Unión General de Trabajadores – Union Générale des Travailleurs. Le PSOE fit même partie des membres fondateurs de la seconde Internationale, regroupant les membres internationaux de la social-démocratie.

    A la différence cependant de l’Allemagne, de l’Autriche et de la France, la classe ouvrière espagnole n’était pas aussi développée, et par conséquent faible numériquement. L’UGT n’avait que 35.000 affiliés en 1908, 127.000 en 1914 ; le dirigeant du PSOE, Pablo Iglesias, n’arriva au parlement qu’en 1910.

    Antonio García Quejido, dirigeant de l’UGT à la fin du XIXe siècle, par la suite responsable de l’organe du PSOE El Socialista, en première ligne pour la fondation du Parti Communiste d’Espagne

    Ce fut la révolution de 1917 qui bouleversa la donne. Les bolcheviks avaient fait un appel aux révolutionnaires d’Espagne, principalement à la gauche du PSOE et ce dernier tenta, à la suite de son congrès de décembre 1920, de maintenir une ligne d’appartenance à la seconde Internationale et de soutien à la troisième, appelant à l’unité.

    De son côté, la Fédération de la Jeunesse Socialiste (FJS) appela de son côté à rejoindre la troisième Internationale.

    Finalement, en février 1920, 1000 des 5000 membres de la FJS fondèrent le Parti Communiste d’Espagne, qui resta cependant insignifiant, tant numériquement que de par son influence idéologique et culturelle.

    Le PSOE, qui était passé la même années à 53 000 membres, contre 16 000 l’année précédente, envoya alors un délégué à Moscou, à une réunion de l’Internationale Communiste, ce que firent également la CNT et le PCE. Seul le PCE reconnut les règles de la IIIe Internationale, le PSOE et la CNT les rejetant.

    Pourtant, ni la CNT, ni le PSOE et l’UGT, ni le PCE n’étaient en mesure de faire face à la crise de régime aboutissant à une dictature militaire.

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  • Féodalité, cléricalisme, rôle de l’armée en Espagne

    La guerre d’Espagne a été un des grands événements du XXe siècle ; depuis notre pays, nous avons assisté pratiquement aux premières loges à cette grande bataille entre d’un côté les forces conservatrices et fascistes, de l’autre les forces républicaines et démocratiques.

    Pour comprendre la signification de cette guerre, qui a tellement marqué les esprits, il faut saisir la nature de l’Espagne à cette époque. Ce pays a connu une histoire particulièrement tourmentée, en raison des succès de la féodalité suite à sa « découverte » de l’Amérique, et par conséquent l’absence de révolution bourgeoise démocratique comme en France.

    Cette évolution contre-nature est à la base même des terribles contradictions de la société espagnole, qui aboutirent justement en la situation débouchant sur la guerre d’Espagne.

    Voici comment Friedrich Engels présente la contradiction propre à l’évolution de la féodalité espagnole :

    « A quel point, à la fin du XVe siècle, la féodalité est minée et rongée intérieurement par l’argent, la soif d’or qui s’empara à cette époque de l’Europe occidentale en donne une démonstration éclatante.

    C’est l’or que les Portugais cherchaient sur la côte d’Afrique, aux Indes, dans tout l’Extrême-Orient ; c’est l’or le mot magique qui poussa les Espagnols à franchir l’océan Atlantique pour aller vers l’Amérique ; l’or était la première chose que demandait le Blanc, dès qu’il foulait un rivage nouvellement découvert.

    Mais ce besoin de partir au loin à l’aventure, malgré les formes féodales ou à demi féodales dans lesquelles il se réalise au début, était, à sa racine déjà, incompatible avec la féodalité dont la base était l’agriculture et dont les guerres de conquête avaient essentiellement pour but l’acquisition de la terre.

    De plus, la navigation était une industrie nettement bourgeoise, qui a imprimé son caractère antiféodal même à toutes les flottes de guerre modernes. »

    La décadence de la féodalité et l’essor de la bourgeoisie

    L’Espagne est donc une féodalité triomphante, mais cela ne saurait exister et il y a donc un capitalisme qui se développe de manière désarticulée, à travers la féodalité elle-même. Toutefois, la colonisation n’est pas la seule raison pour laquelle l’Espagne s’est empêtrée dans la féodalité.

    En effet, on se souvient que la péninsule ibérique avait subi en grande partie une conquête et une domination arabo-musulmane pendant une longue période. De 711 à 1492, Al-Andalus a été un territoire dont la « reconquête » a été le grand objectif des forces féodales espagnoles qui, une fois le terrain regagné, ont systématisé une répression idéologique et culturelle massive.

    L’idéologie catholique a donc triomphé en Espagne avec une profonde dimension baroque et une très vaste mobilisation des masses. La force de la réaction est telle que lorsque Ferdinand VII décéda en 1833 et que sa fille lui succéda, cela fut prétexte à un mouvement ultra-conservateur, qu’on appelle les « carlistes », qui exigea que ce soit le frère du roi, Charles (Carlos en espagnol), qui lui succède. Les carlistes se maintinrent pendant plus d’un siècle comme courant « ultra ».

    L’Espagne n’a donc pas connu de révolution bourgeoise démocratique comme en France ; la tentative d’instaurer une république échoua rapidement, la première république n’existant que de février 1873 à décembre 1874.

    C’est durant cette période éphémère que Friedrich Engels, dans un article intitulé La République en Espagne, présente la situation, en mars 1873 :

    « Mais pour que cette lutte de classe entre bourgeoisie et prolétariat ait une issue décisive, il faut que les deux classes soient suffisamment développées dans le pays concerné, du moins dans les grandes villes.

    En Espagne, ce n’est le cas que dans certaines parties du pays. La grande industrie est relativement développée en Catalogne ; en Andalousie et dans quelques autres régions prédominent la grande propriété foncière et la culture extensive — propriétaires terriens et salariés ; sur la plus grande partie du territoire, petite paysannerie dans les campagnes, artisanat et petit commerce dans les villes.

    Les conditions pour une révolution prolétarienne y sont encore relativement peu développées, et c’est précisément pour cette raison qu’il y a encore énormément à faire en Espagne pour une république bourgeoise. Elle a ainsi avant tout la tâche de déblayer le théâtre pour la lutte de classe à venir.

    En premier lieu, il faut dans ce but abolir l’armée et installer une milice populaire.

    Géographiquement, l’Espagne est si heureusement située qu’elle ne peut être attaquée sérieusement que par un seul voisin, et cela encore que sur le front étroit des Pyrénées ; un front qui ne fait même pas un huitième de son périmètre total.

    En plus, les conditions topographiques sont telles qu’elles présentent autant d’obstacles à la guerre de mouvement des grandes armées qu’elles offrent de facilités à la guerre populaire irrégulière.

    Nous l’avons vu sous Napoléon qui envoya à certains moments jusqu’à 300.000 hommes en Espagne, lesquels échouèrent toujours devant la tenace résistance populaire. ; nous l’avons vu d’innombrables fois depuis et le voyons encore aujourd’hui à l’impuissance de l’armée espagnole contre les quelques bandes de carlistes dans les montagnes.

    Un tel pays n’a pas de prétexte pour une armée. En même temps, depuis 1830, l’armée n’a été en Espagne que le levier de toutes les conspirations de généraux qui renversent tous les deux ou trois ans le gouvernement par une révolte militaire, pour placer de nouveaux voleurs à la place des anciens.

    Dissoudre l’armée espagnole signifie libérer l’Espagne de la guerre civile. Ce serait donc la première exigence que les travailleurs espagnols auraient à poser au nouveau gouvernement.

    L’armée supprimée, disparaît aussi la raison principale pour laquelle notamment les Catalans réclament une organisation fédérale de l’État.

    La Catalogne révolutionnaire, pour ainsi dire la grande banlieue ouvrière de l’Espagne, a, jusqu’à maintenant, toujours été opprimée par de fortes concentrations de troupes, comme Bonaparte et Thiers opprimèrent Paris et Lyon.

    C’est pourquoi les Catalans ont réclamé la division de l’Espagne en États fédéraux à administration autonome. Si l’armée disparaît, la principale raison de cette exigence disparaît ; l’autonomie pourra fondamentalement s’obtenir sans la destruction réactionnaire de l’unité nationale et sans la reproduction d’une Suisse en plus grand.

    La législation financière espagnole va, du début à la fin, à l’encontre du bon sens, tant en matière de fiscalité intérieure qu’en ce qui concerne les taxes douanières. Ici, une république bourgeoise pourrait faire beaucoup.

    Même remarque en ce qui concerne la confiscation de la propriété foncière de l’Église, propriété souvent confisquée, mais toujours reconstituée, et enfin avant tout en ce qui concerne les voies de communication qui nulle part ailleurs n’ont plus besoin de rénovation qu’ici.

