La poésie française de Joachim du Bellay

On saisit bien l’esprit de la poésie de du Bellay avec La Belle matineuse. Initialement, c’est un poème italien, de Antonio Francesco Raineri. Joachim Du Bellay l’imite, tout comme Pierre de Ronsard, Olivier de Magny, Bachet de Méziriac, Abraham de Vermeil et par la suite au 17e siècle Vincent Voiture, Claude Malleville, Tristan L’hermite.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes que Du Bellay se fonde sur un exemple italien, lui qui dénonce l’influence italienne. Mais il faut se rappeler qu’à l’époque, il n’y a pas de concept de droit d’auteur et dans sa logique, tout ce qui est culturellement formateur est bon du moment que cela sert la juste cause.

Il n’existait également pas au XVIe siècle de principe de nouveauté culturelle, tout passait par des dites et des redites, l’à-propos étant le critère d’évaluation.

Voici la version de du Bellay de La Belle matineuse.

Déjà la nuit en son parc amassait
Un grand troupeau d’étoiles vagabondes,
Et, pour entrer aux cavernes profondes,
Fuyant le jour, ses noirs chevaux chassait ;

Déjà le ciel aux Indes rougissait,
Et l’aube encor de ses tresses tant blondes
Faisant grêler mille perlettes rondes,
De ses trésors les prés enrichissait :

Quand d’occident, comme une étoile vive,
Je vis sortir dessus ta verte rive,
Ô fleuve mien ! une nymphe en riant.

Alors, voyant cette nouvelle Aurore,
Le jour honteux d’un double teint colore
Et l’Angevin et l’indique orient.

Il en va pour le fait de puiser dans la culture grecque et romaine comme pour la démarche consistant à se tourner dans la culture italienne, et d’ailleurs Du Bellay ne valorisait pas les vers latins, même s’il en faisait : c’était un travail de fond, comme pour une mystérieuse Faustine dont il s’éprit à la fin de son séjour de quatre années et demi à Rome.

Ce qui compte, c’est que Du Bellay est concrètement le premier à systématiser le sonnet en France – et il faut bien saisir qu’il a une grande production, comme pour tous les poètes de l’époque – et qu’il mène un travail de fond d’affinement du style français, tel un pas vers la langue qui va s’instaurer au XVIIe siècle.

On va dans le sens d’une certaine fluidité, d’une tournure de la langue plus naturelle. Voici La Chanson du vanneur de blé, tiré des Jeux rustiques et se fondant sur une poésie en latin de l’Italien du 16e siècle André Navagero. Le vanneur vanne le blé, c’est-à-dire qu’il le secoue au moyen d’un outil pour le débarrasser des impuretés.

Ô vous troupe légère
Qui d’aile passagère
Par le monde volez,
Et d’un sifflant murmure
L’ombrageuse verdure
Doucement ébranlez,

J’offre ces violettes,
Ces lis et ces fleurettes,
Et ces roses ici,
Ces vermeillettes roses,
Tout fraîchement écloses,
Et ces œillets aussi.

De votre douce haleine
Éventez cette plaine,
Éventez ce séjour ;
Cependant que j’ahanne
A mon blé que je vanne
A la chaleur du jour.

Si quelques recueils sont alors produits et diffusés, on est loin d’une imprimerie efficace et de masse. Les poèmes se dispersent aisément, ils relèvent d’une scène culturelle en vie mais n’ayant pas encore atteint le niveau d’organisation qu’aura le 17e siècle comme grand siècle français.

La poésie de du Bellay ne consiste donc pas simplement en ses recueils les plus célèbres – L’Olive (vers 1549), Les Regrets (1558), Les Antiquités de Rome (1558). Il y a d’autres poèmes, qui se sont dispersés, perdus, etc.

Voici un exemple très réussi, autour du thème de la passion, placé dans les œuvres complètes après sa mort dans une partie intitulée Les Amours de Joachim du Bellay.

Comme souvent des prochaines fougères
Le feu s’attache aux buissons, et souvent
Jusques aux bleds , par la fureur du vent,
Pousse le cours de ses flammes légères ;

Et comme encor ces flammes passagères
Par tout le bois traînent, en se suyvant,
Le feu qu’au pied d’un chesne auparavant
Avoyent laissé les peu cautes [=précautionneuses] bergères

Ainsi l’amour d’un tel commencement
Prend bien souvent un grand accroissement :
Il vaut donc mieux ma plume ici contraindre

Que d’imiter un homme sans raison,
Qui se jouant de sa propre maison,
Y met un feu qui ne se peut esteindre.

Il va de soi que la fluidité de Du Bellay emprunte énormément à la langue italienne. Il suffit de lire des textes français du 16e siècle et de les comparer à ceux du 17e siècle comment il y a eu une véritable révolution sur le plan de la construction et de la fluidité. Les Essais de Montaigne sont une œuvre exceptionnelle, mais le français employé est dans ses tournures à mille lieux de la modernité toujours présente pour nous de celui du 17e siècle.

Voici un exemple de comment Du Bellay puise dans le style italien, avec un sonnet du poète italien du 16e siècle Francesco Berni et le sonnet quatre-vingt-onze des Regrets.

Chiome d’argento fine, irte ed attorte
Senz’arte, intorno ad un bel viso d’oro;
Fronte crespa, u’mirando io mi scoloro,
Dove spunta isuoi strali Amore et Morte;

Occhi di perle vaghi, luci tòrte
Da ogni obbietto diseguale a loro ;
Ciglia di neve, e quelle, ond’io m’accoro,
Dita e man dolcemente grosse e corte ;

Labra di latte, bocca ampia celeste,
Denti d’ebano rari e pellegrini,
Inaudita ineffabile armonia ;

Costumi alteri e gravi : a voi, divini
Servi d’Amor, palese fo che queste
Son le bellezze della donna mia.

Ô beaux cheveux d’argent mignonnement retors !
Ô front crêpe et serein ! et vous, face dorée !
Ô beaux yeux de cristal ! ô grand bouche honorée,
Qui d’un large repli retrousses tes deux bords !

Ô belles dents d’ébènes ! ô précieux trésors,
Qui faites d’un seul ris toutes âme enamouré !
Ô gorge dmasquine en cent plis figurée !
Et vous, beaux grands tétins, digne d’un si beau corps !

Ô beaux ongles dorés ! ô main courte et grassette !
Ô suisse délicate ! et vous, jambe grossette,
Et ce que je ne puis honnêtement nomer !

Ô beau corps transparent ! ô beaux membres de glaces !
Ô divines beautés ! pardonnez-moi, de grâce,
Si, pour être mortel, je ne vous ose aimer. 

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Joachim du Bellay et la constatation de la France en formation

Dans sa dédicace servant de présentation de sa Défense et illustration de la langue française, Joachim du Bellay (1522-1560) explique qu’il était dirigé que par « l’affection naturelle envers ma patrie ».

C’est là quelque chose d’historique, car l’époque est marquée par la formation des nations, sous l’impulsion des débuts du capitalisme. Joachim du Bellay parle donc d’une France qui ne fait que se constituer et en la définissant sur le plan de la langue, de la géographie, des mentalités… il contribue à ce processus de formation nationale.

Portrait de Joachim du Bellay par Jean Cousin le Jeune

Il est bien connu que les Regrets sont une complainte de Joachim du Bellay lors de son séjour à Rome. Mais le choix de ce thème a été sciemment choisi. C’est un prétexte pour dénoncer le Vatican (et non pas simplement la ville de Rome) et affirmer la nation française à travers sa nostalgie. Ses poèmes sont d’ailleurs amusants et caustiques bien plus que mélancoliques.

Plus précisément, le rôle historique de Joachim du Bellay est d’avoir synthétisé les traits nationaux d’une France en formation. Et pour ce faire, le poète procède de deux manières :

– il démolit littéralement le Vatican ;

– il fait un va-et-vient entre la France et les autres nations – y compris les civilisations grecque et romaine.

Voici un exemple avec le soixante-huitième sonnet des Regrets, où Joachim du Bellay dresse un catalogue de nationalités avec des particularités présentées de manière humoristique, se concluant par un rejet d’un « savoir pédantesque » qui est une allusion à l’Église catholique romaine.

Je hais du Florentin l’usurière avarice,
Je hais du fol Sienois le sens mal arresté,
Je hais du Genevois la rare vérité,
Et du Vénitien la trop caute [=prudente] malice :

Je hais le Ferrarois pour je ne sais quel vice,
Je hais tous les Lombards pour l’infidélité,
Le fier Napolitain pour sa grand’ vanité,
Et le poltron Romain pour son peu d’exercice :

Je hay l’Anglois mutin, et le brave Escossois,
Le traistre Bourguignon, et l’indiscret François,
Le superbe Espagnol, et l’ivrongne Tudesque [= Allemand] :

Bref, je hay quelque vice en chasque nation,
Je hais moi mesme encor’ mon imperfection,
Mais je hais par sur tout un savoir pédantesque.

On a ici véritablement une affirmation de la nation française et d’autres nations : c’est totalement nouveau.

Il faut cependant bien saisir le contexte de cette affirmation française. Celle-ci est rendue difficile par deux forces qui aimeraient bien soumettre voire intégrer la France.

Il y a ainsi déjà l’Espagne, qui aimerait intégrer le royaume de France. Mais ce n’est pas la menace principale alors. Celle-ci consiste en les ramifications italiennes et catholiques romaines en France, qui vont être si fortes avec l’Italienne Catherine de Médicis, qui sera reine-mère et régente du royaume de France de 1560 à 1563 et une tenante pro-catholique des guerres de religion.

Le poème quatre-vingt-quinze des Regrets est une véritable dénonciation de l’influence italienne, qui pour Joachim du Bellay est un obstacle à l’affirmation nationale française.

Maudict soit mille fois le Borgne de Libye [=Hannibal],
Qui le cœur des rochers perçant de part en part,
Des Alpes renversa le naturel rempart,
Pour ouvrir le chemin de France en Italie.

(…)

Le François corrompu par le vice estranger
Sa langue et son habit n’eust appris à changer,
Il n’eust changé ses mœurs en une autre nature.

D’où l’insistance de Joachim du Bellay quant à un style qui soit français.

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La vie dans la métropole impérialiste mise à nue par la pandémie

[Crise numéro 9, février 2021]

La pandémie a mis à nu la base de la vie dans la métropole impérialiste, avec le fait que sans la consommation, les gens sont perdus car livrés à eux-mêmes. Incapables de s’orienter par eux-même pour la plupart, ils sombrent dans la dépression, au point que la France connaît en janvier 2021 une rupture de stocks d’anxiolytiques.

C’est bien en cela que la crise générale du capitalisme s’exprime ici. D’un côté, l’expansion du capitalisme dérègle le rapport de l’humanité à la nature, produisant une pandémie. De l’autre, la pandémie agit sur sa source en apportant une perturbation terrible.

Comment le capitalisme s’est insidieusement installé

Le capitalisme s’installe sans que les gens ne possèdent de recul suffisant pour comprendre le sens de cette installation ; prisonniers de la consommation capitaliste, ils participent à l’enracinement d’un mode de production à tous les niveaux de la vie, sans s’en apercevoir.

Un excellent exemple est l’extension du réseau routier en France accompagnant l’expansion de la consommation d’automobiles. Le nombre de morts et de blessés a connu une croissance vertigineuse associée au développement du capitalisme en ce domaine, sans que cela soit dénoncé ou remarqué. Il était en même temps parlé du nombre de morts du contingent en Algérie française, mais celui-ci était pourtant inférieur.

AnnéeNombre d’accidentsNombre de blessésNombre de tués
194925 24722 0002 878
1955140 232147 5518 058
1967215 470302 24512 696
1972259 954386 87418 034

Cette installation du capitalisme a d’autant plus été accepté que l’accès à l’automobile a été un progrès matériel sur le plan pratique, que les automobiles se sont améliorés, ainsi que la sécurité routière. Cela a été un long processus, s’étalant sur plusieurs décennies. Cependant, cela a largement suffi pour qu’il n’y ait aucune remise en cause par les masses tant du réseau routier que de son extension, tant des automobiles que des accidents.

AnnéeNombre d’accidentsNombre de blessésNombre de tués
1979242 975335 90412 197
1984199 454282 48511 525
2000121 223162 1177 643
201956 01970 4903 244

Le modèle américain

Ce qui est vrai pour l’installation du parc automobile et du réseau routier est vrai pour l’ensemble des marchandises. Les différents marchés capitalistes se sont non seulement développés, mais ils se sont en plus répondus les uns aux autres. Cela est vrai à l’intérieur des pays, mais également entre les pays, et encore davantage avec l’instauration de la Communauté européenne et l’intégration de la Chine devenue social-fasciste dans le marché capitaliste international.

Le problème de fond, très facile à comprendre et immédiatement remarquée par l’Internationale Communiste dès sa fondation à la suite de la révolution russe, c’est que les États-Unis d’Amérique n’ont initialement pas été touchés par la première crise générale du capitalisme. En profitant de la modernisation productive (le « fordisme »), ils ont pu s’imposer comme la principale force impérialiste et ont contribué à relancer le capitalisme alors tellement à sec qu’il se précipitait dans la guerre mondiale.

Le mode de vie américain s’est généralisé, avec une consommation présente à tous les niveaux de l’existence, avec tout choix trouvant la possibilité de se réaliser par la consommation. Exister, c’est consommer de telle ou telle manière, un nombre incroyable de marchés se proposant pour satisfaire des goûts d’autant plus multiples que la différence, la différenciation, l’isolement individualiste sont promus par le capitalisme.

Cela représente un saut qualitatif pour le capitalisme, car davantage de marchés capitalistes dans une société, c’est autant d’échos en plus dans le circulation des capitaux et des marchandises. On a alors un cercle en apparence vertueux pour le capitalisme, qui semble toujours s’en sortir, avec une capacité perpétuelle de se récupérer et de récupérer les oppositions.

Avec davantage de capitaux, il y a la capacité d’utiliser de plus en plus d’initiatives venant d’en bas, de récupérer pour le capitalisme toutes les idées, toutes les actions. La capacité du capitalisme à intégrer en son sein même des formes rebelles comme le hip hop, le punk, le grunge… est bien connue.

Le 24 heures sur 24 du capitalisme

C’est ainsi que s’est formé le 24 heures sur 24 du capitalisme, à partir des années 1960, pour se généraliser toujours davantage jusqu’au début du 21e siècle, avec de nombreux secteurs des masses des pays impérialistes se faisant corrompre.

La Fraction Armée Rouge constate en 1972 que :

« La définition du sujet révolutionnaire à partir de l’analyse du système, avec la reconnaissance que les peuples du tiers-monde sont l’avant-garde, et avec l’utilisation du concept de Lénine d’« aristocratie ouvrière » pour les masses dans les métropoles, n’est pas périmée et terminée.

Au contraire, elle ne fait même que commencer. La situation d’exploitation des masses dans les métropoles n’est plus couvert par seulement le concept de Marx de travailleur salarié, dont on tire la plus-value dans la production.

Le fait est que l’exploitation dans le domaine de la production a pris une forme jamais atteinte de charge physique, un degré jamais atteint de charge psychique, avec l’éparpillement plus avancé du travail s’est produite et développée une terrifiante augmentation de l’intensité du travail. L

e fait est qu’à partir de cela, la mise en place des huit heures de travail quotidiennes – le présupposé pour l’augmentation de l’intensité du travail – le système s’est rendu maître de l’ensemble du temps libre des gens.

À leur exploitation physique dans l’entreprise s’est ajoutée l’exploitation de leurs sentiments et de leurs pensées, de leurs souhaits et de leurs utopies – au despotisme des capitalistes dans l’entreprise s’est ajouté le despotisme des capitalistes dans tous les domaines de la vie, par la consommation de masse et les médias de masse.

Avec la mise en place de la journée de huit heures, les 24 heures journalières de la domination du système sur les travailleurs a commencé sa marche victorieuse – avec l’établissement d’une capacité d’achats de masse et la « pointe des revenus », le système a commencé sa marche victorieuse sur les plans, les besoins, les alternatives, la fantaisie, la spontanéité, bref : de tout l’être humain !

Le système a réussi à faire en sorte que dans les métropoles, les masses sont tellement plongées dans leur propre saleté, qu’elles semblent avoir dans une large mesure perdu le sentiment de leur situation comme exploitées et opprimées.

Cela, de telle manière qu’elles prennent en compte, acceptant cela tacitement, tout crime du système, pour la voiture, quelques fringues, une assurance-vie et un crédit immobilier, qu’elles ne peuvent pratiquement rien se représenter et souhaiter d’autre qu’une voiture, un voyage de vacances, une baignoire carrelée.

Il se conclut de cela cependant que le sujet révolutionnaire est quiconque se libère de ces encadrements et qui refuse de participer aux crimes du système. Que quiconque trouve son identité dans la lutte de libération des peuples du tiers-monde, quiconque refuse de participer, quiconque ne participe plus, est un sujet révolutionnaire – un camarade.

De là il s’avère que nous devons analyser la journée de 24 heures du système impérialiste.

Qu’il nous fait présenter pour chaque domaine de la vie et du travail comment la ponction de la plus-value se déroule, comment il y a un rapport avec l’exploitation dans l’entreprise, car c’est précisément la question.

Avec comme postulat : le sujet révolutionnaire de l’impérialisme dans les métropoles est l’être humain dont la journée de 24 heures est sous le diktat, sous le patronage du système.

Nous ne voulons pas élargir le cadre où doit être réalisée l’analyse de classe – nous ne prétendons pas que le postulat soit déjà l’analyse.

Le fait est que ni Marx ni Lénine ni Rosa Luxembourg ni Mao n’ont eu à faire au lecteur du [journal populiste à gros tirage] Bild, au téléspectateur, au conducteur de voiture, à l’écolier psychologiquement formaté, à la réforme universitaire, à la publicité, à la radio, à la vente par correspondance, aux plans d’épargne logement, à la « qualité de la vie », etc.

Le fait est que le système se reproduit dans les métropoles par son offensive continue sur la psyché des gens, et justement pas de manière ouvertement fasciste, mais par le marché.

Considérer pour cela que des couches entières de la population sont mortes pour la lutte anti-impérialiste, parce qu’on ne peut pas les caser dans l’analyse du capitalisme de Marx, est pour autant délirant, sectaire comme non-marxiste.

Ce n’est que si l’on arrive à amener la journée de 24 heures au concept impérialiste / anti-impérialiste que l’on peut parvenir à formuler et à présenter les problèmes concrets des gens, de telle manière qu’ils nous comprennent. »

L’ennui, la laideur, l’anxiété, l’angoisse
dans un espace urbain aliénant

Le 24 heures sur 24 du capitalisme ne permet aucun temps mort et pourtant la capacité à consommer est limitée, sans compter que les bonheurs relèvent du consommables : ils sont éphémères, il faut les renouveler constamment et ainsi avoir les moyens de les renouveler. Or, l’acquisition d’argent pour la consommation implique de participer à la production, qui est bien plus épuisante psychiquement et physiquement qu’auparavant. Le travail épuise les nerfs, la consommation est superficielle sur le plan humain, il s’ensuit une déprime exprimant une certaine conscience de vivre dans une course folle.

