Le terrible retard dans l’agriculture de l’URSS social-impérialiste

De tous les secteurs problématiques, c’est l’agriculture qui a été le véritable tourment de l’URSS social-impérialiste.

L’agriculture soviétique avait posé à la base même un véritable problème. D’un côté, la collectivisation avait permis de sceller l’alliance ouvrière-paysanne et de permettre le socialisme, de l’autre le caractère arriéré des forces productives n’a cessé de poser des soucis.

Avec une révolution culturelle sur le plan de l’alimentation, il eut pu en être autrement, mais ce ne fut pas à l’ordre du jour pour des raisons historiques. Il n’y a pas eu d’agriculture socialiste, mais une agriculture visant à la même production que l’agriculture capitaliste, dans un cadre socialiste.

C’est une dimension du mode de vie qui, à l’instar des cigarettes, n’avait pas été révolutionné, contrairement au sport et aux arts.

Le socialisme avait, en pratique, de vrais problèmes à systématiser une dimension quantitative suffisante, et l’initiative privée maintenait des fondations solides. En 1953, un tiers de la production agricole relève du secteur privé.

Le cheptel est moins important qu’en 1928, sauf en ce qui concerne les cochons, alors qu’en plus appartient d’ailleurs au secteur privé 29 % du cheptel des cochons, 39 % de celui des bœufs, 59,6 % de celui des vaches, ainsi qu’une importante part de la production de légumes et de pommes de terre.

Ce maintien d’une agriculture dont les fondements restent, au fond, capitaliste, a contribué à miner les bases du socialisme.

Lorsqu’il parvient à la direction du Parti Communiste d’Union Soviétique, Nikita Khrouchtchev tente tout de suite de relancer la production agricole, un domaine qu’il connaît bien. Il procède à l’augmentation directe du prix fourni par l’État aux producteurs, de 25 à 40 % pour les légumes, de 100 % pour le lait et le beurre, de 150 % pour les pommes de terre, de 1500 % pour la viande.

L’impôt agricole baisse également de 45 % en 1953 puis encore de 150 % en 1954. Les arriérés se voient accordés d’importantes remises, alors que des crédits sont facilités pour l’acquisition de vaches.

Le succès semble alors venir, puisque de 1953 à 1954, la collecte de viande de l’État passe de 2,4 millions de tonnes à 4,1 millions de tonnes. L’État intervient alors d’autant plus pour épauler la production agricole, et le montant total de ses versements annuels aux kolkhozes et au secteur agricole privé est de 31,3 milliards de roubles en 1952, puis de 41,4 en 1953, 64 en 1955, 88,5 en 1956, 97,1 en 1957, 144,9 en 1959.

Et, pour renforcer le capitalisme, les Stations de Machines et de Tracteurs sont liquidés obligeant les kolkhozes à acheter le matériel agricole (dont les tracteurs), instaurant le commerce là où auparavant l’État gérait l’approvisionnement, le plan de production des tracteurs devenant une centrale de commandes obéissant aux demandes d’achats des kolkhozes.

Naturellement, cette affirmation du commerce sur la planification est présentée de manière « anti-bureaucratique », comme ici dans le propos de Nikita Khrouchtchev dans un discours du 22 janvier 1958 :

« On mettra fin à la répartition bureaucratique centralisée du matériel agricole qui provoque de nombreux désordres et cause des pertes énormes à l’État.

Les Stations de Machines et de Tracteurs prennent n’importe quelle machine, même si elles n’en ont pas besoin : celles qui ne sèment pas de lin reçoivent quand même des machines pour récolter le lin; celles qui ne cultivent pas les choux reçoivent quand même des machines pour planter les choux. »

Les kolkhozes n’ont plus également de plan détaillé de production, simplement un certain volume de production annuelle à obtenir et Nikita Khrouchtchev, dans son rêve révisionniste, envisageait de :

« Rattraper dans les prochaines années les États-Unis pour la production de viande, de lait et de beurre par tête d’habitant. »

En 1964, les kolkhoziens pouvaient posséder une vache, un veau plus les veaux nés dans l’année, une truie avec ses petits ou un porc « gras », trois moutons ou chèvres avec leurs petits (cinq au cas où il n’y aurait pas de vache ou de porc), des poulets et des ruches en nombre illimité.

L’acquisition d’une vache était aidée par un crédit d’État, les particuliers pouvaient directement acheter du fourrage d’État, ainsi que faire paître les vaches sur les terres publiques. Les impôts sur le bétail possédé par les citadins disparurent ; les prix de vente sur le marché privé étaient libérés.

La possession de lopins de terre à cultiver était de plus en plus autorisé pour tous, et devenait même une obligation pour les instituteurs, les médecins et les techniciens vivant et travaillant dans les campagnes.

Cette politique capitaliste fit qu’en 1966, 3 % seulement des terres cultivées – dépendant de la petite production capitaliste – produisaient 60 % des pommes de terre, 40 % de la viande et des légumes, 39 % du lait, 68 % des œufs.

C’était un triomphe pour le secteur capitaliste, si on pense en plus qu’une importante part du reste dépend des kolkhozes placés en situation d’autogestion.

Ce jeu d’équilibriste, toutefois, ne pouvait pas fonctionner à grande échelle. Le cadre monopoliste bureaucratique provoquait une catastrophe générale, que le petit capitalisme ne pouvait compenser.

Les récoltes de céréales passèrent ainsi de 147 à 107 millions de tonnes entre 1962 et 1963, obligeant à importer 10 millions de tonnes du Canada. Le scénario se réédita au début des années 1970, où l’URSS social-impérialiste se vit obligée d’importer 4 millions de tonnes de céréales en 1971, puis 12,9 en 1972, 24,4 en 1973.

Les chiffres sont pour le blé de 2,3 millions de tonnes, puis 6,3 et 15,2. Pour le maïs, on 0,9 million de tonne, puis 4,1 et 5,4. La situation est alors tellement grave qu’à partir de ce moment-là, l’URSS généralise le principe des importations massives, avec 27,8 millions de tonnes de céréales en 1979, 35 millions de tonnes en 1980, le point culminant étant le milieu des années 1980, où sont importées 55 millions de tonnes de céréales.

Non seulement 42 % de ces importations proviennent des États-Unis (et pour 12 % de France, le reste venant de l’Argentine, du Canada, de l’Australie), mais en plus elles forment 27% du commerce céréalier mondial.

D’ailleurs, à partir de 1975, les États-Unis ont obligé l’URSS, sous menace d’embargo comme en 1974, à annoncer ses achats sur plusieurs années, avec des contrats où l’URSS s’engage à acheter chaque année pendant cinq ans cinq millions de tonnes de céréales américaines, et possibilité de deux de plus si les récoltes sont bonnes aux États-Unis.

Cela signifie que sur le plan alimentaire, la dépendance de l’URSS est complète : le pays est imbriqué dans le système capitaliste mondial et sa tentative de mettre en place une agriculture développée est un échec complet.

L’URSS tentera d’échapper à cela, notamment en faisant passer la part de l’agriculture dans les investissements de 22 % à 27 % entre 1965 et 1975, en doublant les subventions entre 1965 et 1980, mais rien n’y fera, en raison de la base viciée de l’économie capitaliste d’État.

Le chaos de la production de céréales révèle la précarité de la base : les chiffres sont de 181,2 millions de tonnes en 1971, 168,2 en 1972, 222,5 en 1973, 195,7 en 1974, 140,1 en 1975, et ainsi de suite jusqu’à l’année 1981, où le chiffre fut de 150 millions.

En comparaison, cette même année 1981, avec 3,9 millions d’agriculteurs contre environ 30 millions en URSS social-impérialiste, les États-Unis produisirent pas moins de 310 millions de tonnes.

C’est un constat terrible d’échec. Acheter des céréales aux États-Unis revient pour l’URSS à moitié moins cher que les produire elle-même, en admettant que ce soit possible ; pour le maïs, le soja, les œufs, la viande, les prix américains sont même quatre fois moins chers.

Il est évident que ce n’est pas tenable et cette crise agricole va travailler le régime de manière marquée, jouant profondément sur la reconnaissance de son échec dans la seconde partie des années 1980.

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Les dirigeants et la cassure de 1964 en URSS social-impérialiste

Qui sont les dirigeants de l’URSS social-impérialiste ? De qui parle-t-on précisément ?

Il s’agit de gens de la même génération que Nikita Khrouchtchev, ayant eu le même parcours que lui, s’alignant sur les mêmes valeurs.

On parle de gens qui ont eu leur jeunesse dans les années 1920-1930, avec un parcours de scolarité ou de début dans le monde du travail accompagnant les grandes transformations du pays alors. Ils ont eu de lourdes responsabilités administratives dans les années 1930-1940, et encore plus pendant la guerre.

Ils ont été tenaces et combatifs, ils n’ont cédé en rien face aux coups de boutoir du nazisme. Les meilleurs dans leurs activités, ils ont grimpé les échelons et ils sont devenus incontournables de par leur capacité.

Leningrad au début des années 1960

Ce sont eux qui sont les plus efficaces, les plus vifs, les plus travailleurs ; ils ont pris le dessus dans le cadre de leur action pratique. Ils se sont cependant installés dans l’appareil, et ici il va y avoir une certaine ambivalence. Il y en effet deux camps qui se forment.

Le premier, c’est celui de certains qui décident de se laisser aller, ou du moins espèrent pouvoir le faire. Ils sont représentés par Nikita Khrouchtchev dans les années 1950.

Ils pensent que l’économie va se développer toute seule, ils veulent de la franchise et sont optimistes quant à l’avenir. Ils pensent que l’URSS va rapidement dépasser les États-Unis, dans un contexte de paix mondiale.

Ils sont à ce titre assez les enfants du 19e congrès du Parti de 1952, où il y a l’illusion que la force de l’URSS impose les choses d’elles-mêmes tant dans le pays qu’au niveau mondial. La paix sera quasiment forcée au niveau mondial, le Parti ne joue plus le rôle que de courroie de transmission et de force vigilante, etc.

La porte était ouverte à une URSS « participant » au monde et cessant toute bataille idéologique, au nom d’un confort croissant « inéluctable ». On a d’ailleurs ici affaire à des gens suivant attentivement ce qui se passe dans le monde, et prenant parti : avec Nikita Khrouchtchev, l’URSS donne un avis sur absolument tout et tout le monde.

Les intellectuels qui accompagnent ces dirigeants sont dans la même veine : ils penchent vers le libéralisme, ils veulent de l’honnêteté, ils changent assez rapidement de style, mais ils ont confiance en le cours des choses.

On l’a compris, le but était de profiter du développement économique propre à la planification, tout en supprimant l’État socialiste façonné par Staline, afin de rester dirigeant et de profiter des choses telles qu’elles existent et existeront.

Or, il est apparu que l’un ne va pas sans l’autre et l’éviction de Nikita Khrouchtchev en 1964 relève de cette terrible prise de conscience de la part de la direction soviétique. Il y a alors une tentative de reprise en main générale et c’est le second camp qui l’emporte.

Iouri Andropov

Ce second camp est beaucoup plus circonspect, il est plus dur, il est beaucoup plus profondément marqué par la seconde guerre mondiale impérialiste. Il pense que les choses peuvent mal tourner, et en ce sens ils ne suivent pas ce qu’ils voient comme l’optimisme béat de Nikita Khrouchtchev.

S’ils sont révisionnistes aussi, ils sont pétris dans le monopolisme d’État, alors que Nikita Khrouchtchev était plus marqué par le Parti, par les milieux économiques, littéraires et scientifiques.

Par conséquent, Nikita Khrouchtchev se fait débarquer de son poste de dirigeant du Parti Communiste d’Union Soviétique en 1964, et il est remplacé par Léonid Brejnev qui le conservera jusqu’à sa mort en 1982.

Léonid Brejnev, qui a participé à la guerre mondiale, doit pourtant tout à Nikita Khrouchtchev, qu’il a justement rencontré durant le conflit. C’est lui qui l’amène à avoir de grandes responsabilités étatiques (notamment dans le domaine industriel et spatial), c’est sous son égide qu’il devient en 1959 le secrétaire du Comité central et le président du praesidium du Soviet suprême.

Mais ce n’était pas le premier choix de Nikita Khrouchtchev, qui entendait avoir comme successeur Frol Kozlov, qui eut cependant de très importants problèmes de santé en 1963 et décéda dès 1965.

Et Léonid Brejnev représente justement ceux qui se sont soumis au second camp, formé de ceux pour qui les formes du capitalisme monopoliste d’État ne doivent en aucun cas être ébranlées. Pour eux, Nikita Khrouchtchev a été trop confiant, il a trop ouvert les vannes, il faut redresser la barre.

Qui retrouve-t-on ici ? Des gens qui ont eu de très lourdes responsabilités structurelles.

C’est le cas du responsable de l’armement Dmitri Oustinov, dont le rôle fut absolument essentiel tout au long des années 1960-1970. C’est le cas pour celui de l’intérieur Nikolaï Chtchelokov, à la tête de l’Intérieur de 1966 à 1982.

C’est vrai pour les autres : Iouri Andropov, Konstantin Tchernenko, Sergueï Gorchkov, Mikhaïl Souslov.

Dmitri Oustinov

Iouri Andropov était un grand organisateur ; il a notamment encadré la guerre de partisans sur le front finlandais. Montant les échelons, il fut à la tête du KGB de 1967 à 1982. Il prit ensuite la succession de Léonid Brejnev en 1982, jusqu’en 1984.

Konstantin Tchernenko avait de grandes qualités d’organisateur, mais est purement un homme de Léonid Brejnev ; il dirigea le pays de 1984 à 1985.

Sergueï Gorchkov fut l’amiral de la flotte soviétique ; organisateur pair, c’est lui qui la fit se développer sans commune mesure, l’amenant à être capable de concurrencer la flotte américaine. Sa logique monopoliste d’État le poussa par contre à multiplier de manière aberrante les types d’équipement, de navires, etc.

Sergueï Gorchkov

On a enfin et surtout Mikhaïl Souslov. S’il est largement inconnu du public voire des « chercheurs », on peut résumer les choses en disant que l’URSS social-impérialiste, c’est Mikhaïl Souslov, et que Mikhaïl Souslov, c’est l’URSS social-impérialiste.

Cadre éminent du Parti, il fut remarqué initialement par Staline. Celui-ci avait demandé une information technique à quelqu’un et celui-ci aboutit à l’étudiant Mikhaïl Souslov, qui disposait de très nombreuses fiches avec les citations de Marx, Engels, Lénine et Staline.

Mikhaïl Souslov fut ensuite notamment organisateur de partisans dans la partie du pays occupé par l’Allemagne nazie, et il devint secrétaire du Comité Central du Parti en 1947, ainsi que le rédacteur en chef de la Pravda.

Il accompagna la remise en cause de Staline, comme il accompagna celle de Nikita Khrouchtchev. C’est lui qui jouait le rôle d’idéologue lors de tout le processus de mise en place de l’URSS social-impérialiste.

