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  • Le tournant des grèves de 1919

    Habituée à côtoyer le gouvernement de 1914 à 1918, la CGT a désormais un haut niveau technique : ses revendications sont précises, touchent à tous les domaines ; elle propose des mesures dans tous les aspects de la vie des travailleurs, comme les maladies professionnelles, les assurances sociales contre le chômage, les horaires de travail, les inspections du travail, l’apprentissage, etc.

    Il y a une véritable différence avec la CGT d’avant 1914, habituée aux coups de forces revendicatifs imaginés comme une « gymnastique » pour la grève générale. On a désormais une CGT se proposant comme partenaire et ambitieuse, sur le papier du moins, de prendre les commandes de l’économie en monopolisant cette activité de gestion dans l’économie.

    Ses statuts la présentent ainsi en décembre 1918 :

    « Article Premier

    La Confédération Générale du Travail, régie par les présents Statuts, a pour but :

    1° Le groupement des salariés pour la défense de leurs intérêts moraux et matériels, économiques et professionnels ;

    2° Elle groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du Salariat et du Patronat.

    Nul ne peut se servir de son titre de Confédéré ou d’une fonction de la Confédération dans un acte électoral politique quelconque. »

    Le point numéro 2 est une fiction visant à justifier une pratique de cogestion entièrement exprimée dans le point numéro 1. Mais le passage en force des ouvriers parisiens le premier mai 1919 avait montré que cette ligne de la CGT était en décalage total avec des masses en ébullition alors que la révolution d’octobre 1917 enclenchait la première vague de la révolution mondiale.

    L’Humanité du deux mai 1919

    La CGT était d’ailleurs passé de 600 000 adhérents en 1918 à 1,2 million en 1919.

    En juin 1919, la métallurgie parisienne se met en grève et sa dynamique est ouvertement politique ; lorsque Alphonse Merrheim signe avec le patronat, au nom de la CGT, une convention collective pour la branche, la base le désavoue immédiatement.

    L’ampleur fut massive : il y a 150 000 métallos en mouvement, qui sont rejoints par 20 000 travailleurs des transports parisiens. La grève est cependant défaite par le refus de la grève générale nationale par le cartel interfédéral (Métaux, Mines, Cheminots, Inscrits maritimes) de la CGT.

    La grève générale des mineurs, du 16 juin au 11 juillet 1919, fut par contre un succès, tout comme le même mois pour les électriciens de la Compagnie de production et de distribution de l’électricité de Paris, qui gagnèrent dix jours de congés annuels, à l’instar des ouvriers du gaz de Paris en février 1919 (qui eux avaient obtenu en fait 12 jours).

    Le mouvement s’étend en banlieue parisienne puis chez les électriciens de Bordeaux, avec à chaque fois la victoire. Les grèves se généralisent ; au printemps 1919, il y a en a 2 000, avec 1,4 million de grévistes.

    Le Populaire du 3 juin 1919

    Mais dans la foulée, la CGT retira sa participation à une journée internationale de grève le 21 juillet 1919 contre l’intervention de troupes en Russie, grève devant rassembler les mouvements ouvriers belge, britannique, français et italien.

    Pire encore, l’appui à l’initiative internationale avait été très clairement faite dès le départ avec l’arrière-pensée de s’en retirer. Il fut d’ailleurs pris comme prétexte la démission, le 18 juillet 1919, de Victor Boret, ministre de l’agriculture et du ravitaillement du gouvernement Clémenceau.

    Cela provoqua la défection de toutes les forces pro-collaboration de classe dans les syndicats des autres pays devant participer à la grève.

    Cette crise du 21 juillet joua ainsi un rôle énorme. Dans le faits, le mouvement ouvrier français s’écartait du chemin de la révolution russe. En même temps, il n’y avait encore aucune opposition réellement structurée en faveur de celle-ci. C’était une situation historiquement intenable : à partir du 21 juillet, la rébellion dans la CGT se cristallise et la scission va se révéler inévitable.

    C’est d’autant plus vrai que la direction de la CGT n’avait pas de mandat pour stopper l’initiative. L’existence de deux lignes se pose de fait.

    Employés de banque en grève devant la Maison des syndicats de rue de la Grange-aux-Belles à Paris, juin 1919

    Cela ne veut cependant pas dire que la majorité de la CGT soutienne la rébellion, très loin de là. En fait, pour la minorité, la situation est inacceptable : la direction n’a pas de combativité, se trimballe les casseroles de la collaboration pendant la guerre mondiale, bloque la lutte contre l’intervention armée française en Russie.

    Mais la majorité vit sa vie et le mouvement du 21 juillet n’a pas eu lieu également en raison d’une inertie fondamentale de la base de la CGT. C’est que la base, numériquement très importante désormais, est composée de gens nouveaux au syndicalisme et ayant rejoint la CGT sur la base de la lutte contre la cherté de la vie, dans une France en crise en 1918. La majorité s’en accommode très bien.

    Et là est le piège, car c’est la CGT d’avant-guerre qui va apparaître comme un paradis perdu pour les minoritaires. Cela va ouvrir un espace immense aux syndicalistes révolutionnaires. Carbonisés politiquement pour avoir accepté l’Union sacrée en 1914, ils retrouvent en élan dans les luttes en proposant comme modèle la CGT d’avant 1914.

    En 1919, on a comme figures majeures de la minorité de la CGT en révolte :

    – Pierre Monatte, un anarchiste devenu un acteur clef du syndicalisme révolutionnaire ;

    – Fernand Loriot, un socialiste ;

    – Raymond Péricat, qui sur une ligne d’ultra-gauche fondit en février 1919 un « Parti communiste » ;

    – Henri Sirolle, un anarchiste qui devint partisan de l’aide à la « rationalisation » à la fin des années 1920, basculant dans le soutien anti-communiste au gouvernement puis même le soutien au régime de Vichy ;

    – Jules Lepetit, un anarchiste.

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  • La CGT assume la politique à la fin de la première guerre mondiale

    La CGT n’est, en 1918, plus du tout opposée ni à l’État, ni aux socialistes. La raison en est bien entendu l’Union sacrée. Étant donné que le Parti socialiste SFIO a soutenu la guerre, la CGT sait que si elle dénonce les socialistes, cela risque de lui retomber dessus puisqu’il y a une convergence générale dans la même direction.

    Elle est d’ailleurs obligée d’assumer la politique, elle qui la récusait toujours. Elle se positionne pour une paix juste, sans conquêtes territoriales, exigeant une fédération balkanique, une démocratisation de tous les pays, un soutien au sionisme se développant alors, etc.

    Pour cette raison, il y eut même en novembre 1918 une délégation du Parti socialiste SFIO et de la CGT pour demander au gouvernement la « participation de délégués de la classe ouvrière française à la conférence générale de la paix ».

    Cela se produisit alors que devait venir à Paris le président Wilson. La CGT mobilisa d’ailleurs dans le sens d’une mobilisation générale en faveur du président américain Wilson, présenté comme un grand partisan de la paix, alors qu’en réalité il représentait l’interventionnisme impérialiste américain dans une Europe connaissant la crise générale.

    Le président américain Wilson à Paris

    L’appel commun du Parti socialiste SFIO et de la CGT se termine de manière délirante par :

    « Votre présence aidera ainsi à terminer heureusement le cauchemar des peuples et à préparer la paix durable d’où pourra surgir l’organisation du travail dans le monde par la libre et loyale coopération de tous les peuples démocratisés de la terre.

    C’est là ce que signifient les acclamations montées vers vous aujourd’hui.

    C’est là, Monsieur le Président, sans déguisement ni subordination, parlant au grand jour comme vous parlez, comme vous aimez qu’il soit parlé, ce que viennent vous dire les grands groupements ouvriers et socialistes de notre pays. »

    Un tel suivisme à l’égard de l’impérialisme américain en dit long sur la soumission au capitalisme des socialistes et des syndicalistes de la CGT. Le pire est que le président Wilson répondit par un message où il attribuait l’origine de la guerre mondiale à l’absolutisme et au militarisme, mais tout serait déterminé dans le bon sens grâce aux « esprits libéraux et réfléchis », etc.

    Le gouvernement balaya cependant d’un revers de la main les désirs de la CGT de lancer des initiatives sur ce plan. Ce qui n’empêchait pas la CGT de demander en même temps au gouvernement d’être partie prenante dans la réorganisation de l’économie dans le cadre de la démobilisation, par l’intermédiaire d’un « Conseil économique du travail ». Le gouvernement mettra effectivement en place, en 1925, un tel « Conseil national économique ».

    Elle justifiait tout cela en disant qu’il s’agit d’accompagner la mise en place d’une nouvelle situation où toute « querelle intestine » serait nuisible. La présentation du programme minimum présenté au vote lors du 14e congrès de la CGT, qui se tint en septembre 1919 à Lyon, le souligne en les termes suivants :

    « Rien n’est plus dangereux, dans les moments que nous vivons, que la division des efforts, que la bataille en ordre dispersé. »

    Le programme minimum contenait évidemment l’appel à la constitution d’une « Société des nations », ainsi que par ailleurs d’un « Office international de transport et de la répartition des matières premières », une « internationalisation du domaine colonial en vue de la meilleure utilisation des ressources du sol et du sous-sol pour le bénéfice général de l’humanité et pour le relèvement moral et matériel des indigènes ».

    La CGT se positionne en 1918, pour la première fois, politiquement en considérant qu’il y aurait une sorte de « démocratisation » internationale ; elle aurait un rôle à y jouer. Elle soutint d’ailleurs la Conférence syndicale internationale de Berne de février 1919, avec des représentants de toute l’Europe, appelant la Société des nations à considérer

    « comme une de ses tâches primordiales de créer une législation internationale de protection du travail et d’en assurer l’application. »

    C’est l’exigence d’une « charte du travail » qui soit maquée par une progression des droits sociaux de l’autre, en l’échange d’une acceptation complète du régime et de l’insertion de la CGT dans ses rouages.

    La CGT participe également aux côtés du gouvernement à la Conférence internationale du travail à Washington, sous l’égide de la « Société des Nations », où est nommé à la tête du Bureau International du Travail pas moins qu’Albert Thomas, la plus grande figure socialiste de la collaboration de classe pendant la guerre mondiale.

    L’appel pour les rassemblements du premier mai 1919 – passant forcément par la grève à l’époque, le jour n’étant pas chômé ni payé – est explicite quant à cette insertion exigeant un sens des responsabilités :

    « Le Premier Mai doit être uniquement ouvriers ; strictement limité à une démonstration ouvrière.

    La démonstration se fera avec le calme et la dignité que confère la puissance.

    Pour bien montrer ce que peut la force ouvrière quand elle est disciplinée, le travail reprendra le 2 mai pour juger de la valeur de l’effort et se préparer aux nouveaux combats qui devront se poursuivre.

    Hommes et femmes, ouvriers, employés, fonctionnaires, paysans et artisans, vous ferez entendre la même clameur pour marquer votre désir de mieux-être et de liberté. »

    C’est là un choix politique d’acceptation du régime, de participation, sur un mode apolitique.

