Galilée, Newton, Kant et la reconnaissance de l’espace et du temps: l’affirmation laïque de la science

La féodalité possédait une conception précise de ce qu’elle appelait la « création » : le monde était statique, fourni tel quel par Dieu, et la société devait se reproduire fidèlement, tout comme la nature se reproduisait à chaque cycle.

Au départ, cette conception n’était pas élaborée véritablement ; ce n’est qu’avec l’irruption du matérialisme en Europe, sous la forme de l’averroïsme, au XIIIe siècle, que la panique devint générale dans la féodalité et qu’une véritable théorie fut construite à ce sujet, notamment par Thomas d’Aquin.

Le paradoxe ici était que la féodalité faisait semblant d’accepter certaines thèses seulement d’Aristote, celles qui lui permettaient de maintenir une position réactionnaire, afin de contrer l’averroïsme qui portait la dimension progressiste d’Aristote. Cela fit que lutter contre la féodalité signifiait lutter également contre ce qui semblait être la philosophie d’Aristote.

Cette précision est d’importance, toutefois, quand on regarde les choses en détail ; ce qui compte le plus, c’est de voir que la féodalité avait une conception bien à elle de la réalité matérielle, de la nature, bref de l’espace et du temps.

Or, la bourgeoisie naissante avait besoin de progrès matériels. Elle ne pouvait se contenter d’accepter la domination idéologique d’une conception disant que tout se répète par cycle, tant dans la nature que dans la société, et que rien ne doit changer, que tout est statique par définition.

La bourgeoisie naissante devait transformer, aussi a-t-elle fourni les moyens matériels de vivre et de travailler à des artisans, des artistes, des penseurs se mettant à son service.

Cela, les rois, les empereurs, les princes, etc. l’avaient parfois déjà fait, ayant besoin d’une meilleure administration, d’une meilleure armée, de meilleurs fonctionnaires. La monarchie absolue de Louis XIV est ici un exemple fameux.

Mais ce n’était rien en comparaison de ce que la bourgeoisie était en mesure de faire.

Rembrandt, La Leçon d’anatomie du docteur Tulp, 1632

Pour libérer la science face aux thèses féodales, la bourgeoisie a eu trois figures magistrales : Galilée, Isaac Newton et Emmanuel Kant, qui se suivent et voient leurs idées s’assembler jusqu’à l’affirmation de :

– la séparation radicale entre la science et la religion ;

– la réflexion sur la technique (avec les instruments) et la science, notamment au moyen de la géométrie et des mathématiques.

Comment ont-ils fait cela ? En chassant Dieu de l’espace et du temps. Telle a été leur mission, tel a été leur rôle historique. Ils ont laïcisé la science – ils ne l’ont pas amené jusqu’à l’athéisme, car seul le matérialisme dialectique peut faire ainsi.

Mais ils ont pu faire en sorte que les scientifiques disposent désormais d’une autonomie de plus en plus complète – avec un prix à payer toutefois.

En rejetant le concept Dieu hors des sciences, la science de l’époque a rejeté le principe d’universel, pour plonger dans le particulier. Elle a abandonné la possibilité d’affirmer une explication du monde qui soit totale – cela, seule la classe ouvrière pourra le faire ensuite, avec le matérialisme dialectique.

Aussi, dans la science portée par la bourgeoisie, ce n’est pas la réalité physique qui prime, mais les mathématiques, c’est-à-dire les calculs aidant la compréhension de la physique du monde local, et basculant toujours plus dans l’abstraction, dans l’idéalisme, dans l’autonomie complète, et cela au nom de la nature « organisée » mathématiquement du monde.

C’était obligatoire de par la vision bourgeoise du monde des scientifiques alors.

Chez Galilée, Isaac Newton, Emmanuel Kant, comme chez les auteurs du matérialisme anglais ou les déistes français (et René Descartes avant eux), la franc-maçonnerie, etc., Dieu a fourni le matériel à la raison humaine, pour en disposer comme bon lui semble.

Dieu a conçu le monde mathématiquement, et la raison humaine peut remonter jusqu’à Dieu par une compréhension rationnelle, mathématique, séparée des sens et de la réalité.

L’espace-temps, en définitive, n’est plus que le « cadre » du monde donné à l’humanité par Dieu. C’est là un point de vue pratique pour la bourgeoisie.

Voici comment le chevalier Louis de Jaucourt expose le point de vue d’Isaac Newton dans son article de l’Encyclopédie au sujet de l’Espace, en 1751 :

« L’autorité de M. Newton a fait embrasser l’opinion du vide absolu à plusieurs mathématiciens. Ce grand homme croyoit, au rapport de M. Locke, qu’on pouvoit expliquer la création de la matière, en supposant que Dieu auroit rendu plusieurs parties de l’espace impénétrables : on voit dans le scholium generale, qui est à la fin des principes de M. Newton, qu’il croyoit que l’espace étoit l’immensité de Dieu ; il l’appelle, dans son optique le sensorium de Dieu, c’est-à-dire, ce par le moyen de quoi Dieu est présent à toutes choses. »

Dieu est présent, mais en même temps absent : il n’est plus que l’origine d’un monde dont la compréhension devient autonome de la religion.

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et la reconnaissance de l’espace et du temps

Comité exécutif de l’Internationale Communiste: aux prolétaires de tous les pays [sur l’attaque polonaise]

[Mai 1920.]

Ouvriers de tous les pays !

De nouveau, le sang coule en Orient ! De nouveau, des opérations militaires ruinent de vastes régions ; de nouveau les masses qui aspirent à la paix, au travail créateur, à la régénération et à la reconstruction de leur Etat, sont forcées à combattre.

L’offensive de la Pologne capitaliste et bourgeoise contre la Russie socialiste interrompt, de nouveau, la travail pacifique que les ouvriers et les paysans russes ont commencé après avoir défait les agents du capitalisme mondial — Koltchak, Denikine et Youdénitch — et conquis définitivement les terres, les fabriques et les usines des propriétaires et des bourgeois.

A qui est la faute de ces nouveaux crimes ?

Vous savez que le Pouvoir Soviétiste avait reconnu l’indépendance de la Pologne dès le premier jour où cet État fut créé. Vous savez aussi que le gouvernement soviétiste a fait, à maintes reprises, des propositions de paix au gouvernement polonais.

Vous savez que le pouvoir soviétiste, en ménageant le sang des ouvriers russes et polonais, était toujours prêt à des concessions territoriales et économiques.

Vous savez aussi que le gouvernement soviétiste, étant sûr que les ouvriers polonais, alliés du prolétariat russe, prendront, tôt ou tard le pouvoir entre leurs mains, consentait même à concéder aux classes dirigeantes polonaises des territoires qui ne peuvent appartenir à la Pologne pour des raisons purement ethnographiques.

Vous savez aussi que le gouvernement soviétiste consentait à ce que la conférence de paix fût tenue non seulement à Varsovie, mais même à Paris ou à Londres, dans une de ces capitales bourgeoises, si étroitement liées avec les capitalistes et les propriétaires polonais.

Mais à toutes les propositions de paix du gouvernement soviétiste, la Pologne a répondu par une offensive félonne contre l’Ukraine, offensive qui a pour mot d’ordre le rétablissement du pouvoir de Petlioura, de cet aventurier qui se vendait tantôt aux impérialistes alliés, tantôt aux impérialistes allemands, et qui se met maintenant au service des propriétaires polonais, oppresseurs séculaires du peuple ukrainien.

La Pologne n’a commencé la guerre que pour imposer à la Russie, ruinée par les incessantes attaques des capitalistes alliés, une énorme contribution territoriale et pécuniaire.

Mais la faute de cette guerre est non seulement aux propriétaires et capitalistes polonais, elle est aussi aux gouvernements de l’Entente. Ce sont eux qui ont armé et qui arment toujours la Pologne blanche.

Tout en traitant avec le gouvernement soviétiste la question du rétablissement des relations commerciales avec la Russie, les impérialistes alliés ne perdent pas l’espoir de briser le pouvoir des ouvriers et des paysans de la Russie soviétiste.

L’Entente estime que la République des Soviets commencera à se décomposer politiquement dès qu’elle aura entamé des rapports commerciaux réguliers avec l’Europe ; en même temps, elle espère anéantir la Russie soviétiste par un coup qu’elle cherche à lui porter par la main d’un pays étranger quelconque.

Les impérialistes alliés croient toujours qu’ils pourront écraser le prolétariat russe et le ramener de nouveau à l’esclavage, s’ils lancent contre lui de nouvelles hordes contre-révolutionnaires.

Les capitalistes français ont envoyé à la Pologne non seulement des armes, en quantité énorme, mais encore 600 officiers (sous les ordres du général Henry) qui aideront les officiers polonais mal instruits à attaquer la Russie soviétiste.

D’un seul mot, mais catégorique et ferme, le gouvernement anglais aurait pu empêcher cette guerre, en déclarant : « Assez de guerres, assez de destructions ! La Russie est une source inépuisable de matières brutes et le monde entier en a besoin. ».

Mais le gouvernement de Lloyd George, qui fait appel, dans ses notes au gouvernement soviétiste, aux sentiments d’humanité et qui exige l’amnistie pour tous les contre-révolutionnaires d’Arkhangel et de Crimée, le gouvernement de Lloyd George n’a pas voulu dire que c’était assez de sang et de larmes.

Les bandits polonais ont promis à Lloyd George de lui envoyer de l’Ukraine occupée du blé et des matières premières, et cette promesse avait suffi pour que le gouvernement britannique, tout en poursuivant ses pourparlers avec la Russie soviétiste relativement au rétablissement des rapports commerciaux, autorisât la Pologne blanche à attaquer la république soviétiste.

Le gouvernement italien de Nitti, qui a une peur bleue des masses révolutionnaires italiennes et qui profite de toute occasion pour manifester au peuple russe ses sentiments d’amitié, le gouvernement italien, au lieu de protester contre l’offensive de la Pologne blanche, lui envoie des armes par l’intermédiaire de l’Autriche.

Quant au gouvernement américain, on le connaît bien. Les aviateurs américains bombardent les villes ukrainiennes. La faute de cette guerre est aux gouvernements de tous les pays alliés qui soutiennent tous, plus ou moins, les bandits et les voleurs polonais.

Ouvriers de tous les pays !

La Russie soviétiste aura raison des bandits sans vergogne de l’impérialisme polonais, comme elle a déjà eu raison de Youdénitch, de Koltchak et de Dénikine, que vos gouvernements avaient soutenus non moins énergiquement.

Après les premières victoires très faciles que les légions polonaises ont remportées en Ukraine, elles auront à essuyer la colère des ouvriers et des paysans de toute la Russie et même celle des masses sans-parti qui comprennent maintenant que le gouvernement soviétiste est le véritable défenseur de l’indépendance du grand pays.

Mais il s’agit de savoir, quelle sera la durée de cette guerre, combien de richesses seront encore anéanties et combien de blessures nouvelles aura encore à guérir le peuple russe.

Il ne dépend que de vous, ouvriers de tous les pays, que cette guerre finisse, le plus vite possible, par une débâcle des capitalistes et des propriétaires polonais. Ouvriers des fabriques de munitions de guerre de la France, de l’Angleterre, de l’Italie et de l’Amérique !

Ne fabriquez pas un seul fusil, un seul canon pour la Pologne. Ouvriers des transports, cheminots, chargeurs et matelots ! Empêchez qu’on envoie à la Pologne des munitions et des vivres qui aideront les blancs à faire la guerre à la Russie soviétiste.

Ouvriers de tous les pays alliés !

Organisez des manifestations et des grèves et parcourez les rues de vos villes avec des drapeaux portant comme devise ces mots : « Pas de concours à la Pologne blanche ! » Les alliés doivent museler leurs chiens de chasse — les capitalistes et les propriétaires polonais — et conclure une paix honnête avec la Russie soviétiste.

Ouvriers de l’Allemagne et de l’Autriche ! Vous savez que la Russie soviétiste est la base de la révolution mondiale et qu’il n’y a que cette révolution qui puisse vous libérer du joug de vos propres capitalistes et de la corde que les traités de paix de Versailles et de Saint-Germain ont passée à votre cou.

Cheminots allemands ! Arrêtez tous les trains qui se rendent de France en Pologne. Ouvriers du port de Dantzig ! Ne déchargez pas les steamers à destination de la Pologne. Cheminots autrichiens ! Pas un train ne doit passer de l’Italie en Pologne.

Ouvriers de la Roumanie, de la Finlande et du pays letton ! Vos gouvernements blancs, qui se sont liés par des traités secrets avec les propriétaires polonais, peuvent vous entraîner dans cette guerre. Soyez prudents et faites votre possible pour empêcher cette honte.

Ouvriers de la Pologne ! Une lutte commune de trente ans vous lie avec le prolétariat russe ; il est donc inutile de vous rappeler votre devoir. Vous le faites consciencieusement : vous organisez des manifestations et des grèves et vous exigez la paix avec la Russie soviétiste, en participant ainsi à notre lutte qui vous coûte déjà des milliers de victimes.

C’est avec fierté que vous regarde la 3e Internationale, dont les fondateurs comptent dans leurs rangs Rosa Luxemburg et Jean Tyszkevicz ; la 3e Internationale est sûre que vous tendrez, à l’heure qu’il est, tous vos efforts pour attaquer la Pologne blanche sur ses arrières et pour remporter, avec le concours des ouvriers de la Russie, une victoire décisive sur les capitalistes et propriétaires polonais !

Vous savez que ce n’est pas l’esclavage que la Russie soviétiste apporte à la Pologne, mais la liberté nationale, l’émancipation de l’oppression du capitalisme allié et un secours puissant dans votre lutte contre vos propres capitalistes.

La victoire de la Russie ouvrière et paysanne sera aussi celle du prolétariat polonais, qui est le frère et l’allié des ouvriers et des paysans russes. Attaquez donc, ouvriers, polonais ! C’est votre combat final ! Le jour approche où la justice de votre pays sera entre vos mains.

A bas les capitalistes et propriétaires polonais ! Vive la Russie soviétiste des ouvriers et des paysans !

A bas la guerre ! Vive la paix entre les peuples qui travaillent de la Russie et de la Pologne !

A bas le jeu criminel des gouvernements alliés ! Vive la révolution prolétarienne internationale !

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste

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Comité exécutif de l’Internationale Communiste: aux syndicats de tous les pays

[Avril 1920.]

Au lendemain du 2 août 1914, au début de la bou­cherie impérialiste, les syndicats comptaient plus de 10 millions de membres. Ils n’opposèrent pourtant nulle part une résistance tant soit peu sérieuse à la boucherie impérialiste.

Au contraire, les chefs de l’ancien mouvement syn­dical se mirent dans la plupart des cas, eux et leurs organisations, à la disposition des gouvernements bourgeois. Tout l’appareil des anciens syndicats fut mis au service du haut commandement impérialiste.

Toutes les lois sur la protection du travail furent abrogées par la bourgeoisie avec l’entier consente­ment des chefs des syndicats. Un travail obligatoire extrêmement lourd, un travail de forçat imposé même à des femmes de 60 ans, fut institué par la bour­geoisie avec l’approbation de ces mêmes chefs.

Mais les leaders des anciens syndicats asservirent aussi dans le domaine intellectuel leurs organisations à la bourgeoisie.

Les revues et les journaux édités par les anciens syndicats bénirent les ouvriers allant au devant de la mort ; cette presse ouvrière les bénit au nom du capital, répéta le mensonge bourgeois sur la « défense de la patrie » et se fit partout la prota­goniste des idées bourgeoises, qu’elle s’efforça de ré­pandre dans le cœur même des ouvriers syndiqués.

Les anciens syndicats rongés par la gangrène de l’op­portunisme, trahis par leurs chefs, élevés dans l’atmosphère de serre du réformisme pacifique, n’eurent pas la force d’élever la moindre protestation contre la tuerie impérialiste.

Les syndicats qualifiés « libres » dirigés par Legien fusionnèrent en réalité avec les syndicats traîtres, les syndicats jaunes, fournisseurs de renards1.

Mais voilà que la guerre est finie. La paix impé­rialiste conclue aux dépens des peuples, montre aux aveugles mêmes au nom de quoi elle fut menée.

Les armées sont démobilisées, les ouvriers revien­nent à leurs organisations.

Que vont devenir les syndicats ? Dans quelle voie vont-ils entrer ?

Leurs anciens leaders voudraient les pousser de nouveau dans la voie bourgeoise. Les bourreaux de la classe ouvrière, ses pères bourreaux — un Noske en Allemagne, un Seidi en Hongrie — sont sortis des cadres de l’ancien mouvement syndical.

Demain, si les circonstances leur sont favorables, MM. Jouhaux en France, Gompers en Amérique, etc. deviendront à leur tour des Noske, bourreaux de la classe ouvrière, comme il est arrivé à leurs pareils dans plus d’un pays.

Quels sont les traits caractéristiques de l’ancien mouvement syndical qui l’ont conduit à la capitula­tion devant la bourgeoisie ? Ce sont :

L’esprit étroitement corporatif. L’éparpillement dans l’organisation. Le respect de la légalité bour­geoise. L’habitude de faire fond sur l’aristocratie ouvrière et de méconnaître les manœuvres et les ouvriers non qualifiés. Les cotisations trop élevées, inaccessibles à l’ouvrier ordinaire.

La concentration de toute la direction des syndicats entre les mains de personnes se trouvant en haut de l’échelle ouvrière, fonctionnaires qui tendaient de plus en plus à consti­tuer une caste bureaucratique syndicale. La propa­gande de la neutralité en présence des questions poli­tiques posées devant le prolétariat équivalait en réa­lité au soutien de la politique bourgeoise.

Le sabo­tage des contrats collectifs, qui, en fait, aboutissait à la conclusion de ces contrats par la bureaucratie syndicale et à l’asservissement par les capitalistes des ouvriers d’une profession donnée pour toute une suite d’années. La surestimation d’améliorations insi­gnifiantes (par exemple, de l’augmentation purement nominale des salaires) que les syndicats réussissaient à obtenir des patrons, à l’aide d’une entente pacifique.

La mise au premier plan des questions de secours et de mutualité au préjudice des caisses de grèves et de la combativité des syndicats. L’habitude de considérer les syndicats comme des organisations dont toute la mission est d’améliorer les conditions du travail dans les cadres du régime capitaliste et qui ne se donnent nullement pour but le renversement révolutionnaire du système capitaliste.

Tel fut l’ancien mouvement professionnel « libre», l’ancien trade-unionisme. Une pareille ambiance per­mettait à Gompers, en Amérique, de vendre les vo­tes des syndicats pendant les élections présidentielles, et aux Legien de tous les pays de faire des syndicats les instruments de la bourgeoisie.

Les syndicats vont-ils suivre l’ancienne voie du réformisme, c’est-à-dire, en réalité, de la bourgeoisie ? Telle est la question la plus importante qui se pose devant le mouvement ouvrier international.

Nous sommes profondément persuadés qu’il n’en sera rien. Un vent nouveau a soufflé maintenant sur les édi­fices des anciens syndicats.

Les « comités des fabri­ques et usines » créés en Angleterre, les « conseils d’exploitation » de l’Allemagne, les nouveaux points de cristallisation dans les syndicats français, les grandes unions telles que « la Triple Alliance » en An­gleterre, les nouveaux courants dans le mouvement professionnel américain — autant de symptômes mon­trant qu’une transmutation de valeurs commence dans le mouvement syndical du monde entier.

Un nouveau mouvement syndical se forme sous nos yeux.

Quels devront être ses traits caractéristiques ?

Il faut qu’il renonce à toutes les survivances de l’étroitesse corporative. Il faut qu’il mette à l’ordre du jour la lutte immédiate — d’accord avec le Parti Communiste — pour la dictature du prolétariat et pour le régime des Soviets, il faut qu’il refuse de repriser à la mode réformiste les anciennes défroques du capitalisme.

Le nouveau mouvement syndical doit mettre au premier plan la grève générale et préparer la combinaison de cette grève avec l’insurrection à main armée. Les nouveaux syndicats doivent embras­ser la masse ouvrière et non plus l’aristocratie ou­vrière Ils doivent appliquer le principe d’une stricte centralisation et de l’organisation par industrie et non par métiers.

Ils doivent tendre à obtenir un contrôle ouvrier réel sur la production, et participer ensuite énergiquement à l’organisation de l’industrie par la classe ouvrière victorieuse de la bourgeoisie.

Ils doivent entreprendre une lutte révolutionnaire pour la socialisation immédiate des principales branches de l’économie, sans oublier que nulle organisation sé­rieuse n’est possible avant la conquête du pouvoir soviétiste par le prolétariat.

Ils doivent expulser systématiquement de leur milieu les bureaucrates, infec­tés d’opinions bourgeoises et incapables de diriger la lutte révolutionnaire des masses prolétariennes. Ils doivent procéder chez eux au nettoyage effectué voilà quelques années par les syndicats russes et que les syndicats de l’Allemagne et des autres pays commencent maintenant.

La leçon donnée par la guerre n’est pas perdue. Les masses prolétariennes diront leur mot. Les syn­dicats ne peuvent plus réduire le travail à la lutte pour de dérisoires augmentations de salaires.

La cherté incroyable des objets de première nécessité, cherté croissante dans le monde entier, rend plus illu­soires que jamais les « conquêtes » dont les trade-unionistes, ancienne manière, étaient si fiers. Ou les syndicats doivent se transformer en véritables orga­nisations militantes de la classe ouvrière ou ils dis­paraîtront.

La puissante vague de grèves qui ébranle tout le continent européen, ainsi que l’Amérique et les autres parties du monde, est la meilleure preuve que les syn­dicats ne pourriront pas sur place, mais se régénére­ront vite.

Ils ne se tiendront pas à l’écart des gran­dioses problèmes qui concentrent l’attention du monde entier, qui divisent l’humanité entière en deux camps, celui des Blancs et celui des Rouges.

Chaque syndicat est maintenant contraint de s’intéresser aux questions des impôts directs ou indirects, au problème du paie­ment, des emprunts de guerre, à la nationalisation des chemins de fer, des mines, des principales bran­ches de l’industrie, etc.

Chaque syndiqué doit comprendre chaque jour plus clairement que la neutralité prêchée dans les syndicats par la bourgeoisie et par les opportunistes n’est qu’une duperie bourgeoise, qu’on ne peut rester ni tiède ni froid dans la lutte décisive engagée entre les deux classes.

Un mouvement de désagrégation est commencé dans les syndicats. Nous ne les reconnaîtrons plus dans quelques années. Les anciens bureaucrates du mouvement syndical seront des généraux sans armées. La nouvelle époque fera surgir une nouvelle généra­tion de leaders prolétariens du mouvement syndical régénéré.

Mais la bourgeoisie prévoyante veille. Par l’entre­mise de ses serviteurs éprouvés, par l’entremise des anciens leaders, elle s’efforce de nouveau à conquérir le mouvement.

Un congrès s’est réuni à Amsterdam. « Congrès international des Syndicats ». Legien, Jouhaux, Gompers et d’autres agents de la bourgeoi­sie ont voulu remettre le mouvement professionnel dans l’ancienne voie.

La Ligue des Nations, qui n’est en réalité qu’une association de malfaiteurs impérialistes, a convoqué à Washington et ensuite à Paris une ridicule conférence sur la « protection internatio­nale du travail » où les deux tiers des voix apparte­naient à la bourgeoisie et un tiers à ses agents (MM. Legien, Jouhaux et Cie) qui ont encore l’outrecui­dance de se qualifier « représentants ouvriers ».

Ces conférences de représentants triés par la bourgeoisie ont essayé de mettre une camisole de force au mou­vement ouvrier en voie de régénération. Les forces réunies des ministres bourgeois et de la bureaucratie syndicale veulent l’étendre sur le lit de Procuste du réformisme petit-bourgeois.

L’Internationale communiste en appelle aux prolétaires syndiqués du monde entier2. Mettez un terme, camarades, à ces railleries bourgeoises, démas­quez l’infâme comédie que jouent à vos dépens les ploutocrates ; dites au monde que vous n’avez rien de commun avec les créatures de Clemenceau et de Wilson.

Les meilleurs éléments du prolétariat mondial exi­gent partout la création du pouvoir soviétiste. Le temps n’est pas loin où l’humanité entière conquerra la forme du gouvernement soviétiste, c’est-à-dire pro­létarien.

Les syndicats continueront alors à jouer un rôle d’une importance énorme dans l’œuvre de trans­formation de l’économie capitaliste sur les bases du communisme. Ils auront leur place d’honneur à côté des Soviets comme nous le voyons maintenant dans la Russie sioviétiste.

L’Internationale communiste tient pour erronées les opinions de la minorité des communistes allemands qui se prononce contre la nécessité des syndicats en général.

Les Soviets industriels des entreprises (les comités des fabriques et des usines) qui se créent dans plusieurs pays non seulement ne rendent pas les syndicats inutiles, mais tout au contraire doivent être eux-mêmes, comme en Russie soviétiste, les prin­cipaux centres des syndicats industriels.

L’Internationale communiste estime que l’heure est venue où les syndicats, libérés des influences bour­geoises et des influences social-chauvinistes, doivent créer sans tarder leur organisation internationale par industries et à l’échelle mondiale.

Nous devons opposer à l’Internationale jaune des syndicats, à l’Internationale que les agents de la bourgeoisie s’efforcent de recréer à Amsterdam, à Washington et à Paris, l’Internationale rouge des syndicat, réellement prolétariens, l’Internationale syndicale qui œuvrera d’accord avec la 3e Internatio­nale communiste.

Dans plusieurs pays les syndicats traversent une crise marquée. L’ivraie est séparée du froment. L’Al­lemagne qui fut le rempart du mouvement bourgeois professionnel jaune dont le mouvement fut dirigé par les Legien et les Noske, voit toute une série de syn­dicats se détourner des social-démocrates jaunes et passer à la révolution prolétarienne.

Plusieurs syndi­cats ont déjà chassé les anciens chefs qui livrèrent naguère le mouvement professionnel aux capitalistes. Les syndicats italiens adoptent presque entièrement la plate-forme du pouvoir soviétiste. Le mouvement prolétarien révolutionnaire s’accuse de plus en plus énergiquement dans les syndicats scandinaves.

Les masses ouvrières des syndicats français, anglais, amé­ricains, néerlandais, espagnols renient l’ancienne tactique bourgeoise et exigent de nouvelles méthodes ré­volutionnaires En Russie trois millions et demi de syndiqués soutiennent sans réserve et avec un entier dévouement la dictature prolétarienne. Dans les pays balkaniques, la plupart des syndicats nouent des rela­tions étroites avec les partis communistes et se pla­cent eux-mêmes sous le glorieux drapeau communiste.

La 1re Internationale, l’Association Internationale des Travailleurs dirigée par Marx et Engels, tendait à embrasser toutes les organisations ouvrières et, en­tre autres, les syndicats.

La 2e Internationale (actuellement dissoute) invi­tait les syndicats à ses congrès, mais n’avait avec eux aucun lien d’organisation solide.