Mikhaïl Souslov

Pour ses soixante ans, il reçoit le titre de Héros du travail socialiste avec l’Ordre de Lénine et la médaille du Marteau et de la Faucille, de même pour ses soixante-dix ans. Lors de son décès en 1982, il obtient une tombe personnelle dans la nécropole du Kremlin, avec la cérémonie funéraire retransmise en direct.

Mikhaïl Souslov n’a jamais profité matériellement de son rôle-clef en URSS ; il a toujours vécu humblement, possédé une attitude en retrait empreint de cordialité et de politesse.

Il est littéralement le nexus de la contradiction que représente l’URSS social-impérialiste, car il croyait vraiment être communiste et agir conformément aux exigences du communisme, tout en étant historiquement au cœur du dispositif social-impérialiste soviétique.

Sa mort scelle cette prétention, c’est la fin d’une époque et de leurs protagonistes : Mikhaïl Souslov meurt en 1982, Léonid Brejnev également, Iouri Andropov en 1984, Nikolaï Chtchelokov en 1984, Dmitri Oustinov également, Konstantin Tchernenko en 1985, Sergueï Gorchkov en 1988.

Léonid Brejnev

Les autres figures importantes meurent durant la même période : Alexis Kossyguine qui a été président du Conseil des ministres en 1980. Le Biélorusse Piotr Macherov, qui avait même été pressenti pour prendre la direction de l’URSS, meurt dans un mystérieux accident de voiture en 1980.

Sharof Rashidov, le responsable du Parti en Ouzbékistan, pratiquant un népotisme complet là-bas et une corruption massive autour de la production de coton, meurt en 1983. Le Biélorusse Tikhon Kiseliov meurt en 1983, tout comme le Letton Arvīds Pelše.

Grigori Romanov, qui a participé à la seconde guerre mondiale impérialiste puis a dirigé le Parti Communiste d’Union Soviétique à Leningrad, est mort en 2008, mais il avait été mis de côté en 1985.

Au milieu des années 1980, alors que le social-impérialisme soviétique a atteint son apogée, qu’il est devant sur le plan militaire dans sa compétition avec la superpuissance impérialiste américaine, il voit son personnel dirigeant disparaître.

Et la génération qui prend les commandes n’a pas vécu la guerre ni les années de formation de l’époque de Staline. Ils sont opportunistes et modernistes ; bien souvent, leur idéal est devenu extrêmement vague, voire inexistant.

Que voient-ils ? Que l’URSS social-impérialiste a cherché à forcer les choses, par son poids. Mais qu’elle n’y est pas arrivée, et qu’elle fait face à un problème immédiat qui l’étouffe : l’agriculture.

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La planification auto-comptable et l’exportation de pétrole en URSS social-impérialiste

Comment le régime a-t-il pu tenir sur le plan économique avec un tel complexe militaro-industriel ? La réforme Liberman de 1965 reflétait le poids acquis par les chefs des entreprises, les responsables des centres « planifiés » de la production.

L’URSS social-impérialiste n’avait plus de planification réelle, c’était un capitalisme monopoliste d’État où un nombre immense de « royaumes indépendants » agissaient chapeautés par l’État comme unité du Parti, de l’armée et des services secrets.

La question était de parvenir à un équilibre dans cette situation, ce qui ressemble à une logique impériale dans un contexte féodal, avec une tête toute puissante mais dépendante des puissances locales qui seules permettent d’agir finalement.

Les années 1964-1965 sont donc marquées par tout ce débat ouvert par Evseï Liberman, et où participent plusieurs autres figures : l’économiste Lev Léontiev, le président du Comité d’État du Commerce de l’URSS Alexandre Strouév, le concepteur d’avions Oleg Antonov.

On a également l’économiste Vasily Nemchinov, qui entend affirmer l’importance des mathématiques dans la planification et avait présenté en 1960 un rapport sur « Les questions théoriques de l’équilibre intersectoriel et interrégional de la production et de la répartition des ressources nationales des produits économiques ». Il va mettre en place en 1963 l’Institut central d’économie et de mathématiques de l’Académie des sciences de l’URSS.

L’idée est d’utiliser les mathématiques comme moyen « neutre » d’équilibrer les différentes unités productives qui, dans la pratique, sont obligées de travailler entre elles, tout en disposant d’une autonomie énorme à leur propre échelle.

Cela va provoquer une avalanche de modifications : Sur l’amélioration de la gestion industrielle, l’amélioration de la planification et le renforcement des incitations économiques pour la production industrielle (résolution du plénum de septembre 1965 du Comité central du PCUS), Sur l’amélioration de la planification et le renforcement de la stimulation économique de la production industrielle (résolution du Comité central du PCUS et du Conseil des ministres de l’URSS du 4 octobre 1965), Règlement sur l’entreprise de production d’État socialiste approuvé par le Conseil des ministres de l’URSS le 4 octobre 1965, Sur les mesures visant à améliorer encore les prêts et les paiements dans l’économie nationale et à accroître le rôle du crédit dans la stimulation de la production (résolution du Conseil des ministres de l’URSS du 3 avril 1967), Sur le transfert des fermes d’État et autres entreprises agricoles d’État à une comptabilité économique complète (13 avril 1967), Sur le transfert des entreprises du ministère de l’Aviation civile vers un nouveau système de planification et d’incitations économiques (daté du 7 juin 1967), Sur le transfert des chemins de fer du ministère des Chemins de fer vers un nouveau système de planification et d’incitations économiques (23 juin 1967), Sur le transfert des entreprises du ministère de la Marine vers un nouveau système de planification et d’incitations économiques (daté du 7 juillet 1967), Sur le transfert des entreprises de transport fluvial des républiques fédérées vers un nouveau système de planification et d’incitations économiques (7 juillet 1967), Sur le transfert des entreprises opérationnelles et des départements de production et de communications techniques du système du ministère des Communications de l’URSS vers un nouveau système de planification et d’incitations économiques (8 juillet 1968), Sur l’amélioration de la planification et de la construction d’équipements et le renforcement des incitations économiques pour la production de construction (28 mai 1969).

Le moyen le plus simple, c’est de résumer tout cela en disant que désormais il existe une « planification auto-comptable ». Les entreprises sont autonomes, elles se débrouillent, elles voient elles-mêmes avec les fournisseurs, elles gèrent les employés, elles disposent à partir de leurs bénéfices de fonds d’investissement (et même pour construire des logements, les utiliser « socialement » ou « culturellement »), etc.

Par contre, la planification conçue par l’État exige deux choses : que ce soit rentable pour l’entreprise, d’une part, que la production soit assurée, d’autre part. Le ministère n’est là que pour aider ou superviser les avancées technologiques et scientifiques.

Comme dit, le noyau philosophique de cette autonomie généralisée consistait en la réforme Liberman, qui ne faisait que reconnaître une situation existante de fait. Toutes ces réformes ne font qu’admettre juridiquement que, sur le terrain, les chefs d’entreprise faisaient ce qu’ils voulaient autant qu’ils le pouvaient.

L’idée est maintenant, du point de vue de l’État, de le reconnaître afin de pouvoir éventuellement demander des comptes, et d’assurer au régime une stabilité juridico-politique. C’est pourquoi dès l’automne 1967, il y a déjà 5 500 entreprises « autonomes » – elles représentent le tiers de la production industrielle, 45 % des bénéfices.

Un peu plus de deux ans après, ce sont 32 000 entreprises qui sont « autonomes », soit 77 % de la production.

Il faut bien comprendre qu’outre la reconnaissance d’une situation de fait, il y a également en même temps la véritable ossification du régime qui passe par cette reconnaissance. Si le processus ne change rien à part la forme, le fait de changer la forme permet au régime de profiter d’une nouvelle assise.

La suite est ainsi facile à comprendre : cela réimpulse momentanément l’économie… mais le cadre monopoliste assèche la productivité.


1961-19651966-19701971-19751976-1979
Taux de croissance annuel moyen du revenu national+6,5 %+7,7 %+5,7 %+4,4 %
Taux de croissance annuel moyen de la productivité sociale du travail+5,6 %+6,8 %+4,6 %+3,3 %

Le problème également est que le processus d’autonomisation des entreprises fait poser un risque à l’État central, dans la mesure où cela éparpille d’autant plus les forces. C’est la contradiction inhérente au capitalisme monopoliste d’État, ou d’ailleurs à un empire féodal, de devoir centraliser pour se maintenir et d’être forcé à décentraliser pour maintenir en vie chaque secteur.

Il y aura ainsi des ajustements, principalement Sur certaines mesures visant à améliorer la planification et la stimulation économique de la production industrielle (21 juin 1971) et Sur l’amélioration continue du mécanisme économique et des tâches des organes du parti et de l’État (12 juillet 1979).

Mais la tension sera ininterrompue entre centralisation et décentralisation, jusqu’à ne plus tenir du tout et aboutir à la nomination de Mikhaïl Gorbatchev à la tête du Parti Communiste d’Union Soviétique en 1985, qui essaiera de mener une restructuration (perestroïka) sur le plan économique et une politique de transparence (glasnost) sur le plan politique.

En attendant, pour tenir, le régime utilise à fond une nouvelle ressource, le pétrole.


197019801984
Total des exportations2,8 milliards de dollars27,8 milliards de dollars31,7 milliards de dollars
Part du pétrole15 %44 %47 %
Part du gaz/10 %12 %
Part des machines, équipements6 %5 %5 %
Part de l’armement8 %18 %24 %
Part du coton, bois, diamants, produits chimiques, pièces de rechange, etc.71 %23 %12 %

Ce qui s’est passé est très simple : un gisement formidable a été trouvé en Sibérie, au niveau du lac de Samotlor, en 1967. Après des travaux réalisés dans des conditions extrêmement difficiles en raison des marécages et du froid, avec notamment une route longue de 66 km établie au moyen de 3,5 millions m³ de terre et quatre mille dalles de béton, le gisement produisait déjà son premier million de tonnes de pétrole en 1971.

En 1978, une tonne de pétrole sur trois venait de Samotlor ; un milliard de tonnes y avait été extrait en 1981, deux milliards en 1986. Cela a contribué à la ligne de l’exportation à outrance pour permettre au régime de profiter de devises occidentales.

Cependant, en 1986 la production intensive a grandement détérioré le site et rendu les choses bien plus difficiles, amenant un effondrement. Et cela se produit au moment de la grande crise du personnel dirigeant.

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La prépondérance du complexe militaro-industriel

En 1964, Nikita Khrouchtchev est débarqué de son poste de dirigeant du Parti Communiste d’Union Soviétique, alors que le pays fait face à un arrêt du développement généralisé qu’il a connu jusqu’en 1953.

Et le régime ne va jamais se sortir des pénuries, de l’élargissement du fossé entre la nomenklatura et la population. Ce que cela implique, dans le cadre du capitalisme monopoliste d’État, est facile à comprendre : un État terroriste, arc-bouté sur son armée et ses services secrets.

L’URSS social-impérialiste, c’est le KGB et l’armée qui sont toutes-puissantes, le premier dans la société, le second dans l’économie.

Il faut bien saisir que le régime s’est arc-bouté sur ces deux structures ; ce n’est pas son orientation initiale.

Sur le papier, en effet, Nikita Khrouchtchev s’oppose à l’armée. Il le fait pour deux raisons.

La première, c’est qu’il veut insuffler un état d’esprit libéral, conforme aux mentalités petites-bourgeoises qui ont triomphé dans le Parti. C’est le début de l’idéologie au cœur de la vie quotidienne en URSS : le triptyque appartement – voiture – datcha (la maison de campagne).

Avec Nikita Khrouchtchev parvenant au pouvoir, la ligne est d’accorder une priorité à la stabilité économique et au développement interne, en supprimant à tout prix l’intensité politique de l’époque de Staline.

Il n’est donc pas question d’accorder une place démesurée à l’armée ou aux services secrets, d’instaurer un régime fort – les révisionnistes craignant en effet un retour de bâton, ils naviguent à vue et ne sont pas sûrs de leurs positions sur le terrain.

La seconde raison est que Nikita Khrouchtchev considère qu’une guerre serait forcément atomique et courte. C’est pourquoi il met en avant ce type d’armes pour forcer à une « coexistence pacifique », conforme à la mentalité des « installés » à la tête de l’URSS qui veulent profiter tranquillement d’une rente de situation et d’un confort toujours plus grand.

Dans cette logique, il entend réduire la voilure de l’armée conventionnelle. C’est ce qu’il explique dans un discours marquant au Soviet Suprême en janvier 1960, et ensuite il procède à une réorganisation de l’armée en ce sens, avec un abaissement du nombre de soldats de 3,6 millions à 2,4 millions.

La découverte d’un avion espion U2 au-dessus de l’URSS en 1960 et l’échec de la tentative de placer des missiles nucléaires soviétiques à Cuba en 1962 firent toutefois que la ligne de Nikita Khrouchtchev fut considérée par l’armée comme problématique, car proposant insuffisamment de garanties.

Cela provoqua un retournement massif contre lui et en faveur du renforcement généralisé du complexe militaro-industriel, représenté par Léonid Brejnev.

Un autre événement très important fut l’arrestation de Oleg Penkovsky, un colonel des services de renseignement de l’armée (le GRU), qui avait fourni de très nombreux documents secrets aux services secrets britanniques.

Il fut arrêté en 1962 puis exécuté, après un procès retentissant. Cela provoqua la chute du responsable du GRU, Ivan Serov, qui fut même exclu du Parti Communiste d’Union Soviétique en 1965.

Ivan Serov, qui avait joué un rôle énorme durant la seconde guerre mondiale impérialiste, était particulièrement lié à Nikita Khrouchtchev. Sa mise de côté joua naturellement dans les rapports de force.

Dans le processus révisionniste, Nikita Khrouchtchev ne représente donc, au sens strict, pas l’armée ; tout comme pour l’économie, il représente sur le plan militaire une transition dans l’affirmation d’une nouvelle situation.

Nikita Khrouchtchev a, concrètement, accompagné deux choses : d’une part, la réorganisation d’une armée encore posée sur les bases de la seconde guerre mondiale, même si numériquement elle avait très largement reculé.

D’autre part, il s’agissait d’adapter l’armée à la nouvelle situation technologique, avec les débuts de l’informatique, le développement de la cryptographie, l’apparition des radars, la découverte de l’arme nucléaire, la généralisation des avions à turboréacteurs, etc.

Nikita Khrouchtchev, pour cette raison, organisa des démonstrations des armes nouvelles auprès des hauts généraux et des hauts responsables politiques, à Kapoustine Iar, Sébastopol, Severomorsk, Arkhangelsk, Baïkonour, Koubinka.

Par contre, et justement, lorsqu’il refusa de se tourner vers les bombes nucléaires tactiques en 1963, il signa sa mort politique aux yeux de l’armée, qui justement procéda à leur systématisation ensuite.

