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  • Staline : A propos de quelques problèmes sur l’histoire du bolchevisme

    LETTRE A LA RÉDACTION DE LA REVUE «LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE »

    La Révolution prolétarienne, n°6 (113), 1931

    Camarades,

    Je proteste énergiquement contre l’insertion, dans la revue la Révolution prolétarienne (n° 6, 1930), d’un article contraire au Parti et semi-trotskiste de Sloutski : «Les bolcheviks à propos de la social-démocratie allemande dans la période de sa crise d’avant-guerre», comme article de discussion.

    Sloutski prétend que Lénine (les bolcheviks) sous-estimait le danger du centrisme dans la social-démocratie allemande et, d’une façon générale, dans la social-démocratie d’avant-guerre, c’est-à-dire qu’il sous-estimait le danger de l’opportunisme masqué, le danger de la conciliation avec l’opportunisme.

    Autrement dit, il résulte, selon Sloutski, que Lénine (les bolcheviks) n’a pas mené une lutte intransigeante contre l’opportunisme, puisque sous-estimer le centrisme, c’est au fond renoncer à développer la lutte contre l’opportunisme. Il en résulte ainsi que Lénine, dans la période d’avant-guerre, n’était pas encore un vrai bolchevik ; que ce n’est que pendant la guerre impérialiste, ou même à l’issue de cette guerre, qu’il est devenu un vrai bolchevik. Ainsi parle Sloutski dans son article.

    Et vous, au lieu de stigmatiser cet «historien» frais émoulu, comme un calomniateur et un falsificateur, vous engagez la discussion avec lui, vous lui donnez une tribune.

    Je ne peux pas ne pas protester contre l’insertion de l’article de Sloutski dans votre revue, comme article de discussion ; car on ne peut instituer une discussion sur le bolchévisme de Lénine, sur la question de savoir si Lénine menait ou ne menait pas une lutte de principe, une lutte intransigeante contre le centrisme, comme une certaine variété de l’opportunisme, si Lénine était un vrai bolchevik ou ne l’était pas.

    Dans votre «Note de la rédaction», envoyée au Comité central le 20 octobre, vous reconnaissez que la rédaction a commis une faute en insérant l’article de Sloutski, comme article de discussion.

    C’est bien, évidemment, encore que cette note de la rédaction paraisse avec un grand retard. Mais dans cette note vous commettez une nouvelle faute, en déclarant que «la rédaction considère d’une extrême actualité et nécessité politiques, l’étude ultérieure, dans les colonnes de la Révolution prolétarienne, de tout le cycle de problèmes ayant trait aux rapports des bolcheviks avec la IIe Internationale d’avant-guerre. »

    C’est dire que vous avez l’intention d’entraîner de nouveau les gens dans une discussion sur des problèmes qui sont des axiomes du bolchévisme.

    C’est dire que vous voulez de nouveau transformer la question du bolchévisme de Lénine, d’axiome en un problème nécessitant une «étude ultérieure».

    Pourquoi ? Pour quelle raison ? Tout le monde sait que le léninisme est né, a grandi et s’est fortifié à travers une lutte implacable contre l’opportunisme de toutes nuances, y compris le centrisme d’Occident (Kautsky), le centrisme de chez nous (Trotski et les autres).

    Cela, même les ennemis directs du bolchévisme ne peuvent le nier. C’est un axiome. Or, vous nous tirez en arrière, vous cherchez à transformer cet axiome en un problème devant être l’objet d’une «étude ultérieure».

    Pourquoi ? Pour quelle raison ? Peut-être par ignorance de l’histoire du bolchévisme ? Peut-être par libéralisme pourri, afin que les Sloutski et autres disciples de Trotski ne puissent pas dire qu’on leur ferme la bouche ? Libéralisme assez étrange, réalisé au détriment des intérêts vitaux du bolchévisme…

    Qu’est-ce que la rédaction considère proprement comme digne d’être discuté dans l’article de Sloutski ?

    1. Sloutski prétend que Lénine (les bolcheviks) ne s’est par orienté vers une rupture, vers la scission avec les opportunistes de la social-démocratie allemande, avec les opportunistes de la IIe Internationale d’avant-guerre. Vous voulez engager la discussion contre cette thèse trotskiste de Sloutski.

    Mais qu’y a-t-il là à discuter ? N’est-il pas clair que Sloutski calomnie simplement Lénine, les bolcheviks ? La calomnie, il faut la stigmatiser, et non en faire un objet de discussion.

    Tout bolchevik sait, s’il est réellement un bolchevik, que Lénine, bien avant la guerre, depuis à peu près 1903-1904, lorsque se cristallisa en Russie le groupe bolchevik et que se firent connaître pour la première fois les gauches au sein de la social-démocratie allemande, s’était orienté vers une rupture, vers la scission avec les opportunistes chez nous, dans le Parti social-démocrate de Russie, et là-bas, dans la IIe Internationale, notamment dans la social-démocratie allemande.

    Tout bolchevik sait que précisément pour cette raison les bolcheviks, dès cette époque (1903-1905), s’étaient acquis dans les rangs des opportunistes de la IIe Internationale, le titre glorieux de «scissionnistes» et de «désorganisateurs».

    Mais que pouvait faire Lénine, que pouvaient faire les bolcheviks, si les social-démocrates de gauche au sein de la IIe Internationale, et d’abord au sein de la social-démocratie allemande, représentaient un groupe faible, débile, encore informe au point de vue de l’organisation, un groupe peu ferré idéologiquement, craignant même d’articuler le mot «rupture», «scission» ?

    On ne peut pourtant pas exiger qu’à la place des gauches, Lénine, les bolcheviks organisent, de Russie, la scission dans les partis d’Occident. Sans compter que la faiblesse au point de vue de l’organisation et de l’idéologie fut le trait caractéristique des social-démocrates de gauche, et cela non seulement dans la période d’avant-guerre. Ce trait négatif, on le sait, les gauches l’ont conservé aussi dans l’après-guerre.

    Tout le monde sait le jugement porté sur les social-démocrates allemands de gauche par Lénine, dans son article bien connu «Sur la brochure de Junius» [Junius : Rosa Luxembourg, leader des social-démocrates de gauche dans la social-démocratie allemande.], écrit en octobre 1916, c’est-à-dire plus de deux ans après le début de la guerre, et où Lénine, critiquant tout un ensemble de fautes politiques très graves des social-démocrates de gauche en Allemagne, parle de la «faiblesse de tous les gauches allemands, pris de toutes parts dans le réseau infâme de l’hypocrisie kautskiste, du pédantisme, de l’«amitié» envers les opportunistes», où il dit que «Junius ne s’est pas libéré entièrement du «milieu» des social-démocrates allemands, même de ceux de gauche, qui craignent la scission, qui craignent d’énoncer jusqu’au bout les mots d’ordre révolutionnaires».

    De tous les groupements de la IIe Internationale, les bolcheviks russes étaient alors le seul capable, par son expérience en matière d’organisation et sa trempe idéologique, d’entreprendre quelquechose de sérieux dans le sens d’une rupture directe, d’une scission avec ses propres opportunistes dans la social­démocratie russe.

    Ah ! Si les Sloutski avaient tenté, pas même de démontrer, mais simplement de supposer que Lénine et les bolcheviks russes n’ont pas utilisé toute leur puissance pour organiser la scission avec les opportunistes (Plékhanov, Martov, Dan), et pour chasser les centristes (Trotski et les autres partisans du bloc d’Août), alors en pourrait discuter sur le bolchévisme de Lénine, sur le bolchévisme des bolcheviks.

    Mais c’est justement que les Sloutski n’osent même souffler mot en faveur d’une supposition aussi saugrenue.

    Ils n’osent pas, sachant que les faits notoires de la politique décidée de rupture avec les opportunistes de toutes nuances, appliquée par les bolcheviks russes (1904-1912), se dresseraient, véhéments, contre une pareille supposition. Ils n’osent pas, sachant que dès le lendemain ils seraient cloués au poteau d’infamie.

    Mais voilà la question qui se pose : les bolcheviks russes pouvaient-ils réaliser la scission avec leurs opportunistes et les centristes-conciliateurs, bien avant la guerre impérialiste (1904-1912), sans s’orienter du même coup vers la rupture, vers la scission avec les opportunistes et les centristes de la IIe Internationale ?

    Qui peut douter que les bolcheviks russes aient considéré leur politique à l’égard des opportunistes et des centristes, comme un modèle de politique pour les gauches d’Occident ?

    Qui peut douter que les bolcheviks russes aient poussé par tous les moyens les social-démocrates de gauche en Occident, notamment les gauches de la social-démocratie allemande, à la rupture, à la scission avec leurs opportunistes et leurs centristes ?

    Ce n’est pas la faute de Lénine et des bolcheviks russes, si les social-démocrates de gauche en Occident n’avaient pas atteint un degré suffisant de maturité pour marcher sur les traces des bolcheviks russes.2. Sloutski reproche à Lénine et aux bolcheviks de n’avoir pas soutenu les gauches de la social-démocratie allemande, résolument et sans retour ; de ne les avoir soutenus qu’avec de sérieuses réserves ; que des considérations de fraction aient empêché les bolcheviks de soutenir les gauches d’Allemagne jusqu’au bout.

    Vous voulez engager la discussion contre ce reproche charlatanesque et foncièrement hypocrite, mais qu’y a-t-il là proprement à discuter ?

    N’est-il pas clair qu’ici Sloutski fait une manœuvre et cherche à couvrir par un reproche hypocrite contre Lénine et les bolcheviks, les véritables lacunes de la position des gauches en Allemagne ?

    N’est-il pas clair que les bolcheviks ne pouvaient soutenir les gauches d’Allemagne, qui balançaient constamment entre le bolchévisme et le menchévisme, sans de sérieuses réserves, sans une sérieuse critique de leurs fautes, à moins de trahir la classe ouvrière et sa révolution ? Les manœuvres malhonnêtes il faut les stigmatiser, et non en faire un objet de discussion.

    Oui, les bolcheviks n’ont soutenu les social-démocrates en Allemagne, qu’avec de sérieuses réserves, en critiquant leurs fautes semi-menchéviques. Mais il faut les en féliciter, et non le leur reprocher.

    Il est des gens qui en doutent ?

    Voyons les faits les plus connus de l’histoire.

    a) En 1903, de sérieux désaccords étaient apparus entre bolcheviks et menchéviks, en Russie, sur la question de l’adhésion au Parti.

    Par leur formule sur l’adhésion au Parti, les bolcheviks voulaient créer, en matière d’organisation, un frein centre l’afflux des éléments non-prolétariens dans le Parti. Le danger d’un tel afflux était alors plus que réel, en raison du caractère démocratique bourgeois de la révolution russe. Les menchéviks russes défendaient la position opposée, qui ouvrait largement les portes du Parti aux éléments non prolétariens.

    Vu l’importance que les problèmes de la Révolution russe avaient pour le mouvement révolutionnaire mondial, les social-démocrates d’Europe occidentale décidèrent de s’en mêler. Les social­ démocrates de gauche, en Allemagne, Parvus et Rosa Luxembourg, alors leaders des gauches, s’en mêlèrent également. Eh bien ? Tous deux se prononcèrent contre les bolcheviks.

    Et l’accusation d’ultra-centralisme et de tendances blanquistes fut portée contre les bolcheviks. Plus tard, ces plates épithètes philistines furent reprises par les menchéviks et propagées à travers le monde.

    b) En 1905, des désaccords surgissaient entre bolcheviks et menchéviks, en Russie, à propos du caractère de la révolution russe.

    Les bolcheviks défendaient l’idée de l’alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie, l’hégémonie étant exercée par le prolétariat.

    Les bolcheviks affirmaient qu’il fallait mener les choses vers la dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie, afin de passer immédiatement de la révolution démocratique bourgeoise à la révolution socialiste, en s’assurant le soutien de la paysannerie pauvre.

    Les menchéviks de Russie repoussaient l’idée de l’hégémonie du prolétariat dans la révolution démocratique bourgeoise ; à la politique d’alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie, ils préférèrent la politique d’entente avec la bourgeoisie libérale ; quant à la dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie, ils la proclamèrent un schéma blanquiste réactionnaire,en contradiction avec le développement de la révolution bourgeoise.

    Quelle fut devant ces discussions l’attitude des gauches de la social­ démocratie allemande, Parvus et Rosa Luxembourg ?

    Ils dressèrent un schéma utopique et semi-menchévik de révolution permanente (image déformée du schéma de la révolution donné par Marx), entièrement imprégné de négation menchévique de la politique d’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, et ils l’opposèrent au schéma bolchevik de la dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie.

    Dans la suite, ce schéma semi-menchévik de la révolution permanente fut repris par Trotski (en partie par Martov) et transformé en un instrument de lutte contre le léninisme.

    c) Dans la période d’avant-guerre, au sein des partis de la IIe Internationale, apparut sur la scène comme un des problèmes les plus actuels, la question nationale et coloniale, la question des nations opprimées et des colonies, celle de leur affranchissement, la question des moyens permettant de combattre, de renverser l’impérialisme.

    Afin de développer la révolution prolétarienne et d’encercler l’impérialisme, les bolcheviks préconisèrent la politique de soutien du mouvement libérateur des nations opprimées et des colonies sur la base de la libre disposition des nations ; ils développèrent le schéma d’un front unique entre la révolution prolétarienne des pays avancés et le mouvement révolutionnaire de libération des peuples dans les colonies et les pays opprimés.

    Les opportunistes de tous les pays, les social-chauvins et les social-impérialistes de tous les pays ne tardèrent pas, de ce fait, à se dresser contre les bolcheviks.

    On traquait les bolcheviks comme des chiens enragés. Quelle position occupèrent alors les social-démocrates de gauche en Occident ?

    Ils développèrent une théorie semi-menchévique de l’impérialisme, ils rejetèrent le principe de la libre disposition des nations dans sa conception marxiste (jusques et y compris la séparation et la constitution. d’Etats indépendants) ; ils écartèrent la thèse sur la sérieuse importance révolutionnaire du mouvement de libération des colonies et des pays opprimés, ils écartèrent la thèse sur la possibilité d’un front unique entre la révolution prolétarienne et le mouvement de libération nationale, et ils opposèrent toute cette salade semi-menchévique qui, d’un bout à l’autre, était une sous-estimation de la question nationale et coloniale, — au schéma marxiste des bolcheviks.

    On sait que cette salade semi-menchévique fut reprise plus tard par Trotski, qui l’utilisa comme un instrument de lutte contre le léninisme.

    Telles sont les erreurs connues de tous, commises par les social-démocrates de gauche, en Allemagne.

    Je ne parle même pas des autres erreurs des gauches allemands, que Lénine a critiquées à fond en d’autres articles.

    Je ne parle pas non plus des erreurs qu’ils ont commises dans leur appréciation de la politique des bolcheviks dans la période de la Révolution d’Octobre.

    Que dénotent ces erreurs des gauches allemands datant de la période d’avant­guerre, sinon que les social­démocrates de gauche, malgré leur gauchisme, ne s’étaient pas encore débarrassés de leur bagage menchévik ?

    Il est certain que les gauches d’Allemagne n’ont pas seulement commis des fautes graves. Ils ont aussi à leur actif de grandes et sérieuses actions révolutionnaires.

    J’entends leurs nombreux mérites et leurs interventions révolutionnaires sur les questions de politique intérieure, etnotamment de la lutte électorale, sur les questions de lutte parlementaire et extra-parlementaire, sur la grève générale, la guerre, la révolution de 1905 en Russie, etc.

    C’est précisément pour cette raison que les bolcheviks les considéraient comme des gauches, les soutenaient, les poussaient en avant. Mais cela ne dément pas et ne peut démentir ce fait que les social-démocrates de gauche, en Allemagne, avaient en même temps à leur passif toute une série de graves fautes politiques et théoriques ; qu’ils ne s’étaient pas encore libérés du fardeau menchévik et avaient, par conséquent, besoin d’être sérieusement critiqués par les bolcheviks.

    Jugez maintenant vous-mêmes si Lénine et les bolcheviks pouvaient soutenir les social-démocrates de gauche en Occident, sans de sérieuses réserves, sans une sérieuse critique de leurs fautes, à moins de trahir les intérêts de la classe ouvrière, à moins de trahir les intérêts de la révolution, à moins de trahir le communisme.

    N’est-il pas clair que Sloutski, en reprochant à Lénine et aux bolcheviks ce dont il aurait dû les féliciter s’il avait été un bolchevik, se démasque jusqu’au bout comme un demi-menchévik, comme un trotskiste camouflé ?

    Sloutski fait cette supposition que Lénine et les bolcheviks, dans leur jugement sur les gauches d’Occident, sont partis de leurs considérations de fraction ; que par conséquent, les bolcheviks russes sacrifiaient aux intérêts de leur fraction la grande cause de la révolution internationale.

    Il est à peine besoin de démontrer qu’il ne saurait y avoir rien de plus plat et de plus ignoble que cette hypothèse. Rien de plus plat, puisque même les menchéviks les plus vulgaires commencent à comprendre que la révolution russe n’est pas une affaire privée des Russes ; qu’elle est, au contraire, l’affaire de la classe ouvrière dumonde entier, l’affaire de la révolution prolétarienne mondiale.

    Il ne saurait y avoir rien de plus ignoble, puisque même les calomniateurs professionnels de la IIe Internationale commencent à comprendre que l’internationalisme conséquent et révolutionnaire jusqu’au bout des bolcheviks est un modèle d’internationalisme prolétarien pour les ouvriers de tous les pays.

    Oui, les bolcheviks russes ont mis au premier plan les questions capitales de la Révolution russe, telles que les questions concernant le Parti, l’attitude des marxistes envers la révolution démocratique bourgeoise, l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, l’hégémonie du prolétariat, la lutte parlementaire et extra-parlementaire, la grève générale, la transformation de la révolution démocratique bourgeoise en révolution socialiste, la dictature du prolétariat, l’impérialisme, le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, le mouvement libérateur des nations opprimées et des colonies, la politique de soutien de ce mouvement, etc.

    Ils ont mis en avant ces questions comme une pierre de touche, qui leur permettait de vérifier la fermeté révolutionnaire des social-démocrates de gauche en Occident.

    En avaient-ils le droit ? Sans aucun doute. Ils avaient non seulement le droit, mais le devoir d’agir de la sorte. Ils avaient le devoir d’agir ainsi, toutes ces questions étant en même temps des questions capitales de la révolution mondiale, et les bolcheviks subordonnant leur politique, leur tactique aux tâches de cette révolution.

    Ils avaient le devoir d’agir ainsi, car ce n’est que sur de telles questions que l’on pouvait vérifier effectivement l’esprit révolutionnaire de tels ou tels groupements de la IIe Internationale.

    On se demande où donc est ici le «fractionnisme» des bolcheviks russes, et que viennent faire ici les considérations de «fraction» ?

    Déjà en 1902 Lénine écrivait dans sa brochure Que faire ? Que «l’histoire nous assigne maintenant une tâche immédiate, la plus révolutionnaire de toutes les tâches immédiates du prolétariat de n’importe quel autre pays» ; que «l’accomplissement de cette tâche, la destruction du rempart le plus puissant non seulement de la réaction européenne, mais aussi de la réaction asiatique, ferait du prolétariat russe l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire international».

