Gauche prolétarienne: Les œillets de la vengeance (1970)

[Juin 1970 – Bulletin La Cause du Mineur.]

Le 4 septembre 1940, le gaz envahit les galeries de la fosse du puits Daomey.

Plusieurs sont asphyxiés : deux morts, deux jeunes.

Pas de drapeaux, des fleurs rouges. Un amoncellement qui noie les cercueils.

Les oeillets de la vengeance sont entourés de 40 jeunes qui se relaient autour du char funèbre, derrière les mineurs de Dourges en grève.

Au cimetière, deux flics voyant que Brûlé, héros de la résistance, s’apprête à parler, osent l’interpeller :

– il est interdit de prendre la parole !

– je parlerai quand même.

– ne faites pas de scandale !

– des scandales, il y en a deux ici, dit-il, en montrant la tombe des mineurs; et c’est la compagnie qui est responsable.

Balayant les deux poulets, Michel Brûlé vient de montrer la voie de la résistance.

Les oeillets rouges de la vengeance, comme premier acte de la résistance des mineurs, vont faire «clore une moisson de courage.

Mieux vaut mourir en luttant que de crever doucement à genoux.

Le 21 février, appelant à la grève les mineurs du puits Daomey, Michel Brûlé est dénoncé par un chef porion, arrêté par les Allemands.

Mais les oeillets de la vengeance sont encore dans la mémoire des mineurs, ses camarades.

La grève gagne ; tout l’appareil policier est aux abois.

Les mineurs n’acceptent pas, sans opposer de résistance, que leur frère si .courageux soit en prison.

Le 25 février, son dénonciateur trouve une grosse corde avec un noeud coulant, clouée sur sa porte.

Fin 1943, une rafale de mitraillette l’abattra.

Les opérations des premiers partisans

Le 1er mai 1941, les drapeaux rouges flottent sur les puits de mine.

La veille, le parc à bois a brûlé à la fosse Mulot, à Hénin-Liétard..

Septembre 1940 : trois charettes de blé, conduites par des Allemands, prennent feu entre Hénin-Liétard et Drocourt.

A Lambersart, une attaque directe contre les Allemands est dirigée par Ferrari, Denys, Pav-lowski – un Italien, un Polonais, un Français.

La lutte unit et unira toujours les immigrés aux français.

L’internationalisme prolétarien, pour les travailleurs, n’a pas besoin de longs textes ou de discours : c’est, tout simplement, être des frères de combat.

A Pont-à-Vendin, au pied d’un pylône, le jeune Baldiga gît, électrocuté.

Mais, au-dessus, flotte le drapeau rouge, rouge du sang des travailleurs.

Les opérations de partisans préparent la riposte des mineurs. Les mineurs, sous des centaines de mètres de terre, en causent, se réjouissent, attendent d’y participer.

Le chemin se dessine.

100 000 mineurs s’attaquent au régime nazi, aux pétainistes, à la police et à tous les larbins des houillères.

… La grève, envisagée depuis fin 40 par les cadres de la résistance populaire, incarnée par René Camphin, Julien Hapiot, Deloison, a demandé un gros travail de préparation.

Les hommes de fer ont formé des centaines d’autres cadres dans la lutte.

Des Michel Brûlé, il en est sorti en masse ! Pour faire débrayer les puits, c’étaient des jeunes gars, parfois de moins de 16 ans, qui apportaient l’espoir de la lutte à leurs frères mineurs, face à toute une armée de nazis, face à une armée de flics verts de peur.

Des dizaines de kilomètres à pied avec les poches bourrées de tracts dont un seul valait la déportation.

Les petits actes de sabotage, pour répondre aux assassinats à l’exploitation.

Dans leur magnifique lutte, les mineurs avaient leurs compagnes, leurs mères, leurs soeurs avec eux.

2 000 femmes de mineurs, à Fouquières-les-Lens, tenant leurs enfants par la main, n’acceptent pas, non plus, de crever lentement ; leurs « tiots » sont élevés ainsi, dans la lutte.

Plutôt mourir que vivre sans lutter !

Cortège de révoltées qu’admirent les mineurs.

Force insoupçonnable pour la réaction. Face aux mitraillettes, les femmes de mineurs ont relevé les oeillets rouges de la vengeance. Cette fleur qu’elles portent en elles, c’est le sang de leur mari.