C’est que cela se déroule dans un environnement façonné par le capitalisme.

Les villes et les campagnes sont, au début du 21e siècle, entièrement façonnés par le capitalisme.

S’il existe des décisions au niveau des États, des régions, des communes, s’il y a bien un rôle pour les architectes, s’il y a bien une réflexion de la part des urbanistes, s’il existe même des paysagistes, c’est en dernier ressort le mode de production capitaliste qui décide de la tendance générale.

L’habitat répond, dans sa substance même, entièrement aux exigences, à la terreur de la consommation du capitalisme. Un habitat est avant tout un lieu où vit un consommateur et il doit être en mesure de consommer sur cette base. Et cet habitat est défini par lui-même par sa capacité à consommer.

Les bourgeois des centre-villes peuvent se permettre de vivre là, car ils consomment et que leur propre habitat relève de la consommation. Inversement, le prolétariat se fait placer en périphérie, puisque de toutes façons sa consommation est elle-même périphérique.

L’habitat répond cependant également entièrement aux exigences de production du capitalisme. Il faut que le personnel nécessaire à la production soit à disposition. Là encore, il y a une différence entre la Défense comme pôle de décision et les usines de Picardie, entre les périphéries lieux de production et de diffusion des marchandises et des centres focalisés sur la distribution des marchandises.

L’espace urbain maximalise les potentialités de la production et de la consommation et chaque personne doit suivre, se plier, s’adapter, quitte à être broyé. Une fuite n’est pas possible de par les exigences d’un capitalisme qui tourne et qui ne laissent personne à l’écart.

Les villes deviennent ainsi toujours plus laides, les campagnes se vident, tout se dégrade, alors que l’angoisse apparaît inéluctablement comme émotion pour quiconque cherche à se projeter dans un tel environnement.

Cette anxiété produit, tant dans les villes que les campagnes, la fuite dans les jeux d’argent, les drogues, le sado-masochisme, l’idéologie LGBT, l’émigration. Or, tout cela est également une fuite de type capitaliste : c’est simplement un changement de marché, un changement de terrain de la production et de la consommation. Et cela ne modifie pas la laideur générale que produit le capitalisme développé, où une ville comme Dubaï a plus de statut que Prague.

Et encore est-ce là raisonner en termes locaux. Si l’on se déplace dans le pays, on voit à quel point tout se dégrade sans commune mesure, avec un étalement urbain progressant en France de 165 hectares par jour (et bien moins en Belgique pour des raisons géographiques et historiques).

La laideur des réalisations capitalistes entièrement décidées par les intérêts du capital et le mauvais goût de couches dominantes décadents défigure absolument tout le pays, empêchant de trouver sa place et produisant une quête romantique anticapitaliste nihiliste, par absence de compréhension de la lutte des classes et du matérialisme dialectique.

Le piège de la petite propriété

Les villes et les campagnes subissent ainsi de plein fouet la contradiction entre la production et la consommation existante dans le capitalisme. Les intérêts de la production ne sont pas nécessairement ceux de la consommation et inversement.

On arrive alors à une géographie en générale façonnée par les échanges et des zones de vie où les gens sont soit isolés les uns des autres, soit les uns sur les autres. La pandémie se développe en raison de cette accumulation de gens dans le béton, ou bien en raison des échanges à travers un pays entièrement structuré par les échanges capitalistes.

De plus, tout se déroule dans le chaos du marché, même s’il y a des interventions des institutions, qui sont de toutes façons par la rapidité de l’évolution du marché.

Et, surtout, le capitalisme transporte des valeurs amenant à une valorisation, une généralisation de la petite propriété. Pratiquement 60 % des Français sont propriétaires de leurs logements, 72 % en Belgique.

Cela fait que si une minorité peut accuser les propriétaires de leur logement de leur situation insupportable de locataires, la majorité ne peut s’en prendre qu’à elle-même. C’est toutefois au-delà de ses forces, tellement elle est prisonnière de la course capitaliste.

La pandémie met à nu le quotidien
dans la métropole impérialiste

Le 24 heures sur 24 du capitalisme a été fortement perturbé par la pandémie et les gens se sont retrouvés désemparés. Ils ont montré qu’ils n’étaient pas capables d’autonomie, qu’ils attendaient passivement ce que le capitalisme est capable de leur proposer en termes culturels.

Il y aurait pu y avoir un grand retour à la lecture de classiques de la littérature, un vaste passage à des activités comme le dessin, la peinture, l’écriture. Rien de tout cela n’a eu lieu, car cela n’est pas possible pour des gens formatés à consommer et à vivre par la consommation.

Comment un propriétaire, qui est de ce fait impliqué lui-même dans le fonctionnement du capitalisme, dans son succès, peut-il résister à la terrible pression produite par la pandémie ? C’est tout simplement impossible.

Et si on ajoute à cela ceux qui veulent accéder à la propriété, on a une grande majorité de la population.

Bien entendu, on parle ici le plus souvent de ce qui forme une vaste petite-bourgeoisie, ou bien de couches populaires cherchant à accéder à un mode de vie ouvertement petit-bourgeois.

Derrière, il y a un besoin de sécurité, recherché individuellement par la méfiance, l’absence de confiance ou le refus d’une sortie collective aux problèmes posés par le capitalisme.

Cela ne change cependant pas le problème de fond : les gens se sont engagés dans le capitalisme et ils se retrouvent piégés. Il faudrait une classe ouvrière capable d’une mobilisation générale crédible pour être capable d’arracher la petite-bourgeoisie à ses fétiches.

La question collective

Le 24 heures sur 24 du capitalisme a toujours connu des éléments capables de critiques et le désespoir d’une vie quotidienne au ralenti n’a pas touché certains secteurs. Une minorité a compris que cette course capitaliste était insensée, qu’elle était vaine, qu’on gâche sa vie dans un tel système où l’on est subordonné à la production afin de satisfaire une consommation superficielle.

Cependant, sans orientation de classe, cela aboutit en initiatives qui immanquablement s’inscriront dans le capitalisme.

De plus, cela passe à côté du problème central. Le capitalisme défigure la nature et la pandémie a révélé que les espaces de la métropole impérialiste sont ingérables. Soit les hôpitaux sont trop loin, soit ils sont surchargés, alors que les logements s’avèrent largement inaptes pour qu’on y vive de manière prolongée.

C’est qu’en fait la dimension collective est entièrement absente du capitalisme et, lorsque la pandémie a fait que l’accès systématique à la consommation capitaliste a été affaiblie, les individus atomisés ont été livrés à eux-mêmes et c’est alors l’explosion, ou plus exactement l’implosion.

D’où les comportements individualistes, relativistes, notamment dans la petite-bourgeoisie au mot d’ordre de « fêtes » et de « libertés ». Mais la pandémie n’est pas terminée et le mode de production capitaliste apparaît alors comme incapable de faire face à une question collective.

Le mode de production capitaliste, en ayant façonné les gens à son image, n’est plus en mesure de puiser un sens du collectif qu’il pourrait utiliser de manière pragmatique pour s’en sortir.

Ce n’est pas le cas en Chine, car c’est un pays social-fasciste, sur la base d’un capitalisme monopoliste d’État conséquent à la prise du pouvoir des révisionnistes en 1976 à la mort de Mao Zedong. C’est un régime construit par en-haut et il est encore en mesure de prendre des décisions par en-haut, malgré la bureaucratisation généralisée et un capitalisme ultra-violent s’appuyant sur de très puissants monopoles.

Cela produira immanquablement une contradiction en Chine, entre la dimension collective de l’intervention dans la pandémie et sa gestion uniformisée, de type terroriste, par en haut. Inversement, dans les pays impérialistes où le capitalisme s’est développé sans entraves, la contradiction est celle entre des individus atomisés par la vie quotidienne dans le 24 heures sur 24 du capitalisme et les exigences historiques de collectivisme face à la pandémie.

Et c’est là un aspect seulement de la crise générale du capitalisme où les défis sur la table – réchauffement climatique, protection de la nature, condition animale, possibilités d’épanouissement personnel – sont innombrables.

Un aperçu de l’état et du rôle des zones humides dans le monde grâce à la Convention de Ramsar

[Crise numéro 9, février 2021]

La question de la pandémie est indissociable de celle du rapport de l’humanité à la nature. Cette question prend une importance d’autant plus grande que la crise générale du capitalisme implique une accélération des déséquilibres. L’un des points essentiels en ce domaine consiste en les zones humides. Avoir un aperçu sur cet aspect de la nature est incontournable.

Le 2 février 2021 est la vingt-troisième journée internationale des zones humides, lancée pour la première fois en 1997 par la convention de Ramsar afin de faire des zones humides une question publique de premier ordre. La conférence de Ramsar est issue de la signature d’une convention en faveur des zones humides à Ramsar, en Iran en 1971. C’est l’un des « seul traité international ayant force de loi ».

Mise en œuvre en 1975, il y a aujourd’hui 46 ans, ce sont 171 parties qui ont signé cette convention. Cela a pour résultat le classement de 2 300 sites au statut « Ramsar », ce qui recouvre un peu plus de 254 millions d’hectares, soit la surface du Canada. Ici, on peut trouver la présentation des sites « Ramsar » en France.

En cette année 2021, le thème de la journée mondiale porte sur « l’eau, les zones humides et la vie ». C’est l’occasion pour se pencher sur la nature de ces écosystèmes par le biais du rapport « Perspectives mondiales des zones humides. L’état mondial des zones humides et de leurs services à l’humanité 2018 » publié à la même date par le secrétariat de la Convention de Ramsar.

L’enjeu du rapport est annoncé dès le début de la manière suivante : « préserver les fonctions et la bonne santé des zones humides naturelles est essentiel pour garantir un développement durable et assurer la survie de l’humanité ».De 88 pages, ce rapport se décompose en six parties, dont une d’introduction, deux de conclusions (5) et bibliographie (6). Le cœur du rapport est une mise en perspective de l’état et des tendances (2), des moteurs du changement (3) puis des réponses à apporter (4) (Lire le rapport complet).

1. État des lieux

A la page 11, un constat des plus justes est dressé (les éléments importants sont mis en gras) :

« L’importance des zones humides pour le bien-être humain a souvent été négligée ou sous-estimée, d’où la place secondaire occupée par la gestion des zones humides dans la planification du développement.

Au sein d’un secteur donné, les parties prenantes prennent des décisions fondées sur des intérêts étroits et à court terme, perdant ainsi des occasions d’obtenir une multitude d’avantages et provoquant la disparition et la détérioration de nouvelles zones humides. »

Cela est évidement le résultat d’une société où c’est le profit qui guide la production sociale et où le développement est soumis aux aléas de l’échange marchand. Le temps de valorisation du capital, visant nécessairement un taux de rotation le plus élevé, se heurte aux limites naturelles du temps long de formation d’une zone humide.

Globalement, le rapport atteste de la forte pression subie par les zones humides. Elles sont, au mieux dégradées, au pire détruites. On connaît ainsi la donnée comme quoi, entre 1960 et 1990, 35 % des zones humides ont disparu sur la Planète.

On sait moins que :

« Depuis 1700, 87% de la ressource mondiale en zones humides ont été perdus dans les endroits où les données existent (ce qui signifie que ce pourcentage peut ne pas être représentatif de l’évolution au niveau mondial), avec des taux d’appauvrissement en hausse depuis la fin du 20e siècle (Davidson 2014). » (p. 21)

Remarquons d’ailleurs que la connaissance de la dégradation (destruction ou réduction/altération) des zones humides est réalisée grâce à la naissance en 2014 de l’indice WET. Cet indice qui signifie « Wetland Extent Trends » (« Tendances de l’étendue des zones humides ») est donc récent et reste assez limité puisqu’il se base uniquement sur un principe quantitatif (étendue), et non pas directement sur leur rôle qualitatif, ainsi que sur une base de données recueillies.

L’indice se base donc sur les zones humides répertoriées. Cela pose un problème puisque de très nombreuses zones humides ne le sont pas, en raison des manques de moyens par les organismes chargés de cette tâche.

De nombreuses zones sont ainsi peu ou pas connues, parfois classées en « zones potentielle » pendant plusieurs années avant d’avoir un véritable étude pédologique (sol) confirmant ou non le caractère humide. Ces zones « potentielles » sont donc hors champ législatif, plus vulnérables face aux destructions.

Enfin, on apprend de manière fort intéressante que si la superficie des zones humides naturelles diminue, celles des zones humides artificielles ne cesse d’augmenter. Ces zones artificielles sont des réservoirs, des lacs, des rizières qui, malgré qu’elles soient « mieux que rien », restent pauvres en termes de fonctions écologiques (tournées surtout vers l’eau potable et la maîtrise des risques d’inondations).

2. Au cœur de la biosphère

Il n’est de secret pour personne qui se penche sur les zones humides qu’elles sont des formidables écosystèmes. A la lecture du rapport, on comprend qu’elles sont surtout ce qu’on pourrait appeler des canevas de la Biosphère. Ce ne sont pas simplement des zones secondaires (au sens maoïste), dont les fonctions seraient relativement en retrait du reste de la Planète : tout comme les océans et les forêts, elles sont un maillon principal de la chaîne trophique et écologique de la Planète.

Une zone humide se retrouve au centre de cycles aussi variés que ceux de l’azote, du carbone et de l’eau.

Ainsi,

« il se pourrait qu’une grande partie des quelque 19 millions de km2 de roches carbonatées à la surface de la planète reposent sur des zones humides souterraines (Williams, 2008), soit une superficie plus grande que celle des zones humides de surface intérieures et côtière.s » (p. 23)

C’est que les zones humides sont le ferment à toute une vie organique. Elles en concentrent tous les ingrédients : eau stagnante, végétaux divers et variés, intense activité minéralogique et bactérienne.

Pour le comprendre, il ne faut pas séparer les cycles naturels les uns, des autres. On a donc le cycle de l’eau avec un ruisseau avec un volume, et un débit précis. En fonction de cela, il apporte des azotes (sous forme minérale). Ces sédiments viennent se fixer dans le sol des zones humides.

Dans les endroits où l’eau stagne, il y a une absence d’oxygène. Dans ces conditions, des bactéries dites anaérobies (vivant sans air) respirent en captant l’air présents dans les azotes (d’ammoniac par exemple) et les transforment alors en nitrites. C’est le processus d’oxydoréduction, visible lors des études pédologiques permettant d’identifier une zone humide.

Lorsque ces nitrites ont été produites par les bactéries anaérobies, elles entrent alors à leur tour dans le développement d’autres bactéries qui les transforment à leur tour en nitrates minéralogiques, mais aussi gazeux (rejetés dans l’atmosphère, comme le méthane). C’est ce qu’on appelle le processus de dénitrification.

Ces deux processus d’oxydoréduction et de dénitrification aident à purifier l’eau, en contribuant à la croissance des végétaux.

Au même titre que le carbone capté grâce la photosynthèse (cycle atmosphérique du carbone), le cycle de l’eau apporte ainsi des sédiments minéralogiques qui sont transformés par le « travail » des bactéries, et dont le produit devient les nutriments pour la flore, comme le nitrate transformé en diazote par exemple.

Les plantes consomment alors une partie du carbone (CO2) et lors de leur décomposition, celui-ci est absorbé par le sol. C’est la respiration écologique qui fait qu’on parle des zones humides comme des puits de carbone, résultat d’un processus de transformation organique au carrefour des cycles de l’eau et de l’air.

On estime que les zones humides telles que les tourbières, qui représentent seulement 3 à 4% des terres émergées, « piègent » 25 à 30 % du carbone, soit deux fois plus que les forêts. Évidemment, détruire une zone humide, c’est re-libérer dans l’atmosphère ce carbone « emprisonné ».

Enfin, l’eau stagnante est renouvelée, évacuant ainsi le surplus de nitrates, après l’avoir conservé. L’eau est ainsi filtrée, dépolluée. Le reste des composés transformés sont « évacués » dans l’atmosphère sous la forme de gaz (diazote, dioxyde d’azote, dioxyde de carbone, méthane et aussi bien sûr de l’oxygène) s’intégrant à leur tout dans leurs cycles naturels respectifs.

Il faut donc bien voir les zones humides comme un maillon essentiel de la Biosphère ; jouant un rôle précis, en fonction d’équilibres déterminés à l’intérieur de cycles particuliers mais inter-reliés.

Il suffit qu’un paramètre de tel ou tel cycle soit modifié, même de manière minime, pour que tout le système d’équilibre soit perturbé. Pour ne prendre qu’un exemple : le changement de débit d’un ruisseau ou des pluies trop intenses vont engendrer un surplus de sédiments liés au cycle de l’eau.

Cela peut aboutir en définitive à l’eutrophisation du cours d’eau par un apport déséquilibré de « nourriture », avec des plantes qui se développent et asphyxient la zone. C’est là qu’entre en jeu les pollutions qui, engendrées par des activités humaines non planifiées, viennent dégrader, et même détruire l’équilibre de ces écosystèmes.

3. Des destructions ou dégradations de diverses natures

La convention Ramsar cible trois sortes d’impacts qu’ils nomment « moteur du changement » (ce qui devrait plutôt être qualifiés comme des pollutions, voir en certains cas un écocide). Ces moteurs sont à la fois directs et indirects, et reliés à des tendances mondiales.

En tout premier lieu, il convient de citer la pollution maintenant connue des micro-plastiques, dont

« On estime à 5,25 trillions au moins le nombre de particules de plastique à la surface des océans du monde, soit plus de 260 000 tonnes (Eriksen et al. 2014).

Ces débris peuvent persister dans l’environnement pendant des siècles (Derraik 2002). Les particules de plastique perturbent les chaînes alimentaires, nuisent à la faune et libèrent des polluants organiques persistants. » (p. 34)

Au cœur de agressions des zones humides, il y a les canalisations d’eau liées à son exploitation, les constructions en tout genre, et les pollutions d’origine agricole ou industrielle. La surexploitation de l’eau est principalement due à l’agriculture, et notamment à l’élevage d’animaux destinés à la viande, un secteur grand consommateur d’eau et surtout transformant des zones en pâturages et en culture de soja. L’agriculture est à l’origine du phénomènes dit de « poldérisation », soit la conquête des marais par des terres cultivables.

Les centrales électriques participent également d’une pollution thermique, ayant pour conséquence une raréfaction de l’oxygène dans les cours d’eau (perte de biodiversité). Elles ont également un impact en modifiant le régime d’écoulement des eaux, importants pour l’apport en sédiments.