    Il s’est passé trente ans depuis qu’a paru la brochure Que faire ? Nul n’ose nier que les événements de cette période aient brillamment confirmé les paroles de Lénine. Mais ne s’ensuit-il pas que la révolution russe a été (et demeure) le point crucial de la révolution mondiale, que les questions capitales de la révolution russe étaient en même temps (et sont aujourd’hui) celles de la révolution mondiale ?

    N’est-il pas clair que c’est seulement sur ces questions capitales que l’on pouvait vérifier effectivement l’esprit révolutionnaire des social-démocrates de gauche, en Occident ?

    N’est-il pas clair que les gens qui envisagent ces problèmes comme des questions de «fraction», se démasquent jusqu’au bout comme de plats personnages et des éléments dégénérés ?

    3. Sloutski prétend que l’on n’a pas encore trouvé une quantité suffisante de documents officiels témoignant de la lutte décidée et intransigeante de Lénine (des bolcheviks) contre le centrisme.

    C’est avec cette thèse bureaucratique qu’il opère, comme avec un argument irrésistible en faveur de cette affirmation que Lénine (les bolcheviks) sous-estimait, par conséquent, le danger du centrisme au sein de la IIe Internationale.

    Vous prenez sur vous d’engager la discussion contre ce galimatias, contre ces ergoteries de filou. Mais qu’y a-t-il là proprement à discuter ? N’est-il pas déjà suffisamment clair qu’en parlant de documents, Sloutski cherche à masquer la pauvreté et la fausseté de sa prétendue plate-forme ?

    Sloutski estime que les documents existants du Parti sont insuffisants. Pourquoi ? Pour quelle raison ? Est-ce que les documents connus de tous et concernant la IIe Internationale, de même que ceux relatifs à la lutte intérieure au sein de la social-démocratie russe, ne suffisent pas pour démontrer, clair et net, l’intransigeance révolutionnaire de Lénine et des bolcheviks dans leur lutte contre les opportunistes et les centristes ? Au fait, Sloutski les connaît-il seulement, ces documents ? Quels documents lui faut-il encore ?

    Admettons que, outre les documents déjà connus, on découvre une quantité d’autres documents, par exemple, sous la forme de résolutions bolcheviques traitant une fois de plus de la nécessité d’anéantir le centrisme. Est-ce à dire que l’existence de documents-papier suffise à elle seule pour montrer l’esprit révolutionnaire véritable et l’intransigeance véritable des bolcheviks à l’égard du centrisme ? Qui donc, sinon des bureaucrates incurables, peut se fier aux seuls documents-papier ?

    Qui donc, sinon des rats d’archives, ne comprend pas qu’il faut vérifier les partis et les leaders, avant tout d’après leurs actes, et pas seulement d’après leurs déclarations ? L’histoire connaît nombre de socialistes qui signaient avec empressement n’importe quelle résolution révolutionnaire, pour se débarrasser des critiques importuns. Mais cela ne signifie pas encore qu’ils aient appliqué ces résolutions.

    L’histoire connaît, en outre, nombre de socialistes qui, l’écume aux lèvres, exigeaient des partis ouvriers des autres pays, des actions tout ce qu’il y a de plus révolutionnaires. Mais cela ne signifie pasencore qu’ils ne se soient pas effacés dans leur propre parti ou dans leur propre pays devant leurs opportunistes, devant leur bourgeoisie.

    N’est-ce pas pour cette raison que Lénine nous apprenait à vérifier les partis révolutionnaires, les courants et les leaders, non d’après leurs déclarations et résolutions, mais d’après leurs actes ?

    N’est-il pas clair que si Sloutski avait réellement voulu vérifier l’intransigeance de Lénine et des bolcheviks, quant à leur attitude envers le centrisme, il aurait dû mettre à la base de son article, non point des documents isolés et deux ou trois lettres personnelles, mais la vérification des bolcheviks par leur actes, par leur histoire, par leur activité ?

    Est-ce que chez nous, dans la social-démocratie russe, il n’y avait pas d’opportunistes, de centristes ?

    Est-ce que les bolcheviks n’ont pas mené une lutte décidée et intransigeante contre tous ces courants ? Est-ce que ces courants n’étaient pas liés, sur le terrain des idées et de l’organisation, aux opportunistes et aux centristes d’Occident ?

    Est-ce que les bolcheviks n’ont pas démoli les opportunistes et les centristes, comme ne l’a fait aucun groupe de gauche dans le monde ? Comment peut-on dire après cela que Lénine et les bolcheviks ont sous-estimé le danger du centrisme ? Pourquoi Sloutski a-t-il dédaigné ces faits, qui ont une importance décisive pour la caractéristique des bolcheviks ?

    Pourquoi n’a-t-il pas utilisé la méthode la plus sûre de vérification de Lénine et des bolcheviks d’après leurs actes, d’après leur activité ? Pourquoi a-t-il préféré cette méthode moins sûre, qui est de fouiller dans des papiers choisis au hasard ?

    Parce que le recours à cette méthode plus sûre qu’est la vérificationdes bolcheviks d’après leurs actes, aurait instantanément renversé toute la plate-forme de Sloutski.

    Parce que la vérification des bolcheviks d’après leurs actes aurait montré que les bolcheviks sont l’unique organisation révolutionnaire au monde qui ait totalement démoli les opportunistes et les centristes, et les ait chassés hors du Parti.

    Parce que l’évocation des actes réels de l’histoire réelle des bolcheviks aurait montré que les maîtres de Sloutski, les trotskistes, formaient le groupe principal et fondamental qui implantait en Russie le centrisme, et que ce groupe avait créé, à cet effet, une organisation spéciale, foyer du centrisme, sous la forme du bloc d’Août.

    Parce que la vérification des bolcheviks d’après leurs actes aurait définitivement démasqué Sloutski, comme falsificateur de l’histoire de notre Parti, falsificateur qui cherche à camoufler le centrisme du trotskisme d’avant-guerre, en accusant calomnieusement Lénine et les bolcheviks d’avoir sous-estimé le danger du centrisme.

    Voilà ce qu’il en est, camarades rédacteurs, de Sloutski et de son article.

    Vous voyez que la rédaction a commis une faute en permettant une discussion avec un falsificateur de l’histoire de notre Parti.

    Qu’est-ce qui a pu pousser la rédaction sur cette fausse route ? Je pense que ce qui l’a poussée sur cette route, c’est son libéralisme pourri, ce libéralisme qui, dans une certaine mesure, est répandu maintenant chez une partie des bolcheviks.

    Certains bolcheviks pensent que le trotskisme est une fraction du communisme, laquelle, il est vrai, se trompe, fait pas mal de bêtises, parfois même est anti-soviétique, mais est tout de même une fractiondu communisme.

    De là un certain libéralisme à l’égard des trotskistes et des gens d’esprit trotskiste. Il est à peine besoin de démontrer qu’un tel point de vue sur le trotskisme est profondément erroné et nuisible. En réalité, le trotskisme a, depuis longtemps déjà, cessé d’être une fraction du communisme.

    En réalité, le trotskisme est un détachement d’avant-garde de la bourgeoisie contre-révolutionnaire, qui mène la lutte contre le communisme, contre le pouvoir des Soviets, contre la construction du socialisme en U.R.S.S.

    Qui a donné à la bourgeoisie contre-révolutionnaire une arme spirituelle contre le bolchévisme, sous forme de thèses sur l’impossibilité de construire intégralement le socialisme dans notre pays, sur la dégénérescence inéluctable des bolcheviks, etc. ? Cette arme, c’est le trotskisme qui la lui a donnée.

    On ne peut considérer comme un hasard le fait que tous les groupements antisoviétiques en U.R.S.S. dans leurs tentatives de justifier l’inévitabilité de la lutte contre le pouvoir des Soviets, aient invoqué la thèse trotskiste bien connue sur l’impossibilité de construire intégralement le socialisme dans notre pays, sur la dégénérescence inéluctable du pouvoir des Soviets, sur le retour probable au capitalisme.

    Qui a donné à la bourgeoisie contre-révolutionnaire de l’U.R.S.S.

    une arme tactique sous forme de tentatives d’actions déclarées contre le pouvoir des Soviets ? Cette arme, ce sont les trotskistes qui la lui ont donnée lorsqu’ils tentèrent d’organiser des démonstrations antisoviétiques à Moscou et à Leningrad, le 7 novembre 1927. C’est un fait que les manifestations antisoviétiques des trotskistes ont redonné du courage à la bourgeoisie et déclenché le sabotage des spécialistes bourgeois.

    Qui a donné à la bourgeoisie contre-révolutionnaire une arme d’organisation sous forme de tentative de constitution d’organisations antisoviétiques clandestines ?

    Cette arme, ce sont les trotskistes qui la lui ont donnée lorsqu’ils organisèrent leur propre groupe illégal antibolchévik. C’est un fait que l’action antisoviétique clandestine des trotskistes a facilité la cristallisation organique des groupements antisoviétiques en U.R.S.S.

    Le trotskisme est un détachement d’avant-garde de la bourgeoisie contre-révolutionnaire.

    Voilà pourquoi le libéralisme à l’égard du trotskisme, même brisé et camouflé, est de l’imbécillité confinant au crime, à la trahison envers la classe ouvrière.

    Voilà pourquoi les tentatives de certains «littérateurs» et «historiens» pour faire passer en contrebande dans notre littérature le fatras trotskiste camouflé, doivent rencontrer la riposte vigoureuse des bolcheviks.

    Voilà pourquoi l’on ne peut permettre une discussion littéraire avec les contrebandiers trotskistes.

    Il me semble que les «historiens» et les «littérateurs» de la catégorie des contrebandiers trotskistes s’appliquent à faire leur travail de contrebande, pour le moment, dans deux directions.

    Premièrement, ils s’appliquent à démontrer que Lénine, dans la période d’avant-guerre, sous-estimait le danger du centrisme, et on laisse au lecteur non averti le soin de deviner que Lénine, par conséquent, n’était pas encore à ce moment-là un vrai révolutionnaire, qu’il ne l’est devenu qu’après la guerre, après s’être «réarmé» avec l’aide de Trotski.

    Sloutski est bien le représentant typique de ce genre de contrebandiers. Nous avons vu plus haut que Sloutski et consorts nevalent pas la peine que l’on perde son temps avec eux.

    En second lieu, ils s’appliquent à démontrer que Lénine, dans la période d’avant-guerre, ne comprenait pas la nécessité de la transformation de la révolution démocratique bourgeoise en révolution socialiste, et on laisse au lecteur inexpérimenté le soin de deviner que Lénine, par conséquent, n’était pas encore à ce moment-là un vrai bolchevik, qu’il n’a compris la nécessité de cette transformation qu’après la guerre, après s’être «réarmé», avec l’aide de Trotski.

    Volossévitch, l’auteur du Cours d’histoire du Parti communiste (bolchevik) de l’U.R.S.S., est bien le représentant typique de ce genre de contrebandiers.

    Il est vrai que déjà en 1905 Lénine écrivait : «La révolution démocratique faite, nous aborderons aussitôt, et dans la mesure précise de nos forces, dans la mesure des forces du prolétariat conscient et organisé, — la voie de la révolution socialiste. Nous sommes pour la révolution ininterrompue. Nous ne nous arrêterons pas à moitié chemin.» Il est vrai que l’on pourrait trouver dans les œuvres de Lénine une multitude de faits et de documents analogues.

    Mais les Volossévitch n’ont cure des faits tirés de la vie et de l’activité de Lénine. Les Volossévitch écrivent pour pouvoir, après s’être maquillés en bolcheviks, faire passer leur contrebande anti­ léniniste, calomnier les bolcheviks et falsifier l’histoire du Parti bolchevik.

    Vous voyez que les Volossévitch valent les Sloutski.

    Tels sont les «tours et détours» des contrebandiers trotskistes.

    Vous comprenez vous-mêmes que ce n’est pas à la rédaction de faciliter l’activité contrebandière de pareils «historiens», en mettant à leur disposition une tribune de discussion.

    La tâche de la rédaction consiste, selon moi, à élever les problèmesde l’histoire du bolchévisme à la hauteur voulue, à orienter l’étude de

    l’histoire de notre Parti dans une voie scientifique, bolchevique, et à aiguiller l’attention contre les falsificateurs trotskistes et autres de l’histoire de notre Parti, en leur arrachant systématiquement leurs masques.

    Cela est d’autant plus nécessaire que même certains de nos historiens, — je parle des historiens sans guillemets, des historiens bolcheviks de notre Parti, — ne sont pas exempts d’erreurs qui portent l’eau au moulin des Sloutski et des Volossévitch.

    Malheureusement, ici, ne fait pas exception non plus le camarade Iaroslavski dont les livres sur l’histoire du Parti communiste (bolchevik) de l’U.R.S.S, malgré leurs mérites, contiennent une série d’erreurs d’ordre doctrinal et historique.

    Salutations communistes.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Aux Citoyens. Vive le drapeau rouge !

    Tract édité par l’imprimerie du Comité de Tiflis du P.O.S.D.R.

    Signé : le Comité de Tiflis.

    15 Février 1905

       Grands espoirs et grandes déceptions ! Au lieu de haines nationales, l’amour mutuel et la confiance ! Au lieu d’un pogrom fratricide, une grandiose manifestations contre le tsarisme, fauteur de pogroms ! Les espoirs du gouvernement tsariste se sont effondrés : il n’a pas réussi à dresser les unes contre les autres les nationalités de Tiflis !…

       Il y a fort longtemps que le gouvernement tsariste s’efforce d’exciter les prolétaires les uns contre les autres, longtemps qu’il cherche à disloquer le mouvement général du prolétariat. C’est pour cela qu’il a organisé des pogroms à Gomel, Kichinev et ailleurs.

    C’est dans ce but encore qu’il a provoqué à Bakou une guerre fratricide. Et voilà qu’enfin les regards du gouvernement tsariste se sont arrêtés sur Tiflis. Il a décidé de monter ici, au centre du Caucase, une tragédie sanglante pour la faire jouer ensuite dans les provinces !

    Pensez donc : exciter les unes contre les autres les nationalités du Caucase et noyer dans son propre sang le prolétariat caucasien ! Le gouvernement tsariste se frottait les mains.

    Il a même fait diffuser des tracts appelant à courir sus aux Arméniens. Et il comptait bien sur un succès.

    Mais voilà que tout à coup, le 13 février, une foule de plusieurs milliers d’Arméniens, de Géorgiens, de Tatars et de Russes, comme pour contrecarrer les desseins du gouvernement tsariste, se réunit dans l’enceinte de la cathédrale de Vank ; et là, ils jurent de se soutenir mutuellement « pour lutter contre le démon qui sème entre nous la discorde ».

    L’unanimité est complète. Des discours appelant à « l’union » sont prononcés. La foule applaudit les orateurs. Trois mille exemplaires de nos tracts sont diffusés.

    On se les arrache. L’enthousiasme grandit. Bravant le gouvernement, on décide de se réunir le lendemain dans l’enceinte de cette même cathédrale pour « jurer », une fois encore, « de s’aimer les uns les autres ».

       Le 14 février. Toute l’enceinte de la cathédrale et les rues adjacentes sont noires de monde. Nos tracts sont diffusés et lus ouvertement. la masse se scinde en groupes, discute le contenu des tracts. Des discours sont prononcés.

    L’enthousiasme va croissant. On décide de manifester en défilant devant la cathédrale de Sion et la mosquée, de « jurer de s’aimer les uns les autres », de s’arrêter au cimetière persan, de prêter serment encore une fois puis de se disperser.

    La foule fait ce qu’elle a décidé. Chemin faisant, près de la mosquée et au cimetière persan, des discours sont prononcés, on distribue nos tracts (il en a été diffusé 12.000 ce jour là).

    L’enthousiasme de la foule grandit toujours. L’énergie révolutionnaire accumulée cherche à s’extérioriser.

    La foule décide de manifester rue du Palais, sur la perspective Golovinski, et de ne se disperser qu’ensuite. Notre comité profite des circonstances pour organiser séance tenante un petit noyau dirigeant. Ce noyau, un ouvrier d’avant-garde à sa tête, se met au centre, et un drapeau rouge improvisé est déployé devant le palais même.

    Le porte-drapeau, juché sur les épaules de manifestants, prononce un discours nettement politique où il demande avant tout aux camarades de na pas se laisser troubler par l’absence d’un appel social-démocrate sur le drapeau. « Non, non , répondent les manifestants, il est dans nos cœurs ! »

    Il explique ensuite la signification du drapeau rouge, critique les orateurs précédents d’un point de vue social-démocrate, dénonce l’insuffisance de leurs discours, affirme la nécessité de renverser le tsarisme et le capitalisme et appelle les manifestants à lutter sous le drapeau rouge de la social-démocratie.

    « Vive le drapeau rouge ! » répond la foule. Les manifestants se dirigent vers la cathédrale de Vank. A trois reprises, ils s’arrêtent en chemin pour écouter le porte-drapeau. Celui-ci appelle de nouveau les manifestants à lutter contre le tsarisme et demande qu’on prête le serment de se retrouver pour l’insurrection aussi unanimes qu’aujourd’hui à la manifestation.

    « Nous le jurons ! » répond la foule. Puis les manifestants arrivent à la cathédrale de Vank et, après une légère échauffourée avec les cosaques, se dispersent.

       Telle a été « la manifestation de 8.000 citoyens de Tiflis ».

       C’est ainsi que les citoyens de Tiflis ont riposté à la politique pharisaïque du gouvernement tsariste. C’est ainsi qu’ils ont tiré vengeance de ce gouvernement infâme qui a versé le sang des citoyens de Bakou. Gloire et honneur aux citoyens de Tiflis !

       Devant les milliers de citoyens de Tiflis rassemblés sous les plis du drapeau rouge et qui ont à plusieurs reprises condamné à mort le gouvernement tsariste, les infâmes valets d’un gouvernement infâme ont dû reculer. Ils ont renoncé au pogrom.

       Est-ce à dire, citoyens, que le gouvernement du tsar ne cherchera plus à organiser de pogroms ? Tant s’en faut ! Aussi longtemps qu’il subsistera et plus il sentira le sol se dérober sous ses pieds, plus il aura recours aux pogroms. le seul moyen de faire cesser les pogroms, c’est d’abattre l’autocratie tsariste.

       Vous tenez à votre vie et à celle de vos proches ? Vous chérissez vos amis, vos parents, et vous ne voulez pas de pogroms ? Sachez alors, citoyens, que c’est seulement en mettant fin au tsarisme que l’on mettra fin aux pogroms et aux effusions de sang qu’ils entraînent !

       Renverser l’autocratie tsariste : voilà à quoi vous devez vous efforcer avant tout !

       Vous voulez mettre fin à toute haine nationale ? Vous cherchez à réaliser la solidarité complète des peuples ? Sachez alors, citoyens, que c’est seulement en mettant fin à l’inégalité, en supprimant le capitalisme, que l’on mettra fin aux différents nationaux !

       Le triomphe du socialisme, voilà en fin de compte à quoi vous devez tendre !