    Quelques années de république bourgeoise, calme, prépareraient en Espagne le terrain pour une révolution prolétarienne d’une manière qui devrait surprendre même les travailleurs espagnols les plus progressistes.

    Au lieu de réitérer la farce sanglante de la dernière révolution, au lieu de faire des révoltes isolées, toujours faciles à réprimer, espérons que les travailleurs espagnols utiliseront la république pour s’unir plus fermement et s’organiser en vue de la révolution à venir, d’une révolution qu’ils domineront.

    Le gouvernement bourgeois de la nouvelle république ne cherche qu’un prétexte pour écraser le mouvement révolutionnaire et fusiller les travailleurs, comme le firent les républicains Favre et consorts à Paris. Puissent les travailleurs espagnols ne pas leur donner ce prétexte ! »

    De manière visionnaire, Friedrich Engels a vu l’importance de l’armée et son intervention systématique en faveur de la réaction, empêchant toujours l’avènement de la république bourgeoise elle-même.

    La bourgeoisie, arrivant tard, craint la révolution sociale et bascule, de fait comme en Allemagne, aisément dans le camp de la réaction, fut-il féodal et clérical. C’est précisément cette situation qui est au cœur de la guerre d’Espagne.

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  • Sans l’Édit de Nantes, il n’y avait plus d’État

    La révolution française était ainsi sur le plan du contenu bien plus proche d’Henri IV, de par les forces sociales en action. Le grand paradoxe est que le protestantisme fut utilisé pour moderniser l’appareil d’État, contre les forces anciennes de la féodalité, mais que le protestantisme fut abandonné par pragmatisme.

    Henri IV se plaçait clairement au-dessus des religions et il ne reconnaissait leur existence que dans une logique pratique. En ce sens, il annonce absolument Richelieu. Il développe l’économie politique de la monarchie absolue et il contribue à donner à la culture politique française le culte du sens politique, du « flair ».

    Le catholicisme était, en tout cas, clairement pour qu’Henri IV bascule dans la répression sanglante des protestants. La pression catholique en faveur du massacre des protestants ne cessera jamais. En ce sens, l’Édit de Nantes n’a été qu’un compromis temporaire, qui n’a jamais été accepté par l’Église catholique.

    La suppression des protestants n’aura pourtant pas lieu, pour toute une période, le développement de la monarchie absolue stabilisant le régime pour quatre-vingt ans. Ce n’est que quand la monarchie absolue atteindra son apogée que le protestantisme sera supprimé, comme toutes les forces sociales s’opposant au pouvoir royal, à l’État forgé depuis François Ier.

    Il en ira ainsi plus d’une logique de modernisation étatique que d’une volonté de rendre catholique tout le pays, même si justement l’unité catholique, en même temps, correspond aux attentes d’unification complète de la monarchie absolue.

    Il ne faut donc pas s’étonner que le catholicisme a toujours cherché à provoquer les événements, comme avec le fameux assassinat d’Henri IV, le 14 mai 1610, par François Ravaillac. Il fut présenté comme ayant agi seul, mais cela participe au minimum à toute une tendance catholique ultra. Il y eut d’ailleurs pas moins de 18 tentatives d’assassinat contre Henri IV.

    Comment s’étonner de cela, alors qu’en juin 1591, les bulles papales affichées sur Notre-Dame de Paris affirmaient « l’excommunication contre les prélats, les nobles et les gens du Tiers qui s’obstineraient à rester fidèles à l’hérétique ».

    Le catholicisme, en tant que force féodale de la première période, celle de l’âge roman puis de l’âge gothique, ne pouvait que craindre la force féodale de la seconde période, la monarchie absolue.

    La monarchie absolue était le processus inévitable, produit par le triomphe d’une faction féodale contre les autres, appuyée par le développement des échanges économiques, la formation d’un marché national, et donc d’une bourgeoisie nationale.

    L’Édit de Nantes ne fut donc pas l’expression subjective de la monarchie absolue tendant à affirmer l’unité culturelle au-delà des religions. Il faut se tourner vers l’Inde, avec Ashoka ou encore le Sul-e-Kuhl, pour voir la monarchie absolue essayer d’outrepasser les différences religieuses, dans un sens progressiste.

    Chez Henri IV, l’Édit de Nantes ne fut qu’une nécessité tactique. Les catholiques et les protestants se battaient pour l’État. Sans l’Édit de Nantes, il n’y avait plus d’État. Mais cet État ne pouvait être porté ni par le catholicisme réactionnaire, ni par le trop faible protestantisme. La monarchie absolue pouvait émerger, s’appuyant sur le plus fort, profitant du plus faible, pour unifier les territoires et faire entrer la France, nouvelle nation en tant que telle, dans une nouvelle étape culturelle.

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  • Henri IV, «un sage roi estant comme un habile apothicaire»

    Au moment de l’Édit de Nantes, le régime est pacifié, d’une manière telle que les esprits en sont durablement frappés. Dans son Théâtre d’agriculture et ménage des champs, Olivier de Serres y parle d’une population qui « demeure en sûreté publique, sous son figuier, cultivant sa terre, comme à vos pieds, à l’abri de Vôtre Majesté, qui a à ses côtés la justice et la paix ».

    Une formule d’Henri IV passa à la postérité, donnant de lui une image paternaliste, celle d’un souverain soucieux de son peuple :

    « Si Dieu me prête vie, je ferai qu’il n’y aura point de laboureur en mon royaume qui n’ait les moyens d’avoir le dimanche une poule dans son pot ! »

    Dans un ouvrage publié peu après la mort d’Henri IV, Les amours du Grand Alcandre, l’un de ses propos est rapporté de la manière suivante :

    « un sage roi estant comme un habile apothicaire qui, des plus meschans poisons compose d’excellens antidotes, et des vipères en fait de la thériaque. »

    Henri IV fait l’éloge du savoir-faire politique : lui-même fut protestant converti au catholicisme pour devenir roi, mais cela ne l’empêche nullement de mener la vie décadente typique des rois de la première période de la monarchie absolue. Dans une même veine pragmatique, n’ayant pas d’enfant, il annule son premier mariage, pour se remarier avec Marie de Médicis, la plus riche héritière en Europe à ce moment-là.

    Entourage de Toussaint Dubreuil  (1561–1602),
    Henri IV en Hercule terrassant l’hydre de Lerne

    La situation est tellement favorable à la monarchie absolue qu’Henri IV peut se permettre d’accélérer les travaux du Louvre, des châteaux de Saint-Germain et de Fontainebleau, contribuant à former un nouveau réseau de rues et de places pour Paris. Il est à l’origine du Pont Neuf, de la Place Royale, qui deviendra la place des Vosges, ainsi que de la place Dauphine, prévue pour être entourée de commerces aux rez-de-chaussée de blocs d’habitation.

    Il programma la fondation de plusieurs institutions telles qu’une bibliothèque à l’usage des savants ou une académie encyclopédique intégrant un jardin botanique et un théâtre d’anatomie. Il fait en sorte que les sculpteurs soient français, et non plus italiens.

    L’impact culturel fut de très grande ampleur et le plus grand symbole en est que le roman le plus célèbre du XVIIe siècle, l’Astrée, fut dédié par son auteur Honoré d’Urfé, à Henri IV, ce « grand Roi, la valeur et la prudence duquel l’a rappelé le Ciel en terre pour le bonheur des hommes ».

    Astrée est à l’époque une femme présentée avec des épis de blé dans les cheveux, une corne d’abondance dont sortent des fruits et des fleurs. On retrouve dans le roman la figure très symbolique d’Alcippe : père de Céladon qui est l’amant d’Astrée, il a passé une vie houleuse de chevalier errant avant de devenir berger et fermier, avec son « épée en coutre [fer du soc de la charrue] pour ouvrir la terre et non pas le flanc des hommes ».

    On a là le symbole de la pacification et du progrès permis par la monarchie absolue. Un autre exemple est Le Labyrinthe royal de l’Hercule Gaulois triomphant du jésuite André Valladier, qui présente en 1600 le triomphe à l’antique du roi. Henri IV est assimilé à son ancêtre Hercule – avec même une pseudo-généalogie fournie pour l’occasion – avec une épée oscillant entre une massue et le caducée de Mercure qui symbolise la paix.

    Le Labyrinthe royal de l’Hercule Gaulois triomphant 

    On ici l’établissement de la monarchie absolue de manière solide, et il est intéressant de voir comment ce redémarrage historique a pu être littéralement stylisé sous la forme d’un âge d’or pour l’économie, la paix et la tolérance.

    Ainsi, en 1723, Voltaire se lancera également dans un éloge d’Henri IV, avec un poème en dix parties intitulé La Henriade. Il fut dédié à la reine d’Angleterre Elisabeth, Louis XV yant refusé l’œuvre, tout en envoyant deux mille écus pour aider Voltaire.