La 3e Internationale a l’intention de suivre sous ce rapport la voie de la 1re Internationale. Tout vrai syn­dicat prolétarien militant qui se posera les problèmes esquissés ci-dessus tendra lui-même à une étroite union avec l’avant-garde du prolétariat international organisé dans l’Internationale communiste.

L’œuvre d’émancipation de la classe ouvrière exige la concentration de toutes les forces organisées du prolétariat. Nous avons besoin d’armes de toutes espè­ces pour monter avec succès à l’assaut du capitalisme.

L’Internationale communiste doit faire face sur tous les fronts à la lutte libératrice du prolétariat interna­tional. A cet effet, elle tend à la plus étroite union avec les syndicats révolutionnaires qui comprennent les problèmes de notre époque.

L’Internationale communiste veut unifier non seule­ment les organisations politiques des travailleurs, mais aussi toutes les organisations ouvrières recon­naissant non en paroles, mais en action la lutte révo­lutionnaire et tendant à la conquête de la dictature prolétarienne.

Le Comité exécutif de l’Internationale communiste estime que ce ne sont pas seulement les partis politiques communistes qui doivent prendre part aux congrès de l’Internationale communiste, mais aussi les syndicats adoptant la plate-forme révolution­naire. Les syndicats rouges doivent s’unir internatio­nalement et devenir partie intégrante (section) de l’Internationale communiste.

Nous le proposons aux ouvriers syndiqués du monde enlier. L’évolution, la désagrégation qui se sont pro­duites dans les partis politiques du prolétariat se pro­duiront immanquablement dans le mouvement syndi­cal. Tous les grands partis ouvriers ont quitté la 2e internationale ; et de même tous les syndicats hon­nêtes devront rompre avec l’Internationale jaune des syndicats.

Nous proposons aux travailleurs syndiqués du monde entier de discuter cet appel dans leurs assem­blées générales et nous sommes profondément convaincus que les prolétaires honnêtes de tous les pays viendront serrer énergiquement la main que leur tend l’Internationale communiste.

Vive le nouveau mouvement syndical purifié de la contagion opportuniste !

Vive l’Internationale des syndicats rouges !

Le Président du Comité exécutif de l’Internationale communiste : G. ZINOVIEV.

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Comité Exécutif de l’Internationale Communiste: lettre aux IWW

Camarades et Frères ouvriers,

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste réuni à Moscou, au cœur de la Révolution russe, salue en les Travailleurs Industriels du Monde (I. W. W.) le prolétariat révolutionnaire d’Amérique.

Le Capitalisme, ruiné par la guerre mondiale, incapable de contenir plus longtemps les forces immenses qu’il a créées, est à son déclin.

L’heure de la classe ouvrière sonne. La révolution sociale est commencée et son premier combat d’avant-garde s’est livré en Russie.

L’histoire ne nous a pas demandé si nous le voulions ou non, si nous étions prêts ou non. L’occasion s’offre à nous. Saisissons-la et le monde appartiendra aux travailleurs ; laissons-la passer et des générations entières s’éteindront avant qu’elle se représente.

Il n’est plus temps de parler « d’édifier la société nouvelle dans les cadres de l’ancienne ». La vieille société brise son enveloppe. Il appartient aux travailleurs d’établir la dictature du prolétariat qui, seule, peut édifier la société nouvelle.

Un article publié par votre organe officiel One Big Union Monthly demandait : « Pourquoi devons-nous suivre les bolcheviks ? » L’auteur estimait que la révolution bolchevik n’avait « donné au peuple russe qu’un droit de vote ».

Ceci est naturellement faux. La révolution bolchevik a dépossédé les capitalistes des manufactures, des minoteries, des mines, des terres, des institutions financières et a tout transmis à la classe ouvrière.

Nous comprenons et nous partageons votre dégoût des principes et de la tactique des politiciens « jaunes » qui ont discrédité dans le monde entier le terme même de « socialisme ». Notre but est le même que le vôtre : une communauté sans État, sans gouvernement, sans classes dans laquelle les travailleurs administreront la production et la répartition dans l’intérêt de tous.

Nous vous adressons ce message, camarades ouvriers de l’Association Internationale des Travailleurs du Monde (I. W. W.) comme un témoignage de reconnaissance pour la part héroïque que vous prenez depuis si longtemps à la lutte des classes que vous avez fait naître dans votre pays, et afin de bien vous faire connaître nos principes communistes et notre programme.

Nous vous invitons, vous, révolutionnaires, à vous rallier à l’Internationale Communiste, née à l’aurore de la révolution sociale universelle.

Nous vous invitons à prendre la place à laquelle votre courage et votre expérience révolutionnaire vous donnent droit, au premier rang de l’Armée rouge prolétarienne combattant sous la bannière du communisme.

La classe capitaliste américaine se révèle sous ses véritables couleurs.

La cherté croissante de la vie, le chômage de plus en plus grave, la répression impitoyable de tous les efforts faits par les ouvriers pour améliorer leur condition, la déportation et l’emprisonnement des « bolcheviks », les lois contre les grèves, contre le « syndicalisme criminel », contre le « drapeau rouge », contre toute propagande en faveur du « renversement par la violence du gouvernement et les atteintes à la propriété », — toutes ces lois et ces mesures ne peuvent avoir aux yeux du travailleur conscient qu’une signification.

L’esclavage industriel est aussi vieux que le capitalisme ; et les travailleurs ont connu avant lui d’autres formes d’esclavage.

Mais à présent les capitalistes du monde, — Américains aussi bien que Français, Italiens, Anglais, Allemands, etc. — nourrissent le dessein de réduire définitivement les travailleurs à une servitude absolue et sans issue.

Il n’y a pas d’autre alternative : ou cette servitude, ou la dictature de la classe ouvrière. Et les travailleurs doivent choisir maintenant.

Le capitalisme fait des efforts désespérés pour reconstruire son édifice ébranlé. Les travailleurs doivent, par un coup de force, s’emparer de l’Etat et reconstruire la société selon leurs intérêts.

Avant la Guerre de Sécession, les esclaves nègres étaient, dans les États du Sud, attachés au sol. Les capitalistes industriels du Nord auxquels il fallait, pour fournir de main-d’œuvre leurs manufactures, une population flottante, proclamèrent l’esclavage, une offense à l’humanité, et l’abolirent par force. Or, les capitalistes industriels tentent aujourd’hui d’attacher les travailleurs à leurs manufactures.

Pendant la guerre, et dans tous les pays, les ouvriers perdirent pratiquement leur droit de grève et même relui d’interrompre le travail. Rappelez-vous les lois qui sévirent dans votre propre pays : travaille ou combats !

Et depuis que la guerre s’est terminée, que voyons-nous ? Le coût de la vie s’est accru de plus en plus, tandis que les capitalistes s’efforçaient de diminuer les salaires. Et, quand les ouvriers sont acculés par la faim à la grève, toutes les forces de l’État sont mobilisées contre eux pour les contraindre à reprendre le travail. Quand les cheminots cessèrent le travail en Californie, on les menaça de faire intervenir contre eux les troupes fédérales. Quand la Fraternelle des mécaniciens cheminots exigea une augmentation de salaires ou la nationalisation des chemins de fer, le président des États-Unis la menaça de toutes les rigueurs de la répression par les armes. Quand les mineurs américains quittèrent leurs puits, des milliers de soldats occupèrent les mines et la cour Fédérale adopta contre la grève les mesures les plus cyniques, défendant aux leaders d’ordonner la cessation du travail et interdisant le versement de secours aux grévistes. L’Attorney-Général des États-Unis finit par déclarer officiellement que le gouvernement ne tolérerait pas de grèves dans les industries « nécessaires à la communauté ».

Le juge Garry, qui se trouve à la tête du trust de l’acier, peut répondre par un refus au Président de la République qui lui demande de bien vouloir négocier avec un comité d’ouvriers. Mais quand les travailleurs de l’acier se mettent en grève, revendiquant un salaire qui leur permette de vivre et le droit élémentaire de se syndiquer, ils sont traités de bolcheviks et fusillés dans les ruée par les cosaques pennsylvaniens.

Et vous, camarades I. W. W., vous qui gardez les souvenirs amers d’Everett, de Tulsa, de Wheatland, de Centralia, où vos camarades furent massacrés ; vous dont des milliers de frères sont dans des geôles, vous qui accomplissez néanmoins le plus dur labeur dans les champs, dans les docks, dans les forêts, vous devez distinguer nettement le procédé grâce auquel les capitalistes tentent en se servant de leur arme éprouvée, l’Etat, d’instituer une société d’esclaves.

Le cri des capitalistes : « Produire plus ! Produire encore ! » retentit de toutes parts. En d’autres termes, les travailleurs ont à fournir plus de travail pour un moindre salaire, afin que leur sueur et leur sang monnayés servent à payer les dettes de guerre du monde capitaliste dévasté.

Pour qu’il en soit ainsi, les travailleurs doivent être privés du droit de quitter le travail ; ils doivent être empêchés de s’organiser afin d’arracher des concessions aux patrons ou de profiter de la concurrence entre ceux-ci. Le mouvement ouvrier doit être arrêté et brisé à tout prix.

Pour sauver le vieux système d’exploitation, les capitalistes doivent s’unir et enchaîner le travailleur à la machine.

Les capitalistes y réussiront-ils ?

Ils y réussiront à moins que les travailleurs ne déclarent la guerre au système capitaliste tout entier, ne renversent les gouvernements capitalistes et ne les remplacent par le gouvernement de la classe ouvrière qui doit détruire la propriété privée capitaliste et instituer la propriété commune de toutes les richesses.

C’est ce que les travailleurs russes ont fait et c’est la seule façon pour les ouvriers des autres pays de se libérer du servage industriel et d’organiser le monde, en sorte que le travailleur bénéficie du produit intégral de son travail et que nul ne puisse monnayer le travail d’autrui.

Mais si les travailleurs des autres pays ne s’insurgent pas contre leurs propres capitalistes, la révolution russe ne pourra tenir. Les capitalistes du monde entier, comprenant le danger que leur fait courir l’exemple de la Russie des Soviets, se sont coalisés pour la tuer. Les Alliés, oubliant à l’instant leur haine de l’Allemagne, ont invité les capitalistes allemands à se joindre à eux dans l’intérêt commun.

Et les travailleurs des autres pays commencent à comprendre. En Italie, en Allemagne, en France, en Angleterre, le flot de la révolution monte. En Amérique même les membres si conservateurs de l’American Federation of Labor se rendent compte que les grèves pour des augmentations de salaire et pour de meilleures conditions d’existence sont en réalité dépourvues de signification, le coût de la vie subissant une hausse constante. Ils ont proposé toutes sortes de remèdes à cette situation, réformes du « Plan Plumb », nationalisation des mines, etc. Ils ont fondé un soi-disant Parti du Travail (Labor Party) qui se donne pour but de réaliser la propriété municipale ou gouvernementale de l’industrie, un mécanisme électoral plus démocratique, etc.

Mais ces réformes, si même elles étaient accomplies, ne pourraient résoudre le problème. Tant que subsistera le système capitaliste, des hommes monnayeront le travail d’autrui. Toutes les réformes du système actuel ne font que leurrer le travailleur en lui faisant croire qu’il est un peu moins volé qu’auparavant.

La révolution sociale a commencé et sa première bataille se poursuit en Russie. Elle ne laisse pas aux travailleurs le temps d’expérimenter des réformes. Les capitalistes ont déjà détruit la république hongroise des Soviets. S’ils réussissent à juguler et briser le mouvement ouvrier dans les autres pays l’esclavage industriel sera fondé.

Avant qu’il soit trop tard, les travailleurs conscients doivent se préparer à repousser l’assaut du capitalisme, et à prendre à leur tour l’offensive pour le vaincre et l’extirper du monde.

La guerre et ses conséquences ont révélé avec une netteté saisissante les fonctions réelles de l’Etat capitaliste — de ses législations, de ses tribunaux, de ses polices, de ses armées, de sa bureaucratie.

L’État sert à défendre et affermir le pouvoir capitaliste et à brimer les travailleurs. Tout ceci est particulièrement vrai aux États-Unis, dont la constitution fut conçue par des négociants, des spéculateurs et des propriétaires fonciers dans le dessein de protéger leurs intérêts de classe contre la majorité du peuple.

Quant à présent, le gouvernement des États-Unis n’est évidemment qu’une arme des capitalistes contre les travailleurs.

Les I. W. W. doivent le comprendre mieux que quiconque, pour avoir été rageusement persécutés par le gouvernement, pour avoir vu leurs leaders emprisonnés, leurs journaux supprimés, leurs membres déportés ou emprisonnés sous des inculpations forgées de toutes pièces, leurs cautions refusées, leurs prisonniers torturés, mis au secret, leurs locaux fermés, leur propagande réduite dans certains États à devenir clandestine.

Les travailleurs voient cela. Le peuple élit les gouverneurs, les maires, les juges, les sheriffs ; mais en temps de grève, le gouverneur convoque la milice pour défendre les renards ; le maire ordonne à la police d’assommer et d’arrêter les militants dans les rues ; le juge les inculpe « d’avoir troublé l’ordre », les qualifie « émeutiers » et les emprisonne, et le sheriff salarie des malandrins qu’il délègue en qualité de briseurs de grève…

La société capitaliste tout entière présente aux travailleurs un front unique.

Le prêtre lui dit de se résigner ; la presse le maudit et le traite de « bolchevik » ; la police l’arrête ; le tribunal le condamne ; le sheriff le fait saisir pour dettes, et l’asile des pauvres accueille sa femme et ses enfants.

Pour détruire le capitalisme, les prolétaires doivent tout d’abord arracher aux capitalistes le pouvoir politique. Ils ne doivent pas se borner à s’en emparer ; ils doivent abolir entièrement le vieil état capitaliste.

Car l’expérience des révolutions a montré que les travailleurs ne peuvent pas s’emparer de l’État et s’en servir — comme les socialistes jaunes le soutiennent. L’État capitaliste est édifié pour servir le capitalisme ; il ne peut rien faire d’autre.

En lieu et place de l’État capitaliste, les travailleurs doivent édifier leur propre état, la dictature du prolétariat.

De nombreux membres de l’I. W. W. refusent d’en convenir. Ils sont adversaires de « tout État, de façon générale ». Ils se proposent de renverser l’État capitaliste et d’instituer immédiatement le Communisme industriel (Industrial Cornmonwealth).

Les Communistes sont aussi les ennemis de l’État. Ils veulent aussi l’abolir et substituer au gouvernement des hommes l’administration des choses.

Malheureusement la chose ne peut être faite sur-le-champ. La destruction de l’État capitaliste ne signifie pas que le capitalisme disparaît automatiquement et immédiatement. Les capitalistes ont d’autres armes qu’il faut leur arracher ; ils sont encore défendus par des légions de bons employés, d’administrateurs, de directeurs, d’habiles hommes d’affaires qui saboteront l’industrie — et qu’il faut persuader ou contraindre à servir la classe ouvrière ; ils ont des officiers qui peuvent trahir la révolution, des prêtres qui peuvent dresser contre elle les vieilles superstitions, des professeurs et des orateurs qui peuvent la déformer aux yeux des ignorants, des gredins que l’on peut stipendier pour la discréditer, des journaux qui peuvent tromper le peuple par de continuels mensonges, des socialistes jaunes et de soi-disant travaillistes qui préfèrent la démocratie capitaliste à la révolution. Leurs efforts doivent être sévèrement réprimés.

Jeter bas l’édifice de l’État capitaliste, briser la résistance de la classe capitaliste et la désarmer, confisquer ses propriétés et les transmettre à la communauté des travailleurs — ces tâches nécessitent un gouvernement, un Etat, la dictature du prolétariat au moyen de laquelle les prolétaires peuvent d’une main de fer, briser la classe ennemie.

C’est ce qui se passe actuellement en Russie.

Mais la dictature du prolétariat n’est que temporaire. Communistes nous voulons aussi l’abolition de l’Etat. L’Etat ne peut durer qu’autant que se prolonge la guerre des classes. La fonction de la dictature du prolétariat est d’abolir la classe capitaliste en tant que classe ; en fait de supprimer toutes distinctions de classes. Ce but atteint, la dictature du prolétariat, l’État disparaîtra automatiquement — cédant la place à une administration industrielle, vraisemblablement analogue au Bureau Exécutif Général de l’I. W. W.

Dans un récent article, Mary Marcy écrit que sans reconnaître théoriquement la nécessité de la dictature du prolétariat, les I. W. W. seront contraints de l’admettre en fait en temps de révolution, afin de vaincre la contre-révolution.

Voilà qui est vrai. Mais si l’I. W. W. se refuse à reconnaître par avance la nécessité de l’Etat ouvrier, la confusion et la faiblesse risquent de sévir dans ses rangs aux heures où la fermeté et la rapidité d’action lui seront impérieusement nécessaires.

Quelle sera la forme de l’État Ouvrier ?

Nous avons sous les yeux l’exemple de la République des Soviets russes dont il est peut-être utile d’indiquer ici la structure trop souvent déformée à l’étranger par des informations contradictoires.

L’unité de gouvernement est le Soviet local ou Conseil des députés ouvriers, soldats rouges et paysans.

Dans les villes, le Soviet est élu comme suit : chaque fabrique élit un délégué pour tant d’ouvriers et chaque syndicat local en élit un certain nombre d’autres. Ces délégués sont élus sur des listes de partis politiques ou à titre individuel, au gré des ouvriers.

Les députés de l’armée rouge sont élus par leurs unités.

Dans les campagnes, chaque village a son Soviet qui envoie des délégués aux Soviets des villes qui élit à son tour le Soviet du District. Ceux-ci forment de la même manière le Soviet de la province.

Quiconque exploite le travail d’autrui ne peut voter.

Tous les six mois, les Soviets des villes et des provinces élisent des délégués qu’ils mandatent au Congrès Panrusse des Soviets qui est, dans le pays, l’autorité suprême. Le Congrès décide pour six mois des principales mesures politiques et choisit les deux cents membres du Comité Exécutif Central, chargés d’appliquer les mesures édictées par le Congrès. Le Congrès élit aussi un Cabinet — celui des Commissaires du Peuple.

Les mandats de ces derniers sont révocables à tout moment par le Comité Exécutif Central. Les membres des Soviets peuvent de même être rappelés par leurs commettants.

Ces Soviets ne sont pas seulement des organes législatifs mais aussi des organes exécutifs. Contrairement au Congrès américain ils ne se bornent pas à confectionner des lois que le Président est ensuite chargé de promulguer et d’appliquer ; et il n’y a pas de cour suprême chargée de décider si la mesure adoptée est ou non « constitutionnelle ».

Dans l’intervalle entre les réunions du Congrès Panrusse des Soviets le pouvoir suprême appartient en Russie au Comité Exécutif Central. Ce comité se réunit au moins tous les deux mois et dans l’intervalle la direction des affaires est remise au Conseil des Commissaires du Peuple, tandis que les membres du Comité Exécutif Central travaillent dans leurs régions respectives.

Les travailleurs sont en Russie organisés en syndicats, tous les ouvriers d’une industrie appartenant à leur syndicat. Ainsi, les charpentiers et les peintres travaillant dans une usine métallurgique font partie du Syndicat des Ouvriers Métallurgistes. Chaque usine constitue un syndicat local et son Comité de fabrique (Shop Committee) élu par les travailleurs a le rôle d’un Comité Exécutif.

Le Comité Exécutif Central Panrusse des Syndicats Fédérés est élu par le Congrès annuel des Syndicats. Un Comité spécial élu par ce même congrès établit le barème des salaires.

A peu d’exceptions près la plupart des grandes usines russes ont été nationalisées et sont en ce moment propriété de la communauté ouvrière. La tâche des syndicats n’est donc plus de combattre le capitalisme mais bien de diriger l’industrie.

Le Commissariat du Travail du gouvernement des Soviets travaille en plein accord avec les Syndicats. Il n’est d’ailleurs élu par le Congrès des Soviets qu’avec l’approbation des Syndicats.

Un Conseil Supérieur de l’Économie populaire élu a la charge de diriger la vie économique du pays. Il est divisé en sections, telles que celles des métaux, de l’industrie chimique, etc., chacune ayant à sa tête des techniciens et des ouvriers désignés par le Conseil Supérieur avec l’approbation des Syndicats.

La production est, dans chaque usine, dirigée par un Comité de trois membres : un représentant du Comité de Fabrique, un représentant du Comité Exécutif Central des Syndicats et un représentant du Conseil Supérieur de l’Économie populaire.

Les Syndicats forment ainsi une branche du gouvernement et ce gouvernement est le plus hautement centralisé qu’il y ait.

C’est aussi le gouvernement le plus démocratique que l’histoire connaisse. Car tous les organes du gouvernement sont en contact permanent avec les masses ouvrières et sous leur influence directe. Les soviets locaux jouissent, en outre, dans la Russie entière, d’une complète autonomie qui leur permet de diriger comme ils l’entendent les affaires locales à la condition de se conformer à la politique nationale du Congrès des Soviets. D’ailleurs, le gouvernement des Soviets, ne représentant que les ouvriers, ne peut pas ne pas agir dans leur intérêt.

De nombreux membres de l’I. W. W. sont adversaires de la centralisation parce qu’ils n’admettent pas qu’elle puisse être démocratique. Mais où il est question de grandes masses, enregistrer les volontés individuelles n’est plus possible ; la volonté des majorités peut seule être notée et la Russie des Soviets est administrée dans l’intérêt commun de la classe ouvrière.

La propriété privée de la classe capitaliste, pour devenir propriété sociale des travailleurs, ne peut pas être remise à des individus ou à des groupes d’individus ; elle doit devenir la propriété de la communauté entière et une autorité centralisée est nécessaire pour accomplir cette transformation.

Les industries qui fournissent aux besoins de la population entière ne concernent pas seulement les ouvriers qu’elles occupent mais intéressent la communauté entière et doivent être administrées au bénéfice de tous. L’industrie moderne est, au reste, si complexe, ses branches sont tellement interdépendantes qu’il faut, pour obtenir avec le maximum d’économie le rendement le plus fort, qu’elle soit soumise, selon un plan d’ensemble, à une direction unique.

La révolution doit être défendue contre les assauts formidables des forces coalisées du capitalisme mondial. De grandes armées doivent être levées, entraînées, équipées, dirigées. Ceci veut dire : centralisation. La Russie des Soviets a pendant deux ans soutenu seule les attaques répétées du monde capitaliste. Eût-il été possible e former une armée rouge forte de plus de deux millions d’hommes sans une autorité centrale directrice ?

La classe capitaliste a une organisation fortement centralisée qui lui permet de jeter toutes ses forces contre les groupements divisés et dispersés de la classe ouvrière. La lutte des classes est une guerre. Pour renverser le capitalisme les travailleurs doivent constituer une armée pourvue d’un état-major, — mais d’un état-major élu et contrôlé par les ouvriers.

En temps de grève tout travailleur sait qu’il faut un comité de grève — un organe centralisé chargé de diriger l’action et dont les ordres doivent être obéis — élu et contrôlé par la masse ouvrière. La Russie des Soviets est en grève, face à face avec le monde capitaliste tout entier. La révolution est une grève générale contre le système capitaliste. La dictature du prolétariat est le comité de grève de la révolution sociale.

Les révolutions prolétariennes qui approchent en ce moment en Amérique et dans d’autres pays susciteront probablement de nouvelles formes d’organisation. Les bolcheviks ne prétendent pas avoir dit le dernier mot de la révolution sociale. Mais l’expérience de deux années de gouvernement ouvrier en Russie est naturellement de la plus haute importance et doit être étudiée de près par les travailleurs des autres pays.

Le mot politique agit sur nombre de membres de l’I. W. W. comme la vue d’un drapeau rouge agit sur le taureau — ou sur le capitaliste. Politique signifie pour eux « politicien » et, d’habitude, évoque à leurs yeux l’image du socialiste jaune qui brigue leurs suffrages dans l’espoir d’obtenir un confortable fauteuil où il lui sera possible d’oublier confortablement l’existence même des travailleurs.

Nos camarades ouvriers « anti-politiciens » sont opposés aux communistes qui, à leur avis, constituent un parti politique et qui, en effet, prennent part dans certains cas aux luttes politiques.

C’est user du mot politique dans un sens bien trop étroit. L’un des principes sur lesquels s’est fondée l’association des I. W. W. est exprimé dans ces mots de Karl Marx : « Toute lutte des classes est une lutte politique ». C’est dire que toute lutte des travailleurs contre les capitalistes est une lutte pour le pouvoir politique — pour celui de l’Etat.

Et c’est dans ce sens que les communistes se servent du mot « politique ».

Les socialistes jaunes s’imaginent pouvoir conquérir progressivement le pouvoir politique en se servant du mécanisme même de l’État capitaliste pour obtenir des réformes, et quand ils auront obtenu la majorité au Congrès, dans les assemblées législatives, quand ils auront élu le président, le maire et le sheriff, ils croient pouvoir se servir de l’appareil législatif de l’État bourgeois pour abolir pacifiquement le capitalisme et instituer de même la communauté du travail.

Ceci les induit à prêcher diverses réformes du système capitaliste, à ouvrir leurs rangs aux petits capitalistes, aux aventuriers politiques de toutes espèces et finalement à conclure des marchés et à faire des concessions variées.

Les I. W. W. ne l’admettent pas plus que les communistes.

Communistes, nous ne croyons pas qu’on puisse s’emparer du pouvoir gouvernemental au moyen du mécanisme de l’État capitaliste. L’État étant l’arme particulière de la classe capitaliste, son mécanisme est naturellement conçu de manière à défendre et affermir le pouvoir du capitalisme. Le contrôle capitaliste de toutes les institutions qui font l’opinion publique — presse, écoles, églises, tribunes — le contrôle capitaliste de l’attitude politique des ouvriers par le contrôle de leurs moyens d’existence, rendant extrêmement improbable la possibilité pour les travailleurs d’élire jamais « légalement » sous le régime capitaliste démocratique, un gouvernement dévoué à leurs intérêts.

Et, à l’heure actuelle, tandis que la classe capitaliste du monde entier poursuit avec l’acharnement du désespoir sa campagne de répression contre les organisations du prolétariat conscient dans le monde entier, celle hypothèse est tout bonnement inadmissible.

Mais si même il était possible aux travailleurs de conquérir par le moyen du mécanisme politique l’État capitaliste, ce dernier ne pourrait pas servir à fonder la communauté industrielle. La source réelle du pouvoir capitaliste est dans la propriété et le contrôle capitaliste des moyens de production. L’État capitaliste n’existe que pour étendre et défendre cette propriété, ce contrôle. Il ne peut donc pas servir à les abolir.

Jusqu’ici les I. W. W. et les communistes sont d’accord. L’État capitaliste doit être attaqué par l’action directe. Cette action, dans la signification correcte des termes est aussi politique, car elle a un but politique — la conquête du pouvoir gouvernemental.