    Et le régime, effectivement, accepta l’ouverture, avec en mars 1919 la loi sur les conventions collectives et en avril 1919, instaura la journée de huit heures de travail.

    Affiche de la CGT après le vote de la journée de huit heures

    Sauf que, en même temps, il autorisa les manifestations du premier mai partout sauf à Paris. Les ouvriers passèrent outre et l’après-midi du premier mai fut marqué par d’intenses affrontements dans une capitale quadrillée par les troupes et avec de très nombreux policiers en civils faisant office d’agents provocateurs.

    Il y eut deux morts : l’ouvrier électricien Charles Lorne et le garçon de recettes Alexandre Auger, tués sous les balles de la police, alors qu’il y avait environ 700 personnes blessées.

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  • La CGT en 1918 : apaisement et loyauté

    On ne peut pas comprendre les errements du jeune Parti Communiste issu du congrès de Tours de 1920 sans comprendre l’aspect essentiel qu’est la question syndicale. Les socialistes avaient toujours considéré qu’il existait une division du travail : eux s’occupaient de la politique, les syndicalistes des luttes revendicatives.

    Il était considéré que le mouvement ouvrier marchait sur deux jambes… indépendantes. Les socialistes respectaient entièrement l’indépendance de la CGT. Cette dernière, par contre, aux mains des syndicalistes révolutionnaires, rejetaient la politique, comme en témoigne la charte d’Amiens adopté en 1906 à son 6e congrès.

    Tant les socialistes que les syndicalistes révolutionnaires participèrent à l’Union sacrée et leur crédibilité était donc anéantie en 1918. Si l’Internationale Communiste poussa à l’établissement d’une gauche dans les rangs socialistes, le processus fut très différent dans la CGT.

    En fait, dès mai 1916 la CGT est dans une situation intenable. Elle est ouvertement intégrée au processus militaire français, tout en maintenant une fiction de revendications. Il lui faut alors soit retourner en arrière, soit assumer la situation. C’est le second choix qui est fait.

    Pour ce faire, la direction de la CGT entend mettre un terme à la structure duale caractérisant la CGT. Il y a en effet d’un côté les syndicats organisés en fédérations, de l’autre des bourses du travail. Officiellement, le 13e congrès de la CGT est d’ailleurs en même temps le 19e congrès national corporatif.

    Les bourses du travail, bâtiments fournis par les mairies servant initialement de placement de travailleurs puis de lieux de réunion syndicale, étaient le terrain des syndicalistes révolutionnaires, qui en avaient fait des sortes d’îlots « ultras ». C’est de là que partaient les offensives revendicatives censées entraîner les masses pour le fameux grand jour de la grève générale.

    Au milieu de l’année 1916, la prétention révolutionnaires des bourses apparaît entièrement comme une fiction, alors que la CGT épaulait le gouvernement et qu’elle avait besoin de toutes ses dernières forces disponibles. Les bourses du travail durent donc intégrer les Fédérations, une situation officialisée avec le 13e congrès de la CGT, en juillet 1918 à Versailles.

    Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT depuis 1909

    Cependant, ce choix du repli sur soi-même afin de se maintenir, en attendant que la situation « normale » ne revienne, n’était pas du tout en phase avec le cours de l’histoire. Ainsi, lorsque peu avant le congrès il y a des grèves dans les usines de munition, à Bourges, avec 20 000 grévistes, elles se déroulent en-dehors du cadre syndical.

    L’État ne prit pas de risques et en profita alors pour écraser la toute petite minorité pacifiste, organisé en Comité d’action internationale en 1915, puis en Comité de défense syndicaliste l’année suivante. Celle-ci avait tenu une conférence en mai 1918 à Saint-Étienne, avec 246 délégués, pour essayer de peser, mais cela n’avait fait qu’ajouter à son isolement.

    D’ailleurs, Alphonse Merrheim, secrétaire de la fédération des Métaux et figure la plus connue de la minorité pacifiste, abandonna le mouvement pour soutenir la direction. Il en alla de même d’autres responsables comme Georges Dumoulin (qui soutint ensuite les nazis durant l’Occupation) et Albert Bourderon.

    Au 13e congrès, il y a d’ailleurs une motion commune de la direction et de la minorité anciennement pro-pacifiste, ce qui n’empêcha pas que les 908 voix pour se confrontèrent à 253 voix contre (et 40 abstentions).

    C’est que, dans les faits, les adhérents de la CGT sont extrêmement tendus, avec une atmosphère particulièrement lourde, alors que la direction maintient la tradition acquise pendant la guerre.

    Dans un document intitulé « La C. G. T. devant la situation ouvrière, La leçon des faits. », la CGT reproche à l’État d’avoir été incapable, au milieu de l’année 1918 de fournir assez de miettes pour calmer les masses, et au patronat de ne pas avoir assez négocié :

    « Depuis quatre années de guerre, les arbitraires, les exactions n’ont cessé de frapper les ouvriers des usines de guerre et ont ajouté aux difficultés, sans cesse croissantes de la vie, au manque de compréhension patronale, toujours figée dans son principe d’autorité et aux relèves faites trop souvent dans la confusion et en dehors des règles du droit.

    Maintenant que l’effervescence est apaisée, il nous sera permis de dire que la responsabilité de ces mouvements est aussi dans les fautes lourdes, diplomatiques, politiques et militaires qui se succèdent-depuis le début des hostilités.

    La C. G. T. s est fait un devoir de rappeler, à tous moments de la guerre,la nécessité pour les gouvernements de rester en contact avec les masses populaires et d’éclairer le jugement de celles-ci, par une diplomatie au grand jour, rejetant loin d’elle toutes tractations obscures d’ambition et de convoitise.

    Elle a indiqué que la vie publique ne devait pas être ralentie mais, au contraire accentuée par la connaissance exacte et précise de la vérité sur la marche des événements.

    Elle a réclamé une politique de ravitaillement, basée, non sur les restrictions, mais sur l’utilisation rationnelle de toutes les ressources, des transports et sur l’augmentation de la production agricole.

    Elle a protesté contre les profits scandaleux que les fournisseurs tiraient des nécessités- de la Défense nationale.

    Elle a enfin réclamé que toutes les forces morales soient mises en œuvre pour concourir avec les forces militaires à l’avènement rapide de la Paix des Peuples, telle que l’a défini le président [américain] Wilson.

    Pour cela, elle a demandé que le gouvernement fasse publiquement connaître ses buts de guerre et qu’il permette aux représentants des classes ouvrières d’aller au sein des Conférences internationales pour y réaliser l’accord nécessaire à la Paix juste et durable, sur les bases déjà définies par les Conférences. Ouvrières nationales et interalliées.

    A ces questions, à ces demandes réitérées, la défiance envers la classe ouvrière incita soit au refus, soit au silence.

    Cette incompréhension de la volonté et des sentiments de la classe ouvrière, qui sont ceux du pays, fut causé du malaise et des soupçons qui s’établirent et qui ne firent que grandir à la faveur de l’ignorance des masses populaires sur les événements auxquels leur destinée était liée et dont, par surcroît, le jugement fut faussé par la Presse.

    Les incidents qui éclatèrent ces jours derniers furent une première conséquence de ce malaise général, et profond.

    Ces causes subsistent et nous déclarons que ce n’est pas une politique de répression, plus ou moins ouverte, qui pourra-être l’obstacle à de nouvelles perturbations que nous pressentons et dont la gravité serait peut-être plus irréparable.

    Seule, une politique d’apaisement, de confiance et de loyauté, peut prévenir ces éventualités et prédisposer les esprits aux besognes de réorganisation et de progrès social.

    Le gouvernement ferait œuvre imprévoyante et impolitique si, dans- un esprit de rancune, par des manœuvres répressives, il créait ainsi la fausse impression que la Défense nationale est, pour la classe ouvrière, incompatible avec ses droits, ses sentiments de dignité et son devoir de solidarité.

    Ces principes de droit et de liberté, la C. G. T., loin de les abdiquer, les a proclamés plus indispensables. que jamais. Sur eux,, elle a basé sa règle de conduite, par eux, doit être déterminée la discipline syndicale, en dehors de laquelle il n’est ni puissance d’expression, ni puissance de réalisation.

    Tenir compte de la dignité des travailleurs accorder à la classe ouvrière les libertés de pensée, et d’action indispensables à sa mission bannir toutes pratiques occultes agir sincèrement et laisser agir les forces ouvrières organisées pour l’avènement de la Paix des Peuples, apparaît dans les circonstances présentes la ligne de conduite que doit observer tout gouvernement soucieux des intérêts généraux du pays.

    Le Comité CONFÉDÉRAL. »

    La CGT assumait de s’intégrer dans le paysage capitaliste, d’œuvrer à l’apaisement et à la loyauté, mais il était demandé que cela soit vrai dans les deux sens. Plus il serait fait un espace à la CGT, plus les travailleurs auraient à y gagner et le régime à disposer d’une réelle stabilité : telle était sa démarche.

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  • La dialectique agriculture – élevage

    Il y a toutefois une grande différence entre l’humanité s’étant orientée plutôt vers l’agriculture, avec une sédentarisation très marquée, et celle s’étant tournée plutôt vers l’élevage qui produit une nomadisation autour de grands regroupements d’animaux domestiqués et de gigantesques aires de pâturage.

    La Genèse biblique décrit de manière allégorique ce processus de contradiction entre l’agriculture et l’élevage, avec la bataille pour le contrôle de territoires :

    « Elle [=Eve] enfanta [d’Adam] encore son frère Abel. Abel fut berger, et Caïn fut laboureur.

    Au bout de quelque temps, Caïn fit à l’Éternel une offrande des fruits de la terre; et Abel, de son côté, en fit une des premiers-nés de son troupeau et de leur graisse. L’Éternel porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande ; mais il ne porta pas un regard favorable sur Caïn et sur son offrande. Caïn fut très irrité, et son visage fut abattu (…)

    Comme ils étaient dans les champs, Caïn se jeta sur son frère Abel, et le tua. L’Éternel dit à Caïn : Où est ton frère Abel ? Il répondit: Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère? (…).

    [et l’Éternel de condamner Caïn:] Tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras errant et vagabond sur la terre. »

    C’est que l’agriculture a initialement favorisé une dispersion des êtres humains, alors que l’élevage a donné naissance à des regroupements nomades plus ou moins fédérés, mais d’autant plus hostiles que leur utilisation des animaux les plaçait dans une mentalité d’asservissement et d’élargissement de leurs possessions.

    La domestication de certaines espèces d’herbivores a donné un avantage décisif aux éleveurs sur le plan des circulations, avec les bovidés (entre -10000 et -7000) pour le transport par charge directement sur l’animal, puis sur char une fois la roue mise au point, les chevaux pour les combats en particulier (vers -4500), puis les camélidés (vers -1500) pour la traversée des espaces arides. Sur ce plan, l’immense steppe eurasiatique a constitué un vaste espace de circulation entre les éleveurs nomades et les populations en voie de sédentarisation dans les premiers foyers agricoles.