    Après la révolution française, au moment de la restauration, la période royale d’Henri IV fut présentée comme un âge idéal, comme un contre-modèle en apparence, puisque l’économie et la tolérance étaient également des valeurs au cœur des Lumières et de la révolution française.

    A cet effet, une chanson du XVIe siècle fut reprise, son texte modifié. La mélodie provient d’un chant populaire de Noël et à une danse appelée « Les Tricotets ». Voici le texte original de la chanson connue sous le nom de « Vive Henri IV » :

    « Vive Henri quatre
    Vive ce Roi vaillant
    Ce diable à quatre
    A le triple talent
    refrain
    De boire et de battre
    Et d’être un vers galant
    De boire et de battre
    Et d’être un vers galant

    Au diable guerres
    Rancunes et partis
    Commes nos pères
    Chantons en vrais amis
    refrain
    Au choc des verres
    Les roses et les lys
    Au choc des verres
    Les roses et les lys

    Chantons l’antienne
    Qu’on chant’ra dans mille ans
    Que Dieu maintienne
    En paix ses descendants
    refrain
    Jusqu’à c’e qu’on prenne
    La lune avec les dents
    Jusqu’à c’e qu’on prenne
    La lune avec les dents

    Vive la France
    Vive le roi Henri
    Qu’à Reims on danse
    En disant comme Paris
    refrain
    Vive la France
    Vive le roi Henri
    Vive la France
    Vive le roi Henri »

    Voici le texte de la chanson à la restauration :

    « Fils d’Henri quatre,
    O Louis ! ô mon Roi !
    S’il faut se battre,
    Nous nous battrons pour toi ;
    En vrai diable à quatre,
    Je t’en donne ma foi.

    Vive Alexandre !
    C’est l’ami des Bourbons ;
    C’est pour nous rendre
    Un roi que nous aimons,
    Qu’il vient nous défendre,
    Avec ses escadrons.

    Bon Roi de France,
    Si longtemps attendu,
    La Providence
    Enfin nous a rendu
    La paix, l’espérance,
    Cela nous est bien dû.

    Toi, d’Angoulême,
    Fille de tant de Rois ;
    La vertu même.
    Mille échos, mille voix
    Disent que l’on t’aime
    Comme on aime d’Artois.

    Chant d’allégresse,
    Chant du coeur, chant d’amour,
    Redis sans cesse,
    Et redis nuit et jour
    Que dans notre ivresse
    Nous chantons leur retour. »

    Des vers furent également ajoutés en l’honneur de Louis XVIII :

    « Du fils de France
    Sur nous l’étoile luit ;
    C’est la clémence
    Qui vers nous le conduit :
    La paix le devance,
    Et le bonheur le suit.

    A ce bon maître
    Notre cœur appartient,
    Pour nous soumettre,
    Par l’amour il nous tient.
    Henri va renaître
    Dès que Louis revient.

    Elle est tarie
    La source des malheurs.
    O ma patrie !
    Mets fin à tes douleurs ;
    La main de Marie
    Vient essuyer tes pleurs.

    Comme Antigone,
    Doux appui de son Roi,
    Loin de son trône
    Elle bannit l’effroi.
    Du Dieu qui la donne,
    France, bénit la loi. »

    Ces paroles sont très hypocrites, puisque la restauration mettait en avant une monarchie autocratique fondamentalement liée au catholicisme, dans un esprit ultra-réactionnaire. Henri IV mettait quant à lui en avant une monarchie absolue dont le cœur est politique et dont la base sert en pratique précisément la bourgeoisie.

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  • Maximilien de Béthune, duc de Sully

    La question du pouvoir d’État était bien entendu fondamentale, au-delà des réformes économiques, même si bien sûr les deux sont dialectiquement liées puisque Henri IV apparaît comme celui qui historiquement doit résoudre la crise de croissance de la monarchie absolue.

    Une figure essentielle fut ici le protestant Maximilien de Béthune, duc de Sully (1559-1641), qui fut extrêmement proche d’Henri IV et dont une phrase est ici très connue :

    « Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée, les vraies mines et trésors du Pérou. »

    On a là une logique qui est celle, non pas de la colonisation féodale comme menée par l’Espagne en Amérique, mais de la valorisation des richesses nationales. Ici, on a une démarche typiquement protestante et on ne sera guère étonné que des capitaux venus des Pays-Bas, place-forte du capitalisme et du protestantisme, furent utilisés pour assécher une partie du marais poitevin, au moyen d’ingénieurs flamands protestants réfugiés.

    Maximilien de Béthune (1559-1641), duc de Sully,
    peinture de l’école française du XVIe siècle

    Sully fit en sorte d’unifier le marché national, en supprimant une quantité importante de péages, en permettant la liberté du commerce des grains, en organisant un réseau de voies de communication, notamment par des canaux tel que celui de Briare reliant la Seine à la Loire. À ce titre, il était grand voyer de France : responsable des routes, il organisa leur réfection et fit planter des ormes aux bords des routes en prévision des besoins de la marine.

    Car Sully s’occupait également des questions militaires. Surintendant des fortifications et grand maître de l’artillerie de France, il se chargea de cumuler les armes et munitions dans l’arsenal, ainsi que de fortifier les défenses aux frontières. Lui-même avait participé auparavant à toutes les batailles protestantes, étant plusieurs fois blessé.

    C’est à ce titre que Henri IV lui confia ses responsabilités, ayant une totale confiance en lui, le nommant également surintendant des finances, pour surveiller les comptes.

    On est ici tellement dans une démarche d’appareil d’État que, alors qu’il était protestant lui-même, Sully conseilla à Henri IV de se convertir au catholicisme et joua un rôle pour convaincre des responsables catholiques de la Ligue de soutenir le pouvoir royal.

    Oeconomies d’Estat, oeuvre de 1639 de Sully

    C’est là particulièrement significatif du rôle joué par Henri IV. De fait, ce dernier mit au pas les institutions ayant profité de la guerre des religions pour s’émanciper du pouvoir royal : les échevinages, les états provinciaux, les cours souveraines, les corps intermédiaires, des collèges d’officiers, des assemblées d’ordre.

    Il fit également en sorte de se procurer des revenus en modifiant le statut de la « noblesse de robe », c’est-à-dire les postes administratifs permettant de s’intégrer aux institutions. L’hérédité des offices ne fonctionnait qu’avec une résignation quarante jours auparavant ; une taxe annuelle valant le soixantième de la valeur de l’office permit d’outrepasser cela.

    Cela rapporta un million de livres, notamment avec un groupe de financiers protestants. De 1596 à 1635, le prix moyen d’une charge de conseiller au parlement de Paris passa de 10 000 à 120 000 livres.

    Henri IV fit en sorte de briser les rapports de soumission au sein de l’aristocratie, qui formaient un clientélisme opposé à la monarchie absolue. Il arracha aux gouverneurs les pouvoirs non militaires, c’est-à-dire politiques, financiers et judiciaires. Il plaça ses hommes dans les places fortes les plus importantes.

    Il retira au connétable le commandement des armées, ainsi qu’au colonel général de l’infanterie, Jean-Louis de Nogaret, duc d’Epernon, le choix et la promotion d’une partie des officiers.

    Frans Pourbus le Jeune  (1569–1622),
    Buste de Henri IV portant la croix du Saint-Esprit

    La haute noblesse tenta de saboter le processus, ce qui exigea des réponses militaires. Une opération fut également menée en 1605 dans le Limousin contre les vassaux du duc de Bouillon, puis contre ce dernier à Sedan, où une garnison royale s’installe en 1606.

    Mais c’est surtout en 1602 la conjuration de l’un de ses proches, Charles de Gontaut, duc de Biron, pair et maréchal de France, appuyé par l’Espagne, qui eut le plus de retentissement.

    Le pape fut très inquiet de cette opération de déstabilisation réalisée alors que la monarchie absolue semblait revenue pour de bon dans le giron catholique. Il dénonça vivement le duc de Biron – qui fut exécuté à la Bastille – et l’Espagne fut critiquée par un rapprochement avec la France.

    C’était là un coup de maître politique, renforçant la monarchie absolue mais montrant bien le caractère relatif de l’édit de Nantes.

    Dès 1603, Henri IV autorise le retour des jésuites en France ; le Vatican, de son côté, accorde une dispense de consanguinité à la soeur d’Henri IV, Catherine de Bourbon qui est protestante, reconnaissant son mariage avec le duc de Bar, fils du duc de Lorraine et catholique.

    En 1604, le cardinal Del Bufalo, nonce en France, intervient comme intermédiaire entre la France et l’Espagne pour en terminer avec une guerre des tarifs. Henri IV fit don en 1604 de l’abbaye de Clairac, le Vatican plaçant en 1608 une statue d’Henri IV sous le porche de la cathédrale de Rome. Entre-temps, en 1605, c’est le cardinal de Florence, pro-francais, qui devient le pape Léon XI.