       Mais qui balaiera de la surface de la terre l’odieux régime tsariste, qui vous délivrera des pogroms ? Le prolétariat, dirigé par la social-démocratie.

       Et qui détruira le régime capitaliste, qui fera régner sur la terre la solidarité internationale ? Encore une fois, le prolétariat, dirigé par cette même social-démocratie.

       Le prolétariat, et le prolétariat seul, conquerra pour vous la liberté et la paix.

       Ralliez-vous donc autour du prolétariat et rangez-vous sous le drapeau de la social-démocratie !

    A bas l’autocratie tsariste !
    Vive la République démocratique !
    A bas le capitalisme !
    Vive le socialisme !
    Vive le drapeau rouge !

    =>Oeuvres de Staline

  • Bernard Mandeville : La Fable des abeilles (1705)

    Bernard Mandeville

    La Fable des abeilles

    La ruche murmurante ou les fripons devenus honnêtes gens

    Un nombreux essaim d’abeilles habitait une ruche spacieuse. Là, dans une heureuse abondance, elles vivaient tranquilles. Ces mouches, célèbres par leurs lois, ne l’étaient pas moins par le succès de leurs armes, et par la manière dont elles se multipliaient. Leur domicile était un séminaire parfait de science et d’industrie.

    Jamais abeilles ne vécurent sous un plus sage gouvernement : cependant, jamais il n’y en eut de plus inconstantes et de moins satisfaites.

    Elles n’étaient, ni les malheureuses esclaves d’une dure tyrannie, ni exposées aux cruels désordres de la féroce démocratie. Elles étaient conduites par des rois qui ne pouvaient errer, parce que leur pouvoir était sagement borné par les lois.

    Ces insectes, imitant tout ce qui se fait à la ville, à l’armée ou au barreau, vivaient parfaitement comme les hommes et exécutaient, quoiqu’en petit, toutes leurs actions. Les merveilleux ouvrages opérés par l’adresse incomparable de leurs petits membres, échappaient à la faible vue des humains : cependant il n’est parmi nous, ni machine, ni ouvriers, ni métiers, ni vaisseaux, ni citadelles, ni armes, ni artisans, ni ruses, ni science, ni boutiques, ni instruments, en un mot, il n’y a rien de tout ce qui se voit parmi les hommes dont ces animaux industrieux ne se servissent aussi.

    Comme donc leur langage nous est inconnu, nous ne pouvons parler de ce qui les concerne qu’en employant nos expressions.

    L’on convient assez généralement qu’entre autres choses dignes d’être remarquées, ces animaux ne connaissaient point l’usage des cornets ni des dés ; mais puisqu’ils avaient des rois, et par conséquent des gardes, on peut naturellement présumer qu’ils connaissaient quelque espèce de jeux. Vit-on en effet jamais d’officiers et de soldats qui s’abstînssent de cet amusement ?

    La fertile ruche était remplie d’une multitude prodigieuse d’habitants, dont le grand nombre contribuait même à la prospérité commune. Des millions étaient occupés à satisfaire la vanité et l’ambition d’autres abeilles, qui étaient uniquement employées à consumer les travaux des premières. Malgré une si grande quantité d’ouvriers, les désirs de ces abeilles n’étaient pas satisfaits. Tant d’ouvriers, tant de travaux, pouvaient à peine fournir au luxe de la moitié de la nation.

    Quelques-uns, avec de grands fonds et très peu de peines, faisaient des gains très considérables. D’autres, condamnés à manier la faux et la bêche, ne gagnaient leur vie qu’à la sueur de de leur visage, & en épuisant leurs forces par les occupations les plus pénibles. L’on en voyait cependant d’autres qui s’adonnaient à des Emplois tout mystérieux, qui ne demandaient ni apprentissage, ni fonds, ni soins.

    Tels étaient les CHEVALIERS D’INDUSTRIE, les PARASITES, les COURTIERS D’AMOUR, les JOUEURS, les FILOUX, les FAUX-MONNAYEURS, les EMPIRIQUES, les DEVINS, & en général tous ceux qui haïssant la lumière tournaient par de sourdes pratiques à leur avantage, le travail de leurs Voisins, qui incapables eux-mêmes de tromper, étaient moins défiants.

    On appelait ces gens-là des FRIPONS : mais ceux dont l’industrie était plus respectée, quoique dans le fond peu différents des premiers, recevaient un nom plus honorable. Les artisans de chaque profession, tous ceux qui exerçaient quelque emploi, ou quelque charge, avaient quelque espèce de friponnerie qui leur était propre. C’était les subtilités de l’art, et les tours de bâton.

    Comme s’ils n’eussent pu, sans l’instruction d’un procès, distinguer le légitime d’avec l’illégitime, ils avaient des jurisconsultes occupés à entretenir des animosités, et à susciter de mauvaises chicanes. C’était le fin de leur art. Les lois leur fournissaient des moyens pour ruiner leurs parties et pour profiter adroitement des biens engagés.

    Uniquement attentifs à tirer de précieux honoraires, ils ne négligeaient rien pour empêcher qu’on ne terminât par voie d’accommodement les difficultés.

    Pour défendre une mauvaise cause, ils épluchaient les lois avec la même exactitude et dans le même but que les voleurs examinent les maisons et les boutiques. C’était uniquement pour découvrir l’endroit faible dont ils pourraient se prévaloir.

    Les médecins préféraient la réputation à la science, et les richesses au rétablissement de leurs malades. La plupart, au lieu de s’appliquer à l’étude des règles de l’art, s’étudiaient à prendre une démarche composée.

    Des regards graves, un air pensif, étaient tout ce qu’ils possédaient pour se donner la réputation de gens doctes. Tranquilles sur la santé des patients, ils travaillaient seulement à acquérir les louanges des accoucheuses, des prêtres, et de tous ceux qui vivaient du produit des naissances ou des funérailles.

    Attentifs à ménager la faveur du sexe babillard, ils écoutaient avec complaisance les vieilles recettes de la tante de Madame.

    Les chalands et toute leur famille étaient soigneusement ménagés. Un sourire affecté, des regards gracieux, tout était mis en usage et servait à captiver ces esprits déjà prévenus. Il n’y avait pas même jusques aux gardes dont ils ne souffrirent les impertinences.

    Entre le grand nombre des Prêtres de Jupiter, gagés pour attirer sur la ruche la bénédiction d’en haut, il n’y en avait que bien peu qui eussent de l’éloquence et du savoir. La plupart étaient même aussi emportés qu’ignorants.

    On découvrait leur paresse, leur incontinence, leur avarice et leur vanité, malgré les soins qu’ils prenaient pour dérober aux yeux du public ces défauts. Ils étaient fripons comme des tailleurs, et intempérants comme des matelots.

    Quelques-uns à face blême, couverts d’habits déchirés, priaient mystiquement pour avoir du pain. Ils espéraient de recevoir de plus grosses récompenses ; mais à la lettre ils n’obtenaient que du pain.

    Et tandis que ces sacrés esclaves mouraient de faim, les fainéants pour qui ils officiaient étaient bien à leur aise. On voyait sur leurs visages de prospérité, la santé et l’abondance dont ils jouissaient.

    Les soldats qui avaient été mis en fuite, étaient comblés d’Honneur, s’ils avaient le bonheur d’échapper à l’épée victorieuse, quoiqu’il y en eut plusieurs qui fussent de vrais poltrons, qui n’aimaient point le carnage. Si quelque vaillant général mettait en déroute les ennemis, il se trouvait quelque personne qui, corrompue par des présents, facilitait leur retraite.

    Il y avait des guerriers qui affrontant le danger, paraissaient toujours dans les endroits les plus exposés.

    D’abord ils y perdaient une jambe, ensuite ils y laissaient un bras, et enfin, lorsque toutes ces diminutions les avaient mis hors d’état de servir, on les renvoyait honteusement à la demi-paye ; tandis que d’autres, qui plus prudents n’allaient jamais au combat, tiraient la double paye, pour rester tranquilles chez eux.

    Leurs Rois étaient à tous égards mal servis. Leurs propres Ministres les trompaient. Il y en avait à la vérité plusieurs qui ne négligeaient rien pour avancer les intérêts de la couronne ; mais en même temps ils pillaient impunément le trésor qu’ils travaillaient à enrichir.

    Ils avaient l’heureux talent de faire une très belle dépense, quoique leurs appointements fussent très chétifs ; et encore se vantaient-ils d’être fort modestes.

    Donnaient-ils trop d’étendue à leurs droits ? ils appelaient cela leurs tours de bâton. Et même s’ils craignaient qu’on ne comprît leur jargon, ils se servaient du terme d’Emoluments, sans qu’ils voulussent jamais parler naturellement et sans déguisement de leurs gains.

    Car il n’y avait pas une abeille qui ne se fut très bien contentée, je ne dis pas de ce que gagnaient effectivement ces ministres, mais seulement de ce qu’ils laissaient paraître de leurs gains.

    Ils ressemblaient à nos joueurs qui, quoiqu’ils aient joué beau jeu, ne diront cependant jamais en présence des perdants tout ce qu’ils ont gagné.

    Qui pourrait détailler toutes les fraudes qui se commettaient dans cette ruche ?

    Celui qui achetait des immondices pour engraisser son pré, les trouvait falsifiés d’un quart de pierres et de mortier inutiles et encore, quoique dupe, il n’aurait pas eu bonne grâce d’en murmurer, puisqu’à son tour il mêlait parmi son beurre une moitié de sel.

    La justice même, si renommée pour sa bonne foi quoiqu’aveugle, n’en était pas moins sensible au brillant éclat de l’or. Corrompue par des présents, elle avait souvent fait pencher la balance qu’elle tenait dans sa main gauche.

    Impartiale en apparence, lorsqu’il s’agissait d’infliger des peines corporelles, de punir des meurtres et d’autres grands crimes, elle avait même souvent condamné au supplice des gens qui avaient continué leurs friponneries après avoir été punis du pilori.

    Cependant on croyait communément que l’épée qu’elle portait ne frappait que les abeilles qui étaient pauvres et sans ressources ; et que même cette déesse faisait attacher à l’arbre maudit des gens qui, pressés par la fatale nécessité, avaient commis des crimes qui ne méritaient pas un pareil traitement. Par cette injuste sévérité, on cherchait à mettre en sûreté le grand et le riche.

    Chaque ordre était ainsi rempli de vices, mais la Nation même jouissait d’une heureuse prospérité. Flattée dans la paix, on la craignait dans la guerre. Estimée chez les étrangers, elle tenait la balance des autres ruches.

    Tous ses membres à l’envi prodiguaient pour sa conservation leurs vies et leurs biens. Tel était l’état florissant de ce peuple. Les vices des particuliers contribuaient à la félicité publique.

    Dès que la vertu, instruite par les ruses politiques, eut appris mille heureux tours de finesse, et qu’elle se fut liée d’amitié avec le vice, les plus scélérats faisaient quelque chose pour le bien commun.

    Les fourberies de l’Etat conservaient le tout, quoique chaque citoyen s’en plaignît. L’harmonie dans un concert résulte d’une combinaison de sons qui sont directement opposés.

    Ainsi les membres de la société, en suivant des routes absolument contraires, s’aidaient comme par dépit. La tempérance et la sobriété des uns facilitait l’ivrognerie et la gloutonnerie des autres.

    L’avarice, cette funeste racine de tous les maux, ce vice dénaturé et diabolique, était esclave du noble défaut de la prodigalité.

    Le luxe fastueux occupait des millions de pauvres. La vanité, cette passion si détestée, donnait de l’occupation à un plus grand nombre encore. L’envie même et l’amour-propre, ministres de l’industrie, faisaient fleurir les arts et le commerce.

    Les extravagances dans le manger et dans la diversité de mets, la somptuosité dans les équipages et dans les ameublements, malgré leur ridicule, faisaient la meilleure partie du négoce.

    Toujours inconstant, ce peuple changeait de lois comme de modes. Les règlements qui avaient été sagement établis étaient annulés et on leur en substituait bientôt de tout opposés. Cependant en altérant ainsi leurs anciennes lois et en les corrigeant, ils prévenaient des fautes qu’aucune prudence n’aurait pu prévoir.

    C’est ainsi que le vice produisant la ruse, et que la ruse se joignant à l’industrie, on vit peu à peu la ruche abonder de toutes les commodités de la vie.

    Les plaisirs réels, les douceurs de la vie, l’aise et le repos étaient devenus des biens si communs que les pauvres mêmes vivaient plus agréablement alors que les riches ne le faisaient auparavant. On ne pouvait rien ajouter au bonheur de cette société.

    Mais hélas ! quelle n’est pas la vanité de la félicité des pauvres mortels ? A peine ces abeilles avaient-elles goûté les prémices du bonheur, qu’elles éprouvèrent qu’il est même au dessus du pouvoir des Dieux de rendre parfait le séjour terrestre.

    La troupe murmurante avait souvent témoigné qu’elle était satisfaite du gouvernement et des ministres ; mais au moindre revers, elle changea d’idées. Comme si elle eût été perdue sans retour, elle maudit les politiques, les armées et les flottes.

    Ces Abeilles réunissant leurs plaintes, on entendait de tous côtés ces paroles : Maudites soient toutes les fourberies qui règnent parmi nous. Cependant chacune se les permettait encore ; mais chacune avait la cruauté de ne vouloir point en accorder l’usage aux autres.

    Un personnage qui avait amassé d’immenses richesses en trompant son Maître, le Roi et le Pauvre, osait crier de toute sa force : Le pays ne peut manquer de périr pour toutes ses injustices. Et qui pensez-vous que fut ce rigide sermoneur ?

    C’était un gantier qui avait vendu toute sa vie et qui vendait actuellement des peaux de mouton pour des cabrons. Il ne faisait pas la moindre chose dans cette société qui ne contribuât au bien public. Cependant tous les fripons criaient avec impudence : Bon Dieux ! accordez-nous seulement la probité.

    Mercure (1) ne put s’empêcher de rire à l’ouïe d’une prière si effrontée. Les autres Dieux dirent qu’il y avait de la stupidité à blâmer ce que l’on aimait. Mais Jupiter, indigné de ces prières, jura enfin que cette troupe criailleuse serait délivrée de la fraude dont elle se plaignait.

    Il dit : Au même instant l’honnêteté s’empara de tous les cœurs. Semblable à l’arbre instructif, elle dévoila les yeux de chacun, elle leur fit apercevoir ces crimes qu’on ne peut contempler sans honte.

    Ils se confessaient coupables par leurs discours et surtout par la rougeur qu’excitait sur leurs visages l’énormité de leurs crimes. C’est ainsi que les enfants qui veulent cacher leurs fautes, trahis par leur couleur, s’imaginent que dès qu’on les regarde, on lit sur leur visage mal assuré la mauvaise action qu’ils ont faite.

    Mais grand Dieux ! quelle consternation ! quel subit changement ! En moins d’une heure le prix des denrées diminua partout. Chacun, depuis le Ministre d’Etat jusqu’au Villageois arracha le masque d’hypocrisie qui le couvrait.

    Quelques-uns, qui étaient très bien connus auparavant, parurent des étrangers quand ils eurent pris des manières naturelles.

    Dès ce moment, le Barreau fut dépeuplé. Les débiteurs acquittaient volontairement leurs dettes, sans en excepter même celles que leurs créditeurs avaient oubliées. On les cédait généreusement à ceux qui n’étaient pas en état de les satisfaire. S’élevait-il quelque difficulté, ceux qui avaient tort restaient modestement dans le silence.

    On ne voyait plus de procès où il entrât de la mauvaise foi et de la vexation. Personne ne pouvait plus acquérir des richesses. La vertu et l’honnêteté régnaient dans la Ruche. Qu’est-ce donc que les avocats y auraient fait ? Aussi tous ceux qui avant la révolution n’avaient pas eu le bonheur de gagner du bien, désespérés ils pendaient leur écritoire à leur côté et se retiraient.

    La justice, qui jusqu’alors avait été occupée à faire pendre certaines personnes, avait donné la liberté à ceux qu’elle tenait prisonniers.

    Mais dès que les prisons eurent été nettoyées, la déesse qui y préside devenant inutile, elle se fit contraint de se retirer avec son train et tout son bruyant attirail. D’abord paraissaient quelques SERRURIERS chargés de serrures, de verrous, de grilles, de chaînes et de portes garnies de barres de fer. Ensuite venaient les Geôliers, les GUICHETIERS et leurs suppôts.

    La déesse paraissait alors précédée de son fidèle ministre l’écuyer Carnifex, le grand exécuteur de ses ordres sévères. Il n’était point armé de son épée imaginaire (2), à la place il portait la hache et la corde. Dame Justice aux yeux bandés, assise sur un nuage, fut chassée dans les airs accompagnée de ce cortège. Autour de son char et derrière il y avait ses sergents, huissiers, et ses domestiques de toute espèce qui se nourrissent des larmes des infortunés.

    La RUCHE avait des MEDECINS, tout comme avant la révolution. Mais la médecine, cet art salutaire, n’était plus confiée qu’à d’habiles gens. Ils étaient en si grand nombre, et si bien répandus dans la ruche qu’ils n’y en avait aucun qui eut besoin de se servir de voiture.

    Leurs vaines disputes avaient cessé. Le soin de délivrer promptement les patients était ce qui les occupait uniquement. Pleins de mépris pour les drogues qu’on apporte des pays étrangers, ils se bornaient aux simples que produit le pays.

    Persuadés que les Dieux n’envoient aucune maladie aux Nations sans leur donner en même temps les vrais remèdes, ils s’attachaient à découvrir les propriétés des plantes qui croissaient chez eux.

    LES RICHES ECCLESIASTIQUES, revenus de leur honteuse paresse ne faisaient plus desservir leurs églises par des abeilles prises à la journée. Ils officiaient eux-mêmes. La probité dont ils étaient animés les engageait à offrir des prières et des sacrifices.

    Tous ceux qui ne se sentaient pas capables de s’acquitter de ces devoirs ou qui croyaient qu’on pouvait se passer de leurs soins, résignaient sans délai leurs emplois.

    Il n’y avait pas assez d’occupation pour tant de personnes, si même il en restait pour quelques-uns. Le nombre en diminua donc considérablement. Ils étaient tous modestement soumis au GRAND PRETRE, qui uniquement occupé des affaires religieuses, abandonnait aux autres les affaires d’Etat. Le chef sacré, devenu charitable, n’avait pas la dureté de chasser de sa porte les pauvres affamés.

    Jamais on n’entendait dire qu’il retranchât quelque chose du salaire de l’indigent. C’était au contraire chez lui que l’affamé trouvait de la nourriture, le mercenaire du pain, l’ouvrier nécessiteux sa table et son lit.

    Le changement ne fut pas moins considérable parmi les premiers ministres du roi et tous les officiers subalternes.

    Économes et tempérants alors, leurs pensions leur suffisaient pour vivre. Si une pauvre Abeille fut venue dix fois pour demander le juste paiement d’une petite somme, et que quelques Commis bien payé l’eut obligé, ou de lui faire présent d’un écu, ou de ne jamais recevoir son paiement, on aurait ci-devant appelé une pareille alternative, le tour de bâton du commis ; mais pour lors on lui aurait tout naturellement donné le nom de friponnerie manifeste.

