La conscience, la matière, la réflexion et Siraj Sikder

Les camarades du Bangladesh ont traduit en anglais des documents de Siraj Sikder, ce qui est une grande contribution à l’histoire du mouvement communiste international, mais aussi pour le champ actif de l’idéologie qui est le nôtre.

En particulier, l’importance du document intitulé « Sur certains slogans », de Janvier 1971, est à souligner, car dedans Siraj Sikder exprime l’approche fondamentale du matérialisme dialectique.

Voyons voir en quoi cela consiste.

1.L’affirmation de la loi de la contradiction

Siraj Sikder a compris que chaque nation a été construit par le développement de l’économie dans une situation concrète, et que c’était à considérer pour comprendre comment les changements sociaux se produisent.

Correctement, il souligne:

« La matérialisme dialectique nous enseigne que « La cause fondamentale du développement des choses et des phénomènes n’est pas externe, mais interne ; elle se trouve dans les contradictions internes des choses et des phénomènes eux-mêmes. »

Il nous explique de plus que « le développement de la société est dû surtout à des causes internes et non externes. »

Cela signifie que la raison fondamentale pour laquelle le Bengale oriental démocratique indépendant est le résultat final du développement social du Bengale oriental se trouve à l’intérieur de la société du Bengale oriental. C’est le matérialisme dialectique. »

2.Les slogans comme expression de la pensée

Néanmoins, Siraj Sikder ne serait pas un grand dirigeant s’il ne comprenait que la loi fondamentale de la contradiction. Il comprenait également le principe de la direction.

Ici, Siraj Sikder nous précise la question des slogans comme reflet de la nécessité du développement du Bengale oriental.

« Le prolétariat comme classe est minoritaire à l’heure actuelle dans la société du Bengale oriental et, même, elle le restera jusqu’à un certain stade dans la société socialiste également.

Dans cette situation, comment le prolétariat mènera-t-il les entières masses du pays?

« D’abord, en mettant en avant des slogans politiques fondamentaux qui concordent avec le cours du développement historique et en mettant en avant des slogans d’action pour chaque stade de développement et chaque virage majeur d’événements, afin de traduire ces slogans politiques dans la réalité. » (Mao Zedong)

Ainsi, afin de diriger les masses entières de la société du Bengale oriental, le prolétariat du Bengale oriental doit faire la stratégie politique et les tactiques correspondant au développement historique du Bengale oriental d’une part, et des slogans stratégique et tactique comme réflexion de la stratégie et des tactiques respectives de l’autre, et elles doivent être améliorées également.

Dans ce contexte, il faut étudier et analyser si oui ou non les slogans soulevées par les différentes formes des révisionnistes du Bengale oriental reflètent de manière adéquate la société du Bengale oriental et son développement. »

Même si une minorité, la classe ouvrière, car elle est à l’avant-garde, indique la voie correcte.

3.La matière est dynamique et ce dynamisme a sa propre loi

Ainsi, les slogans sont l’expression – à travers la pensée qui les formule – des nécessités du mouvement de la réalité sociale, c’est à dire de la matière.

Voici ce que dit Siraj Sikder :

« Le matérialisme dialectique nous enseigne que la matière existe indépendamment de notre conscience.

La matière est primaire, tandis que la conscience est le reflet de la matière dans notre cerveau par cinq organes de perception. La conscience est créée à partir de la matière et est secondaire.

Il nous enseigne, en outre, que la matière est dynamique et que ce dynamisme a sa propre loi.

S’il y a plusieurs contradictions dans le processus de développement d’une chose, dans ce cas, chaque contradiction a une existence séparée, elles ont aussi des relations mutuelles et la matière se développe périodiquement grâce à la résolution de la contradiction principale.

Ceci est le reflet de la loi du développement de la matière qui a été inclus dans la loi du matérialisme dialectique et de la contradiction principale. »

4.La matérialisation du programme

Toute cette parfaite compréhension de Siraj Sikder lui fait dire une affirmation qui est un non-sens pour le révisionnisme et le réformisme:

« La République populaire matérialisera le grand programme du Mouvement des Ouvriers du Bengale oriental. »

En effet, selon le matérialisme dialectique, cette phrase signifie que la réalisation de la République populaire est le produit de la pensée, la pensée qui a effectué la synthèse des nécessités de la matière, en produisant par là le grand programme.

Dans la logique du révisionnisme et du réformisme, qui est idéaliste, les « revendications » produisent un mouvement qui fait un programme. Ces « idées » doivent être « acceptées » et apporter une « révolution. »

En fait, une révolution ne se fait pas comme ça. La révolution est le produit de la matière en mouvement, et il y a un mouvement dialectique avec la pensée. La pensée reflète ce mouvement de la matière, et dialectiquement, il jette des forces dans ce mouvement, pour accomplir le saut qualitatif.

C’est pourquoi Siraj Sikder soulève l’importance des slogans, expression des besoins du mouvement de la matière… Et c’est pourquoi la révolution concrétisera la feuille de route synthétisée par l’avant-garde.

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La question de la nation bengalie

La question du Bengale est un cas très proche de la question allemande, les pays allemands se séparant en deux nations : l’Allemagne et l’Autriche. Fondamentalement, dans l’histoire, le Bengale a été coupé en deux parties, partageant le même langage, mais divisées pour ce qui concerne la principale idéologie, qui était, à cette époque féodale, la religion.

En raison de cela et suivant la définition marxiste de la nation, la séparation de l’Ouest et de l’Est est plus proche de la séparation Allemagne / Autriche que de la séparation Allemagne de l’Ouest/de l’Est de 1945-1989.

Voyons maintenant comment le peuple bengali a évolué.

Bengale : l’impossibilité de la conversion à l’Islam de masse depuis l’extérieur

La raison d’une telle séparation comme celle qui s’est déroulée au Bengale – avec la formation du Bangladesh – ne peut pas simplement s’expliquer par les conversions de masses dans le Bengale oriental amenées par les missionnaires musulmans.

L’Islam est arrivé au 12ème siècle, par la conquête d’un côté, par le commerce de l’autre, particulièrement sur la zone côtière, avec le port de Chittagong par exemple. Ensuite, de nombreux missionnaires arrivèrent pour propager l’Islam.

Mais cela ne peut pas avoir amené au fait qu’aujourd’hui, 90,4% de la population du Bangladesh est de culture islamique.

Pourquoi cela ?

a) Premièrement, nous pouvons voir que la culture islamique ne s’est pas répandue avec cette ampleur dans la partie occidentale du Bengale. De plus, l’Islam n’a pas commencé comme un courant tentant de devenir le courant principal.

Il n’a jamais eu les particularités d’une culture minoritaire, comme cela a été le cas à Hyderabad en Andhra Pradesh, où il s’agit d’une sorte « d’île » islamique.

En raison de cela, l’explication qui donne un rôle central aux gouverneurs, rois, nizams, etc. musulmans et aux missionnaires n’est pas valide.

L’Islam a simplement été accepté par les masses du Bengale oriental, et cela d’une manière massive, du jour au lendemain. Le langage bengali – le bangla – est resté pratiquement intouché, restant fortement fondé sur une origine sanskrite et des emprunts aborigènes.

Il n’y a absolument pas eu de processus de construction d’une langue comme l’hindustani, où ce qui est aujourd’hui le hindi et l’ourdou ont massivement emprunté au vocabulaire et aux expressions du persan, en raison de l’influence majeure de la culture islamique.

Les masses du Bangladesh ont même pris la langue comme une arme principale dans le leur lutte contre le Pakistan occidental, une culture où la culture islamique avait l’hégémonie.

b) Ensuite, nous pouvons voir que le Bengale musulman était et est toujours aujourd’hui une petite poche dans une zone du monde où l’hindouisme est toujours une composante principale de l’idéologie dominante : l’Inde.

Le Bengale était loin des centres culturels islamiques ; il était séparé par de nombreux peuples et de nombreuses cultures ; il n’était pas en contact direct.

L’empire britannique a essayé de comprendre cette réalité, et le recensement effectué en 1872 montre que les proches musulmanes au Bengal se situaient dans les plaines alluviales.

Voyant cela, ainsi que seulement un peut plus d’1% de la population interrogée affirmait être d’origine étrangère, les cadres britanniques pensaient qu’ils venaient des basses castes, qui s’étaient converties à l’Islam pour échapper à la domination de l’hindouisme.

Mais cette explication est mécanique. Le Bengale était en effet avant l’Islam sous l’influence du bouddhisme, et le bouddhisme ne connaît pas les castes. Il y avait également le jaïnisme qui existait dans l’Inde ancienne, et qui ne reconnaissait pas les castes.

Pourquoi est-ce que les masses opprimées choisiraient une religion venant de loin, si c’était uniquement pour une question de castes, alors qu’elles pourraient simplement soutenir le bouddhisme, comme auparavant ?

La situation particulière du Bengale

Le matérialisme dialectique nous enseigne que la contradiction est un processus interne. Ainsi, la raison pour le triomphe de l’Islam dans la partie orientale du Bengale doit venir du Bengale oriental lui-même.

L’Islam au Bengale ne peut pas avoir été « importé. »

Donc, regardons l’histoire du Bengale. Nous pouvons voir ces traits particuliers :

a) Suivant les Manusmṛti, connus en Europe sous le nom de « Lois de Manu » (entre 200 avant et 200 après JC), le Bengale ne faisait pas partie de l’Āryāvarta (« la demeure des Aryens » en sanskrit).

b) Ce n’est que sous l’Empire Maurya (321-185 avant JC) que la partie occidentale du Bengale a été jointe pour la première fois à l’Inde ancienne, la partie orientale formant l’extrémité de l’empire.

c) Ce n’est que lors de l’empire Gupta (320-550 après JC), que les chefs locaux ont été écrasés au Bengale.

Qu’est-ce que cela signifie ? Que sous l’empire Maurya, le Bengale (principalement son côté occidental) a connu un saut de civilisation, notablement par l’intermédiaire du grand empereur bouddhiste Ashoka.

Puis, avec l’Empire Gupta et son extermination du Bouddhisme en Inde, le Bengale est devenu le dernier endroit de confrontation entre l’hindouisme et le bouddhisme. S’ensuivit une politique de missionnaires promouvant l’hindouisme.

Il est clair que les empires Maurya et Gupta ont changé la réalité du Bengale occidental, développant sa société à un stage supérieur, avec une administration d’État produite par le haut développement en Inde occidentale.

En raison de cela, l’effondrement de l’empire Gupta a amené une situation de chaos au Bengale, une situation appelée « matsyanyaya. » Une nouvelle dynastie connut une naissance localement, les Palas, qui mirent en avant le bouddhisme – clairement pour avoir un meilleur rapport de force avec l’Inde ancienne, qui était sous domination hindouiste. Même dans le sud est du Bengale, les rois locaux suivaient cette politique pro-bouddhisme.

Mais les Palas essayèrent d’envahir certaines parties de l’Inde ancienne, particulièrement le Bihar, à l’ouest du Bengale. Le centre de gravité se décala à l’ouest, s’éloignant toujours plus du Bengale oriental. Cela aura des conséquences fatales pour l’unité du Bengale.

La source de la division du Bengale

A cette époque, le Bengale bouddhiste qui aurait été une partie de l’Inde ancienne n’aurait pas été possible : les forces hindouistes contrôlaient l’Inde, le Bengale en était dépendant, et ainsi la culture hindouiste se répandit dans la culture des Palas.

Les rois Palas étaient entourés d’un appareil d’État hindouiste (de la poésie aux ministres), se marièrent à des femmes de familles brahmanes ; dans ce processus, le Bengale occidental était attiré par l’Inde ancienne, cette fois de manière décisive.

Le bouddhisme n’était maintenu sous les Palas qu’afin de conserver une identité distincte, que le règne des Palas soit justifié, et également parce qu’il s’agissait d’une expression de la culture bengalie de cette époque.

De fait, le bouddhisme bengali de cette époque était caractérisé par la présence massive de déesses. Nous trouvons par exemple ces importantes figures, présentes dans la version du bouddhisme des Palas :

  • Tara
  • Kurukullâ
  • Aparâjita
  • Vasudharâ
  • Marîchî
  • Paranùabari
  • Prajnâparamitpa
  • Dhundâ

Nous verrons que la présence massive de déesses dans la culture bengali nous aidera d’une manière significative.

Néanmoins, et ce qui compte ici dans ce processus, c’est que ce n’était qu’une question de temps avant que les forces féodales – reliées à l’Inde hindouiste – renversent la dynastie des Palas. Cela se fit sous Vijaysena, un brahmane-guerrier du sud de l’Inde, qui établit une dynastie hindouiste, intégrant le Bouddha comme un avatar (maléfique) de Vishnou.

La dynastie des Senas mit en avant l’hindouisme d’une manière massive, amenant des brahmanes du reste de l’Inde pour former une nouvelle classe dominante, avec des dons de terres également. Les Senas installèrent une petite minorité comme pure « élite » religieuse », d’une manière fortement hiérarchique.

Le Bengale était pratiquement colonisé par l’Inde ancienne hindouiste ; l’impact de cette colonisation avait évidemment un centre de gravité au centre du Bengale.

La dynastie des Senas marqua la ruine du commerce des marchands, qui soutenaient le bouddhisme – ici l’aspect « égalitaire » du bouddhisme montre son aspect pré-bourgeois, très proche du protestantisme, avec également de soulignées la civilisation globale et l’administration unifiée.

Pour cette raison, le Bengale est devenu féodal, par le haut de la société, en raison de l’influence de l’Inde ancienne.

Nous avons ici la clef principale de la division. En effet, nous pouvons voir ici :

a) l’influence Maurya et Gupta a amené le Bengale occidental à un stade plus élevé de culture, tandis que la partie orientale restait arriérée, mais toujours influencée par la culture aborigène et le matriarcat ;

b) Ensuite, il y avait la chance historique pour le Bengale de s’unifier – sous la bannière du bouddhisme, comme ce qui est arrivé dans les pays à l’Est du Bengale (Birmanie, Laos, Thaïlande…). Cette unification aurait été faite par un royaume fondé principalement dans la partie occidentale et la généralisation du commerce.

c) Mais la dynastie Sena s’est effondrée, en raison de l’expansion de l’Inde ancienne, et le Bengale occidental est devenu une composante de celle-ci sur les plans culturels et économiques, ce qui signifie que l’aspect féodal a triomphé sur les aspects pré-bourgeois portés par le bouddhisme et les villes.

d) La partie orientale avait besoin d’un saut qualitatif, qui a été pratiquement raté durant les empires Maurya et Gupta, mais cela ne pouvait pas être fondé sur le bouddhisme, puisqu’il avait été l’idéologie de la dynastie des Palas, dont le fondement était dans la partie orientale ou même au Bihar.

e) L’invasion musulmane est arrivée précisément à ce moment d’une besoin général d’un mouvement anti-féodal.

f) Néanmoins, le mouvement pré-bourgeois anti-brahmane ne sera pas présent qu’à l’est, avec l’Islam – il existera également dans la partie occidentale, par le culte de la déesse qui était déjà présent dans le bouddhisme, et qui sera placé dans l’hindouisme.

Une nouvelle dynamique

Les historiens bourgeois pensent que la conversion de masse à l’Islam a été une réaction paysanne à la pénétration aryenne au Bengale oriental ; en fait, l’Islam à l’est et l’hindouisme influencé par les aborigènes à l’ouest ont été tous deux une expression pré-bourgeoise contre le féodalisme.

Les historiens bourgeois notent que les paysans étaient trop faibles sur le plan économique, mais pensent qu’ils ont essayé de combattre dans les domaines idéologiques et culturels, par les armes de l’Islam empruntés à l’étranger.

Cela signifierait que les paysans seraient une classe unie et consciente – ce qui n’a jamais été le cas dans l’histoire. En fait, les classes pré-bourgeoises ont construit une arme idéologique pour contre-attaquer face à la pénétration féodale au Bengale.

L’invasion islamique – qui n’a pas été une invasion, mais une conquête – a été le détonateur de ce moment historique de la lutte de classe.

Au Bengale oriental, l’Islam a été massivement accepté. Mais cet Islam était spécifiquement bengali. Il y avait une sur-importance accordée aux aspects magiques des missionnaires qui apportaient l’Islam. Ces « soufis » étaient considérés comme guérissant les malades, marchant sur l’eau, etc.

Même si l’Islam au Bangladesh est sunnite, d’une manière unique il célèbre les saints, les tombes sont l’occasion de pèlerinages, etc.

De la même manière, les sites hindous et bouddhistes ont simplement été adaptés au culte musulman.

Au Bengale occidental, l’hindouisme devint hégémonique, mais il a étalement été altéré. La manière principale de considérer l’hindouisme est le kali-kula – le culte de la grande déesse (Mahadevi) ou de la déesse (Devi), également connu sous le nom de shaktisme.

Le film de Satyajit Ray « Devi » dépeint cette réalité ; au Bengale, la déesse Kali est révérée, et le shaktisme peut être considéré comme plus puissant que le shivaïsme et le vaishnavisme, qui représentent des aspects plus typiques de la culture et de l’idéologie patriarcales indo-aryennes.

Ainsi, au Bengale occidental et oriental, l’hindouisme célèbre des déesses comme Durga, Kali, Lakshmi, Sarasvati, Manasa, ou Shashthi, Shitala, Olai Chandi.

Mais ce n’est pas tout. Le syncrétisme est apparu comme la tendance nationale bengalie à l’unification.

Lorsque le Bengale occidental s’est tourné vers une variante de l’hindouisme et le Bengale oriental vers une variante de l’Islam, et en raison de l’unité encore grande entre ces deux parties du monde, une tendance syncrétique s’est développée.

Il s’agissait clairement d’une expression d’éléments pré-bourgeois, qui essayaient d’unifier et non pas de diviser ; en raison de cet aspect bourgeois, l’expression était universaliste.

Dans la partie occidentale, Chaitanya Mahaprabhu (1486–1534) a développé un culte de Krishna comme seul Dieu réel, au-dessus des castes, fondé sur « l’amour » dans une union mystique avec la vérité absolue ; au Bengale oriental, les soufis enseignaient le caractère central de l’amour pour rejoindre Dieu, au-delà des aspects formels de la religion.

Dans ce cas musulman, les soufis ont adopté la position des gourous dans l’hindouisme et le bouddhisme, enseignant la voie de la vérité au disciple, par la méditation en particulier.

La question principale était alors : est-ce que les deux se rejoindraient finalement ? Ou bien ces deux tendances suivraient des voies particulières, modifiant les traits psychologiques en deux parties séparées, donnant naissance à deux différentes nations ?

Si nous avons raison concernant la thèse sur la situation du Bengale à l’arrivée de l’Islam, alors les points suivants doivent être vérifiés :

– tout d’abord, d’acharnées luttes de classe doivent avoir eu lieu avec les nouvelles armes idéologiques (hindouisme shakti et l’islam);

– ces armes, si elles étaient de vraies armes, doivent avoir prouvé leur efficacité, si non alors une autre arme aurait été soulevée;

– la classe dirigeante au Bengale doit nécessairement aussi avoir reflété cette situation de «deux voies culturelles» au Bengale.

Le Bengale réussit à se protéger

De fait, le Bengale a prospéré et a ou défendre sa situation nouvelle. Deux points principaux sont à noter:

a) Sous Shamsuddin Ilyas Shah, qui régna de 1342 à 1358, le Bengale a été unifié. Le Sultanat nouvellement formé a même été capable de résister, sous des généraux hindous et musulmans, à l’attaque du Sultanat de Delhi, dirigé par Firuz Shah Tughlaq.

Le Bengale était alors connu sous le nom de Bangalah et l’État était le sultanat musulman du Bengale. Le sultan était appelé Sultan-i-Bangalah, Shah-i-Bangalah, ou de Shah-i-Bangaliyan.

Le mot est venu en Europe par Marco Polo, donnant naissance au mot « Bengale » (Marco Polo n’a jamais été au Bengale et a même fait une confusion, pensant en fait à une partie de la Birmanie!).

Le nouvel État islamique a modernisé le pays et son système administratif. La culture idéologique, basé sur la culture populaire du Bengale, mettait en avant l’islam, mais de manière locale. De nombreux éléments ont été pris aux arts bouddhiste et hindou (lotus ouvert de profil, éléments floraux, le lotus et le diamant, le lotus à pétales en frise, le trèfle, la rosette, le fleuron, le feston, la corde torsadée, damier, le diamant croisé etc.).

Husain Shah avait même des hindous comme Premier ministre (vizir), médecin, chef des gardes du corps, secrétaire privé, surintendant, etc.

b) Ala-ud-din Husain Shah, qui régna de 1494 à 1519, a défendu la littérature bengalie, promu la coexistence religieuse au Bengale, donnant à Chaitanya Mahaprabhu pleine possibilité de faire la diffusion de sa version mystique du Vishnouisme (ou Vaishnavisme) (pas de castes, culte de l’amour, universalité, etc.).

Cela a été l’aspect positif de la nouvelle situation. Le Bengale existait en tant que structure, avec une solide base interne, ce qui n’aurait pas été possible:

– Si le Bengale était bouddhiste, parce que le conquérant musulman aurait totalement rejeté tout compromis avec les élites locales, et surtout pillé la terre;

– Si le Bengale avait été hindou dans sa version traditionnelle, car alors il aurait idéologiquement submergé par l’Inde ancienne, et serait devenu une simple région orientale, sans réelle possibilité de développement local.

Les hindous ont été intégrés dans la noblesse bengali, nommé par les dirigeants musulmans. Le Bengale existait et pouvait se développer. Cela montre que la résistance pré-bourgeoise pouvait se structurer à travers une certaine variante de l’hindouisme et une certaine version de l’islam.

Regardons maintenant l’aspect négatif. Le fait que deux religions existent au Bengale était un problème idéologique. Pour réaliser une forte unité nationale, l’existence d’une seule unité religieuse dans le pays était nécessaire pour l’élément pré-bourgeois, allié au conquérant locale établissant son autorité.

Nous verrons que cet objectif sera retrouvé beaucoup de fois, même dans l’histoire moderne du Bengale.

Quoi qu’il en soit, à cette époque, les problèmes étaient les suivants:

– il y avait nécessairement deux factions soutenant l’islam ou l’hindouisme comme principal centre idéologique;

– ces factions seraient nécessairement en lutte et essayant de gagner de l’importance au sein du pouvoir d’État, qui était dominée par les conquérants musulmans.

L’épisode de la dynastie Ganesha au 15ème siècle a été une expression de cela: le propriétaire terrien Raja Ganesha a renversé la dynastie musulmane, mis son fils comme souverain musulman pour le renverser dès que l’invasion musulmane était passée, il essaiera même la manœuvre une seconde fois, mais a alors été tué.

Cela montre quelle a été la faiblesse de la position de l’élite locale. Cela aura une conséquence fatale.

L’ère moghole

Le Bengale avait du 12ème siècle au 16ème siècle pour faire son unité. Il a réussi à se protéger et à maintenir sa culture nationale, mais il a échoué à s’unir dans un sens national fort, avec une culture pré-bourgeoise unifiée au niveau de toute la nation.

Cela a eu une terrible conséquence, lorsque l’empereur moghol réussi à envahir le Bengale. Dès cet instant, le Bengale était gouverné par le haut – un haut loin du Bengale lui-même, basé dans le nord de l’Inde.

De 1574 à 1717, le Bengale a été gouverné par 32 subahdars – un subah étant une province moghole et le subahdar un mot désignant le gouverneur, bien sûr choisi par le (grand) moghol ou les plus hauts officiers.

Le Bengale était considéré comme un endroit riche, dont les richesses devaient appartenir au moghol en Inde du Nord, et particulièrement l’armée. Pour cette raison, les cadres de l’Empire moghol ont été envoyés au Bengale.

Le souverain moghol Akbar mis même en place un nouveau calendrier, encore utilisé aujourd’hui. Le but de ce calendrier était d’améliorer la collecte de l’impôt foncier au Bengale. Comme ailleurs sous la domination moghole, le langage utilisé pour la justice et l’administration était le persan.

Le pays n’était plus en mesure de produire sa propre classe dirigeante. La classe dirigeante était une construction faite par le Moghol, et composé d’aristocrates musulmans, parlant l’ourdou comme dans le nord de l’Inde, et séparés sur le plan culturel des autres musulmans.

Akbar célébrant la victoire moghole au Bengale

Fin de l’ère moghole: le Nawabs

Lorsque l’empire moghol était sur le déclin, la situation n’a pas changé. Le Bengale a commencé à être gouverné par une dynastie de gouverneur, et le subahdar bengali était désormais connu comme le nawab du Bengale (le mot donnant le mot français « Nabab »).

Cela signifie que le modèle féodal de l’empire moghol a été importé au Bengale, et même modernisé.

Murshid Quli Khan, premier Nawab (de 1717 à 1727), a aboli le système du jagirdar, terre donnée pour la vie à quelqu’un qui était considéré comme méritoire pour son service militaire (avec sa mort la terre revenait, théoriquement, dans les mains du monarque).

Au lieu du système du jagirdar, qui était adapté à l’État militaire des Moghols, Murshid Quli Khan a installé le système mal zamini. Dans ce système, la terre était louée à un ijaradar – un fermier général.

Cela était plus adapté à une économie où un autocrate avait besoin de richesses produites localement, de la même manière que la monarchie française déclinante avec les « Fermiers Généraux ». Comme le fermier général payait au gouvernement les neuf dixième de la production, il était très engagé pour faire une meilleure production.

Mais Murshid Quli Khan fit face au fait que, ce faisant, il ne pouvait pas fonder ce système sur un ijaradar musulman, parce qu’il avait besoin d’aller contre la culture moghole, et de toute façon il ne recevait plus les cadres plus de l’Empire moghol à placer comme fermier général.

Murshid Quli Khan organisa par conséquent son système ijaradar de cette façon: il a divisé la province en 13 divisions administratives appelées chaklahs, les plus gros fermiers généraux étant mis en place comme chaklahdars, et il a choisi essentiellement des hindous. Des 20 fermiers généraux choisis par Murshid Quli Khan, 19 étaient des hindous.

La colonisation britannique: la première période

De manière intéressante, l’Empire britannique qui a colonisé le Bengale a continué de la « même manière. » L’acte d’établissement permanent de 1793 a rendu héréditaire les positions des fermiers généraux.

Par conséquent, le système de fermiers généraux de Murshid Quli Khan doit être considéré comme un système parasitaire, d’un type féodal. Karl Marx, dans La domination britannique en Inde (1853), a décrit cela comme un « despotisme européen, planté sur le despotisme asiatique » :

« Il ne peut pas, cependant, rester aucun doute, comme quoi la souffrance infligée par les Britanniques sur l’Hindoustan est d’ordre essentiellement différente et infiniment plus intense que ce que tout l’Hindoustan a eu à souffrir auparavant.

Je ne parle pas du despotisme européen, planté sur le despotisme asiatique, par la British East India Company, formant une combinaison plus monstrueuse que tout monstres divin nous surprenant dans le Temple de Salsette [île de Salsette, au nord de Bombay et célèbre pour ses grottes aux 109 temples bouddhistes]. Ce n’est pas une caractéristique distinctive de la domination coloniale britannique, mais seulement une imitation des Hollandais (…).

Aussi étrangement complexe, rapides et destructrices que puissent apparaître l’action successive en Hindoustan de toutes les guerres civiles, les invasions, les révolutions, les conquêtes, les famines, tout cela n’est pas allé plus loin que sa surface.

L’Angleterre a [quant à elle] décomposé l’ensemble du cadre de la société indienne, sans aucun symptôme de la reconstitution qui apparaîtrait.

Cette perte de son ancien monde, avec aucun gain d’un nouveau, donne un genre particulier de mélancolie à la misère actuelle de l’Hindou, et sépare l’Hindoustan, gouverné par la Grande-Bretagne, de toutes ses anciennes traditions, et de l’ensemble de son histoire passée. »

Karl Marx a parfaitement vu cette question de la mélancolie, tellement présente dans les pays opprimés, une mélancolie donnant naissance à de nombreux fondamentalismes romantiques.

En tout cas, du côté britannique, cela a également clairement suivi la logique impérialiste traditionnelle de « diviser pour régner. »

Des commerçants travaillent avec la Compagnie des Indes dans les périodes 1736-1740, l’ensemble des 52 bengali à Calcutta étaient hindous, 10 des 12 de ceux à Dacca, et l’ensemble des 25 à Kashimbazar.

Ensuite, l’empire britannique a défait le nabab à la bataille de Plassey en 1757, créant la présidence du Bengale et dirigeant finalement directement le Bengale et l’Inde.

La colonisation britannique: la deuxième période

La soumission du Bengale par l’impérialisme britannique a apporté une nouvelle situation, dans le sens où au féodalisme post-moghole, il faut ajouter le colonialisme britannique.

Ce ne fut pas compris à cause du manque d’analyse matérialiste dialectique. L’impérialisme a été compris comme le seul et unique responsable de la situation. Cela a été aidé bien sûr par le fait que l’impérialisme britannique a utilisé les hindous comme fermiers généraux.

Pour cette raison, la lutte des classes se développa sur une base religieuse: les grands propriétaires terriens étaient hindous au Bengale, et comme l’impérialisme britannique travaillaient avec eux, alors logiquement l’Islam devait être pris comme un drapeau révolutionnaire.