    La monarchie absolue dépassait sa crise, relançant le processus de son affirmation comme plus haut développement de la féodalité, permettant à la nation d’exister par le marché et par là renforçant la bourgeoisie.

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  • L’Édit de Nantes et le renforcement du marché national

    L’Édit de Nantes fut le point de départ du rétablissement de l’ordre royal, ce qui signifie pour la population principalement la remise en ordre de l’agriculture, et pour la bourgeoisie la possibilité de produire et de commercer.

    Ce rétablissement de l’ordre, à ce moment de l’histoire de France, signifie le renforcement de la base nationale, par le renforcement du marché national s’étant développé et ayant permis à François Ier d’apparaître comme figure historique.

    La guerre des religion en France apparaît historiquement non pas comme une crise propre à la féodalité comme ce fut le cas dans les vastes guerres hussites et les luttes de classes immenses qu’elles exprimaient, mais comme une crise de croissance propre à l’émergence de la monarchie absolue.

    Henri IV et la famille royale : son épouse Marie de Médicis et ses quatre enfants Louis XIII, Élisabeth, Christine et Monsieur d’Orléans.

    Les guerres hussites sont apparues au début du processus d’émergence de la monarchie absolue, les guerres de religion en France à la fin de celui-ci.

    La tâche historique d’Henri IV est la remise en place de la base ayant permis les avancées jusqu’à présent, que la guerre de religion, telle une crise de croissance, avait troublées.

    L’économie tournait, en effet, au ralenti en raison des guerres de religion, des brigands qui profitaient massivement de la situation, de la peste bubonique notamment dans les villes en Picardie et en Champagne. L’autodéfense paysanne face aux brigands pouvait également se tourner contre l’aristocratie ou le pouvoir royal, s’opposant par la force aux impôts.

    L’une des mesures les plus importantes fut une décision de mars 1595 faisant qu’on ne pouvait plus confisquer aux laboureurs endettés la culture, les animaux et les instruments. C’était là une logique relevant d’une conception indéniablement calviniste du travail, une mesure similaire étant préconisée par Jean Calvin.

    En 1596, Henri IV décida également l’abandon de la perception des années de tailles échues, ce qui fut répété jusqu’en 1599, alors que la taille annuelle vit son taux s’abaisser.

    Henri IV profita ici de l’activité menée par le protestant Barthélemy de Laffemas (1545-1612), auteur d’un mémoire pour dresser les manufactures et ouvrages du royaume, ainsi que de nombreux écrits sur le sujet, dont les titres sont éloquents, comme par exemple :

    « Source de plusieurs abus et monopoles qui se sont glissez et coulez sur le peuple de France, depuis trente ans ou environ, à la ruyne de l’Estat, dont il se trouve moyen par un règlement général d’empescher à l’advenir tel abus, présenté au Roy et à nosseigneurs de l’assemblée » (1596)

    « Reiglement général pour dresser les manufactures en ce royaume et couper le cours des draps de soye et autres marchandises qui perdent et ruynent l’État. Avec l’extraict de l’advis que MM. de l’Assemblée tenue à Rouen ont baillé à S. M., que l’entrée de toutes sortes de marchandises de soye et laines manufacturées hors ce royaume, soient deffendues en iceluy. Ensemble le moyen de faire les soyes par toute la France » (1597)

    « Les Trésors et richesses pour mettre l’Estat en splendeur et monstrer au vray la ruine des François par le trafic et négoce des estrangers » (1598)

    « VIIe traicté du commerce, de la vie du loyal marchand, avec la commission du Roy, et bien qu’il faict aux peuples et royaumes » (1601)

    « La Façon de faire et semer la graine de meuriers, les eslever en pepinieres, & les replanter aux champs : gouverner & nourrir les vers à soye au Climat de la France, plus facilement que par les memoires de tous ceux qui en ont escript » (1604)

    « La Ruine et disette d’argent, qu’ont apporté les draps de soyes en France, avec des raisons que n’ont jamais cogneu les François, pour y remédier » (1608)

    Contrôleur général du commerce, Barthélemy de Laffemas organisa la commission du commerce, de 1601 à 1604 et développa le principe de chambres par métiers. Furent également mises en place des manufactures, des verreries, des tissages de toiles et de soieries, afin d’éviter les importations.

    Le parcours de Barthélemy de Laffemas est très parlant de la manière dont Henri IV a su s’entourer de gens lui devant tout. Barthélemy de Laffemas vient en effet d’un milieu pauvre : il dut quitter le Dauphiné pour devenir tailleur en Navarre. Le futur Henri IV le prend alors sous son aile et il devient chaussetier des écuries, tailleur-valet de chambre, puis marchand de l’argenterie, Henri IV le tirant d’affaires par la suite avec ses créanciers.

    Dans la même perspective de mise en place d’une économie politique propre à la monarchie absolue, il y a l’étude du protestant Olivier de Serres (1539-1619), intitulée Théâtre d’agriculture et ménage des champs, synthèse de plus de mille pages de ses expériences, et divisée en huit parties :

    « Du devoir du mesnager, Du labourage des terres, De la culture de la vigne, Du bétail à quatre pieds, De la conduite du poulailler, Du jardinage, De l’eau et du bois, De l’usage des aliments »

    Olivier de Serres

    Originaire du sud de la France, Olivier de Serres se plaçait en pratique dans la démarche de l’empirisme, du matérialisme. Il fit de sa ferme du Pradel un lieu d’expérimentation afin d’arriver à une ferme modèle, créant notamment un canal d’irrigation d’un kilomètre. Il introduit le houblon, le maïs, la garance. Il tente d’extraire le sucre de la betterave et diffuse des connaissances précises sur la culture des vignobles.

    L’ouvrage fut diffusé aux frais du roi lui-même qui poussait des grands marchands à soutenir cette perspective. Il y aura 19 rééditions de l’ouvrage de 1600 à 1675, avant que l’ouvrage ne disparaisse jusqu’à la révolution française en raison du protestantisme de son auteur.

    Furent alors tentés l’élevage du mûrier et l’élevage du ver à soie à Paris, Orléans, Tours et Lyon, réussissant au Languedoc et au Dauphiné. 20 000 pieds de mûriers sont plantés aux Tuileries et 10 000 à Saint-Germain-en-Laye, quatre millions de plants sont cultivés en Provence et Languedoc. Henri IV fit même ordonner en 1602 que chaque paroisse possède une pépinière de mûriers et une magnanerie, c’est-à-dire un élevage de vers à soie.

    L’objectif était de donner naissance, par en haut, à une industrie de soieries, de draps d’or et d’argent, qui dispose immédiatement d’appuis systématiques, notamment par le statut de monopole dans ce secteur. Dans une même logique, Henri IV entendait créer des compagnies pour les Indes orientales et occidentales.

    C’était une offensive tous azimuts pour le renforcement du marché national.

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  • La signification de l’Édit de Nantes

    L’Édit de Nantes est promulgué le 13 avril 1598. Il a fallu deux années de négociation pour arriver un texte acceptable ou tout au moins relativement gérable par le pouvoir royal, aux dépens des factions catholique et protestante.

    Trente années de troubles provoqués par d’incessantes guerres de religion et d’influences extérieures imposaient au pouvoir royal, pour se maintenir, de stabiliser à tout prix la situation, au moins pour un temps. La dimension nationale l’emporterait : en pratique, c’est sur la bourgeoisie que mise la monarchie absolue.

    L’Édit de Nantes est donc censé être « perpétuel et irrévocable » : en pratique il est évidemment un simple moment de stabilisation des rapports de force.

    Il consiste en 95 articles publics, 56 articles secrets, ainsi que deux brevets. L’Édit de Nantes ne reconnaît en pratique que le catholicisme comme religion officielle, le protestantisme est désigné par l’expression catholique de « religion prétendument réformée ».

    Les protestants sont ainsi seulement tolérés et ils doivent payer la dîme. Afin de les pousser à accepter l’Édit, des acquis sociaux leur sont fournis, comme l’accession théorique à tous les emplois, des postes d’officiers dans certains parlements lorsqu’il est traité des protestants.

    L’Édit de Nantes 

    On a là un aboutissement d’un processus ayant consisté en la multiplication d’Édits. On a un mouvement de balancier : à l’acceptation suit un recul puis une interdiction, le tout recommençant. Encore s’agit-il des décisions officielles, plus ou moins inappliquées.

    Le premier Édit, celui de Saint-Germain en janvier 1562, permettait la liberté de conscience et la liberté de culte en dehors des villes closes. En avril 1562 le tout est suspendu, puis rétabli à ceci près que l’Édit d’Amboise en mars 1563 limitera ensuite énormément la liberté de culte.