Ici, on trouve la figure absolument centrale de Dmitri Oustinov (1908-1984). Celui-ci avait joué un rôle essentiel en 1941, supervisant le déplacement de Leningrad vers l’Oural de 80 usines d’armement employant 600 000 personnes.

Ensuite, il s’occupa de la production d’armement à partir de 1965, avant de devenir ministre de la Défense en 1976, et ce jusqu’à son décès.

Et, justement, sa ligne était bien pro-nucléaire comme Nikita Khrouchtchev, mais à l’opposé complet de celui-ci qui n’appréciait que les bombes stratégiques pour « geler » la situation dans un équilibre de la terreur, lui se tournait résolument vers les bombes nucléaires tactiques.

Il est en ce sens le théoricien de la doctrine militaire soviétique, caractérisé par le « renforcement de l’orientation stratégique européenne » : la possibilité d’un conflit ouvert, frontal, en Europe, était considérée comme le cœur de la question d’une guerre avec la superpuissance impérialiste américaine.

Des bombes nucléaires tactiques ont à ce titre été placées en République Démocratique Allemande et en Tchécoslovaquie, le principe d’une offensive soviétique était d’effectuer une percée de 50-100 km en Allemagne de l’Ouest et en Autriche, puis de pousser jusqu’à la France, en une trentaine de jours maximum.

L’Otan avait pareillement préparé l’emploi d’armes nucléaires tactiques pour stopper une éventuelle offensive soviétique, les deux zones principales préparées étant en Allemagne le corridor de basse altitude vers Fulda et la grande plaine d’Allemagne du Nord, alors que des missiles étaient prévus pour la vallée du Danube.

En pratique, les bombes nucléaires tactiques, parfois pas plus grandes qu’une valise, et utilisées avec des torpilles, des obus d’artillerie, des ogives de missiles (pour avions et navires)… auraient été la principale arme du champ de bataille sur le théâtre européen dans les années 1980.

C’est également Dmitri Oustinov qui a organisé l’invasion de l’Afghanistan en 1979 et lorsqu’il est décédé en 1984, ses funérailles ont été retransmises à la télévision, chose particulièrement notable puisqu’il n’a officiellement jamais été un dirigeant de premier plan.

Dmitri Oustinov fut par ailleurs nommé maréchal de l’URSS, le plus haut titre militaire, alors qu’il n’a jamais fait partie de l’armée ; on est ici dans l’époque où les hauts responsables soviétiques paradent avec des tenues bardées de médailles, de manière caricaturale.

Il faut ici mentionner Nikolaï Chtchelokov (1910-1984), autre caricature médaillée. Il a été l’équivalent du ministre de l’Intérieur de 1966 à 1982, avant d’être chassé du PCUS en raison d’une affaire massive de corruption.

C’est le reflet d’une URSS totalement carbonisée dans la corruption, le népotisme, la bureaucratie, et qui tient dans la fuite en avant militaro-industrielle. Seule la militarisation permet d’asseoir le régime, avec les services secrets opérant à tous les niveaux pour maintenir par la force le capitalisme monopoliste d’État.

On est là dans la période où le social-impérialisme soviétique est à son apogée et où son échec apparaît comme inéluctable aux yeux de ceux qui ont compris les enseignements de Mao Zedong.

Le régime profite, en effet, des monopoles et de grandes ressources, ainsi que de l’élan de la période socialiste. Mais comme il est improductif en soi, la logique impérialiste est la seule qu’il puisse assumer, afin de chercher à se maintenir en élargissant sa base.

On a ainsi le paradoxe d’une URSS social-impérialiste qui dispose dans le cours des années 1980 d’une supériorité militaire relative sur son concurrent américain, dans pratiquement tous les domaines, mais qui est en même temps un colosse aux pieds d’argile.

Arsenal nucléaireÉtats-UnisURSS
19553 057200
196020 4341 605
196531 6426 129
197026 11911 643
197527 05219 055
198023 76430 062
198523 13539 197

(Il n’existe pas de chiffres pour les bombes tactiques soviétiques, mais on peut considérer qu’un tiers des armes nucléaires sont tactiques, en prenant comme référence l’armement des États-Unis.)

L’URSS s’était lancée dans une généralisation de son arsenal et de ses capacités ; on parle d’un gouffre financier, technique et industriel : toutes les ressources les plus vitales sont tournées vers l’armement.

Il y a l’obsession d’être en mesure de rivaliser et de surpasser la superpuissance impérialiste américaine.

1984OtanPacte de Varsovie
Personnel militaire4,5 millions6 millions
Tanks17 73046 230
Artillerie / mortiers14 70038 800
Transports blindés39 58094 800
Hélicoptères d’attaque9001 175
Aviation militaire2 990 (en Europe)7 430 (en Europe)
Missiles et bombardiers pour les bombes nucléaires1 9972 743

L’URSS devenue social-impérialiste, c’est avant tout un immense appareil militaro-industriel, avec une croissance ininterrompue des dépenses militaires : de 9 % pour 1961-1965 de 11,1 % pour 1966-1970, de 11,9 % pour 1971-1974.

Et la part du PIB allant à l’armée était immense : officiellement de 13,1 % en 1960, de 17,1 % en 1970, de 19,6 % en 1974, puis dans les années 1980 au moins 25 % (si ce n’est jusqu’à 40 % en comptant le plus largement).

Avant son effondrement, un adulte sur cinq travaillait en URSS pour le complexe militaro-industriel, alors que l’armée s’appuyait sur 5,3 millions de soldats.

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Le KGB en URSS social-impérialiste

Dès la mort de Staline, les révisionnistes procèdent à une réorganisation fondamentale des services secrets. Il meurt le 5 mars 1953 et le jour même on a la fusion du ministère de la Sécurité de l’État avec le ministère des Affaires internes, puis la mise en place le 13 mars 1954 du fameux KGB (Komitet gossoudarstvennoï bezopasnosti, Comité pour la sécurité de l’État).

C’est une structure militaire, dont les tâches concernent tous les aspects de sécurité : renseignement extérieur, contre-espionnage, activités de renseignement opérationnel, protection des frontières, protection des dirigeants, organisation et garantie des communications gouvernementales, ainsi que répression des criminels, des nationalistes, des dissidents et des activités antisoviétiques en général.

Le KGB devait également fournir aux dirigeants un panorama général de la situation intérieure et extérieure, dans tous les domaines : politiques, économiques, militaires, culturels, etc.

Dans ce cadre, le KGB était présent partout. S’appuyant sur 14 comités dans les Républiques soviétiques, il était actif dans les villes et les régions, les districts civils et militaires, les unités de l’armée, les transports, les institutions universitaires et de recherche, les entreprises, etc.

En pratique, cela signifie que le KGB assume des fonctions qui relèvent normalement du ministère de l’Intérieur. C’est un superorganisme relevant d’une perspective de capitalisme monopoliste d’État.

Il n’a pas de comptes à rendre, à part la direction du Parti ; il agit en dehors de la juridiction, à qui il remet éventuellement ensuite les accusés.

Le règlement de 1959 établit bien ce panorama :

« 9. Pour accomplir les tâches qui leur sont assignées, le Comité de sécurité de l’État et ses organes locaux ont le droit de :

a) mener des travaux de renseignement et opérationnels afin d’identifier et de réprimer les activités hostiles dirigées contre l’Union soviétique, pour lesquels disposer des agents nécessaires, créer des refuges et des refuges pour travailler avec des agents ;

b) procéder à des perquisitions, détentions et arrestations de personnes exposées ou soupçonnées d’activités criminelles conformément à la procédure établie par la loi ;

c) mener des enquêtes sur les cas de crimes d’État avec le transfert ultérieur des affaires à la juridiction ;

d) prendre des mesures spéciales visant à identifier et à réprimer les activités criminelles des agents de renseignement étrangers et des éléments antisoviétiques ;

e) en cas de besoin, en accord avec les chefs de police, impliquer des agents de police pour assurer l’accomplissement des tâches des organes de sécurité de l’État ;

f) tenir des registres opérationnels des criminels d’État et des personnes faisant l’objet d’une enquête parce qu’elles sont soupçonnées d’appartenir à des agences de renseignement étrangères, de participer à des organisations antisoviétiques et d’autres activités hostiles ;

g) vérifier l’état du travail des services de cryptage et des bureaux secrets dans les ministères et départements, ainsi que dans les entreprises et institutions qui leur sont subordonnées ;

h) effectuer des contrôles spéciaux sur les personnes dont le service est lié à la préservation des secrets d’État et militaires, ainsi que sur celles voyageant à l’étranger et celles entrant en URSS à l’étranger ;

i) mener, sous la supervision du parquet, des enquêtes sur les cas de délits commis par des officiers, sous-officiers, employés et ouvriers du KGB, si les délits commis sont liés aux activités opérationnelles des agences de sécurité, avec les suites transfert des affaires à la juridiction ;

j) publier de la littérature, des supports pédagogiques et visuels sur des questions relevant de la compétence du Comité »

On a ici une grande différence avec le cadre socialiste précédent, qui insistait particulièrement sur la notion de droit. Le social-impérialisme soviétique fait sauter le droit et le KGB est là pour aménager les choses, avec cynisme et malfaisance.

Dans le cadre socialiste, la répression était liée aux contradictions dans le cadre de la lutte des classes, elle obéissait à la ligne décidée à tel ou tel moment par le Parti.

Le KGB agit lui dans un cadre où l’opposition ne peut pas exister, car la société est censée être socialiste et le Parti celui du peuple tout entier, comme l’affirme la constitution soviétique de 1977. Cela fait que le KGB agit de manière non officielle par principe, pour masquer des oppositions qui ne sont pas censées exister.

On est ici en plein terrorisme d’État, avec une dimension immense dans toute la société.

Le paradoxe est que, initialement, Nikita Khrouchtchev procède à un double affaiblissement de la structure. D’abord, il y a une réduction de moitié de son personnel. Cela ne va pas durer : le KGB va rapidement gonfler massivement ses effectifs, qui seront autour de 500 000 personnes.

Ensuite, le KGB n’est pas un organe central, mais un « département », relevant du Conseil des ministres.

Cela va toutefois être modifié en juillet 1978, le KGB ayant désormais le niveau d’un « comité d’État », en tant que « Comité de sécurité de l’État de l’URSS ».

On a ici l’apogée du KGB : son président depuis 1967, Iouri Andropov, a été élu membre du Bureau Politique en 1973 et il va devenir secrétaire général du Parti Communiste d’Union Soviétique en 1982, ainsi que président du Præsidium du Soviet suprême de l’URSS en 1983.

Qu’est-ce qui a changé ? C’est qu’il a fallu, dans le contexte de systématisation de la nomenklatura comme classe dirigeante, mettre en place une forme toujours plus terroriste.

Le KGB procède dans le pays par menaces, pressions psychologiques, tabassages, arrestations hors cadre juridique. Il infiltre, il sabote, il manipule, il utilise la rumeur, la désinformation, la provocation.

Il met à mal dans le domaine professionnel et personnel ; il déporte hors des grandes agglomérations.

Il agit de manière préventive, comme le souligne en octobre 1983 ce message de Victor Chebrikov , dirigeant du KGB de 1983 à 1988 :

« Dans le contexte d’une forte augmentation des tensions internationales et des activités clandestines et subversives de l’ennemi, le travail préventif des services de sécurité de l’État revêt une importance encore plus grande, car il constitue l’une des méthodes efficaces pour protéger notre État et notre société contre les empiétements des forces hostiles au socialisme.

À cet égard, le Collège du Comité de sécurité de l’État de l’URSS a jugé bon de s’adresser à la direction et aux agents du KGB dans une lettre intitulée ‘‘Mesures visant à améliorer le travail de prévention effectué par le service de sécurité de l’État’’. »

Le KGB n’attend pas que des initiatives se prennent, il agit le plus en amont possible, et il cherche à briser totalement, dès le départ.

Il enferme s’il le faut dans des prisons psychiatriques, où le prisonnier se voit placé dans des conditions d’enfermement sordides, pour être brutalisé, tabassé, recevoir des électro-chocs et des neuroleptiques, des comas hypoglycémiques artificiels, etc.

Il utilise également tous les leviers de l’opinion publique, notamment les médias. Cela fonctionnait naturellement de manière indirecte surtout, mais également directe : il y avait à ce titre un prix du KGB dans le domaine de la littérature et de l’art pour des écrivains, des réalisateurs, des acteurs.

Il y eut d’ailleurs des tentatives de faire comme le fait la superpuissance impérialiste américaine et de soutenir des films allant dans le sens d’une valorisation des services spéciaux (Opération Trust en 1965, Le Glaive et le Bouclier en 1968, Dix-sept Moments de printemps en 1973, L’option Omega en 1975, TASS est autorisé à déclarer… en 1984, ou encore la série Frontière d’État en 1980-1988).

Le dispositif est donc complet et la pression maximale. Ne pas s’aligner sur le Parti Communiste d’Union Soviétique et les exigences générales de la nomenklatura, c’était forcément se confronter au KGB, agissant comme force de frappe.

Le KGB organise une surveillance systématique quand il est lancé, depuis les écoutes téléphoniques jusqu’aux filatures, les lectures du courrier, etc. Il ne s’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas mis au pas la personne ciblée, d’une manière ou d’une autre.

C’est une politique de l’écrasement, qui s’est systématisé de plus en plus. Il y a ainsi eu la mise en place de départements régionaux, avec une supervision de pratiquement toutes les entreprises et toutes les organisations du pays.

Aucun domaine n’échappe au KGB alors… à part, naturellement, les bastions de la classe dirigeante : le KGB ne pouvait pas toucher ni au Parti, ni à la nomenklatura, ni aux syndicats.

Comme il avait en plus la responsabilité de la sécurité des dirigeants, le KGB était ainsi fondamentalement le bras armé de la dictature du capitalisme monopoliste d’État.

Cela avait son prix, bien sûr. Ses membres étaient en général des privilégiés sur le plan social, avec un grand décalage par rapport au ministère de l’Intérieur et de l’armée.

Ses responsables pouvaient rejoindre de « bonnes places » dans le Parti et la nomenklatura, et inversement.

Et si le KGB était hyper discipliné, avec une grande surveillance quant à d’éventuels pots-de-vin et autres moyens de corruption, la position des membres du KGB était tel dans la société que même pour les pour les positions inférieures, il était facile de profiter des différentes situations sur le plan personnel.

C’était un jeu d’équilibriste entre la nomenklatura et le KGB pour le maintien du régime, alors que le complexe militaro-industriel était le vecteur d’une expansion générale. On est en pleine démesure du capitalisme monopoliste d’État.

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Les pénuries permanentes, la mafia et la débrouille en URSS social-impérialiste

Lorsqu’on est dans une situation de monopole, le seul facteur qui permet d’aller de l’avant est subjectif. C’est la détermination politique qui a fait que la planification socialiste avec Staline ne s’est jamais enlisée, mais au contraire a toujours ouvert de nouveaux champs au possible.