Il peut donc y avoir un manque de nutriments, mais aussi un surplus à cause des engrais azotés rejetés par l’agriculture, mais aussi à cause des dioxydes d’azote, des métaux lourds émis dans l’atmosphère par les activités humaines (usines, transport) qui retombent avec les pluies.

Pour la convention de Ramsar,

« Face à un apport excessif de nutriments, les zones humides peuvent être envahies par des espèces agressives à taux de croissance élevé comme les massettes (Typha spp.) ou, selon l’endroit, le roseau commun (Phragmites spp.) (Keenan & Lowe 2001).

La prédominance d’espèces végétales à forte productivité peut représenter un compromis par rapport à d’autres fonctions des zones humides.

En règle générale par exemple, on assiste à une diminution de la biodiversité, laquelle s’accompagne d’une augmentation du volume de matière organique et de carbone dans les sols » (p. 39)

Tout comme

« De plus fortes concentrations de dioxyde de carbone dans l’atmosphère peuvent également stimuler la croissance des plantes, bien que ce phénomène soit différent d’une espèce et d’un type de zone humide à l’autre (Erickson et al. 2013). » (p. 39)

Ces raisonnements sont erronés car ils isolent les cycles, les séparent de l’équilibre général. Cela peut être juste, mais seulement en partie. Car par exemple, un apport excessif de dioxyde de carbone (Co2) permet la croissance des plantes, mais alors cela va accroître la demande en eau, mais aussi en diazote. La modification d’un paramètre entraîne nécessairement la modification des autres, du paramétrage général.

Au cœur de la disparition et/ou de la dégradation écologique des zones humides, on retrouve des déséquilibres qui proviennent de l’anarchie de la production capitaliste. C’est évidemment le cas des pollutions mais aussi de l’étalement urbain :

« la rapidité de la croissance urbaine entraîne souvent un développement mal réglementé des zones périurbaines, avec des incidences sociales et environnementales préjudiciables » (p. 56)

Ces altérations, ces pollutions qui entraînent un réchauffement climatique, provoque à son tour une cassure dans les processus organiques bactériens que nous avons vu précédemment :

« La hausse des températures imputable au changement climatique se traduise par une augmentation des émissions de gaz à effet de serre à l’intérieur des zones humides, en particulier dans les régions du pergélisol où le réchauffement entraîne la fonte des glaces, ce qui augmente la proportion d’oxygène et d’eau dans le sol.

L’activité microbienne qui en découle génère de grandes quantités de dioxyde de carbone et/ou de méthane qui sont rejetées dans l’atmosphère (Moomaw et al. 2018). (p.38)

Tous ces déséquilibres sont le fruit d’un mode de production qui ne tient pas compte des cycles lent et long de la Biosphère. Ces dégradations sont donc liées au développement de l’Humanité dans un cadre historique de production et de consommation, qu’il s’agit maintenant de transformer pour le mettre en rapport avec les dynamiques géochimiques. Les réponses pour faire face aux déséquilibres sont assez faibles, voir même contre-productives.

4. Compenser… ou défendre ?

La convention énonce de nombreux « objectifs » ou « accords » auxquels la Convention Ramsar se joint. C’est par exemple le cas de l’Accord de Paris, de la COP 21. Dans le cadre de ces objectifs, pour la plupart non contraignants, la Convention établit un « plan stratégique 2016-2024 » liés à quatre buts, dont le premier est « la lutte contre la perte et la dégradation des zones humides ».

Le fait de concevoir un « plan stratégique » est évidemment positif. Mais pour que celui-ci ait un quelconque effet concret, il devrait être conçu dans le cadre d’une planification sociale à l’échelle mondiale. La Biosphère constituée du maillage essentiel des zones humides est une réalité mondiale appelant un gestion populaire, donc coercitive, et planifiée à l’échelle planétaire.

D’ailleurs cette tendance trouve à s’exprimer malgré tous les obstacles capitalistes-nationaux, avec les « zones transfrontalières », des zones humides gérées par différents pays dans le cadre du classement en site Ramsar (une vingtaine de sites actuellement).

Mais comment cela ne peut pas aller plus loin dans le cadre actuel des choses, la Convention Ramsar se replie sur le principe alors sur le principe neutre « éviter-réduire-compenser », principe énoncé d’ailleurs dès le début du rapport :

« L’approche « éviter-atténuer-compenser » préconisée par Ramsar et intégrée dans de nombreuses législations nationales constitue un outil précieux à cet effet » (p. 11)

Principe rappelé donc à la page 64 :

« Les lois nationales sur les zones humides et la biodiversité reposent fréquemment sur un cadre visant à « éviter-réduire-compenser » (Gardner et al. 2012) faisant souvent partie d’un processus d’autorisation d’activités de développement. La nécessité d’éviter la perte de zones humides est généralement identifiée comme un impératif ».

Ce principe est une véritable boite de pandore car finalement elle permet à la fois aux pays contractant de la convention de se montrer respectueux d’un accord international, tout en laissant l’appréciation au libre arbitre des porteurs de projets destructeurs.

Car les entreprises se montrent peu soucieuse d’ « éviter » leur impact : si « le profit en vaut la chandelle », elles prévoient quelques euros de plus pour réaliser un bassin d’eau, altérant ainsi grandement les fonctions écologiques générales de toute zone humide. Les basins d’eaux sont d’ailleurs souvent grillagés, ce qui forme un nouvel obstacles pour les animaux qui gravitent autour.

A cela s’ajoute que ces législations, notamment sur les compensations sont très peu suivies et contrôlées, si bien que qu’on ne sait pas

« si les Parties contractantes appliquant de telles politiques ont atteint cet objectif non seulement pour les zones humides elles-mêmes, mais également pour leurs fonctions. » (p. 65)

Et la convention de Ramsar d’ajouter, un peu naïvement :

« une politique « Aucune perte nette » ne devrait pas être mise en œuvre si elle réduit le principal impératif qui est d’éviter tout impact sur les zones humides naturelles ». (p.65)

Ce tableau montre toute la pauvreté écologique des « zones humides artificielles » en comparaison avec les zones humides naturelles. De fait, le principe de « compensation » absurde.

En juin 2019, la 57e réunion du Comité permanent de la Convention relevait de manière bien froide, dans un tableau également très « administratif » :

« Les solutions fondées sur la nature ne sont pas bien intégrées dans les stratégies nationales.

La gestion des zones humides fonctionne généralement indépendamment des autres stratégies et processus de développement [intérêts économiques et politiques].

Les avantages quantifiables des services écosystémiques sont mal compris. Souvent, les décideurs ne savent pas reconnaître tout l’éventail des valeurs des zones humides, ce qui limite leur capacité à plaider efficacement en faveur de leur inclusion dans les stratégies et plans nationaux.

Des niveaux élevés de coopération intersectorielle et institutionnelle font défaut. »

C’est dire comment la protection des zones humides n’est qu’un leurre, l’accumulation du capital prime forcément sur la reconnaissance de la nature puisqu’une zone humide se dresse comme un obstacle, comme une limite infranchissable. Elle est alors « supprimée » au pire, « déplacer » (compensation) au mieux…

La convention de Ramsar fait avec les moyens qu’elle a à sa disposition, dans le cadre de l’économie capitaliste.

Elle met en avant des sortes de « droits à polluer » avec des systèmes de bons points pour les entreprises, des crédits financiers pour inciter les agriculteurs à gérer une zone humide ou pour attirer des investisseurs à entretenir les zones naturelles.

Tout cela est vain. Étant intégré au jeu institutionnel mondial, la Convention Ramsar n’a qu’une très faible marge de manœuvre. Pour l’avoir, il faut être en dehors du circuit des intérêts économiques et institutionnels dominants, il faut porter la rupture.

Il est évident que la seule perspective est de mobiliser concrètement à la base pour défendre les zones humides, quel que soit leur taille ou leur niveau de fonctionnalité (on peut réparer !).

Mais pour cela, il faut d’abord maîtriser la connaissances de ces écosystèmes complexes, et savoir les identifier. Enfin, il paraît évident que la solution de long terme réside dans la formation d’un nouvel État, disposant d’un ministère spécifiquement dédié à la protection de ces écosystèmes dans le cadre d’une production sociale planifiée selon la dynamique de la biosphère.

Le Pôle de Renaissance Communiste en France, une structure nationaliste tentant de fausser le concept de crise générale du capitalisme

[Crise numéro 9, février 2021]

« Un quart des Français ne peuvent pas faire trois repas par jour »

Tel est le genre d’affirmations fantasmagoriques qu’on trouve de manière régulière à l’ultra-gauche. Il s’agit en l’occurrence ici du Pôle de Renaissance Communiste en France, qui représente la « gauche » du Parti « Communiste » Français. On reconnaît le misérabilisme qui sert à masquer qu’on vit en réalité dans un pays capitaliste avancé, où les larges masses sont corrompues par la société de consommation capitaliste.

En prétendant que les masses françaises sont « pauvres », on masque le caractère impérialiste de la France. De là à expliquer que la France serait un pays opprimé, il n’y a qu’un pas, et le Pôle de Renaissance Communiste en France l’a franchi. Il affirme, comme Jean-Luc Mélenchon, que la France serait un pays victime de l’Allemagne, qu’une oligarchie internationale en aurait pris le contrôle. Il faudrait donc lever le drapeau bleu blanc rouge de la libération nationale.

Mais le Pôle de Renaissance Communiste en France est plus dangereux encore que Jean-Luc Mélenchon, car si ce dernier se revendique populiste, le Pôle de Renaissance Communiste en France se prétend « communiste ». Il apport par conséquent une très grande confusion, en particulier parce qu’il parle parfois de crise générale du capitalisme.

Pour démasquer cela, il suffit de regarder les propos tenus par Georges Gastaud le 13 janvier 2021 dans une interview pour le site initiative communiste, qui relaie les conceptions du Pôle de Renaissance Communiste en France. Georges Gastaud en est le co-secrétaire national et dirigeant historique, depuis l’apparition de ce mouvement, en 2004, comme tendance de « gauche » du Parti « Communiste » Français, avec une influence notable dans la CGT.

Voici la première question et le début de la réponse, qui parle de « crise générale ».

Initiative Communiste – Quelles leçons tirer de la très chaotique “transition” présidentielle aux États-Unis ?

Georges Gastaud – Que la première puissance impérialiste mondiale en soit à offrir au monde médusé le spectacle d’une guerre civile larvée, cela donne la mesure de la crise générale du système capitaliste-impérialiste, laquelle frappe désormais de plein fouet les superstructures de la domination capitaliste états-unienne. 

Quand on lit cela, on peut penser que Georges Gastaud parle d’une situation nouvelle. Or, en réalité, pour le Pôle de Renaissance Communiste en France, cela fait… 30, 50 ans que le capitalisme connaîtrait une crise générale, voire même 90 ou 100 ans, selon les articles. Le concept apparaît en fait très rarement, et de manière incantatoire.

La raison en est très simple : le Pôle de Renaissance Communiste en France se revendique du concept révisionniste de « capitalisme monopoliste d’État » élaboré par le Parti Communiste Français dans les années 1960, sous l’égide de Paul Boccara. Le stade impérialiste du capitalisme aurait été dépassé par un capitalisme organisé au moyen de l’État.

Dans le même interview du 13 janvier 2021, Georges Gastaud dit ainsi :

« Bien entendu, le PRCF comme tel n’a pas pour autant vocation ni compétence pour garantir ou pas tel ou tel vaccin.

Il est en revanche de notre devoir politique de rappeler que dans le capitalisme monopoliste d’État qui règne aujourd’hui sous le pseudonyme de néolibéralisme, les intérêts capitalistes et l’intervention de l’État sont fondus en un mécanisme unique qui soumet la recherche scientifique aux énormes intérêts financiers.

Le dire n’est en rien participer du scepticisme antivaccinal, cet obscurantisme: il s’agit seulement de constater un fait patent. »

On a donc, pour le Pôle de Renaissance Communiste en France, une crise qui dure depuis plusieurs décennies, voire cent ans, avec un capitalisme qui n’est plus le capitalisme classique, ni celui parvenu au stade impérialiste, mais un « capitalisme monopoliste d’Etat », c’est-à-dire un capitalisme organisé.

C’est la thèse traditionnelle de la social-démocratie des années 1920, puis des révisionnistes en URSS au début des années 1950 avec Eugen Varga et son « capitalisme monopoliste d’Etat » justement, que Paul Boccara a repris et systématisé au sein du Parti Communiste Français dans les années 1960, avec une adoption dans l’idéologie officielle du social-impérialisme soviétique et de ses satellites.

Le Pôle de Renaissance Communiste en France est donc sur une ligne révisionniste. Il prétend avoir rejeté la « mutation » du Parti « Communiste » Français. Cependant, cette prétendue mutation est dans la droite ligne de la thèse du capitalisme monopoliste d’État : les analyses du Parti « Communiste » Français se revendiquent ouvertement de Paul Boccara.

Le Pôle de Renaissance Communiste en France n’agit pas différemment. Lui-même ne se revendique d’ailleurs pas de Staline, ni évidemment de Mao Zedong. Quant à la référence à Lénine, elle ne saurait avoir de sens puisque la thèse du « capitalisme monopoliste d’Etat » annule toutes les positions de celui-ci.

Dans la thèse du « capitalisme monopoliste d’État », l’État est neutre et accaparé par les monopoles, il faut donc se les approprier dans le cadre des institutions et les « démocratiser ». Le Pôle de Renaissance Communiste en France est entièrement sur la ligne de l’acceptation de la légalité bourgeoise et du parlementarisme.

Il cherche bien entendu à masquer cela, pour se distinguer du Parti « Communiste » Français. Il a pour cette raison inventé le concept de « Frexit progressiste », une sortie « progressiste » de l’Union européenne. Ce concept lui permet de parler de révolte du peuple et même parfois de « démocratie populaire ». Le Pôle de Renaissance Communiste en France en fait d’ailleurs des tonnes dans le nationalisme, afin de prétendre qu’il y aurait une dimension populaire à son approche.

Cela n’a toutefois rien de vrai. Le nationalisme du Pôle de Renaissance Communiste en France est dans la droite ligne du Parti « Communiste » Français des années 1970. Et il exprime les intérêts de l’aristocratie ouvrière, d’où l’écho significatif du Pôle de Renaissance Communiste en France dans la CGT.

Car la France est un pays extrêmement riche, avec un État parmi les plus puissants du monde, un capitalisme dans les premiers rangs mondiaux, avec une population pacifiée et corrompue par un système social bien entendu très utile, mais visant à éteindre les luttes de classe. Depuis 1968, la stabilité est d’ailleurs complète, l’hypothèse révolutionnaire est totalement isolée. Le capitalisme avancé a neutralisé au maximum les antagonismes.

Le Parti « Communiste » Français, qui a trahi au début des années 1950 la cause communiste en rejetant Staline, en abandonnant l’objectif de la prise du pouvoir par la révolution, a joué un grand rôle dans ce processus d’écrasement de la lutte des classes. La CGT, en tant que syndicat dirigé par le Parti Communiste Français, s’est entièrement opposé à mai 1968, mettant tout son poids pour que les « gauchistes » n’influencent pas les masses populaires.

Le Pôle de Renaissance Communiste en France ne fait que prolonger ce positionnement social-impérialiste du Parti « Communiste Français ». Son discours rejoint alors toute la vague nationaliste qui accompagne la seconde crise générale du capitalisme.

La compétition internationale des pays impérialiste avait déjà provoqué, dans les années 2010, d’importants troubles, notamment dans la superpuissance américaine. Celle-ci, voyant la concurrence chinoise se mettre en place à l’horizon 2030-2050, est allé dans le sens d’un repli et d’une réorganisation stratégique, en vue de la confrontation. C’est le sens de l’élection de Donald Trump comme président et bien entendu il en va de même pour le brexit, qui représente un alignement britannique sur la superpuissance américaine.

Et avec la seconde crise générale du capitalisme, le repli sur la base nationale, afin de profiter des États dans l’affrontement impérialiste, est absolument général.

D’où une systématisation des thèses du « souverainisme » en France, à travers Marine Le Pen (Rassemblement National), Florian Philippot (Patriotes), François Asselineau (Union populaire républicaine), Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), le philosophe Michel Onfray (avec la revue « Front populaire »), le socialiste Arnaud Montebourg.

Il faut également ajouter à ce panorama souverainiste Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise, qui est cependant davantage populiste, ainsi que son accompagnateur François Ruffin.

Quelle place y a-t-il pour le Pôle de Renaissance Communiste en France dans un tel cadre ? Uniquement celui de la convergence avec les impérialistes, en se plaçant comme son aile « sociale ».

Rien d’autre n’est possible, parce que le Pôle de Renaissance Communiste en France rejette le concept d’impérialisme, au nom de la thèse du « capitalisme monopoliste d’État » et d’une crise générale qui ne serait pas nouvelle mais perdurerait depuis des décennies. En révisant l’idéologie communiste, le Pôle de Renaissance Communiste en France se place dans l’orbite de la restructuration capitaliste et, dans une période de crise générale, son « patriotisme » le fait servir le nationalisme des forces les plus agressives de la bourgeoisie.

La tendance à la guerre sera-t-elle le terrain de la restructuration dans la seconde phase de la seconde crise générale du capitalisme?

[Crise numéro 9, février 2021]

La première étape de la crise générale est passée : les États sont intervenus dans l’économie et ont injecté des quantités colossales d’argent : 10 000 milliards de dollars. C’est une somme énorme, alors que l’endettement était déjà une tendance étatique : la même somme avait été injectée entre 2012 et 2019. La dette mondiale des États s’élève désormais à 77 800 milliards de dollars, soit 94 % du PIB mondial.

Rappelons ici que les ménages ont également, dans les pays impérialistes, une année de PIB de dettes, et qu’il en va de même pour les entreprises.

Or, cette injection d’argent va avoir un coût, qui va nécessairement être porté par les masses populaires, et d’une double manière.

En effet, l’injection d’argent a servi à « combler » le manque d’activités. Donc, le capitalisme est censé avoir, sur le papier, continué comme avant, d’une part, et d’autre part prolonger le tir. Or, comme tout a changé, une reprise « normale » n’est pas possible et l’accumulation a été, qui plus est, artificielle.

Les capitalistes vont chercher à forcer, naturellement, et ce seront les masses populaires qui devront porter ce fardeau.

L’autre aspect est la question des sommes empruntées par les États pour injecter dans l’économie de quoi tenir. Il faudra rembourser ces sommes, avec intérêt, puisque les États étaient déjà endettés et ne disposaient pas de sommes propres. La dette publique française, c’est 870,6 milliards d’euros en 2000, 1608 dix ans plus tard, 2638 vingt ans plus tard ; la Belgique est elle à 500 milliards d’euros de dette, soit 115 % du PIB.

Cela implique un poids fiscal toujours plus grand afin de renflouer les caisses étatiques.

La restructuration : économique ou sociale, économique et sociale ?