    En mars 1568 la paix de Longjumeau ramène une marge de manœuvre pour les protestants, mais l’Édit de Saint-Mauren septembre 1568 rétablit la répression. En août 1570 la paix de Saint-Germain est favorable au protestantisme, mais on va alors vers la Saint-Barthélemy en 1572.

    À ce moment-là, la question militaire s’associe à celle de la liberté de culte. Les protestants obtinrent à partir de là des « places de sûreté », par exemple avec l’Édit de Boulogne en 1573. Elles furent toujours au nombre de quatre : La Rochelle et Montauban, ainsi que Cognac et La Charité, puis Nîmes et Sancerre.

    Par la suite, la « paix de Monsieur » en mai 1576, avec l’Édit de Beaulieu, leur nombre passa à huit.

    La situation était celle d’une formidable avancée pour les protestants : la liberté de culte était générale sauf à Paris et dans les résidences royales, liberté de conscience, réhabilitation et indemnisation des victimes de la Saint-Barthélemy, accession possible à tous les emplois y compris militaires, chambres à parties égales pour garantir l’équité dans la justice, grâces et faveurs pour les chefs protestants. Dès octobre 1577 toutefois, l’Édit de Poitiers restreint la liberté de culte prévue.

    Le traité de Nérac en février 1579 maintient le statu quo, mais le nombre de places de sûreté passe à 16, pour six mois. La Paix de Fleix, en novembre 1580, prolonge ce traité de six ans.

    Avec l’Édit de Nantes, les protestants voient leur culte autorisé de manière relative : seulement là où il était pratiqué à la fin d’août 1597, ainsi que dans deux villes par bailliage et chez les seigneurs hauts justiciers.

    Afin de gagner la direction protestante, les synodes provinciaux et nationaux sont reconnus, et les accords secrets accordent des garanties militaires. 150 lieux de refuges sont reconnus, dont 51 places de sûreté, avec des garnisons et des gouverneurs protestants payés par le roi.

    Ces accords secrets sont d’ailleurs accordés par le roi lui-même et ainsi non pas soumis à l’enregistrement des cours souveraines.

    L’évolution de la situation à la fin du XVIe siècle,
    par le Musée Virtuel du Protestantisme

    Militairement, la sécurité des protestants semblait enfin relativement assurée. Cependant, l’approche est d’une certaine manière une erreur grossière. Ce qui semble un avantage est en effet ici problématique, car cela signifie qu’on est là dans une logique pragmatique, qui contourne l’opinion publique.

    La bataille pour celle-ci est à la base même oubliée. Les protestants se posent comme force à la marge, négociant des avantages spécifiques, avec à l’esprit seulement les questions pratiques à court terme : politiquement c’est un désavantage.

    D’ailleurs, Henri IV va mettre deux années pour que chaque parlement existant en France finisse par reconnaître l’Édit. Les assemblées du clergé ne cesseront, année après année, d’appeler à supprimer «l’hérésie ». Quant à la monarchie absolue, elle prend les choses comme elles sont, et si le catholicisme est majoritaire et que le pape lâche du lest, alors le choix est rapidement fait.

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  • La dernière conversion d’Henri IV

    Ayant installé son gouvernement en Touraine après l’échec de la prise de Paris, Henri IV parvient à lancer une offensive militaire et à écraser la Ligue à Ivry en mars 1590. La question nationale, permise dans son existence même par la monarchie absolue, va alors se poser dans toute son ampleur.

    Henri IV dans les années 1590

    Le soutien espagnol provoque un trouble certain sur le plan de la conscience nationale, qui saisit que l’éventuel succès de la Ligue renforcerait l’Espagne aux dépens de la France, voire briserait la France, en renforçant la féodalité de type médiéval.

    Joue ici un rôle important la publication d’un accord secret signé à Joinville, dit de la « Sainte Ligue », entre l’Espagne et la Ligue, et la révélation que le roi d’Espagne avait tenté de placer sur le trône français plusieurs personnes : sa propre fille, son frère qui était un archiduc autrichien, le cardinal de Bourbon (oncle de Henri IV), etc.

    La Ligue elle-même en arrive à se diviser en deux, le comité gérant Paris étant décapité au bout d’un affrontement entre une tendance catholique ultra et une tendance bourgeoise plus mesurée.

    Dans ce contexte d’enjeu national, les parlements existant en France alors se divisent de plus en plus et Henri IV obtient un appui toujours plus grand, dans la mesure où il relève de l’option nationale. C’est précisément à ce moment là que Henri IV fait annoncer par l’archevêque de Bourges qu’il va devenir catholique.

    C’est une option pragmatique qui fait littéralement basculer dans le camp de la monarchie absolue des pans entiers du catholicisme, justement en raison de la base nationale.

    Henri IV abjure le protestantisme en juillet 1593, lors d’une cérémonie publique à Saint-Denis. Il rentre dans l’église, l’archevêque lui demande qui il est, Henri IV répond « Je suis le roi ! »

    S’ensuit le dialogue suivant, Henri IV s’agenouillant sur un carreau présenté par le cardinal :

    « – Que demandez-vous ?

    – Je demande être reçu au giron de l’Eglise catholique, apostolique et romaine.

    – Le voulez-vous ?

    – Oui, je le veux et je le désire. Je proteste et jure, devant la face du Dieu tout puissant, de vivre et mourir en la religion catholique, apostolique et romaine, de la protéger et défendre envers tous, au péril de mon sang et de ma vie, renonçant à toutes hérésies contraires à ladite Église. »

    Nicolas Baullery  (–1630),
    L’abjuration d’Henri IV, le 25 juillet 1593,
    en la basilique de Saint-Denis

    Henri IV est couronné Roi de France en février 1594 à Chartres, à défaut d’avoir pu aller à Reims qui était sous le contrôle de la Ligue catholique. Enfin, le pape Clément lui accorde l’absolution au bout d’un certain temps, en novembre 1595. Henri III fut alors le dernier de la maison des Valois, Henri IV le premier de la maison des Bourbons.

    Armoiries du roi Henri IV

    Henri IV apparaît donc comme quelqu’un possédant la légitimité générale et il rassemble au fur et à mesure des troupes pour vaincre la présence espagnole : d’abord lors de la bataille de Fontaine-Française qui libère la Bourgogne, en juin 1595, ensuite et surtout dans le siège d’Amiens qui dura six mois avec également une contre-offensive espagnole, en 1597.

    L’Espagne est alors battue, étant également à bout de ressources (elle n’a par ailleurs que 8 millions d’habitants, contre 20 pour la France) ; le traité de paix franco-espagnol est signé à Vervins en mai 1598 et la France retrouve ses frontières de 1559, revenant au premier plan.

    Restent les problèmes franco-français, liés à l’influence espagnole et au catholicisme ultra. Henri IV engage des négociations avec les trente villes de la Ligue, avec qui furent faits des accords un par un.

    Portrait équestre de Henri IV (1553-1610),
    roi de France, XVIe siècle

    Bordeaux, par exemple, vit ses privilèges renouvelés en 1591 : le maire et les jurats disposent de la garde et des clefs de la ville, ainsi que des tours aux portes de celle-ci. On trouve la même question des tours dans le traité concernant la ville de Lyon, où l’on peut lire : « Que le Roy ne batiroit jamais de citadelles en leur ville, que dans leurs coeurs et bonnes volontez ».

    La ville de Lyon obtient de ne pas avoir à entretenir de garnison royale, de conserver ses privilèges pour les foires, les manufactures de soie et de draps d’or et d’argent, d’être exemptée de tailles, de bans et d’arrière-bans, etc.

    Mais surtout, Henri IV procède à la corruption, qui a un coût massif : 32 millions de livres, pas moins d’une année d’impôts ! Et encore s’agit-il d’un chiffre qui ne tient pas compte des articles secrets, ni de la distribution de postes richement rémunérés.

    L’entrée à Paris fut par exemple achetée 1 million 695 mille livres et une charge de maréchal au comte de Brissac. Le marquis de Vitry fut acheté 168 890 livres, à quoi s’ajoutent une charge de capitaine des gardes et le gouvernement de Meaux, le duc de Mercoeur fut acheté deux millions de livres !

    Et c’est justement en se rendant à Nantes au printemps 1598 pour signer l’accord avec le duc de Mercoeur que Henri IV va pouvoir alors officialiser le fameux Édit. Il lui fallait en effet trouver un terrain d’entente avec les protestants.

    Il avait fait un premier pas, extrêmement restreint, en juillet 1591, avec l’Édit de Mantes rétablissant l’Édit de Poitiers de 1577, accordant de faibles droits aux protestants. Il fallait cette fois à Henri IV aller plus loin.