Le triomphe du révisionnisme en 1953 change naturellement la donne. La situation monopolistique ne consiste plus qu’en une machine à rentes pour une couche parasitaire. Si au départ, il y avait encore peut-être une forme de mauvaise conscience ou l’envie de bien faire, plus on avance dans le temps, et plus l’URSS social-impérialiste devient un monument de cynisme et de pénuries.

Le contraste avec la croissance formidable de l’URSS dirigée par Staline est immense. L’URSS connaît une stagnation générale – d’où la fuite en avant belliciste justement dans le complexe militaro-industriel tout puissant.

Le seul moyen pour des monopolistes d’État de maintenir leur existence sans s’effondrer est en effet la conquête. C’est la raison pour laquelle Mao Zedong considérait l’URSS social-impérialiste comme la principale menace pour la paix mondiale dans les années 1970, et ce d’autant plus que l’URSS était le challenger de la superpuissance impérialiste américaine.

Dans les années 1960-1980, la population soviétique manque de tout : vêtements, chaussures, appareils électroménagers, meubles, voitures, etc., alors qu’inversement la société de consommation se développe dans les pays capitalistes.

Grosso modo, au début des années 1970, 77 % des gens n’ont pas de douche ou de baignoire, 67 % n’ont même pas l’eau courante.

75 % n’ont pas de chauffage central, 73 % n’ont pas accès aux égouts depuis leur logement, et de toutes façons 30 % des villes et 60 % des petites localités n’ont pas de système d’égouts, 5 % des villes et 15 % des petites localités de l’URSS ne disposent même pas d’un système centralisé d’approvisionnement en eau !

64 % des gens disposent de moins de 10 mètres carrés d’espace de vie par personne, 40 % n’ont pas de télévision, 90 % pas de magnétophone, 90 % pas de téléphone.

Reflet de l’existence d’une grande bourgeoisie parasitaire dans le cadre du capitalisme monopoliste d’État : 11 % des gens ont une moto, 2,3 % une voiture, 1 % une datcha personnelle, 1 % un appartement en coopérative.

L’exemple de la voiture est bien connu. L’URSS produisait en 1970 moins de 400 000 voitures, la France au même moment 2,7 millions ! Même dix ans plus tard, l’URSS n’en produisait que 1 300 000, et ce sera le pic en ce domaine.

Et sur ce faible nombre, 10 % étaient réservées aux organismes d’État (soit la quasi-totalité des plus prestigieuses, notamment les Volga), plusieurs centaines de milliers étaient exportées (notamment les fameuses Lada), les membres de la nomenklatura étaient prioritaires.

Dans certains domaines, l’URSS social-impérialiste s’était bien placée : elle était au premier rang dans plusieurs domaines.

On parle ici du pétrole et de l’acier, de la fonte et du coke. Mais également des locomotives diesels et électriques, des tracteurs (5 fois plus qu’aux États-Unis) et des moissonneuses-batteuses (15 fois plus qu’aux États-Unis).

Des réfrigérateurs et des chaussures en cuir, du lait et de l’huile animale, des tissus en laine et de deux en coton, des préfabriqués en béton et du caoutchouc synthétique, des tubes en acier et du gaz naturel, du bois de construction et des briques.

La moitié des réacteurs à l’uranium et des engins spatiaux étaient alors soviétiques.

Mais en termes d’appareils électroménagers, l’URSS produisait des dizaines de fois moins que la superpuissance impérialiste américaine, et pareillement sept fois moins de papier et de carton, cinq fois moins de plastique.

Sur le plan de l’électronique, c’était un désastre : l’URSS avait 10, 15 ans de retard, et cela va toujours plus la marginaliser dans tous les domaines.

Ce contexte amena la systématisation de la mafia. Dans certaines zones, tout s’achetait, même le poste de secrétaire du comité régional du Parti, ou bien le poste d’agent de police s’occupant de la circulation.

L’accaparement était une norme et la mafia servait d’intermédiaire. Tout le monde se servait au passage lorsqu’il le pouvait et cela donnait naissance à différents systèmes pour placer, masquer l’argent.

Toute activité systématique était ciblée, que ce soit la production de coton en Ouzbékistan ou l’importation de blé depuis les pays occidentaux, ou bien à petite échelle, avec les gens s’occupant de transporter et de découper la viande.

Il était impossible de sortir de chez soi sans disposer d’un petit sac en tissu muni d’une ficelle pour le fermer, au cas où on trouverait quelque chose à vendre. Même les files d’attente devant les magasins étaient prétextes à la vente de bonnes places (donnant naissance au dicton « Si vous faites bien la queue, vous n’êtes pas obligés de travailler »).

Les scandales éclatent ainsi malgré la tentative de cacher les faits, comme l’affaire des changeurs de devises étrangères en 1961, devenue retentissante au point qu’il y eut trois procès différents aboutissant finalement à des condamnations à mort.

Il y eut la mafia des fourrures, en 1974, où les protagonistes furent arrêtés avec des millions de roubles, des centaines de kilos de pierres précieuses et de métaux précieux, avec plusieurs condamnations à mort à la clef.

Il eut l’affaire des poissonneries « okean », où on s’est perçu que les produits de la pêche étaient massivement volés et revendus au marché noir, avec un trafic de caviar avec l’occident.

À cette occasion, dans la région de Krasnodar, 5 000 fonctionnaires furent démis de leurs fonctions, 15 00 personnes condamnées, dont Berta Borodkina la cheffe d’un service de restauration qui fut exécutée en 1985, alors que le maire de Guelendjik, Nicolaï Pogodine, a « disparu » (sans doute en s’enfuyant en Turquie).

15 000 autres personnes furent poursuivies lors de l’affaire des épiceries Eliseyevsky, son responsable Iouri Sokolov étant exécuté en 1984. L’affaire du coton ouzbek, avec des sommes phénoménales détournées par la direction du Parti en Ouzbékistan, fut retentissante dans les années 1980, avec l’appareil d’État local pratiquement purgé.

Lorsque Ekaterina Fourtseva, ministre de la Culture de 1960 à 1974, se fit accuser par le Bureau politique du Parti d’avoir pris des matériaux pour la rénovation du Bolchoï pour sa propre datcha, elle leur répondit : « Il n’y a pas lieu de m’en vouloir ! Regardez-vous ! ».

Dans tous les cas, les Soviétiques fonctionnaient sur le principe du « blat », c’est-à-dire des services rendus les uns aux autres, afin d’avoir accès à telle marchandise, d’être plus haut sur une liste d’attente pour un médecin, etc.

Tous ceux qui ont des contacts avec les étrangers – les guides touristiques, les traducteurs, les chauffeurs de taxi, les prostituées – en profitaient pour acheter des marchandises occidentales, afin de les revendre.

La tendance se généralise et il est considéré qu’autour de 10 % des travailleurs soviétiques relèvent d’activités illégales.

On est dans une logique de troc à l’ombre du capitalisme monopoliste d’État : ce dernier assèche tous les rapports sociaux et provoque la renaissance des formes primitives d’échange.

Pour maintenir de l’ordre dans une telle situation, il faut une dictature terroriste. Son vecteur, c’est le KGB.

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La nomenklatura en URSS social-impérialiste

La couche dominante de l’URSS social-impérialiste tient en une « nomenklatura » (du latin nomenclatura signifiant « liste de noms), dont les rouages internes sont les apparatchiks (les cadres de l’appareil).

Son vecteur, c’est le Parti Communiste d’Union Soviétique ; ses moyens, ce sont toutes les institutions, depuis les différentes industries jusqu’aux médias, en passant par le gouvernement, l’armée, les diverses administrations, l’école et la police, etc.

Le terme de nomenklatura s’est imposé, car les élections à chaque niveau passaient par des listes de candidats dûment sélectionnés au préalable, que ce soit du côté du Parti pour le comité de district, le comité municipal, le comité régional, l’appareil, mais aussi du côté des institutions et de l’armée.

À l’époque de Staline, c’est la ligne politique qui décide de la nomination par l’appareil du Parti ; si l’idéologie est mise à l’arrière-plan, il était nécessaire de s’aligner sur les décisions effectuées par le Parti en termes stratégiques et tactiques dans le pays en construction.

Avec la prise du pouvoir des révisionnistes dans le Parti, ce qui compte ce n’est plus la ligne politique que le soutien fervent au régime et à sa stabilité. Nikita Khrouchtchev avait essayé de promouvoir au début une certaine exigence d’engagement, mais l’absence de croissance « spontanée » de l’économie fit s’échouer une telle exigence.

C’est qu’installés dans les rouages du Parti, de l’État et de l’armée, les révisionnistes tendaient immanquablement à se comporter de plus en plus comme des bureaucrates cherchant à profiter de la moindre faille pour pratiquer le népotisme et la corruption.

Initialement, les cadres disposaient bien d’avantages matériels : il s’agissait de faire en sorte qu’ils puissent vivre bien, afin que leurs activités si importantes puissent être réalisées en profitant d’un cadre adéquat.

Avec le révisionnisme, ces avantages sont devenus des privilèges et une séparation complète s’est réalisée sur le plan du mode de vie entre la population et la couche dominante.

Il y a ainsi déjà le rapport hiérarchique. Ce sont les membres de cette nomenklatura qui disposent d’un téléphone et qui sont en mesure de faire passer de bons « conseils », afin que les choses se déroulent plutôt d’une manière que d’une autre.

Il y a ensuite la séparation matérielle. La nomenklatura disposait de lieux d’achats lui étant réservés, avec des biens non disponibles ailleurs et avec un approvisionnement toujours assuré.

C’était ici un détournement des services d’approvisionnement des travailleurs des grandes entreprises, qui existaient parallèlement aux magasins d’État. Et plus l’économie du social-impérialisme soviétique s’enlisait, plus la différence entre la consommation des masses et celle de la nomenklatura devenait marquante.

Cela devint d’autant plus vrai que la nomenklatura avait accès à des logements spécifiques, que des services de santé lui étaient réservés, qu’il y avait accès à l’achat d’automobiles du type berline (à une époque où les voitures étaient elles-mêmes un luxe, de par le prix et la difficulté d’accès).

L’un des aspects les plus ignobles fut le rôle de la chaîne de magasins Beryozka, présents dans les grandes villes et les zones de villégiatures, où l’on payait en devises étrangères. C’était l’irruption des dollars comme moyen de paiement et un exemple de lieu de consommation relevant d’une approche oligarchique.

Et pour contribuer d’autant plus à la capacité à utiliser ces devises étrangères par la nomenklatura, d’innombrables voyages à l’étranger étaient financés au nom de différents organismes, comme le Fonds de défense de la paix, avec à chaque fois des sommes remises aux participants.

Un magasin Beryozka

Quelle était la dimension numérique de la couche dominante s’érigeant en classe dominante du capitalisme monopoliste d’État ?

Pendant la période socialiste, les chiffres étaient les suivants. En 1925, le Parti disposait d’une nomenklatura de 6 000 personnes. En 1953, celle-ci tenait à 53 000 personnes pour la liste du Comité Central, à 350 000 personnes pour les comités du Parti.

Notons ici que les retraites des membres de la nomenklatura de l’époque socialiste étaient inférieures à celles des métallurgistes, des géologues, des cheminots, des ouvriers du secteur pétrolier, des médecins, des enseignants, des travailleurs des stations rurales de machines et de tracteurs, des marins.

Puis vient, donc, le révisionnisme, qui récupère le pouvoir sur les listes et instaure le nouveau régime. Au départ, les proportions sont les mêmes : 400 000 personnes à l’époque de Nikita Khrouchtchev, puis 750 000 personnes pour la période de Léonid Brejnev.

Il faut ajouter la famille proche et on parle donc d’environ 4 millions de personnes, pour une population totale de 255 millions. C’est exemplaire d’une situation relevant du capitalisme monopoliste d’État.

La part de la Russie dans cette nomenklatura était bien entendu très importante ; il y a un retour du chauvinisme grand-russe parallèlement au triomphe du révisionnisme. En 1972, il y a seulement 3 376 personnes relevant de la nomenklatura en Biélorussie, sur une population de 9 millions d’habitants.

Et au sein de la nomenklatura, il y a différents degrés. La nomenklatura relevant du Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique formait bien entendu l’élite, avec 22 500 personnes en 1980. On a ici la tête du capitalisme monopoliste d’État.

Les autres degrés relèvent des différents niveaux de décision du Parti, avec les comités centraux, les comités régionaux, les comités municipaux… qui se conjuguent, différemment selon les situations mais tendanciellement de manière obligatoire, avec les organes de décision de l’armée et de l’économie.

On trouve ici les directeurs des entreprises, les ingénieurs en chef, les experts-comptables, les chefs des bureaux, les hauts responsables syndicaux, les cadres du service diplomatique, le haut personnel militaire, les cadres des services spéciaux du type KGB, etc.

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L’URSS capitaliste monopoliste d’État

L’URSS était socialiste, mais pas seulement en raison de la propriété collective des moyens de production. Cet aspect concerne le mode de production, mais tant qu’on n’est pas à un certain niveau de développement des forces productives, il y a encore la lutte des classes, et elle s’exprime par la planification.

Loin de consister en des décisions simplement administratives, la planification socialiste répond à des exigences historiques de transformation décidées par le Parti. Lorsque les choix sont mauvais, le camp du prolétariat est affaibli : le développement des forces productives se fait de manière chaotique et donc hostile pour lui, l’idéologie socialiste dominante se voit être attaquée.

Les deux titans, Mao Zedong et Staline, à Moscou

Mao Zedong a reproché à Staline d’avoir une lecture trop mécanique du développement des forces productives, de sous-estimer la question de la lutte des classes. Cela est juste, Staline considérant de manière erronée que le socialisme avait triomphé et qu’un retour en arrière ne serait plus possible.

C’est pourquoi il portait toute son attention sur la question du mode de production seulement, y voyant bien que les luttes de classe pourtant censées être non existantes y apparaissaient, mais sans comprendre de quelle manière précisément, d’où ses décisions de type administratives-répressives surtout.

C’est cette erreur de sous-estimation de l’idéologie et de la culture qui a abouti à la défaite du socialisme en URSS, avec l’appareil du Parti et de l’État s’alignant sur le révisionnisme, sur l’accaparement des richesses en se fondant sur une installation corrompue dans les rouages politico-administratifs et militaires.

Comme la planification est portée par un appareil administratif, forcément le triomphe des révisionnistes dans le Parti et l’État implique celui-ci également. Et comme dans le socialisme, cet appareil est porté par la subjectivité révolutionnaire, alors forcément la victoire de l’opportunisme et du carriérisme empêche tout fonctionnement correct.

La planification devient une coquille vide sur le plan du contenu subjectif. Cela devient une bureaucratie – et une bureaucratie au pouvoir, puisque la propriété est collective et administrée par l’État.