Il existe plusieurs secteurs de la bourgeoisie qui disent qu’il faut geler la dette, laisser l’économie repartir et digérer la dette avec la reprise, tablant sur une croissance sur le long terme. Cela signifierait que l’État maintient son haut niveau d’engagement social et que la restructuration serait surtout dans le cadre des entreprises.

Pour d’autres secteurs, il faut casser les services sociaux afin de purger la dette de l’État. Il faut libéraliser en masse et laisser le capitalisme d’ailleurs se réorganiser de lui-même, sans forcer les choses.

Ces deux points de vue sont cependant insuffisant du point de vue du matérialisme historique. Le capitalisme aujourd’hui, c’est en effet désormais le 24 heures sur 24 du capitalisme, avec une production et une consommation présente tout au long de la vie quotidienne.

Quelqu’un qui publie du contenu personnel sur Facebook contribue à faire vivre cette entreprise sur le plan économique, au moyen des revenus, tout comme quelqu’un qui achète quelque chose sur Amazon fait vivre cette entreprise. Il en va de même bien sûr quand on achète quelque chose chez un commerçant, mais le système est désormais bien plus rôdé, plus rapide, tout circule plus vite. Si l’on regarde bien, un nombre très important d’actes du quotidien exige des achats de marchandises et l’intégration aussi aisée du smartphone dans la société tient beaucoup à cela.

Il ne faudrait donc pas croire que la restructuration sera seulement économique ou sociale, économique et sociale. Elle concerne le mode de production en lui-même, dans son ensemble. De la même manière que la pandémie est le produit d’un capitalisme déséquilibrant le rapport villes-campagnes, la restructuration va toucher tous les domaines de la vie.

Les outils pour délimiter le terrain de la restructuration

Pour comprendre le terrain de la restructuration, il faut saisir le mouvement du capital dans son accumulation. En cernant les aspects de ce mouvement, on aura les outils adéquats pour saisir comment le capital va forcer son accumulation.

Le mode de production capitaliste consiste en une production de marchandises, donc en du capital investi dans la production, avec un capital plus grand à la sortie de par l’exploitation des travailleurs et la vente des marchandises.

Il faut donc que les capitalistes soient capables d’accumuler du capital, de l’investir, de disposer d’un appareil productif, de disposer de travailleurs, de disposer d’un circuit de distribution, de voir leurs marchandises vendues.

Tous ces éléments peuvent connaître une restructuration. Par exemple, afin d’accumuler plus simplement du capital, les capitalistes peuvent faire tomber des barrières. S’ils voient par exemple que l’État interdit le cannabis, mais qu’il y a un moyen d’accumuler du capital pour investir en ce domaine, ils peuvent chercher à faire tomber l’interdiction. Ils peuvent également, dans un autre registre, faire tomber différentes lois empêchant tel et tel capital de s’allier, comme par exemple en permettant aux gens d’investir plus aisément dans des entreprises.

Afin de disposer d’un appareil productif adéquat, ils peuvent faire en sorte d’avoir des aides de l’État, des commandes de l’État, ou bien pousser l’État à mettre en place le protectionnisme. C’est également une restructuration, car cela renforce la place des capitalistes.

Il y a bien entendu le fait d’abaisser les salaires, que ce soit directement ou bien en passant par l’inflation, ce dernier aspect étant rendu difficile de par l’existence de l’euro, avec différentes économies imbriquées.

Il y a le fait de renforcer le circuit de distributions, comme Amazon et les livreurs de plats des restaurants sont de bons exemples. Il y a le fait de multiplier les marchés, par exemple en renforçant la dimension communautaire afin de multiplier les types de consommation, de pousser à la consommation justement en raison d’une « mode » se définissant selon des critères identitaires.

Bref, le capitalisme est plein de ressources, mais là n’est au sens strict pas la vraie question de la restructuration au sens strict.

La question de la nature particulière de la restructuration dans le cadre de la seconde crise générale du capitalisme

Pour comprendre ce qu’est la restructuration, il faut bien saisir que c’est une réorganisation des rapports entre bourgeoisie et prolétariat, dans le sens d’un renforcement de l’exploitation. Il va de soi que la restructuration, dans les faits, va se dérouler aux différents moments du processus de production et de consommation capitalistes. Cependant, tout ce qui a été défini jusque-là ne consiste en strictement rien d’original : les capitalistes ont toujours voulu faire en sorte que les salaires soient plus bas, que l’État fournisse des aides, que les marchés soient plus étendus, etc.

Or, on parle de la seconde crise générale du capitalisme et il faut bien que la restructuration soit quelque chose qui soit en phase avec celle-ci. Cela ne saurait être une restructuration simplement plus poussée, quantitativement plus forte. Il faut que sur le plan qualitatif, on voit une différence.

Il faut bien comprendre qu’on parle d’une question extrêmement difficile. Lors de la première crise générale du capitalisme, il y a eu d’énormes difficultés pour aboutir à une réponse correcte. Il y a ici un enseignement qu’il faut connaître, afin d’avoir une approche correcte. Ce qui est en jeu, c’est une lecture adéquate du profil même de la restructuration.

Ce question du profil est absolument essentiel.

La restructuration dans le cadre de la première crise générale du capitalisme

Lorsque s’est produit la révolution russe d’Octobre 1917, alors que la guerre impérialiste avait épuisé la plupart des pays capitalistes, Lénine et les bolcheviks ont parlé de première crise générale du capitalisme. Ils considéraient que le capitalisme s’effondrerait à court terme et ils ont fondé l’Internationale Communiste afin d’organiser la vague révolutionnaire.

Puis, voyant que le processus connaissait un tempo non linéaire, ils ont constaté qu’il y avait une stabilisation relative, accompagnée de soubresauts, puis d’une reprise de la vague révolutionnaire, puis d’une période de stabilisation relative, etc. Les analystes se cassaient la tête pour évaluer la situation et l’Internationale Communiste décidait ensuite des orientations à prendre dans chaque pays, selon les estimations de la situation générale et particulière.

Très vite toutefois, c’est le thème de la guerre impérialiste qui a pris le dessus sur la question de la restructuration. La France, la Grande-Bretagne, mais surtout l’Italie et l’Allemagne ont procédé à une restructuration allant dans le sens de la guerre impérialiste. Il est bien connu que l’Allemagne nazie a réorganisé profondément le pays en appuyant un capitalisme monopoliste, permettant un assainissement relatif mais au moyen d’une tendance à la guerre. La restructuration a donc fonctionné, paralysant les masses, au prix d’une guerre que les masses ont vu arriver trop tard. Le drame allemand est qu’en plus les terribles réussites allemandes du début de la guerre ont encore plus galvanisé dans le sens du nazisme.

La restructuration passe-t-elle par la guerre impérialiste ?

La question se pose alors de la manière suivante : la restructuration dans le sens de la guerre impérialiste est-elle inévitable ? Ne doit-on pas même considérer que la restructuration implique, dans sa définition même, la tendance à la guerre impérialiste ?

Il est très important de saisir cela, car l’axe principal n’est pas le même. Dans le premier cas, il y a avant tout une restructuration capitaliste et, à côté, un renforcement de la compétition capitaliste. Dans ce cadre, les États sont appelés à la rescousse puis directement utilisés. La guerre apparaît alors comme une possibilité à côté de la restructuration, comme réalisation de la restructuration si celle-ci ne parvient pas à atteindre un résultat suffisant.

Dans le second cas, la restructuration n’est qu’un accompagnement d’une marche à la guerre qui est immanente au capitalisme. Il y a une restructuration, car c’est inévitable de par la crise. Mais il y a surtout une bataille pour le repartage du monde, parce que la situation ne peut nullement rester la même, qu’il faut trouver un moyen d’accumuler et que cela ne peut, de toutes façons, qu’être fait aux dépens des autres.

L’aspect principal consiste-t-il en la restructuration ou en la bataille pour le repartage du monde ?

Il n’est nullement question de séparer abstraitement la restructuration de la guerre impérialiste. Après 1918, les socialistes ont fait l’erreur de penser que la guerre était évitable et que la restructuration devait être à la fois combattue et travaillée de l’intérieur, comme si le capitalisme allait miraculeusement se transformer en socialisme. Une autre erreur a été celle des courants gauchistes réfutant de lutter contre la restructuration, en disant que de toutes façons la révolution était immédiatement à l’ordre du jour.

La véritable approche ne peut être qu’en la compréhension dialectique entre la restructuration et la guerre impérialiste. Et la contradiction entre les deux pôles que sont restructuration et guerre impérialiste, c’est la politique. Or, pour la bourgeoisie, la politique, c’est l’État. Le véritable lieu de la restructuration, c’est l’État.

L’État comme terrain véritable de la restructuration

La bourgeoisie est la classe dominante ; dans les luttes de classes, le rapport de force est condensé sous la forme de l’État bourgeois. Cela signifie que le premier terrain de la restructuration, c’est l’État. La bourgeoisie va chercher à redéfinir ses rapports aux masses populaires, en restructurant tous ses rapports avec elle, depuis les impôts jusqu’à la police, en passant par les syndicats.

La bourgeoisie va chercher à former, à tous les niveaux, un pacte corporatiste afin de soumettre les masses populaires au préalable divisées.

Inversement, la classe ouvrière est la classe opprimée. De ce fait, c’est par la recomposition de la classe que se condense, de manière inversée à la bourgeoisie, le rapport de force devant aboutir à l’État socialiste. Cette recomposition a comme substance l’autonomie prolétarienne, le refus de tout ce qui sert le pacte corporatiste que la bourgeoisie veut mettre en place.

Mais ce n’est pas tout : l’appareil d’État connaît également de profondes modifications.

L’appareil d’État et sa modification dans la tendance à la guerre

Ce qui se passe, dialectiquement, c’est que certains secteurs capitalistes profitent avant tout de la restructuration, tandis que d’autres profitent avant tout de la tendance à la guerre, parce qu’ils ont déjà atteint un niveau monopoliste tellement parasitaire que la restructuration devient secondaire pour eux. Or, ce sont les secteurs monopolistes qui tendent à l’emporter, et avec eux la tendance à la guerre.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de restructuration en général. Mais les monopoles partent à la conquête de l’État, ils en prennent le contrôle, avec comme but un capitalisme monopoliste d’État comme force de frappe impérialiste, capable de mobiliser pour la guerre.

Cela implique que l’appareil d’État va changer de forme et de personnel, afin de se plier toujours plus entièrement aux exigences des monopoles. C’est un aspect essentiel, car cela veut dire que la fascisation accompagne la restructuration de l’État en général.

C’est là quelque chose de très compliqué, car comme on le sait les réformistes servent la restructuration, mais la restructuration est parallèle à la fascisation. Les réformistes sont pourtant opposés au fascisme, mais ils désarment l’antifascisme en participant à la restructuration.

Il y a ici quelque chose de particulièrement difficile à appréhender dans les faits et l’Internationale Communiste a eu de grandes difficultés à cerner le double caractère des réformistes.

Il faut ainsi distinguer entre la restructuration de l’État en général et son appropriation par les monopoles. Et cela implique de rejeter la thèse révisionniste qui, depuis les années 1960, prétend que l’État relèverait déjà d’un « capitalisme monopoliste d’État » post-impérialiste.

La fermeture des remontées mécaniques des stations des ski en France, un marqueur de la seconde crise générale du capitalisme

[Crise numéro 9, février 2021]

Le tourisme « hivernal » fondé sur les loisirs du ski s’est développé à partir des années 1920-1930. Les congés payés ainsi que le développement de multiples voies ferrées dans les zones montagneuses ont favorisé le développement de ce tourisme. Auparavant utilisé comme un moyen rudimentaire de déplacement par la paysannerie, le ski s’est généralisé comme sport grâce à l’essor des forces productives des années 1960.

Le coup d’arrêt de mars 2020, ainsi que la perspective d’une « saison blanche » 2020-2021 viennent fermer tout un cycle social, économique, et culturel ouvert dans les montagnes françaises au sortir de la seconde guerre mondiale.

La massification du ski dans les années 1970

C’est au sortir de la seconde guerre mondiale que se pose la généralisation du secteur touristique. Il s’ensuit dès les années 1960 une vaste politique de développement de stations de ski, construites de manière ad hoc à moyenne et haute altitudes.

C’est le « plan neige » lancé par le gaullisme, s’étalant de 1964 à 1977, visant à contre-carrer la prolétarisation des couches paysannes, et donc l’exode rural. L’affaiblissement de l’économie paysanne, principalement des alpages, a été le résultat direct de la concentration de l’agriculture dans les mains de quelques gros capitalistes dominés par la grande distribution.

C’est la massification du tourisme hivernal liée à la bourgeoisie et aux couches supérieures de la petite-bourgeoisie. La démocratisation du ski est quant à elle plutôt liée au travail social-démocrate des municipalités dirigées par le P.C.F., avec l’organisation de séjours pour les foyers ouvriers dans le cadres de comités d’entreprises, notamment d’entreprises telles que la SNCF, EDF-GDF.

Massification bourgeoise et relative « démocratisation » peuvent se lire à partir de deux choses culturelles. C’est d’un côté le film populaire « Les bronzés font du ski », de l’autre sa mise en avant pour moderniser l’ancien style bourgeois-conservateur. Cela fait qu’il y a 5,6 millions de français pratiquant le ski alpin, dont plus de 50 % proviennent des villes de plus de 100 000 habitants.

Si le gaullisme a vu les stations de ski comme une manière d’acheter la paix sociale dans les territoires montagneux, l’aile libérale de la bourgeoisie en a fait une partie intégrante de son life style. Cet élan a commencé dans le cadre de la première crise générale, avec notamment la construction d’hôtels et de chalets de luxe à Megève par Noémie de Rothschild, avec la Société française des Hôtels de Montagne fondée en 1919.

On a ainsi les images diffusées à la télévision au milieu des années 1970 du président Valéry Giscard d’Estaing dévalant les pentes de plusieurs stations savoyardes, sans bonnet, avec un simple pull-over et des lunettes de soleil classiques.

Certaines parties des zones montagneuses françaises se sont donc en grande partie développeés sur la base du tourisme hivernal lié à la pratique du ski. Avec l’Autriche et les États-Unis, la France et ses 295 stations, dont 112 sont dans les deux Savoie, sont les trois principaux marchés touristiques du ski dans le monde, suivis ensuite par le Canada, la Suisse, l’Italie et la Slovénie.

Les années 1970-1980 ont été l’apogée de ce qui fut appelé, à raison, l’or blanc

Cet essor social et culturel se base évidemment sur toute une infrastructure logistique, allant de l’hôtellerie-restauration en passant par les commerces de location de ski, jusqu’aux écoles de ski alpin. Mais il y a aussi, toutes la production matérielle qui sous-tend cette activité : industrie du ski, des accessoires vestimentaires, des pylônes de remontées mécaniques, etc.

Les domaines skiables sont de plus en plus concentrés dans des monopoles, que ceux-ci soient de type familial ou de type économique classique.

On a donc soit la grande famille bourgeoise qui gère un domaine tout en s’accaparant et gérant l’ensemble des ressources d’un village sur le mode du notable rural, avec parfois une délégation de gestion à un groupe spécialisé en la matière comme Labellemontagne (onze stations gérées en France).

Soit un monopole tel que la gigantesque Compagnie des Alpes, qui a la Caisse des dépôts et consignations comme actionnaire principal.

Ce monopole gère en partie les fonds de la Compagnie du Mont-Blanc. Elle détient une dizaine de stations françaises comme Val-d’Isère, les Deux Alpes, Serre Chevalier, Flaine, le Grand Massif, Méribel, mais aussi des stations italiennes comme Courmayeur. Elle a également des parts dans La Rosière, Valmorel, Megève, Avoriaz, mais aussi dans les stations suisses de Verbier et Saas Fee. A cela s’ajoute la détention de plusieurs espaces de loisirs et culturels, comme le Futuroscope, le Musée Grévin ou le parc Astérix, des restaurants, plus de 200 magasins de sports.

Avec un bénéfice net de 47,7 millions d’euros (profits) enregistré en mai 2020, la Compagnie des Alpes a perdu un peu plus de 15 millions d’euros suite au premier confinement du printemps 2020 (62,2 Millions d’euros de bénéfices net en 2018-2019).

À la suite des premières annonces de non-ouverture des stations de ski en décembre, des tensions sont d’ailleurs apparues entre le monopole CDA et les stations de ski à gestion familliale-notabilière. Ces dernières ont fustigé la CDA pour soutenir une fermeture en décembre car ayant la trésorerie pour encaisser le coup.

L’hébergement est lui aussi tiré par trois principaux monopoles que sont le « Club Med » avec la possession de 11 villages, « Pierre & Vacances » et ses 6 200 appartements pour 32 500 lits, et « Odalys Vacances », gestionnaire de 128 000 lits et de 257 établissements en France (été/hiver).

Du côté du matériel, on a également un processus de concentration avec principalement deux monopoles que sont Rossignol et Salomon. Ces deux entreprises sont largement élancées dans les années 1950-1960 dans le sillage des « Plan-neige », raflant aujourd’hui respectivement 25 % et 15 % du marché du ski.

Du côté des infrastructures, le secteur est d’autant plus concentré qu’il demande des investissements colossaux en capital constant, pour un taux de rotation du capital assez lent.

On a ainsi pour les remontées mécaniques des monopoles directement lié à leur base nationale : Bartholet pour la Suisse, CCM et Leitner pour l’Italie, Poma et dans une moindre mesure GGM pour la France, Doppelmayr-Garaventa pour l’Autriche et Sky trac pour les États-Unis.

Au niveau des cabines des téléphériques, le secteur est encore plus concentré avec surtout trois entreprises, filiales des groupes précédents : CWA, filiale suisse de l’autrichien Doppelmayr, Gargloff, filiale de BMF, et Sigma Cabins, filiale de Poma.

Ces mastodontes entretiennent toute une activité sous-traitante, comme par exemple la demande en câbles électriques et d’acier, des filiales comme l’usine de Doppelmayr à Modane en Savoie, qui emploie une cinquantaine de personnes fixes, les usines Poma en Isère et en Savoie, etc.

Le tournant des années 1990

Les années 1990 ont été un moment charnière dans les sports d’hiver et l’industrie touristique.

Tout d’abord il y a eu l’essor du snowboard, et du ski freestyle, qui a du être absorbé-intégré par les secteurs capitalistes. L’essor du snowboard est en lien direct avec la critique du ski aseptisé par la bourgeoisie, avec son style « guindé ».

Il fallait pouvoir surfer la neige : c’est ce que propose Jake Burton dès 1979 et qui se généralise progressivement dans les années 1990. Les « snowboarders » ont été très mal vus au départ, avec l’image de punks des neiges, cultivant un entre-soi marginal, alternatif, puisant dans le vie de « saisonniers », souvent vivant en camions aménagés, etc.