Cela a également été causée par le fait que les anciens dirigeants – ceux avant les Nawabs semi-autonome et indépendant (par rapport au moghol) et les Nawabs semi-autonome et indépendant (par rapport aux Britanniques), c’est à dire les aristocrates formés par les Moghols – semblaient être un idéal romantique.

Une expression très importante de cette conception romantique jusqu’à aujourd’hui au Bangladesh est l’appréciation très forte du Taj Mahal, qui peut être trouvé dans de nombreux dessins, en particulier sur les rick-shaws.

En raison de cela, l’islam « pur » idéologiquement – celui des moghols, qui semblait « anti-impérialiste » – a été prise comme une arme.

Cela s’est passé avec le mouvement Faraizi, fondée par Haji Shariatullah (1781-1840). Il est allé en Arabie et a utilisé la version de l’islam là-bas – le wahhabisme – comme arme fondamentaliste au Bengale, faisant la promotion d’un islam « purifié » de l’influence hindouiste, c’est-à-dire de la présence britannique.

« Fairaz » désigne l’obligation due à Dieu ; bien sûr, l’islam bengali était très loin de l’islam arabe, avec toutes ses pensées magiques et son esprit d’ouverture d’esprit aux déesses hindoues.

Mais ce mouvement de « purification » a été perçue comme une façon romantique afin, au moins, d’affirmer la nation du Bengale.

Néanmoins, ce fut romantique, et comprenant de manière non dialectique l’hindouisme comme un simple allié de l’impérialisme. Ainsi, ce processus de « purification » de l’islam, même si elle ne s’est pas généralisée – a tué pour de bon la possibilité d’une union du Bengale sous le drapeau bourgeois. Le Bengale aurait pu avoir été unifié seulement si son élément culturel national pouvait être pris comme un dénominateur commun.

Le fondamentalisme a tué cette possibilité. Voulant lutter contre l’impérialisme, les masses paysannes ont rejetée hindouisme comme autant qu’elles le pouvaient, ne voyant pas que le problème était la question agraire.

Haji Shariatullah avait mis en avant une lutte cosmopolite anti-nationale – mais cela semblait révolutionnaire, parce que cela sonnait anti-impérialiste (et par là anti-féodal).

Néanmoins, pour cette raison, le mouvement Fairazi a été pris par les masses comme anti-impérialiste (et par là anti-féodal); un Etat dans l’Etat a été créée au Bengale, formant une énorme opposition à l’Empire britannique.

Les masses n’ont pas vu que le problème était la question agraire, mais ils ont estimé que soutenir le mouvement Fairazi – non pas tant dans la purification religieuse que socialement – était dans leur intérêt.

En ce sens, le mouvement Fairazi était un mouvement anti-féodal, mais dirigé par des cercles intellectuels et non pas une bourgeoisie qui était terriblement faible en raison du type d’économie moghol et post-moghol.

Pour cette raison, le mouvement Fairazi s’est transformé en un mouvement paysan utopique et vint même mettre en avant la doctrine de la propriété de la terre comme revenant au travail.

Logiquement, le même processus a existé avec l’hindouisme, naturellement avec un centre de gravité au Bengale occidental. Les éléments bourgeois ont essayé de construire une nouvelle idéologie, un hindouisme en mesure de mobiliser les masses, en mettant de côté le systèmes des castes et la hiérarchie religieuse.

Ainsi naquit le Brahmo Samaj, fondée par le brahmanes et bourgeois Dwarkanath Tagore (1794 – 1846) et le brahmane et intellectuel Raja Ram Mohan Roy (1772-1833).

Mais plus encore que le mouvement Fairazi, il échoua à mobiliser les masses de façon révolutionnaire – les deux ont été portés par les cercles intellectuels tentant de trouver une sortie universelle de la situation au Bengale alors, mais au moins le mouvement au Bengale oriental a réussi à avoir un forte identité populaire.

Ainsi, les deux ont été progressistes dans le sens où ils ont été critiquant et rejetant le féodalisme, tous les deux ont pris une position universelle, mais les deux ont regardé dans un passé idéalisé pour trouver le noyau de l’idéologie qui aurait dû être trouvé dans le présent.

Tous deux ont été petit-bourgeois, un mouvement romantique. Leur échec était inévitable parce que la bourgeoisie était faible, arrivant trop tard dans l’histoire, et ne pouvait pas freiner le progrès de l’impérialisme.

Mais il y avait une différence: au Bengale occidental, le processus a été organisé autour des cercles petits-bourgeois et grand bourgeois, ce qui est appelé jusqu’à aujourd’hui les « bhadralok » (ou Bhodro Lok), c’est à dire les « gens meilleurs. ».

Les « bhadra lok » étaient culturellement occidentalisés, mais idéologiquement ils voulaient une société bourgeoise et rejetaient par conséquent la culture occidentale (exactement comme le fondateur du Pakistan ne parlait pas l’ourdou et était l’un des hommes les « mieux » habillés dans le monde, soit dans le style anglais).

Au Bengale oriental, le mouvement réussit, au contraire, à profondément influencer les masses, à défaut de les mobiliser de manière révolutionnaire.

La colonisation britannique: troisième période

Après le Brahmo Samaj et le mouvement Fairazi, il n’y avait plus de forces pour unir le Bengale ; la bourgeoisie est arrivée trop tard, et les éléments petits-bourgeois étaient faibles et idéologiquement divisés en deux parties du Bengale.

Au contraire, les forces pour diviser le Bengale étaient fortes. L’empire britannique a joué un rôle important en divisant le Bengale pour des raisons administratives en 1905. Il n’a pas réussi à cela – du Bengale a été unifié à nouveau, en 1919.

Mais il pousse la contradiction entre l’Ouest et l’Est du Bengale. Les Hindous, qui avaient gagné des points avec le colonialisme et ensuite pensaient qu’ils allaient bénéficier d’une Inde indépendante, comme elle serait principalement hindoue, ont mené une lutte contre la partition de 1905.

Les forces petites-bourgeoises, au Bangladesh, craignant l’hégémonie de la partie hindoue, ont accepté pour leur part cette partition, parce qu’ils pensaient que cela permettrait le renforcement de la nation bengalie.

Ce processus, une fois engagé, ne pouvait plus être arrêté: en 1919, les Britanniques ont divisé le peuple bengali avec des élections séparées pour les hindous et les musulmans. Encore une fois, les forces petites-bourgeoises du Bengale oriental ont pensé que cela était favorable à leur affirmation.

Le colonialisme britannique est allé très loin dans cette politique, utilisant même la famine. La famine de 1770 a tué approximativement le tiers de la population (donc, environ 10 millions de personnes); il y eut par la suite des famines en 1783, 1866, 1873-1874, 1892, 1897. Le colonialisme britannique préférait bloquer les approvisionnements, qui étaient au service de ses bénéfices, même si cela signifiait la mort par la faim de millions de personnes.

Quand les Japonais ont conquis la Birmanie, le colonialisme britannique a poursuivi cette politique de façon extrême, donnant la mort à près de 5 millions de personnes au Bengale en 1943-1944. La famine n’a même pas été officiellement déclarée. Satyajit Ray a fait un fameux film sur cet événement, Distant Thunder.

La situation était par conséquent inacceptable et il était nécessaire de faire un saut, à tout prix. Ceci a conduit à la scission du Bengale, en le Bengale occidental et le Pakistan oriental.

En 1947, l’Inde est devenue indépendante, mais bien sûr ce n’était pas possible pour les éléments bourgeois au Bengale Oriental de lutter contre l’Inde pour des liens ouverts avec le Bengale occidental; de toute façon la bourgeoisie (hindoue) du Bengale occidental pensait – à cause de sa propre force – qu’il serait plus intéressant d’être une partie de l’Inde.

Donc, le Bengale oriental s’est précipité dans les bras du « Pakistan », devenant le Pakistan oriental. Les Pakistan occidental et oriental étaient à 1,600 kilomètres de distance ; il n’y avait entre eux aucun lien économique, psychologique et culturel véritable entre les Pakistan de l’Ouest et de l’Est.

Mais c’était une option pratique pour, au moins, avoir ce qui a semblé être un Bengale indépendant.

« Le Pakistan oriental » était une façon de libérer le Bengale de l’Inde « hindouiste. » Le Pakistan était vu comme un retour à l’ère moghole.

Fondamentalement, il est facile de voir que le choix du Pakistan n’était pas en effet une définition religieuse, mais une définition nationale. Une preuve pour ceci était la prise de la chanson « Amar Shonar Bangla » (« Mon Bengale d’or ») écrite par Rabindranath Tagore comme hymne national.

Nous avons ici des éléments étonnants : tout d’abord, cela a signifié que le Pakistan oriental s’est compris comme le vrai Bengale.

Dans la même façon, nous devons voir que l’Inde a également pris une chanson de Tagore comme hymne national – ceci ne peut pas relever du hasard et a été clairement connecté à la question du Bengale Occidental, que l’Inde voulait garder à n’importe quel prix.

Et, finalement, nous devons voir un fait étrange : Amar Shonar Bangla a été à l’origine écrit contre la division 1905, que les dirigeants musulmans du Bengale Oriental ont accepté. Il ne devrait pas être logique de choisir cette chanson – à moins que nous ne comprenions que le but était un Bengale unifié, séparé de l’Inde.

Rabindranath Tagore (1861-1941)

Le Bengale oriental devient le Pakistan oriental

Quand le Bengale oriental a rejoint le Pakistan, l’espoir était que le pays serait gouverné d’une façon qui permettrait à la bourgeoisie orientale du Bengale de se développer. Pour la bourgeoisie qui a adopté l’Islam comme une identité, ceci devrait être une conséquence logique.

Mais l’Islam n’était pas celui du Bengale historiquement; c’était une construction de l’impérialisme, théorisé par des étudiants indiens en Angleterre, inventant un « Pakistan » comme les sionistes ont inventé « l’État d’Israël. » Il n’y avait aucun rapport avec une conception idéalisée d’un « retour au moghol. »

C’était une illusion de penser que l’État pakistanais serait un développement en termes historiques. Et la situation est devenue bientôt épouvantable.

Le Pakistan avait 69 millions de personnes, 44 millions étant au Pakistan oriental. Mais le Pakistan occidental avait une hégémonie totale : il avait la capitale fédérale, le commandement militaire, la cour suprême de justice…

Depuis le début on a donné la priorité au Pakistan occidental qui avait les ¾ des fonds de développement. Le Pakistan oriental produisait la plupart des exportations (jute, thé…), mais avait seulement ¼ des revenus.

Et la situation n’était pas seulement insupportable pour le Pakistan oriental. Le Pakistan est né comme semi-colonie britannique et est de plus en plus devenu une semi-colonie américaine.

Manifestation d’étudiantes à Dhaka, le 21 février 1953,
bravant l’interdiction et exigeant l’emploi de la langue bengalie.

Les masses, dans l’atmosphère révolutionnaire mondiale générale, ont commencé à protester avec les étudiants en 1968, suivis ensuite par les paysans et les ouvriers, dans un front commun contre la dictature militaire.

Un intellectuel rural a réussi à unir le mouvement démocratique paysan au Bengale : Maulana Abdul Hamid Khan Bhashani. Profondément influencé par la Chine, il s’est même séparé de l’Awami League pro-bourgeois (Awami signifiant peuple) pour former le National Awami Party.

Mais Bhashani était un démocrate, dans une période où la révolution démocratique ne pouvait être menée que par le Parti communiste. Pour cette raison, il a fait plusieurs erreurs, notamment en 1970 en laissant la Ligue Awami être seule présente dans les élections.

Sheikh Mujibur Rahman, dirigeant de la Ligue Awami bourgeoise (ou plutôt petit-bourgeoise), a reçu un triomphe, devenant pour les masses le dirigeant de la lutte démocratique. 167 des 169 sièges de l’Assemblée nationale au Pakistan oriental étaient ainsi détenus par la Ligue Awami.

La Ligue Awami n’était certainement pas prête pour la sécession – mais les masses éveillées, notamment par le Parti National Awami, poussait à une libération de l’hégémonie du Pakistan occidental.

A joué ici aussi un rôle important le cyclone de 1970, où 200 000 personnes sont mortes, et où l’État pakistanais n’a pas été en mesure d’organiser un secours sérieux. A ce moment, l’armée officielle du Pakistan – où les officiers étaient principalement du Pakistan occidental – a commencé à être considéré par les larges masses comme une armée d’occupation.

Pour cette raison, le 25 mars 1971, l’armée pakistanaise a fait une intervention, qui est devenu un véritable génocide.

L’objectif de l’armée pakistanaise était d’écraser tous les intellectuels de langue bengali, de violer des femmes autant que possible (environ 200 000), de tuer autant que possible les hindous. La langue bengali et les hindous ont été considérés comme un obstacle à l’unification islamique, et donc, comme des cibles.

Mais ce n’était pas seulement une tactique de l’armée pakistanaise. C’était conforme à l’idéologie d’une partie de la petite-bourgeoisie du Bengale.

Par conséquent, le parti Jamaat-e-Islami a aidé dans les massacres, en tant que volontaires (les « Razakars ») et la formation de milices – Al-Badar et Al-Shams. Cette fraction de l’Est du Bengale s’est donc transformée en une bourgeoisie bureaucratique servant les intérêts pakistanais.

Les résultats de ce processus a été trois millions de morts.

La naissance du Bangladesh

Le soulèvement de masse, la grève générale, la lutte armée généralisée a permis de vaincre l’offensive pakistanaise.

Mais la défaite totale du Pakistan aurait également signifié la défaite de l’Inde. L’Inde ne pouvait pas accepter un Bangladesh indépendant, cela signifierait la perte du Bengale occidental à moyen terme.

Cela était particulièrement évident alors que les conseils ouvriers et paysans se répandaient dans tout le pays, la guerre populaire étant également initiée par différentes organisations, en particulier le Purba Bangla Sarbohara Party (Parti prolétarien du Bengale oriental), dirigé par Siraj Sikder.

Peter Hazlehurst du Times commente alors: « Le Bengale rouge alarmerait Delhi encore plus qu’Islamabad. » Il est à noter que le philosophe français Bernard Henri Lévy, publiant ses premiers travaux sur la question indienne et le Bangladesh, n’a pas compris ce processus et pensait que la guerre populaire initiée n’avait pas comme objectif la révolution démocratique au Bengale, favorisant ainsi le pessimisme et la confusion.

En raison de la situation, l’armée indienne a lancé une offensive contre le Pakistan et organisé depuis le début à grande échelle la « Mukti Bahini », « l’armée de libération » sous contrôle de la Ligue Awami. L’objectif était la formation d’un Bengale oriental, sous contrôle de l’Inde et son maître, le social-impérialisme russe.

La situation était très compliquée pour les révolutionnaires. Ils ont dû se battre contre l’expansionnisme indien et le colonialisme pakistanais, mais aussi contre les forces féodales. Et l’impérialisme américain et le social-impérialisme russe soutenaient certaines fractions pour les transformer en une bourgeoisie bureaucratique.

Carte de la situation militaire en 1971

L’intervention massive de l’Inde a apporté beaucoup de problèmes tactiques, l’ennemi principal changeant de manière rapide. Cela a permis la formation du Bangladesh, sous contrôle indien. Le dirigeant de la Ligue Awami, Sheikh Mujib, est devenu le premier ministre, puis le président.

Représenter le bourgeoisie bureaucratique pro-Inde et pro-URSS social-impérialiste, Sheikh Mujib a commencé à donner la même orientation idéologique. Il a mis en avant, comme principes fondamentaux, « le nationalisme, la laïcité, la démocratie et le socialisme. »

Il a fait en sorte que seule un partie a été toléré dans le pays, la Bangladesh Krishak Sramik Awami League-BAKSAL, et se mit en tant que président à vie.

Ce fut bien sûr inacceptable par les masses, et cela a été utilisé par les impérialistes. Après la famine de 1974, qui a tué 1,5 millions de personnes, l’impérialisme américain a poussé à un coup d’Etat militaire, le 15 août en 1975.

L’officier de l’armée Ziaur Rahman est devenu le dirigeant, qui a créé un parti politique exprimant les intérêts de l’impérialisme américain et de la bourgeoisie bureaucratique qui lui est soumis: le Bangladesh Nationalist Party (BNP).

Ziaur Rahman a fait une politique qui était à l’opposé de la précédente, l’Etat a fait des privatisations, l’islam s’est vu donné un rôle national; Golam Azad, chef exilé du Jamaat-e-Islami, a été autorisé à revenir en Juillet 1978 avec un passeport pakistanais et a pu rester, même après l’expiration du visa, etc

Ziaur Rahman a subi quelques différents coups d’Etat, qui ont tous échoué, même s’il a été tué dans cellede 1981. Son successeur, le lieutenant-général Hussain Muhammad Ershad, a suivi sa politique, mais a formé son propre parti politique, le Parti Jatiya.

Gouvernant d’une manière autocratique, Ershad a ouvert la voie à un Bangladesh «démocratique» – une « démocratie » sous le contrôle des deux fractions de la bourgeoisie bureaucratique.

La domination de la Ligue Awami et du BNP

Sous le régime Ershad – qui a servi comme un Bonaparte dans une situation de crise – la Ligue Awami et le BNP se sont réorganisés.

Khaleda Zia, veuve de Zia, est devenue la dirigeante du BNP, qui a été (et est) une force pro-américaine, et a formé l’alliance des 7 partis.

De l’autre côté, la Ligue Awami a été dirigée par Sheikh Hasina, la fille de Mujib ; la Ligue était (et est) une force pro-indo-soviétique, formant historiquement l’alliance des 15 partis.

Le BNP et la Ligue Awami se sont unis contre la loi martiale d’Ershad. Ils se sont alliés aussi avec la Jamaat-e-Islami, et une « Ligue démocratique » qui était également pro-américaine.

En 1987, la Ligue Awami a boycotté les élections, en 1988, elle a été rejoint dans son boycott par le BNP. La pression générale contre lui – des fractions bureaucratiques, mais aussi des masses, où les révolutionnaires jouaient un rôle significatif – ont amené Ershad à démissionner, en 1990. Son parti politique devint alors un allié de la Ligue Awami.

Depuis 1990, la BNP et la Ligue Awami sont les principaux partis politiques institutionnels, représentant les deux principales tendances bureaucratiques bourgeoise, avec la Jamaat-e-Islami.

En 1991, les deux parties étaient à peu près équivalent, puis, le BNP a gagné en 1996, la Ligue Awami dans une autre élection en 1996, le BNP gagna à nouveau en 2001, la Ligue Awami de nouveau en 2008.

De 1991 à 1996, Khaleda Zia, a été Premier ministre, Sheikh Hasina a alors dominé de 1996 à 2001, Khaleda Zia revint de 2001 à 2006, et après un gouvernement de transition dans une situation instable, avec même un état d’urgence, Sheikh Hasina est revenue au 2009.

Bangladesh: un pays opprimé

Pour comprendre la situation d’aujourd’hui, nous allons jeter un oeil à ce qu’il est possible de lire sur un site web contre les criminels de guerre de 1971:

«En 1971, deux pouvoirs suprêmes les États-Unis et la Chine étaient avec eux. Mais Allah était avec les Bengalis désarmés. Donc nous avons gagné la guerre. Bien que nous ayons perdu nos bien-aimés, mais nous avons eu notre désiré Bangladesh. »

Ce qui est écrit ici m’aide beaucoup à comprendre l’illusion qui prévaut dans beaucoup de secteurs des masses.

Parce que ce n’était pas « Allah », mais l’armée indienne qui a donné des armes et combattu contre l’armée pakistanaise d’un côté, les masses qui se sont armées de l’autre, avec une forte influence communiste.

Mais en raison de la faiblesse de l’avant-garde communiste, le Bangladesh, à sa fondation, est devenu une marionnette de l’Inde et de l’URSS social-impérialiste. Cela a donné de nouveau de la vigueur à l’idéologie du « retour au moghol », qui a été de nouveau utilisée par la bourgeoisie bureaucratique pro-américaine. Et elle a permis aux ex-Razakars de se « justifier. »

Nous avons ici une clé idéologique. Le Bangladesh est né comme un pays sur un génocide de 3 millions de personnes, dont la seule faute était d’être Bengali et en cette nouvelle nation n’a pas été en mesure jusqu’à présent de préserver leur mémoire et de punir les criminels.

Comment cela est-il possible?

C’est parce que l’aspect religieux est si forte que même juste après l’indépendance de 1971, le nouvel État du Bangladesh n’a pas été en mesure de réprimer la razakars, qui ont aidé l’armée pakistanaise dans ses massacres. Même Mujib a utilisé l’islam comme une arme idéologique.

Et, de plus en plus, le Bangladesh connaît une influence plus grande de l’islam. En juin 1988, la constitution a même été modifiée afin d’établir l’Islam comme religion d’État, abandonnant la laïcité de l’État. La Ligue Awami accepte cela – parce qu’elle n’a absolument plus aucun aspect bourgeois, elle est purement bureaucratique.

Ceci est logique: le Bangladesh, rejetant une voie démocratique, est de plus en plus en train d’utiliser l’islam d’une manière national-bureaucratique abstraite, afin de maintenir le Bangladesh tel qu’il est. Même les forces pro-Inde ont besoin de cet islam pour maintenir le Bangladesh comme il est, pour être en mesure d’exister.

L’option des maoïstes au début des années 1970 a été correcte: l’organisation de la révolution agraire se propage comme un feu au Bangladesh, en Inde, au Pakistan, elle permettrait d’unifier les masses qui ont déjà beaucoup de liens culturels. Et cela permettrait de s’opposer à la fois aux forces pro-américaines et pro-URSS.

Mais le Bangladesh a désormais de plus en plus un capitalisme bureaucratique organisé par le haut, avec des milliers d’usines où des grandes rébellions sont mêmes organisées. Il n’est pas possible de nier cette évolution.

Le pays a pris ou prend le tournant, comme beaucoup de pays, d’un pays semi-colonial semi-capitaliste bureaucratique, avec des éléments semi-féodaux massifs sur le plan culturel et idéologique. Il y a même un système idéologique unifié pour justifier l’État: un islam influencé par un romantisme du « retour au moghol. »

Bangladesh: nation inachevée du Bengale

Néanmoins, cette idéologie d’État, de plus en plus influencée par l’islam, a une base très faible. Elle n’est pas conforme à la base nationale.

La révolution de nouvelle démocratie lève ce drapeau, pour unifier les masses contre ceux qui invente de faux principes pour maintenir leur domination.

Mais la principale question révolutionnaire est la suivante: où est le soutien principal de la révolution de nouvelle démocratie?

Hier, cela aurait été essentiellement la révolution agraire. Aujourd’hui, alors que la nation a avancé mais d’une façon erronée, cela doit encore être l’aspect démocratique, mais sur une base populaire. La lutte contre le fascisme et les forces fascistes a de fait été très forte depuis 1971.

Et certainement, la question de la culture bengali joue un rôle central. Une révolution démocratique réalise un aspect universel, et comme il est un voisin très proche sur le plan culturel – le Bengale occidental – la question de la révolution démocratique porte de nouveau la question de la nation bengalie.

Ce n’est pas seulement que le socialisme unifie les peuples, c’est aussi qu’une fédération des deux Bengale a une valeur idéologique démocratique. Tant l’Ouest que l’Est ont vécu des expériences de soumission à des formes qui ne permettent pas leur développement. Ils ont besoin de trouver une autre voie – leur réunion démocratique, d’une manière ou d’une autre, est inévitable.

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Mao Zedong : Déclaration pour soutenir la lutte des Afro-américains contre la répression par la violence

   Déclaration du camarade Mao Zedong, président du Comité central du Parti communiste chinois pour soutenir la lutte des Afro-américains contre la répression par la violence, 16 avril 1968

   Il y a quelques jours, le pasteur afro-américain Martin Luther King a été soudainement assassiné par les impérialistes américains. II était pour la non-violence. Mais les impérialistes américains ne l’ont pas épargné pour autant ; ils ont, au contraire, usé de la violence contre-révolutionnaire et l’ont fait périr sous les coups sanglants de la répression.

Cet événement a été une profonde leçon pour les masses afro-américaines. Il a déchaîné dans leur lutte contre la violence répressive une nouvelle tempête qui balaie plus d’une centaine de villes américaines ; voilà qui est sans précédent dans l’histoire des Etats-Unis. C’est une preuve manifeste de la prodigieuse force révolutionnaire que recèlent les Afro-américains, qui sont plus de 20 millions.

Qu’une telle lutte fasse rage aux Etats-Unis est une manifestation éclatante de l’ensemble de la crise politique et économique que connait aujourd’hui l’impérialisme américain. C’est un rude coup porté à ce dernier ; qui est aux prises avec de multiples difficultés intérieures et extérieures.

Cette lutte n’est pas seulement une lutte pour la liberté et l’émancipation menée par les Afro-américains exploités et opprimés ; elle est aussi un nouvel appel de clairon dans la lutte de tous les Américains exploités et opprimés contre la féroce domination de la bourgeoisie monopoliste. Elle constitue pour tous les peuples du monde comme pour le peuple vietnamien un puissant soutien et un immense encouragement dans leur lutte contre l’impérialisme américain. Au nom du peuple chinois, j’exprime mon ferme soutien à la juste lutte des Afro-américains.

La discrimination raciale qui sévit aux Etats-Unis est un produit du système colonialiste et impérialiste. La contradiction entre les masses afro-américaines et la clique dominante de ce pays est une contradiction de classes. Ce n’est que par le renversement de la domination réactionnaire de la bourgeoisie monopoliste américaine et la destruction du système colonialiste et impérialiste que les Afro-américains parviendront à une émancipation totale.

Les masses afro-américaines et les travailleurs blancs des Etats-Unis ont des intérêts et des objectifs de lutte communs. Aussi la lutte des Afro-américains bénéficie-t-elle de la sympathie et du soutien d’un nombre toujours croissant de travailleurs et de progressistes blancs du pays. Cette lutte s’unira nécessairement avec le mouvement ouvrier américain : ainsi sera-t-il mis fin, une fois pour toutes, à la domination criminelle de la bourgeoisie monopoliste des Etats-Unis.

Je soulignais, en 1963, dans ma « Déclaration pour soutenir les Afro-américains dans leur juste lutte contre la discrimination raciale pratiquée par l’impérialisme américain », que « l’exécrable système colonialiste et impérialiste, dont la prospérité a débuté avec l’asservissement et la traite des Noirs, disparaîtra avec l’émancipation complète des Noirs ». Je maintiens toujours ce point de vue.

A l’heure actuelle, la révolution mondiale est entrée dans une nouvelle et grande époque. La lutte des Afro-américains pour l’émancipation est une composante de la lutte générale des peuples du monde contre l’impérialisme américain, une composante de la révolution mondiale de notre temps. J’appelle les ouvriers, les paysans et les intellectuels révolutionnaires de tous les pays ainsi que tous ceux qui veulent combattre l’impérialisme américain à passer à l’action et à manifester une puissante solidarité aux Afro-américains en lutte.

Peuples du monde, unissez-vous plus étroitement encore, lancez des attaques violentes et soutenues contre notre ennemi commun, l’impérialisme américain, et contre ses complices ! On peut affirmer que le jour n’est plus éloigné qui verra l’effondrement total du colonialisme, de l’impérialisme et de tous les systèmes d’exploitation, ainsi que l’émancipation complète des peuples et des nations opprimés du monde entier.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Contre le libéralisme

7 Septembre 1937

   Nous sommes pour la lutte idéologique positive, car elle est l’arme qui assure l’unité à l’intérieur du Parti et des groupements révolutionnaires dans l’intérêt de notre combat. Tout communiste et révolutionnaire doit prendre cette arme en main.

   Le libéralisme, lui, rejette la lutte idéologique et préconise une entente sans principes ; il en résulte un style de travail décadent et philistin qui, dans le Parti et les groupements révolutionnaires, conduit certaines organisations et certains membres à la dégénérescence politique.

   Le libéralisme se manifeste sous diverses formes.

   On sait très bien que quelqu’un est dans son tort, mais comme c’est une vieille connaissance, un compatriote, un camarade d’école, un ami intime, une personne aimée, un ancien collègue ou subordonné, on n’engage pas avec lui une discussion sur les principes et on laisse aller les choses par souci de maintenir la bonne entente et l’amitié.

   Ou bien, on ne fait qu’effleurer la question au lieu de la trancher, afin de rester en bons termes avec l’intéressé. Il en résulte qu’on fait du tort à la collectivité comme à celui-ci. C’est une première forme de libéralisme.

   On se livre, en privé, à des critiques dont on n’assume pas la responsabilité au lieu de s’employer à faire des suggestions à l’organisation.

   On ne dit rien aux gens en face, on fait des cancans derrière leur dos ; on se tait à la réunion, on parle à tort et à travers après. On se moque du principe de la vie collective, on n’en fait qu’à sa tête. C’est une deuxième forme de libéralisme.

   On se désintéresse complètement de tout ce qui ne vous concerne pas ; même si l’on sait très bien ce qui ne va pas, on en parle le moins possible ; en homme sage, on se met à l’abri et on a pour seul souci de n’être pas pris soi-même en défaut. C’en est la troisième forme.

   On n’obéit pas aux ordres, on place ses opinions personnelles au-dessus de tout. On n’attend que des égards de l’organisation et on ne veut pas de sa discipline. C’en est la quatrième forme.

   Au lieu de réfuter, de combattre les opinions erronées dans l’intérêt de l’union, du progrès et du bon accomplissement du travail, on lance des attaques personnelles, on cherche querelle, on exhale son ressentiment, on essaie de se venger. C’en est la cinquième forme.