C’est ainsi un capitalisme monopoliste d’État. Les monopoles de type socialiste restent des monopoles, mais leur gestion subjective révolutionnaire passe aux mains de révisionnistes, qui l’utilisent pour en tirer profit.

Comme l’aspect principal est la lutte de classe, le mode de production se modifie en fonction de celle-ci, afin d’asseoir, de renforcer et de développer l’appropriation par la petite couche privilégiée.

En URSS, dans les années 1950-1960, cela consiste en la mise en place d’un complexe militaro-industriel qui ne va plus cesser de grandir, jusqu’à représenter dans les années 1980 une immense part de l’économie – autour de 40 %.

L’URSS pratique alors un régime intérieur littéralement terroriste. Même si la couche dominante ne le voulait pas – et au début, elle ne le voulait pas, d’où la prise du pouvoir de Nikita Khrouchtchev – l’existence même d’une base sociale monopoliste implique la logique d’écrasement.

La couche sociale dominante, de par sa position, devenait immédiatement une grande bourgeoisie, aux commandes de monopoles. Mao Zedong résuma donc fort justement la situation de l’URSS social-impérialiste en disant que :

« En URSS aujourd’hui, c’est la dictature de la bourgeoisie, la dictature de la grande bourgeoisie, c’est une dictature de type fasciste allemand, une dictature hitlérienne. »

Une base militaire en Mongolie où les soldats soviétiques sont avertis de la présence des « sauvages Chinois » à six kilomètres

Il faut bien saisir la différence avec Léon Trotsky, qui fut le premier grand dénonciateur de l’URSS. Celui-ci considérait que l’URSS était un « État ouvrier dégénéré ». Il ne comprenait pas ce qu’est la politique, aussi se contentait-il de regarder de manière formelle les titres de propriété.

D’où sa conception aberrante d’un État à la fois socialiste et capitaliste, comme ici dans La révolution trahie, publiée en 1936.

« Les normes bourgeoises de répartition, en hâtant la croissance de la puissance matérielle, doivent servir à des fins socialistes.

Mais l’État acquiert immédiatement un double caractère : socialiste dans la mesure où il défend la propriété collective des moyens de production ; bourgeois dans la mesure où la répartition des biens a lieu d’après des étalons capitalistes de valeur, avec toutes les conséquences découlant de ce fait. »

D’où, selon Léon Trotsky, soit une « révolution » pour chasser la bureaucratie parasitaire, soit une restauration du capitalisme :

« L’U.R.S.S. est une société intermédiaire entre le capitalisme et le socialisme, dans laquelle :

a) les forces productives sont encore trop insuffisantes pour donner à la propriété d’État un caractère socialiste ;

b) le penchant à l’accumulation primitive, né du besoin, se manifeste à travers tous les pores de l’économie planifiée ;

c) les normes de répartition, de nature bourgeoise, sont à la base de la différenciation sociale ;

d) le développement économique, tout en améliorant lentement la condition des travailleurs, contribue à former rapidement une couche de privilégiés ;

e) la bureaucratie, exploitant les antagonismes sociaux, est devenue une caste incontrôlée, étrangère au socialisme ;

f) la révolution sociale, trahie par le parti gouvernant, vit encore dans les rapports de propriété et dans la conscience des travailleurs ;

g) l’évolution des contradictions accumulées peut aboutir au socialisme ou rejeter la société vers le capitalisme ;

h) la contre-révolution en marche vers le capitalisme devra briser la résistance des ouvriers ;

i) les ouvriers marchant vers le socialisme devront renverser la bureaucratie. La question sera tranchée en définitive par la lutte de deux forces vives sur les terrains national et international. »

Léon Trotsky n’avait rien compris à ce qu’est le capitalisme dans sa version monopoliste, d’où d’ailleurs son incompréhension du fascisme, qu’il s’imaginait être porté par des aventuriers, des gangsters et des déclassés. Il n’a pas compris ce qu’est la grande bourgeoisie.

Le fétichisme du droit par Léon Trotsky est tout à fait emblématique du problème. Le capitalisme monopoliste d’État est par nature parasitaire, c’est une force pratiquant l’exploitation tellement de manière ultra-capitaliste qu’elle se retourne en son contraire et retourne pratiquement au féodalisme.

C’est pourquoi la couche dominante n’est plus à s’ennuyer avec des titres de propriété, une accumulation personnelle de capital. Tout devient fondamentalement impersonnel, bureaucratique.

On s’imagine bien que dans le cadre d’un tel régime, la crise interne est perpétuelle, en raison du manque de développement possible, tout étant figé.

C’est le sens précisément de la seule opposition possible en l’absence de compréhension matérialiste dialectique : la « dissidence », qui oscille entre socialisme humaniste et appel au libéralisme, pour justement en finir avec les blocages bureaucratiques permanents.

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La « réforme » de 1965 en URSS dans ce qu’elle reflète

Devant l’incapacité de Nikita Khrouchtchev à assurer le succès de l’économie planifiée sans planification du type de celle de Staline, c’est Léonid Brejnev qui se retrouve à la tête de l’URSS en 1964 et, immédiatement, on a une vaste réforme dès 1965, due à l’économiste Evseï Liberman (1897-1961).

Celui-ci a été mis en avant par Alexeï Roumiantsev (1905-1993), un économiste membre du Comité Central et notamment rédacteur en chef de 1955 à 1958 de la revue du Comité Central « Kommunist » (qui s’appelait « Bolchevik » avant le 19e congrès de 1952). Il fut également le rédacteur en chef de la Pravda en 1964-1965.

C’est justement lorsque Alexeï Roumiantsev fut rédacteur en chef de « Kommunist » qu’y parurent plusieurs articles d’Evseï Liberman, ce qui pava la voie à la publication par la Pravda la publication d’un long article de lui, le 9 septembre 1962 : « Le Plan, le profit, la prime ».

Evseï Liberman

L’article est alors mis en avant, il est appelé à le lire, à l’étudier, à en discuter. C’est une opération idéologique, avec une présentation en ce sens de la Pravda.

« Les documents publiés dans la Pravda sur l’amélioration de la gestion et de la planification économiques suscitent un grand intérêt du public. Des questions importantes et fondamentales sont soulevées dans l’article publié aujourd’hui par le docteur en économie E. Lieberman.

La rédaction de la Pravda, attachant une grande importance à ces questions, invite les économistes universitaires, les travailleurs de l’industrie, les autorités de la planification et de l’économie à exprimer leurs opinions sur les propositions concrètes de l’auteur de l’article. »

Que dit l’article ? Il présente comme essentielle la tâche suivante :

« Construire un système de planification et d’évaluation du travail des entreprises afin qu’elles s’intéressent d’une manière vitale au les objectifs les plus élevés prévus, dans l’introduction de nouvelles technologies et l’amélioration de la qualité des produits, en un mot, dans la plus grande efficacité de production. »

Evseï Liberman explique alors la chose suivante : il faut permettre aux entreprises de disposer de leur propre plan de production, d’élaborer leur propre rentabilité et de les pousser à aller en ce sens avec des incitations financières.

Cela ne coûterait rien du tout à l’État, car les incitations seraient le reflet de la hausse de la rentabilité seulement.

« Il n’y a aucun danger pour les recettes budgétaires : au contraire, il y a lieu de s’attendre à une augmentation significative des recettes de l’État sous l’influence du fort intérêt matériel des entreprises à une augmentation générale des bénéfices. »

Ces incitations seront fournies non pas selon le résultat seulement, mais également sur le résultat prévu. Evseï Liberman considère que l’incitation doit être au milieu de ce qui a été prévu par l’entreprise et ce qui a été réalisé vraiment (en considérant que la réalisation est meilleure que ce qui a été prévu).

Le but étant bien sûr ici de pousser les entreprises à viser haut, pour disposer d’incitations plus grandes en retour une fois le travail accompli. Il s’agit de casser leur tendance à surestimer les coûts des matériaux, des outils, de l’énergie, etc. pour demander des fonds à l’État.

Peut-alors encore parler d’économie planifiée depuis un centre ? Evseï Liberman affirme que oui :

« Une question naturelle se pose : le principe centralisé de notre planification sera-t-il préservé et renforcé ?

On peut affirmer avec raison que la procédure proposée libérera la planification centralisée de la supervision mesquine des entreprises, des tentatives coûteuses d’influencer la production non pas par des mesures économiques, mais par des mesures administratives.

Les réserves sont mieux connues et ne peuvent être révélées que par l’entreprise elle-même. Mais pour ce faire, il ne faut pas craindre que son bon travail se mette dans une position difficile l’année prochaine.

Tous les principaux leviers de la planification centralisée : les prix, les finances, le budget, la comptabilité, les gros investissements en capital et enfin, tous les coûts, la main-d’œuvre et les indicateurs naturels les plus importants des tarifs, des proportions dans la sphère de la production, de la distribution et de la consommation seront entièrement déterminés depuis le centre. »

Evseï Liberman propose donc une décentralisation : on indique aux entreprises quoi faire et on leur donne les moyens de faire comme elles l’entendent, avec des primes quand ça fonctionne bien.

Or, on voit tout de suite la dimension capitaliste, dans la mesure où l’entreprise fait des bénéfices sous la forme de primes. Mais il dit que comme le reste de l’économie est encadrée, ce n’est pas vraiment du capitalisme.

« Le système proposé repose sur le principe : ce qui est bénéfique à la société doit l’être à chaque entreprise. Et, à l’inverse, ce qui n’est pas rentable pour la société doit être extrêmement désavantageux pour l’équipe de toute entreprise.

Certains économistes disent qu’il ne faut pas trop insister sur le profit, qu’il s’agit d’un indicateur capitaliste. Ce n’est pas vrai ! Notre profit n’a rien de commun avec le profit capitaliste.

L’essence de catégories telles que le profit, le prix et l’argent est complètement différente dans notre pays et elles servent avec succès la construction du communisme.

Notre profit, compte tenu des prix planifiés des produits du travail et utilisant le revenu net au profit de l’ensemble de la société, est le résultat et en même temps un indicateur (sous forme monétaire) de l’efficacité réelle des coûts de main-d’œuvre. »

Et Evseï Liberman de proposer les mesures suivantes :

« Alors, que propose-t-on exactement pour améliorer les choses ?

1. Établir que les plans des entreprises, après coordination et approbation du programme de nomenclature volumétrique, sont entièrement élaborés par les entreprises elles-mêmes.

2. Afin de garantir l’intégrité de l’État et l’intérêt des entreprises à une efficacité de production maximale, créer un fonds unique pour tous les types d’incitations matérielles en fonction de la rentabilité (du bénéfice en pourcentage des fonds de production).

3. Approuver de manière centralisée comme normes à long terme des barèmes d’incitation en fonction de la rentabilité pour diverses industries et groupes d’entreprises situés à peu près dans les mêmes conditions naturelles et techniques.

4. Renforcer et améliorer la planification centralisée en confiant les tâches obligatoires (chiffres de contrôle) uniquement aux conseils économiques (comités exécutifs, départements). Éliminer la pratique consistant à répartir les tâches des conseils économiques entre les entreprises en fonction du « niveau atteint ». Obliger les conseils économiques, sur la base de l’analyse économique, à vérifier, évaluer et améliorer les plans élaborés de manière indépendante par les entreprises sans modifier les échelles de rentabilité comme base pour encourager les entreprises.

5. Élaborer une procédure d’utilisation des fonds d’incitation unifiés provenant des bénéfices des entreprises, en gardant à l’esprit l’élargissement des droits des entreprises à dépenser des fonds pour les besoins d’incitations collectives et personnelles.

6. Établir le principe et la procédure de tarification flexible des nouveaux produits de manière à ce que des produits plus efficaces soient rentables tant pour les producteurs que pour les consommateurs, c’est-à-dire pour l’économie nationale dans son ensemble. »

Il faut ici être dialectique. Il est absolument erroné de considérer que les révisionnistes « pensent » et organisent rationnellement un retour du capitalisme en URSS. Paradoxalement, les critiques du révisionnisme ont pourtant toujours considéré la réforme de 1965 comme l’exemple même du choix du retour au capitalisme effectué par les révisionnistes.

En réalité, la réforme de 1965 n’est pas à lire comme une possibilité dans le futur proche, mais comme le reflet d’une transformation ayant déjà eu lieu. La réforme n’est là que pour servir de reconnaissance juridique à une situation déjà existante.

En l’absence d’exercice du pouvoir sur une ligne socialiste, chaque élément des institutions et de l’État s’est transformé en zones de captation de la richesse nationale. Chaque entreprise est, en ce sens, devenu un « royaume indépendant ».

La réforme de Lieberman dit en fait : il faut que l’appropriation des richesses par les couches dirigeantes ne soit plus menée sur le tas, par en bas, localement, mais passe par un système ouvert et officiel de redistribution.

Cela implique que les entreprises comme « royaumes indépendants » s’alignent sur des exigences non plus simplement parasitaires, mais capitalistes concurrentiels, tout en restant couvertes de toutes façons par l’État.

C’est que nous sommes dans une URSS capitaliste monopoliste d’État.

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La crise de 1964 du social-impérialisme soviétique

Les grandes réformes des salaires de 1956 ouvraient la voie à une forme standardisée de salariat. Il ne restait plus qu’à formaliser l’envers – la capacité de chaque unité productive à agir elle-même de manière capitaliste.

Il ne faut nullement considérer cela, comme c’est malheureusement tout le temps le cas, comme un « choix » de la part des révisionnistes. Il est parlé de restauration du capitalisme, comme si c’était un objectif rationnel, conçu en pleine conscience.

Ce n’est pas le cas, ni objectivement, ni même subjectivement, car même si l’opportunisme et le carriérisme cynique prenaient toujours davantage le dessus, c’est en toute sincérité, mêlée de toujours plus de corruption, qu’agissaient les grandes figures à la tête de l’URSS.

C’est d’ailleurs pour cela que l’URSS pouvait fonctionner jusqu’au milieu des années 1980, portée par une génération passée par les années 1920-1940 et leurs immenses exigences sur le plan de l’initiative et de l’organisation.

Pour cette raison, la réforme de 1967 n’est pas un choix, mais une obligation de la part du révisionnisme qui a pris les commandes en URSS et qui s’installe comme classe dominante depuis la superstructure étatique.

Quel est le processus ?

Nikita Khrouchtchev avait modifié le rapport aux salaires et procédé à une vague de décentralisation créant de multiples organismes à différentes échelles. Son idée était que la croissance due à la planification fonctionnerait dans tous les cas, mais qu’il fallait supprimer la centralisation « stalinienne ».

D’où la mise en place de régions économiques administratives et de Conseils de l’économie nationale au niveau local : c’en était fini de la gestion par en haut et par secteurs.

Et afin d’asseoir cette réorganisation économique, une modification générale des divisions administratives soviétiques fut également menée. D’un côté, le nombre de districts a été considérablement réduit (de 3 421 à 1 711), de l’autre il y a eu une division entre districts industriels et districts ruraux.