Évidemment, les secteurs capitalistes sont parvenus, sans grande difficultés, à intégrer tout cela dans sa machinerie d’accumulation. Il a fallu investir dans de nouveaux moyens de production, former de nouveaux ingénieurs, etc.

Ce qui va apparaître comme un obstacle objectif, lié ici directement à la seconde crise générale, c’est bien évidemment le réchauffement climatique.

L’hiver 1963-1964 avait déjà rappelé la réalité à la bourgeoisie : l’économie du ski est conditionnée à un important aléa climatique. Mais ce sont les hivers « sans neige » de 1988-1989, 1992-1993 puis 2006-2007 qui vont faire basculer les mentalités.

Tout cela a engendré une baisse progressive des volumes de production à partir de la fin des années 1990. À cela s’est ajouté un tassement des marchés asiatiques, principalement celui du Japon, dans le cadre des crises économiques régionales de 1997-1998.

C’est le moment de la restructuration pour les équipementiers, exprimant en fait la baisse tendancielle du taux de profit dans le secteur. On est loin de l’artisan-menuisier, travaillant le bois pour fabriquer des skis, avec des nouvelles technologies, des nouvelles matières, plus d’automation, etc.

Salomon a ainsi été racheté par le groupe finlandais Amer Sports en 1997 à la suite de sa vente par Adidas. En 2008, son dernier site de production de ski à Rumilly en Haute-Savoie est fermé.

Rossignol a quant lui été racheté en 2005 par le groupe américain Quicksilver, avec une série de suppressions d’emplois, avant d’être revendu à fonds australien Macquarie & Jarden courant 2008. En 2013, c’est le fonds norvégien Altor qui rachète finalement le groupe Rossignol.

Depuis les dernières années, ces équipementiers ont cherché à diversifier leur production dans le domaine des loisirs estivaux (trails, randonnées, vtt, etc.), mais cela ne va pas suffire à faire face à l’ampleur de la dégringolade liée à la crise sanitaire de 2020-2021.

Du côté des stations de ski, il y a eu investissement massif dans les canons à neige. Auparavant limités à telle ou telle grand domaine, et à tel piste exposé à l’adret (plein soleil), les canons à neige ont envahi toutes les stations de ski pendant les années 2000.

Cela modifie grandement le cycle d’écoulement des eaux, avec des conséquences négatives sur la faune et la flore. Des conflits ont également lieu quant à l’usage des cours d’eau pour les réserves de canons à neige, rendus explosifs avec les sécheresses de plus en plus régulière.

A ce titre, notons que l’ajout de Pseudomonas syringae pour fabriquer de la neige artificielle malgré des températures positives élevées, porté notamment par la marque Snomax, est interdit dans deux régions autrichiennes ainsi qu’en France. Elle est par contre autorisée en Suisse et aux Etats-Unis.

Le Pseudomonas syringae est une bactérie qui lorsque la neige artificielle fond, s’attaque et tue certains végétaux de l’intérieur. Les tensions produites par la seconde crise générale du capitalisme, sur fond de réchauffement climatique, pourrait rabattre les cartes de cette question.

Il y a également une course à l’extension des domaines, pour proposer des vastes étendues, avec des pentes douces à destination d’une clientèle peu sportive. Cela implique des travaux estivaux de terrassement délétères au plan écologique.

C’est le basculement des stations de ski dans la décadence complète, de plus en plus portée par une clientèle huppée cosmopolite, bien loin de l’effort sportif et très proche de l’esprit loisir-festif avec tout l’impact écologique occasionné.

Si la critique écologique a émergé dans le milieu des années 1970, elle était réduite à l’aspect romantique anthropocentré des « paysages » et de la disparition des milieux paysans. Cette dimension va s’effacer dans les années 1990-2000, avec une insistance plus forte sur un réchauffement climatique qui se découvre à vue d’œil.

Dans les Alpes, la température moyenne a augmenté de + 2°c, avec une baisse de l’enneigement en-dessous de 1600 mètres. Les stations de Pyrénées sont les plus directement touchées.

Le coup d’arrêt brutal de 2020

Les effets sociaux et culturels de la crise sanitaire

On assiste depuis le mois de novembre 2020 à une sorte de fuite en avant des dirigeants du secteur, qui se sont félicités du semi-confinement d’octobre dans l’espoir d’une ouverture pour la fin décembre afin d’attirer la clientèle française.

En décembre, des élus du Parti socialiste sont même allés jusqu’à signer une tribune corporatiste pour légitimer la ré-ouverture des remontées mécaniques. Cela témoigne du renforcement du fascisme, comme reflet du raidissement des monopoles.

Dans une lettre ouverte au premier ministre Jean Castex, Henri Giscard d’Estaing, fils de l’ancien Président décédé du covid-19, et président du Club Med demandait la ré-ouverture pour février. Il constatait que qu’avec plus de « 50 % du PIB de la Savoie, et un peu moins en Haute-Savoie […] plus de 100 000 emplois saisonniers pourraient disparaître ».

Guy Bloch, tout à la fois maire de la station des Plagnes en Savoie, président de l’Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM) et du « syndicat » France montagne, annonce la disparition de dizaines de milliers de commerces, tout en ajoutant dans un article du Figaro :

« Si nous ne sommes pas ouverts pour le 6 février ça va être dramatique car les aides seront insuffisantes pour permettre la survie de l’écosystème.

Ce qui est gagné en hiver est réinvesti le reste de l’année sur tout le territoire donc si le modèle économique disparaît ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui seront supprimés et des dizaines de milliers de familles qui quitteront la montagne pour partir en milieu urbain »

Il y a bien là tout un cycle entamé à partir des années 1950, et maintenu coûte que coûte en vie depuis les années 1990. La seconde crise générale du capitalisme marque ainsi une gigantesque rupture, avec bien évidemment un inégale répartition. Ce sont les stations dite de seconde et troisième générations qui sont le plus touchées.

Alors que les premières stations sont celles de basse altitude développées autour d’un village pré-existant (Chamonix, Megève, Grand Bornand, etc.), les stations de seconde génération ont été créées au-delà du village d’origine. L’ensemble de l’espace foncier et commercial du village a été consommé pour les « besoins » du tourisme hivernal, comme Courchevel ou l’Alpe d’Huez.

Quant à la station de troisième génération, elle correspond plus directement au « Plan-neige » des années 1960-1970 : construite à plus haute altitude, elle a comme particularité d’être « intégrée » avec parkings, buildings de plusieurs étages et routes permettant d’accéder aux pistes « ski en main ». C’est le cas de Flaine et d’Avoriaz en Haute-Savoie, Tignes et Isola 2000 en Savoie.

Alors que les stations de moyenne altitude (première et seconde génération) enregistrent un recul de 35 % à 60 % de leur réservation, les grands domaines de type troisième génération ont connu un recul de près de 90 % de leur activité normale. Le village-station a pu limiter la casse en proposant d’autres activités.

Par exemple, à Val Thorens, le mois de décembre n’a enregistré que 2 000 touristes contre 25 000 d’ordinaires. De manière générale, la perte moyenne des stations de ski toutes confondues était estimé mi-janvier à 70 %.

L’apparition des variants britanniques, sud-africain et brésilien à la fin décembre 2020, notamment dans la station de ski suisse de Saint Moritz, a clôt toute perspective d’ouverture pour les vacances de février des stations françaises.

A l’inverse, les stations de ski en Autriche et en Suisse sont restées ouvertes, alors que celles en Italie sont également fermées. Ces inégalités provoquent forcément un aiguisement de la concurrence.

La saison blanche va donc être une véritable onde de choc, avec notamment le bouleversement en profondeur du mode de vie saisonnier. Un mode de vie qui, s’il cherche à s’échapper de manière justifiée de la monotonie prolétaire, est culturellement au service du capitalisme. A ce titre, il va bien leur falloir chercher une solution puisque la réforme de l’assurance-chômage prévue au printemps 2020 n’a fait qu’être repoussé du fait de la crise sanitaire.

Cette impossibilité d’avoir une activité a entraîné toute une contestation portée par une alliance de notables bourgeois des stations, de petits commerçants et d’une partie des travailleurs saisonniers. A l’inverse, une partie de la population montagnarde a vu dans cet arrêt un moment de répit pour les animaux sauvages.

C’est l’expression ici d’une opposition de classe, déjà présente mais que les effets de la crise sanitaire rendent de plus en plus antagoniste, ouvrant un nœud de contradictions révolutionnaires.

Une fuite en avant sous la domination unilatérale des monopoles

Forcées de fermer de manière prématurée en mars 2020, les stations de ski ont enregistré une perte d’environ 1,5 milliards d’euros. L’Agence Savoie Mont-Blanc annonce une perte de 5,8 milliards d’euros si la fermeture des stations est maintenue jusqu’à fin mars, et de plus de 4 milliards dans tous les cas.

Or, plus d’un tiers, voire plus, du PIB de ces départements provient des recettes touristiques. C’est un gigantesque crash. Le directeur générale du Tourisme en Savoie parle d’« une situation de crise totalement inédite » ; celui des Hautes-Alpes affirme que c’est « tout le territoire montagnard qui est mis en péril, par effet domino ».

Les prémices de la future secousse sont déjà là. Pour n’en citer que quelques exemples, l’autrichien Doppelmayr a annoncé le licenciement de 190 salariés.

L’entreprise de ski Rossignol a supprimé 92 postes dès la rentrée 2020, soit avant la saison blanche 2020-2021 et alors que près de 45 % des ventes de ski en France sont pris par les magasins de location en station. Dans la station des Carroz, seulement 80 saisonniers travaillent sur 450 embauchés (800 en temps normal).

Les secteurs les plus touchés vont être l’hôtellerie-restauration, les commerçants de location de matériel, puis les équipementiers de ski comme Rossignol et Salomon, entraînant une véritable effet en cascade sur les clients et fournisseurs qui leur sont liés. Avec 1,4 millions de lits à disposition, les pertes dans le secteur de l’hôtellerie vont être dantesques.

Pour les gestionnaires des remontées mécaniques elles-mêmes, le coût est d’autant plus rude que les charges fixes (loyers, entretien mécanique, damage, sécurisation des couloirs, etc.) sont très élevées. Des charges qui ont continué à être payé comme si la saison allait repartir.

Il y a eu une masse d’argent déboursée pour finalement zéro recettes, car le damage des pistes a continué, et les canons à neige ont continué de tourner. Rien que le damage d’un domaine d’une centaine de kilomètres de pistes coûte 15 à 20 000 euros par nuit.

Le remboursement des aides va être explosif, en plus du gonflement d’une dette faramineuse. La Compagnie des Alpes a contracté par exemple deux PGE (prêt garanti par l’État) avoisinant les 500 millions d’euros, alors même que ses bénéfices net en mai 2020 étaient de 47,7 million d’euros. Il y a un décalage énorme.

A noter d’ailleurs que Dominique Marcel, le Président-directeur général de la Compagnie des Alpes, a pris la présidence de l’Alliance France Tourisme, auparavant occupée par le directeur général du groupe hôtelier Accor.

Enfin dans une moindre mesure les producteurs des infrastructures vont aussi être touchées. Ce dernier secteur est intéressant à analyser, tant il exprime le renforcement des monopoles dans l’appareil d’État.

En effet, avec l’explosion des dettes publiques et privées, les monopoles des remontées mécaniques et des cabines vont également connaître un coup d’arrêt, avec des investissement en berne.

Alors que les monopoles du secteur cherchaient à ré-orienter progressivement leur activité vers le transport par câbles urbain du fait du réchauffement climatique, le coup d’arrêt brutal de 2020 met fin à cette transition « pacifique ». Si l’on regarde seulement ces entreprises, on constate en effet une course à la conquête de marchés extérieures des transports par câbles urbain.

Cela accentue les rivalités inter-impérialistes, comme le montre par exemple le décrochage par Poma de la construction du téléphérique à Oulan-Bator en Mongolie. L’État français a accordé un prêt à la Mongolie, conditionné à l’obtention par Poma de la construction d’un téléphérique à Oulan-Bator. C’est là une preuve de prise de contrôle de l’État par la fraction monopolistique du capital français.

Dans le même temps, au niveau des stations de ski elles-mêmes, il est déjà annoncé un partenariat entre la Banque des territoires (propriété de la Caisse des Dépôts) et le Crédit Agricole des Savoie pour développer, pour l’instant seulement à Aime-La Plagne et La Clusaz des projets, tels que des ascenseurs valléen (transport par câbles), de l’ « immobilier raisonnable », etc. Le prix de l’immobilier a dégringolé en quelques semaines, révélant la surproduction de marchandises.

L’impact de la seconde crise générale du capitalisme sur les stations de ski forme une onde de choc historique pour ces régions. C’est toute la dynamique qui est grippée, avec également une baisse des recettes fiscales pour les communes, les départements, bloquant les investissements publics.

À cela s’ajoutent des professions en dehors des aides de l’État, comme les cabinets de médecins, faisant courir le risque de déserts médicaux déjà prégnant dans ces zones.

Il est évident que les habitantes et les habitants des zones montagneuses voient s’ouvrir une nouvelle période historique, avec en toile de fond la problématique écologique qui se heurte à la bourgeoisie cosmopolite, principale clientèle tirant les stations de ski.

Il y a là une situation explosive pour les prochaines années, d’autant plus forte que ces départements ont été habitués à une richesse touristique débordante, impliquant la formation de subjectivités en rupture avec tout cela.

Les faux ‘‘maoïstes’’ : de la paraphrase et la peur de la guerre populaire

Le problème quand on a des idées nouvelles dans un pays capitaliste développé, c’est qu’il y a forcément de nombreux petits-bourgeois qui tentent de se les approprier. Acquérir de nouvelles conceptions n’est pas une mauvaise chose en soi, mais les petits-bourgeois ne savent pas le faire sans procéder à d’importantes déformations. Parfois, c’est sincère ; dans d’autres cas cela aboutit à de véritables détournements, des falsifications.

Il va de soi que notre affirmation du maoïsme n’a pas échappé à ce processus, avec de très nombreux individus et groupes tentant de récupérer notre travail, de se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. Nous avons toujours observé cela avec attention, mais avec distance, pour deux raisons.

La première, c’est que nous menons notre propre travail et que nous en sommes satisfaits. Que des faux maoïstes s’agitent sur Facebook, recrutent sur les forums, fréquentent les milieux anarchistes, disent du mal du nous en racontant que nous n’existerions pas, etc., ce n’est en soi nullement traumatisant. Quand on n’a pas d’ego, mais qu’on sert réellement le peuple, de tels phénomènes laissent de marbre.

La seconde, c’est qu’il faut toujours voir s’il n’y a pas quelque chose de positif qui peut apparaître dans un tel processus. C’est très important, parce que le processus de rupture avec le capitalisme est quelque chose de difficile, parfois il y a des détours, pour ne pas dire tout le temps.

Le problème, c’est que pour parvenir à quelque chose, il faut du temps, il faut de la patience. Or, la petite-bourgeoisie n’en a pas. Cela fait que même si quelque chose de positif pouvait ressortir de tout cela, il n’y en avait pas le temps.

On a ainsi une Unité Communiste Lyon qui s’est formée en se revendiquant du maoïsme et en nous dénigrant, puis très vite le maoïsme a été mis de côté. Il y a une Organisation Communiste Futur Rouge qui a fait exactement de même. Il y a eu un Parti Communiste Maoïste qui s’est présenté comme un centre d’agitation, pour disparaître du jour au lendemain sans rien expliquer. La liste de choses similaires à cela est très longue.

Et cela relève d’un fil ininterrompu. La « Cause du peuple » a par exemple publié un article en janvier 2021, où on lit une paraphrase complète de ce que nous-mêmes disons :

« Les gouvernements bourgeois ne pourront pas combattre l’épidémie de covid-19, qui, par sa nature même, risque de devenir endémique.

La catastrophe de la gestion du covid-19 risque de se répeter avec la multiplication des épidémies, causés par la crise que traverse la biosphère, qui est une partie de la crise générale de notre système économique. »

Nous sommes les seuls à parler de Biosphère de manière développée et nous sommes les seuls à expliquer que la crise de la biosphère est une partie de la crise du système économique, encore que dit comme cela c’est inexact, puisque nous parlons de crise générale du mode de production, pas simplement d’un « système économique ».

Mais nous l’avons déjà dit ailleurs (Le faux maoïsme, un exemple de diversionnisme ; Les faux « maoïstes », un opportunisme régressif). Le faux maoïsme n’existe que comme notre ombre, de manière déformée, de manière défigurée.

Et nous voulons souligner ici un aspect essentiel à la base de ce phénomène : la peur de la guerre populaire, c’est-à-dire la peur de l’organisation, la peur de l’insurrection.

La peur de la guerre populaire

Il existe en Italie un « Parti Communiste Maoïste », qui affirme être pour la guerre populaire. Cependant, alors qu’il y a eu une intense lutte armée en Italie dans les décennies 1970-1990, il n’en dit pas un mot. Il existait même déjà durant cette période, sans évidemment ne rien faire.

C’est un excellent contre-exemple. Quand on est révolutionnaire, on sait qu’il y a immédiatement deux tendances. Il y a ceux qui parlent beaucoup, mais qui finalement font du syndicalisme. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que les faux maoïstes ont toujours soutenu la CGT, alors que la base du maoïsme en France, c’est le rejet de la CGT. Et il y a ceux qui ne disent rien, mais font le travail de fond, en évitant les associations, les syndicats, le regard de l’État.

Il est très facile, naturellement, pour les premiers de dire que les seconds n’existent pas. En même temps, les premiers sont constamment obligés de s’adapter afin de se donner une image « révolutionnaire », d’où leur fascination – répulsion pour les seconds.

Nous avons toujours constaté ce phénomène et selon nous, il ne s’arrêtera pas pour toute une longue période. Il y a toujours eu des petits-bourgeois comprenant que nous avons raison, mais s’arrêtant au dernier moment parce qu’il y a un obstacle à franchir : l’acceptation de la guerre populaire.

Dire qu’on est pour la révolution, c’est une chose. Assumer qu’il faille organiser un soulèvement à grande échelle, c’est bien souvent autre chose.

C’est là la frontière très claire que les faux maoïstes, petits-bourgeois par définition, ne peuvent pas franchir. Même s’ils prétendent la franchir, ils sont stoppés malgré eux-mêmes dans leur élan, en raison de leur propre nature de classe.

Ce n’est pas pour rien que les faux maoïstes ne s’intéressent d’ailleurs pas du tout à nos nombreuses analyses matérialistes historiques. Tout ce qui les intéresse, c’est l’apparence, les mots qui claquent, les concepts qui sonnent à la fois comme forts et nouveaux. Ce qui donne des choses grotesques, comme l’utilisation dans des pays impérialistes du symbole du Parti Communiste du Pérou pour lutter contre la « transphobie », alors que Gonzalo considérait que même l’homosexualité, anti-dialectique dans sa nature, disparaîtrait avec le socialisme.