   On entend des opinions erronées sans élever d’objection, on laisse même passer des propos contre-révolutionnaires sans les signaler : on les prend avec calme, comme si de rien n’était. C’en est la sixième forme.

   On se trouve avec les masses, mais on ne fait pas de propagande, pas d’agitation, on ne prend pas la parole, on ne s’informe pas, on ne questionne pas, on n’a pas à cœur le sort du peuple, on reste dans l’indifférence, oubliant qu’on est un communiste et non un simple particulier. C’en est la septième forme.

   On voit quelqu’un commettre des actes nuisibles aux intérêts des masses, mais on n’en est pas indigné, on ne l’en détourne pas, on ne l’en empêche pas, on n’entreprend pas de l’éclairer sur ce qu’il fait et on le laisse continuer. C’en est la huitième forme.

   On ne travaille pas sérieusement mais pour la forme, sans plan ni orientation, cahin-caha : « Bonze, je sonne les cloches au jour le jour ». C’en est la neuvième forme.

   On croit avoir rendu des services à la révolution et on se donne des airs de vétéran ; on est incapable de faire de grandes choses, mais on dédaigne les tâches mineures ; on se relâche dans le travail et dans l’étude. C’en est la dixième forme.

   On a commis des erreurs, on s’en rend compte, mais on n’a pas envie de les corriger, faisant preuve ainsi de libéralisme envers soi-même. C’en est la onzième forme.

   Nous pourrions en citer d’autres encore, mais ces onze formes sont les principales.

   Elles sont toutes des manifestations du libéralisme.

   Le libéralisme est extrêmement nuisible dans les collectivités révolutionnaires. C’est un corrosif qui ronge l’unité, relâche les liens de solidarité, engendre la passivité dans le travail, crée des divergences d’opinions.

   Il prive les rangs de la révolution d’une organisation solide et d’une discipline rigoureuse, empêche l’application intégrale de la politique et coupe les organisations du Parti des masses populaires placées sous la direction du Parti.

   C’est une tendance des plus pernicieuses.

   Le libéralisme a pour cause l’égoïsme de la petite bourgeoisie qui met au premier plan les intérêts personnels et relègue au second ceux de la révolution ; d’où ses manifestations sur le plan idéologique, politique ainsi que dans le domaine de l’organisation.

   Ceux qui sont imbus de libéralisme considèrent les principes du marxisme comme des dogmes abstraits. Ils approuvent le marxisme, mais ne sont pas disposés à le mettre en pratique ou à le mettre intégralement en pratique ; ils ne sont pas disposés à remplacer leur libéralisme par le marxisme.

   Ils ont fait provision de l’un comme de l’autre : ils ont le marxisme à la bouche, mais pratiquent le libéralisme ; ils appliquent le premier aux autres, le second à eux-mêmes. Ils ont les deux articles et chacun a son usage. Telle est la façon de penser de certaines gens.

   Le libéralisme est une manifestation de l’opportunisme, il est en conflit radical avec le marxisme. Il est négatif et aide en fait l’ennemi, qui se réjouit de le voir se maintenir parmi nous. Le libéralisme étant ce qu’il est, il ne saurait avoir sa place dans les rangs de la révolution.

   Nous devons vaincre le libéralisme, qui est négatif, par le marxisme, dont l’esprit est positif.

   Un communiste doit être franc et ouvert, dévoué et actif ; il placera les intérêts de la révolution au-dessus de sa propre vie et leur subordonnera ses intérêts personnels. Il doit toujours et partout s’en tenir fermement aux principes justes et mener une lutte inlassable contre toute idée ou action erronées, de manière à consolider la vie collective du Parti et à renforcer les liens de celui-ci avec les masses.

   Enfin, il se souciera davantage du Parti et des masses que de l’individu, il prendra soin des autres plus que de lui-même. C’est seulement ainsi qu’il méritera le nom de communiste.

   Que tous les communistes loyaux, honnêtes, actifs et droits s’unissent dans le combat contre les tendances au libéralisme qui se manifestent chez certaines gens, pour les ramener dans le droit chemin ! C’est là une de nos tâches sur le front idéologique.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Contre le culte du livre

1930

Pas d’enquête, pas de droit à la parole

   Vous n’avez pas fait d’enquête sur un problème, et on vous prive du droit d’en parler. Est-ce trop brutal ? Non, pas du tout.

Du moment que vous ignorez le fond du problème, faute de vous être enquis de son état actuel et de son historique, vous n’en sauriez dire que des sottises.

Et les sottises, chacun le sait, ne sont pas faites pour résoudre les problèmes, qu’y a-t-il donc d’injuste à vous priver du droit de parler ?

Or, beaucoup de camarades ne font que divaguer, les yeux fermés ; c’est une honte pour des communistes ! Comment un communiste peut-il parler ainsi en l’air, les yeux fermés ?

   C’est inadmissible !

   Inadmissible !

   Faites des enquêtes !

   Et ne dites pas de sottises !

Enquêter sur un problème, c’est le résoudre

   Vous ne pouvez pas résoudre un problème ? Eh bien ! allez-vous informer de son état actuel et de son historique ! Quand vous aurez fait une enquête approfondie, vous saurez comment le résoudre. Les conclusions se dégagent au terme de l’enquête et non à son début.

Il n’y a que les sots qui, seuls ou à plusieurs, sans faire aucune enquête, se mettent l’esprit à la torture pour « trouver une solution », « découvrir une idée ». Remarquons qu’aucune bonne solution, aucune bonne idée n’en sortira. En d’autres termes, ces sots ne peuvent arriver qu’à une mauvaise solution, à une mauvaise idée.

   Ils ne sont pas rares, nos inspecteurs, nos chefs de partisans, nos cadres nouvellement installés qui se plaisent, dès leur arrivée, à faire des déclarations politiques et qui se mettent, sur de simples apparences, pour quelque détail infime, à censurer ceci, à condamner cela avec force gestes autoritaires.

Rien de plus détestable, vraiment, que cette manière de dire des sottises qui est purement subjective. Ces gens sont sûrs de tout gâcher, de perdre l’appui des masses et de ne pouvoir résoudre aucun problème.

   Nombreux sont les dirigeants qui ne font que pousser des soupirs en face des problèmes difficiles, sans pouvoir les résoudre. Perdant patience, ils demandent à être mutés, alléguant qu’ « ils ne peuvent s’acquitter de leur tâche, par manque de capacité ». C’est là le langage d’un lâche. Mais remuez-vous un peu ! Allez faire un tour dans les secteurs et les localités qui sont de votre ressort et faites comme Confucius qui« posait des questions sur tout » !

Si peu de capacité que vous ayez, vous saurez alors résoudre les problèmes ; car s’il est vrai qu’en sortant de chez vous, vous avez la tête vide, il n’en sera plus de même à votre retour : votre cerveau sera muni de tous les matériaux nécessaires à la solution des problèmes, qui se trouveront ainsi résolus.

Est-il toujours nécessaire de sortir de chez vous ?

Pas forcément. Vous pouvez convoquer à une réunion d’information des personnes bien renseignées pour remonter à l’origine de ce que vous appelez un problème difficile et pour vous éclairer sur son état actuel ; il vous sera alors facile de résoudre ce problème difficile.

   L’enquête est comparable à une longue gestation, et la solution d’un problème au jour de la délivrance. Enquêter sur un problème, c’est le résoudre.

Contre le culte du livre

   Tout ce qui est dans les livres est juste, tel est, aujourd’hui encore, l’état d’esprit des paysans chinois, culturellement arriérés. Mais il est surprenant que dans les discussions du Parti communiste il se trouve aussi des gens pour lancer à tout propos : « Montre-nous ça dans ton livre ! »

Quand nous disons que les directives des organes dirigeants supérieurs sont justes, ce n’est pas simplement parce qu’elles émanent d’un « organe dirigeant supérieur », mais parce que leur contenu correspond aux conditions objectives et subjectives de la lutte et répond à ses besoins. Exécuter aveuglément les directives, sans les discuter ni les examiner à la lumière des conditions réelles, voilà l’erreur profonde de l’attitude formaliste, uniquement dictée par la notion d’ « organe supérieur ».

C’est précisément par la faute de ce formalisme que la ligne et la tactique du parti n’ont pu jusqu’ici pénétrer profondément dans les masses. Exécuter aveuglément, et apparemment sans objection aucune, les directives d’un organe supérieur n’est pas les exécuter réellement, c’est la manière la plus habile de s’y opposer ou de les saboter.

   En sciences sociales également, la méthode qui consiste à étudier exclusivement dans les livres est on ne peut plus dangereuse, elle peut même conduire à la contre-révolution.

La meilleure preuve, c’est que bien des communistes chinois qui, dans leur étude des sciences sociales, ne quittaient jamais les livres sont devenus, les uns après les autres, des contrerévolutionnaires. Nous disons que le marxisme est une théorie juste ; non certes que Marx soit un « prophète », mais sa théorie s’est vérifiée dans notre pratique, dans notre lutte.

Nous avons besoin du marxisme dans notre lutte. En acceptant cette théorie, nous n’avons en tête aucune idée formaliste, voire mystique comme celle de « prophète ». Parmi ceux qui ont lu des livres marxistes, beaucoup sont devenus des renégats de la révolution ; et souvent des ouvriers illettrés sont capables de bien assimiler le marxisme. Il faut étudier les livres marxistes, bien sûr, mais sans omettre de les rapporter à la réalité de notre pays. Nous avons besoin de livres, mais nous devons absolument nous débarrasser du culte que nous leur vouons au mépris de la réalité.

   Comment nous en débarrasser ? Le seul moyen est de faire des enquêtes sur l’état réel de la situation.

L’absence d’enquête sur la réalité donne lieu à une appréciation idéaliste des forces de classe et à une direction idéaliste du travail, ce qui conduit soit à l’opportunisme, soit au putschisme

   Vous ne croyez pas à cette conclusion ? Les faits vous y obligeront. Essayez d’apprécier la situation politique ou de diriger une lutte en dehors de toute enquête sur la réalité et vous verrez si votre appréciation ou votre direction n’est pas vaine, idéaliste, et si cette façon vaine et idéaliste de faire une appréciation politique ou de diriger un travail ne conduit pas aux erreurs opportunistes ou putschistes. Assurément, elle y conduira.

Ce n’est pas que vous n’ayez pas pris soin de préparer un plan avant d’agir ; mais vous ne vous êtes pas attachés à connaître les conditions réelles de la société avant d’élaborer le plan ; cette façon de faire se rencontre fréquemment dans les unités de partisans de l’Armée rouge.

Des officiers du genre de Li Kouei punissent sans discernement leurs hommes dès qu’ils les trouvent en défaut. Le résultat, c’est que les coupables se plaignent, que des querelles s’ensuivent et que les dirigeants perdent tout leur prestige. Cela n’est il pas souvent arrivé dans l’Armée rouge ?

   C’est en nous débarrassant de l’idéalisme, en nous gardant de commettre toute erreur opportuniste ou putschiste que nous pouvons gagner à nous les masses et vaincre l’ennemi. Et pour nous débarrasser de l’idéalisme, nous devons nous efforcer de faire des enquêtes sur la réalité.

L’enquête sur les conditions sociales et économiques a pour but d’arriver à une juste appréciation des forces de classe et de définir ensuite une juste tactique de lutte

   Telle est notre réponse à la question : Quel est le but d’une enquête sur les conditions sociales et économiques ? Ce qui fait l’objet de notre enquête, ce sont donc les différentes classes sociales et non pas des phénomènes sociaux fragmentaires.

Depuis quelque temps, les camarades du 4e corps de l’Armée rouge donnent en général leur attention au travail d’enquête, mais la méthode de beaucoup d’entre eux est erronée. Le résultat de leur enquête ressemble aux comptes d’un épicier, rappelle cette foule d’histoires sensationnelles qu’un campagnard a entendu raconter en ville, ou bien fait penser à une cité populeuse aperçue de loin au sommet d’une montagne. Une telle enquête n’est guère utile et ne nous permet pas d’atteindre notre objectif principal qui est de connaître la situation politique et économique des différentes classes de la société.

Notre enquête doit pouvoir nous donner, en conclusion, un tableau de la situation actuelle de chaque classe ainsi que des hautes et des bas qu’elle a connus dans le passé.

Par exemple, lorsque nous faisons une enquête sur la composition de la paysannerie, nous ne devons pas seulement nous renseigner sur le nombre des paysans propriétaires, des paysans semi-propriétaires et des fermiers, qui se distinguent les uns des autres sous le rapport de la location des terres, nous devons surtout connaître le nombre des paysans riches, des paysans moyens et des paysans pauvres, qui se distinguent par des différences de classe ou de couche sociale.

Lorsque nous procédons à une enquête sur la composition des commerçants, nous ne devons pas seulement connaître le nombre des personnes réparties dans le commerce du grain, dans la confection, dans le commerce de plantes médicinales, etc., nous devons surtout nous enquérir du nombre des petits commerçants, des commerçants moyens et des gros commerçants. Nous devons enquêter non seulement sur la situation de chaque profession ou état, mais encore et surtout sur sa composition de classe. Nous devons enquêter non seulement sur les relations entre les différents états, mais avant tout sur les rapports entre les différentes classes.

Notre principale méthode d’investigation est de disséquer les différentes classes sociales, et notre but final est de connaître leurs relations mutuelles, d’arriver à une juste appréciation des forces de classe et de définir ensuite une juste tactique pour notre lutte, en déterminant quelles sont les classes qui constituent nos forces principales dans la lutte révolutionnaire, quelles sont celles que nous devons gagner à nous comme alliées et quelles sont celles que nous devons renverser. Voilà tout notre but.

   Quelles sont les classes sociales qui doivent faire l’objet de l’enquête ? Ce sont :

   Le prolétariat industriel,

   les ouvriers artisanaux,

   les salariés agricoles,

   les paysans pauvres,

   les indigents des villes,

   le Lumpenproletariat,

   les propriétaires d’entreprises artisanales,

   les petits commerçants,

   les paysans moyens,

   les paysans riches,

   les propriétaires fonciers,

   la bourgeoisie commerciale,

   la bourgeoisie industrielle.

   Au cours de notre enquête, nous devons porter notre attention sur la condition de toutes ces classes (ou couches sociales). Dans la région où nous travaillons pour le moment, seuls le prolétariat industriel et la bourgeoisie industrielle font défaut, les reste nous est familier. Notre tactique de lutte n’est autre que celle que nous adoptons à l’égard de toutes ces classes et couches sociales.

   Nous avons eu dans notre travail d’enquête une autre insuffisance sérieuse : nous avons mis l’accent sur les régions rurales au détriment des villes, de sorte que nombre de nos camarades ont toujours eu une idée bien vague sur la tactique à adopter à l’égard des indigents des villes et de la bourgeoisie commerciale.

Le développement de la lutte nous a fait quitter la montagne pour la plaine ; physiquement, nous sommes depuis longtemps descendus des hauteurs, mais mentalement, nous y sommes toujours. Nous devons connaître la ville aussi bien que la campagne ; autrement, nous ne pourrions répondre aux besoins de la révolution.

La victoire dans la lutte révolutionnaire en Chine dépend de la connaissance qu’ont les camarades chinois des conditions de leur pays

   Le but de notre lutte est de passer de la démocratie au socialisme. Dans cette tâche, la première chose à faire, c’est de mener à son terme la révolution démocratique en gagnant à nous la majorité de la classe ouvrière et en soulevant les masses paysannes et les indigents des villes pour renverser la classe des propriétaires fonciers, l’impérialisme et le régime du Kuomintang.

Puis, avec le développement de cette lutte, nous aurons à réaliser la révolution socialiste. L’accomplissement de cette grande tâche révolutionnaire n’est pas chose simple et aisée ; il dépend entièrement de la justesse et de la fermeté de la tactique de lutte employée par le parti prolétarien. Si cette tactique est erronée ou hésitante, la révolution essuiera inévitablement un échec temporaire.

Sachons bien que les partis bourgeois, eux aussi, discutent chaque jour leur tactique de lutte ; il s’agit, pour eux, de savoir comment propager les idées réformistes dans les rangs de la classe ouvrière pour abuser celle-ci et la soustraire à la direction du Parti communiste, comment gagner les paysans riches pour liquider les insurrections des paysans pauvres et comment organiser le Lumpenproletariat pour réprimer la révolution, etc.

Quand la lutte de classes devient de plus en plus acharnée et prend la forme d’un corps à corps, le prolétariat doit entièrement compter, pour sa victoire, sur la justesse et la fermeté de la tactique de lutte de son parti, le Parti communiste. Une tactique de lutte du Parti communiste qui soit aussi juste que ferme ne saurait être élaborée par quelques personnes s’enfermant entre quatre murs ; elle ne peut provenir que de la lutte des masses, c’est-à-dire de l’expérience pratique. C’est pourquoi nous devons constamment nous tenir au courant de l’état de la société et faire des enquêtes sur la réalité.

Les camarades qui ont l’esprit figé, conservateur, formaliste et indûment optimiste croient que la tactique de lutte adoptée aujourd’hui est la meilleure qui soit, que les « livres » publiés par le VIème Congrès du Parti communiste garantissent à jamais notre victoire et qu’il suffît de se conformer aux décisions prises pour vaincre partout.

Cette façon de voir est tout à fait fausse, elle est incompatible avec l’idée qui veut que les communistes créent par. la lutte des situations nouvelles ; elle ne représente qu’un ligne purement conservatrice. Si elle n’est pas totalement rejetée, cette ligne conservatrice causera un grand préjudice à la révolution et nuira à ces camarades eux-mêmes.

De toute évidence, certains camarades de l’Armée rouge sont heureux d’en rester là, ils ne cherchent pas à connaître le fond des choses, sont d’un optimisme vain et propagent cette idée fausse : « Ça, c’est du prolétariat ». Ils ne font que manger et boire toute la journée et passent leur temps à sommeiller dans leurs bureaux, sans vouloir jamais mettre le pied dans la société, parmi les masses, pour faire une enquête. Quand ils s’adressent aux gens, c’est toujours la même rengaine assommante. Pour réveiller ces camarades, il nous faut leur crier :

   Débarrassez-vous au plus vite de votre esprit conservateur !

   Remplacez-le par un esprit agissant, progressiste et communiste !

   Allez dans la lutte !

   Allez parmi les masses et faites des enquêtes sur la réalité !

La technique de l’enquête

   1) Tenir des réunions d’information et procéder aux enquêtes au moyen de la discussion.

   Seule cette façon de faire permet d’approcher la vérité et de tirer des conclusions. S’en rapporter uniquement à la relation que fait quelqu’un de sa propre expérience, sans tenir de réunions d’information ni mener une enquête au moyen de la discussion, est une méthode sujette à l’erreur. Et celle qui consiste seulement à poser à la réunion quelques questions au hasard sans soulever les problèmes essentiels ne permet pas de tirer des conclusions plus ou moins exactes.

   2) Qui doit assister à la réunion d’information ? Ceux qui connaissent parfaitement la situation sociale et économique. Du point de vue de l’âge, les personnes âgées sont préférables, car elles ont une riche expérience et connaissent non seulement l’état actuel des choses, mais encore leurs causes et effets. Les jeunes ayant l’expérience de la lutte doivent être aussi du nombre, parce qu’ils ont des idées progressistes et un sens aigu de l’observation.

Du point de vue de l’état, on peut faire venir des ouvriers, des paysans, des commerçants, des intellectuels, parfois des soldats et même des vagabonds. Naturellement, quand l’enquête porte sur un sujet bien déterminé, il n’est pas nécessaire d’avoir des gens étrangers à la question ; ainsi, les ouvriers, les paysans et les étudiants n’ont pas besoin d’être présents quand il s’agit d’une enquête sur le commerce.

   3) Qu’est-ce qui est préférable, une grande ou une petite réunion d’information ?

   Cela dépend de la capacité de l’enquêteur à conduire la réunion. Pour un enquêteur capable, le nombre des participants peut dépasser une dizaine ou même une vingtaine.

Une réunion nombreuse a son avantage : elle permet d’établir des statistiques relativement exactes (par exemple, lorsqu’on veut connaître le pourcentage des paysans pauvres par rapport au nombre total des paysans) et de tirer des conclusions relativement correctes (par exemple, lorsqu’on veut savoir si la distribution égale des terres est préférable à leur distribution différenciée). Naturellement, une réunion nombreuse présente également des inconvénients : celui qui ne sait pas bien la conduire n’arrive pas à y maintenir l’ordre.

Ainsi, le nombre des participants dépend de la compétence de l’enquêteur. Toutefois, une réunion doit avoir au moins trois personnes, sinon les renseignements seraient trop limités pour refléter la vérité

   4) Etablir un plan d’enquête.

   Il faut avoir un plan préparé. L’enquêteur posera des questions en suivant l’ordre prévu par ce plan et les participants y répondront de vive voix. Les points obscurs ou douteux seront soumis au début. Le plan d’enquête doit comporter des chapitres et des sous-chapitres ; par exemple, dans le chapitre « commerce », les tissus, les grains, les articles divers, les plantes médicinales constituent autant de sous-chapitres, et le sous-chapitre « tissus » se subdivise à son tour en calicots, tissus de fabrication locale, soieries, etc.

   5) Participer personnellement à l’enquête.

   Ceux qui occupent un poste dirigeant, depuis le président du gouvernement cantonal jusqu’au président du gouvernement central, depuis le chef de détachement jusqu’au commandent en chef, depuis le secrétaire de cellule jusqu’au secrétaire générale du Parti, doivent sans exception enquêter personnellement sur la réalité sociale et économique, ils ne doivent pas se fier uniquement aux rapports écrits, car autre chose est d’enquêter soi-même, autre chose est de lire des rapports.

   6) Approfondir la matière.

   Tous ceux qui débutent clans le travail d’enquête doivent procéder à une ou deux enquêtes approfondies, c’est-à-dire connaître parfaitement un endroit (un village, une ville) ou une question (les grains, la monnaie). La connaissance approfondie d’un endroit ou d’une question leur permettra de s’orienter plus facilement dans les enquêtes ultérieures sur d’autres endroits ou d’autres questions.

   7) Prendre soi-même des notes.

   L’enquêteur doit non seulement présider lui-même la réunion d’information et la diriger convenablement, mais encore prendre lui-même des notes afin de consigner les résultats de son enquête. Il ne faut pas confier ce travail à d’autres.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Pour l’union jusqu’au bout

Juillet 1940

Le troisième anniversaire du déclenchement de la Guerre de Résistance contre le Japon et le dix-neuvième anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois tombent au même moment. En célébrant aujourd’hui l’anniversaire de la Guerre de Résistance, nous communistes, nous ressentons notre responsabilité avec une force toute particulière.

   La responsabilité d’assurer le salut de la nation chinoise doit être assumée par tous les partis et groupements politiques qui résistent au Japon, par le peuple tout entier, mais nous estimons, nous communistes, que celle qui nous incombe est la plus lourde. La déclaration sur la situation actuelle, publiée par le Comité central de notre Parti, est essentiellement un appel à la résistance et à l’union jusqu’au bout.

   Nous espérons qu’elle sera approuvée par les armées et partis amis et par tout le peuple chinois ; quant aux membres du Parti communiste, c’est à eux, en particulier, qu’il appartient d’appliquer consciencieusement la ligne politique définie par cette déclaration.

   Les communistes doivent savoir que c’est seulement en résistant jusqu’au bout que l’on demeurera unis jusqu’au bout, et inversement. C’est pourquoi ils auront une conduite exemplaire qu’il s’agisse de la Résistance ou de l’union. Nous ne combattons que l’ennemi et les capitulards et anticommunistes endurcis ; nous nous efforçons d’unir à nous tous les autres éléments.

   D’ailleurs, les capitulards et anticommunistes endurcis ne sont partout qu’une minorité. J’ai enquêté sur la composition du personnel d’un organe du pouvoir local. Parmi ses 1.300 membres, il ne s’est trouvé que 40 à 50 anticommunistes endurcis, soit moins de 4 pour cent ; tous les autres veulent l’union et la Résistance.

   Nous ne pouvons évidemment pas nous montrer tolérants à l’égard des capitulards et anticommunistes endurcis : ce serait leur permettre de saper la Résistance et l’union. C’est pourquoi il faut combattre résolument les capitulards et repousser avec fermeté, en légitime défense, les attaques des éléments anticommunistes. Sinon, nous ferions de l’opportunisme de droite, ce qui porterait préjudice à l’union et à la Résistance.

   Cependant, il faut pratiquer une politique d’union à l’égard de tous ceux qui ne sont pas des capitulards ou des anticommunistes invétérés. Certains d’entre eux jouent double jeu, d’autres agissent par contrainte, d’autres encore ont fait momentanément fausse route ; tous ces gens-là, nous devons les gagner à notre cause, afin de maintenir l’union et de poursuivre la Résistance.

   Sinon, nous tomberions dans l’opportunisme « de gauche », ce qui porterait également préjudice à l’union et à la Résistance. Tous les communistes doivent savoir qu’en tant que promoteurs du front uni national antijaponais nous avons le devoir de le maintenir. A l’heure où s’aggravent les malheurs de la nation et où de profonds changements se produisent dans la situation internationale, nous devons assumer la lourde responsabilité de sauver la nation chinoise.

   Nous vaincrons l’impérialisme japonais, nous ferons de la Chine une république indépendante, libre, démocratique, et, pour cela, il est indispensable d’unir le plus grand nombre possible de gens, affiliés ou non à un parti ou groupement politique.

   Toutefois, les communistes ne doivent pas former un front uni sans principe ; aussi est-il indispensable de lutter contre toute manœuvre visant à désintégrer, à limiter, à contenir, à persécuter le Parti communiste, et contre l’opportunisme de droite dans le Parti. Mais, en même temps, il n’est permis à aucun communiste d’enfreindre la politique de front uni du Parti ; les membres du Parti doivent donc unir, sur le principe de la Résistance, tous les éléments qui sont encore disposés à résister à l’envahisseur, et combattre l’opportunisme « de gauche » dans le Parti.

   Ainsi, dans la question du pouvoir, nous nous prononçons pour le pouvoir de front uni ; nous nous opposons à la dictature d’un seul parti, quel que soit le parti qui l’exerce, y compris le Parti communiste, mais nous sommes pour la dictature conjointe de tous les partis et groupements politiques, de tous les milieux et de toutes les forces armées, c’est-à-dire pour le pouvoir de front uni.

   Lorsque, sur les arrières de l’ennemi, nous créons des organes du pouvoir antijaponais après avoir détruit ceux du pouvoir fantoche, nous devons appliquer le « système des trois tiers » selon la décision de notre Comité central. Les membres du Parti communiste n’entreront que pour un tiers dans les organismes tant administratifs que représentatifs, afin que les deux tiers restants soient formés de représentants des autres partis et groupements politiques et des sans-parti qui sont pour la Résistance et la démocratie.

   Quiconque n’est pas partisan de la capitulation et de l’anticommunisme peut travailler dans les organismes gouvernementaux. Tout parti ou groupement politique, tant qu’il n’est pas pour la capitulation et ne combat pas le communisme, a le droit d’exister et de poursuivre ses activités sous le pouvoir antijaponais.

   Au sujet de l’armée, la déclaration de notre Parti précise que nous continuerons à respecter la décision de « ne pas créer d’organisations de notre Parti dans les armées amies ». Là où les organisations locales du Parti n’ont pas strictement appliqué cette décision, il est indispensable de redresser immédiatement la situation.

   Il convient d’avoir une attitude amicale à l’égard de toutes les troupes qui s’abstiennent de provoquer des « frictions » avec la VIIIe Armée de Route et la Nouvelle IVe Armée. Par ailleurs, il faut rétablir des relations amicales même avec les troupes qui ont provoqué des « frictions », à condition qu’elles aient cessé ce genre d’activité. Telle est notre politique de front uni en ce qui concerne l’armée.

   Pour répondre aux besoins de la Guerre de Résistance, il est indispensable d’appliquer, dans le domaine des finances, de l’économie, de la culture, de l’éducation et de l’élimination des éléments hostiles, la politique de front uni sur la base du rajustement des intérêts des différentes classes, et de lutter contre l’opportunisme, qu’il soit de droite ou « de gauche ».

   Sur le plan international, la guerre impérialiste est en voie de s’étendre au monde entier, et la crise politique et économique extrêmement grave qu’elle engendre fera inévitablement éclater la révolution dans de nombreux pays. Nous traversons une époque nouvelle de guerres et de révolutions.

   L’Union soviétique, qui n’a pas été entraînée dans le tourbillon de cette guerre impérialiste, soutient toutes les nations et tous les peuples opprimés du monde. Toutes ces circonstances favorisent la Guerre de Résistance en Chine.

   Toutefois, le danger d’une capitulation est plus grand que jamais, car l’impérialisme japonais, se préparant à envahir les pays du Sud-Est asiatique, intensifie ses attaques contre la Chine, et il cherchera à amener à la capitulation certains des éléments hésitants de notre pays. La quatrième année de la Guerre de Résistance sera la plus dure. Nous avons pour tâche d’unir toutes les forces qui résistent au Japon, de lutter contre les capitulards, de vaincre toutes les difficultés et de poursuivre avec ténacité la Guerre de Résistance à l’échelle nationale.