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  • Catholicismes pro-espagnol et politique au moment de l’Édit de Nantes

    Successeur de Henri III, Henri de Navarre procède par étapes. Tout d’abord, il lui faut trouver un terrain d’entente avec le pape et les catholiques, tout en contournant la faction catholique française alliée au roi d’Espagne. C’est la seule possibilité de rétablir une stabilité politique et économique relative, et par là relancer le processus de monarchie absolue.

    Cela passe par l’écrasement immédiat des forces royalistes partisanes d’une option catholique, commandées par Anne de Joyeuse (1560-1587) et battues à la bataille de Coutras, en octobre 1587.

    Anne, duc de Joyeuse (1560-1587), tiré de Portraits dessinés de la Cour de France, XVIe siècle

    Pour montrer les rapports étroits entre toutes ces figures, une anecdote est ici assez exemplaire. Il s’avère que Henri III avait confisqué une bague avec un diamant et un rubis rouge à Marguerite de Valois, la future femme d’Henri IV. La raison en fut que celle-ci accusait Anne de Joyeuse d’interférence dans la politique royale. La bague fut remis Anne de Joyeuse, le plus important des « mignons ».

    Ce terme désigne des personnes extrêmement proches du roi, des « favoris », qui ont le droit de s’habiller comme lui, voire de coucher dans la même chambre ou encore le même lit. On a là un « raffinement » en fait décadent : les courtisans autour du roi se poudrent, se frisent les cheveux, portent des boucles d’oreille, de la dentelle, de grandes fraises. 

    Le peintre romantique Charles Durupt les présente, de manière provocatrice, en les montrant regarder dédaigneusement le cadavre du duc de Guise, chef des catholiques, assassiné.

    Représentation du 19e siècle de la mort de Henri de Guise : Charles Durupt (1804-1838), Henri III poussant du pied le cadavre du duc de Guise

    On a ici des mœurs décadentes – rejetées tant par les factions catholique que protestante – qui montrent bien à quel point la monarchie était à un tournant.

    Avec ce statut de « mignon », Anne de Joyeuse était le gardien des chambres royales : il avait le droit de porter les couleurs royales. Lui-même était marié avec Marguerite de Lorraine, une demi-soeur de la reine, le couple recevant à l’occasion du mariage 300 000 écus et Anne de Joyeuse la seigneurie de Limours, alors que le vicomté de Joyeuse fut érigé en duché-pairie avec préséance sur tous les autres ducs et pairs excepté les princes du sang.

    Par la suite – il n’a alors que 21 ans – il devient grand-amiral de France. Partisan acharné de la cause catholique – il est ainsi notamment à l’origine du « massacre de Saint-Eloi » coûtant la vie à 800 protestants en 1587 à La Mothe-Saint-Héray – il représentait un tendance monarchiste catholique relativement légitimiste.

    Tentant de renforcer la faction catholique ainsi que la faction catholique royale, il se lance dans la bataille anti-protestante. Capturé lors de la bataille de Coutras, il est exécuté en punition du massacre de Saint-Eloi, malgré sa proposition d’une rançon de 100 000 écus.

    Bataille de Coutras, gravure coloriée de Frans Hogenberg (1535-1590)

    Politiquement, c’était une figure importante qui était éliminée. Sa défaite était capitale pour Henri IV, sa disparition un avantage indéniable.

    Cela forçait le camp catholique à se présenter comme tel, hors continuité monarchique directe, et cela donnait de l’espace à ceux qui furent alors appelés les « politiques ».

    Il s’agissait d’une fraction catholique légitimiste, maintenant l’accent sur le pouvoir royal et la stabilité étatique, portée notamment le duc d’Alençon, le prince de Condé, le maréchal de Montmorency, avec comme principal théoricien Jean Bodin, auteur en 1576 des Six livres de la République.

    Elle profitait d’un large courant d’idée appelant à se focaliser sur l’État plus que sur la religion. Telle était la démarche du chancelier Michel de L’Hospital, l’avocat au Parlement de Paris Étienne Pasquier auteur en 1561 de l’Exhortation aux princes (1561), le juriste Guy Coquille, l’avocat général au Parlement de Toulouse Pierre de Belloy, les protestants François de La Noue et Guillaume du Bartas.

    Une œuvre représentative de ce courant fut celle signée d’un collectif de bons citoyens « demeurés français en politique et gallicans en religion », la Satyre Ménippée : de la Vertu du Catholicon d’Espaigne et de la tenuë des estats de Paris, en 1583.

    De la Vertu du Catholicon d’Espaigne et de la tenuë des estats de Paris, dans une édition tardive (1711)

    Le courant catholique légitimiste représentait donc pour Henri IV un souci, mais nullement une priorité. Il fallait battre surtout la Ligue catholique, commandée par le duc de Mayenne qui avait succédé aux Guise assassinés. Celui-ci mène immédiatement une campagne militaire pour écraser Henri IV, mais ce dernier parvient à lui échapper, puis à obtenir une première victoire à Arques en septembre 1589.

    Il tente alors de prendre Paris, mais échoue : des troupes espagnoles aident les villes de Paris et de Rouen (qui est à ce moment le premier port français) à faire face aux sièges menés par Henri IV.

    C’est là un moment clef, le tournant. Henri IV va profiter de la base formée par la monarchie absolue pour réaliser sa propre mise en valeur en tant que dirigeant de la bataille anti-espagnole, forçant de larges courants catholiques à basculer dans son camp, à faire de l’unité française une priorité, au-delà de la question religieuse.

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  • Avec Henri IV, Une équipe de protestants pour la modernisation du pays

    La question n’est donc nullement le simple rapport catholicisme – protestantisme. Il faut bien avoir à l’esprit qu’on est déjà dans une situation où la féodalité de l’ancien Moyen-Âge disparaît. La monarchie absolue est déjà présente en grande partie. C’est la raison pour laquelle les états généraux n’ont pas été convoqués de 1484 à 1560.

    Le régime est déjà centralisé, et se forge un appareil d’État qu’il lui faut assumer. La création de postes administratifs rémunérés mais exigeant un prix d’entrée provoque une explosion des salaires à payer : on passe de 1,2 millions de livres par an à cinq millions en 1585.

    Si l’on met de côté le protestantisme de la partie sud de la France qui est lié pour beaucoup aux notables ayant des velléités d’autonomie, les protestants apparaissent ici comme l’expression la plus moderne, la plus intellectuelle du courant culturel porté par la monarchie absolue. Le protestantisme est une religion de gens cultivés, de bourgeois c’est-à-dire de marchands et de commerçants dont l’activité a donné naissance aux bourgs, ainsi que d’artistes et d’intellectuels.

    Au départ du protestantisme français, on ne trouve peu ou pas de gentilshommes, même si Catherine de Bourbon, sœur du roi, fait partie initialement des protestants, avant son mariage forcé avec un prince lorrain ultra catholique.

    La force du protestantisme tient véritablement aux figures les plus cultivées, les plus intellectuelles du pays. Pour cela il faut regarder ce qui se passe à Paris, car elles ont réussi à se lier au pouvoir royal qui, quittant la féodalité du Moyen-Âge, se modernise, formant les bases de l’État moderne.

    Les 15 000 protestants parisiens ne forment que 1/20 de la population, mais ils sont très liés au pouvoir royal. Il y a même des cérémonies religieuses de 1500 personnes dans la salle des Cariatides du Louvre, avant que ne s’installent des temples à la périphérie parisienne : à Grigny, puis à Ablon et enfin à Charenton, toujours plus proche de la capitale, dans le dernier cas, la Seine servant de moyen de transport.

    Les protestants parisiens sont souvent fonctionnaires royaux, ou bien fournisseurs royaux. On les retrouve dans l’entourage le plus proche du roi, le plus connu d’entre eux étant le duc de Sully, Maximilien de Béthune, lors du règne d’Henri IV. Mais on a également le secrétaire de la Chambre des finances Nicolas de Rambouillet, le trésorier général de France Claude Hérouard, le trésorier général de la cavalerie légère Jean du Jon, le trésorier général de la Maison de Navarre (et par ailleurs banquier) Gédéon Tallemant, le contrôleur général du commerce Barthélemy Laffemas.

    On retrouve ici un aspect économique évident et il est significatif qu’un catholique important qui se convertisse soit Gilles de Maupeou, l’intendant des finances (et grand-père de Nicolas Fouquet). On retrouve des cas similaires avec le maître des comptes Antoine Le Maistre ou encore le maître de forges et auteur du Traité de l’économie politique Antoine de Montchrestien.

    Les arts et techniques sont également largement présents. Le peintre Jacob Bunel décora les Tuileries, dont la galerie fut terminée par l’architecte Jacques Androuet du Cerceau. Le neveu de celui-ci, Salomon de Brosse, fut également architecte et il est notamment à l’origine du palais du Luxembourg, du Collège de France, de la grande salle du Palais de Justice.

