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  • Staline : 27e anniversaire de la Grande Révolution socialiste d’Octobre

    Rapport présenté par le Président du Comité de Défense de l’Etat, à la séance solennelle du Soviet des députés des travailleurs de Moscou, élargie aux organisations sociales et du Parti de cette ville

    6 novembre 1944


    Camarades,

    Les hommes du pays des Soviets fêtent aujourd’hui le 27e anniversaire de la victoire de la Révolution soviétique dans notre pays.

    C’est pour la quatrième fois que notre pays célèbre l’anniversaire de la Révolution soviétique en cette guerre pour le salut de la Patrie contre les envahisseurs fascistes allemands.

    Cela ne veut point dire, bien entendu, que la quatrième année de guerre ne se distingue pas, quant à ses résultats, des trois années de guerre précédentes.

    Au contraire, il y a là une différence essentielle. Tandis que dans les deux premières années de guerre les troupes allemandes ont mené l’offensive et pénétré dans les profondeurs de notre pays, et que l’Armée rouge s’est vue obligée de livrer des combats défensifs ; tandis que dans la troisième année de guerre un profond revirement s’est opéré sur notre front et que l’Armée rouge a engagé de puissants combats offensifs, battu les Allemands dans une série de combats décisifs, nettoyé les deux tiers du sol soviétique des troupes allemandes qu’elle a obligées à passer à la défensive, tout en continuant à se battre seule à seule contre les armées allemandes, sans une aide sérieuse de la part des Alliés, – la quatrième année de guerre a été marquée par des victoires décisives des armées soviétiques et des armées de nos Alliés sur les troupes allemandes.

    Obligés cette fois de faire la guerre sur deux fronts, les Allemands se sont vus refoulés vers les frontières de l’Allemagne.

    En définitive, l’année écoulée a abouti à l’expulsion des troupes allemandes hors de l’Union Soviétique, de la France, de la Belgique, de l’Italie centrale, et au transfert des hostilités sur le territoire de l’Allemagne.

    1. L’ALLEMAGNE PRISE DANS UN ETAU ENTRE DEUX FRONTS.

    Les succès décisifs remportés par l’Armée rouge au cours de cette année et l’expulsion des Allemands hors de la terre soviétique, ont été déterminés par une série de coups vigoureux portés par nos troupes aux troupes allemandes, et qui, déclenchés dès janvier dernier, ont été ensuite élargis durant toute l’année envisagée par ce rapport.

    Le premier coup a été porté par nos troupes en janvier dernier, devant Leningrad et Novgorod, lorsque l’Armée rouge enfonça la ligne de défense permanente des Allemands, et rejeta l’ennemi vers les Républiques baltes.

    Opération qui a eu pour résultat la libération de la région de Leningrad.

    Le second coup a été porté en février et mars de cette année sur le Boug, lorsque l’Armée rouge défit les troupes allemandes et les rejeta au-delà du Dniestr.

    A la suite de cette opération l’Ukraine-rive droite a été libérée des envahisseurs fascistes allemands.

    Le troisième coup a été porté en avril et mai de cette année, dans le secteur de la Crimée, lorsque les troupes allemandes furent culbutées dans la mer Noire. A la suite de cette opération, la Crimée et Odessa ont été libérées du joug allemand.

    Le quatrième coup a été porté en juin dernier, dans le secteur de la Carélie, lorsque l’Armée rouge, ayant battu les troupes finlandaises, a libéré Vyborg et Petrozavodsk, et rejeté les Finlandais dans l’intérieur de la Finlande.

    A la suite de cette opération fut libérée la plus grande partie la République soviétique carélo-finnoise.

    Le cinquième coup a été porté aux Allemands en juin et juillet de cette année, lorsque l’Armée rouge battit à plate couture les troupes allemandes devant Vitebsk, Bobrouïsk, Moguilev, faisant aboutir ce choc à l’encerclement de trente divisions allemandes dans le secteur de Minsk.

    A la suite de cette opération nos troupes ont : a) délivré intégralement la République soviétique de Biélorussie ; b) débouché sur la Vistule et libéré une partie importante de la Pologne, notre alliée ; c) débouché sur le Niémen et libéré la plus grande partie de la République soviétique de Lituanie ; d) forcé le Niémen et abordé la frontière allemande.

    Le sixième coup a été porté en juillet et août de cette année, dans le secteur de l’Ukraine occidentale, lorsque l’Armée rouge battit les troupes allemandes devant Lvov et les refoula au-delà du San et de la Vistule. A la suite de cette opération : a) l’Ukraine occidentale a été libérée ; b) nos troupes ont forcé la Vistule et établi au-delà du fleuve une puissante tête de pont, à l’ouest de Sandomir.

    Le septième coup a été porté en août dernier dans le secteur Kichinev-Jassy, où nos troupes défirent complètement les troupes germano-roumaines, faisant aboutir ce choc à l’encerclement, dans la région de Kichinev, de 22 divisions allemandes, sans compter les divisions roumaines.

    A la suite de cette opération : a) la République soviétique moldave a été libérée ; b) la Roumanie, alliée de l’Allemagne, après avoir été mise hors de combat, a déclaré la guerre à l’Allemagne et à la Hongrie ; c) la Bulgarie, alliée de l’Allemagne, après avoir été mise hors de combat, a également déclaré la guerre à l’Allemagne ; d) l’accès de la Hongrie, dernière alliée de l’Allemagne en Europe, s’est ouvert à nos troupes; e) la possibilité s’est offerte de secourir notre alliée, la Yougoslavie, contre les envahisseurs allemands.

    Le huitième coup a été porté en septembre et octobre de cette année dans les Républiques baltes, où l’Armée rouge battit les troupes allemandes devant Tallin et Riga, et les chassa des Pays baltes.

    A l’issue de cette opération : a) la République soviétique d’Estonie a été libérée ; b) libérée la plus grande partie de la République soviétique lettone ; c) la Finlande, alliée de l’Allemagne, après avoir été mise hors de combat, a déclaré la guerre à l’Allemagne ; d) plus de trente divisions allemandes ont été coupées de la Prusse et enserrées dans le secteur Toukoums-Libau, où l’on est en train de leur donner le coup de grâce. (Appaudissements prolongés.)

    En octobre dernier, nos troupes ont commencé leur neuvième attaque, entre la Tissa et le Danube, dans le secteur de la Hongrie, en vue de la faire sortir de la guerre et de la tourner contre l’Allemagne. Par cette opération qui n’est pas encore terminée : a) nos troupes ont aidé directement notre alliée, la Yougoslavie, à expulser les Allemands et à libérer Belgrade ; b) nos troupes ont eu la possibilité de franchir la chaîne des Carpathes et de tendre la main à notre alliée, la République tchécoslovaque, dont le territoire est d’ores et déjà partiellement libéré des envahisseurs allemands.

    Enfin, dans les derniers jours d’octobre de cette année-ci, un coup a été infligé aux troupes allemandes en Finlande septentrionale, où elles ont été chassées du secteur de Pétchenga ; après quoi nos troupes, lancées à la poursuite des Allemands, ont pénétré sur le sol de la Norvège, notre alliée. (Applaudissements.)

    Je ne reproduis pas ici le chiffre des pertes subies par l’adversaire en morts et en prisonniers à l’issue de ces opérations, la quantité de canons, de tanks, d’avions, d’obus, de mitrailleuses, etc., capturés par nos troupes. Ces chiffres, vous les connaissez sans doute par les communiqués du Bureau d’informations soviétique.

    Telles ont été, pendant l’année écoulée, les principales opérations de l’Armée rouge : elles ont abouti à l’expulsion des troupes allemandes hors des frontières de notre pays.

    A la suite de ces opérations, près de 120 divisions de l’Allemagne et de ses alliés ont été défaites et mises hors de combat.

    Au lieu des 257 divisions qui, l’an dernier, stationnaient devant notre front, et dont 207 étaient allemandes, nous voyons là, aujourd’hui, après toutes les mobilisations « totales » et « super-totales », en tout 204 divisions allemandes et hongroises, dont 180 divisions allemandes, pas plus.

    Force est de reconnaître que, dans cette guerre, l’Allemagne hitlérienne avec son armée fasciste, s’est révélée un adversaire plus puissant, perfide et expérimenté que l’Allemagne et son armée dans toutes les guerres antérieures.

    Ajoutons à cela que les Allemands ont pu exploiter dans cette guerre les forces productives de presque toute l’Europe, ainsi que les armées assez importantes de leurs Etats vassaux.

    Et si, malgré toutes ces conditions de guerre, favorables à l’Allemagne, elle se trouve néanmoins au seuil de sa perte certaine, cela tient à ce que le principal adversaire de l’Allemagne, l’Union Soviétique, surpasse en force l’Allemagne hitlérienne. (Vifs applaudissements.)

    Un facteur nouveau dans la guerre contre l’Allemagne hitlérienne, durant l’année écoulée, c’est que l’Armée rouge n’a pas été seule, cette année-là, à mener ses opérations contre les troupes allemandes, comme ce fut le cas dans les années antérieures, mais en commun avec les troupes de nos Alliés. La Conférence de Téhéran n’a pas été sans lendemain.

    La décision prise par la Conférence de Téhéran – frapper l’Allemagne simultanément par l’ouest, par l’est et le sud – a commencé à être appliquée avec une précision surprenante.

    Parallèlement aux opérations engagées par l’Armée rouge pendant l’été sur le front soviéto-allemand, les troupes alliées ont commencé leur pénétration en France et déclenché de puissantes opérations offensives, qui ont obligé l’Allemagne hitlérienne à combattre sur deux fronts.

    Les troupes et la flotte de nos Alliés ont exécuté sur le littoral de la France une opération de débarquement massif sans précédent dans l’histoire au point de vue de son organisation et de son ampleur; elles ont franchi avec un savoir-faire saisissant les fortifications adverses.

    Ainsi, l’Allemagne s’est trouvée prise dans l’étau des deux fronts.

    Comme il fallait bien s’y attendre, l’ennemi n’a pu tenir devant les efforts conjugués de l’Armée rouge et des troupes alliées.

    La résistance de l’ennemi a été brisée, ses troupes ont été rapidement rejetées hors des limites de l’Italie centrale, de la France, de la Belgique, de l’Union Soviétique, et refoulées vers les frontières de l’Allemagne.

    Il est certain que sans le second front constitué en Europe, et qui a rivé à soi environ 75 divisions allemandes, nos troupes n’auraient pu briser en un temps aussi court la résistance des troupes allemandes et les chasser hors des frontières de l’Union Soviétique.

    Mais il est non moins certain que sans les opérations offensives vigoureuses de l’Armée rouge, au cours de cet été, opérations qui ont rivé à notre front près de 200 divisions allemandes, les troupes de nos Alliés n’auraient pu de sitôt avoir raison des troupes allemandes et les jeter hors de l’Italie centrale, de la France et de la Belgique.

    Il s’agit de maintenir l’Allemagne dans l’étau des deux fronts.

    Là est la clef de la victoire.

    2. LE GRAND EXPLOIT DU PEUPLE SOVIETIQUE
    DANS LA GUERRE NATIONALE.

    Si l’Armée rouge a pu accomplir avec succès son devoir envers sa Patrie et a chassé les Allemands du sol soviétique, elle l’a fait parce que soutenue à l’arrière avec un dévouement à toute épreuve par tout notre pays, par tous les peuples de notre pays.

    Le travail plein d’abnégation réalisé par tous les citoyens soviétiques – ouvriers, paysans, intellectuels, – de même que l’activité directrice de nos organismes d’Etat et du Parti, se sont poursuivis, pendant l’année écoulée, sous la devise : « Tout pour le front. »

    L’année écoulée a été marquée par de nouveaux progrès de l’industrie, de l’agriculture, des transports : par un nouvel essor de notre économie de guerre.

    En cette quatrième année de guerre, nos usines produisent plusieurs fois plus de tanks, d’avions, de pièces d’artillerie, de mortiers et de munitions qu’au début des hostilités.

    L’étape la plus difficile de la reconstitution de l’agriculture a été franchie.

    Depuis que les champs fertiles du Don et du Kouban ont été rendus à notre pays, depuis que l’Ukraine a été libérée, notre agriculture se remet promptement de ses lourdes pertes.

    Les chemins de fer soviétiques ont résisté à une surcharge que les transports d’un autre pays auraient eu peine à soutenir. Tout cela atteste que la base économique de l’Etat soviétique s’est révélée infiniment plus viable que l’économie des Etats ennemis.

    Le régime socialiste né de la Révolution d’Octobre a doté notre peuple et notre armée d’une grande, d’une invincible force.

    Malgré le pesant fardeau de la guerre, malgré l’occupation temporaire par les Allemands de régions très vastes et économiquement importantes du pays, l’Etat soviétique n’a pas diminué, mais augmenté d’année en année, au cours de la guerre, le ravitaillement du front en armes et munitions. Maintenant l’Armée rouge n’a pas moins, mais plus de tanks, de canons, d’avions, que l’armée allemande.

    En ce qui concerne la qualité de notre matériel de guerre, elle est sur ce point de beaucoup supérieure à celle de l’armement adverse.

    De même que l’Armée rouge a remporté, dans une longue et âpre lutte qu’elle fut seule à mener, la victoire militaire sur les troupes fascistes, de même les travailleurs de l’arrière soviétique ont remporté, en ce combat singulier avec l’Allemagne hitlérienne et ses complices, la victoire économique sur l’ennemi. (Vifs applaudissements.)

    Les hommes du pays des Soviets ont renoncé au strict nécessaire, s’astreignant volontairement à des privations matérielles sérieuses, pour donner davantage au front. Les difficultés inouïes de la guerre actuelle n’ont pas brisé, elles ont retrempé encore la volonté de fer et le courage du peuple soviétique.

    Notre peuple s’est acquis à bon droit la gloire d’un peuple héroïque.

    Notre classe ouvrière consacre toutes ses forces à la cause de la victoire; elle perfectionne sans cesse la technique de la production, augmente la puissance des entreprises industrielles, monte de nouvelles fabriques et usines.

    Par son travail la classe ouvrière de l’Union Soviétique a accompli un grand exploit dans cette guerre.

    Nos intellectuels marchent hardiment dans la voie des innovations en matière de technique et de culture ; ils font progresser constamment la science moderne ; ils font preuve d’esprit d’invention en appliquant ses réalisations à la fabrication des armes pour l’Armée rouge.

    Par leur travail créateur, les intellectuels soviétiques ont apporté une contribution inappréciable à la défaite de l’ennemi.

    Une armée dépourvue d’armements modernes ne peut faire la guerre, ni vaincre.

    Elle ne peut pas non plus faire la guerre et vaincre sans pain, sans vivres.

    Si, à la quatrième année de la guerre, l’Armée rouge ne manque pas de vivres, elle le doit à la sollicitude de la paysannerie kolkhozienne.

    Kolkhoziens et kolkhoziennes approvisionnent les ouvriers et les intellectuels en vivres ; l’industrie en matières premières ; ils assurent le fonctionnement normal des usines fabriquant les armes et les munitions pour le front.

    Activement et pleinement conscients de leurs devoirs envers la Patrie, nos paysans kolkhoziens aident l’Armée rouge à remporter la victoire sur l’ennemi.

    Les exploits inégalés, accomplis au travail par les femmes soviétiques et notre vaillante jeunesse qui ont soutenu l’effort principal dans les fabriques et les usines, dans les kolkhoz et les sovkhoz, s’inscriront à jamais dans l’histoire.

    C’est pour sauvegarder l’honneur et l’indépendance de la Patrie, que les femmes, les jeunes gens et les jeunes filles soviétiques font preuve de vaillance et d’héroïsme sur le front du travail.

    Ils se sont montrés dignes de leurs pères et de leurs fils, de leurs maris et de leurs frères qui défendent la Patrie contre les brutes fascistes allemandes.

    Les exploits au travail réalisés par les citoyens soviétiques à l’arrière, de même que les impérissables faits d’armes de nos combattants au front, sont dus à l’ardent, au vigilant patriotisme soviétique.

    Ce qui fait la puissance du patriotisme soviétique, c’est qu’il ne repose pas sur des préjugés racistes ou nationalistes ; il repose sur la fidélité et le profond dévouement du peuple à sa Patrie soviétique, sur la confraternité des travailleurs de toutes les nations habitant notre pays.

    Dans le patriotisme soviétique s’associent harmonieusement les traditions nationales des peuples et les intérêts vitaux communs de tous les travailleurs de l’Union Soviétique.

    Loin de diviser, le patriotisme soviétique groupe, au contraire, toutes les nations et nationalités de notre pays au sein d’une famille unique, fraternelle. C’est là qu’apparaissent les bases de l’amitié inébranlable, de plus en plus forte, des peuples de l’Union Soviétique.

    D’autre part, les peuples de l’URSS respectent les droits et l’indépendance des peuples des pays étrangers ; ils ont toujours montré leur volonté de vivre en paix et amitié avec les Etats voisins. C’est là qu’apparaît la base des relations de plus en plus étendues et durables de notre Etat avec les peuples attachés à la liberté.

    Si les hommes du pays des Soviets haïssent les envahisseurs allemands, ce n’est pas parce que ceux-ci appartiennent à une nation étrangère, mais parce qu’ils ont apporté à notre peuple et à tous les peuples épris de liberté des calamités et souffrances innombrables.

    Il est dans notre peuple un vieux proverbe qui dit : « On ne frappe pas le loup parce qu’il est gris, on le frappe parce qu’il a mangé un mouton. » (Rires. Applaudissements prolongés.)

    Les fascistes allemands ont choisi comme arme idéologique la théorie raciste basée sur la haine de l’homme, croyant que la propagande d’un nationalisme bestial créerait les conditions morales et politiques de la domination des envahisseurs allemands sur les peuples asservis.

    Or la politique de la haine raciale pratiquée par les hitlériens est devenue en fait une source de faiblesse intérieure de l’Etat fasciste allemand et de son isolement politique à l’extérieur.

    L’idéologie et la politique de la haine raciale sont un des facteurs de l’effondrement du bloc de brigandage hitlérien.

    Ce n’est point par hasard que les peuples asservis de France, de Yougoslavie, Pologne, Tchécoslovaquie, Grèce, Belgique, Danemark, Norvège, Hollande, mais même les anciens vassaux d’Hitler, les Italiens, les Roumains, les Finlandais, les Bulgares se sont dressés contre les impérialistes allemands.

    Par sa politique de cannibalisme, la clique hitlérienne a dressé contre l’Allemagne tous les peuples du monde, et la prétendue « race allemande élue » est devenue l’objet d’une haine universelle.

    Les hitlériens ont essuyé au cours de la guerre non seulement une défaite militaire, mais aussi une défaite morale et politique. L’idéologie de l’égalité en droits de toutes les races et nations, qui s’est affirmée dans notre pays, celle de l’amitié des peuples, a remporté une victoire complète sur l’idéologie du nationalisme bestial et de la haine raciale des hitlériens.

    Maintenant que la guerre nationale s’achemine vers une fin victorieuse, le rôle historique du peuple soviétique apparaît dans toute sa grandeur.

    Tout le monde reconnaît aujourd’hui que la lutte pleine d’abnégation du peuple soviétique a sauvé des brigands fascistes la civilisation de l’Europe.

    C’est là le grand mérite du peuple soviétique devant l’humanité.

    3. L’AFFERMISSEMENT ET L’EXTENSION DU FRONT DE LA COALITION ANTI-ALLEMANDE. LA QUESTION DE LA PAIX ET DE LA SECURITE.


    L’année écoulée a été marquée, pour la coalition antiallemande, par le triomphe de la cause commune au nom de laquelle les peuples de l’Union Soviétique, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis d’Amérique se sont groupés au sein d’une alliance de combat.

    Cette année a vu se resserrer l’unité et l’action coordonnée des trois puissances principales contre l’Allemagne hitlérienne.

    Les décisions de la Conférence de Téhéran concernant l’action commune contre l’Allemagne, et la brillante réalisation de ces décisions constituent l’un des témoignages éclatants de l’affermissement du front de la coalition antihitlérienne.

    L’histoire des grandes opérations militaires ne connaît pas beaucoup de plans d’action conjuguée contre l’ennemi commun, qui aient été réalisés d’une manière aussi complète et précise que le plan de l’assaut d’ensemble contre l’Allemagne, élaboré à la Conférence de Téhéran.

    Il est certain que sans l’unité de vues et sans l’action coordonnée des trois grandes puissances, les décisions de Téhéran n’auraient pu être appliquées d’une manière aussi complète et aussi précise.

    Il est certain, d’autre part, que l’application heureuse des décisions de Téhéran ne pouvait manquer de contribuer à l’affermissement du front des Nations Unies.

    Un autre témoignage, non moins éclatant, de la solidité du front des Nations Unies, sont les décisions de la Conférence de Dumbarton Oaks relatives à l’organisation de la sécurité après la guerre.

    On parle de divergences entre les trois puissances sur certaines questions de sécurité.

    Des divergences, il y en a, certes, et il y en aura aussi pour une série d’autres questions. Les divergences interviennent même parmi les hommes d’un seul et même parti.

    A plus forte raison doivent-elles avoir lieu parmi les représentants d’Etats différents et de partis différents. Ce dont il faut s’étonner ce n’est point de ce que les divergences existent, mais de ce qu’il y en ait si peu et de ce qu’en principe elles soient presque chaque fois réglées dans le sens de l’unité et de l’action coordonnée des trois grandes puissances.

    Ce ne sont pas les divergences qui importent, c’est le fait que ces divergences-là ne sortent pas du cadre de l’admissible pour les intérêts de l’unité des trois grandes puissances, et qu’elles soient finalement réglées selon les intérêts de cette unité.

    On sait que les divergences ont été plus sérieuses entre nous au sujet de l’ouverture du deuxième front.

    Mais on sait également qu’elles ont été réglées en définitive dans l’esprit d’une entente complète.

    On peut en dire autant des divergences survenues à la Conférence de Dumbarton Oaks.

    Chose caractéristique pour cette conférence, ce n’est point que des divergences y soient apparues, mais que les neuf dixièmes des problèmes de sécurité ont été réglés à cette conférence dans l’esprit d’une complète unanimité. J’estime par conséquent qu’il faut regarder les décisions de la Conférence de Dumbarton Oaks comme l’un des témoignages éclatants de la solidité du front de la coalition antiallemande.

    Ce qui atteste d’une façon encore plus éclatante que le front des Nations Unies s’est affermi, ce sont les récents pourparlers de Moscou, qui se sont poursuivis dans une atmosphère de cordialité et dans l’esprit d’une pleine unanimité, avec le chef du gouvernement de Grande-Bretagne, M. Churchill, et le ministre des Affaires étrangères de la Grande-Bretagne, M. Eden.

    Tout au long de la guerre les hitlériens ont fait des tentatives désespérées pour diviser les Nations Unies et les opposer les unes aux autres, pour semer parmi elles la suspicion et l’inimitié, pour affaiblir leur effort de guerre par une méfiance mutuelle et, si possible, par la lutte de ces nations entre elles.

    Ces visées des politiciens hitlériens sont faciles à comprendre.

    Il n’est pas pour eux de plus grand danger que l’unité des Nations Unies dans la lutte contre l’impérialisme hitlérien ; et il n’y aurait pas pour eux de plus grand succès militaire et politique que la division des puissances alliées dans leur lutte contre l’ennemi commun.

    On ne sait que trop la vanité des efforts tentés par les politiciens fascistes pour rompre l’alliance des grandes puissances.

    C’est dire que ce ne sont pas des motifs fortuits et éphémères qui sont à la base de l’alliance de l’URSS, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, mais des intérêts vitaux et durables.

    On peut être certain que si l’alliance de combat des puissances démocratiques a résisté aux épreuves de plus de trois années de guerre, et si elle a été cimentée par le sang des peuples dressés pour la défense de leur liberté et de leur honneur, à plus forte raison cette alliance résistera-t-elle aux épreuves du stade final de la guerre. (Applaudissements prolongés.)

    Toutefois l’année écoulée n’a pas seulement vu s’affermir le front antiallemand des puissances alliées ; elle l’a vu aussi prendre de l’extension.

    Ce n’est pas par hasard qu’après l’Italie, d’autres alliés de l’Allemagne aient été mis hors de la guerre : la Finlande, la Roumanie, la Bulgarie. Notons que ces Etats ne se sont pas bornés à sortir de la guerre ; ils ont rompu avec l’Allemagne et lui ont déclaré la guerre, se joignant ainsi au front des Nations Unies.

    Il est certain qu’il s’agit là d’une extension du front des Nations Unies contre l’Allemagne hitlérienne.

    Nul doute que la dernière alliée de l’Allemagne en Europe, la Hongrie, ne soit, elle aussi, mise hors de combat à bref délai.

    C’est dire que l’Allemagne hitlérienne sera complètement isolée en Europe, et que son effondrement est certain.

    Les Nations Unies sont à la veille d’un dénouement victorieux de la guerre contre l’Allemagne hitlérienne. Les Nations Unies gagneront la guerre contre l’Allemagne, cela ne fait plus aucun doute aujourd’hui.

    Gagner la guerre contre l’Allemagne, c’est accomplir une grande œuvre historique. Mais gagner la guerre ce n’est pas encore garantir aux peuples une paix solide et une sécurité assurée pour l’avenir.

    Il s’agit non seulement de gagner la guerre, mais aussi de rendre impossible une nouvelle agression et une nouvelle guerre, sinon pour toujours, du moins pendant une période durable.

    Bien entendu, après sa défaite, l’Allemagne sera désarmée tant au point de vue économique qu’au point de vue politique et militaire. Il serait toutefois naïf de croire qu’elle n’essaiera pas de déclencher une nouvelle agression. On sait que les meneurs allemands préparent dès à présent une nouvelle guerre.

    L’histoire montre qu’une courte période de 20 à 30 ans suffit pour que l’Allemagne se relève de sa défaite et reconstitue sa puissance.

    Quels sont les moyens d’empêcher une nouvelle agression allemande ou, si la guerre éclate néanmoins, de l’étouffer à ses débuts et de ne pas la laisser se développer en une grande guerre ?

    Cette question est d’autant plus opportune que, comme l’atteste l’histoire, les nations agressives en tant que nations assaillantes, sont généralement mieux préparées pour une guerre nouvelle que les nations pacifiques, – lesquelles, n’y trouvant pas d’intérêt, sont ordinairement en retard quant à leur préparation à cette guerre.

    C’est un fait que dans la guerre actuelle, dès avant l’ouverture des hostilités, les nations agressives possédaient déjà une armée d’invasion, tandis que les nations pacifiques ne disposaient pas même d’une armée de couverture pleinement satisfaisante pour leur mobilisation.

    Ce n’est pas non plus à un hasard que l’on doit des faits aussi regrettables que « l’incident » de Pearl Harbour, la perte des Philippines et autres îles de l’océan Pacifique, la perte de Hong Kong et de Singapour, où le Japon, comme nation agressive, s’est trouvé être mieux préparé à la guerre que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis d’Amérique qui, eux, s’en tenaient à une politique de paix.

    On ne peut regarder non plus comme un effet du hasard ce fait regrettable qu’était la perte de l’Ukraine, de la Biélorussie et des Pays baltes dès la première année de guerre, lorsque l’Allemagne, comme nation agressive, s’est trouvée être mieux préparée à la guerre que la pacifique Union Soviétique.

    Il serait naïf d’expliquer ces faits par la valeur personnelle des Japonais et des Allemands, par leur supériorité sur les Anglais, les Américains, les Russes, par leur prévoyance, etc.

    Il ne s’agit point là de qualités personnelles, mais de ceci : les nations agressives ayant intérêt à une nouvelle guerre en tant que nations qui s’y préparent longuement et accumulent des forces à cette fin, sont généralement et doivent être mieux préparées à la guerre que les nations pacifiques n’y ayant pas intérêt. Chose toute naturelle et compréhensible. C’est là, si vous voulez, une loi historique qu’il serait dangereux de perdre de vue.

    Par conséquent, on ne saurait nier ce fait qu’à l’avenir les nations pacifiques pourront une fois de plus être prises au dépourvu par l’agression, à moins, bien entendu, qu’elles n’arrêtent dès maintenant des mesures spéciales susceptibles de la conjurer.

    Quels sont donc les moyens de prévenir une nouvelle agression de la part de l’Allemagne ou, si la guerre éclate néanmoins, de l’étouffer à ses débuts et de ne pas la laisser se développer en une grande guerre ?

    Pour cela, outre le désarmement complet des nations agressives, il n’existe qu’un seul moyen : créer une organisation spéciale composée de représentants des nations pacifiques, pour défendre la paix et garantir la sécurité ; mettre à la disposition de l’organe directeur de cette organisation le minimum de forces armées nécessaires pour prévenir l’agression; obliger cette organisation, si besoin est, de faire usage de ces forces armées sans délai, afin de prévenir ou de liquider l’agression et punir ses fauteurs.

    Cela ne doit pas être une réédition de la Société des Nations de triste mémoire, qui n’avait ni droits, ni moyens pour conjurer l’agression. Ce sera une organisation internationale nouvelle, spéciale, investie de pleins pouvoirs et disposant de tout ce qu’il faut pour défendre la paix et prévenir une nouvelle agression.

    Peut-on espérer que les actes de cette organisation internationale seront suffisamment effectifs ? Ils le seront si les grandes puissances, qui ont porté sur leurs épaules le fardeau principal de la guerre contre l’Allemagne hitlérienne, continuent à agir dans un esprit d’unanimité et de concorde. Ses actes ne seront pas effectifs si l’on viole cette condition expresse.

    Camarades ! Le peuple soviétique et l’Armée rouge s’acquittent avec succès des tâches qui se sont dressées devant eux au cours de la guerre pour le salut de la patrie. L’Armée rouge a dignement accompli son devoir patriotique et a libéré de l’ennemi notre Patrie. Désormais, – et pour toujours, – notre sol est nettoyé de la vermine hitlérienne.

    Maintenant, l’Armée rouge a encore à s’acquitter de sa mission ultime, définitive : achever en commun avec les armées de nos Alliés l’écrasement de l’armée fasciste allemande, donner le coup de grâce au fauve fasciste dans sa propre tanière et faire flotter sur Berlin le drapeau de la victoire. (Vifs applaudissements prolongés.)

    Il y a lieu de croire que cette tâche sera accomplie par l’Armée rouge dans un avenir peu éloigné. (Vifs applaudissements prolongés!) Vive notre victorieuse Armée rouge ! (Applaudissements.) Vive notre glorieuse Marine de guerre ! (Applaudissements.)

    Vive le puissant peuple soviétique ! (Applaudissements.) Vive notre grande Patrie ! (Vifs applaudissements, toute la salle se lève.)

    Morts aux envahisseurs fascistes allemands ! (Vifs applaudissements qui tournent en ovation. Cris : « Vive le camarade Staline ! »)

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : 26e anniversaire de la Grande Révolution socialiste d’Octobre

    Rapport présenté par le Président du Comité de Défense de l’Etat, à la séance solennelle du Soviet des députés des travailleurs de Moscou, élargie aux organisations sociales et du Parti de cette ville

    6 novembre 1943


    Camarades,

    Aujourd’hui les peuples de l’Union Soviétique célèbrent le 26e anniversaire de la Grande Révolution socialiste d’Octobre. Pour la troisième fois, notre pays fête l’anniversaire de sa révolution populaire dans les conditions de la guerre pour le salut de la Patrie.

    En octobre 1941, notre Patrie a connu des jours difficiles. L’ennemi était en vue de la capitale. Il bloquait Leningrad sur terre. Force était à nos troupes de se replier.

    Il a fallu des efforts considérables de l’armée et une tension de toutes les forces du peuple, pour arrêter l’ennemi et lui porter un coup vigoureux devant Moscou.

    Vers octobre 1942, le danger qui pesait sur notre Patrie s’aggrava encore. L’ennemi se trouvait alors à quelque 120 kilomètres de Moscou, il avait fait irruption dans Stalingrad, pénétré dans les avant-monts du Caucase.

    Mais même pendant ces jours sévères, l’armée et le peuple ne se laissèrent pas décourager et résistèrent avec fermeté à toutes les épreuves.

    Ils ont trouvé la force d’arrêter l’ennemi et de lui riposter par un choc en retour.

    Fidèles aux enseignements du grand Lénine, sans ménager ni leurs forces, ni leur vie, ils défendaient les conquêtes de la Révolution d’Octobre. Comme on sait, ces efforts de l’armée et du peuple n’ont pas été vains.

    Peu après les journées d’Octobre de l’an dernier, nos troupes ont pris l’offensive et infligé aux Allemands de nouveaux coups puissants, d’abord devant Stalingrad, au Caucase, dans la zone du cours moyen du Don, et puis, au début de 1943, près de Vélikié Louki, devant Leningrad, dans la zone de Rjev et de Viazma. Dès lors, l’Armée rouge ne laissa plus échapper l’initiative de ses mains. Tout au long de l’été dernier, ses coups se firent toujours plus vigoureux et sa maîtrise militaire augmenta de mois en mois.

    Depuis, nos troupes remportent de grandes victoires, et les Allemands subissent défaite sur défaite. L’ennemi a eu beau faire, il n’est pas encore parvenu à obtenir un succès tant soit peu sérieux sur le front soviéto-allemand.

    1. L’ANNEE D’UN TOURNANT RADICAL
    DANS LA MARCHE DE LA GUERRE.

    L’année écoulée – du 25e au 26e anniversaire d’Octobre – marque un tournant dans la guerre pour le salut de la Patrie.

    Tout d’abord parce que, cette année-là, l’Armée rouge a réussi pour la première fois depuis le début de la guerre à réaliser, en été, une grande offensive contre les troupes allemandes, tandis que les troupes fascistes allemandes ont été contraintes sous les coups de nos troupes d’abandonner à la hâte le territoire envahi par elles et, souvent, de se sauver par la fuite pour se soustraire à l’encerclement, d’abandonner sur le champ de bataille une quantité de matériel, de dépôts d’armes et de munitions, d’officiers et de soldats blessés.

    Ainsi donc, les succès de notre campagne d’été, pendant la seconde moitié de cette année, ont continué et achevé les succès de notre campagne d’hiver du début de l’année.

    Maintenant que l’Armée rouge, en exploitant les succès de la campagne d’hiver, a porté un coup vigoureux aux troupes allemandes, on peut considérer comme définitivement enterrée la légende selon laquelle l’Armée rouge serait incapable de réussir une offensive en été.

    L’année écoulée a montré que l’Armée rouge peut aussi bien mener une offensive en été qu’en hiver.

    A la suite de ces opérations offensives, nos troupes ont réussi, dans l’année écoulée, à parcourir en combattant de 500 kilomètres dans la partie centrale du front à 1 300 kilomètres dans le sud (applaudissements), en libérant un territoire d’environ un million de kilomètres carrés, soit à peu près les deux tiers de la terre soviétique, provisoirement envahie par l’ennemi ; et les troupes ennemies ont été rejetées de Vladikavkaz à Kherson, d’Elista à Krivoï Rog, de Stalingrad à Kiev, de Voronèje à Gomel, de Viazma et de Rjev aux approches d’Orcha et de Vitebsk.

    Ne croyant pas à la solidité de leurs succès passés sur le front germano-soviétique, les Allemands avaient construit d’avance, durant une longue période de temps, de puissantes zones défensives, notamment le long des grands cours d’eau.


    Mais ni les cours d’eau, ni les puissantes fortifications n’ont pu sauver les Allemands dans les combats de cette année.

    Nos troupes ont détruit les lignes de défense des Allemands, et, pendant 3 mois seulement de l’été 1943, elles ont forcé d’une façon magistrale quatre lignes d’eau très importantes : le Donetz-Nord, la Desna, le Soj et le Dniepr. Je ne parle même pas de barrières telles que la défense allemande dans la zone de la rivière Mious, à l’ouest de Rostov, ni de celle établie dans la zone de la rivière Molotchnaïa, près de Mélitopol.

    A l’heure actuelle, l’Armée rouge foudroie victorieusement l’ennemi au-delà du Dniepr.

    Cette année a marqué un tournant aussi parce que l’Armée rouge a réussi, en un laps de temps relativement court, à détruire et broyer les vieux effectifs les plus expérimentés des troupes fascistes allemandes, tout en aguerrissant et multipliant ses propres cadres dans les combats offensifs victorieux de l’année.

    Pendant l’année écoulée, l’armée fasciste allemande a perdu dans les combats livrés sur le front soviéto-allemand, plus de 4  millions de soldats et d’officiers, dont au moins 1 million 800 000 tués.

    En outre, les Allemands ont perdu durant cette année plus de 14 000 avions, plus de 25 000 chars, et au moins 40 000 pièces d’artillerie.

    A présent, l’armée fasciste allemande n’est plus ce qu’elle était au début des hostilités. Alors que, au début de la guerre, elle comptait un nombre suffisant de cadres expérimentés, elle est aujourd’hui diluée de jeunes officiers frais émoulus et sans expérience, que les Allemands envoient hâtivement au front, faute de posséder les réserves d’officiers nécessaires, et d’avoir le temps de les instruire.

    Tout autre est aujourd’hui l’aspect que présente l’Armée rouge.

    Au cours de l’année écoulée, ses cadres ont grandi et se sont retrempés dans des combats offensifs victorieux.

    Ses cadres de combat se multiplient et ils continueront de se multiplier, car les réserves d’officiers nécessaires qu’elle possède lui laissent le temps et la possibilité d’instruire les jeunes cadres d’officiers et de les faire avancer à des postes de confiance.

    Fait caractéristique : au lieu des 240 divisions qui, l’an dernier, tenaient le front en face de nous, et dont 179 étaient allemandes, on compte cette année devant le front de l’Armée rouge 257 divisions, dont 207 allemandes.

    Les Allemands comptent sans doute compenser la qualité inférieure de leurs divisions en en augmentant le nombre.

    Cependant la défaite des Allemands au cours de l’année écoulée montre qu’il est impossible de compenser la qualité infériorisée des divisions en en augmentant le nombre.

    Du point de vue purement militaire, la défaite des troupes allemandes sur notre front, à la fin de cette année, était décidée d’avance par deux événements de la plus haute importance : la bataille de Stalingrad et la bataille de Koursk.

    La bataille de Stalingrad a abouti à l’encerclement d’une armée allemande de 300 000 hommes, à sa débâcle et à la capture d’un tiers environ des troupes enveloppées.

    Pour se faire une idée de l’étendue de la bataille, sans précédent dans l’histoire, qui s’est déroulée sur les champs de Stalingrad, il faut savoir qu’à l’issue de cette mêlée on a recueilli et enterré 147 200 soldats et officiers allemands tués et 46 700 soldats et officiers soviétiques tués.

    Stalingrad a marqué le déclin de l’armée fasciste allemande. On sait qu’après la bataille de Stalingrad, les Allemands n’ont pu se relever.

    En ce qui concerne la bataille de Koursk, elle s’est terminée par la débâcle des deux principaux groupes assaillants des troupes fascistes allemandes et par une contre-offensive de nos troupes, qui s’est transformée, par la suite, en une puissante offensive d’été de l’Armée rouge.

    La bataille de Koursk a débuté par une offensive des Allemands, par le nord et le sud, contre Koursk. Ce fut une suprême tentative des Allemands pour réaliser une grande offensive d’été et, en cas de succès, reconquérir ce qui avait été perdu. On sait que cette offensive a avorté. L’Armée rouge n’a pas seulement repoussé l’offensive des Allemands, mais à son tour elle est passée à l’offensive et, par plusieurs coups successifs portés durant la période d’été, elle a rejeté au-delà du Dniepr les troupes fascistes allemandes.

    Si la bataille de Stalingrad annonçait le déclin de l’armée fasciste allemande, la bataille de Koursk l’a placée devant une catastrophe.

    Enfin cette année a marqué un tournant parce que l’offensive victorieuse de l’Armée rouge a foncièrement aggravé la situation économique, politique et militaire de l’Allemagne fasciste, en la plaçant en face d’une crise profonde s’il en fut.

    Les Allemands comptaient réaliser, durant l’été dernier, une offensive victorieuse sur le front soviéto-allemand, afin de recouvrer ce qu’ils avaient perdu, et de relever leur prestige compromis en Europe.

    Mais l’Armée rouge a déjoué les calculs des Allemands et repoussé leur offensive ; elle est passée elle-même à l’offensive et a rejeté les Allemands vers l’ouest.

    C’est ainsi qu’elle a ruiné le prestige des armes allemandes.

    Les Allemands comptaient pouvoir s’orienter vers une guerre de longue haleine; ils se sont mis à construire des lignes de défense et des « remparts », en proclamant hautement que leurs nouvelles positions étaient imprenables.

    Mais là encore l’Armée rouge a déjoué les calculs des Allemands, rompu leurs lignes et leurs « remparts ».

    Elle continue avec succès son avance sans leur laisser le temps de s’organiser pour faire traîner la guerre. Les Allemands comptaient pouvoir redresser la situation sur le front au moyen de la mobilisation « totale ».

    Mais là encore les événements ont déjoué les calculs des Allemands. La campagne d’été a déjà dévoré les deux tiers des hommes « totalement » mobilisés, et cependant l’on ne voit guère que cette circonstance ait amélioré en quoi que ce soit la situation de l’armée fasciste allemande.

    Il se peut qu’il faille proclamer encore une mobilisation « totale », et il n’y a pas lieu de supposer que la reprise d’une pareille mesure ne conduise certain Etat à un désastre « total ». (Vifs applaudissements.)

    Les Allemands comptaient tenir solidement l’Ukraine pour ravitailler en produits agricoles ukrainiens leur armée et leur population, et en houille du Donetz les usines et les transports par fer desservant l’armée allemande.

    Mais là encore ils en ont été pour leurs frais.

    A la suite de l’offensive victorieuse de l’Armée rouge, les Allemands ont perdu non seulement la houille du Donetz, mais les régions les plus riches en blé de l’Ukraine, et il n’y a pas lieu de supposer qu’ils ne perdent dans un proche avenir le reste de l’Ukraine. (Vifs applaudissements.)

    On conçoit que toutes ces erreurs de calcul ne pouvaient manquer d’aggraver, et elles ont effectivement aggravé à fond la situation économique, politique et militaire de l’Allemagne fasciste.

    L’Allemagne fasciste traverse une crise profonde. Elle est placée devant la catastrophe.

    2. L’AIDE DU PEUPLE AU FRONT.

    Les succès de l’Armée rouge auraient été impossibles sans l’appui du peuple, sans le travail plein d’abnégation des citoyens soviétiques dans les fabriques et les usines, dans les charbonnages et le mines de métaux, dans les transports et l’agriculture.

    Dans les dures conditions de la guerre, le peuple soviétique a su pourvoir son armée du minimum nécessaire, et il a perfectionné sans cesse son matériel de guerre.

    Pendant toute la durée de la guerre, l’ennemi n’a pas pu surpasser notre armée pour la qualité de l’armement.

    En même temps, notre industrie a fourni au front une quantité incessamment accrue de matériel de guerre. L’année écoulée a marqué un tournant non seulement dans la marche des opérations militaires, mais aussi dans l’activité de notre arrière.

    Nous n’avions plus à envisager des tâches telles que l’évacuation des entreprises vers l’est et l’aménagement de l’industrie en vue de la fabrication des armements.

    L’Etat soviétique possède aujourd’hui une économie de guerre bien agencée et qui est en progression rapide.

    Par conséquent, le peuple a pu concentrer tous ses efforts pour augmenter la production de l’armement et le perfectionner de façon progressive, surtout les chars, les avions, les canons, l’artillerie automotrice. Sur ce point nous avons réalisé des succès appréciables.

    L’Armée rouge, forte de l’appui du peuple tout entier, a reçu sans à-coups son matériel de guerre ; elle a déchargé sur l’ennemi des millions de bombes, de mines et d’obus; mis en jeu des milliers de chars et d’avions.

    On peut dire avec juste raison que le travail plein d’abnégation des citoyens soviétiques à l’arrière s’inscrira dans l’histoire, à côté de la lutte héroïque de l’Armée rouge, comme un exploit sans exemple du peuple pour la défense de la Patrie. (Longs applaudissements.)

    Les ouvriers de l’Union Soviétique qui, aux années de construction pacifique, avaient créé une industrie socialiste puissante, hautement développée, ont déployé dans la guerre pour le salut de la Patrie une activité intense et féconde pour aider le front; ce faisant, ils ont fait preuve d’un véritable héroïsme au travail.

    Tout le monde sait que dans la guerre contre l’URSS les hitlériens disposaient non seulement de l’industrie allemande fortement développée, mais de l’industrie assez puissante des pays vassaux et occupés.

    Et cependant les hitlériens n’ont pas pu maintenir la supériorité numérique en matériel de guerre, supériorité qu’ils possédaient au début de la guerre contre l’Union Soviétique. Si aujourd’hui l’ancienne supériorité de l’ennemi en chars, avions, mortiers, pistolets-mitrailleurs, a été liquidée; si aujourd’hui notre armée n’éprouve pas un sérieux manque d’armes, de munitions et d’équipement, c’est là avant tout le mérite de notre classe ouvrière. (Vifs applaudissements prolongés.)

    Les paysans de l’Union Soviétique qui, aux années de construction pacifique ont, sur la base du régime kolkhozien, transformé l’agriculture arriérée en une économie agricole d’avant-garde, ont manifesté pendant la guerre pour le salut de la Patrie une haute conscience des intérêts du peuple, sans précédent dans l’histoire de la paysannerie.

    Leur travail plein d’abnégation pour prêter une aide au front, a montré que la paysannerie soviétique considère la guerre actuelle contre les Allemands comme sa propre cause, comme une guerre pour sa vie et sa liberté.

    On sait que l’invasion des hordes fascistes avait temporairement enlevé à notre pays les importantes régions agricoles de l’Ukraine, du Don et du Kouban.

    Et cependant nos kolkhoz et nos sovkhoz ont, sans à-coups sérieux, approvisionné en vivres l’armée et le pays. Certes, sans le système des kolkhoz, sans le travail plein d’abnégation des kolkhoziens et kolkhoziennes, nous n’aurions pu résoudre ce problème ardu.

    Si, à la troisième année de guerre, notre armée ne manque point de vivre; si la population est approvisionnée en produits alimentaires et l’industrie en matières premières, cela atteste la force et la vitalité du système des kolkhoz, le patriotisme de la paysannerie kolkhozienne. (Longs applaudissements.)

    Nos transports, avant tout les transports par fer ainsi que les transports fluviaux, maritimes et automobiles, ont joué un grand rôle dans l’organisation de l’aide au front.

    On sait que les transports sont le moyen de liaison le plus important entre l’arrière et le front.

    On peut produire une grande quantité d’armes et de munitions, mais si on ne les fait pas parvenir en temps voulu sur le front au moyen des transports, ils risquent de rester un poids mort pour le front. Il faut dire qu’en ce qui concerne l’acheminement opportun des armes, des munitions, des vivres, des effets d’équipement, etc., sur le front, les transports jouent un rôle décisif.

    Et si, malgré les difficultés du temps de guerre et le manque de combustible, nous avons cependant réussi à fournir au front tout ce qui lui était nécessaire, c’est là avant tout le mérite de nos ouvriers et employés des transports. (Longs applaudissements.)

    Nos intellectuels ne le cèdent en rien ni à la classe ouvrière ni à la paysannerie, pour ce qui touche l’aide au front.

    Les intellectuels soviétiques travaillent avec dévouement pour la défense de notre pays ; ils perfectionnent sans cesse les armements de l’Armée rouge, la technique et l’organisation de la production.

    Ils aident les ouvriers et les kolkhoziens à développer l’industrie et l’agriculture ; ils font progresser la science et la culture soviétiques dans les conditions de la guerre. Cela fait honneur à nos intellectuels. (Longs applaudissements.)

    Tous les peuples de l’Union Soviétique se sont unanimement levés pour la défense de leur Patrie; ils regardent à juste titre la guerre pour le salut de la Patrie comme la cause commune de tous les travailleurs, sans distinction de nationalité ni de confession. Les politiciens hitlériens eux-mêmes voient maintenant qu’ils se sont montrés désespérément absurdes à vouloir spéculer sur la division et les conflits entre les peuples de l’Union Soviétique.

    L’Amitié des peuples de notre pays a résisté à toutes les difficultés et à toutes les épreuves de la guerre; elle s’est retrempée encore plus dans la lutte commune de tous les citoyens soviétiques contre les envahisseurs fascistes.

    Là est l’origine de la force de l’Union Soviétique. (Vifs applaudissements prolongés!)

    Aussi bien dans le cours de la guerre qu’aux années de construction pacifique, le Parti de Lénine, le Parti bolchevik, est apparu comme une force qui guide et dirige le peuple soviétique.

    Aucun parti n’a bénéficié ni ne bénéficie, auprès des masses populaires, d’un aussi grand prestige que notre Parti bolchevik. Et cela se conçoit.

    Sous la direction du Parti bolchevik, les ouvriers, les paysans et les intellectuels de notre pays ont conquis la liberté et édifié la société socialiste. Aux jours de la guerre pour le salut de la Patrie, le Parti nous est apparu comme l’inspirateur et l’organisateur de la lutte du peuple contre les envahisseurs fascistes.

    Le travail organisateur du Parti a réuni en un tout et dirigé vers un but commun tous les efforts des citoyens soviétiques, en subordonnant toutes nos forces et tous nos moyens à la mise en déroute de l’ennemi.

    Au cours de la guerre le Parti a resserré encore davantage ses liens avec le peuple, il s’est associé encore plus étroitement aux grandes masses de travailleurs.Là est l’origine de la force de notre Etat. (Vifs applaudissements prolongés.)

    La guerre actuelle a confirmé avec la plus grande vigueur les paroles que l’on connaît de Lénine, qui dit que la guerre est une mise à l’épreuve de toutes les forces matérielles et morales de chaque peuple.

    L’histoire des guerres nous apprend que seuls ont pu soutenir cette épreuve les Etats qui s’étaient révélés plus forts que leurs adversaires, quant au développement et à l’organisation de l’économie, quant à l’expérience, à la maîtrise et à l’esprit combatif de leurs troupes, à la fermeté et à l’unité du peuple pendant toute la durée de la guerre. Tel est précisément notre Etat.

    L’Etat soviétique n’a jamais été aussi solide et inébranlable qu’aujourd’hui, en cette troisième année de la guerre pour le salut de la Patrie.

    Les leçons de la guerre attestent que le régime soviétique ne s’est pas seulement révélé la meilleure forme d’organisation de l’essor économique et culturel du pays pendant les années de construction pacifique, mais aussi la meilleure forme de mobilisation de toutes les forces du peuple en vue de la riposte à infliger à l’ennemi en temps de guerre. Au bout d’une courte période historique, le pouvoir soviétique, créé il y a 26 ans, a fait de notre pays une forteresse indestructible. De toutes les armées du monde, l’Armée rouge est celle qui possède l’arrière le plus solide et le plus sûr.

    Là est l’origine de la force de l’Union Soviétique. (Vifs applaudissements prolongés.)

    Il est hors de doute que l’Etat soviétique sortira de la guerre fort et encore plus affermi. Les envahisseurs allemands ravagent et dévastent nos terres, en s’efforçant d’ébranler la puissance de notre Etat.

    L’offensive de l’Armée rouge a révélé, avec encore plus d’ampleur, le fait que l’armée hitlérienne est une armée de barbares et de bandits.

    Les Allemands ont exterminé dans les régions qu’ils ont envahies, des centaines de milliers de nos citoyens paisibles.

    A l’exemple des barbares du moyen âge ou des hordes d’Attila, les scélérats allemands piétinent les champs, incendient les villages et les villes, détruisent les entreprises industrielles et les oeuvres de culture.

    Les forfaits des Allemands témoignent de la faiblesse des envahisseurs fascistes, car seuls en usent ainsi des tyranneaux qui ne croient pas eux-mêmes à leur victoire. Plus la situation des hitlériens devient désespérée, et plus frénétiquement ils s’acharnent dans leurs atrocités et leurs pillages.

    Ces crimes, notre peuple ne les pardonnera pas aux brutes allemandes.

    Nous forcerons les criminels allemands à répondre de tous leurs forfaits. (Vifs applaudissements prolongés.)

    Dans les régions où les massacreurs fascistes ont temporairement fait la loi, nous avons à reconstruire les villes et villages détruits, l’industrie, les transports, l’agriculture, les œuvres culturelles, à créer des conditions de vie normales pour les citoyens soviétiques, libérés de l’esclavage fasciste.

    Dès maintenant, les travaux de rétablissement de l’économie et de la vie intellectuelle battent leur plein dans les régions libérées de l’ennemi.

    Mais ce n’est là qu’un commencement.

    Il nous faut liquider complètement les conséquences de la domination des Allemands dans les régions libérées de l’occupation allemande. C’est un grand problème d’intérêt national.

    Ce problème difficile nous pouvons et devons le résoudre à bref délai.

    3. L’AFFERMISSEMENT DE LA COALITION ANTI-HITLERIENNE. LA DESAGREGATION DU BLOC FASCISTE.


    L’année écoulée a marqué un tournant non seulement dans la guerre de l’Union Soviétique pour le salut de la Patrie, mais dans toute la guerre mondiale.

    Les changements qui se sont produits au cours de cette année dans la situation militaire et internationale, sont favorables à l’URSS et aux pays alliés et amis, et préjudiciables à l’Allemagne et à ses complices du brigandage en Europe.

    Les résultats et les conséquences des victoires de l’Armée rouge ont dépassé de loin le cadre du front soviéto-allemand ; ils ont changé toute la marche ultérieure de la guerre mondiale et ont acquis une grande portée internationale. La victoire des pays alliés sur l’ennemi commun s’est rapprochée, et les rapports entre les alliés, la confraternité de leurs armées dans le combat, en dépit de l’attente des ennemis, loin de s’affaiblir, se sont au contraire fortifiés et affermis.

    C’est ce qu’attestent aussi avec éloquence les décisions historiques récemment publiées de la conférence tenue à Moscou par les représentants de l’Union Soviétique, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis d’Amérique.

    Aujourd’hui, nos pays unis sont fermement résolus à porter à l’ennemi des coups concertés qui aboutiront à la victoire définitive sur lui.

    Cette année, les coups portés par l’Armée rouge aux troupes fascistes allemandes ont été appuyés par les opérations militaires de nos alliés en Afrique du Nord, dans le bassin de la Méditerranée et dans le sud de l’Italie.

    En même temps les alliés ont soumis et continuent de soumettre à des bombardements intenses les grands centres industriels de l’Allemagne, ce qui affaiblit sensiblement la puissance militaire de l’ennemi.

    Si l’on ajoute à tout cela le fait que les alliés nous approvisionnent régulièrement en divers armements et matières premières, on peut dire sans exagération qu’ils ont ainsi notablement facilité les succès de notre campagne d’été. Certes, les opérations actuelles des armées alliées dans le sud de l’Europe ne peuvent pas encore être considérées comme un deuxième front.

    Toutefois c’en est déjà un dans son genre.

    Il est certain que l’ouverture d’un véritable deuxième front en Europe, qui ne se fera pas attendre longtemps, hâtera considérablement la victoire sur l’Allemagne hitlérienne et resserrera encore plus la confraternité d’armes des Etats alliés.

    Ainsi, les événements de l’année écoulée montrent que la coalition antihitlérienne est une alliance durable des peuples ; elle repose sur des fondements solides.

    Chose désormais évidente pour tout le monde, c’est que la clique hitlérienne, en déchaînant la guerre actuelle, a acculé l’Allemagne et ses satellites dans une impasse. Les défaites des troupes fascistes sur le front soviéto-allemand et les coups portés par nos alliés aux troupes italo-allemandes, ont ébranlé tout l’édifice du bloc fasciste, qui se désagrège maintenant à vue d’œil.

    L’Italie s’est détachée sans retour de la coalition hitlérienne.

    Mussolini n’y peut rien changer, n’étant en réalité que le prisonnier des Allemands.

    C’est maintenant le tour des autres membres de la coalition.

    La Finlande, la Hongrie, la Roumanie et les autres vassaux de Hitler, démoralisés par les défaites militaires de l’Allemagne, ont dès à présent définitivement perdu la foi dans une issue de la guerre, favorable pour eux; ils n’ont plus qu’un souci, c’est de se tirer du bourbier où Hitler les a fait s’enliser.

    Les complices de l’Allemagne hitlérienne pour le pillage, naguère encore dociles à leur maître, maintenant que l’heure est venue de répondre du brigandage, guignent du côté des bois et guettent le moment propice pour fausser compagnie, subrepticement, à la bande de brigands. (Rires.)

    A leur entrée en guerre, les participants du bloc hitlérien escomptaient une victoire rapide.

    Ils avaient réparti d’avance le butin : à qui la tarte et les bonbons, à qui les bleus et les horions. (Hilarité, applaudissements.) Il va de soi que les bleus et les horions ils les destinaient à leurs adversaires, et qu’ils se réservaient la tarte et les bonbons.

    Mais il est clair aujourd’hui que la tarte et les bonbons ne seront pas pour l’Allemagne et ses larbins, et que force leur sera de partager entre eux les bleus et les horions. (Hilarité, applaudissements.)

    En prévision de cette perspective peu enviable, les complices de Hitler se creusent maintenant la tête pour trouver un moyen de se sortir de la guerre avec le moins de bleus et de horions. (Rires.)

    L’exemple de l’Italie montre aux vassaux de Hitler que plus ils ajournent l’inéluctable rupture avec les Allemands et leur permettent de faire la loi dans leurs Etats respectifs, et plus graves seront les dévastations qui attendent leurs pays, plus grandes seront les souffrances que leurs peuples auront à endurer.

    L’exemple de l’Italie montre aussi que l’Allemagne hitlérienne ne songe pas même à défendre les pays vassaux, et qu’elle se propose d’en faire l’arène d’une guerre dévastatrice, à seule fin de retarder l’heure de son propre désastre.

    La cause du fascisme allemand est perdue, et le sanglant « ordre nouveau » créé par lui marche à sa faillite. L’explosion générale de l’indignation des peuples contre les oppresseurs fascistes monte dans les pays occupés de l’Europe.

    L’Allemagne a perdu irrémédiablement son prestige d’autrefois dans les pays qui sont ses alliés, ainsi que dans les pays neutres.

    Ses relations économiques et politiques avec les Etats neutres sont compromises.

    Le temps où la clique hitlérienne annonçait à grand tapage la conquête de la domination mondiale par les Allemands est resté loin en arrière.

    Aujourd’hui, on le sait, les Allemands ne songent plus à la domination mondiale. Parbleu ! il s’agit de sauver sa peau ! (Hilarité, applaudissements.)

    De cette façon, la marche de la guerre a montré que l’alliance des Etats fascistes ne reposait ni ne repose sur un fondement solide. La coalition hitlérienne s’est formée sur la base de visées annexionnistes et de brigandage des participants à cette coalition.

    Tant que les hitlériens remportaient des succès militaires, la coalition fasciste apparaissait comme un groupement solidement assis.

    Mais les premiers revers des troupes fascistes ont abouti en fait à la désagrégation du bloc de brigandage. L’Allemagne hitlérienne et ses vassaux sont à la veille d’un désastre.

    La victoire des pays alliés sur l’Allemagne hitlérienne mettra à l’ordre du jour les importantes questions de l’organisation et du rétablissement de la vie politique, économique et intellectuelle des peuples d’Europe.

    La politique de notre gouvernement dans ces questions reste invariable. En accord avec nos alliés, nous devrons :

    1. Affranchir les peuples d’Europe du joug de l’envahisseur fasciste et les aider à rétablir leurs Etats nationaux démembrés par les oppresseurs fascistes : les peuples de France, de Belgique, de Yougoslavie, de Tchécoslovaquie, de Pologne, de Grèce et autres Etats qui se trouvent sous le joug allemand, doivent recouvrer leur liberté et leur indépendance ;

    2. Accorder aux peuples européens libérés le plein droit et la pleine liberté de décider eux-mêmes de l’organisation de leurs Etats ;

    3. Prendre les mesures utiles pour que tous les criminels fascistes, fauteurs de la guerre actuelle et des souffrances des peuples, quel que soit le pays où ils se cachent, soient sévèrement punis et châtiés pour tous les forfaits qu’ils ont commis ;

    4. Instaurer en Europe un ordre excluant toute possibilité d’une nouvelle agression de la part de l’Allemagne ;

    5. Etablir entre les peuples d’Europe une collaboration durable, économique, politique et intellectuelle, fondée sur la confiance et l’aide mutuelles, afin de rétablir l’économie et la culture détruites par les Allemands.

    L’Armée rouge et le peuple soviétique ont réalisé, durant l’année écoulée, des succès importants dans la lutte contre les envahisseurs allemands.

    Nous avons obtenu dans la guerre un revirement radical en faveur de notre pays, et la guerre s’achemine aujourd’hui vers son dénouement définitif. Mais il ne sied point aux hommes du pays des Soviets de s’en tenir aux résultats acquis, de se laisser griser par leur succès.

    La victoire pourrait nous échapper si l’esprit de quiétude se mettait parmi nous. On ne saurait vaincre sans lutte et sans une tension de nos forces.

    La victoire se gagne de haute lutte.

    Elle est bien proche à présent, mais pour la conquérir il faut une nouvelle tension des forces, un travail d’abnégation de tout l’arrière, des opérations menées avec art et résolution par l’Armée rouge sur le front.

    Ce serait un crime envers la Patrie, envers les citoyens soviétiques momentanément tombés sous le joug fasciste, envers les peuples de l’Europe qui gémissent sous le joug allemand, si nous n’exploitions pas toutes les possibilités pour hâter la débâcle de l’adversaire. Il ne faut pas accorder un répit à l’ennemi. Aussi devons-nous tendre tous nos efforts pour achever l’ennemi.

    Le peuple soviétique et l’Armée rouge se rendent nettement compte des difficultés de la lutte imminente. Cependant il est clair dès à présent que le jour de notre victoire approche. La guerre est entrée dans une phase où il s’agit de chasser complètement les envahisseurs hors de la terre soviétique et de supprimer « l’ordre nouveau » fasciste en Europe.

    Le temps est proche où nous achèverons de libérer de l’ennemi l’Ukraine et la Biélorussie, les régions de Leningrad et de Kalinine, où nous libérerons des envahisseurs allemands les peuples de Crimée, de Lituanie, de Lettonie, d’Estonie, de Moldavie et de la République carélo-finnoise.

    Camarades,
    Pour la victoire de l’alliance de combat anglo-soviéto-américaine ! (Applaudissements)
    Pour la libération des peuples d’Europe du joug fasciste ! (Applaudissements.)
    Pour l’expulsion complète des brutes allemandes hors de notre pays ! (Applaudissements)

    Vive notre Armée rouge ! (Applaudissements) Vive notre Marine militaire ! (Applaudissements) Vivent nos intrépides partisans et partisanes ! (Applaudissements)
    Vive notre grande Patrie ! (Applaudissements) Mort aux envahisseurs allemands ! (Vifs applaudissements prolongés. Tous se lèvent. Ovation de toute la salle)

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : La question nationale en Yougoslavie

    Discours prononcé à la Commission yougoslave du C.E. de l’I.C., le 30 mars 1925

    Le Bolchevik, n° 7, 1925

    Le camarade Sémitch n’a pas très bien compris, me semble-t-il, la façon dont les bolcheviks posent la question nationale. Jamais, ni avant ni après Octobre, ils n’ont détaché cette question de la question générale de la révolution.

    Toujours ils l’ont considérée en connexion étroite avec la perspective révolutionnaire. Sémitch a cité Lénine qui, selon lui, était d’avis que la solution de la question nationale devait être consignée dans la constitution.

    Par là, il voulait apparemment dire que Lénine considérait la question nationale comme une question constitutionnelle, c’est-à-dire non pas comme une question de révolution, mais comme une question de réforme. C’est là une erreur.

    Jamais Lénine n’a eu ni ne pouvait avoir d’illusions constitutionnelles. Il suffit de parcourir ses ouvrages pour s’en convaincre.

    Si Lénine parlait de la constitution, il avait en vue, non pas la méthode constitutionnelle de solution de la question nationale, mais la méthode révolutionnaire ; autrement dit, il considérait la constitution comme le résultat de la victoire de la révolution. En U. R. S. S. aussi, il existe une constitution, et cette constitution reflète une certaine solution de la question nationale.

    Pourtant elle a vu le jour grâce non pas à une transaction avec la bourgeoisie, mais à la victoire de la révolution. Sémitch s’est référé ensuite à une brochure sur la question nationale écrite par Staline en 1912 et s’est efforcé d’y trouver une confirmation, indirecte tout au moins, de la justesse de son point de vue.

    Mais il n’y est pas arrivé; il n’a trouvé et ne pouvait trouver dans cet ouvrage la moindre allusion de nature à justifier sa méthode « constitutionnelle » de solution de la question nationale.

    Je pourrais lui rappeler un passage de cette brochure où l’auteur oppose la méthode autrichienne (constitutionnelle) de solution de la question nationale à la méthode (révolutionnaire) des marxistes russes. Voici ce passage :

    Les Autrichiens pensent pouvoir réaliser la « liberté des nationalités » progressivement, au moyen de petites réformes.

    Proposant l’autonomie nationale en tant que mesure pratique, ils n’espèrent nullement en une modification radicale, en un mouvement démocratique libérateur, qui d’ailleurs ne rentre pas dans leurs perspectives.

    Les marxistes russes, au contraire, rattachent la question de la « liberté des nationalités » à un changement radical probable, à un mouvement démocratique libérateur, car lis n’ont pas de raison de compter sur des réformes.

    Or cela modifie essentiellement l’affaire au point de vue du sort probable des nations en Russie.

    Voilà, me semble-t-il, qui est clair.

    Et ce n’est pas là le point de vue personnel de Staline, mais le point de vue général des marxistes russes, qui ont toujours considéré et considèrent encore la question nationale en liaison indissoluble avec la question générale de la révolution.

    On distingue, dans la façon dont le marxisme russe a posé la question nationale, deux stades : le stade d’avant-Octobre et le stade d’Octobre.

    Dans le premier stade, la question nationale était considérée en tant que partie de la question générale de la révolution démocratique bourgeoise, c’est-à-dire en tant que partie de la question de la dictature du prolétariat et de la paysannerie.

    Dans le second stade, quand la question nationale s’est étendue et s’est transformée en questions des colonies, quand, de question intérieure d’un Etat, elle est devenue question mondiale, elle a été considérée en tant que partie de la question générale de la révolution prolétarienne, en tant que partie de la question de la dictature du prolétariat.

    Dans les deux cas, on le voit, elle était traitée de façon strictement révolutionnaire. A mon avis, le camarade Sémitch n’a pas encore bien compris tout cela.

    De là, sa tentative de ramener la question nationale sur le terrain constitutionnel, c’est-à-dire de la considérer comme une question de réforme. De là une autre erreur: Sémitch ne veut pas considérer la question nationale comme une question essentiellement paysanne.

    Je ne dis pas comme une question agraire, mais bien comme une question paysanne, car ce sont là deux choses différentes.

    Il est exact que la question nationale ne saurait être identifiée à la question paysanne car, outre les questions touchant à la paysannerie, elle englobe encore celle de la culture nationale, de l’Etat national, etc.

    Mais il est indubitable également que la question paysanne constitue la base, l’essence de la question nationale.

    C’est ce qui explique que la paysannerie représente l’armée principale du mouvement national, que, sans cette armée, il n’y a et il ne peut y avoir de mouvement national puissant.

    C’est ce que l’on a en vue quand on dit que la question nationale est, dans son essence, une question paysanne.

    En se refusant à accepter cette formule, Sémitch montre qu’il sous-estime la puissance intérieure du mouvement national et qu’il ne comprend pas le caractère profondément populaire, profondément révolutionnaire de ce mouvement.

    Cette incompréhension et cette sous-estimation présentent un grand danger, car elles équivalent à une sous-estimation de la force potentielle qui réside, par exemple, dans le mouvement des Croates pour leur liberté nationale, sous-estimation qui menace de complications sérieuses tout le parti communiste yougoslave.

    C’est là que réside la deuxième erreur de Sémitch.

    Sémitch commet également une erreur indubitable, lorsqu’il cherche à traiter la question nationale en Yougoslavie indépendamment de la situation internationale et des perspectives probables en Europe.

    Partant du fait qu’il n’existe pas en ce moment de mouvement populaire sérieux pour l’indépendance parmi les Croates et les Slovènes, Sémitch en conclut que la question du droit des nations à se constituer en Etats indépendants est une question académique, sans actualité.

    C’est là, à coup sûr, une erreur.

    En admettant même que cette question ne soit pas d’actualité en ce moment, il est certain qu’elle peut le devenir s’il éclate une guerre ou une révolution en Europe.

    Or, la guerre éclatera fatalement, les impérialistes s’entre-déchireront nécessairement; il ne peut y avoir là-dessus aucun doute étant donné la nature et le développement de l’impérialisme.

    En 1912, quand nous, marxistes russes, nous ébauchions le premier projet de programme national, nous n’avions encore dans l’empire russe aucun mouvement sérieux pour l’indépendance.

    Néanmoins, nous jugeâmes nécessaire d’insérer dans notre programme un point concernant le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, c’est-à-dire le droit pour chaque minorité nationale de se séparer de l’Etat auquel elle est rattachée et de se constituer en Etat indépendant.

    Pourquoi?

    Parce que nous nous basions non seulement sur ce qui existait alors, mais sur ce qui était en voie de préparation dans le système général des rapports internationaux. Autrement dit, nous faisions état alors non seulement du présent, mais encore de l’avenir.

    Et nous savions que si une nationalité quelconque exigeait sa séparation d’avec un Etat, les marxistes russes combattraient pour lui assurer ce droit.

    Dans son discours, Sémitch s’est référé à maintes reprises à la brochure de Staline sur la question nationale.

    Mais voici ce que dit l’auteur de cette brochure sur le droit et l’indépendance des nations à disposer d’elles-mêmes:

    La croissance de l’impérialisme en Europe n’est pas fortuite. Le capital s’y sent de plus en plus à l’étroit, il cherche à s’étendre dans d’autres pays, il cherche de nouveaux débouchés, de la main-d’œuvre à bon marché, de nouvelles sphères d’investissement. Mais cela conduit à des complications extérieures et à la guerre.

    Il peut parfaitement se former une combinaison de circonstances intérieures et extérieures qui amène telle ou telle nationalité de Russie à poser et à résoudre la question de son indépendance. Et certes, dans ce cas, ce n’est pas aux marxistes à s’opposer à sa revendication.

    Cela a été écrit en 1912.

    Cette thèse, on le sait, a été entièrement confirmée par l’avenir, aussi bien pendant qu’après la guerre, particulièrement après le triomphe de la dictature du prolétariat en Russie.

    A plus forte raison faut-il tenir compte de telles éventualités en Europe, et particulièrement en Yougoslavie, maintenant que le mouvement national révolutionnaire s’accentue dans les pays opprimés et que la révolution a triomphé en Russie.

    Il faut également tenir compte du fait que la Yougoslavie n’est pas un pays tout à fait indépendant, qu’elle est liée à certains groupes impérialistes et que, par suite, elle ne peut échapper complètement à l’influence des forces extérieures.

    Et si l’on rédige un programme national pour le parti yougoslave, il faut bien comprendre que ce programme doit partir non pas seulement de ce qui est au moment actuel, mais aussi de ce qui est en voie de préparation et de ce qui se produira inévitablement en raison de l’état actuel des rapports internationaux. Voilà pourquoi j’estime que la question du droit des nations à disposer d’elles-mêmes doit être considérée comme une question d’actualité.

    Passons maintenant au programme national.

    Il doit avoir comme point de départ la thèse sur la révolution soviétiste en Yougoslavie, c’est-à-dire la thèse d’après laquelle, sans renversement de la bourgeoisie et victoire de la révolution, la question nationale ne saurait être résolue de façon satisfaisante.

    Certes, il peut y avoir des exceptions.

    Ainsi, avant la guerre, nous avons vu la Norvège se séparer pacifiquement de la Suède, ce dont a parlé Lénine dans un de ses articles.

    Mais cela se passait avant la guerre; en outre, les circonstances étaient exceptionnellement favorables. Après la guerre, et particulièrement après la victoire de la révolution soviétiste en Russie, de tels cas ne sont guère possibles.

    Ils sont mêmes si rares que pratiquement on peut ne pas en tenir compte.

    Mais s’il en est ainsi, il est clair que nous ne pouvons échafauder un programme sur une probabilité si infime qu’elle équivaut en somme à zéro.

    Voilà pourquoi la thèse de la révolution doit être à la base du programme national.

    En outre, il faut à tout prix insérer dans le programme national un point spécial sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, jusques et y compris leur constitution en Etats indépendants.

    J’ai déjà dit plus haut pourquoi ce point est absolument nécessaire dans la situation intérieure et internationale actuelle.

    Enfin, le programme doit renfermer également un point spécial sur l’autonomie territoriale pour les nationalités de Yougoslavie qui ne jugeront pas nécessaire de se séparer de ce pays.

    Estimer que cette combinaison doit être exclue, c’est faire erreur. Dans certaines conditions, par exemple après la victoire de la révolution en Yougoslavie, il se peut parfaitement que certaines nationalités, comme ç’a été le cas en Russie, ne veuillent pas se constituer en Etats indépendants. Aussi devons-nous, en prévision de cette éventualité, avoir dans notre programme un point spécial sur l’autonomie, point comportant la transformation de l’Etat yougoslave en fédération d’Etats nationaux autonomes sur la base du régime soviétiste.

    Ainsi, droit à la séparation d’avec l’Etat auquel elles sont rattachées pour les nationalités qui le voudront et droit à l’autonomie pour celles qui préféreront rester unies à l’Etat yougoslave.

    Pour éviter tout malentendu, j’ajouterai que le droit à la séparation ne saurait être interprété comme l’obligation de se constituer en Etat indépendant.

    Toute nationalité peut profiter de ce droit, mais elle peut aussi, si elle le désire, y renoncer; c’est son affaire et il faut en tenir compte. Certains de nos camarades font du droit à la séparation une obligation et exigent, par exemple, que les Croates forment nécessairement un Etat indépendant.