   Tous les membres du Parti communiste doivent s’unir étroitement avec les armées et partis amis en vue de réaliser cette tâche. Nous sommes persuadés que, grâce aux efforts conjugués des membres de notre Parti, des armées et partis amis, de notre peuple tout entier, on parviendra à conjurer la capitulation, à surmonter les difficultés, à chasser les envahisseurs japonais et à reconquérir le sol de la patrie. Notre Guerre de Résistance a de brillantes perspectives.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Peuples du monde, unissez-vous, pour abattre les agresseurs américains et tous leurs laquais !

Déclaration du 20 mai 1970

   A l’heure actuelle, un nouvel essor de la lutte contre l’impérialisme américain s’affirme à l’échelle mondiale. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, l’impérialisme américain et ceux qui sont à sa remorque n’ont cessé de se livrer à des guerres d’agression, et les peuples ont toujours recouru à la guerre révolutionnaire pour vaincre les agresseurs. Le danger d’une nouvelle guerre mondiale demeure et les peuples du monde doivent y être préparés.

   Mais aujourd’hui, dans le monde, la tendance principale, c’est la révolution.

   Les agresseurs américains, ne pouvant gagner la guerre au Viet Nam et au Laos, ont fomenté le coup d’Etat réactionnaire de la clique Lon Nol − Sirik Matak, envoyé sans vergogne leurs troupes au Cambodge et repris le bombardement du Nord Viet Nam ; ce qui a suscité la résistance indignée des trois peuples indochinois.

   Je soutiens chaleureusement l’esprit de lutte de Samdech Norodom Sihanouk, chef de l’Etat du Cambodge, contre l’impérialisme américain et ses laquais ; je soutiens chaleureusement la déclaration commune de la Conférence au Sommet des Peuples indochinois ; je soutiens chaleureusement l’établissement du Gouvernement royal d’Union nationale placé sous l’égide du Front uni national du Kampuchéa.

   En renforçant leur unité en se prêtant mutuellement aide et soutien, et en persévérant dans une guerre populaire de longue durée, les trois peuples indochinois pourront surmonter toutes les difficultés et arracher la victoire totale.

   L’impérialisme américain, tout en se livrant au massacre à l’étranger, tue les Blancs et les Noirs dans son propre pays. Les violences fascistes de Nixon ont fait jaillir les flammes ardentes du mouvement révolutionnaire de masse aux Etats-Unis. Le peuple chinois apporte son ferme soutien à la lutte révolutionnaire du peuple américain. Héroïque au combat, le peuple américain sera vainqueur et la domination fasciste aux Etats-Unis essuiera une défaite inéluctable ; telle est ma conviction.

   L’administration Nixon est assaillie par de multiples difficultés tant intérieures qu’extérieures ; elle est aux prises avec un pays en plein chaos et est fort isolée dans le monde. Le mouvement de masse en protestation contre l’agression américaine au Cambodge se déchaîne à travers le monde. Moins de dix jours après sa formation, le Gouvernement royal d’Union nationale du Cambodge a été reconnu par près de vingt pays.

   La guerre de résistance des peuples vietnamien, lao et cambodgien contre l’agression américaine et pour le salut national connaît une situation toujours meilleure.

   La lutte armée révolutionnaire des peuples du Sud-Est asiatique, la lutte des peuples de Corée, du Japon et des autres pays asiatiques contre la résurrection du militarisme japonais perpétrée par les réactionnaires américano-japonais, la lutte du peuple palestinien et des autres peuples arabes contre les agresseurs américano-israéliens, la lutte des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine pour la libération nationale ainsi que la lutte révolutionnaire des peuples d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Océanie se développent toutes avec impétuosité.

   Le peuple chinois soutient fermement les trois peuples indochinois et les autres peuples du monde dans leur lutte révolutionnaire contre l’impérialisme américain et ses laquais.

   L’impérialisme américain a l’air d’un colosse, mais il n’est en réalité qu’un tigre en papier, et il se débat désespérément. Au fond, qui a peur de qui dans le monde actuel ? Ce ne sont pas les peuples du Viet Nam, du Laos, du Cambodge, de Palestine, des autres pays arabes et du reste du monde qui craignent l’impérialisme américain, c’est l’impérialisme américain qui craint les peuples du monde. Au moindre remous, il est pris de panique.

   Des faits innombrables prouvent qu’une cause juste bénéficie toujours d’un large soutien, tandis qu’une cause injuste en trouve peu. Un pays faible est à même de vaincre un pays fort, et un petit pays de vaincre un grand pays. Le peuple d’un petit triomphera à coup sûr de l’agression d’un grand pays s’il ose se dresser pour la lutte, recourir aux armes et prendre en main le destin de son pays. C’est là une loi de l’Histoire.

   Peuples du monde, unissez-vous, pour abattre les agresseurs américains et tous leurs laquais !

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Pourquoi il est nécessaire de discuter du Livre blanc

28 Août 1949

   Nous avons critiqué le Livre blanc américain et la lettre d’Acheson dans trois articles (« Un Aveu d’impuissance », « Rejetez vos illusions et préparez-vous à la lutte » et « Bon voyage, Leighton Stuart ! »). Nos critiques ont, à travers le pays, éveillé l’attention générale et soulevé d’amples discussions dans tous les partis démocratiques et organisations populaires, dans la presse et les établissements scolaires du pays, ainsi que parmi les personnalités démocrates de tous les milieux ; beaucoup de déclarations, d’interviews et de commentaires justes et utiles ont été publiés.

   Des colloques sur le Livre blanc vont leur train, et toute la discussion est encore en plein développement. Elle porte sur les relations sino-américaines, les relations sino-soviétiques, les relations entre la Chine et les pays étrangers au cours des cent dernières années, la relation mutuelle entre la révolution chinoise et les forces révolutionnaires du monde, la relation entre les réactionnaires du Kuomintang et le peuple chinois, l’attitude à adopter par les partis démocratiques, les organisations populaires et les personnalités démocrates de tous les milieux dans la lutte contre l’impérialisme, l’attitude à adopter par les libéraux ou ceux qu’on appelle les individualistes démocrates à l’égard des relations intérieures et extérieures du pays prises dans leur ensemble, les moyens de venir à bout des nouvelles intrigues impérialistes, etc. Tout cela est fort bien et d’une grande valeur éducative.

   Le monde entier discute maintenant la révolution chinoise et le Livre blanc américain. Ce fait n’est pas dû au hasard ; il montre la grande portée de la révolution chinoise dans l’histoire mondiale.

Quant à nous, Chinois, nous avons remporté ln victoire fondamentale dans notre révolution, mais l’occasion nous a longtemps manqué pour discuter à fond la relation réciproque entre cette révolution et les différentes forces dans notre pays et à l’étranger. Or, une telle discussion est nécessaire, et maintenant nous en avons trouvé l’occasion : c’est l’examen du Livre blanc américain.

   Si l’occasion nous a manqué jusqu’ici pour une telle discussion, c’est que, la révolution n’ayant pas remporté la victoire fondamentale, les réactionnaires chinois et étrangers avaient complètement coupé des régions libérées populaires les grandes villes du pays, et que le développement de la révolution n’avait pas encore mis en pleine lumière certains aspects des contradictions.

Maintenant, la situation est différente. La plus grande partie de la Chine est libérée, tous les aspects des contradictions intérieures et extérieures apparaissent au grand jour, et à ce moment précis les États-Unis publient le Livre blanc ; l’occasion pour cette discussion est donc trouvée.

   Le Livre blanc est un livre contre-révolutionnaire qui montre ouvertement l’intervention de l’impérialisme américain en Chine. A cet égard, l’impérialisme s’est écarté de sa pratique habituelle.

La grande révolution chinoise victorieuse a forcé un groupe ou une faction de la clique impérialiste des États-Unis à publier, pour répondre aux attaques d’un autre groupe ou d’une autre faction, certaines données authentiques sur ses propres menées contre le peuple chinois, non sans en tirer des conclusions réactionnaires ; il ne lui restait, en effet, pas d’autre moyen de se maintenir au pouvoir. La révélation publique substituée à la dissimulation montre que l’impérialisme s’est écarté de sa pratique habituelle.

   Quelques semaines encore avant la publication du Livre blanc, les gouvernements des pays impérialistes, tout en se livrant quotidiennement à des activités contre-révolutionnaires, n’avaient à la bouche ou n’offraient dans les documents officiels que des protestations d’humanité, de justice et de vertu, ou d’autres déclarations plus ou moins analogues, et ils ne disaient jamais la vérité. Cela reste vrai de l’impérialisme britannique, ce vieux rusé, ce maître en fourberie, comme du reste des autres pays impérialistes moins importants.

Combattu d’un côté par le peuple et de l’autre par une faction de son propre camp, le groupe impérialiste américain représenté par ces parvenus aux nerfs faibles, récemment promus au pouvoir, les Truman, Marshall, Acheson, Leighton Stuart et consorts, a estimé nécessaire et possible d’utiliser la révélation publique de quelques-uns de ses agissements contre-révolutionnaires (mais pas tous) pour argumenter contre ses adversaires dans son propre camp sur la question de savoir quelle tactique contre-révolutionnaire est la plus habile.

   Il a essayé par là de convaincre ses adversaires, afin de pouvoir continuer d’appliquer ce qu’il considère comme la plus habile des tactiques contre-révolutionnaires. Deux factions de contre-révolutionnaires sont entrées en compétition. L

’une a dit : « Notre méthode est la meilleure. » L’autre a dit : « C’est la nôtre la meilleure. » Comme la dispute devenait inextricable, une des factions abattit soudain son jeu et livra le secret de bien des tours qu’elle avait dans son sac. D’où le Livre blanc.

   Et voilà comment le Livre blanc est devenu matériel d’enseignement pour le peuple chinois. Durant bien des années, un certain nombre de Chinois (il fut un temps où c’était un grand nombre) ne croyaient qu’à moitié ce que nous communistes, nous disions sur beaucoup de questions, surtout sur la nature de l’impérialisme et du socialisme, et ils pensaient : « Peut-être bien que ce n’est pas comme ça. »

Cette situation a changé depuis le 5 août 1949. En effet, Acheson leur a fait une leçon, où il a parlé en sa qualité de secrétaire d’Etat américain. En ce qui concerne certaines données et conclusions, ce qu’il dit coïncide avec ce que nous disions, nous les communistes et les autres progressistes. Du coup, il n’a plus été possible de ne pas nous croire, et beaucoup de gens ont ouvert les yeux : « C’était donc bien comme ça ! »

   Acheson commence sa lettre à Truman en racontant comment il a préparé le Livre blanc. A l’en croire, son Livre blanc est différent de tous les autres, il est très objectif et très sincère :

   « Voici un témoignage sincère d’une période extrêmement complexe et des plus malheureuses dans la vie d’un grand pays, auquel les États-Unis ont été longtemps attachés par les liens de la plus étroite amitié. Aucun document disponible n’a été omis, même s’il contient des affirmations critiques sur notre politique ou peut servir de base à une critique future. La force inhérente à notre système réside dans la sensibilité du gouvernement à l’égard d’une opinion publique bien informée et à l’esprit critique. C’est précisément cette opinion publique que les gouvernements totalitaires, qu’ils soient de droite ou communistes, ne peuvent supporter et ne tolèrent pas. »

   Certains liens existent en effet entre le peuple chinois et le peuple américain. Grâce aux efforts communs des deux peuples, ces liens pourront se renforcer à l’avenir au point de devenir « la plus étroite amitié ». Mais les obstacles dressés par les réactionnaires chinois et américains ont gêné et gênent encore sérieusement le développement de ces liens.

Bien plus, dans les deux pays, les réactionnaires ont raconté tant de mensonges au peuple et lui ont joué tant de vilains tours, en d’autres termes, répandu tant de propagande pernicieuse et commis tant de mauvaises actions que les liens entre les deux peuples sont bien loin d’être étroits.

   Ce qu’Acheson appelle « liens de la plus étroite amitié », ce sont ceux qui existent entre les réactionnaires des deux pays, non entre les deux peuples. Ici, Acheson n’est ni objectif ni franc, il confond les relations entre les deux peuples avec les relations entre les réactionnaires des deux pays. Pour les peuples des deux pays, la victoire de la révolution chinoise et la défaite des réactionnaires chinois et américains sont les événements les plus réjouissants qu’ils aient jamais connus, et la période actuelle est la plus heureuse de leur vie.

Par contre, c’est seulement pour Truman, Marshall, Acheson, Leighton Stuart et les autres réactionnaires américains, et pour Tchiang Kaï-chek, H. H. Kung, T.V. Soong, Tchen Li-fou, Li Tsong-jen, Pai Tchong-hsi et les autres réactionnaires chinois que cette période est vraiment « une période extrêmement complexe et des plus malheureuses » de leur vie.

   En parlant d’opinion publique, les Acheson ont confondu l’opinion publique des réactionnaires avec celle du peuple.

A l’égard de l’opinion publique du peuple, les Acheson sont incapables de la moindre « sensibilité », ils sont aveugles et sourds. Depuis des années, ils ont fait la sourde oreille à l’opposition exprimée par les peuples des États-Unis, de Chine et des autres pays du monde à la politique extérieure réactionnaire du gouvernement américain.

Qu’est-ce donc qu’Acheson entend par « opinion publique bien informée et à l’esprit critique » ? Ce sont les nombreux instruments de propagande, spécialisés dans la fabrication de mensonges et dans les menaces contre le peuple, tels que les journaux, les agences d’information, les périodiques et les stations de radiodiffusion contrôlés par les deux partis réactionnaires des Etats-Unis, les républicains et les démocrates.

   Acheson a raison de dire que les communistes (et avec eux le peuple) « ne peuvent supporter et ne tolèrent pas » ces choses. Aussi nous avons fermé les services d’information impérialistes, nous avons interdit aux agences de presse impérialistes de distribuer leurs dépêches aux journaux chinois, et nous n’avons pas admis qu’elles continuent à empoisonner à leur guise l’âme du peuple chinois sur le sol chinois.

   Dire que le gouvernement dirigé par le Parti communiste est un « gouvernement totalitaire » est aussi à moitié vrai. C’est en effet un gouvernement qui exerce la dictature sur les réactionnaires chinois et étrangers et n’accorde à aucun d’eux la moindre liberté pour mener des activités contre-révolutionnaires. Les réactionnaires se mettent en colère et vocifèrent : « Gouvernement totalitaire ! »

   Certes, rien n’est plus vrai s’il s’agit du pouvoir du gouvernement populaire de réprimer les réactionnaires. Ce pouvoir est maintenant inscrit dans notre programme ; il sera également inscrit dans notre constitution. Pour un peuple victorieux, ce pouvoir est quelque chose dont il ne peut se passer, fût-ce un seul instant, comme la nourriture et le vêtement.

C’est une chose excellente, un talisman protecteur, une arme magique à transmettre de génération en génération, et dont il ne faut en aucun cas se dessaisir avant la suppression complète et définitive de l’impérialisme à l’étranger et des classes à l’intérieur du pays. Plus les réactionnaires vocifèrent : « Gouvernement totalitaire ! », plus il devient évident que c’est un trésor.

   Mais la remarque d’Acheson est aussi à moitié fausse. Pour les masses du peuple, un gouvernement de dictature démocratique populaire dirigé par le Parti communiste n’est pas dictatorial, mais démocratique. C’est le gouvernement du peuple même. Le personnel en fonction de ce gouvernement doit prêter une attention respectueuse à la voix du peuple et être en même temps l’instituteur du peuple, auquel il apprend à s’éduquer par la méthode de l’auto-éducation et de l’autocritique.

   Quant à ce qu’Acheson appelle un « gouvernement totalitaire de droite », c’est au gouvernement des États-Unis que revient, à ce titre, la première place dans le monde d’aujourd’hui, depuis la chute des gouvernements fascistes d’Allemagne, d’Italie et du Japon.

Tous les gouvernements bourgeois, y compris les gouvernements de réactionnaires allemands, italiens et japonais protégés par l’impérialisme, sont des gouvernements de ce type. Le gouvernement Tito en Yougoslavie est devenu maintenant un complice de cette bande.

   Les gouvernements des États-Unis et de la Grande-Bretagne sont du type de gouvernement par lequel une seule classe, la bourgeoisie, exerce la dictature sur le peuple. Contraire en tout point au gouvernement populaire, ce type de gouvernement pratique ce qu’on appelle la démocratie pour la bourgeoisie, mais exerce la dictature sur le peuple.

Les gouvernements de Hitler, Mussolini, Tojo, Franco et Tchiang Kaï-chek ont rejeté le voile de la démocratie bourgeoise, ou ne s’en sont pas servis du tout, parce que la lutte de classes avait atteint dans leur pays une intensité extrême et qu’ils ont trouvé plus avantageux de le rejeter ou simplement de ne pas l’utiliser, de peur que le peuple de son côté ne s’en serve à ses propres fins.

   Le gouvernement des États-Unis garde encore un voile de démocratie, mais les réactionnaires américains l’ont tellement coupé qu’il n’en reste qu’un petit morceau, misérablement déteint, et bien loin d’être ce qu’il était au temps de Washington, Jefferson et Lincoln. La raison en est que la lutte de classes est devenue plus intense. Quand elle le deviendra encore plus, le voile de la démocratie américaine sera inévitablement jeté aux quatre vents.

   Chacun peut voir quelle quantité d’erreurs Acheson commet, dès qu’il ouvre la bouche. Cela est inévitable, puisqu’il est un réactionnaire. Quant à savoir dans quelle mesure le Livre blanc est un « témoignage sincère », nous pensons qu’il est sincère tout en ne l’étant pas. Les Acheson sont francs quand ils s’imaginent que leur franchise profitera à leur parti ou à leur faction. Sinon, ils ne le sont pas. Feindre la franchise est une ruse de guerre.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Le tournant de la Seconde Guerre Mondiale

12 octobre 1942

   La bataille de Stalingrad a été comparée, par la presse britannique et américaine, à la bataille de Verdun, et le « Verdun rouge » est maintenant connu du monde entier. Cette comparaison n’est pas heureuse.

   L’actuelle bataille de Stalingrad diffère, par son caractère même, du Verdun de la Première guerre mondiale. Un point cependant leur est commun : aujourd’hui comme alors, beaucoup de gens sont abusés par les opérations offensives de l’Allemagne et s’imaginent qu’elle peut encore remporter la victoire.

   La Première guerre mondiale s’est terminée dans l’hiver 1918 ; en 1916, l’armée allemande lança plusieurs offensives contre la place forte française de Verdun.

   Le Kronprinz conduisait lui-même les opérations, et les forces jetées dans cette bataille étaient l’élite de l’armée allemande. La bataille fut décisive.

   Les furieux assauts des Allemands ayant échoué, tout le camp germano-austro-turco-bulgare se trouva dans une situation sans issue ; ses difficultés ne cessèrent d’augmenter, la rébellion gagna ses rangs, la désagrégation s’y installa, et finalement ce fut l’effondrement.

   Mais à l’époque le camp anglo-américano-français ne comprenait pas cette situation, il croyait l’armée allemande encore très forte et ne se doutait pas que sa propre victoire était à portée de la main.

   Dans l’histoire de l’humanité, toute force réactionnaire au seuil de sa perte se lance nécessairement, dans un ultime sursaut, contre les forces de la révolution ; et souvent, des révolutionnaires sont un moment induits en erreur par cette force apparente qui masque la faiblesse intérieure, ils ne voient pas ce fait essentiel que l’ennemi approche de sa fin et qu’eux-mêmes sont près de la victoire.

   Or, la montée de l’ensemble des forces fascistes et les guerres d’agression qu’elles mènent depuis quelques années constituent justement cet ultime sursaut des forces réactionnaires et, dans la guerre actuelle, l’attaque sur Stalingrad marque l’ultime sursaut des forces fascistes elles-mêmes.

   Face à ce tournant de l’histoire, beaucoup de gens au sein du front mondial antifasciste se sont aussi laissé abuser par l’aspect féroce du fascisme et n’en ont pas discerné la réalité interne.

   Des combats d’une âpreté sans précédent dans l’histoire se sont déroulés pendant quarante-huit jours, depuis le 23 août, date à laquelle les troupes allemandes achevèrent de franchir la boucle du Don et déclenchèrent une attaque générale contre Stalingrad, jusqu’au 9 octobre, jour où le Bureau d’Information soviétique annonça que l’Armée rouge avait brisé l’encerclement allemand du quartier industriel qui occupe le nord-ouest de la ville et dans lequel une partie des troupes allemandes avait fait irruption le 15 septembre.

   La bataille fut finalement gagnée par les forces soviétiques.

   Pendant ces quarante huit jours, les nouvelles provenant quotidiennement de cette ville sur le déroulement de la bataille ont tenu en haleine des dizaines et des centaines de millions d’hommes, leur apportant tantôt l’affliction, tantôt l’allégresse.

   Cette bataille est non seulement le tournant de la guerre germano-soviétique, ou encore de la guerre mondiale antifasciste, elle est aussi un tournant dans l’histoire de toute l’humanité.

   Pendant ces quarante-huit jours, l’attention des peuples du monde entier était fixée sur Stalingrad, plus fortement encore qu’elle ne l’avait été sur Moscou, en octobre dernier.

   Avant qu’il eût remporté ses victoires sur le front ouest, Hitler semblait faire preuve de prudence. Dans ses attaques contre la Pologne, contre la Norvège, contre les Pays-Bas, la Belgique et la France et contre les Balkans, il concentrait toujours ses forces sur un seul objectif, sans oser en détourner son attention.

   Mais après ses victoires à l’ouest, il fut grisé par le succès et tenta de vaincre l’Union soviétique en trois mois.

   De Mourmansk, dans le nord, à la Crimée, dans le sud, il déclencha une offensive générale contre cet immense et puissant pays socialiste, et ce faisant, il dispersa ses forces. L’échec de son offensive contre Moscou en octobre de l’an dernier mit fin à la première phase de la guerre germano-soviétique ; le premier plan stratégique de Hitler avait fait faillite.

   L’Armée rouge arrêta l’offensive allemande de l’année dernière et, au cours de l’hiver, passa à la contre-offensive sur tout le front ; ce fut la deuxième phase de la guerre germano-soviétique. Hitler dut battre en retraite et se mettre sur la défensive.

   Entre-temps, il limogea le commandant en chef des opérations von Brauchitsch, assuma lui-même le commandement, décida d’abandonner son plan d’offensive générale et se prépara, en rassemblant toutes les forces dont il pouvait encore disposer en Europe, à lancer sur le front sud une offensive limitée, mais qu’il tenait pour décisive, afin de frapper les secteurs vitaux de l’Union soviétique.

   Comme cette offensive avait un caractère décisif, et que le sort même du fascisme en dépendait, Hitler massa des forces énormes, engageant même sur ce front une partie des avions et des chars qui opéraient en Afrique du Nord.

   Avec l’attaque allemande sur Kertch et Sébastopol en mai dernier, la guerre entra dans sa troisième phase.

   Ayant rassemblé une armée de plus de 1.500.000 hommes, appuyée par le gros de ses forces aériennes et blindées, Hitler lança une offensive d’une violence inouïe en direction de Stalingrad et du Caucase.

   Il tenta de s’en emparer rapidement, visant deux buts : couper la Volga et prendre Bakou, afin de marcher ensuite vers le nord contre Moscou et de percer au sud jusqu’au golfe Persique.

   En même temps, les fascistes japonais devaient concentrer leurs forces en Mandchourie en vue d’une offensive en Sibérie, après la chute de Stalingrad.

   Hitler croyait pouvoir affaiblir la puissance de l’Union soviétique à tel point qu’il pourrait dégager du front soviétique les forces principales de l’armée allemande afin de parer sur le front ouest à l’éventualité d’une offensive anglo-américaine, de s’emparer des ressources du Proche-Orient, d’effectuer la jonction avec l’armée japonaise, tandis que le gros des forces japonaises se retirerait du nord et se dirigerait vers l’ouest et le sud, contre la Chine, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, sans que les armées allemandes et japonaises eussent à se soucier de leurs arrières.

   Voilà comment il comptait remporter la victoire pour le front fasciste.

   Or, que s’est-il passé au cours de cette phase ? Hitler se heurta au plan soviétique qui lui fut fatal. Ce plan visait à attirer d’abord l’ennemi loin à l’intérieur du territoire et à lui opposer ensuite une résistance opiniâtre.

   En cinq mois de combats, l’armée allemande n’a pu ni pénétrer dans les champs de pétrole du Caucase ni prendre Stalingrad, et Hitler s’est vu obligé d’arrêter ses troupes au pied de hautes montagnes et devant les murs d’une cité imprenable, sans pouvoir ni avancer ni reculer, subissant des pertes énormes et s’engageant dans une impasse.

   Nous voici en octobre et l’hiver arrive ; la troisième phase de la guerre touche à sa fin, la quatrième va commencer.

   De tous les plans d’attaque stratégiques de Hitler contre l’Union soviétique, il n’en est pas un qui n’ait échoué.

   Pendant cette période, se rendant compte que son échec de l’été de l’an dernier était dû à l’éparpillement de ses troupes, Hitler concentra ses forces sur le front sud. Mais comme il cherchait toujours à atteindre d’un seul coup le double objectif de couper la Volga à l’est et de s’emparer du Caucase au sud, il divisait quand même ses forces.

   Il n’a pas vu dans ses calculs quelle distance séparait ses desseins de sa force réelle, et ainsi, comme « un porteur qui voit sa charge glisser des deux bouts d’une palanche sans point d’arrêt », il s’est trouvé dans l’impasse actuelle.

   Par contre, plus l’Union soviétique combat, plus elle devient forte.

   Par sa brillante direction stratégique, Staline s’est assuré entièrement l’initiative et pousse partout Hitler vers sa ruine.

   La quatrième phase de la guerre, qui commencera cet hiver, conduira Hitler à sa perte.

   Si l’on compare la situation où se trouvait Hitler au cours de la première et au cours de la troisième phase de la guerre, on verra qu’il est au seuil d’une défaite définitive.

   Actuellement, tant à Stalingrad que dans le Caucase, l’Armée rouge a déjà arrêté, en fait, l’offensive allemande ; Hitler est à bout de souffle et il a échoué dans son offensive contre Stalingrad et le Caucase.

   Les quelques forces qu’il a réussi à rassembler au cours de toute la période d’hiver, de décembre à mai derniers, sont déjà épuisées.

   Maintenant que, dans un mois à peine, l’hiver va s’installer sur le front germano-soviétique, Hitler devra passer en toute hâte à la défensive. La région entière située à l’ouest et au sud du Don sera pour lui la plus dangereuse, car l’Armée rouge y lancera sa contre-offensive.

   Cet hiver, sous la menace d’une issue fatale, Hitler essayera une fois de plus de regrouper ses armées. Il lui sera peut-être encore possible, en rassemblant le reste des forces, de former quelques nouvelles divisions ; en outre, il appellera à la rescousse ses trois partenaires fascistes, l’Italie, la Roumanie et la Hongrie, et leur demandera de lui fournir de la chair à canon pour faire face à la situation critique sur les fronts est et ouest.

   Mais il doit s’attendre à des pertes énormes au cours de la campagne d’hiver sur le front est et à l’ouverture d’un second front à l’ouest, tandis que l’Italie, la Roumanie et la Hongrie, accablées devant les perspectives d’un effondrement inévitable de Hitler, s’éloigneront de lui chaque jour davantage.

   Bref, après le 9 octobre, une seule voie reste ouverte à Hitler, celle de l’anéantissement.

   Il y a quelque chose de commun entre la défense de Stalingrad par l’Armée rouge pendant ces quarante-huit jours et sa défense de Moscou l’année dernière : la défense de Stalingrad a fait échouer le plan de Hitler de cette année comme celle de Moscou son plan de l’année dernière.

   La différence réside dans le fait que l’Armée rouge, malgré la contre-offensive d’hiver qu’elle entreprit immédiatement après la défense de Moscou, dut subir encore cette année une offensive d’été de l’armée allemande, parce que, premièrement, il restait encore à l’Allemagne et à ses partenaires européens des forces disponibles et que, deuxièmement, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis retardaient l’ouverture du second front.

   Mais, après la bataille pour la défense de Stalingrad, la situation sera entièrement différente.

   D’une part, l’Union soviétique déclenchera une seconde contreoffensive d’hiver d’une ampleur exceptionnelle, la Grande- Bretagne et les Etats-Unis ne pourront plus différer longtemps l’ouverture du second front (bien qu’il ne soit pas possible d’en préciser la date exacte) et les peuples d’Europe, à leur tour, seront prêts à répondre par des soulèvements.

   D’autre part, comme l’Allemagne et ses partenaires européens n’ont plus la force d’entreprendre une offensive de grande envergure, Hitler se verra contraint de passer entièrement à la défense stratégique.

   Or, si Hitler est contraint de passer à la défense stratégique, le sort du fascisme est réglé.

   En effet, un Etat fasciste comme celui de Hitler a, dès sa naissance, fondé toute sa vie politique et militaire sur l’offensive, et son offensive une fois enrayée, son existence prend fin.

   La bataille de Stalingrad arrêtera l’offensive fasciste ; elle est décisive.

   Et ce caractère décisif déterminera tout le cours de la guerre mondiale.

   Hitler a devant lui trois ennemis puissants : l’Union soviétique, la Grande-Bretagne avec les Etats-Unis, le peuple des régions qu’il occupe.

   Sur le front est, l’Armée rouge se dresse telle une forteresse inébranlable, et elle poursuivra ses contre-offensives toute la seconde saison d’hiver et au-delà ; voilà la force qui décidera de l’issue de la guerre et du destin de l’humanité.