Les I. W. W. se proposent d’atteindre ce but par la grève générale. Les communistes vont plus loin. L’histoire indique assez que la grève générale n’est pas suffisante. Les capitalistes ont des armes et l’expérience des gardes blanches en Russie, en Finlande, en Allemagne prouve qu’ils ont suffisamment d’expérience et d’entraînement pour se servir de leurs armes contre les travailleurs. Ils ont en outre des stocks d’aliments qui leur permettent de tenir plus longtemps que les travailleurs toujours talonnés par le besoin.

Les communistes, eux aussi, comptent sur la grève générale, mais ils pensent qu’elle doit se transformer en insurrection armée. La grève générale et l’insurrection sont des formes de l’action politique.

S’il en est ainsi, si les communistes ne pensent pas pouvoir s’emparer de l’État par le bulletin de vote, pourquoi les partis communistes participent-ils aux élections et présentent-ils leurs candidats ?

La question de savoir si les communistes participeront ou non aux élections est secondaire. Certaines organisations communistes y participent ; d’autres non. Mais les premières ne le font que dans un but de propagande. Les campagnes politiques donnent aux révolutionnaires l’opportunité de parler à la classe ouvrière, de leur montrer le caractère de classe de l’État et quel est l’intérêt véritable des travailleurs. Elles leur permettent de souligner la futilité des réformes, de démontrer les intérêts réels qui dominent les partis politiques capitalistes et socialistes jaunes et de souligner pourquoi il faut renverser le système capitaliste tout entier.

Les communistes élus au Congrès ou dans les assemblées législatives ont pour tâche de faire de la propagande ; de montrer sans cesse la nature réelle de l’État capitaliste, de s’opposer aux actes du gouvernement capitaliste et de révéler leur caractère de classe ; de montrer la futilité des réformes et des mesures capitalistes. Au sein des assemblées législatives, du haut des tribunes de la nation, les communistes peuvent stigmatiser les brutalités capitalistes et appeler les travailleurs à la révolte.

Karl Liebknecht a montré ce qu’un communiste peut faire au Parlement. Ses discours au Reichstag retentirent dans le monde entier.

D’autres, en Russie, en Suède (Höglund) et dans d’autres pays, ont fait la même chose.

L’objection la plus commune à l’envoi de militants dans les assemblées législatives capitalistes, c’est que quelle que soit leur valeur révolutionnaire, ils seront invariablement corrompus par leur entourage et amenés à trahir les travailleurs.

Cette croyance est le produit d’une longue expérience, faite surtout avec les politiciens et les beaux parleurs socialistes. Mais, communistes, nous affirmons qu’un parti vraiment révolutionnaire n’élira que de vrais révolutionnaires et saura les garder sous son contrôle.

De nombreux membres de l’I. W. W. sont les adversaires acharnés de l’emploi des assemblées législatives ou de toutes autres institutions gouvernementales dans un but de propagande. Mais l’organisation des I. W. W., souventes fois, n’a pas dédaigné ces moyens. Lors de la grève de Lawrence en 1912, les I. W. W. se servirent même du sénateur socialiste Victor Berger qui porta à la tribune de la Chambre des Représentants les revendications des grévistes et des I. W. W. William D. Haywood, Vincent St John et bien d’autres leaders des I. W. W. témoignèrent volontiers devant la Commission Industrielle du gouvernement des Etats-Unis, profitant de cette occasion pour diffuser les idées de leur organisation. Mais l’exemple le plus frappant de l’usage du mécanisme politique de l’Etat dans un but de propagande nous fut donné en 1918 quand la Cour Fédérale de Chicago où l’on jugeait cent leaders de l’I. W. W. devint pour trois mois un véritable meeting de propagande ouvrière.

Tels sont les cas d’usage du mécanisme politique de l’État capitaliste dans un but de propagande parmi les masses. Ces méthodes doivent être employées selon les circonstances — de même que l’action parlementaire. L’usage de nulle arme ne doit être absolument condamné.

La tache particulière des I. W. W. est de préparer les travailleurs à s’emparer de l’industrie et à la diriger. La fonction spéciale du parti politique communiste est de préparer les travailleurs à la conquête du pouvoir politique et à, l’exercice de la dictature du prolétariat. Tout travailleur doit être à la fois membre du syndicat révolutionnaire de son industrie et du parti politique qui combat pour le communisme.

Le but des I. W. W. est de « bâtir une société nouvelle au sein de l’ancienne ». Ce qui veut dire : organiser si complètement les travailleurs que le système capitaliste finisse, à un moment donné, par être brisé et par faire place à la Communauté Industrielle déjà pleinement développée.

Un acte semblable exige l’organisation et la discipline de la majorité des travailleurs. On pouvait, avant la guerre, croire possible l’accomplissement de cette tâche, bien que malgré leur activité de quatorze ans les I. W. W. n’aient pu organiser qu’une minime fraction des travailleurs américains.

A présent ce dessein n’est qu’utopique. Le capitalisme est à son déclin, la révolution est à nos portes et l’histoire n’attendra pas que la majorité des travailleurs soit organisée — 100 % — d’après le plan des I. W. W. ou de toute autre organisation. Nous n’avons plus la perspective d’un long développement industriel normal qui, seul, eût permis la réalisation d’un semblable dessein. La guerre a jeté les peuples du monde dans un immense cataclysme et ils doivent songer à l’action immédiate et non à l’élaboration de savants projets dont l’accomplissement exigerait des années.

La nouvelle société ne sera pas bâtie, comme nous le pensions naguère, au sein de l’ancienne. Nous ne pouvons l’attendre. La révolution sociale est là. Quand les travailleurs auront renversé le capitalisme, quand ils auront écrasé toutes les tentatives faites pour le rétablir, ils pourront à loisir, au sein de leur état soviétiste, bâtir librement la nouvelle société.

En présence de la révolution sociale, quelle est la grande tâche immédiate des Travailleurs Industriels du Monde (I. W. W.) ?

Constituant en Amérique la plus importante organisation syndicaliste révolutionnaire, il leur appartient de prendre l’initiative de fournir une base unique à l’unification de tous les syndicats d’un caractère nettement révolutionnaire, de tous les travailleurs qui acceptent le principe de la lutte des classes. Tels sont la Grande Union Unique (One Big Union), la W. I. I. U. et certains syndicats dissidents de l’American Federation of Labor.

Le moment n’est pas aux petites querelles de noms ou de menues questions d’organisation. La tâche essentielle c’est de grouper tous les travailleurs capables d’une action révolutionnaire de masses en temps de crise.

Révolutionnaires, ils ne peuvent repousser les invitations des communistes américains désireux de conclure un accord avec eux en vue d’une action révolutionnaire commune. Le parti politique et l’organisation économique doivent marcher d’un même pas vers le tout commun — vers l’abolition du capitalisme par la dictature du prolétariat et par les Soviets, vers la disparition des classes et de l’État.

L’Internationale Communiste tend aux I. W. W. une main fraternelle.

Le président du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste,

G. ZINOVIEV.

Janvier 1920.

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Comité Exécutif de l’Internationale Communiste: le parlementarisme et la lutte pour les soviets

[Circulaire, septembre 1919.]

Chers camarades,

La phase actuelle du mouvement révolutionnaire pose entre autres questions, de façon très impérieuse, la question du parlementarisme.

En France, en Amérique, en Angleterre, en Allemagne, tandis que la lutte des classes devient plus âpre, tous les éléments révolutionnaires, en s’unissant ou en coordonnant leur action sur le mot d’ordre du pouvoir des Soviets, adhèrent au mouvement communiste.

Les groupes anarchistes-syndicalistes et parfois des groupes qui simplement s’intitulent anarchistes entrent ainsi dans le courant général. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste le constate avec joie.

En France, le groupe syndicaliste du camarade Péricat forme un Parti communiste; en Amérique, et partiellement, en Angleterre, la lutte pour les soviets est menée par des organisations telles que celles des I. W. W. (Industrial Workers of the World).

Ces groupes et ces tendances ont toujours activement combattu les méthodes parlementaires. D’autre part, les éléments du parti communiste issus des partis socialistes, sont enclins pour la plupart, à admettre aussi l’action parlementaire (groupe Loriot eu France, membres de la I. S. P. en Amérique, membres de l’I. L. P. en Angleterre).

Tous ces courants qui doivent être à tout prix et au plus tôt unis dans les cadres du Parti communiste ont besoin d’une tactique unique. La question doit donc être tranchée d’une façon générale et le Comité Exécutif de l’Internationale communiste adresse à tous les partis fraternels la présente lettre consacrée à cette question.

La plate-forme commune sur laquelle il faut s’unir, c’est actuellement la reconnaissance du la lutte pour la dictature du prolétariat sous la forme du pouvoir des soviets. L’histoire a posé la question de telle façon que c’est précisément à ce sujet qu’a été précisée la limite entre le parti du prolétariat révolutionnaire et les opportunistes, entre les communistes et les social-traîtres, quelle que soit leur étiquette.

Ce qu’on appelle le centre (Kautsky en Allemagne, Longuet en France. I. L. P. et certains éléments du B. S. P. en Angleterre, Hilquit en Amérique), constitue, malgré toutes les assurances contraires, une tendance objectivement antisocialiste, parce qu’elle ne veut et ne peut combattre pour la dictature du prolétariat.

Et par contre, les groupes et les partis qui, par le passé n’admettaient aucune lutte politique (par exemple, certains groupes anarchistes), reconnaissant le pouvoir des soviets, la dictature du prolétariat, ont par là-même renoncé à leur caractère apolitique, en admettant l’idée de la prise du pouvoir par la classe ouvrière, qui est nécessaire pour vaincre la résistance de la bourgeoisie. Nous avons ainsi, répétons-le, une plate-forme commune — celle de la lutte pour la dictature des soviets.

Ces anciennes subdivisions du mouvement ouvrier sont évidemment périmées. La guerre a entraîné un nouveau regroupement. De nombreux anarchistes ou syndicalistes qui professent la négation du parlementarisme, se sont, pendant les cinq années de guerre, conduits d’une façon aussi vile et aussi traître que les anciens chefs de la social-démocratie officielle qui ne juraient que par Marx.

Ce regroupement des forces s’accomplit d’après une nouvelle ligne : pour la révolution prolétarienne, pour les soviets, pour la dictature, pour l’action des masses. Jusqu’à l’insurrection armée inclusivement — ou contre. Telle est de nos jours la question fondamentale. Tels sont les critères essentiels. Telles sont les insignes sous lesquels se formeront et se forment les nouvelles unions.

Quel est le rapport entre la reconnaissance du principe des soviets et le parlementarisme ?

Il faut ici distinguer avec soin deux questions qui n’ont entre elles aucun lien logique : celle du parlementarisme considéré comme une forme désirable d’organisation de l’État et celle de l’utilisation du parlementarisme afin de concourir a la révolution. Les camarades confondent souvent ces deux questions, ce qui sur le terrain de la lutte pratique, est de l’effet le plus fâcheux.

Examinons tour à tour chacune de ces questions et tirons toutes les conclusions nécessaires.

Quelle est la forme de la dictature prolétarienne ?

Nous répondons : les soviets.

Une expérience d’une signification mondiale l’a démontré. Le pouvoir des soviets est-il compatible avec le parlementarisme ? Non. trois fois non !

Il est absolument incompatible avec les parlements existants parce que la machine parlementaire représente la puissance concentrée de la bourgeoisie. Les députés, les Chambres, leurs journaux, leur système de corruption, les liens des parlementaires dans la coulisse avec les grandes banques, leurs relations avec tous les appareils de l’État bourgeois sont autant de chaînes aux pieds de la classe ouvrière.

Il les faut briser. La machine gouvernementale de la bourgeoisie, et par conséquent le parlement bourgeois doit être brisée, dispersée, anéantie, et il faut organiser sur ses ruines un nouveau pouvoir celui des unions ouvrières de classe, celui des « parlements » ouvriers c’est-à-dire les soviets.

Seuls les traîtres de la classe ouvrière peuvent leurrer les ouvriers en leur faisant espérer une transformation sociale par des moyens pacifiques, par des réformes parlementaires. Ces gens sont les pires ennemis de la classe ouvrière et il faut les combattre impitoyablement ; aucun compromis n’est admissible avec eux. Aussi notre mot d’ordre est-il pour tout pays bourgeois : A bas le Parlement ! Vive le pouvoir des soviets !

Mais on peut poser la question suivante : Soit. Vous n’admettez pas le pouvoir des parlements bourgeois actuels ; mais pourquoi ne pas organiser de nouveaux parlements plus démocratiques basés sur un véritable suffrage universel ?

A cela nous répondons : Pendant la révolution socialiste, la lutte est tellement âpre que la classe ouvrière doit agir promptement, de façon décisive, sans admettre dans son sein, dans son organisation du pouvoir, des ennemis de classe.

A ces exigences les Soviets d’ouvriers, de soldats, de marins, de paysans élus dans les fabriques, les usines, les fermes, les casernes, satisfont seuls.

Ainsi se pose la question de la forme du pouvoir prolétarien. Et maintenant il faut renverser le gouvernement bourgeois des rois, des présidents, des parlements, des chambres de seigneurs, des assemblées constituantes. Toutes ces institutions sont pour nous des ennemis jurés que nous devons anéantir.

Passons maintenant à la deuxième question fondamentale : Peut-on utiliser les parlements bourgeois dans le but de développer la lutte de classes révolutionnaire ? Cette question, comme nous l’avons dit plus haut, n’a aucun lien logique avec la première.

En effet, c’est que l’on peut tendre à détruire une organisation en y entrant, « en l’utilisant ». Nos ennemis de classe le comprennent parfaitement bien quand ils se servent dans leur propre dessein des partis socialistes officiels, des trade-unions, etc…

Prenons un exemple.

Les communistes bolcheviks russes participèrent aux élections de l’Assemblée Constituante. Ils y siégèrent, mais il vinrent pour dissoudre au bout de vingt-quatre heures cette assemblée et réaliser totalement le pouvoir des soviets. Le parti bolchevik a eu ses députés à la Douma d’état du tzar.

Reconnut-il alors cette Douma comme une forme de l’organisation de l’état idéale, ou simplement admissible ? Il serait insensé de le supposer. Il y envoyait ses représentants pour y attaquer de ce côté aussi l’appareil gouvernemental du tsarisme, pour contribuer à la destruction de cette même Douma.

Ce n’est pas pour rien que le gouvernement du tzar condamna les « parlementaires » bolcheviks aux travaux forcés pour « haute trahison ». Les députés bolcheviks menaient aussi en profitant — ne fût-ce que momentanément — de leur « inviolabilité » l’action illégale, organisant les masses pour monter à l’assaut du tzarisme.

Mais une telle action « parlementaire » n’a pas été vue qu’en Russie.

Prenez l’Allemagne et le travail de Liebknecht.

Feu notre camarade a été un révolutionnaire modèle ; n’était-ce pas un acte éminemment révolutionnaire que d’appeler du haut de la tribune du Landtag prussien les soldats à la révolte contre ce même Landtag ? Sans doute, et nous voyons ici maintenant combien est admissible et profitable une pareille attitude.

Si Liebknecht n’avait pas été député, il n’aurait jamais pu manifester une telle activité ; ses discours n’eussent pas eu une pareille portée.

L’exemple du travail parlementaire des communistes suédois nous en convainc aussi. En Suède le camarade Höglund a joué et joue le même rôle que Liebknecht en Allemagne. Profitant de son siège de député il contribue à la destruction du système parlementaire bourgeois.

Personne en Suède n’a fait autant pour la cause de la révolution et pour la lutte contre la guerre que notre ami. Nous voyons le même fait en Bulgarie. Les communistes bulgares ont utilisé avec succès, pour des fins révolutionnaires, la tribune parlementaire.

Aux dernières élections ils ont obtenu 47 sièges. Les camarades Blagoev, Kirkov, Kolarov et d’autres leaders du mouvement communiste bulgare savent contraindre la tribune parlementaire à servir la cause de la révolution prolétarienne. Un tel travail « parlementaire » exige une hardiesse et un tempérament révolutionnaire exceptionnels : ici, en effet, les hommes sont à un poste particulièrement dangereux. Ils minent la position de l’ennemi dans son propre camp ; ils entrent au parlement, non pour recevoir cette machine entre leurs mains, mais pour aider les masses à la faire sauter du dehors.

Ainsi, sommes-nous pour la conservation des Parlements bourgeois démocratiques en tant que forme de gouvernement de l’Etat ?

Non, en aucun cas. Nous sommes pour les Soviets. Sommes-nous pour l’utilisation des parlements au profit de notre travail communiste, tant que nous n’avons pas la force de les renverser ?

Oui, mais en observant diverses conditions.

Nous savons très bien que ni en France, ni en Amérique, ni en Angleterre, il n’y a eu parmi les ouvriers de parlementaires révolutionnaires. Mais cela ne prouve pas que la tactique que nous croyons bonne soit erronée. Toute la question réside en ce fait qu’il n’y a jamais eu dans ces pays de parti révolutionnaire tel que les bolchevistes russes et les spartakistes allemands. Si un tel parti existe tout peut changer.

Il faut en particulier :

1° que le centre de gravité de la lutte soit situé hors du Parlement (dans les grèves, les insurrections et les autres formes de la lutte des masses) ;

2° que les interventions du Parlement correspondent à cette lutte ;

3° que les députés prennent part au travail illégal ;

4° qu’ils agissent sur mandat du Comité central du parti, en se soumettant à lui ;

5° que dans leurs interventions ils ne s’embarrassent pas des formes parlementaires (qu’ils n’aient pas peur de se heurter à la majorité bourgeoise, qu’ils sachent parler par-dessus sa tête, etc.)

Faut-il, ou non, participer, à tel moment donné, à telle campagne électorale — cela dépend de toute une série de conditions concrètes qui dans chaque pays, doivent être, au moment opportun spécialement examinées. Les bolcheviks russes ont été pour le boycottage des élections à la première Douma en 1906.

Six mois plus tard, ils étaient pour la participation aux élections à la deuxième Douma, quand il fut prouvé que la domination des bourgeois propriétaires durerait encore en Russie pendant quelques années. Avant les élections pour l’Assemblée constituante allemande en 1918 une partie des spartakistes voulait y participer ; l’autre y était apposée. Mais le parti resta un parti communiste unique.

Nous ne pouvons renoncer en principe à utiliser le parlementarisme.

Le parti bolchevik en Russie au printemps 1918, étant déjà au pouvoir, déclara à son 7e Congrès, dans une résolution spéciale que si par la suite d’un concours de circonstances particulières, la bourgeoisie parlementaire prenait de nouveau momentanément le dessus, les communistes russes pourraient être contraints à tirer de nouveau parti du parlementarisme bourgeois. Il ne faut donc pas se lier les mains à cet égard.

Ce que nous voulons surtout souligner, c’est que la véritable solution de la question a lieu dans tous les cas hors de l’enceinte du parlement, dans la rue.

Il est maintenant évident que la grève et l’insurrection sont les seules méthodes de lutte décisive entre le Travail et le Capital.

C’est pourquoi les principaux efforts de tous les camarades doivent être concentrés sur le travail de la mobilisation des masses ; création du parti, création de nos groupes dans les associations professionnelles et conquête de celles-ci ; organisation des soviets au cours de la lutte, direction de l’action des masses, agitation dans les masses en faveur de la révolution, voilà ce qui est au premier plan, les interventions parlementaires et la participation aux campagnes électorales n’étant dans ce travail qu’un moyen secondaire et rien de plus.

S’il en est ainsi — et il en est indiscutablement ainsi — il va de soi que ceux dont les opinions divergent sur cette question ne doivent pas se diviser pour cela.

La pratique des prostitutions parlementaires a été tellement écœurante que les meilleurs camarades ont là-dessus des préjugés. Il faut les détruire peu à peu au cours de la lutte révolutionnaire.

C’est pourquoi nous insistons auprès de tous les groupes et de toutes les organisations qui mènent une lutte effective pour les soviets en faveur d’une union maxima, en dépit des désaccords sur ce sujet.

Tous ceux qui sont pour les Soviets et la dictature prolétarienne doivent s’unir au plus tôt et former un parti communiste unique.

Salut communiste.

Le président du Comité exécutif de l’Internationale communiste,

G. Zinoviev

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Lénine : la IIIe Internationale et sa place dans l’histoire

[Publié le 1er mai 1919, dans le n° 1 de l’Internationale communiste.]

Les impérialistes des pays de l’« Entente » bloquent la Russie, cherchant à isoler du monde capitaliste ce foyer de contagion qu’est pour eux la République soviétique. Ceux qui se vantent du « démocratisme » de leurs institutions sont à ce point aveuglés par leur haine de la République des Soviets, qu’ils ne remarquent pas qu’ils se rendent eux-mêmes ridicules.

Songez un peu : les pays les plus avancés, les plus civilisés et les plus « démocratiques », armés jusqu’aux dents, et dont la domination militaire s’exerce sans partage sur tout l’univers, craignent comme le feu la contagion des idées venant d’un pays ruiné, affamé, arriéré, et même comme ils l’assurent, à demi-sauvage !

Cette contradiction à elle seule ouvre les yeux aux masses laborieuses de tous les pays et nous aide à démasquer l’hypocrisie des impérialistes Clemenceau, Lloyd George, Wilson et de leurs gouvernements.

Or, ce qui nous aide, ce n’est pas uniquement l’aveuglement des capitalistes dû à leur haine pour les Soviets, mais aussi leur rivalité véhémente entre eux, qui les pousse à se donner des crocs-en-jambe.

Ils ont formé entre eux une véritable conjuration du silence pour empêcher, ce qu’ils craignent plus que tout, la diffusion d’informations exactes sur la République des Soviets en général et de ses documents officiels en particulier. 

Le Temps, organe central de la bourgeoisie française, annonce cependant la fondation à Moscou, de la IIIe Internationale, de l’Internationale communiste

Nous apportons à l’organe central de la bourgeoisie française, à ce champion du chauvinisme et de l’impérialisme français, l’expression respectueuse de notre reconnaissance.

Nous sommes prêts à envoyer au Temps une adresse solennelle pour lui dire combien nous lui savons gré du concours si heureux et si intelligent qu’il nous prête.

La façon dont le Temps a rédigé son information d’après notre radio, montre de toute évidence les motifs qui ont inspiré cet organe du sac d’écus. Le Temps a voulu donner un coup d’épingle à Wilson, le mortifier : Voilà donc ceux avec qui vous croyez possible d’engager des pourparlers !

Les pontifes qui écrivent sur commande du sac d’écus ne s’aperçoivent pas qu’en voulant effrayer Wilson par l’épouvantail du bolchévisme ils font auprès des masses laborieuses de la réclame pour les bolchéviks. Encore une fois nous exprimons très respectueusement notre reconnaissance à l’organe des millionnaires français.

La fondation de la IIIe Internationale s’est faite dans une situation mondiale telle que nulle prohibition, nulle manœuvre mesquine et chétive des impérialistes de l’« Entente » ou des laquais du capitalisme, comme les Scheidemann en Allemagne, les Renner en Autriche, ne sauraient empêcher de se répandre dans la classe ouvrière du monde entier, la nouvelle relative à cette Internationale et les sympathies qu’elle provoque.

Cet état de choses est dû à la révolution prolétarienne qui partout grandit manifestement, non pas de jour en jour, mais d’heure en heure.

Cet état de choses est dû au mouvement des masses laborieuses en faveur des Soviets, mouvement dont la vigueur est telle qu’il devient vraiment international.

La Ie Internationale (1864-1872) avait jeté les fondements de l’organisation universelle des travailleurs pour la préparation de leur assaut révolutionnaire contre le capital.

La IIe Internationale (1889-1914) a été l’organisation internationale du mouvement prolétarien dont le progrès s’est fait en largeur, ce qui n’a pas été sans entraîner un abaissement momentané du niveau révolutionnaire, un renforcement passager de l’opportunisme qui devait finalement aboutir à la faillite honteuse de cette Internationale.

La IIIe Internationale est née de fait en 1918, au moment où les longues années de lutte contre l’opportunisme et le social-chauvinisme, pendant la guerre surtout, avaient abouti dans plusieurs pays à la formation de partis communistes. Officiellement, la IIIe Internationale a été fondée à son premier congrès, en mars 1919, à Moscou.

Et le trait caractéristique de cette Internationale, sa mission, c’est d’appliquer, de traduire dans la vie les préceptes du marxisme et de réaliser l’idéal séculaire du socialisme et du mouvement ouvrier.

Ce trait caractéristique de la IIIe Internationale s’est révélé dès l’abord en ceci que la nouvelle, la troisième « Association internationale des travailleurs » coïncide dès maintenant dans une certaine mesure, avec l’Union des Républiques socialistes soviétiques.

La Ie Internationale a jeté les fondements de la lutte prolétarienne, internationale, pour le socialisme. La IIe Internationale a marqué la période de préparation du terrain pour une large, pour une massive diffusion du mouvement dans un ensemble de pays.

La IIIe Internationale a recueilli les fruits du labeur de la IIe Internationale, elle en a retranché la souillure bourgeoise et petite-bourgeoise, opportuniste et social-chauvine, et a commencé à réaliser la dictature du prolétariat.

L’alliance internationale des partis dirigeant le mouvement le plus révolutionnaire du monde, le mouvement du prolétariat pour secouer le joug du capital, dispose maintenant d’une base d’une solidité sans précédent : plusieurs Républiques soviétiques incarnant à l’échelle internationale la dictature du prolétariat et sa victoire sur le capitalisme.

La portée historique universelle de la IIIe Internationale, Internationale communiste, est qu’elle a commencé à mettre en pratique le plus grand mot d’ordre de Marx, mot d’ordre qui résume le progrès séculaire du socialisme et du mouvement ouvrier, mot d’ordre défini par la notion : dictature du prolétariat.

Cette anticipation de génie, cette théorie géniale devient réalité.

Cette expression latine est traduite aujourd’hui dans toutes les langues populaires de l’Europe moderne, mieux encore : dans toutes les langues du monde.

Une ère nouvelle s’est ouverte dans l’histoire mondiale.

L’humanité se dépouille de la dernière forme de l’esclavage : esclavage capitaliste ou salarié.

En se libérant de cet esclavage, l’humanité naît enfin à la liberté véritable.

Comment a-t-il pu se faire que le premier pays qui ait réalisé la dictature du prolétariat et fondé la République soviétique, ait été un des pays les plus arriérés de l’Europe ?

Nous ne risquons guère de nous tromper, en disant que justement cette contradiction entre le retard de la Russie et le « bond » effectué par elle, pardessus la démocratie bourgeoise, vers la forme supérieure du démocratisme, vers la démocratie soviétique ou prolétarienne, justement cette contradiction a été (en plus des pratiques opportunistes et des préjugés philistins qui pesaient sur la plupart des chefs socialistes) une des raisons qui ont rendu particulièrement difficile ou retardé en Occident la compréhension du rôle des Soviets.