    C’est là un point de vue erroné qui doit être rejeté. Droit et obligation ne sauraient être confondus.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Le travail à la campagne

    DISCOURS PRONONCÉ A L’ASSEMBLÉE PLÉNIERE COMMUNE DU COMITÉ CENTRAL ET DE LA COMMISSION CENTRALE DE CONTROLE DU PARTI COMMUNISTE (BOLCHEVIK) DE L’U.R.S.S.,

    LE 11 JANVIER 1933

    Camarades, je pense que les orateurs ont bien exposé l’état du travail du Parti à la campagne, ses défauts, ses mérites, ses défauts surtout.

    Et cependant il me semble qu’ils n’ont pas dit l’essentiel sur les insuffisances de notre travail à la campagne, qu’ils n’ont pas montré les causes profondes de ces insuffisances.

    Or, c’est ce côté-là qui offre pour nous le plus grand intérêt.

    Permettez-moi donc de dire mon opinion sur les défauts de notre travail à la campagne, de la dire avec toute la franchise propre aux bolcheviks.

    Quel est le principal défaut de notre travail à la campagne au cours de la dernière année, au cours de 1932 ?

    Le principal défaut est que, cette année, le stockage des céréales s’est fait chez nous avec des difficultés plus grandes que l’année d’avant, en 1931.

    Cela, on ne saurait en aucune façon l’expliquer par le mauvais état de la récolte, celle-ci ayant été chez nous, cette année, non pas pire, mais meilleure que l’année d’avant. Nul ne peut nier que la récolte globale des céréales en 1932 ait été supérieure à celle de 1931, où la sécheresse dans les cinq principales régions du nord-est de l’U.R.S.S. avait considérablement réduit le stock des céréales du pays.

    Sans doute, en 1932 aussi, nous avons enregistré quelques pertes de récolte, dues aux conditions climatiques défavorables, dans le Kouban et le Térek, ainsi que dans certaines régions de l’Ukraine.

    Mais il est certain que ces pertes ne représentent pas même la moitié de celles de 1931, dues à la sécheresse qui avait frappé les régions du nord-est de l’U.R.S.S.

    Par conséquent, en 1932 notre pays avait plus de céréales qu’en 1931. Et cependant, le stockage des céréales s’est fait chez nous, en 1932, avec des difficultés plus grandes que l’année d’avant.

    A quoi cela tient-il ? Où est la cause de cette insuffisance dans notre travail ? Comment expliquer cette anomalie ?

    1. Elle s’explique tout d’abord par ceci que nos camarades de province, nos militants ruraux n’ont pas su tenir compte de la nouvelle situation créée à la campagne après que fut autorisé le commerce kolkhozien du blé.

    Et c’est précisément parce qu’ils n’ont pas tenu compte de la situation nouvelle, qu’ils n’ont pas su réorganiser leur travail conformément à cette nouvelle situation.

    Tant qu’il n’y avait pas de commerce kolkhozien de blé, tant qu’il n’y avait pas deux prix du blé, le prix de l’État et le prix du marché, la situation dans lescampagnes se présentait d’une certaine manière. Avec l’autorisation du commerce kolkhozien de blé, la situation devait changer à fond, car l’autorisation du commerce kolkhozien signifie la légalisation du prix du blé sur le marché, prix plus élevé que celui établi par l’État. Inutile de démontrer que cela devait pousser les paysans à se réserver quant aux livraisons de blé à l’État.

    Le paysan faisait ce calcul : «Le commerce kolkhozien de blé est autorisé, le prix du marché est légalisé ; je puis, au marché, pour une même quantité de blé, recevoir plus qu’en le livrant à l’État.

    Par conséquent, à moins d’être un imbécile, je dois garder le blé, en livrer moins à l’État, en laisser plus pour le commerce kolkhozien et, de cette façon, m’arranger de manière à toucher plus pour la même quantité de blé vendu.» Logique on ne peut plus simple et plus naturelle !

    Mais le malheur est que nos militants ruraux, en tout cas beaucoup d’entre eux, n’ont pas compris cette chose simple et naturelle.

    Pour ne pas manquer aux tâches que leur avait assignées le pouvoir des Soviets, les communistes, devant la situation nouvelle, auraient dû, dès les premiers jours de la rentrée des blés, déjà en juillet 1932, intensifier par tous les moyens et pousser le stockage du blé. C’est ce que commandait la situation.

    Et comment ont-il agi en fait ? Au lieu de pousser le stockage du blé, ils ont poussé à la création de toutes sortes de fonds, accentuant ainsi l’attitude réservée des fournisseurs de blé quant à l’accomplissement de leurs obligations envers l’État.

    N’ayant pas compris la nouvelle situation, ils craignaient, non pas que l’attitude réservée des paysans, quant aux livraisons de blé, pût ralentir le stockage, mais que les paysans oublient de garder du blé et de le porter ensuite au marché pour le commerce kolkhozien, voire qu’ils ne s’avisent de livrer tout leur blé aux élévateurs.

    Autrement dit, nos communistes ruraux, du moins la plupart d’entre eux, n’ont démêlé que le côté positif du commerce kolkhozien ; ils ont compris et saisi son côté positif, mais ils n’en ont pas du tout compris ni saisi les côtés négatifs ; ils n’ont pas compris que les côtés négatifs du commerce kolkhozien peuvent causer à l’État un grand préjudice, si eux, c’est-à-dire les communistes, ne commencent dès les premiers jours de la rentrée de la moisson, à pousser à fond la campagne du stockage.

    Et cette faute n’a pas été commise seulement par les militants dans les kolkhoz. Elle l’a été aussi par les directeurs de sovkhoz qui, gardant criminellement le blé devant être livré à l’État, le vendirent ailleurs, à un prix plus élevé.

    Le Conseil des commissaires du peuple et le Comité central ont-ils tenu compte de la nouvelle situation intervenue après qu’a été autorisé le commerce kolkhozien de blé, dans leur décret bien connu sur le développement du commerce des kolkhoz ? Oui, ils en ont tenu compte.

    Ce décret dit explicitement que le commerce kolkhozien de blé ne peut s’ouvrir que lorsque le programme du stockage de blé aura été accompli entièrement et sans réserve, et que les semences auront été rassemblées.

    Il y est dit tout net que le stockage du blé et le versement des semences une fois terminés aux environs du 15 janvier 1933, c’est seulement après que ces conditions auront été remplies, que l’on pourra ouvrir le marché kolkhozien du blé.

    Par ce décret, le Conseil des commissaires du peuple et le Comité central semblaient dire à nos militants ruraux : Ne laissez pas absorber votre attention par le souci de fonds et réserves de toute sorte ; ne vous détournez pas de la tâche principale ; développez le stockage dès le premier jour de la rentrée des blés, et poussez-le, car le premier commandement est d’exécuter le programme du stockage de blé ; le second commandement est de constituer le fonds de semences ; c’est seulement après que ces conditions auront été remplies que vous pourrez commencer et puis développer le commerce kolkhozien de blé.

    L’erreur du Bureau politique du Comité central, ainsi que du Conseil des commissaires du peuple, a été peut-être de n’avoir pas souligné avec assez d’insistance ce côté de la question, et de n’avoir pas mis avec assez d’énergie nos militants ruraux en garde contre les dangers que renferme le commerça kolkhozien. Mais qu’ils les aient avertis de ces dangers, et avertis assez clairement, cela ne peut faire aucun doute.

    Il faut reconnaître que le Comité central et le Conseil des commissaires du peuple ont quelque peu surestimé la trempe léniniste et la clairvoyance de nos militants non seulement locaux mais aussi régionaux.

    Peut-être ne fallait-il pas autoriser le commerce kolkhozien de blé ? Peut-être était-ce une faute, surtout si l’on considère que le commerce kolkhozien présente non seulement des côtés positifs, mais aussi certains côtés négatifs ?

    Non, ce n’était pas une faute. Aucune mesure révolutionnaire n’est garantie contre certains côtés négatifs, si elle est faussement appliquée. Il faut en dire autant du commerce kolkhozien de blé. Le commerce kolkhozien est nécessaire et avantageux tant pour la campagne que pour la ville, tant pour la classe ouvrière que pour la paysannerie. Et précisément parce qu’il est avantageux, il fallait l’introduira.

    Qu’est-ce qui guidait le Conseil des commissaires du peuple et le Comité central lorsqu’ils ont introduit le commerce kolkhozien de blé ?

    Avant tout, la volonté d’élargir la base des échanges entre la ville etla campagne, d’améliorer le ravitaillement des ouvriers en produits

    agricoles, et des paysans en articles de la ville. On ne saurait douter que le commerce de l’État et des coopératives à lui seul, n’y suffit pas. Il fallait compléter ces canaux du système d’échanges par un nouveau canal : le commerce des kolkhoz. Et nous l’avons fait en introduisant le commerce kolkhozien.

    Ce qui les guidait ensuite, c’était la volonté de donner au kolkhozien, par le commerce kolkhozien de blé, une source complémentaire de revenu, et de consolider sa position économique.

    Ce qui les guidait enfin, c’était la volonté de donner au paysan, en introduisant le commerce kolkhozien, un nouveau stimulant pour améliorer le travail des kolkhoz, tant en ce qui concerne les semailles qu’en ce qui concerne la rentrée des récoltes.

    Vous savez que toutes ces considérations du Conseil des commissaires du peuple et du Comité central ont été confirmées entièrement et sans réserve par les faits récents de la vie des kolkhoz.

    Accentuation du processus de consolidation des kolkhoz ; cessation de l’abandon des kolkhoz par leurs adhérents ; tendance croissante des paysans individuels à rejoindre les kolkhoz ; volonté des kolkhoziens de n’accepter les nouveaux membres qu’avec beaucoup de discernement ; tout cela et bien d’autres faits analogues attestent avec évidence que le commerce des kolkhoz, loin d’affaiblir, a, au contraire, renforcé et consolidé la situation des kolkhoz.

    Ainsi donc, les lacunes de notre travail à la campagne s’expliquent non par le commerce kolkhozien, mais par le fait que celui-ci n’est pas toujours bien conduit ; parce que nous ne savons pas tenir compte de la nouvelle situation ; parce que nous ne savons pas reformer nos rangs comme le veut la situation nouvelle créée par l’autorisation du commerce kolkhozien de blé.

    La deuxième cause des insuffisances de notre travail à la campagne, c’est que nos camarades de province, et pas seulement ces camarades, n’ont pas compris les nouvelles conditions de notre travail à la campagne, qui ont changé depuis que s’est affermie la position dominante des kolkhoz dans les principales régions à blé.

    Nous nous réjouissons tous que la forme kolkhozienne de l’économie soit devenue la forme prédominante dans nos régions à blé.

    Or, tout le monde ne se rend pas compte que ce fait ne diminue pas mais augmente nos préoccupations et notre responsabilité quant au développement de l’agriculture.

    Beaucoup pensent que, dès l’instant où dans tel ou tel rayon, dans telle ou telle région, on a atteint, disons 70 ou 80 % de collectivisation, tout est fait, et que nous pouvons laisser les choses suivre leur cours naturel, leur marche spontanée, dans l’idée que la collectivisation s’acquittera toute seule de sa besogne, relèvera toute seule l’agriculture.

    Mais c’est là une erreur profonde, camarades.

    La vérité est que le passage à l’économie collective, comme forme dominante de l’économie, ne diminue pas mais augmente nos préoccupations touchant l’agriculture ; ne diminue pas mais augmente le rôle dirigeant des communistes dans le relèvement de l’agriculture. Aujourd’hui, la marche spontanée est plus que jamais dangereuse pour le développement de l’agriculture.

    Aujourd’hui, la marche spontanée peut tout perdre.

    Aussi longtemps que le cultivateur individuel prédominait à la campagne, le Parti pouvait limiter son intervention dans le développement de l’agriculture, à des actes isolés d’assistance, à des conseils ou à des avertissements.

    Le paysan individuel devait à ce moment-là se préoccuper de son exploitation, n’ayant personne sur qui rejeter la responsabilité pour cette exploitation, qui n’était que son exploitation personnelle, et ne pouvant compter que sur lui-même.

    A ce moment-là le paysan individuel devait tout seul se préoccuper des semailles, de la rentrée des récoltes et, en général, de toutes les phases du travail agricole, s’il ne voulait pas rester sans pain et être victime de la faim.

    Avec le passage à l’exploitation collective, les choses ont essentiellement changé. Le kolkhoz n’est pas une exploitation individuelle. C’est bien ce que disent maintenant les kolkhoziens : «Le kolkhoz est à moi et pas à moi ; il est à moi, mais il appartient en même temps à Ivan, à Philippe, à Mikhaïl et aux autres membres du kolkhoz ; le kolkhoz est à nous tous.»

    Maintenant le kolkhozien, lui, ce paysan individuel d’hier et ce collectiviste d’aujourd’hui, peut charger de responsabilité les autres membres du kolkhoz et peut compter sur eux, sachant que le kolkhoz ne le laissera pas sans pain.

    C’est pourquoi le kolkhozien, lui, a moins de préoccupations maintenant que du temps de l’exploitation individuelle, les préoccupations et la responsabilité pour l’exploitation étant aujourd’hui réparties entre tous les kolkhoziens.

    Que s’ensuit-il ? Il s’ensuit que le gros de la responsabilité pour la conduite de l’exploitation s’est déplacé aujourd’hui, passant de chaque paysan, pris isolément, à la direction du kolkhoz, au noyau dirigeant. Maintenant le soin de l’exploitation et la gestion rationnelle, les paysans l’exigent non d’eux-mêmes, mais de la direction du kolkhoz, ou plus exactement, ils l’exigent non pas tant d’eux-mêmes que de cette direction.

    Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que le Parti aujourd’hui nepeut plus se borner à des actes isolés d’intervention dans le processus

    du développement agricole. Il doit aujourd’hui prendre en main la direction des kolkhoz, assumer la responsabilité du travail et aider les kolkhoziens à mener en avant leur entreprise, sur la base des données de la science et de la technique.

    Mais ce n’est pas tout. Le kolkhoz est une grosse exploitation. Or, l’on ne peut conduire une grosse exploitation sans un plan. En agriculture, une grosse exploitation englobant des centaines et parfois même des milliers de foyers, ne peut être gérée autrement que d’après un plan.

    Sans cela, elle est vouée à la perte et à la désagrégation.

    Voilà donc encore une nouvelle condition, sous le régime des kolkhoz, qui se distingue radicalement des conditions de gestion de la petite exploitation individuelle. Peut-on abandonner la conduite d’une telle exploitation à ce qu’on appelle le cours naturel des choses, à la marche spontanée ?

    Il est clair que non. Pour la conduite d’une telle entreprise, il faut assurer au kolkhoz un certain minimum d’hommes pourvus de l’instruction nécessaire, capables de planifier l’exploitation et de la conduire d’une façon organisée.

    On conçoit que sans une intervention systématique du pouvoir des Soviets dans l’édification des kolkhoz, sans son aide systématique, il est impossible de bien organiser une pareille entreprise.

    Et que s’ensuit-il ? Il s’ensuit que le régime des kolkhoz ne diminue pas, mais augmente les préoccupations et la responsabilité du Parti et du gouvernement pour le développement de l’agriculture. Il s’ensuit que le Parti, s’il veut diriger le mouvement kolkhozien, doit entrer dans tous les détails de la vie des kolkhoz et de leur direction.

    Il s’ensuit que le Parti doit, non pas diminuer mais multiplier ses liens avec les kolkhoz, qu’il doit savoir tout ce qui s’y passe, pourvenir en aide aux kolkhoz en temps voulu et prévenir les dangers qui les menacent.

    Mais que voyons-nous en réalité ? Nous voyons, en réalité, que toute une série d’organisations de rayons et de régions sont détachées de la vie des kolkhoz, de leurs besoins.

    Les gens siègent dans leurs bureaux et, béatement, font grincer leurs plumes, sans s’apercevoir que le développement des kolkhoz passe à côté des administrations bureaucratiques.

    Dans certains cas, ce détachement à l’égard des kolkhoz en arrivait au point que certains membres d’organisations de territoires apprenaient ce qui se passait dans les kolkhoz de leur ressort non par les organisations de rayons intéressées, mais par les membres du Comité central, à Moscou. C’est triste, mais c’est un fait, camarades.

    Le passage de l’exploitation individuelle aux kolkhoz devait accentuer le rôle dirigeant des communistes à la campagne.

    Or, en réalité, ce passage a abouti dans bien des cas, à ce résultat que les communistes se sont reposés sur leurs lauriers, en arguant du pourcentage élevé de collectivisation, et ont abandonné les choses à leur marche spontanée, à leur cours naturel.

    Le problème de la direction planifiée de l’économie collective devait mener à une accentuation du rôle dirigeant des communistes dans les kolkhoz.

    Or, en réalité, on a vu que dans bien des cas les communistes faisaient défaut, et que dans les kolkhoz commandaient d’anciens officiers blancs, d’anciens hommes de Pétlioura, et, d’une façon générale, les ennemis des ouvriers et des paysans.

    Voilà ce qu’il en est de la deuxième cause des insuffisances de notre travail à la campagne. La troisième cause des insuffisances de notre travail à la campagne, c’est que beaucoup de nos camarades ont surestimé les kolkhoz comme forme nouvelle d’économie, ils les ont surestimés et en ont fait une icône. Ils ont conclu que, du moment qu’il y avait des kolkhoz comme forme socialiste d’économie, tout était fait, que cela suffirait pour assurer la bonne gestion des kolkhoz, la planification rationnelle de l’économie collective, la transformation des kolkhoz en des exploitations socialistes modèles.

    Ils n’ont pas compris que du point de vue de leur organisation, les kolkhoz sont encore faibles et ont besoin d’une aide sérieuse du Parti, tant pour les pourvoir en cadres bolcheviks éprouvés que pour diriger les affaires courantes des kolkhoz. Mais ce n’est pas tout, ce n’est même pas l’essentiel.

    Le défaut essentiel, ici, c’est que beaucoup de nos camarades ont surestimé les forces et possibilités des kolkhoz eux-mêmes, comme nouvelle forme d’organisation de l’agriculture.

    Ils n’ont pas compris que le kolkhoz par lui-même, bien que forme socialiste d’économie, est encore loin d’être garanti contre toute sorte de dangers et contre l’infiltration dans sa direction d’éléments contre-révolutionnaires de tout genre ; qu’il n’est pas garanti contre cette éventualité que, dans certaines conditions, les éléments antisoviétiques peuvent utiliser les kolkhoz à leurs fins.

    Le kolkhoz est une forme socialiste d’organisation économique, comme les Soviets sont une forme socialiste d’organisation politique. Kolkhoz et Soviets constituent une des plus grandes conquêtes de notre révolution, une des plus grandes conquêtes de la classe ouvrière.

    Mais les kolkhoz et les Soviets ne sont qu’une forme d’organisation, socialiste il est vrai, mais forme d’organisation cependant.

    Tout dépend du contenu qui sera coulé dans cette forme. Nousconnaissons des cas où des Soviets de députés ouvriers et soldats avaient, pendant une certaine période, donné leur appui à la contre-révolution, contre la révolution. Il en fut ainsi chez nous, en U.R.S.S., par exemple en juillet 1917, lorsque les Soviets, dirigés par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, couvraient la contre-révolution, contre la révolution.

    Il en fut ainsi en Allemagne, fin 1918, lorsque les Soviets dirigés par les social-démocrates couvraient la contre-révolution, contre la révolution. Ainsi donc il ne s’agit pas seulement des Soviets comme forme d’organisation, encore que cette forme constitue par elle-même une conquête grandiose de la Révolution.

    Il s’agit, avant tout, du contenu du travail des Soviets ; il s’agit du caractère du travail des Soviets ; il s’agit de savoir qui précisément dirige les Soviets : les révolutionnaires ou les contre-révolutionnaires ? C’est ce qui explique proprement que les contre-révolutionnaires ne se prononcent pas toujours contre les Soviets.

    On sait, par exemple, que le chef de la contre-révolution russe Milioukov, lors de l’émeute de Cronstadt, se prononça pour les Soviets mais sans communistes. «Les Soviets sans communistes», tel était alors le mot d’ordre du chef de la contre-révolution russe Milioukov. Les contre-révolutionnaires avaient compris qu’il ne s’agissait pas des Soviets en eux-mêmes, mais qu’il s’agissait avant tout de savoir qui les dirigerait.

    Il faut en dire autant des kolkhoz.

    Comme forme socialiste d’organisation de l’économie, les kolkhoz peuvent réaliser des merveilles d’édification économique, si à leur tête se trouvent des révolutionnaires véritables, des bolcheviks, des communistes.

    Et, inversement, les kolkhoz peuvent, pour une certaine période, servir de paravent à toute sorte d’agissements contre-révolutionnaires, si les kolkhoz sont dirigés par des socialistes- révolutionnaires et des menchéviks, par des officiers de Pétlioura et autres gardes blancs, par d’anciens agents de Dénikine et de Koltchak.

    Et il ne faut pas oublier que les kolkhoz, comme forme d’organisation, loin d’être garantis contre la pénétration d’éléments antisoviétiques, offrent même, dans les premiers temps, certaines commodités pour être momentanément utilisés par les contre-révolutionnaires.

    Tant que les paysans dirigeaient leurs exploitations individuelles, ils étaient dissociés et séparés les uns des autres ; c’est ce qui fait que les tentatives contre-révolutionnaires des éléments antisoviétiques dans les milieux paysans, ne pouvaient être d’un grand effet. Le tableau est tout autre lorsque les paysans passent à l’exploitation collective.

    Ici les paysans ont déjà, dans les kolkhoz, une forme toute prête d’organisation de masse. Aussi la pénétration d’éléments antisoviétiques dans les kolkhoz et leur activité antisoviétique peuvent être d’un effet autrement sérieux.

    Il faut croire que les éléments antisoviétiques tiennent compte de tout cela. On sait qu’une partie des contre-révolutionnaires, par exemple dans le Caucase du Nord, s’efforcent eux-mêmes de créer une manière de kolkhoz dont ils se servent comme d’un paravent légal pour leurs organisations clandestines.

    On sait aussi que dans certaines régions où ils ne sont pas encore démasqués et écrasés, les éléments antisoviétiques rejoignent volontiers les kolkhoz, les exaltent même pour créer dans leur sein des foyers d’action contre-révolutionnaire.

    On sait aussi qu’une partie des éléments antisoviétiques s’affirme elle-même, aujourd’hui, pour les kolkhoz, mais à condition qu’il n’y ait pas là de communistes. «Les kolkhoz sans communistes», tel estle mot d’ordre qui mûrit actuellement parmi les éléments antisoviétiques.

    Ainsi donc, il ne s’agit pas seulement des kolkhoz en eux-mêmes, comme forme socialiste d’organisation, mais avant tout du contenu coulé dans cette forme ; il s’agit avant tout de savoir qui est à la tête des kolkhoz et qui les dirige.

    Du point de vue du léninisme, les kolkhoz, de même que les Soviets, considérés comme forme d’organisation, sont une arme, et seulement une arme. Cette arme, on peut, dans certaines conditions, la diriger contre la révolution. On peut la diriger contre la contre-révolution.

    Elle peut servir la classe ouvrière et la paysannerie. Dans certaines conditions elle peut servir les ennemis de la classe ouvrière et de la paysannerie. Le tout est de savoir en quelles mains se trouve cette arme et contre qui elle sera dirigée.

    C’est ce que commencent à comprendre, guidés par leur instinct de classe, les ennemis des ouvriers et des paysans.

    C’est ce que, malheureusement, certains de nos communistes ne comprennent pas encore.

    Et précisément parce que certains de nos communistes n’ont pas compris cette simple chose, nous assistons maintenant à cette situation que, dans nombre de kolkhoz, des éléments antisoviétiques soigneusement camouflés ont la haute main sur les affaires du kolkhoz, où ils organisent le sabotage et la destruction.

    4. La quatrième cause des insuffisances de notre travail à la campagne, c’est l’incapacité où sont beaucoup de nos camarades de province de réorganiser le front de lutte contre les koulaks ; c’est l’incompréhension du fait que, depuis quelque temps, l’ennemi de classe a changé de visage, que la tactique de l’ennemi de classe a changé à la campagne, et que, pour aboutir à nos fins, il faut changer notre tactique en conséquence.

    L’ennemi a compris ce qu’il y a de changé dans la situation, il a compris la force et la puissance du nouveau régime à la campagne, et, l’ayant compris, il s’est reformé, il a modifié sa tactique, il a passé de l’attaque directe contre les kolkhoz à la sape sournoise.

    Or, nous, ne l’avons pas compris ; nous n’avons pas démêlé la nouvelle situation, et nous continuons à chercher l’ennemi de classe là où il n’est plus ; nous poursuivons notre vieille tactique de lutte simplifiée contre le koulak, alors que cette tactique est depuis longtemps périmée.

    On cherche l’ennemi de classe au dehors des kolkhoz ; on le cherche sous l’aspect d’individus à physionomie féroce, aux crocs énormes, au cou épais, un mousqueton à la main. On cherche le koulak tel que nous le connaissons par les affiches. Mais il y a longtemps que ces koulaks n’existent plus à la surface.

    Les koulaks d’aujourd’hui et leurs suppôts, les éléments antisoviétiques d’aujourd’hui, à la campagne, ce sont pour la plupart des gens «paisibles», «tout sucre et tout miel», presque des «saints».

    Il ne faut pas les chercher loin du kolkhoz, ils sont installés dans le kolkhoz même, où ils occupent des postes de magasiniers, d’économes, de comptables, de secrétaires, etc. Ils ne diront jamais : «A bas les kolkhoz !» Ils sont «pour» les kolkhoz.

    Mais ils y font un tel travail de sabotage et de destruction, que les kolkhoz n’auront pas à s’en réjouir.

    Ils ne diront jamais : «A bas le stockage de blé !»

    Ils sont «pour» le stockage de blé. Ils se lancent «seulement» dans la démagogie, et ils exigent que le kolkhoz institue un fonds pour l’élevage trois fois plus grand que celui qui est nécessaire ; que le kolkhoz constitue un fonds d’assurance trois fois plus grand que celui qui est nécessaire ; que le kolkhoz distribue aux fins d’alimentation publique, de 6 à 10 livres de blé par jour et par travailleur, etc.

    On comprend bien qu’avec de tels «fonds» et de telles distributions aux fins d’alimentation publique, qu’avec une telle démagogie de

    filous, la puissance économique du kolkhoz doive être compromise, et qu’il ne reste rien pour le stockage de blé.

    Afin de discerner un ennemi aussi adroit et ne pas se laisser prendre à la démagogie, il faut être doué de vigilance révolutionnaire, il faut être capable d’arracher le masque à l’ennemi et de montrer aux kolkhoziens le vrai visage, le visage contre-révolutionnaire de cet ennemi.

    Mais avons-nous à la campagne beaucoup de communistes doués de ces qualités ? Bien souvent les communistes, loin de démasquer ces ennemis de classe, se laissent au contraire prendre à leur démagogie de filous, et se traînent à leur remorque.

    Ne remarquant pas l’ennemi de classe sous son nouveau masque, et ne sachant pas dénoncer ses machinations de fourbe, certains de nos camarades se rassurent bien souvent à l’idée que les koulaks, paraît-il, n’existent plus au monde ; qu’en conséquence de la politique de liquidation des koulaks comme classe, les éléments antisoviétiques à la campagne sont déjà anéantis et que l’on peut, de ce fait, s’accommoder de l’existence de kolkhoz «neutres», qui ne sont ni bolcheviks, ni antisoviétiques, mais qui seront amenés d’eux-mêmes, pour ainsi dire spontanément, à se ranger aux côtés du pouvoir des Soviets.

    Or, c’est là une grave erreur, camarades.

    Les koulaks sont battus, mais ils sont encore loin d’être complètement liquidés. Bien plus, ils ne le seront pas encore de sitôt, si les communistes bayent aux corneilles, béatement, dans l’idée que les koulaks descendront d’eux mêmes dans la tombe, par l’effet, pourrait-on dire, de leur évolution spontanée.

    Pour ce qui est des kolkhoz «neutres», ils n’existent pas en général, et ne peuvent exister dans la réalité.

    Les kolkhoz-«neutres» sont le fruit de l’imagination de ceux qui ont des yeux pour ne rien voir. Avec une lutte de classes aussi aiguë que celle qui se déroule maintenant dans notre pays des Soviets, il nereste pas de place pour des kolkhoz «neutres» ; cet état de choses étant donné, les kolkhoz peuvent être ou bolcheviks ou antisoviétiques.

    Et si nous ne dirigeons pas tels ou tels kolkhoz, c’est qu’ils sont dirigés par des éléments antisoviétiques. Cela ne peut faire aucun doute.

    5. Enfin, encore une cause des insuffisances de notre travail à la campagne. C’est la sous-estimation du rôle et de la responsabilité des communistes dans l’édification des kolkhoz, c’est la sous-estimation du rôle et de la responsabilité des communistes dans le stockage de blé.

    Parlant des difficultés du stockage de blé, les communistes en font retomber généralement la responsabilité sur les paysans, en prétendant que ces derniers sont coupables de tout.

    Mais cela est tout à fait faux et absolument injuste. Les paysans n’y sont pour rien. S’il est question de responsabilité et de culpabilité, la responsabilité incombe entièrement et sans réserve aux communistes ; et les coupables dans tout cela, c’est nous, les communistes, et seulement nous.

    Il n’existe pas et il n’a jamais existé au monde un pouvoir aussi puissant et ayant une aussi grande autorité que le nôtre, que le pouvoir des Soviets. Il n’existe pas et il n’a jamais existé au monde un parti aussi puissant et ayant une aussi grande autorité que le nôtre, que le Parti communiste.

    Nul ne nous empêche et ne peut nous empêcher de conduire les kolkhoz comme l’exigent leurs intérêts, les intérêts de l’État. Et si nous ne réussissons pas toujours à conduire les kolkhoz comme l’exige le léninisme, si nous commettons souvent des erreurs grossières, impardonnables, disons, dans le stockage du blé, c’est nous et nous seuls qui en sommes coupables.

    Noms sommes coupables de n’avoir pas discerné les côtés négatifsdu commerce kolkhozien de blé, et d’avoir commis une suite

    d’erreurs des plus grossières. Nous sommes coupables de ce que nombre de nos organisations ont perdu contact avec les kolkhoz, se reposent sur leurs lauriers et se sont abandonnées au cours des choses.

    Nous sommes coupables de ce que nombre de nos camarades continuent de surestimer les kolkhoz, comme forme d’organisation de masse, sans comprendre qu’il ne s’agit pas tant de la forme elle-même que de la nécessité pour nous de prendre en main la direction des kolkhoz et de déloger de cette direction les éléments antisoviétiques.

    Nous sommes coupables de n’avoir pas vu clair dans la nouvelle situation, ni compris la nouvelle tactique de l’ennemi de classe, qui pousse des sapes sournoises.

    On se demande : les paysans y sont-ils pour quelque chose ?

    Je connais des groupes entiers de kolkhoz qui se développent et prospèrent, s’acquittent ponctuellement des tâches qui leur sont assignées par l’État, et se fortifient de jour en jour, sous le rapport économique. D’autre part, je connais des kolkhoz situés dans le voisinage des premiers et qui, bien qu’ayant la même récolte et les mêmes conditions objectives, dépérissent et se désagrègent. Quelle en est la raison ?

    La raison en est que le premier groupe de kolkhoz est dirigé par de vrais communistes, et que le deuxième groupe est dirigé par des benêts, avec, il est vrai, la carte du Parti en poche, mais des benêts tout de même.

    On se demande : les paysans y sont-ils pour quelque chose ? La sous-estimation du rôle et de la responsabilité des communistes fait que souvent, on cherche la cause des insuffisances de notre travail à la campagne non pas là où on devrait la chercher, et c’est ainsi que les insuffisances ne sont pas éliminées.

    Ce n’est pas chez les paysans qu’il faut chercher la cause des difficultés de stockage du blé, mais en nous-mêmes, dans nos propres rangs. Car c’est nous qui sommes au pouvoir, c’est nous qui disposons des ressources de l’État, c’est nous qui sommes appelés à diriger les kolkhoz, et c’est nous qui devons assumer la pleine responsabilité du travail à la campagne.

    Voilà les causes principales qui sont à l’origine des insuffisances de notre travail à la campagne.

    On pourrait croire que j’ai brossé un tableau trop sombre : que le travail à la campagne, chez nous, n’est fait que d’insuffisances.

    Evidemment, cela n’est pas exact. En réalité, à côté de ces défauts, notre travail à la campagne enregistre toute une série de réalisations très sérieuses, décisives.

    Mais j’ai déjà dit au début de mon discours qu’il n’entrait point dans ma tâche de caractériser nos réalisations, que j’avais pris sur moi de ne parler que des défauts de notre travail à la campagne.

    Peut-on corriger ces défauts ? Assurément, oui. Les corrigerons-nous d’ici peu ? Oui, assurément. Cela ne peut faire aucun doute.

    Je panse que les sections politiques des sovkhoz et des stations de machines et de tracteurs sont un des moyens décisifs, qui permettront d’éliminer ces défauts dans le plus bref délai. (Vifs et longs applaudissements.)

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Le vertige du succès

    QUESTIONS DU MOUVEMENT DE COLLECTIVISATION AGRICOLE

    Pravda, n° 60, 2 mars 1930

    Tout le inonde parle à présent des succès du pouvoir des Soviets en ce qui concerne le mouvement de collectivisation agricole. Il n’est pas jusqu’aux ennemis qui ne soient contraints de reconnaître que de sérieux succès ont été remportés. Et ces succès sont réellement grands.

    C’est un fait qu’au 20 février de cette année, 50 % des exploitations paysannes étaient déjà collectivisées dans l’U.R.S.S. C’est dire qu’au 20 février 1930 nous avons dépassé de plus du double le plan quinquennal.

    C’est un fait qu’au 28 février de cette année les kolkhoz ont déjà versé plus de 36 millions de quintaux de semences pour les semailles de printemps, soit plus de 90 % du plan, soit 220 millions de pouds environ. Force est de reconnaître que 220 millions de pouds de semences ramassés rien que dans les kolkhoz, constituent – après la réussite du plan de stockage du blé – un succès prodigieux.

    Qu’attestent tous ces faits ?

    Que l’on peut déjà considérer comme assuré le tournant radical descampagnes vers le socialisme.

    Il n’est point besoin de démontrer que ces succès sont de la plus haute importance pour les destinées de notre pays, pour l’ensemble die la classe ouvrière, comme force dirigeante de notre pays, enfin pour le Parti lui-même. Sans parler des résultats pratiques immédiats, ces succès, dis-je, ont une importance énorme pour la vie intérieure du Parti lui-même, pour l’éducation de notre Parti.

    Ils donnent à notre Parti l’assurance et la foi en ses forces. Ils arment la classe ouvrière de la foi en la victoire de notre cause. Us acheminent vers notre Parti de nouvelles réserves fortes de millions d’hommes.

    D’où la tâche du Parti : consolider les succès obtenus et les utiliser méthodiquement pour continuer notre avance.

    Mais les succès ont aussi leurs ombres, surtout lorsqu’ils sont obtenus avec une «facilité» relative, pour ainsi dire «inopinément».

    De tels succès inoculent parfois l’esprit de présomption et de fatuité : «Nous pouvons tout !», «Il ne nous en coûte rien !» Ces succès, dis-je, enivrent souvent les gens, leur donnent le vertige, leur font perdre le sens de la mesure, leur font perdre la capacité de comprendre la réalité ; la tendance se manifeste chez eux à surestimer leurs forces et à sous-estimer celles de l’adversaire ; des tentatives aventureuses sont faites pour résoudre «en deux temps» tous les problèmes de la construction socialiste.

    On ne se soucie plus de fixer les succès obtenus et de les utiliser méthodiquement, afin de continuer nôtre avance. A quoi bon fixer les succès obtenus, puisque nous saurons quand même arriver «en deux temps» à la victoire complète du socialisme : «Nous pouvons tout !», «Il ne nous en coûte rien !»D’où la tâche du Parti : engager une lutte résolue contre ces tendances dangereuses et nuisibles à la cause, et les chasser hors du Parti.

    On ne peut pas dire que ces tendances dangereuses et nuisibles à la cause aient eu une diffusion tant soit peu large dans les rangs de notre Parti. Mais ces tendances, dis-je, n’en existent pas moins dans notre Parti, et il n’y a pas de raison pour affirmer qu’elles ne s’accentueront pas.

    Et si ces tendances reçoivent droit de cité chez nous, il est hors de doute que le mouvement de collectivisation sera notablement affaibli, et que le danger de voir échouer ce mouvement peut devenir une réalité.

    D’où la tâche de notre presse : démasquer systématiquement ces tendances anti-léninistes et autres analogues.

    Quelques faits.

    1. Les succès de notre politique de collectivisation agricole s’expliquent, entre autres, par le fait que cette politique s’appuie sur le principe de libre adhésion au mouvement kolkhozien et sur la prise en considération des conditions diverses dans les différentes régions de l’U.R.S.S. On ne peut implanter de force les kolkhoz. Ce serait stupide et réactionnaire.

    Le mouvement kolkhozien doit bénéficier du soutien actif des masses paysannes essentielles. On ne peut transposer mécaniquement les formes de construction kolkhoziennes des régions évoluées dans les régions qui ne le sont pas. Ce serait stupide et réactionnaire. Une telle «politique» compromettrait d’un seul coup l’idée de la collectivisation. En déterminant le rythme et les méthodes de construction des kolkhoz, il faut tenir un compte exact de la diversité des conditions dans lesdifférentes régions de l’U.R.S.S.

    Dans le mouvement de collectivisation agricole, les régions productrices de céréales marchent en tête de toutes les autres régions.

    Pourquoi ?

    Parce que, d’abord, c’est dans ces régions que nous avons le plus grand nombre de sovkhoz et de kolkhoz déjà solides, grâce auxquels les paysans ont pu se convaincre de la force et de l’importance de la nouvelle technique, de la force et de l’importance de l’organisation nouvelle, collective, de l’économie.

    Parce que, en second lieu, ces régions ont derrière elles l’expérience de deux années de lutte contre les koulaks, pendant les campagnes de stockage du blé, ce qui ne pouvait manquer de faciliter le mouvement de collectivisation. Parce que, enfin, ces régions ont été, ces dernières années, le plus abondamment pourvues en excellents cadres venus des centres industriels.

    Peut-on dire que ces conditions particulièrement favorables existent aussi dans les autres régions, par exemple dans les régions consommatrices telles que nos régions du Nord, ou dans celles des nationalités encore retardataires, comme le Turkestan par exemple ? Non, on ne peut pas le dire.

    Il est clair que la prise en considération des conditions diverses dans les différentes régions de l’U.R.S.S., ajoutée au principe de la libre adhésion, est une des prémisses les plus sérieuses d’un vigoureux mouvement kolkhozien.

    Or, que se produit-il parfois chez nous ? Peut-on dire que le principe de la libre adhésion et de la prise en considération des particularités locales ne soit pas violé dans certaines régions ?

    Non, malheureusement, on ne peut pas le dire.

    On sait, par exemple, que dans une série de régions septentrionales de la zone consommatrice, où les conditions favorables à l’organisation immédiate de kolkhoz sont relativement moins nombreuses que dans les régions â blé, on cherche bien souvent à substituer au travail préparatoire d’organisation des kolkhoz, la proclamation du mouvement kolkhozien à coups de décrets bureaucratiques, de résolutions paperassières sur la croissance des kolkhoz, l’organisation de kolkhoz fictifs, qui n’existent pas encore en réalité, mais sur l’ «existence» desquels on possède une foule de résolutions fanfaronnes.

    Ou bien prenons telles régions du Turkestan où les conditions favorables à l’organisation immédiate des kolkhoz sont encore moins nombreuses que dans les régions septentrionales de la zone consommatrice.

    On sait que dans une série de régions du Turkestan, des tentatives ont déjà été faites pour «rejoindre et dépasser» les régions avancées de l’U.R.S.S., en menaçant de faire intervenir la force armée, en menaçant de priver d’eau d’irrigation et ide produits manufacturés les paysans qui, pour l’instant, ne veulent pas entrer au kolkhoz.

    Que peut-il y avoir de commun entre cette «politique» du sous-off Prichibéev [Le sous-off Prichibéev, type du soudard qui, sans en être chargé, prétend veiller à l’ordre et aux mœurs. Personnage d’un récit homonyme de A. Tchékhov. (N. des Trad.)] et la politique du Parti, qui s’appuie sur la libre adhésion et la prise en considération des particularités locales en construisant les kolkhoz ?

    Il est clair qu’il n’y a et qu’il ne peut y avoir rien de commun entre elles.A qui profitent ces déformations, cette proclamation à coups de décrets bureaucratiques du mouvement kolkhozien, ces menaces indignes contre les paysans ?

    A personne, si ce n’est à nos ennemis !

    A quoi peuvent-elles aboutir, ces déformations ?

    A renforcer nos ennemis et à discréditer l’idée du mouvement de collectivisation.

    N’est-il pas clair que les auteurs de ces déformations, qui se croient des hommes de «gauche», portent en réalité l’eau au moulin de l’opportunisme de droite ?

    2. Un des plus grands mérites de la stratégie politique de notre Parti consiste en ceci : il sait à chaque moment donné choisir le maillon principal du mouvement et s’en saisir pour tirer ensuite toute la chaîne vers un seul but commun, afin de résoudre le problème. Peut-on dire que dans le système de construction des kolkhoz, le Parti ait déjà choisi le maillon principal du mouvement kolkhozien ? Oui, on peut et on doit le dire.

    Quel est-il, ce maillon principal ?

    Peut-être est-ce l’association pour le travail en commun de la terre ? Non pas. Les associations pour le travail en commun de la terre, où les moyens de production ne sont pas encore collectivisés, représentent une étape déjà franchie du mouvement kolkhozien.

    Peut-être est-ce la commune agricole ? Non pas. Les communes, pour l’instant, sont encore un fait isolé dans le mouvement kolkhozien. Les conditions ne sont pas encore mûres pour l’établissement de communes agricoles, comme forme prédominante, où est collectivisée non seulement toute la production, mais aussi la répartition.

    Le maillon principal du mouvement kolkhozien, sa forme prédominante, à cette heure, et dont il faut se saisir maintenant, c’estl’artel agricole.

    Dans l’artel agricole sont collectivisés les principaux moyens de production, notamment ceux qui servent à la culture des céréales : le travail, la jouissance du sol, les machines et autre matériel, les bêtes de trait, les dépendances.

    N’y sont pas collectivisés les terres attenant aux fermes (petits potagers, jardinets), les habitations, une partie du bétail laitier, le menu bétail, la volaille, etc. L’artel est le maillon principal du mouvement kolkhozien parce qu’elle est la forme la plus rationnelle, permettant de résoudre le problème des céréales.

    Or, le problème des céréales est le maillon principal dans tout le système de l’agriculture, parce que sans l’avoir résolu il est impossible de résoudre ni le problème de l’élevage (gros et petit bétail), ni le problème des cultures industrielles et spéciales qui fournissent les principales matières premières à l’industrie. Voilà pourquoi l’artel agricole est actuellement le principal maillon dans le système du mouvement kolkhozien.

    C’est là-dessus que se base le «statut-type» des kolkhoz, dont le texte définitif est publié aujourd’hui. (Pravda, 2 mars 1930.) C’est là-dessus également que doivent se baser nos travailleurs du Parti et des administrations soviétiques. Un de leurs devoirs est d’étudier ce statut quant au fond, et de l’appliquer jusqu’au bout.

    Tel est actuellement le point de vue du Parti.

    Peut-on dire que ce point de vue du Parti soit appliqué sans dérogations ni déformations ?

    Non, malheureusement. On sait que dans une série de régions de l’U.R.S.S., où la lutte pour l’existence des kolkhoz est loin d’êtreterminée, et où les artels ne sont pas encore consolidées, des tentatives sont faites pour sauter hors du cadre des artels et s’élancer d’emblée vers la commune agricole.

    L’artel n’est pas encore consolidée, mais déjà on «collectivise» les habitations, le petit bétail, la volaille, et cette «collectivisation» dégénère en proclamations à coups de décrets paperassiers et bureaucratiques, les conditions n’étant pas encore réunies qui rendraient cette collectivisation nécessaire.

    On pourrait croire que le problème des céréales est déjà résolu dans les kolkhoz, qu’il représente une étape déjà franchie ; qu’à l’heure présente, la tâche essentielle n’est point de résoudre le problème des céréales, mais celui de l’élevage et de l’aviculture. On se demande à qui profite ce «travail» de brouillons, qui consiste à mettre dans le même sac les formes diverses du mouvement de collectivisation ?

    A qui profite cette précipitation absurde et nuisible pour la cause ? Irriter le paysan kolkhozien par la «collectivisation» des habitations, de tout le bétail laitier, de tout le petit bétail, de la volaille, alors que le problème des céréales n’est pas encore résolu, alors que la forme-artel des kolkhoz n’est pas encore consolidée, — n’est-il pas clair qu’une telle «politique» ne peut être agréable et avantageuse qu’à nos ennemis jurés ?

    Un de ces «collectivisateurs» zélés en arrive même à lancer un ordre à l’artel prescrivant d’ «inventorier, dans un délai de trois jours, toute la volaille de chaque ferme», d’établir la fonction de «commandants» spéciaux pour l’enregistrement et la surveillance, d’ «occuper dans l’artel les postes de commande», de «diriger le combat socialiste sans abandonner les postes», et — la chose est claire — de tenir l’artel fermement en mains.

    Qu’est-ce donc ? Une politique de direction du kolkhoz ou une politique de sa décomposition et de son discrédit ? Je ne parle même

    pas de ces «révolutionnaires», s’il est permis de les appeler ainsi, qui, pour organiser une artel, commencent par décrocher les cloches des églises. Décrocher les cloches, pensez donc comme c’est révolutionnaire !

    Comment ont pu se produire dans notre milieu ces pratiques brouillonnes en matière de «collectivisation», ces tentatives grotesques de vouloir sauter par-dessus soi-même, tentatives ayant pour but de passer outre aux classes et à la lutte de classes, mais qui, en réalité, portent l’eau au moulin de nos ennemis de classes ? Elles n’ont pu se produire que dans l’atmosphère de nos succès «faciles» et «inopinés» sur le front de construction des kolkhoz.

    Elles n’ont pu se produire que par suite ides tendances brouillonnes qui se manifestent dans les rangs de certaines couches du Parti : «Nous pouvons tout !», «Il ne nous en coûte rien !»

    Elles n’ont pu se produire que parce que les succès ont donné le vertige à quelques-uns de nos camarades, qui ont perdu un instant la lucidité d’esprit et la saine compréhension des choses.

    Pour redresser la ligne de notre travail en matière de construction des kolkhoz, il faut mettre un terme à ces tendances.

    C’est là maintenant une des tâches immédiates du Parti.

    L’art de la direction est chose sérieuse. Il ne faut pas rester en arrière du mouvement, car rester en arrière c’est se détacher des masses.

    Mais il ne faut pas non plus courir trop vite, car courir trop vite c’est perdre la liaison avec les masses. Celui qui veut diriger le mouvement et conserver en même temps la liaison avec les masses innombrables, doit mener la lutte sur deux fronts — et contre les retardataires, et contre ceux qui courent trop vite.

    Notre Parti est fort et invincible parce que, dirigeant le mouvement,il sait garder et multiplier ses liaisons avec les millions d’ouvriers et de paysans.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Mise au point sur la question nationale

    A propos de l’article de Sémitch

    Le Bolchevik, n° 11-12, 30 juin 1925

    Dans l’article qu’il publie maintenant, après la discussion à la commission yougoslave, le camarade Sémitch se rallie entièrement à la position adoptée par la délégation du P.C.R. à l’I.C., et l’on ne peut que l’en féliciter. Mais il ne faudrait pas croire malgré tout qu’entre la délégation du P. C. R. et lui il n’y ait pas eu des divergences de vues avant ou pendant la discussion à la commission yougoslave.

    C’est pourtant ce que semble croire le camarade Sémitch, qui s’efforce de ramener à des malentendus nos divergences de vues sur la question nationale. Mais il se trompe profondément.

    Il affirme dans son article que la polémique menée contre lui est basée sur une « série de malentendus », suscités « uniquement par la traduction incomplète » de son discours à la commission yougoslave. En somme, la faute incomberait entièrement au traducteur qui, on ne sait pourquoi, n’aurait pas complètement traduit le discours de Sémitch.

    Pour rétablir la vérité, je dois dire que cette affirmation de Sémitch ne correspond nullement à la réalité.

    Certes, Sémitch aurait mieux fait de confirmer sa déclaration par des citations du discours qu’il a prononcé à la commission yougoslave et qui est conservé dans les archives de l’Internationale communiste. Mais il n’a pas cru devoir le faire. C’est pourquoi je me vois forcé d’entreprendre à sa place cette procédure qui n’est pas des plus agréables, mais qui est absolument nécessaire.

    Cela est d’autant plus nécessaire que, même maintenant que Sémitch se solidarise entièrement avec la position de la délégation du P. C. R., il reste encore pas mal d’obscurités dans sa position.

    Dans mon discours à la commission yougoslave (v. le Bolchevik, n° 7), j’ai parlé de nos divergences de vues sur trois questions : 1° sur les moyens de résoudre la question nationale ; 2° sur le contenu social du mouvement national à l’époque actuelle ; 3° sur le rôle du facteur international dans la question nationale.

    En ce qui concerne la première question, j’ai affirmé que Sémitch « n’avait pas très bien compris comment les bolcheviks posaient la question nationale », qu’il détachait la question nationale de la question générale de la révolution, qu’il s’engageait ainsi dans une voie qui le conduisait à ramener la question nationale à une question constitutionnelle.

    Tout cela est-il exact ?

    Qu’on en juge par la lecture du passage suivant du discours prononcé par Sémitch à la commission yougoslave (30 mars. 1925) :

    Peut-on ramener la question nationale à une question constitutionnelle. Tout d’abord, bornons-nous à poser théoriquement la question. Admettons qu’un Etat X englobe trois nations : A, B et C. Ces trois nations manifestent le désir de vivre dans un seul Etat.

    De quoi s’agit-il en l’occurrence ? Évidemment de la régularisation des rapports intérieurs au sein de cet Etat. Donc, c’est là une question constitutionnelle. Dans ce cas théorique, la question nationale se ramène à la question constitutionnelle…

    Si, dans ce cas théorique, nous ramenons la question nationale à la question constitutionnelle, il faut dire, ce que j’ai toujours souligné, que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, jusques et y compris leur constitution en États indépendants, est la condition de la solution de la question constitutionnelle. Et c’est uniquement sur ce plan que je pose la question constitutionnelle.

    Ce passage du discours de Sémitch n’a pas besoin, me semble-t-il, de commentaires.

    Il est clair que ceux qui considèrent la question nationale comme partie intégrante de la question générale de la révolution prolétarienne ne peuvent la ramener à une question constitutionnelle.

    Et, inversement, seuls ceux qui détachent la question nationale de la question générale de la révolution prolétarienne peuvent la ramener à une question constitutionnelle.

    Dans un passage de son discours, Sémitch indique que le droit des nations à disposer d’elles-mêmes ne peut être conquis sans une lutte révolutionnaire. « Il est évident, dit-il, que de tels droits ne peuvent être conquis sans une lutte révolutionnaire. Ils ne peuvent pas être conquis par la voie parlementaire ; ils ne peuvent l’être que par des actions révolutionnaires de masse ».

    Mais que signifie « lutte révolutionnaire » et « actions révolutionnaires » ?

    Peut-on identifier la « lutte révolutionnaire » et les « actions révolutionnaires » au renversement de la classe dominante, à la prise du pouvoir, à la victoire de la révolution en tant que condition de la solution de la question nationale ? Certes non.

    Considérer la victoire de la révolution comme le postulat essentiel de la solution de la question nationale n’est pas du tout la même chose que faire des « actions révolutionnaires » et de la « lutte révolutionnaire » la condition de la solution de la question nationale. Il convient de remarquer que la voie des réformes, la voie constitutionnelle, n’exclut nullement les « actions révolutionnaires » et la « lutte révolutionnaire ».

    Ce qui est déterminant dans la définition du caractère révolutionnaire ou réformiste de tel ou tel parti, ce n’est pas les « actions révolutionnaires » prises en elles-mêmes, mais les buts et les tâches politiques au nom desquels elles sont entreprises et utilisées par le parti ? En 1906, après là dissolution de la première Douma, les menchéviks russes, comme on le sait, proposaient d’organiser la « grève générale », et même l’insurrection armée ».

    Mais cela ne les empêchait pas de rester des menchéviks. En effet, pourquoi proposaient-ils alors tout cela ? Certes, ce n’était pas pour abattre le tsarisme et organiser la victoire complète de la révolution, mais pour « faire pression » sur le gouvernement tsariste afin d’obtenir des réformes, afin d’obtenir l’élargissement de la « constitution » et la convocation d’une Douma « améliorée ».

    Des « actions révolutionnaires » pour la réforme de l’ancien état de choses, avec le maintien du pouvoir aux mains de la classe dominante, c’est là la voie constitutionnelle.

    Des « actions révolutionnaires » entreprises pour briser l’ancien régime, pour renverser la classe dominante, c’est là une chose toute différente, c’est là la voie menant à la victoire complète de la révolution. La différence, on le voit, est fondamentale.

    Voilà pourquoi le fait que Sémitch se réfère à la « lutte révolutionnaire », en ramenant la question nationale à une question constitutionnelle, ne réfute pas, mais au contraire corrobore la déclaration dans laquelle je disais que Sémitch « n’a pas très bien compris la façon dont les bolcheviks posent la question nationale », car il n’a pas compris qu’il faut considérer la question nationale non pas isolément, mais en liaison indissoluble avec la question de la victoire de la révolution, qu’il faut la considérer comme une partie de la question générale de la révolution.

    En insistant sur ce point, je ne crois nullement avoir dit quelque chose de nouveau sur l’erreur de Sémitch dans cette question. Au 5e congrès de l’I.C., Manouilsky a parlé, lui aussi, de cette erreur de Sémitch et a déclaré :

    Dans sa brochure La question nationale à la lumière du marxisme et dans une série d’articles publiés dans l’organe du parti communiste yougoslave, le Radnik, Sémitch pose comme mot d’ordre pratique pour le parti communiste la lutte pour la révision de la constitution, c’est-à-dire ramène toute la question du droit des nations à disposer d’elles-mêmes sur le terrain constitutionnel.

    Zinoviev, lui aussi, a parlé de cette erreur à la commission yougoslave et a déclaré : Dans la perspective du camarade Sémitch, il manque une petite chose : la révolution ; la question nationale est un problème révolutionnaire et non constitutionnel.

    Il n’est pas possible que toutes ces remarques des représentants du P. C. R. à l’Internationale communiste sur l’erreur de Sémitch soient fortuites et dénuées de fondement. Il n’y a pas de fumée sans feu.

    Voilà ce qu’il en est de la première erreur fondamentale de Sémitch, d’où découlent toutes les autres.

    En ce qui concerne la deuxième question, j’affirmais dans mon discours (v. le Bolchevik, n° 7) que Sémitch « ne veut pas considérer la question nationale comme une question essentiellement paysanne ».Est-ce exact ? Qu’on en juge par la lecture du passage suivant du discours prononcé par Sémitch à la commission yougoslave :

    En quoi consiste le sens social du mouvement national en Yougoslavie ?… Ce sens social consiste dans la rivalité entre le capital serbe, d’une part, et le capital croate et slovène, d’autre part.

    Il n’est pas douteux, évidemment, que la rivalité de la bourgeoisie serbe et de la bourgeoisie croate et slovène joue là dedans un certain rôle.

    Mais il est indubitable également que, si l’on voit le sens social d’un mouvement national dans la rivalité de la bourgeoisie des différentes nations d’un Etat, on ne peut considérer la question nationale comme une question essentiellement paysanne.

    Quel est le sens de la question nationale maintenant que, de question locale, intérieure à un Etat, elle s’est transformée en question mondiale, en question de la lutte des colonies et des nationalités vassales contre l’impérialisme ?

    L’essence de la question nationale réside maintenant dans la lutte des masses populaires des colonies et des nationalités vassales contre l’exploitation financière, contre l’asservissement politique et l’anéantissement de leur civilisation par la bourgeoisie impérialiste de la nationalité dominante.

    La question nationale étant posée ainsi, quelle importance peut avoir la rivalité des bourgeoisies des différentes nationalités ?

    Certes, cette importance ne saurait être déterminante ; dans certains cas, elle est même très petite.

    Il est évident que ce qui importe ici, ce n’est pas le fait que la bourgeoisie d’une nationalité peut battre par la concurrence la bourgeoisie d’une autre nationalité, mais le fait que le groupe impérialiste de la nationalité dominante exploite et opprime les masses, et en premier lieu les masses paysannes des colonies et des nationalités vassales, et qu’en les opprimant et en les exploitant elle les entraîne par là même dans la lutte contre l’impérialisme et en fait des alliés de la révolution prolétarienne.

    On ne peut considérer la question nationale comme une question paysanne par son essence si l’on ramène le sens social du mouvement national à la rivalité de labourgeoisie des différentes nationalités.

    Et, vice versa, on ne peut voir le sens social du mouvement national dans la rivalité de la bourgeoisie des différentes nationalités si l’on considère la question nationale comme une question paysanne par son essence.

    On ne saurait mettre entre ces deux formules le signe d’égalité.

    Sémitch se réfère à un passage de la brochure de Staline, Marxisme et question nationale, écrite à la fin de 1912.

    Dans cette brochure, il est dit que « la lutte nationale est la lutte des classes bourgeoises entre elles ». Sémitch s’appuie sur cette phrase pour justifier sa définition du sens social du mouvement national dans les conditions actuelles.

    Mais la brochure de Staline a été écrite avant la guerre impérialiste, alors que la question nationale n’avait pas encore acquis aux yeux des marxistes une importance mondiale et que la revendication essentielle des marxistes sur le droit à l’autonomie était considérée non pas comme une partie de la révolution prolétarienne, mais comme une partie de la révolution démocratique bourgeoise.

    Il serait ridicule de ne pas voir que, depuis lors, la situation internationale s’est radicalement modifiée, que la guerre, d’une part, et la révolution d’Octobre, d’autre part, ont fait de la question nationale une parcelle de la révolution socialiste prolétarienne.

    En octobre 1916, dans son article intitulé « Bilan de la discussion sur l’autonomie », Lénine disait déjà que le point essentiel de la question nationale sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes avait cessé d’être partie constitutive du mouvement démocratique général, qu’il était devenu partie constitutive de la révolution socialiste prolétarienne générale.

    Je ne parle pas des travaux ultérieurs composés par Lénine sur la question nationale, ainsi que par d’autres représentants du communisme russe.

    Quelle valeur peut avoir, après cela, la référence de Sémitch à un passage d’une brochure de Staline écrite dans la période de révolution démocratique bourgeoise en Russie, maintenant qu’en vertu de la nouvelle situation historique nous sommes entrés dans une nouvelle époque, dans l’époque de la révolution mondiale prolétarienne ?

    Sémitch, on le voit, cite hors du temps et de l’espace, sans tenir compte de la situation actuelle, violant par là les règles élémentaires de la dialectique et ne comprenant pas que ce qui est juste dans une situation historique peut être faux dans une autre.

    J’ai déjà dit dans mon discours à la commission yougoslave que, dans la façon dont les bolcheviks russes ont posé et posent la question nationale, il faut distinguer deux stades : le stade d’avant-Octobre, quand il s’agissait de la révolution démocratique bourgeoise et que la question nationale était considérée comme une partie du mouvement démocratique général, et le stade d’Octobre, quand il s’agissait de la révolution prolétarienne et que la question nationale était déjà devenue partie constitutive de la révolution prolétarienne.

    Il est inutile de démontrer que cette distinction a une importance décisive. J’ai bien peur que Sémitch n’ait pas encore compris le sens et l’importance de cette distinction pour la position de la question nationale. »

    Voilà pourquoi la tentative de Sémitch de considérer le mouvement national non pas comme une question paysanne par son essence, mais comme la question de la concurrence des bourgeoisies des différentes nationalités « recouvre une sous-estimation de la puissance du mouvement national et une incompréhension de son caractère populaire, profondément révolutionnaire ».

    Voilà ce qu’il en est de la deuxième erreur du camarade Sémitch.

    Il est à remarquer que, dans son discours à la commission yougoslave, Zinoviev dit exactement la même chose que moi de cette erreur.

    Sémitch, déclare Zinoviev, a tort d’affirmer qu’en Yougoslavie le mouvement paysan est dirigé par la bourgeoisie et que, par suite, il n’est pas révolutionnaire (Pravda, n° 83).

    Cette coïncidence est-elle fortuite ? Certes, non. Nous le répétons, il n’y a pas de fumée sans feu. Enfin, en ce qui concerne la troisième question, j’ai affirmé que Sémitch « tentait de traiter la question nationale et des perspectives probables en Europe ».

    Est-ce exact ? Oui, c’est exact. En effet, dans son discours, Sémitch n’a pas indiqué, même de façonindirecte, que la situation internationale dans les conditions actuelles représentait,

    particulièrement pour la Yougoslavie, un facteur extrêmement important dans la solution de la question nationale.

    Le fait que l’État yougoslave s’est constitué grâce à la collision de deux grandes coalitions impérialistes et que la Yougoslavie ne peut se soustraire à l’influence des forces qui agissent maintenant dans les Etats impérialistes qui l’entourent lui a complètement échappé.

    Sémitch déclare qu’il conçoit très bien qu’il puisse se produire dans la situation internationale des changements qui feraient de la question de l’autonomie une question d’actualité pratique, mais cette déclaration, dans l’état actuel des rapports internationaux, doit être considérée comme insuffisante.

    Il ne s’agit pas maintenant de reconnaître que certaines modifications qui peuvent affecter la situation internationale dans un avenir plus ou moins rapproché mettront au premier plan de l’actualité la question du droit des nations à disposer d’elles-mêmes ; les démocrates bourgeois, en cas de besoin, pourraient eux-mêmes reconnaître l’actualité de cette question.

    Il s’agit maintenant de ne pas transformer les frontières actuelles de l’État yougoslave, frontières qui sont le résultat de guerres et de violences, en point de départ, en base légitime pour la solution de la question nationale.

    De deux choses l’une : ou bien la question de l’autonomie nationale, c’est-à-dire de la modification radicale des frontières de la Yougoslavie, est un appendice éventuel au programme national, ou bien elle est la base de ce programme.

    Il est clair en tout cas que le point sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne peut être en même temps et un appendice et la base du programme national du parti communiste yougoslave. Je crains bien que Sémitch ne continue à considérer le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme un appendice perspectif au programme national.

    Voilà pourquoi je considère que Sémitch détache la question nationale de celle de la situation internationale et que, par suite, la question du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, c’est-à-dire la question de la modification des frontières de la Yougoslavie, ne soit pour lui qu’une question académique et non une questiond’actualité.

    Voilà ce qu’il en est de la troisième erreur de Sémitch. Il est à remarquer que, dans son rapport au 5e congrès de l’I.C., Manouilsky se prononce également comme moi sur cette erreur.

    Dans sa façon de poser la question nationale, Sémitch part du postulat que le prolétariat doit prendre l’État bourgeois dans les frontières établies à la suite d’une série de guerres et de violences.

    Peut-on considérer cette coïncidence comme fortuite ? Certes non. Encore une fois, pas de fumée sans feu.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Nouvelle situations, nouvelles tâches de l’édification économique

    DISCOURS PRONONCÉ A LA CONFÉRENCE DES DIRIGEANTS DE L’INDUSTRIE

    23 JUIN 1931

    Camarades, d’après les matériaux de la conférence on voit que, du point de vue de l’exécution du plan, notre industrie offre un tableau assez bigarré. Il est des industries qui, au cours des cinq mois écoulés, accusent un accroissement de production de 40 à 50 %, comparativement à l’année passée.

    Il en est d’autres où l’accroissement ne dépasse pas 20 à 30 %. Il en est enfin qui accusent un accroissement minimum, quelque 6 ou 10 %, et parfois moins encore. Au nombre de ces dernières il convient de ranger l’industrie houillère et la sidérurgie. Tableau bigarré, comme vous le voyez.

    Comment expliquer cette bigarrure ? Quelle est la raison du retard de certaines industries ?

    Quelle est la raison qui fait que certaines industries ne fournissent en tout et pour tout que 20 à 25 % d’accroissement, et que l’industrie houillère et la sidérurgie accusent un accroissement encore moindre, qu’elles se traînent à la queue des autres branches d’industrie ?

    La raison en est que, ces derniers temps, les conditions de développement de l’industrie ont radicalement changé ; une nouvelle situation s’est créée, qui réclame de nouveaux procédés de direction.

    Mais certains de nos dirigeants de l’industrie, au lieu de modifier les procédés de travail, continuent à travailler à la mode ancienne. C’est donc que les nouvelles conditions de développement de l’industrie exigent que le travail soit fait d’une nouvelle manière ; or certains de nos dirigeants de l’industrie ne le comprennent pas ; ils ne voient pas qu’il faut diriger maintenant d’une manière nouvelle.

    Là est la raison du retard de certaines branches de notre industrie.

    Que .sont ces nouvelles conditions de développement de notre industrie ? D’où sont-elles venues ?

    Ces nouvelles conditions sont pour le moins au nombre de six.

    Examinons-les.

    I ­ LA MAIND’OEUVRE

    Il s’agit avant tout d’assurer la main d’œuvre aux entreprises.

    Autrefois les ouvriers allaient ordinairement d’eux-mêmes dans les usines, dans les fabriques, il y avait donc une sorte de mouvement spontané dans ce domaine.

    Ce mouvement spontané était dû au chômage, à la différenciation dans les campagnes, à la misère, à la peur de la faim qui chassait les gens de la campagne vers la ville. Vous vous rappelez la formule : «La fuite du moujik de la campagne à la ville» ?

    Qu’est-ce qui obligeait le paysan à se sauver de la campagne vers la ville ? La peur de la faim, le chômage, parce que la campagne était pour lui une marâtre, et qu’il était prêt à la fuir au diable vauvert, pourvu qu’il reçût du travail.Il en était ainsi ou presque ainsi, chez nous, dans un passé récent.

    Peut-on dire que nous ayons maintenant exactement le même tableau ? Non, on ne saurait le dire. Au contraire, la situation a radicalement changé aujourd’hui. Et précisément parce que la situation a changé, nous n’avons plus d’afflux spontané de main d’œuvre.

    Qu’est-ce donc qui a changé en somme, pendant ce temps ?

    Premièrement, nous avons liquidé le chômage ; nous avons donc anéanti la force qui pesait sur le «marché du travail. »

    En second lieu, nous avons sapé à la racine la différenciation dans les campagnes ; nous avons donc surmonté cette misère de masse, qui chassait le paysan de la campagne vers la ville. Enfin, nous avons pourvu la campagne de dizaines de milliers de tracteurs et de machines agricoles ; nous avons battu le koulak ; nous avons organisé les kolkhoz et donné aux paysans la possibilité de vivre et de travailler humainement. Aujourd’hui, on ne peut plus dire que la campagne soit une marâtre pour le paysan.

    Et précisément pour cela, le paysan reste installé à la campagne, et nous n’avons plus ni «fuite du moujik de la campagne à la ville», ni afflux spontané de main d’œuvre.

    Vous voyez que maintenant la situation est toute nouvelle et que de nouvelles conditions sont réunies pour assurer la main d’œuvre aux entreprises.

    Que s’ensuit-il ?

    Il s’ensuit premièrement qu’on ne peut plus compter sur l’afflux spontané de la main d’œuvre. C’est donc que, de la «politique» d’afflux spontané, il faut passer à la politique de recrutement organisé des ouvriers pour l’industrie. Mais pour ce faire il n’existe qu’une seule voie, celle des contrats des organisation économiques avec les kolkhoz et les kolkhoziens.

    Vous savez que certaines organisations économiques et certains kolkhoz se sont déjà engagés dans cette voie, et l’expérience a montré que la pratique des contrats donne de sérieux résultats, tant pour les kolkhoz que pour les entreprises industrielles.

    Il s’ensuit deuxièmement que nous devons passer sans délai à la mécanisation des processus les plus pénibles du travail, en poussant les choses à fond (industrie forestière, bâtiment, industrie houillère, chargement et déchargement, transports, sidérurgie, etc.).

    Cela ne signifie pas évidemment qu’il faille abandonner le travail manuel. Au contraire, le travail manuel jouera encore longtemps un rôle des plus sérieux dans la production.

    Mais cela signifie que la mécanisation des processus du travail est pour nous cette force nouvelle et décisive, sans laquelle il est impossible de soutenir ni nos rythmes, ni les nouvelles échelles de production.

    Nous comptons encore bon nombre de dirigeants de l’industrie, qui «ne croient pas» à la mécanisation, ni aux contrats avec les kolkhoz.

    Ce sont ceux qui ne comprennent pas la nouvelle situation, ne veulent pas travailler d’une manière nouvelle et soupirent après le «bon vieux temps», où la main d’oeuvre «allait d’elle-même» aux entreprises.

    Inutile de dire que de pareils dirigeants sont aussi éloignés, que le ciel l’est de la terre, des nouvelles tâches que la nouvelle situation pose devant nous quant à la construction de l’économie. Ils pensent, apparemment, que les difficultés de main d’œuvre sont un phénomène accidentel ; que le manque de main d’œuvre disparaîtra de lui-même, pour ainsi dire d’une façon spontanée. C’est une erreur, camarades.

    Les difficultés de main d’œuvre ne peuvent disparaître d’elles-mêmes. Elles ne peuvent disparaître qu’au prix de nos propres efforts.

    Ainsi donc, recruter de façon organisée la main d’œuvre au moyen de contrats passés avec les kolkhoz, mécaniser le travail : telle est la tâche.

    Voilà ce qu’il en est de la première nouvelle condition du développement de notre industrie.

    Passons à la deuxième condition.

    II ­ LE SALAIRE DES OUVRIERS

    Je viens de parler du recrutement organisé des ouvriers pour nos entreprises. Mais recruter des ouvriers ne signifie pas encore avoir tout fait. Pour assurer la main d’œuvre à nos entreprises, il faut que les ouvriers soient attachés à la production et que l’effectif ouvrier à l’entreprise soit plus ou moins stable.

    Il est à peine besoin de démontrer que sans un effectif permanent d’ouvriers, qui se seraient plus ou moins assimilé la technique de la production et habitués aux nouveaux mécanismes, il est impossible d’aller de l’avant, impossible d’exécuter les plans de production.

    Car autrement l’on serait chaque fois obligé d’instruire les nouveaux ouvriers et de perdre la moitié du temps à leur apprentissage, au lieu de l’utiliser à la production. Et que se passe-t-il en réalité ? Peut-on dire que l’effectif des ouvriers dans nos entreprises soit plus ou moins permanent ?Malheureusement, on ne peut pas le dire.

    Au contraire, il y a encore dans nos entreprises ce qu’on appelle la fluctuation de la main d’œuvre. Bien plus, dans une série d’entreprises, la fluctuation de la main d’œuvre, loin de disparaître, augmente, s’accentue. En tout cas, vous trouverez peu d’entreprises dont l’effectif des ouvriers ne change pas, au cours d’un semestre ou même d’un trimestre, dans la proportion d’au moins 30 à 40 %.

    Autrefois, dans la période de rétablissement de l’industrie, alors que notre outillage technique n’était pas compliqué, et que les échelles de production n’étaient pas grandes, on pouvait «tolérer» tant bien que mal ce qu’on appelle les fluctuations de main d’œuvre. Maintenant c’est autre chose.

    La situation a changé radicalement. En cette période de vaste reconstruction, alors que les échelles de production sont immenses et l’outillage technique compliqué à l’extrême, la fluctuation de la main d’œuvre est devenue pour la production un fléau qui désorganise nos entreprises.

    «Tolérer» maintenant les fluctuations de main d’œuvre, c’est désagréger notre industrie, supprimer la possibilité d’exécuter les plans de production, la possibilité d’améliorer la qualité des produits.

    Quelle est la cause des fluctuations de la main d’œuvre ?

    C’est l’organisation défectueuse des salaires, le système défectueux des tarifs, c’est le nivellement «gauchiste» dans le domaine des salaires.

    Dans une série de nos entreprises les taux de salaires sont établis de telle sorte que la différence disparaît presque entre le travail qualifié et le travail non qualifié, entre le travail pénible et le travail facile.

    Le nivellement a pour résultat que l’ouvrier non qualifié n’a pas intérêt à passer dans la catégorie des ouvriers qualifiés, et qu’il est ainsi privé de perspectives d’avancement, ce qui fait qu’il se sent comme «en villégiature» dans la production, ne travaillant que temporairement pour «se faire un peu d’argent» et s’en aller ensuite autre part «chercher fortune. »

    Le nivellement a pour résultat que l’ouvrier qualifié est contraint de passer d’entreprise en entreprise pour en trouver, enfin, une où l’on sache apprécier comme il se doit le travail qualifié.

    De là le mouvement «général» d’entreprise en entreprise la fluctuation de la main d’œuvre.

    Pour remédier à ce mal, il faut supprimer le nivellement et briser l’ancien système des tarifs. Pour remédier à ce mal, il faut organiser un système de tarifs, qui tienne compte de la différence entre le travail qualifié et le travail non qualifié, entre le travail pénible et le travail facile.

    On ne peut tolérer qu’un rouleur de la sidérurgie touche autant qu’un balayeur. On ne peut tolérer qu’un mécanicien de chemin de fer touche autant qu’un copiste.

    Marx et Lénine disent que la différence entre le travail qualifié et le travail non qualifié existera même sous le socialisme, même après la suppression des classes ; que ce n’est que sous le communisme que doit disparaître cette différence ; que de ce fait le «salaire», même sous le socialisme, doit être payé selon le travail, et non selon les besoins.