    Groupe de bovins, en Égypte antique, vers 1400 avant notre ère

    Les ressources, les productions et les outils, les langues et les conceptions se sont mises à circuler plus intensément, à mesure que les foyers de sédentarisation accumulaient les moyens de polariser les biens et les humains dans des villages, puis des palais, accumulations qui en retour dynamisaient le besoin d’échanges et de circulation.

    Mais l’élevage a tout de suite eut un coût terrible pour le développement de l’Humanité. La fréquentation plus intime avec certains animaux, les conditions de leur exploitation et de leur mise à mort ont favorisés la diffusion de virus ou d’autres éléments potentiellement pathogènes pour l’espèce humaine. La terrible variole semble ainsi avoir été transmise à l’humain vers -3500 depuis les bovidés.

    Avec les troupeaux et les populations nomades, d’éleveurs, de marchands ou de pillards, ces nouveaux virus circulent et génèrent régulièrement d’immenses épidémies qui ravagent parfois des régions entières.

    Scènes agricoles provenant du tombeau de Nakht, Thèbes, Égypte, dix-huitième dynastie, 15e-12e siècle avant notre ère

    L’humanité tournée vers l’agriculture s’était inversement tournée vers la division et l’intensification. En fait, par le développement de l’outillage, le travail agricole familial devenait plus efficace qu’une agriculture primitive pratiquée collectivement.

    Cela est si vrai que cette agriculture familiale a donné davantage de temps personnel et ainsi une première différenciation individuelle authentique. La base familiale a été prétexte à posséder ses propres outils, sa propre terre, puisqu’il n’était plus besoin d’un travail collectif.

    Et cela produisit une petite propriété privée capable d’un certain degré d’autosuffisance, puisque certaines unités familiales se tournèrent vers des métiers spécifiques (tissage, poterie, mise en place d’outils en métaux), ce qui implique un certain degré d’échanges locaux

    Poterie chinoise du Néolithique, de la culture de Majiayao (vers 3300 à 2000 avant notre ère)

    À ce stade, la famille était une composition larges d’adultes hommes et femmes, de personnes âgées et d’enfants apparentés, dont il a fallu déterminer les rôles et progressivement le degré de parenté excluant la reproduction biologique et, au-delà d’elle, l’alliance inter-familiale.

    À ces unités, s’agrégeaient aussi à des degrés différents, des dépendants plus ou moins asservis, mais souvent bien mieux intégrés à la logique familiale que le troupeau d’esclaves asservis dans les tribus nomades.

    La dispersion de petits agriculteurs semblait moins efficace de prime abord par rapport aux regroupements nomades, mais en réalité il s’agissait d’un développement beaucoup plus productif.

    Un tel développement se produisit cependant trop tard dans ce qu’on appellera ensuite les Indes. Les populations nomades indo-européennes, profitant de l’invention du chariot, procédèrent à une vaste invasion, asservissant les agriculteurs locaux et instaurant l’idéologie des castes pour justifier leur domination. C’était là l’instauration d’un mode de production esclavagiste précoce et particulièrement complet.

    Mais, en fait, partout l’élevage permettait de conceptualiser la domination dans le nouveau mode de production en cours d’élaboration. Dans les mythes bibliques avec Abraham en particulier, comme dans l’Iliade, les patriarches dirigeants leur communauté familiale, leur foyer, leur oikos ou leur tribu, sont avant tout des possesseurs de bétails, des pasteurs.

    Le monolithe de la porte du Soleil, civilisation de Tiwanaku, vers 500-950 avant notre ère

    En revanche, en Chine, en Égypte, en Amérique centrale et dans les Andes, de vastes communautés agricoles parvenaient à se constituer, hors de la pression trop régulière des nomades éleveurs, sauf dans le Nord du Mexique actuel.

    De toute façon, agriculteurs et éleveurs disposaient d’une base de développement commune, consistant en l’asservissement de la Nature, et en réalité, les éleveurs gravitaient autour des noyaux sédentaires ou entre eux, et toute leur existence dépendaient d’une façon ou d’une autre de ceux-ci.

    Tout comme les noyaux sédentaires, par ailleurs appuyaient à leur tour leur développement sur les circulations et les ressources des populations nomades. Tous ensemble, ils participaient à élaborer le nouveau mode de production, de type patriarcal et esclavagiste.

    Localement, l’agriculture supposait d’ailleurs aussi un élevage minimal et pour certaines espèces, les ovins et les porcins en particulier, cet élevage était d’une envergure territoriale trop modeste et impossible sans l’appui d’une communauté villageoise sédentarisée.

    Bouteille en céramique en forme de serpent de la civilisation de Lima (entre 100 et 650 de notre ère), Pérou

    L’élevage semble avoir pris toutefois moins de place dans les communautés agricoles d’Amérique, qui se sont tournées vers la maîtrise de la culture d’une gamme très large de végétaux, fruits, légumes, fleurs, dont notre alimentation actuelle porte l’empreinte, puisque ce sont à ces communautés que l’on doit initialement la culture de la tomate, de la pomme de terre ou du cacao par exemple.

    Cela témoigne du rapport dialectique entre l’élevage et l’agriculture, à travers leur mouvement inégal.

    Et d’ailleurs, lorsque l’agriculture put se développer suffisamment, cela permit l’éclosion d’un artisanat suffisant et de plus en plus spécialisé, source des Cités-États. C’est notamment en Mésopotamie, là où les conditions étaient les plus idéales pour une agriculture somme toute assez primitive tout de même, que naquirent ainsi les premières villes au sens strict.

    À la différenciation travail manuel / travail intellectuel, s’ajoutait désormais la différenciation villes / campagnes, les deux naissant l’une et l’autre du même mouvement. La rupture avec la nature était maintenant complète en apparence ; les sociétés humaines avec toutes leurs contradictions s’élançaient. L’Histoire commençait.

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  • L’agriculture et la domestication renversent le matriarcat

    Le mode de production matriarcal, avec la femme placée au-dessus de l’homme par son rapport immédiat à la vie, à la continuité de la vie, a été bouleversé, progressivement mais de fond en comble par le développement des activités humaines. Par celles-ci, avec la domestication et l’agriculture, les êtres humains ont établi un rapport à la nature qui s’est inversée : ils ont asservi leur environnement.

    Cet asservissement a conduit au développement d’un mode de production généralisant en même temps cet asservissement aux humains eux-mêmes.

    Une partie des humains constituant les communautés primitives s’est vu ainsi attribuée des fonctions et des rôles dans une forme inférieure et humiliante, de manière coercitive au besoin. Ainsi, leur place dans le partage des ressources produites, à mesure que la différenciation dans l’organisation du travail progressait, s’en est retrouvée réduite, même là où une certaine accumulation était possible. La violence, déjà existante mais limitée et encadrée par tout un ensemble de gestes et de rites magiques, est devenue une règle, un appui nécessaire à l’établissement de la contrainte et de l’asservissement.

    Il va alors de soi que la culture a suivi progressivement la même direction, reflétant la domination et cherchant à la naturaliser dans le prolongement des acquis conceptuels gagnés dans le matriarcat.

    La déesse Kali vénérée par les dieux, Inde, vers 1660-1670

    Il y avait alors une rupture à assumer, la plus grande que l’Humanité n’ait jamais opérée, du moins avant celle à venir en faveur du Communisme. Il a fallu rompre avec la nature. La contradiction entre le travail manuel et le travail intellectuel, émergeant avec la progression de la conceptualisation et le sens de l’organisation, a appuyé et même dialectiquement rendu nécessaire une telle rupture.

    Cette rupture a pris des formes différentes selon les situations, donnant une apparente diversité à l’expression culturelle des premières civilisations humaines, mais au vue des conditions matérielles d’existence et des moyens somme toute très limités de production, ces différences sont restées longtemps anecdotiques et fluides sur ce plan.

    L’effort principal a d’abord porté sur la maîtrise des moyens de production accumulés dans un espace naturel donné et sur les connaissances nécessaires afin de mieux organiser la production : affiner et transmettre les techniques et les outils, produire les biens nécessaires à la vie quotidienne en essayant si possible de l’enjoliver, de l’agrémenter, diriger et organiser la force de travail et l’embryon de société en voie d’agrégation toujours plus complexe, saisir et mesurer les cycles saisonniers ou astronomiques et d’une manière générale, observer, tenter de décrire et d’interpréter le monde à la portée des sens humains selon les capacités disponibles.

    C’est de ce rapport concret au monde, de la nécessité d’organiser les connaissances ainsi accumulées que va progressivement émerger le phénomène religieux en tant que tel.

    Idoles des Pahouins, des Gallois et de Ivéia, rapportées par MM. Marche et de Compiègne. L’Afrique équatoriale. Okanda, Bangouens, Osyéba. Par le marquis de Compiègne. Ouvrage enrichi d’une carte spéciale et de gravures sur bois dessinées par L. Breton d’après des photographies et des croquis de l’auteur (1885)

    L’éclosion culturelle de cette première période de l’Antiquité marque ainsi l’entrée dans l’Histoire, dans la civilisation à proprement parler. Elle a été spectaculaire à tous points de vue en regard des périodes précédentes, la culture reflétant ici son nouveau caractère : accompagner le développement en rationalisant toujours mieux l’organisation sociale… mais également en justifiant la domination à tous les niveaux.

    Il y avait alors de moins en moins de place pour le culte de la déesse-mère, qui se fit remplacer par le culte d’un Dieu masculin de plus en plus hégémonique, symbole d’un regroupement élargi grâce au mode d’existence rendu plus aisé par la domestication et l’agriculture.

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  • Les communautés primitives, l’agriculture, la domestication

    Ainsi installés dans une nature qu’ils tentent de conceptualiser de manière magique, qu’inévitablement ils extériorisent culturellement avec des rites et des œuvres artistiques, les Humains s’organisent progressivement en vue de mieux maîtriser leurs conditions de vie et de prévoir, d’élaborer des façons de mieux reproduire leur existence.

     Kalimantan, Indonésie, environ 40 000 ans avant notre ère

    Ce processus est en soi complètement naturel, non qu’il exprime alors tout à fait une culture humaine harmonieuse avec la nature, même si c’est en partie vrai. C’est même fondamentalement la raison pour laquelle ou peut parler de communisme primitif.

    Mais on parle bien ici d’une étape primitive, au sens où il s’agit en fait de l’élaboration d’une pensée complexe, qui commence seulement à être en mesure d’organiser ce que reflète la nature, qui est au début d’un processus de l’apprentissage lui permettant de procéder à des abstractions intellectuelles.

    Il était donc inévitable que soit dépassée cette étape à mesure que l’élan culturel qui était ainsi initié allait en se développant.