Les masses ouvrières de tous les pays ont saisi d’instinct l’importance des Soviets comme arme de lutte du prolétariat et ferme de l’Etat prolétarien. Mais les « chefs » corrompus par l’opportunisme ont continué, et continuent de vouer un culte à la démocratie bourgeoise en l’appelant « démocratie » en général.

Faut-il s’étonner que la réalisation de la dictature prolétarienne ait révélé avant tout cette « contradiction » entre le retard de la Russie et le « bond » effectué par elle par-dessus la démocratie bourgeoise ? Il eût été étonnant si l’histoire nous gratifiait d’une nouvelle forme de démocratie sans entraîner une série de contradictions.

Tout marxiste, voire toute personne initiée à la science moderne, en général, si on lui posait cette question : « Le passage égal ou harmonieux et proportionnel des divers pays capitalistes à la dictature du prolétariat est-il possible ? » — répondra sans doute par la négative. Ni égalité de développement, ni harmonie, ni proportionnalité n’ont jamais existé et ne pouvaient exister dans le monde capitaliste.

Chaque pays a fait ressortir avec un singulier relief tel ou tel autre côté, tel trait ou ensemble de particularités du capitalisme et du mouvement ouvrier. Le processus de développement était inégal.

Au moment où la France accomplissait sa grande Révolution bourgeoise et éveillait tout le continent européen à une vie nouvelle au point de vue historique, l’Angleterre, tout en étant beaucoup plus développée que la France au point de vue capitaliste, se trouva à la tête d’une coalition contre-révolutionnaire.

Mais le mouvement ouvrier anglais de cette époque fait pressentir, de façon géniale, bien des points du futur marxisme.

Lorsque l’Angleterre donna au monde le premier grand mouvement révolutionnaire prolétarien, réellement massif, politiquement cristallisé, le chartisme, il n’y avait, la plupart du temps, sur le continent européen que de faibles révolutions bourgeoises ; en France, éclatait la première grande guerre civile entre le prolétariat et la bourgeoisie.

La bourgeoisie battit les divers détachements nationaux du prolétariat, isolément et d’une façon différente selon les pays.

L’Angleterre était selon l’expression d’Engels le pays-type d’une bourgeoisie qui a créé, à côté d’une aristocratie embourgeoisée, la couche supérieure la plus embourgeoisée du prolétariat. Le pays capitaliste avancé fut ainsi en retard de plusieurs dizaines d’années dans le sens de la lutte révolutionnaire prolétarienne.

La France semble avoir épuisé les forces de son prolétariat en deux insurrections héroïques — qui ont donné énormément au point de vue de l’histoire mondiale — de la classe ouvrière contre la bourgeoisie en 1848 et 1871. L’hégémonie dans l’Internationale du mouvement ouvrier passa ensuite à l’Allemagne, vers 1870, au moment où ce pays était économiquement en retard sur l’Angleterre et la France.

Et lorsque l’Allemagne eut dépassé économiquement ces deux pays, c’est-à-dire vers la deuxième décade du XXe siècle, le parti ouvrier marxiste d’Allemagne, parti modèle pour le monde entier, se trouva sous la direction d’une poignée de gredins fieffés, de la canaille la plus immonde vendue aux capitalistes, depuis Scheidemann et Noske jusqu’à David et Legien, les plus répugnants bourreaux issus des milieux ouvriers et passés au service de la monarchie et de la bourgeoisie contrerévolutionnaire.

L’histoire universelle s’achemine irrésistiblement vers la dictature du prolétariat, mais elle n’y va pas par des chemins unis, simples et droits, tant s’en faut.

Du temps que Karl Kautsky était encore marxiste, et non pas ce renégat du marxisme qu’il est devenu comme combattant pour l’unité avec les Scheidemann et la démocratie bourgeoise contre la démocratie soviétique ou prolétarienne, il écrivait — dès le début du XXe siècle— un article : « Les Slaves et la révolution ».

Il y exposait les conditions historiques qui faisaient prévoir la transmission aux Slaves de l’hégémonie dans le mouvement révolutionnaire international.

Il en fut ainsi. Pour un temps — très court, cela va de soi — l’hégémonie dans l’Internationale prolétarienne révolutionnaire est passée aux Russes, comme à diverses époques du XIXe siècle elle appartint aux Anglais, puis aux Français, puis aux Allemands.

J’ai eu l’occasion de le répéter souvent : en comparaison des pays avancés, il était plus facile aux Russes de commencer la grande Révolution prolétarienne, mais il leur sera plus difficile de la continuer et de la mener jusqu’à la victoire définitive, dans le sens de l’organisation intégrale de la société socialiste.

Il nous a été plus facile de commencer, d’abord parce que le retard politique peu ordinaire — pour l’Europe du XXe siècle — de la monarchie tsariste provoqua un assaut révolutionnaire des masses, d’une vigueur inaccoutumée.

En second lieu, le retard de la Russie unissait d’une façon originale la Révolution prolétarienne contre la bourgeoisie, à la révolution paysanne contre les grands propriétaires fonciers.

C’est par là que nous avons commencé en octobre 1917, et nous n’aurions pas triomphé si facilement si nous avions agi différemment.

Dès 1856 Marx indiqua, en parlant de la Prusse, la possibilité d’une combinaison originale de la révolution prolétarienne avec la guerre paysanne.

Les bolchéviks, depuis le début de 1905, défendirent l’idée d’une dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie.

En troisième lieu, la Révolution de 1905 a fait énormément pour l’éducation politique de la masse des ouvriers et des paysans, tant pour initier leur avant-garde au « dernier mot » du socialisme d’Occident, que dans le sens de l’action révolutionnaire des masses.

Sans cette « répétition générale » de 1905, les révolutions de 1917, bourgeoise en février, prolétarienne en octobre, n’eussent pas été possibles.

En quatrième lieu, la situation géographique de la Russie lui a permis plus longtemps qu’aux autres pays de tenir, en dépit de la supériorité extérieure des pays capitalistes avancés.

En cinquième lieu, l’attitude particulière du prolétariat à l’égard de la paysannerie a facilité le passage de la révolution bourgeoise à la révolution socialiste, facilité l’influence des prolétaires de la ville sur les semi-prolétaires, sur les couches de travailleurs pauvres des campagnes.

En sixième lieu, la longue école des grèves et l’expérience du mouvement ouvrier de masse en Europe ont facilité, dans une situation révolutionnaire tendue et vite aggravée, l’apparition d’une forme d’organisation révolutionnaire prolétarienne aussi originale que les Soviets.

Cette énumération n’est évidemment pas complète. Mais on peut pour l’instant s’en tenir là.

La démocratie soviétique ou prolétarienne est née en Russie. Par rapport à la Commune de Paris, ce fut un second pas d’une importance historique universelle.

La République prolétarienne et paysanne des Soviets est apparue comme la première et solide république socialiste du monde. Désormais elle ne peut mourir en tant que nouveau type d’État. Elle n’est plus seule aujourd’hui.

Pour continuer l’œuvre de construction socialiste et la mener à bien, il y a encore beaucoup à faire. Les Républiques soviétiques des pays plus cultivés, où le prolétariat a plus de poids et plus d’influence, ont toutes les chances de dépasser la Russie, dès qu’elles s’engageront dans la voie de la dictature du prolétariat.

Aujourd’hui la IIe Internationale en faillite meurt et pourrit sur pied. En réalité elle est passée au service de la bourgeoisie internationale. C’est une véritable Internationale jaune.

Ses plus grands chefs idéologiques, tels que Kautsky, exaltent la démocratie bourgeoise qui est pour eux la « démocratie » en général ou — ce qui est encore plus absurde et encore plus fruste — la « démocratie pure ».

La démocratie bourgeoise a fait son temps tout comme la IIe Internationale. Elle a accompli une tâche historique nécessaire et utile, à une époque où il s’agissait de préparer les masses ouvrières dans le cadre de cette démocratie bourgeoise.

La république bourgeoise la plus démocratique ne fut jamais et ne pouvait être rien qu’une machine servant au capital à écraser les travailleurs, un instrument du pouvoir politique du capital, une dictature de la bourgeoisie. La république démocratique bourgeoise a promis et proclamé le pouvoir de la majorité, mais elle n’a jamais pu le réaliser tant qu’existait la propriété privée du sol et des autres moyens de production.

La « liberté » dans la république démocratique bourgeoise n’était en fait que la liberté pour les riches.

Les prolétaires et les travailleurs des campagnes pouvaient et devaient s’en servir afin de préparer leurs forces pour renverser le capital, pour venir à bout de la démocratie bourgeoise ; mais en règle générale les masses laborieuses n’ont jamais pu bénéficier réellement de la démocratie en régime capitaliste.

Pour la première fois dans le monde, la démocratie soviétique ou prolétarienne a créé la démocratie pour les masses, pour les travailleurs, pour les ouvriers et les petits paysans. On n’avait encore jamais vu dans le monde un pouvoir d’Etat exercé par la majorité de la population, pouvoir réel de cette majorité, comme le pouvoir des Soviets.

Celui-ci réprime la « liberté » des exploiteurs et de leurs agents ; il leur enlève la « liberté » d’exploiter, la « liberté » de s’enrichir de la faim des autres, la « liberté » de combattre pour le rétablissement du pouvoir du capital, la « liberté » de s’allier à la bourgeoisie étrangère contre les ouvriers et paysans nationaux. Laissons aux Kautsky le soin de défendre cette liberté. Il faut être pour cela un renégat du marxisme, un renégat du socialisme.

La faillite des chefs idéologiques de la IIe Internationale, comme Hilferding et Kautsky, n’est jamais apparue plus clairement que dans leur incapacité absolue à comprendre la signification de la démocratie soviétique ou prolétarienne, son lien avec la Commune de Paris, sa place dans l’histoire, sa nécessité comme forme de la dictature du prolétariat.

Le numéro 74 de la Freiheit, organe de la social-démocratie allemande « indépendante » (lisez : philistine, vulgaire, petite-bourgeoise) a publié le 11 février 1919 un appel : « Au prolétariat révolutionnaire d’Allemagne ». Appel signé par la direction du parti et toute sa fraction à l’« Assemblée nationale », la « Constituante » allemande. Cet appel accuse les Scheidemann de vouloir supprimer les Soviets et propose — ne riez pas ! — de combiner les Soviets avec la Constituante, de leur donner certains droits dans le gouvernement de l’État, certaine place dans la Constitution.

Concilier, unir la dictature de la bourgeoisie avec la dictature du prolétariat ! Rien de plus simple ! Voilà bien une géniale idée de philistin !

Il est regrettable seulement qu’elle ait déjà été expérimentée en Russie sous Kérenski par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires coalisés, ces démocrates petits-bourgeois qui se prétendent socialistes.

N’avoir pas compris, en lisant Marx, que dans la société capitaliste, en chaque circonstance grave, à chaque conflit social sérieux, il ne peut s’agir que de dictature de la bourgeoisie ou de dictature du prolétariat, c’est n’avoir rien compris à la doctrine politique et économique de Marx.

Mais la géniale idée philistine de Hilferding, Kautsky et Cie sur l’union pacifique de la dictature bourgeoise et de la dictature du prolétariat exige un examen à part, si l’on veut pénétrer toutes les absurdités économiques et politiques entassées dans ce message, éminemment remarquable et comique, du 11 février. Mais il nous faut remettre cela à un prochain article.

N. Lénine. Moscou, 15 avril 1919.

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Lénine : discours pour le premier anniversaire de la fondation de l’Internationale Communiste

Lénine

Discours à la séance solennelle du Soviet de Moscou, consacrée au premier anniversaire de la fondation de la 3eInternationale

Camarades !

Une année s’est écoulée depuis la fondation de l’Internationale Communiste. Au cours de cette année, elle a remporté des victoires auxquelles il était impossible de s’attendre et que, disons-le bien franchement, personne, lors de sa fondation, n’osait espérer.

Au début de la révolution, nombreux étaient ceux qui espéraient que la révolution sociale se déclencherait en Europe immédiatement après la fin de la guerre, car, à ce moment, les masses étaient armées et la révolution pouvait dès lors s’effectuer dans certains pays d’Occident avec le plus grand succès.

C’est ce qui se fût produit s’il n’y avait pas eu, en Europe occidentale, tant de dissensions profondes au sein du prolétariat, tant de trahison de la parti des ex-leaders socialistes. Jusqu’à présent nous ne savons toujours pas exactement comment la démobilisation s’est passée et comment la liquidation de la guerre s’effectue.

Nous ne savons pas, par exemple, ce qu’il y a eu en Hollande et ce n’est que d’un article (comme il y en a beaucoup d’autres) où il était question d’un discours prononcé par un communiste hollandais qu’il m’est arrivé d’apprendre qu’en Hollande, dans le plus neutre des pays, dans celui qui a été le moins mêlé à la guerre impérialiste, le mouvement révolutionnaire a pris des proportions si vastes que, d’ores et déjà, des Soviets ont été formés ; et Troelstra, une des figures les plus marquantes de l’opportuniste social-démocratie hollandaise a dû reconnaître que les ouvriers eussent pu s’emparer du pouvoir.

Si l’internationale ne s’était pas trouvée entre les mains de traîtres qui sauvèrent la bourgeoisie au moment critique, il y aurait eu bien des chances pour que, dès la fin de la guerre, dans beaucoup de pays belligérants ainsi que dans certains pays neutres où le peuple était armé, la révolution se fût produite rapidement.

Il ne devait pas en être ainsi. La révolution n’a pas réussi à se développer aussi rapidement, et elle doit parcourir tout le processus de développement que nous avons pu commencer, que nous avons dû commencer avant la première révolution (1905).

Et c’est uniquement parce que nous avions, en 1917, plus de dix années d’expérience que nous avons été capables de guider le prolétariat.

En 1905, il y eut pour ainsi dire une répétition de la révolution, et c’est en partie ce qui nous a permis en Russie de profiter du moment où la faillite de la guerre impérialiste faisait tomber le pouvoir aux mains du prolétariat. Par suite des événements historiques, par suite de la complète désagrégation de l’autocratie, il nous a été facile de commencer la révolution.

Mais, plus il a été facile de la commencer, plus il a été difficile de la continuer dans ce pays isolé.

Nous pouvons pourtant dire, pour celte année écoulée, que dans les autres pays où les ouvriers sont plus développés, où l’industrie est plus vaste, où les ouvriers sont infiniment plus nombreux, le développement de la révolution se poursuit d’une allure beaucoup plus lente. Il a suivi notre voie, mais avec infiniment plus de lenteur.

Mais la victoire du prolétariat vient, en revanche, avec une certitude incontestablement plus grande que ce ne fut le cas chez nous.

Lorsqu’on considère la 3e Internationale, on est pourtant frappé par ses rapides succès ; elle s’est propagée de victoire en victoire. Voyez comme se répandent dans le monde entier des mots russes, comme le mot « bolchevisme ».

Bien que nous nous nommions Parti Communiste, et que le mot « communiste » soit notre appellation scientifique, générale, européenne, il est bien moins répandu que le mot « bolchevik ». Notre mot russe « Soviet » est des plus connus : on ne le traduit même pas dans les autres langues et il conserve partout sa physionomie russe.

En dépit de tous les mensonges de la presse bourgeoise, et de la résistance désespérée que nous a opposée toute la vieille bourgeoisie, malgré la mise en œuvre de tous les moyens, les sympathies des masses ouvrières sont allées aux Soviets, au pouvoir soviétiste et au bolchévisme. Plus la bourgeoisie mentait, plus elle aidait à généraliser dans le monde entier l’expérience que nous avons faite avec Kerensky.

Ceux des bolcheviks qui vinrent par l’Allemagne en Russie furent accueillis dans la « République démocratique » par des attaques et des poursuites organisées à l’américaine et auxquelles Kérensky, les mencheviks, les socialistes-révolutionnaires apportaient une aide sans mesure.

Ils firent tant et si bien qu’ils réussirent à émouvoir les masses prolétariennes et les obligèrent à conclure que si l’on traquait ainsi les bolcheviks, c’est qu’ils avaient assurément quelque chose de bon.(Applaudissements.)

Lorsque nous parviennent parfois de l’étranger des bribes de renseignements, lorsqu’on n’a pas la possibilité de suivre la presse et qu’on lit, par exemple, au hasard un numéro du plus riche des journaux anglais, le Times, lorsqu’on voit comment sont traduits là-bas les articles bolcheviks, afin de démontrer que les bolcheviks préconisaient déjà, pendant la guerre, la guerre civile, on en arrive à conclure que les plus intelligents mêmes des représentants de la bourgeoisie ont perdu la tête…

Si la presse anglaise signale le livre A contre-courant, le recommande aux lecteurs anglais et en produit des citations, pour démontrer que les bolcheviks sont les pires des hommes, qui, tout en dénonçant le crime de la guerre impérialiste, prêchent la guerre civile, on se persuade que la bourgeoisie qui nous maudit nous apporte le plus grand soutien… Nous l’en complimentons et nous la remercions. (Applaudissements.)

Nous n’avons pas de presse quotidienne ni en Europe, ni en Amérique ; les informations concernant notre action sont très pauvres, nos camarades sont impitoyablement traqués.

Mais quand on voit que la presse impérialiste des alliés, la plus riche, dans laquelle des centaines de milliers d’autres journaux puisent leurs renseignements, a perdu à ce point le sentiment de la mesure : que, tout en désirant frapper les bolcheviks, elle fait d’abondantes citations des œuvres bolcheviques, les exhumant des publications éditées pendant la guerre, pour mieux prouver que, flétrissant le crime qu’était la guerre impérialiste, nous nous efforçons de la transformer en guerre civile, on conclut que ces très intelligents journalistes sont devenus aussi sots que notre Kérensky et ses pareils.

C’est pourquoi nous pouvons vous assurer que les dirigeants de l’impérialisme anglais travaillent proprement et solidement pour le plus grand bien de la révolution internationale. (Applaudissements.)

Avant la guerre, camarades, il nous semblait que la cause de division la plus importante au sein du mouvement ouvrier était la scission entre socialistes et anarchistes.

Ce n’était pas qu’une apparence, il en était bien ainsi. Dans la longue période qui précéda la guerre impérialiste et la révolution, il n’y avait pas, à parler d’une façon objective, dans la majeure partie des pays européens, de situation révolutionnaire. La tâche des militants consistait à utiliser la lente action quotidienne pour la préparation révolutionnaire. Les socialistes se mirent à l’œuvre, les anarchistes ne comprirent pas cette tâche.

La guerre a créé un état de choses révolutionnaire et cette vieille scission du mouvement ouvrier est en voie de disparition.

D’un côté, les hautes sphères de l’anarchie et du socialisme, devenues chauvines, ont montré ce que signifie la défense de certains pillards bourgeois contre d’autres, au nom de laquelle la guerre a exterminé des millions d’hommes. D’un autre côté, dans les profondeurs des vieux partis, ont surgi de nouveaux courants — contre la guerre, contre l’impérialisme, pour la révolution sociale.

Ainsi, la plus profonde crise s’est créée du fait de la guerre. Les anarchistes et les socialistes se sont scindés, parce que les principaux des leaders parlementaires et des leaders anarchistes ont emboîté le pas aux chauvins, tandis qu’une infime minorité s’éloignait d’eux, et commençait à passer dans le camp révolutionnaire.

De la sorte, le mouvement ouvrier de tous les pays a suivi une autre voie, qui n’est ni celle des anarchistes, ni celle des socialistes, mais qui mène à la dictature du prolétariat.

Cette scission, remarquable dans le monde entier, a commencé bien avant l’existence de la 3e Internaionale. Si nous avons remporté des succès c’est parce que nous sommes arrives en plein mouvement révolutionnaire et que le mouvement ouvrier se manifestait déjà dans tous les pays. Voilà pourquoi nous voyons maintenant que s’est produite une scission au sein du socialisme et de l’anarchisme.

C’est ce qui oblige dans le monde entier les ouvriers communistes à procéder à la formation de nouvelles organisations, et a les unifier dans la 3e Internationale. Une telle manière d’agir est de beaucoup la plus exacte.

Si, de nouveau, des désaccords surgissaient, par exemple, sur l’utilisation du parlementarisme, il serait, après l’expérience, de la révolution russe et de la guerre civile, après que s’est dressée devant tout l’univers la figure magnifique de Liebknecht et que son rôle et son importance se sont révélés aux représentants du parlementarisme, il serait, dis-je, insensé de répudier encore l’utilisation révolutionnaire du parlementarisme.

Il est clair, même pour les représentants de la vieille école, que poser la question de l’Etat comme pour le passé, n’est plus possible ; au lieu de l’ancienne manière livresque, le mouvement révolutionnaire a mis au jour une autre façon nouvelle et pratique de la poser.

À la force groupée et centralisée de la bourgeoisie, il faut opposer la force groupée et centralisée du prolétariat. Dès lors, la question de l’Etat apparait sous un angle nouveau, et le vieux désaccord perd toute raison d’être.

L’ancienne scission disparue, voici que de nouvelles se produisent en tête desquelles se trouve l’attitude à observer vis-à-vis du pouvoir soviétiste et la dictature du prolétariat. La constitution soviétiste met nettement en valeur tout ce qu’a élaboré la révolution russe.

Par notre expérience, par nos enseignements, on a obtenu que tous les vieux problèmes ne se résument plus maintenant qu’en un seul : pour ou contre le pouvoir soviétiste. Ou pour le pouvoir bourgeois, pour la démocratie, pour ces normes de démocratie qui, promettant l’égalité des repus et des affamés, l’égalité du capitaliste et du travailleur, cachent dans le suffrage universel des exploiteurs, pour l’Etat soviétiste.

Seuls les partisans de l’esclavage capitaliste peuvent soutenir la démocratie bourgeoisie. C’est ce que nous voyons dans la littérature réactionnaire de Koltchak et de Dénikine.

Après le nettoyage de beaucoup de villes russes on a ramassé dans les immondices quelque prose qu’on a expédiée à Moscou.

Nous prouvons à présent examiner les œuvres des intellectuels russes du genre de Tchirikov ou de penseurs bourgeois comme E. Troubetskoï et l’on peut comment, tout en aidant Dénikine, ils parlent de l’Assemblée Constituante, de l’égalité, etc. Les opinions qu’ils émettent sur la Constituante nous servent ; losqu’il mènent ce type d’agitation parmi les masses de gardes-blancs ; ils nous aident ainsi que toute la marche même de la guerre civile, des événements.

Par leurs arguments, ils ont eux-même montré que tout révolutionnaire sincère qui sympathise avec la lutte contre les capitalistes est pour la République des Soviets. La marche de la guerre civile le prouve incontestablement.

S’élever contre la nécessité du pouvoir central, de la dictature et de l’unité de volonté, — nécessaires pour que le prolétariat avancé se concentre, se développe et rétablisse l’Etat sous de nouvelles formes, en tenant le pouvoir solidement en mains, — porter des jugements sur ce sujet devient impossible après tout ce qui s’est produit en Russie, en Finlande et en Hongrie, après la longue expérience d’une année de république démocratique en Allemagne. La démocratie s’est elle-même discréditée définitivement.

C’est ainsi que, dans tous les pays, sous les formes les plus diverses, tant de symptômes d’accroissement du mouvement communiste pour le pouvoir des soviets, pour la dictature du prolétariat, se multiplient irrésistiblement.

Cet accroissement est si violent que des partis comme le Parti des indépendants allemands et le Parti socialiste français, au sein desquels règnent les pontifes de la vieille école, qui ne comprennent ni les nouvelles formes d’agitation, ni les conditions nouvelles que l’action parlementaire n’a nullement modifiées (action que ces messieurs transforment d’ailleurs en un moyen d’éviter, grâce à des flots d’éloquence, de répondre aux questions les plus importantes), même ces pontifes, dis-je, ont été obligés de reconnaître la dictature du prolétariat et le pouvoir des Soviets.

Il est vrai que les masses qui ne se laissent pas ignorer les y ont forcés.

D’autres camarades vous ont dit que la sortie du Parti des indépendants allemands de la 2e Internationale, la reconnaissance par ce parti de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétiste a été le dernier coup décisif porté à la 2e Internationale. La situation est maintenant telle que la 2e Internationale est, peut-on dire, morte, et que les masses ouvrières d’Allemagne, d’Angleterre et de France passent dans le camp des communistes.

Il y a aussi en Angleterre un parti d’Indépendants qui n’entend pas abandonner le point de vue de la légalité et qui persiste à condamner la violence des bolcheviks. Dans leur journal, on a récemment consacré une rubrique spéciale à cette discussion. Discuter signifie examiner.

On examine donc là-bas la question des Soviets ; à côté d’un article inséré dans tous les journaux ouvriers et qui traite de cette question nous en voyons un autre d’un Anglais qui ne veut pas compter avec la théorie du socialisme, qui garde le sot dédain d’autrefois pour les théories, mais qui, considérant les conditions actuelles de la vie anglaise, en arrive à conclure : « Nous ne pouvons pas condamner les Soviets ; nous devons en être partisans ».

Cela signifie que même les couches ouvrières les plus retardataires d’un pays comme l’Angleterre se sont ébranlées, et l’on peut dire que les vieilles formes du socialisme sont mortes à jamais.

L’Europe va vers la révolution, mais, comme nous y sommes venus nous-mêmes, elle s’y achemine selon le caractère local du mouvement.

Chaque pays doit mener, à sa manière, et a commencé, une lutte intérieure contre ses mencheviks et contre leur opportunisme, existant sous d’autres dénominations, mais souvent plus profondément enracinés que chez nous.

Et c’est précisément parce qu’ils passent de façon indépendante par cette expérience qu’on peut considérer la victoire de la révolution socialiste comme inéluctable dans tous les pays.

Plus il y a d’hésitations et d’incertitudes dans les rangs ennemis, — et nous ne voyons pas autre chose dans leurs affirmations que les bolcheviks sont des criminels avec lesquels ils ne feront jamais la paix, aussitôt suivies de revirements diplomatiques, — mieux vont les choses pour nous. Ils nous disent maintenant : « On peut faire du commerce tout en ne reconnaissant pas les bolcheviks ».

Nous n’y voyons nul inconvénient, messieurs, faites-en l’expérience. Les raisons qui font que vous ne vouliez pas nous reconnaître, nous les comprenons fort bien. Et nous sommes les premiers à dire que vous commettriez une faute énorme en nous reconnaissant.

Mais si vous êtes si ennuyés que de prime abord vous déclariez les bolcheviks des destructeurs des lois de Dieu et de l’humanité, et qu’ensuite vous disiez que vous allez procéder avec eux à des échanges commerciaux sans les reconnaître politiquement, c’est là pour nous une victoire qui, dans chaque pays, hâtera la croissance du mouvement communiste et l’approfondira.

Il est déjà si profond qu’en dehors de ceux qui adhèrent officiellement à la 3e Internationale, on peut voir dans les pays avancés toute une série de mouvements qui, tout en ne se rattachant ni au socialisme, ni au communisme, tout en persistant à condamner le bolchevisme, viennent à lui poussés par la force des événements.