    Mais nos niveleurs parmi les dirigeants de l’industrie et les militants syndicaux ne sont pas d’accord avec cette thèse ; ils estiment que cette différence a déjà disparu sous notre régime des Soviets. Qui a raison, Marx et Lénine ou les niveleurs ?

    Il faut croire qu’ici c’est Marx et Lénine qui ont raison. Mais alors il s’ensuit que celui qui bâtit maintenant le système des tarifs sur les «principes» du nivellement, sans tenir compte de la différence entre le travail qualifié et le travail non qualifié, celui-là brise avec le marxisme, brise avec le léninisme.

    Dans chaque industrie, dans chaque entreprise, dans chaque atelier il existe des groupes essentiels d’ouvriers plus ou moins qualifiés, qu’il faut attacher à la production, avant tout et surtout si nous voulons réellement assurer la stabilité de l’effectif ouvrier à l’entreprise.

    Ces groupes essentiels d’ouvriers constituent, eux, le chaînon fondamental de la production. Les attacher à l’entreprise, à l’atelier, c’est attacher tout l’effectif des ouvriers, c’est saper à là base la fluctuation de la main d’œuvre.

    Et comment les attacher à l’entreprise ?

    On ne peut les attacher qu’en leur donnant de l’avancement, en augmentant leurs salaires, en organisant le système des salaires de façon que la qualification du travailleur soit convenablement appréciée. Et que veut dire leur donner de l’avancement, élever le niveau de leur salaire ?

    C’est en plus de toutes autres choses, ouvrir des perspectives devant les ouvriers non qualifiés, les encourager à l’avancement et les faire passer dans la catégorie des ouvriers qualifiés. Vous savez vous-mêmes que nous avons besoin maintenant de centaines de milliers et de millions d’ouvriers qualifiés.

    Mais pour former des ouvriers qualifiés, il faut encourager les ouvriers non spécialisés et leur donner la perspective d’un avancement, d’une élévation continue. Plus hardiment nous nous engagerons dans cette voie, et mieux cela vaudra ; car c’est là le principal moyen de remédier aux fluctuations de la main d’œuvre.

    Économiser en cette affaire, c’est commettre un crime, c’est marcher contre les intérêts de notre industrie socialiste.

    Mais ce n’est pas tout.Pour fixer les ouvriers à l’entreprise il faut continuer à améliorer le ravitaillement et les conditions de logement.

    On ne saurait nier que dans le domaine de la construction d’habitations et du ravitaillement des ouvriers, il a été fait beaucoup en ces dernières années. Mais ce qui a été fait est absolument insuffisant pour couvrir les besoins rapidement accrus des ouvriers.

    On ne peut invoquer cet argument qu’autrefois les habitations étaient moins nombreuses qu’aujourd’hui et que, par conséquent, l’on peut s’en tenir aux résultats obtenus.

    On ne peut non plus invoquer l’argument qu’autrefois le ravitaillement des ouvriers était autrement défectueux qu’aujourd’hui et que, par conséquent, l’on peut se contenter de l’état actuel des choses.

    Seuls des gens pourris et rancis jusqu’à la moelle peuvent se consoler en invoquant le passé. Il ne faut pas prendre comme point de départ le passé, mais les besoins croissants des ouvriers dans le présent. Il faut comprendre que les conditions d’existence des ouvriers, de chez nous ont radicalement changé. L’ouvrier aujourd’hui n’est pas ce qu’il était autrefois.

    L’ouvrier de nos jours, notre ouvrier soviétique, veut vivre de façon à pourvoir à tous ses besoins matériels et culturels au point de vue de son ravitaillement en produits alimentaires, et au point de vue du logement, et au point de vue de la satisfaction des besoins culturels et de tous les autres besoins. Il en a le droit, et nous avons le devoir de lui assurer ces conditions.

    Il est vrai que chez nous il ne souffre pas du chômage, il est libéré du joug du capitalisme ; il n’est plus un esclave, il est le maître de sa besogne.

    Mais cela ne suffit pas. Il exige que tous ses besoins matériels et culturels soient satisfaits, et nous avons le devoir de faire droit à cette revendication. N’oubliez pas que nous-mêmes formulons maintenant certaines exigences à l’égard de l’ouvrier, nous exigeons de lui la discipline du travail, un effort intense, l’émulation, un travail de choc.

    N’oubliez pas que l’énorme majorité des ouvriers ont accepté ces exigences du pouvoir des Soviets avec un grand enthousiasme, et qu’ils s’en acquittent héroïquement. Aussi ne vous étonnez pas si, se conformant aux exigences du pouvoir des Soviets, les ouvriers exigent à leur tour que celui-ci remplisse ses engagements quant à l’amélioration continue de la situation matérielle et culturelle des ouvriers.

    Ainsi, faire disparaître la fluctuation de la main d’œuvre, supprimer le nivellement, organiser judicieusement les salaires, améliorer les conditions d’existence des ouvriers ; telle est la tâche.

    Voilà ce qu’il en est de la deuxième nouvelle condition du développement de notre industrie. Passons à la troisième condition.

    III ­ ORGANISATION DU TRAVAIL

    J’ai parlé plus haut de la nécessité de faire disparaître la fluctuation de la main d’œuvre, d’attacher les ouvriers aux entreprises. Mais attacher les ouvriers, ce n’est pas encore épuiser le problème.

    Il ne suffit pas de faire disparaître la fluctuation. Il faut encore placer les ouvriers dans des conditions de travail leur permettant de travailler avec intelligence, d’élever le rendement, d’améliorer la qualité de la production.

    Il s’agit, par conséquent, d’organiser le travail dans les entreprises de telle sorte que le rendement augmente de mois en mois, de trimestre en trimestre.

    Peut-on dire que l’actuelle organisation du travail, telle qu’elle existe dans nos entreprises, réponde aux exigences modernes de la production ?

    Non, malheureusement. En tout cas, jusqu’à présent, nous avons encore des entreprises où l’organisation du travail ne vaut rien ; où, au lieu de l’ordre et de la cohésion dans le travail, c’est le désordre et la confusion ; où, au lieu de la responsabilité pour le travail, règnent une totale irresponsabilité, l’absence de responsabilité personnelle.

    Qu’est-ce que l’absence de responsabilité personnelle ? C’est l’absence de toute responsabilité pour le travail confié, pour les mécanismes, pour les machines, pour les outils.

    On conçoit qu’avec l’absence de responsabilité il ne puisse être question d’un essor tant soit peu sérieux de la productivité du travail, de l’amélioration de la qualité des produits, du soin que l’on prend des mécanismes, des machines, des outils.

    Vous savez ce qu’a amené l’absence de responsabilité personnelle dans les chemins de fer. Elle a abouti aux mêmes résultats dans l’industrie. Nous avons remédié à l’absence de responsabilité ; dans les chemins de fer, et amélioré le travail de ces derniers. Nous devons en faire autant pour l’industrie, afin d’élever son travail à un degré supérieur.

    Autrefois l’on pouvait encore, tant bien que mal, «se contenter» de cette organisation défectueuse du travail, qui s’accommode aisément de l’absence de responsabilité de chacun pour un travail précis.

    Maintenant c’est autre chose. La situation est tout autre.

    Avec les grandioses échelles actuelles de la production et les entreprises géantes, l’absence de responsabilité personnelle est un fléau de l’industrie ; elle met en péril toutes nos réalisations, en matière de production et d’organisation, dans les entreprises.

    Comment l’absence de responsabilité personnelle a-t-elle pu prendre racine dans certaines de nos entreprises ?

    Elle est venue là comme l’illégitime compagne de route de la semaine ininterrompue. Il serait faux de dire que la semaine ininterrompue entraîne, forcément, l’absence de responsabilité personnelle dans la production.

    Avec une juste organisation du travail, avec l’organisation de la responsabilité de chacun pour un travail déterminé, avec des groupes déterminés d’ouvriers attachés aux mécanismes, aux machines, avec une juste organisation des équipes qui ne le cèdent en rien les unes aux autres pour la qualité et la qualification, ces conditions étant réunies, la semaine ininterrompue amène un accroissement énorme du rendement et l’amélioration de la qualité du travail ; elle élimine le défaut de responsabilité personnelle.

    Les choses vont ainsi, par exemple, dans les chemins de fer, où l’on pratique maintenant la semaine de travail ininterrompue, mais où il n’y a plus de défaut de responsabilité personnelle.

    Peut-on dire que dans les entreprises industrielles nous ayons un tableau aussi favorable en ce qui concerne la semaine ininterrompue ?

    Malheureusement non.

    La vérité est que certaines de nos entreprises ont adopté la semaine ininterrompue avec trop de hâte, sans préparer les conditions nécessaires, sans organiser comme il faut les équipes, plus on moins égales en valeur pour la qualité et la qualification, sans organiser la responsabilité de chacun pour un travail précis.Conséquence : la semaine ininterrompue, livrée aux forces élémentaires, a abouti à l’absence de responsabilité personnelle.

    Il en est résulté que nous avons dans une série d’entreprises, une semaine ininterrompue fictive, verbale, et une absence de responsabilité personnelle qui n’est pas fictive, qui est réelle.

    Il en est résulté : absence du sentiment de responsabilité pour le travail, négligence pour les mécanismes, détérioration en masse des machines outils et absence de stimulant pour élever la productivité du travail.

    Ce n’est pas sans raison que les ouvriers disent : «Nous aurions bien élevé le rendement et amélioré le travail, mais qui donc nous apprécierait puisque personne n’est responsable ?»

    Il en résulte que certains de nos camarades se sont trop hâtés, çà et là, d’introduire la semaine ininterrompue et, dans leur précipitation, ils ont déformé la semaine ininterrompue, ils l’ont transformée en absence de responsabilité.

    Pour remédier à cette situation et à l’absence de responsabilité, il existe deux solutions.

    Ou bien modifier les conditions d’application de la semaine ininterrompue, à l’exemple de ce qui a été fait sur les chemins de fer, de façon qu’elle ne puisse se transformer en absence de responsabilité.

    Ou bien, là où les conditions favorables pour une telle expérience font actuellement défaut, rejeter la semaine ininterrompue fictive, passer provisoirement à la semaine interrompue de 6 jours, comme on l’a fait récemment à l’usine de tracteurs de Stalingrad, et préparer les conditions pour revenir, ensuite, à la semaine ininterrompue, réelle, non fictive, pour revenir à la semaine ininterrompue sansabsence de responsabilité personnelle.

    Pas d’autre solution.

    Il est hors de doute que les dirigeants de notre industrie se rendent bien compte de tout cela. Mais ils se taisent.

    Pourquoi ? Parce que, apparemment, ils craignent la vérité. Mais depuis quand les bolcheviks craignent-ils la vérité ? N’est-il pas exact que dans une série d’entreprises la semaine ininterrompue s’est transformée en absence de responsabilité personnelle ; que de cette façon le sens de la semaine ininterrompue est dénaturé à l’extrême ?

    On se demande à quoi sert une telle semaine ininterrompue.

    Qui osera dire que la nécessité de maintenir cette semaine ininterrompue, altérée et fictive, est supérieure à la nécessité d’une organisation judicieuse du travail, supérieure aux intérêts du développement de la productivité du travail, supérieure aux intérêts d’une semaine ininterrompue véritable, supérieure ; aux intérêts de notre industrie socialiste ?

    N’est-il pas clair que plus vite nous enterrerons la semaine ininterrompue fictive, et plus vite nous arriverons à organiser une semaine ininterrompue véritable, qui n’existera pas que sur le papier ?

    Certains camarades pensent que l’on peut remédier à l’absence de responsabilité personnelle par des exorcismes, par des discours grandiloquents.

    Je connais, en tout cas, plusieurs dirigeants de l’industrie qui, dans leur lutte contre le défaut de responsabilité, se bornent à intervenir chaque fois dans les réunions, en proférant des malédictions à son adresse, ils estiment apparemment qu’après de tels discours ce défaut doit disparaître de lui-même, pour ainsi dire de façon spontanée.

    Ils se trompent lourdement, s’ils pensent que ce défaut peut être éliminé de la pratique par des discours et des exorcismes. Non, camarades, le défaut de responsabilité personnelle ne disparaîtra jamais de lui-même.

    Nous, et nous seuls, pouvons et devons y remédier, car nous sommes au pouvoir, vous et nous, et nous répondons ensemble de toute chose, y compris le défaut de responsabilité.

    Je pense qu’il vaudrait beaucoup mieux que nos dirigeants de l’industrie, au lieu de s’occuper de discours et d’exorcismes, s’installent pour un mois ou deux, par exemple, dans la mine ou à l’usine, étudient sur place tous les détails et «petites choses» de l’organisation du travail, y suppriment pratiquement le défaut de responsabilité pour, ensuite, généraliser l’expérience de l’entreprise en question, aux autres entreprises.

    Cela vaudrait beaucoup mieux. Ce serait là lutter effectivement contre le défaut de responsabilité, lutter pour l’organisation judicieuse, bolchevique du travail, lutter pour la répartition, judicieuse des forces à l’entreprise.

    Ainsi donc, remédier à l’absence de responsabilité personnelle, améliorer l’organisation du travail, répartir judicieusement les forces à l’entreprise ; telle est la tâche.

    Voilà ce qu’il en est de la troisième nouvelle condition du développement de notre industrie.

    Passons à la quatrième condition.

    IV ­ LA QUESTION DES INTELLECTUELS TECHNICIENS DE LA PRODUCTION, ISSUS DE LA CLASSE OUVRIERE

    La situation a changé également en ce qui concerne les cadres de l’industrie en général, le personnel d’ingénieurs et techniciens en particulier.

    Autrefois, les choses se présentaient ainsi : la base houillère et métallurgique d’Ukraine était la source principale de toute notre industrie.

    L’Ukraine approvisionnait en métal toutes nos régions industrielles, aussi bien le Sud que Moscou et Leningrad. C’était elle encore qui fournissait de charbon nos principales entreprises en U.R.S.S.

    J’exclus ici l’Oural, étant donné que la part de l’Oural, en comparaison du bassin du Donetz, n’était qu’une grandeur insignifiante.

    C’est ainsi que nous avions trois principaux foyers pour la formation des cadres de l’industrie : le Sud, la région de Moscou, la région de Leningrad. On conçoit qu’avec un tel état de choses nous pouvions nous accommoder tant bien que mal du minimum d’ingénieurs et de techniciens dont pouvait alors disposer notre pays.

    Il en était ainsi dans un passé récent.

    Mais maintenant la situation est tout autre. Maintenant il est clair, je pense, qu’en conservant les rythmes actuels de développement et les gigantesques échelles de production, nous ne pouvons plus nous en tirer avec la seule base houillère et métallurgique d’Ukraine. Vous savez que, malgré l’accroissement de leur production, nous n’avons pas assez de la houille et du métal ukrainiens.

    Vous savez que nous sommes obligés, pour cette raison, de créer une nouvelle base houillère et métallurgique à l’Est, à savoir : l’Oural-Kouzbass. Vous savez que cette base, nous travaillons à la créer non sans succès. Mais cela ne suffit pas.

    Il nous faut créer ensuite une métallurgie dans la Sibérie même, pour satisfaire à ses besoins croissants.

    Et nous y travaillons déjà. Il nous faut créer, en outre, une nouvelle base de métallurgie non ferreuse au Kazakhstan, au Turkestan.

    Enfin, il nous faut procéder à de vastes travaux de construction de voies ferrées.

    C’est ce que nous dictent les intérêts de l’U.R.S.S. dans son ensemble, les intérêts des Républiques de la périphérie aussi bien que ceux du centre.

    Il s’ensuit donc que nous ne pouvons plus nous contenter du minimum d’ingénieurs, de techniciens et de chefs de l’industrie, dont nous nous accommodions auparavant.

    Il s’ensuit que les vieux foyers pour la formation d’ingénieurs et de techniciens ne suffisent plus ; qu’il est nécessaire de ‘créer tout un réseau de nouveaux foyers dans l’Oural, en Sibérie, en Asie centrale.

    Il nous faut aujourd’hui nous assurer un nombre trois fois, cinq fois plus grand d’ingénieurs, de techniciens et de chefs de l’industrie, si nous voulons réellement accomplir le programme d’industrialisation socialiste de l’U.R.S.S.

    Mais ce qu’il nous faut, ce ne sont pas des chefs, des ingénieurs et des techniciens quelconques. Il nous faut des chefs, des ingénieurs et des techniciens tels qu’ils soient capables de comprendre la politique de la classe ouvrière de notre pays, capables de s’assimiler cette politique et prêts à la réaliser en conscience.

    Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que notre pays est entrédans une phase de développement, où la classe ouvrière doit former

    ses propres intellectuels techniciens de la production, capables de défendre dans la production les intérêts de la classe ouvrière comme intérêts de la classe dominante.

    Aucune classe dominante n’a pu se passer de ses propres intellectuels. Il n’y a aucune raison de mettre en doute le fait que la classe ouvrière de l’U.R.S.S., elle non plus, ne peut se passer de ses propres intellectuels techniciens de la production.

    Le pouvoir des Soviets a tenu compte de cette circonstance, et il a ouvert aux hommes de la classe ouvrière les portes des écoles supérieures, pour toutes les branches de l’économie nationale. Vous savez que des dizaines de milliers de jeunes ouvriers et paysans étudient maintenant dans les écoles supérieures.

    Si autrefois, sous le capitalisme, les écoles supérieures étaient le monopole des fils à papa, maintenant, sous le régime soviétique, c’est la jeunesse ouvrière et paysanne qui y constitue la force dominante.

    Il est hors de doute que nos établissements scolaires nous donneront bientôt des milliers de nouveaux techniciens et ingénieurs, de nouveaux chefs de notre industrie.

    Mais ce n’est là qu’un côté de la question.

    L’autre côté, c’est que les intellectuels techniciens de la production, issus de la classe ouvrière, ne seront pas formés seulement parmi les hommes sortis de l’école supérieure ; ils seront aussi recrutés parmi les praticiens occupés dans nos entreprises, parmi les ouvriers qualifiés, parmi les éléments cultivés de la classe ouvrière à l’usine, à la fabrique, à la mine.

    Les initiateurs de l’émulation, les conducteurs des brigades de choc, les inspirateurs pratiques de l’enthousiasme au travail, les organisateurs des travaux sur tels ou tels secteurs de la construction : voilà le nouveau contingent de la classe ouvrière qui, avec les camarades sortis de l’école supérieure doit former le noyau des intellectuels de la classe ouvrière, le noyau du commandement de notre industrie.

    La tâche consiste à ne pas refouler ces camarades pleins d’initiative, à les pousser plus hardiment aux postes de commande, à leur donner la possibilité de montrer leurs capacités d’organisation, à leur donner la possibilité de compléter leurs connaissances et à créer pour eux une ambiance appropriée, sans regarder à l’argent.

    Il y a bon nombre de sans-parti parmi ces camarades. Mais cela ne saurait être un obstacle pour les pousser plus hardiment aux postes de direction.

    Au contraire, ce sont eux précisément, ce sont ces camarades sans-parti qu’il faut entourer d’une attention particulière, pousser aux postes de commande, afin qu’ils se rendent compte, dans les faits, que le Parti sait apprécier les travailleurs capables et doués. Certains camarades pensent que dans les fabriques, dans les usines, les postes de direction ne sauraient être confiés qu’à des camarades du Parti.

    C’est pour cette raison qu’ils refoulent souvent des camarades sans-parti capables et pleins d’initiative, pour faire avancer au premier rang des membres du Parti, bien que moins capables et sans initiative.

    Inutile de dire qu’il n’y a rien de plus stupide et de plus réactionnaire qu’une telle «politique», s’il est permis de l’appeler ainsi. Il est à peine besoin de démontrer qu’avec une telle «politique», on ne peut que discréditer le Parti et en éloigner les ouvriers sans-parti.

    Notre politique ne consiste pas du tout à transformer le Parti en une caste fermée. Notre politique veut qu’entre les ouvriers membres du Parti et les ouvriers sans-parti il y ait une atmosphère de «confiance mutuelle», une atmosphère de «contrôle mutuel» (Lénine).

    Notre Parti est fort dans la classe ouvrière, entre autres, parce qu’il applique précisément cette politique.

    Ainsi donc, faire en sorte que la classe ouvrière de l’U.R.S.S.

    possède ses propres intellectuels techniciens de la production ; telle est la tâche.

    Voilà ce qu’il en est de la quatrième nouvelle condition du développement de notre industrie.

    Passons à la cinquième condition.

    V ­ LES INDICES D’UN TOURNANT PARMI LES VIEUX INTELLECTUELS TECHNICIENS DE LA PRODUCTION

    La question de l’attitude à observer envers les vieux intellectuels bourgeois techniciens de la production se pose, elle aussi, d’une autre manière.

    Il y a quelque deux ans les choses se présentaient ainsi : la partie la plus qualifiée des vieux intellectuels techniciens était atteinte de la maladie du sabotage. Bien plus, le sabotage était alors une mode en son genre.

    Les uns sabotaient, les autres couvraient les saboteurs, d’autres encore s’en lavaient les mains et gardaient la neutralité ; d’autres enfin balançaient entre le pouvoir des Soviets et les saboteurs.

    Certes, la majorité des vieux intellectuels techniciens continuait à travailler avec plus ou moins de loyauté. Mais il s’agit ici, non de la majorité, mais de la partie la plus qualifiée des intellectuels techniciens.

    Qu’est-ce qui engendrait le mouvement de sabotage ? Qu’est-ce qui l’entretenait ?

    L’aggravation de la lutte de classes à l’intérieur de l’U.R.S.S., la politique d’offensive du pouvoir des Soviets à l’égard des éléments capitalistes de la ville et de la campagne, la résistance de ces derniers à la politique du pouvoir des Soviets, la situation internationale complexe, les difficultés de construction des kolkhoz et des sovkhoz.

    Si l’activité de la partie combative des saboteurs était épaulée par les plans d’intervention des impérialistes des pays capitalistes et par les difficultés en matière de céréales à l’intérieur du pays, les oscillations de l’autre partie des vieux intellectuels techniciens vers les saboteurs actifs, étaient renforcées par les propos en vogue des bavards trotskistes-menchéviks, disant que «pour ce qui est des kolkhoz et des sovkhoz, de toute façon il n’en sortira rien» ; que «le pouvoir des Soviets dégénère de toute façon et doit bientôt tomber» ; que «par leur politique les bolcheviks favorisent eux-mêmes l’intervention», etc., etc.

    En outre, puisque même certains vieux bolcheviks parmi les fauteurs de la déviation de droite n’ont pas résisté à la «contagion» et, durant cette période, ont fait un écart qui les a éloignés du Parti, il n’y a pas sujet de s’étonner que certains vieux intellectuels techniciens, qui n’avaient jamais tâté du bolchévisme, aient, eux aussi, avec l’aide de Dieu, chancelé.

    On conçoit qu’en cette situation le pouvoir des Soviets n’ait pu pratiquer à l’égard des vieux intellectuels techniciens qu’une seule et unique politique : écraser les saboteurs actifs, différencier les neutres et gagner à nous les loyaux.

    Il en était ainsi il y a un an ou deux.

    Peut-on dire que la situation d’aujourd’hui soit exactement la même ?Non, on ne peut pas le dire.

    Au contraire, la situation qui s’est créée maintenant est tout autre.

    D’abord, nous avons battu et nous réduisons avec succès les éléments capitalistes de la ville et des campagnes.

    Evidemment, cela n’est pas fait pour réjouir les vieux intellectuels. Il est très probable qu’ils continuent à manifester de la sympathie à leurs amis battus.

    Mais on n’a jamais vu des sympathisants et, à plus forte raison, des neutres et des hésitants consentir volontairement à partager le sort de leurs amis actifs, après que ces derniers ont essuyé une défaite cruelle, irrémédiable.

    Puis nous avons surmonté les difficultés en ce qui concerne les céréales, et non seulement nous les avons surmontées, mais nous exportons à l’étranger une quantité de blé comme nous n’en avons pas encore exporté depuis qu’existe le pouvoir des Soviets.

    Par conséquent, cet «argument» des hésitants tombe lui aussi.

    Ensuite, même les aveugles voient maintenant que sur le front de construction des kolkhoz et des sovkhoz, nous avons décidément vaincu, remporté d’immenses succès.

    Par conséquent, le principal argument dans l’ «arsenal» des vieux intellectuels s’est effondré. En ce qui concerne les espoirs interventionnistes des intellectuels bourgeois, il faut reconnaître qu’ils on été — jusqu’à présent du moins, — comme une bicoque bâtie sur le sable.

    En effet, durant six années on a promis l’intervention armée et pas une fois on n’a essayé d’intervenir. Il est temps de reconnaître que l’on avait simplement mené par le bout du nez nos perspicacesintellectuels bourgeois. Sans compter que la conduite même des saboteurs actifs au procès de Moscou devait découronner et a effectivement découronné l’idée du sabotage.

    On conçoit que ces nouvelles circonstances n’aient pu rester sans influer sur nos vieux intellectuels techniciens. La nouvelle situation devait créer, et elle a effectivement créé un nouvel état d’esprit parmi les vieux intellectuels techniciens.

    C’est ce qui explique proprement que nous avons des indices certains d’un revirement vers le pouvoir des Soviets, chez une certaine partie des intellectuels qui, autrefois, sympathisaient avec les saboteurs.

    Le fait que non seulement cette catégorie de vieux intellectuels, mais même les saboteurs avérés d’hier, une partie considérable d’entre eux, commencent à travailler dans les usines et les fabriques, de pair avec la classe ouvrière, — ce fait atteste indéniablement que le revirement a déjà commencé parmi les vieux intellectuels techniciens. Cela ne signifie pas, évidemment, qu’il n’y ait plus chez nous de saboteurs. Non.

    Les saboteurs existent et existeront aussi longtemps qu’il y aura des classes chez nous, aussi longtemps que subsistera l’encerclement capitaliste.

    Mais cela signifie : dès l’instant qu’une partie considérable des vieux intellectuels techniciens qui auparavant sympathisaient d’une façon ou d’une autre avec les saboteurs, s’est tournée aujourd’hui vers le pouvoir des Soviets, les saboteurs actifs sont restés en petit nombre, ils sont isolés et ils devront pour l’instant se confiner dans une action strictement clandestine.

    Il s’ensuit donc que notre politique, elle aussi, doit changer à l’égard des vieux intellectuels techniciens. Si, au plus fort du sabotage, notre attitude envers les vieux intellectuels techniciens s’est traduitesurtout par une politique d’écrasement, aujourd’hui que ces intellectuels se tournent vers le pouvoir des Soviets, notre attitude à leur égard doit se traduire surtout par la politique que voici : les gagner à nous et leur montrer de la sollicitude.

    Il serait faux et anti-dialectique de continuer l’ancienne politique dans les conditions nouvelles, modifiées.

    Il serait stupide et déraisonnable de considérer maintenant presque chaque spécialiste ou ingénieur de la vieille école, comme un criminel et un saboteur, qui n’a pas été pris sur le fait. «Manger du spécialiste» a toujours été considéré et est encore considéré, chez nous, comme un phénomène nuisible et honteux.

    Ainsi, donc, modifier l’attitude à l’égard des ingénieurs et techniciens de la vieille école, leur montrer plus d’attention et de sollicitude, les attirer plus hardiment au travail ; telle est la tâche.

    Voilà ce qu’il en est de la cinquième nouvelle condition du développement de notre industrie.

    Passons à la dernière condition.

    VI ­ SUR LE PRINCIPE DU RENDEMENT COMMERCIAL

    Le tableau serait incomplet si je ne disais rien d’une nouvelle condition encore. Il s’agit des sources d’accumulation pour l’industrie, pour l’économie nationale, de l’intensification des rythmes de cette accumulation.

    Qu’y a-t-il de nouveau et de particulier dans le développement de notre industrie du point de vue de l’accumulation ? C’est que les anciennes sources d’accumulation commencent à ne plus suffire au développement de l’industrie.C’est qu’il est nécessaire, par conséquent, de trouver de nouvelles sources d’accumulation et de renforcer les anciennes, si nous voulons vraiment maintenir et développer les rythmes bolcheviks d’industrialisation.

    L’histoire des pays capitalistes nous apprend qu’il n’est pas un seul Etat jeune qui, désireux d’élever son industrie à un degré supérieur, ait pu se passer de l’aide du dehors sous forme d’emprunts ou de crédits à long terme.

    Partant de là, les capitalistes des pays d’Occident ont refusé net à notre pays crédits et emprunts, estimant que l’absence de crédits et d’emprunts saperait à coup sûr l’industrialisation de notre pays. Mais les capitalistes se sont trompés.

    Ils n’ont pas tenu compte du fait que notre pays, à la différence des pays capitalistes, dispose de sources particulières d’accumulation, suffisantes pour rétablir et développer plus avant l’industrie.

    En effet, non seulement nous avons rétabli l’industrie, rétabli l’agriculture et les transports, mais nous avons déjà mis en train cette œuvre grandiose qu’est la reconstruction de l’industrie lourde, de l’agriculture, des transports.

    On conçoit que cette œuvre ait absorbé des dizaines de milliards de roubles. Où avons­nous puisé ces milliards ? Dans l’industrie légère, dans l’agriculture, dans les accumulations budgétaires. Il en allait ainsi jusqu’à ces derniers temps.

    Maintenant les choses se présentent d’une tout autre manière. Si auparavant les vieilles sources d’accumulation suffisaient à la reconstruction de l’industrie et des transports, aujourd’hui elles commencent manifestement à ne plus suffire. Il ne s’agit plus de reconstruire la vieille industrie. Il s’agit de créer une industrienouvelle, techniquement équipée, dans l’Oural, en Sibérie, au Kazakhstan.

    Il s’agit de créer une nouvelle grande production agricole dans les régions de céréales, d’élevage et de matières premières de l’U.R.S.S.

    Il s’agit de créer un nouveau réseau de chemins de fer entre l’est et l’ouest de l’U.R.S.S. On conçoit que les vieilles sources d’accumulation ne puissent plus suffire à cette œuvre grandiose.

    Mais ce n’est pas tout. Ajoutons à cela que, par suite de la mauvaise gestion, le principe du rendement commercial s’est avéré absolument compromis dans toute une série de nos entreprises et organisations économiques.

    C’est un fait que dans une série d’entreprises et d’organisations économiques on a cessé depuis longtemps de compter, de calculer, de dresser des bilans justifiés des recettes et des dépenses. C’est un fait que dans une série d’entreprises et d’organisations économiques, les notions : «régime d’économie», «réduction des dépenses improductives», «rationalisation de la production», sont depuis longtemps passées de mode.

    On escompte apparemment que la Banque d’État «délivrera quand même les sommes nécessaires». C’est un fait que depuis quelque temps le prix de revient monte dans toute une série d’entreprises. La tâche leur a été assignée d’abaisser le prix de revient de 10 % et plus ; or elles relèvent.

    Et qu’est-ce que la baisse du prix de revient ? Vous savez que chaque pour-cent de la baisse du prix de revient signifie une accumulation à l’intérieur de l’industrie de 150 à 200 millions de roubles. Il est clair qu’élever le prix de revient dans ces conditions, c’est perdre, pour l’industrie et pour l’ensemble de l’économie nationale, des centaines de millions de roubles.

    De tout cela il résulte qu’on ne peut plus s’en tirer avec la seule industrie légère, avec la seule accumulation fournie par le budget, avec les seuls revenus de l’agriculture.

    L’industrie légère est une très riche source d’accumulation, et elle a maintenant toutes les chances de se développer plus encore ; mais cette source n’est pas sans limite.

    L’agriculture est une source non moins riche d’accumulation, mais elle-même a besoin aujourd’hui, dans la période de sa reconstruction, d’une aide financière de l’État. En ce qui concerne les accumulations budgétaires, vous savez vous-mêmes qu’elles ne peuvent ni ne doivent être sans limite.

    Dès lors, que reste-t-il ?

    Reste l’industrie lourde. Il faut donc faire en sorte que l’industrie lourde, et avant tout sa branche construction mécanique, apporte également sa part au fonds d’accumulation.

    Par conséquent, tout en renforçant et développant les vieilles sources d’accumulation, il est nécessaire de faire en sorte que l’industrie lourde, — et avant tout les constructions mécaniques, — apporte également sa part au fonds d’accumulation.

    Là est l’issue.

    Et que faut-il pour cela ? Supprimer l’incurie administrative, mobiliser les ressources intérieures de l’industrie, appliquer et affermir le principe du rendement commercial dans toutes nos entreprises, abaisser de façon systématique le prix de revient, intensifier l’accumulation intérieure dans toutes les industries, sans exception.

    Telle est l’issue.

    Ainsi donc, appliquer et affermir le principe du rendement commercial, intensifier l’accumulation à l’intérieur de l’industrie ;

    telle est la tâche.

    VII ­ TRAVAILLER SUR UN MODE NOUVEAU,
    DIRIGER D’UNE MANIERE NOUVELLE

    Telles sont, camarades, les nouvelles conditions du développement de notre industrie.

    Ces nouvelles conditions ont ceci d’important qu’elles créent pour l’industrie une situation nouvelle, exigeant de nouveaux procédés de travail, de nouveaux procédés de direction.

    Ainsi :

    a) Il en résulte qu’on ne peut plus compter, comme autrefois, sur l’afflux spontané de la main d’œuvre. Pour assurer la main d’œuvre à l’industrie, il faut la recruter de façon organisée, il faut mécaniser le travail.

    Croire qu’avec nos rythmes de travail et les échelles de notre production, l’on peut se passer de la mécanisation, c’est espérer pouvoir vider l’océan à l’aide d’une cuiller.

    b) Il en résulte ensuite qu’on ne peut plus tolérer les fluctuations de la main d’œuvre dans l’industrie. Pour se débarrasser de ce mal, il faut organiser les salaires d’une manière nouvelle et rendre plus ou moins stable l’effectif des ouvriers dans les entreprises.

    c) Il en résulte ensuite qu’on ne peut plus tolérer le défaut de responsabilité personnelle dans la production. Pour se débarrasser de ce mal, il faut organiser le travail d’une manière nouvelle, il faut disposer les forces de façon que chaque groupe d’ouvriers réponde de son travail, des mécanismes, des machines-outils, de la qualité du travail.

    d) Il en résulte ensuite qu’il n’est plus possible de se contenter, comme autrefois, du minimum de vieux ingénieurs et techniciens que nous avons hérité de la Russie bourgeoise. Pour élever les actuels rythmes et échelles de la production, il faut faire en sorte que la classe ouvrière possède ses propres intellectuels techniciens de la production.

    e) Il en résulte ensuite qu’on ne peut plus, comme autrefois, mettre dans le même sac tous les spécialistes, tous les ingénieurs et techniciens de la vieille école. Pour tenir compte de la situation changée, il faut modifier notre politique et faire preuve d’un maximum de sollicitude à l’égard des spécialistes, des ingénieurs et techniciens qui s’orientent nettement vers la classe ouvrière.

    f) Il en résulte enfin qu’on ne peut plus, comme autrefois, s’en tirer avec les vieilles sources d’accumulation. Pour assurer le développement de l’industrie et de l’agriculture, il est nécessaire de mettre en œuvre de nouvelles sources d’accumulation, de supprimer l’incurie administrative, d’appliquer le principe du rendement commercial, de réduire les prix de revient et d’intensifier l’accumulation intérieure de l’industrie.

    Telles sont les nouvelles conditions du développement de l’industrie, qui exigent de nouveaux procédés de travail, de nouveaux procédés de direction dans la construction de l’économie.

    Que faut-il pour organiser la direction d’une manière nouvelle ?

    Pour cela, il faut d’abord que nos dirigeants de l’industrie comprennent la nouvelle situation, étudient concrètement les nouvelles conditions du développement de l’industrie, et réorganisent leur travail conformément aux exigences de la nouvelle situation.

    Pour cela, il faut ensuite que les cadres de notre industrie dirigent les entreprises non pas «en général», non pas «en l’air», mais concrètement, effectivement, qu’ils envisagent chaque question non pas simplement pour en bavarder, mais pour la traiter de façon rigoureusement pratique, qu’ils ne se bornent pas à une réponse purement protocolaire, à des généralités ou à des mots d’ordre abstraits, mais qu’ils pénètrent la technique du métier, qu’ils scrutent les détails de l’affaire, qu’ils scrutent les «petites choses», car c’est avec les «petites choses» que l’on édifie maintenant les grandes.

    Pour cela, il faut ensuite que nos encombrants trusts actuels, qui groupent parfois de 100 à 200 entreprises, soient décentralisés sans délai et divisés en plusieurs trusts. Il est évident qu’un président de trust, qui a affaire à une centaine et plus d’usines ne peut les connaître à fond, connaître leurs possibilités, leur travail.

    Il est évident que, ne connaissant pas les usines, il n’est pas en état de les diriger. Par conséquent, pour permettre aux présidents de trusts d’étudier, pour leur permettre de diriger véritablement les usines, il faut les décharger d’une partie de ces usines, il faut diviser les trusts, en constituer plusieurs et les rapprocher des entreprises.

    Pour cela, il faut ensuite que nos trusts passent de la direction par collèges à la direction personnelle. Actuellement les choses vont ainsi : dans les collèges des trusts siègent de dix à quinze personnes qui rédigent des papiers, mènent la discussion.

    On ne peut continuer à diriger ainsi, camarades. Il faut mettre fin à la «direction» paperassière et s’embrayer sur un travail réel, sérieux, bolchevik. Qu’à la tête du trust demeurent le président et quelques suppléants.

    Cela suffira pleinement pour administrer le trust. Quant aux autres membres du collège, il vaudrait mieux les faire descendre dans les usines et les fabriques.

    Ce serait autrement utile, et pour eux-mêmes et pour le travail.Pour cela il faut ensuite que les présidents des trusts et leurs suppléants fassent plus souvent le tour des usines, y restent plus longtemps à travailler, fassent plus ample connaissance avec les travailleurs de l’usine ; non seulement ils doivent instruire les travailleurs de la base, mais aussi s’instruire auprès d’eux.

    Croire que l’on puisse maintenant diriger du fond d’un cabinet d’administration, en restant dans un bureau, loin des usines, c’est faire fausse route. Pour diriger les usines il faut se tenir plus souvent en contact avec le personnel des entreprises, il faut entretenir avec eux une liaison vivante.

    Deux mots enfin de notre plan de production pour 1931. Autour du Parti gravitent des philistins qui assurent que notre programme de production est irréel, inexécutable. Ils font songer aux «très sages goujons» de Chtchédrine, qui sont toujours prêts à répandre autour d’eux «le vide de la sottise. »

    Notre programme de production est-il réel ? Incontestablement. Il est réel, ne fût-ce que parce que nous avons toutes les conditions nécessaires à sa réalisation.

    Il est réel, ne fût-ce que parce que son exécution dépend, aujourd’hui, exclusivement de nous-mêmes, de notre capacité et de notre désir d’utiliser les très riches possibilités dont nous disposons.

    Sinon, comment expliquer que toute une série d’entreprises et d’industries aient déjà dépassé le plan ?

    Il serait stupide de croire que le plan de production se réduisît à une énumération de chiffres et de tâches. En réalité, le plan de production, c’est l’activité vivante et pratique de millions d’hommes.

    La réalité de notre plan de production, ce sont les millions de travailleurs qui créent la vie nouvelle. La réalité de notre programme, ce sont les hommes vivants, c’est vous et nous, notrevolonté de travail, notre empressement à travailler d’une manière nouvelle notre décision à exécuter le plan. Existe-t-elle chez nous, cette décision-là ?

    Oui, elle existe. Par conséquent, notre programme de production peut et doit être réalisé. (Applaudissements prolongés.)

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Note de la rédaction de la Brdzola

    La Brdzola [la Lutte] n°1 (1), septembre 1901
    Article non signé.
    Traduit du géorgien.

    Persuadés que, pour les lecteurs géorgiens conscients, une publication périodique libre est une question essentielle, persuadés que cette question doit être résolue dés aujourd’hui et que tout retard ne peut être que préjudiciable à la cause commune ; persuadés que tout lecteur conscient accueillera avec satisfaction une publication de cette nature et lui apportera pour sa part toute l’aide possible, nous, groupe de social-démocrates révolutionnaires géorgiens, allons au devant de ce besoin, en nous efforçant, dans la mesure de nos moyens, de satisfaire le désir des lecteurs. nous publions le premier numéro de la Brdzola (2), premier journal libre de Géorgie.

    Pour que le lecteur puisse se faire une opinion sur notre publication, et sur nous-mêmes en particulier, nous ajouterons quelques mots.

    Il n’est pas un seul point du pays qui n’ait été touché par le mouvement social-démocrate. Ce coin de Russie que nous appelons le Caucase n’y a pas échappé, ni, au Caucase, notre Géorgie.

    Le mouvement social-démocrate est, en Géorgie, chose récente : il ne compte que quelques années ; plus précisément, les bases de ce mouvement n’ont été jetées qu’en 1896. Chez nous, comme partout, le travail ne dépassait pas au début le cadre de l’action clandestine.

    Une agitation et une large propagande , comme celles que nous constatons ces derniers temps, étaient impossibles ; toutes les forces, bon gré mal gré, étaient concentrées dans un petit nombre de cercles. Cette période est aujourd’hui révolue ; les idées social-démocrates se sont répandues dans les masses ouvrières ; le travail lui aussi, est sorti de son cadre étroitement clandestin et touche une partie considérable des ouvriers.

    La lutte ouverte a commencé. Elle a posé aux premiers militants quantité de problèmes qui, jusqu’alors, étaient restés dans l’ombre sans qu’on éprouvât un besoin très vif de les élucider.

    Tout d’abord s’est posée dans toute sa force la question suivante : de quels moyens disposons-nous pour développer plus largement la lutte ? En paroles, rien de plus simple et de plus facile que de répondre à cette question. En fait, c’est tout différent.

    Il va de soi que pour un mouvement social-démocrate organisé, l’agitation et une large propagande des idées révolutionnaires constituent le moyen essentiel.

    Mais les conditions dans lesquelles un révolutionnaire doit militer sont si contradictoires, si dures, elles demandent de si lourds sacrifices que la propagande et l’agitation deviennent souvent impossibles sous la forme qui serait indispensable au début du mouvement.

    Les études dans les cercles à l’aide de livres et de brochures deviennent impossibles, d’abord par suite des conditions policières, et ensuite par cause de la manière même dont ces études sont organisées.

    Le travail d’agitation se relâche dés les premières arrestations. Il devient impossible de rester en contact avec les ouvriers et de leur rendre fréquemment visite : or, l’ouvrier attend des éclaircissements sur maintes questions d’actualité.

    Autour de lui, c’est une lutte acharnée, toutes les forces du gouvernement se tournent contre lui ; il n’a pas la possibilité d’envisager d’un oeil critique la situation présente, il ignore tout du fond des choses ; souvent il suffit d’un échec minime dans quelque usine du voisinage pour qu’un ouvrier à l’esprit révolutionnaire se refroidisse, perde la foi en l’avenir, et que le dirigeant soit obligé de l’entraîner à nouveau au travail.

    L’agitation par les brochures , qui ne donnent de réponses qu’à telle ou telle question concrète, est, dans la plupart des cas, peu efficace. Il devient indispensable d’avoir une littérature susceptible de répondre aux questions quotidiennes.

    Cette vérité bien connue n’a pas besoin d’être démontrée. Pour le mouvement ouvrier de Géorgie est venu le moment où une publication périodique apparaît comme l’un des moyens les plus importants du travail révolutionnaire.

    Afin d’éclairer certains lecteurs non avertis, nous croyons nécessaire de dire quelques mots sur la presse légale. L’ouvrier qui verrait dans un journal légal, quelles que soient les conditions où il paraît et quelle que soit sa tendance, l’expression de ses intérêts à lui, ouvrier, commettrait, selon nous, une grande erreur.

    Avec un gouvernement « rempli de sollicitude » pour les ouvriers, tout va à merveille pour les journaux légaux. Une meute de fonctionnaires qu’on appelle censeurs est attachée à ces journaux ; ils exercent sur eux une surveillance spéciale, recouvrant à l’encre rouge et aux ciseaux dés qu’un rayon de vérité vient à se glisser par quelque fente.

    L’une après l’autre, les circulaires s’abattent sur le comité des censeurs : « Ne rien laisser passer concernant les ouvriers, ne rien publier sur tel ou tel évènement, ne pas permettre l’examen de ceci ou cela », etc…, etc.

    Dans ces conditions, il ne saurait naturellement être question de mettre sur pied un journal convenable : l’ouvrier chercherait en vain dans ses colonnes et même entre les lignes, des informations et une appréciation juste sur la cause qui est la sienne.

    A ceux qui estiment que l’ouvrier pourrait tirer parti du petit nombre de lignes qui, dans tel ou tel journal légal, traitent en passant de ses intérêts et que les bourreaux de la censure ont laissé passer par mégarde, nous répondrons : placer ses espoirs dans ces bribes et édifier sur pareille bagatelle un système quelconque de propagande, ce serait ne rien comprendre à la question.

    Encore une fois, nous ne disons cela que pour éclairer certains lecteurs non avertis.

    Donc, un périodique géorgien libre est pour le mouvement social-démocrate une nécessité pressante. Il ne s’agit plus que de savoir comment mettre sur pied cette publication, de quels principes elle doit s’inspirer et ce qu’elle doit apporter au social-démocrate géorgien.

    A ne voir que du dehors le problème de l’existence d’un journal géorgien, et en particulier celui de son contenu et de son orientation, il peut sembler que ce problème se résout de lui-même, d’une manière simple et naturelle : le mouvement social-démocrate géorgien ne constitue pas un mouvement ouvrier isolé, uniquement géorgien, avec son programme particulier ; il marche la main dans la main avec tout le mouvement de Russie et, par conséquent, il est subordonné au Parti social-démocrate de Russie.

    Il s’ensuit donc qu’un journal social-démocrate géorgien ne doit être qu’un organe local, traitant surtout de questions locales et reflétant le mouvement local. Mais cette réponse cache une difficulté que nous ne pouvons esquiver, à laquelle nous allons inévitablement nous heurter. Nous voulons parler de la difficulté qui découle de la langue.

    S’il est vrai que le Comité central du Parti social-démocrate de Russie a la possibilité, grâce à l’organe central du parti, d’expliquer toutes les questions d’ordre général, en laissant à ses comités régionaux le soin d’éclairer les seules questions locales, le journal géorgien, lui, ne s’en trouve pas moins placé dans une situation difficile en ce qui concerne son contenu. Il doit jouer à la fois le rôle d’organe central du parti et celui d’organe régional, local.

    La majorité des lecteurs ouvriers de Géorgie ne pouvant user couramment d’un journal russe, les dirigeants du journal géorgien n’ont pas le droit de laisser dans l’ombre toutes les questions que traite, et que doit traiter, l’organe central russe.

    Le journal géorgien a donc le devoir d’éclairer le lecteur sur toutes les questions de principe, de théorie et de tactique. Il doit en même temps guider le mouvement local, éclairer de façon juste chaque événement, sans laisser inexpliqué un seul fait, et répondre à toutes les questions qui préoccupent les ouvriers de nos régions.

    Le journal géorgien doit lier entre eux et unir les ouvriers en lutte, géorgiens et russes. Il doit informer les lecteurs de tous les événements de la vie locale, russe et étrangère, qui les intéressent. Tel est, en gros, notre point de vue sur un journal géorgien.

    Quelques mots au sujet du contenu et de l’orientation du journal.

    Nous devons exiger de lui, comme il est naturel d’un journal social-démocrate, que les ouvriers en lutte soient l’objet principal de son attention.

    Nous croyons superflu de dire que seul le prolétariat révolutionnaire, en Russie comme partout, est appelé par l’histoire à libérer l’humanité et à donner au monde le bonheur. Il est clair que seul le mouvement ouvrier possède une base solide et que seul il est exempt de toute fantaisie utopique. En conséquence, le journal, en tant qu’organe social-démocrate, doit guider le mouvement ouvrier, lui montrer le chemin, le préserver des erreurs.

    En un mot, le premier devoir du journal est de se tenir aussi près que possible de la masse ouvrière, de pouvoir l’influencer constamment, d’être son centre conscient et dirigeant.

    Mais comme, dans les conditions présentes de la Russie, il est possible que des éléments de la société autres que les ouvriers engagent aussi le combat « pour la liberté », et comme cette liberté est le but immédiat de la lutte des ouvriers de Russie, le journal doit réserver une place à tout mouvement révolutionnaire, même s’il se situe en dehors du mouvement ouvrier.

    Nous disons : « réserver une place », mais pas seulement à titre d’informations courantes ou de simple chronique, — non, le journal doit prêter une attention particulière au mouvement révolutionnaire qui se produit ou qui se produira parmi d’autres éléments de la société.

    Il doit expliquer chaque phénomène social et exercer ainsi son influence sur tous ceux qui combattent pour la liberté. Aussi doit-il accorder une attention toute particulière à la situation politique de la Russie, tenir compte de toutes les conséquences de cette situation et envisager de la façon la plus large la nécessité de la lutte politique.

    Nul ne pourra, nous en sommes persuadés, arguer de nos paroles pour prétendre que nous sommes partisans de liens et de compromis avec la bourgeoisie.

    Une appréciation juste, la mise en évidence des points faibles et des erreurs d’un mouvement dirigé contre l’ordre établi, même si ce mouvement se produisait dans un milieu bourgeois, ne peuvent entacher d’opportunisme un social-démocrate.

    Seulement, nous ne devons pas oublier en l’occurrence les principes social-démocrates et les méthodes révolutionnaires de lutte. Si nous mesurons chaque mouvement à cette échelle, nous serons prémunis contre tous les radotages bernsteiniens.

    Ainsi, le journal social-démocrate de Géorgie doit fournir une réponse précise à toutes les questions relatives au mouvement ouvrier, expliquer les questions relatives au mouvement ouvrier, expliquer les questions de principes, expliquer au point de vue théorique le rôle de la classe ouvrière dans la lutte et éclairer à la lumière du socialisme scientifique tous les faits qui intéressent l’ouvrier.

    Le journal doit aussi représenter le Parti social-démocrate de Russie et faire connaître en temps utile à ses lecteurs toutes les conceptions tactiques de la social-démocratie révolutionnaire russe.

    Il doit renseigner ses lecteurs sur la vie des ouvriers des autres pays, sur ce qu’ils font pour améliorer leur condition et comment ils le font ; il doit appeler au moment voulu les ouvriers géorgiens à entrer dans la lutte. d’autre part, il ne doit laisser passer aucun mouvement social sans en rendre compte et sans en faire une critique social-démocrate.

    Voilà comment nous concevons le journal géorgien. Nous ne pouvons abuser ni nous-mêmes ni nos lecteurs en promettant de nous acquitter entièrement de ces tâches avec nos forces actuelles.

    Pour organiser le journal comme il convient, une aide est nécessaire de la part des lecteurs eux-mêmes et des sympathisants. Le lecteur notera dans le premier numéro de la Brdzola bien des imperfections, mais ce sont là des imperfections qui pourront être corrigées pour peu qu’il nous vienne en aide.

    Nous soulignons, en particulier, la faiblesse de la chronique locale. Nous trouvant loin du pays, nous n’avons pas la possibilité de suivre le mouvement révolutionnaire de Géorgie ni de donner en temps voulu des informations et des éclaircissements sur les problèmes de ce mouvement.

    Il faut donc qu’une aide nous vienne de la Géorgie même. Quiconque désire nous apporter aussi son concours littéraire, trouvera sans nul doute le moyen d’établir un contact, direct ou indirect, avec la rédaction de la Brdzola.

    Nous invitons tous les militants social-démocrates de Géorgie à s’intéresser vivement au sort de la Brdzola, à prêter tout leur concours à sa publication et à sa diffusion, et à faire ainsi, de la Brdzola, premier journal libre de Géorgie, une arme de lutte révolutionnaire.

    Notes

    1. Edition de la Brdzola [la Lutte], journal social-démocrate clandestin.

    2. La Brdzola [la Lutte], premier journal géorgien illégal du groupe iskriste-léniniste de l’organisation social-démocrate de Tiflis. C’est Staline qui prit l’initiative de sa fondation. La parution de la Brdzola fut l’aboutissement de la lutte engagée, à partir de 1898, par la minorité révolutionnaire de la première organisation social-démocrate géorgienne « Messami-Dassi » (J. Staline, V. Ketskhovéli, A. Tsouloukidzé) contre la majorité opportuniste (Jordania et autres) pour la création d’une presse marxiste révolutionnaire clandestine.

    La Brdzola était tirée à Bakou, dans une imprimerie clandestine, montée sur mandat de l’aile révolutionnaire de l’organisation social-démocrate de Tiflis par le plus proche collaborateur de Staline, V. Ketskhovéli. C’est à lui encore qu’incombait, pratiquement la tâche de faire paraître le journal.

    Les articles leaders sur les questions de programme et de tactique du parti marxiste révolutionnaire furent rédigés par Staline. La Brdzola eut quatre numéros : le n°1, en septembre 1901 ; le N°2-3, en novembre décembre 1901, et le n°4, en décembre 1902. La Brdzola, le meilleur journal marxiste de Russie après l’Iskra [l’Etincelle], préconisait une liaison étroite entre la lutte révolutionnaire du prolétariat de Transcaucasie et la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière de toute la Russie.

    Défendant les principes théoriques du marxisme révolutionnaire, la Brdzola, de même que l’Iskra léniniste, affirmait la nécessité pour les organisations social-démocrates de passer à l’agitation politique de masse, à la lutte politique contre l’autocratie ; elle défendait l’idée léniniste de l’hégémonie du prolétariat dans la révolution démocratique bourgeoise.

    Bataillant contre les « économistes », elle expliquait la nécessité de créer un parti révolutionnaire unique de la classe ouvrière, dénonçait la bourgeoisie libérale, les nationalistes et les opportunistes de tout acabit. L’Iskra léniniste salua la parution du n°1 de la Brdzola comme un événement d’importance.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Les fractions de droite dans le P. C. des États-Unis d’Amérique. Trois discours.

    Discours prononcé à la Commission américaine du Présidium du CE. De l’I.C., le 6 mai 1929

    On a prononcé ici pas mal de discours et la position politique des deux groupes du P.C. des Etats-Unis d’Amérique est suffisamment éclaircie. C’est pourquoi je ne m’arrêterai pas longuement sur la position politique des chefs de la majorité et de la minorité.

    Je ne m’y arrêterai pas parce que, comme on a pu s’en persuader au cours des débats, les deux groupes commettent la même erreur fondamentale en exagérant le caractère spécifique du capitalisme américain. Vous n’ignorez pas que cette exagération est à la base de toutes les erreurs opportunistes, tant de celles de la majorité que de celles de la minorité.

    Certes, on aurait tort de ne pas tenir compte des particularités spécifiques du capitalisme américain. Dans son activité, le Parti communiste doit s’en inspirer.

    Mais on aurait plus tort encore de vouloir baser l’activité du Parti communiste sur ces particularités spécifiques, car tout parti communiste, y compris celui d’Amérique, doit baser son action sur les traits généraux du capitalisme, qui en substance sont les mêmes dans tous les pays, et non sur les traits spécifiques du capitalisme du pays donné.

    C’est là que réside l’internationalisme des partis communistes. Les traits spécifiques ne sont que le complément des traits généraux.

    L’erreur de ces deux groupes est d’outrer l’importance des traits spécifiques du capitalisme américain et d’oublier ainsi les traits fondamentaux du capitalisme américain, inhérents à tout le capitalisme mondial.

    Aussi, y a-t-il incontestablement une part de vrai dans les accusations que les chefs de la majorité et de la minorité se lancent l’un à l’autre et qui tendent à s’attribuer mutuellement des éléments de déviation de droite.

    On ne saurait nier que la réalité américaine offre un terrain propice au Parti communiste pour tomber dans l’erreur et pour s’exagérer la force et la solidité du capitalisme américain. C’est ce terrain, ce milieu qui poussent nos camarades américains, tant ceux de la majorité que ceux de la minorité, à des erreurs de l’espèce de la déviation de droite.

    C’est ce milieu qui est la raison pour laquelle tantôt l’une, tantôt l’autre fraction du Parti communiste d’Amérique n’aperçoit pas, dans une mesure ou dans une autre, le réformisme en Amérique ; mésestime la radicalisation de la classe ouvrière et, en général, est enclin à regarder le capitalisme américain comme un phénomène en dehors et au-dessus du capitalisme mondial. C’est là l’origine de l’inconsistance de principes de l’une et de l’autre des fractions du P.C. D’Amérique.

    Après ces observations générales, je passe aux questions politiques pratiques.

    Quels sont les défauts essentiels des chefs de la majorité et de la minorité ?

    D’abord en ce que — cela est surtout vrai pour les chefs de la majorité — dans leur action quotidienne ils s’inspirent des considérations de fraction, en abandonnant toute considération de principe, et qu’ils placent les intérêts de leur fraction au-dessus de ceux du Parti.

    En second lieu en ce que, cela est encore plus vrai pour la fractiondes majoritaires, ils sont tellement contaminés par l’esprit de fraction

    que, dans leurs rapports avec l’Internationale communiste, ils mettent non le principe de la confiance, mais une politique de diplomatie pourrie, «ne politique de jeu diplomatique.

    Voici quelques exemples. Examinons le simple fait que voici : les chefs de la majorité aussi bien que ceux de la minorité spéculent sur les désaccords au sein du P.C. de l’Union soviétique. Vous n’ignorez pas que l’une et l’autre des fractions du Parti communiste d’Amérique font valoir à l’envi, en rivalisant d’ardeur, les divergences tant réelles qu’imaginaires dans le Parti communiste de l’Union soviétique.

    Pourquoi ce sport ? Est-il utile au Parti communiste américain ?

    Nullement. Elles le font pour procurer un avantage à leur fraction et pour porter préjudice à la fraction adverse. Foster et Bittelmann ne voient pas de mal à se proclamer « staliniens » pour illustrer ainsi leur attachement au P.C. de l’U.R.S.S. Mais c’est tout simplement inconvenant, chers camarades.

    Ignorez-vous donc qu’il n’existe pas et qu’il ne doit pas exister de « staliniens »? Pourquoi la minorité se laisse-t-elle aller à cette inconvenance ?

    Pour s’attaquer à la fraction majoritaire, à celle du camarade Lovestone, pour montrer que cette dernière est contre le P.C. de l’U.R.S.S. et, par suite, contre le noyau fondamental de l’I.C. Bien entendu, cela est faux et pas sérieux. Mais la minorité s’en lave les mains, son principal objectif étant de dénigrer, de vilipender la majorité dans l’intérêt de la minorité.

    Voyons maintenant ce qu’il en est de la fraction Lovestone. Peut-être sa conduite est-elle plus convenable que celle de la minorité ? Malheureusement non.

    Je dois constater à regret que sa conduite est bien plus inconvenante que celle de la minorité. Je vous en fais juges. La fraction Foster, pour prouver son attachement au P.C. de l’U.R.S.S., se proclame « stalinienne ». Lovestone croit que celaatteint la réputation de sa propre fraction.

    Et pour ne pas être en reste avec les autres, la fraction Lovestone effectue brusquement un bond « vertigineux » et fait adopter au congrès du P.C. américain une résolution tendant à écarter Boukharine de l’I.C. Nous assistons ainsi à un jeu d’émulation : c’est à qui fera mieux. La lutte idéologique est ainsi remplacée par une spéculation sur les désaccords au sein du P.C. de l’Union soviétique, d’où la question des principes est entièrement exclue.

    Voilà le résultat d’une politique qui met les intérêts de la fraction au-dessus de ceux du Parti.

    Autre exemple : l’affaire Pepper. Vous connaissez tous plus ou moins l’histoire de cette affaire. L’I.C. demanda à deux reprises le rappel du camarade Pepper à Moscou. Le Comité central du P.C. américain en faisant acte de résistance, a transgressé une série de décisions du C.E. de l’I.C. concernant Pepper.

    La majorité du P.C. américain témoigna ainsi son affinité avec Pepper dont les flottements opportunistes sont connus de tous. Enfin, une délégation du CE. De l’I.C. vient assister au congrès du Parti communiste d’Amérique et demande de nouveau, au nom du CE. De l’I.C. le rappel immédiat de Pepper.

    La majorité, ayant à la tête Lovestone et Gitlow, résiste à nouveau à la décision du Comité exécutif de l’I.C. La fraction Foster utilise cette affaire contre la fraction Lovestone et affirme que la majorité du P.C. américain est contre l’I.C. La fraction Lovestone se rend compte enfin qu’elle peut perdre en prestige avec ce coup, en s’opposant à l’I.C.

    Aussi, accomplit-elle encore un bond « vertigineux » et elle exclut du Parti le camarade Pepper, ce même Pepper que, hier encore, elle défendait contre l’I.C. Nous assistons donc de nouveau à un concours d’émulation. Comment se fait-il que la majorité ait fait résistance et se soit refusée à appliquer la décision de l’I.C. au sujet de Pepper. Ce n’était certes pas dans l’intérêt du Parti.Cela s’explique uniquement par les intérêts de fraction de majoritaires.

    Comment se fait-il que la majorité a brusquement changé d’attitude et exclu du Parti Pepper ? Est-ce dans l’intérêt du Parti ? Non, bien entendu. Cela s’explique uniquement par les intérêts de la fraction Lovestone, qui ne voulait pas donner un atout de plus à sa rivale, la fraction adverse de Foster et Bittelmann. Les intérêts de fraction au-dessus de tout.

    La fraction Foster, pour prouver son attachement au P.C. de l’U.R.S.S., se déclare « stalinienne ». Fort bien. Or, les lovestoniens vont plus loin et demandent l’exclusion de Boukharine de l’I.C. « Que la fraction Foster essaie de nous devancer ! Que l’on sache à Moscou que nous autres, Américains, savons bien jouer à la Bourse. »

    La fraction Foster désire montrer son penchant pour l’I.C. et fait appliquer la décision de celle-ci sur le rappel de Pepper. Aussitôt après, la fraction Lovestone, pour ne pas être en reste, demande l’exclusion de Pepper du Parti. « Que les gens à Foster essayent donc de nous rattraper. Il faut que l’on sache à Moscou que nous autres Américains savons jouer à la Bourse ».

    Tels sont les fruits du fractionnisme de la majorité et de la minorité.

    Seulement, l’I.C. n’est pas une Bourse. Elle est le sanctuaire de la classe ouvrière. Voilà pourquoi on ne doit pas confondre l’I.C. avec la Bourse.

    Ou bien nous sommes des léninistes, et nos rapports mutuels ainsi que les rapports des sections envers l’I.C. et inversement doivent être empreints de confiance réciproque, doivent être purs et transparents comme cristal, — et alors il ne doit pas y avoir dans nos rangs de jeu diplomatique pourri ; ou bien nous ne sommes pas des léninistes, — et alors nos rapports offrent un vaste champ à la diplomatie pourrie et à la lutte de fraction non idéologique. De deux choses l’une. Il faut choisir, camarades.

    Pour vous montrer comment des mœurs communistes pures sont déformées et traînées dans la boue au cours des batailles de fraction, j’évoquerai, à titre d’exemple, mon entretien avec Foster et Lovestone. J’ai en vue l’entretien que j’eus avec ces camarades lors du VI e congrès.

    A noter que, dans des lettres à des amis, Foster représente notre entretien comme je ne sais quoi de mystérieux dont on ne doit pas parler à haute voix. A noter également que, en dressant un réquisitoire contre Foster, Lovestone, invoque, à propos de cet entretien, une conversation qu’il eut avec moi et se vante de savoir, mieux que Foster, garder le secret, en affirmant que pour rien au monde il n’accepterait de divulguer le sujet de notre conversation.

    D’où vient ce mystère et à qui doit-il profiter ? Qu’y a-t-il donc eu de mystérieux dans mon entretien avec Foster et Lovestone ? A entendre ces camarades, on pourrait croire, que je les ai entretenus de choses dont il est honteux de parler ici.

    N’est-ce pas absurde ? A quoi bon jouer au mystère. Ne sait-on pas qu’à tout moment je suis prêt à répéter aux camarades le sujet de mon entretien avec Foster et Lovestone ? Que deviendra alors ce fameux mystère que Foster et Lovestone propagent ici avec tant de zèle ?

    Savez-vous de quoi j’ai parlé à Foster ? Il se plaignait à moi de l’esprit de fraction et du manque de principes du groupe Lovestone.

    Savez-vous ce que je lui répondis ? Je reconnus l’existence de ces péchés dans la fraction Lovestone, mais j’ajoutai aussitôt que la fraction Foster n’en était pas exempte non plus. Fort de notre entretien, Foster tire cette conclusion étrange que je sympathise avec la fraction minoritaire. Mais a-t-il des raisons de tirer cette conclusion ?

    A-t-il des raisons de prétendre que je sympathise avec elle ? N’est-il pas évident que Foster prend ici ses propres désirs pour la réalité ?

    Savez-vous ce que me dit Lovestone ? Il m’a dit que la fraction Foster et Bittelmann n’était bonne à rien. Savez-vous ce que je luirépondis ? Je lui dis que les deux fractions présentaient des défauts essentiels et lui conseillai de faire le nécessaire pour liquider cet esprit de fraction. C’est tout.

    Qu’y a-t-il là de mystérieux dont on ne doive pas parler à haute voix ? N’est-il pas bizarre que les camarades de la majorité et de la minorité fassent mystère de ces faits simples et clairs ?

    Mystère susceptible de provoquer le sourire de gens raisonnables. Il est évident que cette mystification n’aurait pu avoir lieu sans cette atmosphère de fraction qui empoisonne la vie du P.C. américain et entache les pures et simples mœurs communistes.

    Voici, d’ailleurs, un autre fait. J’ai eu ces jours-ci un entretien avec Lovestone. A noter qu’au sujet de cet entretien Lovestone fait circuler des bruits ineptes qui entourent cet entretien d’une ombre de mystère. Quel penchant incompréhensible pour les « choses mystérieuses… »

    Notre entretien de ces jours-ci roulait sur son rappel d’Amérique et sur la nécessité pour le Présidium du C.E. de l’I.C. de retirer cette décision.

    Il se faisait fort de mettre en application la résolution éventuelle de l’I.C. à condition qu’elle ne soit pas dirigée contre les chefs de la majorité du P.C. américain ; il promettait d’être un soldat fidèle de l’I.C. et demandait qu’on le mît à l’épreuve en le chargeant d’une mission ; il assurait ne briguer dans le P.C. américain aucun poste élevé, n’ambitionner qu’une chose : être mis à l’épreuve pour pouvoir démontrer son attachement à l’I.C.

    Je lui répondis que depuis trois ans déjà l’I.C. faisait des expériences pour éprouver sa fidélité, mais que ces expériences n’ont abouti à rien de positif.

    Je répondis que le P.C. américain et l’I.C. avaient avantage à laisser Lovestone et Bittelmann pour un certain laps de temps à Moscou. Je répondis que cette façon d’agir de l’I.C. était le moyen le plus sûr de guérir le P.C. américain de l’esprit de fraction et de le sauver de la décomposition. Je lui répondis que tout en professant cette opinion j’acceptai de soumettre sa proposition aux camarades russes et de lui faire connaître l’avis de ces derniers à ce sujet.

    Je crois que c’est bien clair. Or, Lovestone essaie de nouveau de faire un mystère de ces choses simples et claires, en répandant, au sujet de notre entretien, des bruits absurdes.

    Il est évident que cette mystification n’aurait pas pu se produire et les faits simples se transformer en légendes mystérieuses si, dans le Parti communiste d’Amérique, on ne mettait les intérêts de fraction au-dessus de ceux du Parti, la diplomatie au-dessus des intérêts de l’I.C.

    Pour liquider toutes ces anomalies et orienter le P.C. américain dans la voie léniniste, il faut, avant tout, en finir avec l’esprit de fraction dans ce parti.

    Telle est la conclusion qui s’impose à la suite des faits ci-dessus exposés.

    La solution ?

    Foster nous en a signalé une. Il propose de remettre la direction à la minorité. Pourrait-on tomber d’accord sur cette proposition ? Il est évident que non. La délégation du CE. De l’I.C. a commis une faute, en ne se désolidarisant pas aussi nettement de la minorité qu’elle s’était désolidarisée de la majorité.

    Il serait fâcheux que la commission du Présidium recommençât cette faute de la délégation du Comité exécutif de l’Internationale communiste. J’estime que dans son projet de résolution la commission du Présidium du Comité exécutif de l’Internationale communiste doit désapprouver aussi bien les erreurs de la majorité que celles de la minorité.

    Et c’est justement pour cela qu’elle ne saurait proposer de transmettre la direction à la minorité. Par conséquent, la proposition Foster avec toutes les conséquences qui en découlent tombent d’elles-mêmes.

    La délégation américaine a proposé une autre solution, diamétralement opposée à celle de Foster. La proposition de la délégation américaine comporte, on le sait, dix points. Le contenu de cette proposition se réduit en substance à réhabiliter intégralement les chefs de la majorité, à approuver le travail de fraction de la majorité, à faire rapporter la décision du Présidium du CE. De l’I.C.

    sur le rappel de Lovestone et à ratifier ainsi l’étranglement de la minorité. Cette solution est-elle acceptable ? Non, évidemment. Ce serait non liquider l’esprit de fraction, mais l’ériger en principe.

    Où donc chercher la solution ?

    La voici :

    1. Approuver dans ses grandes lignes l’activité et les propositions suggérées par la délégation du Comité exécutif de l’I.C., en en éliminant les articles se rapprochant des propositions Foster.

    2. Envoyer au nom du C.E. de l’I.C. une lettre ouverte aux membres du P.C. américain exposant les erreurs des deux fractions du Parti et insistant sur la nécessité de liquider tout esprit de fraction.

    3. Condamner l’activité des chefs majoritaires au congrès du P.C.

    d’Amérique et, en particulier, dans le cas Pepper.

    4. Liquider l’état de choses actuel dans le Parti communiste d’Amérique, où le travail positif, la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste, la question des salaires, de la journée de travail, de l’action syndicale, de la lutte contre le réformisme, de la lutte contre la déviation de droite, — où toutes ces questions restent dans l’ombre et sont remplacées par des questions mesquines de lutte entre la fraction de Lovestone et celle de Foster.

    5. Rénover le Secrétariat du C.C. du P.C. américain, en y mettant des militants susceptibles de reconnaître, en dehors de la lutte des fractions, la lutte de la classe ouvrière contre la classe des capitalistes, capables de placer les intérêts du Parti et de son unité au-dessus de ceux des fractions et de leurs chefs.

    6. Rappeler Lovestone et Bittelmann, en les mettant à la disposition de l’I.C., afin de faire comprendre aux militants du P.C. américain que l’I.C. prend sérieusement en mains la lutte contre les fractions.

    Telle est, à mon avis, la bonne solution.Deux mots sur les tâches et la mission du P.C. américain. Je pense,

    camarades, que le P.C. américain est un des rares partis communistes du monde chargés par l’histoire de tâches décisives du point de vue du mouvement révolutionnaire mondial. Vous connaissez tous la force et la puissance du capitalisme américain.

    Bien des gens s’imaginent aujourd’hui que la crise générale du capitalisme mondial n’atteindra pas l’Amérique. Cette opinion est fausse, bien entendu. Cela est entièrement faux, camarades. La crise du capitalisme mondial se développe à une allure rapide et elle ne peut pas ne pas atteindre l’Amérique.

    Les trois millions de chômeurs enregistrés à ce jour en Amérique sont le premier indice de la crise qui se prépare en Amérique.

    L’exacerbation des antagonismes entre l’Amérique et l’Angleterre, la lutte pour les débouchés et les matières premières et, enfin, la croissance formidable des armements, — tels sont les symptômes qui, en second lieu, témoignent de l’approche d’une crise. Je crois que le jour n’est pas loin où la crise révolutionnaire éclatera en Amérique. Ce sera le commencement de la fin du capitalisme mondial.

    Il faut que le P.C. américain soit préparé sous tous les rapports pour cette époque historique et puisse se mettre à la tête des batailles de classe futures en Amérique. Vous devez vous y préparer, camarades, de toutes vos forces et par tous les moyens. A cet effet, il faut améliorer et bolchéviser le Parti communiste d’Amérique.

    A cet effet, il faut travailler à liquider tout esprit de fraction et toute déviation dans ce parti. A cet effet, il faut travailler au rétablissement de l’unité dans le P.C. américain. A cet effet, il faut forger des cadres de chefs prolétariens réellement révolutionnaires, capables de conduire les millions de travailleurs américains aux combats révolutionnaires de classe.

    A cet effet, il faut abandonner toute considération personnelle et de fraction, mettre au premier plan l’éducation révolutionnaire de la classe ouvrière américaine.Voilà pourquoi, je pense que vous vous devez d’examiner avec tout le sérieux qu’elles comportent les propositions que vous soumet la commission du Présidium du C.E. de l’I.C., propositions tendant à assainir le P.C. américain, à y supprimer les fractions, à y réaliser l’unité, à raffermir le Parti et à le bolchéviser.

    Premier discours prononcé au Présidium du Comité exécutif de l’Internationale communiste sur la question américaine, le 14 mai 1929

    Nous sommes placés en ce moment devant un fait exceptionnel qui mérite de retenir notre très sérieuse attention. Il y a un mois déjà que la délégation américaine est arrivée à Moscou.

    Depuis un mois nous étudions conjointement avec elle les questions brûlantes touchant le P.C. américain et recherchons les solutions propres à remédier à la situation. Chacun des membres de la délégation a eu la possibilité d’user de son droit de prendre la parole et de critiquer les camarades d’opinion adverse. Vous n’ignorez pas que ce droit a été utilisé par eux intégralement, sans que le moindre empêchement ait été apporté par le Comité exécutif de l’Internationale communiste.

    Vous savez que Lovestone avait demandé que les camarades russes se prononcent obligatoirement. Vous n’ignorez pas que les camarades russes se sont déjà prononcés sur le fond de la question.

    Par conséquent, la commission a rempli toutes les conditions nécessaires pour trouver une solution et mener les choses à bonne fin.