    Parmi les autres figures artistiques, on a les poètes Théodore Agrippa d’Aubigné et Guillaume du Bartas, les sculpteurs Ligier Richier et Jean Goujon, le céramiste Bernard Palissy,

    On a aussi le musicien Claude Goudimel, l’ingénieur Jean Erard qui travailla dans les fortifications, Salomon de Caus qui fut hydraulicien (auteur de Raison des forces mouvantes), s’occupa des jardins de Louis XIII et travailla à installer à Paris des fontaines et à enlever les boues, alors que le médailleur Philippe Danfrie et Guillaume Dupré furent directeurs de la monnaie et s’occupaient des effigies royales.

    L’orgue automatique hydraulique de Salomon de Caus, d’après le Hortus Palatinus (1621)

    Ce protestantisme est d’un haut niveau intellectuel, la monarchie absolue ne peut pas se passer de lui. Toutefois, ce protestantisme est faible numériquement, alors que le catholicisme est majoritaire et agressif au possible. Telle est la situation à laquelle fait face Henri IV.

    Il a besoin d’une équipe de protestants pour la modernisation du pays, mais le pays n’est pas prêt à l’admettre. L’Édit de Nantes va être un moyen politique de dépasser cette contradiction – aux dépens historiquement du protestantisme, et privant la France ici d’une grande partie de sa dimension progressiste.

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  • Henri III et Henri IV

    Le matérialisme dialectique enseigne non seulement que le moteur d’un phénomène est sa contradiction interne, mais également qu’il y a plusieurs aspects, dont un seul est le principal. Bien entendu, l’aspect principal peut changer, et le saisir est la clef pour comprendre le phénomène.

    Saisir les événements en rapport à l’Édit de Nantes demande donc une grande précision, car il ne s’agit nullement de voir les choses comme un simple affrontement entre catholiques et protestants.

    Si Paris s’était soulevé contre Henri III, c’était sous l’effet de l’action de la Ligue, la faction catholique. Elle était pour l’écrasement des protestants et l’alliance ouverte avec l’Espagne : elle se méfiait de la faction royale et de Henri III qu’elle considérait logiquement comme enclin au compromis en raison d’une démarche pragmatique servant en priorité la systématisation de la monarchie absolue.

    C’était d’autant plus vrai que Henri III n’avait pas d’enfant et que son successeur était Henri de Navarre, un protestant lié à la famille royale.

    François II Bunel (1522-1599), Procession de la Ligue dans l’Ile de la Cité

    Henri de Navarre était né d’un père catholique, Antoine de Bourbon, qui était le descendant du roi Louis IX, et d’une mère protestante, Jeanne d’Albret, reine de Navarre.

    Il fut baptisé catholique, mais son éducation resta influencée par le calvinisme, qui prédominait en Navarre. À neuf an, il a déjà changé trois fois de religion ; au total, il en changera six fois.

    Henri de Navarre se retrouva au coeur de la Saint-Barthélemy, et le fait qu’il ait survécu témoigne de son importance dans la famille royale. Le grand massacre eut lieu justement alors que les principaux responsables protestants venaient à Paris assister à son propre mariage avec la soeur du roi Charles IX, Marguerite de Valois. Celle-ci étant est catholique, le mariage est célébré sur le parvis de Notre-Dame, Henri de Navarre refusant d’entrer dans l’église.

    La Saint-Barthélemy se déroule quelques jours après, mais il fut protégé par son statut de prince de sang : il se reconvertit alors au catholicisme afin de sauver sa situation.

    Médaille commémorative de 1572, à l’effigie du pape Grégoire XIII, avec le revers une présentation du massacre de la Saint-Barthélemy.

    Au bout de divers pérégrinations, il est accepté mais passe tout de même 39 mois otage à la cour. Il oscille ensuite dans son parcours, préservant systématiquement l’option devant faire de lui un roi, au-delà de l’opposition entre catholiques et protestants.

    Il mène également une vie décadente typique de la royauté de l’époque de François Ier, avec la chasse, les jeux, les coucheries mêlées de galanterie et d’esprit de courtisans. Il se situe impeccablement dans le courant de la royauté sur le plan culturel.

    Quelle serait donc la position réelle de la monarchie tendant à devenir absolue, par rapport à cet éventuel roi marqué par le protestantisme ? L’Eglise catholique n’avait pas une entière confiance en les priorités royales, loin de là.

    Une alliance temporaire se fit donc entre la Ligue et Henri III, sur une base précaire. La Ligue cherchait à bloquer la faction royale dans le camp catholique, tandis que Henri III n’était pas assez puissant pour progresser seul.

    Henri de Navarre se vit déchu de ses droits ; Henri de Guise, chef de la Ligue, battit des troupes étrangères pro-protestantes venues d’Allemagne et de Suisse, se faisant acclamer à Paris, exigeant pour lui la Picardie et exerçant une pression énorme sur le roi, obligé alors de fuir à Blois.

    Henri de Guise était prêt à renverser le roi, grâce à l’appui du roi d’Espagne, qui avec l’invincible armada avait même tenté d’attaquer l’Angleterre.

    Henri III eut alors comme réponse d’organiser l’assassinat de Henri de Guise et de son frère, afin de faire triompher la faction royale et de battre la Ligue. Dans ce cadre, Henri III se rapprocha également du futur Henri IV, dont il avait besoin. C’était un renversement d’alliance, mais maintenant toujours la monarchie au centre politique.

    Henri III fut alors lui-même assassiné par un moine en représailles, un acte d’une portée telle – le régicide étant le crime absolu – qu’on voit le degré d’antagonisme existant.

    Henri de Navarre devait alors logiquement lui succéder; Henri III le désigna même sur son lit de mort.

    Tapisserie du XVIe siècle :
    Henri III sur son lit de mort désigne Henri Navarre comme son successeur

    Mais Henri de Navarre était lié au protestantisme et la faction royaliste se méfiait de lui, tandis que la Ligue catholique entendait tout faire pour le refuser.

    L’Édit de Nantes va se produire comme compromis historique. Aucune faction n’arrivant à l’emporter, les compromis étaient paradoxalement inévitables… et temporaires.

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  • La situation du protestantisme au moment de l’Édit de Nantes

    Au moment de l’Édit de Nantes, le pouvoir royal dispose d’une base nationale permise par la naissance d’un marché mis en place par le capitalisme naissant. Il s’élance dans la monarchie absolue par la synthèse nationale, à travers l’administration et l’armée.

    Toutefois, autant le catholicisme semble une force sociale toujours plus faible, autant le protestantisme a une base problématique pour la monarchie absolue, dans le cadre français.

    Au moment de l’Édit de Nantes, en 1598, la population française est d’à peu près une vingtaine de millions de personnes ; c’est le pays le plus peuplé en Europe. Le français s’impose comme langue nationale : si à Paris 90% des livres étaient écrits en latin en 1501, dès 1550 le français a l’hégémonie dans les publications.

    L’affirmation de la langue nationale est d’ailleurs exactement contemporaine de l’émergence du protestantisme en France.

    Toutefois, le protestantisme n’a acquis à sa cause qu’un peu plus d’un million de personnes, et ce n’est pas tout : les ¾ se situent au sud de la Loire. En 1670, les bastions protestants sont les « généralités » de Montpellier (202 000 personnes) et de Bordeaux (pratiquement 100 000 personnes), ainsi que de La Rochelle (presque 90 000 personnes), de Grenoble (50 000 personnes) et de Poitiers (50 000 personnes).

    Suivent ensuite celles de Montauban (près de 40 000 personnes), de Pau (30 000 personnes), de Toulouse (pratiquement 30 000 personnes), d’Aix (près de 25 000 personnes) et de Limoges (presque 20 000 personnes).

    Cela ne rentre pas du tout dans la perspective monarchique, qui voit bien qu’il y a ici une localisation lui étant fort désagréable, puisqu’on a ici une zone protestante dans l’ancien « pays d’Oc » justement subjugué par le pouvoir royal basé dans le « pays d’Oil ».

    Les puissances féodales locales restent fortes dans ce pays d’Oc. La petite noblesse est avide de parasiter le pouvoir royal et la bourgeoisie naissante sait se servir des opportunités pour arracher des prérogatives dans le pouvoir local marqué par une forte dynamique urbaine, alors que les masses paysannes restent le plus souvent à l’écart du mouvement.

    C’est la grande différence, et d’une importance capitale, avec la révolte hussite, la tempête taborite, la guerre des paysans de Münzer, en Bohème et dans les pays allemands.

    Le pouvoir urbain local de la partie sud de la France, marqué par le protestantisme, est ainsi, plus que soumis au roi, dans les mains de la noblesse locale et des magistrats, en étroite relation avec les marchands, les négociants, la noblesse dite de robe, les avocats et les notaires, les médecins et les apothicaires.