C’était, bien évidemment, pour renforcer le pouvoir local de l’administration révisionniste, en la faisant se coller aux unités de production. Les révisionnistes installés confortablement dans le Parti et l’administration devaient profiter tranquillement du développement général de l’économie, en se comportant comme les dirigeants de royaumes indépendants.

Ils pouvaient vivre en privilégiés tout en s’imaginant servir le processus général de « construction du socialisme ». Surtout que le plan devenu septennal en 1956 prévoyait une croissance de 80 % !

Toutefois, immanquablement, en cassant la centralisation autant que possible afin d’empêcher une expression « stalinienne », l’économie soviétique a été de fait désorganisée.

L’exemple le plus significatif touche la conquête spatiale, un thème qui fut absolument essentielle en URSS socialiste, dès les années 1930.

Profitant des acquis socialistes, l’URSS révisionniste parvint à une série de grands succès. L’ère spatiale de l’humanité s’ouvre avec l’envoi dans l’espace, en orbite, du satellite Spoutnik-1 le 4 octobre 1957.

Suivent l’envoi du premier homme dans l’espace, Youri Gagarine, le 12 avril 1961, et de la première femme dans l’espace, Valentina Terechkova, le 16 juin 1963.

Le premier être vivant dans l’espace fut également soviétique, c’est la chienne Laïka, 3 novembre 1957, dont la mort fut par contre programmée à la base, ce qui provoqua alors une véritable avalance de critiques, en URSS et à l’étranger. Par contre, les chiennes Belka et Strelka sont revenus de leur voyage forcé consistant en 17 orbites complètes autour de la Terre, le 19 août 1960.

Youri Gagarine

Mais l’URSS étant ce qu’elle était, la premièce place dans la conquête spatiale fut perdue au profit de la superpuissance américaine. Si l’URSS restait une puissance de premier ordre sur le plan scientifique dans le domaine spatial, elle resta toujours à la traîne désormais, n’ayant plus les moyens de suivre technologiquement.

Cela est vrai tant pour le voyage sur la lune, réalisé par des Américains le 21 juillet 1969, que pour la mise en place de navettes spatiales (l’URSS mit en place une navette également, le Bourane, seulement en 1988 et pour un seul voyage, le tout dans le cadre d’un véritable gouffre économique).

L’URSS révisionniste, c’est ainsi une histoire d’épuisement et de tentative de contrer cet épuisement.

Valentina Terechkova

Que fit donc Nikita Khrouchtchev lorsqu’il a compris que ce qu’il espérait ne se produirait pas ?

Il a essayé alors de réorganiser les régions économiques administratives mises en place, mais le projet fut abandonné, et avec lui le rêve éveillé d’un socialisme se construisant tout seul par la magie d’une économie en croissance automatisée.

Pour en arriver là et à l’éviction de Nikita Khrouchtchev en octobre 1964, il a fallu passer par de nombreuses épreuves. La première, ce fut la gestion d’une masse de gens relevant désormais des villes, mais sans qu’il n’y ait de place pour eux.

On parle ici de sans domicile fixe, de criminels, d’intellectuels désœuvrés éventuellement contestataires. Contre eux, le 4 mai 1961, fut promulguée une loi « sur l’intensification de la lutte contre les personnes qui évitent le travail socialement utile et mènent un mode de vie parasite anti-social ». Rien qu’en République socialiste de Russie, 130 000 personnes furent la même année visées par cette loi, et 34 000 exilées.

La seconde épreuve, ce fut le drame de juin 1962, lorsque une terrible hausse des prix, de 30 % pour les produits carnés, provoqua un mécontentement en URSS (Moscou, Leningrad, Kiev, Dnipropetrovsk, Donetsk…) et parmi les nombreuses agitations dans les entreprises, il y eut les ouvriers de l’usine de locomotives de Novotcherkassk, près de Rostov, qui se mirent en grève.

Cela déboucha sur une émeute réprimée dans le sang, avec 29 morts et 83 blessés, quatorze condamnations à mort, des exils en Sibérie, le tout dans une opacité totale, le secret-défense étant décrété.

Dans ce contexte, le régime mit directement en place un nouvel article (numéro 70) au nouveau code pénal instauré en 1960 pour réprimer « l’agitation et la propagande antisoviétiques ».

Pour faire face également à ce nouveau contexte, le Comité Central demanda en juillet 1962 à tous les responsables de la sécurité dans le pays de :

« prendre des mesures pour renforcer de manière décisive le renseignement et le travail opérationnel afin d’identifier et de réprimer les actions hostiles des éléments antisoviétiques à l’intérieur du pays ».

De là date le « premier département », avec des agents des services de sécurités détachés dans les grandes entreprises, les universités, les instituts de recherche, etc.

Et cela allait, nécessairement, avec la tentative de réimpulser l’économie. Comme la planification ne fonctionnait plus sans l’État de Staline, alors il fallait soit le réinstaller, soit modifier l’économie elle-même.

Les intérêts de classe des révisionnistes installés dans le Parti et l’administration impliquaient bien évidemment la restauration du capitalisme… Qui avait, dans les faits, déjà eu lieu.

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La grande réforme du salariat en 1956 en URSS

La passivité petite-bourgeoise ne consiste pas en une classe et n’explique pas en soi le renversement du socialisme en URSS. D’ailleurs, les protagonistes ne sont rapidement plus là.

70 % des membres du Comité Central du 19e congrès de 1952 vont en sortir d’ici 1962. C’est significatif : les gens ayant porté la fin de la ligne de Staline ne sont pas ceux qui vont prendre les commandes de la nouvelle situation.

Ce n’est pas tout. Si on prend le 20e congrès comme tournant du révisionnisme ouvert, on peut voir que la moitié de son Comité Central n’est plus présent en 1962. Le rêve éveillé de Nikita Khrouchtchev n’aura pas duré longtemps.

C’est pourquoi est erronée, au début du 21e siècle, la position des révisionnistes pro-URSS qui s’arrêtent à Nikita Khrouchtchev et disent que l’URSS était restée socialiste jusqu’à la fin de son existence, avec des gens « installés » confortablement aux commandes, ce qui aurait abouti à une catastrophe.

C’est là s’arrêter en 1962, et même en 1956. C’est ne pas voir que les révisionnistes ayant pris le pouvoir ne se sont pas contentés de maintenir leur confort, ils l’ont ancré dans la société soviétique. Ils ont modifié l’économie, en modifiant le rapport au travail d’une part, l’organisation du travail, d’autre part.

Le propre d’une direction du Parti cherchant le confort, c’est de ne pas dépendre du peuple, de quelque manière que ce soit. La gestion des choses se doit d’être avec le moins de risques possibles.

Pour cette raison, la modification de la politique des salaires est véritablement emblématique du changement de régime. C’est l’irruption des normes capitalistes dans la production, avec la suppression de toute la dimension subjective propre au travail.

Dans le cadre de l’industrialisation du pays, et étant donné qu’il s’agissait de se fonder sur l’esprit d’initiative des travailleurs, dès que possible, la rémunération se faisait à la pièce. Cette démarche date du premier plan quinquennal, commencé en 1928.

Les deux figures sont ici l’oudarnik, le travailleur de choc, qui s’investit personnellement pour travailler davantage en termes de quantité, et le stakhanoviste, qui modifie l’organisation du travail pour obtenir un rendement meilleur.

Les primes étaient, dans ce cadre, exponentielles, leur taux d’augmentation devenant toujours plus grands au fur et à mesure d’un travail plus intense.

Dans le cadre du révisionnisme dominant, cette approche fut rejetée. Il fut affirmé qu’elle aboutissait à la précipitation, la shturmovshchina. L’idée était que la planification ne permettait pas une allocation correcte des ressources, et que donc les unités de production fonctionnaient de manière fondamentalement déséquilibrée.

Il fut dit que tout d’abord il y aurait eu une sorte d’hibernation (spiachka) en l’absence d’encadrement et de matériel, puis ensuite une mise au travail (raskachka) plus ou moins organisée, et enfin une fièvre d’activités (goriachka) où il s’agit de terminer ce qui a été commencé à temps, coûte que coûte et donc n’importe comment.

Cette dénonciation de la planification comme forcément bureaucratisée aboutit aux réformes de 1956.

Cela commença par la mise en place d’un Comité d’État du travail des salaires en mai 1955, puis le mois d’après le Président du Conseil des ministres de l’URSS Nikolaï Boulganine annonce les réforme.

Celles-ci sont mises en place dans le cadre du sixième plan quinquennal, qui concerne la période 1956-1960.

La première réforme consiste à geler les primes qu’il était possible d’obtenir. On obtient une prime si on dépasse un certain quota, mais il n’est plus possible de s’engager à fond dans son travail et d’obtenir une hausse significative de son salaire.

La seconde réforme consiste en la réduction de la part d’ouvriers payés à la pièce. Leur part est de 75 % en 1956, elle va être de 60,5 % en 1962, mais surtout même le fait d’être payé à la pièce est relativisée, puisqu’il y a un salaire minimum formant les 3/4 des revenus.

Le rapport à la production est ici doublement modifiée. D’une part, l’engagement des travailleurs dans la production, avec tout l’arrière-plan idéologique dans l’esprit socialiste de mobilisation, est stoppé net.

D’autre part, les travailleurs sont désormais placés dans la dépendance des gestionnaires : leur rémunération est fixe dans une très grande mesure et pour d’éventuelles primes, c’est du ressort des chefs.

Ce second aspect est d’autant plus vrai que les salaires les plus élevés des travailleurs sont gelés. Cela bloque les possibilités d’aller travailler ailleurs et cela renforce la mise en place d’unités de production « indépendantes ».

Le processus de réformes se réalisa initialement en trois temps : d’abord, dans la production de charbon, avec comme on le sait les mineurs représentant des troupes de choc du communisme, et dont l’esprit d’initiative est ici éteint. En 1960, les réformes touchèrent toutes les principales branches productives. Enfin, elles furent généralisées en 1962.

Une nouvelle vague de réformes s’ensuivit immédiatement, en 1970, procédant à une simplification massive de la grille des salaires. Auparavant, les salaires à la pièce étaient modulés selon les domaines de production et les emplacements géographiques, permettant à la planification de pousser les travailleurs dans certains secteurs et certains endroits.

C’en était désormais terminé, avec une uniformisation relative des salaires, qui dépendaient alors du poste et du niveau d’exigence requis pour lui.

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Le rêve éveillé de Nikita Khrouchtchev

Le 20e congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique représente le triomphe du révisionnisme : Staline y a été présenté comme un personnage odieux, criminel. Partant de là, toutes les réformes sont justifiées, puisqu’il s’agit de sortir d’une situation considérée comme bloquée en raison de la prépondérance des conceptions « staliniennes ».

Les réformes de Nikita Khrouchtchev ne sont cependant pas tant actives, que passives. La ligne est celle du laisser-faire, du laisser-aller. La position est celle du désengagement de l’État de la vie politique, scientifique, sociale et culturelle, et cela passe par la décentralisation, engagée à tous les niveaux.

Nikita Khrouchtchev

C’est que Nikita Khrouchtchev représente une ligne opportuniste de gauche, ce qui n’a pas été compris à l’époque. Comme il prônait la coexistence pacifique et le parlementarisme, les anti-révisionnistes considéraient qu’il reflétait une ligne de droite.

En réalité, Nikita Khrouchtchev représentait une ligne de droite sous la forme de l’opportunisme de gauche, ce qui est bien différent. Ses propos étaient, en effet, à la fois ambitieux et euphoriques, témoignages d’une ligne délirante ; au 22e congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, il expliquait ainsi que :

« Nous sommes strictement guidés par des calculs scientifiques. Et les calculs montrent que dans 20 ans, nous construirons une société fondamentalement communiste. »

Au même congrès fut adopté un nouveau programme (les anciens datant de 1930 et 1939), et on y lit :

« La tâche économique principale du parti et du peuple soviétique est de créer la base matérielle et technique du communisme dans un délai de deux décennies. »

Plus précisément :

« Le PCUS, en tant que parti du communisme scientifique, pose et résout les problèmes de la construction communiste dans la mesure où les conditions matérielles et spirituelles sont préparées et mûries, guidés par l’impossibilité de franchir les étapes nécessaires du développement, ainsi que de s’attarder sur ce qui a été réalisé et de freiner le mouvement en avant.

La solution aux problèmes de la construction du communisme s’effectue par étapes successives.

Au cours de la prochaine décennie (1961-1970), l’Union soviétique, créant la base matérielle et technique du communisme, dépassera le pays capitaliste le plus puissant et le plus riche, les États-Unis, en termes de production par habitant ; le bien-être matériel et le niveau culturel et technique des travailleurs augmenteront considérablement et chacun bénéficiera d’une prospérité matérielle ; toutes les fermes collectives et d’État se transformeront en fermes hautement productives et très rentables ; les besoins du peuple soviétique en matière de logement confortable seront fondamentalement satisfaits ; le dur travail physique disparaîtra; l’URSS deviendra le pays où la journée de travail est la plus courte.

À la suite de la deuxième décennie (1971-1980), la base matérielle et technique du communisme sera créée, apportant une abondance d’avantages matériels et culturels à l’ensemble de la population ; la société soviétique sera sur le point de mettre en œuvre le principe de répartition selon les besoins et il y aura une transition progressive vers une propriété nationale unique.

Ainsi, une société communiste sera essentiellement construite en URSS. La construction d’une société communiste sera pleinement achevée dans la période suivante. »

Les trois dernières phrases du programme disent par conséquent :

« Sous la direction prouvée du Parti Communiste, sous la bannière du marxisme-léninisme, le peuple soviétique a construit le socialisme.

Sous la direction du Parti, sous la bannière du marxisme-léninisme, le peuple soviétique construira une société communiste.

Le Parti déclare solennellement : la génération actuelle du peuple soviétique vivra sous le Communisme ! »

Le 22e congrès valida également un « code moral du bâtisseur du communisme », largement empreint sur la Bible, appelant à un « travail consciencieux au bénéfice de la société », « l’entraide fraternelle », « le respect mutuel au sein de la famille, le souci d’élever les enfants », « le souci de tous de préserver et de valoriser le domaine public », etc.

Le 22e congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique

On est ici dans un rêve fou de tranquillité absolue au sein d’un monde sans contradictions. On n’est pas dans un recul, expliquant que le socialisme est difficile à mettre en œuvre, qu’il faut des compromis, etc., comme dans une déviation de droite. On est dans le triomphalisme, propre de la ligne opportuniste de gauche, dont la substance est droitière.

D’où cela vient-il ? De l’élan historique dont l’URSS a profité avec la planification socialiste. Son économie connaît une croissance d’autour de 12 % par an, preuve du grand succès du cinquième plan quinquennal (1951-1955), le dernier formalisé à l’époque de Staline.