   Sur le front ouest, même si la Grande-Bretagne et les Etats-Unis continuent à adopter une politique d’attente et d’atermoiement, ils ouvriront tôt ou tard le second front lorsqu’il leur sera donné de s’attaquer à un tigre déjà mort.

   Il existe en outre un front intérieur contre Hitler : c’est le grand soulèvement populaire qui se prépare en Allemagne, en France et dans d’autres parties de l’Europe. Dès que se déclenchera la contre-offensive générale de l’Union soviétique et que tonneront les canons du second front, les peuples d’Europe répondront par l’ouverture d’un troisième front.

   Une offensive convergente contre Hitler sur ces trois fronts sera le grand fait historique qui suivra la bataille de Stalingrad.

   La carrière politique de Napoléon s’est terminée à Waterloo, mais c’est sa défaite à Moscou qui avait décidé de son sort.

   Aujourd’hui, Hitler marche sur les traces de Napoléon, et la bataille de Stalingrad a scellé son destin.

   Cette situation aura des répercussions directes sur l’Extrême-Orient.

   L’année qui vient ne promet rien de bon non plus au fascisme japonais.

   Avec le temps, ses maux de tête iront croissant, jusqu’à ce qu’il descende au tombeau.

   Tous ceux qui tirent des conclusions pessimistes des événements mondiaux devraient modifier leur point de vue.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : De la pratique

1937

La relation entre la connaissance et la pratique – le savoir et l’action.

[Il a existé dans notre Parti des camarades, tenants du dogmatisme, qui, pendant longtemps, ont rejeté l’expérience de la révolution chinoise, nié cette vérité que  » le marxisme n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action « , et n’ont fait qu’effrayer les gens à l’aide de mots et de phrases isolés, extraits au petit bonheur des textes marxistes.

Il a existé également d’autres camarades, tenants de l’empirisme, qui, pendant longtemps, se sont cramponnés à leur expérience personnelle, limitée, sans comprendre l’importance de la théorie pour la pratique révolutionnaire ni voir la situation de la révolution dans son ensemble. Ils ont eu beau travailler avec zèle, leur travail se faisait à l’aveuglette.

Les conceptions erronées de ces deux groupes de camarades, en particulier les conceptions dogmatiques, ont causé, au cours des années 1931-1934, un préjudice énorme à la révolution chinoise.

En outre, les dogmatiques, parés de la toge marxiste, ont induit en erreur nombre de nos camarades. Le présent ouvrage a pour but de dénoncer, en partant des positions de la théorie marxiste de la connaissance, les erreurs subjectivistes commises par les partisans du dogmatisme et de l’empirisme, et en particulier du dogmatisme, au sein de notre Parti.

Comme l’accent est mis sur la dénonciation de cette variété du subjectivisme, le dogmatisme, qui méprise la pratique, cet ouvrage est intitulé De la pratique. Les conceptions développées ici par Mao Tsé-toung ont été exposées dans un cycle de conférences qu’il a faites à l’Ecole militaire et politique antijaponaise de Yenan, en juillet 1937.]

Le matérialisme prémarxiste considérait le problème de la connaissance sans tenir compte de la nature sociale des hommes, sans tenir compte du développement historique de l’humanité et, pour cette raison, il était impuissant à comprendre que la connaissance dépend de la pratique sociale, c’est-à-dire qu’elle dépend de la production et de la lutte des classes.

Les marxistes estiment, au premier chef, que l’activité de production des hommes constitue la base même de leur activité pratique, qu’elle détermine toute autre activité.

Dans leur connaissance, les hommes dépendent essentiellement de leur activité de production matérielle, au cours de laquelle ils appréhendent progressivement les phénomènes de la nature, ses propriétés, ses lois, ainsi que les rapports de l’homme avec la nature ; et par leur activité de production, ils apprennent également à connaître, à des degrés différents et d’une manière progressive, les rapports déterminés existant entre les hommes.

De toutes ces connaissances, aucune ne saurait s’acquérir en dehors de l’activité de production.

Dans la société sans classes, tout individu, en tant que membre de cette société, joint ses efforts à ceux des autres membres, entre avec eux dans des rapports de production déterminés et se livre à l’activité de production en vue de résoudre les problèmes relatifs à la vie matérielle des hommes.

Dans les sociétés de classes, les membres des différentes classes entrent également, sous des formes variées, dans des rapports de production déterminés, se livrent à une activité de production dirigée vers la solution des problèmes relatifs à la vie matérielle des hommes.

C’est là l’origine même du développement de la connaissance humaine.

La pratique sociale des hommes ne se limite pas à la seule activité de production ; elle revêt encore beaucoup d’autres formes : lutte des classes, vie politique, activités scientifiques et artistiques ; bref, en tant qu’être social, l’homme participe à tous les domaines de la vie pratique de la société.

C’est ainsi que dans son effort de connaissance, il appréhende, à des degrés divers, non seulement dans la vie matérielle, mais également dans la vie politique et culturelle (qui est étroitement liée à la vie matérielle), les différents rapports entre les hommes.

Parmi ces autres formes de pratique sociale, la lutte des classes, sous ses diverses manifestations, exerce en particulier une influence profonde sur le développement de la connaissance humaine.

Dans la société de classes, chaque homme occupe une position de classe déterminée et il n’existe aucune pensée qui ne porte une empreinte de classe.

Les marxistes estiment que l’activité de production de la société humaine se développe pas à pas, des degrés inférieurs aux degrés supérieurs ; en conséquence, la connaissance qu’ont les hommes, soit de la nature soit de la société, se développe aussi pas à pas, de l’inférieur au supérieur, c’est-à- dire du superficiel à ce qui est en profondeur, de l’unilatéral au multilatéral.

Au cours d’une très longue période historique, les hommes n’ont pu comprendre l’histoire de la société que d’une manière unilatérale, parce que, d’une part, les préjugés des classes exploiteuses déformaient constamment l’histoire de la société, et que, d’autre part, l’échelle réduite de la production limitait l’horizon des hommes.

C’est seulement lorsque le prolétariat moderne est apparu en même temps que des forces productives gigantesques – la grande industrie – que les hommes ont pu atteindre à une compréhension historique complète du développement de la société et transformer cette connaissance en une science, la science marxiste.

Les marxistes estiment que les hommes n’ont d’autre critère de la vérité de leur connaissance du monde extérieur que leur pratique sociale.

Car, en fait, c’est seulement en arrivant, dans la pratique sociale (dans le processus de la production matérielle, de la lutte des classes, des expériences scientifiques), aux résultats qu’ils attendent que les hommes reçoivent la confirmation de la vérité de leurs connaissances.

S’ils veulent obtenir des succès dans leur travail, c’est-à-dire arriver aux résultats attendus, ils doivent faire en sorte que leurs idées correspondent aux lois du monde extérieur objectif ; si tel n’est pas le cas, ils échouent dans la pratique.

Après avoir subi un échec, ils en tirent la leçon, modifient leurs idées de façon à les faire correspondre aux lois du monde extérieur et peuvent ainsi transformer l’échec en succès ; c’est ce qu’expriment les maximes :  » La défaite est la mère du succès  » et  » Chaque insuccès nous rend plus avisés ».

La théorie matérialiste-dialectique de la connaissance met la pratique à la première place ; elle estime que la connaissance humaine ne peut, en aucune manière, être coupée de la pratique et rejette toutes ces théories erronées qui nient l’importance de la pratique et coupent la connaissance de la pratique.

Lénine a dit :  » La pratique est supérieure à la connaissance (théorique), car elle a la dignité non seulement du général, mais du réel immédiat (1).  »

La philosophie marxiste – le matérialisme dialectique – a deux particularités évidentes. La première, c’est son caractère de classe : elle affirme ouvertement que le matérialisme dialectique sert le prolétariat ; la seconde, c’est son caractère pratique : elle met l’accent sur le fait que la théorie dépend de la pratique, que la théorie se fonde sur la pratique et, à son tour, sert la pratique.

La vérité d’une connaissance ou d’une théorie est déterminée non par une appréciation subjective, mais par les résultats objectifs de la pratique sociale.

Le critère de la vérité ne peut être que la pratique sociale. Le point de vue de la pratique, c’est le point de vue premier, fondamental de la théorie matérialiste-dialectique de la connaissance (2).

Mais de quelle manière la connaissance humaine naît-elle de la pratique et comment sert-elle, à son tour, la pratique ?

Pour le comprendre, il suffit d’examiner le processus de développement de la connaissance.

Dans le processus de leur activité pratique, les hommes ne voient, au début, que les côtés apparents des choses et des phénomènes, leurs aspects isolés et leur liaison externe.

Par exemple, des gens de l’extérieur sont venus enquêter à Yenan.

Le premier jour ou les deux premiers jours, ils ont vu la ville, sa topographie, ses rues et ses maisons, ils sont entrés en contact avec beaucoup de personnes, ont assisté à des réceptions, des soirées, des meetings, entendu différentes interventions, lu divers documents ; ce sont là les côtés apparents et des aspects isolés des phénomènes, avec leur liaison externe.

Ce degré du processus de la connaissance se nomme le degré de la perception sensible, c’est-à-dire le degré des sensations et des représentations.

En agissant sur les organes des sens des membres du groupe d’enquête, ces différents phénomènes rencontrés à Yenan ont provoqué des sensations et fait surgir dans leur cerveau toute une série de représentations, entre lesquelles s’est établi un lien approximatif, une liaison externe : tel est le premier degré de la connaissance.

A ce degré, les hommes ne peuvent encore élaborer des concepts, qui se situent à un niveau plus profond, ni tirer des conclusions logiques.

La continuité de la pratique sociale amène la répétition multiple de phénomènes qui suscitent chez les hommes des sensations et des représentations.

C’est alors qu’il se produit dans leur cerveau un changement soudain (un bond) dans le processus de la connaissance, et le concept surgit.

Le concept ne reflète plus seulement l’apparence des choses, des phénomènes, leurs aspects isolés, leur liaison externe, il saisit les choses et les phénomènes dans leur essence, dans leur ensemble, dans leur liaison interne.

Entre le concept et la sensation, la différence n’est pas seulement quantitative mais qualitative.

En allant plus loin dans cette direction, à l’aide du jugement, de la déduction, on peut aboutir à des conclusions logiques.

L’expression du San kouo yen yi (3) :  » II suffit de froncer les sourcils et un stratagème vient à l’esprit  » ou celle du langage ordinaire :  » Laissez-moi réfléchir  » signifient que l’homme opère intellectuellement à l’aide de concepts, afin de porter des jugements et de faire des déductions. C’est là le second degré de la connaissance.

Les membres du groupe d’enquête qui sont venus chez nous, après avoir réuni un matériel varié et y avoir  » réfléchi « , pourront porter le jugement suivant :  » La politique de front uni national contre le Japon, appliquée par le Parti communiste, est conséquente, sincère et honnête.  »

S’ils sont, avec la même honnêteté, partisans de l’unité pour le salut de la nation, ils pourront, partant de ce jugement, aller plus loin et tirer la conclusion suivante :  » Le front uni national contre le Japon peut réussir.  »

Dans le processus général de la connaissance par les hommes d’un phénomène, ce degré des concepts, des jugements et des déductions apparaît comme le degré le plus important, celui de la connaissance rationnelle.

La tâche véritable de la connaissance consiste à s’élever de la sensation à la pensée, à s’élever jusqu’à la compréhension progressive des contradictions internes des choses, des phénomènes tels qu’ils existent objectivement, jusqu’à la compréhension de leurs lois, de la liaison interne des différents processus, c’est-à-dire qu’elle consiste à aboutir à la connaissance logique.

Nous le répétons : La connaissance logique diffère de la connaissance sensible, car celle-ci embrasse des aspects isolés des choses, des phénomènes, leurs côtés apparents, leur liaison externe, alor que la connaissance logique, faisant un grand pas en avant, embrasse les choses et les phénomènes en entier, leur essence et leur liaison interne, s’élève jusqu’à la mise en évidence des contradictions internes du monde qui nous entoure, et par là même est capable de saisir le

développement de ce monde dans son intégrité, dans la liaison interne de tous ses aspects.

Une telle théorie, matérialiste-dialectique, du processus de développement de la connaissance, fondée sur la pratique, allant du superficiel à ce qui est en profondeur, était inconnue avant le marxisme.

C’est le matérialisme marxiste qui, pour la première fois, a résolu correctement ce problème, en mettant en évidence, de façon matérialiste et dialectique, le mouvement d’approfondissement de la connaissance, mouvement par lequel les hommes, dans la société, passent de la connaissance sensible à la connaissance logique au cours de leur pratique, complexe et sans cesse répétée, de la production et de la lutte des classes.

Lénine a dit :  » Les abstractions de matière, de loi naturelle, l’abstraction de valeur, etc., en un mot toutes les abstractions scientifiques (justes, sérieuses, pas arbitraires) reflètent la nature plus profondément, plus fidèlement, plus complètement (4).  »

Le marxisme-léninisme estime que les deux degrés du processus de la connaissance ont ceci de particulier qu’au degré inférieur la connaissance intervient en tant que connaissance sensible, au degré supérieur en tant que connaissance logique, mais que ces deux degrés constituent les degrés d’un processus unique de la connaissance.

La connaissance sensible et la connaissance rationnelle diffèrent qualitativement, elles ne sont toutefois pas coupées l’une de l’autre, mais unies sur la base de la pratique. Comme le prouve notre pratique, ce que nous avons perçu par les sens ne peut être immédiatement compris par nous, et seul ce que nous avons bien compris peut être senti d’une manière plus profonde.

La perception ne peut résoudre que le problème des apparences des choses et des phénomènes ; le problème de l’essence, lui, ne peut être résolu que par la théorie.

La solution de ces problèmes ne peut être obtenue en aucune façon en dehors de la pratique.

Quiconque veut connaître un phénomène ne peut y arriver sans se mettre en contact avec lui, c’est- à-dire sans vivre (se livrer à la pratique) dans le milieu même de ce phénomène.

On ne pouvait connaître d’avance, alors que la société était encore féodale, les lois de la société capitaliste, puisque le capitalisme n’était pas encore apparu et que la pratique correspondante faisait défaut.

Le marxisme ne pouvait être que le produit de la société capitaliste.

A l’époque du capitalisme libéral, Marx ne pouvait connaître d’avance, concrètement, certaines lois propres à l’époque de l’impérialisme, puisque l’impérialisme, stade suprême du capitalisme, n’était pas encore apparu et que la pratique correspondante faisait défaut ; seuls Lénine et Staline purent assumer cette tâche.

Si Marx, Engels, Lénine et Staline ont pu élaborer leurs théories, ce fut surtout, abstraction faite de leur génie, parce qu’ils se sont engagés personnellement dans la pratique de la lutte de classes et de l’expérience scientifique de leur temps; sans cette condition, aucun génie n’aurait pu y réussir.

 » Sans sortir de chez lui, un sieoutsai (5) peut savoir tout ce qui se passe sous le soleil  » n’était qu’une phrase vide dans les temps anciens où la technique n’était pas développée ; bien qu’à notre époque de technique développée cela soit réalisable, ceux qui acquièrent vraiment du savoir par eux-mêmes sont, dans le monde entier, ceux qui sont liés à la pratique.

Et c’est seulement lorsque ces derniers auront acquis du  » savoir  » par la pratique et que leur savoir lui aura été transmis au moyen de l’écriture et de la technique que le sieoutsai pourra, indirectement,  » savoir tout ce qui se passe sous le soleil « .

Pour connaître directement tel phénomène ou tel ensemble de phénomènes, il faut participer personnellement à la lutte pratique qui vise à transformer la réalité, à transformer ce phénomène ou cet ensemble de phénomènes, car c’est le seul moyen d’entrer en contact avec eux en tant qu’apparences ; de même, c’est là le seul moyen de découvrir l’essence de ce phénomène ou de cet ensemble de phénomènes, et de les comprendre.

Tel est le processus de connaissance que suit tout homme dans la réalité, bien que certaines gens, déformant à dessein les faits, prétendent le contraire.

Les plus ridicules sont ceux qu’on appelle les  » je-sais-tout  » et qui, n’ayant que des connaissances occasionnelles, fragmentaires, se proclament les  » premières autorités du monde « , ce qui témoigne tout simplement de leur fatuité. Les connaissances, c’est la science, et la science ne saurait admettre la moindre hypocrisie, la moindre présomption ; ce qu’elle exige, c’est assurément le contraire : l’honnêteté et la modestie.

Si l’on veut acquérir des connaissances, il faut prendre part à la pratique qui transforme la réalité. Si l’on veut connaître le goût d’une poire, il faut la transformer : en la goûtant.

Si l’on veut connaître la structure et les propriétés de l’atome, il faut procéder à des expériences physiques et chimiques, changer l’état de l’atome.

Si l’on veut connaître la théorie et les méthodes de la révolution, il faut prendre part à la révolution. Toutes les connaissances authentiques sont issues de l’expérience immédiate.

Toutefois, on ne peut avoir en toutes choses une expérience directe ; en fait, la majeure partie de nos connaissances sont le produit d’une expérience indirecte, par exemple toutes les connaissances que nous tenons des siècles passés et des pays étrangers.

Pour nos ancêtres, pour les étrangers, elles ont été, ou elles sont, le produit de leur expérience directe, et elles sont sûres si au moment où elles ont fait l’objet d’une expérience directe, elles ont répondu à l’exigence de l' »abstraction scientifique  » dont parle Lénine et ont reflété scientifiquement la réalité objective ; dans le cas contraire, elles ne le sont pas.

C’est pourquoi les connaissances d’un homme se composent uniquement de deux parties : les données de l’expérience directe et les données de l’expérience indirecte.

Et ce qui est pour moi expérience indirecte reste pour d’autres expérience directe.

Il s’ensuit que, prises dans leur ensemble, les connaissances de quelque ordre que ce soit sont inséparables de l’expérience directe.

La source de toutes les connaissances réside dans les sensations reçues du monde extérieur objectif par les organes des sens de l’homme ; celui qui nie la sensation, qui nie l’expérience directe, qui nie la participation personnelle à la pratique destinée à transformer la réalité n’est pas un matérialiste.

C’est la raison pour laquelle les  » je-sais-tout  » sont si ridicules. Il y a un vieux proverbe chinois : « Si l’on ne pénètre pas dans la tanière du tigre, comment peut-on capturer ses petits ? »

Ce proverbe est vrai pour la pratique humaine, il l’est également pour la théorie de la connaissance. La connaissance coupée de la pratique est inconcevable.

Pour mettre en évidence le mouvement matérialiste-dialectique de la connaissance – mouvement de l’approfondissement progressif de la connaissance – qui surgit sur la base de la pratique transformant la réalité, nous allons donner encore quelques exemples concrets.

Dans la période initiale de sa pratique, période de la destruction des machines et de la lutte spontanée, le prolétariat ne se trouvait, dans sa connaissance de la société capitaliste, qu’au degré de la connaissance sensible et n’appréhendait que des aspects isolés et la liaison externe des différents phénomènes du capitalisme.

Il n’était encore que ce qu’on appelle une  » classe en soi « .

Mais dès la seconde période de sa pratique, période de la lutte économique et politique consciente et organisée, du fait de son activité pratique, de son expérience acquise au cours d’une lutte prolongée, expérience qui fut généralisée scientifiquement par Marx et Engels et d’où naquit la théorie marxiste qui servit à l’éduquer, il fut à même de comprendre l’essence de la société capitaliste, les rapports d’exploitation entre les classes sociales, ses propres tâches historiques, et devint alors une  » classe pour soi « .

C’est la même voie que suivit le peuple chinois dans sa connaissance de l’impérialisme. Le premier degré fut celui de la connaissance sensible, superficielle, tel qu’il fut marqué, à l’époque des mouvements des Taiping (6), des Yihotouan (7) et autres, par la lutte sans discrimination contre les étrangers.

Le second degré seulement fut celui de la connaissance rationnelle, lorsque le peuple chinois discerna les différentes contradictions internes et externes de l’impérialisme, lorsqu’il discerna l’essence de l’oppression et de l’exploitation exercées sur les larges masses populaires de Chine par l’impérialisme qui s’était allié avec la bourgeoisie compradore et la classe féodale chinoises ; cette connaissance ne commença qu’avec la période du Mouvement du 4 Mai 1919 (8).

Considérons maintenant la guerre. Si la guerre était dirigée par des gens sans expérience dans ce domaine, ils ne pourraient, au premier degré, comprendre les lois profondes qui régissent la conduite d’une guerre donnée (telle notre Guerre révolutionnaire agraire des dix dernières années).

Au premier degré, ils ne pourraient acquérir que l’expérience d’un grand nombre de combats dont beaucoup, du reste, se termineraient pour eux par des défaites.

Néanmoins, cette expérience (l’expérience des victoires et surtout des défaites) leur permettrait de comprendre l’enchaînement interne de toute la guerre, c’est-à-dire les lois de cette guerre déterminée, d’en comprendre la stratégie et la tactique et, par là même, de la diriger avec assurance.

Si, à un tel moment, la direction de la guerre passait à un homme dépourvu d’expérience, celui-ci aurait, à son tour, à subir un certain nombre de défaites (c’est-à-dire à acquérir de l’expérience) avant de bien comprendre les lois réelles de la guerre.

Il nous arrive souvent d’entendre des camarades, qui hésitent à se charger de tel ou tel travail, déclarer qu’ils craignent de ne pouvoir s’en acquitter. Pourquoi ce manque d’assurance ?

Parce qu’ils n’ont pas saisi le contenu et les conditions de ce travail selon les lois qui les régissent, ou bien ils n’ont jamais eu l’occasion de s’occuper d’un tel travail ou bien ils ne l’ont eue que rarement ; il ne peut donc être question pour eux d’en connaître les lois. Mais lorsqu’on aura fait devant eux une analyse détaillée de la nature et des conditions du travail, ils commenceront à être plus sûrs d’eux-mêmes et accepteront de s’en charger.

Si, au bout d’un certain temps consacré à ce travail, ils acquièrent de l’expérience, et s’ils veulent bien, sans parti pris, examiner à fond l’état de la situation, au lieu de considérer les choses d’une manière subjective, unilatérale et superficielle, ils seront capables de tirer par eux-mêmes les conclusions concernant la manière dont il convient de s’y prendre, et ils se mettront à travailler avec bien plus d’assurance.

Seuls les gens qui ont une vue subjective, unilatérale et superficielle des problèmes se mêlent de donner présomptueusement des ordres ou des instructions dès qu’ils arrivent dans un endroit nouveau, sans s’informer de l’état de la situation, sans chercher à voir les choses dans leur ensemble (leur histoire et leur état présent considéré comme un tout) ni à en pénétrer l’essence même (leur caractère et leur liaison interne) ; il est inévitable que de telles gens trébuchent.

Il apparaît, en conséquence, que le premier pas dans le processus de la connaissance, c’est le contact avec le monde extérieur : le degré des sensations.

Le second, c’est la synthèse des données fournies par les sensations, leur mise en ordre et leur élaboration : le degré des concepts, des jugements et des déductions.

C’est seulement lorsque les données sensibles sont en grand nombre (et non pas fragmentaires, incomplètes), conformes à la réalité (et non pas illusoires), qu’il est possible, sur la base de ces données, d’élaborer des concepts corrects, une logique juste.

Il faut souligner ici deux points importants.

Le premier, dont il a été question précédemment et sur lequel il convient de revenir une fois de plus, est la dépendance de la connaissance rationnelle à l’égard de la connaissance sensible. Toute personne qui considère que la connaissance rationnelle peut ne pas provenir de la connaissance sensible est un idéaliste.

L’histoire de la philosophie a connu une école  » rationaliste  » qui n’admet que la réalité de la raison et nie celle de l’expérience, qui croit que l’on ne peut se fonder que sur la raison et non sur l’expérience sensible ; l’erreur de cette école est d’avoir interverti l’ordre des choses.

Si l’on peut se fier aux données de la connaissance rationnelle, c’est justement parce qu’elles découlent des données de la perception sensible ; autrement, elles deviendraient un fleuve sans source, un arbre sans racines, elles seraient quelque chose de subjectif, qui naîtrait de soi-même et auquel on ne pourrait se fier.

Du point de vue de l’ordre du processus de la connaissance, l’expérience sensible est la donnée première, et nous soulignons l’importance de la pratique sociale dans le processus de la connaissance, car c’est seulement sur la base de la pratique sociale de l’homme que peut naître chez lui la connaissance, qu’il peut acquérir l’expérience sensible issue du monde extérieur objectif.

Pour un homme qui se serait bouché les yeux et les oreilles, qui se couperait complètement du monde extérieur objectif, il ne pourrait être question de connaissance.La connaissance commence avec l’expérience, c’est là le matérialisme de la théorie de la connaissance.

Le second point, c’est la nécessité d’approfondir la connaissance, la nécessité de passer du degré de la connaissance sensible au degré de la connaissance rationnelle, telle est la dialectique de la théorie de la connaissance (9).

Estimer que la connaissance peut s’arrêter au degré inférieur, celui de la connaissance sensible, estimer qu’on ne peut se fier qu’à la connaissance sensible et non à la connaissance rationnelle, c’est répéter les erreurs, connues dans l’histoire, de 1′  » empirisme « .

Les erreurs de cette théorie consistent à ne pas comprendre que, tout e;n étant le reflet de certaines réalités du monde objectif (je ne parlerai pas ici de cet empirisme idéaliste qui limite l’expérience à ce qu’on appelle l’introspection), les données de la perception sensible n’en sont pas moins unilatérales, superficielles, que ce reflet est incomplet, qu’il ne traduit pas l’essence des choses.

Pour refléter pleinement une chose dans sa totalité, pour refléter son essence et ses lois internes, il faut procéder à une opération intellectuelle en soumettant les riches données de la perception sensible à une élaboration qui consiste à rejeter la balle pour garder le grain, à éliminer ce qui est fallacieux pour conserver le vrai, à passer d’un aspect des phénomènes à l’autre, du dehors au dedans, de façon à créer un système de concepts et de théories ; il faut sauter de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle.

Cette élaboration ne rend pas nos connaissances moins complètes, moins sûres.

Au contraire, tout ce qui, dans le processus de la connaissance, a été soumis à une élaboration scientifique sur la base de la pratique, reflète, comme le dit Lénine, d’une manière plus profonde, plus fidèle, plus complète, la réalité objective.

C’est ce que ne comprennent pas les  » praticiens  » vulgaires qui s’inclinent devant l’expérience et dédaignent la théorie, si bien qu’ils ne peuvent embrasser le processus objectif dans son ensemble, n’ont ni clarté d’orientation ni vastes perspectives et s’enivrent de leurs succès occasionnels et de leurs vues étroites.

Si ces gens dirigeaient la révolution, ils la conduiraient dans une impasse.

La connaissance rationnelle dépend de la connaissance sensible et celle-ci doit se développer en connaissance rationnelle, telle est la théorie matérialiste-dialectique de la connaissance.

En philosophie, ni le  » rationalisme  » ni l' » empirisme  » ne comprennent le caractère historique ou dialectique de la connaissance, et, bien que ces théories recèlent l’une comme l’autre un aspect de la vérité (il s’agit du rationalisme et de l’empirisme matérialistes et non idéalistes), elles sont toutes deux erronées du point de vue de la théorie de la connaissance considérée dans son ensemble.

Le mouvement matérialiste-dialectique de la connaissance, qui va du sensible au rationnel, intervient aussi bien dans le processus de la connaissance du petit (par exemple, la connaissance d’une chose, d’un travail quelconque) que dans le processus de la connaissance du grand (par exemple, la connaissance de telle ou telle société, de telle ou telle révolution).

Néanmoins, le mouvement de la connaissance ne s’achève pas là.

Si on arrêtait le mouvement matérialiste-dialectique de la connaissance à la connaissance rationnelle, on n’aurait parlé que de la moitié du problème, et même, du point de vue de la philosophie marxiste, de cette moitié qui n’est pas la plus importante. La philosophie marxiste estime que l’essentiel, ce n’est pas de comprendre les lois du monde objectif pour être en état de l’expliquer, mais c’est d’utiliser la connaissance de ces lois pour transformer activement le monde.

Du point de vue marxiste, la théorie est importante, et son importance s’exprime pleinement dans cette parole de Lénine :  » Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire (10). « 

Mais le marxisme accorde une grande importance à la théorie justement et uniquement parce qu’elle peut être un guide pour l’action.

Si, étant arrivé à une théorie juste, on se contente d’en faire un sujet de conversation pour la laisser ensuite de côté, sans la mettre en pratique, cette théorie, si belle qu’elle puisse être, reste sans intérêt.

La connaissance commence avec la pratique ; quand on a acquis par la pratique des connaissances théoriques, on doit encore retourner à la pratique.

Le rôle actif de la connaissance ne s’exprime pas seulement dans le bond actif de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle, mais encore, ce qui est plus important, il doit s’exprimer dans le bond de la connaissance rationnelle à la pratique révolutionnaire.

Ayant acquis la connaissance des lois du monde, on doit la diriger de nouveau vers la pratique de la transformation du monde, l’appliquer de nouveau dans la pratique de la production, dans la pratique de la lutte révolutionnaire de classe et de la lutte révolutionnaire pour la libération de la nation, de même que dans la pratique de l’expérience scientifique.

Tel est le processus de vérification et de développement de la théorie, le prolongement de tout le processus de la connaissance.