    Une SEULE Personne suffisait pour remplir les places qui en exigeaient trois avant l’heureux changement.

    On n’avait plus besoin de donner des collègues pour éclairer les actions de ceux à qui l’on confiait le maniement des affaires. Les magistrats ne se laissaient plus corrompre ? et ils ne cherchaient plus à faciliter les larcins des autres. Un seul faisait alors mille fois plus d’ouvrage que plusieurs n’en faisaient auparavant.

    (R)* Il n’y avait plus d’honneur à faire figure aux dépens de ses créditeurs. Les Livrées étaient pendues dans les boutiques des Fripiers.

    Ceux qui brillaient par la magnificence de leurs carrosses les vendaient pour peu de chose. La noblesse se défaisait de tous ses superbes chevaux si bien appariés, et même de leurs campagnes pour payer leurs dettes.

    On évitait la vaine dépense avec le même soin qu’on fuyait la fraude. On n’entretenait plus d’Armée dehors. Méprisant l’estime des étrangers, et la gloire frivole qui s’acquiert par les armes, on ne combattait plus que pour défendre la patrie contre ceux qui en voulaient à ses droits et à sa liberté.

    Jetez présentement les yeux sur la ruche glorieuse. Contemplez l’accord admirable qui règne entre les commerces et la bonne foi. Les obscurités qui couvraient ce spectacle ont disparu. Tout se voit à découvert. Que les choses ont changé de face !

    Ceux qui faisaient des dépenses excessives et tous ceux qui vivaient de ce luxe furent forcés de se retirer. En vain ils tentèrent de nouvelles occupations ; elles ne purent leur fournir le nécessaire.

    Le prix des fonds et des bâtiments tomba. Les palais enchantés dont les murs semblables à ceux de Thèbes avaient été élevés par la musique, étaient déserts (3).

    Les grands qui auraient mieux aimé perdre la vie que de voir effacer les titres fastueux gravés sur leurs superbes portiques, se moquaient aujourd’hui de ces vaines inscriptions. L’architecture, cet art merveilleux, fut entièrement abandonné. Les artisans ne trouvaient plus personne qui voulut les employer.

    Les peintres ne se rendaient plus célèbres par leur pinceau. Le sculpteur, le graveur, le ciseleur et le statuaire n’étaient plus nommés dans la Ruche.

    Le peu d’abeilles qui restèrent vivaient chétivement. On n’était plus en peine comment on dépenserait son argent, mais comment on s’y prendrait pour vivre. En payant leur compte à la taverne, elles prenaient la résolution de n’y remettre jamais le pied.

    On ne voyait plus de salope cabaretière qui gagnât assez pour porter des habits de drap d’or. Torcol ne donnait plus de grosses sommes pour avoir du Bourgogne et des ortolans.

    Le courtisan qui se piquant de régaler le jour de Noël sa maîtresse de pois verts, dépensait en deux heures autant qu’une compagnie de cavalerie aurait dépensé en deux jours, plia bagage, et se retira d’un si misérable pays.

    La fière Cloé dont les grands airs avaient autrefois obligé son trop facile mari de piller l’Etat, vend à présent son équipage composé des plus riches dépouilles des Indes. Elle retranche sa dépense et porte toute l’année le même habit. Le siècle léger et changeant est passé. Les modes ne se succèdent plus avec cette bizarre inconstance.

    Dès lors, tous les ouvriers qui travaillaient les riches étoffes de soie et d’argent et tous les artisans qui en dépendent, se retirent. Une paix profonde règne dans ce séjour ; elle a à sa suite l’abondance. Toutes les manufactures qui restent ne fabriquent que des étoffes les plus simples ; cependant elles sont toutes fort chères.

    La nature bienfaisante n’étant plus contrainte par l’infatigable jardinier, elle donne, à la vérité, ses fruits dans sa saison ; mais aussi elle ne produit plus ni raretés, ni fruits précoces.

    A mesure que la vanité et le luxe diminuaient, on voyait les anciens habitants quitter leur demeure. Ce n’était plus ni les marchands, ni les compagnies qui faisaient tomber les manufactures, c’était la simplicité et la modération de toutes les abeilles. Tous les métiers et tous les arts étaient négligés. Le contentement, cette peste de l’industrie, leur fait admirer leur grossière abondance. Ils ne recherchent plus la nouveauté, ils n’ambitionnent plus rien.

    C’est ainsi que la ruche étant presque déserte, ils ne pouvaient se défendre contre les attaques de leurs ennemis cent fois plus nombreux. Ils se défendirent cependant avec toute la valeur possible, jusqu’à ce que quelques-uns d’entre eux eussent trouvé une retraite bien fortifiée. C’est là qu’ils résolurent de s’établir ou de périr dans l’entreprise. Il n’y eut aucun traître parmi eux. Tous combattirent vaillamment pour la cause commune. Leur courage et leur intégrité furent enfin couronnés de la victoire.

    Ce triomphe leur coûta néanmoins beaucoup. Plusieurs milliers de ces valeureuses abeilles périrent.

    Le reste de l’essaim, qui s’était endurci à la fatigue et aux travaux, crut que l’aise et le repos qui mettait si fort à l’épreuve leur tempérance, était un vice. Voulant donc se garantir tout d’un coup de toute rechute, toutes ces abeilles s’envolèrent dans le sombre creux d’un arbre où il ne leur reste de leur ancienne félicité que le Contentement et l’Honnêteté.

    MORALITÉ

    Quittez donc vos plaintes, mortels insensés ! En vain vous cherchez à associer la grandeur d’une Nation avec la probité. Il n’y a que des fous qui puissent se flatter de jouir des agréments et des convenances de la terre, d’être renommés dans la guerre, de vivre bien à son aise et d’être en même temps vertueux. Abandonnez ces vaines chimères.

    Il faut que la fraude, le luxe et la vanité subsistent, si nous voulons en retirer les doux fruits. La faim est sans doute une incommodité affreuse. Mais comment sans elle pourrait se faire la digestion d’où dépend notre nutrition et notre accroissement.

    Ne devons-nous pas le vin, cette excellent liqueur, à une plante dont le bois est maigre, laid et tortueux ? Tandis que ses rejetons négligés sont laissés sur la plante, ils s’étouffent les uns les autres et deviennent des sarments inutiles. Mais si ces branches sont étayées et taillées, bientôt devenus fécondes, elles nous font part du plus excellent des fruits.

    C’est ainsi que l’on trouve le vice avantageux, lorsque la justice l’émonde, en ôte l’excès, & le lie.

    Que dis-je !

    Le vice est aussi nécessaire dans un Etat florissant que la faim est nécessaire pour nous obliger à manger. Il est impossible que la vertu seule rende jamais une Nation célèbre et glorieuse. Pour y faire revivre l’heureux siècle d’or, il faut absolument outre l’honnêteté reprendre le gland qui servait de nourriture à nos premiers Pères.

    Fin de la Fable des Abeilles

    1. C’est le dieu des Larrons
    2. On ne se sert dans les Exécutions en Angleterre que de la Hache pour trancher la tête, jamais de l’Épée. C’est pour cela qu’il donne le nom d’imaginaire à cette Épée qu’on attribue au Bourreau.
    3. L’auteur veut parler des Bâtiments élevés pour l’Opéra et la Comédie. Amphion, après avoir chassé Cadmus et sa Femme du lieu de leur demeure, y bâtit la Ville de Thèbes, en y attirant les pierres avec ordre et mesure, par l’harmonie merveilleuse de son divin Luth.

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  • Jean Bodin : La justice harmonique (1583)

    La justice Harmonique. Mais il ne suffit pas d’avoir ainsi disposé ces quatre points en proportion Géométrique, et en partie Arithmétique, si on ne les couple ensemble par proportion Harmonique, qui unit et conjoint les deux nombres du milieu, 6 et 8 et le second au quart, et le premier au tiers, dont il résulte une harmonie mélodieuse, composée de la quarte, de la quinte et des octaves.

    Autrement, si vous ôtez le lien Harmonique de la quarte, qui est entre 6 et 8, la proportion Géométrique demeurera disjointe ; et si vous disposez les quantités en proportion Géométrique continue, l’Harmonie périra, comme on peut voir en ces quatre nombres 2, 4, 8, 16 où les raisons se trouvent bien conjointes en quelque sorte qu’on les prenne.

    Mais il ne s’en peut faire aucun accord, et aussi peu si vous disposez les nombres en proportion Arithmétique, car l’une et l’autre sont aussi différentes de l’harmonique comme l’eau bouillante et glacée sont différentes [de] l’eau tiède.

    En cas pareil, nous dirons, que si le Prince, ou le peuple, ou la noblesse ayant la souveraineté, soit en Monarchie, ou état Aristocratique, ou populaire, se gouverne sans aucune loi, laissant le tout à la discrétion des Magistrats ou, par soi-même, distribuant les peines et loyers selon la grandeur ou qualité d’un chacun, [bien] que cela soit beau en apparence, [quoiqu’il] n’y eût fraude ni faveur (chose toutefois impossible), néanmoins, ce gouvernement ne peut être durable ni assuré, parce qu’il n’y a point de lien des grands aux petits, ni par conséquent accord aucun ; beaucoup moins y aura-t-il de sûreté si tout se gouverne par égalité et lois immuables, sans accommoder l’équité à la variété particulière des lieux, des temps, et des personnes.

    Gouvernement de [la] République par forme Arithmétique, Géométrique, Harmonique.

    Et tout ainsi que deux simples en extrémité de froideur et de chaleur sont autant de poisons, et, néanmoins, composés et tempérés l’un avec l’autre font une médecine fort salutaire, [de même] aussi ces deux proportions de gouvernement, Arithmétique et Géométrique, l’un par lois seulement, l’autre à l’arbitrage du gouverneur sans lois, ruinent les Républiques : et composés ensemble par proportion Harmonique [ces deux proportions de gouvernement] servent à maintenir les états.

    Et, par ainsi, Aristote s’est abusé de dire que l’état serait bienheureux, qui aurait un si bon Prince, qu’il ne fût jamais vaincu de faveur, ni de passion quelconque : on n’aurait, dit-il, que faire de lois.

    Or il est certain que la loi n’est pas faite pour ceux qui tiennent la souveraineté, comme nous avons montré en son lieu, [mais] pour les magistrats principalement, qui ont bien souvent les yeux si bandés de passions, ou de concussions, ou d’ignorance, qu’ils ne sauraient voir un seul trait de la beauté de justice.

    Et quand [bien même] ils seraient Anges, ou qu’ils ne pourraient aucunement faillir, si est-ce que les sujets ont affaire de loi comme d’un flambeau pour se guider ès ténèbres des actions humaines ; et [également] pour étonner les méchants qui pourraient prétendre cause d’ignorance, véritable ou vraisemblable, de leurs méchancetés ; ou, pour le moins, de la peine, qui n’est point gravée en nos âmes, comme [le sont] les choses que nature défend (…).

    Dieu 1 , que celui qui a mérité d’être flétri, sera puni selon le forfait par lui commis : il est défendu de bailler plus de quarante coups ; laquelle loi est selon la justice 1 Deutéronome, 25.

    Harmonique, car il est permis au juge de juger à sa discrétion par proportion semblable jusqu’à quarante coups, selon la qualité des personnes et du forfait. Et la qualité arithmétique est en ce qu’il est défendu [de] passer quarante coups ; en quoi celui qui a le plus offensé, et qui toutefois n’a pas mérité la mort, n’est pas plus puni pour ce regard, que celui qui a moins offensé ; et la loi porte sa raison, et afin, dit-il, que le condamné ne soit rendu estropié.

    [Ce] qui nous est un certain argument de la loi de Dieu, [selon lequel] la vraie justice, et le gouvernement le plus beau, est celui qui s’entretient par proportion Harmonique.

    Et combien que l’état populaire embrasse plus les lois égales, et la justice Arithmétique, et [que], au contraire, l’état Aristocratique retient plus la proportion Géométrique, si est-ce que l’un et l’autre est contraint d’entremêler la proportion Harmonique pour sa conservation ; autrement, si la seigneurie Aristocratique rejette le menu peuple loin de tous états, offices et dignités, ne lui faisant aucune part de la dépouille des ennemis, ni des pays conquis sur eux, il ne se peut faire que le menu peuple, pour peu qu’il soit aguerri, ou que l’occasion se présente, ne se révolte et [ne] change l’état, comme j’ai montré ci-devant par plusieurs exemples.

    C’est pourquoi la seigneurie de Venise, qui est une vraie Aristocratie s’il en fut [jamais], se gouverne quasi Aristocratiquement, distribuant les grands honneurs, dignités, bénéfices et Magistrats aux gentilshommes Vénitiens, et les menus offices, où il n’y a point de puissance, au menu peuple, suivant la proportion Géométrique, des grands aux grands, et des petits aux petits.

    Et néanmoins, pour contenter le menu peuple, la seigneurie lui a laissé l’état de Chancelier, qui est des plus dignes et des plus honorables, [et] aussi qu’il est perpétuel ; et, en outre, les offices des secrétaires d’état, qui sont bien fort honorables ; et au surplus l’injure, faite au moindre habitant par les gentilshommes Vénitiens, est punie et châtiée ; et une grande douceur et liberté de vie donnée à tous, [chose] qui sent plus la liberté populaire que le gouvernement Aristocratique ; et, qui plus est, la création des Magistrats se fait par choix et par sort, l’un propre au gouvernement Aristocratique, l’autre à l’état populaire, si bien qu’on peut dire, que l’état est Aristocratique et conduit aucunement par proportion Harmonique, [ce] qui a rendu cette République-là belle et florissante (…).

    L’état Royal gouverné harmoniquement est le plus beau et le plus parfait.

    Il faut donc que le sage Roi gouverne son Royaume harmoniquement, entremêlant doucement les nobles et roturiers, les riches et les pauvres, avec telle discrétion toutefois, que les nobles aient quelque avantage sur les roturiers, car c’est bien la raison que le gentilhomme aussi excellent en armes ou en lois, comme le roturier, soit préféré aux états de judicature, ou de la guerre, et que le riche égal en autre chose au pauvre, soit aussi préféré aux états, qui ont plus d’honneur que de profit, et que le pauvre emporte les offices, qui ont plus de profit que d’honneur, et tous deux seront contents.

    Car celui qui est assez riche ne cherche que l’honneur, et le pauvre cherche son profit.

    Aussi faut-il, que les riches qui portent les charges publiques, aient quelque avantage sur les pauvres ; c’est pourquoi ce sage Consul Romain laissa le gouvernement et souveraineté des villes par lui conquises, aux plus riches, jugeant qu’ils seraient plus soigneux de [leur] conservation que les pauvres, qui n’y avaient pas si grand intérêt.

    Et si les états sont associés et doubles, il vaudra mieux coupler le noble et le roturier, le riche et le pauvre, le jeune et le vieux, que deux nobles, ou deux riches, ou deux pauvres, ou deux jeunes ensemble, qui sont le plus souvent en querelles, et s’empêchent l’un l’autre en leur charge, comme il advient, naturellement, qu’il n’y a jalousie entre égaux.

    Mais encore il en revient un bien grand fruit de la conjonction que j’ai dite. Car en ce faisant chacun garde la prérogative et le droit à l’état, duquel il tient, comme il se voit ès cours souveraines, corps et collèges composés de toutes sortes de gens, la Justice est beaucoup mieux ordonnée, que s’ils étaient d’un état seulement.

    Or il n’y a moyen de lier les petits avec les grands, les roturiers avec les nobles, les pauvres avec les riches, sinon en communiquant les offices, états, dignités et bénéfices aux hommes qui le méritent, comme nous avons montré ci-devant. Mais les mérites sont divers, car qui ne voudrait octroyer les états et charges honorables sinon aux gens vertueux, la République serait toujours en combustion, d’autant que les hommes de vertu sont toujours en fort petit nombre, et seraient aisément chassés et déboutés du surplus.

    Mais en couplant les hommes de vertu, comme j’ai dit, tantôt aux nobles, tantôt aux riches, [bien] qu’ils soient destitués de vertu, néanmoins ils se sentiront honorés d’être conjoints avec les gens vertueux, et ceux-ci de monter au lieu d’honneur ; et, en ce faisant, toute la noblesse d’un côté se réjouit de voir que le seul point de noblesse est respecté en la distribution des loyers, et, de l’autre côté, tous les roturiers sont ravis d’un plaisir incroyable, et se sentent tous honorés, comme de fait ils ont honneur, quand ils voient le fils d’un pauvre médecin, Chancelier d’un grand Royaume, et un pauvre soldat être enfin Connétable, comme il s’est vu en la personne de Bertrand du Guesclin, et de Michel de l’Hospital, et de beaucoup d’autres, qui, pour leurs vertus illustres sont montés aux plus hauts degrés d’honneur.

    Mais tous les états portent impatiemment de voir les plus indignes aux plus hauts lieux, non pas qu’il ne soit nécessaire de donner quelquefois aux incapables et indignes quelques offices, pourvu qu’ils soient en si petit nombre, que leur ignorance ou méchanceté n’ait pas grand effet en l’état où ils seront.

    Car il ne faut pas seulement bailler la bourse aux plus loyaux, les armes aux plus vaillants, la justice aux plus droits, la Censure aux plus entiers, le travail aux plus forts, le gouvernail aux plus sages, la Prélature aux plus dévôts, comme la justice Géométrique veut (combien qu’il est impossible pour la rareté des hommes vertueux), [mais] il faut aussi, pour faire une harmonie des uns avec les autres, y entremêler ceux qui ont de quoi suppléer en une sorte ce qui leur défaut en l’autre ; autrement, if n’y aurait non plus d’harmonie, que si on séparait les accords qui sont bons en soi, mais ils ne feront point de consonance s’ils ne sont liés ensemble, car le défaut de l’un est suppléé par l’autre.

    L’image du Roi, et des trois états conformes à la nature. En quoi faisant, le sage Prince accordera ses sujets les uns aux autres, et tous ensemble avec soi, tout ainsi comme on peut voir ès quatre premiers nombres, que Dieu a disposés par proportion harmonique, pour nous montrer que l’état Royal est Harmonique, et qu’il se doit gouverner Harmoniquement :

    Car 2 à 3 fait la quinte, 3 à 4 la quarte, deux à quatre l’octave, et, derechef, un à deux fait l’octave, 1 à 3 la douzième, tenant la quinte et l’octave, et 1 à 4 la double octave, [ce] qui contient l’entier système de tous les tons et accords de musique ; et qui voudra passer à 5, il fera un discord insupportable. L’image de l’âme [est] semblable au Royaume bien ordonné.

    Autant peut-on dire du point, de la ligne, de la superficie et du corps. Donc, on suppose que le Prince, élevé par-dessus tous les sujets, la majesté duquel ne souffre non plus division, que l’unité qui n’est point nombre, ni au rang des nombres, [bien] que tous les autres n’ont force ni puissance que de l’unité ; et les trois états disposés comme ils sont, et quasi toujours ont été, en tous Royaumes et Républiques bien ordonnées : c’est à savoir l’état Ecclésiastique, le premier, pour la dignité qu’il soutient et [la] prérogative du ministère envers Dieu, qui est composé de nobles et roturiers ; puis l’état militaire, qui est aussi composé des nobles et roturiers ; et le menu peuple de gens scolastiques, marchands, artisans et laboureurs.