Les ingénieurs, sur leur passage, se terrent dans leurs belles maisons. Les cris de haine fusent : « Vendus ! Sales traîtres ! Buveurs de sang.

Devant la brutalité des nazis, de la police, elles se serrent les coudes, ne laissent prendre aucun otage, lacèrent les affiches qui sommaient les mineurs de reprendre le travail.

Face aux flics : le drapeau noir de la misère

Deux drapeaux furent brodés, à Haillicourt, par les femmes des mineurs ; l’un rouge, avec la faucille et le marteau, qui sera accroché aux fils téléphoniques ; l’autre, noir, avec des mots-d’ordre : « Assez de misère ! Assez de

famine ! ». Ce drapeau de la misère, elles le feront^ connaître en manifestant, elles le feront connaître à un détachement nazi et à un groupe de gendarmes, appelé par un garde des houillères, traître et servile. Par la suite, un garde, à Bruayen Artois, a reçu deux balles dans le ventre pour avoir molesté une femme de mineur.

.. Noëlle Burny, figure légendaire de ces femmes, de ces filles de mineurs, la direction, les inspecteurs du travail, pour briser la grève, lui promirent de satisfaire ses revendications, à condition qu’elle fasse la « jaune », qu’elle se rende au travail. Même si elle ne travaillait pas, elle serait payée.

La réponse fut cinglante : « La grève continue, les mineurs ne lâchent pas, nous non plus ! ».

Plutôt la prison que reculer.

La prison ouvrit ses portes.

Mais les oeillets de la vengeance n’auront pas été trahis.

Mineur, ta race est bonne et forte.

Avec elle, tu peux tout entrevoir.

La répression frappe

Des centaines d’arrestations de femmes, de jeunes.

Rien n’y fait.

La grève continue, des militants entrent en prison. D’autres sortent de l’ombre. Rien ne peut arrêter cette machine humaine qui préfère mourir, entrer en tôle, être déportée que de céder dans le combat.

387 867 journées de travail perdues pour la machine de guerre allemande, perdues pour le capital.

Pourtant, la reprise ne se fit pas de bon cœur. Devant un ingénieur qui énumérait les avantages acquis : « Vous avez eu ce que vous demandiez. Que-voulez-vous de plus ? ».

«DES FUSILS! C’EST DES FUSILS QU’IL NOUS FAUT!».

Ces fusils, ils les auront par la suite.

Bien auparavant, ils voleront leur dynamite.

Ils la remontent, entre deux tartines. Les stocks se feront, diminueront, regrossiront.

Des fusils, cela se gagne.

Les oeillets de la vengeance avaient été compris des « gueules noires » : après la reprise, le sabotage se fit encore plus.

Chaque mineur y participe, pas tous avec les mains, mais tous avec le coeur.

Une étiquette remplacée sur ce qui permet de transporter les bois de soutènement, aiguille ceux-ci dans une mauvaise direction.

Des bois de 1,80 m se retrouveront dans une « taille » (lieu de travail et d’exploitation du charbon) de 80 cm de hauteur.

Avec quel plaisir le mineur raccourcissait ces bois !

Les partisans, en haut, y mettent le feu : « moi, j’en gaspille la moitié. Je suis un résistant ! ».

L’autre mineur qui voyait des bois de 1 mètre pour boiser une hauteur de 1,80 m de haut rigolait tout son saoul.

« Porion (contremaître), il me faut de la colle pour rassembler les deux, je ne peux plus travailler »…

Les sucres étaient pris aux enfants, mais il en faut si peu pour arrêter un moteur, le sacrifice ne paraissait pas énorme.

Les mariages dans les descenderies permettant de faire rencontrer les berlines montantes et descendantes amenaient souvent un accouchement prématuré.

« Une descenderie » inutilisable, éboulement, oh combien attendu celui-là !

Les vannes d’air étaient toujours à moitié ouvertes, l’air comprimé manquait : « Porion, souffle dans le raccord, je peux plus faire de charbon ! ».

Des centaines d’autres exploits furent accomplis.

Quand les mineurs veulent quelque chose, ils l’ont.

Croix gammée, bourgeois exploiteurs, rien n’a su les arrêter.

Et si demain, les œillets rouges de la vengeance refleurissent, tremblez, exploiteurs !           

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