Dans tout pays civilisé, la guerre, au 20e siècle, oblige le gouvernement à montrer sa face véritable.

Un journal français ne s’est-il pas avisé de publier des documents de l’ex-empereur autrichien Charles qui, en 1916, proposait à la France de conclure la paix ?

Maintenant que nul n’ignore plus la teneur de cette proposition de paix, des ouvriers se tournent vers le leader français des socialistes chauvins, Albert Thomas, et lui demandent : « Vous étiez au gouvernement lorsqu’on lui a proposé la paix… Qu’avez-vous fait en l’occurrence ? » Albert Thomas, interrogé, s’est bien gardé de répondre. Et ces révélations ne font que commencer.

Les masses populaires d’Europe et d’Amérique, qui savent maintenant à quoi s’en tenir, ont une idée de la guerre bien différente de celle d’autrefois. Pourquoi dix millions d’hommes sacrifiés ?

Pourquoi vingt millions d’hommes estropiés ? demandent-elles.

Poser cette question c’est lui répondre : « Dix millions d’hommes ont été tués, vingt millions d’hommes ont été estropiés uniquement pour décider lequel, du capitalisme anglais ou allemand, s’enrichira le plus ». Telle est la vérité et, quoi qu’on fasse, on ne l’étouffera plus.

La faillite des gouvernements capitalistes est inéluctable. Car on voit bien que la guerre est inévitable si les impérialistes et la bourgeoisie restent au pouvoir. Entre le Japon et l’Amérique surgissent de nouvelles querelles et de nouveaux conflits. Ils sont préparés par des dizaines d’années de manœuvres diplomatiques entre les deux pays.

La guerre est inévitable sur le terrain de la propriété privée. Entre l’Angleterre, qui s’est appropriée de nouvelles colonies, et la France, qui se considère comme lésée, le conflit est certain. Personne ne sait où et comment les événements se produiront, mais tous voient, savent et disent que la guerre est inévitable.

C’est ce qui nous garantit qu’au 20e siècle, dans des pays où tout le monde sait à quoi s’en tenir, il ne peut plus être question du vieux réformisme et du vieil anarchisme. La guerre les a tués. Parler de refaire la société capitaliste par des réformes, — alors qu’elle a donné des centaines de milliards à la guerre, — de la refaire sans pouvoir révolutionnaire et sans violences, sans secousses formidables. — parler comme par le passé est une impossibilité.

Celui qui parle et pense ainsi n’a plus aucun sens. L’Internationale Communiste est puissante parce qu’elle s’appuie sur les leçons de la guerre impérialiste universelle. L’expérience de millions d’hommes le confirme de plus en plus, dans chaque pays.

Le mouvement vers l’Internationale Communiste est maintenant cent fois plus large et plus profond qu’il ne le fut jamais. Il a provoqué en une année l’écroulement complet de la 2e Internationale.

Maintenant il n’y a plus un seul pays au monde, même le moins développé, où tous les ouvriers qui pensent ne se rattachent à l’Internationale Communiste, n’adhèrent à elle en principe. Et c’est la garantie absolue que la victoire de l’Internationale Communiste dans le monde entier n’est pas très lointaine – cette victoire est certaine. (Applaudissements.)

>Retour au dossier sur le premier congrès de l’Internationale Communiste

Lénine : les tâches de la III° Internationale

[Juillet 1919.]

RAMSAY MACDONALD ET LA III’ INTERNATIONALE

Le n° 5475 du journal social‑chauvin français l’Humanité, en date du 14 avril 1919, a publié un éditorial de Ramsay Macdonald, le chef bien connu du parti britannique dit « Parti ouvrier indépendant », en fait un parti opportuniste qui a toujours dépendu de la bourgeoisie. Cet article est tellement typique du courant appelé communément le « centre », et que le I°congrès de l’Internationale communiste de Moscou a désigné par ce nom, que nous le reproduisons intégralement ainsi que les lignes d’introduction de la rédaction de l’Humanité :

LA TROISIEME INTERNATIONALE

Notre ami Ramsay Macdonald était, avant la guerre, le leader écouté du Labour Party à la chambre des Communes. Sa haute conscience de socialiste et de croyant lui ayant fait un devoir de réprouver la guerre impérialiste et de ne pas se joindre à ceux qui la saluaient du nom de guerre du droit, il abandonna après le 4 août la direction du Labour Party et, avec ses camarades de l’I’indépendant, avec notre admirable Keir Hardie, il ne craignit pas de déclarer la guerre à la guerre.

Il y fallait de l’héroïsme quotidien.

Macdonald montra alors que le courage, c’est comme le disait Jaurès : « De ne pas subir la loi du mensonge triomphant et de ne pas faire écho aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »

M. Lloyd George a fait battre Macdonald aux élections « kaki1 » de fin novembre. Soyons tranquilles, Macdonald aura sa revanche, et elle est proche.

Ce fut le malheur du mouvement socialiste dans sa politique nationale et internationale d’être travaillé par des tendances séparatistes.

il n’est cependant pas mauvais qu’il y ait en lui des nuances d’opinions et des variations de méthode. Notre socialisme en est encore au stade expérimental.

Ses principes généraux sont fixés, mais la manière de les bien appliquer, les combinaisons qui feront triompher la Révolution, la façon dont l’Etat socialiste doit être construit sont autant de questions à discuter et sur lesquelles le dernier mot n’a pas été dit. Une étude approfondie de tous ces points nous mènera à une plus grande vérité.

Les extrêmes peuvent se combattre et leurs luttes peuvent servir à fortifier les conceptions socialistes, mais le mal recommence, lorsque chacun regarde l’autre comme un traître, comme un croyant qui a perdu la grâce et à qui les portes du Parti doivent être fermées.

Quand les socialistes sont possédés d’un esprit dogmatique semblable à celui qui prêchait autrefois dans la chrétienté la guerre civile pour la gloire de Dieu et l’écrasement du Diable, alors la bourgeoisie peut, être en paix, car sa période de domination n’est pas encore terminée, quels que soient à ce moment les succès socialistes locaux et internationaux.

Aujourd’hui notre mouvement rencontre malheureusement un nouvel obstacle. Une nouvelle Internationale est proclamée à Moscou.

Je le regrette beaucoup, car l’Internationale socialiste est à l’heure actuelle suffisamment ouverte à toutes les formes de la pensée socialiste, et malgré les controverses théoriques et pratiques soulevées par le bolchévisme, je ne vois pas de raison pour que la gauche se sépare du centre et forme un groupe indépendant.

Nous devons nous rappeler d’abord que nous sommes encore dans la période d’enfantement de la Révolution ; les formes de gouvernement issues des destructions politiques et sociales de la guerre n’ont pas encore fait leurs preuves et ne sont pas définitivement fixées.

Le premier coup de balai semble toujours remarquable, mais on n’est pas sûr de l’efficacité du dernier.

La Russie n’est pas la Hongrie, la Hongrie n’est pas la France, la France n’est pas l’Angleterre, et diviser l’Internationale d’après l’expérience d’une seule nation est une étroitesse d’esprit criminelle.

En outre, que vaut l’expérience de la Russie ? Qui peut en parler ?

Les gouvernements alliés ont peur de nous laisser nous renseigner.

Mais il y a deux choses que nous savons.

La première, c’est qu’il n’y avait pas de plan préparé pour la Révolution qu’a faite le gouvernement russe actuel. Elfe s’est développée selon le cours des événements. Lénine commença à attaquer Kérenski en demandant une Assemblée Constituante . Les événements le conduisirent à supprimer cette Assemblée. Quand arriva la Révolution sociale en Russie, personne ne pensait que les Soviets prendraient dans le gouvernement la place qu’ils y ont prise.

Par la suite, Lénine a justement exhorté la Hongrie à ne pas copier servilement la Russie, mais à laisser la Révolution hongroise évoluer selon son propre caractère.

Les fluctuations et l’évolution des expériences auxquelles nous assistons en ce moment ne doivent à aucun prix amener une division dans l’Internationale.

Tous les gouvernements socialistes ont besoin de l’aide et des conseils de l’Internationale : l’Internationale a besoin de surveiller leurs expériences d’un oeil attentif et d’un esprit ouvert.

Je viens d’apprendre d’un ami, qui a vu Lénine récemment, que personne ne critique plus librement le gouvernement des Soviets que Lénine ne le fait lui‑même.

***

Si les troubles. et les révolutions d’après‑guerre ne justifient pas une scission, l’attitude de certaines sections socialistes pendant la guerre la justifie‑t‑elle ? Ici, je confesse avec candeur que la raison peut paraître meilleure. Mais s’il y a vraiment un motif de scission dans l’Internationale, la conférence de Moscou a posé la question de la plus mauvaise manière.

Je suis parmi ceux qui considèrent que la discussion de Berne sur les responsabilités de la guerre n’était qu’une concession à l’opinion publique non socialiste.

Non seulement à Berne on ne pouvait émettre sur cette question un jugement qui eût une valeur historique quelconque (bien qu’il pût avoir quelque valeur politique), mais le sujet lui‑même n’a pas été abordé comme il convient.

Une condamnation de la majorité allemande (que la majorité allemande a amplement méritée et à laquelle j’ai été très heureux d’adhérer) ne pouvait pas être un exposé des origines de la guerre.

Les débats de Berne n’ont pas amené une discussion franche de l’attitude des autres socialistes à l’égard de la guerre.

Ils n’ont donné aucune formule pour la conduite des socialistes pendant une guerre. Tout ce que l’Internationale avait dit jusqu’alors, c’est que, dans une guerre de défense nationale, les socialistes devaient se joindre aux autres partis.

Dans ces conditions, qui allons‑nous condamner ?

Quelques‑uns d’entre nous savaient que ce qu’avait dit l’Internationale ne signifiait rien. et ne constituait pas pour l’action un guide pratique.

Ils savaient qu’une telle guerre finirait par une victoire impérialiste, et sans être pacifistes, au sens habituel du mot, ou antipacifistes, nous adhérions à une politique que nous pensions être la seule compatible avec l’Internationalisme.

Mais l’Internationale ne nous avait jamais prescrit cette règle de conduite.

C’est pourquoi, à l’heure où commença la guerre, l’Internationale s’écroula. Elle fut sans autorité, et n’édicta aucune loi au nom de laquelle nous puissions aujourd’hui condamner ceux qui ont honnêtement exécuté les résolutions des Congrès internationaux.

En conséquence la position qu’il faut prendre aujourd’hui est la suivante : au lieu de nous diviser sur ce qui a eu lieu, édifions une internationale réellement active et qui protège le mouvement socialiste pendant la période de Révolution et de construction que nous allons traverser.

Il faut que nous restaurions nos principes socialistes. Il faut que nous posions les bases solides de la conduite socialiste internationale.

Puis, s’il se trouve que sur ces principes nous différions essentiellement, si nous ne tombons pas d’accord sur la liberté et la démocratie, si nous avons des vues définitivement divergentes sur les conditions dans lesquelles le prolétariat peut prendre le pouvoir, si la guerre a empoisonné d’impérialisme certaines sections de l’Internationale, alors il peut y avoir scission.

Je ne pense pas cependant qu’une telle calamité se produise.

Par suite, je regrette le manifeste de Moscou comme étant pour le moins prématuré et certainement inutile, et j’espère que mes camarades français qui ont supporté avec moi les calomnies et les douleurs des quatre tristes dernières années ne vont pas, dans un mouvement d’impatience, contribuer à briser la solidarité internationale.

Leurs enfants auraient à la reconstruire si le prolétariat doit jamais gouverner le monde.

J. Ramsay Macdonald

Comme le constate le lecteur, l’auteur de cet article s’efforce de démontrer l’inutilité de la scission. Or, au contraire, l’inévitabilité de celle-ci découle précisément de la façon de raisonner de Ramsay Macdonald, représentant typique de la Il° Internationale, digne compagnon d’armes de Scheidemann et de Kautsky, de Vandervelde et de Branting, etc., etc.

L’article de Ramsay Macdonald est le meilleur échantillon de ces phrases coulantes, mélodieuses, stéréotypées, en apparence socialistes, qui servent depuis bien longtemps dans tous les pays capitalistes avancés à masquer la politique bourgeoise au sein du mouvement ouvrier.

Commençons par ce qui est le moins important, mais particulièrement caractéristique. De même que Kautsky (dans sa brochure La dictature du prolétariat), l’auteur reprend le mensonge bourgeois selon lequel personne en Russie n’aurait prévu. à l’avance le rôle des Soviets, selon lequel les bolchéviks et moi‑même aurions engagé la lutte contre Kérenski uniquement au nom de l’Assemblée constituante.

C’est un mensonge bourgeois. En réalité, dès le 4 avril 1917, dès le premier jour de mon arrivée à Pétrograd, j’ai proposé des « thèses » revendiquant la république des Soviets, et non la république parlementaire bourgeoise.

Je l’ai répété de nombreuses fois à l’époque de Kérenski, dans la presse et à des réunions. Le parti bolchévik l’a déclaré solennellement et officiellement dans les décisions de sa conférence du 29 avril 19172.

Ne pas savoir cela, c’est ne pas vouloir connaître la vérité sur la révolution socialiste en Russie. Ne pas vouloir comprendre qu’une république parlementaire bourgeoise avec une Assemblée constituante est un pas en avant par rapport à la même république sans Assemblée constituante, tandis qu’une république des Soviets est deux pas en avant, c’est fermer les yeux devant la différence entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Se dire socialiste et ne pas voir cette différence deux ans après que la question ait été posée en Russie et un an et demi après la victoire de la révolution soviétique en Russie, c’est demeurer obstinément et totalement prisonnier de « l’opinion publique des milieux non socialistes », c’est‑à‑dire des idées et de la politique de la bourgeoisie.

Avec de tels individus, la scission est nécessaire et inévitable ; car il est impossible de faire la révolution socialiste la main dans la main avec ceux qui tirent du côté de la bourgeoisie.

Et si des gens comme Ramsay Macdonald ou Kautsky et consorts n’ont même pas voulu surmonter cette petite « difficulté » qui aurait consisté pour ces « chefs » à prendre connaissance des documents relatifs à l’attitude des bolchéviks devant le pouvoir des Soviets, à leur façon de poser cette question avant et après le 25 octobre (7 novembre) 1917, ne serait‑il pas ridicule d’attendre de ces gens qu’ils soient disposés àsurmonter, et capables de le faire, les difficultés incomparablement plus grandes de la lutte actuelle pour la révolution socialiste ?

Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Passons à la deuxième contrevérité (parmi les innombrables contrevérités dont fourmille l’article de Ramsay Macdonald, car il en contient sans doute plus que de mots). Cette contrevérité est peut-être la plus grave.

J.R. Macdonald affirme que l’Internationale aurait seulement dit, avant la guerre de 1914‑1918, que « dans une guerre de défense nationale, les socialistes devaient se joindre aux autres partis ».

C’est s’écarter d’une façon flagrante et monstrueuse de la vérité.

Chacun sait que le manifeste de Bâle de 1912 a été adopté à l’unanimité par tous les socialistes et qu’il est le seul, parmi tous les documents de l’Internationale, à concerner justement cette guerre entre le groupe anglais et le groupe allemand de rapaces impérialistes, guerre qui, de toute évidence, se préparait en 1912 et qui éclata en 1914.

C’est à propos de cette guerre que le manifeste de Bâle a dit trois choses que Macdonald passe aujourd’hui sous silence, commettant ainsi le crime le plus grave contre le socialisme, et démontrant qu’avec les gens comme lui la scission est indispensable, car ils servent en fait la bourgeoisie, et non le prolétariat.

Ces trois choses sont les suivantes :

  • la guerre dont on est menacé ne saurait le moins du monde être justifiée au nom des intérêts de la liberté nationale ;
  • de la part des ouvriers, ce serait un crime au cours de cette guerre de tirer les uns sur les autres ;
  • la guerre conduit à la révolution prolétarienne.

Voilà les trois vérités essentielles et fondamentales que Macdonald « oublie » (bien qu’il y ait souscrit avant la guerre), passant en fait aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat et démontrant que la scission est indispensable.

L’Internationale Communiste n’acceptera pas l’unité avec des partis qui se refusent à reconnaître cette vérité et sont incapables de démontrer par leurs actes qu’ils sont prêts, résolus et aptes à faire pénétrer ces vérités dans la conscience des masses.

La paix de Versailles a démontré même aux sots et aux aveugles, même à la masse des myopes, que l’Entente était et demeure un rapace impérialiste aussi immonde et sanguinaire que l’Allemagne.

Seuls pouvaient ne pas le voir soit des hypocrites et des menteurs, qui font sciemment la politique de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier, des agents et commis déclarés de la bourgeoisie (labor lieutenants of the capitalist class, ses officiers ouvriers au service de la classe capitaliste, comme disent les socialistes américains), soit des gens tellement perméables aux idées bourgeoises et à l’influence bourgeoise qu’ils ne sont socialistes qu’en paroles, et sont en réalité des petits bourgeois, des philistins, des sous‑fifres des capitalistes.

La différence entre ces deux catégories est importante du point de vue des individus, c’est‑à‑dire pour juger Pierre ou Paul parmi les social‑chauvins de tous les pays. Pour un homme politique, c’est‑à‑dire du point de vue des rapports entre des millions d’hommes, entre des classes, cette différence n’est pas essentielle.

Les socialistes qui n’ont pas compris, pendant la guerre de 1914‑1918, que c’était une guerre criminelle, réactionnaire, une guerre impérialiste de brigandage des deux côtés, sont des social‑chauvins, c’est‑à‑dire des socialistes en paroles et des chauvins en fait ; des amis de la classe ouvrière en paroles, mais en fait des laquais de « leur » bourgeoisie nationale, qu’ils aident à tromper le peuple, en peignant comme « nationale », « libératrice », « défensive », « juste », etc., la guerre entre le groupe anglais et le groupe allemand de forbans impérialistes, également immondes, sordides, sanguinaires, criminels, réactionnaires.

L’unité avec les social‑chauvins est une trahison de la révolution, une trahison du prolétariat, une trahison du socialisme, le passage aux côtés de la bourgeoisie, car c’est « l’unité » avec la bourgeoisie nationale de « son » pays contre l’unité du prolétariat révolutionnaire international, c’est l’unité avec la bourgeoisie contre le prolétariat.

C’est ce que la guerre de 1914‑1918 a démontré une fois pour toutes. Que celui qui ne l’a pas compris reste à l’Internationale jaune des social‑traîtres de Berne.

Avec la naïveté comique du socialiste « de salon », qui jette les paroles en l’air sans comprendre le moins du monde leur signification sérieuse et sans penser du tout que les paroles engagent à des actes, Ramsay Macdonald déclare : on a fait à Berne « une concession à l’opinion publique non socialiste ».

Précisément ! Nous considérons toute l’Internationale de Berne comme une Internationale jaune de traîtres et de renégats parce que toute sa politique est une « concession » à la bourgeoisie.

Ramsay Macdonald sait parfaitement que nous avons fondé la Ill° Internationale et rompu totalement avec la Il° car nous nous étions convaincus qu’elle était incurable, condamnée, qu’elle était le serviteur de l’impérialisme, l’agent de l’influence bourgeoise, du mensonge bourgeois et de la dépravation bourgeoise dans le mouvement ouvrier.

Si Ramsay Macdonald, en voulant parler de la Ill° Internationale, élude le fond de la question, tourne autour du pot, prononce des phrases vides et ne. parle pas de ce dont il faut parler, à lui la faute, à lui le crime. Car le prolétariat a besoin de la vérité, et rien n’est plus nuisible à sa cause que le mensonge de belle apparence et de bon ton du petit bourgeois.

La question de l’impérialisme et de sa liaison avec l’opportunisme dans le mouvement ouvrier, avec la trahison de la cause ouvrière par les chefs ouvriers, est posée depuis longtemps, depuis très longtemps.

Pendant quarante ans, de 1852 à 1892, Marx et Engels ont constamment signalé l’embourgeoisement des couches supérieures de la classe ouvrière d’Angleterre en raison de ses particularités économiques (colonies ; monopole sur le marché mondial, etc3.) .

Vers 1870, Marx s’est acquis la haine honorifique des vils héros de la tendance internationale « bernoise » de l’époque, des opportunistes et des réformistes, pour avoir stigmatisé nombre de leaders des trade‑unions anglaises, vendus à la bourgeoisie ou payés par elle pour services rendus à sa classe à l’intérieur du mouvement ouvrier.

Lors de la guerre des Boers, la presse anglo‑saxonne avait déjà posé en toute clarté la question de l’impérialisme, stade le plus récent (et ultime) du capitalisme.

Si ma mémoire ne me trompe pas, c’est bien Ramsay Macdonald lui-même qui quitta alors la « Société des Fabiens », ce prototype de l’Internationale « de Berne », cette pépinière et ce modèle de l’opportunisme, caractérisé par Engels avec une vigueur, une clarté et une vérité géniales dans sa correspondance avec Sorge4. « Impérialisme fabien » ‑ telle était alors l’expression en usage dans la presse socialiste anglaise.

Si Ramsay Macdonald l’a oublié, tant pis pour lui.

« Impérialisme fabien » et « social-impérialisme » sont une seule et même chose : socialisme en paroles, impérialisme dans les faits, transformation de l’opportunisme en impérialisme. Ce phénomène est devenu maintenant, pendant et après la guerre de 1914‑1918, un phénomène universel. Ne pas l’avoir compris est le plus grand aveuglement de l’Internationale jaune « de Berne » et son plus grand crime.

L’opportunisme ou le réformisme devait inévitablement se transformer en impérialisme socialiste ou social‑chauvinisme, de portée historique mondiale, car l’impérialisme a promu une poignée de nations avancées richissimes qui pillent le monde entier, et par là même a permis à la bourgeoisie de ces pays d’acheter avec son surprofit de monopole (l’impérialisme, c’est le capitalisme monopoliste) leur aristocratie ouvrière.

Pour ne pas voir que c’est un fait économiquement inéluctable sous l’impérialisme, il faut être ou bien un parfait ignorant, ou bien un hypocrite qui trompe les ouvriers en répétant des lieux communs sur le capitalisme pour dissimuler l’amère vérité du passage d’un courant socialiste tout entier du côté de la bourgeoisie impérialiste.

Or, deux conclusions incontestables en découlent :

Première conclusion : L’Internationale « de Berne » est en réalité, de par son rôle historique et politique véritable, indépendamment de la bonne volonté et des vœux pieux de tel ou tel de ses membres, une organisation d’agents de l’impérialisme international, qui agissent à l’intérieur du mouvement ouvrier, et font pénétrer dans ce mouvement l’influence bourgeoise, les idées bourgeoises, le mensonge bourgeois et la dépravation bourgeoise.

Dans les pays de vieille culture parlementaire démocratique, la bourgeoisie a admirablement appris à agir non seulement par la violence, mais aussi par la tromperie, la corruption, la flatterie, jusqu’aux formes les plus raffinées de ces procédés. Ce n’est pas pour rien que les « déjeuners » des « leaders ouvriers » anglais (c’est‑à‑dire des commis de la bourgeoisie chargés de duper les ouvriers) sont devenus célèbres et qu’Engels en parlait déjà5. La réception « exquise» que fit monsieur Clemenceau au social‑traître Merrheim, les réceptions aimables faites par les ministres de l’Entente aux chefs de l’Internationale de Berne, etc., etc., relèvent du même ordre d’idées.

« Vous, instruisez‑les, et nous, nous les achèterons », disait une capitaliste anglaise intelligente à monsieur le social‑impérialiste Hyndman, qui relate dans ses mémoires comment cette dame, plus avisée que tous les chefs de l’Internationale « de Berne » réunis, jugeait les « efforts » des intellectuels socialistes pour instruire les leaders socialistes issus de la classe ouvrière.

Pendant la guerre, alors que les Vandervelde, les Branting et toute cette clique de traîtres organisaient des conférences « internationales », les journaux bourgeois français ricanaient fort sarcastiquement et fort àpropos : « Ces Vandervelde ont une sorte de tic. De même que les personnes sujettes aux tics ne peuvent pas prononcer deux phrases sans une contraction bizarre des muscles faciaux, de même les Vandervelde ne peuvent pas faire un discours politique sans répéter comme des perroquets : internationalisme, socialisme, solidarité ouvrière internationale, révolution prolétarienne, etc.

Qu’ils répètent les formules sacramentelles qu’ils veulent, pourvu qu’ils nous aident à mener par le bout du nez les ouvriers et nous rendent service, à nous les capitalistes, pour faire la guerre impérialiste et asservir les ouvriers. »

Les bourgeois anglais et français sont parfois très intelligents et ils savent parfaitement apprécier la servilité de l’Internationale « de Berne ».

Martov a écrit quelque part : vous, les bolchéviks, vous vilipendez l’Internationale de Berne, et pourtant « votre » ami Loriot en fait partie.

C’est un argument de canaille. Chacun sait, en effet, que Loriot lutte ouvertement, honnêtement, héroïquement pour la Il° Internationale.

Lorsque Zoubatov rassemblait en 1902 à Moscou des ouvriers pour les abrutir avec son « socialisme policier », l’ouvrier Babouchkine, que je connaissais depuis 1894, depuis qu’il faisait partie de mon cercle ouvrier de Pétersbourg, Babouchkine, l’un des meilleurs et des plus dévoués ouvriers « iskristes », l’un des chefs du prolétariat révolutionnaire, fusillé en 1906 par Rennenkampf en Sibérie, Babouchkine se rendait aux assemblées de Zoubatov, pour lutter contre ces manœuvres et arracher les ouvriers à ses griffes. Babouchkine était aussi peu « zoubatoviste » que Loriot est « bernois ».

Deuxième conclusion : la Ill° Internationale, l’Internationale communiste, a été justement fondée pour ne pas permettre à des « socialistes » de se tirer d’affaire par la reconnaissance verbale de la révolution, comme celle dont Ramsay Macdonald fournit des échantillons dans son article.

La reconnaissance verbale de la révolution, qui recouvre en fait une politique totalement opportuniste, réformiste, nationaliste et petite-­bourgeoise, était le péché capital de la Il° Internationale et nous luttons à mort contre ce mal.

Quand on dit : la Il° Internationale est morte après une faillite honteuse, il faut savoir le comprendre. Cela veut dire : Ce qui a fait faillite, ce qui est mort, c’est l’opportunisme, le réformisme, le socialisme petit-bourgeois. Car la Il° Internationale a un mérite historique, elle a réalisé une conquête είς αεί (pour toujours) à laquelle l’ouvrier conscient ne renoncera jamais, à savoir : la création d’organisations ouvrières de masse, coopératives, syndicales et politiques, l’utilisation du parlementarisme bourgeois, comme, en général, de toutes les institutions de la démocratie bourgeoise, etc.