    Et que chacun de ces trois états ait part aux offices, bénéfices, judicatures, et charges honorables, ayant égard aux mérites et aux qualités des personnes. Il se formera une plaisante harmonie de tous les sujets entre eux, et de tous ensemble avec le Prince souverain.

    Ce que nous pouvons encore figurer en l’homme, qui est la vraie image de la République bien ordonnée : car l’intellect tient lieu d’unité étant indivisible, pur et simple, puis l’âme raisonnable, que tous les anciens ont séparée de puissance d’avec l’intellect ; la troisième est l’appétit de vindicte, qui gît au cœur, comme les gendarmes ; la quatrième est la cupidité bestiale, qui gît au foie, et autres intestins nourrissant tout le corps humain, comme les laboureurs.

    Et combien que les hommes qui n’ont point ou peu d’intellect, ne laissent pas de vivre sans voler plus haut à la contemplation des choses divines et intellectuelles.

    Aussi, les Républiques Aristocratique et populaire, qui n’ont point de Roi, s’entretiennent et gouvernent leur état, néanmoins elles ne sont point unies ni liées si bien que s’il y avait un Prince, qui est comme l’intellect, qui unit toutes les parties, et les accorde ensemble, quand l’âme raisonnable est guidée par prudence, l’appétit de vindicte par magnanimité, la cupidité bestiale par tempérance, et l’intellect est élevé par contemplations divines, alors il s’établit une justice très harmonieuse, qui rend à chacune des parties de l’âme ce qui lui appartient.

    Ainsi peut-on dire des trois états guidés par prudence, par force et tempérance, et ces trois vertus morales accordées ensemble, et avec leur Roi, c’est-à-dire à la vertu intellectuelle et contemplative, il s’établit une forme de République très belle et harmonieuse.

    Car tout ainsi que de l’unité dépend l’union de tous les nombres, et qui n’ont être ni puissance que d’elle, [de même] aussi un Prince souverain est nécessaire, de la puissance duquel dépendent tous les autres.

    Et tout ainsi qu’il ne se peut faire si bonne musique où il n’y ait quelque discord, qu’il faut par nécessité entremêler, pour donner plus de grâce aux bons accords, ce que fait le bon musicien pour rendre la consonance de la quarte, de la quinte et de l’octave, plus agréable, coulant auparavant quelque discord, qui rend la consonance que j’ai dite douce à merveilles ; ce que font aussi les friands cuisiniers, qui, pour donner meilleur goût aux bonnes viandes, entrejettent quelques plats de fausses âpres et mal plaisantes ; et le docte peintre pour rehausser sa peinture, et donner lustre au blanc, l’obscurcit à l’entour de noir et d’ombrages : car la nature du plaisir est telle en toutes les choses de ce monde, qu’il perd sa grâce si on n’a goûté le déplaisir, et le plaisir toujours continuant devient fade, pernicieux et mal plaisant ; [de même] aussi, est-il nécessaire qu’il y ait quelques fols entre les sages, quelques hommes indignes de leur charge entre les hommes expérimentés, et quelques vicieux entre les bons pour leur donner lustre, et faire connaître au doigt et à l’œil la différence du vice à la vertu, du savoir à l’ignorance.

    Car quand les fols, les vicieux, les méchants sont méprisés, alors les sages, les vertueux, les gens de bien reçoivent le vrai loyer de leur vertu, qui est l’honneur.

    Les trois filles de Thémis se rapportent aux trois proportions.

    Et [il] semble que les anciens Théologiens nous avaient figuré ce que j’ai dit, donnant à Thémis trois filles, à savoir [en grec], c’est-à-dire Loi droite, Équité, et Paix, qui se rapportent aux trois formes de Justice, Arithmétique, Géométrique, et Harmonique. Et néanmoins la paix, qui figure l’harmonique, est le seul but et comble de toutes les lois et jugements, et du vrai gouvernement royal, comme la Justice Harmonique est le but du gouvernement Géométrique et Arithmétique. Le monde est fait et gouverné par proportion harmonique.

    Ce point-là bien éclairci, reste à voir s’il est vrai ce que disait Platon, que Dieu gouverne ce monde par proportion Géométrique, parce qu’il a pris ce fondement, pour montrer que la République bien ordonnée à l’image de ce monde doit être gouvernée par Justice Géométrique.

    J’ai montré tout le contraire par la nature de l’unité rapportée aux trois premiers nombres harmoniquement ; et de l’intellect, aux trois parties de l’âme ; et du point, à la ligne, à la superficie et au corps.

    Mais il faut passer plus outre, car si Platon eût regardé de plus près, il eût remarqué ce qu’il a oublié en son Timée, que ce grand Dieu de nature a composé harmoniquement le monde de la matière et de la forme, par égalité et similitude ; et d’autant que la matière était inutile sans la forme, et la forme ne pouvait subsister sans la matière, ni en tout l’univers, ni en ses parties, il en composa le monde, qui est égal à l’une, et semblable à l’autre ; il est égal à la matière, parce qu’il comprend tout, et semblable à la forme, comme la proportion harmonique est composée de la proportion Arithmétique et Géométrique, égale à l’une, et semblable à l’autre, étant l’une séparée de l’autre imparfaite.

    Et comme les Pythagoriens sacrifièrent des hécatombes, non pas pour la sous-tendue de l’angle droit qui peut les deux côtés, mais pour avoir trouvé en une même figure l’égalité et similitude de deux autres figures, étant la troisième figure égale à la première, et semblable à la seconde :

    aussi Dieu a fait ce monde égal à la matière, parce qu’il comprend tout, et [qu’il] n’y a rien de vide, et semblable à la forme éternelle, qu’il avait figurée auparavant que faire le monde, comme nous lisons en la sainte Écriture.

    Et quant au mouvement de ce monde, on voit que Dieu en a fait un égal, qui est le mouvement ravissant ; l’autre inégal, qui est le mouvement planétaire, et contraire au premier ; le troisième est le mouvement tremblant, qui embrasse et lie l’un à l’autre. Liaison harmonieuse du monde et de ses parties.

    Et si nous cherchons par le menu les autres créatures, nous trouverons une perpétuelle liaison harmonique, qui accorde les extrémités par [des] moyens indissolubles qui tiennent de l’un et de l’autre, comme on peut voir entre la terre et les pierres, l’argile, entre la terre et les métaux, les marcasites, calamites et autres minéraux ; entre les pierres et les plantes, les espèces de corail qui sont [des] plantes lapidifiées prenant vie et croissance par les racines ; entre les plantes et animaux, les Zoophytes, ou plantes-bêtes qui ont sentiment et mouvement, et tirent vie par les racines ; entre les animaux terrestres aquatiques, les Amphibies, comme bièvres, loutres, tortues, et d’autres semblables ; entre les aquatiques et volatiles, les poissons volants ; et, généralement, entre les bêtes et l’homme, les singes, combien que Platon mettait la femme entre ceux-ci et la nature Angélique. Dieu a posé l’homme, partie duquel est mortelle, et partie immortelle, liant aussi le monde élémentaire avec le monde céleste par la région éthérée.

    Et tout ainsi que le discord donne grâce à l’harmonie, aussi Dieu a-t-il voulu que le mal fût entremêlé avec le bien, et les vertus posées au milieu des vices, des monstres en nature, des éclipses aux lumières célestes, et des raisons sourdes ès démonstrations géométriques, afin qu’il en réussît un plus grand bien, et que la puissance et beauté des œuvres de Dieu par ce moyen fût connue, [chose] qui autrement demeurerait cachée et ensevelie. C’est pourquoi Dieu ayant endurci Pharaon, que les sages Hébreux interprètent l’ennemi de Dieu et de nature : Je l’ai fait, dit-il, pour me faire tête, et montrer ma force contre lui, afin que tout le monde chante ma gloire et ma puissance.

    Et néanmoins tous les Théologiens sont d’accord que la force et puissance de cet ennemi de Dieu est enclose ès barrières du petit monde élémentaire, et qu’il n’a pouvoir sinon tant qu’il plaît à Dieu lui lâcher la bride.

    Or, tout ainsi que par voix et sons contraires il se compose une douce et naturelle harmonie, [de même] aussi des vices et vertus, des qualités différentes des éléments, des mouvements contraires, et des sympathies et antipathies liées par moyens inviolables, se compose l’harmonie de ce monde et de ses parties.

    [Tout] comme aussi la République est composée de bons et mauvais, de riches et de pauvres, de sages et de fols, de forts et de faibles, alliés par ceux qui sont moyens entre les uns et les autres : étant toujours le bien plus puissant que le mal, et les accords plus que les discords.

    Et tout ainsi que l’unité sur les trois premiers nombres, l’intellect sur les trois parties de l’âme, le point indivisible sur la ligne, superficie, et le corps, ainsi peut-on dire, que ce grand Roi éternel, unique, pur, simple, indivisible, élevé par-dessus le monde élémentaire, céleste et intelligible, unit les trois ensemble, faisant reluire la splendeur de sa majesté et la douceur de L’harmonie divine en tout ce monde, à l’exemple duquel le sage Roi se doit conformer, et gouverner son Royaume.  

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  • Jean Bodin : Différence du roi au tyran (1583)

    Or, la plus noble différence du roi et du tyran est que le roi se conforme] aux lois de nature, et le tyran les foule aux pieds.

    L’un entretient la piété, la justice, et la foi ; l’autre n’a ni Dieu, ni foi, ni loi.

    L’un fait tout ce qu’il pense servir au bien public, et tuition des sujets ; l’autre ne fait rien que pour son profit particulier, vengeance, ou plaisir.

    L’un s’efforce d’enrichir ses sujets, par tous les moyens dont il se peut aviser ; l’autre ne bâtit sa maison, que de la ruine de [ceuxci]. L’un venge les injures du public, et pardonne les siennes, l’autre venge cruellement ses injures, et pardonne celles d’autrui. L’un épargne l’honneur des femmes pudiques, l’autre triomphe de leur honte. L’un prend plaisir d’être averti en toute liberté, et sagement repris, quand il a failli. L’autre n’a rien plus à contrecœur, que l’homme grave, libre et vertueux.

    L’un s’efforce de maintenir les sujets en paix et union ; l’autre y met toujours division, pour les ruiner les uns par les autres, et s’engraisser de confiscations.

    L’un prend plaisir d’être vu quelquefois, et ouï de ses sujets ; l’autre se cache toujours d’eux, comme de ses ennemis.

    L’un fait état de l’amour de son peuple : l’autre de la peur. L’un ne craint jamais que pour ses sujets ; l’autre ne redoute rien plus que ceux-là. L’un ne charge les siens que le moins qu’il peut, et pour la nécessité publique ; l’autre hume le sang, ronge les os, suce la moelle des sujets pour les affaiblir.

    L’un cherche les plus gens de bien, pour employer aux charges publiques ; l’autre n’y emploie que les larrons et plus méchants, pour s’en servir comme d’éponges.

    L’un donne les états et offices pour obvier aux concussions et foule du peuple ; l’autre les vend le plus cher qu’il peut pour leur donner moyen d’affaiblir le peuple par larcins, et puis couper la gorge aux larrons, pour être réputé bon justicier. L’un mesure ses mœurs, et façons au pied des lois ; l’autre fait servir les lois à ses mœurs.

    L’un est aimé et adoré de tous les sujets ; l’autre les hait tous, et est haï de tous. L’un n’a recours en guerre qu’à ses sujets ; l’autre ne fait guerre qu’à ceux-là.

    L’un n’a garde ni garnison que des siens ; l’autre que d’étrangers, l’un jouit d’un repos assuré et tranquillité haute, l’autre languit en perpétuelle crainte. L’un attend la vie très heureuse ; l’autre ne peut éviter le supplice éternel. L’un est honoré en sa vie, et désiré après sa mort ; l’autre est diffamé en sa vie et déchiré après sa mort.

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  • Les physiocrates

    Pourquoi le libéralisme fut-il en mesure de s’affranchir aussi aisément du mercantilisme ? L’exemple français est ici très pertinent.

    En 1615, déjà, le protestant Antoine de Montchrestien (1575-1621) avait dans Traité d’économie politique fournit les principales thèses mercantilistes. L’impact historique s’effaça cependant, en raison du poids du catholicisme et de la féodalité.

    Or, le poids du catholicisme et de la féodalité ne signifie rien d’autre que le capitalisme n’a pas encore pénétré les campagnes de manière suffisante.

    Si le mercantilisme fut rapidement dépassée par ce qui sera l’économie politique « classique », c’est justement parce qu’accompagnant la progression du capitalisme, il ne correspondait qu’à une phase d’échanges se déroulant avant l’irruption massive du capitalisme dans les campagnes.

    C’est pourquoi, après le mercantilisme se développa une pensée qui reconnaissait toute sa signification à l’agriculture. En France, ce furent les « physiocrates » qui, comme l’explique Karl Marx dans Le Capital, considéraient que « la rente foncière n’est pas un tribut arraché aux hommes », mais « un présent fait par la nature même aux propriétaires ».

    On devine qu’avec les physiocrates, il y a encore un fétichisme, mais il change de nature : le mercantilisme se focalisait sur l’argent, les physiocrates sur les terres.

    Anonyme, Pierre Samuel Du Pont de Nemours (1739-1817)

    Le terme de « physiocrate », forgé par Pierre Samuel du Pont de Nemours, est ainsi un programme en soi, physis en grec signifiant nature, kratos gouverner. La propriété terrienne est la source de toute richesse, c’est elle qui doit être placé au centre de la société et de l’État.

    François Quesnay (1694-1774) dressera, en 1758 ; un « Tableau économique » fameux à l’époque, présentant cette vision du monde ; Karl Marx le décrira dans Le Capital comme un « pannonceau féodal ».

    Cependant, Karl Marx n’était pas dupe : derrière cette apparence féodale, on trouvait les exigences de la fraction la plus avancée du capitalisme, prônant la mise en valeur de l’accumulation de capital dans les campagnes.

    Comment est-on arrivé là ? En fait, une fois le capitalisme élancé avec les commerçants et les marchands, il se tourne inévitablement vers l’agriculture.

    La monarchie absolue aurait espéré, avec le colbertisme, combiné féodalité dans les campagnes et une sorte de capitalisme par en haut et sous contrôle dans les villes. C’était impossible, car, par définition, le capital se pose comme universel.

    Les physiocrates expriment donc le besoin du capital d’engloutir les campagnes. Les physiocrates ont, en apparence, le désir de trouver l’origine de la richesse au-delà du commerce, dans la production elle-même.

    Mais cette apparence porte un contenu : la revendication du laissez faire laissez passer pour le capital à tous les niveaux, et donc en priorité dans les campagnes.

    Anonyme, Portrait du docteur François Quesnay
    (1694-1774), médecin et économiste

    Karl Marx, dans Le Capital, constate par conséquent :

    « Pour les économistes plus anciens, qui commencent à peine à étudier le mode capitaliste de production encore peu développé à leur époque, l’analyse de la rente ne présente aucune difficulté, ou alors des difficultés de tout autre nature.

    Petty, Cantillon, et en général les auteurs encore proches de la féodalité, voient dans la rente foncière la forme normale de la plus-value, confondant, sans les déterminer, profit et salaire, ou la prennent tout au plus pour une partie de cette plus-value que le capitaliste a extorquée au propriétaire foncier.

    Ils partent donc d’une situation où, primo, la population agricole représente encore la grande majorité de la nation et où, secundo, le propriétaire foncier apparaît comme la personne s’appropriant en première main, grâce au monopoles de la propriété foncière, le travail supplémentaire des producteurs immédiats, où par conséquent la propriété foncière paraît être encore la condition principale de la production.

    Ils ne pouvaient donc pas encore se poser la question inverse : du point de vue du mode capitaliste de production, élucider comment la propriété foncière réussit à reprendre au capital une partie de la plus-value qu’il a produite (c’est-à-dire extorquée au producteur direct) et qu’il s’est déjà appropriée en première main.

    Chez les physiocrates, la difficulté est déjà de nature différente.

    Premiers interprètes systématiques du capital, en fait ils tentent d’analyser la nature même de la plus-value.

    Pour eux, cette analyse se confond avec celle de la rente, seule forme de plus-value existant à leurs yeux.

    Le capital agricole producteur de rente est donc pour eux le seul capital qui produise de la plus-value et le travail agricole qu’il met en mouvement le seul travail rapportant de la plus-value, donc le seul travail productif, conclusion parfaitement juste du point de vue capitaliste.

    Ils considèrent, à juste titre, que la production de plus-value est le fait déterminant.

    Ils ont le grand mérite de remonter du capital marchand agissant uniquement dans la sphère de circulation au capital productif.

    Ils s’opposent ainsi à la théorie mercantiliste qui, dans son réalisme grossier, représente la véritable économie politique vulgaire de son temps dont les soucis d’ordre pratique faisaient reléguer à l’arrière-plan les premières analyses scientifiques entreprises par Petty et ses successeurs. »

    Les physiocrates prônaient l’émergence naturelle du capitalisme, là où le mercantilisme du type français, avec le colbertisme, cherchait à le former par en haut, de manière forcée et en le maintenant dans une liaison étroite avec l’État.

    Les physiocrates prônaient par conséquent un soutien de l’État au capitalisme agricole, surtout en fait dans une non-interférence. Le « despotisme légal » prôné par les physiocrates signifiait, paradoxalement, que la monarchie absolue de l’époque était censée se plier aux lois « naturelles » du capitalisme agricole.

    Les tentatives d’Anne Robert Jacques Turgot, en tant que contrôleur général des finances, d’amener Louis XVI en ce sens, échouèrent cependant, fort logiquement, la monarchie absolue ayant dépassé ses possibilités historiques progressistes.

    La monarchie absolue pouvait reconnaître le capital marchand, mais changer les campagnes signifiait supprimer sa propre base sociale. Elle a pu mettre de côté, de manière relative seulement, l’aristocratie, mais elle est elle-même portée par la féodalité.

    L’échec physiocrate aboutit donc, fort logiquement, à la compréhension par la bourgeoisie qu’il fallait s’approprier l’État.

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  • Mercantilisme et physiocratie : la version commerciale anglaise

    Le mercantilisme anglais est, de fait, celui qui fut le plus authentique, car le plus poussé, au point de paver la voie à une véritable analyse économique capitaliste.

    Les figures qui y participèrent furent très nombreuses et jouèrent un rôle historique de grande importance ; il est souvent parlé de mercantilisme « commercialiste » pour désigner leur approche.

    On trouve ainsi Thomas Gresham (1519-1579), marchand et financier richissime, fondateur de la bourse du commerce de Londres, la Royal Exchange.

    Il fut un très important conseiller royal dans le domaine des finances, réexpliquant une loi par ailleurs déjà connue selon laquelle la mauvaise monnaie chasse la bonne, la bonne étant mise de côté pour être conservée et uniquement la mauvaise utilisée pour les paiements.

    Anonyme, Portrait de Thomas Gresham, 1544

    Thomas Mun (1571-1641) joua également un rôle essentiel au sein de la Compagnie anglaise des Indes orientales, théorisant le principe de la croissance par les exportations dans L’enrichissement de l’Angleterre par le commerce extérieur.