Le symbole du PCP, qui lui appartient à lui seul

Cependant, quand on utilise des mots, ceux-ci entraînent. Il faut alors assumer ou non. Le Parti Communiste Maoïste annonce en 2016 qu’il veut la guerre populaire, puis cesse en juillet 2020 de publier quoi que ce soit sur son site et fait disparaître sa page Facebook. Quel est le sens de tout cela ?

Placer l’idéologie au poste de commandement

Il ne s’agit pas de critiquer une agitation contre le capitalisme, car cela c’est forcément bien. Mais sans continuité, sans élévation du niveau de conscience, une chose se retourne aisément en son contraire. Et alors qu’on croit faire avancer les choses, on a en fait contribué à la confusion, aux illusions, au spontanéisme.

C’est pour cela que Mao Zedong enseigne qu’il faut placer l’idéologie au poste de commandement. Les faux maoïstes ont par contre une idéologie qui tient sur une carte postale, au nom d’une pratique qui n’est rien d’autre que du syndicalisme, voire de la charité. Il y a des gens qui s’imaginent maoïstes en France parce qu’ils proposent des paquets de pâtes gratuitement ! En France, pays impérialiste, où la majeure partie des gens possèdent leur logement, alors que la sécurité sociale est universelle !

Ce genre de fiction n’a rien à voir avec la guerre populaire comme perspective de destruction de l’État par l’océan des masses en armes. Et cela rappelle comment, dans un pays impérialiste, la petite-bourgeoisie est aisément en mesure d’inventer des contes à dormir debout.

D’où la primauté de l’idéologie, sa compréhension systématique, sa considération qu’elle est notre véritable forteresse.

Sous le drapeau de Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong !

Guerre populaire jusqu’au Communisme !

Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)

Janvier 2021

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Programme du Bloc ouvrier et paysan

1925

Le Parti Communiste constate que la tuerie mondiale et les traités de violence qui l’ont suivie ont précipité le désordre, aggravé les maux de la société capitaliste et créé partout une situation intolérable aux travailleurs, exigeant sans délai une transformation complète du régime,

Nous assistons aux convulsions suprêmes d’un ordre social frappé à mort.

La monopolisation croissante des capitaux, de la production et dû l’échange par une oligarchie insatiable ; une crise économique et financière sans précédent; l’exploitation éhontée du travail des prolétaires !

La journée de huit heures en danger, les salaires réels avilis ; une spéculation effrénée sur les denrées et les logements qui, s’ajoutant à la baisse du franc, inflige la misère aux petites gens, cependant que de louches trafiquants font des fortunes vertigineuses; le poids écrasant des impôts! L’impossibilité, de jour en jour plus évidente, de la « reconstitution européenne » dans le cadre du régime actuel; un nombreux renouveau du militarisme et des armements, de la diplomatie secrète et du jeu néfaste des alliances, annonçant de nouvelles catastrophes…

Tout annonce l’écroulement du capitalisme et pose aux peuples, l’impérieux dilemme. :

— La révolution ou l’esclavage !

Depuis la fin de la guerre, la réaction française au pouvoir sous le nom de Bloc National n’a cessé de saboter la paix et d’exciter contre la France officielle la juste colère de tous les peuples du monde.

Par la faute des Millerand, des Poincaré et d’une Chambre infâme de millionnaires et de mercantis, la France est entourée de l’hostilité générale. Elle n’a comme alliés que les gouvernants des petits États sans indépendance, achetés avec les millions des contribuables français, mais dont les peuples désavouent la vassalité.

Sous le prétexte mensonger d’exiger de l’Allemagne le paiement des réparations, en réalité pour satisfaire aux appétits d’une clique d’industriels et de financiers qui fait la loi dans ce pays, le Bloc National a entrepris l’occupation de la Ruhr qui porte à son comble le désastre européen.

Non seulement il a plongé ainsi le peuple allemand dans une misère atroce, crime inexpiable, non seulement il a augmenté le déficit du budget français au lieu de le réduire, mais il a irrémédiablement compromis toute chance de restauration économique de l’Europe.

Les capitalistes français et allemands s’entendent aujourd’hui comme larrons en foire au détriment de la classe ouvrière de France et d’Allemagne qui devra payer les frais de l’opération criminelle.

Et pour assurer sa toute-puissance établie sur la misère de multitudes exploitées et opprimées, le Bloc National, gendarme de l’Europe, entretient une armée gigantesque et parasitaire.

Seule, la République ouvrière et paysanne des Soviets de Russie, malgré son isolement et les ruines causées par la guerre et la contre-révolution, travaille à maintenir la paix et à créer des œuvres de vie, tandis que le Bloc National poursuit son œuvre de mort.

A la veille d’être chassé du pouvoir, le Bloc National lègue au pays un triste héritage ; augmentation de 20 % de tous les impôts, directs et indirects, livraison des monopoles d’État à la voracité du capital privé, abandon de la réforme des pensions, retrait du projet des assurances sociales. Par contre il ne parle nullement d’évacuer la Ruhr, de réduire les dépenses militaires et de cesser ses envois d’argent aux États vassaux de l’Europe centrale.

Le Parti Communiste dénonce aux masses populaires l’irrémédiable banqueroute de la bourgeoisie, son impuissance à sauver la civilisation, son incapacité d’enrayer la crise économique qui épuisé lentement les peuples, de rétablir un minimum de paix, de sécurité et de bien-être pour les masses.

Inquiète de la haine croissante que suscite dans le pays le Bloc National, la bourgeoisie prend la précaution de constituer un nouveau bloc de défense capitaliste qui, sons le nom dé Bloc des Gauches, continuera à duper les masses populaires.

Le Bloc des Gauches n’est pas une nouveauté. Quinze années de domination radicale avant la guerre ont montré que les travailleurs auraient tort d’attendre que la bourgeoisie gouvernante, quelles que soient les étiquettes dont elle se pare, autre, chose qu’oppression, exploitation et parfois même répression sanglante.

Les fusillades du Havre n’ont fait qu’éveiller l’écho des fusillades Draveil et de Narbonne. Sous le règne même du Bloc National, trois membres du Parti radical siègent aux côtés de Poincaré au Conseil des ministres. Les futurs chefs du Bloc des Gauches, Herriot et Franklin-Bouillon se sont associés à la politique impérialiste du Bloc National, dirigée contre la classe ouvrière : impôts écrasants, révocation de 25.000 cheminots, crédits pour l’opération criminelle de la Ruhr.

A bas la bourgeoisie ! Place au prolétariat ! Contre le gouvernement capitaliste incapable et sanguinaire, contre le despotisme d’une oligarchie de métallurgistes, de banquiers et de mercantis, qui oppriment et dévalisent la France, le Parti Communiste lève le drapeau du gouvernement ouvrier et paysan.

Seul un gouvernement ouvrier et paysan, soutenu par les organisations de travailleurs, sauvera le pays de la tyrannie de l’argent, de la barbarie de la guerre, des crimes du fascisme et de la réaction.

Le gouvernement ouvrier et paysan, c’est le salut pour l’immense majorité du peuplé, pour tous ceux qui travaillent sans exploiter le travail d’autrui.

Le gouvernement ouvrier et paysan ne sera pas une institution parlementaire, il sera appuyé sur les organes de classe au prolétariat, syndicats, conseils d’usines, etc. Son action favorable aux exploités lèvera contre lui l’opposition violenté de ta bourgeoisie menacée dans ses privilèges et qui ne reculera devant aucun moyen pour l’abattre.

Le gouvernement ouvrier et paysan mobilisera toutes les forces ouvrières pour se défendre par tous les moyens et pour instaurer la dictature du prolétariat des villes et des campagnes seule, capable de vaincre définitivement la bourgeoisie.

Pour que le gouvernement ouvrier et paysan devienne une réalité, que faut-il ?

Il faut battre la bourgeoisie!

Il faut constituer, aux élections comme en toutes circonstances favorables, le Bloc ouvrier et paysan, la coalition de toutes les forces des travailleurs, s’opposant aux Blocs bourgeois, au Bloc de gauche comme au Bloc National.

Ni Bloc National, ni Bloc de gauche, tous deux instruments du capital! Bloc ouvrier et paysan, instrument de libération du travail !

Le Bloc ouvrier et paysan, c’est l’union des travailleurs des villes et des campagnes, des ouvriers, paysans, employés, fonctionnaires, de tous ceux qui aspirent à un ordre social meilleur, de tous ceux qui souffrent de la dictature insolente des rois de l’argent.

Le Parti Communiste appelle les organisations prolétariennes à former avec lui le Bloc ouvrier et paysan et met et avant des candidatures ouvrières et paysannes comme seules susceptibles de grouper la majorité des travailleurs.

Comme programme du Bloc ouvrier et paysan et du futur gouvernement ouvrier et paysan, le Parti Communiste propose :

1) Extinction de la dette publique par la saisie des grandes fortunes. Suppression de l’impôt survies salaires et des impôts indirects ;

2) Socialisation des banques, des mines, des chemins de fer et transports maritimes, des usines et fabriques, des assurances, du commerce des pétroles, et, d’une façon générale, de toute industrie employant plus de cinquante ouvriers,

Établissement, dans toutes les industries socialisées ou non, du contrôlé ouvrier (s’exerçant par les Comités d’usines), de la journée de huit heures {six heures dans les industries insalubres) et du minimum de salaire. Droit de coalition et de grève aux fonctionnaires et aux travailleurs étrangers.

Assurances sociales, sans cotisation ouvrière, contre tous les risqués afférents à la vie et au travail des ouvriers, paysans, employés, fonctionnaires, Salaire minimum aux mutilés et retraités du travail et de la guerre, la maternité fonction sociale,

3) Abolition de la Constitution, bourgeoise : substitution à la pseudo-démocratie bourgeoise d’une démocratie purement ouvrière et paysanne associant les syndicats ouvriers à la gestion des services publics. Égalité de tous les droits pour tous les citoyens saris distinction de sexe ;

4) Réquisition des locaux d’habitation, taxation des loyers, construction par les municipalités d’immeubles à loyers bon marché ;

5) Répression rigoureuse de la spéculation. Contrôle des prix par des commissions, syndicales et coopératives, développement des coopératives avec l’appui financier du gouvernement ouvrier et paysan ;

6) Suppression de l’armée permanente et de l’industrie privée des armements. Désarmement de la bourgeoisie et répression des menées fascistes, Armement du prolétariat.

Formation d’une milice ouvrière et paysanne pour la défense des conquêtes du Bloc ouvrier et paysan. Abolition des conseils de guerre et des bagnes miliaires. Octroi de tous les droits de citoyens aux mobilisés. Formation de conseils de soldats et de marins pour la défense de leurs droits et de leurs intérêts ;

7) Droit des colonies à disposer librement d’elles-mêmes ;

8) Instruction gratuite, laïque et obligatoire de tous les enfants de 6 à 16 ans. Enseignement supérieur à la portée de tous. Mise à la charge de l’Étal des frais d’entretien des jeunes gens qui, appartenant à la classe ouvrière, auront fait preuve d’aptitudes particulières. Réforme des programmes, en vue d’associer intimement, à tous les degrés d’enseignement, l’instruction professionnelle et technique à l’instruction générale ;

9) Suppression de la magistrature, Généralisation du jury. Amnistie, générale aux victimes du capitalisme ;

10) Expropriation des grands propriétaires fonciers. Remise des fermes et métairies expropriées soit à des coopératives agricoles, soit aux familles paysannes qui les cultivaient précédemment. Crédit agricole d’État pour le perfectionnement de l’outillage et de la technique. Électrification des campagnes.

Admission des ouvriers agricoles, journaliers, domestiques de ferme au bénéfice des lois ouvrières et des assurances sociales, les petits propriétaires exploitant eux-mêmes conserveront la jouissance de leur propriété:

11) Paiement immédiat de leurs dommages de guerre restés en souffrance aux petits et moyens sinistrés, Révision des Indemnités accordées aux sinistrés de la grande bourgeoisie. Répression du trafic des bons de cession !

12) Constitution d’une haute-cour populaire qui aura à juger :

les responsabilités de la tuerie mondiale et de sa prolongation ;

les responsabilités encourues par les chefs militaires, grands et petits, dans la conduite de la guerre ;

les profiteurs de la guerre ;

13) Annulation du traité de Versailles, qui n’est qu’une déclaration de guerre permanente. Conclusion d’une paix véritable sans annexions ni contributions de guerre. Mise en commun des dettes de guerre et des réparations. Évacuation de toutes les régions occupées: rappel de toutes les missions militaires. Alliance avec l’Union des Républiques soviétiques:

14) Subvention [=remplacement] des États-Unis d’Europe à la pseudo-Société des Nations.

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et la bolchevisation du Parti Communiste
Section Française de l’Internationale Communiste


Appel du 3e Congrès du Parti Communiste (SFIC)

Lyon, janvier 1924

Aux TRAVAILLEURS FRANÇAIS !
Aux TRAVAILLEURS DU MONDE !

Le troisième congrès du Parti Communiste français, réuni à Lyon, s’adresse aux travailleurs de France et du monde entier.

La France capitaliste vient de vivre une heure tragique de son existence : pour la première fois, elle a ressenti l’ébranlement annonciateur de sa fin. Ce que les communistes affirment depuis la guerre, et dont elle se riait, — elle l’a tout à coup entrevu.

La chute rapide du franc lui a donné pour la première fois conscience du danger. Et c’est elle-même qui compare sa position économique d’aujourd’hui à sa situation militaire de Verdun, où son sort était à la merci d’un hasard de la guerre.

La France capitaliste croyait échapper aux conséquences économiques de la guerre mondiale. Ayant bénéficié pour un temps de la victoire des alliés, grâce à l’oppression et à l’exploitation des peuples vaincus innocents, elle s’est grisée de sa prospérité apparente. Le moment est venu de déchanter. La catastrophe de 1914 a frappé à mort le régime lui-même et la France bourgeoise ne sera pas épargnée.

Comme l’Internationale Communiste l’a prévu, la question qui détermine la vie politique et sociale de l’Europe et dont la réponse décidera du sort de l’humanité, c’est celle de savoir qui paiera les frais gigantesques du honteux massacre.

La bourgeoisie française a proclamé que « l’Allemagne paiera » : elle a menti. Les ruines, les désastres et les dettes sont là. L’Allemagne capitaliste n’a pas payé et ne paiera pas. Ce sont les travailleurs français et allemands qui commencent à payer et qui paieront, à moins qu’ils ne se révoltent.

Au lendemain du carnage mondial, le prolétariat des tranchées et des usines était résolu à ne pas supporter les frais d’une guerre qu’il n’avait pas voulue, et qui n’a été provoquée et conduite que dans l’intérêt de groupes capitalistes rivaux.

La révolution partie victorieusement de Russie, gagnant les Balkans, la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne, s’annonçait même dans les États victorieux. Les travailleurs étaient animés d’une grande espérance de libération et d’une farouche volonté de vaincre.

Mais ils n’avaient pas alors, sauf en Russie, de parti communiste pour les organiser et les guider. La deuxième Internationale socialiste les trahit et sauva Ha bourgeoisie. Le prolétariat européen fut vaincu et la Révolution russe resta seule, encerclée, bloquée, assiégée.

La bourgeoisie fit payer cher à la classe ouvrière son inquiétude d’un jour. Elle réprima le mouvement prolétarien avec une férocité sans exemple dans l’histoire.


En Hongrie d’abord/où la Révolution fut trahie par les social-démocrates et les syndicalistes-réformistes, de connivence avec les généraux alliés, la réaction se livra à des vengeances atroces. En Allemagne, les social-démocrates eux-mêmes se firent les bourreaux des ouvriers de Berlin, de Munich et de la Ruhr.

Les pays limitrophes de la Russie, la Finlande, les États baltiques, et la Pologne furent plantés de potences et de poteaux d’exécution, leurs prisons bondées de prolétaires et de révolutionnaires. L’Italie, l’Espagne et la Bulgarie, conquises par des coups de force réactionnaires, sont devenues des bagnes pour les ouvriers. Une réaction implacable règne sur une grande partie de l’Europe.

Mais si le prolétariat fut momentanément vaincu, il n’est pas écrasé. En dépit des exactions de la bourgeoisie et de la social-démocratie, il a repris conscience de sa force.

Et, malgré des persécutions sans nombre, des partis communistes sont nés dans tous les pays, une nouvelle Internationale révolutionnaire s’est formée et grandit, appuyée sur la Révolution russe irréductible. Le mouvement communiste se développe et se fortifie, gagne des masses et tient tête aux gouvernements bourgeois.

En même temps que l’idée et l’organisation communistes progressent, la faillite de la démocratie bourgeoise s’avère irrémédiable. La soi-disant Société des Nations est un objet de dérision universelle— dans son impuissance caricaturale.

Les partis démocratiques, complices actifs ou passifs de la terreur blanche tombent dans le discrédit. Partout, la lutte des classes s’amplifie et le combat se livre entre la réaction et la révolution,

La France impérialiste a précipité encore les événements qui aboutiront à son désastre, en donnant cours aux appétits insatiables de sa ploutocratie dominante.

Elle a envahi les plus riches territoires allemands, occupé la Ruhr, sous le prétexte public d’imposer l’exécution du traité de Versailles, eu réalité pour assurer l’hégémonie du monde industriel. Maïs déjà, la rivalité des groupes capitalistes concurrents lui vaut l’hostilité de ses, alliés de guerre, bien résolus à contrecarrer sa monstrueuse expansion.

La France impérialiste a, contre elle, non seulement tous les peuples qui haïssent l’oppression, mais tous les capitalismes qui jalousent son insolente fortune.

Par son opération criminelle de la Ruhr, elle a définitivement consacré la faillite du chiffon de papier de Versailles, de ses signatures sans valeur arrachées par la violence et répudiées par les travailleurs des deux continents. Elle n’a réussi qu’à ruiner l’Allemagne laborieuse, à affamer cruellement un grand peuple, en attendant d’infliger la même ruine et la même famine au peuple français.

Les premiers signes de la débâcle sont apparus. La monnaie française subit une dépréciation qui rappelle celle de l’argent allemand, trois ans plus tôt. Le prix de la vie s’élève sans arrêt.

Les salaires ouvriers perdent chaque jour de leur valeur réelle. Les classes moyennes sont menacées dans leur niveau d’existence. Le gouvernement, après avoir masqué l’état précaire de ses finances avec le concours de la presse pourrie, avoue la gravité de la situation et recourt à des procédures d’exception.

Un parlement domestiqué s’apprête à voter sept milliards, de nouveaux impôts qui retomberont sur la masse travailleuse.

Les projets de loi d’intérêt social sont écartés, la loi de huit heures menacée d’abrogation.

De quelque côté que se tourne la ploutocratie française, elle ne voit que des ennemis, car mieux vaut ne pas parler de ses vassaux, acquis au prix de milliards et qui l’abandonneront dès qu’il n’y aura plus d’argent à toucher. Et voici qu’elle doit compter avec une renaissance manifeste du mouvement prolétarien occidental.