La question de savoir si une théorie correspond à la vérité objective n’est pas et ne peut être résolue entièrement dans le mouvement de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle dont il a été parlé plus haut.

Pour résoudre complètement cette question, il est nécessaire de diriger de nouveau la connaissance rationnelle vers la pratique sociale, d’appliquer la théorie dans la pratique et de voir si elle peut

conduire au but fixé.

Nombre de théories des sciences de la nature sont reconnues vraies non seulement parce qu’elles ont été considérées comme telles lorsque des savants les ont élaborées, mais parce qu’elles se sont vérifiées ensuite dans la pratique scientifique.

De même, le marxisme-léninisme est reconnu comme vérité non seulement parce que cette doctrine a été scientifiquement élaborée par Marx, Engels, Lénine et Staline, mais parce qu’elle a été confirmée par la pratique ultérieure de la lutte révolutionnaire de classe et de la lutte révolutionnaire pour la libération de la nation.

Le matérialisme dialectique est une vérité générale parce que personne, dans sa pratique, ne peut sortir de ce cadre.

L’histoire de la connaissance humaine nous apprend que de nombreuses théories étaient d’une vérité incomplète, et que c’est leur vérification dans la pratique qui a permis de la compléter.

Nombre de théories étaient erronées, et c’est leur vérification dans la pratique qui a permis d’en corriger les erreurs.

C’est pourquoi la pratique est le critère de la vérité.  » Le point de vue de la vie, de la pratique, doit être le point de vue premier, fondamental de la théorie de la connaissance (11).  »

Staline s’est exprimé d’une manière remarquable à ce sujet :

 » … la théorie devient sans objet si elle n’est pas rattachée à la pratique révolutionnaire ; de même, exactement, que la pratique devient aveugle si sa voie n’est pas éclairée par la théorie révolutionnaire (12).  »

Est-ce là que s’achève le mouvement de la connaissance ?

Nous répondons oui et non. Quand l’homme, dans la société, s’adonne à une activité pratique en vue de la modification d’un processus objectif déterminé (qu’il soit naturel ou social) à un degré déterminé de son développement, il peut, grâce au reflet du processus objectif dans son cerveau et à sa propre activité subjective, passer de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle, élaborer des idées, des théories, des plans ou des projets qui correspondent, dans l’ensemble, aux lois de ce processus objectif ; il peut ensuite appliquer ces idées, théories, plans ou projets à la pratique de la modification du même processus objectif ; s’il parvient au but fixé, c’est-à-dire s’il réussit, dans la pratique de ce processus, à réaliser, au moins dans leurs grands traits, les idées, théories, plans ou projets préalablement élaborés, le mouvement de la connaissance de ce processus déterminé peut alors être considéré comme achevé.

Par exemple, dans le processus de modification de la nature, la réalisation d’un plan de construction, la confirmation d’une hypothèse scientifique, la création d’un mécanisme, la récolte d’une plante cultivée, ou bien, dans le processus de modification de la société, le succès d’une grève, la victoire dans une guerre, l’accomplissement d’un programme d’enseignement, signifient que chaque fois le but fixé a été atteint.

Néanmoins, d’une manière générale, il est rare, tant dans la pratique d’une modification de la nature que dans celle d’une modification de la société, que les idées, théories, plans ou projets, préalablement élaborés par les hommes, se trouvent réalisés sans subir le moindre changement.

C’est que les gens qui transforment la réalité sont constamment soumis à de multiples limitations : ils sont limités non seulement par les conditions scientifiques et techniques, mais encore par le développement du processus objectif lui-même et le degré auquel il se manifeste (les aspects et l’essence du processus objectif n’étant pas encore complètement mis en évidence).

Dans une telle situation, par suite de l’apparition dans la pratique de circonstances imprévues, les idées, théories, plans ou projets se trouvent souvent partiellement et parfois même entièrement modifiés.

En d’autres termes, il arrive que les idées, théories, plans ou projets, tels qu’ils ont été élaborés à l’origine, ne correspondent pas à la réalité, soit partiellement soit totalement, et se trouvent être, partiellement ou totalement erronés.

Bien souvent, c’est seulement après des échecs répétés qu’on réussit à éliminer l’erreur, à se conformer aux lois du processus objectif, à transformer ainsi le subjectif en objectif, c’est-à-dire à parvenir, dans la pratique, aux résultats attendus.En tout cas, c’est à ce moment que le mouvement de la connaissance des hommes concernant un processus objectif déterminé, à un degré déterminé de son développement, peut être considéré comme achevé.

Toutefois, si l’on considère le processus dans son développement, le mouvement de la connaissance humaine ne s’achève pas là.

Tout processus, qu’il soit naturel ou social, progresse et se développe en raison de ses contradictions et luttes internes, et le mouvement de la connaissance humaine doit également progresser et se développer en conséquence.

S’il s’agit d’un mouvement social, les véritables dirigeants révolutionnaires doivent non seulement savoir corriger les erreurs qui apparaissent dans leurs idées, théories, plans ou projets, comme cela a été dit précédemment, il faut encore, lorsqu’un processus objectif progresse et passe d’un degré de son développement à un autre, qu’ils soient aptes, eux-mêmes et tous ceux qui participent à la révolution avec eux, à suivre ce progrès et ce passage dans leur connaissance subjective, c’est-à-dire qu’ils doivent faire en sorte que les nouvelles tâches révolutionnaires et les nouveaux projets de travail proposés correspondent aux nouvelles modifications de la situation.

Dans une période révolutionnaire, la situation change très vite ; si les révolutionnaires n’adaptent pas rapidement leur connaissance à la situation, ils seront incapables de faire triompher la révolution.

Il arrive souvent, néanmoins, que les idées retardent sur la réalité, et cela parce que la connaissance humaine se trouve limitée par de nombreuses conditions sociales.

Nous luttons dans nos rangs révolutionnaires contre les entêtés dont les idées ne suivent pas le rythme des modifications de la situation objective, ce qui, dans l’histoire, s’est manifesté sous la forme de l’opportunisme de droite.

Ces gens ne voient pas que la lutte des contraires a déjà fait avancer le processus objectif alors que leur connaissance en reste encore au degré précédent.

Cette particularité est propre aux idées de tous les entêtés. Leurs idées sont coupées de la pratique sociale, et ils ne savent pas marcher devant le char de la société pour le guider, ils ne font que se traîner derrière, se plaignant qu’il aille trop vite et essayant de le ramener en arrière ou de le faire rouler en sens inverse.

Nous sommes également contre les phraseurs  » de gauche « . Leurs idées s’aventurent au-delà d’une étape de développement déterminée du processus objectif : les uns prennent leurs fantaisies pour des réalités, d’autres essaient de réaliser de force, dans le présent, des idéaux qui ne sont réalisables que dans l’avenir ; leurs idées, coupées de la pratique actuelle de la majorité des gens, coupées de la réalité actuelle, se traduisent dans l’action par l’aventurisme.

L’idéalisme et le matérialisme mécaniste, l’opportunisme et l’aventurisme se caractérisent par la rupture entre le subjectif et l’objectif, par la séparation de la connaissance et de la pratique.

La théorie marxiste-léniniste de la connaissance, qui se distingue par la pratique sociale scientifique, doit forcément livrer un combat résolu contre ces conceptions erronées.

Les marxistes reconnaissent que, dans le processus général, absolu du développement de l’univers, le développement de chaque processus particulier est relatif, et que, par conséquent, dans le flot infini de la vérité absolue, la connaissance qu’ont les hommes d’un processus particulier à chaque degré de son développement n’est qu’une vérité relative.

De la somme d’innombrables vérités relatives se constitue la vérité absolue (13).

Dans son développement, un processus objectif est plein de contradictions et de luttes, il en est de même d’un mouvement de la connaissance humaine.

Tout mouvement dialectique dans le monde objectif trouve, tôt ou tard, son reflet dans la connaissance humaine.

Dans la pratique sociale, le processus d’apparition, de développement et de disparition est infini, également infini est le processus d’apparition, de développement et de disparition dans la connaissance humaine.

Puisque la pratique des hommes, qui transforme la réalité objective suivant des idées, des théories, des plans, des projets déterminés, avance toujours, leur connaissance de la réalité objective n’a pas de limites.

Le mouvement de transformation, dans le monde de la réalité objective, n’a pas de fin, et l’homme n’a donc jamais fini de connaître la vérité dans le processus de la pratique.

Le marxisme-léninisme n’a nullement épuisé la vérité ; sans cesse, dans la pratique, il ouvre la voie à la connaissance de la vérité. Notre conclusion est l’unité historique, concrète, du subjectif et de l’objectif, de la théorie et de la pratique, du savoir et de l’action ; nous sommes contre toutes les conceptions erronées,  » de gauche  » ou de droite, coupées de l’histoire concrète.

A l’époque actuelle du développement social, l’histoire a chargé le prolétariat et son parti de la responsabilité d’acquérir une juste connaissance du monde et de le transformer.

Ce processus, la pratique de transformation du monde, processus déterminé par la connaissance scientifique, est arrivé à un moment historique, en Chine comme dans le monde entier, à un moment d’une haute importance, sans précédent dans l’histoire de l’humanité – le moment de dissiper complètement les ténèbres en Chine comme dans le monde entier, et de transformer notre monde en un monde radieux, tel qu’on n’en a jamais connu.

La lutte du prolétariat et du peuple révolutionnaire pour la transformation du monde implique la réalisation des tâches suivantes : la transformation du monde objectif comme celle du monde subjectif de chacun – la transformation des capacités cognitives de chacun comme celle du rapport existant entre le monde subjectif et le monde objectif.

Cette transformation a déjà commencé sur une partie du globe, en Union soviétique.

On y accélère actuellement le processus. Le peuple chinois et les peuples du monde entier sont engagés dans ce processus de transformation ou le seront.

Et le monde objectif à transformer inclut tous les adversaires de cette transformation ; ils doivent passer par l’étape de la contrainte avant de pouvoir aborder l’étape de la transformation consciente.

L’époque où l’humanité entière entreprendra de façon consciente sa propre transformation et la transformation du monde sera celle du communisme mondial.Par la pratique découvrir les vérités, et encore par la pratique confirmer les vérités et les développer.

Partir de la connaissance sensible pour s’élever activement à la connaissance rationnelle, puis partir de la connaissance rationnelle pour diriger activement la pratique révolutionnaire afin de transformer le monde subjectif et objectif.

La pratique, la connaissance, puis de nouveau la pratique et la connaissance.

Cette forme cyclique n’a pas de fin, et de plus, à chaque cycle, le contenu de la pratique et de la connaissance s’élève à un niveau supérieur.

Telle est dans son ensemble la théorie matérialiste-dialectique de la connaissance, telle est la conception que se fait le matérialisme dialectique de l’unité du savoir et de l’action.

NOTES

1. V. I. Lénine, Notes sur La Science de la logique de Hegel, livre trois, troisième section :  » L’idée  » dans  » Résumé de La Science de la logique de Hegel  » (septembre-décembre 1914).

2. Voir K. Marx :  » Thèses sur Feuerbach  » (printemps 1845) et V. I. Lénine : Matérialisme et empiriocriticisme (second semestre 1908), chapitre II, section 6.

3. Son kouo yen yl (Le Roman des Trois Royaumes), célèbre roman historique dont l’auteur est Louo Kouan-tchong (fin du XIVème siècle-début du XVème).

4. V. I. Lénine : Notes sur La Science de la logique de Hegel, livre trois :  » Science de la logique subjective ou la théorie du concept  » dans  » Résumé de La Science de la logique de Hegel « .

5. A partir de la dynastie des Tang, les examens Impériaux de la Chine féodale furent organisés à trois échelons : national, provincial et du district (ou tcheou). Celui qui réussissait aux examens de district s’appelait sieoutsai.

6. Mouvement révolutionnaire paysan du milieu du xixème siècle dirigé contre la domination féodale et l’oppression nationale de la dynastie des Tsing.

En janvier 1851, Hong Sieou-tsiuan, Yang Sieou-tsing et d’autres chefs de ce mouvement organisèrent un soulèvement dans le Kouangsi et proclamèrent la fondation du Royaume céleste des Taiping.

En 1852, l’armée paysanne quitta le Kouangsi et se dirigea vers le nord, traversant le Hounan, le Houpei, le Kiangsi et l’Anhouei.

En 1853, elle prit Nankin, centre urbain du Bas-Yangtsé. Une partie de ses forces continua sa marche vers le nord et poussa jusqu’aux abords de Tientsin, grande ville de la Chine du Nord.

Comme l’armée des Taiping omit d’établir de solides bases d’appui dans les territoires qu’elle occupait, et que son groupe dirigeant, après avoir fait de Nankin la capitale, commit de nombreuses fautes politiques et militaires, elle ne put résister aux attaques conjointes des troupes contre- révolutionnaires du gouvernement des Tsing et des pays agresseurs, la Grande-Bretagne, les Etats- Unis et la France, et elle fut vaincue en 1864.7. 11 apparut en 1900 dans le nord de la Chine; ce fut un mouvement de lutte armée dirigé contre l’impérialisme.

Ce mouvement groupait principalement les larges masses de paysans et d’artisans qui, organisées en sociétés secrètes et utilisant les croyances religieuses et les superstitions comme moyen de liaison, combattirent vaillamment les forces coalisées d’agression de huit puissances impérialistes : Etats- Unis, Grande-Bretagne, Japon, Allemagne, Russie, France, Italie et Autriche.

Ces forces réprimèrent sauvagement le mouvement après s’être emparées de Pékin et de Tientsin.

8. Mouvement révolutionnaire anti-impérialiste et antiféodal qui éclata le 4 mai 1W19. Dans la première moitié de l’année, la Grande-Bretagne, la France, les Etats-Unis, le Japon, l’Italie et d’autres puissances impérialistes, victorieuses dans la Première guerre mondiale, avaient tenu à Paris une conférence pour partager le butin de guerre et décidé que le Japon prendrait possession des droits privilégiés de l’Allemagne dans la province chinoise du Chantong.

Les étudiants de Pékin furent les premiers à exprimer leur ferme opposition en organisant des meetings et des manifestations le 4 mai. Le gouvernement des seigneurs de guerre du Peiyang exerça une répression contre eux et opéra plus de trente arrestations.

En signe de protestation, ils déclenchèrent une grève à laquelle un grand nombre d’étudiants d’autres endroits firent écho.

Le 3 juin, le gouvernement des seigneurs de guerre du Peiyang procéda à des arrestations massives à Pékin, et, en deux jours, environ 1 000 étudiants furent arrêtés. Les événements du 3 juin accrurent encore l’indignation du peuple tout entier.

Le 5 juin, les ouvriers et les commerçants commencèrent à faire grève à Changhaï et en de nombreux autres endroits.

Ce mouvement patriotique qui, au début, englobait surtout des intellectuels, prit bientôt une ampleur nationale avec la participation du prolétariat, de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie.

Parallèlement à son développement, le mouvement de la culture nouvelle contre le féodalisme, pour la science et la démocratie, déclenché avant le  » 4 Mai « , se transforma en un puissant mouvement révolutionnaire culturel dont le contenu principal était la propagation du marxisme-léninisme.

9. V. I. Lénine, Notes sur La Science de la logique de Hegel, livre trois, troisième section :  » L’idée  » dans  » Résumé de La Science de la logique de Hegel  » (septembre-décembre 1914), où Lénine dit: « Pour comprendre, il faut commencer à comprendre, à étudier empiriquement, s’élever de l’empirique au général ».

10. V. I. Lénine : Que faire ? (automne 1901-février 1902

11. V. I. Lénine : Matérialisme et emplrlocritlclsme, chapitre II, section 6.

12. J. Staline : Des principes du léninisme (avril-mai 1924), partie III :  » La théorie « .

13. Voir V. I. Lénine : Matérialisme et empiriocriticisme, chapitre II, section 5.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : A propos du suicide de Mademoiselle Chao

Mao Zedong, Hunan Da Dong Bao, 16 novembre 1919

Quand un évènement se produit dans la société, il ne faut pas le considérer comme un fait sans importance. Derrière un évènement, il y a toujours un enchevêtrement de causes.

La mort s’explique de deux façons : la première répond à une logique biologique et physique, « mort de vieillesse » entre dans cette catégorie ; la deuxième est contraire à la logique de la biologie et de la physique, « mort prématurément », « mort violente » font partie de cette autre catégorie. La mort de Mademoiselle est un suicide, il s’agit d’une mort violente et appartient donc à la deuxième catégorie.

Le suicide d’une personne est entièrement déterminé par les circonstances qui l’entourent. L’intention de Mademoiselle Chao était-elle de mourir ?

Bien au contraire, son intention était de vivre. Si Mademoiselle Chao a fini par chercher la mort au lieu de la vie, c’est parce que des circonstances l’y ont amenée.

Dans le cas de Mademoiselle Chao, les circonstances sont les suivantes : (1) la société en Chine (2) la famille Chao de la rue Nanyang à Changsha (3) La famille Wu de Ganziyuan à Changsha, la famille du mari dont elle ne voulait pas. Ces trois facteurs sont comme trois tiges de fers qui forment une sorte de cage triangulaire.

Une fois Mademoiselle Chao prise dans ces trois tiges de fer, son désir de vivre n’a pu trouver aucun moyen de s’exprimer.

Il n’existait aucun moyen de continuer à vivre, et l’opposé de la vie étant la mort, alors Mademoiselle Chao est morte.

Si un seul de ces trois facteurs n’avait pas été une tige de fer, ou si l’une de ces tiges de fer avait rompu, Mademoiselle Chao ne serait certainement pas morte.

(1) Si les parents de Mademoiselle Chao n’avaient pas eu recours à la coercition et respecté le libre choix, elle ne serait certainement pas morte.

(2) Si les parents de Mademoiselle Chao n’avaient pas eu recours à la coercition et lui avaient permis d’expliquer son point de vue à la famille de son futur mari, d’expliquer les raisons de son refus, et si la famille de son futur mari avait accepté son point de vue et respecté sa liberté individuelle, Mademoiselle Chao ne serait certainement pas morte.

(3) Même si les parents de Mademoiselle Chao ou ceux de la famille de son futur mari avaient refusé d’accepter son libre choix, si dans la société il avait existé un groupe puissant d’opinion publique pour la soutenir, s’il existait un monde nouveau où le fait de s’enfuir de la maison de ses parents pour trouver refuge autre part n’était pas considéré comme quelque chose de déshonorant mais au contraire honorable, alors dans ce cas aussi, Mademoiselle Chao ne serait certainement pas morte.

Si Mademoiselle Chao est morte à présent, c’est à cause des trois tiges en fer (la société, sa famille et celle de son futur mari) qui l’emprisonnaient.

Le désir de vivre s’est avéré impossible à accomplir et c’est celui de mort qui l’a emporté.

L’an dernier, à Tokyo au Japon, une comtesse et son chauffeur, qui s’aimaient profondément, se sont suicidés ensemble [1]. Les journaux de Tokyo ont publié des numéros spéciaux sur cette affaire et de nombreux lettrés et érudits en ont débattu pendant plusieurs mois.

L’évènement d’hier est très important.

Derrière cet évènement, il y a en cause le système des mariages arrangés, les ténèbres du système social, l’impossibilité d’une pensée indépendante, l’impossibilité de l’amour vécu en toute liberté.

Nous qui vivons sur les lieux de cet évènement devons en discuter.

Comme deux articles hier ont servi d’introduction [2], j’ai donné à mon tour mon opinion. Il est à espérer que les personnes intéressées discuteront de tous les aspects de cette affaire, en commençant par appeler « innocente » cette jeune femme qui s’est sacrifiée pour la liberté et l’amour véritable.

NOTES

[1] Il s’agit de la comtesse Yoshikawa Kamako, fille du vice-président du Conseil privé, assemblée de conseillers travaillant auprès de l’empereur du Japon de 1888 à 1947.

[2] Deux articles intitulés « Les mariages traditionnels répandent leur poison » et « Victimes de la réforme du mariage » étaient parus la veille.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Importants entretiens du président Mao Zedong avec des personnalités d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine

   En mai et juin 1960, le président Mao Zedong a reçu successivement à Tsinan, Tchengtcheou, Wouhan et Changhaï des délégations et des amis venus d’Amérique latine, d’Afrique, du Japon, d’Irak, d’Iran et de Chypre, en visite dans notre pays. Au cours des réceptions, le président Mao Zedong a fait plusieurs déclarations.

   Le 3 mai, le président Mao Zedong a reçu à Tsinan des délégations syndicales, de femmes, et des déléguées, venues de 14 pays et régions d’Amérique latine et d’Afrique.

   Le président Mao Zedong s’est entretenu cordialement avec ces amis et les a assurés du ferme soutien des 650 millions de Chinois aux actuels mouvements nationaux et démocratiques du peuple cubain et de tous les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, et leur a exprimé ses remerciements pour le soutien et l’aide qu’ils ont apportés à la Chine nouvelle.

   Le président Mao Zedong a notamment déclaré : Notre ennemi commun est l’impérialisme américain, nous nous trouvons tous sur un même front, et nous devons nous unir et nous soutenir les uns les autres. Les peuples du monde entier, y compris le peuple américain, sont nos amis, a-t-il dit. Il affirma également au cours de l’entretien son soutien à la Conférence au Sommet des quatre puissances.

Les amis de ces pays ont parlé eux aussi de la lutte menée actuellement dans leurs pays respectifs contre l’impérialisme et pour la conquête et la sauvegarde de l’indépendance nationale et de la démocratie, et ont exprimé leur résolution de surmonter toutes les difficultés et de lutter pour la victoire finale, et leur confiance.

   Le 7 mai, le président Mao Zedong a reçu à Tcheng-Tcheou des hommes publics, des combattants de la paix et des délégations syndicales, de jeunes, d’étudiants, ainsi que des délégués, venus de 12 pays et régions d’Afrique.

   Au cours de la réception, toutes les délégations, dans des exposés pleins de chaleur, ont évoqué toutes les souffrances subies depuis de longues années sous l’oppression et le joug de l’impérialisme, leurs luttes antiimpérialistes et anticolonialistes ; elles ont exprimé leur résolution et leur confiance dans une victoire complète, leur profonde amitié pour le peuple chinois et leur respectueuse affection pour le président Mao Zedong.

   Le président Mao Zedong a exprimé, au nom des 650 millions de Chinois, toute sa sympathie et son appui total à la lutte héroïque des peuples d’Afrique contre l’impérialisme et le colonialisme. Le président Mao Zedong a également exprimé sa sympathie et son soutien à la juste lutte patriotique du peuple sud-coréen et du peuple turc contre l’impérialisme américain et ses chiens couchants. Le président Mao Zedong estime que cette lutte des peuples sud-coréen et turc prouve que la tempête des luttes des peuples opprimés d’Asie contre l’impérialisme et ses chiens couchants éclatera avec une vigueur nouvelle.

   Cette lutte constituera un soutien pour le juste combat que mènent les peuples d’Afrique et d’Amérique latine ainsi que les peuples du monde entier. Le président Mao Zedong a dit que les justes luttes des peuples du monde entier se soutiennent toutes mutuellement. Le président Mao Zedong a remercié les amis d’Afrique pour leur profonde amitié envers le peuple chinois, il a salué la grande solidarité entre le peuple chinois et les peuples d’Afrique et a affirmé qu’il était convaincu que la victoire finale serait certainement remportée dans la lutte commune contre l’impérialisme et le colonialisme.

   Le 8 mai, le président Mao Zedong a reçu à Tcheng-Tcheou des amis de 8 pays de l’Amérique latine.

   Au cours de l’entretien, le président Mao Zedong a tout d’abord souhaité chaleureusement la bienvenue aux amis d’Amérique latine et leur a fait connaître les expériences du peuple chinois dans la lutte révolutionnaire et dans l’édification socialiste.

   De leur côté, les amis de 8 pays d’Amérique latine ont fait part au président Mao Zedong de leurs impressions sur leur visite en Chine. Ils ont chaleureusement applaudi les succès que le peuple chinois a remportés, dans ses entreprises et ont exalté la ligne générale pour l’édification du socialisme, le grand bond en avant et les communes populaires de Chine, ainsi que la contribution du peuple chinois à la cause de la paix mondiale et du progrès de l’humanité. Ils ont également parlé des liens historiques entre les peuples d’Amérique latine et le peuple chinois et de leur amitié qui se développe de jour en jour.

   Ils ont dit que les peuples d’Amérique latine et le peuple chinois ont un ennemi commun, l’impérialisme américain. Ils ont parlé de la lutte que mènent le peuple cubain et les peuples des autres pays d’Amérique latine contre l’impérialisme américain. Ils ont déclaré que la victoire finale sera certainement remportée dans la lutte contre l’impérialisme, si les peuples d’Amérique latine s’unissent ensemble et avec le peuple chinois et les peuples du monde entier.

   Le président Mao Zedong a remercié ces amis pour leur amitié envers le peuple chinois. Le président Mao Zedong a dit que, comme les peuples d’Amérique latine, le peuple chinois a été longtemps opprimé et exploité par l’impérialisme. Le peuple chinois, fort de l’unité de ses propres rangs et grâce à l’aide des peuples des autres pays, a pu mener une longue et âpre lutte et a fini par renverser la domination de l’impérialisme, du féodalisme et du capitalisme bureaucratique en Chine. A l’heure actuelle, il est en train d’édifier son pays, afin de transformer son aspect « de pauvreté et de dénuement culturel ».

   Le peuple chinois est pleinement confiant de pouvoir mener à bien l’édification de son pays, il lui faut donc du temps, la paix et des amis. Le Président a dit que le peuple cubain, les peuples d’Amérique latine, ainsi que les peuples du monde entier sont les amis du peuple chinois, alors que l’impérialisme et ses chiens couchants sont nos ennemis communs et ne forment qu’un très petit nombre. Il a dit que c’est principalement par la lutte des peuples des différents pays que s’obtient la paix mondiale.

   Le président Mao Zedong a exprimé son admiration pour la lutte héroïque du peuple cubain contre l’impérialisme américain. La lutte du peuple cubain et des autres peuples d’Amérique latine, a-t-il dit, a aidé le peuple chinois, et la lutte du peuple chinois a aidé également le peuple cubain et les autres peuples des pays d’Amérique latine.

   Le peuple est le facteur décisif ; en nous appuyant sur l’union et la lutte du peuple, nous pourrons à coup sûr vaincre l’impérialisme et ses chiens couchants et obtenir une paix durable dans le monde.

   Le 9 mai, le président Mao Zedong a reçu à Tcheng-Tcheou les amis qui font partie de la délégation culturelle et de la délégation ouvrière irakiennes, de la délégation syndicale iranienne et de la délégation de la Fédération du Travail de Chypre.

   Le président Mao Zedong s’est entretenu avec les amis, d’Irak, d’Iran et de Chypre de la situation de la lutte des peuples des différents pays contre l’impérialisme et ses chiens couchants ainsi que des expériences acquises.

   Le président Mao Zedong a dit qu’à l’heure actuelle le plus grand impérialisme du monde, c’est l’impérialisme américain, qui a des chiens couchants dans de nombreux pays. Ceux que les impérialistes soutiennent sont précisément ceux que les grandes masses populaires répudient. Des individus tels que Tchiang Kaï-chek, Syngman Rhee, Nobosuke Kishi, Batista, Nouri Saïd, Mendérès sont soit déjà renversés par le peuple, soit sur le point de l’être. Le soulèvement des peuples de ces pays contre les chiens couchants des impérialistes américains et autres constitue également une opposition à la domination réactionnaire des impérialistes.

   Le président Mao Zedong a dit que le peuple japonais est passé à l’action et qu’actuellement la grande masse populaire japonaise est en train d’organiser des manifestations encore plus amples que par le passé contre le traité d’alliance militaire, de caractère agressif, signé par le gouvernement Kishi avec les impérialistes américains. Le peuple chinois soutient fermement cette lutte du peuple japonais.

   La juste lutte des peuples du monde, a-t-il dit, bénéficie et continuera à bénéficier du ferme appui des 650 millions de Chinois. Il a dit que l’existence de l’impérialisme ne sera plus bien longue. Les impérialistes ont commis tous les méfaits possibles, les peuples opprimés du monde entier ne pourront absolument pas leur pardonner. Le président Mao Zedong a dit que pour vaincre la domination réactionnaire des impérialistes, il faut former un large front uni, s’unir avec toutes les forces possibles, à l’exclusion des ennemis, et poursuivre une âpre lutte.

   Les amis d’Irak, d’Iran et de Chypre ont remercié le président Mao Zedong pour sa réception et pour les paroles qu’il avait prononcées et ont exprimé leur volonté de lutter en commun avec le peuple chinois et les peuples du monde entier contre l’impérialisme. Enfin, le président Mao Zedong a levé son verre pour souhaiter une union plus solide encore entre les peuples du monde et formuler le vœu que la lutte du peuple japonais aboutisse à la victoire et que la victoire soit également remportée par les peuples du monde dans leur lutte contre l’impérialisme et ses chiens couchants.

   Le 14 mai, le président Mao Zedong a reçu à Wouhan des amis du Japon, de Cuba, du Brésil et d’Argentine.

   Le président Mao Zedong a tout d’abord souhaité la bienvenue aux amis japonais, cubains, brésiliens et argentins, à l’occasion de leur visite en Chine. Le président Mao Zedong a manifesté son intérêt pour la lutte que mène le peuple japonais contre le traité d’alliance militaire nippo-américain. Il a dit que le nouveau « pacte de sécurité » nippo-américain vise à opprimer les grandes masses populaires japonaises.