Cependant, l’URSS reste en large partie paysanne encore. La part de l’agriculture dans l’économie est aussi grande que celle de l’industrie, à peu de choses près. L’économie reste à développer : son PIB est seulement à près 40 % de celui des États-Unis.

Les pays socialistes sont, dans les faits, encore très arriérés par rapport aux pays capitalistes.

PIB en milliards de dollars US de 1955


États-UnisPays
de l’OTAN (hors États-Unis)
URSSEurope
de l’Est
Chine
populaire
1948295,8178,784,934,125
1955387,2314146,55756

C’est l’arrière-plan des forces ayant amené le Parti Communiste Panunioniste (des bolcheviks) à devenir en 1952, à son 19e congrès, le Parti Communiste d’Union Soviétique. La définition du Parti a alors changé : c’est devenu en quelque sorte le grand accompagnateur du développement du pays, de la force principale portant la paix mondiale.

L’étude approfondie du 19e congrès est obligatoire pour comprendre le 20e congrès, avec la décentralisation promue par Nikita Khrouchtchev. C’est une sorte de grand sas, de grande transition, dont le ressort est la mise à l’équilibre du nombre de gens vivant dans les villes et dans les campagnes.

Nikita Khrouchtchev

Il faut attendre 1962 pour que la population urbaine devienne majoritaire, néanmoins la tendance est là, l’URSS connaît un vrai basculement. Le parc de logements a doublé, il y a une transformation des mœurs, et dans ce cadre l’alliance ouvrière-paysanne voit les couches intellectuelles jouer un rôle toujours plus prépondérant.

En ce sens, le triomphe du révisionnisme est avant tout une expression petite-bourgeoise. Se débarrasser de l’idéologie, abandonner les exigences d’avant-garde historique, tout cela exprime une volonté de s’installer dans un certain confort.

Cela est vrai tant au sein de la direction du Parti qu’au sein des masses nouvellement urbanisées. Il n’y a pas de réflexion alors sur l’impact de la contradiction entre villes et campagnes, et le degré de corruption sur le plan idéologique et culturel est toujours plus haut.

C’est ce qui explique la passivité totale du pays lors du 20e congrès, alors qu’il y a une remise en cause totale de Staline, qui a pourtant dirigé le pays pendant plusieurs décennies.

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Le matérialisme dialectique et la dialectique du paradis et de l’enfer dans le rapport à la production de l’esprit

Le mot « enfer » vient du latin infernus, « ce qui est en dessous ». En Mésopotamie et en Méso-Amérique, l’enfer est placé sous la terre, mais ce n’est pas le cas dans l’Islam et dans le Bouddhisme, qui le considère plus généralement comme un lieu où règne le feu.

Mais la solution à la question de l’enfer se trouve dans l’hindouisme, où il n’existe pas. L’hindouisme, et en fait en théorie le bouddhisme également, se fonde sur la transmigration des âmes, avec la réincarnation. Selon les bons et les mauvais comportements, le karma aboutit à une réincarnation dans un être « supérieur », à la vie plus facile, ou « inférieure », à la vie plus difficile.

C’est là ni plus ni moins que l’équivalent du paradis et de l’enfer. C’est que les premiers êtres humains, sortant de l’animalité et avec leur cerveau en expansion, se sont fait déborder par les impressions de joie et de peine.

Dans la douleur, la faim, la soif, le froid, les blessures… ils ont eu l’impression d’être attrapés par des forces infernales, capturés, attirés par des forces maléfiques. Quand c’était la joie, c’était qu’ils étaient happés par des forces bénéfiques.

Le paradis et l’enfer sont des fétiches de ce long vécu de l’humanité des débuts. C’est un produit dialectique d’un ressenti dialectique de l’humanité sortant à peine de l’animalité et découvrant les joies et les peines de manière conceptuelle dans un cerveau en développement.

Il est donc tout à fait faux de considérer comme des menaces inventées et des promesses hallucinées la mise en avant du paradis et de l’enfer par les religions. Cela existe, bien entendu, de la part du clergé, mais comme vision du monde, la religion n’est qu’une retransmission de cette dialectique de la joie et de la peine.

Le monothéisme intervient justement au moment où l’agriculture et la domestication des animaux atteignent un tel niveau qu’une certaine assurance existe dans la vie quotidienne. La multitude des dieux (ou démons) à qui s’adresser pour les joies et les peines de la vie quotidienne s’est effacée devant la puissance centrale, qui par contre est toujours accompagné du « diable ».

Le monothéisme est, en quelque sorte, la superstructure de la religion primitive, dont le fondement est l’appréhension, l’espoir, le vécu en joie et en souffrance de l’humanité primitive.

On peut également, à travers cette compréhension, enfin avoir en perspective le fonctionnement de l’esprit humain.

Il est bien connu que l’être humain est capable d’éprouver des joies, fondamentalement liées aux facultés relevant du corps, tout comme il est capable de ressentir une tristesse profonde, où l’aspect principal semble être l’esprit.

L’humanité a recherché, à tout prix, à neutraliser les traits les plus marquants de ces tendances positive et négative. Toutes les religions ont visé un encadrement des esprits, jusqu’à l’obsession, en proposant des rituels réguliers, des supervisions régulières par le clergé.

Les philosophies qui se sont développées étaient elles-mêmes avant tout des psychologies visant à un certain repos de l’âme, à une tranquillité « vraie » de l’esprit. Toutes les psychologies apparues avec le développement du capitalisme ont, pareillement, tenté de parvenir à une « neutralisation ».

C’est totalement erroné, pour deux raisons. Tout d’abord, dialectiquement pour arriver « en haut », il faut un « en bas ».

Cela veut dire que pour produire quelque chose, pour qu’il y ait une synthèse, il faut forcément l’aspect positif et l’aspect négatif.

Il faut donc forcément la « dépression » pour la joie. Seulement, cela ne veut pas du tout dire qu’il faille faire un fétichisme de cette « dépression ». Ici, le romantisme a entrevu la question, sans être capable de la résoudre.

Dans la pratique, l’esprit doit plonger dans les profondeurs pour être capable de remonter à la surface et de sauter, tel un orque ou un dauphin, au-dessus des flots.

C’est là où on retrouve la seconde raison. Pour qu’il y ait « créativité », c’est-à-dire de notre point de vue le saut qualitatif, il faut non seulement la transformation de la quantité en qualité, mais également le mouvement où la quantité connaît une phase de transformation interne pour parvenir à la qualité.

Dit autrement : pour parvenir au nexus, moment où les deux aspects de la contradiction se convertissent l’un en l’autre, il faut le processus où l’infini se développe dans le fini.

Sans la nuit la plus noire, il ne peut pas y avoir le jour brillant : la nuit seule ne saurait suffire.

Soulignons encore bien que cela ne veut nullement dire que la dépression doit exister, comme phénomène horrible. Bien au contraire : la dépression est la version erronée, ratée… de la plongée dans l’intensité psychique.

Le processus est tourmenté, il est douloureux, mais il est transitoire : il n’est que la porte d’entrée au véritable processus qui est celui de la production.

Il existe une histoire mythique de la Grèce antique qui formule ce dernier aspect : le mythe d’Orphée et d’Eurydice. Orphée est, en effet, un être plein de sensibilité, d’empathie, il charme même les animaux. Il incarne la dimension positive.

Quand il va aux enfers rechercher sa compagne décédée, Eurydice, il passe toutes les étapes. Il a par contre comme consigne de ne pas se retourner lorsqu’il prend l’escalier pour remonter avec elle à la surface, hors des enfers.

Il prend néanmoins peur et il regarde derrière lui pour vérifier qu’Eurydice est bien juste derrière lui. Celle-ci est alors précipitée de nouveau aux enfers.

Cette histoire est en réalité une double allégorie, relevant d’un enseignement psychologique-magique de l’époque.

Lorsque le médecin des esprits – Orphée est emblématique de la figure empathique capable de « toucher » l’âme de tout le monde – aide à soigner quelqu’un, il ne doit pas forcer la « sortie » de la dépression. Le dernier pas doit venir de la personne malade de l’esprit elle-même. On ne peut pas être « conduit » hors de la dépression de manière complète : le pas décisif doit être réalisé par la personne dépressive.

Cela rejoint le saut qualitatif.

Le second aspect de cette histoire est qu’il ne faut pas faire un fétiche de la dépression, des enfers, qu’il ne faut jamais se retourner, que cela conduit à s’y attacher, à vouloir y rester.

L’enseignement psychologique-magique avait-il compris ce second aspect ? C’est possible, car Orphée est censé avoir été tué par un volcan.

Cela rejoint le « feu » des enfers du christianisme et de l’Islam, qui est en fait une allégorie des flammes déchirant l’esprit lors de la dépression. L’hindouisme veut dire cela, en parlant de réincarnation : il place les déchirures psychologiques liées aux mauvais comportements pareillement dans la vie future, mais en interprétant la chose comme une vie nouvelle, et non pas un état suivant la vie.

Toutes ces interprétations idéalistes-fétichistes sont toutefois un aspect relatif, car l’humanité a interprété de manières très variées toutes les gammes de joie et de souffrance liées à l’existence.

Ce qui compte pour nous, c’est :

– pour être productif dans le positif, il faut se précipiter dans l’intensité, dans l’obscurité du recueillement psychique, qui permet de porter la lumière de l’esprit, du raisonnement, de la sensation positive ;

– il y a une dignité du réel en soi dans le processus « obscur », car il porte le dépassement de lui-même, c’est un assemblage de réflexion sur le fini qui se transforme en infini.

Ce second point concerne notamment de manière marquée le début du 21e siècle, avec ses forces productives tellement développées.

Les gens suivent le fini en s’y perdant, sans parvenir à synthétiser, à trouver « l’infini ». Le capitalisme leur dit que c’est très bien ainsi, qu’ils relèvent des LGBTQ+, de la neuro-divergence, d’une marginalité qui serait à reconnaître et à inclure dans la société, etc.

C’est là, en réalité, une expression de décadence et d’incapacité à aller jusqu’au matérialisme dialectique, qui lui rejette tout fétichisme. Il ne s’agit pas de faire un fétiche mensonger du savant fou, de l’original créatif, du marginal artistique. C’est là trompeur, faux.

Mais cette décadence est également l’expression de toute une époque, celle où l’humanité affronte le moment hautement complexe de sa propre réalité. D’animal dénaturé, devenu social, il doit revenir à la Nature, en conservant sa dimension sociale.

Le prix à payer, c’est la mise à mort de l’ego de l’humanité – précisément constitué de ce fétichisme de l’obscur qui s’auto-alimente, de ce particulier replié sur lui-même et incapable de parvenir à l’universel, de ce faux moi nourri de vanités et complaisant vis-à-vis de ses propres mensonges, de cette incapacité de reconnaître la dignité du réel et de l’exalter, de la chérir, de l’avoir en dévotion.

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Le matérialisme dialectique et la question informatique – mathématique p=np comme problématique de la synthèse dans le rapport à l’infini

Le matérialisme dialectique explique qu’il existe un saut qualitatif dans tout phénomène. Il y a un développement, dont la nature est quantitative, et à un moment la quantité se transforme en qualité.

Dialectiquement, il y a pareillement un développement dont la nature est qualitative, et à un moment la qualité se transforme en quantité.

C’est un paradoxe pour qui suit le cheminement habituel seulement et qui se voit confronté, du jour au lendemain, à une transformation. Le soleil « se lève » chaque jour, néanmoins à un moment le phénomène cessera, se transformant en raison de sa contradiction interne.

Ce principe du saut qualitatif éclaire le questionnement majeur de l’informatique, qui est de savoir si « p = np ».

Ce qu’on entend par là peut être expliqué de la manière suivante.

On réalise un puzzle de mille pièces, ce qui prend du temps. On vérifie ensuite qu’on a bien mené les choses. Or, la vérification est rapide.

Une opération complexe a ici un résultat simple à vérifier.

Il s’est alors posé la question suivante : dans une telle configuration, y a-t-il peut-être une opération simple qui soit possible également, ou bien existe-t-il forcément une contradiction entre l’opération et la vérification de la réponse ?

C’est ce qu’on formule par « p = np ? ». Une vérification rapide implique-t-elle la possibilité d’une opération de réalisation également rapide ?

Ce sont surtout les banques qui sont très inquiètes de cette question. Elles veulent savoir si un code peut être cassé uniquement en tentant quantitativement toutes les combinaisons, ou s’il existe une formule mathématique « magique » pour raccourcir massivement l’opération pour trouver le code.

Naturellement, ici le matérialisme dialectique comprend tout de suite qu’on parle ici de la quantité et de la qualité. Et, dialectiquement, le simple s’oppose au compliqué, le compliqué au simple.

Et même : si c’est simple, c’est compliqué ; si c’est compliqué, c’est simple.

Il y a également du simple dans le compliqué et inversement : c’est pour cela que la question est posée. Il y a étonnement, par incompréhension de la dialectique, qu’il y ait du simple (la vérification) dans le compliqué (le processus de réalisation).

Poussons ici encore la question, toutefois, et tournons-nous vers une question mathématique connue, celle du « problème du voyageur de commerce ».

Celui-ci doit parcourir différentes villes et cherche à minimiser la distance parcourue.

Imaginons qu’il parte de Paris et qu’il doive y retourner, après être passé par Amiens et Toulouse.

Ici, c’est simple : soit il fait Paris – Amiens – Toulouse – Paris, soit il fait Paris – Toulouse – Amiens – Paris. Il n’y a que deux choix possibles.

Maintenant, ajoutons une ville. Les choses se compliquent.

On a comme possibilités les parcours suivants :

Paris – Amiens – Bordeaux – Toulouse – Paris

Paris – Amiens – Toulouse – Bordeaux – Paris

Paris – Bordeaux – Toulouse – Amiens – Paris

Paris – Bordeaux – Amiens – Toulouse – Paris

Paris – Toulouse – Bordeaux – Amiens – Paris

Paris – Toulouse – Amiens – Bordeaux – Paris

Plus on va ajouter de villes, plus le nombre de solutions connaît une croissance exponentielle.

Lorsqu’on a cinq villes, il y a 12 parcours possibles, pour dix villes on en a 181 440, pour 15 villes on en a 43 milliards !

Cela surprend l’esprit, bien sûr.

Et c’est là où on aboutit à la question « p = np ». On est dans le domaine de l’informatique, notamment de la cryptographie. Imaginons un mot de passe : il est composé de différents caractères.

Pour le trouver par la « force brute », en essayant toutes les combinaisons possibles de caractères, il faut énormément de temps, de par le nombre immense de celles-ci.

Par contre, si on a le bon mot de passe, cela marche tout de suite.

C’est une contradiction.

Les informaticiens se demandent alors : si on peut rapidement vérifier qu’on a la bonne réponse, alors ne peut-on pas trouver un moyen de trouver celle-ci rapidement également ?

Autrement dit, il est demandé s’il n’existe pas un moyen magique, inconnu, de faire en sorte que la qualité de la vérification s’applique à la quantité de l’opération de recherche.