    Ainsi, par ce processus même, l’Humanité élabore une pensée qui s’extériorise de la nature. Mais cette extériorisation conceptuelle, matrice de la culture, est en soi un artifice, puisque tout en conceptualisant la nature et donc en l’extériorisant peu à peu, l’Humanité ne s’en extrait pour autant pas, car cela est tout simplement impossible.

    Ici s’ouvre une longue contradiction entre l’Humanité et la Nature.

    Cependant, à ce stade primitif, il s’agit encore d’un face à face largement indifférencié. C’est lentement que le développement de l’activité de ces communautés humaines va pousser à toujours plus complexifier la conceptualisation de la nature et sa compréhension, détachant l’Humanité d’une part, et la Nature de l’autre.

    À mesure que les activités se complexifient, des rôles se dessinent également au sein du groupe et avec eux, les bases de la société se posent. Dans ses manuscrits de 1857-1858, les Grundrisse, Karl Marx nous dresse le panorama de ces communautés primitives :

    « On peut admettre que l’état pastoral, c’est-à-dire en fait le nomadisme en général, est la première forme du mode d’existence; non pas que la tribu se fixe pas sur un territoire déterminé, mais qu’il prend tout de la terre autant qu’il puisse- les hommes n’étant pas sédentaires par nature (sauf dans un environnement naturel particulièrement fécond, pour les faire vivre du fruit des arbres, tels les singes ; sinon ils errent, comme les animaux sauvages).

    C’est ainsi qu’apparaît la communauté tribale, commune naturelle, non pas résultat mais condition préalable de l’appropriation (temporaire) et de l’utilisation collectives du sol.

    Lorsqu’elle se fixe enfin, comment cette communauté originaire est plus ou moins modifiée dépend de différentes conditions extérieures, climatiques, géographiques, physiques, etc. ; tout comme de leur disposition naturelle – son caractère tribal.

    La communauté tribale, issue directement de la nature, ou si l’on veut la horde, est la première condition – communauté dans le sang, la langue, les mœurs, etc. – de l’appropriation des conditions objectives d’existence et de l’activité reproductive et objective (cette activité pouvant être celle de pasteurs, chasseurs, cultivateurs, etc.). »

    Les premières communautés humaines accumulent ainsi des expériences dans leur entourage immédiat. Leur particularité biologique, long fruit de l’évolution, leur donne désormais la possibilité d’être en mesure de modifier plus intensément leur environnement direct.

    Cela a amené la production de nouveaux outils toujours plus perfectionnés, en mesure d’améliorer des secteurs précis mais toujours plus diversifié de l’existence : la collecte de nourriture, la couture de pièces de peau, la taille fine de matières variés, et bientôt la mise au feu encore expérimentale et tâtonnante de certains matériaux : la terre, puis certains minerais. A ce stade, on assiste à l’établissement de foyers en tant que tels.

    Outils préhistoriques en coquilles de moules

    Mais la sédentarisation relative des regroupements humains renforce aussi la contradiction entre ceux-ci et leur environnement direct. Certains animaux ont commencé à coopérer avec les êtres humains, amenant un processus d’accompagnement (comme pour les loups devenus chiens) et de domestication. Certains végétaux ont été repéré et leur utilisation systématisée, pour l’alimentation et pour la médecine, jusqu’à la mise en place de l’agriculture en tant que telle.

    Ce processus a bien entendu encore été extrêmement long. Le développement de l’agriculture, de l’élevage, la maîtrise de la poterie, tout cela ne commence qu’à être localement acquis vers -8000, notamment au Proche-Orient.

    Puis, de nouveaux foyers de communautés humaines ayant atteint ce stade à leur tour se manifestent, toujours localement, dispersés néanmoins partout sur la planète. Dans Le capital, Karl Marx nous rappelle que :

    « La production capitaliste prend racine sur un terrain préparé par une longue série d’évolutions et de révolutions économiques.

    La productivité du travail, qui lui sert de point de départ, est l’œuvre d’un développement historique dont les périodes se comptent non par siècles, par milliers de siècles. »

    L’humanité a ainsi, au fur et à mesure, cessé de se contenter de pratiquer la chasse et la cueillette, pour se tourner vers l’agriculture, la domestication des animaux. Ce processus de sédentarisation s’étale sur 7000 ans, à partir de 10 000 avant notre ère.

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  • Le mode de production matriarcal, ou communisme primitif, la différenciation de l’Humanité d’avec la nature

    L’humanité des débuts est encore longtemps incapable de voir les choses à moyen ou long terme. Ses capacités de transformation productive sont extrêmement faibles, en raison de l’absence d’outils ou de leur forme élémentaire, et plus encore, de capacité à les conceptualiser.

    L’une étant liée à l’autre, l’évolution nécessaire s’est encore ici étalée sur des dizaines de milliers d’années. C’est seulement il y a 100 000 ans que l’on voit émerger des séries d’outils peu à peu élaborés de manière significative. Il fallait donc d’abord que les bienfaits fournis par la nature soient immédiatement là, avec une accessibilité aisée.

    Karl Marx note à ce sujet dans Le capital que :

    « Les conditions naturelles externes se décomposent au point de vue économique en deux grandes classes : richesse naturelle en moyens de subsistance, c’est-à-dire fertilité du soi, eaux poissonneuses, etc., et richesse naturelle en moyens de travail, tels que chutes d’eau vive, rivières navigables, bois, métaux, charbon, et ainsi de suite.

    Aux origines de la civilisation c’est la première classe de richesses naturelles qui l’emporte ; plus tard, dans une société plus avancée, c’est la seconde. »

    Les premiers êtres humains en tant que tels vivaient ainsi en groupes relativement isolés, formant des regroupements où les uns et les autres se protégeaient, étant donné qu’il était impossible de faire autrement pour survivre. Ces regroupements se fondaient sur les liens du sang et c’était même le trait fondamental de la personnalité des êtres humains incapables de se concevoir au-delà du groupe.

    La pratique du cannibalisme était d’ailleurs généralisée, car il était alors dans l’ordre des choses de considérer les autres humains comme des proies éventuelles. Mais pour autant apparaît aussi la possibilité de conceptualiser d’autres êtres humains comme relevant d’un groupe commun. Les rites funéraires au sein d’un même groupe apparaissent dans ce cadre et le cannibalisme a certainement progressivement pris une vocation magique.

    Le groupe ne tenait que par une suffisante cohésion pour pratiquer la chasse et la cueillette, pour se protéger dans un environnement difficile. Dans un tel cadre, la femme, peu différenciée physiquement de l’homme mais donnant la vie, apparaît comme essentielle puisqu’elle assure la pérennité du groupe. De là vient l’émergence du culte de la déesse-mère, avec une association à la Nature pourvoyeuse des moyens d’existence. Les statuettes de pierre ou d’ivoire datées d’environ 30 000 ans avant notre ère, que l’on nomme « Vénus », témoignent de cela.

    Vénus, Autriche, vers 20 000 ans avant notre ère

    C’est pour cela aussi qu’il est pratiquement certain que les fresques sur les murs de certaines grottes, comme celle de Lascaux par exemple, aient étaient au moins en partie réalisées par des femmes, ou avec leur participation déterminante.

    En tout cas, partout l’Humanité alors fragile mais en expansion atteint un stade où elle parvient à conceptualiser son existence dans la nature, partout elle saisit celle-ci comme harmonieuse et relié à un gigantesque ensemble cosmique dont elle essaye de saisir la mesure.

    D’un bout à l’autre de la planète, cette Humanité primitive exprime un culte général à la nature, tout en œuvrant à s’installer une présence jusque les sommets des montagnes, les déserts, le fond des grottes. Elle établit des relations avec les éléments naturels, certains animaux, certains phénomènes cosmiques à portée de son observation, telle la foudre en rapport avec le feu. Et tout naturellement, elle porte son attention aux cycles biologiques humains, de la naissance à la mort, cycles pour lesquels la femme tient forcément ici le premier rôle.

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  • Homo sapiens sapiens

    Il est de fait obscur de chercher à déterminer un date définitive à laquelle l’Humanité se serait constituée de manière évidente. Le processus a été progressif et s’est étalé sur des centaines, voire des milliers d’années. Un certain nombre de points se dégagent, cependant, permettant déterminer les contours de cette émergence vers son origine.

    Avec les énormes distances, ainsi que la faiblesse parfois considérable des échanges, le développement inégal des premiers groupes humains a pris des formes extrêmement variables et a suivi des rythmes différents, mais qui obéissent néanmoins à une direction commune dans les grandes lignes.

    Ruines des constructions de la civilisation de Mohenjo-daro, 2500 avant notre ère

    Ainsi, le langage et les langues diverses par exemple ont pris forme très anciennement, avec toutefois des modalités comparables, autorisant toutes les symbioses et les combinaisons possibles. Les linguistes ont ainsi abandonné l’idée d’une « langue originelle », tant les formes ont été fluides et mouvantes d’aussi loin que l’on puisse remonter. Même encore aujourd’hui, on compte ainsi plus de 6000 langues au sein de l’Humanité, bien que ce chiffre aille dans le sens de se réduire du fait de la fusion continue.

    Et avant d’en arriver là, il a fallu des centaines de milliers d’années pour que l’espèce humaine se dégage des espèces de primates auxquelles elle a été apparentée à l’origine. On ne dispose que d’une documentation lacunaire pour bien cerner cette vaste période : quelques centaines de squelettes incomplets, des traces matérielles plus ou moins significatives.

    Mais on peut être certain que le mouvement d’évolution fut riche, buissonnant et dynamique. Ainsi, il est manifeste que de nombreuses espèces d’Hominidés se développèrent, certaines aboutissant apparemment à des impasses, comme l’espèce australopithèque afarensis rendue célèbre par le squelette que les archéologues ont appelé « Lucy ». Mais la synthèse a fini par faire émerger une espèce fusionnant les autres, s’étant mieux adaptée dans la durée : Homo sapiens.

    Moulage du squelette de Lucy (datant de 3,18 millions d’années) au musée national d’anthropologie de Mexico

    La dernière de ces fusions, la moins mal connue aussi, ayant été celle de sapiens avec neanderthalis en une espèce commune, mais largement dominée par sapiens : Homo sapiens sapiens. Le moteur de ces évolutions et de ces fusions successives fut le rôle déterminant joué par la relation et le développement du système nerveux central organisé autour du cerveau et des fonctions cognitives qu’il commande, avec les membres du corps humain.

    Ce fut-là la différenciation qualitative la plus décisive qui aboutit à séparer les hominidés du reste des primates. Les membres inférieurs se développant toujours plus, les hominidés primitifs acquirent une mobilité leur permettant très vite de se diffuser loin de leurs écosystèmes originels, ce qui a entraîné toute une série d’évolutions pour adapter les organismes à de nouvelles conditions.

    Comparaison d’empreintes de pas de l’Australopithèque (3,7 millions d’années), de l’Homo ergaster (1,5 million d’années), de l’Homo sapiens

    L’usage de la main, comme premier outil, fut ici une autre étape décisive, entraînée dans le même mouvement que la première. L’usage toujours plus complexe de la main entraîna de profondes mutations dans le cerveau, pour mémoriser les gestes, en accomplir de nouveaux, pour les transmettre.