   C’est un traité d’alliance militaire de caractère agressif, hostile à la Chine et à l’Union Soviétique et aux peuples d’Asie. Il constitue une grave menace pour la paix en Asie et dans le monde et sera nécessairement cause de grands malheurs pour le peuple japonais. Les peuples chinois et japonais, les peuples d’Asie, ainsi que les peuples épris de paix du monde entier doivent s’opposer au traité d’alliance militaire nippo-américain.

   Le président Mao Zedong a dit que l’impérialisme américain est l’ennemi commun des peuples chinois et japonais, en même temps que celui des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, et de tous les peuples épris de paix du monde entier. Les impérialistes ont élevé à leur propre intention des chiens couchants dans de nombreux pays. Les peuples de ces pays n’aiment pas ces chiens couchants. Le gouvernement Nobosuke Kishi, au Japon, est un gouvernement de ce genre.

   Les patriotes éclairés du Parti libéral-démocrate japonais ont exprimé également leur mécontentement à l’égard de la politique réactionnaire de Nobosuke Kishi. A l’heure actuelle, le peuple japonais mène une lutte d’une grande ampleur contre le traité d’alliance militaire nippo-américain. Dans la lutte contre le traité d’alliance militaire nippo-américain, la conscience du peuple japonais s’élève de jour en jour et ceux qui prennent conscience deviennent de plus en plus nombreux. Le président Mao Zedong a ajouté que le peuple japonais a beaucoup d’espoir.

   Le peuple chinois a soutenu, soutient et soutiendra avec fermeté la lutte patriotique et juste du peuple japonais. Le peuple cubain et les autres peuples d’Amérique latine soutiennent la lutte du peuple japonais, et le peuple japonais soutient également la lutte du peuple cubain et des autres peuples de l’Amérique latine.

   Le président Mao Zedong dit que les Etats-Unis ont envoyé récemment un avion de type U-2 pour s’introduire en Union Soviétique, afin de s’y livrer à des activités d’espionnage ; il a été abattu et les Soviétiques ont eu tout à fait raison.

Cet incident a mis à nu une fois de plus le vrai visage des impérialistes américains qui, sous l’enseigne hypocrite de la paix, se livrent aux préparatifs d’une guerre d’agression, et il a une fois de plus prouvé au monde entier cette vérité : On ne doit pas conserver d’illusions, pas d’espoir qui ne correspond pas à la réalité, sur les impérialistes.

   Certaines personnes avaient décrit Eisenhower comme un homme fort attaché à la paix, je souhaite que ces personnes soient pleinement éclairées par ce fait.

   Le président Mao Zedong a dit : Nous soutenons la convocation de la Conférence au Sommet, que ce genre de conférence aboutisse ou non à des résultats ou quelle que soit l’importance des succès obtenus. Cependant, pour obtenir la paix dans le monde, il faut s’appuyer principalement sur la lutte résolue des peuples de tous les pays.

   Le président Mao Zedong a encore parlé de l’essor grandissant des mouvements nationaux et démocratiques en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Il a dit que ce que les impérialistes craignent le plus, c’est la prise de conscience des peuples d’Asie, d’Afrique et de l’Amérique latine, c’est la prise de conscience de tous les peuples du monde. Nous devons nous unir pour chasser les impérialistes américains de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine et les renvoyer chez eux.

   Les amis du Japon, de Cuba, du Brésil et d’Argentine ont remercié le président Mao Zedong pour la réception et l’entretien cordial qu’il leur a accordés et ont exprimé leur volonté de s’unir pour lutter unanimement contre l’impérialisme et pour remporter la victoire dans la lutte nationale et démocratique.

   Pour terminer, le président Mao Zedong a levé son verre à l’union des peuples du monde entier, à la victoire du peuple japonais, à la victoire des peuples d’Amérique latine et à la victoire des peuples de tous les pays du monde.

   Le 21 juin, le président Mao Zedong et le premier ministre Chou En-laï ont reçu à Changhaï la délégation des hommes de lettres japonais conduite par Hiroshi Noma, et des entretiens cordiaux se sont déroulés dans une atmosphère pleine d’amitié.

   Le président Mao Zedong a indiqué que la lutte victorieuse du peuple japonais contre l’impérialisme américain et ses agents au Japon, pour l’indépendance nationale et pour les libertés démocratiques constituait un très grand soutien apporté à la lutte du peuple chinois et des peuples du monde contre l’agression des impérialistes américains et pour la sauvegarde de la paix mondiale.

   Le président Mao Zedong a dit que la conscience du peuple japonais s’est beaucoup élevée par rapport à ce qu’elle était il y a quelques années, les larges masses populaires japonaises ont compris que l’impérialisme américain est l’ennemi commun des peuples chinois et japonais et des peuples épris de paix et de justice du monde entier.

   Cette lutte aurait été difficilement concevable dans le passé, en raison de son ampleur, de son étendue et de sa longue durée. Il apparaît que le peuple japonais a découvert une bonne méthode, dans la situation présente, pour s’opposer au nouveau « traité de sécurité nippo-américain » et aux bases militaires des États-Unis, et pour chasser les forces d’agression de l’impérialisme américain, et cette méthode réside dans l’union des forces les plus larges, à l’exception de l’impérialisme américain et de ses agents, pour mener une lutte de masse à l’échelle de la nation entière contre l’impérialisme américain et ses agents.

   Le chef de la délégation, Hiroshi Noma, a indiqué que la grève générale nationale du 4 juin, à laquelle ont participé des millions de Japonais, et dont les ouvriers ont été le noyau, a montré que la lutte du peuple japonais pour l’indépendance et la démocratie est entrée dans une nouvelle étape. Les forces du peuple japonais opposées à l’impérialisme américain et à ses agents au Japon se sont unies et la lutte ne cessera nullement, elle continuera à progresser et à se développer.

   Le président Mao Zedong a dit ensuite qu’il ne croyait pas qu’une nation aussi grande que le Japon puisse être longtemps victime de la domination étrangère. Il a estimé qu’il existait des perspectives pleines d’espérance pour l’indépendance et la liberté du Japon. L’indépendance et la paix seraient assurées pour le Japon après l’abolition du « traité de sécurité nippo-américain » et la suppression des bases militaires américaines.

   Le président Mao Zedong a fait remarquer que la victoire se gagne étape par étape et que la conscience des masses s’élève également progressivement. Le président Mao Zedong a souhaité de plus grands succès encore au peuple japonais dans sa juste lutte patriotique contre l’impérialisme américain. II a exprimé le respect que lui inspire le sacrifice héroïque de Michiko Kanba. ll a dit que Michiko Kanba était devenue une héroïne nationale japonaise célèbre dans le monde entier.

   Enfin, le chef de. la délégation, Hiroshi Noma, et tous les membres de la délégation, ont exprimé leurs remerciements sincères et leur joie pour l’énorme soutien accordé au peuple japonais par le président Mao Zedong et le peuple chinois.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Entretien avec le journaliste anglais James Bertram

25 Octobre 1937

Le Parti communiste chinois et la Guerre de Résistance contre le Japon

James Bertram : Quelle a été la position concrète adoptée par le Parti communiste chinois avant qu’éclaté la guerre sino-japonaise et après ?

Mao Tsé-toung : Avant que cette guerre éclate, le Parti communiste chinois a averti maintes fois toute la nation que la guerre avec le Japon devenait inévitable, que les propos des impérialistes japonais sur un prétendu règlement pacifique ainsi que les belles phrases de leurs diplomates n’étaient qu’un écran de fumée destiné à camoufler leurs préparatifs de guerre.

Nous avons fait remarquer à plusieurs reprises qu’il est impossible de triompher dans la guerre de libération nationale sans renforcer le front uni et sans appliquer une politique révolutionnaire.

Dans cette politique, il est un point particulièrement important : le gouvernement chinois doit procéder à des réformes démocratiques, afin d’entraîner les masses populaires dans le front antijaponais.

Nous avons signalé à maintes reprises les erreurs de ceux qui croyaient aux « garanties de paix » japonaises et pensaient que la guerre pourrait être évitée, ou de ceux qui croyaient à la possibilité de résister à l’envahisseur sans mobiliser les masses populaires. Le fait même que la guerre a éclaté et la façon dont elle se déroule depuis ont prouvé la justesse de nos vues.

Le lendemain de l’Incident de Loukeoukiao, le Parti communiste a lancé un manifeste à la nation, appelant tous les partis et groupements politiques, toutes les couches de la population à faire cause commune pour résister à l’agresseur japonais et à renforcer le front uni national.

Peu de temps après, nous avons publié le Programme en dix points pour la résistance au Japon et le salut de la patrie, dans lequel nous avons défini la politique que devrait suivre le gouvernement chinois dans la Guerre de Résistance.

Quand le Kuomintang et notre Parti ont établi leur coopération, nous avons publié un autre manifeste important. Tout cela atteste notre ferme attachement à ce principe que, pour résister au Japon, il faut renforcer le front uni et appliquer une politique révolutionnaire. Notre mot d’ordre fondamental dans la présente période est : « Résistance générale de toute la nation ».

La situation militaire et les leçons de la Guerre de Résistance

Question : D’après vous, quels sont jusqu’à présent les résultats de la guerre ?

Réponse : Ils sont principalement de deux ordres. D’une part, par la prise de nos villes et l’occupation de nos territoires, par les violences contre les femmes, les pillages, les incendies et les massacres dont ils se sont rendus coupables, les impérialistes japonais ont fini par placer le peuple chinois devant le danger de se voir asservi.

D’autre part, la majorité des Chinois a acquis la profonde conviction que la crise ne peut être surmontée sans une union plus étroite et sans une résistance de toute la nation. En même temps, la guerre a commencé à rendre les pays pacifiques du monde conscients de la nécessité de résister aux menaces du Japon. Tels sont jusqu’à présent les résultats de la guerre.

Question : Quels sont, à votre avis, les objectifs du Japon ? Dans quelle mesure ont-ils déjà été réalisés ?

Réponse : Le Japon compte s’emparer, dans une première phase, de la Chine du Nord et de Changhaï et, dans une seconde phase, d’autres régions de la Chine.

Quant à la réalisation de ses plans, l’envahisseur a déjà occupé en peu de temps les provinces du Hopei, du Tchahar et du Soueiyuan, et il menace le Chansi ; la raison en est que la guerre de résistance de la Chine n’a été menée jusqu’ici que par le gouvernement et l’armée. La seule issue à cette situation dangereuse est que les masses populaires et le gouvernement poursuivent la résistance en commun.

Question : Pensez-vous que la Chine ait déjà remporté quelques succès dans la Guerre de Résistance ? Et si l’on peut parler des leçons de la guerre, en quoi consistent-elles ?

Réponse : Je voudrais m’arrêter un peu plus longuement sur cette question. Tout d’abord, des succès, nous en avons eu, et de très grands. Voici en quoi ils consistent : 1) Depuis que l’agression impérialiste a commencé en Chine, il n’y a jamais rien eu de comparable à la Guerre de Résistance actuelle. Celle-ci est vraiment, au sens géographique, une guerre nationale. Elle a un caractère révolutionnaire.

2) La guerre a eu pour effet de donner à notre pays divisé une unité relative, qui repose sur la coopération entre le Kuomintang et le Parti communiste.

3) La guerre du peuple chinois a gagné la sympathie de l’opinion mondiale. Ceux qui méprisaient la Chine pour sa non-résistance la respectent maintenant pour sa résistance.

4) La guerre a causé de lourdes pertes à l’envahisseur japonais. Elle lui coûte, paraît-il, vingt millions de yens par jour. Et ses pertes en hommes, bien qu’on n’ait pas encore de chiffres, sont sûrement très lourdes aussi. Alors qu’il a pu s’emparer des quatre provinces du Nord-Est presque sans coup férir, l’agresseur n’est plus à même aujourd’hui d’occuper de territoire chinois sans livrer de combats sanglants.

L’impérialisme japonais comptait assouvir en Chine son féroce appétit, mais notre résistance prolongée finira par l’amener à sa ruine. Ainsi, la Chine résiste non seulement pour son propre salut, mais aussi pour assumer ses grandes responsabilités au sein du front antifasciste mondial. Par là également la Guerre de Résistance manifeste son caractère révolutionnaire.

5) Nous avons tiré des enseignements de cette guerre. Ils ont été payés de notre sol et de notre sang.

   Les leçons, elles aussi, sont grandes. En quelques mois, la guerre a révélé un grand nombre des points faibles de la Chine, surtout dans le domaine politique.

Bien que, géographiquement, tout notre pays soit engagé dans cette guerre, ce n’est pourtant pas la nation entière qui la fait. Les mesures restrictives du gouvernement empêchent toujours la grande masse du peuple de participer à la guerre qui, pour cette raison, n’a pas encore un caractère de masse.

Et tant qu’elle n’aura pas ce caractère, la guerre contre l’agression de l’impérialisme japonais n’aura aucune chance d’être victorieuse. Certains disent : « La guerre a déjà un caractère général ».

Certes, mais uniquement du point de vue géographique ; car du point de vue des forces qui y participent, elle reste toujours partielle, parce qu’elle est faite seulement par le gouvernement et l’armée, et non par le peuple. Là réside la cause principale de la perte de vastes territoires et des nombreux revers militaires subis au cours des derniers mois.

Ainsi, la Guerre de Résistance actuelle est révolutionnaire sans l’être tout à fait, parce qu’elle n’est pas encore une guerre des masses.

C’est là aussi une question d’unité. Bien que les partis et groupements politiques du pays soient maintenant plus unis que par le passé, il s’en faut de beaucoup que l’unité voulue soit réalisée. La plupart des détenus politiques n’ont pas encore été relâchés, l’interdit sur les partis politiques n’est pas encore entièrement levé.

Quant aux rapports entre le gouvernement et le peuple, l’armée et le peuple, les officiers et les soldats, ils demeurent très mauvais ; il ne s’y manifeste que de l’éloignement et point d’unité. Or, c’est là une question primordiale. Tant qu’elle n’est pas résolue, il est inutile de songer à la victoire.

En outre, les fautes commises sur le plan militaire sont également une cause importante de nos pertes en hommes et en territoire. Dans la plupart des engagements, l’armée chinoise a laissé l’initiative à l’ennemi, c’est ce qu’on appelle, en termes militaires, « la défense pure ».

Cette façon de se battre ne peut conduire à la victoire. Pour vaincre, il faut adopter une ligne politique et militaire radicalement différente de celle qui est appliquée actuellement. Telles sont les leçons que nous avons dégagées.

Question : Quelles sont alors les conditions politiques et militaires que vous jugez indispensables ?

Réponse : Sur le plan politique, voici ce que nous devons faire : Premièrement, transformer le gouvernement actuel en un gouvernement de front uni, auquel participeront les représentants du peuple. Ce gouvernement sera à la fois démocratique et centralisé. Il appliquera la politique révolutionnaire qui s’impose.

Deuxièmement, donner au peuple la liberté de parole, de presse, de réunion et d’association, ainsi que le droit de prendre les armes pour résister à l’ennemi, afin que la guerre ait un caractère de masse.

Troisièmement, élever le niveau de vie du peuple, ce qui est une nécessité, en supprimant les impôts exorbitants et les taxes multiples, en réduisant les fermages et le taux d’intérêt des prêts, en améliorant les conditions de vie des ouvriers, des officiers subalternes et des soldats, en accordant un traitement de faveur aux familles des combattants de la Guerre de Résistance, en portant secours aux victimes des calamités naturelles et aux réfugiés de guerre, etc.

Les finances du gouvernement devront reposer sur une répartition équitable des charges, c’est-à-dire sur le principe : « Que celui qui a de l’argent donne de l’argent ».

Quatrièmement, adopter une politique extérieure active.

Cinquièmement, réformer notre politique en matière de culture et d’éducation. Sixièmement, liquider impitoyablement les traîtres à la nation. Cette question est d’une gravité extrême à l’heure actuelle. Les traîtres ont le champ libre. Au front, ils aident l’ennemi ; à l’arrière, ils sèment le désordre. Certains même, se posant en partisans de la Résistance, font arrêter des patriotes comme traîtres.

Une répression effective des traîtres à la nation n’est possible que si le peuple se lève et coopère avec le gouvernement. Sur le plan militaire, nous devons entreprendre une réforme complète et, avant tout, rejeter la défense pure en stratégie et en tactique pour adopter le principe de l’attaque active ; transformer les armées de type ancien en armées de type nouveau ; remplacer la méthode de l’enrôlement forcé par celle de l’agitation pour engager le peuple à aller au front ; remplacer le commandement non unifié par un commandement unique ; mettre fin à l’indiscipline qui règne dans l’armée et qui l’isole du peuple, et instituer une discipline qui sera observée de façon consciente et qui ne tolérera pas la moindre atteinte aux intérêts du peuple ; passer de la situation actuelle où l’armée régulière combat seule à une guerre populaire de partisans largement développée qui appuie les opérations de l’armée régulière ; etc.

Toutes ces conditions politiques et militaires ont été énoncées dans le Programme en dix points que nous avons publié. Elles sont conformes à l’esprit des trois principes du peuple du Dr Sun Yat-sen, de ses trois thèses politiques fondamentales et de son testament. La guerre ne peut être gagnée que si elles sont réalisées.

Question : Que fait le Parti communiste pour appliquer ce Programme ?

Réponse : Notre tâche est d’expliquer inlassablement la situation présente, de nous allier avec le Kuomintang et avec tous les autres partis et groupements patriotiques pour élargir et consolider le front uni national antijaponais et pour mobiliser toutes les forces du pays en vue de remporter la victoire dans la Guerre de Résistance.

Il est indispensable d’élargir le front uni dont le cadre actuel est encore très restreint ; en d’autres termes, il faut « éveiller les masses populaires », comme le recommande le testament du Dr Sun Yat-sen, en mobilisant le peuple à la base afin qu’il participe au front uni. La consolidation du front uni suppose l’application d’un programme commun qui engage tous les partis et groupements politiques.

Nous acceptons les trois principes du peuple révolutionnaires du Dr Sun Yat-sen, ses trois thèses politiques fondamentales et son testament comme programme commun du front uni de tous les partis politiques et de toutes les couches sociales. Mais, jusqu’à présent, ce programme n’a pas été reconnu par tous les partis, et le Kuomintang, en particulier, n’a pas encore reconnu et proclamé un programme aussi complet.

Il a partiellement réalisé par sa résistance à l’envahisseur le principe du nationalisme du Dr Sun Yat-sen, mais non le principe de la démocratie ni le principe du bien-être du peuple, d’où la sérieuse crise actuelle dans le déroulement de notre Guerre de Résistance. Face à une situation militaire aussi critique, il est temps que le Kuomintang applique entièrement les trois principes du peuple ; s’il tarde encore, il sera vain pour lui de s’en repentir.

Le Parti communiste a le devoir d’élever sa voix pour faire auprès du Kuomintang et dans le peuple tout entier un travail inlassable d’explication et de persuasion, afin que les trois principes du peuple authentiquement révolutionnaires, les trois thèses politiques fondamentales et le testament du Dr Sun Yat-sen soient appliqués intégralement et de façon radicale dans tout le pays, et que le front uni national antijaponais soit ainsi élargi et consolidé.

La VIIIe Armée de Route dans la Guerre de Résistance

   Question : Parlez-moi, je vous prie, de la VIIIe Armée de Route à laquelle s’intéressent beaucoup de gens par exemple, de sa stratégie et de sa tactique, du travail politique qu’on y fait.

  Réponse : Depuis que la VIIIe Armée de Route − nouvelle dénomination de l’Armée rouge − est partie pour le front, beaucoup de gens en effet s’intéressent à ses activités. Je vais vous en donner une idée générale.

   Commençons par les opérations militaires. Sur le plan stratégique, la VIIIe Armée de Route prend, comme centre de ses opérations, le Chansi.

Elle a remporté, ainsi que vous le savez, de nombreuses victoires ; des exemples en sont fournis par la bataille de Pinghsingkouan, la reprise de Tsingping, Pinglou et Ningwou, les opérations pour recouvrer Laiyuan et Kouangling, l’occupation de Tsekingkouan, les opérations qui ont permis de couper trois des principales voies de ravitaillement de l’armée japonaise (de Tatong à Yenmenkouan, de Yuhsien à Pinghsingkouan et de Chouohsien à Ningwou), l’attaque des arrières japonais au sud de Yenmenkouan, la reprise, par deux fois, de Pinghsingkouan et de Yenmenkouan et les opérations récentes pour recouvrer Kiuyang et Tanghsien.

Les troupes japonaises qui ont pénétré dans le Chansi sont, à l’heure actuelle, stratégiquement encerclées par la VIIIe Armée de Route et d’autres forces chinoises.

Nous pouvons affirmer avec certitude que désormais elles se heurteront en Chine du Nord à la résistance la plus opiniâtre. Si elles persistent à vouloir opérer comme bon leur semble dans le Chansi, elles iront assurément au-devant de difficultés plus grandes que jamais.

   Je passe maintenant à la question de la stratégie et de la tactique. Nous faisons ce que les autres armées chinoises n’ont pas fait : nous opérons principalement sur les flancs et à l’arrière de l’ennemi. Cette méthode de combat est très différente de la défense purement frontale. Nous ne sommes pas opposés à l’emploi d’une partie des forces dans des opérations de front, car cela est indispensable.

Mais il faut utiliser le gros des forces contre les flancs de l’ennemi, recourir à l’encerclement et aux mouvements tournants, attaquer l’ennemi en toute indépendance et en faisant preuve d’initiative, pour conserver ses propres forces et anéantir celles de l’ennemi.

De plus, il est particulièrement efficace d’utiliser une partie des forces pour des opérations à l’arrière de l’ennemi, car elles désorganisent ses lignes de ravitaillement et ses bases d’appui. Même les troupes qui combattent de front doivent recourir principalement à des « contre-assauts » et non à la tactique de la défense pure. Une raison importante des revers militaires de ces derniers mois réside dans l’emploi de méthodes opérationnelles inadéquates.

La méthode de combat qu’utilisé la VIIIe Armée de Route est celle que nous appelons guerre de partisans et guerre de mouvement menées avec indépendance et initiative. Elle est, quant à ses principes fondamentaux, la même que celle qui a été appliquée au cours de la dernière guerre civile, tout en comportant certaines différences.

A l’étape actuelle, par exemple, si nous dispersons nos forces plus souvent que nous ne les concentrons, c’est pour pouvoir mieux attaquer par surprise, sur un territoire étendu, les flancs et les arrières de l’ennemi.

Puisque l’armée chinoise considérée dans son ensemble possède une grande importance numérique, il faut qu’une partie en soit employée à la défense de la ligne de front, une autre à des opérations de partisans en ordre dispersé, tandis que le gros des forces doit toujours être concentré sur les flancs de l’ennemi. Le premier principe de la guerre, c’est de conserver ses propres forces et d’anéantir celles de l’ennemi.

Pour y parvenir, il faut mener avec indépendance et initiative la guerre de partisans et la guerre de mouvement et éviter toute passivité et rigidité dans la conduite des opérations. Si des forces massives sont jetées dans la guerre de mouvement et que la VIIIe Armée de Route les appuie de ses opérations de partisans, notre pays tiendra certainement la clé de la victoire.

   J’en viens à la question du travail politique. Une autre particularité extrêmement importante et évidente de la VIIIe Armée de Route, c’est son travail politique, lequel repose sur trois principes fondamentaux. Premièrement, le principe de l’union des officiers et des soldats, qui implique l’abolition des pratiques féodales dans l’armée, l’interdiction des châtiments corporels et des injures, l’institution d’une discipline observée de façon consciente et la création d’un genre de vie où officiers et soldats partagent leurs joies et leurs peines, ce qui fait que l’armée est étroitement unie. Deuxièmement, le principe de l’union de l’armée et du peuple.

Il implique que la discipline ne tolère pas la moindre atteinte aux intérêts des masses, que l’armée fasse de la propagande parmi elles, qu’elle les organise et les arme, qu’elle allège leurs charges financières et qu’elle châtie les traîtres à la nation qui portent préjudice au peuple et à l’armée elle-même ; ainsi elle est unie au peuple et partout bien accueillie.

Troisièmement, le principe de la désagrégation des forces de l’ennemi et de la clémence à l’égard des prisonniers de guerre.

Notre victoire ne dépend pas seulement des opérations de nos troupes, mais aussi de la désagrégation des forces de l’adversaire. Bien que l’application de ce dernier principe n’ait pas encore donné de résultats tangibles, elle portera certainement ses fruits dans l’avenir.

En outre, conformément au deuxième principe, la VIIIe Armée de Route complète ses effectifs non en recourant à la contrainte mais en encourageant la population à aller volontairement au front. Cette méthode est de beaucoup la plus efficace.

   La perte du Hopei, du Tchahar, du Soueiyuan et d’une partie du Chansi ne nous a nullement découragés ; nous appelons avec une ferme détermination notre armée à opérer en coordination avec toutes les troupes amies et à se battre avec acharnement pour défendre le Chansi et recouvrer les territoires perdus.

La VIIIe Armée de Route agira de concert avec les autres troupes chinoises et poursuivra résolument la résistance dans le Chansi ; cela est d’une très grande importance pour tout le cours de la guerre, en particulier pour les opérations en Chine du Nord.

   Question : A votre avis, ces qualités de la VIIIe Armée de Route peuvent-elles être acquises par les autres troupes chinoises ?

  Réponse : Certainement. L’armée du Kuomintang avait un esprit semblable, dans l’ensemble, à celui qui anime aujourd’hui la VIIIe Armée de Route. C’était en 1924-1927. A ce moment-là, le Parti communiste chinois et le Kuomintang avaient créé conjointement une armée d’un type nouveau.

Comprenant au début, en tout et pour tout, deux régiments, cette armée sut rallier autour d’elle de nombreuses troupes et remporta une première victoire en battant Tchen Kiong-ming. Par la suite, elle accrut ses effectifs, devint un corps d’armée et rangea sous son influence un plus grand nombre de troupes encore, ce qui rendit possible l’Expédition du Nord.

Une atmosphère nouvelle y régnait : en général, les officiers et les soldats étaient unis, de même que l’armée et le peuple ; les troupes étaient pénétrées d’un esprit révolutionnaire qui les portait sans cesse en avant. On y institua le système des délégués du Parti et des départements politiques, inconnu jusqu’alors dans l’histoire de la Chine, système qui donna à cette armée une physionomie toute nouvelle.

Depuis 1927, c’est l’Armée rouge, aujourd’hui la VIIIe Armée de Route, qui a hérité de ce système et l’a développé. Pendant la période révolutionnaire de 1924-1927, l’armée, animée de cet esprit politique nouveau, employait naturellement des méthodes de combat correspondantes : elle n’opérait plus d’une manière passive et rigide, mais avec initiative, dynamisme et esprit offensif ; aussi remporta-t-elle la victoire dans l’Expédition du Nord. C’est d’une telle armée que nous avons besoin actuellement sur les champs de bataille.

Elle ne doit pas forcément compter des millions d’hommes ; pour vaincre l’impérialisme japonais, il suffit d’avoir un noyau de quelques centaines de milliers de combattants.

Nous tenons en grande estime toutes les troupes du pays pour leurs sacrifices héroïques depuis le début de la Guerre de Résistance, mais nous devrions tirer des combats sanglants qu’elles ont livrés les leçons qui s’imposent.

Question : Ne vous semble-t-il pas qu’avec la discipline qui règne dans l’armée japonaise, votre politique de clémence envers les prisonniers de guerre puisse se révéler inopérante ? Par exemple, les prisonniers que vous relâchez pourraient être exécutés à leur retour par le commandement japonais, et alors l’armée japonaise dans son ensemble continuerait à ignorer le sens de votre politique.

Réponse : C’est impossible. Plus le commandement ennemi en fera exécuter, plus les soldats japonais auront de la sympathie pour l’armée chinoise.

On n’arrivera pas à cacher notre politique à la masse des soldats japonais. Nous persisterons à l’appliquer. Par exemple, l’armée japonaise a déjà fait savoir ouvertement qu’elle emploierait les gaz contre la VIIIe Armée de Route ; eh bien, même dans ce cas, nous n’abandonnerons pas notre politique de clémence à l’égard des prisonniers.

Nous continuerons à traiter avec générosité les prisonniers japonais − les soldats et ceux des officiers subalternes qui ont dû se battre contre nous par contrainte −, nous leur épargnerons les affronts et les injures, nous leur expliquerons la communauté d’intérêts de nos deux peuples et nous les renverrons chez eux.

Ceux qui ne voudront pas rentrer auront la possibilité de servir dans la VIIIe Armée de Route. Et s’il se forme une « brigade internationale » sur le théâtre d’opérations de la Guerre de Résistance, ils pourront en faire partie et prendre les armes pour combattre l’impérialisme japonais.

L’esprit de capitulation dans la Guerre de Résistance

   Question : II paraît que les Japonais, tout en poursuivant la guerre, font courir à Changhaï des bruits de paix. Quels sont donc les buts du Japon ?

   Réponse : Parvenu à une certaine étape de l’exécution de son plan, l’impérialisme japonais va de nouveau se servir de l’écran de fumée de la paix pour réaliser les trois objectifs suivants :

1) consolider les positions qu’il a déjà conquises, afin d’en faire des bases stratégiques pour de nouvelles offensives ;

2) rompre le front antijaponais en Chine ;

3) disloquer le front mondial de soutien à la Chine.