    Mais au lieu de réfléchir sérieusement à la question et se décider à abandonner tout esprit de fraction, les membres de la délégation américaine nous offrent le spectacle d’une nouvelle explosion del’esprit de fraction et nous font assister à de nouvelles tentatives de saboter l’unité du Parti communiste d’Amérique. Il y a quelques jours, nous n’étions pas encore en possession du projet de résolution de l’Internationale communiste sur la question américaine.

    Nous n’avions qu’une ébauche des grandes lignes de la résolution sur cette question, tendant à liquider les fractions. Et au lieu d’attendre la publication du projet de résolution, la délégation américaine, sans dire mot, le 9 mai, y est allée, d’une déclaration archifractionnelle et hostile au Parti.

    Vous savez avec combien d’hostilité cette déclaration fut accueillie par les membres de la commission du Présidium du Comité exécutif de l’Internationale communiste. Vous savez aussi que la commission n’a pas laissé pierre sur pierre de cette déclaration. On était fondé à croire que la délégation américaine se raviserait et redresserait ses fautes.

    Or, ce fut le contraire qui arriva. Dès que le projet de résolution de la commission parut et fut distribué à tous les membres du Présidium du CE. Et de la délégation américaine, celle-ci publia le 14 mai une nouvelle déclaration encore plus pénétrée d’esprit de fraction et plus opposée encore à la discipline du Parti que la déclaration du 9 mai.

    Vous avez certainement connaissance de cette déclaration.

    Le camarade Gitlov en a donné lecture pendant son discours. Le trait fondamental de cette déclaration est qu’elle proclame le principe de la non-soumission aux décisions du Présidium du C.E. de l’I.C.

    Ce qui prouve que l’extrême esprit de fraction des chefs majoritaires les a poussés dans la voie de l’insoumission, par conséquent de la lutte contre l’I.C.

    On ne saurait refuser aux camarades américains, comme du reste à tous les autres communistes, le droit absolu de ne pas être d’accord avec le projet de la commission, le droit de combattre ce projet. Ettant qu’ils se bornent à user de leur bon droit, il n’y a là et il ne peut y avoir rien de répréhensible. Par malheur, la déclaration du 14 mai ne s’arrête pas là.

    Elle va plus loin et proclame que la lutte doit se poursuivre même après que le projet sera devenu résolution du Présidium du C.E. de l’I.C. C’est pourquoi nous croyons de notre devoir de poser carrément aux membres de la délégation américaine la question de savoir s’ils s’estiment tenus à se soumettre à cette résolution, à supposer que le projet devienne une décision obligatoire.

    Nous avons débattu dans la commission pendant tout un mois, nous eûmes une série de discussions qui nous prirent énormément de temps, que nous aurions pu employer plus utilement.

    A l’heure actuelle, la période des discussions étant close, nous sommes à la veille de l’adoption de la résolution qui sera obligatoire pour tous les membres de l’I.C.

    Je demande : les membres de la délégation américaine en leur qualité de communistes et de léninistes, admettent-ils l’insoumission à la décision du Présidium du CE. De l’I.C. sur la question américaine ?

    C’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui.

    Permettez-moi maintenant d’aborder l’analyse de cette déclaration.

    Cette déclaration datée du 14 mai est conçue d’une façon assez rusée. Je ne doute point qu’elle ne soit l’œuvre d’un juriste rompu aux subtilités de la procédure, d’un avocat retors. Jugez­en vous­ mêmes.

    D’une part, la déclaration affirme la loyauté totale envers l’I.C., la fidélité indéfectible de ses signataires à l’I.C., non seulement dans le passé, mais aussi dans le présent et dans l’avenir. Tout cela est fort bien, à moins que ce ne soit une promesse en l’air.

    D’autre part, la déclaration dit que ses auteurs ne sauraient assumer la responsabilité de la mise à exécution de la résolution du Présidium du C.E. de l’I.C. Voici textuellement ce passage de la déclaration :

    Nous avons des raisons très solides de ne pas accepter ce nouveau projet de lettre et de ne pas assumer la responsabilité de la mise à exécution de cette lettre devant les masses du Parti, de désapprouver le préjudice imminent et irréparable que l’adoption de ce nouveau projet ne manquera pas de causer à notre parti.

    Vous le voyez bien : d’une part, loyauté complète ; de l’autre, refus de mettre à exécution la décision de l’I.C. Et tout cela s’appelle de la fidélité à l’I.C.

    Voilà de la vraie rouerie d’avocassier. En vérité, est-il croyable qu’un communiste, un véritable communiste proclame d’une part, sa loyauté envers l’I.C. et, de l’autre, refuse d’assumer la responsabilité de la mise à exécution des résolutions de l’I.C. ?

    Est-ce là de la loyauté ? A quoi sert cette hypocrisie, ce tour de pharisien ? N’est-il pas évident que les grands mots sur la loyauté et la fidélité à l’I.C. n’ont été mis en œuvre par Lovestone que pour duper les « masses du Parti » ?

    Cela fait penser, sans qu’on le veuille, à l’inoubliable Chamberlain qui, d’une part, s’affirme pour la paix, pour la réduction des armements, et, de l’autre, prend toutes les mesures pour que les armements et les préparatifs à la guerre se poursuivent activement.

    Chamberlain a besoin du battage autour de la paix pour camoufler les préparatifs d’une nouvelle guerre. Lovestone a besoin de phrases grandiloquentes sur la loyauté et l’attachement à l’I.C., afin de pouvoir dissimuler la préparation de la lutte contre les décisions de l’I.C. Certes, Lovestone n’est pas Chamberlain. Il n’y a entre eux aucune analogie possible.

    Mais le fait est que ses «manœuvres » font penser à celles de Chamberlain, et cela devrait lui servir d’avertissement.Mais la déclaration ne s’en tient pas là ! Passant de la défensive à l’offensive, elle proclame la nécessité de lutter contre les décisions du Présidium du CE. De l’I.C.; ces décisions étant soi-disant en opposition avec la ligne du VI e congrès de l’I.C.

    Elle déclare nettement que ce projet de résolution, que ce projet de lettre ouverte de l’I.C., qui est approuvé unanimement au Présidium — que ce projet « contredit l’esprit et la lettre de la ligne du VI e congrès » de l’I.C.

    La déclaration dit ouvertement que « ce projet apprécie le travail de notre parti [c’est-à–dire du Parti américain] et de sa direction d’une façon qui va à rencontre, dans d’importantes questions, de la ligne et des décisions du VI e congrès mondial ».

    Je ne perdrai pas mon temps à démontrer que ces affirmations de la déclaration constituent une calomnie indigne et mesquine contre l’I.C. et ses organes exécutifs. Il ne vaut pas la peine non plus de s’arrêter à démontrer que ce sont justement les dirigeants actuels de la majorité du P.C. d’Amérique qui violaient et continuent de violer les résolutions fondamentales des congrès de l’I.C. et de ses organes exécutifs sur la liquidation des fractions dans le P.C. américain.

    Le camarade Kuusinen a établi dans son discours de façon irréfutable que les deux fractions du P.C. américain, notamment celle de la majorité, violaient systématiquement les principales résolutions des congrès de l’I.C. sur la liquidation des fractions et le rétablissement de l’unité — cela à partir de 1925.

    Il suffit de prendre connaissance des résolutions des congrès de l’I.C. pour se rendre compte que nous avons, en la personne des dirigeants actuels de la majorité, des violateurs incorrigibles de l’esprit et de la lettre des résolutions de l’I.C.

    Quant au VI e congrès de l’I.C., il fait ressortir dans sa résolution sur le P.C. américain que « la tâche la plus importante qui se pose auParti est de mettre fin à la lutte des fractions, qui ne repose sur aucune divergence de principe plus ou moins sérieuse». Qu’a fait la fraction de Lovestone pour mettre en pratique cette décision du VI e congrès ?

    Vous voyez bien vous-mêmes que, jusqu’à présent, elle n’a rien fait dans cet ordre d’idées. En revanche, elle s’est occupée et continue à s’occuper activement à transformer cette décision du VI e congrès en un chiffon de papier.

    Tels sont les faits.

    Or, si en dépit de tous ces faits, la déclaration n’en accuse pas moins le Présidium du C.E. de l’I.C. de transgresser « l’esprit et la lettre de la ligne du VI e congrès », c’est que les auteurs de la déclaration cherchent à opposer aux décisions du Présidium du C.E. de l’I.C. la ligne du VI e congrès, qu’ils violaient et continuent de violer. Mais pourquoi agissent-ils ainsi ?

    Pour combattre les décisions du Présidium du C.E. de l’I.C. sous le couvert hypocrite du drapeau du VI e congrès. En agissant ainsi, les auteurs de la déclaration ont l’air de vouloir dire : Nous autres, fraction Lovestone, sommes pour le VIe congrès, seulement le projet de lettre ouverte émanant du Présidium du C.E. de l’I.C. est en contradiction avec la ligne du VI e congrès, c’est pourquoi nous avons le devoir de combattre et nous combattrons la décision du Présidium du CE.

    Les auteurs de la déclaration s’imaginent sans doute que cette « manœuvre » hypocrite est un procédé nouveau dont nous ne parviendrons pas à déchiffrer le sens véritable. Ils se trompent.

    L’histoire de l’I.C. enseigne que chaque fois que les camarades ont quitté l’Internationale, ils ont recouru toujours à des « manœuvres » semblables.

    Au moment de sortir de l’Internationale communiste, Zinoviev inaugura son attaque en opposant la ligne de l’I.C. aux décisions de son Comité exécutif. Il s’est servi de cette manœuvre en vue de camoufler sa lutte contre le C.E. de l’I.C. par des propos sur la ligne de cette dernière. Il en fut de même pour Trotski qui, en abandonnant l’Internationale, avait inauguré sa campagne en opposant la ligne de l’I.C. aux décisions de l’Exécutif et de son Présidium. C’est là le chemin battu de l’opportunisme, vieux comme le monde. Il est fâcheux de constater que les auteurs de la déclaration s’étaient laissé glisser sur cette pente.

    En opposant l’I.C. à son Comité exécutif, les auteurs de la déclaration poursuivent le même but qu’avaient poursuivi Zinoviev et Trotski : séparer le C.E. de l’I.C. de cette dernière. C’est d’un ridicule achevé !

    Les auteurs de la déclaration oublient que ce ne sont pas eux, mais le Comité exécutif et son Présidium qui sont les seuls interprètes des décisions des congrès de l’I.C. Les auteurs de la déclaration sont dans l’erreur s’ils croient que les ouvriers américains croiront plus leurs commentaires que ceux du Présidium de l’Exécutif de l’I.C.

    Telle est en substance la déclaration faite par la délégation américaine.

    Cette déclaration est donc une plate­forme de lutte contre la ligne de l’I.C., au nom de flottements opportunistes, au nom de l’esprit de fraction que rien ne justifie, au nom de la violation de l’unité du P.C. américain.

    Passons maintenant au projet de la commission.

    Comment a été conçu le projet de la commission soumis actuellement au Présidium du Comité exécutif ?

    Le projet s’inspire de la défense de la ligne de l’I.C. au sein du P.C. américain, de la bolchévisation du Parti américain, de la lutte contre les déviations de la ligne marxiste et, avant tout, contre la déviation de droite, de l’unité du parti léniniste, enfin et avant tout de la liquidation de tout esprit de fraction. Car il est temps, camarades, de comprendre que l’esprit de fraction est le fléau essentiel du P.C. Américain.

    A travers le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, nous, bolcheviks, avons plus d’une fois mené une lutte de fraction contre l’opportunisme.

    C’était à l’époque où les bolcheviks et les menchéviks se trouvaient dans le même parti, où les bolcheviks se voyaient dans l’obligation de se grouper en une fraction distincte afin de saper l’autorité des social-démocrates, d’organiser la scission contre la social-démocratie et de créer un parti communiste à eux. A ce moment, l’existence de fractions était utile et nécessaire.

    Mais aujourd’hui, la situation est tout autre. La situation actuelle est radicalement changée. Aujourd’hui, nous possédons nos propres partis communistes monolithiques, sections de l’I.C.

    Aujourd’hui, l’existence de fractions est nuisible et dangereuse, puisqu’elle affaiblit le communisme, réduit la force d’assaut du communisme contre le réformisme, mine la lutte du communisme contre le social-démocratisme, dans le mouvement ouvrier. C’est cette différence radicale entre le passé et le présent que ne comprennent pas, apparemment, nos camarades américains.

    Quel mal causent les fractions dans les rangs du Parti communiste ? D’abord, elles affaiblissent le sentiment de discipline du Parti, émoussent l’esprit révolutionnaire, aveuglent les militants à tel point que dans leur emportement de fraction, ils placent forcément les intérêts de leur fraction au-dessus de ceux du Parti, au-dessus de ceux de l’I.C., au-dessus de ceux de la classe ouvrière. L’esprit de fraction a souvent pour résultat que les militants, aveuglés par la lutte des fractions, ont tendance à apprécier tous les faits, tous les événements de la vie du Parti non du point de vue des intérêts du Parti et de la classe ouvrière, mais de celui de leur clocher, de leur paroisse fractionnelle.

    Lovestone et ses amis ne savaient-ils pas qu’il fallait se tenir à l’écartde Pepper, qu’il fallait s’en désolidariser pour ne pas se compromettre comme révolutionnaires ? Pourquoi ne s’en étaient-ils pas désolidarisés à temps, malgré les nombreux avertissements de l’I.C.?

    Parce qu’ils agissaient avant tout comme hommes de fraction. Parce que dans la lutte des fractions, on fait cas de tout : on ramasse jusqu’aux menus éclats de bois, jusqu’aux bouts de corde ; un soldat même mauvais, un officier même sans valeur, tout est bon.

    Parce que dans la lutte des fractions on peut utiliser même des hommes tels que Pepper. Parce que l’aveuglement engendré par l’esprit de fraction les a obligés à mettre les intérêts de leur fraction au-dessus de ceux du Parti.

    Le camarade Foster ignoraitil donc qu’il fallait se tenir à l’écart des trotskistes cachés dans sa fraction ?

    Pourquoi ne s’en est-il pas désolidarisé à temps, en dépit de multiples avertissements ? Parce qu’il agissait avant tout comme homme de fraction. Parce que, dans la lutte fractionnelle contre le groupe Lovestone il comptait utiliser jusqu’aux trotskistes cachés.

    Parce que l’aveuglement fractionnel émousse dans les gens le sentiment de la discipline et les pousse à ne négliger aucun moyen. Bien entendu, une telle politique est néfaste et incompatible avec les intérêts du Parti. Mais les fractionnistes sont d’ordinaire enclins à oublier les intérêts du Parti pour ceux de leur clocher fractionnel.

    En deuxième lieu, les fractions empêchent d’éduquer le Parti dans l’esprit d’une politique ferme, basée sur des principes déterminés.

    Elles empêchent d’éduquer les cadres dans un esprit révolutionnaire honnête, prolétarien, intègre, exempt de diplomatie pourrie et de combinaisons louches autant qu’injustifiées. Le léninisme enseigne que seule une politique fondée sur des principes déterminés est rationnelle et digne d’être pratiquée. Les partisans des fractions s’imaginent, au contraire, que la diplomatie fractionnelle et lescombinaisons fractionnelles sans principes sont la seule politique acceptable.

    C’est pourquoi l’atmosphère de la lutte fractionnelle produit non des hommes politiques ayant des principes fermes, mais des tripoteurs fractionnels adroits, d’habiles filous et des menchéviks sachant entortiller l’ « adversaire » et dissimuler leur franc jeu. Bien entendu, un tel travail « éducatif » des hommes de fraction est en contradiction avec les intérêts essentiels du Parti et de la classe ouvrière.

    Mais les hommes de fraction n’en ont cure, ils ne connaissent que leur cuisine diplomatique fractionnelle, que leurs intérêts personnels.

    Aussi, rien d’étonnant à ce que les militants à principes fermes et les révolutionnaires prolétariens honnêtes ne rallient pas les sympathies des hommes de fraction qui, par contre, accordent leur sympathie aux mystificateurs et rusés compères, aux individus sans principes habiles à machiner, dans les coulisses, des combinaisons et à former des blocs d’intérêts.

    En troisième lieu, les fractions, en relâchant la volonté du Parti vers l’unité et en sapant la discipline de fer du Parti, créent un état de choses fractionnel spécifique où toute la vie intérieure du Parti se trouve découverte face aux ennemis de classe, tandis que le Parti lui-même risque de devenir un jouet entre les mains des agents de la bourgeoisie.

    Voici comment cela se fait généralement. Supposons qu’une question est discutée au Bureau politique du Comité central.

    Supposons ensuite qu’il y ait au Bureau politique une minorité et une majorité qui examinent de leur point de vue fractionnel chacune des questions à l’étude.

    Lorsque dans le Parti règne l’esprit de fraction, les tripoteurs des deux fractions se mettent en devoir d’annoncer aussitôt à leur cercle la décision prise par le Bureau politique, essayant de préparer le cercle en leur faveur.

    Cette façon d’annoncer se répète systématiquement, parce que chacun des fractions croit de son devoir de présenter les choses à sa façon, à son cercle, et de le tenir ainsi en état de mobilisation en vue des batailles à livrer contre la fraction adverse.

    A la suite de quoi d’importantes décisions secrètes du Parti deviennent des secrets de polichinelle. C’est ainsi que les agents de la bourgeoisie ont facilement accès aux décisions confidentielles du Parti et peuvent plus facilement utiliser les données sur la vie intérieure du Parti contre le Parti.

    Cet état de choses menace, il est vrai, d’apporter la démoralisation complète dans les rangs du Parti. Mais les hommes de fraction s’en soucient bien peu, mettant au-dessus de tout les intérêts de leur groupe.

    Enfin, les fractions ont ceci de préjudiciable qu’elles coupent dans la racine tout travail positif dans le Parti, détournent les militants des tâches quotidiennes de la classe ouvrière (salaires, journée de travail, amélioration des conditions d’existence de la classe ouvrière, etc.), affaiblissant l’action du Parti en vue de préparer la classe ouvrière aux batailles de classe contre la bourgeoisie et créant ainsi un état de choses où l’autorité du Parti doit nécessairement diminuer aux yeux des travailleurs qui, au lieu d’entrer au Parti par groupes compacts, sont obligés d’abandonner ses rangs.

    C’est ce qui se produit en ce moment dans le P.C. américain. Depuis quelque temps, les chefs des fractions de la majorité et de la minorité s’occupaient surtout d’intrigues mesquines, de futilités et de bagatelles de fraction ; ils s’occupaient à rédiger des plates-formes, grandes et petites ; à composer des amendements, grands et petits, par dizaines et centaines, à ces plates-formes.

    On perd des semaines et des mois à chercher noise à un adversaire de fraction, à fouiller dans sa vie personnelle pour y trouver quelque fait compromettant, et au cas où l’on ne réussit pas à en trouver, à inventer quelque canard. Il est évident que dans cette atmosphère le travail positif s’en ressent, la vie du Parti doit baisser de niveau,l’autorité du Parti tomber, et les ouvriers, les meilleurs et les plus révolutionnaires d’entre eux, qui aspirent à l’action, abandonnent le Parti.

    Telles sont en substance les conséquences néfastes des fractions dans les partis communistes.

    C’est pourquoi la tâche la plus importante du P.C. américain est de liquider les fractions et de se guérir enfin de cette maladie.

    Telle est l’idée qui a présidé à la composition du projet que la commission soumet à vos délibérations.

    Quelques mots sur la manière fanfaronne des gens de la fraction Lovestone de parler ici au nom de tout le Parti communiste américain, de 99 % des membres de ce Parti. Ils ne prennent pas la parole à moins. On croirait, à les entendre, qu’ils les ont dans leur poche ces 99 % des membres du Parti. C’est là une mauvaise habitude, camarades de la délégation américaine.

    Je vous rappelle que Zinoviev et Trotski, eux aussi, avaient fait miroiter des chiffres, des pourcentages, cherchant à faire croire à tout le monde qu’ils avaient obtenu ou, du moins, qu’ils obtiendraient 99 %, soit la majorité dans les rangs du P.C. de l’U.R.S.S. Vous savez à quoi a abouti cette vantardise de Trotski et de Zinoviev.

    C’est pourquoi je ne vous conseillerai pas de jongler avec les pourcentages. Vous assurez que vous avez dans le Parti communiste d’Amérique une majorité certaine, que cette majorité vous est acquise, quelle que soit la situation.

    C’est inexact, camarades de la délégation américaine, c’est entièrement inexact.

    Vous aviez la majorité parce que, jusqu’à présent, le P.C. américain croyait avoir en vous des partisans fermes de l’I.C.

    Et c’est précisément parce qu’il vous croyait fermement attachés à l’I.C. que vous aviez la majorité. Mais que diront les ouvriers américains lorsqu’ils auront appris que vous avez l’intention de briser l’unité des rangs de l’I.C. et que vous vous apprêtez à engager la lutte contre ses organes exécutifs ?

    Croyez-vous que les ouvriers américains vous suivront contre l’I.C., qu’ils sacrifieront les intérêts de votre fraction à ceux de l’I.C.?

    L’histoire de l’I.C. relate des cas où des chefs éminemment populaires et autrement compétents que vous se sont trouvés isolés dès qu’ils avaient arboré le drapeau de la lutte contre l’I.C. Comptez­ vous avoir plus de chance que ces chefs ? Piètre espoir que le vôtre.

    En théorie, vous détenez encore la majorité. Mais demain il en ira tout autrement et vous serez absolument seuls si vous tentez de combattre les décisions du Présidium de l’Exécutif de l’I.C. Je vous le certifie.

    On dit que Lovestone est un chef plein de talent, que c’est lui qui a fondé le Parti communiste d’Amérique. On dit que le P.C. américain ne saurait se passer de Lovestone ; que relever Lovestone de ses fonctions équivaudrait à détruire le parti américain. Ce n’est pas vrai.

    Bien mieux : cette affirmation n’est pas sincère.

    Ce serait un bien mauvais parti s’il ne pouvait se passer de tel ou tel de ses chefs. Le Parti communiste d’Amérique n’est pas aussi faible que certains se plaisent à le dire. En tout cas, il est bien plus fort qu’on ne le représente. Les partis se créent par la classe ouvrière et non par des chefs. Il serait ridicule de prétendre le contraire. En outre, Lovestone est loin d’être un chef de grande envergure. Certes, c’est un camarade capable et de talent.

    Mais où applique-t-il ses capacités ? A des intrigues et des machinations fractionnelles. Lovestone est sans conteste un brasseur d’affaires habile et ingénieux dans sa fraction. On ne saurait lui refuser ce titre.

    Seulement, il ne faut pas confondre : chef de fraction avec chef de parti. Ce sont deux choses absolument différentes. Il n’est pas donné à tout chef de fraction d’être chef de parti. Je doute fort que Lovestone, au stade actuel, puisse faire un chef de parti.Telle est la situation.

    La solution ? Me demanderez-vous. A mon avis, elle consiste à adopter le projet de la commission, à rejeter la déclaration de la délégation américaine et à engager tous les membres du P.C.

    américain à s’en tenir strictement et sans réserves aux décisions du Présidium. Ou les camarades américains se soumettront sans hésiter aux décisions du CE. De l’I.C. et les réaliseront activement, et ce sera un pas en avant sérieux vers la suppression des fractions, vers la paix dans le Parti ; ou ils s’en tiendront à leur déclaration et refuseront de se soumettre aux décisions de l’Exécutif de l’I.C.

    Mais au lieu de la paix ce sera la guerre contre l’I.C., la guerre au sein du Parti communiste d’Amérique. Nous proposons la paix et l’unité. Si les camarades de la délégation américaine acceptent nos propositions, ce sera tant mieux, sinon tant pis pour eux. L’I.C. finira par l’emporter, quelles que soient les conditions, vous pouvez en être certains.

    Enfin, deux mots encore sur les nouveaux procès de bolchévisation des sections de l’I.C., qui se produisent en ce moment.

    Au cours d’un entretien qu’il eut avec moi ces jours-ci, Lovestone m’a dit qu’une phrase lui avait échappé sur la « tumeur cancéreuse » dans l’appareil de l’I.C. Il m’assurait que cette phrase lui avait échappé par hasard et ne reflétait nullement son attitude envers l’I.C.

    Je lui répondis que s’il était vrai que cette phrase lui avait échappé accidentellement, il ne fallait pas s’y arrêter, encore qu’elle fût dans le fond absolument fausse et erronée. Cependant, quelque temps après cet entretien, j’ai pris connaissance du rapport de Lovestone au VI e congrès du Parti communiste d’Amérique, où il reprend la même phrase : « tumeur cancéreuse », mais, cette fois-ci non plus à propos de l’appareil de l’I.C., mais à propos du capitalisme mondial.

    Ce qui prouve que la phrase « tumeur cancéreuse » n’est pas tout à fait accidentelle dans la bouche de Lovestone.« Tumeur cancéreuse » appliquée au capitalisme mondial doit signifier, je suppose : crise du capitalisme mondial, processus de décomposition.

    Mais que doit vouloir dire dans la bouche de Lovestone cette phrase ? Apparemment, la même crise et la même décomposition existe dans l’appareil de l’I.C. Que pourrait-elle signifier d’autre ?

    Qui pouvait obliger Lovestone à parler de « tumeur cancéreuse » ou de crise dans l’appareil de l’I.C.? Ce doit être, vraisemblablement, ce qui a obligé les droitiers dans le P.C. de l’U.R.S.S. à parler de la crise et de la décomposition de l’I.C.

    En parlant de la décomposition de l’I.C. les droitiers allèguent d’habitude des faits tels que l’expulsion des droitiers du P.C.

    allemand, la défaite de la droite dans le P.C. tchécoslovaque, l’isolement de la droite dans le P.C.F., la lutte pour l’isolement des fractionnistes incorrigibles dans le P.C. américain, etc.

    Ces faits sont peut-être en réalité l’indice d’un mal sérieux dans l’I.C., indice de sa décomposition, indice d’une « tumeur cancéreuse » dans l’I.C. ?

    Naturellement, non. Seuls les philistins et les petits bourgeois qui sont dans le Parti peuvent penser ainsi.

    En réalité, c’est un processus bienfaisant qui épure les sections de l’I.C. des droitiers et des conciliateurs, un processus bienfaisant qui épure l’I.C. des éléments opportunistes et hésitants. Les partis se bolchévisent et se renforcent en se débarrassant des scories.

    Tel est le sens des événements qui se sont déroulés ces derniers temps dans les partis allemand, tchécoslovaque, américain, français et autres. Les philistins du Parti prennent cela pour l’indice de la décomposition de l’I.C., parce qu’ils ne voient pas plus loin que leur nez. Les marxistes révolutionnaires savent que sans ce processus bienfaisant il est impossible de préparer le Parti et le prolétariat aux luttes de classe prochaines.

    Certains pensent qu’il n’y a rien de changé dans la situation internationale pendant ces derniers temps, que tout est resté comme

    auparavant. C’est faux. En réalité, nous avons une aggravation de la lutte de classe dans tous les pays capitalistes, un accroissement de la crise révolutionnaire en Europe, la maturation des conditions d’une nouvelle poussée révolutionnaire.

    La grève générale de Lodz nous l’a signalé hier. Récemment, nous avons encore eu un signal à Berlin. Demain, de nouveaux signaux viendront de France, d’Angleterre, de Tchécoslovaquie, d’Amérique, de l’Inde et de la Chine. Bientôt le terrain commencera à brûler sous les pieds du capitalisme mondial.

    Les tâches des partis communistes consistent à commencer dès maintenant à développer en grand les préparatifs, en vue des prochaines batailles de classe, à préparer la classe ouvrière et les masses exploitées à de nouveaux combats révolutionnaires.

    Il importe de renforcer la lutte contre le réformisme et le social-démocratisme ; d’accentuer la lutte pour gagner au communisme les masses ouvrières ; de redoubler d’efforts pour forger des cadres réellement révolutionnaires et pour sélectionner des chefs véritablement révolutionnaires pour le Parti, des militants capables de livrer le combat et d’entraîner avec eux le prolétariat, des militants qui ne flancheront pas devant la tempête, ne manqueront pas de présence d’esprit et ne se laisseront pas aller à la panique, mais qui affronteront le péril.

    Pour s’acquitter de ces tâches, il est nécessaire de s’occuper, dès à présent, sans perdre une minute, puisque le temps presse, à épurer les partis communistes des éléments de droite et des conciliateurs qui, objectivement, sont les agents de la social-démocratie au sein des partis communistes.

    A cette besogne il convient de s’atteler séance tenante, et de la poursuivre à une allure accélérée, car, nous le répétons, le temps presse et nous ne devons pas nous laisser surprendre par les événements.

    On aurait pu temporiser il y a un an ou deux, dans l’espoir que le processus de bolchévisation des partis communistes écarterait graduellement les éléments de droite et les éléments instables, les Brandler, les Thaelheimer, tous ces tripoteurs d’affaires de fraction, etc. On pouvait ne pas se presser, puisqu’il n’y avait pas danger de se mettre en retard.

    Mais, aujourd’hui, la situation a changé. Aujourd’hui, agir lentement c’est arriver en retard ; or, arriver en retard c’est se laisser surprendre par la crise révolutionnaire qui s’approche. C’est pourquoi le processus d’épuration du Parti des éléments instables est un processus salutaire tendant à raffermir l’I.C. et ses sections.

    Les philistins redoutent ce processus salutaire et, dans leur effroi, parlent de la décomposition de l’I.C.

    Mais ils ne sont pas des philistins pour rien. Par contre, les révolutionnaires salueront toujours ce processus bienfaisant parce qu’il est dans le même temps, partie intégrante de la grande œuvre de préparation de la classe ouvrière aux batailles de classe futures, tâche fondamentale actuelle des partis communistes de tous les pays du monde.

    Le projet de la commission a, entre autres, le mérite de faciliter au P.C. américain l’accomplissement de cette tâche essentielle.

    Deuxième discours prononcé au Présidium du C.E. de l’I.C., le 14 mai 1929

    Il me semble que certains délégués américains ne se rendent pas bien compte de la situation existant chez nous aujourd’hui à la suite de l’adoption du projet de la commission par le Présidium.

    Les camarades ne se rendent pas visiblement compte qu’il y a une différence entre défendre ses convictions tant que la décision n’est pas adoptée et se soumettre à la volonté de l’I.C. quand la décision est prise.

    On pouvait et il fallait critiquer et combattre le projet de la commission dans la mesure où les membres de la délégation le considéraient comme peu conforme.

    Mais aujourd’hui que le projet de la commission est devenu la résolution du Présidium, les délégués américains devront trouver le courage de se soumettre à la volonté collective, à celle de l’I.C. et assumer la responsabilité de la mise à exécution de la décision de l’I.C.

    Il faut savoir apprécier la fermeté et la persévérance avec lesquelles huit camarades sur les dix de la délégation américaine combattent le projet de la commission. Mais on ne saurait approuver ces huit camarades qui se refusent à se soumettre à l’organe suprême de l’Internationale communiste, au Présidium de son Comité exécutif, leurs opinions ayant essuyé ici une défaite complète.

    Le vrai courage n’est pas de placer sa volonté individuelle au-dessus de celle de la collectivité, au-dessus de celle de l’I.C.

    Le vrai courage consiste à trouver en soi assez de force pour lutter contre soi-même, pour triompher de soi-même et pour subordonner sa volonté à celle de la collectivité, à celle de l’instance suprême du Parti. Sinon il n’est point de collectivité qui tienne. Sinon il n’y a pas et il ne saurait y avoir de direction collective.

    Je pense que vous n’allez pas refuser de rendre hommage aux bolcheviks russes pour leur courage, leur fermeté, leur âpreté à défendre leurs idées. Voyons comment agissait d’ordinaire tel ou tel groupe de bolcheviks russes, resté en minorité. Pour ne pas briser la discipline de fer du Parti, la minorité se soumettait d’habitude à la volonté de la majorité.

    L’histoire de notre parti connaît des dizaines et des centaines d’exemples où une fraction de bolcheviks, persuadée que le C.C. du Parti bolchevik avait adopté une résolution fausse, affirmait, à la suite de discussions, d’ardents débats, d’une défense acharnée de ses idées, sa volonté de se soumettre aux décisions de l’organisme dirigeant suprême et de les réaliser.

    Je pourrais vous citer, à titred’exemple, le cas de 1907, où une partie des bolcheviks était pour le boycottage de la Douma, alors que la majorité des bolcheviks se prononçaient pour la participation à la Douma : la minorité se soumit sans réserve à la volonté de la majorité.

    Les bolcheviks russes auraient conduit à sa perte la cause de la révolution russe s’ils n’avaient su subordonner la volonté de quelques-uns des camarades à celle de la majorité, s’ils n’avaient pas su agir collectivement.

    Voilà comment nous avons agi, nous autres, bolcheviks russes, qui avons renversé la bourgeoisie, établi le régime soviétique et sommes en train de saper les fondements de l’impérialisme mondial. Savoir agir collectivement, être résolu à subordonner la volonté des camarades isolés à celle de la collectivité, voilà ce que nous appelons le vrai courage bolchevik.

    Car sans ce courage, sans la force de surmonter, si vous voulez, son amour-propre et de subordonner sa volonté à celle de la collectivité, sans ces qualités, il n’est ni collectivité, ni direction collective, ni communisme.

    Cela est vrai non seulement pour certains partis et leurs Comités centraux, cela est surtout vrai pour l’I.C. et ses organes dirigeants qui unifient les partis communistes de tous les pays du monde.

    Les camarades Gitlow et Lovestone ont déclaré ici avec aplomb que leur conscience et leurs convictions ne leur permettaient pas de se soumettre aux décisions du Présidium et de les mettre en application.

    La même déclaration avait été faite ici par la camarade Bloor. Ils laissaient entendre que, n’étant pas d’accord avec la décision du Présidium, ils ne pouvaient se soumettre à cette décision et la mettre en pratique. Mais seuls des anarchistes, des individualistes peuvent raisonner ainsi.

    Les bolcheviks, les léninistes ont le devoir de mettre la volonté collective au-dessus de leur volonté individuelle. Ils invoquent leurconscience et leurs convictions. Mais les membres du Présidium du CE. De l’I.C. ont aussi une conscience et des convictions. Comment faire lorsque la conscience et les convictions du Présidium de l’Exécutif de notre Internationale se heurtent à la conscience et aux convictions de certains membres de la délégation américaine ?

    Comment agir lorsque la déclaration de la délégation américaine n’a recueilli au Présidium qu’une voix, celle du camarade Gitlow, et que les autres membres du Présidium se sont unanimement prononcés contre la déclaration de la délégation américaine et pour le projet de la commission ?

    Croyez-vous donc, camarades de la délégation américaine, que la conscience et les convictions de Gitlow sont supérieures à la conscience et aux convictions de la majorité écrasante du Présidium de l’Exécutif de notre Internationale ?

    Vous rendez-vous bien compte que si chacun de nous se mettait à agir à sa guise, sans tenir compte de la volonté collective, nous n’aurions jamais aucune décision, aucune volonté collective, aucune direction ?

    Prenons, à titre d’exemple, une usine. Admettons que la plupart des ouvriers de cette usine manifestent le désir de faire la grève et que la minorité, se recommandant de ses convictions, se prononce contre la grève.

    Une lutte d’opinions s’engage, des réunions sont convoquées, finalement l’immense majorité des ouvriers décide de déclarer la grève. Que diriez-vous de ces 10 ou 20 ouvriers de la minorité qui prétendraient ne pouvoir se soumettre à la décision de la majorité, n’étant pas d’accord avec cette décision ? Comment les auriez-vous taxés, ces ouvriers ?

    Vous savez qu’à ces ouvriers on applique l’appellation de briseurs de grève. Il est évident que les grèves, les manifestations et les autres actions collectives de masse seraient absolument impossibles, si laminorité refusait de se soumettre à la majorité.

    N’est-il pas évident que nous n’aurions jamais ni décision, ni volonté collective pas plus dans chacun des partis que dans l’Internationale si des individus isolés et, en général, la minorité ne se soumettait pas à la volonté de la majorité, à celle de l’organe suprême ?

    Voilà la tournure que prennent les choses, camarades de la délégation américaine.

    Enfin, deux mots sur les destinées du P.C. américain, en rapport avec l’adoption de la décision par le Présidium du Comité exécutif de l’Internationale. Les camarades de la délégation américaine présentent la situation sous des couleurs trop sombres. Ils prétendent qu’avec l’adoption du projet de la commission, le P.C. américain périra ou, tout au moins, se trouvera au bord du précipice. Ce n’est pas exact. Mieux : C’est entièrement risible.

    Le Parti communiste d’Amérique vit et vivra en dépit des pronostics des camarades de la délégation américaine.

    Bien mieux : Le P.C. américain grandira et prospérera, s’il réussit à éliminer de son milieu les fractions et l’esprit de fraction, et à rétablir une politique fondée sur des principes fermes. La résolution prise par le Présidium tire sa valeur précisément du fait qu’elle permet au Parti américain de liquider plus facilement la lutte de fraction sans principe, d’établir l’unité dans le Parti et de sortir enfin sur la grand’route du travail politique des masses.

    Non, camarades, le P.C. américain ne périra pas. Il se développera dans la prospérité, à rencontre des ennemis de la classe ouvrière.

    Seul un petit groupe fractionnel périra, s’il persiste dans son entêtement, s’il refuse de se soumettre à la volonté de l’Internationale, s’il persiste dans ses erreurs. Mais on ne saurait identifier le sort d’une petite fraction avec le sort du Parti communiste d’Amérique.

    De ce qu’une fraction minime périra politiquement, il ne faut pas en déduire que le Parti communiste d’Amérique doit en faire autant.Laissons donc cette fraction infime périr, puisqu’elle est vouée à la perte, — pourvu que le Parti communiste d’Amérique grandisse, se développe et prospère. Vous envisagez les choses avec trop de pessimisme, chers camarades de la délégation américaine. Quant à moi, je suis plus optimiste.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Lénine et l’alliance avec le paysan moyen

    Pravda, n° 152, 3 juillet 1928

    Staline

    (Réponse au camarade S.)

    Camarade S.,

    Il n’est pas juste de dire que le mot d’ordre de Lénine : « Aboutir à une entente avec le paysan moyen sans abandonner, l’espace d’une seconde, la lutte contre le koulak et en s’appuyant uniquement sur la paysannerie pauvre », — mot d’ordre formulé dans son article sur Pitirime Sorokine, — est un mot d’ordre de la « période des comités de paysans pauvres », celui de la « fin de la période dite de neutralisation de la paysannerie moyenne ».

    C’est absolument faux. Les comités de paysans pauvres furent constitués en juin 1918. Fin octobre 1918, nos forces à la campagne prenaient déjà le dessus sur le koulak, et le paysan moyen s’orientait vers le pouvoir soviétique.

    Ce tournant a motivé la décision du C.C. visant à abolir la division du pouvoir entre les Soviets et les comités de paysans pauvres, à renouveler l’effectif des Soviets cantonaux et communaux, à intégrer dans les Soviets nouvellement désignés les comités de paysans pauvres et, par suite, à liquider ces derniers.

    Cette décision fut promulguée, comme on le sait, le 9 novembre 1918, au VIe congrès des Soviets. J’ai en vue la décision adoptée par le VI » congrès des Soviets le 9 novembbre 1918 sur la réélection des Soviets communaux et cantonaux et l’intégration des comités de paysans pauvres aux Soviets.Quand parut l’article de Lénine : « Les révélations précieuses de Pitirime Sorokine », où à la place du mot d’ordre de neutralisation du paysan moyen il préconise l’entente avec ce dernier ?

    Le 21 novembre 1918, c’est-à-dire presque deux semaines après que fut adoptée la décision du VIe congrès des Soviets. Dans cet article, Lénine déclare nettement que la politique d’entente avec le paysan moyen s’impose du fait de l’orientation de ce dernier vers nous.

    Voici ce que dit Lénine :

    Notre tâche, à la campagne, est de renverser le propriétaire foncier, de briser la résistance du koulak, exploiteur et spéculateur. Pour cela, nous pouvons nous appuyer uniquement sur les semi­ prolétaires, sur la « paysannerie pauvre ».

    Mais le paysan moyen ne nous est pas hostile. Il a été, est et restera hésitant : la tâche qui consiste à agir sur les hésitants n’est pas identique à celle visant à renverser l’exploiteur et à triompher de l’ennemi actif. Aboutir à un accord avec le paysan moyen sans abandonner, l’espace d’une seconde, la lutte contre le koulak et en s’appuyant uniquement sur la paysannerie pauvre, — voilà la tâche de l’heure, car c’est aujourd’hui précisément que, pour les raisons énoncées ci-dessus, la paysannerie moyenne ne va pas manquer de s’orienter vers nous. (Lénine, Œuvres complètes, t. XV, page 564.) Qu’est-ce à dire ?

    Cela veut dire que le mot d’ordre de Lénine ne se rapporte pas à la vieille période, à celle des comités de paysans pauvres et de la neutralisation du paysan moyen, mais à une période nouvelle, période d’entente avec ce dernier. Il marque ainsi non la fin de l’ancienne période, mais le début de la période nouvelle.

    Votre affirmation concernant le mot d’ordre de Lénine est fausse non seulement au point de vue formel, pour ainsi dire sous le rapportchronologique, mais aussi quant au fond.

    On sait que le mot d’ordre de Lénine sur l’entente avec le paysani moyen a été proclamé, à titre de mot d’ordre nouveau, au VIIIe congrès de notre parti (mars 1919).

    On sait que le VIIIe congrès du P.C. a jeté les bases de notre politique d’alliance solide avec le paysan moyen ; que notre programme, celui du P.C. de l’U.R.S.S., a été adopté également au VIIIe congrès du Parti ; que ce programme comporte des articles concernant l’attitude du Parti envers les différents groupes ruraux : paysans pauvres, moyens, koulaks.

    Que lisons-nous dans ces articles du programme du P.C. de l’U.R.S.S. sur les groupements sociaux de la campagne et sur l’attitude du Parti à leur égard ?

    Ecoutez :

    Dans toute son activité rurale, le P.C. de l’U.R.S.S. s’appuie, comme par le passé, sur les forces prolétariennes et semi-prolétariennes de la campagne ; il les organise, avant tout, en une force indépendante ; il crée des cellules rurales du Parti, des organisations de paysans pauvres, des syndicats d’un type spécial de prolétaires et semi-prolétaires ruraux, etc. ; il les rapproche par tous les moyens du prolétariat urbain, les arrache à l’influence de la bourgeoisie campagnarde et des intérêts de la petite propriété.

    A l’égard du koulak et de la bourgeoisie campagnarde, la politique du P.C. de l’U.R.S.S. consiste à lutter résolument contre leurs velléités d’exploitation, à briser la résistance qu’ils opposent à la politique soviétique.

    Pour la paysannerie moyenne la politique du P.C. de l’U.R.S.S.

    consiste à l’entraîner, graduellement et méthodiquement, à l’œuvre d’édification socialiste. Le Parti s’assigne pour tâche de la dissocier des koulaks, de la gagner aux côtés de la classe ouvrière par la sollicitude qu’il lui témoigne, en combattant son esprit retardataire au moyen d’une action idéologique et non par des mesures de contrainte ; en cherchant toujours, dès que ses intérêts vitaux se trouvent en jeu, à aboutir à des ententes pratiques avec elle ; en lui faisant des concessions lors de la détermination des moyens destinés à réaliser des transformations socialistes. (VIIIe congrès du P.C. de l’U.R.S.S. Compte-rendu sténographique.)

    Essayez donc de trouver une différence, si petite soit-elle, ne fût-ce que verbale, entre ces points du programme et le mot d’ordre de Lénine. Vous la chercheriez en vain, celle-ci étant inexistante.

    Bien mieux : il est hors de doute que le mot d’ordre de Lénine, loin de contredire les décisions du VIIIe congrès sur la paysannerie moyenne, constitue la formule la plus précise et la plus réussie de ces décisions.

    Or, chacun sait que le programme du P.C. de l’U.R.S.S. fut adopté en mars 1919, au VIIIe congrès du Parti, qui a examiné tout spécialement la question de la paysannerie moyenne, tandis que l’article de Lénine contre Pitirime Sorokine, préconisant une entente avec le paysan moyen, avait paru en novembre 1918, quatre mois avant le VIIIe congrès du P.C.

    N’est-il pas clair que le VIIIe congrès du P.C. a confirmé sans réserve le mot d’ordre de Lénine proclamé dans son article contre Pitirime Sorokine, comme un mot d’ordre dont le Parti doit s’inspirer dans son activité à la campagne pour toute la période actuelle de l’édification socialiste.

    En quoi consiste la quintessence du mot d’ordre de Lénine ? En ce qu’il fixe de main de maître la triple tâche du P.C. à la campagne, tâche se traduisant par une seule formule lapidaire :

    a)appuie-toi sur la paysannerie pauvre ;

    b) organise l’entente avec le paysan moyen ;

    c) poursuis sans discontinuer la lutte contre le koulak.

    Essayez donc de retrancher de cette formule un des éléments qui la composent pour en former la base du travail à la campagne, à l’heure présente, sans tenir compte des autres éléments, et vous vous trouverez immanquablement acculé dans une impasse.

    Est-il possible, dans les conditions actuelles de l’édification socialiste, d’organiser une entente effective et durable avec le paysan moyen, sans s’appuyer sur la paysannerie pauvre et sans mener la lutte contre le koulak ?

    Non.

    Est-il possible dans le cadre du développement actuel d’engager une lutte heureuse contre le koulak sans s’appuyer sur la paysannerie pauvre et sans aboutir à une entente avec le paysan moyen ? Non.

    Comment mieux exprimer par un mot d’ordre général, cette triple tâche du Parti à la campagne ?

    Je pense que le mot d’ordre de Lénine est l’expression la plus heureuse de cette tâche. Il faut avouer qu’on ne saurait mieux dire que ne l’a fait Lénine.

    Pourquoi est-il nécessaire de souligner l’utilité du mot d’ordre de Lénine précisément à l’heure actuelle, dans les conditions présentes du travail à la campagne ?

    C’est que, aujourd’hui précisément, on voit se manifester, parmi certains de nos camarades, une tendance qui consiste à mettre en pièces la triple tâche du Parti à la campagne et à en dissocier lesdifférents éléments.

    Cet état de choses se trouve confirmé au travers de notre campagne de stockage des blés, en janvier-février dernier. Tous les bolcheviks se rendent compte qu’il est indispensable d’établir une entente avec le paysan moyen. Mais ce que d’aucuns semblent ignorer, c’est la façon dont il faut s’y prendre.

    Les uns croient pouvoir établir une entente avec les paysans en abandonnant ou en affaiblissant la lutte contre le koulak, sous prétexte que celle-ci pourrait, voyez-vous, effaroucher une partie — la partie aisée — de la paysannerie moyenne.

    D’autres croient pouvoir établir une entente avec la paysannerie moyenne en abandonnant le travail d’organisation de la paysannerie pauvre ou bien en en affaiblissant le rythme : l’organisation de la paysannerie pauvre, voyez-vous, pourrait aboutir à l’isolement de celle-ci, or l’isolement risque de nous aliéner les paysans moyens.

    Toutes ces déviations de la juste ligne engendrent l’oubli de la thèse marxiste selon laquelle le paysan moyen est une classe hésitante, l’entente avec celle-ci ne peut être durable que si l’on engage une lutte à outrance contre le koulak, et si l’on accentue le travail parmi la paysannerie pauvre ; sinon, on risque de voir le paysan moyen pencher vers le koulak, en tant que force.

    Rappelez-vous les paroles de Lénine dites au VIIIe congrès du P.C. : Il importe de déterminer notre attitude envers la classe gui n’occupe pas une position stable nettement définie. Le prolétariat, dans sa majeure partie, est pour le socialisme ; la bourgeoisie, dans sa majeure partie, est contre le socialisme : il est donc aisé de déterminer les rapports entre ces deux classes.

    Mais lorsque nous passons à la paysannerie moyenne, il se trouve que celle-ci est une classe hésitante. Elle est en partie propriétaire,en partie travailleuse. Elle n’exploite pas les autres représentants des travailleurs.

    Elle a eu, durant des décades, à livrer des efforts inouïs pour défendre sa situation, à subir l’exploitation des propriétaires fonciers et des capitalistes ; mais elle demeure propriétaire, malgré tout ce dont elle a eu à souffrir. Aussi, notre attitude à l’égard de cette classe hésitante offre-t-elle d’énormes difficultés. (VIIIe congrès du P.C. de l’U.R.S.S. Compte rendu sténographique, p. 300.)

    Mais il est encore d’autres déviations de la juste ligne, non moins périlleuses que les précédentes. Souvent la lutte est livrée contre le koulak, d’une façon si maladroite et si inconsidérée que les coups viennent frapper le paysan moyen et pauvre.

    Résultat : le koulak reste indemne, l’alliance avec le paysan, moyen se trouve endommagée et une partie de la paysannerie pauvre tombe provisoirement sous la coupe du koulak qui mène un travail de sape contre la politique soviétique.

    Souvent des tentatives sont faites pour substituer à la lutte contre les koulaks la dépossession de ces derniers, et à l’approvisionnement en céréales — la réquisition, oubliant que la dépossession des koulaks, à l’heure présente, est chose absurde, et que la réquisition, loin d’être une alliance, revient à lutter contre le paysan moyen.

    D’où proviennent ces déviations de la ligne du Parti ? Elles proviennent de l’incompréhension que la triple tâche du Parti à la campagne est une tâche unique et irréductible. De l’incompréhension du fait que l’on ne saurait dissocier la lutte contre les koulaks de l’entente avec le paysan moyen, et ces deux tâches prises ensemble — de la transformation de la paysannerie pauvre en appui du Parti à la campagne.

    Il en résulte que les déviations de la ligne juste créent un doubledanger pour la cause de l’alliance entre ouvriers et paysans : le

    danger émanant de ceux qui, mettons, entendent transformer les mesures extraordinaires provisoires en vue du stockage des céréales, en l’orientation permanente ou durable du Parti, et le danger émanant de ceux qui veulent utiliser la suppression des mesures extraordinaires pour donner libre cours au koulak, proclamer la liberté complète du commerce, sans que ce dernier soit régularisé par les organes de l’État.

    Aussi est-il nécessaire, pour assurer une ligne juste, d’engager la lutte sur deux fronts.

    Je saisis l’occasion pour marquer que notre presse ne se conforme pas toujours à cette règle ; elle pèche parfois par son esprit quelque peu unilatéral.

    Il arrive, par exemple, que l’on dénonce ceux qui cherchent à transformer les mesures extraordinaires pour le stockage des blés, — mesures d’ordre provisoire, — en orientation permanente de notre politique, ce qui constitue une menace pour l’alliance entre la ville et la campagne.

    Très bien.

    Mais ce qui est mal et faux, c’est lorsqu’on ne critique pas assez et qu’on ne dénonce pas ceux qui menacent l’alliance par un autre côté ; ceux qui se livrent aux pratiques petites-bourgeoises, insistent pour que soit atténuée la lutte contre les éléments capitalistes de la campagne et instaurée la liberté complète du commerce, sans que l’État exerce sur ce dernier un rôle régulateur, — ce qui a pour effet de compromettre l’alliance, par un autre bout.

    Voilà ce qui est mal. Voilà — pour l’esprit unilatéral.

    Il arrive également que l’on dénonce ceux qui contestent, mettons, lapossibilité et l’utilité d’encourager les exploitations paysannes

    individuelles, petites et moyennes, qui, au stade actuel, forment la base de l’économie rurale.

    Cela est très bien, mais ce qui est mal et faux, c’est lorsque, parallèlement, on néglige de dénoncer ceux qui cherchent à infirmer l’importance des collectivités agricoles et des fermes d’État, ceux qui ne voient pas que le relèvement de la production paysanne, petite et moyenne, doit être complété pratiquement par la tâche consistant à développer l’édification des kolkhoz et sovkhoz. Une fois de plus — esprit unilatéral.

    Pour assurer une juste ligne, il importe donc de livrer la lutte sur deux fronts et de se départir de tout esprit unilatéral.

    Que faut-il entreprendre pour que toutes ces tâches ne se dissocient pas les unes des autres au travers de notre activité actuelle à la campagne ?

    Il faut, pour le moins, préconiser un mot d’ordre directeur capable de grouper tous ces objectifs en une seule formule universelle, et d’empêcher, en conséquence, la séparation de ces tâches les unes d’avec les autres.

    Existe-t-il dans notre arsenal du Parti une telle formule, un tel mot d’ordre ?

    Oui, c’est le mot d’ordre de Lénine : « Aboutir à une entente avec le paysan moyen sans abandonner, l’espace d’une seconde, la lutte contre le koulak et en s’appuyant uniquement sur la paysannerie pauvre ».

    Voilà pourquoi je pense que ce mot d’ordre est le plus utile et le plus universel ; qu’il importe de le mettre au tout premier plan précisément à l’heure actuelle, dans les conditions présentes de notre travail à la campagne.

    Selon vous, le mot d’ordre de Lénine est un mot d’ordre « d’opposition », et vous demandez dans votre lettre : « Comment se fait-il que… ce mot d’ordre d’opposition ait été publié, pour le 1er mai 1928, par la Pravda…? Comment expliquer la présence de ce mot d’ordre dans les colonnes de la Pravda, organe du C.C. du P.C. de l’U.R.S.S.? N’est-ce pas là une faute d’impression ou bien est-ce un compromis avec l’opposition, sur la question du paysan moyen ? »

    Vous n’y allez pas de main morte, camarade S. Mais vous feriez bien de procéder « en douceur », de peur, votre zèle aidant, d’être amené à conclure à la nécessité d’interdire la publication de notre programme qui confirme entièrement le mot d’ordre de Lénine (c’est indéniable !), programme élaboré en majeure partie par Lénine (qui ne saurait être taxé d’opposition !) et adopté par le VIIIe congrès du Parti (lui aussi n’en est pas, de l’opposition !).

    Ayez donc plus de respect pour certains articles de notre programme sur les groupements sociaux, à la campagne ! Ayez donc un peu plus d’estime pour les décisions du VIIIe congrès du P.C. sur la paysannerie moyenne ! Quant à votre phrase au sujet du « compromis avec l’opposition dans la question du paysan moyen », je présume qu’elle ne vaut pas la peine qu’on s’y arrête : vous l’aurez prononcée sans y trop réfléchir.

    Une chose paraît vous chiffonner, c’est que le mot d’ordre de Lénine et le programme du P.C. de l’U.R.S.S. adopté au VHP congrès comportent une entente avec le paysan moyen, cependant que, dans son discours, Lénine préconise une alliance solide avec la paysannerie moyenne.

    Vous y percevez, apparemment, quelque chose comme une contradiction. Peut-être même seriez-vous enclin à supposer que la politique d’entente avec le paysan moyen implique pour ainsi dire un abandon de la politique d’alliance avec ce dernier. C’est faux,camarade S., c’est une grande aberration.

    Voilà bien le cas des gens qui ne voient que la lettre du mot d’ordre, mais ne savent pas en percevoir la portée ; le cas des gens qui ne savent pas l’historique du mot d’ordre sur l’alliance, sur l’entente avec la paysannerie moyenne ; des gens capables d’imaginer que Lénine, qui a proclamé dans son discours d’ouverture au VIIIe congrès, l’ « union solide » avec le paysan moyen, se soit déjugé en déclarant, dans un autre discours prononcé à ces mêmes assises et dans le programme du P.C. adopté au VIIIe congrès, que ce qu’il nous faut actuellement, c’est une politique d’ « entente » avec la paysannerie moyenne.

    Qu’est-ce à dire ?

    Le fait est que Lénine et le P.C., par le truchement du VIIIe congrès, ne voient aucune différence entre le terme « entente » et celui d’ « alliance ». Partout, dans tous ses discours prononcés au VIII’ congrès, Lénine établit le signe d’égalité entre la notion « alliance » et celle d’ « entente ». On peut en dire autant de la résolution du VIII » congrès sur « L’attitude envers la paysannerie moyenne ».

    Comme Lénine et le Parti ne tiennent pas la politique d’entente avec le paysan moyen pour une politique accidentelle et passagère, mais pour une politique durable, ils avaient et ils continuent d’avoir toutes les raisons de considérer la politique d’entente avec la paysannerie moyenne comme celle d’une alliance solide avec cette dernière et, vice-versa, la politique d’une alliance solide avec le paysan moyen- comme une politique d’entente avec ce dernier.

    Il suffit de consulter le compte rendu sténographique du VIIIe congrès du P.C. et la résolution adoptée par ce même congrès sur la paysannerie moyenne, pour s’en convaincre.

    Voici un passage du discours prononcé par Lénine au VIIIr congrès.

    Il arrive souvent que, par l’inexpérience des fonctionnaires soviétiques, par le fait des difficultés en présence, les coups destinés au koulak s’abattent sur la paysannerie moyenne. Sur ce terrain, nous avons commis maintes erreurs.

    L’expérience que nous avons recueillie en ce sens nous permettra de faire tout ce qui est nécessaire pour éviter nos errements à l’avenir.

    C’est là une tâche qui se pose devant nous, non en théorie, mais en pratique. Vous vous rendez parfaitement compte que la tâche ne laisse pas d’être difficile.

    Nous ne possédons pas les bienfaits nécessaires pour en pourvoir les paysans moyens ; or, ceux-ci sont des matérialistes, des praticiens ; ils exigent des bienfaits matériels concrets que nous ne sommes pas à même de leur fournir et dont le pays aura à se passer peut-être encore pendant de longs mois de lutte ardue, lutte qui, dès à présent, nous promet la victoire totale.

    Mais nous pouvons prendre maintes dispositions en ce qui concerne notre pratique administrative ; améliorer notre appareil ; redresser toute une masse d’abus. Nous pouvons et devons corriger et redresser la ligne de notre parti qui ne s’oriente qu’insuffisamment vers l’alliance, vers l’entente avec la paysannerie moyenne. (VHP congrès du P.C. de l’U.R.S.S. Compte rendu sténographique.) Ainsi, vous voyez que Lénine ne fait pas de différence entre l’« entente » et l’ « alliance ».

    Nous reproduisons ci-après des passages tirés de la résolution du VIIIe congrès sur « L’attitude envers la paysannerie moyenne » : Confondre les paysans moyens avec les koulaks, étendre aux premiers, dans telle ou telle mesure, les dispositions dirigées contre ces derniers, reviendrait à enfreindre, de la façon la plus grossièrenon seulement tous les décrets du pouvoir des Soviets et toute sa politique, mais encore les principes fondamentaux du communisme, qui préconisent l’entente du prolétariat avec la paysannerie moyenne en période de lutte résolue livrée par le prolétariat en vue du renversement de la bourgeoisie, condition essentielle nécessaire pour passer sans encombre à la suppression de toute exploitation.

    La paysannerie moyenne, qui a des racines économiques relativement fortes du fait de l’infériorité de la technique agricole par rapport à celle de l’industrie, même dans les pays.

    Capitalistes avancés sans parler déjà de la Russie, se maintiendra un laps de temps assez prolongé après qu’aura éclaté la révolution prolétarienne. Aussi la tactique des fonctionnaires soviétiques à la campagne, comme celle des militants du P.C., doit-elle prévoir une période durable de collaboration avec la paysannerie moyenne…

    …La politique parfaitement juste du pouvoir soviétique à la campagne assure, ainsi l’alliance et l’entente du prolétariat victorieux avec la paysannerie moyenne…

    …La politique du gouvernement ouvrier-paysan et du P.C. doit continuer à s’inspirer du même esprit d’entente du prolétariat et de la paysannerie pauvre avec le paysan moyen. (VIIIe congrès du P.C. de l’U.R.S.S. Compte rendu sténographique.)

    Ainsi, vous voyez que la résolution ne fait pas non plus de différence entre les termes « entente » et « alliance ».

    A noter que la résolution du VIIIe congrès ne contient pas un seul mot de l’ « alliance solide » avec le paysan moyen. Est-ce à dire qu’elle s’écarte, par cela même, de cette alliance ? Non, évidemment.

    Gela veut dire seulement que la résolution établit le signe d’égalité entre le terme « entente », « collaboration » et le terme « alliance solide ».

    Cela se conçoit du reste : il ne saurait y avoir d’ « alliance » avec le paysan moyen sans qu’il y ait « entente » avec lui ; l’alliance avec le paysan moyen ne saurait être « solide » sans qu’il y ait entente « durable » et collaboration avec lui. Voilà les faits.

    De deux choses l’une : ou bien Lénine et le VIIIe congrès du P.C. ont abandonné la déclaration léniniste concernant l’ « alliance solide » avec la paysannerie moyenne, ou bien il faut reconnaître que Lénine et le VIIIe congrès du Parti communiste ne font aucune différence entre le terme « entente » et le terme « alliance solide ».

    Quiconque ne veut pas être la victime d’un inutile ergotage ; quiconque tient à pénétrer le sens du mot d’ordre léniniste préconisant l’appui sur la paysannerie pauvre, l’entente avec le paysan moyen et la lutte contre le koulak, — ne peut pas ne pas comprendre que la politique d’entente avec la paysannerie moyenne est en même temps une politique d’alliance solide avec cette dernière.

    Votre erreur consiste en ce que vous n’avez pas compris le subterfuge malhonnête de l’opposition et êtes tombé dans le piège que vous tendait votre adversaire. Les filous de l’opposition se multiplient en protestations pour faire croire qu’ils sont pour le mot d’ordre de Lénine sur l’entente avec la paysannerie moyenne ; ce faisant, ils lancent une allusion provocatrice comme quoi l’ «entente » avec le paysan moyen est une chose, et l’ « alliance solide » en est une autre.

    C’est ainsi qu’ils courent deux lièvres à la fois : d’abord, camoufler leur véritable position à l’égard de la paysannerie moyenne, position qui implique non point l’entente avec cette dernière, mais le « désaccord » (Voir le discours bien connu du membre de l’opposition, Smirnov, que j’ai cité à la XVIe conférence du P.C. de Moscou) ; ensuite, faire mordre à l’hameçon d’une différence spécieuse entre les termes « entente » et « alliance » les naïfs parmi les bolcheviks, les embrouiller à fond et les écarter de Lénine.

    Comment réagissent à cela certains de nos camarades ? Au lieu d’arracher le masque des opposants, au lieu de les convaincre de mensonge, à l’égard du P.C., au sujet de leur position authentique, au lieu de cela ils mordent à l’hameçon, se laissent prendre au piège et écarter de Lénine.

    L’opposition fait du bruit autour du mot d’ordre de Lénine ; les membres de celle-ci s’essaient au rôle de partisans du mot d’ordre léniniste : aussi, devons-nous nous désolidariser de ce mot d’ordre de peur d’être confondus avec l’opposition, de nous voir accuser de « composer avec l’opposition… ».

    Voilà la logique de ces camarades. Et ce n’est pas là un exemple unique de la filouterie de l’opposition.

    Prenez, par exemple, le mot d’ordre d’autocritique. Les bolcheviks ne peuvent pas ne pas savoir que le mot d’ordre d’autocritique est la base de l’activité de notre parti, le moyen de fortifier la dictature prolétarienne, le fond de la méthode bolchevik de formation de cadres.

    L’opposition fait du battage pour faire croire que le mot d’ordre d’autocritique a été inventé par elle ; que le P.C. lui a emprunté ce mot d’ordre et capitulé ainsi devant l’opposition.

    Ce faisant, l’opposition veut aboutir pour le moins à deux choses : en premier lieu, cacher à la classe ouvrière l’abîme qui existe entre l’autocritique de l’opposition ayant pour but de détruire la discipline du Parti, et l’autocritique bolchevik qui s’assigne pour tâche de renforcer cette discipline ; en second lieu, faire mordre à l’hameçon les naïfs et les obliger à se désolidariser du mot d’ordre lancé par le Parti en fait d’autocritique.

    Comment réagissent certains camarades ? Au lieu d’arracher le masque des filous de l’opposition et de défendre l’autocritique bolchevik, ils se laissent prendre au piège, s’écartent du mot d’ordre d’autocritique, marchent sous la houlette de l’opposition et… capitulent devant elle, pensant à tort qu’ils se désolidarisent ainsi de l’opposition. On pourrait multiplier ces exemples à l’infini.

    Or, dans notre travail, nous ne pouvons marcher sous la houlette de qui que ce soit. Nous ne pouvons d’autant plus nous inspirer dans notre activité de ce que disent à notre sujet les hommes de l’opposition. Nous devons suivre notre chemin, en déjouant les savantes manœuvres de l’opposition et en venant à bout des erreurs de certains de nos bolcheviks qui se laissent prendre à la provocation des opposants.

    Souvenez-vous de ce qu’a dit Marx : « Suivez votre chemin, et laissez dire. »

    Avec mes salutations communistes, le 12 juin 1928, J. Staline

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Le bilan du premier plan quinquennal

    LE BILAN DU PREMIER PLAN QUINQUENNAL RAPPORT PRÉSENTÉ A L’ASSEMBLÉE PLÉNIÉRE COMMUNE DU COMITÉ CENTRAL ET DE LA COMMISSION CENTRALE DE CONTROLE DU PARTI COMMUNISTE (BOLCHEVIK) DE L’U.R.S.S.

    LE 7 JANVIER 1933

    I ­ LA PORTEE INTERNATIONALE DU PLAN QUINQUENNAL

    Camarades, lorsque le plan quinquennal fit son apparition, les gens ne supposaient guère qu’il pût avoir une portée internationale considérable.

    Au contraire, nombreux étaient ceux qui croyaient que le plan quinquennal était une affaire privée de l’Union soviétique, une affaire importante et sérieuse, mais néanmoins une affaire privée, une affaire nationale, de l’Union soviétique.

    L’histoire a montré, cependant, que la portée internationale du plan quinquennal était immense. L’histoire a montré que le plan quinquennal n’était pas une affaire privée de l’Union soviétique, mais l’affaire du prolétariat international tout entier.

    Déjà bien avant l’apparition du plan quinquennal, à l’époque où nous achevions la lutte contre les interventionnistes et où nous nous engagions dans la voie de l’édification économique, déjà à cette époque Lénine disait que notre édification économique avait une immense portée internationale ; que chaque pas en avant accompli par le pouvoir des Soviets sur le chemin de l’édification économique trouvait un écho profond dans les couches les plus diverses des pays capitalistes, et scindait les hommes en deux camps : celui des partisans de la révolution prolétarienne et celui de ses adversaires.

    Lénine disait alors :

    Actuellement, c’est par notre politique économique que nous exerçons notre principale action sur la révolution internationale. Tous regardent la République des Soviets de Russie, tous les travailleurs, dans tous les pays du monde, sans aucune exception et sans aucune exagération. C’est là un point acquis. Sur ce terrain, la lutte se développe à l’échelle mondiale. Si nous résolvons ce problème, nous aurons partie gagnée à l’échelle internationale, à coup sûr et définitivement.

    Aussi les problèmes de l’édification économique acquièrent-ils pour nous une importance tout à fait exceptionnelle. Sur ce front nous devons remporter la victoire par une progression lente, graduelle, — une progression rapide est impossible, — mais continue et ascendante, (t. XXVI, pp. 410-411, éd. Russe.)

    Cela fut dit à l’époque où nous terminions la guerre contre les interventionnistes, où nous passions de la lutte armée contre le capitalisme à la lutte sur le front économique, à la période de construction économique.

    Bien des années se sont écoulées depuis et chaque pas fait par le pouvoir des Soviets dans le domaine de la construction économique,chaque année, chaque trimestre ont brillamment confirmé la justesse de ces paroles du camarade Lénine.

    Mais la confirmation la plus brillante de la justesse des paroles de Lénine a été fournie par le plan quinquennal de notre œuvre de construction, par l’apparition de ce plan, son développement, sa réalisation.

    Il semble bien, en effet, qu’aucune mesure touchant la construction économique de notre pays, n’ait trouvé dans les couches les plus diverses des pays capitalistes d’Europe, d’Amérique et d’Asie, une répercussion analogue à celle du plan quinquennal, de son développement, de sa réalisation.

    Dans les premiers temps, la bourgeoisie et sa presse avaient accueilli le plan quinquennal par la raillerie. «Fantaisie», «délire», «utopie», c’est ainsi qu’elles baptisèrent alors notre plan quinquennal.

    Puis, lorsqu’il apparut que l’application de ce plan donnait des résultats réels, elles sonnèrent le tocsin en prétendant que le plan quinquennal menaçait l’existence des pays capitalistes, que sa réalisation aboutirait à inonder les marchés européens de marchandises, à renforcer le dumping et à aggraver le chômage.

    Ensuite, ce stratagème utilisé contre le pouvoir des Soviets n’ayant pas donné lui non plus les résultats qu’on en attendait, on vit s’ouvrir une série de voyages en U.R.S.S. de différents représentants de toutes sortes de firmes, d’organes de presse, de sociétés de tous genres, etc., venus pour voir de leurs propres yeux ce qui, à proprement parler, se passait en U.R.S.S.

    Je ne parle pas ici des délégations ouvrières qui, dès l’apparition du plan quinquennal, exprimèrent leur admiration pour les initiatives et les succès du pouvoir des Soviets, et manifestèrent leur empressement à soutenir la classe ouvrière de l’U.R.S.S.

    Dès lors, la division commença dans ce qu’on appelle l’opinion publique, dans la presse bourgeoise, dans les sociétés bourgeoises de tous genres, etc.

    Les uns affirmaient que le plan quinquennal avait fait complètement faillite et que les bolcheviks étaient tout près de leur perte. Les autres, au contraire, assuraient que les bolcheviks avaient beau être de mauvaises gens, le plan quinquennal leur réussissait néanmoins, et qu’ils arriveraient probablement à leurs fins.

    Il ne sera peut-être pas superflu de citer quelques appréciations empruntées à divers organes de la presse bourgeoise.

    Prenons, par exemple, le journal américain New-York Times. Fin novembre 1932, il écrivait :

    Le plan quinquennal de l’industrie, qui s’était assigné pour but de lancer un défi au sentiment des proportions et qui poursuivait son but «sans regarder à la dépense», comme Moscou s’en est vantée souvent, avec fierté, n’est pas un plan en réalité. C’est une spéculation.

    Il s’ensuit que le plan quinquennal n’est même pas un plan, mais une vaine spéculation. Et voici l’appréciation émise par le journal bourgeois anglais The Daily Telegraph, fin novembre 1932 : Si l’on considère le plan comme une pierre de touche de l’«économie planifiée», nous devons dire qu’il a fait complètement faillite.

    Appréciation donnée par le New-York Times, en novembre 1932 : La collectivisation a honteusement échoué. Elle a amené la Russie au bord de la famine.Appréciation donnée pendant l’été de 1932 par la Gazeta Polska, journal bourgeois polonais :

    La situation semble montrer que le gouvernement des Soviets, avec sa politique de collectivisation des campagnes, s’est engagé dans une impasse.

    Appréciation donnée par le Financial Times, journal bourgeois anglais, en novembre 1932 :

    En conséquence de leur politique, Staline et son parti se trouvent placés devant l’effondrement du système préconisé par le plan quinquennal, et devant l’échec de toutes les tâches qu’il était appelé à réaliser.

    Appréciation de la revue italienne Politica :

    Il serait absurde de croire que quatre années de travail fourni par un peuple comptant 160 millions d’habitants, quatre années d’effort économique et politique surhumain de la part d’un régime aussi fort que l’est le régime bolchevik, n’aient rien créé. Au contraire, ils ont beaucoup créé… Et néanmoins, la catastrophe est là, c’est un fait évident pour tout le monde.

    Amis et ennemis, bolcheviks et antibolchéviks,

    oppositionnels de droite et de gauche, tous s’en sont convaincus.

    Enfin l’appréciation donnée par la revue bourgeoise américaine Curent History :

    Ainsi l’examen de l’état actuel des choses, en Russie, conduit à la conclusion que le programme de cinq ans s’est effondré en ce qui concerne les buts annoncés, et encore davantage en ce qui concerne ses principes sociaux essentiels.

    Telles sont les appréciations d’une partie de la presse bourgeoise.Il ne vaut guère la peine de critiquer les auteurs de ces jugements. Je pense que cela n’en vaut pas la peine.

    Cela n’en vaut pas la peine parce que ces «die-hards» appartiennent à la race des fossiles moyenâgeux, pour qui les faits n’ont pas d’importance et qui, quelle que soit la façon dont se réalise notre plan quinquennal, continueront quand même à ressasser leur antienne.

    Passons aux appréciations d’autres organes de presse, émanant du même camp bourgeois.

    Voici l’appréciation donnée en janvier 1932 par le journal bourgeois français bien connu, le Temps :

    L’Union soviétique a gagné la première manche en s’industrialisant, sans apport de capital étranger.

    Appréciation du même Temps, donnée en été 1932 : … le communisme aura franchi d’un bond l’étape constructive qu’en régime capitaliste il faut parcourir à pas lents… Ce qui nous gêne, en France particulièrement, où la propriété s’est divisée à l’infini, c’est l’impossibilité où nous sommes de mécaniser l’agriculture… En industrialisant leur agriculture, les Soviets résolvent le problème… Pratiquement, les bolchévistes ont gagné la partie contre nous.

    Appréciation de la revue bourgeoise anglaise Round Table : Les réalisations du plan quinquennal sont un phénomène surprenant.

    Les usines de tracteurs de Kharkov et de Stalingrad, l’usine d’automobiles Amo à Moscou, l’usine d’automobiles de Nijni-Novgorod, la centrale hydroélectrique du Dniepr, les aciéries grandioses de Magnitogorsk et de Kouznetsk, tout un réseau d’usines de constructions mécaniques et de produits chimiques dans l’Oural, lequeldevient une Ruhr soviétique, toutes ces réalisations industrielles et tant d’autres dans le pays entier témoignent que, quelles que soient les difficultés, l’industrie soviétique, telle une plante bien arrosée, croît et se fortifie…

    Le plan quinquennal a jeté les bases du développement futur et a considérablement renforcé la puissance de l’U.R.S.S.