    Les groupes d’hominidés, dispersés sur toute la surface de la planète pratiquement, ont ainsi approfondi leur collaboration, maintenant une circulation intense en raison de leur faible nombre et de la nécessité de trouver des ressources, puis même de les produire. Cela a poussé nécessairement à la fusion, au point que malgré toute sa diversité morphologique, l’Humanité est parvenue très tôt à une profonde unité génétique. Depuis près de 200 000 ans maintenant, il n’existe ainsi plus que l’espèce sapiens sapiens.

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  • Les communautés primitives passent par différents stades

    La science historique consiste ainsi à établir la connaissance des aspects en opposition dans une situation donnée, déterminée par les conditions d’existence définie par un mode de production identifiable. La connaissance des aspects en contradiction permet de donner une intelligence au mouvement en cours et de déterminer des périodes.

    Le mouvement, la dynamique, de ces périodes ne suit pas un processus linéaire. La forme de celui-ci est en fait complexe. En raison du développement inégal, il se forme des couches traversées par des mouvements plus ou moins marqué, mais tous en rapport les uns avec les autres.

    Il s’en suit donc que le processus historique prend la forme d’une spirale buissonnante, avec une direction intelligible car nécessairement conforme au puissant mouvement de la matière en général. Mais dans le cours du processus se manifestent des reculs, des tâtonnements, des impasses, avant qu’au bout d’une bout une avancée déterminante l’emporte, et finisse par s’imposer.

    Il y a donc une dimension nécessaire à l’évolution historique, et c’est ce qui rend opératoire la distinction d’étapes, de stade.

    Village d’Uçhisar en Anatolie, dont le piton rocheux est utilisé depuis 3000 ans pour des abris

    Ainsi, réfléchissant aux débuts de l’Histoire humaine dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, publié en 1884, Friedrich Engels réalise un travail se fondant sur les notes de Karl Marx concernant les études de l’anthropologue américain Lewis Henry Morgan.

    Ce dernier propose une conception évolutive du développement des communautés primitives. Voici comment Friedrich Engels résume la conception de Lewis Henry Morgan :

    « I – L’ÉTAT SAUVAGE.

    1. Stade inférieur. – Enfance du genre humain qui, vivant tout au moins en partie dans les arbres (ce qui explique seul qu’il se soit maintenu malgré les grands fauves), résidait encore dans ses habitats primitifs, les forêts tropicales ou subtropicales.

    Des fruits avec ou sans écorce, des racines servaient à sa nourriture; le résultat principal de cette époque, c’est l’élaboration d’un langage articulé. De tous les peuples dont on a connaissance durant la période historique, aucun n’appartenait plus à cet état primitif.

    Bien qu’il ait pu s’étendre sur de nombreux milliers d’années, nous ne pouvons le prouver par des témoignages directs ; cependant, une fois accordé que l’homme descend du règne animal, il devient inévitable d’admettre cette période de transition.

    2. Stade moyen. – Il commence avec la consommation de poissons (aussi bien que de crustacés, de coquillages et autres animaux aquatiques) et avec l’usage du feu.

    Les deux choses vont de pair, par la consommation de poisson n’est rendue pleinement possible que par l’usage du feu. Mais, grâce à cette nouvelle alimentation, les hommes s’affranchissent du climat et des lieux; en suivant les fleuves et les côtes, ils ont pu, même à l’état sauvage, se répandre sur la majeure partie de la terre (…).

    L’occupation de zones nouvelles, aussi bien que l’instinct de découverte et d’invention constamment en éveil et la possession du feu par frottement, ont procuré de nouveaux moyens de subsistance, tels que les racines et les tubercules féculents, cuits dans des cendres chaudes ou dans des fours creusés à même la terre, tels que le gibier aussi, qui, avec l’invention des premières armes, la massue et la lance, devint un appoint occasionnel de nourriture.

    Il n’y a jamais eu de peuples exclusivement chasseurs comme ils figurent dans les livres, c’est-à-dire de peuples qui vivent seulement de la chasse ; car le produit de la chasse est beaucoup trop aléatoire (…).

    3. Stade supérieur. – Il commence avec l’invention de l’arc et de la flèche, grâce auxquels le gibier devint un aliment régulier, et la chasse, une des branches normales du travail.

    L’arc, la corde et la flèche forment déjà un instrument très complexe, dont l’invention présuppose une expérience prolongée, répétée, et des facultés mentales plus aiguisées, donc aussi la connaissance simultanée d’une foule d’autres inventions (…).

    L’arc et la flèche ont été, pour l’état sauvage, ce qu’est l’épée de fer pour l’âge barbare et l’arme à feu pour la civilisation: l’arme décisive.

    2. – LA BARBARIE.

    1. Stade intérieur. – Il date de l’introduction de la poterie. Celle-ci, dans bien des cas prouvés et vraisemblablement partout, est née de la pratique qui consistait à recouvrir d’argile des récipients de vannerie ou de bois, afin de les rendre réfractaires au feu, ce qui permit bientôt de découvrir que l’argile façonnée à elle seule, et même sans le récipient intérieur, suffisait à l’usage (…).

    Le facteur caractéristique de la période de barbarie, c’est la domestication et l’élevage des animaux, ainsi que la culture des plantes (…).

    2. Stade moyen. – Il commence dans l’Est avec l’élevage d’animaux domestiques, dans l’Ouest [=l’Amérique] avec la culture de plantes alimentaires au moyen de l’irrigation et avec l’emploi pour les constructions d’adobes (briques séchées au soleil) et de pierre (…).

    Dans l’Est, le stade moyen de la barbarie commença avec la domestication d’animaux susceptibles de fournir du lait et de la viande, tandis que la culture des plantes semble être restée inconnue jusqu’à une époque fort avancée de cette période (…).

    3. Stade supérieur. – Il commence avec la fonte du minerai de fer et passe à la civilisation avec l’invention de l’écriture alphabétique et son emploi pour la notation littéraire (…).

    Avant tout, c’est à ce stade que nous trouvons pour la première fois la charrue de fer traînée par des animaux, qui rendit possible la culture des champs sur une grande échelle, l’agriculture, et du même coup un accroissement des moyens d’existence pratiquement illimité, eu égard aux conditions de l’époque; de là également le défrichage des forêts et leur transformation en terres arables et en prairies, transformation impossible elle aussi, à large échelle, sans la hache de fer et la bêche de fer (…).

    L’apogée du stade supérieur de la barbarie se présente à nous dans les poèmes homériques, en particulier dans L’Iliade.

    Des outils de fer perfectionnés, le soufflet, le moulin à bras, le tour du potier, la préparation de l’huile et du vin, le travail perfectionné des métaux en passe de devenir un métier artistique, le chariot et le char de guerre, la construction de navires au moyen de poutres et de planches, les débuts de l’architecture comme art, des villes ceintes de murailles avec des tours et des créneaux, l’épopée homérique et la mythologie tout entière, – tels sont les principaux héritages que les Grecs ont fait passer de la barbarie dans la civilisation (…).

    Pour l’instant, nous pouvons généraliser comme suit la classification établie par Morgan:

    État sauvage: Période où prédomine l’appropriation de produits naturels tout faits ; les productions artificielles de l’homme sont essentiellement des outils aidant à cette appropriation.

    Barbarie: Période de l’élevage du bétail, de l’agriculture, de l’apprentissage de méthodes qui permettent une production accrue de produits naturels grâce à l’activité humaine.

    Civilisation: Période où l’homme apprend l’élaboration supplémentaire de produits naturels, période de l’industrie proprement dite, et de l’art. »

    L’émergence pré-historique de l’Humanité apparaît ainsi comme un lent processus d’évolution et de synthèse.

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  • L’Humanité commence son histoire par un processus naturel et contradictoire avec la Nature

    La notion de mode de production est essentielle dans l’approche du matérialisme historique ; c’est le concept utilisé pour périodiser le développement de la production et de la reproduction des moyens dont dispose l’humanité pour exister.

    Le point de vue de Karl Marx, c’est que l’être humain est un animal ayant connu un changement qualitatif et dont l’existence a ainsi été tellement modifiée qu’elle-même modifie son environnement. L’être humain a, autrement dit, des capacités qu’il met en œuvre. Sa manière d’utiliser celles-ci – le « mode » d’utilisation – traverse des étapes. Ces étapes, une fois l’Humanité parvenue à un certain niveau de développement, sont ce qu’on appelle un mode de production.

    Dans Le capital, Karl Marx souligne que ce processus est naturel, car il se fonde sur l’activité des êtres humain en tant qu’animaux ayant connu un changement, et que par conséquent les êtres humains ne décident pas de ce changement : ils sont ce changement.

    Expliquant pourquoi il dit du mal des capitalistes dans Le capital, Karl Marx dit ainsi qu’il ne s’agit pas de considérer cela selon un angle personnel, car c’est la situation qui détermine les gens :

    « Pour éviter des malentendus possibles, encore un mot. Je n’ai pas peint en rose le capitaliste et le propriétaire foncier.

    Mais il ne s’agit ici des personnes, qu’autant qu’elles sont la personnification de catégories économiques, les supports d’intérêts et de rapports de classes déterminés.

    Mon point de vue, d’après lequel le développement de la formation économique de la société est assimilable à la marche de la nature et à son histoire, peut moins que tout autre rendre l’individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoi qu’il puisse faire pour s’en dégager. »

    Ainsi, les êtres humains existent, ils ont des activités qui visent à satisfaire leurs besoins existentiels (manger, boire, dormir, se reproduire) ainsi, éventuellement, qu’à les épanouir par la libre-activité de leurs facultés (s’amuser, jouer, synthétiser sous la forme d’œuvres d’art, etc.).

    Lampadédromie (c’est-à-dire une course de flambeaux) sur une Œnochoé (soit pichet à vin), 4e siècle avant notre ère

    Ces activités sont toutefois différentes suivant le niveau d’accumulation du travail de l’être humain.

    Selon qu’ils profitent d’outils, de machines, de connaissances techniques et scientifiques… Selon qu’ils profitent de capacités de transport, de communication, de soins hospitaliers, d’éducation… les êtres humains se comportent de manière différente, leurs priorités ne sont pas les mêmes.

    Un petit village dans une jungle, vivant de la cueillette et de la chasse, n’a pas le même rapport avec son environnement qu’une ville s’appuyant sur des vastes activités agricoles et industrielles, avec également tout un appareil culturel.

    Dans le premier cas, on a quelques personnes regroupées et menant un travail similaire pour tous ; dans le second cas on a une masse d’êtres humains avec une division du travail extrêmement poussée et des interrelations innombrables.

    Le mode de production capitaliste apparaît ici comme inéluctable, car il est le fruit d’échanges toujours plus avancés entre les êtres humains. Karl Marx définit les choses ainsi dans Le capital :

    « Le mode de production capitaliste se présente donc comme nécessité historique pour transformer le travail isolé en travail social. »

    Pour Karl Marx, l’humanité modifie sa manière d’intervenir et au fur et à mesure de sa progression et change d’autant son « mode » de produire ses moyens de subsistance et d’épanouissement.