Pour vaincre effectivement l’opportunisme, qui a entraîné la mort honteuse de la Il° Internationale, pour aider effectivement la révolution, dont Ramsay Macdonald lui‑même est obligé de reconnaître l’approche, il faut :

premièrement, mener toute la propagande et toute l’agitation du point de vue de la révolution, par opposition aux réformes, en expliquant systématiquement aux masses cette opposition, à la fois dans la théorie et dans la pratique, à chaque pas de l’activité parlementaire, syndicale, coopérative, etc.

Ne refuser en aucun cas (hormis des cas de force majeure) de mettre à profit le parlementarisme et toutes les « libertés » de la démocratie bourgeoise, ne pas refuser les réformes, mais les considérer uniquement comme un résultat accessoire de la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat. Aucun des partis de l’Internationale « de Berne » ne satisfait à cette exigence.

Aucun même ne comprend comment il faut mener toute la propagande et toute l’agitation, en expliquant la différence entre les réformes et la révolution, comment il faut éduquer sans relâche à la fois le Parti et les masses en vue de la révolution.

Deuxièmement, on doit combiner travail légal et travail illégal. Les bolchéviks l’ont toujours enseigné, et surtout avec une insistance particulière pendant la guerre de 1914‑1918.

Les héros de l’abject opportunisme ricanaient, portant aux nues avec fatuité la « légalité », la « démocratie », la « liberté » des pays et des républiques d’Europe occidentale, etc. Désormais, seules de franches canailles qui dupent les ouvriers avec des paroles peuvent nier que les bolchéviks aient eu raison. Il n’est pas un seul pays au monde, fût‑ce la plus avancée et la plus « libre » des républiques bourgeoi­ses, où ne règne la terreur bourgeoise, où ne soit proscrite la liberté de militer en faveur de la révolution socialiste, de faire de la propagande et d’organiser les masses, précisément dans ce sens.

Un parti qui jusqu’à présent ne l’a pas re­connu dans un régime de domination bourgeoise et qui n’effectue pas un travail illégal systématique, sur tous les plans, malgré les lois de la bourgeoisie et des parlements bourgeois, est un parti de traîtres et de gredins qui trompent le peuple en reconnaissant verbalement la révolution.

Ces partis ont leur place à l’Internationale jaune « de Berne ». Il n’y en aura pas dans l’Internationale Communiste.

Troisièmement, ilfaut se battre sans répit et sans pitié pour chasser complètement du mouvement ouvrier les chefs opportunistes qui se sont démasqués avant la guerre et surtout pendant la guerre, tant sur l’arène politique que, notamment, dans les syndicats et les coopératives.

La théorie du « neutralisme » est un stratagème vil et malhonnête qui, en 1914‑1918, a aidé la bourgeoisie à dominer les masses. Les partis qui sont pour la révolution en paroles, mais pratiquement ne travaillent pas sans relâche à ce que le Parti révolutionnaire et lui seul exerce son influence dans les diverses organisations ouvrières de masse, sont des partis de traîtres.

Quatrièmement, on ne saurait tolérer que certains condamnent l’impérialisme en paroles, et qu’en fait ils ne mènent pas une lutte révolutionnaire pour affranchir les colonies (et nations dépendantes) de leur propre bourgeoisie impérialiste.

C’est de l’hypocrisie. C’est la politique des agents de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier (labor lieutenants of the capitalist class). Les partis anglais, français, hollandais, belge, etc., hostiles à l’impérialisme en paroles, mais qui, en réalité, n’engagent pas une lutte révolutionnaire à l’intérieur de « leurs » colonies pour renverser « leur » bourgeoisie, qui n’aident pas systématiquement le travail révolutionnaire, déjà amorcé partout dans les colonies, qui n’y introduisent pas des armes et de la littérature pour les partis révolutionnaires des colonies, ces partis sont des partis de gredins et de traîtres.

Cinquièmement, le comble de l’hypocrisie est ce phénomène typique des partis de l’Internationale « de Berne » : reconnaître en paroles la révolution et faire miroiter aux yeux des ouvriers des phrases pompeuses affirmant qu’ils reconnaissent la révolution, mais, dans les faits, considérer d’un point de vue purement réformiste les germes, les pousses et les manifestations de croissance de la révolution que constituent toutes les actions des masses qui forcent les lois bourgeoises et rompent avec toute légalité ; ce sont, par exemple, les grèves de masse, les manifestations de rue, les protestations des soldats, les meetings parmi les troupes, la diffusion de tracts dans les casernes et les camps militaires, etc.

Si vous demandez à n’importe quel héros de l’Internationale « de Berne » si son parti se livre à ce travail systématique, il vous répondra soit par des phrases évasives pour dissimuler l’absence de ce travail : inexistence d’organisations et d’appareil à cet effet ; inaptitude de son parti à le mener, ou bien par des déclamations contre le « putschisme », l’« anarchisme », etc. Or, c’est ainsi que l’Internationale de Berne a trahi la classe ouvrière, est passée en fait dans le camp de la bourgeoisie.

Tous les gredins que sont les chefs de l’Internationale de Berne jurent leurs grands dieux, proclament leur « sympathie » pour la révolution en général et la révolution russe en particulier.

Mais seuls des hypocrites ou des sots peuvent ne pas comprendre que les succès particulièrement rapides de la révolution en Russie sont dus à de longues années de travail du parti révolutionnaire dans le sens indiqué, des années pendant lesquelles un appareil clandestin organisé était mis sur pied pour diriger les manifestations et les grèves, pour militer parmi les troupes ; il étudiait minutieusement les moyens d’action, éditait une littérature illégale qui dressait le bilan de l’expérience et éduquait tout le parti dans l’idée de la nécessité de la révolution, formait les dirigeants pour de pareilles actions, etc., etc.

Les divergences les plus profondes, les plus fondamentales, qui résument tout ce qui a été indiqué ci‑dessus et expliquent le caractère inévitable d’une lutte intransigeante, sur le plan théorique et politique­ pratique, du prolétariat révolutionnaire contre l’Internationale « de Berne », tiennent aux questions de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et de la dictature du prolétariat.

Ce qui révèle le mieux que l’Internationale de Berne est prisonnière de l’idéologie bourgeoise, c’est que, ne comprenant pas (ou bien ne voulant pas comprendre, ou bien faisant semblant de ne pas comprendre) le caractère impérialiste de la guerre de 1914‑1918, elle n’a pas compris qu’elle devait inéluctablement se transformer en guerre civile entre le prolétariat et la bourgeoisie de tous les pays avancés.

Lorsque, dès novembre 1914, les bolchéviks signalaient cette évolution inéluctable, les philistins de tous les pays répondaient par des railleries stupides, et au nombre de philistins figuraient tous les chefs de l’Internationale de Berne.

A présent, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile est devenue un fait dans de nombreux pays, non seulement en Russie, mais aussi en Finlande, en Hongrie, en Allemagne, et même dans la Suisse neutre, et on observe, on sent, on palpe la montée de la guerre civile dans tous les pays avancés sans exception.

A présent, passer cette question sous silence (comme le fait Ramsay Macdonald) ou bien essayer de se détourner de la guerre civile inévitable au moyen de phrases conciliantes et doucereuses (comme le font messieurs Kautsky et Cie), cela équivaut à une trahison manifeste du prolétariat, cela équivaut à passer en fait aux côtés de la bourgeoisie.

Car les véritables chefs politiques de la bourgeoisie ont compris depuis longtemps que la guerre civile est inévitable, et ils s’y préparent de façon excellente, réfléchie et systématique, renforcent leurs positions en vue de cette guerre.

De toutes ses forces, avec une énergie, une intelligence et une résolution immenses, ne reculant devant aucun crime, vouant à la famine et à l’extermination complète des pays entiers, la bourgeoisie du monde entier prépare l’écrasement du prolétariat dans la guerre civile qui approche.

Cependant, les héros de l’Internationale de Berne, comme des sots ou d’hypocrites petits curés, ou des professeurs pédants, roucoulent la vieille chanson réformiste, rebattue, usée jusqu’à la corde ! Il n’y a pas de spectacle plus hideux, plus répugnant !

Les Kautsky et les Macdonald poursuivent leurs efforts pour faire peur aux capitalistes en agitant l’épouvantail de la révolution, effrayer la bourgeoisie en agitant l’épouvantail de la guerre civile, afin d’en obtenir des concessions et leur accord pour la voie du réformisme.

C’est à quoi se ramènent les écrits, toute la philosophie, toute la politique de toute l’Internationale de Berne. Ce pitoyable procédé de laquais, nous l’avons observé en Russie en 1905 chez les libéraux (les cadets), et en 1917‑1919 chez les menchéviks et les « socialistes‑révolutionnaires ».

Eduquer les masses en leur expliquant qu’il est inévitable et nécessaire de vaincre la bourgeoisie dans la guerre civile, mener toute sa politique en vue de cet objectif, mettre en lumière, poser et trancher toutes les questions de ce point de vue, et seulement de ce point de vue ‑ à cela, les âmes de laquais de l’Internationale de Berne n’y songent même pas.

Et c’est pourquoi notre but doit uniquement consister à pousser définitivement les réformistes incorrigibles, c’est‑à‑dire les neuf dixièmes des chefs de l’Internationale de Berne, dans la fosse aux ordures des larbins de la bourgeoisie.

La bourgeoisie a besoin de larbins qui jouissent de la confiance d’une partie de la classe ouvrière et qui parent, enjolivent la bourgeoisie par des propos sur la possibilité de la voie réformiste, qui bandent ainsi les yeux du peuple, qui le détournent de la révolution en étalant les charmes et les perspectives de là voie réformiste.

Tous les écrits de Kautsky, comme ceux de nos menchéviks et de nos socialistes‑révolutionnaires, se ramènent à ce badigeonnage, aux pleurnicheries du petit bourgeois couard qui craint la révolution.

Nous n’avons pas ici les moyens de reprendre en détail les causes économiques fondamentales qui ont rendu inévitable précisément la voie révolutionnaire et seulement la voie révolutionnaire, et ont rendu impossible une autre solution des problèmes que l’histoire pose à l’ordre du jour, hormis la guerre civile. Il faudrait écrire des volumes à ce sujet, et ils seront écrits. Si messieurs Kautsky et autres chefs de l’Internationale de Berne ne l’ont pas compris, il ne reste plus qu’à dire : l’ignorance est moins éloignée de la vérité que le préjugé.

Car les travailleurs et leurs partisans, ignorants mais sincères, comprennent maintenant, après la guerre, le caractère inévitable de la révolution, de la guerre civile et de la dictature du prolétariat, plus facilement que messieurs Kautsky, Macdonald, Vandervelde, Branting, Turati et tutti quanti, bourrés des préjugés réformistes les plus doctes.

On doit reconnaître que les romans de Henri Barbusse, le Feu et Clarté, sont une confirmation particulièrement frappante du phénomène massif, observé partout, de la croissance de la conscience révolutionnaire dans les masses.

Le premier a déjà été traduit dans toutes les langues et vendu en France à 230 000 exemplaires. Comment l’homme de la rue, un homme parmi la masse, complètement ignorant et totalement écrasé par les idées et les préjugés, se transforme en révolutionnaire, précisément sous l’influence de la guerre, Barbusse le montre avec une force, un talent et une véracité extraordinaires.

Les masses des prolétaires et des semi‑prolétaires sont avec nous et viennent à nous non pas de jour en jour, mais d’heure en heure. L’Internationale de Berne est un état-major sans armée qui s’écroulera comme un château de cartes si on la dénonce jusqu’au bout devant les masses.

Le nom de Karl Liebknecht a été utilisé pendant la guerre dans toute la presse bourgeoise de l’Entente pour tromper les masses : présenter les brigands et les pillards de l’impérialisme français et anglais comme s’ils sympathisaient avec ce héros, ce « seul Allemand honnête », selon leur expression.

A présent, les héros de l’Internationale de Berne siègent dans la même organisation que les Scheidemann qui ont tramé l’assassinat de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg, que les Scheidemann qui ont joué le rôle de bourreaux issus du mouvement ouvrier et rendant des services de bourreaux à la bourgeoisie. En paroles, tentatives hypocrites pour « condamner » les Scheidemann (comme si une « condamnation » y changeait quelque chose !). Dans les faits, la présence dans la même organisation que les assassins.

En 1907, feu Harry Quelch fut expulsé de Stuttgart par le gouvernement allemand pour avoir qualifié d’« assemblée de voleurs » la réunion des diplomates européens6.

Les chefs de l’Internationale de Berne ne sont pas seulement une assemblée de voleurs, ils sont une assemblée d’infâmes assassins.

Ils n’échapperont pas à la sentence des ouvriers révolutionnaires.

Ramsay Macdonald se débarrasse de la question de la dictature du prolétariat en deux mots, comme si elle était un sujet de discussion sur la liberté et la démocratie.

Non. Il est temps d’agir. Il est trop tard pour discuter.

Le plus dangereux, de la part de l’Internationale de Berne, c’est la reconnaissance verbale de la dictature du prolétariat. Ces gens sont capables de tout reconnaître, de tout signer, pourvu qu’ils restent à la tête du mouvement ouvrier. Kautsky dit maintenant qu’il n’est pas contre la dictature du prolétariat ! Les social‑chauvins et les « centristes » français signent une résolution en faveur de la dictature du prolétariat !

Ils ne méritent pas une once de confiance !

Ce n’est pas une reconnaissance verbale qu’il faut, niais une rupture complète, dans les faits, avec la politique réformiste, avec les préjugés de la liberté bourgeoise et de la démocratie bourgeoise, l’application dans les faits d’une politique de lutte de classe révolutionnaire.

On voudrait admettre verbalement la dictature du prolétariat pour faire passer à la fois, en catimini, « la volonté de la majorité », « le suffrage universel » (comme le fait justement Kautsky), le parlementarisme bourgeois, le refus de détruire, de faire sauter, de briser complètement et jusqu’au bout l’appareil d’Etat bourgeois. Ces nouveaux subterfuges, ces nouveaux faux‑fuyants du réformisme sont à craindre par‑dessus tout.

La dictature du prolétariat serait impossible si la majorité de la population n’était pas composée de prolétaires et de semi‑prolétaires. Cette vérité, Kautsky et Cie s’emploient à la falsifier, sous prétexte qu’il faudrait un « vote de la majorité » pour reconnaître comme « juste » la dictature du prolétariat.

Quels comiques pédants ! Ils n’ont pas compris que le vote dans le cadre du parlementarisme bourgeois, avec ses institutions et ses coutumes, fait partie de l’appareil de l’Etat bourgeois, qui doit être vaincu et brisé de haut en bas pour réaliser la dictature du prolétariat, pour passer de la démocratie bourgeoise à la démocratie prolétarienne.

Ils n’ont pas compris que, d’une façon générale, ce n’est pas par des votes mais par la guerre civile que se tranchent toutes les questions politiques sérieuses à l’heure où l’histoire a mis à l’ordre du jour la dictature du prolétariat.

Ils n’ont pas compris que la dictature du prolétariat est le pouvoir d’une classe, qui prend entre ses mains tout l’appareil de l’Etat nouveau, qui vainc la bourgeoisie et neutralise toute la petite bourgeoisie, la paysannerie, les philistins, les intellectuels.

Les Kautsky et les Macdonald reconnaissent en paroles la lutte des classes, pour l’oublier en fait au moment le plus décisif de l’histoire de la lutte pour la libération du prolétariat : au moment où, après avoir pris le pouvoir d’Etat et bénéficiant de l’appui du semi‑prolétariat, le prolétariat continue la lutte des classes avec l’aide de ce pouvoir et la conduit jusqu’à la suppression des classes.

Comme de véritables philistins, les chefs de l’Internationale de Berne répètent les phrases démocratiques bourgeoises sur la liberté, l’égalité et la démocratie, sans voir qu’ils ressassent les débris des idées sur le propriétaire des marchandises libre et égal, sans comprendre que le prolétariat a besoin de l’Etat non pour la « liberté », mais pour écraser son ennemi, l’exploiteur, le capitaliste.

La liberté et l’égalité du propriétaire de marchandises sont mortes, comme est mort le capitalisme. Ce ne sont pas les Kautsky et les Macdonald qui le ressusciteront.

Le prolétariat a besoin de l’abolition des classes : voilà le contenu réel de la démocratie prolétarienne, de la liberté prolétarienne (liberté par rapport au capitaliste, à l’échange des marchandises), de l’égalité prolétarienne (non pas égalité des classes, cette platitude où s’embourbent les Kautsky, les Vandervelde et les Macdonald, mais égalité des travailleurs, qui renversent le capital et le capitalisme).

Tant qu’il y a des classes, liberté et égalité des classes sont une duperie bourgeoise. Le prolétariat prend le pouvoir, devient la classe dominante, brise le parlementarisme bourgeois et la démocratie bourgeoise, écrase la bourgeoisie, écrase toutes les tentatives de toutes les autres classes pour revenir au capitalisme, donne la liberté et l’égalité véritables aux travailleurs (ce qui n’est réalisable qu’avec l’abolition de la propriété privée des moyens de production), leur donne non seulement des « droits », mais la jouissance reélle de ce qui a été ôté à la bourgeoisie.

Qui n’a pas compris ce contenu‑là de la dictature du prolétariat (ou, ce qui revient au même, du pouvoir des Soviets ou de la démocratie prolétarienne), emploie ces mots vainement.

Je ne puis développer ici plus en détail ces réflexions, que j’ai exposées dans l’Etat et la Révolution et dans la brochure La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky. Je peux terminer en dédiant ces notes aux délégués qui assisteront le 10 août 1919 au Congrès de Lucerne7, de l’Internationale de Berne.

14 juillet 1919

NOTES

1 Désignées ainsi par les soldats qui avaient reçu l’ordre de voter pour les candidats du gouvernement. (N.R.)

2 Il est question des décisions de la VII° Conférence (conférence d’Avril) du P.O.S.D.R.(b), qui se tint à Pétrograd du 24 au 29 avril (7 au 12 mai) 1917.

3 Voir lettres : F. Engels à K. Marx du 7 octobre 1858 ; F. Engels à K. Kautsky du 12 septembre 1882 ; F. Engels à F. A. Sorge du 7 décembre 1889, du 21 septembre 1872 et du 4 août 1874, F. Engels à K. Marx du 11 août 1881.

4 Voir lettre F. Engels à F. A. Sorge du 18 janvier 1893.

5 Voir lettre F. Engels à F. A. Sorge du 7 décembre 1889.

6 Il s’agit du discours d’un des leaders des social‑démocrates anglais, Harry Quelch, au Congrès de Stuttgart de la II° Internationale, en 1907. Dans son discours, il qualifia d’« assemblée de voleurs » (« a thief’s supper ») la conférence internationale de La Haye qui se tenait à cette époque, et fut pour cette raison expulsé de Stuttgart par le gouvernement allemand (voir Lénine, « Harry Quelch »).

7 Lénine veut parler de la Conférence de la lie Internationale, qui se tint à Lucerne, en Suisse, du 2 au 9 août 1919. Lénine a caractérisé les interventions de certains délégués dans son article « Comment la bourgeoisie utilise les renégats », écrit en septembre 1919.

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Lénine : Conquis et consacré

[publié le 6 mars 1919 dans la Pravda, à l’occasion de la rendue publique de la tenue du premier congrès de l’Internationale Communiste.]

Dans la révolution, seules les conquêtes des masses prolétariennes sont inébranlables. Seules les conquêtes véritablement inébranlables méritent d’être enregistrées.

La fondation de la III° Internationale, l’Internationale communiste, à Moscou, le 2 mars 1919, a été la consécration des conquêtes des masses prolétariennes, non seulement russes, non seulement de Russie, mais aussi allemandes, autrichiennes, hongroises, finlandaises, suisses, en un mot, des masses prolétariennes internationales.

Et c’est justement pour cette raison que la fondation de la IIIe Internationale, l’Internationale communiste, est une œuvre inébranlable.

Il y a à peine quatre mois, on ne pouvait encore dire que le pouvoir des Soviets, que la forme soviétique d’Etat soit une conquête internationale. Il impliquait un élément, du reste essentiel, propre non seulement à la Russie mais à tous les pays capitalistes. Cependant, on ne pouvait encore dire, avant l’épreuve des faits, quelles modifications – de quelle profondeur et de quelle importance – apporterait le développement de la révolution mondiale.

La révolution allemande a donné cette vérification. Un pays capitaliste évolué, après un des pays les plus arriérés, a montré au monde entier, en peu de temps, en une centaine de jours, non seulement les mêmes forces fondamentales de la révolution, non seulement la même orientation fondamentale, mais aussi la même forme fondamentale de la démocratie nouvelle, de la démocratie prolétarienne : les Soviets.

Parallèlement, en Angleterre, pays vainqueur, le plus riche en colonies, le pays qui était et passait depuis fort longtemps pour un modèle de la «paix sociale», le pays du plus vieux capitalisme, nous constatons la croissance puissante, impétueuse, irrésistible, sur un large front, des Soviets et des nouvelles formes soviétiques de la lutte des masses prolétariennes, les « Shop Stewards Committees ».

En Amérique, le pays capitaliste le plus puissant et le plus jeune, l’immense sympathie des masses ouvrières va aux Soviets.

La glace est brisée.

Les Soviets ont vaincu le monde entier.

Ils ont vaincu tout d’abord et par-dessus tout dans ce sens qu’ils ont gagné la sympathie des masses prolétariennes. C’est là l’essentiel.

Il n’est pas de férocité de la bourgeoisie impérialiste, il n’est pas de persécution et d’assassinat de bolchéviks, capables de ravir cette conquête aux masses. Plus la bourgeoisie «démocratique» sévira, et plus inébranlables seront ces conquêtes dans le cœur des masses prolétariennes, dans leur état d’esprit, dans leur conscience, dans leur volonté de lutte héroïque.

La glace est brisée.

Et c’est pourquoi les travaux de la Conférence internationale des communistes, tenue à Moscou, et qui a fondé la IIIe Internationale, se sont déroulés si aisément sans encombre, avec tant de calme et de fermeté.

Nous avons enregistré ce qui est déjà conquis. Nous avons consigné sur le papier ce qui était déjà inébranlable dans la conscience des masses.

Tous savaient, bien plus, tous voyaient, sentaient, percevaient, chacun à la lumière de l’expérience de son pays, qu’un mouvement nouveau, un mouvement prolétarien, sans précédent dans le monde par sa puissance et sa profondeur, a déferlé, qu’il ne se confine pas dans les anciennes limites, quelles qu’elles soient, qu’il ne saurait être enrayé par les grands maîtres de la petite politicaillerie, ni par les Lloyd George et les Wilson du capitalisme démocratique anglo-américain, dont l’expérience et l’habileté sont fameuses, ni par les Henderson, les Renaudel, les Branting et autres héros du social-chauvinisme qui en ont vu de toutes les couleurs.

Le nouveau mouvement va vers la dictature du prolétariat ; il y va en dépit de toutes les hésitations, en dépit des défaites atroces, en dépit du chaos «russe» jamais vu et incroyable (si l’on s’en tient à l’aspect extérieur), il va vers le pouvoir des Soviets avec la puissance d’un torrent, un torrent formé des millions et des dizaines de millions de prolétaires, un torrent qui balaie tout sur son chemin.

Nous l’avons consigné. Nos résolutions, nos thèses, nos rapports et nos discours enregistrent ce qui est déjà conquis.

A la lumière éclatante de la nouvelle expérience des ouvriers révolutionnaires, de cette riche expérience d’une portée universelle, la théorie marxiste nous a aidé à comprendre les lois qui président à la marche des événements.

Elle aidera les prolétaires du monde entier qui luttent pour jeter bas l’esclavage du salariat capitaliste, à prendre conscience plus nettement des objectifs de leur lutte, à avancer d’un pas plus ferme sur le chemin déjà tracé, à vaincre d’une manière plus sûre et plus inébranlable et à consolider la victoire.

La fondation de la IIIe Internationale, l’Internationale communiste, est le prélude de la République internationale des Soviets, de la victoire mondiale du communisme.

Le 5 mars 1919

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: Manifeste

Manifeste de l’Internationale Communiste aux prolétaires du monde entier !

Il y a soixante-douze ans, le parti communiste présenta au monde son programme sous forme d’un manifeste écrit par les plus grands prophètes de la Révolution prolétarienne, Karl Marx et Friedrich Engels.

A cette époque déjà, le communisme, à peine entré dans sa lutte, était accablé sous les poursuites, les mensonges, la haine et les persécutions des classes possédantes qui devinaient justement en lui leur ennemi mortel.

Pendant ces trois quarts de siècle, le développement du communisme a suivi des voies complexes, connaissant tour à tour les tempêtes de l’enthousiasme et les périodes de découragement, les succès et les durs échecs.

Mais au fond le mouvement suivit la route tracée par le Manifeste du Parti communiste. L’heure de la lutte finale et décisive est arrivée plus tard que ne l’escomptaient et ne l’espéraient les apôtres de la Révolution sociale. Mais elle est arrivée.

Nous, communistes, représentants du prolétariat révolutionnaire des différents pays d’Europe, d’Amérique et d’Asie, rassemblés à Moscou, capitale de la Russie soviétique, nous nous sentons les héritiers et les continuateurs de l’œuvre dont le programme a été annoncé il y a soixante-douze ans.

Notre tâche est de généraliser l’expérience révolutionnaire de la classe ouvrière, de débarrasser le mouvement des mélanges impurs de l’opportunisme et du social-patriotisme, d’unir les forces de tous les partis vraiment révolutionnaires du prolétariat mondial et par là même de faciliter et de hâter la victoire de la Révolution communiste dans le monde entier.

Aujourd’hui que l’Europe est couverte de débris et de ruines fumantes, les plus coupables des incendiaires s’occupent à rechercher les responsables de la guerre. Ils sont suivis de leurs laquais, professeurs, parlementaires, journalistes, social-patriotes et autres soutiens politiques de la bourgeoisie.

Au cours d’une longue série d’années, le socialisme a prédit l’inéluctabilité de la guerre impérialiste ; il en a vu les causes dans le désir insatiable du lucre et de la propriété des classes possédantes des deux concurrents principaux et en général de tous les pays capitalistes.

Deux ans avant l’explosion, au congrès de Bâle, les chefs socialistes responsables de tous les pays dénonçaient l’impérialisme comme le fauteur de la guerre future. Ils menaçaient la bourgeoisie de déchaîner sur sa tête la Révolution sociale, vengeance du prolétariat contre les crimes du capitalisme.

Maintenant, après une expérience de cinq ans, alors que l’histoire, ayant mis au jour les appétits rapaces de l’Allemagne, dévoile les agissements non moins criminels des Alliés, les socialistes officiels des pays de l’Entente, à la suite de leurs gouvernements, ne cessent de dénoncer dans le kaiser allemand déchu le grand coupable de la guerre.

Bien plus, dans leur abjecte servilité, les social-patriotes allemands, qui, en août 1914, faisaient du livre blanc diplomatique du Hohenzollern l’évangile sacré des nations, accusent maintenant à leur tour cette monarchie allemande abattue, dont ils furent les fidèles serviteurs, d’être la cause principale de la guerre.