Les rumeurs de paix qu’il répand aujourd’hui signifient simplement qu’il a commencé à tendre son rideau de fumée.

Le danger, c’est qu’il y a en Chine des éléments hésitants, prêts à se laisser prendre au piège de l’ennemi et que, de plus, les traîtres s’agitent parmi eux, font courir toutes sortes de faux bruits et cherchent à amener la Chine à capituler devant l’envahisseur.

   Question  : A votre avis, à quoi peut conduire ce danger ?

   Réponse : Il n’y a que deux issues possibles : ou bien le peuple chinois viendra à bout de l’esprit de capitulation, ou bien celui-ci l’emportera, et alors la Chine sera plongée dans le désordre, et le front antijaponais rompu.

 Question  : De ces deux issues, laquelle est la plus probable ?

Réponse : Le peuple chinois tout entier exige que la Guerre de Résistance soit menée jusqu’au bout. Si une fraction du groupe dirigeant de la Chine prenait le chemin de la capitulation, le reste, demeuré ferme, s’y opposerait certainement et poursuivrait la Résistance aux côtés du peuple. Il va sans dire qu’une telle capitulation serait un malheur pour le front antijaponais en Chine. Mais je suis certain que les capitulards n’auront pas les masses avec eux, que les masses vaincront l’esprit de capitulation, poursuivront la guerre avec persévérance et remporteront la victoire.

Question : Puis-je vous demander comment on peut vaincre l’esprit de capitulation ?

   Réponse : A la fois par la parole, pour en signaler le danger, et par l’action, en organisant les masses populaires en vue de mettre fin aux activités de capitulation. L’esprit de capitulation tire sa source du défaitisme national, ou pessimisme national, c’est-à-dire de l’idée que la Chine, ayant perdu quelques batailles, n’a plus la force de résister au Japon.

Les pessimistes ne comprennent pas que la défaite est la mère du succès et que les leçons tirées des défaites sont à la base des victoires futures. Ils ne voient, dans la Guerre de Résistance, que les défaites et non les succès ; à plus forte raison, ils ne savent pas que dans nos défaites se trouvent déjà les éléments de la victoire, et dans les victoires de l’ennemi les éléments de sa défaite.

Il faut montrer aux masses populaires nos perspectives de victoire dans cette guerre et leur faire comprendre que nos défaites et nos difficultés ne sont que des phénomènes passagers, et qu’à condition de combattre sans fléchir, nous remporterons sûrement la victoire finale. Privés de l’appui des masses, les capitulards ne réussiront pas dans leurs machinations, et le front antijaponais se verra renforcé.

La démocratie et la Guerre de Résistance

   Question  : Que signifie « la démocratie » dans le programme proposé par le Parti communiste ? N’est-elle pas incompatible avec un « gouvernement de guerre » ?

  Réponse : Pas du tout. Dès le mois d’août 1936, le Parti communiste lançait son mot d’ordre pour une « république démocratique ». Politiquement et au point de vue de l’organisation, ce mot d’ordre signifie :

1) L’Etat et le gouvernement ne doivent pas être ceux d’une seule classe, ils doivent être fondés sur l’alliance de toutes les classes qui sont pour la Résistance, à l’exclusion des traîtres à la nation, alliance qui doit comprendre les ouvriers ainsi que les paysans et autres éléments de la petite bourgeoisie.

2) Ce gouvernement sera organisé selon le centralisme démocratique ; à la fois démocratique et centralisé, il unira sous une forme déterminée deux principes apparemment contradictoires : la démocratie et le centralisme.

3) Le gouvernement accordera au peuple toutes les libertés politiques indispensables, et notamment la liberté de s’organiser, de s’entraîner et de s’armer pour se défendre. Sous ces trois aspects, la république démocratique n’a rien d’incompatible avec ce que l’on appelle un gouvernement de guerre. Elle est précisément le régime d’Etat et le système de gouvernement qui favorisent la Guerre de Résistance.

 Question : L’expression « centralisme démocratique » n’est-elle pas contradictoire en elle-même ?

  Réponse : Il ne faut pas s’arrêter à l’expression, mais voir la réalité. Il n’y a pas d’abîme infranchissable entre la démocratie et le centralisme, tous deux sont nécessaires à la Chine.

D’une part, le gouvernement que nous voulons doit pouvoir vraiment être l’interprète de la volonté du peuple ; il doit jouir de l’approbation et du soutien des masses populaires de toute la Chine, et le peuple doit avoir toute latitude de le soutenir et toute possibilité d’influer sur sa politique. Telle est la signification de la démocratie.

D’autre part, la centralisation du pouvoir exécutif est nécessaire ; dès lors que la politique exigée par le peuple sera transmise, par le canal de ses organes représentatifs, au gouvernement élu par lui, celui-ci l’appliquera, et il pourra le faire sans difficultés tant qu’il ne violera pas la ligne adoptée en accord avec la volonté du peuple. Telle est la signification du centralisme.

Ce n’est qu’en adoptant le centralisme démocratique qu’un gouvernement devient réellement fort, et c’est ce système que le gouvernement chinois de défense nationale doit adopter dans la Guerre de Résistance.

   Question : Mais cela ne correspond pas au régime d’un cabinet de guerre, n’est-ce pas ?

   Réponse : Non, cela ne correspond pas au régime de certains cabinets de guerre comme on en a vu dans l’histoire.

  Question : Il y a donc eu des cas où cela correspondait ?

   Réponse : Oui. Les régimes politiques du temps de guerre peuvent, en règle générale, être de deux sortes, selon le caractère de la guerre : l’une est le centralisme démocratique, l’autre, le centralisme absolu. Les guerres de l’histoire peuvent se diviser en deux catégories selon leur caractère : les guerres justes et les guerres injustes. Par exemple, la Grande Guerre qui a éclaté en Europe il y a plus de vingt ans fut une guerre injuste, impérialiste.

Les gouvernements des Etats impérialistes, allant à l’encontre des intérêts du peuple, l’obligeaient à se battre pour les intérêts de l’impérialisme ; il fallait, dans ces conditions, des gouvernements comme celui de Lloyd George en Grande-Bretagne.

Lloyd George opprimait le peuple britannique, lui interdisant d’élever la voix contre la guerre impérialiste, il n’admettait l’existence d’aucune organisation ou assemblée exprimant le sentiment populaire contre la guerre ; le Parlement continuait certes à exister, mais il n’était que l’organe d’un groupe d’impérialistes et son rôle se bornait à voter docilement le budget de guerre. L’absence d’unité du gouvernement avec le peuple, dans une guerre, donne naissance à un gouvernement absolument centralisé, qui n’a besoin que de centralisme et non de démocratie.

Mais il y a eu aussi, dans l’histoire, des guerres révolutionnaires, comme, par exemple, en France, en Russie et, actuellement, en Espagne. Dans une guerre de ce genre, le gouvernement ne craint pas la désapprobation du peuple, parce que celui-ci est tout disposé à faire une telle guerre ; fort du soutien populaire spontané, le gouvernement, loin de craindre le peuple, s’emploie à le soulever et l’encourage à exprimer son opinion afin qu’il prenne part activement à la guerre.

En Chine, la guerre de libération nationale a l’approbation pleine et entière du peuple, et elle ne peut être victorieuse sans sa participation ; le centralisme démocratique est donc une nécessité. Si l’Expédition du Nord en 1926-1927 a été victorieuse, c’est aussi grâce à la mise en pratique du centralisme démocratique. Ainsi, quand les buts de la guerre sont l’expression même des intérêts du peuple, plus le gouvernement est démocratique, plus il est facile de mener la guerre.

Un tel gouvernement n’a aucune raison de craindre que le peuple se dresse contre la guerre ; au contraire, ce qui devrait l’inquiéter, ce serait plutôt l’inactivité du peuple et son indifférence à cet égard. Le caractère de la guerre détermine les rapports entre le gouvernement et le peuple ; c’est là une loi de l’histoire.

   Question : Mais alors comment comptez-vous procéder pour instituer le nouveau régime politique ?

 Réponse : Cela dépend avant tout de la coopération du Kuomintang et du Parti communiste.

   Question : Pourquoi ?

   Réponse : Depuis quinze ans, les rapports entre le Kuomintang et le Parti communiste ont été déterminants dans la situation politique en Chine. La coopération des deux partis, de 1924 à 1927, a permis à la première révolution de remporter ses victoires.

Leur rupture en 1927 a engendré la situation fâcheuse de ces dix dernières années. Mais nous ne sommes pas responsables de cette rupture ; nous avons été contraints de résister à l’oppression du Kuomintang, et nous avons tenu fermement le glorieux étendard de la libération de la Chine.

Maintenant nous en sommes à la troisième étape, et la résistance au Japon pour le salut de la patrie exige la pleine coopération des deux partis sur la base d’un programme déterminé. Grâce à nos efforts inlassables, la coopération est enfin établie ; la question est maintenant que les deux côtés reconnaissent un programme commun et agissent en le prenant pour base. L’instauration d’un nouveau régime politique est une part essentielle de ce programme.

  Question : Comment le nouveau régime peut-il être établi par la coopération des deux partis ?

Réponse : Nous proposons en ce moment la refonte de l’appareil gouvernemental et du système militaire. Pour faire face à la situation critique actuelle, nous proposons la convocation d’une assemblée nationale provisoire.

Le choix des délégués à cette assemblée devra être, pour l’essentiel, conforme à ce que le Dr Sun Yat-sen préconisait en 1924, c’est-à-dire qu’ils seront désignés, dans des proportions déterminées, par les partis politiques, les forces armées, les organisations de masse et les milieux de l’industrie et du commerce acquis à la Résistance.

Cette assemblée assumera les fonctions de l’organe suprême du pouvoir d’Etat, elle devra décider la politique à suivre pour le salut de la nation, adopter un programme constitutionnel et élire le gouvernement.

Nous estimons que notre Guerre de Résistance est arrivée à un tournant critique où seule la convocation immédiate d’une telle assemblée, investie de pouvoirs réels et capable d’exprimer la volonté du peuple, peut changer la physionomie politique de notre pays et nous permettre de sortir de la crise actuelle. Nous procédons en ce moment à un échange de vues avec le Kuomintang au sujet de cette proposition et nous espérons obtenir son accord.

  Question : Le Gouvernement national n’a-t-il pas déclaré que la convocation de l’assemblée nationale était rapportée ?

Réponse : C’est ce qu’il fallait faire, car il s’agit de l’assemblée nationale projetée jadis par le Kuomintang. A en juger par ce qu’il avait prévu, l’assemblée en question ne devait disposer d’aucun pouvoir, et son mode d’élection, par surcroît, était en désaccord complet avec la volonté du peuple.

Pas plus que les autres secteurs de la société, nous n’acceptons la convocation d’une telle assemblée.

L’assemblée nationale provisoire que nous proposons actuellement diffère radicalement de celle à laquelle on vient de renoncer.

Sa convocation donnera du pays un aspect tout nouveau et créera la condition préalable, indispensable, pour réorganiser l’appareil gouvernemental et l’armée et pour mobiliser le peuple. C’est de tout cela que dépend l’apparition d’un tournant favorable dans la Guerre de Résistance.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Entretien avec le correspondant du Xinhua Ribao sur la nouvelle situation internationale

1 Septembre 1939

   Le correspondant : Quelle est la portée du pacte de non-agression conclu entre l’Union soviétique et l’Allemagne ?

   Mao Zedong : Le pacte soviéto-allemand de non-agression résulte de l’accroissement des forces du socialisme en Union soviétique et de la politique de paix pratiquée indéfectiblement par le gouvernement soviétique.

Ce pacte a fait échec aux intrigues de la bourgeoisie réactionnaire internationale, représentée par Chamberlain et Daladier et qui voulait provoquer une guerre entre l’Union soviétique et l’Allemagne ; il a rompu l’encerclement de l’U.R.S.S. par le bloc anticommuniste germano-italo-japonais, renforcé la paix entre l’Union soviétique et l’Allemagne et garanti le développement de l’édification socialiste en Union soviétique. En Orient, le pacte a porté un coup au japon et aidé la Chine ; il a, en Chine même, renforcé les positions des partisans de la Résistance et frappé les capitulards.

Tout cela jette les bases d’une aide aux peuples du monde en lutte pour leur liberté et leur émancipation. Voilà toute la portée politique du pacte soviéto-allemand de non-agression.

   Question : Certains ont de la peine à comprendre que le pacte soviéto-allemand de non-agression résulte de la rupture des pourparlers entre la Grande-Bretagne, la France et l’U.R.S.S. ; ils estiment au contraire que c’est la conclusion de ce pacte qui a provoqué leur rupture. Voudriez-vous exposer les raison de l’échec des pourparlers anglo-franco soviétiques ?

   Réponse : Les pourparlers ont échoué uniquement à cause de la mauvaise foi des gouvernements de la Grande-Bretagne et de la France. Depuis quelques années, la bourgeoisie réactionnaire mondiale, et avant tout celle de la Grande-Bretagne et de la France, pratique, face à l’agression fasciste allemande, italienne et japonaise, la politique réactionnaire dite de « non-intervention ».

   Son but est d’encourager tacitement la guerre d’agression et d’en tirer profit. C’est ainsi que la Grande-Bretagne et la France ont opposé un refus catégorique aux propositions réitérées de l’Union soviétique d’organiser un véritable front de lutte contre l’agression ; restant sur la touche, elles ont choisi la « non-intervention » et ont ainsi encouragé tacitement l’agression allemande, italienne et japonaise.

Leur but était d’intervenir après avoir laissé les deux parties belligérantes s’épuiser mutuellement. En poursuivant cette politique réactionnaire, elles ont sacrifié la moitié de la Chine au japon, et toute l’Abyssinie, toute l’Espagne, toute l’Autriche, toute la Tchécoslovaquie à l’Allemagne et à l’Italie.

   Cette fois-ci, elles avaient l’intention de sacrifier l’Union soviétique. Leur manœuvre est apparue en pleine lumière au cours des récents pourparlers anglo-franco-soviétiques où, durant plus de quatre mois, soit du 15 avril au 23 août, l’Union soviétique a fait preuve de la plus grande patience.

Tout au long des pourparlers, la Grande-Bretagne et la France n’ont jamais voulu accepter le principe de l’égalité et de la réciprocité : elles exigeaient que l’Union soviétique garantît leur sécurité, mais ne voulaient pas, de leur côté, garantir celle de l’Union soviétique ; elles refusaient de garantir celle des petits Etats baltes, ménageant ainsi une brèche pour le passage des forces allemandes ; de plus, elles ne permettaient pas à l’armée soviétique de traverser la Pologne pour se porter au-devant des agresseurs.

   Ainsi s’explique l’échec des pourparlers. Entretemps, l’Allemagne se déclara disposée à cesser ses activités antisoviétiques et à renoncer au « pacte antikomintern » et elle reconnut l’inviolabilité des frontières de l’Union soviétique ; c’est alors que fut conclu le pacte de non-agression soviéto-allemand.

La politique de « non-intervention » de la réaction internationale et, avant tout, de la réaction britannique et française, c’est « d’observer le combat des tigres du haut de la montagne », politique impérialiste par excellence, qui consiste à s’assurer des avantages aux dépens d’autrui.

Inaugurée par l’arrivée au pouvoir de Chamberlain, elle a atteint son point culminant avec la conclusion de l’Accord de Munich en septembre de l’an dernier et a fait définitivement faillite au cours des récents pourparlers anglo-franco-soviétiques.

   Désormais, la situation évoluera irrémédiablement dans le sens d’un conflit direct entre deux grands blocs impérialistes : le bloc anglo-français et le bloc germano-italien.

Comme je le disais, en octobre 1938, à la sixième session plénière du Comité central issu du Vie Congrès de notre Parti, « la politique de Chamberlain reviendra nécessairement à soulever une pierre pour se la laisser retomber sur les pieds ».

Chamberlain a commencé par vouloir nuire à d’autres et il a fini par se nuire à lui-même. Telle est la loi du développement de toute politique réactionnaire.

   Question : Comment, à votre avis, évoluera la situation actuelle ?

 Réponse : La situation internationale a déjà pris une tournure nouvelle.

Le caractère unilatéral que revêt depuis un certain temps déjà la seconde guerre impérialiste, c’est-à-dire la situation dans laquelle, par suite de la politique de « non-intervention », un groupe d’Etats impérialistes attaque pendant que l’autre le regarde faire, disparaîtra inévitablement, et la guerre sera généralisée en ce qui concerne l’Europe. La seconde guerre impérialiste est déjà entrée dans une phase nouvelle.

   En Europe, une grande guerre impérialiste pour la domination des peuples coloniaux est imminente entre les blocs impérialistes germano-italien et anglo-français.

Dans cette guerre, chacune des deux parties belligérantes proclamera sans vergogne que sa cause est juste, et celle de l’adversaire, injuste, afin de duper le peuple et de gagner l’appui de l’opinion publique.

Ce sera pure tromperie, car les deux parties poursuivent des buts impérialistes ; l’une comme l’autre luttent pour la domination sur les colonies et les semi-colonies et pour les sphères d’influence ; toutes deux mènent une guerre annexionniste.

   Actuellement, elles se disputent la Pologne, les Balkans et le littoral méditerranéen. Une telle guerre n’est en aucune façon une guerre juste. Seules sont justes les guerres non annexionnistes, émancipatrices.

Les communistes ne soutiendront jamais une guerre de conquête. Ils se dresseront hardiment pour soutenir toute guerre juste, non annexionniste, émancipatrice, et ils y seront en première ligne.

Quant aux partis social-démocrates de la IIe Internationale, une différenciation s’opère en leur sein, à la suite des menaces et des promesses faites par Chamberlain et Daladier. Une partie – la couche supérieure réactionnaire retombe dans la même ornière qu’à l’époque de la Première guerre mondiale et se prépare à soutenir la nouvelle guerre impérialiste.

   Mais une autre partie formera avec les communistes un front populaire contre la guerre et le fascisme. Prenant exemple sur l’Allemagne et l’Italie, Chamberlain et Daladier se font de plus en plus réactionnaires et utilisent tous deux la mobilisation pour fasciser leur Etat et mettre l’économie de leur pays sur le pied de guerre. Bref, les deux grands blocs impérialistes se préparent fiévreusement à la guerre, et la menace d’un grand carnage pèse sur des millions d’hommes.

Cela ne manquera pas de susciter des mouvements de résistance parmi les masses. Si le peuple ne veut pas servir de chair à canon aux impérialistes, il lui faudra se dresser, en Allemagne comme en Italie, en Grande-Bretagne comme en France, en Europe comme dans les autres parties du monde, pour lutter par tous les moyens contre la guerre impérialiste.

   Outre les deux grands blocs précités, le monde capitaliste en compte un troisième : celui qui a les Etats-Unis à sa tête et qui comprend toute une série d’Etats d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. Soucieux de ses propres intérêts, ce bloc n’entrera pas en guerre pour le moment.

Sous le prétexte de la neutralité, l’impérialisme américain renonce provisoirement à se joindre à l’une ou l’autre des parties belligérantes, afin de pouvoir entrer en scène plus tard et s’emparer de la direction du monde capitaliste. Que la bourgeoisie américaine n’envisage pas, pour l’instant, d’abandonner la démocratie et l’économie du temps de paix est un facteur favorable au mouvement mondial pour la paix.

   La conclusion du pacte soviéto-allemand a été durement ressentie par l’impérialisme japonais, dont l’avenir s’annonce encore plus difficile. Deux groupes s’affrontent, au japon, sur des questions de politique extérieure.

Les militaristes envisagent une alliance avec l’Allemagne et l’Italie, afin d’instaurer une domination sans partage sur la Chine, d’envahir les pays du Sud-Est asiatique et d’éliminer de l’Orient la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et la France ; mais une fraction de la bourgeoisie estime préférable de faire des concessions à la Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et à la France, afin de se concentrer sur le pillage de la Chine. Il existe actuellement au japon une forte tendance au compromis avec la Grande-Bretagne.

   Les réactionnaires britanniques offriraient au Japon le partage de la Chine accompagné d’une aide financière et économique, en échange de quoi celui-ci servirait de chien de garde pour les intérêts britanniques en Orient, s’emploierait à écraser le mouvement de libération nationale en Chine et à contenir l’Union soviétique.

C’est pourquoi, le Japon ne se détournera en aucun cas de son objectif essentiel qui est l’asservissement de la Chine. Il semble peu probable que le japon entreprenne encore en Chine des offensives militaires frontales de grand style : mais il poussera plus vigoureusement son offensive politique pour « soumettre les Chinois par les Chinois » et intensifiera son agression économique en Chine pour « alimenter la guerre par la guerre », tout en poursuivant ses sauvages opérations de « nettoyage » dans les régions qu’il a occupées ; de plus, il tentera, par le truchement de la Grande-Bretagne, de contraindre la Chine à la capitulation.

   Au moment qu’il jugera propice, le japon proposera un Munich en Orient et, avec l’appât de telle ou telle concession relativement importante, il cherchera, en joignant les promesses aux menaces, à faire accepter à la Chine ses conditions de paix, pour atteindre ainsi son but, qui est de l’asservir.

Tant que la révolution populaire n’aura pas éclaté au Japon, cet objectif impérialiste restera toujours le même, quels que soient les changements de cabinet auxquels procéderont les classes dominantes de ce pays.

   En dehors du monde capitaliste, il existe un monde radieux : c’est le pays du socialisme, l’Union soviétique. Le pacte soviéto-allemand permet à l’Union soviétique d’apporter une aide plus grande au mouvement mondial pour la paix et de soutenir davantage la Chine dans sa résistance au japon. Telle est mon appréciation de la situation internationale.

   Question : Quelles perspectives cette situation ouvre-t-elle à la Chine ?

   Réponse : Deux voies s’offrent à la Chine : La première consiste à persévérer dans la Résistance, l’union et le progrès ; c’est la voie de la renaissance. La seconde est celle du compromis, de la rupture et de la régression ; c’est la voie de l’asservissement.

   Dans la nouvelle conjoncture internationale, comme les difficultés du japon continuent à s’accroître et que notre pays se refuse catégoriquement à tout compromis, l’étape de la retraite stratégique prendra fin pour nous tandis que commencera celle de la stabilisation stratégique, qui est aussi l’étape de notre préparation à la contre-offensive.

   Toutefois, la stabilisation sur le front entraînera l’inverse sur les arrières de l’ennemi ; avec l’apparition de la stabilisation sur le front, la lutte sur les arrières de l’ennemi gagnera en intensité.

C’est pourquoi les vastes opérations de « nettoyage », lancées par l’ennemi dans les régions occupées (surtout en Chine du Nord) après la chute de Wouhan non seulement se poursuivront, mais encore s’intensifieront.

De plus, du fait que l’ennemi s’oriente principalement vers une offensive politique ayant pour but de « soumettre les Chinois par les Chinois » et vers une agression économique visant à « alimenter la guerre par la guerre », et que la politique orientale de la Grande-Bretagne tend vers un Munich d’Extrême-Orient, le danger de capitulation d’une grande partie de la Chine se trouve considérablement accru, de même que celui d’une division interne.

Quant au rapport des forces, nous sommes encore loin d’égaler l’ennemi, et nous ne pourrons rassembler les forces nécessaires à une contre-offensive que si le pays entier mène une lutte ardue dans l’unité la plus complète.

   Poursuivre sans défaillance la Guerre de Résistance demeure donc pour nous une tâche d’une importance extrême, et il ne doit pas y avoir le moindre relâchement dans ce domaine.

   Il est hors de doute que la Chine ne doit en aucun cas laisser échapper l’occasion présente ni prendre une décision erronée, mais adopter une position politique ferme.

   Cela signifie : Premièrement, persévérer dans la Résistance et s’opposer à toute tendance au compromis. Frapper énergiquement tous les Wang Tsing-wei, déclarés ou camouflés. Repousser résolument toute promesse, qu’elle émane du japon ou de la Grande-Bretagne : La Chine ne doit en aucun cas participer à un Munich d’Orient.

   Deuxièmement, s’en tenir fermement à l’union et combattre toute activité de division. Maintenir une vigilance de tout instant à l’égard de telles activités, qu’elles soient menées par le japon impérialiste, par tout autre pays ou par les capitulards chinois. Mettre rigoureusement fin à toutes les « frictions » internes qui nuisent à la cause de la Guerre de Résistance.

   Troisièmement, persister dans la voie du progrès et combattre toute régression. Reconsidérer et réviser effectivement, dans l’intérêt de la Guerre de Résistance, toutes les idées, institutions et mesures qui lui sont nuisibles dans les domaines militaire, politique, financier et économique, dans les affaires de parti, dans les domaines de la culture et de l’éducation ainsi que dans celui des mouvements de masse.

   Une fois tout cela réalisé, la Chine pourra préparer comme il faut ses forces pour la contre-offensive.

   Désormais, tout le pays doit considérer la « préparation de la contre-offensive » comme sa tâche générale dans la Guerre de Résistance.

   A présent, il faut, d’une part, apporter un soutien sérieux à notre défense sur le front et accorder une aide énergique aux opérations sur les arrières de l’ennemi, et, d’autre part, réaliser des réformes politiques, militaires et autres et accumuler des forces considérables afin de pouvoir, le moment venu, les lancer contre l’adversaire dans une contre-offensive de grande envergure pour recouvrer les territoires perdus.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : D’où viennent les idées justes ?

Tombent-elles du ciel ? Non.

   Sont-elles innées ? Non.

   Elles ne peuvent venir que de la pratique sociale, de trois sortes de pratique sociale : la lutte pour le production, la lutte de classes et l’expérimentation scientifique. L’existence sociale des hommes détermine leur pensée.

   Et les idées justes qui sont le propre d’une classe d’avant-garde deviennent, dès qu’elles pénètrent les mas des luttes diverses au cours de la pratique sociale, les hommes acquièrent une riche expérience, qu’ils tirent de leurs succès comme de leurs revers.

D’innombrables phénomènes du monde extérieur objectif sont reflétés dans le cerveau par le canal des cinq organes des sens – la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher ; ainsi se constitue, au début, la connaissance sensible.

   Quand ces données sensibles se sont suffisamment accumulées, il se produit un bond par lequel elles se transforment en connaissance rationnelle, c’est-à-dire en idées.

   C’est là un processus de la connaissance. C’est le premier degré du processus général de la connaissance, le degré du passage de la matière, qui est objective, à l’esprit, qui est subjectif, de l’être à la pensée. A ce degré, il n’est pas encore prouvé que l’esprit ou la pensée (donc les théories, la politique, les plans, les moyens d’action envisagés) reflètent correctement les lois du monde objectif ; il n’est pas encore possible de déterminer s’ils sont justes ou non.

   Vient ensuite le second degré du processus de la connaissance, le degré du passage de l’esprit à la matière, de la pensée à l’être : il s’agit alors d’appliquer dans la pratique sociale la connaissance acquise au cours du premier degré, pour voir si ces théories, politiques, plans, moyens d’action, etc. produisent les résultats attendus.

En général, est juste ce qui réussit, est faux ce qui échoue ; cela est vrai surtout de la lutte des hommes contre la nature.

   Dans la lutte sociale, les forces qui représentent la classe d’avant-garde subissent parfois des revers, non qu’elles aient des idées fausses, mais parce que, dans le rapport des forces qui s’affrontent, elles sont temporairement moins puissantes que les forces de la réaction ; de là viennent leurs échecs provisoires, mais elles finissent toujours par triompher.

   En passant par le creuset de la pratique, la connaissance humaine fait donc un autre bond, d’une plus grande signification encore que le précèdent.

   Seul, en effet, ce bond permet d’éprouver la valeur du premier, c’est-à-dire de s’assurer si les idées, théories, politiques, plans, moyens d’action, etc. élaborés au cours du processus de réflexion du monde objectif sont justes ou faux ; il n’y a pas d’autres moyen de faire l’épreuve de la vérité. Or, si le prolétariat cherche à connaître le monde, c’est pour le transformer ; il n’a point d’autre but.

   Pour que s’achève le mouvement qui conduit à une connaissance juste, il faut souvent mainte répétition du processus consistant à passer de la matière à l’esprit, puis de l’esprit à la matière, c’est-à-dire de la pratique à la connaissance, puis de la connaissance à la pratique.

   Telle est la théorie marxiste de la connaissance, la théorie matérialiste-dialectique de la connaissance.

   Mais, parmi nos camarades, beaucoup ne comprennent pas encore cette théorie. Si on leur demande d’où viennent leurs idées, opinions, politique, méthodes, plans, conclusions, d’où viennent leurs discours interminables et leurs articles prolixes, ils trouvent la question étrange et ne savent que répondre.

Et ces bonds par lesquels la matière se transforme en esprit et l’esprit en matière, phénomène ordinaire de la vie quotidienne, restent tout aussi incompréhensibles pour eux.

Il faut donc enseigner à nos camarades la théorie matérialiste-dialectique de la connaissance, afin qu’ils sachent s’orienter dans leurs idées, faire des enquêtes et des recherches et dresser le bilan de leur expérience, qu’ils puissent surmonter les difficultés, éviter autant que possible de commettre des erreurs, faire bien leur travail et contribuer de toutes leurs forces à édifier un grand et puissant pays socialiste et enfin aider les masses opprimées et exploitées du monde en vue d’accomplir le noble devoir internationaliste qui nous incombe.

=>Oeuvres de Mao Zedong