    C’est un processus naturel qui, bien entendu, s’appuie sur des contradictions dans son développement. Parmi ces contradictions, les plus déterminantes sont les luttes des classes. Voilà pourquoi Karl Marx et Friedrich Engels ont pu écrire que « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de luttes de classes ».

    Ballet Le Détachement féminin rouge, Chine, 1972

    D’une part, on peut dire que, parvenue à un certain niveau de développement, l’Humanité constitue des sociétés. C’est le début de l’Histoire et la sortie apparente de la nature, nature qui semble s’opposer à l’environnement toujours plus artificiel que produisent les sociétés humaines.

    Le paradoxe apparent est que les sociétés humaines s’opposent à la Nature sans être fondamentalement sortis de la nature, parce que cela est impossible. L’Humanité a ici simplement poursuivi son développement naturel en tant qu’avant-garde intelligente de la matière sur notre planète, mais elle reste tout entière un élément composant la Biosphère de celle-ci.

    Cette contradiction ne pourra être surmontée qu’une fois le niveau de connaissance de l’Humanité et son niveau de coopération, puis de symbiose, se seront élevés dans le cadre d’une société sans classe qui sera enfin en mesure de se renouer à la Nature, et de faire revenir pleinement l’humanité dans celle-ci.

    C’est précisément pourquoi on peut parler de lutte des classes jusqu’à nos jours. L’Histoire en tant que telle n’est qu’une étape du développement de l’Humanité. Exactement comme il y a eu une Préhistoire, l’Histoire n’est que l’Histoire des sociétés, et parvenu au communisme, il y aura une Nouvelle Histoire, symbiotique, harmonieuse et tournée vers les étoiles, vers l’expansion de la vie dans la galaxie.

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  • Le mouvement dialectique de l’Histoire

    L’Humanité est un produit du mouvement de la matière, une composante en évolution de l’univers, telles que les conditions qui se sont progressivement accumulées et mises en forme sur notre planète les ont permises.

    Parvenu à un certain stade de son évolution, l’Humanité a connu un saut qualitatif de grande importance : elle a commencé à former des sociétés de plus en plus complexes, dépassant le stade de l’organisation grégaire qui caractérisaient jusque-là les espèces comparables à la nôtre. Au sens strict, on peut à ce moment-là parler d’Histoire, ou du moins de pré-histoire.

    Cette évolution a entraîné une série de développements toujours plus poussés. Elle a permis à l’Humanité d’acquérir, de transmettre et d’accumuler des connaissances toujours plus précises, elle a été en mesure d’améliorer son existence et son organisation. Mais dans le même mouvement, cette évolution se confronte aussi à des situations de plus en plus compliquées.

    La principale caractéristique des sociétés humaines est en effet la complexité toujours plus avancée des différents modes de production par lesquelles elles assurent leur existence.

    Karl Marx

    Le développement même de ces différents modes de production est en soi un phénomène naturel.

    Pour prendre un exemple parmi les aspects du mode de production antique, l’agriculture s’est développée en différents points de la planète, là où les conditions le permettaient et selon le stade de développement atteint ici et là par les sociétés humaines. De même, le développement de l’écriture a suivi des voies similaires, sans besoin de coordination ou d’influence.

    C’est l’expression d’une tendance irrépressible.

    Cependant, il va aussi de soi que le développement de ces modes de production ont suivi des formes et des rythmes différents. Il y a un développement inégal, tout aussi naturel, qui participe au mouvement de l’Histoire de l’Humanité. Il y a une perspective commune, mais à un rythme et sous des formes inégales.

    Les modes de productions génèrent même en leur sein des situations différentes entre les Humains, de par la loi de la contradiction : ce sont les classes sociales. Certaines classes se retrouvent en position dominante et d’autres en position dominée. Cela tient jusqu’à un certain point, tant que cela fait avancer l’ensemble de la société. Mais arrivé à un certain stade, le développement des forces productives, l’élévation du niveau de connaissances et l’amélioration relative du niveau de vie, tout cela ouvre la nécessité de passer une étape, de faire un nouveau saut qualitatif.

    Kylix, vase en céramique à figures rouges, avec Achille et Patrocle, vers 500 avant notre ère

    Ce n’est pas une évolution mécanique. Des luttes s’engagent alors et il s’ensuit au bout du compte une transformation du mode de production. Ce processus suit une logique naturelle, il est complètement inévitable. Quelle que soit la résistance de l’Ancien, le Nouveau finit par le chasser. Mais c’est un processus complexe, qui ne se développe pas en ligne droite.

    Parvenu à un certain point, le processus de décadence et d’effondrement de l’Ancien est inéluctable. Pour autant, l’effondrement ou la décadence ne peuvent être absolus sur le plan historique, précisément parce qu’elles ne peuvent exister que lorsqu’il y a l’émergence de forces nouvelles, en mesure de porter le développement vers une nouvelle étape. Ces deux forces sont donc conjointes et c’est de leur rapport dialectique que se forme la dynamique historique.

    La dynamique de l’Histoire produit donc à la fois des impasses, autant de fleurs stériles cherchant leur voie dans une vaine direction, et des étapes élançant la transformation dans une nouvelle direction. Mais impasses et étapes sont autant de reflets du mouvement général de la matière dans l’unité des contraires, au sein d’un vaste mouvement inégal, avec des couches matérielles liées les unes aux autres de manière toujours plus complexe, dans le temps comme dans l’espace.

    C’est pour cela que l’on peut et doit parler de matérialisme historique.

    Sūtra du Diamant, Chine, 9e siècle

    À l’échelle historique, ce qui fait avancer ces modes de production, c’est le mouvement dialectique de la différenciation et des contradictions qu’ils génèrent. C’est l’évolution dialectique de ces phénomènes qui jouent, dans un univers infini, sans début ni fin, où il n’y a que la matière en mouvement de manière contradictoire.

    L’aspect principal de ces contradictions sur le plan historique est ce que le matérialisme historique appelle la lutte des classes. Parmi les différentes classes existantes dans une société donnée, certaines ont un caractère révolutionnaire en ce qu’elles se situent là où les contradictions du mode de production sont les plus puissantes et les plus évidentes.

    De fait, il importe peu que cette classe soit majoritaire, ce n’est pas une question ici quantitative. Il importe que cette classe soit potentiellement révolutionnaire par rapport au mode de production de son époque : c’est une question ici qualitative.

    Ainsi, d’abord il y a le mouvement dialectique de la matière formant la planète Terre, puis le développement de l’Humanité comme produit naturel de la Terre en tant que Biosphère, cela par un processus par étape d’un mode de production à l’autre, à travers le mouvement de la lutte des classes au plan historique.

    Telles sont les grandes lignes par lesquelles on peut comprendre et expliquer l’Histoire de l’Humanité, jusqu’à notre époque.

    =>Retour au dossier Des débuts de l’humanité au mode de production esclavagiste

  • Le matérialisme dialectique, le processus de changement en son contraire et la notion de centre, de point de repère, de référentiel

    Longue vie au PCUS(b), le Parti de Lénine-Staline, l’avant-garde endurcie au combat du peuple soviétique, inspirateur et organisateur de notre victoire!

    Le matérialisme dialectique considère qu’une chose peut se retourner en son contraire. Il est cependant essentiel de ne pas considérer qu’il s’agit d’une sorte de déplacement. Ainsi, le schéma suivant est erroné.

    Ce schéma est erroné, car il implique qu’une chose est différente de son contraire et qu’ainsi, se retournant en son contraire, il y aurait une transformation, une modification, un déplacement.

    Selon le matérialisme dialectique, ce qui se passe c’est que le contraire d’une chose est en même temps cette chose. Ainsi, il n’y a pas de « transformation » lorsqu’une chose devient son contraire.

    C’est évidemment délicat à saisir. Il a fallu d’ailleurs attendre Mao Zedong pour que le matérialisme dialectique saisisse ce processus de manière suffisante. La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne est le fruit de cette compréhension : étant donné qu’il n’y a pas de « barrière » entre une Chine socialiste et une Chine révisionniste, il ne fallait pas imaginer que le révisionnisme s’appuierait sur une transformation, une modification, un déplacement. La lutte était en réalité interne à la société chinoise.

    D’où les multiples aspects de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

    Staline, en URSS, considérait que le révisionnisme passerait par des points de fixation, qui entameraient un déplacement, une modification, une transformation. Ce ne fut pas le cas et son erreur tient à sa compréhension insuffisante, due à des raisons historiques, du processus amenant qu’une chose se transforme en son contraire.

    Dans le schéma présentant l’approche erronée, ce sont les flèches qui symbolisent le problème. Si on dit, lorsqu’une chose se retourne en son contraire, qu’il y a une modification, alors on affirme qu’une chose est absolument séparée de son contraire. Pour devenir son contraire, un phénomène devrait connaître toute une opération, tout un mouvement.

    Ainsi, on est amené à valoriser le lieu du « passage », on est obligé de considérer que, pour qu’une chose puisse se modifier, il faudrait un « lieu », un sas, un point de connexion.

    Or, c’est là étranger au matérialisme dialectique. C’est même d’ailleurs très précisément, du point de vue historique, la justification théorique de Dieu.

    Avant le matérialisme dialectique, l’hypothèse de Dieu était incontournable pour l’humanité. Cette dernière, incapable de saisir le mouvement de la matière, d’appréhender la contradiction (notamment entre quantité et qualité), de saisir le développement inégal… fondait, de manière idéaliste, sa réflexion sur le principe de création, d’action et de réaction.

    Pour qu’une chose existe, pour qu’une chose se passe, dans cette conception, il faut un moment « idéal », une situation pure, une lancée (et d’ailleurs un aboutissement).

    De là vient la notion de l’inspiration « divine » du « génie » artistique ou scientifique, procédant par « création », à partir de rien. Cette notion de création implique qu’il y ait un « début » et une « fin » à des choses qui seraient logiquement séparées, isolées, différentes, uniques, puisque « créées ».

    Chaque chose étant ce qu’elle est, et pas autre chose, pour qu’elle puisse se changer en son contraire (en admettant même que ce soit possible), il faut un terrain pour cela, une action. Il faut que les conditions soient créées.

    En réalité, une chose est également son contraire. Cela est vrai pour le socialisme, qui sera la même chose, même si inversée, que le capitalisme pendant un temps, puis du communisme ensuite. Le socialisme est en effet un dépassement du capitalisme, c’est-à-son dire prolongement et sa négation ; en même temps, le socialisme est contraire au communisme représentant un stade plus développé, vers lequel il tend naturellement.

    Le communisme lui-même connaîtra des transformations, devenant toujours plus complexe avec une série d’oppositions internes. Cela est tout à fait clair si on voit le rapport à la Nature, l’humanité ayant connu un développement inégal, l’amenant à être le contraire de la Nature, pour en même temps être ce contraire et le redevenir entièrement de nouveau, de manière plus développée.