    Appréciation du journal bourgeois anglais Financial Times : Les succès obtenus dans l’industrie des constructions mécaniques ne peuvent faire aucun doute. L’exaltation de ces succès dans la presse et dans les discours n’est nullement dépourvue de fondement. Il ne faut pas oublier qu’autrefois la Russie ne produisait que les machines et les outils les plus simples.

    Il est vrai que maintenant encore les chiffres absolus de l’importation des machines et instruments sont en progression ; mais la proportion des machines importées, en comparaison de celles fabriquées en U.R.S.S., est en baisse constante. L’U.R.S.S. fabrique actuellement tout l’outillage nécessaire à son industrie métallurgique et électrique. Elle a su créer sa propre industrie automobile.

    Elle a créé la production des outils et instruments dans toute leur gamme, depuis les plus petits instruments de haute précision jusqu’aux presses les plus lourdes. En ce qui concerne les machines agricoles, l’U.R.S.S. ne dépend plus des importations de l’étranger.

    D’autre part, le gouvernement soviétique prend des mesures pour que les retards dans la production du charbon et du fer n’empêchent pas la réalisation du plan quinquennal en quatre ans. Il est hors de doute que les immenses usines nouvellement construites garantissent un accroissement considérable de la production de l’industrie lourde.

    Appréciation donnée au début de 1932 par le journal bourgeois autrichien Neue Freie Presse :On peut maudire le bolchévisme, mais il faut le connaître. Le plan quinquennal est un nouveau colosse, dont il importe de tenir compte, pour le moins au point de vue économique.

    Appréciation donnée en octobre 1932 par le capitaliste anglais Gibson Jarvie, président de la Banque United Dominion : Je tiens à déclarer que je ne suis ni communiste, ni bolchevik, je suis sans nul doute un capitaliste et un individualiste… La Russie progresse au moment où beaucoup trop de nos usines sont inactives et où près de trois millions d’individus de notre pays cherchent désespérément du travail. On a raillé le plan quinquennal et on en a prédit la faillite. Mais soyez certains qu’on a fait plus que le plan quinquennal s’était proposé de faire…

    Dans toutes les villes industrielles que j’ai visitées, j’ai vu bâtir, d’après un plan déterminé, de nouveaux quartiers avec de larges rues plantées d’arbres et dotées de squares, avec des maisons du type le plus moderne, avec des écoles, des hôpitaux, des clubs ouvriers et les inévitables pouponnières et jardins d’enfants, où l’on prend soin des bébés des mères-ouvrières…

    N’essayez pas de sous-estimer les Russes et leurs plans, et ne commettez pas la faute d’espérer que le gouvernement soviétique puisse s’effondrer… La Russie d’aujourd’hui est un pays doué d’une âme et d’un idéal.

    La Russie est un pays d’une activité étonnante. J’ai la conviction que les aspirations de la Russie sont saines… Le plus important, c’est peut-être que toute la jeunesse et les ouvriers de la Russie ont une chose qui, malheureusement, fait aujourd’hui défaut dans les pays capitalistes, à savoir l’espérance.

    Appréciation donnée en novembre 1932 par la revue bourgeoise américaine The Nation :

    Les quatre années du plan quinquennal ont apporté de»réalisations vraiment remarquables. L’Union soviétique s’est consacrée avec une activité intense, propre au temps de guerre, à l’édification des bases d’une vie nouvelle. La physionomie du pays change littéralement au point qu’il devient impossible de la reconnaître…

    Cela est vrai pour Moscou, avec ses centaines de squares et rues nouvellement asphaltées, avec ses nouveaux édifices, avec ses nouveaux faubourgs et sa ceinture de nouvelles fabriques suburbaines. Cela est également vrai pour les villes de moindre importance.

    De nouvelles cités ont surgi dans les steppes et dans les déserts, non pas quelques villes isolées, mais au moins cinquante villes avec une population de cinquante à deux cent cinquante mille habitants. Elles ont toutes surgi, dans les quatre dernières années, autour des nouvelles entreprises construites pour la mise en valeur des ressources naturelles de la région.

    Des centaines de nouvelles centrales électriques régionales et toute une série d’entreprises géantes comme le Dniéprostroï, font peu à peu une réalité de la formule de Lénine : «Le socialisme, c’est le pouvoir des Soviets plus l’électrification»…

    L’Union soviétique a organisé la production en masse d’un nombre infini d’articles que la Russie n’avait jamais fabriqués autrefois : tracteurs, moissonneuses-batteuses, aciers extra-fins, caoutchouc synthétique, roulements à billes, puissants moteurs Diesel, turbines de cinquante mille kws, appareillage téléphonique, machines électriques pour l’industrie minière, aéroplanes, automobiles, bicyclettes, sans compter des centaines de types de machines nouvelles.

    Pour la première fois dans l’histoire, la Russie extrait l’aluminium, la magnésite, les apatites, l’iode, la potasse et de nombreux autres produits de valeur. Ce ne sont plus les croix et les coupoles des églises qui servent de point de repère dans les plaines soviétiques, mais les élévateurs de grains et lestours-silos. Les kolkhoz construisent des maisons, des étables, des porcheries.

    L’électricité pénètre à la campagne, la radio et les journaux l’ont conquise. Les ouvriers apprennent à travailler sur les machines les plus modernes.

    Les jeunes paysans construisent et manient des machines agricoles plus grandes et plus complexes que celles que l’Amérique a jamais vues. La Russie commence à «penser machines». La Russie passe rapidement du siècle du bois au siècle du fer, de l’acier, du béton et des moteurs.

    Appréciation donnée en septembre 1932 par la revue réformiste de «gauche» anglaise Forward :

    L’immense travail qui s’accomplit en U.R.S.S. saute aux yeux.

    Nouvelles usines, nouvelles écoles, nouveaux cinémas, nouveaux clubs, nouveaux immeubles géants — partout des constructions nouvelles. Beaucoup sont déjà, terminées, d’autres sont encore revêtues d’échafaudages. Il est difficile de raconter au lecteur anglais ce qui a été fait depuis deux ans et ce qui est en train de se faire. Il faut voir tout cela pour le croire.

    Les réalisations que nous avons nous-mêmes enregistrées du temps de la guerre ne sont que bagatelle en comparaison de ce qui se fait en U.R.S.S.

    Les Américains reconnaissent que même la période de fièvre de construction la plus intense dans les Etats de l’Ouest, n’offrait rien de comparable à la fiévreuse activité créatrice de l’U.R.S.S., aujourd’hui.

    Pendant les deux dernières années, l’U.R.S.S. a été le théâtre de tant de changements qu’on renonce à imaginer ce que ce pays sera dans dix ans…

    Otez-vous de la tête les histoires fantastiques et terrifiantes rapportées par les journaux anglais, qui mettent tant de ténacité et de sottise à calomnier l’U.R.S.S.

    Otez-vous encore de la tête ces impressions et demi-vérités fondées sur l’incompréhension, qui sont répandues par des intellectuels dilettantes, lesquels considèrent l’U.R.S.S. d’unoeil protecteur, à travers les lunettes de l’homme de la rue, mais qui n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe là-bas…

    L’U.R.S.S. construit une nouvelle société sur de saines assises. Pour atteindre ce but, il faut s’exposer au risque, il faut travailler avec enthousiasme, avec une énergie sans précédent ; il faut lutter contre des difficultés énormes, inévitables lorsqu’on veut construire le socialisme dans un vaste pays isolé du reste du monde.

    Or, après avoir visité de nouveau ce pays au bout de deux ans, j’ai l’impression qu’il s’est engagé dans la voie d’un progrès solide, qu’il planifie, qu’il crée et construit, tout cela sur une échelle qui est un défi éclatant lancé au monde capitaliste hostile.

    Telles sont les divergences d’opinion et la division dans le camp des milieux bourgeois : les uns sont pour réduire à néant l’U.R.S.S. avec son plan quinquennal qu’ils prétendent en faillite, les autres sont visiblement pour une collaboration commerciale avec l’U.R.S.S., dans l’espoir évident de tirer quelque profit des succès du plan quinquennal.

    Il convient d’envisager à part l’attitude de la classe ouvrière des pays capitalistes à l’égard du plan quinquennal, à l’égard des succès de l’édification socialiste en U.R.S.S. On pourrait se borner, ici, à reproduire l’appréciation de l’une des nombreuses délégations ouvrières qui visitent l’U.R.S.S. chaque année, ne serait-ce que celle de la délégation ouvrière belge.

    Ce témoignage est typique pour toutes les délégations ouvrières sans exception, qu’il s’agisse des délégations anglaises ou françaises, des délégations allemandes ou américaines ou des délégations d’autres pays. Voici ce témoignage :

    Nous sommes frappés d’admiration devant l’édification grandiose que nous avons constatée au cours de notre voyage.

    A Moscou, comme à Makéevka, à Gorlovka, à Kharkov et àLeningrad, nous avons pu nous rendre compte de l’enthousiasme avec lequel on y travaille. Les machines sont toutes du dernier modèle. Dans les usines règne la propreté, il y a beaucoup d’air et de lumière. Nous avons vu comment en U.R.S.S. les ouvriers étaient entourés de soins médicaux et sanitaires.

    Les maisons ouvrières sont bâties à proximité des usines. Les cités ouvrières sont pourvues d’écoles et de pouponnières ; les enfants y jouissent des soins les plus attentifs. Nous avons pu voir la différence entre les anciennes usines et celles nouvellement construites, entre les anciennes et les nouvelles habitations.

    Tout ce que nous avons vu nous a donné une idée nette de la force colossale des travailleurs qui édifient la nouvelle société sous la direction du Parti communiste. Nous avons observé en U.R.S.S. un essor culturel gigantesque, alors que dans les autres pays, c’est la dépression dans tous les domaines et le chômage.

    Nous avons pu nous rendre compte des difficultés exceptionnelles que les travailleurs soviétiques rencontrent sur leur chemin. Nous comprenons d’autant mieux l’orgueil avec lequel ils nous montrent les succès obtenus. Nous sommes persuadés qu’ils surmonteront tous les obstacles.

    Voilà donc la portée internationale du plan quinquennal.

    Il nous a suffi de faire un travail d’édification pendant quelque deux ou trois ans ; il a suffi de montrer les premiers succès du plan quinquennal, pour que le monde tout entier se scinde en deux camps, le camp de ceux qui aboient après nous sans se lasser, et le camp de ceux qui sont frappés des réalisations du plan quinquennal, sans parler de notre propre camp, qui existe et se fortifie dans le monde entier, le camp de la classe ouvrière des pays capitalistes, qui se réjouit des succès de la classe ouvrière de l’U.R.S.S. et est prêt à lui donner son soutien, au grand effroi de la bourgeoisie mondiale.

    Qu’est-ce à dire ? Cela veut dire que la portée internationale du plan quinquennal, la portée internationale de ses succès et de ses conquêtes, ne peut être mise en doute.

    Cela veut dire que les pays capitalistes portent en eux la révolution prolétarienne et que, précisément pour cela, la bourgeoisie voudrait puiser dans des échecs du plan quinquennal un nouvel argument contre la révolution, tandis que le prolétariat, au contraire, s’efforce de puiser et puise réellement dans les succès du plan quinquennal un nouvel argument en faveur de la révolution, contre la bourgeoisie du monde entier.

    Les succès du plan quinquennal mobilisent les forces révolutionnaires de la classe ouvrière de tous les pays contre le capitalisme, c’est là un fait incontestable.

    Il est hors de doute que la portée révolutionnaire internationale du plan quinquennal, est réellement immense.

    Nous devons accorder une attention d’autant plus grande au plan quinquennal, à son contenu, à ses tâches essentielles.

    Nous devons analyser avec d’autant plus de soin le bilan du plan quinquennal, le bilan de son exécution et de sa mise en pratique.

    II ­ LA TACHE ESSENTIELLE DU PLAN QUINQUENNAL
    ET LES MOYENS DE L’ACCOMPLIR

    Passons à la question du plan de cinq ans considéré en lui-même.

    Qu’est ce que le plan de cinq ans ?Quelle était la tâche essentielle du plan quinquennal ? La tâche essentielle du plan quinquennal était de faire passer notre pays, de sa technique arriérée, parfois médiévale, à une technique nouvelle, moderne.

    La tâche essentielle du plan quinquennal était de transformer l’U.R.S.S., de pays agraire et débile, qui dépendait des caprices des pays capitalistes, en un pays industriel et puissant parfaitement libre de ses actions et indépendant des caprices du capitalisme mondial.

    La tâche essentielle du plan quinquennal était, tout en transformant l’U.R.S.S. en un pays industriel, d’éliminer complètement les éléments capitalistes, d’élargir le front des formes socialistes de l’économie et de créer une base économique pour la suppression des classes en U.R.S.S., pour la construction d’une société socialiste.

    La tâche essentielle du plan quinquennal était de créer dans notre pays une industrie capable de ré­outiller et de réorganiser, sur la base1 du socialisme, non seulement l’industrie dans son ensemble, mais aussi les transports, mais aussi l’agriculture.

    La tâche essentielle du plan quinquennal était de faire passer la petite économie rurale morcelée sur la voie de la grande économie collectivisée, d’assurer par cela même la base économique du socialisme à la campagne, et de rendre impossible la restauration du capitalisme en U.R.S.S.

    Enfin, la tâche du plan quinquennal était de créer dans le pays toutes les conditions techniques et économiques nécessaires pour en relever au maximum la capacité de défense, pour lui permettre d’organiser une riposte vigoureuse à toutes les tentatives d’intervention armée, à toutes les tentatives d’agression armée de l’extérieur, d’où qu’elles viennent.

    Qu’est-ce qui dictait cette tâche essentielle du plan quinquennal ? qu’est-ce qui la justifiait ?

    La nécessité de faire cesser le retard économique et technique de l’U.R.S.S., qui la condamnait à une existence peu enviable ; la nécessité de créer dans le pays des conditions lui permettant non seulement de rejoindre, mais de dépasser avec le temps, au point de vue économique et technique, les pays capitalistes avancés.

    L’idée que le pouvoir des Soviets ne peut longtemps se maintenir sur la base d’une industrie arriérée ; que seule une grande industrie moderne, qui non seulement ne le cède en rien à l’industrie des pays capitalistes mais est capable, avec le temps, de la surpasser, peut servir de fondement réel et sûr au pouvoir des Soviets.

    L’idée que le pouvoir des Soviets ne peut longtemps se baser sur deux fondements opposés, sur la grande industrie socialiste qui anéantit les éléments capitalistes, et sur la petite économie paysanne individuelle, qui engendre les éléments capitalistes.

    L’idée qu’aussi longtemps qu’une base de grosse production ne sera pas assignée à l’agriculture ; qu’aussi longtemps que les petites exploitations paysannes ne seront pas groupées en de grandes exploitations collectives, le danger de restauration du capitalisme en U.R.S.S. est le danger le plus réel de tous les dangers possibles.

    Lénine disait :

    La Révolution a fait que la Russie, en quelques mois, a rattrapé, quant à son régime politique, les pays avancés.

    Mais cela ne suffit pas. La guerre est inexorable. Elle pose la question avec une âpreté implacable : périr ou rejoindre les pays avancés et les dépasser aussi au point de vue économique… Périr ou s’élancer en avant à toute vapeur. C’est ainsi que l’histoire pose la question. («La catastropheimminente et les moyens de la conjurer», t. XXI, p. 191, éd. Russe.)

    Lénine disait :

    Tant que nous vivons dans un pays de petits paysans, il existe en Russie, pour le capitalisme, une base économique plus solide que pour le communisme. Il faut bien retenir cela.

    Tous ceux qui ont observé attentivement la vie rurale en la comparant à la vie urbaine, savent que nous n’avons pas arraché les racines du capitalisme, ni sapé les fondements, la base de l’ennemi intérieur.

    Ce dernier se maintient sur les petites exploitations, et pour en venir à bout il n’est qu’un moyen : faire passer l’économie du pays, y compris l’agriculture, sur une nouvelle base technique, sur la base technique de la grande production moderne…

    C’est lorsque le pays sera électrifié, lorsque nous aurons donné à l’industrie, à l’agriculture et aux transports la base technique de la grande industrie moderne, c’est alors seulement que notre victoire sera définitive. («Rapport au VIIIe congrès des Soviets de la R.S.F.S.R.», t. XXVI, pp. 46-47, éd. Russe.)

    C’est de ces thèses que s’est inspiré le Parti pour élaborer le plan quinquennal et déterminer la tâche essentielle de ce plan.

    Voilà ce qu’il en est de la tâche essentielle du plan quinquennal.

    Mais on ne saurait entreprendre la réalisation d’un plan aussi grandiose, à la débandade, en commençant par n’importe quoi. Pour réaliser un tel plan, il faut tout d’abord trouver le maillon essentiel, car ce n’est qu’après avoir trouvé ce maillon et s’en être saisi, qu’il a été possible de tirer à soi tous les autres maillons du plan.

    Quel était le principal maillon du plan quinquennal ?

    C’était l’industrie lourde et son pivot : les constructions mécaniques.

    Car seule l’industrie lourde peut reconstruire et mettre sur pied et l’industrie dans son ensemble, et les transports, et l’agriculture. C’est donc par elle qu’il fallait commencer la réalisation du plan quinquennal. Il importait par conséquent de mettre le rétablissement de l’industrie lourde à la base de la réalisation du plan quinquennal.

    Sur ce point aussi nous avons des indications de Lénine : Le salut pour la Russie n’est pas seulement dans une bonne récolte de l’économie paysanne — cela ne suffit pas encore – et pas seulement dans le bon état de l’industrie légère qui fournit aux paysans les articles de consommation — cela non plus ne suffit pas encore — il nous faut également une industrie lourde…

    Si nous ne sauvons pas l’industrie lourde, si nous ne la rétablissons pas, nous ne pourrons construire aucune industrie et, à défaut de celle­ci, c’en sera fait de nous, en général, comme pays indépendant… L’industrie lourde a besoin de subventions de l’État. Si nous ne les trouvons pas, c’en est fait de nous comme Etat civilisé, je ne dis même pas socialiste.

    («Rapport au IVe congrès de l’Internationale communiste», t. XXVII, p. 349, éd. Russe.)

    Mais le rétablissement et le développement de l’industrie lourde, surtout dans un pays arriéré et pauvre comme l’était notre pays au début du plan quinquennal, constituent une tâche des plus ardues, car l’industrie lourde exige, on le sait, des dépenses financières considérables et un certain minimum de forces techniques expérimentées, sans quoi le rétablissement de l’industrie lourde est tout bonnement impossible.

    Le Parti le savait-il et s’en rendait-il compte ? Oui, il le savait. Et non seulement il le savait, mais il le proclamait hautement. Le Parti savait de quelle façon l’industrie lourde fut édifiée en Angleterre, en Allemagne, en Amérique.

    Il savait que l’industrie lourde fut édifiée,dans ces pays, soit à l’aide de gros emprunts, soit par le pillage d’autres pays, soit par les deux moyens à la fois. Le Parti savait que ces voies-là sont fermées pour notre pays. Sur quoi comptait-il donc ?

    Il comptait sur les forces propres de notre pays. Il comptait que, possédant le pouvoir soviétique et nous appuyant sur la nationalisation de la terre, de l’industrie, des transports, des banques, du commerce, nous pourrions appliquer le régime de la plus stricte économie pour accumuler des ressources suffisantes, nécessaires au rétablissement et au développement de l’industrie lourde.

    Le Parti disait tout net que cette entreprise exigerait de sérieux sacrifices et que, si nous voulions atteindre le but, nous devions consentir ces sacrifices ouvertement et consciemment. Le Parti comptait mener à bien cette entreprise par les forces intérieures de notre pays, sans crédits asservissants et sans emprunts extérieurs.

    Voici ce que disait Lénine à ce sujet :

    Nous devons nous efforcer de construire un Etat où les ouvriers continueraient à exercer la direction sur les paysans et garderaient la confiance de ces derniers, Etat où, par une économie rigoureuse, ils banniraient de tous les domaines de la vie sociale les moindres traces d’excès.

    Nous devons réaliser le maximum d’économie dans notre appareil administratif. Nous devons en bannir toutes les traces d’excès que lui a laissées en si grand nombre la Russie tsariste, son appareil capitaliste et bureaucratique.

    Est-ce que ce ne sera pas le règne de la médiocrité paysanne ? Non.

    Si nous conservons à la classe ouvrière sa direction sur la paysannerie, nous pourrons, au prix d’une économie des plus rigoureuses dans la gestion de notre Etat, employer la moindre somme économisée pour développer notre grande industrie mécanisée, l’électrification, l’extraction hydraulique de la tourbe, pour achever la construction de la centrale électrique du Volkhov, etc.

    Là, et là seulement est notre espoir. Alors seulement nous pourrons, pour employer une expression figurée, changer le cheval miséreux du paysan, du moujik, le cheval des économies prévues pour un pays paysan ruiné, — contre celui que recherche et ne peut pas ne pas rechercher pour soi le prolétariat, contre le cheval de la grande industrie mécanisée, de l’électrification, de la centrale hydro-électrique du Volkhov, etc. («Mieux vaut moins, mais mieux», t. XXVII, p. 417, éd. Russe.)

    Changer le cheval miséreux du moujik contre le cheval de la grande industrie mécanisée, tel est le but que poursuivait le Parti en élaborant le plan quinquennal et en travaillant à sa réalisation.

    Etablir le régime de la plus stricte économie et accumuler les ressources nécessaires au financement de l’industrialisation de notre pays, voilà le chemin qu’il fallait emprunter pour arriver à rétablir l’industrie lourde et à réaliser le plan quinquennal.

    Tâche hardie ? Chemin difficile ? Mais notre Parti s’appelle précisément le Parti de Lénine, parce qu’il n’a pas le droit de craindre les difficultés.

    Bien plus. La certitude qu’avait le Parti quant à la possibilité de réaliser le plan quinquennal, et sa foi dans les forces de la classe ouvrière étaient si grandes qu’il a jugé possible de s’assigner comme tâche la réalisation de cette œuvre difficile, non pas en cinq ans, ainsi que le demandait le plan quinquennal, mais en quatre— ou plutôt en quatre ans et trois mois, si l’on y ajoute le trimestre spécial.

    C’est sur cette base qu’est né le mot d’ordre fameux : «Le plan quinquennal en quatre ans».Et qu’est-il advenu ?

    Les faits ont montré par la suite que le Parti avait raison.

    Les faits ont montré que, sans cette hardiesse et cette foi dans les forces de la classe ouvrière, le Parti n’aurait pu remporter la victoire dont aujourd’hui nous sommes fiers à bon droit.

    III ­ LE BILAN DU PLAN QUINQUENNAL
    EN QUATRE ANS DANS L’INDUSTRIE

    Passons maintenant au bilan de la réalisation du plan quinquennal.

    Quel est, dans l’industrie, le bilan du plan quinquennal en quatre ans ?

    Avons-nous remporté la victoire dans ce domaine ? Oui, nous l’avons remportée. Et non seulement nous l’avons remportée, mais nous avons fait plus que nous n’attendions nous-mêmes, plus que ne pouvaient attendre les têtes les plus chaudes de notre Parti. Cela, nos ennemis eux-mêmes ne le nient plus maintenant. D’autant moins peuvent le nier nos amis.

    Nous n’avions pas de sidérurgie, base de l’industrialisation du pays.

    Nous l’avons maintenant.

    Nous n’avions pas d’industrie des tracteurs. Nous l’avons maintenant.

    Nous n’avions pas d’industrie automobile. Nous l’avons maintenant.

    Nous n’avions pas d’industrie des constructions mécaniques. Nous l’avons maintenant.Nous n’avions pas une sérieuse industrie chimique moderne. Nous l’avons maintenant.

    Nous n’avions pas une véritable et sérieuse industrie pour la fabrication des machines agricoles modernes. Nous l’avons maintenant.

    Nous n’avions pas d’industrie aéronautique. Nous l’avons.

    Pour la production de l’énergie électrique nous occupions la toute dernière place. Nous sommes maintenant arrivés à une des premières places.

    Pour la production des produits du pétrole et du charbon, nous occupions la dernière place. Maintenant nous sommes arrivés à une des premières places.

    Nous ne possédions qu’une seule base houillère et métallurgique, — celle de l’Ukraine, — que nous avions beaucoup de mal à exploiter.

    Nous sommes arrivés non seulement à remettre debout cette base, — mais encore nous avons créé une nouvelle base houillère et métallurgique dans l’Est, qui fait l’orgueil de notre pays.

    Nous ne possédions qu’une seule base de l’industrie textile, dans le nord du pays. Nous avons fait en sorte que d’ici peu nous aurons deux nouvelles bases de l’industrie textile, en Asie centrale et en Sibérie occidentale.

    Et non seulement nous avons créé ces nouvelles et vastes industries, mais nous les avons créées sur une échelle et dans des proportions qui font pâlir les échelles et les proportions de l’industrie européenne.

    Tout cela a abouti au fait que les éléments capitalistes sont éliminésde l’industrie, définitivement et sans retour, cependant que l’industrie

    socialiste est devenue la seule forme de l’industrie en U.R.S.S.

    Tout cela a abouti au fait que notre pays, d’agraire est devenu industriel, puisque la part de la production industrielle par rapport à la production agricole a passé de 48 %, au début de la période quinquennale (1928), à 70 % vers la fin de la quatrième année du plan quinquennal (1932).

    Tout cela a abouti au fait que, vers la fin de la quatrième année de la période quinquennale, nous avons accompli le programme de l’ensemble de la production industrielle, établi pour cinq ans, à 93,7 %, en augmentant ainsi le volume de la production industrielle de plus du triple en comparaison du niveau d’avant-guerre, et de plus du double en comparaison du niveau de 1928.

    Quant au programme de la production de l’industrie lourde, nous avons réalisé le plan quinquennal à 108 %. Il est vrai que pour le programme d’ensemble du plan quinquennal, nous l’avons rempli à 6 % près.

    Mais cela s’explique par le fait que, étant donné le refus des pays voisins de signer avec nous des pactes de non-agression, et vu les complications survenues en Extrême-Orient, il nous a fallu, pour renforcer la défense du pays, aménager en hâte une série de nos usines pour la fabrication de moyens de défense modernes.

    Or, cet aménagement, vu la nécessité de passer par une certaine période de préparation, aboutit à ce résultat que ces usines cessèrent de produire pendant quatre mois, ce qui devait forcément se répercuter sur l’accomplissement du programmé général de production prévu au plan quinquennal, au cours de l’année 1932.

    Cette opération a eu pour résultat que nous avens comblé toutes les lacunes, en ce qui concerne la capacité de défense du pays. Mais elle ne pouvait manquer d’exercer une influence négative sur l’accomplissement du programme de production prévu au planquinquennal. Nul doute que sans cette circonstance nouvelle, nous n’aurions pas seulement réalisé, mais à coup sûr dépassé les chiffres du plan de cinq ans.

    Enfin, tout cela a abouti au fait que de pays faible et non préparé à la défense, l’Union soviétique est «devenue un pays puissant quant à sa capacité de défense, un pays prêt à toutes les éventualités, un pays capable de produire en masse tous les instruments de défense modernes et d’en munir son armée en cas d’agression du dehors.

    Tel est, dans l’ensemble, le bilan du plan quinquennal en quatre ans, dans l’industrie.

    Jugez maintenant vous-mêmes ce que vaut, après cela, le verbiage de la presse bourgeoise sur la «faillite» du plan quinquennal dans l’industrie.

    Et comment les choses se présentent-elles dans les pays capitalistes, qui traversent actuellement une âpre crise quant au mouvement de leur production industrielle ?

    Voici les données officielles connues de tous.

    Alors qu’à la fin de 1932, le volume de la production industrielle de l’U.R.S.S. s’est élevé à 334 % par rapport à son niveau d’avant-guerre, le volume de la production industrielle aux Etats-Unis est tombé, pour la même période, à 84 % du niveau d’avant-guerre ; en Angleterre, à 75 % ; en Allemagne, à 62 %.

    Alors qu’à la fin de 1932 le volume de la production industrielle de l’U.R.S.S. s’est élevé à 219 % par rapport au niveau de 1928, le volume de la production industrielle aux Etats-Unis est tombé, pour la même période, à 56 % ; en Angleterre, à 30 % ; en Allemagne, à 55 % ; en Pologne, à 54 %.

    Que dénotent ces chiffres, sinon que le système industriel capitaliste n’a pas résisté à l’épreuve dans sa compétition avec le système soviétique ; que le système industriel soviétique a tous les avantages sur le système capitaliste.

    On nous dit : Tout cela est fort bien, on a construit beaucoup de nouvelles usines, on a jeté les bases de l’industrialisation.

    Mais il aurait beaucoup miteux valu renoncer à la politique d’industrialisation, à la politique d’extension de la production des moyens de production, ou du moins rejeter cette tâche à l’arrière-plan, afin de produire une plus grande quantité de cotonnades, de chaussures, de vêtements et autres objets de grande consommation.

    La production d’objets de grande consommation a été inférieure à nos besoins, et cela crée certaines difficultés.

    Mais alors il faut savoir et il faut se rendre compte à quoi nous aurait conduits cette politique de mise à l’arrière-plan des tâches de l’industrialisation. Evidemment, sur le milliard et demi de roubles, en devises étrangères, que nous avons dépensés au cours de cette période pour équiper notre industrie lourde, nous aurions pu réserver la moitié aux importations de coton, de cuir, de laine, de caoutchouc, etc.

    Nous aurions eu alors plus de cotonnades, de chaussures, de vêtements. Mais alors nous n’aurions ni industrie des tracteurs, ni industrie automobile ; nous n’aurions pas de sidérurgie tant soit peu importante ; nous n’aurions pas de métal pour la fabrication des machines, et nous serions désarmés face à l’encerclement capitaliste armé d’une technique nouvelle.

    Nous nous serions alors privés de la possibilité de fournir l’agriculture en tracteurs et en machines agricoles, et donc nous serions restés sans blé.

    Nous nous serions mis dans l’impossibilité de vaincre les éléments capitalistes du pays, et donc nous aurions augmenté incroyablement les chances de restauration du capitalisme.

    Nous n’aurions pas alors tous les moyens modernes de défense, sans lesquels l’indépendance d’un pays comme Etat est impossible ; sans lesquels un pays devient un objectif pour les opérations militaires de ses ennemis du dehors.

    Notre situation serait alors plus ou moins analogue à celle de la Chine d’aujourd’hui, qui n’a pas une industrie lourde, qui n’a pas une industrie de guerre à elle et que grugent maintenant tous ceux qui veulent s’en donner la peine.

    En un mot, nous aurions dans ce cas une intervention militaire, non pas des pactes de non-agression, mais la guerre, une guerre dangereuse, mortelle, une guerre sanglante et inégale, puisque dans cette guerre nous serions à peu près désarmés devant l’ennemi disposant de tous les moyens modernes d’agression.

    Voilà le tour que prennent les choses, camarades.

    Il est clair qu’un pouvoir d’État qui se respecte, qu’un parti qui se respecte, ne pouvait se placer à un point de vue aussi néfaste.

    Et c’est précisément parce que le Parti a repoussé cette position antirévolutionnaire, qu’il a remporté une victoire décisive quant à l’exécution du plan quinquennal dans l’industrie.

    En réalisant le plan quinquennal et en organisant la victoire dans l’oeuvre de construction industrielle, le Parti a suivi la politique d’accélération maximum des rythmes de développement de l’industrie. Le Parti pour ainsi dire aiguillonnait le pays, afin de hâter sa course en avant.

    Le Parti a-t-il bien fait de pratiquer la politique des rythmes accélérés au maximum ?

    Certes, oui.

    On ne peut pas ne pas stimuler un pays qui retarde de cent années et qui, de ce fait, est menacé d’un danger mortel. C’est ainsi seulement que l’on pouvait mettre le pays en état de se rééquiper rapidement sur la base d’une technique nouvelle et de s’engager enfin sur la grande route.

    Et puis, nous ne pouvions savoir le jour que les impérialistes choisiraient pour attaquer l’U.R.S.S. et interrompre notre œuvre de construction. Et qu’ils pouvaient profiter de l’insuffisance technique et économique de notre pays pour nous attaquer à tout moment, sur ce point le doute n’était pas possible.

    Force était donc au Parti d’aiguillonner le pays pour ne pas perdre de temps, pour profiter jusqu’au bout de la trêve et réussir à jeter, en U.R.S.S., les fondements de l’industrialisation, base de sa puissance.

    Le Parti n’avait pas la possibilité d’attendre ni de manœuvrer, et il devait appliquer la politique des rythmes accélérés au maximum.

    Enfin, le Parti devait remédier dans le plus bref délai aux insuffisances du pays quant à sa défense. Les conditions de l’heure, la croissance des armements dans les pays capitalistes, la faillite de l’idée de désarmement, la haine de la bourgeoisie internationale contre l’U.R.S.S., tout cela incitait le Parti à travailler d’arrache-pied au renforcement de la capacité de défense du pays, base de son indépendance.

    Mais le Parti avait-il la possibilité réelle de pratiquer la politique des rythmes accélérés au maximum ?

    Oui, il avait cette possibilité non seulement parce qu’il avait réussi, en temps opportun, à imprimer au pays un mouvement de progression rapide, mais d’abord parce qu’il pouvait s’appuyer, dans les vastes travaux de construction nouvelle, sur les usines et lesfabriques anciennes ou remises à neuf, dont les ouvriers, les ingénieurs et le personnel technique avaient déjà acquis la pratique de la production, et qui, pour cette raison, permettaient de réaliser des rythmes de développement accélérés au maximum.

    Voilà sur quelle base ont grandi chez nous dans la première période quinquennale l’essor rapide de l’édification nouvelle, l’enthousiasme des artisans de l’oeuvre immense de construction, les héros et oudarniks des nouveaux chantiers, la pratique des impétueux rythmes de développement.

    Peut-on dire qu’au cours de la deuxième période quinquennale nous aurons à faire exactement la même politique des rythmes accélérés au maximum ?

    Non, on ne saurait le dire.

    Premièrement, la réalisation victorieuse du plan quinquennal a eu ce résultat que nous avons déjà accompli, pour l’essentiel, sa tâche principale : assurer une base technique moderne à l’industrie, aux transports, à l’agriculture. Est-il besoin après cela d’aiguillonner et de pousser en avant le pays ?

    Il est clair que la nécessité ne s’en fait plus sentir maintenant.

    Deuxièmement, la réalisation victorieuse du plan quinquennal a eu ce résultat que nous avons dès à présent élevé la capacité de défense du pays à la hauteur voulue. Est-il besoin après cela d’aiguillonner et de pousser en avant le pays ? Il est clair que la nécessité ne s’en fait plus sentir maintenant.

    Enfin, la réalisation victorieuse du plan quinquennal a eu ce résultat que nous avons pu construire des dizaines et des centaines de nouvelles grandes usines et des combinats, pourvus d’une technique complexe, moderne.

    Cela signifie que dans l’ensemble de la production industrielle de la deuxième période quinquennale, le rôle essentiel n’appartiendra plus aux vieilles usines dont nous possédons déjà la technique, comme ce fut le cas pour la première période quinquennale, mais aux usines neuves dont nous ne possédons pas encore la technique, technique qu’il nous faut assimiler.

    Mais assimiler la nouvelle technique et les entreprises nouvelles, est autrement difficile qu’utiliser les usines et fabriques anciennes ou remises à neuf, dont la technique a déjà été assimilée. Cela demande plus de temps pour relever la qualification des ouvriers, des ingénieurs et du personnel technique, et pour s’adapter aux nouvelles méthodes d’utilisation intégrale de la technique nouvelle.

    N’est-il pas clair après cela, que si même nous le voulions, nous ne pourrions réaliser, dans la deuxième période quinquennale, surtout dans ses deux ou trois premières années, la politique des rythmes de développement accélérés au maximum ?

    Voilà pourquoi je pense que, dans la deuxième période quinquennale, il nous faudra adopter des rythmes moins accélérés pour le développement de la production industrielle.

    Au cours de la première période quinquennale, l’accroissement annuel de la production industrielle représentait en moyenne 22 %. Je pense que pour la deuxième période quinquennale, il faudra nous en tenir à un accroissement annuel moyen de la production industrielle de 13 à 14 %.

    Pour les pays capitalistes, un tel rythme d’accroissement de la production industrielle constitue un idéal inaccessible.

    Et non seulement un tel rythme, mais même 5 % d’accroissement annuel en moyenne, constitue aujourd’hui pour eux un idéal inaccessible.

    Mais ils ne sont pas des pays capitalistes pour rien. Il en est autrement du pays des Soviets, avec son système soviétique d’économie. Avec notre système d’économie, nous pouvons parfaitement et nous devons réaliser un accroissement de laproduction de 13 à 14 % par an, comme minimum.

    Au cours de la première période quinquennale nous avons su organiser l’enthousiasme, l’émouvant élan de l’édification nouvelle, et nous avons obtenu des succès décisifs. C’est très bien. Mais cela ne suffit plus. Maintenant nous devons compléter la chose par l’enthousiasme, l’élan émouvant pour l’assimilation de la technique nouvelle des nouvelles usines et aussi par un relèvement sérieux de la productivité du travail, par une sérieuse réduction du prix de revient.

    C’est là maintenant l’essentiel.

    Car ce n’est que sur cette base que nous pourrons assurer, disons, vers la seconde moitié de la deuxième période quinquennale, un nouvel élan vigoureux, aussi bien dans l’oeuvre de construction que pour l’accroissement de la production industrielle.

    Enfin, quelques mots sur les rythmes et pourcentages mêmes de l’accroissement annuel de la production. Nos experts industriels ne s’occupent guère de cette question. Et pourtant elle est d’un grand intérêt. Qu’est-ce que le pourcentage d’accroissement de la production et que représente à proprement parler chaque pour-cent d’accroissement ?

    Prenons, par exemple, l’année 1925, période de rétablissement.

    L’accroissement de la production pour cette année fut de 66 %. La production globale de l’industrie atteignait 7.700 millions de roubles.

    66 % d’accroissement représentaient alors, en chiffres absolus, un peu plus de 3 milliards. Donc, chaque pour-cent d’accroissement équivalait à 45 millions de roubles. Prenons maintenant l’année 1928. Elle a donné 26 % d’accroissement, soit, en pourcentage, presque trois fois moins qu’en 1925.

    La production globale de l’industrie était de 15.500 millions de roubles. L’accroissement total pendant l’année était, en chiffres

    absolus, de 3.280 millions de roubles. Donc, chaque pour-cent d’accroissement équivalait à 126 millions de roubles, soit une somme presque trois fois plus grande qu’en 1925, alors que nous enregistrions 66 % d’accroissement.

    Prenons enfin l’année 1931. Elle a donné 22 % d’accroissement, soit trois fois moins qu’en 1925. La production globale de l’industrie représentait alors 30.800 millions de roubles. L’accroissement total, en chiffres absolus, était d’un peu plus de 5.600 millions de roubles.

    Donc, chaque pour-cent d’accroissement représentait plus de 250 millions de roubles, soit six fois plus qu’en 1925, alors que nous enregistrions 66 % d’accroissement, et deux fois plus qu’en 1928, alors que nous enregistrions un peu plus de 26 % d’accroissement.

    Que signifie tout cela ? C’est qu’en analysant les rythmes d’accroissement de la production, on ne doit pas considérer simplement le pourcentage total d’accroissement. Il faut encore savoir ce que représente chaque pour-cent d’accroissement, et quel est le total de l’accroissement annuel de la production. Nous prenons, par exemple, pour 1933, 16 % d’accroissement, soit quatre fois moins qu’en 1925.

    Mais cela ne signifie pas encore que l’accroissement de la production, dans cette année, sera lui aussi quatre fois moindre.

    L’accroissement de la production en 1925, en chiffres absolus, a été d’un peu plus de 3 milliards et chaque pour-cent représentait 45 millions de roubles.

    A n’en pas douter, en 1933 le taux d’accroissement étant de 16 %, l’accroissement de la production sera, en chiffres absolus, d’au moins 5 milliards de roubles, c’est-à-dire presque deux fois plus qu’en 1925, et chaque pour-cent d’accroissement représentera au moins 320-340 millions de roubles, soit une somme au moins sept fois plus grande que chaque pour-cent d’accroissement de 1925.

    Voilà donc, camarades, le tour que prennent les choses si l’on envisage les rythmes et pourcentages d’accroissement, d’une façon concrète.

    Voilà ce qu’il en est du bilan du plan quinquennal en quatre ans, dans l’industrie.

    IV ­ LE BILAN DU PLAN QUINQUENNAL EN QUATRE ANS DANS L’AGRICULTURE

    Passons à l’examen du bilan du plan quinquennal en quatre ans, dans l’agriculture.

    Le plan quinquennal dans l’agriculture est celui de la collectivisation. De quoi le Parti s’est-il inspiré en procédant à la collectivisation ?

    Le Parti s’est inspiré de ce principe que, pour consolider la dictature du prolétariat et édifier la société socialiste, il est nécessaire, outre l’industrialisation, de passer encore de la petite exploitation paysanne individuelle à la grande agriculture collective, munie de tracteurs et de machines agricoles modernes, seule base solide du pouvoir des Soviets à la campagne.

    Le Parti s’est inspiré de ce principe que, sans la collectivisation, il est impossible de conduire notre pays sur la grand’route de l’édification des fondements économiques du socialisme, impossible d’affranchir de la misère et de l’ignorance les millions de paysans laborieux.

    Lénine disait :

    Impossible de sortir de la misère par la petite exploitation.(«Discours à la Ire conférence de la R.S.F.S.R. sur le travail à la campagne», t. XXIV, p. 540, éd. Russe.)

    Lénine disait :

    Si nous nous confinons comme autrefois dans Les petites exploitations, fussions-nous citoyens libres sur une terre libre, nous n’en serons pas moins menacés d’une perte certaine.

    («Discours sur la question agraire au 1er congrès des députés paysans de Russie», t. XX, p. 417, éd. Russe.)

    Lénine disait :

    Ce n’est que par un travail en commun, un travail par artel, par association, que nous pourrons sortir de l’impasse où nous a acculés la guerre impérialiste, (t. XXIV, p. 537.)

    Lénine disait :

    Il est nécessaire de passer à la culture en commun dans les grandes exploitations modèles, sans quoi nous ne nous tirerons pas de la débâcle, de la situation vraiment désespérée où se trouve la Russie, (t. XX, p. 418.)

    Partant de là, Lénine arrivait à cette conclusion essentielle : C’est seulement dans le cas où nous réussirons à montrer en fait aux paysans les avantages de la culture en commun, collective, par associations, par artels ; c’est seulement si nous réussissons à aider le paysan à s’organiser en associations, en artels, que la classe ouvrière, tenant en mains le pouvoir d’État, prouvera réellement au paysan qu’elle a raison, attirera réellement à ses côtés, de façon durable et effective, la masse innombrable des paysans. («Discours au congrès des communes et artels agricoles» t. XXIX, p. 579, éd. Russe.)

    C’est de ces thèses de Lénine que s’est inspiré le Parti pour réaliser le programme de collectivisation de l’agriculture, le programme duplan quinquennal dans l’agriculture.

    Cela étant, la tâche du plan quinquennal en matière d’agriculture consistait à grouper les petites exploitations paysannes individuelles morcelées, qui n’avaient pas la possibilité de se servir des tracteurs et des machines agricoles modernes, en de grandes exploitations collectives pourvues de tous les instruments modernes d’une agriculture hautement développée, et à couvrir les terres disponibles de fermes d’État modèles, de sovkhoz.

    La tâche du plan quinquennal en matière d’agriculture consistait à transformer l’U.R.S.S., de pays arriéré et de petits paysans, en un pays de grande agriculture organisée sur la base du travail collectif, et donnant le maximum de produits pour le marché.

    Qu’est-ce que le Parti a obtenu en réalisant le programme du plan quinquennal en quatre ans, dans l’agriculture ? A-t-il rempli ce programme ou a-t-il échoué ?

    Le Parti a obtenu ceci qu’en l’espace de quelque trois ans il a su organiser plus de 200.000 exploitations collectives et près de 5.000 sovkhoz pour la culture des céréales et l’élevage ; en même temps il a obtenu en quatre ans, pour la surface ensemencée, une extension de 21 millions d’hectares.

    Le Parti a obtenu que les kolkhoz groupent actuellement plus de 60 % des exploitations paysannes, qui englobent plus de 70 % de toutes les terres des paysans, ce qui revient à dire que le plan quinquennal a été dépassé de trois fois.

    Le Parti a obtenu qu’au lieu des 500-600 millions de pouds de blé marchand, stockés à l’époque où prédominait l’économie paysanne individuelle, il peut aujourd’hui stocker de 1.200 à 1.400 millions de pouds de céréales par an.Le Parti a obtenu que les koulaks ont été battus comme classe, bien qu’ils ne soient pas encore complètement liquidés ; la paysannerie laborieuse a été libérée de l’asservissement aux koulaks et de leur exploitation, et le pouvoir des Soviets possède désormais à la campagne une base économique solide, la base de l’économie collective.

    Le Parti a obtenu que l’U.R.S.S., de pays de petits paysans est transformée d’ores et déjà en pays de la plus grande agriculture du monde.

    Tel est dans ses grandes lignes le bilan du plan quinquennal en quatre ans dans l’agriculture.

    Jugez maintenant vous-mêmes ce que vaut après cela le bavardage de la presse bourgeoise sur la «faillite» de la collectivisation, sur l’«échec» du plan quinquennal dans l’agriculture.

    Et comment les choses se présentent-elles pour l’agriculture dans les pays capitalistes, qui traversent actuellement une dure crise agricole ?

    Voici des données officielles connues de tous.

    Les surfaces ensemencées des principaux pays producteurs de blé ont été réduites de 8-10 % Aux Etats-Unis les cultures de coton ont été réduites de 15 %; celles de la betterave à sucre, en Allemagne et en Tchécoslovaquie, de 22-30 % ; celles du lin, en Lituanie et en Lettonie, de 25-30 %.

    D’après les données du département de l’Agriculture américain, la valeur de la production agricole globale aux Etats-Unis est tombée de 11 milliards de dollars en 1929 à 5 milliards en 1932, soit une diminution de plus de 50 %.

    Pour les céréales, en ce même pays, lavaleur de la production globale est tombée de 1.288 millions de dollars en 1929 à 391 millions de dollars en 1932, soit de plus de 68 %. Le coton, en ce même pays, tombe de 1.389 millions de dollars en 1929 à 397 millions de dollars en 1932, soit une diminution de plus de 70 %.

    Tous ces faits ne témoignent-ils pas des avantages du système soviétique de l’agriculture sur le système capitaliste ? Ces faits ne prouvent-ils pas que les kolkhoz sont une forme d’économie plus viable que les exploitations individuelles et capitalistes ?

    On dit que les kolkhoz et les sovkhoz ne sont pas tout à fait des entreprises de rapport, qu’ils absorbent une quantité de ressources, qu’il n’y a aucune raison d’entretenir de telles entreprises, qu’il serait plus rationnel de les dissoudre, en ne gardant que les entreprises de bon rapport.

    Mais seuls les gens qui n’entendent rien à l’économie nationale, aux problèmes de l’économie, peuvent parler de la sorte. Il y a quelques années, plus de la moitié de nos entreprises textiles ne rapportaient pas.

    Certains de nos camarades nous proposaient alors de fermer ces entreprises. Où en serions-nous si nous les avions écoutés ? Nous aurions commis le plus grand crime envers le pays, envers la classe ouvrière, car nous aurions ruiné ainsi notre industrie en voie de relèvement. Comment avons-nous agi, alors ?

    Après un peu plus d’une année d’attente, nous avons obtenu ce résultat que toute l’industrie textile est devenue de bon rapport. Et notre usine d’automobiles, à Gorki ? Car elle aussi ne rapporte pas pour le moment. Ne voudriez-vous pas qu’on la fermât ? Ou bien notre sidérurgie qui, elle non plus, pour l’instant du moins, n’est pas de bon rapport.

    Peut-être faut-il la fermer, camarades ? Si l’on envisage la rentabilité de ce point de vue, nous ne devrions développer à plein que certaines industries rapportant le plus de bénéfice, par exemple, la confiserie, la minoterie, la parfumerie, la bonneterie, les jouets, etc. Certes, je ne m’oppose pas au développement de ces industries.

    Au contraire, elles doivent être développées, car elles sont également nécessaires à la population. Mais tout d’abord elles ne peuvent être développées sans l’outillage ni le combustible que leur fournit l’industrie lourde. En second lieu, on ne saurait baser sur elles l’industrialisation. Voilà ce qu’il en est, camarades.

    On ne peut considérer la rentabilité d’une façon mercantile, du point de vue de la minute actuelle. On doit l’envisager du point de vue de toute l’économie nationale, avec une perspective de plusieurs années. Seul un tel point de vue peut être qualifié de vraiment léniniste, de vraiment marxiste.

    Et ce point de vue s’impose, non seulement en ce qui concerne l’industrie, mais encore plus en ce qui concerne les kolkhoz et les sovkhoz. Songez un peu : en quelque trois ans nous avons créé plus de 200.000 kolkhoz et près de 5.000 sovkhoz, c’est-à-dire que nous avons créé de grandes entreprises absolument nouvelles, dont l’importance pour l’agriculture est pareille à celle qu’ont les usines et les fabriques pour l’industrie.

    Nommez un pays qui ait créé, en l’espace de trois ans, non pas 205.000 grandes entreprises nouvelles, mais ne serait-ce que 25.000.

    Vous ne le nommerez pas parce qu’un tel pays n’existe pas et n’a jamais existé.

    Or nous, nous avons créé 205.000 nouvelles entreprises dans l’agriculture. Et voilà qu’il se trouve des gens, de par le monde, qui exigent que ces entreprises deviennent immédiatement de bon rapport ; si elles ne le deviennent pas immédiatement, ils exigent qu’on les détruise, qu’on les fasse dissoudre. N’est-il pas clair que les lauriers d’Erostrate troublent le sommeil de ces gens plus qu’étranges ?

    En parlant de la non-rentabilité des kolkhoz et des sovkhoz, je ne veux point dire qu’ils soient tous de mauvais rapport. Il n’en est rien.

    Tout le monde sait qu’il existe dès maintenant toute une série de kolkhoz et sovkhoz de haut rapport. Nous comptons des milliers de kolkhoz et des dizaines de sovkhoz qui sont, dès à présent, d’un rapport excellent.

    Ils sont l’orgueil de notre Parti, l’orgueil du pouvoir des Soviets.

    Evidemment ils ne sont pas partout les mêmes. Il en est d’anciens, de nouveaux et de tout récents. Ce sont des organismes économiques encore faibles, incomplètement cristallisés. Ils en sont, dans leur organisation, à peu près à la période que nos usines et nos fabriques traversèrent en 1920-21. On conçoit que la majeure partie d’entre eux ne puissent pas encore être de bon rapport.

    Mais il est hors de doute que, d’ici deux à trois ans, ils rapporteront comme le font nos usines et fabriques depuis 1921. Leur refuser aide et soutien parce que tous ne rapportent pas, pour le moment, serait commettre le plus grand crime envers la classe ouvrière et la paysannerie.

    Seuls les ennemis du peuple et les contre-révolutionnaires peuvent poser la question de l’inutilité des kolkhoz et des sovkhoz.

    En réalisant le plan quinquennal de l’agriculture, le Parti a pratiqué la collectivisation à des rythmes accélérés.

    Le Parti a-t-il eu raison d’appliquer la politique des rythmes accélérés de collectivisation ? Oui, sans doute, encore que l’on n’ait pas été, ici, à l’abri de certains entraînements. En appliquant la politique de liquidation des koulaks comme classe, et en détruisant les nids de koulaks, le Parti ne pouvait s’arrêter à mi-chemin, il devait mener les choses jusqu’au bout.Premier point.

    En second lieu, disposant, d’une part, de tracteurs et de machines agricoles, et profitant, d’autre part, de l’absence de la propriété foncière privée (nationalisation de la terre !), le Parti avait toutes possibilités de pousser la collectivisation de l’agriculture.

    Effectivement, il a remporté le plus grand succès dans ce domaine, puisqu’il a dépassé du triple le plan quinquennal en matière de collectivisation.

    Est-ce à dire que nous devions mener une politique de rythmes accélérés de collectivisation, au cours de la deuxième période quinquennale également ?

    Certes non.

    La vérité est que nous avons déjà achevé, pour l’essentiel, la collectivisation des principales régions de l’U.R.S.S.

    Nous avons donc réalisé dans ce domaine plus qu’on ne pouvait attendre.

    Et nous n’avons pas seulement achevé la collectivisation dans ses lignes essentielles. Nous avons obtenu que dans la conscience de l’immense majorité des paysans, les kolkhoz sont devenus la forme la plus indiquée de l’économie. C’est là une conquête immense, camarades.

    Vaut-il la peine après cela de précipiter inconsidérément les rythmes de collectivisation ? Il est clair que non.

    Maintenant la question des rythmes accélérés de collectivisation ne se pose plus, ni à plus forte raison la question de savoir si les kolkhoz doivent être ou ne pas être, ce problème ayant été résolu dans un sens affirmatif.

    Les kolkhoz sont stabilisés, et la voie vers l’ancienne exploitation, vers l’exploitation individuelle, est fermée à jamais.

    Il s’agit maintenant d’affermir les kolkhoz au point de vue organisation, d’en chasser les éléments saboteurs, de recruter des cadres bolcheviks véritables, éprouvés, pour les kolkhoz, et de rendre ces derniers réellement bolcheviks.

    C’est maintenant l’essentiel.

    Voilà ce qu’il en est du plan quinquennal en quatre ans, dans l’agriculture.

    V ­ LE BILAN DU PLAN QUINQUENNAL EN QUATRE ANS EN CE QUI CONCERNE L’AMELIORATION DE LA SITUATION MATERIELLE DES OUVRIERS ET DES PAYSANS

    J’ai parlé tout à l’heure des succès remportés dans l’industrie et l’agriculture, de l’essor industriel et agricole en U.R.S.S. Quels résultats ces succès ont-ils donnés au point de vue de l’amélioration de la situation matérielle des’ ouvriers et des paysans ? Quels sont les résultats essentiels de nos succès dans l’industrie et l’agriculture, du point de vue de l’amélioration radicale de la situation matérielle des travailleurs ?

    C’est d’abord qu’on a supprimé le chômage et fait disparaître l’incertitude du lendemain chez les ouvriers.

    C’est, ensuite, qu’on a étendu l’édification des kolkhoz à la presque totalité des paysans pauvres ; que, sur cette base, on a sapé la différenciation de la paysannerie en koulaks et paysans pauvres, et supprimé, de ce fait, la misère et le paupérisme à la campagne.

    C’est là une conquête immense, camarades, dont aucun Etat bourgeois ne peut rêver, fût-il un Etat tout ce qu’il y a de plus «démocratique».

    Chez nous, en U.R.S.S., les ouvriers ont depuis longtemps oublié ce qu’est le chômage. Il y quelque trois ans, nous avions près d’un million et demi de sans-travail. Voilà deux ans que nous avons supprimé le chômage. Et les ouvriers ont eu le temps d’en oublier le joug, les horreurs.

    Voyez un peu les pays capitalistes, les horreurs qui sont la conséquence du chômage. On compte aujourd’hui, dans ces pays, 30 à 40 millions de chômeurs. Qui sont-ils, ces gens-là ? On dit d’eux habituellement, que ce sont des «hommes finis».

    Chaque jour ils sollicitent, ils cherchent du travail, ils sont prêts à accepter n’importe quelles conditions, ou presque, mais on ne les embauche pas parce qu’ils sont «de trop».

    Et cela dans un moment où des masses énormes de marchandises et de produits sont gaspillées au gré des caprices des favorisés du sort, des rejetons des capitalistes et des grands propriétaires fonciers.

    On refuse aux chômeurs la nourriture, parce qu’ils n’ont pas de quoi la payer : on leur refuse un abri, parce qu’ils n’ont pas de quoi payer le loyer. Comment et où vivent-ils ?

    Ils vivent des misérables miettes tombées de la table des maîtres, des reliefs pourris qu’ils trouvent en fouillant dans les poubelles ; ils vivent dans les taudis des grandes villes et surtout dans les masures que les chômeurs construisent à la hâte en dehors des villes, avec de vieilles caisses et de l’écorce d’arbre.

    Mais ce n’est pas tout. Les sans-travail ne sont pas seuls à souffrir du chômage. Les ouvriers occupés en souffrent eux aussi. Ils en souffrent parce que l’existence d’un grand nombre de sans-travail rend leur situation instable dans la production, et leur lendemain incertain. Aujourd’hui ils travaillent dans une entreprise, mais ils ne sont pas sûrs que demain, à leur réveil, ils n’apprendront pas qu’ils ont été réglés.

    Une des conquêtes essentielles du plan quinquennal en quatre ans est d’avoir supprimé le chômage et affranchi de ses horreurs les ouvriers de l’U.R.S.S.

    Il faut en dire autant des paysans. Eux aussi ont oublié ce qu’est la différenciation de la paysannerie en koulaks et paysans pauvres, l’exploitation de ceux-ci par ceux-là, la ruine qui chaque année réduisait à la mendicité des centaines de milliers et des millions de paysans pauvres.

    Il y a trois ou quatre ans, les paysans pauvres formaient chez nous au moins 30 % de toute la population paysanne.

    Soit plus de 10 millions d’hommes. Antérieurement, avant la Révolution d’Octobre, les paysans pauvres formaient au moins 60 % de la population paysanne.

    Qu’étaient-ce que les paysans pauvres ? Des gens qui, pour exploiter leur sol, manquaient généralement soit de semences, soit d’un cheval, soit d’instruments, soit de toutes ces choses à la fois. Les paysans pauvres, c’étaient des gens qui aie mangeaient jamais à leur faim, et qui, en règle générale, étaient asservis par les koulaks et, sous l’ancien régime, par les koulaks et les grands propriétaires fonciers.

    Tout récemment encore, près d’un million et demi de paysans pauvres, si ce n’est deux millions entiers, descendaient vers le Sud chaque année, à la recherche d’un gagne-pain — au Caucase du Nord et en Ukraine, — pour se faire embaucher par les koulaks, et, autrefois, par les koulaks et les grands propriétaires fonciers.

    Il s’en présentait encore davantage chaque année aux portes des usines, grossissant ainsi les rangs des chômeurs.

    Les paysans pauvres n’étaient pas seuls dans cette situation peu enviable. Une bonne moitié des paysans moyens subissait une misère et des privations égales à celles des paysans pauvres. Toutcela, les paysans ont déjà eu le temps de l’oublier.

    Qu’a donné le plan quinquennal en quatre ans aux paysans pauvres et aux couches inférieures de paysans moyens ? Il a miné et brisé les koulaks comme classe, et il a libéré les paysans pauvres et une bonne moitié des paysans moyens de leur asservissement aux koulaks. Il les a entraînés dans les kolkhoz et leur a fait une situation stable.

    Il a supprimé par là même la possibilité de différenciation de la paysannerie en exploiteurs — les koulaks, — et en exploités — les paysans pauvres.

    Il a élevé les paysans pauvres et les couches inférieures de paysans moyens, dans les kolkhoz, au rang d’hommes à l’abri du besoin, en supprimant du même coup le processus de ruine et d’appauvrissement de la paysannerie.

    On ne voit plus maintenant chez nous des millions de paysans abandonnant, chaque année, leur foyer pour aller chercher un gagne-pain dans des contrées lointaines.

    Pour faire travailler un paysan en dehors de son kolkhoz, il faut maintenant signer un contrat avec le kolkhoz et, de plus, assurer au kolkhozien la gratuité du voyage en chemin de fer. On ne voit plus maintenant, chez nous, des centaines de milliers et des millions de paysans se ruiner et assiéger les portes des fabriques et des usines.

    Cela fut, mais il y a beau temps que cela n’est plus. Maintenant le paysan est un agriculteur à l’abri du besoin, il est membre d’un kolkhoz disposant de tracteurs, de machines agricoles, de fonds de semences, de fonds de réserve, etc., etc.

    Voilà ce que le plan quinquennal a donné aux paysans pauvres et aux couches inférieures de paysans moyens.Voilà ce que sont au fond les principales conquêtes du plan quinquennal en ce qui concerne l’amélioration de la situation matérielle des ouvriers et des paysans.

    Ces principales conquêtes quant à l’amélioration des conditions matérielles des ouvriers et des paysans ont eu pour résultat, au cours de la première période quinquennale :

    a) l’augmentation au double du nombre des ouvriers et des employés de la grande industrie par rapport à 1928, ce qui excède de 57 % le plan quinquennal ;

    b) l’augmentation du revenu national, donc augmentation des revenus des ouvriers et des paysans, atteignant en 1932, 45,1 milliards de roubles, soit une augmentation de 85 % contre 1928 ;

    c) l’augmentation de 67 % du salaire annuel moyen des ouvriers et des employés de la grande industrie par rapport à 1928, ce qui excède de 18 % le plan quinquennal ;

    d) l’augmentation du fonds d’assurances sociales de 292 % par rapport à 1928 (4.120 millions de roubles en 1932 contre 1.050 millions en 1928), ce qui excède de 111 % le plan quinquennal ; e) le développement de l’alimentation publique qui embrasse plus de 70 % des ouvriers des industries maîtresses, ce qui excède de 6 fois le plan quinquennal.

    Certes, nous ne sommes pas encore arrivés à pourvoir intégralement aux besoins matériels des ouvriers et des paysans. Et il n’est guère probable que nous y parvenions au cours des prochaines années.

    Mais nous avons, sans nul doute, obtenu que la situation matérielle des ouvriers et des paysans s’améliore chez nous d’année en année.

    Seuls peuvent en douter les ennemis jurés du pouvoir des Soviets ou, peut-être, certains représentants de la presse bourgeoise, y compris

    une partie des correspondants de cette presse à Moscou, qui, en ce qui concerne la vie économique des peuples et la situation des travailleurs, n’y entendent guère plus que, par exemple, le roi d’Ethiopie dans les hautes mathématiques.

    Et comment se présente la situation des ouvriers et des paysans dans les pays capitalistes ?

    Voici les données officielles.

    Le nombre des chômeurs dans les pays capitalistes s’est accru d’une façon catastrophique. Aux Etats-Unis, d’après les données officielles, dans la seule industrie de transformation, le nombre des ouvriers occupés a diminué de 8,5 millions de personnes, en 1928, à 5,5 millions en 1932 ; d’après les données de la Fédération américaine du travail, le nombre des chômeurs aux Etats-Unis, dans toute l’industrie, atteint à la fin de 1932, 11 millions.

    En Angleterre, le nombre des chômeurs est passé, d’après les statistiques officielles, de 1.290.000 en 1928 à 2,8 millions en 1932.

    En Allemagne, d’après les données officielles, le nombre des sans-travail est passé de 1.376.000 en 1928 à 5,5 millions en 1932.

    Il en va de même pour tous les pays capitalistes ; encore convient-il de dire que les statistiques officielles, en règle générale, diminuent le chiffre de chômeurs, dont le nombre oscille, dans les pays capitalistes, entre 35 et 40 millions de personnes.

    On procède à une réduction systématique des salaires ouvriers.

    D’après les données officielles, la baisse du salaire mensuel moyen aux Etats-Unis atteint, par rapport au niveau de 1928, 35 %. En Angleterre, pour la même période de temps, 15 %, et en Allemagne même 50 %.

    Selon les calculs établis par la Fédération américaine du travail, les pertes subies pair les ouvriers américains, par suite de la baisse des salaires en 1930-1931, s’élevaient à plus de 35 milliards de dollars.

    Les fonds d’assurances, déjà bien assez minimes, ont été notablement réduits en Angleterre et en Allemagne. Aux Etats-Unis et en France, c’est l’absence totale ou quasi totale de toute forme d’assurance-chômage. D’où augmentation formidable du nombre d’ouvriers sans logis et d’enfants abandonnés, surtout aux Etats-Unis.

    La situation des masses paysannes dans les pays capitalistes n’est guère meilleure : la crise agricole sape à la racine les exploitations paysannes et réduit à la mendicité des millions de paysans et de fermiers ruinés.

    Tel est le bilan du plan quinquennal en quatre ans quant à l’amélioration de la situation matérielle des travailleurs de l’U.R.S.S.

    VI ­ LE BILAN DU PLAN QUINQUENNAL EN QUATRE ANS DANS LE DOMAINE DES ECHANGES ENTRE LA VILLE ET LA CAMPAGNE

    Passons maintenant aux résultats du plan quinquennal en quatre ans quant au développement des échanges entre la ville et la campagne.

    L’accroissement considérable de la production industrielle et agricole, l’accroissement des excédents de marchandises aussi bien dans l’industrie que dans l’agriculture, enfin l’accroissement des besoins des ouvriers et des paysans, tout cela devait forcément amener et a réellement amené une reprise et une extension des échanges entre la ville et la campagne.

    Les liens de production entre la ville et la campagne sont la forme essentielle de leur alliance. Mais cette forme, à elle seule, ne suffit pas. Il faut la compléter par une alliance dans le domaine deséchanges afin que la liaison entre la ville et la campagne devienne indissoluble et durable. A cela on ne peut arriver qu’en développant le commerce soviétique.

    On aurait tort de croire que l’on pût développer le commerce soviétique par un seul canal, par exemple les coopératives. Pour développer le commerce soviétique, il est nécessaire d’utiliser tous les canaux : et le réseau coopératif, et le réseau commercial de l’État, et le commerce des kolkhoz.

    Certains camarades pensent que développer le commerce soviétique, et notamment développer le commerce des kolkhoz, c’est revenir au premier stade de la Nep. Cela est absolument faux.

    Une différence cardinale existe entre le commerce soviétique, y compris le commerce des kolkhoz, et le commerce du premier stade de la Nep.

    Au premier stade de la Nep nous admettions une reprise du capitalisme, nous admettions le commerce privé, nous admettions Inactivité» des commerçants privés, des capitalistes, des spéculateurs.

    C’était un commerce plus ou moins libre, limité seulement par le rôle régulateur de l’État. Le secteur capitaliste privé occupait alors une place assez importante dans les échanges du pays. Inutile de dire qu’alors notre industrie n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui, qu’il n’y avait ni kolkhoz ni sovkhoz travaillant d’après un plan et mettant à la disposition de l’État d’immenses réserves de produits agricoles et d’articles de la ville.

    Peut-on dire que nous ayons à présent la même situation ? Evidemment non.

    D’abord on ne peut placer le commerce soviétique sur le même planque le commerce au premier stade de la Nep, bien que celui-ci fût réglé par l’État. Si au premier stade de la Nep le commerce admettait une reprise du capitalisme et le fonctionnement du secteur capitaliste privé dans les échanges, le commerce soviétique part de la négation de l’un et de l’autre.

    Qu’est-ce que le commerce soviétique ? Le commerce soviétique est le commerce sans capitalistes, ni petits ni grands, le commerce sans spéculateurs, ni petits ni grands.

    C’est un commerce d’un genre spécial, que l’histoire n’a pas connu jusqu’ici et que nous, bolcheviks, sommes seuls à pratiquer dans le cadre du développement soviétique.

    En second lieu, nous possédons maintenant une industrie d’État assez développée et tout un système de kolkhoz et de sovkhoz, qui assurent à l’État d’énormes réserves de marchandises agricoles et industrielles permettant de développer le commerça soviétique. Cela n’existait ni ne pouvait exister au premier stade de la Nep.

    En troisième lieu, nous avons réussi, au cours de la dernière période, à éliminer complètement des échanges les commerçants privés, les marchands, les intermédiaires de tout genre.

    Il est évident que cela n’exclut pas la possibilité de voir réapparaître par atavisme, dans l’échange des marchandises, les commerçants privés et les spéculateurs, qui utiliseront le champ d’activité le plus commode pour eux, à savoir le commerce des kolkhoz.

    Bien plus, les kolkhoziens eux-mêmes ne sont pas fâchés, parfois, de se lancer dans la spéculation, ce qui ne leur fait pas honneur évidemment. Mais pour combattre ces manifestations malsaines, le pouvoir des Soviets a promulgué récemment une loi sur les mesures devant mettre fin à la spéculation et punir les spéculateurs. Vous savez naturellement que cette loi ne pèche pas par un excès de douceur. Vous comprendrez naturellement qu’une telle loi n’existaitpas et ne pouvait exister au premier stade de la Nep.

    Vous voyez que parler après tout cela de retour au commerce du premier stade de la Nep, c’est ne rien comprendre, mais absolument rien, à notre économie soviétique.

    On nous dit qu’il est impossible de développer le commerce, fût-il un commerce soviétique, sans un système monétaire sain et sans une devise saine ; qu’il faut avant tout soigner notre système monétaire et nos devises soviétiques, qui, dit-on, ne représentent aucune valeur.

    C’est ce que nous disent les économistes des pays capitalistes. Je pense que ces honorables économistes n’entendent en matière d’économie politique guère plus que, par exemple, l’archevêque de Canterbury en propagande antireligieuse.

    Comment peut-on affirmer que notre devise soviétique ne représente aucune valeur ? N’est-ce pas un fait qu’avec cette devise nous avons construit le Magnitostroî, le Dniéprostroï, le Kouznetskstroï, les usines de tracteurs de Stalingrad et de Kharkov, les usines d’automobiles de Gorki et de Moscou, des centaines de milliers de kolkhoz et des milliers de sovkhoz ?

    Ces messieurs ne pensent-ils pas que toutes ces entreprises ont été construites avec de la paille ou de l’argile et non avec des matériaux véritables, ayant une valeur déterminée ?

    Qu’est-ce qui assure la stabilité de la devise soviétique si l’on parle, bien entendu, du marché organisé ayant une importance décisive dans le commerce du pays, et non pas du marché inorganisé dont l’importance n’est que secondaire ?

    Evidemment, pas seulement la réserve d’or. La stabilité de la devise soviétique est assurée avant tout par la quantité énorme des masses de marchandises dont l’État dispose et qui sont mises en circulation àdes prix fermes.

    Qui donc parmi les économistes peut nier qu’une telle garantie, qui n’existe qu’en U.R.S.S., est une garantie plus réelle de la stabilité de la devise, que n’importe quelle réserve d’or ?

    Les économistes des pays capitalistes comprendront-ils un jour qu’ils se sont définitivement empêtrés dans la théorie de la réserve d’or, comme unique garantie de la stabilité de la devise.

    Voilà où en sont les choses en ce qui concerne l’extension du commerce soviétique.

    Quels résultats nous a donnés l’accomplissement du plan quinquennal quant au développement du commerce soviétique ? Nous enregistrons comme bilan du plan quinquennal : a) un accroissement de la production de l’industrie légère atteignant 187 % par rapport à 1928 ;

    b) un accroissement du commerce de détail coopératif et d’État, dont le chiffre s’élève aujourd’hui à 39,6 milliards de roubles (prix de 1932), soit une augmentation de la masse de marchandises dans le commerce de détail de 175 % par rapport à 1928 ;

    c) un accroissement du réseau commercial, coopératif et d’État, de 158.000 boutiques et magasins par rapport à 1929 ;

    d) l’extension de plus en plus grande du commerce des kolkhoz et des stockages de produits agricoles, opérés par les différentes organisations coopératives et d’État.

    Tels sont les faits.

    Tout autre est le tableau que présentent les échanges dans les pays capitalistes, où la crise a abouti à une compression catastrophique du commerce, à la fermeture en masse des entreprises et à la ruine despetits et moyens commerçants, à la faillite des grandes maisons de commerce et à l’engorgement des entreprises commerciales, parallèlement à la chute continue du pouvoir d’achat des masses travailleuses.

    Tel est le bilan du plan quinquennal en quatre ans, quant au développement des échanges.

    VII ­ LE BILAN DU PLAN QUINQUENNAL EN QUATRE ANS DANS LE DOMAINE DE LA LUTTE CONTRE LES DEBRIS DES CLASSES ENNEMIES

    L’accomplissement du plan quinquennal dans l’industrie, l’agriculture et le commerce nous a permis d’affermir le socialisme dans toutes les sphères de l’économie nationale, après en avoir chassé les éléments capitalistes.

    A quoi cela devait-il aboutir pour les éléments capitalistes, et à quoi cela a-t-il abouti effectivement ?

    A ceci que les derniers débris des classes expirantes ont été délogés : les industriels et leur valetaille, les commerçants et leurs suppôts, les ci-devant nobles et les popes, les koulaks et leurs complices, les anciens officiers blancs et ouriadniks, les anciens policiers et gendarmes, les intellectuels bourgeois, chauvins de tout poil, et tous les autres éléments antisoviétiques.

    Délogés et dispersés à travers l’U.R.S.S., ces ci-devant sont venus s’insinuer dans nos usines et fabriques, dans nos institutions et nos organisations commerciales, dans nos entreprises de transports par fer et par eau, et surtout dans les kolkhoz et les sovkhoz. Il s’y sont insinués et réfugiés, affublés du masque d’«ouvriers» et de «paysans» ; certains d’entre eux se sont même faufilés dans le Parti.

    Qu’ont-ils apporté avec eux ? Evidemment, un sentiment de haine contre le pouvoir des Soviets, un sentiment d’hostilité féroce pour les nouvelles formes d’économie, d’existence, de culture.

    Attaquer de front le pouvoir des Soviets, ces messieurs n’en ont plus la force. Eux et leurs classes avaient déjà à plusieurs reprises mené de ces attaques, mais ils avaient été battus et dispersés. Aussi, la seule chose qui leur reste, c’est de faire du tort, de nuire aux ouvriers, aux kolkhoziens, au pouvoir des Soviets, au Parti.

    Et ils font du tort, tant qu’ils, peuvent, en poussant sournoisement leurs sapes. Ils mettent le feu aux entrepôts et brisent les machines.

    Ils organisent le sabotage. Ils organisent le sabotage dans les kolkhoz, dans les sovkhoz ; et certains d’entre eux, au nombre desquels figurent même des professeurs, vont, dans leur ardeur à nuire, jusqu’à inoculer la peste et le charbon au bétail des kolkhoz et des sovkhoz, jusqu’à favoriser la propagation de la méningite chez les chevaux, etc.

    Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel dans Inactivité» de ces ci-devant, c’est qu’ils organisent le vol et le pillage en masse des biens de l’État, des biens des coopératives, de la propriété des kolkhoz.

    Vol et pillage dans les fabriques et usines, vol et pillage des marchandises sur les chemins de fer, vol et pillage dans les dépôts et entreprises de commerce, surtout vol et pillage dans les sovkhoz et les kolkhoz.

    Telle est la forme principale de l’ «activité» de ces ci-devant. Ils sentent, comme par un instinct de classe, que la propriété sociale est la base de l’économie soviétique ; que c’est cette base précisément qu’il s’agit d’ébranler pour faire du tort au pouvoir des Soviets, et ils s’efforcent effectivement d’ébranler la propriété sociale par le vol et le pillage organisés.

    Pour organiser les pillages, ils exploitent les habitudes et lessurvivances de l’esprit de propriété chez les kolkhoziens, hier encore

    paysans individuels, aujourd’hui membres de kolkhoz. En votre qualité de marxistes, vous devez savoir que la conscience des hommes retarde dans son développement sur leur situation réelle.

    Par leur situation les kolkhoziens ne sont plus des paysans individuels ; ils sont des collectivistes.

    Mais leur conscience est encore pour le moment celle d’autrefois, celle du propriétaire privé. Et les ci-devant, issus des classes exploiteuses profitent des habitudes de propriétaires privés qu’ont les kolkhoziens, pour organiser le pillage des biens publics et ébranler ainsi la base du régime soviétique, la propriété sociale.

    Beaucoup de nos camarades considèrent ce fait avec placidité ; ils ne comprennent pas le sens et la signification des vols et du pillage en masse. Tels des aveugles, ils passent à côté de ces faits, estimant qu’ «il n’y a là rien de particulier». Mais ces camarades se trompent lourdement. La base de notre régime est la propriété sociale, de même que la base du capitalisme est la propriété privée.

    Si les capitalistes ont proclamé la propriété privée, sacrée et inviolable, et sont parvenus, en leur temps, à consolider le régime capitaliste, nous, communistes, devons d’autant plus proclamer la propriété sociale, sacrée et inviolable, afin de stabiliser par là-même les nouvelles formes socialistes de l’économie dans toutes les branches de la production et du commerce.

    Tolérer le vol et le pillage de la propriété sociale, — qu’il s’agisse de la propriété de l’État ou de la propriété des coopératives et des kolkhoz, peu importe ! — et passer à côté de telles infamies contre-révolutionnaires, c’est contribuer à saper le régime soviétique reposant sur la propriété sociale qui en est la base.

    C’est de là qu’est parti notre gouvernement soviétique, en promulguant sa récente loi sur la sauvegarde de la propriété sociale.Cette loi constitue à cette heure la base de la légalité révolutionnaire.

    L’appliquer le plus rigoureusement est le premier devoir de chaque ouvrier et de chaque kolkhozien.

    On dit que la légalité révolutionnaire de nos jours ne se distingue en rien de la légalité révolutionnaire de la première période de la Nep ; que la légalité révolutionnaire de nos jours marque un retour à la légalité révolutionnaire de la première période de la Nep. C’est absolument faux.

    La légalité révolutionnaire de la première période de la Nep avait sa pointe dirigée surtout contre les excès du communisme de guerre, contre les confiscations et les prestations «illicites». Elle garantissait au propriétaire privé, au paysan individuel, au capitaliste, la sauvegarde de leur bien à condition qu’ils observent rigoureusement les lois soviétiques.

    Tout autre est la légalité révolutionnaire de nos jours. La légalité révolutionnaire de nos jours a sa pointe dirigée, non contre les excès du communisme de guerre, qui ont disparu il y a beau temps, mais contre les voleurs et les saboteurs dans l’économie sociale, contre les apaches et les dilapidateurs de la propriété sociale.

    Le principal souci de la légalité révolutionnaire de nos jours, c’est, par conséquent, la sauvegarde de la propriété sociale, et pas autre chose.

    Voilà pourquoi la lutte pour la sauvegarde de la propriété sociale, la lutte par tous les moyens et toutes les mesures que les lois du pouvoir des Soviets mettent à notre disposition constitue une des tâches essentielles du Parti.

    Une dictature du prolétariat, forte et puissante, voilà ce qu’il nous faut maintenant pour réduire en poussière les derniers débris des classes expirantes et briser leurs machinations de filous.

    Certains camarades ont compris la thèse de la suppression des classes, de la création d’une société sans classes et du dépérissement

    de l’État, comme une justification de la paresse et de la placidité, une justification de la théorie contre-révolutionnaire de l’extinction de la lutte de classes et de l’affaiblissement du pouvoir d’État.

    Inutile de dire que ces hommes ne peuvent avoir rien de commun avec notre Parti. Ce sont des éléments dégénérés ou à double face, qu’il faut chasser du Parti. La suppression des classes peut être réalisée, non par l’extinction de la lutte de classes, mais par son accentuation.

    Le dépérissement de l’État se fera, non par l’affaiblissement du pouvoir d’État, mais par son renforcement maximum, ce qui est indispensable pour achever les débris des classes expirantes et organiser la défense contre l’encerclement capitaliste, lequel est encore loin d’être détruit et ne le sera pas encore de sitôt.

    L’accomplissement du plan quinquennal nous a permis de chasser à jamais, de leurs positions dans la production, les derniers débris des classes ennemies ; nous avons défait la classe des koulaks et préparé le terrain en vue de son anéantissement.

    Tel est le bilan du plan quinquennal quant à la lutte contre les derniers détachements de la bourgeoisie. Mais cela ne suffit pas. Notre tâche est de déloger les ci-devant de nos propres entreprises et institutions, et de les mettre définitivement hors d’état de nuire.

    On ne peut dire que les ci-devant puissent changer quelque chose, par leurs machinations de saboteurs et de filous, à la situation actuelle de l’U.R.S.S. Ils sont trop faibles et impuissants pour tenir tête aux dispositions du pouvoir des Soviets.

    Mais si nos camarades ne s’arment pas de vigilance révolutionnaire et n’abandonnent pas leur placidité de philistins devant le vol et la dilapidation de la propriété sociale, les ci-devant peuvent causer bien du tort.Il ne faut pas perdre de vue que la puissance croissante de l’État soviétique augmentera la résistance des derniers débris des classes expirantes.

    Précisément parce qu’ils expirent et achèvent de vivre leurs derniers jours, ils passeront de telles formes d’attaque à d’autres, à des formes d’attaque plus violentes, en en appelant aux couches arriérées de la population et en les mobilisant contre le pouvoir des Soviets.

    Il n’est point de vilenies et de calomnies dont les ci-devant n’usent contre le pouvoir des Soviets, et autour desquelles ils ne tentent de mobiliser les éléments arriérés.

    Sur ce terrain peuvent revivre et se remettre en mouvement les groupes défaits des vieux partis contre-révolutionnaires des socialistes-révolutionnaires, des menchéviks, des nationalistes bourgeois du centre et de la périphérie ; peuvent revivre et se remettre en mouvement les débris des éléments d’opposition contre-révolutionnaires : trotskistes et fauteurs de la déviation de droite.

    Ce n’est pas terrible, évidemment. Mais il faut tenir compte de tout cela, si nous voulons en finir avec ces éléments, en finir vite et sans qu’il nous en coûte trop cher.

    Voilà pourquoi la vigilance révolutionnaire est cette qualité qui aujourd’hui est particulièrement indispensable aux bolcheviks.

    VIII ­ CONCLUSIONS GENERALES

    Tels sont les résultats essentiels de l’accomplissement du plan quinquennal dans l’industrie et l’agriculture, quant à l’amélioration des conditions d’existence des travailleurs et au développement des échanges, quant à la consolidation du pouvoir des Soviets et à l’extension de la lutte de classe contre les débris et les survivances des classes dépérissantes.

    Tels sont les succès et les conquêtes du pouvoir des Soviets depuis quatre ans.

    Ce serait une erreur de croire, sur la foi de ces succès, que chez nous tout va bien. Il est évident que tout ne va pas encore bien chez nous.

    Il y a dans notre travail pas mal de défauts et d’erreurs. L’incurie et le désordre sont encore chose courante chez nous. Je ne puis malheureusement pas m’arrêter maintenant à ces défauts, à ces erreurs.

    Le cadre du rapport d’activité qui m’a été confié ne m’en laisse pas la latitude.

    Mais il ne s’agit pas de cela maintenant. La vérité est que, en dépit des défauts et des erreurs, dont personne parmi nous ne nie l’existence, nous avons obtenu des succès tellement sérieux, qu’ils suscitent l’admiration de la classe ouvrière du monde entier ; nous avons remporté une victoire qui, en vérité, est d’une importance historique et mondiale.

    Qu’est-ce qui a pu jouer et a joué effectivement un rôle essentiel dans le fait que, malgré nos erreurs et nos défauts, le Parti a néanmoins remporté des succès décisifs dans l’accomplissement du plan quinquennal en quatre ans ?

    Où sont les forces essentielles qui nous ont assuré, malgré tout, cette victoire historique ?

    C’est d’abord l’activité et l’abnégation, l’enthousiasme et l’initiative des millions d’ouvriers et de kolkhoziens qui, de concert avec les ingénieurs et les techniciens, ont fait preuve d’une énergie colossale pour développer l’émulation socialiste et le travail de choc.

    Il ne peut faire aucun doute que, sans cela, nous n’aurions pu arriver au but, nous n’aurions pu avancer d’un seul pas.

    C’est, en second lieu, la direction ferme du Parti et du gouvernement, qui ont appelé les masses à aller de l’avant et qui, pour atteindre le but, ont surmonté toutes les difficultés imaginables sur leur chemin.

    Ce sont enfin les mérites et les avantages particuliers du système soviétique de l’économie, système qui renferme d’immenses possibilités, nécessaires pour vaincre les difficultés de toute sorte.

    Telles sont les trois forces essentielles qui ont déterminé la victoire historique de l’U.R.S.S.

    Conclusions générales :

    1. Les résultats du plan quinquennal ont réfuté l’affirmation des hommes politiques bourgeois et social-démocrates, prétendant que le plan de cinq ans est une fantaisie, un délire, un rêve irréalisable.

    Les résultats du plan quinquennal ont montré que celui-ci était déjà réalisé.

    2. Les résultats du plan quinquennal ont battu en brèche le «credo» bourgeois bien connu, selon lequel la classe ouvrière est incapable d’édifier du nouveau, et n’est capable que de détruire l’ancien. Les résultats du plan quinquennal ont montré que la classe ouvrière est tout aussi capable d’édifier parfaitement du nouveau que de détruire l’ancien.

    3. Les résultats du plan quinquennal ont battu en brèche la thèse des social-démocrates, suivant laquelle il est impossible de construire intégralement le socialisme dans un seul pays, pris à part. Les résultats du plan quinquennal ont montré qu’il est parfaitement possible de construire dans un seul pays une société socialiste,puisque la base économique d’une telle société est déjà construite en U.R.S.S.

    4. Les résultats du plan quinquennal ont réfuté l’affirmation des économistes bourgeois, disant que le système capitaliste d’économie est le meilleur, que tout autre système d’économie manque de solidité et est incapable de résister à l’épreuve des difficultés du développement économique.

    Les résultats du plan quinquennal ont montré que le système capitaliste d’économie est précaire et manque de solidité, qu’il a déjà fait son temps et doit céder sa place à un autre système, supérieur, au système soviétique, socialiste ; que le seul système d’économie ne craignant pas les crises et capable de surmonter des difficultés insolubles pour le capitalisme, est le système d’économie soviétique.

    5. Enfin, les résultats du plan quinquennal ont montré que le Parti est invincible s’il sait dans quelle direction agir et s’il ne craint pas les difficultés.

    (Longs applaudissements en rafale, qui tournent en ovation.

    L’assistance debout acclame le camarade Staline.)

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : L’année du grand tournant

    L’ANNEE DU GRAND TOURNANT

    POUR LE XIIe ANNIVERSAIRE DE LA REVOLUTION D’OCTOBRE

    Pravda, n° 259, 7 novembre 1929

    Importance décisive, on peut ramener les succès de notre offensive sur ce front, nos réalisations de l’année écoulée, à trois éléments essentiels.

    L’année écoulée fut celle d’un grand tournant sur tous tes fronts de construction socialiste. Ce tournant s’est poursuivi et se poursuit encore sous le signe d’une offensive résolue du socialisme contre les éléments capitalistes de la ville et de la campagne. Cette offensive a ceci de caractéristique qu’elle nous a déjà donné une série de succès décisifs dans les principaux domaines de la transformation (reconstruction) socialiste de notre économie nationale.

    Il s’ensuit que le Parti a su utiliser efficacement le recul opéré aux premiers stades de la Nep pour, ensuite, à ses stades ultérieurs, organiser le tournant et engager une offensive victorieuse contre les éléments capitalistes.

    Lors de l’institution de la Nep, Lénine disait :

    « Nous reculons actuellement, nous semblons reculer, maisnous le faisons pour ensuite prendre notre élan et bondir avec plus de force en avant. C’est à cette seule condition que nous avons reculé en appliquant notre nouvelle politique économique… pour, après le recul, commencer une offensive des plus opiniâtres. («Discours à l’Assemblée plénière du Soviet de Moscou», t. XXVII, pp. 361­362, éd. Russe.) Les résultats de l’année écoulée attestent incontestablement que le Parti, dans son travail, applique avec succès cette indication décisive de Lénine. »

    Si l’on prend les résultats de l’année écoulée dans le domaine de l’édification économique, qui est pour nous d’une ???

    I ­ DANS LE DOMAINE DE LA PRODUCTIVITE DU TRAVAIL

    On ne peut guère douter que l’un des faits les plus importants, sinon le plus important de notre œuvre constructive dans l’année qui vient de s’écouler, c’est que nous avons réussi à opérer un tournant décisif dans le domaine de la productivité du travail. Ce tournant s’est traduit par une accentuation de l’initiative créatrice et un puissant élan de travail des masses innombrables de la classe ouvrière sur le front de construction socialiste. Là est notre première et principale réalisation de l’année écoulée.

    L’initiative créatrice et l’élan au travail des masses furent stimulés principalement dans trois directions : a) en luttant contre le bureaucratisme qui enchaîne l’initiative et l’activité des masses dans leur travail, — par l’autocritique ; b) en luttant contre les tire-au-flanc et destructeurs de la discipline prolétarienne du travail, — par l’émulation socialiste ; enfin c) en luttant contre la routine et l’inertie dans la production, par l’organisation de la semaine de travail ininterrompue. [Semaine de travail ininterrompue.

    Les entreprises (les institutions) travaillent tous les jours ; les ouvriers bénéficient d’un jour de repos à tour de rôle, tous les cinq jours. (N. des Trad).] Comme résultat, nous enregistrons un immense succès sur le front du travail : l’enthousiasme au travail et l’appel mutuel au travail des masses innombrables de la classe ouvrière sur tous les points de notre pays immense.

    Or, la portée de ce succès est véritablement inappréciable, car seuls l’élan et l’enthousiasme au travail des masses innombrables peuvent assurer la montée continue de la productivité du travail, sans quoi la victoire définitive du socialisme sur le capitalisme ne saurait se concevoir.

    La productivité du travail, dit Lénine, c’est, en dernière analyse, ce qu’il y a de plus important, d’essentiel pour la victoire du nouvel ordre social. Le capitalisme a créé une productivité du travail inconnue sous le servage. Le capitalisme peut être définitivement vaincu et le sera définitivement, parce que le socialisme crée une productivité du travail nouvelle, beaucoup plus élevée. («La grande initiative», t. XXIV, p. 342, éd. Russe.)

    Partant de là, Lénine estime que :

    Nous devons nous pénétrer de cet enthousiasme au travail, de cette volonté de travail, de cette opiniâtreté dont dépend désormais le salut le plus prompt des ouvriers et des paysans, le salut de l’économie nationale. («Le IIIe anniversaire de la Révolution d’Octobre. Discours à l’Assemblée plénière du Soviet, du Comité du Parti et du Conseil des syndicats de Moscou», t. XXV, p. 477, éd. Russe.)

    Telle est tâche que Lénine a posée, devant le Parti.

    L’année écoulée a montré que le Parti accomplit cette tâche avec succès, en surmontant résolument les difficultés dressées sur ce chemin.Voilà ce qu’il en est de la première réalisation importante du Parti, pour l’année écoulée.

    II ­ DANS LE DOMAINE DE L’EDIFICATION INDUSTRIELLE

    A cette première réalisation du Parti se rattache étroitement sa deuxième réalisation.

    Cette deuxième réalisation du Parti, c’est que nous avons obtenu, au cours de l’année écoulée, une solution favorable, dans l’essentiel, du problème de l’accumulation pour les grands travaux de l’industrie lourde ; que nous avons adopté un rythme accéléré pour le développement de la production des moyens de production, et créé les conditions nécessaires à la transformation de notre pays en un pays métallurgique. Là est notre deuxième réalisation essentielle pour l’année écoulée.

    Le problème de l’industrie légère ne présente pas de difficultés particulières. Nous l’avons déjà résolu il y a quelques années. Plus difficile et plus important est le problème de l’industrie lourde. Plus difficile, parce que celle-ci exige d’énormes investissements de capitaux ; de plus, ainsi que le montre l’histoire des pays arriérés sous le rapport industriel, l’industrie lourde ne peut se passer d’énormes emprunts à long terme.

    Plus important, parce que sans développer l’industrie lourde, nous ne pouvons construire aucune industrie, nous ne pouvons procéder à aucune industrialisation. Et comme nous n’avions et n’avons ni emprunts à long terme, ni crédits quelque peu prolongés, l’acuité du problème devient pour nous plus qu’évidente.

    C’est ce qui guide précisément les capitalistes de tous les pays, lorsqu’ils nous refusent emprunts et crédits ; ils croient que nous ne pourrons venir à bout, par nos propres forces, du problème de l’accumulation, que nous nous enferrerons sur le problème de la reconstruction de l’industrie lourde et serons obligés d’aller les trouver chapeau bas, de nous livrer à leur merci.

    Or, que nous disent à ce propos les résultats de l’année écoulée ? L’importance de ces résultats, c’est qu’ils mettent en pièces les calculs de messieurs les capitalistes.

    L’année écoulée a montré que, malgré le blocus financier, avoué ou secret, de l’U.R.S.S., nous ne nous sommes pas livrés à la merci des capitalistes, et que nous avons résolu avec succès, par nos propres forces, le problème de l’accumulation, en jetant les fondations de l’industrie lourde.

    C’est ce que désormais ne peuvent nier même les ennemis jurés de la classe ouvrière. En effet, si les investissements dans la grande industrie ont été, l’an dernier, supérieurs à 1.600 millions de roubles, dont 1.300 millions environ sont allés à l’industrie lourde, et que les investissements dans la grande industrie, cette année, sont supérieurs à 3.400 millions de roubles, dont plus de 2.500 millions iront à l’industrie lourde ; si la production globale de la grande industrie accusait l’an dernier une augmentation de 23 %, — la part d’accroissement de l’industrie lourde étant de 30 %, — tandis que la production globale de la grande industrie doit fournir, cette année, un accroissement de 32 %, la part d’accroissement de l’industrie lourde devant être de 46 %, — n’est­il pas clair que le problème de l’accumulation pour la construction de l’industrie lourde ne présente pas pour nous de difficultés insurmontables ?

    Comment peut­on douter que nous avançons à une allure accélérée, dans la voie du développement de notre industrie lourde, que nous dépassons les anciens rythmes et laissons derrière nous notre retard «séculaire» ?

    Peut-on s’étonner après tout ce qui vient d’être dit, que les prévisionsdu plan quinquennal aient été dépassées dans l’année écoulée, et que

    la variante optima du plan quinquennal, que les écrivassiers bourgeois tiennent pour «chose fantastique, inaccessible» et dont s’épouvantent nos opportunistes de droite (groupe Boukharine), soit devenue en fait la variante minima du plan quinquennal ? Le salut pour la Russie, dit Lénine, n’est pas seulement dans une bonne récolte de l’économie paysanne — cela ne suffit pas encore — et pas seulement dans le bon état de l’industrie légère qui fournit aux paysans les articles de consommation – cela non plus ne suffit pas encore, — il nous faut également une industrie lourde…

    Si nous ne sauvons pas l’industrie lourde, si nous ne la rétablissons pas, nous ne pourrons construire aucune industrie et, à défaut de celle-ci, c’en sera fait de nous, en général, comme pays indépendant…

    L’industrie lourde a besoin de subventions de l’État. Si nous ne les trouvons pas, c’en est fait de nous comme Etat civilisé, je ne dis même pas socialiste. («Cinq années de révolution russe et les perspectives de la révolution mondiale». Rapport présenté au IVe congrès de l’I.C., t. XXVII, p. 349, éd. Russe.) C’est en ces termes catégoriques que Lénine formule le problème de l’accumulation et la tâche du Parti, quant à la construction de l’industrie lourde.

    L’année écoulée a montré que le Parti s’acquitte avec succès de cette tâche en surmontant résolument les difficultés de toute sorte dressées sur ce chemin.

    Cela ne signifie évidemment pas que l’industrie ne rencontrera plus de sérieuses difficultés.

    La construction de l’industrie lourde ne se heurte pas seulement au problème de l’accumulation. Elle se heurte encore au problème des cadres, au problème consistant :

    a) à associer à la construction socialiste, des dizaines de milliers de techniciens et spécialistes attachés au régime soviétique et

    b) à former de nouveaux techniciens et spécialistes rouges choisis au sein de la classe ouvrière.

    Si on peut considérer le problème de l’accumulation comme résolu pour l’essentiel, par contre le problème des cadres attend encore d’être résolu.

    Or maintenant que s’effectue la reconstruction technique de l’industrie, te problème des cadres est le problème décisif de la construction socialiste.

    Ce qui nous manque surtout, dit Lénine, c’est la culture, c’est l’art de diriger… Economiquement et politiquement, la Nep nous assure pleinement la possibilité de bâtir les fondements de l’économie socialiste. Il s’agit «seulement» de créer les forces cultivées du prolétariat et de son avant-garde. («Lettre au camarade Molotov sur le plan du rapport politique au XIe congrès du Parti», t. XXVII, p. 207.)

    Évidemment, il s’agit ici, avant tout, des «forces cultivées», des cadres pour la construction économique en général, pour la construction et la direction de l’industrie en particulier.

    Il s’ensuit donc que, malgré les réalisations éminemment sérieuses en matière d’accumulation, et qui ont une importance essentielle pour l’industrie lourde, on ne peut considérer le problème de la construction de l’industrie lourde comme entièrement résolu, tant que ne sera pas résolu le problème des cadres.

    D’où la tâche du Parti : serrer de près le problème des cadres et emporter cette forteresse coûte que coûte.

    Voilà ce qu’il en est de la deuxième réalisation du Parti, pour l’année écoulée.

    III ­ DANS LE DOMAINE DE L’EDIFICATION AGRICOLE

    Enfin, la troisième réalisation du Parti dans l’année écoulée, réalisation organiquement liée aux deux premières.

    Je veux parler du tournant radical opéré dans le développement de notre agriculture,allant de la petite économie individuelle arriérée à la grosse agriculture collective avancée, au travail de la terre en commun, aux stations de machines et de tracteurs, aux artels et kolkhoz basés sur la technique moderne, enfin aux sovkhoz géants pourvus de centaines de tracteurs et de moissonneuses-batteuses.

    La réalisation du Parti, ici, c’est que dans nombre de régions, nous avons réussi à détourner les masses paysannes fondamentales de l’ancienne voie capitaliste de développement, — qui ne profite qu’à une poignée de richards-capitalistes, tandis que l’énorme majorité des paysans est réduite à végéter dans le dénuement, — vers la voie nouvelle, la voie socialiste de développement, qui évince les richards-capitalistes et ré-outille d’une façon nouvelle les paysans moyens et pauvres, les pourvoit de nouveaux instruments, les pourvoit de tracteurs et de machines agricoles, afin de leur permettre de se tirer de la misère et de l’asservissement au koulak, et de s’engager sur la large voie du travail par association, du travail collectif de la terre.

    La réalisation du Parti, c’est que nous avons réussi à organiser ce tournant radical au sein même de la paysannerie et à entraîner derrière nous les grandes masses de paysans pauvres et moyens, en dépit de difficultés incroyables, en dépit de la résistance désespérée des forces occultes de toute sorte, depuis les koulaks et les popes jusqu’aux philistins et aux opportunistes de droite.

    Voici quelques chiffres. En 1928, la surface ensemencée des sovkhoz était de 1.425.000 hectares, avec une production marchande de plus de 6 millions de quintaux de céréales ; la surface ensemencée des kolkhoz atteignait 1.390.000 hectares avec une production marchande d’environ 3 millions et demi de quintaux de céréales.

    En 1929, la surface ensemencée des sovkhoz était de 1.816.000 hectares avec une production marchande de près de 8 millions dequintaux de céréales, tandis que la surface ensemencée des kolkhoz était de 4. 262.000 hectares avec une production marchande s’élevant à près de 13 millions de quintaux de céréales.

    Dans l’année 1930 qui vient, la surface ensemencée des sovkhoz doit atteindre, selon les prévisions du plan, 3.280.000 hectares, avec une production marchande de 18 millions de quintaux de céréales, tandis que la surface ensemencée des kolkhoz doit atteindre 15 millions d’hectares avec une production marchande de 49 millions de quintaux environ.

    Autrement dit, dans l’année 1930 qui vient, la production marchande des céréales dans les sovkhoz et les kolkhoz doit s’élever à plus de 65 millions de quintaux, c’est-à-dire au-delà de 50 % de la production marchande de céréales de toute l’économie rurale (sans compter la consommation sur place).

    Il faut reconnaître que des rythmes de développement aussi impétueux sont inconnus même de notre grande industrie socialisée, dont les rythmes de développement se distinguent en général par leur grande envergure.

    N’est-il pas clair que notre grande agriculture socialiste (kolkhoz et sovkhoz), qui est jeune, a devant elle un bel avenir, qu’elle fera des miracles de croissance ?

    Ce succès sans précédent de la construction des kolkhoz s’explique par toute une série de raisons, dont il conviendrait de signaler au moins les suivantes.

    Il s’explique d’abord par ceci que le Parti a réalisé la politique léniniste d’éducation des masses, en conduisant de façon conséquente les masses paysannes vers les kolkhoz par l’établissement de sociétés coopératives.

    Il s’explique par ceci que le Parti a mené avec succès la lutte contre ceux qui cherchaient à devancer le mouvement et à forcer à coups de décrets le développement des kolkhoz (les phraseurs «de gauche»), de même que contre ceux qui essayaient de tirer le Parti en arrière et de rester à la queue du mouvement (les brouille-tout de droite). Sans une telle politique, le Parti n’aurait pu transformer le mouvement de collectivisation en un véritable mouvement de masse des paysans eux-mêmes.

    Lorsque le prolétariat de Pétrograd et les soldats de la garnison de Pétrograd ont pris le pouvoir, dit Lénine, ils savaient parfaitement que l’édification à la campagne rencontrerait de grandes difficultés ; qu’il fallait avancer ici plus graduellement ; que c’eût été la plus grande bêtise de vouloir ici essayer d’introduire à coups de décrets et de lois le travail collectif de la terre ; que seule une quantité infime de paysans conscients pouvaient y consentir, mais que l’immense majorité des paysans ne posaient point ce problème.

    Et c’est pourquoi nous nous sommes bornés à ce qui était absolument nécessaire au développement de la révolution : ne devancer en aucun cas le développement des masses, mais attendre que de la propre expérience de ces masses, de leur propre lutte, naisse un mouvement en avant. («Discours sur l’anniversaire de la Révolution au VIe congrès extraordinaire des Soviets de la R.S.F.S.R.», t. XXIII, p. 252, éd. Russe.)

    Si le Parti a remporté une très grande victoire sur le front de la construction des kolkhoz, c’est parce qu’il a appliqué exactement cette indication tactique de Lénine.

    Ce succès sans précédent dans la construction de l’agriculture s’explique, en second lieu, par le fait que le pouvoir des Soviets a su tenir compte du besoin grandissant de la paysannerie en nouveau matériel agricole, en nouveaux moyens techniques ; il a su tenir compte, de façon juste, de la situation sans issue où se trouvait la paysannerie avec ses vieilles formes du travail de la terre et, tenant compte de tout cela, il a organisé à temps une aide pour elle sous forme de postes de location, de colonnes de tracteurs, de stations de machines et de tracteurs ; sous forme d’organisation du travail de la terre en commun, par l’établissement des kolkhoz, enfin sous la forme d’une aide multiple de sovkhoz à l’économie paysanne.

    Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un pouvoir est apparu, le pouvoir des Soviets, qui, pratiquement, a montré sa volonté et sa capacité de prêter aux masses travailleuses de la paysannerie une aide systématique et durable en matière de production.

    N’est-il pas clair que les masses travailleuses de la paysannerie, qui souffrent depuis toujours de la pénurie de matériel agricole, ne pouvaient manquer de se saisir de cette aide, et de s’engager dans la voie du mouvement de collectivisation agricole ?

    Et peut-on s’étonner que, désormais, le vieux mot d’ordre des ouvriers : «Face à la campagne» soit complété par le nouveau mot d’ordre des paysans-kolkhoziens : «Face à la ville» ? Ce succès sans précédent de la construction des kolkhoz s’explique, enfin, par ceci que les ouvriers avancés de notre pays ont pris l’affaire en main.

    Je veux parler des brigades ouvrières disséminées par dizaines et par centaines dans les principales régions de notre pays. Il faut reconnaître que de tous les propagandistes existants et possibles du mouvement de collectivisation agricole parmi les masses paysannes, les propagandistes ouvriers sont les meilleurs.

    Qu’y a-t-il donc d’étonnant si les ouvriers ont réussi à convaincre les paysans de l’avantage que la grosse économie collective a sur la petite économie individuelle, d’autant plus que les kolkhoz et les sovkhoz existants sont une preuve évidente de cet avantage ?

    Voilà sur quel terrain ont été remportés nos succès dans l’œuvre de construction des kolkhoz, succès qui, à mon sens, sont les plus importants et les plus décisifs de ces dernières années.Les objections de la «science» contre la possibilité et l’utilité d’organiser de grandes fabriques de céréales, de 50 et 100.000 hectares, se sont effondrées, disséminées en poussière.

    La pratique a réfuté les objections de la «science» ; elle a montré une fois de plus qu’elle ne doit pas seule faire son profit de la «science», mais que la «science» aussi ne ferait pas mal de profiter des enseignements de la pratique.

    Dans les pays capitalistes les fabriques géantes de céréales ne s’acclimatent pas. Mais notre pays n’est pas un pays capitaliste. Il ne faut pas oublier cette «petite» différence.

    Là-bas, chez les capitalistes, il est impossible d’organiser une grande fabrique de céréales sans acheter quantité de terrains ou sans payer une rente foncière absolue, ce qui grève forcément de frais énormes la production, puisque là-bas existe la propriété privée de la terre.

    Chez nous, au contraire, il n’existe ni rente foncière absolue, ni achat et vente de terrains, ce qui crée forcément des conditions favorables au développement des grandes exploitations de céréales, puisque chez nous la propriété privée de la terre n’existe pas.

    Là-bas, chez les capitalistes, les grandes exploitations de céréales ont pour objet de réaliser le maximum de profit ou, tout au moins, de réaliser des profits correspondant à ce qu’on appelle le taux moyen du profit, faute de quoi le capital n’a pas intérêt en général à se mêler d’organiser des exploitations de céréales.

    Chez nous, au contraire, les grandes exploitations de céréales, qui sont en même temps des exploitations d’État, n’ont besoin pour se développer ni d’un maximum de profit, ni du taux moyen du profit, elles peuvent se contenter d’un profit minimum et, parfois, se passer même de tout profit ; les conditions restent cependant favorables au développement des grandes exploitations de céréales.

    Enfin, en régime capitaliste, il n’existe, pour les grandesexploitations de céréales, ni facilités de crédit ni dégrèvements

    spéciaux, alors qu’en régime soviétique, qui vise ai soutien du secteur socialiste, ces facilités existent et continueront d’exister.

    Tout cela la vénérable «science» l’a oublié.

    Les affirmations des opportunistes de droite (groupe Boukharine) se sont effondrées et disséminées en poussière, affirmations qui prétendaient :

    a) que les paysans n’iraient pas au kolkhoz ;

    b) que le rythme accéléré du développement des kolkhoz ne pouvait que provoquer un mécontentement de masse et la désunion entre la paysannerie et la classe ouvrière ;

    c) que ce ne sont pas les kolkhoz, mais la coopération qui représente la «grand’route» du développement socialiste à la campagne ;

    d) que le développement des kolkhoz et l’offensive contre les éléments capitalistes de la campagne pouvaient laisser le pays sans pain.

    Tout cela s’est effondré et disséminé en poussière, comme un vieux fatras de libéralisme bourgeois.

    Premièrement, les paysans ont pris le chemin des kolkhoz, ils l’ont pris par villages, par cantons, par rayons entiers.

    Deuxièmement, le mouvement kolkhozien de masse, loin d’affaiblir, fortifie l’alliance de la ville et des campagnes en lui assignant une nouvelle base, une base de production.

    Même les aveugles voient maintenant que si un mécontentement quelque peu sérieux se manifeste dans les masses paysannes fondamentales, il ne concerne pas la politique de collectivisation pratiquée par le pouvoir des Soviets, mais le fait que ce dernier (quant à l’approvisionnement des paysans en machines et tracteurs), a du mal à suivre le progrès du mouvement kolkhozien.

    Troisièmement, la discussion relative à la «grand’route» du développement socialiste des campagnes est une discussion scolastique, digne des jeunes libéraux petits-bourgeois du typeEichenwald et Slepkov. Il est clair que tant qu’il n’y avait pas de mouvement kolkhozien de masse, la «grand’route» était représentée par les formes inférieures de la coopération, par la coopération d’achat et de vente.

    Mais lorsque sur la scène apparut la forme supérieure de la coopération, la forme kolkhozienne, elle devint la «grand’route» du développement. Pour parler sans guillemets, la grand’route du développement socialiste des campagnes, c’est le plan coopératif de Lénine, plan qui englobe toutes les formes de la coopération agricole, depuis les formes inférieures (achat et vente) jusqu’aux formes supérieures (de production kolkhozienne).

    Opposer les kolkhoz à la coopération, c’est se moquer du léninisme et avouer sa propre ignorance.

    Quatrièmement, même les aveugles voient maintenant que sans une offensive contre les éléments capitalistes de la campagne, et sans le développement du mouvement des kolkhoz et des sovkhoz, nous n’aurions aujourd’hui ni les succès décisifs que nous avons remportés au cours de cette année dans les stockages de blé, ni les dizaines de millions de quintaux de blé — réserves intangibles — accumulés déjà entre les mains de l’État.

    Bien plus, on peut affirmer que grâce à la croissance du mouvement des kolkhoz et des sovkhoz, nous sortons définitivement, ou même nous sommes déjà sortis, de la crise du blé.

    Et si le développement des kolkhoz et des sovkhoz se poursuit à une allure accélérée, il n’y a aucune raison de douter que notre pays deviendra, dans quelque trois ans, un des plus grands, sinon le plus grand producteur de blé du monde.

    Qu’y a-t-il de nouveau dans l’actuel mouvement des kolkhoz ? Ce qu’il y a de nouveau et de décisif dans le mouvement actuel des kolkhoz, c’est que les paysans y entrent non par groupes isolés,comme cela se faisait auparavant, mais par villages, par cantons, par rayons, voire par arrondissements entiers.

    Qu’est-ce à dire ? C’est que le paysan moyen a pris le chemin des kolkhoz. Là est la base du tournant radical qui s’est opéré dans le développement de l’agriculture et qui constitue une réalisation capitale entre toutes du pouvoir des Soviets, pour l’année écoulée.

    On voit s’effondrer et se briser en éclats la «conception» menchévique du trotskisme, selon laquelle la classe ouvrière est incapable d’entraîner derrière elle les masses paysannes fondamentales dans le domaine de la construction socialiste. Même les aveugles voient maintenant que le paysan moyen s’est tourné vers les kolkhoz.

    Maintenant il est clair pour tous que le plan quinquennal de l’industrie et de l’agriculture est celui de la construction de la société socialiste, que les gens qui ne croient pas à la possibilité de construire intégralement le socialisme dans notre pays, n’ont pas le droit de saluer notre plan quinquennal.

    On voit s’écrouler et se réduire en poussière l’espoir ultime des capitalistes de tous les pays, qui rêvent de restaurer en U.R.S.S. le capitalisme, le «principe sacré de la propriété privée. » Les paysans qu’ils considèrent comme un engrais destiné à préparer le terrain pour le capitalisme, abandonnent en masse le drapeau tant vanté de la «propriété privée» et s’engagent dans la voie du collectivisme, dans la voie du socialisme. Il croule, l’espoir ultime de voir restaurer le capitalisme.

    C’est ce qui explique, entre autres, les tentatives désespérées des éléments capitalistes de notre pays pour dresser contre le socialisme en marche toutes les forces du vieux monde, tentatives aboutissant à aggraver la lutte de classes. Le capital ne veut pas s’ «intégrer» dansle socialisme.

    C’est aussi ce qui explique les hurlements de fureur que poussent ces derniers temps contre le bolchévisme, les chiens de garde du Capital, tous ces Strouvé et Hessen, ces Milioukov et Kérenski, ces Dan et Abramovitch. Pensez donc ! L’espoir suprême de restaurer le capitalisme disparaît.

    Que peuvent encore attester cette rage furieuse des ennemis de classe et ces hurlements frénétiques des laquais du Capital, si ce n’est que le Parti a remporté effectivement une victoire décisive sur le front le plus difficile de la construction socialiste ?

    C’est seulement dans le cas où nous réussirons à montrer en fait aux paysans les avantages de la culture en commun, collective, par associations, par artels ; c’est seulement si nous réussissons, à aider le paysan à s’organiser en associations, en artels, que la classe ouvrière, tenant en mains le pouvoir d’État, prouvera réellement au paysan qu’elle a raison, attirera réellement à ses côtés, de façon durable et effective, la masse innombrable des paysans. («Discours au congrès des communes et artels agricoles», t. XXIV, p. 579, éd. Russe.)

    C’est ainsi que Lénine pose la question des moyens à employer pour gagner les millions de paysans à la classe ouvrière, pour faire passer la paysannerie sur la voie de la construction des kolkhoz. L’année écoulée a montré que le Parti s’acquitte de cette tâche avec succès, en surmontant résolument les difficultés de toute sorte, dressées sur ce chemin.

    La paysannerie moyenne dans la société communiste, dit Lénine, ne se rangera à nos côtés que lorsque nous aurons allégé et amélioré les conditions économiques de son existence. Si demain nous pouvions fournir 100.000 tracteurs de premier ordre, les pourvoir en essence, les pourvoir en mécaniciens (vous savez fort bien que pour l’instant c’est de la fantaisie), le paysan moyen dirait : «Je suis pour la commune» (c’est-à-dire pour le communisme).

    Mais pour ce faire, il faut d’abord vaincre la bourgeoisie internationale, il faut l’obliger à nous fournir ces tracteurs, ou bien il faut élever notre productivité du travail de telle sorte que nous puissions les fournir nous-mêmes. C’est ainsi seulement que cette question sera bien posée. («Rapport sur le travail à la campagne au VIIIe congrès du P. C. (b) R.», t. XXIV, p. 170, éd. Russe.)

    C’est ainsi que Lénine pose la question des voies à suivre pour ré-outiller techniquement le paysan moyen, la question des voies à suivre pour le gagner au communisme.

    L’année écoulée a montré que le Parti s’acquitte également avec succès de cette tâche. On sait qu’au printemps de l’année 1930 qui vient, nous aurons sur nos champs plus de 60.000 tracteurs ; l’année d’après, plus de 100.000 tracteurs, et au bout de deux années encore, plus de 250.000 tracteurs. Ce que l’on tenait pour une «fantaisie» il y a quelques années, nous avons aujourd’hui toute possibilité d’en faire une réalité.

    Telle est la raison pour laquelle le paysan moyen s’est tourné vers la «commune». Voilà ce qu’il en est de la troisième réalisation du Parti. Telles sont les principales réalisations du Parti, pour l’année écoulée.

    CONCLUSION

    Nous marchons à toute vapeur dans la voie de l’industrialisation, vers le socialisme, laissant derrière nous notre retard «russe» séculaire. Nous devenons le pays du métal, le pays de l’automobile, le pays du tracteur.

    Et quand nous aurons installé l’U.R.S.S. sur l’automobile, et le moujik sur le tracteur, qu’ils essayent de nous rattraper, les honorables capitalistes qui se targuent de leur «civilisation». Nous verrons alors quels pays on pourra «qualifier» d’arriérés, et lesquels d’avancés.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : La question agraire

    L’Elva [l’Eclair], n°5, 9 et 10 des 17, 22 et 23 mars 1906.
    Signé : I. Bessochvili
    Traduit du géorgien
    .

    I

       L’ancien régime croule de toutes parts, la campagne commence à bouger. La paysannerie, hier encore opprimée est humiliée, se relève aujourd’hui et redresse l’échine. Le mouvement paysan, hier encore impuissant, s’élance aujourd’hui, tel un torrent impétueux, contre l’ancien régime : ôte-toi de mon chemin, sinon je te balaye ! « Les paysans veulent obtenir les terres seigneuriales », « les paysans veulent supprimer les vestiges du servage », voilà ce qu’on entend dire aujourd’hui dans les bourgs et villages insurgés de Russie.

       Ceux qui comptent imposer silence aux paysans avec des balles se trompent : l’expérience nous l’a montré, les balles ne font qu’attiser et exaspérer le mouvement révolutionnaire.

       Ceux qui tentent d’apaiser les paysans avec de simples promesses et des « banques paysannes » se trompent aussi : les paysans veulent la terre, ils la voient même en rêve et, naturellement, ils n’auront de cesse qu’ils n’aient mis la main sur les terres seigneuriales. Qu’ont-ils à attendre de promesses creuses et d’on ne sait quelles « banques paysannes » ?

       Les paysans veulent s’emparer des terres seigneuriales. Ils entendent supprimer ainsi les vestiges du servage. Et quiconque se refuse à trahir les paysans doit s’appliquer à résoudre précisément de cette façon la question agraire.

       Mais comment la paysannerie pourra-t-elle prendre possession de ces terres ?

       On prétend que l’unique issue est dans le « rachat » des terres « à des conditions avantageuses ».

    Le gouvernement et les grands propriétaires fonciers possèdent de vastes étendues de terres libres, nous disent ces messieurs ; si les paysans rachètent ces terres, tout s’arrangera : ainsi les loups seront rassasiés et le brebis sauvées.

    Mais ils ne se demandent pas avec quoi les paysans pourront racheter ces terres, ces paysans qu’on a non seulement dépouillés de leur argent, mais encore écorchés vifs. Ils ne réfléchissent pas à ceci que lors du rachat, on ne remettra aux paysans que de mauvaises terres, et l’on gardera les bonnes pour soi, comme on l’a fait lors de l’ « affranchissement des serfs » !

    Et puis, pourquoi les paysans rachèteraient-ils les terres qui de tout temps leur ont appartenu ? Est-ce que les terres de l’Etat et des grands propriétaires fonciers n’ont pas été arrosées par la sueur des paysans ?Est-ce qu’elles n’ont pas appartenu aux paysans ? Est-ce que ces biens de leurs pères et de leurs aïeux n’ont pas été enlevés aux paysans ?

    Où donc est la justice si l’on demande aux paysans de racheter les terres qui leur furent enlevées ? Et la question du mouvement paysan n’est-elle qu’une question de vente et d’achat ?

    Le mouvement paysan ne vise-t-il pas à affranchir les paysans ? Qui donc affranchira les paysans du joug du servage, sinon les paysans eux-mêmes? Or, ces messieurs nous assurent que les paysans seront affranchis par les grands propriétaires fonciers : il suffit pour cela de leur verser comptant une petite somme. Et le croiriez-vous ?

    Cet « affranchissement » devra être réalisé, paraît-il, sous la direction de la bureaucratie tsariste, de cette même bureaucratie qui a plus d’une fois accueilli la paysannerie affamée à coups de canon et de mitrailleuse !…

       Non ! Le rachat des terres ne sauvera pas les paysans. Ceux qui leur conseillent le « rachat à des conditions avantageuses » sont des traîtres, car ils cherchent à prendre les paysans dans les filets du maquignonnage et ne veulent pas que l’affranchissement des paysans soit l’oeuvre des paysans eux-mêmes.

       Si les paysans veulent s’emparer des terres seigneuriales ; s’ils doivent supprimer ainsi les vestiges du servage ; si le « rachat à des conditions avantageuses » ne peut les sauver : si l’affranchissement des paysans doit être l’oeuvre des paysans eux-mêmes, il est hors de doute qu’il n’y a pour eux qu’un seul moyen : enlever les terres aux grands propriétaires fonciers, c’est-à-dire les confisquer.

       Là est l’issue.

       Une question se pose : jusqu’où doit aller cette confiscation ? A-t-elle une limite ? Les paysans doivent-ils s’emparer de toutes les terres ou d’une partie seulement ?

       Certains disent que s’emparer de toutes les terres, ce serait trop ; qu’il suffit d’en prendre une partie pour satisfaire les paysans. Admettons-le. Mais comment fera-t-on si les paysans réclament davantage ? Nous n’allons tout de même pas leur barrer la route : arrêtez-vous, n’avancez pas plus loin ! Voilà qui serait réactionnaire !

    Les événements de Russie n’ont-ils pas prouvé que les paysans réclament effectivement la confiscation de toutes les terres seigneuriales ? Et puis, que veux dire « s’emparer d’une partie » ? Quelle partie doit être enlevée aux grands propriétaires fonciers, la moitié ou le tiers ?

    Qui doit trancher cette question, les grands propriétaires seuls ou les propriétaires et les paysans tous ensemble ?

    Comme on le voit, il reste ici une grande marge pour le maquignonnage ; la marchandage demeure possible entre propriétaires fonciers et paysans ; or cela va radicalement à l’encontre de l’affranchissement des paysans.

    Ceux-ci doivent comprendre une fois pour toutes qu’il ne faut pas marchander avec les grands propriétaires fonciers, mais lutter contre eux. Il faut non pas raccommoder le joug du servage, mais le briser, pour en détruire à jamais les vestiges.

    « S’emparer d’une partie seulement », c’est travailler à raccommoder les vestiges du servage ; et ceci est incompatible avec l’affranchissement des paysans.

       Il est évident que le seul moyen est d’enlever aux grands propriétaires fonciers toutes leurs terres. C’est ainsi seulement qu’on pourra faire aboutir le mouvement paysan, qu’on pourra accroître l’énergie populaire et détruire les vestiges périmés du servage.

       Ainsi l’actuel mouvement des campagnes est un mouvement démocratique des paysans. le but de ce mouvement est de supprimer les vestiges du servage.

    Et, pour les supprimer, il faut confisquer toutes les terres seigneuriales et celles de l’Etat.

       Certains messieurs nous lancent l’accusation que voici : pourquoi, jusqu’à présent, la social-démocratie n’a-t-elle pas réclamé la confiscation de toutes les terres ? Pourquoi, jusqu’à présent, n’a-t-elle parlé que de la confiscation des « otrezki »1 ?

       Pour la raison, messieurs, qu’en 1903, lorsque le parti parlait des « otrezki », la paysannerie de Russie n’était pas encore gagnée au mouvement. Le devoir du parti était de lancer à la campagne un mot d’ordre qui enflammât le coeur des paysans, qui soulevât la paysannerie contre les vestiges du servage.

    Ce mot d’ordre était celui des « otrezki » : ils rappelaient de façon frappante à la paysannerie de Russie ce qu’il y avait d’injuste dans les vestiges du servage.

       Mais les temps ont changé. Le mouvement paysan a grandi. A présent il n’est plus nécessaire de le susciter : il se déchaîne sans cela. Aujourd’hui, il n’est plus question de savoir comment on doit mettre en mouvement la paysannerie, mais ce que doit réclamer la paysannerie déjà en mouvement.

    Il est clair qu’il faut ici des revendications précises, et le parti déclare à la paysannerie qu’elle doit exiger la confiscation de toutes les terres seigneuriales et de toutes celles de l’Etat.

       Ce qui signifie que chaque chose vient en son temps et lieu, aussi bien les « otrezki » que la confiscation de toutes les terres.

    II

       Nous avons vu que le mouvement actuel à la campagne représente un mouvement de libération des paysans ; nous avons vu aussi que pour libérer les paysans, il faut supprimer les vestiges du servage, et que pour supprimer ces vestiges, il faut enlever toutes leurs terres aux grands propriétaires fonciers et à l’Etat, afin de déblayer le chemin de la vie nouvelle, du libre développement du capitalisme.

       Supposons tout cela réalisé. Comment ces terres doivent-elles être réparties ? A qui doivent-elles être remises en propriété ?

       Les uns disent que les terres saisies doivent être remises au village, en propriété commune ; la propriété privée de la terre doit être dés maintenant abolie et le village doit jouir de la propriété absolue des terres ; après quoi, il répartira lui-même des « lots » égaux entre les paysans ; de cette façon, le socialisme se trouvera dés maintenant réalisé à la campagne : à la place du salariat s’instituera la jouissance égalitaire du sol.

       C’est, nous disent les socialistes-révolutionnaires, ce qui s’appelle la « socialisation de la terre« .

       Pouvons-nous accepter cette solution ? Examinons le fond de l’affaire.

    Et d’abord ceci: les socialistes-révolutionnaires veulent commencer par la campagne pour réaliser le socialisme. Cela est-il possible ?

    La ville, on le sait, est plus développée que la campagne, elle est le guide de la campagne ; toute mesure socialiste doit donc commencer par la ville. Or, les socialistes-révolutionnaires prétendent faire de la campagne le guide de la ville, la forcer à réaliser la première le socialisme, ce qui, bien entendu, est impossible à cause de son état arriéré.

    D’où l’on voit que le « socialisme » des socialistes-révolutionnaires sera un socialisme mort-né.

       Passons maintenant au fait qu’ils entendent réaliser dés maintenant le socialisme à la campagne. Réaliser le socialisme, c’est supprimer la production marchande, abolir l’économie monétaire, détruire de fond en comble le capitalisme et socialiser tous les moyens de production. Les socialistes-révolutionnaires, eux, entendent laisser toutes ces choses en l’état et ne socialiser que la terre, ce qui est absolument impossible.

    Si la production marchande reste telle qu’elle est, la terre aussi deviendra une marchandise ; aujourd’hui ou demain elle fera son apparition sur le marché, et voilà le « socialisme » des socialistes-révolutionnaires volatilisé. Il est évident qu’ils veulent réaliser le socialisme dans le cadre du capitalisme, ce qui, bien entendu, est inconcevable. Voilà pourquoi l’on dit que le « socialisme » des socialistes-révolutionnaires est un socialisme bourgeois.

       Quant à la jouissance égalitaire du sol, ce n’est tout bonnement qu’une phrase creuse. la jouissance égalitaire du sol exige l’égalité de fortune ; or, entre les paysans, il existe une inégalité de fortune que la révolution démocratique d’aujourd’hui n’est pas en mesure de supprimer. Peut-on croire que le paysan qui possède huit paires de boeufs exploitera la terre dans la même mesure que celui qui n’en possède pas une seule ?

    Les socialistes-révolutionnaires s’imaginent pourtant que la « jouissance égalitaire du sol » supprimera le salariat et mettra fin au développement du capital, ce qui, bien entendu, est absurde.

    Evidemment, les socialistes-révolutionnaires entendent lutter contre la continuation du développement capitaliste et faire tourner en arrière la roue de l’histoire : c’est là qu’ils voient le salut.

    La science, elle, nous dit que la victoire du socialisme dépend du développement du capitalisme, et quiconque lutte contre ce développement lutte contre le socialisme. Voilà pourquoi l’on donne aussi aux socialistes-révolutionnaires le nom de socialistes-réactionnaires.

       Sans compter que les paysans entendent lutter pour l’abolition de la propriété féodale, non pas contre la propriété bourgeoise, mais sur la base de la propriété bourgeoise : ils veulent répartir entre eux les terres saisies pour en devenir les propriétaires privés, ils ne se satisferont pas de la « socialisation de la terre ».

       Comme on le voit, la « socialisation de la terre » est inacceptable.

       D’autres disent que les terres expropriées doivent être remises à l’Etat démocratique dont les paysans ne seraient que les affermataires.

       C’est ce qu’on appelle la « nationalisation de la terre« .

    La nationalisation de la terre est-elle acceptable ? Si nous prenons en considération le fait que l’Etat futur, si démocratique qu’il soit, sera néanmoins bourgeois, que la remise des terres à cet Etat sera suivie d’un renforcement politique de la bourgeoisie, ce qui extrêmement désavantageux pour le prolétariat rural et urbain ; si nous considérons aussi le fait que les paysans eux-mêmes seront hostiles à la « nationalisation de la terre » et ne se satisferont pas du rôle de simples affermataires, on comprendra aisément que la « nationalisation de la terre » ne répond pas aux intérêts du mouvement actuel.

       Par conséquent, la « nationalisation de la terre » est également inacceptable.

       D’autres encore disent que la terre doit être remise en propriété aux autorités administratives locales qui l’affermeraient aux paysans.

       C’est ce qu’on appelle la « municipalisation de la terre« .

       La municipalisation de la terre est-elle acceptable ? Que signifie-t-elle ? Elle signifie d’abord que les paysans ne deviendront pas propriétaires des terres qu’ils auront enlevées de haute lutte aux grands propriétaires fonciers et à l’Etat.

    Qu’en penseront-ils ?

    Les paysans entendent recevoir la terre en toute propriété, ils entendent partager les terres expropriées, dont ils se voient les propriétaires même en rêve. Et quand on leur dira que les terres doivent être remises non pas à eux, mais aux autorités locales, ils ne seront certainement pas d’accord avec les partisans de la « municipalisation ». Cela, nous ne devons pas l’oublier.

       Et puis, que faire si les paysans, entraînés par la révolution, s’approprient toutes les terres saisies et ne laissent rien aux autorités locales ?

    Nous n’allons tout de même pas leur barrer la route et leur dire : arrêtez-vous, ces terres doivent être remises aux autorités locales et non à vous ; l’affermage vous suffira.

       En second lieu, si nous acceptons le mot d’ordre de « municipalisation », nous devons dés maintenant le lancer dans le peuple et expliquer tout de suite aux paysans que ces terres pour lesquelles ils luttent et dont ils veulent s’emparer, seront remises en propriété aux autorités locales et non pas à eux.

    Certes, si le parti a une grande influence sur les paysans, il se peut qu’ils l’approuvent, mais il va sans dire qu’ils ne lutteront plus avec la même énergie, ce qui sera extrêmement préjudiciable à la révolution actuelle.

    Et si le parti n’a pas une grande influence sur les paysans, ceux-ci s’en écarteront et lui tourneront le dos, ce qui provoquera un conflit entre les paysans et le parti et affaiblira considérablement les forces de la révolution.

       On nous dira : souvent les désirs des paysans sont en contradiction avec le développement de l’histoire ; or, nous ne pouvons pas méconnaître la marche de l’histoire et nous conformer toujours aux désirs des paysans, — le parti doit avoir ses principes. Très juste!

    Le parti doit se guider sur ses principes. Mais le parti qui rejetterait toutes les aspirations paysannes, indiquées ci-dessus trahirait ses principes.

    Si le désir des paysans de s’emparer des terres seigneuriales et de les partager ne contredit pas la marche de l’histoire ; si ces aspirations, au contraire, découlent entièrement de la révolution démocratique actuelle ; si une lutte véritable contre la propriété féodale n’est possible que sur la base de la propriété bourgeoise ; si les aspirations des paysans expriment précisément cette tendance, alors il va de soi que le parti ne peut rejeter ces revendications des paysans, car refuser de les soutenir équivaudrait à renoncer au développement de la révolution.

    Au contraire, si le parti a des principes, s’il ne veut pas devenir un frein pour la révolution, il doit contribuer à réaliser ces aspirations des paysans. Or elles sont en contradiction absolue avec la « municipalisation de la terre » !

       Comme on le voit, la « municipalisation de la terre » est, elle aussi inacceptable.

    III

       Nous avons vu que ni la « socialisation », ni la « nationalisation », ni la « municipalisation » ne répondent véritablement aux intérêts de la révolution actuelle.

       Comment donc faut-il répartir les terres saisies, à qui faut-il les remettre en propriété ?

       Il est clair que les terres saisies par les paysans doivent être remises aux paysans eux-mêmes pour qu’ils puissent se les partager entre eux. C’est ainsi que doit être résolue la question posée plus haut.

    Le partage des terres entraînera une mobilisation de la propriété. les moins fortunés vendront leurs terres et s’achemineront vers la prolétarisation ; les paysans aisés achèteront de nouvelles terres et s’appliqueront à améliorer la technique de la culture ; la campagne se divisera en classes, une lutte plus aiguë s’allumera entre ces classes et c’est ainsi que sera créée la base pour un développement ultérieur du capitalisme.

       Comme on le voit, le partage de la terre découle du développement économique actuel.

       D’autre part, le mot d’ordre : « La terre aux paysans, rien qu’aux paysans et à personne d’autre » , encouragera la paysannerie, il lui insufflera une force nouvelle et permettra de mener à son terme le mouvement révolutionnaire déjà commencé à la campagne.

       Comme on le voit, la marche elle-même de la révolution actuelle exige le partage des terres.

       Nos adversaires nous accusent de faire renaître ainsi la petite bourgeoisie, ce qui contredit radicalement la doctrine de Marx. Voici ce qu’écrit la Révolutsionnaïa Rossia (2) :

       « En aidant la paysannerie à exproprier les grands propriétaires fonciers, vous contribuez inconsciemment à instaurer l’économie petite-bourgeoise sur les ruines des formes plus ou moins développées de l’économie agraire capitaliste. n’est-ce pas là « un pas en arrière » du point de vue du marxisme orthodoxe ? » (Voir la Révolutsionnaïa Rossia, n°75).

       Je dois dire que messieurs les « critiques » ont embrouillé les faits. Ils ont oublié que l’économie du grand propriétaire foncier n’est pas une économie capitaliste, qu’elle est une survivance de l’économie féodale et que, par conséquent, en expropriant les grands propriétaires fonciers, on détruit les vestiges de l’économie féodale et non l’économie capitaliste.

    Ils ont oublié également que, du point de vue du marxisme, l’économie féodale n’a jamais été suivie et ne saurait être suivie, immédiatement, par l’économie capitaliste : entre les deux se place l’économie petite-bourgeoise qui succède à l’économie féodale et se transforme ensuite en économie capitaliste.

    Déjà Karl Marx, dans le livre III du Capital, affirmait que, dans l’histoire, l’économie féodale a été suivie d’abord par l’économie rurale petite-bourgeoise et qu’après seulement s’est développée la grande économie capitaliste ; il n’y a pas eu et il ne pouvait pas y avoir de bond immédiat de l’une à l’autre. Cependant, ces singuliers « critiques » nous disent que, du point de vue marxiste, la saisie et le partage des terres seigneuriales représentent un recul !

    Bientôt ils nous jetteront à la tête que « l’abolition du servage » a été, elle aussi, un recul du point de vue marxiste, puisque alors également certaines terres furent « enlevées » aux grands propriétaires fonciers pour être remises aux petits exploitants : les paysans ! Drôle de gens !

    Ils ne comprennent pas que le marxisme envisage toutes choses du point de vue historique ; que du point de vue du marxisme, l’économie rurale petite-bourgeoise est progressiste par rapport à l’économie féodale ; que la destruction de l’économie féodale et l’instauration de l’économie petite-bourgeoise sont une condition nécessaire au développement du capitalisme qui, par la suite, évincera cette économie petite-bourgeoise.

       Mais laissons en paix les « critiques ».

       La vérité est que la remise des terres aux paysans, et puis leur partage, sapent les fondements des survivances du servage, préparent le terrain pour le développement de l’économie capitaliste, renforcent considérablement l’essor révolutionnaire : voilà pourquoi ces mesures sont acceptables pour le Parti social-démocrate.

       Ainsi, pour supprimer les vestiges du servage, il faut confisquer toutes les terres seigneuriales; les paysans doivent en prendre possession et se les partager entre eux, selon leurs intérêts.

       C’est sur cette base que doit être établi le programme agraire du parti.

       On nous dira : tout cela concerne les paysans, mais que pensez-vous du prolétariat rural ?

    Nous répondons que s’il faut aux paysans un programme agraire démocratique, il existe pour les prolétaires des campagnes et des villes un programme socialiste, qui exprime leurs intérêts de classe ; quant à leurs intérêts immédiats, il en a été tenu compte dans les seize points du programme minimum où l’on parle de l’amélioration des conditions du travail. (Voir le Programme du parti, adopté au IIe congrès).

    Pour l’instant, l’action socialiste immédiate du parti consiste en ceci ; il fait une propagande socialiste parmi les prolétaires ruraux, il les rassemble en des organisations socialistes qui leur sont propres et les unit aux prolétaires des villes en un parti politique distinct.

    Le parti se tient constamment en rapports avec cette fraction de la paysannerie ; il lui dit : vous devez garder la liaison avec les paysans en lutte et lutter contre les grands propriétaires fonciers ; et pour autant que vous marchez vers le socialisme, vous devez vous unir résolument aux prolétaires des villes et lutter impitoyablement contre tout bourgeois, qu’il soit paysan ou noble.

    Avec les paysans, pour la république démocratique ! Avec les ouvriers, pour le socialisme ! Voilà ce que dit le parti au prolétariat rural.

       Si le mouvement des prolétaires et leur programme socialiste attisent la flamme de la lutte des classes, pour abolir ainsi à jamais toute division en classes, le mouvement paysan et son programme agraire démocratique, de leur côté, attisent à la campagne la flamme de la lutte entre les ordres de la société, pour abolir ainsi jusque dans sa racine toute division en ordres (3).

    *

       P.S. En terminant cet article, nous ne pouvons laisser passer sans réponse la lettre d’un lecteur qui nous écrit ce qui suit : « Votre premier article ne m’a tout de même pas satisfait. Le parti n’était-il pas hostile à la confiscation de toutes les terres ? Et s’il l’était, pourquoi ne le disait-il pas ? »

       Non, estimé lecteur, le parti n’a jamais été hostile à cette confiscation. Dés le IIe congrès, celui où fut précisément adopté le point relatif aux « otrezki », dés ce congrès (en 1903), le parti disait, par la bouche de Plékhanov et de Lénine, que nous soutiendrons les paysans s’ils revendiquent la confiscation de toutes les terres(4).

    Deux ans plus tard (en 1905), les deux fractions du parti, les « bolchéviks » au IIIe congrès et les « menchéviks » à leur Ière conférence, ont déclaré à l’unanimité qu’ils soutiendraient sans réserve les paysans quant à la confiscation de toutes les terres (5).

    Ensuite, les journaux des deux tendances du parti, aussi bien l’Iskra et le Prolétari que la Novaïa Jizn (6) et la Natchalo (7), ont appelé maintes fois la paysannerie à confisquer toutes les terres…

    Comme vous le voyez, le parti était, dés le début, pour la confiscation de toutes les terres et, par conséquent, vous n’avez aucune raison de penser qu’il s’est mis à la remorque du mouvement paysan. celui-ci n’avait pas encore commencé pour de bon, les paysans ne réclamaient pas encore même les « otrezki », que le parti parlait déjà, à son IIe congrès, de la confiscation de toutes les terres.

       Si toutefois vous nous demandez pourquoi nous n’avons pas inscrit dans notre programme, en cette même année 1903, la revendication de la confiscation de toutes les terres, nous vous répondrons à notre tour par une question : pourquoi donc les socialistes-révolutionnaires n’ont-ils pas inscrit dés 1900, dans leur programme, la revendication de la république démocratique ?

    Etaient-ils vraiment contre cette revendication8 ?

    Pourquoi ne parlait-on alors que de nationalisation tandis qu’aujourd’hui on nous rebat les oreilles avec la socialisation ?

    Et si aujourd’hui, nous ne disons rien dans notre programme minimum de la journée de travail de 7 heures, est-ce à dire que nous sommes contre ?

    Qu’en conclure ? Seulement ceci : c’est qu’en 1903, alors que le mouvement était encore faible, la confiscation de toutes les terres serait restée lettre morte, le mouvement encore faible n’aurait pu faire triompher cette revendication; voilà pourquoi le mot d’ordre des « otrezki » convenait mieux à cette période.

    Mais, par la suite, quand le mouvement grandit et mit en avant les questions d’ordre pratique, le parti dut montrer que le mouvement ne pouvait et ne devait pas s’arrêter aux seuls « otrezki », que la confiscation de toutes les terres s’imposait.

       Tels sont les faits.

       Quelques mots pour finir à propos de la Tznobis Pourtzéli (9) (voir le n°3033). Ce journal débite des insanités sur la « mode » et le « principe » et il assure que le parti, naguère, érigé les « otrezki » en principe.

    Il s’agit là d’un mensonge, car le parti a, dés le début, publiquement admis le principe de la confiscation de toutes les terres, le lecteur a pu le constater plus haut. Quant au fait que la Tznobis Pourtzéli ne distingue pas entre principes et questions pratiques, le malheur n’est pas grand : avec l’âge, elle apprendra à les distinguer (10).

    Notes

    1. Le manifeste de 1861 accordait aux serfs la liberté personnelle sans aucun droit sur la terre. Pour qu’ils pussent remplir leurs obligations envers l’Etat et le propriétaire foncier, les paysans recevaient, moyennant le paiement d’un fermage ou d’un droit de rachat, des lots de terre. Les « otrezki » — « coupes » ou « retraits » — étaient des parcelles retranchées des lots attribués aux paysans et conservées par les propriétaires fonciers. l’importance de ces parcelles retranchées a été surtout considérable dans la zone fertile des terres noires.

    2. La Révolutsionnaïa Rossia [la Russie révolutionnaire], organe des socialistes-révolutionnaires, parut de la fin de 1900 à 1905. Editée d’abord par l’Union des socialistes-révolutionnaires, elle devint à partir de janvier 1902 l’organe central du parti socialiste-révolutionnaire.

    3. La société féodale est caractérisée par la division en ordres. Ainsi, il existait dans la France d’avant 1789 trois ordres : noblesse, clergé, tiers état. La révolution démocratique bourgeoise se dresse contre les ordres privilégiés, elle abat les anciennes barrières pour laisser le champ libre au capitalisme.

    4. Voir les Procès-verbaux du IIe congrès. (J.S.).

    5. Voir les Procès-verbaux du IIIe congrès. (J.S.).

    6. La Novaïa Jizn [la Vie nouvelle], premier journal bolchévik légal, parut à Saint-Pétersbourg du 27 octobre au 3 décembre 1905. Dés que Lénine revint de l’émigration, la Novaïa Zijn passa sous sa direction effective. Maxime Gorki participait activement à sa rédaction. A son n°27, la Novaïa Zijn fut interdite par les autorités. Son dernier numéro, le n°28, parut illégalement.

    7. Le Natchalo [le Commencement] quotidien légal des menchéviks, parut à Pétersbourg du 13 novembre au 2 décembre 1905.

    8. Voir Nos tâches, édition de l’Union des socialistes-révolutionnaires, 1900. (J.S.).

    9. La Tznobis Pourtzéli [la Feuille des nouvelles], quotidien géorgien ; parut à Tiflis de 1896 à 1906. A partir de la fin de 1900, ce journal fut le porte-parole des nationalistes géorgiens ; en 1904, il devint l’organe des social-fédéralistes géorgiens.

    10. Tznobis Pourtzéli a « entendu dire » quelques part que les « social-démocrates de Russie… ont adopté un nouveau programme agraire en vertu duquel… ils soutiennent la municipalisation des terres ». Je dois déclarer qu’aucun programme de cette nature n’a été adopté par les social-démocrates de Russie. L’adoption d’un programme est affaire de congrès ; or, notre congrès ne s’est pas encore tenu. Il est clair que quelqu’un ou quelque chose a induit en erreur la Tznobis Pourtzéli. Ce journal ferait bien de ne pas servir à ses lecteurs des on-dits.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : L’industrialisation du pays et la déviation de droite dans le Parti communiste (b) de l’Union soviétique

    Materialisme-dialectique.com

    Vive le PCF (mlm) !

    Staline

    L’industrialisation du pays et la déviation de droite dans le Parti communiste (b) de l’Union soviétique

    Discours prononcé au Plénum du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, le 19 novembre 1928

    J’examinerai ici trois questions essentielles posées dans les thèses du Bureau politique. Je parlerai d’abord de l’industrialisation du pays, et je m’attacherai à prouver que le facteur décisif en matière d’industrialisation est le développement de la production des moyens de production, développement qui doit se poursuivre à un rythme aussi accéléré que possible.

    Ensuite, j’essaierai de démontrer que le rythme de développement de l’agriculture chez nous marque un retard sensible sur celui de l’industrie et que, par conséquent, la question actuelle la plus brûlante de notre politique intérieure est celle de l’agriculture et notamment, le problème des céréales, la question de savoir comment relever, remanier l’agriculture sur la base de la nouvelle technique.

    Et enfin, la question des déviations, de la lutte sur les deux fronts.

    Dans cet ordre d’idées je tâcherai de prouver qu’à l’heure actuelle le danger le plus sérieux pour nous est dans la déviation de droite.

    I ­ Le rythme de développement de l’industrie

    Le point de départ de nos thèses, c’est que le rythme accéléré de développement de l’industrie en général et de la production desmoyens de production en particulier constitue l’idée maîtresse, la clé de voûte de l’industrialisation du pays, de la transformation de l’ensemble de notre économie nationale sur la base de l’évolution socialiste.

    Mais que veut dire au juste le rythme accéléré du développement industriel ? Cela veut dire qu’il faut engager le plus de capitaux possible dans l’industrie. Or, cela entraîne un état de tension de tous nos plans budgétaires et extra-budgétaires.

    En effet, le trait caractéristique de nos « chiffres de contrôle » pendant les trois dernières années, — en période de reconstruction, c’est qu’ils sont établis et réalisés sous le signe de la « tension ».

    Que vous examiniez nos « chiffres de contrôle », que vous étudiiez nos propositions budgétaires, que vous vous entreteniez avec nos militants, ceux qui travaillent aux divers échelons du Parti ou ceux qui dirigent notre édification soviétique, économique et coopérative, partout et en toutes circonstances on voit apparaître un trait caractéristique, à savoir : la tension de nos plans.

    On se demande si, en général, cette « situation tendue » nous est indispensable. Ne pourrions-nous pas nous en passer ?

    Serait-il donc impossible d’adopter un rythme ralenti, de travailler dans une atmosphère plus « calme » ? Le rythme accéléré de développement de l’industrie, que nous avons adopté, ne devrait-il pas s’expliquer par la nervosité des membres du Bureau politique et du Conseil des commissaires du peuple ? Non, certes. Au Bureau politique et au Conseil des commissaires du peuple siègent des gens calmes et bien équilibrés.

    En faisant abstraction de la situation extérieure et intérieure, nous pourrions certes adopter un rythme plus lent. Mais, tout d’abord, il est impossible de faire abstraction de la situation extérieure et intérieure ; en second lieu, si l’on tient compte de la situation actuelle, on est amené à conclure que c’est précisément cette situation qui nous impose le rythme accéléré du développement de notre industrie.

    Permettez-moi, maintenant, de passer à l’examen de cette situation, de ces facteurs d’ordre extérieur et intérieur qui nous obligent à adopter un rythme accéléré pour le développement de notre industrie.

    Facteurs extérieurs. — Nous avons pris le pouvoir dans un pays où la technique est extrêmement arriérée. A côté de quelques grosses unités industrielles, qui possèdent plus ou moins un outillage moderne, nous avons des centaines et des milliers d’usines et de fabriques dont la technique ne résiste à aucune critique au point de vue des réalisations modernes.

    D’autre part, nous sommes entourés d’un grand nombre de pays capitalistes dotés d’une technique industrielle beaucoup plus développée et plus parfaite que la nôtre. Voyez ce qui se passe dans les pays capitalistes.

    Dans ces pays, la technique non seulement fait des progrès, mais avance à pas de géant laissant en arrière les formes désuètes de la technique industrielle.

    Or, voici ce qui se produit : notre pays est doté, d’une part, du régime le plus avancé du monde, le régime soviétique ; d’autre part, nous avons une technique extrêmement arriérée de l’industrie, laquelle est la base du socialisme et du régime soviétique.

    Croyez-vous qu’en présence de cette contradiction il soit possible de faire triompher définitivement le socialisme ? Que doit-on faire pour liquider cette contradiction ?

    A cet effet, nous devons rattraper et dépasser la technique moderne des pays capitalistes avancés. Nous avons rattrapé et dépassé les pays capitalistes avancés en ce qui concerne l’instauration d’un nouveau régime politique, du régime soviétique. Parfait.

    Mais cela n’est pas suffisant.

    Pour aboutir à la victoire finale du socialisme,nous devons rattraper et dépasser ces pays aussi sous le rapport technique et économique. Ou nous réaliserons cet objectif, ou nous ferons faillite. Cela est vrai non seulement du point de vue de l’édification du socialisme, mais cela est vrai aussi du point de vue de la sauvegarde de l’indépendance de notre pays dans le cadre capitaliste.

    Or, il est impossible de sauvegarder l’indépendance de notre pays sans être pourvu d’une base industrielle suffisante pouvant assurer cette défense. Impossible de créer cette base industrielle, sans avoir une technique industrielle hautement développée. Voilà pourquoi nous avons besoin d’un rythme de développement accéléré de notre industrie.