Une telle quête est absurde. Le matérialisme dialectique enseigne que la quantité s’oppose à la qualité ; il ne peut pas y avoir la qualité des deux côtés d’une contradiction…

Ce qui dit ainsi est faux, car relativement il existe la quantité dans la qualité et inversement. Sauf que cela joue surtout dans les moments de transformation. Et c’est précisément cela que les informaticiens ne voient pas.

Voyons cela. Pourquoi le problème a-t-il alors été posé, parce que de manière intuitive, tout le monde voit bien qu’un puzzle demande du temps et que sa vérification en prend moins, et qu’on ne voit pas comment il pourrait en être autrement ?

C’est qu’il y a la qualité dans la quantité, et la quantité dans la qualité. Voir le difficile, c’est se confronter au facile, et inversement ; faire face au lent, c’est connaître le rapide, et inversement.

Mais il y a autre chose encore. Il y a l’infini, justement. Il y a l’infini comme déchirure, comme expression de la contradiction.

Cet infini est exprimé lorsque la quantité devient qualité est inversement ; c’est le moment où les contraires se convertissent l’un en l’autre. Le nexus du processus est quand chaque pôle devient autant que possible l’autre pôle, tout en restant lui-même.

Cet infini est à la fois concret, car réalisé par et dans un phénomène, mais il est aussi abstrait, car un phénomène général.

Il faut bien saisir cela pour comprendre le problème. Comme on l’a constaté, plus on ajoute des villes au chemin du voyageur, plus l’opération pour trouver la solution devient complexe. La quantité apporte la qualité, et plus la première est présente, plus elle implique un saut qualitatif.

On est alors ici facilement pris par le vertige de l’infini. C’est ce qui arrive aux informaticiens. La présence plus importante de la qualité dans la quantité elle-même plus importante leur fait dire que, après tout, si la réponse est rapide, et qu’elle relève de la qualité, alors plus on complique les choses, plus cette qualité devrait être « pure » et apporter elle-même la quantité.

Il y a ici une ivresse devant la croissance exponentielle, devant l’infini. Il est espéré que plus il y a l’infini… plus on retombera sur le fini.

Ce que disent les informaticiens, c’est que si on a résolu un puzzle en dix heures, une fois qu’on l’a terminé et qu’on a vérifié que tout est bien, alors comme on a trouvé la solution déjà, on va déjà pouvoir refaire tous les puzzles de meilleure manière, bien plus rapidement.

Autrement dit : les informaticiens se disent qu’une fois qu’on a une réponse à un problème, même au bout d’un temps très long… le fait d’avoir découvert cette réponse permettra de trouver un meilleur moyen, plus court, pour la trouver pour un autre problème.

Il y a l’illusion de trouver moyen de passer par l’infini pour trouver le fini, de retrouver le temps court par le temps long. C’est la même illusion conceptuelle que le principe de la machine à remonter le temps.

C’est la négation de la dignité du réel d’un processus.

Donnons un exemple très concret, qui résoudra toute cette question facilement.

Imaginons qu’on fournisse à une intelligence artificielle de nombreuses données musicales et qu’on lui demande d’écrire une chanson agréable. On a le résultat au bout d’un certain temps. On va rapidement vérifier ce résultat.

Mais toute la question est la suivante : une fois que l’intelligence artificielle a fait son opération et a produit la chanson, et qu’on la valide… peut-on alors fournir à cette intelligence artificielle un moyen de vérifier que les prochaines chansons produites seront valables également ?

Ce dont on parle ici, c’est de la synthèse. Quand on apprend à faire du vélo, il faut un certain temps d’adaptation. Une fois qu’on sait en faire, on le retient et on ne perd plus cette capacité. On a réalisé une synthèse.

Cette synthèse porte le dépassement, l’infini. Mais ce n’est pas l’infini en soi. Ce n’est pas parce qu’on a synthétisé le fait de faire du vélo qu’on peut automatiquement synthétiser plus rapidement le fait de jouer du piano.

Il y a ici l’idée, de la part des informaticiens, d’une sorte de triche, d’opération magique pour contourner n’importe quel problème, au moyen du dépassement d’un seul problème.

Les informaticiens raisonnent de manière analytique, pas dialectique. Ils cherchent des rapports figés entre les choses, et pourtant ils voient l’infini. Alors, ils se disent qu’ils feraient bien de l’infini un moyen de retrouver le fini. Ils ne comprennent pas qu’un phénomène est réel, qu’un calcul porte une dimension réelle.

Ils s’imaginent que c’est virtuel, d’où la tentative de triche.

Le matérialisme dialectique reconnaît la dignité du réel. Et il considère que le temps n’existe que comme expression de l’espace matériel en transformation. Il n’y a pas de retour en arrière possible.

Lorsqu’on a réussi un puzzle, on peut le refaire, mais on ne le refait pas une première fois. Il en va de même pour le vélo, ou pour tout phénomène.

Lorsque la quantité est devenue qualité, il ne peut plus y avoir de retour en arrière à cette quantité.

Il faut reconnaître la dignité du réel : on ne parle pas abstraitement de quantité et de qualité, mais d’une quantité déterminée, d’une qualité déterminée.

Il n’y a pas de formule magique traitant de la quantité en général, de la qualité en général.

Il faut donc considérer deux choses. D’abord, que la quantité se transformant en qualité ne permet pas de modifier la qualité.

La cybernétique est donc impossible. La cybernétique, une idéologie réactionnaire américaine des années 1940 reprise par l’URSS social-impérialiste, prétend que la connaissance des données par une super-ordinateur permet à celui-ci de gérer au mieux les données.

C’est là penser que la quantité suffit en soi à devenir « qualité », sans processus vivant. C’est là également s’imaginer que le saut qualitatif permet de modifier la quantité donnant naissance à ce saut.

Cette quête d’une formule qualitative « agissante » sur la quantité est admirablement bien racontée dans la série de romans Fondation d’Isaac Asimov. Bien qu’indéniablement progressiste, le principe est celui de la découverte d’un algorithme qui permet la « psychohistoire ».

Un groupe, la « fondation », accompagne alors l’évolution de l’humanité, l’aidant de manière machiavélique à lui faire prendre des raccourcis pour éviter au maximum les peines, les souffrances, les troubles.

C’est naturellement erroné, car le saut qualitatif que serait une telle « psychohistoire » ne peut se réaliser que comme point culminant de la transformation. Ce qui est après ne peut pas être avant. On a ici la négation du principe de révolution ; ou inversement, cela reviendrait à dire que la révolution russe d’octobre 1917 permettrait de modifier la Russie des années 1900, 1890, 1880, etc.

Ensuite, la seconde chose à considérer est que plus un processus est complexe, plus il engage de matière et plus il porte donc la qualité. Et il faut faire attention : ce n’est pas seulement la qualité au bout du processus, mais la qualité au cours du processus lui-même.

C’est là où joue l’infini, vu par les immenses Spinoza, Hegel, Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong.

L’infini est transformation et inversement. Il serait erroné de considérer que la quantité n’est que quantité – cela serait de l’idéalisme, ce serait nier la nature de l’univers comme ensemble de vagues de matière.

Pour cette raison, même dans l’accumulation quantitative, avant le saut qualitatif, il y a forcément de la qualité à l’œuvre. Sans qualité, la quantité n’existerait pas – et inversement.

C’est pourquoi même le saut qualitatif comporte une dimension quantitative. On pourrait dire que c’est là où opère l’infini, mais cela aboutirait à l’idéalisme, à un fétichisme qui est précisément celui des informaticiens cherchent à voler cet infini pour trouver une formule magique jouant sur le fini.

Les alchimistes du passé avaient la même quête, avec la « pierre philosophale », et l’idée en général de formules magiques, de concoctions médicinales aux propriétés miraculeuses et universelles relève de la même tentative de triche.

Cette seconde considération sur l’existence de la qualité dans la quantité ramène à la première (comme quoi le produit synthétique d’un phénomène n’existe pas avant), car en définitive ce qui prime c’est toujours le mouvement réel des choses, la dignité du réel.

En ce sens, une question comme n=p est une abstraction, qui cherche à figer en des catégories mathématiques le mouvement dialectique du réel, ce réel fut-il de type mathématique.

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Le matérialisme dialectique et le rapport entre la contradiction interne et l’opposé avec la dialectique du zéro et de l’infini

Le matérialisme dialectique pose que chaque chose a une contradiction interne. On sait cependant que l’univers consiste en des vagues de matière s’entremêlant et se faisant écho.

Cela signifie que de la même manière qu’il y a au sein d’un phénomène, d’une chose, une contradiction, cette même chose, ce même phénomène, relève également d’une contradiction, dont c’est un aspect.

Autrement dit : chaque chose possède des contradictions et est elle-même un aspect d’une autre contradiction. Le matérialisme dialectique est vrai si l’on se tourne vers l’intérieur, comme vers l’extérieur, vers l’infiniment petit comme vers l’infiniment grand.

Prenons un homme. Il existe comme fruit d’une contradiction en lui, consistant en son système biologique. Cependant, il a également un opposé : une femme, qui existe comme lui comme fruit d’une contradiction en elle, consistant en son système biologique.

Cela a l’air facile à comprendre ainsi, mais cette question n’a pas été vue durant le 20e siècle, ou bien a posé un véritable casse-tête, avec la question du rapport entre le prolétariat et la bourgeoisie. Si le prolétariat doit renverser le capitalisme, alors qu’il est lui-même un aspect du capitalisme (opposé à la bourgeoisie), alors ne doit-il pas s’abolir lui-même ?

L’URSS a répondu à la question avec Staline en mettant en avant la citoyenneté socialiste, avec l’alliance ouvrière-paysanne comme base, et l’intégration des intellectuels dans ce dispositif.

La Chine populaire a apporté à cette question le principe de la révolution culturelle, pour transformer le prolétariat, qui est ainsi à la fois lui-même et ne l’est plus dans le processus de développement du socialisme.

Néanmoins, il y a lieu de généraliser la question et de la systématiser. Cela permet une compréhension bien plus ample du rapport entre les choses, entre les phénomènes.

Il ne s’agit plus seulement de considérer qu’une chose est une contradiction, mais également de prendre en compte qu’elle est un aspect d’une contradiction.

Répondons ici tout de suite à la question du prolétariat s’abolissant lui-même, qui est la question de la révolution elle-même. La solution est la suivante : la révolution est la contradiction entre le mode de production et la lutte des classes.

La lutte des classes tient à la contradiction entre prolétariat et bourgeoisie, et en même temps la lutte des classes est un aspect d’une contradiction, l’autre aspect étant le mode de production.

Conceptualisons maintenant la question.

Prenons la soustraction 7 – 4. Suivons le matérialisme dialectique et cherchons donc deux choses : d’une part sa contradiction interne, de l’autre son opposé.

La contradiction interne de 7 – 4, c’est 3. La différence entre 7 et 4, c’est en effet 3. C’est dans l’identité de cette différence que 7 et 4 entrent en relation. 7 s’oppose à 4, se combinant à lui de manière dialectique, et le produit de ce rapport donne 3, 3 étant la différence de l’identité de 7 et 4.

Plus simplement dit : une soustraction mélange 7 et 4, qui deviennent donc une seule et même chose, il y a identité. Mais cette identité, pour opérer, doit dépasser la différence, ce qui donne 3.

Maintenant, quel est l’opposé de 7 – 4 ? On a compris que l’opposé ne pouvait pas se situer sur le même « plan » que cette soustraction, il faut que cela se déroule ailleurs.

Pourquoi avoir justement pris cet exemple ? C’est qu’il est impossible de se tourner vers l’univers tout entier pour trouver un opposé, à moins de savoir quel est cet opposé à la base même. L’homme et la femme sont deux opposés dialectiques, mais cela on le sait déjà, donc on ne peut pas « trouver » l’opposé.

On peut trouver l’opposé, bien entendu, par exemple en cherchant le contraire de la Terre et on a le soleil, qui lui fournit de l’énergie. C’est cependant bien trop particulier et cela ne permet pas de fournir un principe général.

Avec les nombres, on le peut. Que sont 7 et 4 ? Ce sont des éléments qu’on a enlevé à la liste des nombres. 7 et 4 ont été enlevés à 1, 2, 3, 5, 6, 8, 9, 10, etc.

Qu’est-ce que 1, 2, 3, 5, 6, 8, 9, 10, etc. ? C’est l’infini. Qu’a-t-on compris avec le matérialisme dialectique ? Que zéro était l’infini. C’est pour cela qu’on peut séparer 7 et 4 de l’infini, c’est-à-dire de 0. Si ce n’était pas le cas, on n’aurait pas 7 et 4 pris à part : ils seraient indissociables du reste.

Quel est alors l’opposé de 7 et 4 ? On sait que cet opposé est à la fois identique et différent. Or, on a vu que l’identité de 7 et 4 dépassant la différence donnait 3.

Nous pouvons ainsi nous tourner vers la différence qui va à l’identité : l’opposé est avant tout différent (sinon il ne serait pas « autre »), mais il est identique (sinon il ne serait pas opposé).

Ici, il faut faire une précision. On ne cherche pas l’opposé de 7 et 4, mais de 7 – 4. En effet, il faut forcément un rapport entre les deux opposés. S’il n’y avait pas ce rapport, il n’y aurait pas cette contradiction – en effet, 7 d’un côté, 4 de l’autre, relèvent d’autres contradictions, sous la forme d’autres soustractions (et d’autres additions, multiplications, divisions).

Et qu’a-t-on dit ? Qu’on enlevait 7 et 4 à 1, 2, 3, 5, 6, 8, 9, 10, etc., suivant le principe selon lequel toute détermination est une négation, comme l’a formulé Spinoza (suivi par Hegel, puis Marx).

Il faut donc retirer le 3 à la liste, puisque 7 – 4 = 3. On a alors 1, 2, 5, 6, 8, 9, 10, etc.

Et inversement, 1, 2, 5, 6, 8, 9, 10, etc. étant défini comme l’infini et alors comme zéro, alors il ne reste plus que 7 – 4 et 3. Ce sont deux choses différentes et pourtant identique. Ce sont donc les deux opposés.

3 n’est pas le produit de l’opération 7 – 4, mais son opposé.

Le signe égal ne désigne pas seulement des choses identiques, mais différentes.

C’est la différence qui amène l’identique, et l’identique la différence.

3 n’est pas l’expression de la contradiction interne entre 7 et 4. La contradiction interne est représentée par le signe négatif.

3 est l’opposé de 7 – 4, sur un plan supérieur – celui qui rejoint l’infini des nombres.

Quand on pose 7 – 4, on enlève 7 et 4 à l’infini, en faisant passer l’infini à zéro.

Quand on réalise l’opération, on supprime le zéro pour le remplacer par 3.

Ce faisant, on dépasse 7 et 4, on supprime le zéro : on retrouve l’infini.

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