    Tout est toujours le contraire de quelque chose, étant ce contraire également. L’enfant a comme contraire l’adolescent qu’il devient, l’adolescent obtenant comme contraire le fait d’être adulte, etc. L’adolescent n’est pas l’adulte mais en même temps il l’est aussi, malgré qu’il soit son contraire.

    On peut ici voir qu’une multitude de déraillements dans les comportements humains relèvent de l’incompréhension de ces différences qualitatives et d’une confusion quant à la réalité. Des désirs se portent sur une chose qui est le contraire d’une chose, avec une assimilation alors qu’en réalité elle est et n’est pas cette chose.

    L’homme adulte qui se tourne vers une adolescente déraille car il confond l’adolescente avec la femme, étant en pleine confusion sur la chose et son contraire ; la contradiction entre l’homme et la femme peut également être incomprise et aboutir à une désorientation où la chose est confondue avec son contraire.

    Il y a bien entendu également, voire surtout, une attention fétichiste portée à la notion de centre, de point de repère, de référentiel. Il y a une valeur démesurée portée à la considération que tout phénomène aurait un « pic » correspondant au passage d’une montée unilatérale à une descente unilatérale.

    Il y a l’obsession pour la quête d’un centre, comme dans la représentation cartésienne d’une fonction (aux valeurs 0 et 0 sur les deux axes). Cela se reproduit socialement avec la fascination pour le chef unilatéral, dans la négation du mouvement dialectique entre le centre et la base, mais surtout dans le rejet de l’universalité de toute pensée ne faisant, finalement, que refléter la matière en mouvement.

    Toute cette approche en termes de centre, de point de repère, de référentiel… sert en fait à réduire la complexité des phénomènes, à ne pas en étudier la substance, à contourner le fait que tout processus, dans son mouvement interne, obéit à ses traits particuliers, dans un processus universel de contradiction.

    La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, avec ses multiples aspects, a été en Chine justement une opération de compréhension des modalités du processus de la transformation de la Chine rouge en Chine noire, afin de lancer une contre-restauration à la restauration capitaliste. Son échec à la mort de Mao Zedong en 1976 rappelle qu’une contre-restauration peut elle-même se transformer en son contraire, une contre-contre-restauration.

    Que ce soit passé à la mort de Mao Zedong peut indiquer que l’erreur a consisté à faire de celui-ci un centre, un point de repère, un référentiel dans le dispositif révolutionnaire, en omettant de considérer qu’il s’agit de saisir tous les aspects de la transformation.

    Cette question du changement d’une chose en son contraire, de l’absence de lieu de « déplacement », exigera à l’avenir une grande attention ; elle permettra de saisir des aspects essentiels encore incompris, tels les virus qui sont à la « croisée » du vivant et du mort de par ses qualités, formant une sorte de nexus entre la vie et la mort, sans pouvoir pour autant être un centre, un point de repère, un référentiel.

    On a ici l’expression d’une contradiction entre le particulier et l’universel, mais également la question d’une compréhension plus approfondie de l’inter-relation fondamentale de toutes les choses qui forment, concrètement, une seule et même réalité, un univers infini et éternel composé de multiples couches comme en oignon, avec des mouvements telles des vagues se faisant écho.

  • Parti Communiste d’Espagne (marxiste-léniniste) : La guerre populaire (1967)

    Décembre 1967
    Ligne politique
    La guerre populaire

    85) L’État est l’instrument de pouvoir d’une classe sur une autre. Par conséquent, l’État n’existe que dans une société divisée en classes. Le pouvoir politique, qui est l’instrument de répression d’une classe par une autre, s’exerce à travers un appareil d’État, dont les organes de base sont les détachements armés: l’armée et les autres forces répressives.

    Pour mener à bien la révolution populaire dans notre pays, il est nécessaire de comprendre les lois suivantes:

    86) – La loi générale de toutes les révolutions de l’histoire : ce n’est que par la violence que le pouvoir des classes dirigeantes réactionnaires peut être abattu et le pouvoir des classes révolutionnaires implanté (puisque le pouvoir d’État s’exerce à travers un appareil militaire).

    87) – Loi générale de toutes les révolutions prolétariennes et populaires (dirigées par le prolétariat) : il faut non seulement renverser par la violence les classes dirigeantes réactionnaires, mais aussi détruire par la force tout l’appareil militaire et bureaucratique desdites classes ; cela nécessite la création et le développement de détachements des forces armées révolutionnaires.

    Dans le développement de ces forces armées se mettent en branle des formes de violence très diverses. Mais le processus doit nécessairement aboutir à l’insurrection armée des masses populaires.

    88) – Loi générale de toutes les révolutions prolétariennes et populaires à l’époque actuelle : non seulement la destruction de l’appareil d’État bourgeois est nécessaire, au moyen de l’insurrection populaire armée, mais une guerre populaire prolongée est essentielle, car un appareil répressif aussi fort, centralisé et organisé comme celui du capital financier et de ses laquais ne peut être abattu d’un seul coup ou en quelques batailles ; pour le renverser est nécessaire une armée populaire, qui ne peut surgir et se développer que dans la guerre révolutionnaire.

    89) Si les lois ci-dessus sont de nature générale, dans le cas de l’Espagne, la nécessité d’une guerre populaire se manifeste encore plus clairement, compte tenu du fait que notre pays souffre d’une dictature fasciste féroce et sanglante, qui est à son tour un instrument de service de la puissance impérialiste la plus puissante de tous les temps, les États-Unis.

    En Espagne, la dictature de l’oligarchie pro-impérialiste s’exerce sous sa forme la plus violente, à travers l’État yankee-franquiste, qui est soutenu par un appareil terroriste monstrueux (armée, garde civile, police armée, brigade politico-sociale, bandes de la réaction, etc.). Par cet État, l’impérialisme et l’oligarchie exercent la répression la plus impitoyable sur le peuple, persécutant de manière sanguinaire toute action de lutte de la part des masses.

    90) La lutte armée révolutionnaire naît au sein du peuple travailleur uniquement à la suite d’une agitation et d’une propagande politiques tenaces. Ce n’est que par le travail de propagande des organisations d’avant-garde, fondamentalement du Parti communiste d’Espagne (m-l), que les masses seront idéologiquement capables de comprendre la nécessité de prendre les armes contre la dictature yankee-franquiste.

    91) La lutte armée ne peut pas surgir ou se développer indépendamment de la lutte de masse, mais seulement en contact étroit avec le mouvement ouvrier et paysan de masse. Des formes initiales (grèves, manifestations), il faut aller progressivement (et l’évolution spontanée de la lutte confirme cette trajectoire) aux formes supérieures de combat : escarmouches violentes avec les forces de la dictature, assauts, émeutes.

    92) Du sein de ces luttes de masse, et dans le feu de celles-ci, commencera la lutte armée, qui pourra d’abord prendre forme dans les zones rurales reculées, puisque ce sont celles qui échapperont le plus rapidement au contrôle de l’oligarchie pro-impérialiste.

    Ce n’est que par la lutte armée dans les campagnes que les forces révolutionnaires pourront s’accumuler, se fortifier, s’aguerrir, remporter des victoires partielles sur l’ennemi jusqu’à le renverser et, avec le soutien de l’insurrection armée générale du peuple tout entier, libérer le pays du joug de l’oligarchie yankee-franquiste et établir un pouvoir populaire.

    =>Retour au dossier PCE (ml) et FRAP, PCE (r) et GRAPO

  • Face au révisionnisme : être communiste, c’est arborer, défendre et appliquer le marxisme-léninisme-maoïsme

    Au début du 21e siècle, être communiste signifie s’orienter selon les exigences idéologiques du marxisme-léninisme-maoïsme. Il s’agit en effet de la science de notre époque qui, dans tous les domaines, permet de saisir chaque phénomène suivant le matérialisme dialectique.

    Il n’est pas possible d’être simplement « marxiste » ou « marxiste-léniniste », car ce serait se couper du développement théorique et pratique du marxisme, du marxisme-léninisme, et ainsi retomber en arrière par rapport aux exigences de notre époque. Pareillement, il n’y a pas de « maoïsme » qui flotterait au-dessus de l’histoire, séparé du marxisme et du léninisme.

    Le marxisme, le léninisme (en tant que marxisme-léninisme), le maoïsme (en tant que marxisme-léninisme-maoïsme) relèvent du même mouvement historique. Ce ne sont pas des sources d’inspiration, des boîtes à outils, des indicateurs, des méthodes. Il n’est pas possible d’y puiser de manière décousue, spontanée, selon les besoins du moment, suivant les envies.

    Comme production de l’Histoire, il s’agit d’une science, exigeant une mise en perspective conforme aux attentes de l’époque et un rapport adéquat avec ses concepts ; il faut être sur la bonne longueur d’onde pour en saisir la démarche, il faut se placer comme prolongement d’une tradition réelle portée par des êtres concrets, à travers le temps.

    Le PCF(mlm) est ainsi le vecteur du marxisme-léninisme-maoïsme, car il s’inscrit dans la tradition communiste lui ayant donné naissance ; il véhicule cette idéologie, il l’arbore en en affirmant la continuité, il la défend en en développant les thèses essentielles, il l’applique à travers l’activité concrète de ses cadres.

    Ce dernier aspect, en raison de la dignité du réel, est l’aspect principal ; les cadres se transforment dialectiquement par le travail révolutionnaire, de la même manière que les masses dans leurs vies quotidiennes, suivant les exigences de transformation correspondant à la maturité d’une époque.

    C’est pourquoi le Parti Communiste du Pérou dirigé par Gonzalo a établi le juste mot d’ordre : arborer, défendre et appliquer, principalement appliquer le marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme !

    Le maoïsme est pareillement un aspect principal, en l’occurrence celui du marxisme-léninisme-maoïsme, car il y a eu un développement historique, qu’on lit parfaitement, à moins de nier l’Histoire, les avancées idéologiques, la maturation de la classe ouvrière, le développement des forces productives, le caractère plus aigu des luttes de classes.

    Cette négation relève de ce qu’on appelle le révisionnisme. C’est que la contre-révolution, face au marxisme-léninisme-maoïsme, utilise toutes les ressources possibles, afin de le nier, de le diffamer, de le détruire de l’intérieur. Ce révisionnisme peut donc prendre des formes très multiples, qui visent toujours à se renouveler, à muter, afin de mieux tromper.

    Parfois, il nie le marxisme-léninisme-maoïsme en amont, en prétendant que ce serait une déviation (comme le fait par exemple le « Parti Communiste Révolutionnaire de France » issu du Parti « Communiste » Français, ou encore « Ligne rouge » récemment issue également du Parti « Communiste » Français).

    Parfois, il nie le maoïsme en aval, soit en prétendant le défendre pour tout abandonner du jour au lendemain (tel le « Parti Communiste Maoïste » récemment), soit en le défendant pour finalement le rejeter (telles « Unité Communiste Lyon » ou l’« Organisation Communiste Futur Rouge »).