    L’état arriéré de la technique et de l’économie de notre pays n’a pas été voulu par nous. Ce retard est séculaire, il nous fut légué par le développement historique de notre pays. Ce retard se faisait sentir comme un fléau aussi bien dans le passé, dans la période prérévolutionnaire, que depuis la révolution.

    Lorsque Pierre le Grand, après avoir noué contact avec les pays plus avancés d’Occident, fit construire fébrilement des usines et des fabriques destinées à assurer le ravitaillement de l’armée et à renforcer la défense du pays, ce fut là une tentative originale de remédier à ce retard. On conçoit cependant aisément qu’aucune des anciennes classes, ni l’aristocratie féodale, ni la bourgeoisie, n’ait pu se charger de liquider cet état arriéré de notre pays.

    Bien plus : ces classes non seulement n’étaient pas en mesure de s’acquitter de cette tâche, mais elles étaient même incapables de la formuler d’une façon plus ou moins satisfaisante.

    Le retard séculaire de notre pays ne saurait être liquidé que sur la base de l’édification socialiste. Et seul le prolétariat, qui a instauré sa dictature et tient en main la direction du pays, réussira à mener à bien cette liquidation.

    Il serait puéril de vouloir nous consoler en disant que puisque nous ne sommes pour rien dans le retard, que cet état de choses nous a été légué par l’histoire de notre pays, nous ne pouvons et ne devons pas en supporter la responsabilité.

    Ce n’est pas juste. Dès l’instant où nous avons pris le pouvoir, où nous nous sommes chargés de transformer le pays sur la base du socialisme, nous revendiquons toutes les responsabilités. Et c’est parce que nous en revendiquons les responsabilités que nous nous devons de liquider notre retard technique et économique.

    C’est pour nous une obligation, si nous voulons réellement rattraper et dépasser les pays capitalistes avancés.

    Or, il n’y a que nous, bolcheviks, qui pouvons le faire et personne d’autre. Et c’est justement pour mener à bien cette tâche que nous devons réaliser systématiquement un rythme accéléré de développement de notre industrie. Or, il n’est personne qui ne se rende clairement compte aujourd’hui que nous sommes en train de réaliser un rythme accéléré de développement de notre industrie.

    La nécessité de rattraper et de dépasser les pays capitalistes avancés sous le rapport technique et économique n’a pour nous autres bolcheviks, rien de nouveau ni d’imprévisible.

    Cette question nous l’avons posée déjà en 1917, au cours de la période d’avant la révolution d’Octobre. Cette question fut soulevée par Lénine déjà en septembre 1917, à la veille de la révolution d’Octobre, pendant la guerre impérialiste, dans sa brochure intitulée la Catastrophe imminente et les moyens de la conjurer. Voici ce que dit Lénine à ce sujet :

    Elle [la révolution] a eu pour résultat de porter en quelques mois la Russie, dans l’ordre politique, au niveau des pays les plus avancés.

    Mais cela ne suffit pas. La guerre est inflexible, elle pose la question en termes inexorables : périr ou rattraper et dépasser les paysavancés, même sur le terrain économique.

    Il faut périr ou aller de l’avant à toute vapeur. La question est ainsi posée par l’histoire (Lénine, Œuvres complètes, t. XXI, p. 234. Edit. Soc. Int.).

    Voilà comment Lénine posait d’une façon tranchante la question de la liquidation de notre retard technique et économique.

    Tout cela avait été écrit par Lénine à la veille de la révolution d’Octobre, pendant la période qui précéda la prise du pouvoir par le prolétariat, alors que les bolcheviks n’avaient encore ni pouvoir, ni industrie socialisée, ni un vaste réseau ramifié de coopératives, englobant des millions de paysans, ni exploitations agricoles collectives, ni fermes d’État.

    Or, aujourd’hui, où nous possédons une certaine base réelle pour liquider à fond notre retard technique et économique, nous pourrions paraphraser le passage de Lénine à peu près comme suit : « Nous avons rattrapé et dépassé les pays capitalistes avancés au point de vue politique, en

    instituant la dictature du prolétariat.

    Mais ce n’est pas assez. Nous devons utiliser la dictature du prolétariat, notre industrie socialisée, le transport, notre système de crédit etc., la coopération, les exploitations agricoles collectives, les fermes d’État, etc. — pour rattraper et dépasser, les pays capitalistes avancés, sous le rapport économique aussi. »

    L’application d’un rythme accéléré au développement de notre industrie ne s’imposerait pas aussi impérieusement qu’elle s’impose en ce moment, si nous possédions une industrie et une technique aussi avancées qu’en Allemagne, par exemple ; si le rôle de notre économie nationale était aussi important qu’en Allemagne, par exemple.

    Dans ce cas, nous pourrions développer notre industrie à un rythme moins accéléré, sans avoir à craindre de nous laisser distancer parles capitalistes et sachant que nous pouvons les devancer d’un seul coup.

    Mais, c’est qu’alors le retard technique et économique qui se fait vivement sentir chez nous serait inexistant. Il n’en est rien. Sous ce rapport, nous sommes en retard sur l’Allemagne et bien loin de l’avoir rattrapée au point de vue technique et économique.

    Le rythme accéléré de développement industriel ne s’imposerait pas aussi impérieusement si, au lieu d’être l’unique pays de dictature du prolétariat, nous représentions un des pays de dictature du prolétariat ; si le prolétariat exerçait le pouvoir non seulement dans notre pays, mais aussi dans d’autres pays plus avancés, tels que l’Allemagne et la France.

    Dans ce cas, l’encerclement capitaliste ne serait pas pour nous un danger aussi grave qu’il l’est aujourd’hui ; la question de l’indépendance économique de notre pays serait reléguée, tout naturellement, au second plan ; nous pourrions nous intégrer dans un système d’Etats prolétariens plus avancés, qui nous fourniraient des machines pour enrichir notre industrie et notre agriculture, en échange de matières premières et de produits alimentaires ; nous pourrions, par suite, développer notre industrie à une allure moins rapide.

    Mais vous savez fort bien que ces conditions nous font encore défaut, et que nous sommes pour le moment l’unique pays de dictature du prolétariat, entouré de pays capitalistes dont beaucoup sont très en avant de nous au point de vue technique et économique.

    Voilà la raison pour laquelle la nécessité de rattraper et de dépasser les pays capitalistes avancés dans le domaine économique, était, selon Lénine, une question de vie et de mort pour notre développement.

    Tels sont les facteurs extérieurs qui commandent d’adopter un rythme accéléré de développement de notre industrie.

    Facteurs intérieurs. — Mais en dehors des facteurs extérieurs, il enexiste d’ordre intérieur qui nous commandent l’application d’un

    rythme accéléré de développement de notre industrie, base première de toute notre économie nationale.

    Je veux parler du grand retard de notre agriculture, de sa technique, de son outillage. Je veux parler des petits producteurs qui forment dans notre pays la majorité prédominante, dont la production est en état de dispersion et les procédés de travail rudimentaires, et au milieu desquels notre grande industrie socialisée est comme une île en pleine mer, île dont la base s’élargit chaque jour, mais qui n’en est pas moins une île en pleine mer.

    On répète couramment chez nous que l’industrie est l’élément dirigeant de toute l’économie nationale y compris l’agriculture ; que l’industrie est la clé au moyen de laquelle on réussira à remanier sur la base du collectivisme, l’agriculture arriérée et morcelée. Cela est tout à fait exact. Nous ne devons pas nous départir de ce principe l’espace d’une seconde.

    Mais il ne faut pas oublier, d’autre part, que si l’industrie est un élément décisif, l’agriculture sert de base au développement de l’industrie, d’abord comme marché absorbant la production industrielle, puis comme pourvoyeur de matières premières et de denrées alimentaires, et enfin comme source de réserves pour l’exportation destinées à assurer l’entrée de l’outillage pour les besoins de l’économie nationale.

    Pourra-t-on faire progresser l’industrie en laissant l’agriculture dans un état de technique absolument arriérée, sans assurer à l’industrie une base agricole, sans réorganiser l’agriculture et sans l’ajuster au niveau de l’industrie ? Non, évidemment.

    Il en résulte que nous devons assurer au maximum à l’agriculture l’outillage et les moyens de production afin d’accélérer et d’activer sa réorganisation sur une nouvelle base technique.

    Mais pour atteindre cet objectif, il est indispensable d’adopter un rythme accéléré de développement de notre industrie. Bien entendu, la reconstruction de l’agriculture éparpillée et morcelée est une chose infiniment plus difficile que la reconstruction de l’industrie socialiste unifiée et centralisée. Mais cette tâche s’impose à nous et nous devons nous en acquitter.

    Or, on ne saurait résoudre cette question que sur la base d’un rythme accéléré de développement de notre industrie.

    On ne saurait indéfiniment, interminablement, c’est-à-dire pendant une trop longue période, faire reposer le pouvoir soviétique et l’édification socialiste sur deux bases différentes : l’industrie socialiste la plus grande et la plus unifiée et la petite économie paysanne, arriérée et dispersée.

    Il faut faire passer graduellement, mais systématiquement et avec persévérance, l’agriculture sur une nouvelle base technique, sur la base de la grosse production, en l’ajustant au niveau de l’industrie socialiste.

    Ou bien nous nous acquitterons de cette tâche, et alors la victoire définitive nous sera assurée, ou bien nous l’abandonnerons sans résoudre le problème, — et alors la restauration capitaliste peut devenir imminente.

    Voici ce que dit Lénine à ce sujet :

    Tant que nous vivons dans un pays de petits cultivateurs, le capitalisme possède en Russie une base économique plus solide que le communisme. Il faut se bien mettre dans la tête cette vérité. Tous ceux qui observent attentivement la vie de la campagne en la comparant à celle de la ville, savent que nous n’avons pas encore fait disparaître les racines du capitalisme ni sapé la base, le fondement de l’ennemi intérieur.

    Celui-ci s’appuie sur la petite production ; or il n’est qu’un seul moyen de le battre en brèche, c’est de doter l’ensemble de notreéconomie nationale, y compris l’agriculture d’une nouvelle base technique, de la base technique de la grande industrie moderne.

    Cette base ne peut être que l’électricité. Le communisme c’est le régime soviétique plus l’électrification de tout le pays. (Lénine, Œuvres complètes, t. XXVI, VIIIe congrès panrusse des Soviets ».)

    Comme on le voit, par électrification du pays, Lénine entend non la construction isolée de quelques stations électriques, mais « le transfert de l’économie nationale, y compris l’agriculture, sur une nouvelle base technique, sur la base technique de la grande industrie moderne », qui se rattache d’une façon ou de l’autre, directement ou indirectement, à l’électrification.

    Le discours dont j’ai extrait ce passage a été prononcé par Lénine au VIIIe congrès des Soviets en décembre 1920, la veille même de l’instauration de la Nouvelle politique économique, quand il lança l’idée de ce que l’on a appelé le plan Goelro ; le plan d’électrification de l’ensemble du pays. En partant de ce fait, certains camarades prétendent que les idées exposées dans ce passage de Lénine sont inapplicables à la situation actuelle. Pourquoi ?

    Parce que, — disent-ils, — depuis cette époque beaucoup d’eau s’est écoulée. C’est juste.

    Nous avons aujourd’hui une industrie socialiste développée ; nous avons des exploitations agricoles collectives, comme un phénomène de masse ; nous avons de vieilles et nouvelles fermes d’État, un réseau serré de coopératives développées ; nous avons des dépôts de location d’outillage desservant les exploitations paysannes individuelles ; nous avons les contrats de consignations, nouvelle forme d’union entre la campagne et la ville ; or, nous pouvons dès aujourd’hui mettre en action tous ces leviers et bien d’autres encore pour placer graduellement l’agriculture sur la base de la technique moderne.

    Tout cela est juste. Il n’en est pas moins vrai que malgré tout nous demeurons toujours un pays agricole, où prédomine la petiteproduction. Or, c’est là l’essentiel. Et tant que ce facteur essentiel subsistera, la thèse de Lénine restera en vigueur : « tant que nous vivons dans un pays de petits cultivateurs, notre pays présente pour le capitalisme une base économique plus solide que pour le communisme ». Le danger de la restauration capitaliste n’est donc pas une phrase creuse.

    Les mêmes idées sont exprimées par Lénine, quoique dans une forme plus tranchante, dans sa brochure Sur l’impôt alimentaire, écrite déjà après l’introduction de la Nouvelle politique économique. (Avril-mai 1921.)

    Si nous entreprenons l’électrification du pays pour aboutir dans 10-20 ans, l’individualisme du petit cultivateur et le commerce libre, exercé par ce dernier sur le plan local ne seraient plus à redouter.

    Mais sans l’électrification, le retour au capitalisme est imminent en tout état de cause.

    Et puis plus loin :

    10 ou 20 années de rapports réguliers avec la paysannerie nous assureront la victoire à l’échelle internationale (même si les révolutions prolétariennes en gestation tardent à éclater). Sinon, nous serons voués aux horreurs de la terreur des gardes blancs pendant 20 ou 40 ans. (Recueil Lénine, t. IV. p. 374. Edition russe.)

    On voit donc que Lénine pose la question d’une façon tranchante : ou l’électrification, c’est-à-dire « le placement de toute l’économie nationale, y compris l’agriculture, sur une nouvelle base technique, sur la base de la grande production moderne », ou le retour au capitalisme.

    Voilà comment Lénine pose la question des « justes rapports » avec les paysans. Il ne s’agit point de flatter les paysans ni de considérer cette flatterie comme des rapports rationnels.

    Non, avec cette méthode on n’ira pas très loin. Il s’agit d’aider les paysans à faire passer leur économie « sur une nouvelle base technique, sur la base technique de la grande industrie moderne ». C’est là le moyen essentiel qui affranchira les paysans de leur misère.

    Or, il serait impossible de donner à l’économie nationale une nouvelle base technique, sans appliquer un rythme accéléré de développement à notre industrie, et avant tout, à notre industrie des moyens de production.

    Tels sont les facteurs intérieurs qui nous commandent un rythme accéléré de développement de l’industrie.

    Voilà à quels facteurs, extérieurs et intérieurs, est due la tension des « chiffres de contrôle » de notre économie nationale.

    Voilà la raison pour laquelle nos plans économiques, budgétaires et extra-budgétaires sont conçus sous le signe d’une « tension », sous le signe d’investissements considérables dans les grands travaux d’édification, ayant pour but de maintenir le rythme accéléré de développement de notre industrie.

    On peut demander : « Où cela figure-t-il dans les thèses, à quel passage de nos thèses pouvons-nous nous référer ? » Une voix : Oui, où cela est-il dit ?

    Le montant des investissements dans l’industrie pour 1928/29, indiqué dans les thèses en fait foi. Car celles-ci portent le nom de thèses sur les « chiffres de contrôle ». N’est-ce pas ainsi ? Une voix : Oui.

    Eh bien, dans ces thèses il est dit que nous engageons dans l’industrie, au titre de grands travaux de construction pour 1928/29, 1.650 millions de roubles.

    En d’autres termes, nous investissons dans l’industrie, cette année, 330 millions de roubles de plus que l’année dernière. Ainsi, non seulement nous conservons le rythme accéléré de développement industriel, mais nous franchissons encore un pas en avant, en engageant dans l’industrie une somme supérieure à celle de l’an dernier, c’est-à-dire en élargissant les grands travaux de construction relativement et absolument.

    C’est là le pivot des thèses sur les « chiffres de contrôle » de l’économie nationale. Or, l’essentiel a échappé à bon nombre de nos camarades. Ils ont critiqué sous toutes leurs faces les thèses sur les chiffres de contrôle, sans avoir pu discerner l’essentiel.

    II ­ Le problème des céréales

    J’ai traité jusqu’ici la première question fondamentale des thèses, celle du rythme de développement de notre industrie. Passons maintenant à la deuxième question fondamentale, à savoir : la question des céréales. Ce qui caractérise nos thèses, c’est qu’elles s’attachent au problème du développement de l’agriculture en général et sur celui des céréales en particulier.

    Cette orientation est-elle juste ? Je crois que oui.

    Déjà, à la séance plénière de juillet, on a dit que le point le plus faible dans le développement de notre économie nationale était l’état extrêmement arriéré de notre agriculture en général, de notre économie des céréales en particulier.

    Ceux qui prétendent que notre agriculture est en retard sur l’industrie et s’en plaignent font preuve de légèreté. L’agriculture a été et sera toujours en retard sur l’industrie.

    Cela est surtout vrai dans nos conditions où l’industrie est concentrée au maximum et l’agriculture dans un état de dispersion extrême. Il est clair que l’industrie unifiée se développera plus rapidement que ne le fera l’agriculture éparpillée.

    De là le rôle dirigeant de l’industrie à l’égard de l’agriculture. Aussi le retard habituel de l’agriculture sur l’industrie n’autorise-t-il pas encore à poser la question des céréales.Le problème de l’agriculture et, en particulier, celui de la production des céréales ne font leur apparition que lorsque le retard habituel de l’agriculture sur l’industrie se transforme en un rythme excessivement lent de développement.

    Ce qui caractérise l’état actuel de l’économie nationale c’est que le rythme de développement de la production des céréales marque un retard démesuré sur le rythme du développement industriel, cependant que la demande de céréales, de la part des villes et des centres industriel en plein essor, prend des proportions colossales.

    Notre tâche n’est pas de ralentir le rythme du développement industriel au niveau de l’économie des céréales (il n’en résulterait que de la confusion qui ferait rétrograder toute l’évolution), mais de rajuster le développement de la production des céréales au rythme du développement de l’industrie, pour relever le rythme du développement de la production des céréales à un niveau susceptible d’assurer le progrès rapide de toute l’économie nationale, de l’industrie et de l’agriculture.

    Ou bien nous nous acquitterons de cette tâche, et c’est ainsi que le problème des céréales sera résolu, ou bien nous ne nous en acquitterons pas, et alors la rupture entre la ville socialiste et la campagne des petits cultivateurs est imminente. Voilà comment la question se pose.

    Voilà en quoi consiste le problème des céréales.

    Est-ce à dire que nous assistons à un « temps d’arrêt » dans le développement de la production des céréales, voire même à sa « dégradation ». C’est ainsi que le camarade Froumkine formule la question dans sa seconde lettre que, sur sa demande, nous avons fait distribuer aujourd’hui aux membres du Comité central et de la Commission centrale de contrôle. Dans cette lettre, il ditouvertement que l’agriculture se trouve dans un état de stagnation.

    « Nous ne pouvons, — dit-il, — et ne devons pas parler dans la presse de dégradation, mais, à l’intérieur du Parti, nous n’avons pas à dissimuler que ce retard équivaut à une dégradation. » Cette affirmation du camarade Froumkine est-elle fondée ? Non, certes.

    Nous autres, membres du Bureau politique, ne partageons nullement cette affirmation, et les thèses du Bureau politique sont entièrement en désaccord avec cette façon de présenter l’état actuel de la production des céréales.

    En effet, qu’est-ce que la dégradation et en quoi doit-elle consister quant à l’agriculture ? Elle doit visiblement se manifester dans un mouvement de recul de l’agriculture, vers le bas, mouvement allant des nouvelles formes de culture aux formes moyenâgeuses.

    Elle doit se traduire, disons par le passage des paysans de l’assolement triennal au système des jachères, de la charrue et de la machine modernes à la charrue primitive, des semences sélectionnées et de haute qualité aux semences non sélectionnées et de qualité inférieure, des procédés modernes de culture aux procédés primitifs, et ainsi de suite.

    Mais en est-il vraiment ainsi ?

    Nul n’ignore que des dizaines et des centaines de milliers de « feux » paysans passent chaque année de l’assolement triennal à l’assolement quadriennal et plus, remplacent les semences de qualité inférieure par celles de qualité supérieure, l’araire par la charrue moderne et les machines, les procédés anciens de culture par des procédés modernes de culture. Y a-t-il là dégradation ?

    Le camarade Froumkine aime en général à s’accrocher aux pans du vêtement de tel ou tel membre du Bureau politique pour justifier son point de vue à lui. Il est fort possible qu’en l’espèce il cherche également à s’accrocher aux pans du vêtement du camarade Boukharine et s’efforce de démontrer que ce dernier dit « la même chose » dans son article : « Notes d’un économiste ».

    Or, le camarade Boukharine est loin de dire « la même chose ». Dans son article, le camarade Boukharine a posé de façon abstraite, théorique, la question de la possibilité ou du danger de la dégradation.

    Abstraitement parlant, cette façon de poser la question est fort possible et logique.

    Mais que fait le camarade Froumkine ? Il transforme la question abstraite de la dégradation éventuelle en un fait accompli de la dégradation agricole. Et c’est ce qu’il appelle analyse de l’état de la production des céréales. Rien de plus ridicule.

    Il serait bien bas, le régime soviétique, si, à la onzième année de son existence, il avait amené l’agriculture à une dégradation ! Mais un tel régime mériterait qu’on le chassât et non qu’on le soutînt ! Et il est certain que les ouvriers auraient depuis longtemps renversé un tel régime, s’il avait amené l’agriculture à la dégradation. Ce sont les spécialistes bourgeois de tout ordre, qui crient à la dégradation de l’agriculture qu’ils voient en songe.

    A un moment donné Trotski aussi avait crié à la dégradation. Je ne pensais pas que le camarade Froumkine irait s’engager dans cette voie épineuse.

    Sur quoi le camarade Froumkine cherche-t-il à baser son affirmation relative à la dégradation ?

    D’abord sur ce fait que cette année la surface des terres cultivées en céréales se trouve être inférieure à celle de l’année dernière. A quoi cela tient-il ? A la politique du gouvernement soviétique peu-têtre ? Non certes.

    Cela s’explique par la perte des blés d’hiver dans la région des steppes de l’Ukraine et, en partie, dans le Caucase du Nord, ainsi que par la sécheresse qui a sévi cet été dans la même région de l’Ukraine.

    Sans ces facteurs climatériques défavorables, auxquels l’agriculture se trouve entièrement soumise, nous aurions, cette année, une superficie de terres cultivées en céréales dépassant de un million de« déciatines » au moins celle de l’année dernière.

    Il essaie de fonder ensuite son assertion sur le fait que cette année notre production globale de céréales ne dépasse que de très peu celle de l’année dernière (de 70 millions de pouds) et que la récolte de froment et de seigle est inférieure à celle de l’année dernière de 200 millions de pouds environ. Mais comment faut-il expliquer ce fait ?

    Toujours par les mêmes phénomènes climatériques : sécheresse et perte des blés d’hiver provoquée par la rigueur des froids. Sans ces facteurs climatériques défavorables, la production globale de céréales dépasserait cette année de 300 millions de pouds celle de l’année dernière.

    Comment peut-on faire abstraction de facteurs aussi sérieux que la sécheresse, le gel, etc., facteurs décisifs pour la récolte dans telles ou telles régions ?

    Nous nous assignerons aujourd’hui la tâche d’élargir de 7 % la surface d’ensemencement, de relever de 3 % le rendement du sol et d’augmenter de 10 %, je crois, la production globale de céréales. Il est hors de doute que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour nous acquitter de ces tâches.

    Mais il n’est pas impossible, malgré toutes les mesures que nous aurons prises, que nous ayons à faire face à une récolte insuffisante, partielle, à une période de sécheresse ou de gel dans telle ou telle région.

    Il est possible que l’ensemble de ces circonstances entraîne un fléchissement de la production globale de céréales par rapport à celle prévue par nos plans, voire même à celle de cette année.

    Est-ce à dire que l’agriculture « décroît », que cette « déchéance » est imputable à la politique du gouvernement soviétique ; que nous avons « privé » le paysan de ce qui lui servait de stimulant économique, que nous l’avons « dépouillé » de la perspective économique ?Il y a quelques années, Trotski était tombé dans la même erreur en affirmant que tes « pluies » n’exerçaient aucune influence sur l’agriculture. Rykov lui a répliqué, soutenu par l’immense majorité des membres du Comité central.

    Aujourd’hui Froumkine tombe dans la même erreur, en négligeant les conditions de climat qui jouent un rôle décisif pour l’agriculture, et en s’efforçant d’imputer à la politique de notre parti tous les malheurs.

    Quels sont les moyens et les voies propres à relever le rythme de développement de l’agriculture, en général, et de la production des céréales en particulier ? Nous en repérons trois : a) relever le rendement du sol et élargir la surface cultivable des exploitations individuelles des paysans pauvres et moyens ; b) développer les exploitations agricoles collectives ; c) élargir les vieilles fermes d’État et en créer de nouvelles.

    Ces points figurent déjà dans la résolution du Plénum de juillet. Les thèses qui ne font que reprendre ce qui a été dit au Plénum de juillet, posent la question en plus concret, en la commentant par des chiffres relatifs aux capitaux engagés. Ici encore, le camarade Froumkine a trouvé le moyen de s’accrocher.

    Il croit qu’il suffit que la culture individuelle tienne le premier rang et que les exploitations agricoles collectives et fermes d’État viennent en deuxième et troisième lieu pour assurer le triomphe de son point de vue.

    Cela est ridicule. Bien entendu, si on se place au point de vue de l’importance de telles ou telles formes d’agriculture, il faudra mettre au premier plan les exploitations individuelles qui fournissent presque six fois plus de blé-marchand que les fermes collectives et d’État.

    Mais si on se place au point de vue du type de culture, au point de vue des formes de culture qui nous sont le plus proches, il faudra mettre au premier plan les fermes collectives et d’État, qui constituent le type supérieur d’agriculture comparativement auxexploitations individuelles paysannes.

    Est-il besoin de démontrer que les deux points de vue sont également acceptables ? Quelles mesures faut-il prendre pour que notre travail suive les trois chemins indiqués, pour que soit réalisée pratiquement une accentuation du rythme de développement de l’agriculture et, avant tout, de la production des céréales ?

    Il faudra, avant tout, attirer l’attention des cadres de notre parti sur l’agriculture et, en premier lieu, sur les problèmes concrets relatifs à la production des céréales. Il faut abandonner les généralités et le bavardage sur l’agriculture en général ; il est temps de nous occuper enfin de rechercher les mesures pratiques, susceptibles de relever la production des céréales conformément aux conditions respectives des diverses régions.

    Il est temps de passer de la parole à l’acte, d’aborder enfin la question concrète de savoir comment relever le rendement du sol et élargir la surface d’ensemencement des exploitations individuelles des paysans pauvres et moyens ; comment améliorer et développer ultérieurement les exploitations agricoles collectives et les fermes d’État; comment organiser l’aide que les exploitations collectives et fermes collectives fourniraient aux paysans, au point de vue de leur ravitaillement en semences de meilleure qualité, en meilleures espèces le bétail ; comment organiser l’aide aux paysans en machines et outillage agricoles par l’intermédiaire de dépôts de location ; comment élargir et améliorer les contrats de consignation et, en général, la coopération agricole, etc.

    Une voix : C’est du praticisme !

    Un tel praticisme nous est absolument nécessaire, sinon nous risquons de noyer dans un verbalisme creux sur l’agriculture en général, la solution nécessaire de la question des céréales.

    Le Comité central a décidé que des rapports concrets concernant lesquestions du développement de l’agriculture seront faits par nos

    militants responsables des principales régions de blé au Conseil des commissaires du peuple et au Bureau politique.

    Au cours de ce Plénum, vous entendrez le rapport du camarade Andréev sur les moyens de résoudre le problème des céréales dans le Caucase du Nord.

    Je pense que plus tard nous aurons à entendre des rapports analogues de l’Ukraine, de la Région centrale du Tchernoziom (Terre noire), du Volga, de la Sibérie, etc. Cela est absolument indispensable pour attirer l’attention du Parti sur le problème des céréales, et pour inciter enfin, les cadres de notre parti à aborder concrètement les questions se rattachant à la production des céréales.

    Il faut, en second lieu, que nos militants du Parti travaillant dans la campagne sachent faire une distinction rigoureuse, au cours de leur travail, entre les paysans moyens et les koulaks, ne les mettent pas tous dans le même sac et ne frappent pas le paysan moyen alors que c’est le koulak qu’il faut battre. Il est temps de liquider ces soi-disant erreurs. Prenons, par exemple, la question de l’imposition individuelle.

    Une décision du Bureau politique et une loi correspondante autorisent d’appliquer l’imposition individuelle à 2­3 % seulement des « feux » paysans, soit à la partie la plus riche des koulaks. Or, que voyons-nous en réalité ? Il existe des régions où l’imposition individuelle est appliquée à 10 %, 12 % et même plus de la population paysanne, ce qui fait qu’une partie des paysans moyens se trouve lésée.

    N’est-il pas temps de mettre un terme à ce crime ?

    Au lieu d’envisager des mesures concrètes pour liquider ces abus et tant d’autres, nos chers « critiques » se mettant en frais d’imagination, proposent de remplacer les mots « la partie la plus riche des koulaks » par « la partie la plus forte des koulaks » ou par « la partie supérieure des koulaks ». Comme si cela ne revenait au même ! Il est établi que nous avons 5 % de koulaks.

    Il est également établi que la loi n’impose à titre individuel que 2-3 % seulement des « feux » paysans, soit la partie la plus riche des koulaks. Il est établi que, dans la pratique, cette loi est transgressée dans un grand nombre de régions.

    Or, les « critiques », au lieu de préconiser des mesures concrètes pour liquider ces phénomènes, se livrent à une critique verbale, s’obstinant à ne pas vouloir se rendre compte que ce faisant, ils n’avancent pas les choses d’un seul iota.

    On dirait de vrais exégètes.

    Une voix : On propose d’imposer individuellement tous les koulaks.

    Oui, mais alors il faudra réclamer l’abrogation de la loi instituant l’imposition individuelle de 2 à 3 %. Or, que je sache, personne n’a réclamé l’abrogation de la loi sur l’imposition individuelle. On prétend que l’extension arbitraire de l’imposition individuelle a pour but de compléter le budget local.

    Mais est-il permis de compléter le budget local en violant la loi, en transgressant les directives du Parti ? Le Parti existe encore chez nous, il n’est pas encore liquidé. Le régime soviétique existe encore, il n’est pas encore liquidé. Et si le budget local manque de ressources, il faut poser la question du budget local, au lieu d’enfreindre les directives du Parti, de violer les lois.

    Ensuite, il faut continuer de stimuler les exploitations individuelles des paysans pauvres et moyens. Il est certain que l’augmentation, déjà décrétée, du prix des blés, la mise en application des lois révolutionnaires, l’aide pratique donnée aux paysans pauvres et moyens par la voie des contrats de consignation, sont autant de mesures propres à stimuler notablement l’activité économique des paysans.

    Froumkine croit que nous avons tué ou presque tué ce stimulant en dépouillant le paysan de sa perspective économique.

    C’est absurde. S’il en est ainsi on ne comprend plus sur quoi repose l’alliance de la classe ouvrière et des grandes masses paysannes, car on ne saurait pas prétendre que cette union soit une union morale.

    Il est grand temps de comprendre que l’union de la classe ouvrière et des paysans est une union raisonnée, l’union des intérêts de deux classes, une union de classe des ouvriers et des grandes masses rurales, ayant pour but d’assurer des avantages réciproques. Il va de soi que si, en dépouillant le paysan de sa perspective économique nous avons tué ou presque tué ce qui sert de stimulant économique à la paysannerie, nous n’arriverions pas à réaliser l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie.

    Il est évident qu’on ne saurait parler ici de « créer » ou de « tuer » le stimulant de l’activité économique de la paysannerie pauvre et moyenne. Il s’agit de renforcer ce stimulant et de le développer à l’avantage réciproque de la classe ouvrière et des principales masses de la paysannerie. Voilà de quoi parlent les thèses sur les chiffres de contrôle de l’économie nationale.

    Enfin, il est nécessaire de renforcer l’approvisionnement de la campagne en marchandises. J’entends par là aussi bien des articles de consommation que (surtout) des marchandises d’ordre industriel (machines, engrais, etc.), susceptibles de relever la production agricole.

    On ne peut dire que tout est pour le mieux dans ce domaine. Vous n’ignorez pas que la disette de marchandises est loin d’être liquidée et qu’elle ne le sera pas de sitôt. Dans certains milieux de notre parti, il existe cette illusion que nous pouvons, dès maintenant, liquider la disette de marchandises.

    Malheureusement cela est faux. Il ne faut pas oublier que la disette de marchandises est liée, d’une part, au mieux-être des ouvriers et des paysans et à l’accroissement colossal de la capacité d’achat de marchandises, dont la production, qui augmente d’année en année, ne suffit pas à faire face à toute la demande et, d’autre part, à la période actuelle de la reconstruction industrielle.

    La reconstruction de l’industrie comporte un déplacement de ressources du domaine de la production des moyens de consommation vers celui de la production de moyens de production.

    Sans cette condition, il ne saurait y avoir de reconstruction industrielle sérieuse, surtout dans nos conditions soviétiques. Mais qu’est-ce à dire ?

    Cela veut dire que l’on engage des capitaux dans les travaux de construction de nouvelles entreprises ; que le nombre des villes et des nouveaux consommateurs s’accroît, tandis que les nouvelles entreprises ne pourront fournir de nouvelles quantités de marchandises que dans 3 ou 4 ans.

    Il apparaît donc clairement que cette circonstance ne saurait favoriser la liquidation de la disette de marchandises. Faut-il en déduire que nous devons nous croiser les bras et avouer notre impuissance face à la disette de marchandises ?

    Non. Nous pouvons et devons prendre des mesures concrètes pour atténuer, pour affaiblir cette disette. Cela est possible et nous devons le faire dès maintenant.

    Pour cela, il faut accentuer l’activité des branches d’industrie dont dépend directement l’essor de la production agricole (l’usine de tracteurs de Stalingrad, celle de machines agricoles de Rostov, celle de trieurs de Voronèje, etc.).

    A cet effet, il faudra aussi renforcer, dans la mesure du possible, les branches d’industrie susceptibles d’augmenter la quantité de marchandises manquantes (draps, verrerie, clous, etc.).

    Le camarade Koubiak a fait remarquer que d’après les chiffres decontrôle de l’économie nationale, on accorde cette année aux

    exploitations agricoles individuelles moins de facilités que l’année dernière.

    Je crois que ce n’est pas exact. Le camarade Koubiak ne tient visiblement pas compte du crédit de 300 millions de roubles que nous avons consenti cette année aux paysans par contrat de consignation (presque cent millions de plus que l’année dernière).

    Si l’on tient compte de ce fait — impossible de ne pas le faire — on comprendra que nous donnons, cette année, aux exploitations individuelles plus d’avantages que l’an dernier. Quant aux exploitations agricoles collectives et fermes d’État, anciennes et nouvelles, nous y investissons 180 millions de roubles environ (soit 75 millions de plus que l’année dernière).

    Il faut surtout prêter une attention suivie aux exploitations agricoles collectives et d’État et aussi aux contrats de consignation. Ces formes de culture ne doivent pas être considérées seulement comme un moyen servant à augmenter nos ressources en céréales.

    Elles constituent en même temps une forme nouvelle de trait d’union entre la classe ouvrière et les principales masses paysannes. Les contrats de consignation ont déjà été suffisamment examinés chez nous, et je ne m’étendrai pas longuement sur ce sujet.

    Tout le monde se rend compte que l’application des contrats de consignation en masse permet d’unifier les efforts fournis par les exploitations paysannes individuelles ; elle apporte un élément de constance aux rapports entre l’État et les paysans, et renforce ainsi l’alliance entre la ville et la campagne.

    Je voudrais attirer votre attention sur les exploitations agricoles collectives et surtout sur les fermes d’État, qui sont comme des leviers aidant à transformer l’agriculture sur la base de la technique moderne, à opérer une révolution dans l’esprit des paysans et à libérer les masses rurales de la routine et de leurs habitudes séculaires.

    L’apparition des tracteurs, des grosses machines agricoles et des colonnes de tracteurs dans nos régions productrices de blé n’est pas sans laisser des traces sur les exploitations agricoles des localités environnantes.

    L’aide que nous apportons aux paysans des localités environnantes en semences, machines et tracteurs sera certainement appréciée par les paysans ; ils y verront une preuve de puissance et de solidité de l’État ouvrier qui s’efforce de les acheminer vers un essor sérieux de l’agriculture. Jusqu’à présent, nous avons négligé cette circonstance, et, je crois qu’aujourd’hui encore nous n’en tenons pas suffisamment compte.

    Je crois cependant que c’est là l’essentiel de ce que les exploitations agricoles collectives et les fermes d’État donnent et peuvent donner, en ce moment, pour résoudre le problème des céréales et renforcer l’alliance de la ville et de la campagne, dans ses nouvelles formes.

    Tels sont les voies et les moyens que nous aurons à suivre pour résoudre la question des céréales.

    III ­ La lutte contre les déviations
    et l’attitude conciliante à leur égard

    Nous abordons maintenant la troisième question fondamentale de nos thèses, celle des déviations de la ligne léniniste.

    La base sociale des déviations est la prédominance de la petite production dans notre pays, la naissance d’éléments capitalistes engendrés par la petite production, l’atmosphère petite-bourgeoise qui enveloppe notre parti et, enfin, la contamination de certains chaînons de notre parti par cette atmosphère.

    Voilà, dans ses grandes lignes, la base sociale des déviations. Toutes ces déviations revêtent un caractère petit-bourgeois.

    A quoi se ramène la déviation de droite dont il est question ici principalement ?

    A quoi tend-elle ? Elle tend à s’adapter à l’idéologie bourgeoise ; elle tend à adapter notre politique aux goûts et aux besoins de la bourgeoisie « soviétique ».

    Quel risque courons-nous de voir la déviation de droite triompher dans notre parti ? Ce serait la débâcle idéologique de notre parti, le déchaînement des éléments capitalistes, la multiplication des chances de restauration capitaliste ou, comme disait Lénine, le « retour au capitalisme ».

    Où vont-elles surtout se nicher les tendances de droite ? Dans notre appareil soviétique, économique, coopératif et syndical, ainsi que dans l’appareil du Parti, notamment aux échelons ruraux de la base.

    Y a-t-il parmi nos militants du Parti des colporteurs de la déviation de droite ?

    Oui, certainement. Rykov a cité l’exemple de Chatounovski qui s’est prononcé contre la construction du Dniéprostroï. Il est évident que Chatounovski s’est laissé glisser vers la déviation de droite, vers l’opportunisme grandement affirmé. J’estime cependant que le cas de Chatounovski n’est pas caractéristique de la déviation de droite, de son aspect politique. Je crois qu’ici la palme revient à Froumkine.

    (Rires.) Je parle de sa première lettre (juin 1928), ensuite de sa deuxième lettre qui a été distribuée ici aux membres du Comité central et de la Commission centrale de contrôle (novembre 1928).

    Analysons ces deux lettres. Envisageons d’abord la « thèse fondamentale » de la première de ces lettres.

    1. « La campagne, à part une portion insignifiante des paysans pauvres, est contre nous. » Est-ce vrai ? Non, évidemment. Si cela était vrai, il ne resterait plus aucune trace de l’alliance entre la ville et la campagne. Dire que depuis le mois de juin (date de la première lettre) presque six mois se sont déjà écoulés, et quiconque n’est pas aveugle se rend compte que l’alliance entre la classe ouvrière et les masses fondamentales de la paysannerie subsiste et se renforce. Pourquoi Froumkine a­t­il besoin d’écrire une absurdité pareille ? Pour faire peur au Parti et le rendre moins intransigeant à l’égard de la déviation de droite.

    2. « L’orientation adoptée depuis quelque temps a dépouillé les paysans moyens de toutes perspectives d’avenir. »

    Est-ce vrai ? Pas le moins du monde. Il est évident que si, au printemps de cette année, les principales masses de la paysannerie moyenne n’avaient pas eu de perspectives d’avenir, elles se seraient bien gardé d’étendre les emblavures de printemps dans les principales régions de la production de blé. Les emblavures de printemps s’effectuent chez nous en avril et mai.

    Or, la lettre de Froumkine date de juin. Quel est en régime soviétique le principal stockeur de céréales ? L’État et la coopération qui s’y rattache. Il est évident que si la paysannerie moyenne était dépourvue de perspectives économiques, si elle se trouvait en état de « divorce » avec le régime soviétique, elle se garderait bien d’agrandir les emblavures de printemps pour complaire à l’État, qui est le principal stockeur. Froumkine avance là une absurdité manifeste. Il essaie une fois de plus d’intimider le Parti, en étalant les « horreurs » de cette absence de perspectives, afin d’arracher au Parti des concessions en faveur du point de vue que lui, Froumkine, défend.

    3. « Il faut rebrousser chemin vers le XIVe et XVe congrès. » Que le XVe congrès ait été invoqué ici sans rime ni raison, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Ce qui importe ici, ce n’est point le XVe congrès, mais le mot d’ordre : Rebroussons chemin vers le XIVe congrès.

    Qu’est­ce à dire ? Cela veut dire qu’il faut renoncer à « accentuer l’offensive contre le koulak ». (Voir la résolution du XVe congrès.)

    Je ne veux pas dire du mal du XIVe congrès. Il n’en est rien. Si je le dis, c’est parce qu’en nous engageant à rebrousser chemin vers le XIVe congrès, Froumkine conteste les progrès que le Parti a réalisés dans l’intervalle du XIVe au XVe congrès et qu’en niant ces progrès il tire le Parti en arrière.

    Le Plénum de juillet du C.C. s’est prononcé à ce sujet. Il a déclaré nettement dans sa résolution que ceux qui cherchent à « passer sous silence la décision du XVe congrès — à développer l’offensive ultérieure contre le koulak — sont les colporteurs de tendances bourgeoises dans notre pays ».

    Je dirai franchement à Froumkine que le Bureau politique, en formulant ce passage dans la résolution du Plénum de juillet, visait précisément Froumkine et sa première lettre.

    4. « Développer au maximum l’aide aux paysans pauvres qui rejoignent les exploitations agricoles collectives ». Nous avons toujours, dans la mesure de nos forces et de nos possibilités, accordé le maximum d’aide aux paysans pauvres qui rejoignaient ou non les collectivités agricoles.

    Il n’y a là rien de nouveau. Ce qui est nouveau dans les résolutions du XVe congrès, c’est qu’il nous a posé comme tâche primordiale le développement intensif du mouvement de collectivisation.

    En disant que nous devons accorder le maximum d’aide aux paysans pauvres allant aux exploitations agricoles collectives, Froumkine tend à esquiver, à éluder la tâche imposée au Parti par le XVe congrès et qui consiste à développer largement les exploitations agricoles collectives.

    Au fond, Froumkine s’affirme contre le renforcement du secteur socialiste à la campagne, c’est-à-dire contre le développement des exploitations agricoles collectives.

    5. « Il ne faut pas développer les fermes d’État sur un rythme intense et ultra­intense ». Froumkine ne peut pas ignorer que nous ; ne faisions que commencer un travail sérieux visant à élargir les fermes d’État et à en créer de nouvelles. Froumkine ne peut pas ignorer que nous engageons à cette fin beaucoup moins de ressources qu’il n’en faudrait si nous avions des réserves.

    Les mots « sur un rythme intense et ultra-intense » nous ont été servis ici pour « faire peur » aux gens et dissimuler ainsi l’opposition de l’auteur à toute extension plus ou moins sérieuse des fermes d’État. Froumkine s’affirme ainsi contre le renforcement du secteur socialiste rural dans le sens de la construction des fermes d’État.

    Réunissez maintenant toutes ces thèses de Froumkine et vous aurez les caractéristiques de la déviation de droite.

    Voyons maintenant la seconde lettre de Froumkine. Qu’est­ce qui la distingue de la première ? C’est qu’elle aggrave les erreurs de la première. La première lettre disait que les paysans moyens manquaient de perspectives d’avenir.

    Or, la seconde parle de la « dégradation » de l’agriculture. La première lettre recommandait de rebrousser chemin vers le XIVe congrès pour affaiblir l’offensive contre le koulak. Dans la seconde lettre nous lisons : « Nous ne devons pas gêner la production des économies agricoles koulaks ». La première lettre ne parle pas du tout de l’industrie.

    La seconde développe une « nouvelle » théorie d’après laquelle il faut engager le moins de capitaux possible dans l’industrie. Il y a cependant deux points sur lesquels les deux lettres sont d’accord : c’est en ce qui concerne les exploitations agricoles collectives et les fermes d’État.

    Dans l’une et l’autre des deux lettres Froumkine s’affirme contre le développement des exploitations agricoles collectives et fermes d’État. Il est donc évident que la seconde lettre ne fait qu’aggraver les erreurs de la première.

    J’ai déjà parlé de la théorie de la « dégradation ». Il est hors de doute que cette théorie a été inventée de toutes pièces par les spécialistes bourgeois prêts à proclamer la faillite du régime soviétique. Le camarade Froumkine s’en est laissé imposer par les spécialistes bourgeois qui pullulent au commissariat des Finances.

    Aujourd’hui, il essaie lui-même d’en imposer au Parti, afin de le rendre moins intransigeant à l’égard de la déviation de droite. Pour ce qui est du problème des exploitations agricoles collectives et des fermes d’État, il a été déjà suffisamment débattu. Aussi, n’y reviendrai-je plus.

    Voyons les deux autres points : les exploitations koulaks et les investissements de fonds dans l’industrie.

    Au sujet des exploitations koulaks Froumkine dit « que nous ne devons pas gêner la production des économies agricoles koulaks ».

    Qu’est-ce à dire ? Cela veut dire que nous ne devons pas empêcher le koulak de développer son économie. Mais que veut dire : ne pas empêcher le koulak exploiteur de développer son économie ? Cela veut dire : libérer le capitalisme dans les campagnes, lui lâcher la bride, lui laisser la liberté d’action.

    C’est là le vieux mot d’ordre des libéraux français : « laisser faire, laisser passer », c’est-à-dire laisser la bourgeoisie se livrer à ses occupations, la laisser agir en toute liberté. Ce mot d’ordre avait été arboré par les anciens libéraux français, pendant la Révolution française, pendant la lutte contre la féodalité qui gênait la bourgeoisie et entravait son évolution.

    Il s’ensuit que nous devons aujourd’hui abandonner le mot d’ordre socialiste visant à limiter de plus en plus l’activité des éléments capitalistes (voyez les thèses sur les chiffres de contrôle) passer au mot d’ordre bourgeois-libéral qui vise à ne pas entraver le développement du capitalisme dans la campagne.

    Aurions-nous l’intention, nous autres bolcheviks, de devenir des libéraux ? Qu’y a-t-il de commun entre ce mot d’ordre libéral de Froumkine et la ligne du Parti ?

    Froumkine : Camarade Staline, lisez aussi les autres articles.

    Je lis le passage tout entier : « Nous ne devons pas gêner laproduction des économies agricoles koulaks, tout en combattant les conditions d’esclavage de leur exploitation . » Eh ! Bien, camarade Froumkine, croyez-vous que la seconde partie de la phrase redresse la situation et ne l’aggrave pas ?

    Que veut dire la lutte contre « l’exploitation esclavagiste » ? La lutte contre les conditions d’esclavage de l’exploitation n’est-elle pas le mot d’ordre de la révolution bourgeoise contre les méthodes féodales ou semi-féodales d’exploitation ?

    En effet, nous avons formulé ce mot d’ordre lorsqu’il s’agissait de la révolution bourgeoise, en distinguant la forme esclavagiste d’exploitation que nous cherchions à liquider, de la forme non esclavagiste, dite « progressiste » de l’exploitation que nous ne pouvions à ce moment ni enrayer ni supprimer, puisque le régime bourgeois continuait à exister. Mais, à ce moment, nous nous acheminions vers la République démocratique-bourgeoise.

    Or, aujourd’hui, nous avons, si je ne m’abuse, la révolution socialiste qui vise — et ne peut pas ne pas viser — à l’abolition de toutes les formes d’exploitation aussi bien esclavagistes que non esclavagistes.

    Vous voulez donc, Froumkine, que nous abandonnions la révolution socialiste que nous sommes en train de réaliser et de pousser en avant, pour rebrousser chemin vers les mots d’ordre de la révolution bourgeoise ? Comment pouvez-vous, Froumkine, vous laisser aller à une telle absurdité ?

    D’autre part, que veut dire : Ne pas entraver le développement de l’économie koulak ? Cela veut dire : laisser la liberté au koulak. Et que veut dire : laisser la liberté au koulak ?

    Cela veut dire lui donner le pouvoir. Lorsque les libéraux bourgeois de France demandaient à la féodalité de ne pas s’opposer au développement de la bourgeoisie, ils formulaient des revendications concrètes pour conférer le pouvoir à la bourgeoisie. Et ils avaient raison. Pour assurer son développement, la bourgeoisie a besoind’exercer le pouvoir.

    Donc, pour être conséquent il faut dire : laissez le koulak accéder au pouvoir, car il faut se rendre compte qu’on entrave forcément le développement des koulaks, en leur retirant le pouvoir et en le concentrant aux mains de la classe ouvrière. Telles sont les conclusions qui s’imposent à la lecture de la seconde lettre de Froumkine.

    Les grands travaux d’édification industrielle. Lors de la discussion des chiffres de contrôle nous étions en présence de trois chiffres : le Conseil supérieur de l’économie nationale demandait 825 millions de roubles ; la Commission des plans d’État (Gosplan) n’en accordait que 750 millions. Le commissariat du peuple aux Finances ne consentait à donner que 650 millions.

    Quelle décision fut prise à ce sujet par le Comité central de notre Parti ? Il fixa le chiffre à 800 millions, soit une somme de 150 millions supérieure à celle qu’offrait le commissariat des Finances.

    Que le commissariat du peuple aux Finances en offrait moins, cela n’a rien d’étonnant : la parcimonie de ce commissariat est connue de tous, et il ne saurait en être autrement.

    Mais la question n’est pas là. Froumkine s’en tient au chiffre de 650 millions non par parcimonie, mais en vertu d’une théorie fraîchement éclose sur les « possibilités » en présence : il affirme dans sa seconde lettre et dans un article spécial publié par l’organe du commissariat des Finances, que nous aggraverons à coup sûr la situation de notre économie nationale en accordant au Conseil supérieur de l’économie nationale plus de 650 millions de roubles au titre des grands travaux d’édification.

    Qu’est-ce à dire ? Cela signifie que Froumkine s’affirme contre le rythme actuel de développement de l’industrie, ne se rendant visiblement pas compte que le ralentissement de ce rythme de développement est de nature à empirer pour de bon l’état de toute notre économie nationale.

    Et maintenant joignez ensemble ces deux points de la seconde lettrede Froumkine, le point concernant l’économie koulak et celui des grands travaux de construction industrielle, ajoutez-y la théorie de la « dégradation » et vous verrez apparaître la physionomie de la déviation de droite.

    Voulez-vous savoir ce qu’est la déviation de droite et sous quel aspect elle se présente ? Lisez les deux lettres de Froumkine, étudiez-les et vous serez fixés.

    Voilà donc la physionomie de la déviation de droite.

    Mais les thèses ne parlent pas que de la déviation de droite. Elles parlent aussi de la déviation dite de « gauche ». Qu’est-ce au juste que la déviation de « gauche » ? Existe-t-elle réellement dans le Parti ?

    Des tendances hostiles au paysan moyen, comme l’affirment nos thèses, des tendances à la surindustrialisation du pays, etc. se font-elles réellement jour dans notre parti ? Oui, certes. A quoi donc se ramènent-elles ?

    Elles se ramènent au trotskisme.

    Déjà le C.C. élargi de juillet l’avait constaté. Je veux parler de la résolution bien connue sur la politique du stockage des blés, où il est dit que nous devons engager la lutte sur deux fronts : contre ceux qui cherchent à nous faire rebrousser chemin depuis le XVe congrès — c’est la droite — et contre ceux qui entendent transformer des mesures extraordinaires en l’orientation permanente du Parti — ce sont les tendances de « gauche », les tendances trotskystes. Il est évident que des éléments trotskistes et la tendance à l’idéologie trotskiste se manifestent au sein de notre parti. Je crois que lors de la discussion d’avant le XVe congrès, 6.000 membres du Parti ont voté contre notre plate-forme.

    Une voix : Dix mille.

    Je crois que si dix mille ont voté contre, deux fois dix mille militants du Parti sympathisant avec le trotskisme n’ont pas voté du tout, puisqu’ils n’étaient pas venus aux réunions. Ce sont les mêmes éléments trotskistes restés dans le Parti et qui ne se sont pas encore— j’imagine — affranchis de l’idéologie trotskiste.

    En outre, il est, je crois, des éléments qui ont rompu, par la suite, avec l’organisation trotskiste et sont revenus au Parti, sans s’être dégagés totalement de leur mentalité trotskiste ; ceux-là aussi ne se font évidemment pas faute de propager leurs idées parmi les membres du Parti.

    Enfin, on assiste à une certaine renaissance de l’idéologie trotskiste dans maintes organisations de notre parti. Mettez ensemble tous ces faits et vous aurez tout ce qu’il faut pour trouver dans le Parti une déviation vers le trotskisme.

    Rien d’étonnant : est-il possible qu’avec l’atmosphère petite-bourgeoise qui entoure le Parti et la pression qu’elle exerce sur lui, ce dernier soit affranchi de toutes tendances trotskistes ? Faire arrêter et déporter les cadres des trotskistes est une chose ; en finir avec l’idéologie trotskiste, en est une autre. Cela est autrement difficile. Nous disons donc : là où il y a déviation de droite, il doit y avoir aussi déviation de « gauche ».

    La déviation de « gauche » n’est que l’ombre de la déviation de droite. Lénine disait, en parlant des otzovistes [Tendance existant an sein du P.O.S.D.R. vers 1908-10 qui exigeait d’abord le rappel des députés s.d. de la IIIe Douma et qui eut ensuite encore d’autres points de vue propres.], que ceux de la « gauche » étaient des menchéviks à rebours. C’est tout à fait juste. Il en est de même pour ceux de la « gauche » d’aujourd’hui.

    Ceux qui dévient vers le trotskisme ne représentent, au fond, que la droite à rebours, droite qui s’abrite derrière la phraséologie de gauche.

    C’est pourquoi nous avons à mener le combat sur deux fronts : contre la déviation de droite et contre la déviation de « gauche ».

    On peut nous objecter : puisque la déviation de « gauche » n’est, au fond, que la droite opportuniste, où est la différence entre elles et à quoi se résume la lutte sur deux fronts ?

    En effet, puisque la victoire de la droite revient à augmenter les chances de succès de la restauration capitaliste, et si le triomphe de

    la « gauche » aboutit au même résultat, quelle différence y a-t-il donc entre ces deux déviations et pourquoi les appelle-t-on, l’une de « droite » et l’autre de « gauche » ?

    Si la différence subsiste, en quoi consiste-t-elle ? N’est-il pas vrai que les deux déviations ont la même origine sociale, qu’elles sont des déviations petites-bourgeoises ? N’est-il pas vrai que l’une et l’autre, en cas de triomphe, aboutiraient aux mêmes résultats ? Où est donc la différence entre elles ?

    La différence, c’est qu’elles ont des plates-formes distinctes, des tâches différentes, des méthodes d’action et des procédés différents.

    Si la droite dit : « Il ne fallait pas construire le Dniéprostroï », et que la gauche, par contre, objecte : « Que voulez-vous que nous fassions d’un seul Dniéprostroï, donnez-nous en pour le moins un par an » (Rires), il faut croire que la différence est patente.

    Si la droite dit : « Ne touchez pas au koulak, laissez-le se développer en toute liberté », la gauche, par contre, objecte : « Frappez aussi bien le koulak que le paysan moyen, parce que celuo-ci est propriétaire au même titre que le koulak », il faut reconnaître que la différence est manifeste entre ces deux déviations.

    Si la droite dit : «Des difficultés surviennent, ne ferions-nous pas bien de capituler ? », la gauche, par contre, objecte : « Oh ! les difficultés, on s’en « bat l’œil » de vos difficultés, prenons notre élan » (Rires), il faut avouer qu’il existe bien une différence entre ces deux déviations.

    Voilà donc un tableau de la plate-forme particulière et des procédés spécifiques de la « gauche ».

    C’est à cela que tient, évidemment, la raison qui fait que la « gauche » réussit à attirer un certain nombre d’ouvriers à l’aide de phrases radicales sonores, et à se faire passer pour l’adversaire le plus résolu de la droite — encore que tout le monde sache que la déviation de droite et celle de « gauche » reposent sur la même base sociale, et qu’il leur arrive souvent deconjuguer leurs efforts pour combattre la ligne léniniste.

    Voilà pourquoi nous autres léninistes devons combattre sur deux fronts : contre la déviation de droite et contre celle de « gauche ».

    Mais si la tendance trotskiste représente la déviation de « gauche », est-ce à dire que la « gauche » soit plus à gauche que le léninisme ? Nullement. Le léninisme est le courant le plus à gauche (sans guillemets) dans le mouvement ouvrier mondial.

    Nous autres, léninistes, nous avons fait partie de la IIe Internationale, avant la guerre impérialiste, comme la fraction extrême gauche des social-démocrates.

    Nous avons quitté la IIe Internationale et prêché la scission au sein de cette Internationale, parce que nous ne voulions pas, en tant que fraction extrême gauche, coudoyer dans le même parti les traîtres petits-bourgeois du marxisme, les social-pacifistes et les social-chauvins. Cette tactique et cette idéologie ont été mises, plus tard, à la base de tous les partis bolcheviks du monde. Dans notre parti, nous autres, léninistes, nous sommes la seule gauche sans guillemets.

    Voilà pourquoi nous ne représentons ni la droite ni la « gauche » dans notre propre parti.

    Nous sommes le parti des marxistes-léninistes. Or, au sein de notre parti, nous combattons non seulement ceux que nous traitons ouvertement de droitiers, mais ceux encore qui veulent être plus « à gauche » que le marxisme, plus « à gauche » que le léninisme, en masquant leur nature de droite opportuniste sous des phrases radicales sonores.

    Tout le monde comprendra que c’est par ironie qu’on applique le terme de « gauches » à ceux qui ne se sont pas encore affranchis des tendances trotskistes. Lénine appliquait aux « communistes de gauche » la dénomination de gauches, tantôt sans et tantôt avec guillemets.

    Mais tout le monde se rend compte que c’est par ironie que Lénineles nommait ainsi, voulant souligner par là qu’ils ne sont radicaux

    qu’en paroles, qu’en apparence, mais qu’en réalité ils représentent les tendances petites-bourgeoises de droite.

    Peut-on sérieusement parler de radicalisme (sans guillemets), des éléments trotskistes qui, hier encore, formaient, avec les éléments franchement opportunistes, un seul bloc antiléniniste, et s’associaient ouvertement aux couches antisoviétiques du pays ? N’est-il pas établi qu’hier encore la « gauche » et la droite étaient liguées contre le Parti de Lénine, et que ce bloc était incontestablement soutenu par les éléments bourgeois ?

    N’est-il pas évident que la « gauche » et la droite n’auraient pu se grouper dans un même bloc, si elles n’avaient pas de racines sociales communes, si elles n’étaient pas dotées d’une même nature opportuniste ? Le bloc des trotskistes s’est désagrégé il y a un an.

    Une partie de la droite, tel le camarade Chatounovski, a abandonné ce bloc.

    Par conséquent, ceux du bloc de droite s’affirmeront désormais comme les représentants de la droite, alors que la « gauche » cherchera à camoufler sa nature de droite sous des phrases gauchistes. Mais où est la garantie que la « gauche » et la droite ne finiront par se rejoindre un jour ? (Rires.) Il est évident qu’il ne saurait être question d’aucune garantie.

    Mais dès l’instant où nous nous affirmons pour le mot d’ordre de lutte sur deux fronts, est-ce à dire que nous proclamons par là même la nécessité du centrisme dans notre parti ? Que veut dire : lutter sur deux fronts ? N’est-ce pas du centrisme ?

    Vous savez que c’est justement ainsi que les trotskistes cherchent à représenter la chose ; ils disent : il y a la « gauche », c’est nous, les trotskistes, les « vrais léninistes » ; il y a la « droite », ce sont les autres ; il y a enfin les « centristes », qui oscillent entre la droite et la « gauche ». Cette conception de notre parti est-elle juste ?

    Non évidemment. Seuls des gens dont les idées sont embrouillées et qui ont rompu avec le marxisme depuis longtemps peuvent émettre des opinions semblables.

    Seuls des gens qui ne perçoivent pas la différence de principes entre le Parti social-démocrate d’avant guerre, parti du bloc des intérêts prolétariens et petits-bourgeois, et le Parti communiste — parti monolithe du prolétariat révolutionnaire — peuvent raisonner ainsi.

    Le centrisme n’est pas une notion d’espace : ici, c’est la droite, là, c’est la « gauche » ; au milieu, les centristes.

    Le centrisme est une notion politique. Son idéologie est celle du conformisme, l’idéologie de la subordination des intérêts prolétariens à ceux de la petite bourgeoisie au sein d’un parti commun. Or, cette idéologie est étrangère et contraire au léninisme.

    Le centrisme est un phénomène inhérent à la IIe Internationale d’avant-guerre.

    Il y avait là une droite (la majorité) et une gauche (sans guillemets) et des centristes, dont la politique consistait à farder, par des phrases gauchistes, l’opportunisme de la droite et de subordonner la gauche à la droite. En quoi consistait, à l’époque, la politique de la gauche, dont le noyau était constitué par les bolcheviks ?

    A lutter vigoureusement contre les centristes, pour la séparation avec la droite (notamment au début de la guerre impérialiste) et à travailler à la formation d’une nouvelle Internationale révolutionnaire comprenant les éléments réellement gauches, réellement prolétariens.

    Comment a pu surgir, à l’époque, ce rapport des forces et cette politique des bolcheviks à l’intérieur de la IIe Internationale ? Parce que la IIe Internationale représentait à ce moment le bloc des intérêts prolétariens et petits-bourgeois, pour servir les social-pacifistes etles social-chauvins petits-bourgeois.

    Parce que les bolcheviks ne pouvaient pas ne pas concentrer à ce moment le feu contre les centristes qui cherchaient à subordonner les éléments prolétariens aux intérêts petits-bourgeois. Parce que les bolcheviks se voyaient obligés alors de prêcher la scission, sans laquelle les prolétaires n’auraient pas pu organiser leur propre parti révolutionnaire marxiste.

    Peut-on affirmer qu’il existe aujourd’hui, dans notre parti, le même rapport des forces et que nous devons suivre la même politique que celle suivie par les bolcheviks dans les partis de la IIe Internationale de la période d’avant-guerre ?

    Il est évident que non. Car ce serait méconnaître la différence de principes qui existe entre un parti du bloc des intérêts prolétariens et petits-bourgeois, et le parti monolithe du prolétariat révolutionnaire.

    Là (chez les social-démocrates), le Parti avait une base de classe distincte ; ici (chez les communistes), il y en a une autre toute différente.

    Là, au sein de la social-démocratie, le centrisme était un phénomène normal, puisqu’un parti représentant des intérêts hétérogènes ne peut se passer de centristes, et les bolcheviks étaient obligés de s’engager dans la voie de la scission. Ici (chez les communistes), le centrisme est inadmissible ; il est incompatible avec la discipline léniniste, puisque le Parti communiste est un parti monolithe du prolétariat et non un parti représentant les intérêts des différents éléments de classe.

    Et puisque la force dominante dans notre parti est constituée par le courant le plus radical du mouvement ouvrier mondial (le léninisme), la politique de scission dans notre parti ne se justifie et ne peut être justifiée aucunement du point de vue léniniste.

    Une voix : La scission est-elle possible ou non dans notre parti ?Il ne s’agit pas de savoir si la scission est possible ou non ; je tenais

    simplement à montrer que la politique scissionniste, dans notre parti léniniste monolithe, ne saurait être justifiée du point de vue léniniste. Quiconque ne comprend pas cette différence de principe agit à rencontre du léninisme, rompt avec ce dernier.

    C’est pourquoi je pense que seuls les fous, des gens entièrement détachés du marxisme, peuvent affirmer sérieusement que la politique de notre parti, la politique de la lutte sur deux fronts est une politique centriste.

    Lénine a toujours lutté sur deux fronts dans notre parti, il a combattu la « gauche » et les déviations franchement menchéviks. Parcourez la brochure de Lénine la Maladie infantile du communisme, consultez l’histoire de notre parti, et vous vous rendrez compte que celui-ci a grandi et s’est raffermi à travers la lutte contre les deux déviations — celle de droite et celle de « gauche ».

    Lutte contre les otzovistes et les communistes de « gauche », d’une part ; lutte contre la déviation franchement opportuniste avant la révolution d’Octobre, pendant la révolution d’Octobre et depuis cette révolution, telles sont les phases que notre parti a traversées dans son évolution. Tout le monde se rappelle les paroles de Lénine disant que nous devons combattre l’opportunisme aussi bien que les doctrinaires de « gauche ».

    Est-ce à dire que Lénine fut un centriste, qu’il ait suivi la politique du centrisme ? Non, évidemment.

    Mais alors, qu’est-ce donc que les déviations de droite et de « gauche « ? En ce qui concerne la déviation de droite, on ne saurait l’assimiler à l’opportunisme des social-démocrates d’avant-guerre. La déviation vers l’opportunisme ce n’est pas encore de l’opportunisme.

    Nous savons comment Lénine expliquait, dans le temps, l’idée « déviation ».La déviation à droite est une déformation qui n’a pas encore pris la forme de l’opportunisme et que l’on peut encore corriger.

    Aussi ne doit-on pas identifier la déviation à droite avec l’opportunisme achevé. Quant à la déviation de « gauche », elle est l’opposé de ce qu’étaient ceux de l’extrême gauche dans la IIe Internationale d’avant-guerre, c’est-à-dire les bolcheviks.

    Non seulement ils n’appartiennent pas à la gauche sans guillemets, mais ils sont, en fait, les mêmes droitiers, avec cette différence, toutefois, qu’ils dissimulent inconsciemment leur nature véritable sous des phrases gauchistes. Ce serait un crime contre le Parti que de ne pas voir l’abîme qui sépare la déviation de « gauche » des léninistes authentiques, les seuls représentants de la gauche (sans guillemets) dans notre parti.

    Une voix : Et la légalisation des déviations ?

    Si la lutte ouverte contre les déviations est une légalisation, il faudra avouer que Lénine les a « légalisées » depuis longtemps.

    Ces droitiers aussi bien que ces « gauchistes », se recrutent parmi les éléments les plus variés des couches sociales non prolétariennes, éléments qui reflètent la pression de l’atmosphère petite-bourgeoise sur le Parti et la décomposition de certains maillons de notre parti.

    Ex-adhérents à d’autres partis ; individus à tendances trotskistes ; fragments d’anciennes fractions dans le Parti ; militants du Parti en train de se bureaucratiser (ou qui se sont déjà bureaucratisés) dans l’appareil administratif, économique, coopératif, syndical, et qui, au sein de cet appareil, font bloc avec les éléments franchement bourgeois de ces appareils ; les membres du Parti aisés dans nos organisations rurales, qui s’apparentent aux koulaks, etc., telle est la source qui alimente les déviations à l’égard de la ligne léniniste. Il est évident que ces éléments sont incapables de s’assimiler quoi que ce soit de réellement gauche, de réellement léniniste.

    Par contre, ce dont ils sont capables, c’est de faire naître unedéviation franchement opportuniste ou la déviation dite de « gauche

    », qui masque son opportunisme sous des phrases gauchistes.

    Voilà pourquoi la lutte sur les deux fronts est la seule politique juste du Parti.

    Poursuivons. Les thèses déclarent que la méthode essentielle de lutte contre la déviation de droite doit être la lutte idéologique largement déployée. Est-ce juste ? Je crois que oui. Il serait bon de se rappeler l’expérience de la lutte contre le trotskisme. Par où avons-nous commencé le combat ? Est-ce par des mesures disciplinaires ?

    Non, évidemment. Nous avons commencé la lutte par des moyens idéologiques. Nous l’avons livrée de 1918 à 1925. Déjà en 1924 notre parti, et, en 1925, le Ve congrès de l’I.C., avaient adopté une résolution sur le trotskisme en le qualifiant de déviation petite­ bourgeoise. Cependant, Trotski continuait de siéger, chez nous, aussi bien au C.C. qu’au Bureau politique.

    Est-ce vrai ou non ? Oui. Donc, nous avons « toléré » Trotski et les trotskistes au Comité central. Comment se fait-il que nous ayons supporté leur présence dans les organes dirigeants du Parti ?

    Mais parce que les trotskistes, à l’époque, en dépit de leurs divergences de vues avec le Parti, se soumettaient aux décisions du C.C. et observaient une attitude loyale. Quand nous sommes-nous mis à user à leur égard, dans une mesure plus ou moins large, de mesures d’organisation ?

    Lorsqu’ils se furent constitués en fraction ; après qu’ils eurent créé leur centre, transformé leur fraction en un nouveau parti et appelé les masses à des manifestations antisoviétiques. Je crois que nous devons suivre la même voie pour la lutte contre la déviation de droite.

    La déviation de droite n’est pas encore une tendance nettement affirmée, cristallisée, encore qu’elle prenne de plus en plus d’extension dans le Parti. Elle ne fait que se préciser et se cristalliser.Les droitiers ont-ils une fraction à eux ? Je ne le pense pas. Peut-on affirmer qu’ils ne se soumettent pas aux décisions du Parti ? Nous ne sommes pas encore fondés à les en accuser.

    Peut-on affirmer que les droitiers finiront par constituer une fraction à eux ? J’en doute. Une conclusion s’impose : dans le stade actuel, la méthode essentielle de lutte contre la déviation de droite doit être une lutte idéologique largement déployée.

    Cela est d’autant plus juste que parmi certains militants de notre parti se fait jour une tendance inverse, visant à amorcer la lutte contre la déviation de droite non par des méthodes idéologiques, mais par des mesures disciplinaires.

    Voici ce qu’ils disent : Livrez-nous une dizaine ou une vingtaine de ces droitiers et nous ne serons pas longs à leur régler leur compte et à en finir avec la déviation de droite. J’estime, camarades, que de pareilles méthodes d’action ne sont pas justes ; elles nous sont préjudiciables.

    C’est pour ne pas nous laisser aller à de telles méthodes, c’est pour orienter la lutte contre la déviation de droite dans la bonne voie que nous croyons de notre devoir de proclamer, haut et clair, qu’au stade actuel la méthode essentielle de lutte contre la déviation de droite, est la lutte idéologique.

    Est-ce à dire que nous excluons l’éventualité de mesures disciplinaires ?

    Non, évidemment. Cela veut dire, toutefois, que les peines disciplinaires doivent jouer ici un rôle secondaire : si les décisions ne sont pas violées par les droitiers, nous ne devons pas les exclure des organisations ou institutions dirigeantes.

    Une voix : Et l’expérience de Moscou ?

    Je pense que parmi les camarades dirigeants de Moscou il n’y avait pas de droitiers. Il y a eu au sein de cette organisation une position fausse envers la tendance de droite. Il serait plus exact de dire qu’il s’agissait là d’une tendance à la conciliation avec la déviation de droite. Mais je ne puis affirmer qu’une déviation de droite ait existéau Comité de Moscou.

    Une voix : Et la lutte sur le terrain d’organisation ?

    Oui, il y avait bien la lutte sur le terrain d’organisation, bien qu’elle n’y ait occupé qu’une place secondaire. Cette lutte s’est engagée parce qu’à ce moment on était à Moscou en pleine campagne électorale qui se poursuivait sur la base de l’autocritique, et que les militants des comités de rayon ont le droit de remplacer leurs secrétaires. (Rires.)

    Une voix : Est-ce que les élections des secrétaires avaient été annoncées ?

    Le remplacement des secrétaires par voie d’élection n’a jamais été défendu chez nous. L’appel de juin du Comité central déclare, en termes précis, que l’autocritique peut devenir un vain mot, si on n’accorde pas aux organisations de base le droit de remplacer n’importe quel secrétaire, n’importe quel comité. Que pouvez-vous objecter contre un tel appel ?

    Une voix : Avant la conférence du Parti ?

    Oui, mettons avant la conférence du Parti. J’aperçois un sourire d’augure sur le visage de certains camarades. Ce n’est pas bien. Je vois que certains d’entre vous brûlent de relever au plus vite de leurs fonctions tels représentants de la déviation de droite. Seulement, ce n’est pas là une solution. Bien entendu, il est plus facile de destituer des fonctionnaires que d’engager une vaste campagne d’éclaircissement pour expliquer aux masses en quoi consiste la déviation de droite, le danger de droite et comment on doit le combattre. Pourtant, le plus facile n’est pas le meilleur.

    Donnez-vous donc la peine d’organiser une vaste campagne explicative contre le danger de droite, sans ménager votre temps, et vous verrez que plus cette campagne sera large et profonde, et plus la déviation de droite s’en ressentira. C’est pourquoi j’estime que le gros de notre lutte contre la déviation de droite doit être la lutteidéologique.

    Quant au Comité de Moscou, je ne vois pas très bien ce que l’on pourrait ajouter à ce qu’a dit le camarade Ouglanov dans son discours de clôture au Plénum du comité élargi du Parti et de la Commission de contrôle de Moscou.

    Il a déclaré littéralement ceci : « Que l’on se rappelle un peu l’histoire ; que l’on se souvienne comment, en 1921, je me suis battu avec le camarade Zinoviev à Léningrad, et l’on devra avouer qu’à ce moment la « bataille » était de beaucoup plus sérieuse. Nous fûmes vainqueurs parce que nous avions raison. Aujourd’hui, nous avons été battus parce que nous étions dans notre tort. Cette leçon nous servira. »

    Ainsi le camarade Ouglanov a livré le combat aujourd’hui tout comme il l’avait fait, en son temps, contre Zinoviev. Mais à qui a-t-il livré la bataille ? A la politique du C.C., sans doute. A qui encore ? Sur quelle base ? Visiblement, sur la base de la conciliation avec la déviation de droite.

    Voilà pourquoi les thèses soulignent avec raison la nécessité de combattre la conciliation avec les déviations de la ligne léniniste et, en particulier, la conciliation à l’égard de la déviation de droite et proclament cette lutte comme une des tâches urgentes de notre parti.

    Enfin, une dernière question. Il est dit dans les thèses que nous devons, à l’heure actuelle, souligner surtout la nécessité de lutter contre la déviation de droite.