En Allemagne, le Parti Communiste est devenu la force dirigeante du prolétariat éveillé; près d’engager la lutte pour la révolution, il a dû ajourner son effort décisif devant la félonie renouvelée de la social-démocratie ; mais la situation reste profondément révolutionnaire et les masses ouvrières, réduites à une condition misérable, donneront l’assaut contre la bourgeoisie lorsqu’elles auront, éliminé leurs dirigeants indignes et seront convaincues de la nécessité d’engager une lutte sans merci.

En Angleterre la conscience de classe du prolétariat s’est exprimée sous la traditionnelle forme parlementaire, en attendant des expressions plus efficaces. Mais en ouvrant au Labour Party le chemin du pouvoir, elle franchit une étape indispensable vers la lutte révolutionnaire et dresse contre l’impérialisme français un obstacle d’importance.

Et en attendant l’inévitable déception que le gouvernement travailliste apportera aux ouvriers britanniques, par l’usage des moyens parlementaires et des procédures démocratiques, inventés pour consolider le régime bourgeois, le Labour Party ne pourra pas ne pas s’opposer aux menées impérialistes de la France.

Le déclin de l’impérialisme occidental fait un saisissant contraste avec l’essor ininterrompu de la grande Union des Républiques soviétiques.

Cette révolution russe, si décriée, si honnie, si bafouée, si calomniée, si accablée d’ennemis à l’intérieur et à l’extérieur, elle est debout, plus forte que jamais, après six ans de lutte, invaincue, invincible. Seule, la République soviétique, livrée au travail pacifique et constructeur, donne au monde l’exemple de la prospérité, de la création, de la vraie grandeur.

Les États bourgeois, qui avaient juré la perte du premier État prolétarien, se résignent à lui reconnaître le droit à l’existence, s’avouent impuissants même à l’ignorer. La reconnaissance de la République des Soviets est partout à l’ordre du jour.

L’Italie fasciste et l’Angleterre travailliste s’apprêtent à la proclamer, La France réactionnaire elle-même devra tôt ou tard s’y décider. C’est la victoire indiscutable de la Révolution prolétarienne sur un sixième du globe, la victoire du Parti Communiste de Russie.

Les communistes de toute la terre sont fiers de leurs frères russes et n’aspirent qu’à les égaler.

Le Parti Communiste français déclare qu’il mènera sans répit une guerre implacable au régime de sang de l’impérialisme et que, dans sa conscience du rôle particulièrement néfaste, de l’impérialisme français, il redoublera d’efforts pour le briser. Avec l’année 1924 commence une lutte opiniâtre pour la formation en France du Bloc des ouvriers et des paysans travailleurs, pour l’avènement au pouvoir d’un gouvernement ouvrier et paysan, étape vers la révolution.

Les travailleurs français, les exploités, les opprimés, tous ceux qui aspirent à la justice sociale, se rallieront au seul parti dont l’intérêt s’identifie au leur, dont la raison d’être est de faire triompher leur cause.

Les travailleurs du monde entier, pour aider à la victoire de leurs frères de France, grossiront les rangs de l’Internationale communiste.

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Unissez-vous sous le signe de la Troisième Internationale !

Le IIIe congrès du Parti Communiste français

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Section Française de l’Internationale Communiste

Le jeune Parti Communiste SFIC et la question du centralisme démocratique

La victoire sur le confusionnisme de la première partie des années 1920 fut une étape essentielle ; on peut considérer que c’est à partir de 1925 que l’Internationale Communiste commence à prendre véritablement au sérieux sa section française.

Le souci, c’est que la bolchevisation ne s’appuyait pas sur un niveau idéologique suffisant dans le Parti Communiste Section Française de l’Internationale Communiste. Installer le centralisme démocratique est une chose, mais faire en sorte qu’il y ait une démocratie vivante et une interaction dialectique avec la direction en est une autre.

En clair, les militants ne savaient pas comment aborder les questions sociales, politiques, économiques, pour ne pas parler de celles idéologiques et culturelles.

Le Parti Communiste (SFIC) dispose depuis novembre 1924 d’un organe théorique, Les cahiers du bolchevisme, mais ceux-ci ne sont guère lus et encore moins compris ; en 1926, il tire à 5 000 exemplaires, alors qu’il y a autour de 55 000 membres.

Les communistes savent militer, savent pratiquer l’activisme et en parler ; ils ne savent pas poser les choses. Ce qui en découle est, fatalement, une direction s’arrogeant tous les droits et produisant au minimum une impression d’arbitraire, sans parler des véritables arbitraires d’une gestion par en haut unilatérale et sans explication aucune.

Les questions étaient réglées tendanciellement par circulaires d’ailleurs multipliées, les décisions d’en haut étaient exigées formellement et lorsqu’elles étaient appliquées, c’était mécaniquement, la direction ne répondait pas ou très tardivement aux questions ; les circulaires n’arrivent qu’au niveau sous la direction, celle des régions, ou bien en-dessous, dans les « rayons », mais ne parviennent pas forcément juste en-dessous aux cellules, etc.

Le problème de fond c’est que le bolchevisme avait été compris comme une machinerie efficace pour l’activisme. Une fois « bolchevisés », les communistes conservent cette optique mécanique et ils sont de fait désorientés.

Ne sachant pas poser les problèmes, ils s’étripent sur telle ou telle expérience, forment des fractions ou des coteries, bref se montent la tête sur telle ou telle question, formant une spirale de rancœur et de reproches.

Concrètement, la direction se cantonne dans le Bureau Politique et met de côté le reste du Comité Central, au motif qu’il le représenterait, qu’il est sa forme centralisée. Il prend des décisions toujours plus décalées d’une base qu’il ne connaît pas par l’absence d’un appareil réellement opérationnel à tous les niveaux. Cet appareil ne peut pas être formé, car la base est passive et rétive à la direction.

Un courant oppositionnel tenta de profiter du désarroi causé par la bolchevisation ; les lettres dénonçant la bolchevisation se multiplient, dont une lettre ouverte l’Internationale Communiste signée par 250 membres du Parti en octobre 1925.

On y lit dans cette lettre ce qui forme l’approche commune à tous les opposants à la bolchevisation :

« Afin de rompre complètement avec les méthodes d’organisation et d’action de la social-démocratie, le 5° Congrès mondial, voulant hâter la « bolchevisation » du Parti, a décidé sa reconstruction sur la base des cellules d’usine. Nos délégués ont accepté sans discussion le nouveau mot d’ordre.

Ils sentaient là, en effet, l’occasion de masquer leur incapacité et d’asseoir, à la faveur du désarroi qui accompagne toujours les brusques changements, leur dictature personnelle.

Dès leur retour en France, ils se mirent en devoir de « bolcheviser » le Parti. S’ils n’avaient pas méconnu les conditions politiques et sociales de ce pays, ils eussent procédé à la réorganisation par étapes.

Or, ils opérèrent avec une aveugle brutalité. Toute la vieille armature fut pulvérisée en un tournemain, sans souci de la diversité des milieux ni des possibilités de réussite.

Naturellement, nos « bolchevisateurs » proclamèrent que tout se passait pour le mieux du monde, que le seul fait de la création des cellules et des rayons avait attiré au Parti des éléments ouvriers jusqu’alors réfractaires, et que, seuls, les contempteurs intéressés du nouveau cours pouvaient nier les bienfaits de la nouvelle organisation (…).

La vérité saute aux yeux. Les cellules ne peuvent pas constituer actuellement en France la base du Parti. Affirmer le contraire, c’est méconnaître l’économie générale du pays et l’organisation des grands États capitalistes modernes, c’est se leurrer sur le rapport des forces sociales en présence, c’est entraîner le Parti vers sa liquidation rapide et totale (…).

Pour sauver le Parti, il faut renoncer délibérément aux méthodes employées depuis un an. Le Comité Central propose, outre le développement de l’appareil, la création de « cellules de rues » et de « sous-rayons ». Au diable toutes ces complications ! »

Or, il était inadmissible pour l’Internationale Communiste de remettre en cause la bolchevisation et ses cellules d’entreprise ; revenir à une logique de regroupement territorial c’était pour elle revenir à la social-démocratie et empêcher une ligne de combat.

Cela sous-entendait d’ailleurs le retour aux tendances comme dans la SFIO, avec une représentation proportionnelle. L’auteur de la lettre, Maurice Gauthier, expliquera au cinquième congrès du Parti Communiste SFIC, qui se tint à Lille en 1926, que :

« Un parti qui n’a pas d’opinions, qui n’a pas de tendances, est un parti qui meurt. Cela s’impose donc dans un parti. »

Il va de soi que c’était inacceptable ; Maurice Gauthier se fera exclure en 1929 et rejoindra en 1930 le Parti ouvrier paysan qui deviendra le Parti d’unité prolétarienne, puis avec la majorité de celui-ci le Parti socialiste SFIO en 1937.

Il apparaissait en tout cas qu’Albert Treint et Suzanne Girault avaient été de bons vecteurs pour faire passer le Parti à la bolchevisation, mais qu’ils n’étaient pas à la hauteur pour la réaliser en tant que tel. Ils avaient été un marche-pied mais leur vision par en haut ne permettait pas de modifier la réalité du Parti.

Ils furent écartés, la session du Comité Central élargi aux secrétaires de région de début décembre 1925 révélant les importants mécontentements quant à la gestion du Parti. Pierre Semard présent à la direction depuis 1924 servit alors de cheville ouvrière à partir du tout début de l’année 1926, alors qu’était nommé secrétaire à l’organisation, en février 1926, Maurice Thorez.

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L’activisme débridé du jeune Parti Communiste SFIC

Avant la période de « bolchevisation », au milieu des années 1920, le Parti Communiste Section Française de l’Internationale Communiste a mené une activité débridée, marquée par de nombreuses répressions et des condamnations à la prison.

C’est l’âge d’or du Parti Communiste gauchiste et volontariste formant une image d’Épinal utilisée par la suite pour prétendre que la « bolchevisation » a brisé le Parti qui était auparavant vraiment révolutionnaire, etc.

En réalité, le Parti Communiste Section Française de l’Internationale Communiste submergeait ses militants.

Ils ne devaient pas que distribuer des tracts, laisser traîner des « papillons », coller des affiches, discuter avec les gens ; il leur fallait également appartenir en même temps au syndicat, à une coopérative, au secours rouge, ainsi qu’à l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC).

Cette dernière précision est importante, car le Parti, alors, n’a que 1 % de ses membres qui sont des femmes. On est dans une démarche typique du syndicalisme révolutionnaire, avec son côté vindicatif, rentre-dedans.

C’est pas tout : à chaque niveau est créé une commission ceci, une commission cela, faisant que chaque militant se noie dans les pôles d’intervention, les meilleurs étant en plus engloutis dans les liaisons à réaliser entre les cellules et les « sous-rayons » les chapeautant, entre les « sous-rayons » et les « rayons », entre les rayons et les régions (au nombre de 24), entre les régions et la direction.

Mais il y a surtout la répression. Le patronat licencie, les préfets convoquent, la police perquisitionne, la justice condamne à la prison ferme. La surveillance du Parti communiste français par la direction de la Sûreté nationale du ministère de l’Intérieur sous la IIIe République, ce sera 51 mètres d’archives.

Il y a un isolement qui s’ajoute à cela : en Février 1922 la direction de la CGT provoque la scission et force les communistes à s’unir avec les syndicalistes révolutionnaires, au sein d’une CGT Unitaire.

Un autre isolement est qu’en 1924, le Cartel des Gauches remporte les élections, le Parti socialiste SFIO soutenant un gouvernement composé des Radicaux indépendants, des radicaux-socialistes, des républicains-socialistes et des socialistes indépendants.

Enfin, le nombre de grèves se tasse fortement, dérobant le sol sous les pieds des communistes.

AnnéeNombre de grèvesNombre de grévistes
19192 0262 151 000
19201 8321 317 000
1921475405 000
1922665290 000
19231 068331 000
19241 034256 000
1925895241 000
1926723338 000
1927436122 000

Mais cette noyade dans la formation de structures et l’isolement social, politique et culturel fit justement du Parti Communiste Section Française de l’Internationale Communiste une sorte d’îlot ultra-radical, immédiatiste.

S’il a quasi immédiatement perdu la moitié de ses adhérents en quelques années, c’est secondaire par rapport au fait suivant : l’écrasante majorité des membres du Parti restant étaient en fait des arrivants. Ils sont jeunes et volontaires… mais sans aucune formation.

Leur cible privilégiée est l’armée, avec un énorme travail contre celle-ci, à destination des conscrits, avec notamment les revues La Caserne, Le Conscrit, Le Réserviste. Il y a un certain fond syndicaliste révolutionnaire qui s’exprime dans le style rentre-dedans et on n’est pas nécessairement loin des conceptions de George Sorel.

Cela se voit très bien dans les slogans des pancartes utilisés lors du transfert au Panthéon des cendres de Jean Jaurès, le 23 novembre 1924. Au nombre de 300, ces pancartes accompagnaient 180 drapeaux rouges (sans inscription) dans un cortège communiste de 150 000 personnes.

On y lisait : « Guerre à la guerre par la révolution prolétarienne », « Instituons la dictature du prolétariat », « Aux ligues fascistes, opposons les centuries prolétariennes ».

Il n’y avait pas d’esprit politique, on était dans une affirmation immédiatiste, rentre-dedans et sans réflexion sur les modalités concrètes de réalisation des objectifs.

De toute façon, en 1924 le Parti expliqua dans l’Humanité qu’il ne publiera pas le Capital de Karl Marx, car cela coûterait trop cher !

Cela en dit long sur le grand n’importe quoi régnant ; aux yeux de Zinoviev, qui alors dirige l’Internationale Communiste, le Parti Communiste Section Française de l’Internationale Communiste c’est :

« 20% de jauressisme, 10% de marxisme, 20% de léninisme, 20% de trotskysme, 30% de confusionnisme »

Toutefois, ce n’importe quoi laisse libre-cours à des interventions d’autant plus rentre-dedans, conflictuelles, oscillant des choses sans lendemain et des marqueurs très forts.

En 1923, lorsque la France et la Belgique occupent la Ruhr, une région allemande ouvrière, afin de forcer l’Allemagne à payer les indemnités de guerre qu’elle remettait en cause, il y a un grand activisme, avec notamment des manifestations illégales de 2 à 3 000 membres du Parti à Paris.

Pareillement, lorsqu’au Maroc, Abd el-Krim proclame en 1921 la République du Rif en triomphant de l’Espagne, le gouvernement Poincaré intervient pour aider celle-ci, ce qui aboutit à une « pacification » française en 1924-1925 ; cela est marqué par une mobilisation générale du Parti Communiste (SFIC), avec une très grande agitation confrontée à une répression sévère.

Voici le texte d’un télégramme de septembre 1924 à ce sujet :

« Groupe parlementaire, Comité directeur du PC et Comité national des J.C. saluent la brillante victoire du peuple marocain sur les impérialistes espagnols. Ils félicitent son vaillant chef Abd-El-Krim.

Espèrent qu’après la victoire définitive sur l’impérialisme espagnol il continuera, en liaison avec le prolétariat français et européen, la lutte contre tous les impérialistes, français compris, jusqu’à la libération complète du sol marocain.

Vive l’indépendance du Maroc ! Vive la lutte internationale des peuples coloniaux et du prolétariat mondial. »

Voici l’appel à une grève pour le 12 octobre 1925, qui fut un immense succès avec 900 000 grévistes, avec notamment pratiquement tout le bâtiment ainsi que souvent la majorité des mineurs :

« Travailleurs et travailleuses L’Heure de la démonstration prolétarienne a sonné. Lundi 12 octobre, vous cesserez le travail pour 24 heures. Désertez en masse votre travail, manifestez avec le comité central d’action. A bas la guerre ! Vive la grève générale de 24 heures ! »

La répression s’abattit au total sur 274 communistes (120 années de prison au total), alors qu’un ouvrier communiste, André Sabatier, fut tué dans son usine à Puteaux, en région parisienne, son enterrement rassemblant 100 000 personnes.

C’est que la région parisienne est le terrain privilégié du Parti. Comme auparavant pour le Parti socialiste SFIO, celle-ci est le bastion, avec le Nord. Ces deux sections sont de loin les plus nombreuses, avec en 1925 16 674 membres en région parisienne et 9440 dans le Nord (suit la région de Lyon avec 4215 membres).

Aux élections de 1924, sur 877 000 voix, 300 000 viennent de la région parisienne. C’est le terreau de l’activisme, du style. C’est l’endroit où les communistes ont une densité suffisante pour former un monde parallèle.

Un événement significatif est l’opération contre une réunion électorale dans le 18e arrondissement parisien du conservateur Raoul Sabatier ayant les Jeunesses patriotes comme service d’ordre, en avril 1925. Le Parti Communiste (SFIC) mobilisa ses groupes de combat de la région de Boulogne pour la briser. Cela termina en bagarre et en tirs au pistolet rue Damrémont, quatre fascistes étant tués.

Propagande anticommuniste à la suite des tirs de la rue Damrémont

La pression sur le Parti fut alors immense, dans un contexte émaillé de violence. Lors de la grève très suivie nationalement des sardinières de Douarnenez de novembre 1924 – janvier 1925, le maire communiste de la ville se fit tirer dessus par les briseurs de grève, il est démis à un moment de ses fonctions.

Les sardinières de Douarnenez

En février 1925, dans le cadre d’une réunion publique du général catholique Édouard de Castelnau, deux membres de la Fédération nationale catholique sont tués lors de l’intervention communiste.

En janvier 1924, un meeting communiste rue de la Grange-aux-Belles à Paris fut perturbé par les anarchistes et cela termina à coups de pistolet, faisant deux morts.

Il ne faut cependant pas croire que le Parti opère comme en Allemagne. On est dans une sorte de spontanéisme teinté de volontarisme.

Lors de la mise en place par l’ARAC des Groupes de défense antifasciste au début de 1926, avec un uniforme, un béret et une canne pour ses membres, l’écho est très restreint, tout comme pour les Jeunes gardes antifascistes formés par les Jeunesses Communistes. Un Front rouge est formé en 1927 avec ces structures et les services d’ordre, mais pareillement sans effet.

Les membres du Parti Communiste (SFIC) ne supportent en effet pas le style paramilitaire, les uniformes ; le style est celui de l’ouvrier chahuteur parisien, aisément turbulent. On est très clairement ici encore dans le style syndicaliste révolutionnaire culturellement.

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Section Française de l’Internationale Communiste

Albert Treint et Suzanne Girault

Deux figures sont en première ligne dans la période de reprise en main du Parti Communiste (SFIC) par l’Internationale Communiste. Il y a Suzanne Girault, qui était en Ukraine comme enseignant de français pendant quatorze ans, avant de revenir en France au début des années 1920.