    Il appela à renforcer l’agriculture et à consommer « anglais », défendant l’exportation de métaux comme paiement pour des matières premières, privilégiant la production de biens dont les prix ne variaient pas.

    Josiah Child (1630-1699) fut également un dirigeant de la Compagnie anglaise des Indes orientales, qui poussa par tous les moyens à ce que celle-ci dispose d’un pouvoir politique, d’une force armée.

    Le monopole dans les colonies était ce qu’il considérait comme stratégiquement nécessaire et afin de le renforcer, il demanda à ce que l’État fasse en sorte que le taux d’intérêt soit bas, afin que la compagnie puisse s’élancer d’autant plus dans ses initiatives.

    Anonyme, Portrait de Dudley North, vers 1690

    Dudley North (1641-1691) prôna la liberté complète du commerce pour enrichir la nation, tout comme bien entendu John Locke (1632-1704).

    Une œuvre très célèbre fut alors La fable des abeilles, de Bernard Mandeville (1670-1733), publiée en 1705. La fable montre comment les vices privés permettraient de faire progresser la société, la prospérité étant découplée historiquement et par nature de la vertu.

    Le mercantilisme ouvrait ici la voie au libéralisme en tant que tel et à ces efforts de formation idéologique d’une base au libéralisme, s’ajoutèrent ceux formulant l’utilisation des techniques modernes.

    C’est le cas de William Petty (1623-1687), auquel Karl Marx fait de nombreuses références dans Le Capital, le présentant comme « le père de l’économie politique et jusqu’à un certain point l’inventeur de la statistique ».

    Selon Karl Marx, « l’économie classique » commence avec William Petty, car celui-ci démarre la tentative de véritablement comprendre le capitalisme, sans s’appuyer unilatéralement sur les interprétations du passé.

    Lorsqu’il parle de la monnaie, Karl Marx constate par exemple la chose suivante :

    « Les pays dans lesquels la production a atteint un haut degré de développement restreignent au minimum exigé par leurs fonctions spécifiques les trésors entassés dans les réservoirs des banques.

    A part certaines exceptions, le débordement de ces réservoirs par trop au-dessus de leur niveau moyen est un signe de stagnation dans la circulation des marchandises ou d’une interruption dans le cours de leurs métamorphoses. »

    Il cite, en note, William Petty qui dit :

    « La monnaie n’est, pour ainsi dire, que la graisse du corps politique; trop nuit à son agilité, trop peu le rend malade… de même que la graisse lubrifie les muscles et favorise leurs mouvements, entretient le corps quand la nourriture fait défaut, remplit les cavités et donne un aspect de beauté à tout l’ensemble; de même la monnaie, dans un État accélère son action, le fait vivre du dehors dans un temps de disette au-dedans, règle les comptes… et embellit le tout, mais plus spécialement, ajoute Petty avec ironie, les particuliers qui la possèdent en abondance. »

    William Petty prônait pour cette raison un laissez-faire complet, prônant la mise en concurrence systématique, qu’il considérait comme de toute façon inévitable.

    Il développa également le principe d’une stricte comptabilité nationale, pour avoir un aperçu général de l’économie de la population. Son ami John Graunt (1620-1674) participait à ce projet, qui sera repris ensuite par Gregory King (1648-1712).

    Le mercantilisme portait en lui son propre dépassement : le libéralisme en tant que tel.

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  • Mercantilisme et physiocratie : les faiblesses espagnole, allemande, autrichienne

    À l’opposé de l’esprit modernisateur de Jean-Baptiste Colbert, l’Espagne pratiqua une forme totalement décadente de mercantilisme. Si la France était une monarchie absolue, avec une base féodale et une superstructure en contradiction avec sa propre base, tel n’était pas le cas en Espagne, bastion du féodalisme et du catholicisme.

    Le processus de conquête espagnol en Amérique se déroula, par conséquent, dans une optique d’esprit étroit, borné, féodal, ce qui aboutit au fétichisme complet pour l’or. C’est la fameuse figure du conquistador avec son obsession pour ce métal précieux.

    Adam Smith, dans sa Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, raconte ainsi :

    « Quelque temps après la découverte de l’Amérique, quand les Espagnols abordaient sur une côte inconnue, leur premier soin était ordinairement de s’informer si on trouvait de l’or et de l’argent dans les environs. Sur la réponse qu’ils recevaient, ils jugeaient si le pays méritait qu’ils y fissent un établissement, ou bien s’il ne valait pas la peine d’être conquis (…).

    L’Espagne et le Portugal, possesseurs des principales mines qui fournissent l’Europe de ces métaux, en ont prohibé l’exportation sous les peines les plus graves, ou l’ont assujettie à des droits énormes. Il paraît que la même prohibition a fait anciennement partie de la politique de la plupart des autres nations de l’Europe (…).

    Quand la quantité d’or et d’argent importée dans un pays excède la demande effective, toute la vigilance du gouvernement ne saurait en empêcher l’exportation.

    Toutes les lois sanguinaires de l’Espagne et du Portugal sont impuissantes pour retenir dans ces pays leur or et leur argent. Les importations continuelles du Pérou et du Brésil excèdent la demande effective de l’Espagne et du Portugal, et y font baisser le prix de ces métaux au-dessous de celui des pays voisins. »

    Cependant, par une lecture féodale, l’Espagne ne pouvait pas comprendre la nature de la valeur, le sens de la production et de l’argent comme intermédiaire dans les échanges.

    L’or apparaissait comme la richesse en soi et de fait, la « découverte » de l’Amérique eut comme conséquence la multiplication par huit de la quantité d’or présente en Europe, un processus s’accélérant toujours plus au XVIIe et XVIIIe siècle.

    Cela aboutit à une perte de valeur de l’or, en raison de son surplus, cela d’autant plus dans un pays féodal comme l’Espagne, qui en plus s’opposait aux exportations. L’Espagne s’enfonça alors encore plus dans la crise avec son mercantilisme qui fut appelé par la suite le « bullionisme », forgé à partir du terme anglais pour lingot.

    L’or était entreposé, il ne participait même pas à la circulation, de la même manière qu’avec Harpagon dans L’avare de Molière.

    Pedro Campaña, Portrait de Diego Caballero,
    son fils et son frère Alonso.

    Diego Caballero, mort en 1560, était un marchand et esclavagiste espagnol très important alors en Espagne.

    Il exista une opposition mercantiliste en tant que telle, défendant le même point de vue que Jean-Baptiste Colbert en France : celle des arbitristas, de personnes faisant des projets : ils ne furent pas écoutés et sous l’impulsion de l’auteur baroque Francisco de Quevedo, le terme servit à désigner ceux qui font des projets abstraits, velléitaires.

    Jean-Laurent Mosnier, Portrait de Caspar Voght, 1801.
    Basé à Hambourg, Caspar Voght (1752-1839) fut un
    très important marchand de la seconde moitié
    du 18e siècle.

    La situation fut relativement différente en Allemagne. Le mercantilisme y sera qualifié de « caméralisme », terme venant du mot « Kammerkollegium » (« collège de la chambre ») regroupant les hauts fonctionnaires d’un prince, dans une Allemagne encore entièrement morcelée.

    Les hauts fonctionnaires géraient les domaines princiers et leur mercantilisme s’y limitait par conséquent, dans la mesure où il n’y avait pas d’État national unifié.

    Pire encore, les hauts fonctionnaires combinaient responsabilités policières et économiques, associant les unes aux autres, encadrant de ce fait la société de manière particulièrement réactionnaire.

    Il s’ensuivra une mentalité résolument servile, que la Prusse récupérera au moment de l’unification allemande, et que Heinrich Mann décrira de manière acerbe dans son roman Le Sujet de l’Empereur.

    Ce fait fut renforcé par l’absence d’intégration des pays allemands au commerce maritime international. Cette situation d’isolement provoqua une angoisse réactionnaire d’autant plus forte qu’avec la guerre de trente ans (1618-1648), la population de 17 millions de personnes avait reculé de 30 à 40 %.

    Le projet de Johann Heinrich Gottlob von Justi au XVIIIe siècle – une monarchie absolue dans une Allemagne unifiée reconnaissait la propriété privée – apparaissait comme un rêve impossible.

    La Prusse fut ici le moteur de la contre-perspective, pavant la voie au « chemin à part » de l’Allemagne, avec les « sciences caméralistes » instaurées de manière universitaire en 1727.

    Cette partie de l’Allemagne apparut d’autant plus comme modèle que le « roi-soldat » Frédéric-Guillaume Ier de Prusse mit en place une sorte de mercantilisme militarisé, visant l’autarcie avec une aristocratie devant se tourner vers une sorte de sobriété militaire et de génération d’un capitalisme par en haut.

    Il y a ici un moment-clef dans ce qui produira par la suite le national-socialisme.

    Une situation très similaire exista en Autriche, pays unifié mais à la tête d’un empire morcelé et caractérisé par un catholicisme virulent. Les projets du chimiste allemand Johann Joachim Becher de mise en place d’un système de manufactures organisé par en haut échoua, notamment en raison de l’invasion turque.

    Dans la foulée, Philip Wilhelm von Hornick publia un Österreich über alles, wenn es nur will (L’Autriche au-dessus de tout, si elle le veut seulement), cherchant à formuler un mercantilisme se focalisant sur les ressources et l’argent, avec à l’arrière-plan l’importance de maintenir viable une armée fonctionnelle afin de maintenir le régime.

    Pareillement qu’en Allemagne, toute une littérature fut produite pour dénoncer les mentalités étroites, obséquieuses qui en ressortaient (Lieutenant Gustl d’Arthur Schnitzler, La marche de Radetzky de Joseph Roth, etc.).

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  • Mercantilisme et physiocratie : Colbert et la «guerre d’argent»

    Le mercantilisme se fonde sur le cadre national, théorisé en France par Jean Bodin ; dans la logique du mercantilisme, un pays ne peut s’enrichir qu’aux dépens d’un autre, le niveau des richesses ne se modifiant pas.

    C’est là une vision bien entendu réductrice, dont la faiblesse réside dans la focalisation unilatérale sur l’argent, dans le cadre d’une évaluation de la balance commerciale. Il faut vendre plus que les autres, vendre plus cher, et ce moment-là le pays s’enrichit.

    Au sens strict, le mercantilisme définit ce raisonnement en termes de balance commerciale ; Karl Marx considère à ce titre qu’on ne peut parler réellement de mercantilisme authentique que pour l’Angleterre, pays le plus avancé dans le capitalisme qui a, justement, su appliquer ce raisonnement en théorie mais aussi en pratique, économiquement mais également idéologiquement et politiquement.

    Abraham van Strij  (1753–1826), Le marchand, vers 1800

    Le mercantilisme a, de fait, existé à différents degrés, comme idéologie d’affirmation de l’État modernisé sortant du féodalisme, porté par le capitalisme ; dans le cas où le capitalisme n’allait pas encore dans le sens de contrôler l’État, le mercantilisme était déformé, atténué ou inexistant.

    Pour cette raison, en France, de par la monarchie absolue, le mercantilisme n’a pu exister qu’économiquement, mais pas politiquement. La base du régime ne permettait pas une affirmation du mercantilisme, mais en même temps la monarchie absolue en tant que superstructure y voyait un intérêt certain.

    Sa logique était aussi de renforcer l’État, ce en quoi l’aristocratie et le clergé n’avaient pas d’intérêt.

    En ce sens, étant donné que le mercantilisme considère que tout ce qui renforce la possibilité de réaliser des échanges, donc la production notamment, est une bonne chose, cela satisfait tout à fait la monarchie absolue.

    Les propos suivants de Jean Bodin, qu’il écrit dans les six livres de la république, sont extrêmement connus et reflète cette philosophie du « renforcement » national :

    « Or il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de sujets, trop de citoyens : vu qu’il n’y a richesse, ni force que d’hommes : et qui plus est la multitude des citoyens (plus ils sont) empêche toujours les séditions et factions: d’autant qu’il y en a plusieurs qui sont moyens entre les pauvres et les riches, les bons et les méchants, les sages et les fous : et il n’y a rien de plus dangereux que les sujets soient divisés en deux parties sans moyens : ce qui advient ès Républiques ordinairement où il y a peu de citoyens. »

    Il faut donc, selon le mercantilisme, encourager la natalité et l’activité. C’est une démarche déjà affirmée par le protestantisme et sa valorisation du travail, mais qui était totalement à l’opposé des traditions féodales, sans parler du clergé et de sa charité encadrant les plus pauvres.

    Le mercantilisme encourageait de ce fait aussi le travail des femmes et des enfants, bousculant les valeurs traditionnelles et les mœurs ; il n’hésitait pas à rejeter l’antisémitisme, uniquement par pragmatisme évidemment, dans la mesure où à ses yeux il était bon d’intégrer tous ceux qui peuvent renforcer l’économie et la faire tourner.

    Ferdinand Bol  (1616–1680),
    Les représentants de la guilde des marchands de vin d’Amsterdam, 1663

    La monarchie absolue pouvait-elle aller aussi loin, en France ? Elle ne le pouvait pas et c’était là sa contradiction. En soutenant relativement le mercantilisme, elle construisait sa propre tombe, renforçant son assassin, la bourgeoisie, lui donnant les moyens matériels de devenir ensuite son fossoyeur.

    Historiquement, c’est Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) qui fut en France le héraut du mercantilisme, au point qu’on parle de « colbertisme ».

    Lui-même a été contrôleur général des finances de 1665 à 1683, secrétaire d’État de la Maison du roi et secrétaire d’État de la Marine de 1669 à 1683 ; à ses yeux, le commerce était une « guerre d’argent ».

    Il représente le principe de la monarchie absolue de soutenir l’émergence d’une forte production nationale. Dans Le Capital, Karl Marx raconte ainsi :

    « Le minimum de la somme de valeur dont un possesseur d’argent ou de marchandise doit pouvoir disposer pour se métamorphoser en capitaliste varie suivant les divers degrés de développement de la production.

    Le degré de développement donné, il varie également dans les différentes industries, suivant les conditions techniques particulières.

    A l’origine même de la production capitaliste, quelques-unes de ces industries exigeaient déjà un minimum de capital qui ne se trouvait pas encore dans les mains des particuliers.

    C’est ce qui rendit nécessaire les subsides d’État accordés à des chefs d’industrie privée – comme en France du temps de Colbert, et comme de nos jours cela se pratique encore dans plusieurs principautés de l’Allemagne, – et la formation de sociétés avec monopole légal pour l’exploitation de certaines branches d’industrie et de commerce, autant d’avant-coureurs des sociétés modernes par actions. »

    Jean-Baptiste Colbert va, de fait, mener toute une série d’initiatives, à commencer par unifier au niveau pays les ordonnances civile (1667), criminelle (1670), celle des Eaux et Forêts (1669), du Commerce (1673), de la Marine (1681).

    Il fonde plusieurs académies : celle des inscriptions (sur les monuments) et celle de peinture et de sculpture (qu’il réorganise, tous deux en 1663), celle des sciences et celle de France à Rome (tous deux en 1666), de musique (1669), d’architecture (1671).

    A cela s’ajoute le triplement du nombre de volumes de la bibliothèque du Roi en 18 ans, la fondation de l’Observatoire de Paris, la création de jetons de présence à l’Académie française, la réorganisation du Jardin des Plantes à Paris.

    Il demanda aux intendants de province toute une série de statistiques. Il mène une enquête d’une minutie complète – type, nombre de voyages, capitaines, nombre d’hommes, types de trafics, origine – sur les bateaux commerciaux, ainsi que sur les ports.

    Il fit la même chose pour les forêts et la production de bois, notamment pour les bateaux, avec la réformation des forêts royales, mettant un terme à l’importation de bois de Scandinavie.

    Robert Nanteuil, Jean-Baptiste Colbert, 1676

    Jean-Baptiste Colbert mit également en place une Caisse des emprunts, où l’on pouvait prêter de l’argent à l’État, à 5 % d’intérêt, lorsque celui-ci avait des dépenses extraordinaires. Il améliora les principales routes, il commence la construction du canal des deux mers, pour relier la Méditerranée à l’océan Atlantique.

    Il donna naissance à de nombreuses compagnies commerciales : la Compagnie des Indes Orientales, celle des Indes Occidentales, celle du Levant ; il mit en place des comptoirs : celui de Pondichéry aux Indes, en Amérique du Nord avec la Nouvelle-France dont la capitale était Québec, sur l’île de Bourbon (qui deviendra La Réunion).

    Il réduisit de moitié la charge de l’État en rachetant des offices ne servant pas, supprimant également des rentes, étendit l’obligation du papier timbré.

    Il permit aux aristocrates de commercer, il établit des manufactures, organisa des règlements par exemple sur les taux d’intérêt, renforça les peines contre les banqueroutes, unifia les poids et les mesures, ajouta des taxes aux importations tout en baissant les tarifs douaniers pour les matières premières.

    Les règlements sur la qualité étaient drastiques : les marchandises défectueuses peuvent être exposés en place publique avec les noms des fautifs, détruites, alors qu’à la troisième récidive les personnes sont attachées à des carcans pendant deux heures, etc.

    Il amena la formation de 400 manufactures disposant de larges privilèges (pas d’impôt, monopole complet) ainsi que d’aides, comme les tapisseries des Gobelins, les glaces et miroirs du Faubourg Saint-Antoine, les soieries de Lyon, les draps d’Abbeville, etc.

    Toute cette dynamique modernisatrice se fonde entièrement sur la monarchie absolue et on peut résumer sa philosophie avec ce que Jean-Baptiste Colbert explique à Louis XIV dans une lettre : 

    « la conduite universelle des finances doit toujours veiller et employer tous les soins et l’autorité de Votre majesté pour attirer l’argent dans le royaume. »

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  • Mercantilisme et physiocratie : Jean Bodin et la nation

    La préface de Jean Bodin pour Les Six Livres de la République a donné naissance au mercantilisme, parce que le mercantilisme est une réflexion sur la richesse des nations. Or, pour cela, il faut une nation.

    C’est justement la monarchie absolue qui en France lui donne naissance.

    Jean Bodin inaugure un discours qui est celui de ce qu’on appelle la politique, soit le débat sur la richesse nationale et ses modalités.

    Dans la préface, on lit ainsi un rejet de Platon, d’Aristote, bref on n’est pas du tout dans l’esprit de la « Renaissance », mais bien dans celui de l’humanisme lié au protestantisme ; on vivrait une époque nouvelle, avec des exigences nouvelles, il faut d’ailleurs écrire en français désormais.

    A cela s’ajoute le discours néo-stoïcien qui est très précisément l’idéologie philosophique de la monarchie absolue, le mercantilisme étant le pendant économique.

    L’idée de destin dans sa version néo-stoïcienne est un détournement du protestantisme. Il est expliqué en quelque sorte qu’il est vrai que tout régime existe car Dieu l’a fait exister, mais inversement son effondrement est dans l’ordre divin des choses s’il est inique.

    C’est une vision laïque de la thèse des monarchomaques, que Jean Bodin assume entièrement.