    Qu’est-ce à dire ? Cela veut dire qu’à l’heure actuelle le danger de droite constitue la menace la plus grave pour notre parti. La lutte contre les tendances trotskistes, lutte ramassée, par surcroît, se poursuit chez nous depuis déjà une dizaine d’années. Cette lutte a abouti à la débâcle des cadres essentiels du trotskisme.

    On ne saurait affirmer qu’au cours de ces derniers temps la luttecontre la déviation franchement opportuniste se soit poursuivie avec

    autant de vigueur. Or, si cette lutte n’a pas été jusqu’à présent assez intense, c’est que la déviation de droite est encore chez nous, dans sa période de formation et de cristallisation ; elle se renforce et s’accroît dans la mesure où la pression petite-bourgeoise due aux difficultés engendrées par le stockage de blé se renforce. Voilà pourquoi nous devons diriger le gros de nos efforts contre la déviation de droite.

    En terminant, je tiens à signaler, camarades, encore un fait dont on n’a pas parlé ici et qui, à mon avis, présente un intérêt considérable.

    Nous, membres du Bureau politique, vous avons soumis nos thèses sur les chiffres de contrôle. Dans mon discours, j’ai défendu ces thèses que je considère comme absolument justes. Il est possible qu’elles comportent des amendements. Mais, dans leurs grandes lignes, elles sont justes et nous assurent la réalisation rigoureuse de la ligne léniniste.

    Cela ne fait aucun doute. Je tiens à vous dire que ces thèses ont été adoptées au Bureau politique à l’unanimité. Je crois que ce point a de l’importance étant donné surtout les bruits que font courir dans nos rangs les personnes malveillantes, les ennemis de notre parti.

    Je veux parler des bruits tendant à faire croire qu’il y aurait au sein du Bureau politique une déviation de droite, une déviation de « gauche », une tendance à la conciliation et bien d’autres choses encore.

    Puissent ces thèses apporter une fois de plus, pour la centième ou cent et unième fois, la preuve que nous sommes tous, au Bureau politique, unis jusqu’au bout et le resterons. Je forme le vœu que le Plénum adopte avec la même unanimité l’essentiel de ces thèses.

    (Applaudissements).

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : La révolution d’octobre et la tactique des communistes russes

    Avant-propos à l’ouvrage  «Vers Octobre »

    17 décembre 1924

    I. Conditions extérieures et intérieures
    de la révolution d’Octobre

    Trois circonstances extérieures ont déterminé la facilité relative avec laquelle la révolution prolétarienne en Russie a réussi à rompre les chaînes de l’impérialisme et à renverser ainsi le pouvoir de la bourgeoisie.

    Premièrement, la révolution d’Octobre a éclaté pendant la lutte acharnée des deux principaux groupes impérialistes anglo-français et austro-allemand, cependant que ces deux groupes, absorbés par leur lutte mortelle, n’avaient ni le temps ni les moyens d’accorder une attention sérieuse à la lutte contre la révolution d’Octobre.

    Cette circonstance eut une importance énorme pour la révolution d’Octobre : elle lui permit de mettre à profit les furieuses luttes intestines de l’impérialisme pour concentrer et organiser ses propres forces.

    Deuxièmement, la révolution d’Octobre a éclaté au cours de la guerre impérialiste, ,au moment où, torturées par la guerre et avides de paix, les masses des travailleurs étaient amenées, par la logique même des choses, à la révolution prolétarienne, comme à la seule issue de la guerre.

    Cette circonstance eut la plus grande importance pour la révolution d’Octobre, car elle mit entre ses mains l’armepuissante de la paix, lui donna la possibilité de rattacher la révolution soviétiste au terme de la guerre abhorrée et lui attira de cette façon la sympathie des masses autant parmi les ouvriers d’Occident que parmi les peuples opprimés d’Orient.

    Troisièmement, il existait alors un puissant mouvement ouvrier en Europe et l’on pouvait s’attendre que la prolongation de la guerre impérialiste déclenchât bientôt une crise révolutionnaire en Occident et en Orient.

    Cette circonstance eut, pour la révolution en Russie, une importance inestimable, car elle lui assurait de fidèles alliés en dehors de la Russie, dans sa lutte contre l’impérialisme mondial.

    Mais, en dehors des circonstances d’ordre extérieur, la révolution d’Octobre fut encore favorisée par une série de conditions intérieures qui lui facilitèrent la victoire.

    Premièrement, la révolution d’Octobre pouvait compter sur le concours le plus actif de l’énorme majorité de la classe ouvrière de Russie.

    Deuxièmement, elle avait l’appui certain des paysans pauvres et de la majorité des soldats avides de paix et de terre.

    Troisièmement, elle avait à sa tête pour la diriger un parti expérimenté, le parti bolchevik, fort, non seulement, de son expérience et de sa discipline forgée au cours de longues années, mais aussi de ses liaisons étendues avec les masses laborieuses.

    Quatrièmement, la révolution d’Octobre avait devant elle des ennemis aussi faciles à vaincre que la bourgeoisie russe, plus ou moins faible, la classe des propriétaires fonciers, définitivement démoralisée par les « révoltes » paysannes, et les partis de conciliation (menchéviks et socialistes-révolutionnaires) en pleine faillite depuis la guerre.

    Cinquièmement, elle avait à sa disposition les immenses espaces dujeune Etat où elle pouvait manœuvrer librement, reculer quand la situation l’exigeait, se reprendre, récupérer ses forces, etc.

    Sixièmement, elle pouvait compter, pendant la lutte avec la contre-révolution, sur des ressources suffisantes en vivres, en combustibles et en matières premières à l’intérieur du pays.

    La combinaison de ces conditions extérieures et intérieures créa la situation particulière qui détermina la facilité relative de la victoire d’Octobre.

    Il ne s’ensuit pas, bien entendu, que la révolution d’Octobre n’ait eu ses conditions défavorables à l’extérieur comme à l’intérieur.

    Rappelons, par exemple, l’isolement relatif de cette révolution, qui n’avait aucun pays soviétiste voisin sur lequel elle pût s’appuyer. Il n’est pas douteux qu’une révolution en Allemagne, par exemple, se trouverait maintenant, sous ce rapport, dans une situation beaucoup plus avantageuse, du fait qu’elle aurait dans son voisinage un pays soviétiste aussi fort que l’U. R. S. S. Une autre condition défavorable à la révolution d’Octobre fut l’absence d’une majorité prolétarienne dans le pays.

    Mais ces désavantages ne font que mieux ressortir l’importance énorme de la situation extérieure et intérieure spéciale où se trouvait la Russie au moment de la révolution d’Octobre.

    Cette situation spéciale, il ne faut pas l’oublier, et il convient surtout de s’en souvenir lorsqu’on analyse les événements d’automne 1923 en Allemagne. Le camarade Trotsky devrait se la rappeler, lui qui établit une analogie complète entre la révolution d’Octobre et la révolution en Allemagne et flagelle impitoyablement le parti communiste allemand pour ses fautes réelles et prétendues.

    Dans la situation concrète, extrêmement originale de 1917, la Russie, dit Lénine, pouvait facilement commencer la révolution socialiste, mais la continuer et l’achever lui sera beaucoup plusdifficile qu’aux pays d’Europe.

    J’ai déjà signalé cette circonstance au début de 1918, et l’expérience des deux années qui se sont écoulées depuis a pleinement confirmé la justesse de ma conception.

    L’originalité de la situation politique russe en 1917 tenait à quatre circonstances spécifiques :

    1° la possibilité d’associer la révolution soviétiste à la liquidation d’une guerre impérialiste qui causait des souffrances extrêmes aux ouvriers et aux paysans ;

    2° la possibilité de profiter pendant quelque temps de la lutte à mort de deux formidables groupes de rapaces impérialistes qui étaient dans l’impossibilité de s’unir contre l’ennemi soviétiste ; 3° la possibilité de soutenir une guerre civile relativement longue, tant à cause de l’étendue considérable du pays que du mauvais état des voies de communication ;

    4° l’existence dans la masse paysanne d’un mouvement révolutionnaire bourgeois-démocratique si profond que le parti du prolétariat adopta les revendications révolutionnaires du parti des paysans (le parti socialiste-révolutionnaire, en grande majorité violemment hostile au bolchévisme) et leur donna aussitôt satisfaction grâce à la conquête du pouvoir politique par le prolétariat.

    Ces conditions spécifiques n’existent pas actuellement en Europe occidentale et la reproduction de conditions identiques ou analogues n’est pas très facile. Voilà pourquoi, notamment, à côté d’autres causes multiples, commencer la révolution socialiste sera plus difficile à l’Europe occidentale qu’à nous (v. La maladie infantile du communisme).

    II ­ Deux particularités de la révolution d’Octobre, ou Octobre et la théorie de la révolution permanente de Trotsky

    Il existe deux particularités de la révolution d’Octobre qu’il est indispensable d’éclaircir avant tout, pour comprendre le sens intérieur et la portée historique de cette révolution.

    Quelles sont ces particularités ?

    C’est tout d’abord le fait que la dictature du prolétariat a surgi chez nous sur la base de l’union du prolétariat et des masses paysannes laborieuses, ces dernières étant guidées par le prolétariat. C’est, d’autre part, le fait que la dictature du prolétariat s’est affermie chez nous comme résultat de la victoire du socialisme dans un pays où le capitalisme était peu développé, tandis que le capitalisme subsistait dans les autres pays de capitalisme plus développé.

    Cela ne signifie pas, évidemment, que la révolution d’Octobre n’ait point d’autres particularités.

    Mais ce sont ces deux particularités qui nous importent en ce moment, non seulement parce qu’elles expriment clairement la nature de la révolution d’Octobre, mais aussi parce qu’elles dévoilent merveilleusement le caractère opportuniste de la théorie de la « révolution permanente ».

    Examinons rapidement ces particularités.

    La question des masses laborieuses de la petite bourgeoisie urbaine et rurale, la question de leur ralliement à la cause du prolétariat est une des questions capitales de la révolution prolétarienne.

    Dans la lutte pour le pouvoir, avec qui sera le peuple travailleur des villes et des campagnes, avec la bourgeoisie ou avec le prolétariat ? De qui sera-t-il la réserve ? De la bourgeoisie ou du prolétariat ?De là dépendent le sort de la révolution et la solidité de la dictature du prolétariat. Les révolutions de 1848 et de 1871 en France furent écrasées surtout parce que les réserves paysannes se trouvèrent du côté de la bourgeoisie.

    La révolution d’Octobre a vaincu parce qu’elle a su enlever à la bourgeoisie ses réserves paysannes, parce qu’elle a su les attirer du côté du prolétariat, en un mot, parce que le prolétariat s’est trouvé être, dans cette révolution, la seule force directrice de millions de travailleurs de la ville et de la campagne.

    Qui n’a point compris cela ne comprendra jamais ni le caractère de la révolution d’Octobre, ni la nature de la dictature du prolétariat, ni les particularités de la politique intérieure de notre pouvoir prolétarien.

    La dictature du prolétariat n’est pas une simple élite gouvernementale « intelligemment sélectionnée » par un « stratège expérimenté » et « s’appuyant rationnellement sur telle ou telle couche de la population. La dictature du prolétariat est l’union de classe du prolétariat et des masses paysannes laborieuses pour le renversement du capital, pour le triomphe définitif du socialisme, à condition que la force directrice de cette union soit le prolétariat.

    Ainsi, il n’est pas question en l’occurrence de sous-estimer ou de surestimer « quelque peu » les possibilités révolutionnaires du mouvement paysan.

    Il s’agit de la nature du nouvel Etat prolétarien, né de la révolution d’Octobre. Il s’agit du caractère du pouvoir prolétarien, des bases de la dictature même du prolétariat.

    La dictature du prolétariat, dit Lénine, est une forme spéciale d’alliance de classe entre le prolétariat, avant-garde des travailleurs, et les nombreuses couches de travailleurs non-prolétaires (petite bourgeoisie, petits patrons, paysans, intellectuels, etc.) ou leur majorité, alliance dirigée contre le capital et ayant pour but le renversement complet de ce dernier, l’écrasement complet de la résistance de la bourgeoisie et de ses tentatives de restauration, l’instauration définitive et la consolidation du socialisme.

    Et, plus loin :

    Traduite en un langage plus simple, l’expression latine, scientifique, historico-philosophique de dictature du prolétariat signifie qu’une classe, celle des ouvriers urbains et en général des ouvriers industriels, est capable de diriger toute la masse des travailleurs et des exploités dans la lutte pour le renversement du joug capitaliste, pour le maintien et la consolidation de la victoire, pour la création du nouveau régime social, le régime socialiste, et pour la suppression complète des classes.

    Telle est la théorie de la dictature du prolétariat selon Lénine.

    L’une des particularisés de la révolution d’Octobre, c’est que cette révolution est une application classique de la théorie léniniste de la dictature du prolétariat.

    Certains camarades croient que cette théorie est une théorie purement « russe », n’ayant de rapports qu’avec la situation russe.

    C’est là une erreur complète. Parlant des masses laborieuses appartenant aux classes non-prolétariennes, Lénine a en vue non seulement les paysans russes, mais aussi les éléments travailleurs des régions situées aux confins de l’Union soviétique et qui étaient, il n’y a pas encore très longtemps, des colonies de la Russie.

    Lénine ne se lassait pas de répéter que, sans une union avec ces masses des autres nationalités, le prolétariat de Russie ne pourrait vaincre.

    Dans ses articles sur la question nationale et dans ses discours aux congrès de l’Internationale communiste, il a souvent répété que la victoire de la révolution mondiale est impossible en dehors de l’union révolutionnaire, en dehors du bloc révolutionnaire du prolétariat des pays avancés avec les peuples opprimés des colonies asservies.

    Mais qu’est-ce donc que les colonies, sinon ces mêmes masses laborieuses opprimées, et avant tout les masses laborieuses de la paysannerie ? Qui ne sait que la question de la libération des colonies est en fait la question de la libération des masses laborieuses des classes non-prolétariennes de l’oppression et de l’exploitation du capital financier ?

    Il faut en conclure que la théorie léniniste de la dictature du prolétariat n’est pas une théorie purement « russe », mais une théorie valable pour tous les pays. Le bolchévisme n’est pas seulement un phénomène russe. « Le bolchévisme, dit Lénine, est un modèle de tactique pour tous » (v. La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).

    Tels sont les traits caractéristiques de la première particularité de la révolution d’Octobre.

    Quelle est la valeur de la théorie de la « révolution permanente » du camarade Trotsky du point de vue de cette particularité ?

    Nous ne nous étendrons pas sur la position de Trotsky en 1905, quand il oublia purement et simplement les paysans comme force révolutionnaire en proposant le mot d’ordre : « Pas de tsar ! Gouvernement ouvrier ! », c’est-à-dire le mot d’ordre de la révolution sans les paysans. Radek lui-même, ce défenseur diplomate de la « révolution permanente », est obligé maintenant de reconnaître que la « révolution permanente » en 1905 était un « saut en l’air », un écart de la réalité (Pravda, 14 décembre 1924).

    Maintenant on considère à peu près unanimement que ce n’est plus la peine de s’occuper de ce fameux « saut en l’air ».

    Nous ne nous étendrons pas non plus sur la position de Trotsky pendant la guerre, en 1915 par exemple, lorsque partant du fait que « nous vivons à l’époque de l’impérialisme », que l’impérialisme «oppose, non la nation bourgeoise à l’ancien régime, mais le prolétariat à la nation bourgeoise », il en conclut, dans son article « La lutte pour le pouvoir », que le rôle révolutionnaire des paysans doit diminuer, que le mot d’ordre de la confiscation de la terre n’a déjà plus l’importance d’auparavant (v. l’ouvrage « 1905 »).

    On sait que Lénine, critiquant cet article du camarade Trotsky, l’accusait alors de « nier le rôle des paysans », et disait : Trotsky, en fait, aide les politiciens ouvriers libéraux de Russie, qui, le voyant « nier » le rôle du paysan, s’imaginent que nous ne voulons pas soulever les paysans pour la révolution.

    Passons plutôt aux travaux plus récents de Trotsky sur cette question, aux travaux de la période où la dictature du prolétariat avait déjà eu le temps de s’affermir et où Trotsky avait eu la possibilité de vérifier sa théorie de la « révolution permanente » par les faits et de rectifier ses erreurs. Prenons la préface que Trotsky a écrite en 1922 pour son ouvrage intitulé : « 1905 ».

    Voici ce qu’il y dit de la « révolution permanente » : C’est précisément dans l’intervalle qui sépare le 9 janvier de la grève d’octobre 1905 que l’auteur arriva à concevoir le développement révolutionnaire de la Russie sous l’aspect qui fut ensuite fixé par la théorie dite « de la révolution permanente ».

    Cette désignation quelque peu abstruse voulait exprimer que la révolution russe, qui devait d’abord envisager, dans son avenir le plus immédiat, certaines fins bourgeoises, ne pourrait toutefois s’arrêter là-dessus.

    La révolution ne résoudrait les problèmes bourgeois qui se présentaient à elle en première ligne qu’en portant le prolétariat au pouvoir. Et lorsque celui-ci se serait emparé du pouvoir, il ne pourrait se limiter au cadre bourgeois de la révolution.

    Tout au contraire, et précisément pour assurer sa victoire définitive, l’avant-garde prolétarienne devrait, dès les premiers jours de sa domination, pénétrer profondément dans les domaines interdits de la propriété aussi bien bourgeoise que féodale. Cela devait l’amener à des collisions non seulement avec tous les groupes bourgeois qui l’auraient soutenue au début de sa lutte révolutionnaire, mais aussi avec les larges masses paysannes dont le concours l’aurait poussée vers le pouvoir.

    Les contradictions qui dominaient la situation d’un gouvernement ouvrier, dans un pays retardataire où l’immense majorité de la population se composait de paysans, ne pouvaient trouver leur solution que sur le plan international, sur l’arène d’une révolution prolétarienne mondiale.

    Ainsi s’exprime Trotsky au sujet de sa « révolution permanente ».

    Il suffit de rapprocher cette citation de celles que nous avons données de Lénine sur la dictature du prolétariat, pour comprendre l’abîme qui sépare la théorie léniniste de la dictature du prolétariat et la théorie de la « révolution permanente » de Trotsky.

    Lénine considère l’alliance du prolétariat et des couches travailleuses de la paysannerie comme la base de la dictature du prolétariat. Trotsky, au contraire, nous fait prévoir des « collisions » entre « l’avant-garde prolétarienne » et « les larges masses paysannes ».

    Lénine parle de la direction prolétarienne des travailleurs et des masses exploitées. Trotsky, au contraire, nous montre des contradictions dans « la situation d’un gouvernement ouvrier » instauré « dans un pays retardataire où l’immense majorité de la population est composée de paysans ».

    Selon Lénine, la révolution puise avant tout ses forces parmi les ouvriers et les paysans de la Russie même. D’après Trotsky, les forces indispensables ne peuvent être trouvées que « sur l’arèned’une révolution prolétarienne mondiale ».

    Et que faire si la révolution mondiale se trouve retardée ? Y a-t-il alors quelque espoir pour notre révolution ? Trotsky ne nous laisse aucune lueur d’espoir, car « les contradictions » dans « la situation d’un gouvernement ouvrier… ne peuvent trouver leur solution que…

    sur l’arène d’une révolution prolétarienne mondiale ». On en déduit cette perspective : végéter dans ses propres contradictions et pourrir sur pied en attendant la révolution mondiale.

    Qu’est­ce que la dictature du prolétariat selon Lénine ? La dictature du prolétariat, c’est le pouvoir qui s’appuie sur l’alliance du prolétariat et des masses laborieuses de la paysannerie pour « le renversement complet du capital », pour l’édification définitive et l’affermissement du socialisme.

    Qu’est-ce que la dictature du prolétariat selon Trotsky ? C’est un pouvoir entrant «en collisions » avec « les larges masses paysannes » et ne cherchant la solution de ses « contradictions » que « sur l’arène de la révolution mondiale du prolétariat ».

    En quoi cette « théorie de la révolution permanente » diffère-t-elle de la fameuse théorie du menchévisme sur la négation de l’idée de la dictature du prolétariat ?

    En rien.

    Nul doute possible. La « révolution permanente » n’est pas une simple sous-estimation des possibilités révolutionnaires du mouvement paysan. C’est une sous-estimation du mouvement paysan qui mène à la négation de la théorie léniniste de la dictature du prolétariat.La « révolution permanente » de Trotsky est une des variétés du menchévisme.

    Voilà en quoi consiste la première particularité de la révolution d’Octobre.

    Quelle est la seconde particularité de cette révolution ? Etudiant l’impérialisme, surtout pendant la guerre, Lénine est arrivé à la loi du développement économique et politique irrégulier, saccadé des pays capitalistes.

    D’après cette loi, le développement des entreprises, des trusts, des branches de l’industrie et des divers pays ne s’effectue pas régulièrement, dans un ordre arrêté, de telle façon qu’un trust, une branche de l’industrie ou un pays marche toujours en tête, et que les autres trusts ou pays retardent en conservant constamment leurs distances respectives.

    Ce développement s’accomplit, au contraire, par bonds, avec des interruptions dans le développement de certains pays et des bonds en avant dans le développement des autres.

    En outre, l’aspiration « parfaitement légitime » des pays retardataires à la conservation de leurs positions acquises et l’aspiration, non moins « légitime », des pays avancés à la conquête de nouvelles positions font que les collisions armées des Etats impérialistes sont une inéluctable nécessité. Il en a été ainsi, par exemple, de l’Allemagne, qui, il y a un demi-siècle, était un pays arriéré en comparaison de la France et de l’Angleterre.

    On peut en dire autant du Japon comparé à la Russie. On sait cependant qu’au début du XX e siècle déjà, l’Allemagne et le Japon avaient pris une telle avance que la première avait évincé la France et commençait à évincer l’Angleterre sur le marché mondial et que le second évinçait la Russie. C’est de ces contradictions qu’est sortie, comme on le sait, la guerre impérialiste.Cette loi part du fait que :

    1° « Le capitalisme s’est transformé en un système mondial d’étouffement colonial et financier des pays de la plus grande partie du globe par une poignée de pays « avancés » (Lénine) ;

    2° « Le partage de ce « butin » s’effectue entre deux ou trois puissants rapaces armés jusqu’aux dents (Amérique, Angleterre, Japon), qui, pour régler le partage de leur butin, entraînent le monde entier dans leur guerre » (Lénine) ;

    3° La croissance des contradictions à l’intérieur du système mondial d’oppression financière et l’inéluctabilité des collisions militaires font que le front impérialiste mondial devient facilement vulnérable pour la révolution et que la rupture de ce front dans certains pays est probable ;

    4° Cette rupture a le plus de chances de se produire sur les points et dans les pays où la chaîne du front impérialiste est le plus faible, c’est-à-dire où l’impérialisme est le moins blindé et où la révolution peut le plus facilement se développer ;

    5° C’est pourquoi la victoire du socialisme dans un seul pays, même peu développé au point de vue capitaliste, cependant que le capitalisme subsiste dans les autres pays plus avancés, est parfaitement possible et probable.

    Telles sont, en résumé, les bases de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne.

    En quoi consiste la seconde particularité de la révolution d’Octobre ? Elle consiste en ce que cette révolution est un modèle d’application pratique de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne.Qui n’a pas compris cette particularité de la révolution d’Octobre ne comprendra jamais ni le caractère international de cette révolution, ni sa formidable puissance internationale, ni sa politique extérieure spécifique.

    L’irrégularité du développement économique et politique, dit Lénine, est, sans contredit, une loi du capitalisme. Il s’ensuit que la victoire du socialisme est possible au début dans un petit nombre de pays capitalistes, voire dans un seul.

    Le prolétariat victorieux de ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se soulèverait contre le reste du monde capitaliste, attirerait à lui les classes opprimées des autres pays, les soulèverait contre les capitalistes, emploierait même, au besoin, la force armée contre les classes exploiteuses et leurs Etats…

    Car l’union libre des nations dans le socialisme est impossible sans une lutte acharnée, plus ou moins longue, des républiques socialistes contre les Etats retardataires. (Lénine : Contre le courant.)

    Les opportunistes de tous les pays affirment que la révolution prolétarienne ne peut éclater — si toutefois elle doit éclater quelque part selon leur théorie — que dans les pays industriellement avancés et que plus ces pays sont développés industriellement, plus le socialisme a de chances de victoire.

    De plus, ils excluent, comme une chose invraisemblable, la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays, surtout si le capitalisme y est peu développé.

    Déjà pendant la guerre, Lénine, s’appuyant sur la loi du développement irrégulier des Etats impérialistes, oppose aux opportunistes sa théorie de la révolution prolétarienne sur la victoire du socialisme dans un seul pays, même peu développé au point de vue capitaliste.

    On sait que la révolution d’Octobre a entièrement confirmé lajustesse de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne.

    Que devient la « révolution permanente » de Trotsky du point de vue de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne ? Prenons la brochure Notre révolution (1906), où l’on trouve ces paroles de Trotsky :

    Sans l’appui gouvernemental direct du prolétariat européen, la classe ouvrière de Russie ne pourra se maintenir au pouvoir et transformer sa domination temporaire en dictature socialiste durable. C’est là une chose indubitable.

    Que signifient ces paroles de Trotsky ? Que la victoire du socialisme dans un seul pays, la Russie en l’occurrence, est impossible « sans l’appui gouvernemental direct du prolétariat européen », c’est-à-dire tant que le prolétariat européen n’aura pas conquis le pouvoir.

    Qu’y a-t-il de commun entre cette « théorie » et la thèse de Lénine sur la possibilité de la victoire du socialisme « dans un pays capitaliste pris à part » ?

    Rien, évidemment.

    Mais admettons que cette brochure de Trotsky, éditée en 1906, lorsqu’il était difficile de définir le caractère de notre ponde pas entièrement aux vues adoptées plus tard par Trotsky. Voyons une autre brochure de Trotsky, son Programme de paix, paru à la veille de la révolution d’octobre 1917 et réédité actuellement (1924) dans son ouvrage « 1917 ».

    Dans cette brochure, Trotsky critique la théorie léniniste de la révolution prolétarienne sur la victoire du socialisme dans un seul pays et lui oppose le mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe.

    Il affirme que la victoire du socialisme est impossible dans un seul pays,qu’elle n’est possible qu’en tant que victoire de plusieurs Etats d’Europe (Angleterre, Russie, Allemagne) groupés en Etats-Unis d’Europe.

    Il déclare sans ambages qu’ « une révolution victorieuse en Russie ou en Angleterre est impossible sans la révolution en Allemagne et inversement ».

    L’unique objection tant soit peu concrète au mot d’ordre des Etats-Unis, dit Trotsky, a été formulée dans le Social-Démocrate suisse [organe central des bolcheviks à cette époque] en ces termes : « L’irrégularité du développement économique et politique est la loi absolue du capitalisme. »

    D’où le Social-Démocrate concluait que la victoire du socialisme était possible dans un seul pays et que, par suite, il n’y avait pas de raison de faire dépendre la dictature du prolétariat dans chaque Etat pris à part de la formation des Etats-Unis d’Europe.

    Que le développement capitaliste des différents Etats soit irrégulier, cela est indiscutable.

    Mais cette irrégularité elle-même est très irrégulière. Le niveau capitaliste de l’Angleterre, de l’Autriche, de l’Allemagne ou de la France n’est pas le même. Mais, comparés à l’Afrique ou à l’Asie, tous ces Etats représentent l’ « Europe » capitaliste mûre pour la révolution sociale.

    Qu’aucun pays ne doive « atteindre » les autres dans sa lutte, c’est là une pensée élémentaire qu’il est utile et indispensable de répéter pour que l’idée de l’action internationale parallèle ne soit pas remplacée par l’idée de l’expectative et de l’inaction internationales.

    Sans attendre les autres, nous commençons et nous continuons la lutte sur le terrain national, avec l’entière certitude que notre initiative donnera le branle à la lutte dans les autres pays ; et si cela n’avait pas lieu, on ne saurait espérer — l’expérience historique et les considérations théoriques sont là pour le démontrer — que, par exemple, la Russie révolutionnaire pourrait résister à l’Europe conservatrice, ou que l’Allemagne socialiste pourrait demeurer isolée dans le monde capitaliste.

    Comme on le voit, c’est encore la même théorie de la victoire simultanée du socialisme dans les principaux pays d’Europe, théorie qui exclut la théorie léniniste de la révolution et de la victoire du socialisme dans un seul pays.

    Il est indiscutable que, pour être entièrement garanti contre le rétablissement de l’ancien ordre de choses, les efforts combinés des prolétaires de plusieurs pays sont nécessaires.

    Il est hors de doute que si notre révolution n’avait pas été soutenue par le prolétariat d’Europe, le prolétariat de Russie n’eût pu résister à la pression générale, de même que, sans l’appui de la révolution russe, le mouvement révolutionnaire d’Occident n’eût pu se développer aussi rapidement qu’il l’a fait après l’avènement de la dictature prolétarienne en Russie.

    Il est hors de doute que nous avons besoin d’appui.

    Mais qu’est-ce que l’appui du prolétariat d’Europe occidentale à notre révolution ?

    Les sympathies des ouvriers européens pour notre révolution, leur empressement à déjouer les plans d’intervention des impérialistes constituent-ils un appui, une aide sérieuse ? Oui, sans nul doute.

    Sans cet appui, sans cette aide non seulement des ouvriers européens, mais aussi des colonies et des pays asservis, la dictature prolétarienne en Russie se fût trouvée en mauvaise posture.

    A-t-il suffi jusqu’à présent de cette sympathie et de cette aide, qui sont venues s’ajouter à la puissance de notre armée rouge et au dévouement des ouvriers et des paysans russes prêts à défendre de leurs poitrines la patrie socialiste, pour repousser les attaques des impérialistes et conquérir la sécurité nécessaire à un travail de construction sérieux ? Oui, cela a suffi.

    Cette sympathie va-t-elle en augmentant ou en diminuant ?

    Elle augmente incontestablement. Existe-t-il chez nous, par conséquent, des conditions favorables non seulement pour mener de l’avant l’organisation de l’économie socialiste, mais encore pour venir en aide aux ouvriers d’Europe occidentale comme aux peuples opprimés de l’Orient ? Oui, ces conditions existent.

    C’est ce que dit éloquemment l’histoire de sept années de dictature prolétarienne en Russie. Peut-on nier qu’un puissant essor dans le domaine du travail ait déjà commencé chez nous ? Non, on ne peut le nier.

    Quelle signification peut avoir, après tout cela, la déclaration de Trotsky sur l’impossibilité pour la Russie révolutionnaire de résister à l’Europe conservatrice ?

    Elle signifie que Trotsky, premièrement, ne sent pas la puissance intérieure de notre révolution ; deuxièmement, qu’il ne comprend pas l’importance inestimable de l’appui moral apporté à notre révolution par les ouvriers d’Occident et les paysans d’Orient ; troisièmement, qu’il ne saisit pas le mal intérieur qui ronge actuellement l’impérialisme.

    Emporté par sa critique de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne, Trotsky, à son insu, s’est confondu lui-même dans son Programme de paix paru en 1917 et réédité en 1924.

    Mais peut-être cette brochure de Trotsky est-elle aussi périmée et ne correspond-elle plus à ses vues actuelles ?

    Prenons les ouvrages plus récents que Trotsky a composés après la victoire de la révolution prolétarienne dans un seul pays, en Russie.

    Prenons, par exemple, sa Postface (1922) à la nouvelle édition de sa brochure Programme de paix.

    Voici ce qu’il y dit :L’affirmation que la révolution prolétarienne ne peut se terminer victorieusement dans le cadre national, affirmation que l’on trouve répétée à plusieurs reprises dans le Programme de paix, semblera probablement à quelques lecteurs démentie par l’expérience presque quinquennale de notre République soviétiste.

    Mais une telle conclusion serait dénuée de fondement.

    Le fait qu’un Etat ouvrier, dans un pays isolé et, en outre, arriéré, a résisté au monde entier, témoigne de la formidable puissance du prolétariat qui, dans les autres pays plus avancés, plus civilisés, sera capable de véritables prodiges. Mais si nous avons résisté politiquement et militairement en tant qu’Etat, nous ne sommes pas encore arrivés à l’édification de la société socialiste et nous ne nous en sommes même pas approchés…

    Tant que la bourgeoisie est au pouvoir dans les autres Etats européens, nous sommes obligés, pour lutter contre l’isolement économique, de rechercher des ententes avec le monde capitaliste ; on peut dire aussi avec certitude que ces ententes peuvent à la rigueur nous aider à guérir telles ou telles blessures économiques, à faire tel ou tel pas en avant, mais que le véritable essor de l’économie socialiste en Russie ne sera possible qu’après la victoire du prolétariat dans les principaux pays d’Europe.

    Ainsi s’exprime Trotsky, qui, s’efforçant obstinément de sauver sa « révolution permanente » de la banqueroute définitive, se met en contradiction flagrante avec la réalité.

    Ainsi, quoi qu’on fasse, non seulement « on n’est pas arrivé » à instaurer la société socialiste, mais on ne s’en est même pas « approché ». Certains, paraît-il, nourrissaient l’espoir d’ « ententes avec le monde capitaliste », mais ces ententes non plus, paraît-il, n’ont rien donné, parce que, quoi qu’on fasse, le « véritable essor de l’économie socialiste » demeurera impossible tant que le prolétariat n’aura pas vaincu « dans les pays les plus importants d’Europe ».

    Et comme il n’y a pas encore de victoire en Occident, il ne reste plus à la révolution russe qu’à pourrir sur pied ou à dégénérer en Etat bourgeois.

    Ce n’est pas sans raison que Trotsky parle, depuis deux ans déjà, de la « dégénérescence » de notre parti.

    Ce n’est pas sans raison qu’il prédisait l’année dernière la « fin » de notre pays.

    Comment concilier cette étrange « perspective » avec celle de Lénine selon laquelle la nouvelle politique économique nous donnera la possibilité de « construire les bases de l’économie socialiste » ?

    Comment concilier cette désespérance « permanente » avec ces paroles de Lénine :

    Dès à présent, le socialisme n’est plus une question d’avenir lointain, une sorte de vision abstraite ou d’icône… Nous avons introduit le socialisme dans la vie courante et, maintenant, nous devons nous rendre compte de la situation. Voilà notre tâche d’aujourd’hui, voilà le problème de notre époque.

    Permettez-moi de terminer en exprimant la certitude que, si ardu que soit ce problème, si nouveau qu’il soit en comparaison de l’ancien et quelques difficultés qu’il nous cause, nous allons, tous ensemble et coûte que coûte, le résoudre, non en un jour, mais en plusieurs années, et de telle façon que, de la Russie de la Nep, sorte la Russie socialiste.

    Comment concilier cette désespérance « permanente » avec ces autres paroles de Lénine :

    Possession par l’État des principaux moyens de production,possession du pouvoir politique par le prolétariat, alliance de ce

    prolétariat avec la masse immense des petits paysans, direction assurée de la paysannerie par le prolétariat, etc., n’est-ce pas là tout ce qu’il nous faut pour pouvoir, avec la seule coopération (que nous traitions auparavant de mercantile et que nous avons maintenant, jusqu’à un certain point, le droit de traiter ainsi sous la Nep), procéder à la construction pratique de la société socialiste intégrale ?

    Ce n’est pas là encore la construction de la société socialiste, mais c’est tout ce qui est nécessaire et suffisant pour cette construction (De la coopération).

    Il est clair que les vues de Trotsky ne peuvent, en l’occurrence, se concilier avec celles de Lénine. La « révolution permanente » de Trotsky est la négation de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne, et, inversement, la théorie léniniste de la révolution prolétarienne est la négation de la théorie de la « révolution permanente ».

    Manque de foi dans les forces et les capacités de notre révolution, manque de foi dans les forces et les capacités du prolétariat de Russie, tel est sous-sol de la théorie de la « révolution permanente ».

    Jusqu’à présent, on ne soulignait ordinairement qu’un côté de la « révolution permanente » : le scepticisme à l’égard des possibilités révolutionnaires du mouvement paysan.

    Maintenant, pour être juste, il est nécessaire d’en mettre en lumière un autre côté : l’incroyance aux forces et aux capacités du prolétariat de Russie.

    En quoi la théorie de Trotsky diffère-t-elle de la théorie courante du menchévisme selon laquelle la victoire du socialisme dans un seul pays, surtout dans un pays arriéré, est impossible sans la victoire préalable de la révolution prolétarienne « dans les principaux pays de l’Europe occidentale » ?

    Au fond, ces deux théories sont identiques. Le doute n’est pas possible : la théorie de la « révolution permanente » de Trotsky est une variété du menchévisme.

    Ces derniers temps, nombre de diplomates «à la manque» se sont efforcés de montrer dans notre presse que la théorie de la «révolution permanente» était conciliable avec le léninisme. Sans doute, disent-ils, cette théorie ne convenait pas en 1905. Mais l’erreur de Trotsky réside en ce qu’il anticipait, essayant d’appliquer à la situation de 1905 ce qui était alors inapplicable.

    Mais, par la suite, disent-ils, et notamment en 1917 lorsque la révolution fut arrivée à complète maturité, la théorie de Trotsky se trouva tout à fait à sa place. On devine sans peine que le principal de ces diplomates est le camarade Radek.

    Lisez plutôt :

    La guerre creusa un abîme entre les paysans aspirant à la conquête de la terre et à la paix et les partis petits-bourgeois, elle jeta les paysans sous la direction de la classe ouvrière et de son avant-garde, le parti bolchevik.

    Alors, ce qui devint possible, ce fut non pas la dictature de la classe ouvrière et de la paysannerie, mais la dictature de la classe ouvrière s’appuyant sur la paysannerie. Ce que Rosa Luxembourg et Trotsky en 1905 avançaient contre Lénine

    [c’est-à-dire la « révolution permanente »]

    devint en fait la deuxième étape du développement historique (Pravda, 21 février 1924).

    Là-dedans, pas un mot qui ne soit un escamotage.

    Il est faux que, pendant la guerre, « ce qui devint possible, ce fut non pas la dictature de la classe ouvrière et de la paysannerie, mais la dictature de la classe ouvrière s’appuyant sur la paysannerie ». En réalité, la révolution de février 1917 fut la réalisation de la dictaturedu prolétariat et des paysans, combinée d’une façon particulière avec la dictature de la bourgeoisie.

    Il est faux que la théorie de la « révolution permanente », que Radek passe pudiquement sous silence, ait été élaborée en 1905 par Rosa Luxembourg et Trotsky.

    En réalité, cette théorie est l’œuvre de Parvus et de Trotsky.

    Maintenant, après dix mois, Radek rectifie, jugeant nécessaire de tancer Parvus pour la « révolution permanente » (voir son article sur Parvus dans la Pravda). Mais la justice exige de Radek qu’il tance également le compagnon de Parvus, le camarade Trotsky.

    Il est faux que la théorie de la « révolution permanente », démentie par la révolution de 1905, se soit avérée juste pour « la deuxième étape du développement historique », c’est-à-dire pendant la révolution d’Octobre. Tout le développement de la révolution d’Octobre a montré et démontré l’inconsistance de cette théorie et sa complète incompatibilité avec les bases du léninisme.

    Ni discours, ni procédés diplomatiques n’arriveront à masquer le gouffre béant qui sépare la théorie de la « révolution permanente » et le léninisme.

    III ­ Quelques particularités de la tactique des bolcheviks pendant la période de préparation de la révolution d’Octobre

    Pour bien comprendre la tactique des bolcheviks pendant la période de préparation de la révolution d’Octobre, il est indispensable de se rendre compte tout au moins de quelques particularités importantes de cette tactique. Cela est d’autant plus indispensable que, dans les nombreuses brochures sur la tactique des bolcheviks, il n’est pas rare que ces particularités soient passées sous silence.

    Quelles sont ces particularités ?

    Première particularité. A entendre le camarade Trotsky, on pourrait croire que, dans l’histoire de la préparation d’Octobre, il n’existe en tout et pour tout que deux périodes, la période des reconnaissances avancées et la période insurrectionnelle ; quant au reste, c’est de l’invention pure.

    Qu’est-ce que la manifestation d’avril 1917 ? La manifestation d’avril, qui avait pris plus « à gauche » qu’il ne fallait, dit Trotsky, était une sorte de reconnaissance destinée à vérifier l’état d’esprit des masses et leurs rapports avec la majorité des soviets.

    Et qu’est-ce que la démonstration de juillet 1917 ?

    D’après Trotsky, « l’affaire, cette fois encore, se réduisit à une nouvelle reconnaissance plus large et touchant une étape nouvelle et plus avancée du mouvement ». Point n’est besoin de dire que la démonstration de juillet 1917, organisée sur les instances de notre parti, doit, à plus forte raison, selon Trotsky, être qualifiée de « reconnaissance ».

    Ainsi, en mars 1917 déjà, les bolcheviks auraient eu une armée politique d’ouvriers et de paysans toute prête, et s’ils ne la lancèrent dans l’insurrection ni en avril, ni en juin, ni en juillet et ne s’occupèrent que de « reconnaissances », c’est uniquement parce que « ces reconnaissances » ne donnaient pas des « renseignements » satisfaisants.

    Point n’est besoin de dire que cette conception simpliste de la tactique politique de notre parti n’est qu’une confusion de la tactique militaire ordinaire avec la tactique révolutionnaire des bolcheviks.

    En fait, toutes ces démonstrations furent avant tout le résultat de la pression spontanée des masses, qui s’élançaient dans la rue pour manifester leur indignation contre la guerre.

    En fait, le rôle du parti se borna alors à donner à l’action spontanée des masses une forme et une direction conformes aux mots d’ordre des bolcheviks.

    En fait, les bolcheviks n’avaient pas et ne pouvaient avoir en mars 1917 d’armée politique toute prête.

    Ils ne procédèrent à la constitution de cette armée qu’au cours de la lutte et des collisions de classes d’avril à octobre 1917 (ils la constituèrent définitivement en octobre 1917).

    A cet effet, ils utilisèrent la manifestation d’avril, les démonstrations de juin et de juillet, les élections municipales générales et partielles, la lutte contre Kornilov, la conquête des soviets. L’armée politique n’est pas du tout l’armée proprement dite.

    Le commandement militaire entre en campagne avec une armée toute prête, mais le parti doit former la sienne au cours de la lutte même, au cours des collisions de classes, à mesure que les masses elles­mêmes se convainquent par leur propre expérience de la justesse des mots d’ordre du parti et de la justesse de sa politique.

    Evidemment, chacune de ces démonstrations mettait aussi en lumière la corrélation des forces, jouait dans une certaine mesure le rôle de reconnaissance, mais la reconnaissance n’était point le motif de la démonstration, elle n’en était que le résultat naturel.

    Analysant les événements à la veille de l’insurrection d’octobre et les comparant aux événements d’avril-juin, Lénine dit :

    La situation, précisément, n’est pas la même qu’à la veille des 20-21 avril, du 9 juin et du 3 juillet, car il s’agissait alors d’une effervescence spontanée que nous ne saisissions pas, en tant que parti (20 avril), ou que nous contenions en lui donnant la forme d’une démonstration pacifique (9 juin et 3 juillet).

    Car nous savions fort bien alors que les soviets n’étaient pas encore nôtres, que les paysans croyaient encore à la méthode de Lieber-Dan-Tchernov et non à celle des bolcheviks (l’insurrection), que, par conséquent, la majorité du peuple ne pouvait être pour nous et que, partant, l’insurrection serait prématurée.

    Il est clair qu’à elle seule une reconnaissance » ne peut mener bien loin.

    Aussi, n’est-ce pas de « reconnaissance » qu’il s’agit, mais de ce que :

    1° Pendant toute la période préparatoire d’Octobre le parti s’appuyait incessamment dans sa lutte sur l’élan spontané du mouvement révolutionnaire de masses ;

    2° En s’appuyant sur cet élan spontané, il s’assurait la direction exclusive du mouvement ;

    3° Une telle direction du mouvement facilitait au parti la formation d’une armée politique de masse pour l’insurrection d’octobre ;

    4° Une telle politique devait nécessairement aboutir à mettre toute la préparation d’Octobre sous la direction d’un seul parti, le parti bolchevik ;

    5° La conséquence d’une telle préparation d’Octobre fut qu’à la suite de l’insurrection d’Octobre le pouvoir se trouva entre les mains d’un seul parti, le parti bolchevik.

    Ainsi, le point essentiel de la préparation d’Octobre, c’est que cette préparation fut dirigée par un parti unique, le parti communiste.

    Telle est la première particularité de la tactique des bolcheviks pendant la période de la préparation d’Octobre.

    Est­il besoin de démontrer que, sans cette particularité, la victoire de la dictature du prolétariat en période impérialiste eût été impossible.

    C’est par là que la révolution d’Octobre diffère avantageusement de la révolution française de 1871, dans laquelle la direction de la révolution était partagée par deux partis, dont aucun ne pouvait être appelé communiste.Deuxième particularité. La préparation d’Octobre s’effectua ainsi sous la direction d’un parti unique, le parti bolchevik. Mais, dans quel sens le parti mena-t-il cette direction ?

    Il s’attacha à isoler les partis conciliateurs, qu’il considérait à juste titre comme les groupements les plus dangereux dans la période de dénouement de la révolution, il s’efforça d’isoler les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks.

    En quoi consiste la règle stratégique fondamentale du léninisme ? Elle consiste à reconnaître que :

    1° L’appui social le plus dangereux des ennemis de la révolution dans la période précédant le dénouement révolutionnaire est constitué par les partis conciliateurs ;

    2° Il est impossible de renverser l’ennemi (tsarisme ou bourgeoisie) sans isoler préalablement ces partis ;

    3° Dans la période de préparation révolutionnaire, il faut, par suite, s’attacher principalement à isoler ces partis, à en détacher les larges masses laborieuses.

    Dans la période de lutte contre le tsarisme, dans la période de préparation de la révolution bourgeoise-démocratique (1905-1916), l’appui social le plus dangereux du tsarisme était le parti libéral-monarchique, le parti des cadets.

    Pourquoi ? Parce que c’était un parti conciliateur, un parti de conciliation entre le tsarisme et la majorité du peuple, c’est-à-dire l’ensemble de la paysannerie. Il est naturel que le parti dirigeât alors principalement ses coups contre les cadets, car sans isoler ces derniers, on ne pouvait compter sur la rupture entre la paysannerie et le tsarisme, et sans assurer cette rupture, on ne pouvait compter sur la victoire de la révolution.

    Beaucoup ne comprenaient pas alors cette particularité de la stratégie des bolcheviks, qu’ils accusaient de haine excessive pour les cadets et auxquels ils reprochaient de se laisser « détourner » dela lutte contre le principal ennemi, le tsarisme. Mais ces accusations dénuées de fondement trahissaient l’incompréhension complète de la stratégie bolchéviste, qui exigeait l’isolement des partis conciliateurs pour faciliter, accélérer la victoire sur le principal ennemi.

    Il n’est guère besoin de démontrer que, sans cette stratégie, l’hégémonie du prolétariat dans la révolution bourgoise-démocratique eût été impossible.

    Pendant la période de la préparation d’Octobre, le centre de gravité des forces belligérantes se déplaça. Il n’y avait plus de tsar. De force conciliatrice, le parti des cadets devint une force gouvernante, dominante de l’impérialisme.

    La lutte n’avait plus lieu entre le tsarisme et le peuple, mais entre la bourgeoisie et le prolétariat. Dans cette période, l’appui social le plus dangereux de l’impérialisme était représenté par les partis démocratiques petits-bourgeois des s.-r. Et des menchéviks.

    Pourquoi ? Parce que ces partis étaient alors des partis conciliateurs, des partis de conciliation entre l’impérialisme et les masses laborieuses.

    Naturellement, c’est contre eux que les bolcheviks dirigeaient leurs coups les plus formidables, car si on n’avait pas isolé les s.-r. Et les menchéviks, on n’aurait pu compter sur la rupture des masses laborieuses avec l’impérialisme, et si l’on n’avait pas assuré cette rupture, on n’aurait pu compter sur la victoire de la révolution soviétiste.

    Nombreux alors étaient ceux qui ne comprenaient pas cette particularité de la tactique des bolcheviks, qu’ils accusaient de témoigner une « haine excessive» aux s.-r.

    Et aux menchéviks et d’ « oublier » le but principal. Mais toute la période de la préparation d’Octobre montre éloquemment que, seule, cette tactique permit aux bolcheviks d’assurer la victoire de la révolution d’Octobre.Le trait caractéristique de cette période est le révolutionnement croissant des masses rurales, leur désenchantement de la politique des s.-r.

    Et des menchéviks, leur éloignement de ces derniers, leur ralliement autour du prolétariat, unique force intégralement révolutionnaire et capable de mener le pays à la paix. L’histoire de cette période est celle de la lutte qui se déroula entre les bolcheviks, d’une part, les s.-r. Et les menchéviks, de l’autre, pour la conquête des masses laborieuses de la paysannerie.

    L’issue de cette lutte fut décidée par la période de coalition, par la période où Kérensky fut au pouvoir, par le refus des s.-r. et des menchéviks de confisquer les terres des grands propriétaires fonciers, par la lutte des s.-r. et des menchéviks pour la continuation de la guerre, par l’offensive de juillet sur le front, par le rétablissement de la peine de mort pour les soldats, par la révolte de Kornilov.

    Et cette décision fut en faveur de la stratégie bolchéviste.

    Sans isoler les s.-r. Et les menchéviks, il était impossible de renverser le gouvernement des impérialistes et, partant, d’échapper à la guerre. La politique d’isolement des s.-r. et des menchéviks était donc la seule politique juste.

    Ainsi, dans leur direction de la préparation d’Octobre, les bolcheviks s’attachèrent principalement à isoler les partis des menchéviks et des s.-r.

    Telle est la deuxième particularité de leur tactique.

    Il serait superflu de démontrer que, sans cette particularité de la tactique des bolcheviks, l’union de la classe ouvrière et des masses laborieuses de la campagne, eût été impossible.

    Fait caractéristique, Trotsky ne dit rien ou presque rien de cette particularité de la tactique bolchéviste dans ses Leçons d’Octobre.

    Troisième particularité. Ainsi la direction de la préparation d’Octobre par le parti tendit à isoler les partis des s.-r.

    Et des menchéviks, à détacher les masses ouvrières et paysannes de ces partis. Mais comment cet isolement fut-il réalisé concrètement par le parti ; sous quelle forme, avec quel mot d’ordre ?

    Il fut réalisé sous forme de mouvement révolutionnaire des masses en faveur des soviets avec le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux soviets ! », par une lutte dont le but était de transformer les soviets, d’organes de mobilisation des masses, en organes d’insurrection, en organes du pouvoir, en appareil du nouvel Etat prolétarien.

    Pourquoi les bolcheviks ont-ils choisi précisément les soviets comme levier fondamental d’organisation, susceptible de faciliter l’isolement des menchéviks et des s.-r., de pousser en avant la révolution prolétarienne et de mener des millions de travailleurs à la victoire de la dictature prolétarienne ?

    Qu’est-ce que les soviets ?

    Les soviets sont un nouvel appareil étatique qui, en premier lieu, instaure la force armée des ouvriers et des paysans, force qui n’est pas, comme celle de l’ancienne armée permanente, détachée du peuple, mais reliée étroitement à ce dernier, qui, dans le domaine militaire, est incomparablement supérieure à toutes celles qui l’ont précédée et qui, au point de vue révolutionnaire, ne peut être remplacée par aucune autre.

    En second lieu, cet appareil instaure avec les masses, avec la majorité du peuple, une liaison si étroite, si indissoluble, si facilement contrôlable et renouvelable qu’on en chercherait vainement une semblable dans l’ancien appareil étatique.

    En troisième lieu, cet appareil qui est électif et dont le peuple peut, à son gré, sans formalités bureaucratiques, changer le personnel, est par là même beaucoup plus démocratique que les appareils antérieurs. En quatrième lieu, il donne une liaison solide avec les professions les plus diverses, facilitant ainsi la réalisation, sansbureaucratie aucune, des réformes les plus différentes et les plus profondes.

    En cinquième lieu, il donne la forme d’organisation de l’avant-garde des paysans et des ouvriers, c’est-à-dire de la partie la plus consciente, la plus énergique, la plus avancée des classes opprimées, et permet par là même à cette avant-garde d’élever, instruire, éduquer et entraîner dans son sillage toute la masse de ces classes, qui jusqu’à présent était restée complètement en dehors de la vie politique, complètement en dehors de l’Histoire.

    En sixième lieu, il permet d’allier les avantages du parlementarisme à ceux de la démocratie immédiate et directe, c’est-à-dire de réunir, dans la personne des représentants électifs du peuple, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.

    Comparativement au parlementarisme bourgeois, c’est là, dans le développement de la démocratie, un pas d’une importance historique mondiale… Si la force créatrice des classes révolutionnaires n’avait pas enfanté les soviets, la révolution prolétarienne serait, en Russie, condamnée, car avec l’ancien appareil le prolétariat ne pourrait certainement pas conserver le pouvoir, et il est impossible de créer du coup un nouvel appareil (Sur la route de l’insurrection, p. 123).

    Voilà pourquoi les bolcheviks se sont attachés aux soviets, comme au chaînon fondamental susceptible de faciliter l’organisation de la révolution d’Octobre et la création d’un nouvel et puissant appareil d’État prolétarien.

    Dans son développement intérieur, le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets ! » a passé par deux phases, dont la première va jusqu’à la défaite bolchéviste de juillet, et dont la seconde commence après l’écrasement de la révolte de Kornilov.

    Dans la première phase, ce mot d’ordre comportait la rupture du bloc des menchéviks et des s.­r. Avec les cadets, la formation d’un gouvernement soviétiste de menchéviks et de socialistes-révolutionnaires (car les soviets étaient alors socialistes­ révolutionnaires et menchévistes), la liberté de propagande pour l’opposition (c’est-à-dire pour les bolcheviks) et la liberté de lutte pour les partis au sein des soviets, liberté de lutte qui devait permettre aux bolcheviks de conquérir les soviets et de changer la composition du gouvernement soviétiste par le développement lent et pacifique de la révolution. Ce plan, évidemment, ne signifiait point la dictature du prolétariat.

    Mais il facilitait indubitablement la préparation des conditions indispensables à l’instauration de la dictature car, portant les menchéviks et les s.-r. Au pouvoir et les mettant dans la nécessité de réaliser leur programme antirévolutionnaire, il hâtait la révélation de leur véritable nature, précipitait leur isolement, leur rupture avec les masses.

    Mais la défaite des bolcheviks en juillet interrompit ce développement, en donnant l’avantage à la contre-révolution des généraux et des cadets et en jetant s.-r. Et menchéviks dans les bras de cette dernière.

    C’est pourquoi le parti fut obligé de retirer temporairement le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets ! » et d’attendre, pour le lancer à nouveau, une nouvelle recrudescence de la révolution.

    L’écrasement de Kornilov ouvrit la seconde phase. Le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets ! » fut de nouveau lancé.

    Mais alors il n’avait plus la même signification que dans la première phase. Il signifiait la rupture complète avec l’impérialisme et le passage du pouvoir aux bolcheviks, étant donné que la majorité des soviets était déjà bolchéviste.

    Il signifiait la réalisation directe de la dictature du prolétariat par l’insurrection. Bien plus, il signifiait l’organisation de la dictature du prolétariat et son érection en pouvoir d’État.

    La tactique de transformation des soviets en organes de pouvoirgouvernemental avait une valeur inestimable parce qu’elle arrachait

    des millions de travailleurs à l’impérialisme, montrait que les partis des menchéviks et des s.-r, étaient des instruments de l’impérialisme et amenait directement, pour ainsi dire, les masses à la dictature du prolétariat.

    Ainsi, la politique de transformation des soviets en organes de pouvoir gouvernemental, en tant que condition principale de l’isolement des partis conciliateurs et du triomphe de la dictature du prolétariat, est la troisième particularité de la tactique des bolcheviks dans la période de la préparation d’Octobre.

    Quatrième particularité. Le tableau ne serait pas complet si nous n’envisagions comment et pourquoi les bolcheviks parvenaient à transformer les mots d’ordre de leur parti en mots d’ordre de masse activant la révolution, comment et pourquoi ils parvenaient à convaincre de la justesse de leur politique non seulement l’avant-garde et la majorité de la classe ouvrière, mais aussi la majorité du peuple.

    Pour qu’une révolution soit victorieuse, si elle est vraiment populaire, si elle embrasse les grandes masses, il ne suffit pas que les mots d’ordre du parti soient justes.

    Une autre condition est indispensable ; il faut que les masses elles-mêmes se soient convaincues par leur propre expérience de la justesse de ces mots d’ordre. Alors seulement les mots d’ordre du parti deviennent ceux des masses elles-mêmes. Alors seulement la révolution devient réellement la révolution du peuple.

    L’une des particularités de la tactique des bolcheviks pendant la période de préparation d’Octobre, c’est d’avoir su déterminer avec justesse les voies menant naturellement les masses aux mots d’ordre du parti, au seuil de la révolution, et d’avoir permis ainsi à ces masses de sentir, de contrôler et d’expérimenter elles-mêmes la justesse de ces mots d’ordre.

    Autrement dit, l’une des particularités de la tactique des bolcheviks consiste en ce qu’elle ne confond point la direction du parti avec celle des masses, qu’elle distingue clairement la différence qui sépare ces deux directions et qu’ainsi elle est la science, non seulement de la direction du parti, mais aussi de la direction des grandes masses de travailleurs.

    L’expérience de la convocation et de la dissolution de l’Assemblée constituante est un exemple frappant de l’application de cette particularité de la tactique bolchéviste.

    On sait que les bolcheviks lancèrent le mot d’ordre de « République soviétiste » dès avril 1917. On sait également que l’Assemblée constituante est un parlement bourgeois en contradiction absolue avec les bases de la République soviétiste.

    Comment se fait-il que les bolcheviks, en marchant vers la République soviétiste, aient en même temps exigé du Gouvernement provisoire la convocation immédiate de l’Assemblée constituante ?

    Comment se fait-il que les bolcheviks non seulement prirent part aux élections, mais convoquèrent eux-mêmes l’Assemblée constituante ? Comment se fait-il que, un mois avant l’insurrection, les bolcheviks aient admis la possibilité d’une combinaison temporaire de la République soviétiste et de l’Assemblée constituante ? Il en fut ainsi parce que :

    1° L’idée de l’Assemblée constituante était une des idées les plus populaires parmi la masse de la population ;

    2° Le mot d’ordre de la convocation immédiate de l’Assemblée constituante permettait de dévoiler plus facilement la nature contre­ révolutionnaire du Gouvernement provisoire ;

    3° Pour ouvrir les yeux aux masses populaires sur l’idée de l’Assemblée constituante, il était indispensable d’amener ces masses jusqu’à l’Assemblée constituante, avec leurs revendications sur laterre, la paix, le pouvoir soviétiste, de les mettre en présence de l’Assemblée constituante réalisée, vivante ;

    4° C’était là le seul moyen de permettre aux masses de se convaincre par leur propre expérience de la nature contre-révolutionnaire de l’Assemblée constituante et de la nécessité de sa dissolution ;

    5° Tout cela supposait naturellement la possibilité d’admettre une combinaison temporaire de la République soviétiste et de l’Assemblée constituante comme un des moyens destinés à éliminer l’Assemblée constituante ;

    6° Une telle combinaison, si elle eût été réalisée, à condition que tout le pouvoir fût passé aux soviets, n’eût pu signifier que la subordination de l’Assemblée constituante aux soviets, sa transformation en annexe des soviets, sa mort sans douleur.

    Point n’est besoin de démontrer que, sans cette politique des bolcheviks, la dissolution de l’Assemblée constituante n’eût pas été si facile et que les tentatives ultérieures des s.-r. Et des menchéviks avec le mot d’ordre « Tout le pouvoir à l’Assemblée constituante ! » n’eussent pas échoué aussi piteusement.

    Nous autres, dit Lénine, nous avons pris part à l’élection du parlement bourgeois de Russie, de l’Assemblée constituante, en septembre-novembre 1917. Notre tactique était-elle juste ou non ?…

    N’avions-nous pas, nous autres bolcheviks russes, en novembre 1917, plus que n’importe quels communistes d’Occident, le droit d’estimer que chez nous le parlementarisme avait fait son temps politiquement ?

    Nous l’avions certainement, car il ne s’agit pas de savoir depuis combien de temps les parlements bourgeois existent, mais si les larges masses laborieuses sont prêtes, théoriquement, politiquement, pratiquement, à adopter le régime soviétiste et à dissoudre ou àlaisser dissoudre le parlement démocratique bourgeois.

    Que dans la Russie de septembre-novembre 1917 la classe ouvrière des villes, les soldats, les paysans, par suite de toutes sortes de conditions spéciales, se soient trouvés admirablement préparés à l’adoption du régime soviétiste et à la dissolution du plus démocratique des parlements bourgeois, c’est là un fait historique indéniable et parfaitement établi.

    Pourtant les bolcheviks n’ont pas boycotté l’Assemblée constituante ; loin de là, ils ont participé aux élections, non seulement avant, mais même après la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, (V.

    La maladie infantile, p. 62­63.)

    Pourquoi les bolcheviks ne boycottèrent-ils pas l’Assemblée constituante ? Parce que, dit Lénine :

    Même quelques semaines avant la victoire de la République soviétiste, même après cette victoire, la participation à un parlement de démocratie’ bourgeoise, loin de nuire à un prolétariat révolutionnaire, l’aide à prouver aux masses retardataires que ces parlements méritent d’être dissous, facilite la réussite de leur dissolution, rapproche le moment où l’on pourra dire que le parlementarisme bourgeois a « politiquement fait son temps » (La maladie infantile, p. 63).

    Fait caractéristique, Trotsky ne comprend pas cette particularité de la tactique bolchéviste et se moque de la « théorie » de la combinaison de l’Assemblée constituante et des soviets, comme d’une théorie à la Hilferding.

    Il ne comprend pas que l’admissibilité d’une telle combinaison (avec le mot d’ordre de l’insurrection et la probabilité de la victoire des soviets) liée à la convocation de l’Assemblée constituante était à ce moment l’unique tactique révolutionnaire possible, qu’elle n’avait rien de commun avec la tactique de Hilferding consistant à transformer les soviets en annexe de l’Assemblée constituante et que l’erreur de certains camarades sur cette question ne lui donne pas le droit de dénigrer la position juste de Lénine et du parti sur la possibilité de réaliser, dans certaines conditions, une « forme gouvernementale combinée ».

    Il ne comprend pas que, sans la politique originale qu’ils adoptèrent en vue de l’Assemblée constituante, les bolcheviks n’eussent pas réussi à attirer de leur côté les larges masses du peuple et que, si ces masses leur avaient manqué, ils n’eussent pu transformer l’insurrection d’Octobre en profonde révolution populaire.

    Fait intéressant, Trotsky se moque même des mots « peuple », « démocratie révolutionnaire », etc., qui se rencontrent dans les articles des bolcheviks et qu’il juge inconvenants pour un marxiste.

    Trotsky oublie évidemment que, même en septembre 1917, un mois avant la victoire de la dictature, Lénine, marxiste éminent, parlait de la « nécessité de la transmission immédiate de tout le pouvoir à la démocratie révolutionnaire ayant à sa tête le prolétariat révolutionnaire ».

    Trotsky oublie évidemment que Lénine, citant la lettre de Marx à Kugelmann (avril 1871) où il est dit que la destruction de l’appareil d’État bureaucratique­militaire est la condition préalable de toute révolution vraiment populaire sur le continent, écrit en termes non équivoques :

    Ce qui mérite une attention particulière, c’est cette profonde remarque de Marx, que la destruction de la machine bureaucratique et militaire de l’État est « la condition préalable de toute révolution populaire ».

    Cette expression de révolution « populaire » paraît surprenante dans la bouche de Marx, et les plékhanoviens russes et les menchéviks disciples de Strouvé, désireux de passer pour marxistes, pourraient y voir une « méprise ».

    Ils ont réduit le marxisme à une doctrine si piètrement libérale que, en dehors de l’antithèse : révolution bourgeoise et révolution prolétarienne, rien n’existe pour eux, et encore conçoivent-ils cette antithèse’ comme une chose tout à fait morte… Dans aucun des pays de l’Europe continentale de 1871, le prolétariat ne formait la majorité du peuple.

    La révolution capable d’entraîner la majorité dans le mouvement ne pouvait être « populaire » qu’à la condition d’englober le prolétariat et la classe paysanne.

    Ces deux classes composaient alors le « peuple ». Ces deux classes sont solidaires, du fait que la « machine bureaucratique et militaire de l’État » les opprime, les écrase et les exploite.

    Briser cette machine, la démolir, tel est le but pratique du « peuple », de la majorité du peuple, ouvriers et paysans, telle est la « condition préalable » de la libre alliance des paysans pauvres et du prolétariat ; sans cette alliance, pas de démocratie solide, pas de transformation sociale possible (L’État et la révolution, p. 55-56).

    Ces paroles de Lénine sont à retenir.

    Convaincre les masses, par leur propre expérience, de la justesse des mots d’ordre du parti et les amener aux positions révolutionnaires afin de les conquérir, telle est la quatrième particularité de la tactique des bolcheviks pendant la période de la préparation d’Octobre.

    IV ­ La révolution d’Octobre commencement
    et facteur de la révolution mondiale

    Il est indéniable que la théorie universelle de la victoire simultanée de la révolution dans les principaux pays d’Europe, la théorie de l’impossibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays s’est avérée artificielle, non viable.

    L’histoire septennale de la révolution prolétarienne en Russie réfute cette théorie. Cette théorie est inacceptable comme schéma du développement de la révolution mondiale, parce qu’elle est en contradiction avec les faits patents.

    Elle est encore plus inacceptable comme mot d’ordre parce qu’elle entrave l’initiative des pays qui, en vertu de certaines conditions historiques, ont la possibilité de percer seuls le front capitaliste ; parce que, loin de stimuler l’offensive contre le capital dans chaque pays pris à part, elle conduit à attendre passivement le moment du « dénouement général » ; parce qu’elle entretient parmi les prolétaires des différents pays non pas l’esprit de décision révolutionnaire, mais l’esprit de doute, la crainte de ne pas être soutenu par les prolétaires des autres pays.

    Lénine a parfaitement raison de dire que la victoire du prolétariat dans un seul pays est un « cas typique », que « la révolution simultanée dans plusieurs pays » ne peut être qu’une « rare exception ».

    Mais la théorie léniniste de la révolution ne se limite pas à ce seul côté de la question. Elle est en même temps la théorie du développement de la révolution mondiale. La victoire du socialisme dans un seul pays n’est pas une fin en soi.

    La révolution victorieuse dans un pays doit être considérée, non pas comme une fin en soi, mais comme un appui, comme un moyenpour accélérer la victoire du prolétariat dans tous les pays.

    La victoire de la révolution dans un pays, en l’occurrence en Russie, n’est pas seulement le résultat du développement irrégulier et de la décomposition progressive de l’impérialisme, elle est en même temps le commencement et le facteur de la révolution mondiale.

    Il n’est pas douteux que les voies de développement de la révolution mondiale ne sont pas aussi simples qu’elles pouvaient le paraître précédemment, avant la victoire de la révolution dans un pays, avant l’avènement de l’impérialisme développé, qui marque la « veille de la révolution socialiste ».

    C’est qu’un nouveau facteur est apparu : la loi du développement irrégulier des pays capitalistes, loi fonctionnant dans les conditions de plein développement impérialiste et qui montre l’inéluctabilité des collisions armées, l’épuisement général du front capitaliste mondial et la possibilité de la victoire du socialisme dans des pays séparés.

    C’est qu’il est apparu un nouveau facteur comme l’immense pays des soviets, situé entre l’Occident et l’Orient, entre le centre de l’exploitation financière mondiale et l’arène de l’oppression coloniale, pays dont la seule présence suffit à révolutionner le monde.

    Ce sont là des facteurs (et je ne cite que les plus importants), dont il est impossible de ne pas tenir compte dans l’étude des voies de la révolution mondiale.

    Auparavant, on croyait d’ordinaire que la révolution se développerait par la « maturation » régulière des éléments du socialisme, tout d’abord dans les pays les plus développés, dans les pays « avancés ».

    Cette façon de voir doit être maintenant considérablement modifiée.

    Le système des relations internationales, dit Lénine, est devenu tel qu’en Europe un Etat, l’Allemagne, est asservi par d’autres Etats.

    D’autre part, plusieurs Etats, précisément les plus anciens Etatsd’Occident, se sont trouvés, du fait de leur victoire, dans des

    conditions qui leur permettent de mettre cette victoire à profit pour faire quelques concessions insignifiantes à leurs classes asservies, concessions qui suffisent cependant à retarder le mouvement révolutionnaire de ces dernières et créent un certain semblant de « paix sociale ».

    Cependant, une série de pays : l’Orient, l’Inde, la Chine, etc., Par suite de la guerre impérialiste, sont définitivement sortis de leur voie traditionnelle. Leur développement a définitivement suivi le cours général du capitalisme européen.

    L’effervescence qui agite toute l’Europe commence à les travailler.

    Et il est clair maintenant pour le monde entier qu’ils se sont engagés dans une voie de développement qui ne peut pas ne pas mener à une crise de tout le capitalisme mondial…

    Par suite, les pays capitalistes d’Europe occidentale parachèveront leur évolution vers le socialisme… autrement que nous ne le pensions. Ils la parachèveront, non pas par la « maturation » régulière du socialisme dans ces pays, mais au moyen de l’exploitation de certains Etats par d’autres, au moyen de l’exploitation du premier Etat vaincu dans la guerre impérialiste, exploitation jointe à celle de tout l’Orient.

    L’Orient, d’autre part, est entré définitivement dans le mouvement révolutionnaire par suite de cette première guerre impérialiste et a été entraîné dans le tourbillon du mouvement révolutionnaire mondial.

    Si l’on ajoute à cela que les pays vaincus et les colonies ne sont pas seuls à être exploités par les pays vainqueurs, mais qu’une partie des pays vainqueurs est exploitée financièrement par les pays victorieux les plus puissants, l’Amérique et l’Angleterre ; que les contradictions entre tous ces pays sont les facteurs les plus importants de la décomposition de l’impérialisme mondial ; qu’en dehors de ces contradictions, il en existe d’autres très profondes qui se développent à l’intérieur de chacun de ces pays ; que toutes ces contradictions sont aggravées du fait de l’existence de là grande République des soviets aux côtés des pays capitalistes, on a un tableau plus ou moins complet de l’originalité de la situation internationale.

    Le plus probable, c’est que la révolution mondiale se développera par la séparation révolutionnaire d’un certain nombre de pays qui se détacheront du système des Etats impérialistes avec l’appui du prolétariat de ces Etats.

    Le premier pays qui s’est détaché, le premier pays victorieux, a déjà l’appui des masses ouvrières et paysannes des autres pays en général. Il n’aurait pu tenir sans cet appui. Il est hors de doute que cet appui ira se renforçant et s’accroissant.

    Il est également hors de doute que le développement même de la révolution mondiale, que le processus de la séparation d’une série de nouveaux pays d’avec l’impérialisme sera d’autant plus rapide et profond que le socialisme se sera plus solidement enraciné dans le premier pays victorieux, que ce pays se sera plus rapidement transformé en base de développement de la révolution mondiale, en ferment de la décomposition impérialiste.

    S’il est vrai que la victoire définitive du socialisme dans le pays libéré le premier est impossible sans les efforts communs des prolétaires de plusieurs pays, il est également vrai que le développement de la révolution mondiale sera d’autant plus rapide et profond que l’aide apportée par le premier pays socialiste aux masses ouvrières et laborieuses de tous les autres pays sera plus efficace.

    En quoi cette aide doit-elle consister ?

    Premièrement, le prolétariat du pays victorieux, doit faire chez lui « le maximum de ce qui est possible pour développer, soutenir et éveiller la révolution dans les autres pays » (La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).

    Deuxièmement, le « prolétariat victorieux» d’un pays, « après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se soulève… contre le reste du monde capitaliste, attirant à lui les classes opprimées des autres pays, les incitant à l’insurrection contre les capitalistes, employant même au besoin la force armée contre les classes exploiteuses et leurs Etats ».

    Non seulement cette aide du pays victorieux accélère la victoire des prolétaires des autres pays, mais encore en facilitant cette victoire, elle assure par là même la victoire définitive du socialisme dans le premier pays victorieux.

    Il est plus que probable qu’au cours du développement de la révolution mondiale, il se formera, parallèlement aux foyers impérialistes des pays capitalistes et du système de ces foyers dans le monde entier, des foyers de socialisme dans chaque pays soviétiste et un système de ces foyers dans le monde entier et que la lutte entre ces deux systèmes remplira l’histoire du développement de la révolution mondiale.

    Car, dit Lénine, la libre union des nations dans le socialisme est impossible sans une lutte acharnée, plus ou moins longue, des républiques socialistes avec les Etats arriérés.

    La révolution d’Octobre a une importance mondiale non seulement parce qu’elle représente la première initiative d’un pays pour rompre le système impérialiste et le premier îlot du socialisme dans l’océan des pays impérialistes, mais aussi parce qu’elle est la première étape de la révolution mondiale et la base puissante de son développement futur.

    C’est pourquoi ceux qui, oubliant le caractère international de la révolution d’Octobre, proclament que la victoire de la révolution dans un seul pays est un phénomène purement et exclusivement national, commettent une lourde erreur.

    En outre, ceux qui, se souvenant du caractère international de la révolution d’Octobre, sont enclins à considérer cette révolution comme quelque chose de passif, destiné uniquement à recevoir un appui de l’extérieur, commettent également une erreur.

    En réalité, non seulement la révolution d’Octobre a besoin d’être appuyée par la révolution des autres pays, mais la révolution de ces pays a besoin de l’appui de la révolution d’Octobre pour accélérer le renversement de l’impérialisme mondial.

    =>Oeuvres de Staline