Ils espèrent ainsi à la fois oublier le rôle qu’ils ont joué et gagner l’indulgence des vainqueurs.

Mais à côté du rôle joué par les dynasties déchues des Romanov, des Hohenzollern, des Habsbourg et des cliques capitalistes de leurs pays, le rôle des classes dirigeantes de France, d’Angleterre, d’Italie et des Etats-Unis apparaît dans toute son ampleur criminelle à la lumière des événements accomplis et des révélations diplomatiques.

Jusqu’à l’explosion même de la guerre, la diplomatie anglaise ne leva point son masque mystérieux. Le gouvernement de la City craignait que s’il déclarait catégoriquement son dessein de participer à la guerre aux côtés de l’Entente, le gouvernement de Berlin ne reculât et qu’il n’y eût pas de guerre.

C’est pourquoi l’on se conduisit de façon à faire espérer d’une part, à Berlin et à Vienne, la neutralité de l’Angleterre et à permettre, d’autre part, à Paris et à Pétrograd de compter fermement sur l’intervention.

Préparée par la marche de l’histoire pendant plusieurs dizaines d’années, la guerre fut déchaînée par une provocation directe et consciente de la Grande-Bretagne.

Le gouvernement de ce pays avait fait le calcul de soutenir la Russie et la France exclusivement dans la mesure nécessaire pour les épuiser en épuisant l’Allemagne, son ennemie mortelle. Mais la puissance du système militaire allemand apparut trop dangereuse et imposa une intervention non plus apparente mais réelle de l’Angleterre.

Le rôle de spectateur souriant, auquel la Grande-Bretagne prétendait par tradition, revint aux Etats-Unis.

Le gouvernement de Wilson accepta d’autant plus facilement le blocus anglais, qui diminuait les possibilités de spéculation de la Bourse américaine sur le sang européen, que les puissances de l’Entente dédommagèrent, par de gros bénéfices, la bourgeoisie américaine de cette violation du « droit international ». Cependant l’énorme supériorité militaire de l’Allemagne obligea à son tour le gouvernement de Washington à sortir de l’état de neutralité fictive à l’égard de l’Europe.

Les Etats-Unis se chargèrent de la mission que l’Angleterre avait remplie dans les guerres passées et qu’elle avait essayé de remplir dans la dernière guerre, par rapport au continent : affaiblir un des camps en se servant de l’autre, et ne se mêler des opérations militaires que dans la mesure indispensable pour s’assurer tous les avantages de la situation. L’enjeu exposé de la loterie américaine n’était pas grand, mais il fut le dernier et par là lui assurait le gain.

Les contradictions du régime capitaliste se révélèrent à l’humanité à la suite de la guerre, sous forme de souffrances physiques : la faim, le froid, les maladies épidémiques et une recrudescence de barbarie.

Ainsi est jugée sans appel la vieille querelle académique des socialistes sur la théorie de la paupérisation et du passage progressif du capitalisme au socialisme.

Les statisticiens et les pontifes de la théorie de l’arrondissement des angles avaient, pendant des dizaines d’années, recherché dans tous les coins du monde des faits réels ou imaginaires capables de démontrer le progrès du bien-être de certains groupes ou catégories de la classe ouvrière.

La théorie de la paupérisation des masses était regardée comme enterrée sous les coups de sifflets méprisants des eunuques occupant les tribunes universitaires de la bourgeoisie et des mandarins de l’opportunisme socialiste. Maintenant ce n’est pas seulement la paupérisation sociale, mais un appauvrissement physiologique, biologique, qui se présente à nous dans toute sa réalité hideuse.

La catastrophe de la guerre impérialiste a balayé de fond en comble toutes les conquêtes des batailles syndicalistes et parlementaires. Et pourtant cette guerre est née des tendances internes du capitalisme dans la même mesure que les marchandages économiques ou les compromis parlementaires qu’elle a enterrés dans le sang et dans la boue.

Le capital financier, après avoir précipité l’humanité dans l’abîme de la guerre, a subi lui-même durant cette guerre une modification catastrophique.

L’état de dépendance dans lequel était placé le papier-monnaie vis-à-vis du fondement matériel de la production, a été définitivement rompu. Perdant de plus en plus sa valeur de moyen et de régulateur de l’échange des produits dans le régime capitaliste. Le papier-monnaie s’est transformé en instrument de réquisition, de conquête et en général d’oppression militaire et économique.

La dépréciation totale des billets de banque marque la crise mortelle générale qui affecte la circulation des produits dans le régime capitaliste.

Si la libre concurrence, comme régulateur de la production et de la répartition, fut remplacée dans les champs principaux de l’économie par le système des trusts et des monopoles, plusieurs dizaines d’années avant la guerre, le cours même de la guerre a arraché le rôle régulateur et directeur aux groupements économiques pour le transmettre directement au pouvoir militaire et gouvernemental.

La répartition des matières premières, l’exploitation du naphte de Bakou ou de Roumanie, de la houille du Donetz, du froment d’Ukraine, l’utilisation des locomotives, des wagons et des automobiles d’Allemagne, l’approvisionnement en pain et en viande de l’Europe affamée, toutes ces questions fondamentales de la vie économique du monde ne sont plus réglées par la libre concurrence, ni même par des combinaisons de trusts ou de consortiums nationaux et internationaux.

Elles sont tombées sous le joug de la tyrannie militaire pour lui servir de sauvegarde désormais. Si l’absolue sujétion du pouvoir politique au capital financier a conduit l’humanité à la boucherie impérialiste, cette boucherie a permis au capital financier non seulement de militariser jusqu’au bout l’Etat, mais de se militariser lui-même, de sorte qu’il ne peut plus remplir ses fonctions économiques essentielles que par le fer et par le sang.

Les opportunistes qui, avant la guerre, invitaient les ouvriers à modérer leurs revendications sous prétexte de passer lentement au socialisme, qui, pendant la guerre, l’ont obligé à renoncer à la lutte de classes au nom de l’union sacrée et de la défense nationale, exigent du prolétariat un nouveau sacrifice, cette fois afin de triompher des conséquences effroyables de la guerre.

Si de tels prêches pouvaient influencer les masses ouvrières, le développement du capital se poursuivrait en sacrifiant de nombreuses générations, avec des formes nouvelles, encore plus concentrées et plus monstrueuses, avec la perspective fatale d’une nouvelle guerre mondiale. Par bonheur pour l’humanité, cela n’est plus possible.

L’étatisation de la vie économique, contre laquelle protestait tant le libéralisme capitaliste, est un fait accompli. Revenir, non point à la libre concurrence, mais seulement à la domination des trusts, syndicats et autres pieuvres capitalistes, est désormais impossible. La question est uniquement de savoir quel sera désormais celui qui prendra la production étatisée : l’Etat impérialiste ou l’Etat du prolétariat victorieux.

En d’autres termes, l’humanité travailleuse tout entière deviendra-t-elle l’esclave tributaire d’une clique mondiale triomphante qui, sous l’enseigne de la Ligue des Nations, au moyen d’une armée « internationale » et d’une flotte « internationale » pillera et étranglera les uns, entretiendra les autres, mais, toujours et partout, enchaînera le prolétariat, dans le but unique de maintenir sa propre domination ?

Ou bien la classe ouvrière d’Europe et des pays les plus avancés des autres parties du monde s’emparera-t-elle de la vie économique, même désorganisée et détruite, afin d’assurer sa reconstruction sur des bases socialistes ?

Abréger l’époque de crise que nous traversons ne se peut que par les méthodes de la dictature du prolétariat, qui ne regarde pas le passé, qui ne compte ni avec les privilèges héréditaires, ni avec le droit de propriété, qui, ne considérant que la nécessité de sauver les masses affamées, mobilise pour cela tous les moyens et toutes les forces, décrète pour tout le monde l’obligation du travail, institue le régime de la discipline ouvrière, afin de ne pas seulement guérir, en quelques années, les plaies béantes faîtes par la guerre, mais encore d’élever l’humanité à une hauteur nouvelle et insoupçonnable.

L’Etat national, après avoir donné une impulsion vigoureuse au développement capitaliste, est devenu trop étroit pour l’expansion des forces productives.

Ce phénomène a rendu plus difficile la situation des petits Etats encastré au milieu des grandes puissances de l’Europe et du Monde.

Ces petits Etats, nés à différentes époques comme des fragments des grands, comme la menue monnaie destinée à payer divers tributs, comme des tampons stratégiques, possèdent leurs dynasties, leurs castes dirigeantes, leurs prétentions impérialistes, leurs filouteries diplomatiques. Leur indépendance illusoire a été basée, jusqu’à la guerre, exactement comme était basé l’équilibre européen sur l’antagonisme des deux camps impérialistes. La guerre a détruit cet équilibre.

En donnant d’abord un immense avantage à l’Allemagne, la guerre a obligé les petits Etats à chercher leur salut dans la magnanimité du militarisme allemand.

L’Allemagne ayant été vaincue, la bourgeoisie des petits Etats, de concert avec leurs « socialistes » patriotes, s’est retournée pour saluer l’impérialisme triomphant des Alliés, et dans les articles hypocrites du programme de Wilson elle s’est employée à rechercher les garanties du maintien de son existence indépendante.

En même temps, le nombre des petits Etats s’est accru : de la monarchie austro-hongroise, de l’empire des tsars se sont détachés de nouveaux Etats qui, aussitôt nés, se saisissent déjà les uns les autres à la gorge pour des question de frontière. Les impérialistes Alliés, pendant ce temps, préparent des combinaisons de petites puissances, anciennes et nouvelles, afin de les enchaîner les unes les autres par une haine mutuelle et une faiblesse générale.

Ecrasant et violentant les peuples petits et faibles, les condamnant à la famine et à l’abaissement, de même que, peu de temps auparavant, les impérialistes des empires centraux, les impérialistes alliés ne cessent de parler du droit des nationalités, droits qu’ils foulent aux pieds en Europe et dans le monde entier.

Seule, la Révolution prolétarienne peut garantir aux petits peuples une existence libre, car elle libérera les forces productives de tous les pays des tenailles serrées par les Etats nationaux, en unissant les peuples dans une étroite collaboration économique, conformément à un plan économique commun.

Seule, elle donnera aux peuples les plus faibles et les moins nombreux la possibilité d’administrer, avec une liberté et une indépendance absolues, leur culture nationale sans porter le moindre dommage à la vie économique unifiée et centralisée de l’Europe et du monde.

La dernière guerre, qui a été dans une large mesure une guerre pour la conquête des colonies, fut en même temps une guerre faite avec l’aide des colonies. Dans des proportions jusqu’alors inconnues les peuples coloniaux ont été entraînés dans la guerre européenne.

Les Hindous, les Nègres, les Arabes, les Malgaches se sont battus sur la terre d’Europe, au nom de quoi ? Au nom de leurs droits à demeurer plus longtemps esclaves de l’Angleterre et de la France. Jamais encore le spectacle de la malhonnêteté de l’Etat capitaliste dans les colonies n’avait été aussi édifiant ; jamais le problème de l’esclavage colonial n’avait été posé avec une pareille acuité.

De là une série de révoltes ou de mouvements révolutionnaires dans toutes les colonies. En Europe même, l’Irlande a rappelé par de sanglants combats de rues qu’elle était encore et qu’elle avait conscience d’être un pays asservi.

A Madagascar, en Annam, en d’autres lieux, les troupes de la république bourgeoise ont eu plus d’une fois, au cours de la guerre. à mater des insurrections d’esclaves coloniaux.

Dans l’Inde, le mouvement révolutionnaire n’a pas cessé un seul jour. Il a abouti en ces derniers temps à des grèves ouvrières grandioses, auxquelles le gouvernement britannique a répondu en faisant intervenir à Bombay les automobiles blindées.

Ainsi la question coloniale est posée dans toute son ampleur non seulement sur le tapis vert du congrès des diplomates à Paris, mais dans les colonies mêmes.

Le programme de Wilson a pour but, dans l’interprétation la plus favorable, de changer l’étiquette de l’esclavage colonial. L’affranchissement des colonies n’est concevable que s’il s’accomplit en même temps que celui de la classe ouvrière des métropoles.

Les ouvriers et les paysans non seulement de l’Annam, d’Algérie ou du Bengale, mais encore de Perse et d’Arménie, ne pourront jouir d’une existence indépendante que le jour où les ouvriers d’Angleterre et de France, après avoir renversé Lloyd George et Clemenceau, prendront entre leurs mains le pouvoir gouvernemental.

Dès à présent, dans les colonies les plus développées, la lutte n’est plus engagée seulement sous le seul étendard de l’affranchissement national, elle prend de suite un caractère social plus ou moins nettement accusé.

Si l’Europe capitaliste a entraîné malgré elles les parties les plus arriérées du monde dans le tourbillon des relations capitalistes, l’Europe socialiste à son tour viendra secourir les colonies libérées avec sa technique, son organisation, son influence morale, afin de hâter leur passage à la vie économique régulièrement organisée par le socialisme.

Esclaves coloniaux d’Afrique et d’Asie : l’heure de la dictature prolétarienne en Europe sonnera pour vous comme l’heure de votre délivrance.

Le monde bourgeois tout entier accuse les communistes d’anéantir la liberté et la démocratie politique. Cela est faux.

En prenant le pouvoir, le prolétariat ne fait que manifester la complète impossibilité d’appliquer les méthodes de la démocratie bourgeoise et créer les conditions et les formes d’une démocratie ouvrière nouvelle, et plus élevée.

Tout le cours du développement capitaliste, en particulier dans la dernière époque impérialiste, a sapé les bases de la démocratie politique, non seulement en divisant les nations en deux classes ennemies irréconciliables, mais encore en condamnant au dépérissement économique et à l’impuissance politique de multiples couches de la petite bourgeoisie et du prolétariat au même titre que les éléments les plus déshérités de ce même prolétariat.

La classe ouvrière des pays où le développement historique l’a permis a utilisé le régime de la démocratie politique pour son organisation contre le capital. Il en sera de même à l’avenir dans les pays où ne sont pas encore réalisées les conditions préliminaires d’une révolution ouvrière.

Mais les masses de la population intermédiaire, non seulement dans les villages, mais encore dans les villes, sont maintenues par le capitalisme loin en arrière, en retard de plusieurs époques sur le développement historique.

Le paysan de Bavière ou de Bade, encore étroitement attaché au clocher de son village, le petit vigneron français ruiné par la falsification des vins des gros capitalistes, le petit fermier américain obéré et trompé par les banquiers et les députés, toutes ces couches sociales, rejetées par le capitalisme loin de la grande route du développement historique, sont conviées sur le papier par le régime de la démocratie politique à participer au gouvernement de l’Etat.

En réalité, dans les questions fondamentales dont dépend la destinée des nations, c’est une oligarchie financière qui gouverne dans les coulisses de la démocratie parlementaire. Il en fut ainsi naguère dans la question de la guerre. Il en est ainsi maintenant dans la question de la paix.

Dans la mesure où l’oligarchie financière se donne encore la peine de faire sanctionner ses actes de tyrannie par des votes parlementaires, l’Etat bourgeois se sert, pour atteindre les résultats désirés, de toutes les armes du mensonge, de la démagogie, de la persécution, de la calomnie, de la corruption, de la terreur, que les siècles passés d’esclavage ont mises à sa disposition et qu’ont multipliées les prodiges de la technique capitaliste.

Exiger du prolétariat que dans sa dernière lutte à mort contre le capital il observe pieusement les principes de la démocratie politique, cela équivaudrait à exiger d’un homme qui défend son existence et sa vie contre des brigands qu’il observe les règles artificielles et conventionnelles de la boxe française, instituées par son ennemi et que son ennemi ne s’en serve pas.

Dans le domaine de la dévastation, où non seulement les moyens de production et de transport, mais encore les institutions de la démocratie politique ne sont plus qu’un amas de débris ensanglantés, le prolétariat est obligé de créer un appareil à lui, qui serve avant tout à conserver la cohésion interne de la classe ouvrière elle-même et qui lui donne la faculté d’intervenir révolutionnairement dans le développement ultérieur de l’humanité. Cet appareil, ce sont les Soviets.

Les anciens partis, les anciennes organisations syndicales se sont manifestés en la personne de leurs chefs, incapables non seulement de décider, mais même de comprendre les problèmes posés par l’époque nouvelle.

Le prolétariat a créé un nouveau type d’organisation large, englobant les masses ouvrières indépendamment de la profession et du degré de développement politique, un appareil souple, capable d’un perpétuel renouvellement, d’un perpétuel élargissement, pouvant toujours entraîner dans son orbe des catégories nouvelles et embrasser les couches des travailleurs voisines du prolétariat de la ville et de la campagne.

Cette organisation irremplaçable de la classe ouvrière se gouvernant elle-même, luttant et conquérant finalement le pouvoir politique, a été mise dans différents pays à l’épreuve de l’expérience ; elle constitue la conquête et l’arme la plus puissante du prolétariat de notre époque.

Dans tous les pays où les masses travailleuses vivent d’une vie consciente se forment aujourd’hui et se formeront des Soviets de députés ouvriers, soldats et paysans. Fortifier les Soviets, élever leur autorité, les opposer à l’appareil gouvernemental de la bourgeoisie, voilà quel est maintenant le but essentiel des ouvriers conscients et loyaux de tous les pays.

Par le moyen des Soviets, la classe ouvrière peut échapper aux éléments de dissolution qui portent dans son sein les souffrances infernales de la guerre, de la famine, de la tyrannie des riches avec la trahison de ses anciens chefs.

Par le moyen des Soviets, la classe ouvrière, de la manière la plus sûre et la plus facile, peut parvenir au pouvoir dans tous les pays où les Soviets réuniront autour d’eux la majorité des travailleurs. Par le moyen des Soviets, la classe ouvrière, maîtresse du pouvoir, gouvernera tous les domaines de la vie économique et morale du pays, comme cela se passe déjà en Russie.

La débâcle de l’Etat impérialiste, depuis ses formes tsaristes jusqu’aux plus démocratiques, va de pair avec la débâcle du système militaire impérialiste.

Les armées de plusieurs millions d’hommes mobilisés par l’impérialisme n’ont pu tenir qu’aussi longtemps que le prolétariat acceptait le joug de la bourgeoisie.

La destruction de l’unité nationale signifie la destruction inévitable des armées.

C’est ce qui arriva d’abord en Russie, puis en Allemagne et en Autriche. C’est encore ce qu’il faut attendre dans les autres pays impérialistes.

La révolte du paysan contre le propriétaire, de l’ouvrier contre le capitaliste, de tous les deux contre la bureaucratie monarchiste ou « démocratique » entraîne inévitablement la révolte des soldats contre les. officiers, et ensuite une scission caractérisée entre les éléments prolétaires et bourgeois de l’armée elle-même, la guerre impérialiste opposant les nations aux nations s’est changée et se change de plus en plus en guerre civile opposant les classes aux classes.

Les lamentations du monde bourgeois sur la guerre civile et la terreur rouge constituent la plus monstrueuse hypocrisie qu’ai jamais enregistrée l’histoire des luttes politiques.

Il n’y aurait pas de guerre civile si les coteries d’exploiteurs qui ont conduit l’humanité au bord de l’abîme ne s’opposaient pas à toute progression des travailleurs, n’organisaient pas des complots et des meurtres et ne sollicitaient pas le secours armé de l’étranger pour conserver ou restaurer leurs privilèges usurpés.

La guerre civile est imposée à la classe ouvrière par ses ennemis mortels. Si elle ne veut pas se suicider et renoncer à son avenir qui est l’avenir de toute l’humanité, la classe ouvrière ne peut pas éviter de répondre par des coups aux coups de ses agresseurs.

Les partis communistes ne suscitent jamais artificiellement la guerre civile, s’efforcent d’en diminuer autant que possible la durée toutes les fois qu’elle surgit comme une nécessité inéluctable, de réduire au minimum le nombre des victimes, mais par-dessus tout d’assurer le triomphe du prolétariat.

De là découle la nécessité de désarmer à temps la bourgeoisie, d’armer les ouvriers, de créer une armée communiste pour défendre le pouvoir du prolétariat et l’inviolabilité de sa construction socialiste. Telle est l’armée rouge de la Russie soviétique qui a surgi et qui s’élève comme le rempart des conquêtes de la classe ouvrière contre toutes les attaques du dedans et du dehors, Une armée soviétique est inséparable d’un Etat soviétique.

Conscients du caractère universel de leur cause, les ouvriers les plus avancés ont tendu, dès les premiers pas du mouvement socialiste organisé, vers une union internationale de ce mouvement.

Les bases en furent posées en 1864 à Londres, par la première Internationale.

La guerre franco-allemande, dont est née l’Allemagne des Hohenzollern, faucha la première Internationale et en même temps donna des partis ouvriers nationaux. Dès 1889, ces partis se réunissaient en Congrès à Paris et créaient l’organisation de la II° Internationale.

Mais le centre de gravité du mouvement ouvrier était placé entièrement à cette époque sur le terrain national dans le cadre des Etats nationaux, sur la base de l’industrie nationale, dans le domaine du parlementarisme national.

Plusieurs dizaines d’années de travail, d’organisation et de réformes ont créé une génération de chefs dont la majorité acceptaient en paroles le programme de la révolution sociale, mais y ont renoncé en fait, se sont enfoncés dans le réformisme, dans une adaptation servile à la domination bourgeoise.

Le caractère opportuniste des partis dirigeants de la II° Internationale s’est clairement révélé et a conduit au plus immense krach de l’histoire mondiale au moment précis où le cours des événements historiques réclamait des partis de la classe ouvrière des méthodes révolutionnaires de lutte.

Si la guerre de 1870 porta un coup à la Première Internationale en découvrant que derrière son programme social et révolutionnaire il n’y avait encore aucune force organisée des masses, la guerre de 1914 a tué la Deuxième Internationale en montrant qu’au-dessus des organisations puissantes des masses ouvrières se tiennent des partis devenus les instruments dociles de la domination bourgeoise.

Ces remarques ne s’appliquent pas seulement aux social-patriotes qui sont passés nettement et ouvertement dans le camp de la bourgeoisie, qui sont devenus ses délégués préférés et ses agents de confiance, les bourreaux les plu sûrs de la classe ouvrière ; elles s’appliquent encore à la tendance centriste, indéterminée et inconsciente, qui tente de restaurer la II° Internationale, c’est-à-dire de perpétuer l’étroitesse de vues, l’opportunisme, l’impuissance révolutionnaire de ses cercles dirigeants.

Le parti indépendant en Allemagne, la majorité actuelle du parti socialiste en France, le parti ouvrier indépendant d’Angleterre et tous les autres groupes semblables essayent en fait de prendre la place qu’occupaient avant la guerre les anciens partis officiels de la II° Internationale.

Ils se présentent comme autrefois avec des idées de compromis et d’unité, paralysant par tous les moyens l’énergie du prolétariat, prolongeant la crise et multipliant par là les malheurs de l’Europe. La lutte contre le centre socialiste est la conclusion indispensable du succès de la lutte contre l’impérialisme.

Rejetant loin de nous toutes les demi-mesures, les mensonges et la paresse des partis socialistes officiels caducs, nous, communistes, unis dans la III° Internationale, nous nous reconnaissons les continuateurs directs des efforts et du martyre héroïque acceptés par une longue série de générations révolutionnaires, depuisBabeuf jusqu’à Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg.

Si la première Internationale a prévu le développement à venir et a préparé les voies, si la deuxième Internationale a rassemblé et organisé des millions de prolétaires, la troisième Internationale est l’Internationale de l’action des masses, l’internationale de la réalisation révolutionnaire.

La critique socialiste a suffisamment flagellé l’ordre bourgeois. La tâche du parti communiste international est de renverser cet ordre de choses et d’édifier à sa place le régime socialiste.

Nous demandons aux ouvriers et ouvrières de tous les pays de s’unir sous l’étendard du communisme qui est déjà le drapeau des premières grandes victoires prolétariennes de tous les pays.

Dans la lutte contre la barbarie impérialiste, contre la monarchie et les classes privilégiées, contre l’Etat bourgeois et la propriété bourgeoise, contre tous les aspects et toutes les formes de l’oppression des classes ou des nations, unissez-vous !

Sous le drapeau des Soviets ouvriers, de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir et la dictature du prolétariat, sous le drapeau de la III° Internationale, prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: discours de clôture par Lénine

Ainsi, nous avons terminé notre travail.

Si nous avons pu nous réunir malgré toutes les difficultés et les répressions policières, si nous avons réussi, sans divergences essentielles, à prendre, en un court espace de temps, des décisions importantes sur toutes les questions brûlantes de l’époque révolutionnaire actuelle, c’est parce que les masses prolétariennes du monde entier ont mis toutes ces questions pratiquement à l’ordre du jour par leurs actes et ont commencé à les résoudre en fait.

Nous n’avons eu à résumer ici que ce que les masses ont déjà réussi à conquérir dans leur lutte révolutionnaire.

Le mouvement en faveur des Soviets s’étend toujours plus loin, non seulement dans les pays de l’Europe Orientale mais aussi dans ceux de l’Europe Occidentale, non seulement dans les pays vaincus mais aussi dans les pays victorieux comme l’Angleterre par exemple ; et ce mouvement n’est rien moins qu’un mouvement ayant pour but la création d’une nouvelle démocratie prolétarienne ; il est le progrès le plus considérable vers la dictature du prolétariat, vers la victoire complète du communisme.

Que la bourgeoisie du monde entier continue à sévir, qu’elle pourchasse, emprisonne et même assassine spartakistes et bolcheviks, cela ne lui servira de rien.

Cela ne pourra qu’éclairer les masses et les déterminer à s’affranchir de leurs vieux préjugés bourgeois démocratiques et à se retremper dans la lutte.

La victoire de la révolution prolétarienne est assurée dans le monde entier : la constitution de la République Soviétique Internationale est en marche.

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: résolution sur le rôle des femmes travailleuses

Le congrès de l’Internationale Communiste déclare que le succès de toutes les tâches qu’il s’est fixé, comme la victoire finale du prolétariat mondial et l’abolition finale du système capitaliste, ne peut être assuré que par la lutte commune des ouvriers et des ouvrières.

L’énorme augmentation du travail des femmes dans toutes les branches de l’économie ; le fait qu’au moins la moitié de toute la richesse produite dans le monde l’est par le travail des femmes ; en outre, la part importante, reconnue de tous, jouée par les ouvrières dans la construction de la nouvelle société communiste, en particulier dans le passage aux conditions de vie communistes, la réforme de la vie familiale et la réalisation d’une communauté éducative socialiste pour les enfants, objectif duquel sortiront des citoyens travailleurs, imprégnés d’un esprit de solidarité, pour la République des Conseils — tout cela impose à tout parti adhérant à l’Internationale communiste le devoir d’agir de toute ses forces en vue de gagner les travailleuses au parti et utiliser tous moyens afin de les instruire dans la signification de la nouvelle société et comment appliquer l’éthique communiste à la vie sociale et familiale.