    « C’est pourquoi de ma part, ne pouvant rien mieux, j’ai entrepris le discours de la République, et en langue populaire, tant pour ce que les sources de la langue Latine sont presque taries, et qui sécheront du tout, si la barbarie causée par les guerres civiles continue, que pour être mieux entendu de tous Français naturels : ie de ceux qui ont un désir, et vouloir perpétuel de voir l’état de ce Royaume en sa première splendeur, fleurissant encore en armes et en lois : ou s’il est ainsi qu’il n’y eut onques, et n’y aura jamais République si excellente en beauté qui ne vieillisse, comme sujette au torrent de nature fluide, qui ravît toutes choses, du moins qu’on fasse en sorte que le changement soit doux et naturel, si faire ce peut et non pas violent, ni sanglant (…).

    Car Platon et Aristote ont tranché si court leurs discours Politiques, qu’ils ont plutôt laissé en appétit, que rassasié ceux qui les ont lus.

    Joint aussi que l’expérience depuis deux mil ans ou environ qu’ils ont écrit, nous a fait connaître au doigt et à l’œil, que la science Politique était encore de ce temps là cachée en ténèbres fort épaisses : et même Platon confesse qu’elle était si obscure qu’on n’y voyait presque rien (…).

    Car tout ainsi que le grand Dieu de nature très sage et très juste, commande aux Anges, ainsi les Anges commandent aux hommes, les hommes aux bêtes, l’âme au corps, le Ciel à la terre, la raison aux appétits : afin que ce qui est moins habile à commander, soit conduit et guidé par celui qui le peut garantir, et préserver, pour loyer de son obéissance.

    Mais au contraire, s’il advient que les appétits désobéissent à la raison, les particuliers aux Magistrats, les Magistrats aux Princes, les Princes à Dieu, alors on voit que Dieu vient venger les injures, et faire exécuter la loi éternelle par lui établie, donnant les Royaumes et Empires aux plus sages et vertueux Prince, ou (pour mieux dire) aux moins injustes, et mieux entendus au maniement des affaires, et gouvernement des peuples, qu’il fait venir quelques fois d’un bout de la terre à l’autre, avec un étonnement des vainqueurs et des vaincus, quand je dis Justice j’entends la prudence de commander en droiture et intégrité. »

    Quel doit alors être la position royale par rapport à la religion ? La réponse est très claire : Jean Bodin se situe totalement dans la tradition des Politiques. Il faut une seule religion pour que le pays soit unifié et s’il y en a plusieurs, il faut neutraliser toute vélléité séditieuse, temporiser, tolérer tout en étant ferme.

    Voici la position de Jean Bodin dans Les Six Livres de la République, qui est extrêmement claire et très clairement lisible comme une initiative de la faction des Politiques, avec une regard très pragmatique sur le fait religieux.

    « Il se peut faire que les collèges des sectes sont si puissants qu’il serait impossible ou bien difficile de les ruiner, sinon au péril et danger de l’État.

    En ce cas, les plus avisés Princes ont accoutumé de faire comme les sages pulotes qui se lâchent aller à la tempête, sachant bien que la résistance qu’ils feraient serait cause d’un naufrage universel (…).

    Si le Prince qui aura une certaine assurance de la vraie religion veut y attirer ses sujets divisés en sectes et factions, il ne faut pas à mon avis qu’il use de force, car plus la volonté des hommes est forcée, plus ell est revêche ; mais bien en suivant et adhérant à la vraie religion, sans feinte ni dissimulation, il tournera peut-être les cœurs et volontés des sujets à la sienne, sans violence, ni peine quelconque ; en quoi faisant, non seulement il évitera les émotions, troubles et guerres civiles, mais aussi il acheminera les sujets dévoyés au port du salut (…).

    Portant faveur à une secte et méprisant l’autre, il l’anéantira sans force, ni contrainte, ni violence quelconque, si Dieu ne la maintient. »

    Et sur quoi repose l’existence d’une nation ? Sur sa richesse. Jean Bodin fonde le mercantilisme, dans la mesure où il associe la res publica à la souveraineté d’un côté, à la richesse de l’autre.

    Et la richesse passe par la souveraineté : de la même manière que pour la faction des Politiques l’État vient sauver la nation de la guerre civile, il doit également être le garant de la prospérité, ce qui revient à dire à l’époque qu’il ne doit pas être en faillite.

    Jean Bodin est explicite à ce sujet dans Les Six Livres de la République : 

    « Les finances sont les nerfs de la République.

    S’il est ainsi que les nerfs de la République sont [en ses] finances, comme disait un ancien Orateur, il est bien requis d’en avoir la vraie connaissance, [chose] qu’on peut mettre en trois points : le premier est des moyens honnêtes de faire fonds aux finances ; le second est de les employer au profit et honneur de la République ; le troisième d’en épargner et réserver au besoin quelque partie (…).

    Le domaine public et le patrimoine du Prince sont différents. Aussi, n’est-il pas licite aux Princes souverains d’abuser des fruits et revenus du domaine. »

    L’État se confond donc avec la monarchie, mais la réciproque est vraie, et le tout dépend du principe de res publica :

    « Le domaine public, le thresor public, le pourpris de la cité, les rues, les murailles, les places, les temples, les marchés, les usages, les loix, les coustumes, la justice, les loyers, les peines, et autres choses semblables, qui sont ou communes, ou publiques, ou l’un et l’autre ensemble : car ce n’est pas Republique s’il n’y a rien de public. »

    Par conséquent, Jean Bodin s’attarde longuement sur la question de la monnaie, notamment sur le fait de combattre sa falsification, son altération. En effet, la question financière est essentielle pour un État entendant bien fonctionner. La Response de Jean Bodin au paradoxe de M. de Malestroit en 1568, fut extrêmement connue par ailleurs. 

    Malestroit était un membre de la Chambre des comptes, qui avait eu comme mission d’enquêter sur la hausse des prix et qui interprétait celle-ci comme purement nominale, sans réalité de fond : ce serait un paradoxe. Jean Bodin rejeta cette thèse, abordant pour la première fois la question du surplus de métal précieux, provoquant une baisse de sa valeur. C’était le début de l’économie politique.

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  • Mercantilisme et physiocratie : le rôle historique de Jean Bodin

    Pour comprendre la genèse du mercantilisme, il faut en France remonter au XVIe siècle. On sait que les guerres de religion ont secoué terriblement le pays alors, amenant la fraction dites des politiques à lancer une opération dont la réalisation sera l’arrivée au trône de Henri de Navarre, sous le nom de Henri IV.

    L’Édit de Nantes ne fut qu’un aléas dans l’histoire du drame protestant, dans la mesure où les huguenots furent toujours plus les victimes de la monarchie absolue en formation. Toutefois et justement, la monarchie devenant absolue est née en profitant des guerres de religion pour former une faction au-dessus de la mêlée.

    Henri IV a largement puisé dans le vivier intellectuel et culturel protestant pour moderniser l’État, appuyant encore plus la tendance déjà forte sous François Ier visant à renforcer le pouvoir royal sur les structures religieuses catholiques.

    Il fallait un théoricien pour justifier intellectuellement cet édifice dont Michel de Montaigne fut l’un des principaux artisans : ce sera Jean Bodin (1530-1596).

    François Stuerhelt , Jean Bodin, portrait gravé destiné à illustrer les Illustres d’Anjou de Claude Ménard (avant 1620)

    Celui-ci a formulé une nouvelle théorie de la souveraineté, post-féodale dans une certaine mesure, cette mesure étant celle de la monarchie absolue en formation. On la retrouve d’exposée dans Les Six Livres de la République, écrit en français en 1576 et formant un corpus de pas moins de mille pages, réédité quatorze fois en un peu plus de cinquante ans, avec également plusieurs éditions d’une version latine.

    Le terme de « république » est à prendre au sens où il était utilisé à l’époque, au sens de res publica en latin, la chose publique. Jean Bodin se propose de présenter la conception de la « puissance souveraine » comme base même de cette chose publique.

    La première phrase du premier chapitre dit déjà tout :

    « République est un droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine. »

    En clair, Jean Bodin se proposait de remplacer le socle fondée de manière unilatérale sur la religion et le système aristocratique par une version modernisée, focalisée sur le pouvoir royal uniquement.

    La première phrase de la préface est déjà, en soi, une définition idéologique :

    « Puisque la conservation des Royaumes et Empires, et de tous peuples dépend, après Dieu, des bons Princes et sages Gouverneurs, c’est bien raison (Monseigneur) que chacun leur assiste, soit à maintenir leur puissance, soit à exécuter leurs saintes lois, soit à ployer leurs sujets par dits et par écrits, qui puissent réussir au bien commun de tous en général, et de chacun en particulier. »

    Les phrases qui suivent immédiatement après celle-ci traitent bien entendu directement des guerres de religion, qui sont les troubles permettant justement à Jean Bodin d’exposer son point de vue, et qui plus est de le justifier.

    Les voici :

    « Et si cela est toujours honnête, et beau à toute personne, maintenant il nous est nécessaire plus que jamais.

    Car pendant que le navire de notre République avait en poupe le vent agréable, on ne pensait qu’à jouir d’un repos très-haut fermé, et assuré, avec toutes les farces, mommeries, et mascarades que peuvent imaginer les hommes fondus en toutes sortes de plaisirs.

    Mais depuis que l’orage impétueux a tourmenté le vaisseau de notre République, avec telle violence que le Patron même, et les pilotes sont comme las, et recrus d’un travail continuel, il faut bien que les passagers y prêtent la main, qui aux voiles, qui aux cordages, qui à l’ancre : et ceux à qui la force manquera, qu’ils donnent quelque bon avertissement, ou qu’ils présentent leurs vœux et prières à celui qui peut commander aux vents, et apaiser la tempête, puisque tous ensemble courent un même danger. »

    Formulation géniale, qui explique que l’appareil d’État doit intervenir pour épauler le pouvoir central afin de compenser le déséquilibre provoqué par les guerres de religion. C’est l’idéologie de la faction des politiques, dont les Essais de Montaigne furent le noyau idéologique.

    Mais quelle forme doit alors avoir l’État? Il ne s’agit plus d’une monarchie du type passé, et certainement pas plus d’une tyrannie. Il doit s’agir d’une monarchie modernisée, ce que nous connaissons sous la forme de la monarchie absolue, où l’État est centralisé, disposant d’une administration unifiée à l’échelle du pays. 

    Voici comment Jean Bodin présente les alternatives :

    « La Monarchie seigneuriale est celle où le Prince est fait Seigneur des biens et des personnes par le droit des armes, et de bonne guerre, gouvernant ses sujets comme le père de famille ses esclaves.

    La Monarchie tyrannique est où le Monarque méprisant les lois de nature, abuse des personnes libres comme d’esclaves, et des biens des sujets comme des siens (…).

    Le Monarque Royal est celui, qui se rend aussi obéissant aux lois de nature, comme il désire les sujets être envers lui, laissant la liberté naturelle, et la propriété des biens à chacun. J’ai ajouté ces derniers mots, pour la différence du Monarque seigneurial, qui peut être juste et vertueux Prince, et gouverner ses sujets équitablement, demeurant néanmoins seigneur des personnes et des biens. »

    On a ici la base historique de la fondation de l’État français s’arrachant à la base féodale par la monarchie absolue, forme pourtant féodale elle-même.

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  • Mercantilisme et physiocratie : la monarchie absolue et le capital marchand

    Le développement toujours plus large de la monnaie dans le cadre du développement du capitalisme a fait que cet aspect de l’économie a attiré toujours plus d’attention dans le cadre du développement des États s’arrachant au féodalisme.

    Il y a ici une convergence d’intérêt entre les formes les plus développées de capital marchand, les producteurs devenant commerçant et la monarchie absolue ayant besoin de davantage de ressources.

    La France, pays de monarchie absolue où la bourgeoisie est soutenue par le monarque mettant relativement de côté l’aristocratie et nettement le clergé, connaîtra le développement de l’idéologie « colbertiste ».

    L’Angleterre et les Pays-Bas, pays où le capitalisme était bien plus avancé, connurent l’idéologie « commercialiste ».

    L’Allemagne, pays retardé dans le développement du capitalisme, développera le « caméralisme », alors que l’Espagne, pays encore plus retardé, aura de son côté le « bullionisme ».

    Philippe de Champaigne,
    Portrait de Jean-Baptiste Colbert, 1655

    L’Espagne féodale misait tout sur les métaux précieux, s’imaginant que la richesse provenait d’eux.

    L’Allemagne un peu plus avancé sur le rôle de l’État, alors que déjà l’Angleterre et les Pays-Bas raisonnaient en termes de commerce extérieur, étant à la point du capitalisme.

    Le colbertisme représente une forme relativement intermédiaire dans ces choix, cédant la place ensuite à une forme plus avancée sur le plan capitaliste : la physiocratie.

    Ces différentes approches furent regroupées historiquement sous le terme de « mercantilisme », surtout pour sa version anglais, la plus « pure ».

    Le terme latin mercari, signifiant « faire du commerce », a de fait été employé au XVIIIe siècle par Victor Riquetti de Mirabeau pour forger en français le mot mercantilisme, désignant la première réflexion sur l’origine de la richesse d’un pays. Adam Smith, le fameux auteur de La richesse des nations à la même époque, reprendra le terme.

    Adam Smith (1723-1790) en 1787

    En fait, le mercantilisme est l’idéologie propre à une période où l’État féodal fait face au développement de la circulation de l’argent, tant en son sein qu’au niveau international.

    L’aristocratie voyait d’un mauvais œil, nécessairement, l’émergence des marchands et des commerçants, qui servaient d’intermédiaires entre les artisans et les consommateurs. Mais le développement de leur marché capitaliste était observé d’un œil attentif par la monarchie cherchant à être absolue.

    Elle y voyait un contre-poids face à l’aristocratie, mais également un moyen de renforcer l’État. Aussi, le mercantilisme est l’idéologie véritable de cet État tendant à la monarchie absolue, cherchant à engager un processus d’intégration de ce capitalisme naissant.

    Un rêve absurde, bien entendu, mais les observateurs liés à l’État alors n’avait pas d’autres moyens que de se focaliser sur ce qui apparaissait comme la source de la réussite des marchands et des commerçants : la circulation monétaire.

    La production restait un mystère ; les marchands et commerçants semblaient en mesure de profiter d’une manne céleste, où l’argent servait d’agent mystérieux.

    Karl Marx, dans Le Capital, note ainsi :

    « La première étude théorique du mode de production moderne – le système mercantile – partait nécessairement des phénomènes superficiels du procès de circulation, devenus autonomes dans le mouvement du capital marchand ; pour cette raison, elle appréhendait seulement l’apparence.

    Cela est dû en partie à ce que le capital marchand est la première forme indépendante d’existence du capital en général ; en partie à l’influence prépondérante qu’il exerce dans la première période du bouleversement de la production féodale, période qui est l’origine de la production moderne.

    La science réelle de l’économie moderne commence seulement là où l’examen théorique passe du procès de circulation au procès de production. »

    Le mercantilisme, c’est l’observation du capital marchand et de ses succès par une monarchie absolue en formation, avec une dimension anti-féodale, alors que sa base était féodale.

    Cela formait une contradiction explosive, dont le résultat sera en France l’essor d’une bourgeoisie sous l’aile de la monarchie absolue, jusqu’à la conflagration dans la révolution française.

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  • Mercantilisme et physiocratie : les limites historiques du capital marchand

    Il serait erroné de penser que, de manière logique, les commerçants et les marchands partent à la conquête du monde non capitaliste. En effet, lorsque les commerçants et marchands ont les mains libres, ils tentent de maintenir leur monopole, d’avoir une démarche agressive.

    Karl Marx, dans Le Capital, constate ainsi :

    « Là où le capital marchand domine, il représente, par conséquent partout, un système de pillage tout comme d’ailleurs son évolution chez les peuples commerçants des temps anciens et des nouveaux est directement liée au pillage par la violence, à la piraterie, au rapt d’esclaves, à la soumission (dans les colonies) ; ainsi à Carthage, à Rome, plus tard chez les Vénitiens, les Portugais, les Hollandais, etc. (…).

    Dans le monde antique, l’action du commerce et le développement du capital marchand aboutissent toujours à une économie esclavagiste ; ou, suivant leur point de départ, pouvant aboutir à la simple transformation d’un système d’esclavage patriarcal orienté vers la production de moyens de subsistance directs en un système orienté vers la production de plus-value.

    Par contre, dans le monde moderne, l’action du commerce conduit au mode capitaliste de production. »

    Par conséquent, c’est là un paradoxe, le capital marchand n’aboutit pas à la formation du capitalisme. Si cela avait été le cas, alors le capitalisme se serait développé de manière naturelle bien plus rapidement, un peu partout dans le monde, dès qu’il y avait un embryon de commerce.

    Il faut, pour que le mode de production s’élance, que le producteur lui-même cesse d’être un élément passivement lié au commerçant, au marchand, pour assumer lui-même une fonction de commerçant, de marchand.

    Telle est la voie naturelle, authentiquement dialectique, de l’émergence du capitalisme.

    Rembrandt, La Compagnie [de la milice bourgeoise des mousquetaires d’Amsterdam] de Frans Banning Cocq et Willem van Ruytenburch, dit la Ronde de nuit, 1642

    Karl Marx affirme, ainsi, dans Le Capital :

    « La transition à partir du mode de production féodal s’effectue de deux façons.

    Le producteur devient commerçant et capitaliste, en opposition à l’économie agricole naturelle et à l’artisanat corporatif de l’industrie citadine du Moyen-Âge.

    Voilà la voie réellement révolutionnaire.

    Ou encore le commerçant s’empare directement de la production.

    Bien que cette dernière voie joue, dans l’histoire, un rôle de transition, en fait elle n’arrive pas à révolutionner l’ancien mode de production qu’elle conserve comme base. »

    Pourquoi cela ? Tout simplement, parce que dans une situation de monopole, les commerçants et les marchands pressurisent les producteurs, mais ne se trouvent nullement dans une situation où ils ont besoin de révolutionner la production. Il n’y a pas de concurrence et il n’est de toutes façons pas dans leur intérêt de renforcer leurs intermédiaires.

    Ce qui se passe ici, en fait, est l’expression de la contradiction entre commerçant et marchand. Le producteur se détourne du marchand pour devenir commerçant, fournissant lui-même sa marchandise non plus au marchand, mais en le plaçant directement dans le processus de circulation.

    Le capital marchand est alors en quelque sorte neutralisé, il se borne à accomplir le processus de circulation au service d’une production toujours plus puissante et cherchant toujours plus de débouchés.

    Les commerçants et les marchands menaient une existence bornée géographiquement, se résumant à leurs possibilités d’acheter et de vendre ; leur succès aboutit au producteur se jetant dans le commerce, dans un marché déjà grand, devenant toujours plus grand, ne connaissant plus de frontières.

    Comment comprendre ce dépassement du capital marchand ? C’était difficile à l’époque et cela donna naissance aux conceptions dites mercantilistes.

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  • Mercantilisme et physiocratie : le capital marchand

    Historiquement, la première forme de capital est le capital marchand. Il est porté par les commerçants et les marchands, qui ont accumulé suffisamment de travail pour disposer de suffisamment de moyens d’échanges et tentent de généraliser autour d’eux les échanges, en en tirant un bénéfice.