    L’objectif de la contre-révolution est de briser le parcours historique du mouvement communiste, de disperser ses forces, de morceler ses connaissances, de falsifier ses principes, de saboter sa pratique.

    C’est pourquoi la contre-révolution fait en sorte que, face aux communistes arborant le marxisme-léninisme-maoïsme, il y ait des révisionnistes expliquant que ce serait du sectarisme et du dogmatisme, que ce serait à rebours des besoins réels des masses.

    Face à la défense du marxisme-léninisme-maoïsme, c’est-à-dire son approfondissement et son développement, le révisionnisme joue la carte du « rassemblement », du « dénominateur commun », afin de gommer l’idéologie, de la réduire, de la faire disparaître. Il est prétendu qu’il faudrait placer l’idéologie à un rang secondaire, la réduire à un arrière-plan toujours plus vague, indéfini.

    On a ici un excellent exemple avec le Parti Communiste Révolutionnaire du Canada. Fondé en 2007 (en étant très proche des maoïstes népalais), il s’est revendiqué du marxisme-léninisme-maoïsme, mais sans jamais le définir et il a ouvert ses rangs le plus possible. Ce faisant, il a eu un certain succès, avant d’être en 2021 réduit à un petit noyau dur après de très nombreuses scissions. La même chose s’est produite avec le groupe allemand « Jugendwiderstand », qui a existé de 2015 à 2019.

    Cela rejoint en fait la question de l’application. L’application du marxisme-léninisme-maoïsme ne consiste pas simplement à véhiculer celle-ci comme idéologie, il s’agit de contribuer au processus révolutionnaire dont la nature est en substance la guerre du peuple pour le renversement de l’État et l’établissement, ce faisant, du nouveau pouvoir, de type démocratique-populaire puis socialiste.

    Cela implique une transformation personnelle. Le révisionnisme nie le caractère interne de la contradiction, il considère les processus comme mécaniques. Il ne voit pas que les exigences de transformation de la réalité s’allient avec une transformation de chaque personne afin d’être en phase avec l’affirmation communiste.

    Le Nouveau Pouvoir est porté par des communistes affirmant dans les faits la démarche communiste et entendant la généraliser ; le Communisme est porté par des personnes portant une rupture subjective, ce qui est d’autant plus vrai dans les métropoles impérialistes porteuses de tellement de corruption, augmentant le poids de la subjectivité dans le processus révolutionnaire.

    Le mouvement en ce domaine se pose concrètement comme suit : idéologie-Parti => activité des cadres => développement de l’autonomie prolétarienne comme espace antagonique. Cela correspond à la division arborer / défendre / appliquer, puisque le Parti arbore, l’activité des cadres défend, la lutte des classes authentique l’applique (d’où le principe rappelé par le Parti Communiste du Pérou de Gonzalo « Les masses font l’Histoire, le Parti les dirige »).

    Et ce mouvement, dialectiquement, existe en sens inverse : développement de l’autonomie prolétarienne comme espace antagonique => activité des cadres => idéologie-Parti, car l’avant-garde est constituée et se renforce par la pointe avancée de la lutte des classes, permettant l’amplification du Parti et du marxisme-léninisme-maoïsme.

    C’est parce qu’il avait compris cela que Mao Zedong avait su lancer la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, qui a redynamisé la lutte des classes, permettant de reforger le Parti. C’était une parfaite compréhension du processus historique, du rapport entre le Parti, les cadres et les masses.

    Et quel a été le mode opératoire du révisionnisme en Chine populaire, justement ?

    Lin Piao a feint de soutenir la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, arborant en apparence l’idéologie pour l’écraser de l’intérieur. Il comptait passer par l’aspect « arborer ».

    Liu Shao-chi était le Khrouchtchev chinois : il proposait de remettre en cause la défense de l’idéologie, au profit d’une souplesse sur le plan des idées, d’une ouverture aux raisonnements bourgeois, qui seraient plus efficaces. Il visait l’aspect « défendre ».

    Deng Xiao Ping remettait en cause l’application, en disant que « peu importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape les souris ». Il comptait changer la substance de la pratique. Il attaquait l’aspect « appliquer ».

    Il y a ici une grande leçon historique, qui permet de cerner l’importance d’arborer, de défendre et d’appliquer, principalement appliquer l’idéologie communiste, aujourd’hui le marxisme-léninisme-maoïsme. Et cette leçon, pour être saisie de manière adéquate, nécessite de souligner la continuité du Parti, dans son affirmation idéologique, dans la défense de ses fondamentaux, dans l’application concrète de ses principes.

  • L’intégration de la religion de la cybernétique en Union Soviétique avec Nikita Khrouchtchev

    La cybernétique soviétique allait bien plus loin que la cybernétique occidentale ; cette dernière raisonnait surtout en termes de contrôle, c’est-à-dire d’information et de réaction automatisée. La cybernétique soviétique y ajoutait le principe du système de contrôle : il s’agit clairement de remplacer le marxisme-léninisme par une théorie « systémique » d’une même envergure, multi-domaines.

    En un sens, la démarche cybernétique est matérialiste… à l’époque où elle était portée par Spinoza dans son Éthique, à la fin du 17e siècle, ou bien avec le matérialisme des Lumières, notamment le concept d’Homme-machine de Julien Offray de La Mettrie en 1748.

    Au milieu du XXe siècle, c’était à la fois un réductionnisme et du mécanicisme, et surtout une idéologie conforme aux intérêts des managers ayant usurpé le pouvoir et dont Nikita Khrouchtchev était le grand représentant.

    D’où l’intégration officielle comme idéologie de l’URSS, comme voie pour « les machines du communisme », avec une multiplication des structures, tels l’Institut de cybernétique de l’Académie des sciences d’Ukraine, l’Institut de mathématiques et de technologie informatique de l’Académie des sciences à Moscou, l’Institut de mathématiques de Sibérie, l’Institut de mécanique de précision et d’ingénierie informatique de l’Académie des sciences, etc.

    Structures portant la cybernétique196219631964-196519661967-1970
    Projets170231374428500
    Institutions296196133150
    Agences1419222750

    La science soviétique était alors divisée en quatre grandes branches : les sciences physico-techniques et mathématiques, les sciences chimico-techniques et biologiques, les sciences sociales et enfin la cybernétique avec au centre du dispositif l’Institut d’automatisation et de contrôle à distance et l’Institut central de mathématiques économiques.

    Ce dernier aspect finit par primer ; né sur le terrain d’une réflexion autour de l’automation, le noyau idéologique de la cybernétique, les mathématiques, amena à se focaliser directement sur les questions économiques : en 1967, la moitié des structures portant sur la cybernétique se focalisait sur ce domaine.

    Cybernétique attendue et inattendue, Victor Pekelis, 1968, sous la responsabilité d’Aksel Berg et Arnošt Kolman 

    C’est une vague qui amènera Leonid Kantorovitch à obtenir le prix Nobel d’économie en 1975. Ce mathématicien avait été l’auteur de Méthode mathématique de planification et d’organisation de la production (1939) et d’Allocation optimale des ressources économiques (1939), c’est-à-dire qu’il était le tenant de la ligne « mathématique » contre la ligne idéologique dans la planification.

    D’autres tenants de cette même ligne « mathématique » furent Vasily Sergeevich Nemchinov, qui généralisa les mathématiques dans la « planification » d’après 1953, ainsi que Viktor Valentinovich Novozhilov qui étudia les questions d’« efficacité ».

    Mais tous les projets cybernétiques s’avéraient aussi vains que les fantasmagories mathématiques ou les théories du langage qui les appuyaient. Dans les faits, le triomphe des managers dans l’économie soviétique et la mise en place de clans par la décentralisation avaient produit une incroyable passivité ouvrière.

    Il y avait ainsi un décrochage se généralisant dans la productivité industrielle par rapport aux investissements effectués. Tigran Khatchatourov, un économiste particulièrement valorisé en URSS dans les années 1960-1970, évalue de manière suivante cette question.


    1950-19551955-19601960-1965
    Capital par ouvrier+ 50 %+ 44 %+ 43 %
    Productivité par ouvrier+ 49 %+ 37 %+ 26 %
    Différence– 1 %– 7 %– 17 %

    Cela reflète bien sûr l’absence de participation de la classe ouvrière aux orientations prises par le régime, l’effacement de la démocratie, le cadre « managériale » des entreprises. Un épisode particulièrement marquant fut celui de la petite ville de Novotcherkassk, en juin 1962, à la suite de la hausse du prix des denrées alimentaires décidé le 31 mai (31% pour la viande, de 25 à 35% pour le beurre).

    La grève de l’usine de construction de locomotives aboutit à une manifestation réprimée dans le sang, avec au moins 26 morts, 87 blessés – en réalité sans doute bien plus. Les morts furent enterrés secrètement, la ville fut coupée du monde. La seconde manifestation fut elle aussi écrasée à coups d’arrestations, avec plusieurs condamnations à mort.

    L’épisode, même passé sous silence, donnait le ton en URSS. Et cette tendance ne pouvait qu’aller en grandissant, alors que le Parti Communiste d’Union Soviétique était devenu celui des militaires, des ingénieurs, des managers et des bureaucrates.

    On voit le décalage avec la prétention faite en 1961 de multiplier par six le volume de la production industrielle en vingt ans, doubler la productivité du travail en dix ans !

    Mais ce n’était pas tout. Avec la décentralisation, la direction devenue révisionniste du Parti mit en place ce qui devint sa base sociale, alors que le retour des rapports marchands en URSS portait l’ensemble, faisant de l’URSS un État socialiste en paroles, capitaliste en réalité.

    Cela ne pouvait qu’avoir une forme par définition monopoliste. Ainsi, la décentralisation se retourna rapidement en son contraire, avec une URSS de type capitaliste monopoliste. Mao Zedong affirma ainsi en 1964 que :

    « En URSS aujourd’hui, c’est la dictature de la bourgeoisie, la dictature de la grande bourgeoisie, c’est une dictature de type fasciste allemand, une dictature hitlérienne. »

    Ce processus exigea le renversement de celui qui avait porté la décentralisation : Nikita Khrouchtchev fut démis de ses fonctions en octobre 1964, sous prétexte qu’il n’aurait pas respecté les principes de la direction collégiale. Il fut même forcé à démissionner.

    La cybernétique fut quant à elle intégrée dans l’arrière-plan idéologique général du régime, pour passer à la trappe. L’URSS passait à autre chose : finie la ligne opportuniste de gauche, avec l’utopie et la décentralisation. Les visées étaient désormais impériales.

    À partir de 1964, elle se lance dans une initiative l’amenant, à partir de 1968, à viser l’hégémonie mondiale en tant que superpuissance social-impérialiste.

    =>Retour au dossier Nikita Khrouchtchev et le révisionnisme par le «dégel»
    dans l’URSS désormais majoritairement urbaine