Il y a Albert Treint, né en 1889, qui à la suite du départ de Ludovic-Oscar Frossard en janvier 1923, devient secrétaire général par intérim pendant un an aux côtés de Louis Sellier, ce dernier étant remplacé par le syndicaliste Pierre Semard.

Ces deux derniers étaient des centristes et Albert Treint représentait lui les partisans de la stricte application des exigences de l’Internationale Communiste.

Voici ce qu’il écrit dans son article « Lutter sans cesse pour la bolchevisation », dans le numéro de la fin décembre 1924 dans les Cahiers du Bolchevisme :

« La démocratie, y compris le socialisme, passent ouvertement dans le camp du fascisme.

Répression des grèves à Douarnenez, campagne de calomnies et de faux contre le Parti communiste, expulsion d’ouvriers étrangers suspects d’être des révolutionnaires, expédition policière contre l’école léniniste de Bobigny, tout cela montre que la démocratie, loin de combattre le fascisme, s’allie avec lui contre le prolétariat et les masses travailleuses (…).

Pour combattre le fascisme, nous devons, non pas traîner le prolétariat à la remorque des chefs du Bloc des Gauches, mais organiser sur des mots d’ordre politiques clairs les masses travailleuses trompées par le Bloc des Gauches autour du prolétariat et de son Parti communiste (…).

Le fédéralisme et l’esprit anarchisant ne s’éliminent pas en quelques semaines par un coup de baguette magique dans un Parti où ils régnèrent souverainement pendant près de vingt années (…).

L’esprit du bolchevisme commence à pénétrer les cerveaux et à produire des actes. Mais le tempérament demeure, chez trop de camarades, anarchisant et fédéraliste.

Il faut un effort constant, une vigilance constante de tout le Parti et de chaque membre pour vaincre les vieilles survivances et pour éviter les rechutes. »

Voici, de la même époque, une Lettre aux membres du Parti Communiste signée par Alfred Rosmer, Pierre Monatte, Victor Delagarde. Datant de fin novembre 1924, elle dénonce Albert Treint et la bolchevisation menée par l’Internationale Communiste :

« Depuis un an, on agite le spectre d’une droite dans le Parti et dans l’Internationale. On accuse cette droite de nuire, de désagréger, de décomposer le Parti ; on l’accuse d’entraver son travail politique et de susciter des obstacles à sa réorganisation sur la base des cellules d’entreprise.

Nous sommes bien sûrs de ne pas appartenir à la droite du Parti.

Quand Treint publia sa première édition de la géographie des tendances, Monatte lui répliqua avec raison que s’il voulait à tout prix nous classer quelque part il devrait nous loger dans une toute autre tendance, qui s’appellerait, la gauche ouvrière. Dans sa deuxième édition, revue et corrigée, des tendances du Parti, Treint paraissait donner satisfaction à cette juste revendication ; il parlait récemment du « néogauchisme ouvriériste, teinté de syndicalisme pur », de Monatte.

Nous n’étions toujours pas plus orthodoxes qu’avant ; nous sentions toujours le roussi; mais enfin c’en était fini de l’imbécile qualification de droitiers ; nous étions reconnus et proclamés gauchistes, néogauchistes.

Mais sous la plume et dans la bouche de Treint et de ses amis, les mots changent rapidement de sens. Dès le lendemain, nous redevenions la droite pestiférée. Il suffit sans doute de ne pas bailler d’admiration devant les cabrioles de Treint pour être rangé dans la droite (…).

Qu’il y ait un malaise grave dans l’Internationale, depuis la mort de Lénine et depuis sa retraite forcée par la maladie, c’est un fait trop visible, mais il est bien indépendant de la crise que traverse le Parti français (…).

La réorganisation sur la base des cellules est une œuvre capitale pour le Parti. S’il la réussit, c’est-à-dire s’il sait déterminer les tâches pratiques des cellules, éviter qu’elles tournent à vide et se découragent, il disposera réellement d’une base de granit.

Mais le granit pourrait bien se changer en sable mouvant si les cellules, au bout de quelques semaines, n’apercevaient pas le travail qui leur incombe, si on leur refusait, en outre, le droit élémentaire de désigner leur secrétaire et leur délégué de rayon, sans crainte d’un veto d’en haut.

Il est beaucoup question d’homogénéité, d’alignement, de discipline. Du haut en bas du Parti, on établit une cascade de mots d’ordre auxquels on doit obéir sans comprendre et surtout sans murmurer autre chose que le sacramentel : Capitaine, vous avez raison !

Une mentalité de chambrée se crée et les mœurs de sous-offs s’installent. Il n’est question que d’appareil à faire fonctionner, de permanents à instituer. Bientôt la bureaucratie du Parti fera la pige à celle de l’État français.

On dit que le Parti doit être une cohorte de fer. En réalité, quiconque fait preuve de caractère doit être brisé. »

La Conférence nationale extraordinaire du Parti de début décembre 1924 vota à l’unanimité l’exclusion des auteurs de la lettre. Albert Treint et Suzanne Girault furent ainsi les vecteurs du succès de l’Internationale Communiste face aux anti-centralisateurs, qui convergeaient toujours plus vers Léon Trotsky qui menait une opération du même esprit en Russie.

Cela permit une véritable orientation vers les usines, avec une prolétarisation générale du Parti par la constitution de cellules d’entreprise. Cela bouscula énormément le Parti socialiste SFIO, notamment avec les « comités d’unité prolétarienne » et le groupe « Clarté », qui visaient l’intégration des ouvriers socialistes.

Il y eut d’ailleurs une série de congrès ouvriers durant l’été 1925, notamment à Paris, Lille, Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg et Béziers ; y participèrent 7 230 délégués dont 200 socialistes, 320 syndiqués réformistes, 31 syndiqués autonomes, 1 173 sans-parti et plus de 200 sont des délégués de villages.

En décembre 1923 le Parti Communiste (SFIC) proposa au Parti socialiste SFIO de former un Bloc ouvrier et paysan, ce qui fut refusé (au profit du soutien aux radicaux dans le « Cartel des gauches »).

Et pour les municipales de 1925, le Parti Communiste (SFIC) annonça :

« Nous proposerons des listes communes avec des candidats socialistes en posant comme condition de prendre un certain nombre d’engagements comme celui de défendre en toute occasion les revendications les plus immédiates des travailleurs, de mener au sein des municipalités une lutte énergique en organisant au besoin des milices municipales antifascistes. »

On est toutefois là dans la perspective de se présenter comme le plus combatif, le plus activiste ; à l’arrière-plan, il reste un sectarisme terrible, fondé sur un style entre affirmation communiste et esprit syndicaliste révolutionnaire parisien.

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Section Française de l’Internationale Communiste

La reprise en main du jeune Parti Communiste SFIC par l’Internationale Communiste

L’Internationale Communiste prit en mains l’appareil du Parti Communiste, car elle s’aperçut que si le cap de la fondation du Parti était passé, la réorganisation n’avançait pas, alors que la base s’effritait.

Si l’on prend les bastions, la Fédération de la Seine (c’est-à-dire de la région parisienne), la plus importante, avait 21 200 membres en 1920, 15 167 en 1921, 10 000 en 1922. Entre 1921 et 1922, celle du Nord était passée de 11 000 à 8 000, celle du Pas-de-Calais de 6 000 à 3 500.

L’Internationale Communiste fit le ménage au sein de sa section française, en envoyant des ordres, des conseils, du personnel. Lors du troisième congrès du Parti Communiste (SFIC), en janvier 1924 à Lyon, elle envoya un message commençant de la manière suivante, en disant long sur ce qu’il était pensé des années 1921 – 1922 – 1923 (le congrès de Tours ayant eu lieu en décembre 1920) :

« Chers camarades,C’est la première fois que le P. C. F. réunit son congrès depuis que tous les éléments hostiles au communisme l’ont débarrassé de leur présence.

Le malaise qui s’y est fait sentir pendant plusieurs années était causé — tous aujourd’hui s’en rendent compte — par cette présence d’éléments hétérogènes restés dans le Parti pour en freiner le développement et saboter son action.

L’épuration survenue après le IVe congrès mondial, la cohésion morale et l’unité qui en résultent donnent au Parti Communiste français la possibilité de remplir sa mission historique.

L’Internationale Communiste qui a suivi avec un intérêt particulier toutes les phases de la crise que vous avez traversée, veut attirer l’attention de votre congrès et de tout le Parti sur quelques questions, qui se posent devant l’Internationale Communiste en général et devant le Parti plus spécialement.

[Suivent des points concernant la situation française surtout : I. — La Révolution sociale au centre de l’Europe, II. — La Situation générale en France, III. — Le Bloc des gauches et le réformisme, IV. — Le Bloc ouvrier et paysan, V. —Parlementarisme réformiste et parlementarisme révolutionnaire, VI. — La conquête des masses, VII. — Les prochaines élections, VIII. — La question de l’antimilitarisme, IX. — La question coloniale, X. — L’animation de la vie Intérieure du parti] »

L’Internationale Communiste réalisa quatre mesures en particulier. Tout d’abord, elle fit en sorte que la discipline soit réelle.

Ensuite, elle poussa à la formation d’une véritable direction. Elle ne cessa également de mentionner les décisions politiques n’allant pas, notamment en ce qui concerne le front unique.

Enfin, elle procéda à la réorganisation du Parti sur la base des cellules d’entreprises, une chose ayant sérieusement commencée au tout début de 1925 et terminée en 1926.

Cela coûta cher en termes numériques, car les exigences politiques sont bien plus élevées quand on travaille sur le terrain de l’entreprise par rapport aux réunions de section. La peur de perdre son emploi et la fuite devant les responsabilités fut de règle chez les éléments les plus timorés.

De plus, toute cette pression en faveur de la discipline, de la direction centralisée, d’un appareil de qualité, fut un prétexte pour une double agitation anti « russo-allemande ».

Il y avait des éléments finalement restés sociaux-démocrates dans le fond, qui sortirent pour fonder l’Union fédérative des travailleurs socialistes révolutionnaires en 1922, le Parti communiste unitaire en 1923.

Ces deux structures fusionnèrent quasi immédiatement dans une Union socialiste-communiste qui devint en 1927 le Parti socialiste communiste. Lui-même fusionna en 1930 avec le Parti ouvrier et paysan pour fonder le Parti d’unité prolétarienne, qui rejoignit la SFIO en 1937.

On aura compris qu’il s’agissait là d’éléments ayant cherché à semer la confusion, d’abord dans le Parti puis à l’extérieur, avant d’assumer d’être des sociaux-démocrates.

Il y a ensuite un courant porté par Boris Souvarine, d’origine ukrainienne et liaison à Moscou du Parti avec l’Internationale Communiste. Ce courant dénonce le centralisme et développe les thèses de Léon Trotsky, qui n’avait rejoint les bolcheviks qu’en 1917 et critiquait désormais leur « bureaucratisation ». Boris Souvarine fut exclu en 1924 et tenta l’aventure jusqu’en 1934 à travers un « bulletin communiste », une revue dénommée « La Critique sociale », puis un « Cercle communiste démocratique », pour devenir un expert anti-communiste jusqu’à sa mort en 1984.

Ce dernier courant, qui avait pris le dessus sur le premier dans les instances dirigeantes, fut immédiatement liquidé par l’intermédiaire d’Albert Treint et de Suzanne Girault.

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Section Française de l’Internationale Communiste

Le Parti Communiste SFIC à ses débuts : indiscipliné et éclaté

Comme le syndicalisme révolutionnaire était considéré comme la démarche porteuse, il n’y avait aucune raison pour le Parti Communiste (SFIC) d’accepter ni même de comprendre les exigences de l’Internationale Communiste en ce qui concerne la tactique du « front unique », présentée comme suit dans la Correspondance Internationale, publiée par l’Internationale Communiste :

« On ne peut pas, depuis 1919, compter sur un grand mouvement révolutionnaire en Europe à brève échéance, et la tâche immédiate de l’Internationale Communiste n’est pas l’organisation d’un nouvel assaut contre la société bourgeoise, mais la préparation et l’entraînement des forces qui donneront un jour cet assaut. »

C’est que le Parti français se forme tardivement, on est dans la période de stabilisation relative de la crise générale du capitalisme, principalement en Europe occidentale. Mais les partisans français de la IIIe Internationale considèrent qu’ils n’ont pas signé pour ça, ils veulent être de la vague révolutionnaire considérée comme une sorte de grand soir à grande échelle.

Adepte du concept de minorité substitutiste, le Parti Communiste (SFIC) n’entendait donc certainement pas chercher une unité dans quelque domaine que ce soit. Pour les activistes de la CGT unifiée, le front unique était réalisé justement par la CGT unifiée, tout comme le Parti était le seul front unique dans le domaine politique, puisqu’il avait différentes tendances.

La conférence des secrétaires fédéraux réfuta ainsi l’Internationale Communiste quant à la question du front unique, en janvier 1922, avec le Comité Directeur du Parti expliquant à l’unanimité moins une voix l’impossibilité d’une telle orientation en France.

En avril 1922, le Conseil national tenu à Aubervilliers prit ainsi une résolution par 3 337 mandats contre 627, avec 235 abstentions et 355 absents, affirmant que le Parti récuse la tactique de front unique, au nom de l’esprit dans lequel a été fondée l’Internationale Communiste. Or, c’était impossible puisque c’était le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste qui décidait, le Parti devant simplement adapter la réalisation de la décision aux conditions concrètes.

Déjà, au congrès de Marseille de décembre 1921, les tenants de la soumission complète à l’Internationale Communiste avaient été mis de côté et avaient démissionné du Comité Directeur. Il s’agit de Fernand Loriot, Amédée Dunois, Albert Treint, Paul Vaillant-Couturier (le premier quittera le Parti, le second et le troisième rejoindront la SFIO en 1927 et 1934 respectivement).

Toutes ces querelles reposaient de fait sur une incapacité à forger une direction, alors qu’il y avait une systématisation sur le plan de l’organisation.

Dès 1921 un immeuble fut acheté par le Parti Communiste (SFIC), au 120 rue La Fayette à Paris, afin de servir comme siège du Parti. La cour intérieure était couverte d’une verrière en forme de cercle, d’où le nom de salle de la Rotonde ; elle pouvait accueillir 200 personnes.

Il y avait une librairie au rez-de-chaussée, deux étages pour héberger des permanents, le Comité Central occupant le troisième étage. Il n’avait fallu que quinze jours pour obtenir la somme nécessaire par souscription.

C’était un premier pas allant dans le sens de la mise en place d’une réelle capacité de centralisation. Le souci était que le socialisme français était entièrement fédéraliste. À cela s’ajoute qu’il insiste sur l’existence du droit de tendance et sur la représentation proportionnelle de ces tendances à tous les niveaux du Parti. Aller dans le sens d’une rupture était très difficile.

On peut comprendre le problème en voyant la presse communiste en 1921. Elle est importante ; on a comme quotidien à Paris L’Humanité et L’Internationale (sortant le soir), ainsi que le Journal du Peuple. On a Le Populaire de Bourgogne basé à Dijon, La Dépêche de l’Aube basée à Troyes, La Volkstribune basée à Metz, La Neue Welt basée à Strasbourg, Habib el Oumma qui est publié en arabe à Tunis.

On a une presse bi-hedomadaire avec Germinal basé à Belfort et Le Travailleur basé à Sens.

Et on a une importante presse hebdomadaire : Le Bulletin Communiste (Paris), L’Éclaireur de l’Ain (Oyonnax), La Lutte Sociale (Alger), Le Travail (Montluçon), Le Travailleur des Alpes (Digne), L’Éclaireur (Decazeville), Le Populaire Normand (Caen), Le Travailleur Charentais (Ruelle), L’Émancipateur (Bourges), Le Prolétaire (Périgueux), Le Travailleur (Chartres), Germinal (Brest), L’Ordre Communiste (Toulouse), Le Réveil Socialiste (Nîmes), Travail (Bordeaux), La Voix Socialiste (Fougères), Le Réveil (Tours), Le Progrès (Vendôme), Le Peuple (Saint-Étienne), Le Travailleur (Agen), L’Anjou Communiste (Saumur), L’Égalité (Chaumont), Le Socialiste Nivernais (Nevers), Le Prolétaire (Lille), Le Réveil Social (Maubeuge), Le Franc-Parleur (Beauvais), Le Communiste du Pas-de-Calais (Boulogne), Le Cri du Peuple (Lyon), La Voix Paysanne (Paris), Le Travailleur Savoyard (Annecy), Le Communiste de Normandie (Rouen), L’Aube Sociale (de Seine-et-Oise) (Paris), Le Semeur (Chelles), L’Aube Sociale (Amiens), L’Avenir Social (Tunis), L’Avenir (Carpentras), Le Prolétaire (La-Roche-sur-Yon), Le Prolétaire (Châtellerault), L’Émancipation (Saint-Denis), L’Éveil Communiste (Montrouge), La Butte Rouge (Paris), Le Midi Communiste (Marseille).

Il y a également le bi-mensuel L’Étincelle, à Épinal.

En l’absence de centralisation, de formation des cadres, comment faire pour que toute cette presse aille dans le même sens, soit sur les mêmes bases, ne soit pas une source d’éparpillement et même de division ?

Le Journal du Peuple, quotidien parisien fondé en 1916, était par exemple le bastion de l’aile droite du Parti Communiste (SFIC) et cette situation était un scandale aux yeux de l’Internationale Communiste.

L’exclusion de son responsable était considérée comme fondamentalement nécessaire :

« L’exclusion de [Henri] Fabre et de son journal est une étape de la lutte contre cet esprit de bohème intellectuelle anarcho-journalistique qui, particulièrement en France, prend successivement toutes les formes, toutes les couleurs de l’anarchisme et de l’opportunisme, et finit inévitablement par un coup de couteau dans le dos de la classe ouvrière. »

Sont également exclus Pierre Brizon tenant le journal La Vague, le journaliste Paul-Louis, rédacteur de politique étrangère dans l’Humanité travaillant également au Progrès de Lyon et à La France de Bordeaux.

Subissent le même sort Victor Méric lié à la Ligue des Droits de l’Homme, et en général ceux qui relèvent de la culture radicale républicaine liée à la franc-maçonnerie. Ceux qui en sont membres doivent la quitter avant le premier janvier 1923 et sont écartés des responsabilités pour deux ans, ou bien c’est l’exclusion.

C’en était terminé de la logique la participation individuelle à une sorte d’aventure intellectuelle pour une république sociale. L’Internationale Communiste exigea d’ailleurs que cesse la parution d’articles signés, qui était un prétexte pour faire de la presse des moyens de faire carrière individuellement, d’aller dans le sens de monter des tendances, fractions, etc.

Les intellectuels étaient mis au pas, la culture républicaine – franc-maçonne écrasée : il ne restait plus qu’à prolétariser le Parti Communiste SFIC, ce que l’Internationale Communiste réalisa en le restructurant entièrement.

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