    Les commerçants et les marchands apparaissent initialement comme des intermédiaires troquant, achetant des objets pour les revendre. Le capital accumulé alors sert à renforcer les achats et les ventes, afin d’élargir toujours plus les capacités du capital à s’approprier davantage de biens, afin des les vendre plus et plus cher.

    Karl Marx définit la nature du capital marchand de la manière suivante dans Le Capital :

    « La fonction du capital marchand se résout donc à ceci : échange de marchandise par achat et vente. »

    Les commerçants et les marchands sont apparus initialement comme les premiers capitalistes. Le capital marchand est la première forme capitaliste, procédant à la reconnaissance d’objets produits en marchandises, en biens à échanger.

    Ce qui intéressent les commerçants, les marchands, ce n’est pas l’objet lui-même, ni sa production, mais simplement la possibilité de se le procurer, afin de le revendre.

    Ils existent à différentes époques, avec plus ou moins de marge de manœuvre, depuis le vendeur ambulant d’une société arriérée jusqu’au marchand appartenant à une guilde, une coopération de marchands exerçant des pressions sur les institutions afin d’avoir davantage de marge de manœuvre.

    Quentin Metsys, Le Prêteur et sa femme, 1514

    Le capital marchand n’est donc pas propre au mode de production capitaliste ; les commerçants et les marchands sont présents dans les modes de production précédents.

    Karl Marx nous dit ainsi :

    « Le commerce et même le capital marchand sont plus anciens que le mode capitaliste de production ; ils représentent en effet, du point de vue historique, le mode d’existence indépendante le plus ancien du capital (…).

    Dès que le capital s’est emparé de la production elle-même en lui conférant une forme spécifique tout à fait modifiée, le capital marchand ne se présente plus que comme capital doté d’une fonction particulière.

    Dans tous les modes de production antérieurs, le capital marchand apparaît comme la fonction par excellence du capital, et ceci d’autant plus que la production s’avère davantage être production directe de moyens de subsistance pour les producteurs eux-mêmes. »

    Dans les modes de production non capitalistes, les commerçants et les marchands apparaissent comme le capitalisme lui-même, car le capital marchand transforme des objets en marchandises, c’est-à-dire en biens présents sur un marché, pouvant être acheté, vendu, de nouveau acheté, de nouveau vendu, etc.

    La valeur d’usage caractérisant un objet, son utilité, sa fonction, sa nature même, etc. cède la place à sa valeur d’échange, qui est uniquement ce qui intéressent les marchands et les commerçants.

    Les marchands et les commerçants possèdent donc une image tout à fait part dans les sociétés primitive, esclavagiste, féodale : ils forment une catégorie à part.

    Hans Holbein le jeune,
    Portrait de Georg Giese [un marchand de la Hanse], 1532

    D’ailleurs, les marchands et les commerçants n’ont alors aucun impact, aucun pouvoir sur la production qui est faite. Les marchands et les commerçants trouvent ce qu’ils peuvent, comme ils peuvent.

    Ils se glissent dans les interstices de sociétés où l’argent n’est pas nécessairement encore institutionnalisé, où la circulation des biens est parfois inexistante, voire quasiment impossible, etc.

    Façonner une société où l’argent existe de manière reconnue et où les échanges sont possibles a donc été un intérêt essentiel du capital marchand. Le soutien aux inventeurs s’explique pour cette raison, tout comme le soutien aux artistes allait dans le sens de la recherche d’une reconnaissance sociale des marchands et des commerçants.

    Ce qui distingue l’époque de Spinoza, au XVIIe siècle, de celle d’Averroès, au XIIe siècle, au-delà de leur substance idéologique commune, avec notamment la séparation de la raison et de la religion, est précisément l’élargissement de la circulation des marchandises.

    Le mode de production capitaliste émerge justement lorsque la circulation des marchandises n’est plus portée à bout de bras par les marchands et les commerçants, mais lorsqu’elle existe en tant que telle, de manière autonome par rapport aux marchands et commerçants qui sont alors à la fois nombreux et qui, s’ils arrivent à manquer, sont immédiatement remplacés par des personnes devenant commerçants ou marchands.

    Karl Marx constate une loi dans cet épisode historique :

    « La loi selon laquelle le développement autonome du capital commercial est en raison inverse du développement de la production capitaliste apparaît le mieux dans l’histoire du commerce de commission (carying trade), comme chez les Vénitiens, les Génois, les Hollandais, etc.

    Leur profit principal n’est pas réalisé par l’exportation des produits de leurs propres pays, mais par leur rôle d’intermédiaire dans l’échange des produits de communautés peu développés du point de vue commercial et économique, ainsi que par l’exploitation des deux pays producteurs.

    Ici, le capital marchand est pur, séparé des extrêmes, les sphères de production entre lesquelles il fait l’intermédiaire.

    C’est là une des sources principales de sa formation (…). Au début, le capital commercial est simple mouvement intermédiaire entre des extrêmes qu’il ne domine pas et des conditions qu’il ne crée pas (…).

    Les commerce des premières villes et des premiers peuples commerçants autonomes et superbement développés reposait, en tant que commerce intermédiaire pur, sur la barbarie des peuples producteurs entre lesquels il jouait le rôle d’intermédiaire. »

    Ainsi, de manière dialectique, plus le capital marchand progresse, plus il généralise la fonction de commerçants et de marchands, supprimant le monopole de ceux ayant existé jusque-là. Le capital marchand cesse de porter la démarche capitaliste, qui devient autonome et se réalise alors par la suite comme mode de production généralisé à toute la société.

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  • Les faux « maoïstes », un opportunisme régressif

    « Mao, dans son Analyse des classes de la société chinoise (1926), oppose la lutte de la révolution à celle de la contre-révolution, avec la « bannière rouge de la révolution, levée par la IIIe Internationale, afin de rallier autour d’elle toutes les classes opprimées du monde; l’autre bannière est le drapeau blanc de la contre-révolution, et c’est la Société des Nations qui l’a levé afin de rallier autour d’elle toutes les forces contre-révolutionnaires du monde ».

    Mao distingue les classes de la société chinoise en fonction de comment elles se décideraient, pour l’avancée de la révolution, entre la bannière rouge et la bannière blanche. Cela ne lui suffisait pas d’analyser la situation économique des différentes classes de la société chinoise. Faisait partie de son analyse également la prise de position des différentes classes par rapport à la révolution.

    Il n’y aura pas de rôle dirigeant des marxistes-léninistes dans les futurs luttes de classes si l’avant-garde ne tient pas elle-même la bannière rouge de l’internationalisme prolétarien et si l’avant-garde ne répond pas elle-même à la question de savoir comment sera érigée la dictature du prolétariat, comment le pouvoir politique du prolétariat doit être exigé, comment le pouvoir de la bourgeoisie doit être brisé, si elle n’est pas prête avec une pratique à y répondre.

    L’analyse de classe dont nous avons besoin n’est pas à faire sans pratique révolutionnaire, sans initiative révolutionnaire.

    Les « revendications révolutionnaires de transition » que les organisations prolétaires ont posé ici et là, comme la lutte contre l’intensification de l’exploitation, la réduction du temps de travail, contre le gaspillage de la richesse sociale, pour le même salaire entre hommes, femmes et travailleurs immigrés, contre les cadences infernales, etc. – ces revendications de transition ne sont rien que de l’économisme syndicaliste, tant que n’est pas répondu en même temps à la question de savoir comment briser la pression politique, militaire et propagandiste qui se mettront de manière agressive au travers de la route de ces revendications si elles soulèvent des luttes de classe massives.

    Mais après – si on en reste à elles – ce n’est plus que de la merde économiste, parce que pour elles cela ne vaut pas le coup de prendre en charge le combat révolutionnaire et de mener à la victoire, parce que « vaincre suppose que l’on accepte le principe selon lequel la vie n’est pas le bien suprême pour les révolutionnaires » (Debray).

    On peut intervenir de manière syndicaliste avec ces revendications – mais « la politique trade-unioniste de la classe ouvrière est la politique bourgeoise de la classe ouvrière » (Lénine). Ce n’est pas une méthode d’intervention révolutionnaire. »

    Fraction Armée Rouge: Sur la conception de la guérilla urbaine, 1972

    Le maoïsme est apparu dans les années 1960 avec deux exigences ayant la même substance. Il fallait faire avancer la révolution en mobilisant les masses, cependant pour que cela puisse être fait, il fallait que celles-ci décrochent des institutions, tant de l’État que de l’économie capitaliste.

    Sans cela, rien n’était possible. On pouvait bien sûr s’abstenir de vouloir la révolution et éventuellement revendiquer, gagner quelques acquis – mais aucunement, donc, changer les choses en profondeur. Le Parti Communiste Français s’est accommodé de cela, ainsi que les partis soutenant l’Union Soviétique en général. Mais pas les maoïstes.

    Les exigences des maoïstes : l’initiative révolutionnaire

    Les maoïstes ont exigé l’initiative révolutionnaire, et ce dans tous les domaines. La première organisation maoïste française, l’Union des Jeunesses Communistes (marxistes-léninistes), souligne l’importance de cette question en affirmant :

    « Il faut constamment avoir à l’esprit les tâches générales que doit être capable de remplir un véritable Parti marxiste-léniniste ; le parti marxiste-léniniste doit :

    1° être présent dans toutes les classes et couches du peuple, en prenant la direction de toutes les forces populaires qui luttent contre la réaction ;

    2° organiser toutes les formes de lutte des classes (politique, économique, théorique, idéologique, armée…) »

    UJC (ml) : Édifions en France un Parti Communiste de l’époque de la révolution culturelle (1967)

    Il y a eu un style maoïste propre à chaque pays, sous la forme d’une manière d’exister au quotidien, avec des valeurs à part, une démarche de rupture. Ce sont les « naxalites » en Inde, les « brigadistes » en Italie, les « maos spontex » en France, les « Weathermen » aux États-Unis, les « prolétariens » au Bangladesh, etc.

    En France, le film La Chinoise de Jean-Luc Godard retranscrit de manière très efficace le style maoïste français. On y voit aussi ses limites : l’origine étudiante de beaucoup de ses membres, avec également un certain volontarisme, une approche formelle des choses, etc.

    C’est la raison pour laquelle les « maos spontex » français ont attiré l’attention du monde entier après mai 1968, pour toutefois s’effondrer dès le début des années 1970 alors que la vague maoïste s’élançait justement alors dans toute une série de pays.

    L’économisme syndicaliste des faux maoïstes

    Au milieu des années 1990, la revue trimestrielle Front Social était publiée de manière relativement confidentielle, avec quelques centaines d’exemplaires. Cependant, elle a joué un rôle significatif en reconstruisant le maoïsme français et en en corrigeant les défauts.

    La revue avait été fondée par un petit cercle de gens issus de la Gauche Prolétarienne, du mouvement autonome de la fin des années 1970, ainsi que de jeunes prônant la rupture et valorisant l’expérience révolutionnaire des années 1980 tels que les autonomes allemands.

    Cela a changé la donne, car les vieux restes du maoïsme français entrés en totale décadence se cantonnaient dans une ligne de « CGT lutte de classes » absolument incompatible pourtant avec ce qu’a été le maoïsme.

    Avoir changé la donne ne signifie pas qu’il y ait victoire complète. Ainsi, le développement de Front Social, son saut qualitatif aboutit au PCF (MLM), mais de manière entièrement séparée des restes décadents du maoïsme français.

    Pour cette raison, la ligne « CGT lutte de classe » se retrouve encore aujourd’hui dans toute une série de groupes et structures se revendiquant en France de Mao Zedong ou bien du maoïsme.

    C’est absurde. Comment peut-on se dire maoïste et soutenir la CGT, alors que celle-ci été le principal obstacle à mai 1968 ? Elle a été l’outil du PCF considéré par les maoïstes comme réactionnaire ! Elle fait partie, de manière complète, des institutions économiques capitalistes et étatiques !

    Le suivisme et les prétentions des faux maoïstes

    Les faux maoïstes ne vivent que de l’actualité de la CGT, des manifestations et des « mouvements sociaux », quand ils ne cherchent pas à parasiter tel ou tel phénomène à la mode, que ce soit en France ou à l’étranger.

    C’est la raison pour laquelle on a l’absurdité de leur célébration d’un phénomène comme les gilets jaunes, alors que s’il y a une chose éloignée des gardes rouges, c’est bien eux.

    Tout cela sert la prétention par les « faux maoïstes » de former une ligne de masses ayant du succès. Or, c’est vain. Les faux maoïstes ne touchent que superficiellement les choses et les gens. Et si en de rares occasions, ils parviennent à faire se bouger des gens, cela ne donne pas du mao spontex, mais du spontex toujours moins mao.

    C’est qu’on n’affronte pas à coups de volontarisme le 24 heures sur 24 du capitalisme aliénant et exploitant le prolétariat métropolitain.

    Le pillage intellectuel superficiel

    Une autre caractéristique des faux maoïstes est le parasitage du PCF (MLM). Profitant du fait que nous refusons de céder aux sirènes du légalisme et des réseaux sociaux, du syndicalisme et du suivisme aveugle de tout ce qui bouge, les groupes et structures faux maoïstes se prétendent la faction la plus efficace sur le terrain, tout en jouant d’ambiguïtés dans leurs expressions idéologiques.

    En clair, les faux maoïstes font semblant d’assumer ce que nous assumons, tout en disant que nous ne faisons rien, voire que nous n’existons pas. C’est absurde, mais une telle démarche permet de toucher les petits-bourgeois radicalisés cherchant à jouer avec le feu. Cela ne va pas sans incohérences, bien entendu.

    Tel groupe se revendique de la guerre populaire. Cela implique une compréhension de la violence autre que symbolique. Mais il ne connaît ni la RAF, ni les Brigades Rouges, ni le PCE(r), ni les CCC. C’est totalement incohérent.

    D’ailleurs, pour donner un exemple significatif, nous avions eu une discussion avec le Parti Communiste Maoïste d’Italie, qui existe depuis les années 1970 à travers différents noms. Nous leur avons dit : bon, c’est bien beau, mais, et les Brigades Rouges ? La réponse fut la stupeur de leur part et depuis une haine farouche à notre égard.

    Tel autre groupe dénonce le PCF (MLM) comme une petite secte uniquement composée de personnes juives. Cela ne l’empêche pas de pratiquer, lui aussi, la démarche de la copie conforme dans l’apparence. Citons un de ses documents, datant du 1er septembre 2019. On y trouve des concepts empruntés au PCF (MLM) : écocide, biosphère, démocratie populaire, ainsi que le principe de la vie comme richesse la plus précieuse de la nature.

    « Les régimes socialistes n’ont pas toujours su poser avec discernement la question de l’écologie, prisonniers qu’ils étaient entre des clés de compréhension primitives des écosystèmes et d’un impératif de tenir le rythme imposé par les agresseurs capitalistes.

    Cela n’enlève en rien le fait qu’ils ont été les premiers à poser la question de la biosphère et d’un développement harmonieux de l’économie par rapport à la nature. Celle-ci n’était plus considérée comme une marchandise, mais comme une source de richesses, dont la vie était la plus précieuse.

    En dépit des failles qu’on put connaître ces régimes pionniers ils forment la « voie étroite vers la survie ». Une véritable économie de guerre contre l’écocide et la dévastation de l’environnement.

    Soyons unitaires sur cette question en dépit de nos divergences :

    Il existe une quantité de questions sur la production industrielle, alimentaire, sur les perspectives pour l’ensemble de l’espèce humaine et de la planète. Les perceptions diffèrent en fonction des individus, des groupes politiques et sociaux, des idéologies. Nous ne pensons pas que notre organisation doit, de manière autoritaire, imposer un point de vue sur cette question, qui relève de la démocratie populaire. »

    On ne peut qu’être estomaqué d’un tel pillage. Mais telle est la démarche arrogante de vagues régulières de gens voyant la lumière, mais n’assumant pas tel ou tel aspect. Cela produit des démarches prétentieuses s’imaginant pouvoir contourner le problème et vaincre, en mettant sous le tapis ce qui « dérange ».

    L’incapacité à assumer Staline et le matérialisme dialectique

    Le fond du problème des faux maoïstes est qu’ils utilisent Mao Zedong comme prétexte à un syndicalisme révolutionnaire de type économiste ou bien à un spontanéisme de type anarchiste.

    Les faux maoïstes, c’est un Mao Zedong imaginaire, sans Staline, sans Lénine, sans Engels, sans Marx. C’est un fantasme emprunté au folklore des années 1960. C’est le vide culturel et idéologique, le comble quand on pense que le maoïsme, c’est la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

    Citons ici une critique faite à notre encontre en janvier 2012, témoignant de l’incompréhension complète de l’idéologie de l’URSS de Staline et de la Chine populaire de Mao Zedong :

    « Le p « c » « mlm » prétend détenir la vérité dans tous les domaines, être le parti de la science.

    Il avance la thèse de l’inéluctable marche vers le communisme de l’Univers et d’autres déclarations délirantes du même acabit. »

    Comment peut-on dire qu’on est maoïste et balayer d’un revers hautain, pétri par l’arrogance, le noyau même du matérialisme dialectique, du maoïsme ?

    Un opportunisme régressif

    Les faux maoïstes sont un phénomène consistant en un opportunisme régressif. C’est soit un néo-anarchisme, soit un néo-syndicalisme révolutionnaire. C’est soit de l’aventurisme sans lendemain, soit de l’économisme ennuyeux et sans valeur.

    Car on n’avance pas en faisant du suivisme à tout ce qui bouge et en cherchant, comme les trotskistes, à se présenter comme la faction la plus radicale. On n’avance pas non plus en cherchant à tout prix une reconnaissance par les réseaux sociaux, les médias ou bien par des regroupements révolutionnaires étrangers plus ou moins importants.

    Tel groupe a, par exemple, changé maintes fois de nom, pour chercher successivement une reconnaissance par le Mouvement Révolutionnaire Internationaliste regroupant différentes structures maoïstes, puis les maoïstes du Pérou, ensuite du Népal, enfin de Turquie et d’Italie. Cela fait beaucoup.

    Tels autres groupes cherchent une reconnaissance par le MLPD, un équivalent « marxiste-léniniste » de Lutte Ouvrière en Allemagne. C’est là chercher à contourner les questions de fond.

    Les caractéristiques du maoïsme authentique

    Le maoïsme authentique produit des analyses matérialistes historiques de la société française. Il a une fidélité intellectuelle et culturelle aux classiques du communisme : MARX, ENGELS, LÉNINE, STALINE, MAO ZEDONG. Il assume l’intervention révolutionnaire en la calibrant en fonction de ces analyses.

    Le maoïsme authentique est porté par des personnes assumant la rupture avec les valeurs du vieux monde et brûlant d’envie de transformer la réalité, par besoin existentiel d’affirmer le Communisme.

    Le maoïsme authentique soutient que la matière éternelle va au Communisme, de par la nature dialectique de son mouvement.

    Le maoïsme authentique affirme par conséquent l’optimisme révolutionnaire le plus résolu, forgé dans la certitude de la victoire !

    Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste)
    Septembre 2019

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