La dictature du prolétariat ne peut être réalisée et maintenue qu’avec la participation énergique et active des travailleuses.

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: résolution sur la terreur blanche

Le système capitaliste fut dès son début un système de rapine et d’assassinats massifs.

Les horreurs de l’accumulation primitive, la politique coloniale qui, au moyen de la Bible, de la syphilis et de l’alcool, amena l’extermination impitoyable de races et de peuplades entières ; la misère, la famine, l’épuisement et la mort prématurée d’innombrables millions de prolétaires exploités, la répression sanglante de la classe ouvrière lorsqu’elle s’insurgeait contre ses exploiteurs, et enfin la boucherie immense et inouïe qui a transformé la production mondiale en une production de cadavres humains – voilà l’image de l’ordre capitaliste.

Dès le début de la guerre les classes dominantes qui, sur les champs de batailles avaient tué plus de dix millions d’hommes et en avaient estropiés encore bien davantage, ont érigé à l’intérieur de leurs pays aussi le régime de la dictature sanglante.

Le gouvernement tsariste russe fusilla et pendit les ouvriers, organisa des pogromes contre les juifs, extermina tout ce qui vivait dans le pays.

La monarchie autrichienne étrangla dans le sang l’insurrection des paysans et des ouvriers ukrainiens et tchèques.

La bourgeoisie anglaise assassina les meilleurs représentants du peuple irlandais. L’impérialisme allemand fit rage à l’intérieur de son pays et les marins révolutionnaires furent les première victimes de cette brute. En France on abattit les soldats russes qui n’étaient pas prêts à défendre les profits des banquiers français.

En Amérique la bourgeoisie lyncha les internationalistes, condamna des centaines parmi les meilleurs prolétaires à vingt ans de travaux forcés, abattit les ouvriers pour faits de grèves.

Lorsque la guerre impérialiste commença à se transformer en guerre civile, et que les classes dominantes, ces malfaiteurs les plus grands que l’histoire du monde ait jamais connus, se trouvèrent menacés du danger immédiat de l’effondrement de leur régime sanglant, leur bestialité devint encore plus cruelle.

Dans sa lutte pour le maintien de l’ordre capitaliste, la bourgeoisie emploie les méthodes les plus inouïes, devant lesquelles palissent toutes les cruautés du moyen-âge, de l’Inquisition et de la colonisation.

La classe bourgeoise, se trouvant au bord de sa tombe, détruit maintenant physiquement la force productive la plus importante de la société humaine – le prolétariat, et s’est démasquée à présent par cette terreur blanche dans toute sa hideuse nudité.

Les généraux russes, cette personnification vivante du régime tsariste. ont tué et tuent encore en masse les ouvriers avec l’appui direct où indirect des social-traîtres.

Durant la domination des socialistes-révolutionnaires et des mencheviks en Russie, des milliers d’ouvriers et de paysans remplissaient les prisons et les généraux exterminaient des régiments entiers pour cause de désobéissance.

A présent, les Krasnov et les Dénikine, jouissant de la collaboration bienveillante de l’Entente, ont tué et pendu des dizaines de milliers d’ouvriers, décimé, pour terroriser ceux qui restaient encore, ils laissèrent même pendant trois jours les cadavres pendus à la potence.

Dans l’Oural et dans la Volga, les bandes de gardes-blancs tchécoslovaques coupèrent les mains et les jambes des prisonniers, les noyèrent dans la Volga, les firent enterrer vivant.

En Sibérie, les généraux abattirent des milliers de communistes, une quantité innombrable d’ouvriers et de paysans.

La bourgeoisie allemande et autrichienne ainsi que les social-traîtres ont bien montré leur nature de cannibales, lorsqu’en Ukraine ils pendirent à des potences transportables en fer, les ouvriers et les paysans qu’ils avaient pillés, ainsi que les communistes, leurs propres compatriotes, nos camarades allemands et autrichiens.

En Finlande, pays de la démocratie bourgeoise, ils ont aidé la bourgeoisie finlandaise à fusiller plus de treize à quatorze mille prolétaires et à en torturer à mort plus de quinze mille dans les prisons.

A Helsingfors, ils poussèrent devant eux des femmes et des enfants pour se protéger contre les mitrailleuses. C’est par leur appui que les gardes-blancs finlandais et les aides suédois ont pu se livrer à ces orgies sanglantes contre le prolétariat finlandais vaincu.

A Tammerfors on força les femmes condamnées à mort à creuser elles-mêmes leurs tombes, à Viborg on abattit des centaines de femmes, d’hommes et d’enfants finlandais et russes.

A l’intérieur de leur pays, la bourgeoisie et la social-démocratie allemande, par la répression sanglante de l’insurrection ouvrière communiste, par l’assassinat bestial de Liebknecht et de Luxemburg, en tuant et en exterminant les ouvriers spartakistes, ont atteint le degré extrême de la rage réactionnaire. La terreur massive et individuelle des blancs – voilà le drapeau qui guide la bourgeoisie.

Dans d’autres pays c’est le même tableau qui s’offre à nous.

Dans la Suisse démocratique tout est prêt pour l’exécution des ouvriers au cas où ils oseraient violer la loi capitaliste. En Amérique, le bagne, la loi du lynch et la chaise électrique apparaissent comme les symboles choisis de la démocratie et de la liberté.

En Hongrie et en Angleterre, en Bohème et en Pologne – partout la même chose. Les assassins bourgeois ne reculent devant aucune infamie.

Pour raffermir leur domination ils déchaînent le chauvinisme et organisent par exemple la démocratie bourgeoise ukrainienne, avec le menchevik Petlyura à sa tête ; celle de Pologne avec le social-patriote Pilsudsky et ainsi de suite ; des pogromes immenses contre les juifs qui dépassent de loin ceux qu’organisaient les policiers du Tsar.

Et si la racaille polonaise réactionnaire et « socialiste » a assassiné les représentants de la Croix Rouge russe, ce n’est là qu’une goutte d’eau dans la mer de crimes et d’horreurs du cannibalisme bourgeois décadent.

La « Ligue des Nations » qui, selon les déclarations de ses fondateurs, doit amener la paix, va vers une guerre sanglante contre le prolétariat de tous les pays. Les puissances de l’Entente voulant sauver leur domination, frayant avec des armées de noirs la voie vers une terreur d’une brutalité incroyable.

En maudissant les assassins capitalistes et leurs aides social-démocrates, le premier Congrès de l’Internationale Communiste appelle les ouvriers de tous les pays à rassembler toutes leurs forces pour mettre définitivement fin au système d’assassinat et de rapine en abattant la puissance du régime capitaliste.

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: thèses sur la situation internationale et la politique de l’entente

Les expériences de la guerre mondiale ont démasqué la politique impérialiste des « démocraties » bourgeoises comme étant la politique de lutte des grandes puissances, tendant au partage du monde et à l’affermissement de la dictature économique et politique du capital financier sur les masses exploitées et opprimées.

Le massacre de millions de vies humaines, la paupérisation du prolétariat tombé en esclavage, l’enrichissement inouï des couches supérieures de la bourgeoisie, grâce aux fournitures de guerre, aux emprunts, etc., le triomphe de la réaction militaire dans tous les pays, tout cela ne tarda pas à détruire les illusions sur la défense de la patrie, la trêve et la « démocratie ».

La « politique de paix » démasque les véritables aspirations des impérialistes de tous les pays et va jusqu’au bout de cette mise à nu.

LA PAIX DE BREST-LITOVSK ET LA COMPROMISSION DE L’IMPERIALISME ALLEMAND

La paix de Brest-Litovsk et ensuite celle de Bucarest ont révélé le caractère de rapine et réactionnaire de l’impérialisme des puissances centrales. Les vainqueurs ont arraché à la Russie sans défense, des contributions et des annexions.

Ils ont utilisé le droit de libre disposition des peuples comme prétexte d’une politique d’annexions, en créant des Etats vassaux, dont les gouvernements réactionnaires favorisèrent la politique de rapine et réprimèrent le mouvement révolutionnaire des masses laborieuses.

L’impérialisme allemand qui, dans le combat international, n’avait pas remporté la victoire entière, n’avait pas à ce moment, la possibilité de montrer tout à fait franchement ses véritables intentions ; il dut se résigner à vivre dans une apparence de paix avec la Russie des Soviets et à couvrir sa politique de rapines et réactionnaire de phrases hypocrites.

Cependant les puissances de l’Entente, sitôt qu’elles avaient remporté la victoire mondiale, laissèrent tomber les masques et révélèrent aux yeux de tout le monde le véritable visage de l’impérialisme mondial.

LA VICTOIRE DE L’ENTENTE ET LE REGROUPEMENT DES ETATS

La victoire de l’Entente a partagé en différents groupes les pays soi-disant civilisés du monde.

Le premier des groupes est constitué par les puissance du monde capitaliste, les grandes puissances impérialistes victorieuses (Angleterre, Amérique, France, Japon, Italie).

En face d’elles se dressent les pays de l’impérialisme vaincu, ruinés par la guerre et ébranlés dans leur structure par le début de la révolution prolétarienne (Allemagne, Autriche-Hongrie avec leurs vassaux d’autrefois).

Le troisième groupe est formé par les Etats vassaux des puissances de l’Entente. II se compose des petits Etats capitalistes, ayant participé à la guerre aux côtés de l’Entente (Belgique, Serbie, Portugal, etc.) et des petites République « nationales » et Etats tampons créés récemment (république Tchéco-Slovaque, Pologne, républiques Russes contre-révolutionnaires, etc.).

Les Etats neutres s’approchent selon leur situation, des Etats vassaux, mais ils subissent une forte pression politique et économique, qui, parfois, rend leur situation semblable à celle des Etats vaincus.

La République socialiste russe est un Etat ouvrier et paysan, se plaçant en dehors du monde capitaliste et représentant pour l’impérialisme victorieux un énorme danger social, le danger que tous les résultats de la victoire s’effondrent sous l’assaut de la révolution mondiale.

LA « POLITIQUE DE PAIX » DE L’ENTENTE OU L’IMPERIALISME SE DEMASQUE LUI-MEME

La « politique de paix » des cinq puissances mondiales, lorsque nous la considérons dans son ensemble, était et reste une politique qui se démasque constamment elle-même.

Malgré toutes les phrases sur sa « politique extérieure démocratique » elle constitue le triomphe complet de la diplomatie secrète qui, derrière le dos et aux dépens des millions d’ouvriers de tous les pays, décide du sort du monde par la voie d’arrangements entre les fondés de pouvoir des trusts financiers.

Toutes les questions essentielles sont traitées sans exception à huis clos par le comité parisien des cinq grandes puissances, en l’absence des représentants des pays vaincus, neutres et des Etats vassaux eux-mêmes.

Les discours de Lloyd George, de Clemenceau, de Sonnino, etc., proclament et essaient de motiver ouvertement la nécessité des annexions et des contributions.

Malgré les phrases mensongères sur la « guerre pour le désarmement général » on proclame la nécessité de s’armer encore et avant tout de maintenir la puissance maritime britannique en vue de la soi-disant « protection de la liberté des mers ».

Le droit de libre disposition des peuples par eux mêmes, proclamé par l’Entente, est manifestement foulé aux pieds et remplacé par le partage des domaines contestés entre les Etats puissants et leurs vassaux.

Sans consulter la population, l’Alsace-Lorraine a été incorporée à la France ; l’Irlande, l’Egypte, les Indes n’ont pas le droit de disposer d’elles-mêmes ; l’Etat slave méridional et la République tchéco-slovaque ont été créés par la force des armes ; on trafique sans vergogne autour du partage de la Turquie d’Europe et d’Asie, le partage des colonies allemandes a déjà commencé, etc., etc.

La politique des contributions a été poussée à un degré de pillage complet des vaincus.

Non seulement on présente aux vaincus des notes se montant à des milliards et des milliards, non seulement on leur enlève tous les moyens de guerre – mais les pays de l’Entente leur prennent aussi les locomotives, les chemins de fer, les bateaux, les instruments agricoles, les provisions d’or, etc., etc.

En outre les prisonniers de guerre doivent devenir les esclaves des vainqueurs. On discute des propositions tendant au travail forcé des ouvriers allemands. Les puissances alliées ont l’intention d’en faire des esclaves misérables et affamés du capital de l’Entente.

La politique d’excitation nationale poussée à l’extrême a son expression dans l’excitation constante contre les nations vaincues dans la presse de l’Entente et les administrations de l’occupation, ainsi que dans le blocus de la faim, condamnant les peuples de l’Allemagne et de l’Autriche à l’extermination.

Cette politique mène à des pogromes contre les allemands, organisés par les soutiens de l’Entente – les éléments chauvins tchèques et polonais, et à des pogromes contre les juifs, qui surpassent tous les hauts-faits du tsarisme russe.

Les Etats « démocratiques » de l’Entente poursuivent une politique de réaction extrême.

La réaction triomphe aussi bien à l’intérieur des pays de l’Entente elle-même, parmi lesquels la France est revenue aux pires époques de Napoléon III, que dans le monde capitaliste tout entier, qui se trouve sous l’influence de l’Entente.

Les alliés étranglent la révolution dans les pays occupés de l’Allemagne, la Hongrie, de la Bulgarie, etc., ils excitent les gouvernements opportunistes-bourgeois des pays vaincus contre les ouvriers révolutionnaires en les menaçant de leur supprimer les vivres.

Les alliés ont déclaré qu’ils couleraient tous les navires allemands qui oseraient hisser le drapeau rouge de la révolution ; ils ont refusé de reconnaître les conseils allemands ; dans les régions allemandes occupées, ils ont aboli la journée de huit heures.

Abstraction faite du soutien de la politique réactionnaire dans les pays neutres, et au soutien de celle-ci dans les Etats vassaux (le régime Paderevsky en Pologne), les alliés ont excité les éléments réactionnaires de ces pays (en Finlande, en Pologne, en Suède, etc.) contre la Russie révolutionnaire, et demandent l’intervention des forces armées allemandes.

CONTRADICTIONS ENTRE LES ETATS DE L’ENTENTE

Malgré l’identité des lignes fondamentales de leur politique impérialiste, une série de contradictions profondes se manifestent au sein des grandes puissances qui dominent le monde.

Ces contradictions se concentrent surtout autour du programme de paix du capital financier américain (le programme dit programme Wilson). Les points les plus importants de ce programme sont les suivants : « Liberté des mers », « Société des Nations » et « internationalisation des colonies ».

Le mot d’ordre de « liberté des mers » – débarrassé de son masque hypocrite – signifie en réalité l’abolition de la prédominance militaire navale de certaines grandes puissances (en premier lieu de l’Angleterre), et l’ouverture de toutes les voies maritimes au commerce américain.

La « Société des Nations » signifie que. le droit à l’annexion immédiate des Etats et des peuples faibles sera refusé aux grandes puissances européennes (en premier lieu à la France). « L’internationalisation des colonies » fixe la même règle envers les domaines coloniaux.

Ce programme est conditionné par les faits suivants : le capital américain ne possède pas la plus grande flotte du monde ; il n’a plus la possibilité de procéder à des annexions directes en Europe, et c’est pourquoi il vise à l’exploitation des Etats et des peuples faibles au moyen des relations commerciales et des investissements de capitaux.

C’est pourquoi il veut contraindre les autres puissances à former un syndicat des trusts d’Etats, à répartir « loyalement » entre elles les parts de l’exploitation mondiale et à transformer la lutte entre les trusts d’Etats en une lutte purement économique.

Dans le domaine de l’exploitation économique le capital financier américain hautement développé obtiendra une hégémonie effective qui lui assurera la prédominance économique et politique dans le monde.

La « liberté des mers » est en contradiction aiguë avec les intérêts de l’Angleterre, du Japon, en partie aussi de l’Italie (dans l’Adriatique). La « Société des Nations » et « l’internationalisation des colonies » est en contradiction décisive avec les intérêts de la France et du Japon – dans une mesure moindre avec les intérêts de toutes les autres puissances impérialistes.

La politique des impérialistes de la France, où le capital financier a une forme particulièrement usurière, où l’industrie est faiblement développée et où la guerre a complètement ruiné les forces productives, vise par des moyens désespérés au maintien du régime capitaliste ; ces moyens sont : le pillage barbare de l’Allemagne, l’assujettissement direct et l’exploitation rapace des Etats vassaux (projets d’une Union Danubienne, d’Etats slaves méridionaux) et extorsion par la violence des dettes contractées par le tsarisme russe auprès du Shylock français.

La France, l’Italie (et dans une forme altérée cela est aussi valable pour le Japon) en tant que pays continentaux, sont aussi capables de poursuivre une politique d’annexions directes.

Tout en étant en contradiction avec les intérêts de l’Amérique, les grandes puissances ont des intérêts qui s’opposent réciproquement entre eux.

L’Angleterre craint le renforcement de la France sur le continent, elle a en Asie Mineure et en Afrique des intérêts qui s’opposent à ceux de la France. Les intérêts de l’Italie dans les Balkans et au Tyrol sont contraires aux intérêts de la France. Le Japon dispute à l’Australie anglaise les îles situées dans l’Océan Pacifique.

GROUPEMENTS ET TENDANCES A L’INTERIEUR DE L’ENTENTE

Ces contradictions entre les grandes puissances rendent possibles différents groupements à l’intérieur de l’Entente. Jusqu’ici deux combinaisons principales se sont dessinées : la combinaison franco-anglo-japonaise, qui est dirigée contre l’Amérique et l’Italie et la combinaison anglo-américaine s’opposant aux autres grandes puissances.

La première de ces combinaisons prévalait jusqu’au début de janvier 1919, tant que le Président Wilson n’avait pas encore renoncé à exiger l’abolition de la domination maritime anglaise.

Le développement du mouvement révolutionnaire des ouvriers et des soldats en Angleterre, qui a conduit à une entente entre les impérialistes de différents pays pour liquider l’aventure russe et pour hâter la conclusion de la paix, a renforcé le penchant de l’Angleterre vers cette combinaison. Elle devient prédominante depuis janvier 1919.

Le bloc anglo-américain s’oppose à la priorité de la France dans le pillage de l’Allemagne et à l’intensité exagérée de ce pillage. Il pose certaines limites aux exigences annexionnistes exagérées de la France, de l’Italie et du Japon.

Il empêche que les Etats vassaux nouvellement fondés leur soient directement soumis. En ce qui concerne la question russe, la combinaison anglo-américaine a des dispositions pacifiques : elle veut avoir les mains libres afin de pouvoir accomplir le partage du monde, d’étouffer la révolution européenne et ensuite aussi la révolution russe.

A ces deux combinaisons des puissances correspondent deux tendances à l’intérieur des grandes puissances, l’une ultra annexionniste et l’autre modérée, dont la seconde soutient la combinaison Wilson-Lloyd George.

LA « SOCIETE DES NATIONS »

Vu les contradictions irréconciliables qui se sont fait jour au sein même de l’Entente, la Société des Nations – même si elle se réalisait sur le papier – ne jouerait cependant que le rôle d’une sainte alliance des capitalistes pour la répression de la révolution ouvrière. La propagation de la « Société des Nations » est le meilleur moyen pour troubler la conscience révolutionnaire de la classe ouvrière.

A la place du mot d’ordre d’une Internationale des républiques ouvrières révolutionnaires, on lance celui d’une association internationale de prétendues démocraties, devant être atteinte par une coalition du prolétariat et des classes bourgeoises.

La «Société des Nations » est un mot d’ordre trompeur, au moyen duquel les social-traîtres sur ordre du capital international, divisent les forces prolétariennes et favorisent la contre-révolution impérialiste.

Les prolétaires révolutionnaires de tous les pays du monde doivent mener une lutte implacable contre les idées de la Société des Nations de Wilson et protester contre l’entrée dans cette société de vol, d’exploitation et de contre-révolution impérialiste.

LA POLITIQUE EXTERIEURE ET INTERIEURE DES PAYS VAINCUS

L’écrasement militaire et l’effondrement intérieur de l’impérialisme autrichien et allemand ont amené, dans les Etats centraux et pendant la première période de la révolution, la domination du régime bourgeois social-opportuniste. Sous couleur de démocratie et de socialisme les social-traîtres allemands protègent et restaurent la domination économique et la dictature politique de la bourgeoisie.

Dans leur politique extérieure ils visent au rétablissement de l’impérialisme allemand en exigeant la restitution des colonies et l’admission de l’Allemagne dans la Société de rapines.

A mesure que se renforcent en Allemagne les bandes de gardes-blancs et que progresse le processus de décomposition dans le camp de l’Entente, les velléités de la bourgeoisie et des social-traîtres à devenir une grande puissance s’accroissent elles aussi.

En même temps le gouvernement bourgeois social-opportuniste mine aussi la solidarité internationale du prolétariat et sépare les ouvriers allemands de ses frères de classe, en accomplissant les ordres contre-révolutionnaires des alliés et surtout en excitant les ouvriers allemands contre la révolution russe prolétarienne pour plaire à l’Entente.

La politique de la bourgeoisie et des social-opportunistes en Autriche et en Hongrie est la répétition de la politique du bloc bourgeois opportuniste de l’Allemagne sous une forme atténuée.

LES ETATS VASSAUX DE L’ENTENTE

Dans les Etats vassaux et dans les Républiques que l’Entente vient de créer (Tchécoslovaquie, pays slaves méridionaux ; il faut aussi y compter la Pologne, la Finlande, etc.) la politique de l’Entente, appuyée sur les classes dominantes et les social-nationalistes, vise à créer des centres d’un mouvement national contre-révolutionnaire.

Ce mouvement doit être dirigé contre les peuples vaincus, il doit maintenir en équilibre les forces des Etats nouveaux et les assujettir à l’Entente, il doit freiner les mouvements révolutionnaires qui naissent au sein des nouvelles républiques « nationales » et fournir en fin de compte des gardes-blancs pour la lutte contre la révolution internationale et surtout contre la révolution russe.

En ce qui concerne la Belgique, le Portugal, la Grèce et autres petits pays alliés à l’Entente, leur politique est entièrement déterminée par celle des grands brigands, auxquels ils sont complètement soumis et dont ils sollicitent l’aide pour obtenir des petites annexions et des indemnités de guerre.

LES ETATS NEUTRES

Les Etats neutres sont dans la situation de vassaux non favorisés de l’impérialisme de l’Entente, à l’égard desquels l’Entente emploie, sous une forme atténuée, les mêmes méthodes qu’à l’égard des pays vaincus. Les Etats neutres favorisés formulent différentes revendications aux ennemis de l’Entente (les prétentions du Danemark sur Flensburg, la proposition suisse de l’internationalisation du Rhin, etc.).

En même temps, ils exécutent les ordres contre-révolutionnaires de l’Entente (expulsion de l’ambassadeur russe, enrôlement des gardes-blancs dans les pays scandinaves, etc.). D’autres encore sont exposés au danger du démembrement territorial (projet de l’incorporation de la province de Limbourg à la Belgique et de l’internationalisation de l’embouchure de l’Escaut).

L’ENTENTE ET LA RUSSIE SOVIETIQUE

Le caractère rapace anti-humanitaire et réactionnaire de l’impérialisme de l’Entente se manifeste le plus nettement en face de la Russie Soviétique. Dès le début de la Révolution d’octobre les puissances de l’Entente se sont mises du côté des partis et des gouvernements contre-révolutionnaires de la Russie.

Avec l’aide des contre-révolutionnaires bourgeois elles ont annexé la Sibérie, l’Oural, les côtes de la Russie d’Europe, le Caucase et une partie du Turkestan. Ils dérobent de ces contrées annexées des matières premières (bois, naphte, manganèse, etc.). Avec l’aide des bandes tchécoslovaques à leurs gages ils ont volé la provision d’or de la Russie. Sous la direction du diplomate anglais Lockhart, des espions anglais et français ont fait sauter des ponts et détruit des chemins de fer et tentèrent de gêner l’approvisionnement en vivres.

L’Entente a soutenu, avec des fonds, des armes et par l’aide militaire des généraux réactionnaires Dénikine, Koltchak et Krasnov, qui ont fusillé et pendu des milliers d’ouvriers et de paysans à Rostov, Jousovka, Novorossijsk, Omsk, etc.

Par les discours de Clemenceau et de Pichon l’Entente proclame ouvertement le principe de « l’encerclement économique », c’est-à-dire qu’on veut vouer à la famine et à la destruction la République des ouvriers et des paysans révolutionnaires ; on y promet un « soutien technique » aux bandes de Dénikine, Koltchak et Krasnov. L’Entente a refusé à différentes reprises les propositions de paix de la puissance soviétique.

Le 23 janvier 1919 les puissances de l’Entente, au sein desquelles les tendances modérées s’étaient momentanément renforcées, a adressé à tous les gouvernements russes la proposition d’envoyer des délégués à l’île des Princes. Cette proposition n’était certainement pas dépourvue d’une intention provocatrice à l’égard du gouvernement soviétique.

Bien que le 4 février l’Entente reçut une réponse affirmative du gouvernement soviétique, réponse dans laquelle celui-ci se déclarait même prêt à envisager des annexions, des contributions et des concessions, afin de délivrer les ouvriers et les paysans russes de la guerre qui leur est imposée par l’Entente – celle-ci ne répondit pas plus à cette proposition de paix qu’aux autres.

Cela confirme que les tendances annexionniste-réactionnaires des impérialistes de l’Entente se fondent sur un terrain solide. Ils menacent la république socialiste de nouvelles annexions et de nouveaux assauts contre-révolutionnaires.

La « politique de paix » de l’Entente dévoile ici définitivement aux yeux du prolétariat international la nature de l’impérialisme de l’Entente et de l’impérialisme en général. Elle prouve en même temps que les gouvernements impérialistes sont incapables de conclure une paix « juste et durable » et que le capital financier est incapable de rétablir l’économie détruite.

Le maintien de la domination du capital financier mènerait soit à la destruction complète de la société civilisée ou à l’augmentation de l’exploitation, de l’esclavage, de la réaction politique, des armements et finalement à de nouvelles guerres destructrices.

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: le Comité Exécutif

Afin de pouvoir commencer sans retard son travail actif, le Congrès désigne immédiatement les organes nécessaires, dans l’idée que la constitution définitive de l’Internationale Communiste devra être donnée par le prochain congrès sur la proposition du Bureau.

La direction de l’Internationale Communiste est confiée à un Comité Exécutif. Celui-ci se compose d’un représentant de chacun des partis communistes des pays les plus importants. Les partis de Russie, d’Allemagne, d’Autriche allemande, de Hongrie, de la Fédération des Balkans, de Suisse et de Scandinavie doivent envoyer immédiatement leurs représentants au premier Comité Exécutif.

Les partis des pays qui déclarent adhérer à l’Internationale Communiste avant le deuxième congrès obtiendront un siège au Comité Exécutif.

Jusqu’à l’arrivée des représentants étrangers, les camarades du pays dans lequel le Comité Exécutif a son siège se chargent d’assurer le travail. Le Comité Exécutif élit un bureau de cinq personnes.

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