    Cela explique pourquoi François Ier, puis son fils Henri II, mirent en place une sanglante répression, afin d’écraser à tout prix un mouvement allant dans un sens décentralisateur, justement au moment où la centralisation-unification était mise en place. Il est parlant que la quasi totalité des châteaux construits au XVIe siècle le soit au niveau de la Loire ou dans la partie nord de la France, évitant le sud rebelle.

    Le Massacre de la Saint-Barthélemy, par François Dubois (1529-1584)

    La répression culmina dans l’épisode de la Saint-Barthélemy, en 1572, mais elle échoua et amena en fait les zones urbaines protestantes du sud à s’unifier en tant que « Provinces-Unies du Midi », aboutissant pratiquement à couper la jeune France en deux.

    Ce processus amena, logiquement, l’implosion de l’hégémonie royale fondée sur le principe de centralisation-unification : les villes s’émancipèrent toujours plus, y compris lorsqu’elles sont catholiques. C’est le cas d’Amiens, Troyes, Rennes, Rouen, Auxerre, Lyon, Nantes, Bourges, etc.

    Cette tendance désintégratrice culmina dans l’insurrection catholique de la ville de Paris qui passa sous le contrôle du comité des « seize », membres d’une « ligue » catholique s’étant formée avec l’appui de l’Espagne.

    Procession armée de la Ligue catholique à Paris en 1590

    La réponse du roi Henri III fut, outre de fuir Paris, de procéder à l’assassinat de deux principaux membres de la famille aristocratique des Guise, qui étaient les chefs de la Ligue catholique en question, en étroit rapport avec l’Espagne catholique et les personnages clefs du massacre de la Saint-Barthélemy.

    Henri III est alors lui-même assassiné par un catholique, Jacques Clément. L’arrivée au pouvoir du roi Henri IV va donner naissance à l’Édit de Nantes, compromis général entre les factions catholique, protestante et royale.

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  • Les trois factions lors de l’Édit de Nantes

    L’Édit de Nantes est un épisode historique d’une très grande importance dans l’histoire de notre peuple. La France a connu de multiples épisodes de guerres de religion entre catholiques et protestants, et cet édit a été un moment de vivre ensemble particulièrement notable, avant que le protestantisme ne soit ensuite pratiquement définitivement pourchassé et anéanti dans notre pays.

    Toutefois, la connaissance de cet épisode historique capital pour le développement culturel de la France exige également de comprendre l’importance de la monarchie absolue, qui s’élance précisément avec François Ier, se développe à travers Henri IV et son Édit de Nantes, pour culminer avec Louis XIV.

    Ces trois figures royales sont d’ailleurs et fort logiquement les personnages clefs pour l’Édit de Nantes, puisque celui-ci est un compromis établi en 1598, entre non pas deux forces, mais bien trois forces : à la faction catholique et à la faction protestante, il faut associer la faction royale.

    François Quesnel  (1542–1619), Portrait dessiné du roi Henri IV, 1602

    Le problème de l’Édit de Nantes est, en effet, qu’il se situe à la croisée des chemins de forces sociales connaissant des développements fondamentalement différents.

    Ainsi, l’Église catholique était alors décadente, voire moribonde dans certains secteurs. La corruption généralisée de ses cadres et le manque de niveau culturel ne lui laissaient apparemment pas la possibilité de se maintenir.

    À cela s’ajoute qu’un roi français ne pourrait que vouloir s’émanciper de l’influence papale et privilégier une religion s’inscrivant uniquement dans un cadre national. C’est ce qui s’est passé en Angleterre avec l’instauration de l’anglicanisme comme religion officielle.

    Les protestants savaient tout cela et espéraient que, rapidement et à travers l’Édit de Nantes, ils obtiendraient d’abord l’hégémonie et ensuite la main-mise générale.

    Ils n’avaient pas pensé alors, ce qui fut une grossière erreur, que le pouvoir royal pouvait tout autant asseoir son pouvoir national en procédant à la liquidation des protestants, s’émancipant paradoxalement du pouvoir papal dans la mesure où il systématise son intervention en ce domaine, prenant les commandes des mesures religieuses.

    Le pouvoir du pape était forcément mis de côté pour toute une période si le pouvoir du roi prenait l’initiative religieuse, même si c’était en faveur du catholicisme. C’était là un renversement dialectique tout à fait cohérent.

    Jacob Bunel  (1585–1614),
    Portait d’Henri IV en Mars, vers 1605-1606

    À cela s’ajoute que la monarchie absolue était justement une tendance historique d’une grande signification en France, disposant de toute une série de leviers, notamment avec la formation par la bourgeoisie d’un marché unique significatif et donc d’un cadre national, que l’administration royale s’est empressée d’encadrer à tous les niveaux. La bourgeoisie naissante profitait de cela et était liée organiquement à la monarchie absolue en développement.

    Du côté protestant, la menace ne venait donc pas tant du catholicisme que du roi. Le problème ici est que l’Eglise catholique l’avait quant à elle compris, et elle a systématiquement protégé le roi d’une éventuelle emprise protestante. L’Église catholique française a associé son destin à lui.

    La monarchie absolue française se développant coûte que coûte, le catholicisme accepta une mise sous tutelle qu’elle considérait comme un compromis historique et temporaire.

    C’est particulièrement visible dans les polémiques et disputes qui changèrent de ton du côté catholique au moment de l’Édit de Nantes : les protestants n’étaient plus insultés, mais présentés comme étant à plaindre, le père jésuite Cotton appelant même Jean Calvin « monsieur », le tout permettant aux jésuites qui profitaient de leur décennie d’études dans des écoles de haut niveau de vaincre sans coup férir des pasteurs formés à la va-vite, notamment en les attirant sur le terrain peu connu par eux des textes des Pères de l’Église.

    Jean Calvin

    Puis, dès la mort de Henri IV, qui avait instauré l’Édit de Nantes, le processus de guerre de religion pouvait se réenclencher de manière toujours plus ouverte, la monarchie ayant finalement fait un choix simplement pragmatique.

    Il n’y avait alors pour l’Eglise qu’à attendre la fin de ce cycle et, de fait, elle fut totalement gagnante lorsque la monarchie absolue rentra en décadence, vers la fin du régime de Louis XIV. Un historien bourgeois a ici bien résumé ce qui s’est déroulé avec l’Édit de Nantes :

    « La situation, qui fut fixée désormais aux réformés français, acheva leur défaite: l’Edit de Nantes se referma sur eux comme un tombeau.

    À la faveur de cet Édit s’établirent des conditions politiques et sociales, des moeurs, une politesse, une mondanité, un culte monarchique et des goûts intellectuels qui tuèrent une seconde fois, mieux que ne le feront les impuissantes dragonnades, l’âme d’Anne du Bourg, le Martyr, et l’esprit de Calvin, le Maître. »

    Fortunat Strowski, Pascal et son temps

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  • UJC (ml) : A propos de la dissolution (1968)

    [13 juin 1968.]

    A la Sorbonne hier, c’était la grande dissolution. Pour certains, c’était de toute évidence la dissolution… finale.

    Ceux-là, en pliant bagages fiévreusement, ils avaient l’air tout à fait dissous; on voyait bien qu’ils se sentaient disparaître comme un morceau de sucre sous le jet d’eau du ministre de l’intérieur. Adieu, donc, les dissous…

    Mais pour d’autres dissous, le décret magique ne semblait pas faire beaucoup d’effet, sinon de les rendre plus confiants et plus optimistes que jamais :

    «- Qui êtes-vous?

    – Nous, on est les ex-Union des Jeunesses marxistes-léninistes

    – Mais vous êtes dissous aussi, et c’est tout ce que ça vous fait?

    – Eh oui!

    – …?

    – C’est pas compliqué : est-ce que le décret peut dissoudre la pensée de Mao Zedong? les masses laborieuses? Le mouvement de révolte des ouvriers, des paysans et de la jeunesse? Est-ce que le décret peut dissoudre la ligne prolétarienne de lutte de la jeunesse avec les luttes révolutionnaires du peuple français? Il peut faire ça le décret?

    – Ben… non, évidemment!

    – Juste. C’est ce qu’on pense aussi.

    Le décret dissout une organisation. Mai sune organisation, c’est simplement un outil au service de la ligne politique.

    C’est la ligne politique qui pénètre chaque jour les masses laborieuses de notre pays, c’est la pensée du camarade Mao Zedong à l’oeuvre qui arme chaque jour plus d’ouvriers pour le combat commun; alors des organisations, le peuple peut s’en fabriquer des quantités, tous les jours; et il s’en fabrique tous les jours.

    Alors pourquoi s’affoler? Ce qui compte, c’est que chaque jour, le Parti Communiste Révolutionnaire Prolétarien s’édifie dans la lutte, et ça, le décret, il n’y peut rien. »     

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