Georges Dimitrov: une année de lutte héroïque du peuple espagnol

Article écrit à l’occasion du premier anniversaire de la rébellion franquiste.

Une année s’est écoulée depuis que le peuple espagnol, aux avant-postes de la lutte contre la réaction mondiale et le fascisme, défend courageusement sa liberté et son indépendance, sauvegardant par là même les intérêts de la démocratie, de la civilisation et de la paix contre les barbares fascistes et les fauteurs de guerre.

On peut affirmer sans exagération qu’après la Grande Révolution d’Octobre, cette lutte héroïque est un des événements les plus considérables de l’histoire politique d’après-guerre de l’Europe.

Lorsque, le 18 juillet de l’année dernière, le télégraphe apportait la nouvelle de la rébellion des généraux fascistes contre la République espagnole, personne ne pouvait penser que la guerre civile provoquée par les scélérats fascistes en Espagne durerait aussi longtemps. Les amis aussi bien que Les ennemis du peuple espagnol, chacun à sa façon, comptaient que la guerre serait liquidée dans le plus bref délai.

La rébellion fasciste fut réprimée en quelques jours par les ouvriers espagnols et la milice populaire dans les centres les plus importants du pays.

Madrid et Valence, Barcelone et Bilbao, Tolède, Malaga, Alicante et Almeria, presque toutes les villes importantes d’Espagne se trouvèrent dans les mains du gouvernement républicain.

Les généraux rebelles, qui se dressaient contre les conquêtes démocratiques de la révolution espagnole et, au début de la rébellion, s’appuyaient principalement sur les officiers contre-révolutionnaires haïs du peuple, sur les troupes marocaines et sur les légionnaires étrangers, se heurtèrent à la résistance armée de toutes les forces de la révolution espagnole, de tout le peuple espagnol, groupé dans les rangs du Front populaire autour du gouvernement républicain.

Il est hors de doute que sans l’intervention des, Etats fascistes, sans les armes, les avions et les troupes régulières qui ont été mis à la disposition des généraux rebelles par Hitler et Mussolini, le peuple espagnol aurait depuis longtemps débarrassé son pays des brutes fascistes.

Les faits, déjà connus de chacun montrent que les généraux rebelles n’auraient pas osé entreprendre la guerre contre la République espagnole s’ils n’avaient pas reçu à cet effet les inspirations des Etats fascistes. En réalité, ce complot sanglant contre le peuple espagnol fut préparé et organisé à Berlin et à Rome.

Les fauteurs fascistes de guerre se sont servis des généraux contre-révolutionnaires pour mettre la main sur l’Espagne, sur ses richesses ; sur ses matières premières en vue de l’industrie de guerre, et pour se créer des positions dans la Méditerranée en vue de la nouvelle guerre impérialiste qu’ils préparent.

Hitler et Mussolini comptaient manifestement que les généraux Franco et Mola, servant d’instruments entre leurs mains, réussiraient en quelques jours à s’emparer de Madrid, à abolir le régime républicain et à leur offrir un riche butin sous la forme de l’Espagne dite « nationale ».

Ce qui les confirmait dans cette conviction, c’est certainement le fait que le gouvernement républicain d’alors, en dépit des avertissements répétés du Parti communiste espagnol, n’adoptait pas de mesures radicales contre le complot que préparaient les généraux contre-révolutionnaires et pouvait être pris à l’improviste.

Mussolini et Hitler espéraient que le fascisme pourrait vaincre l’Espagne sans rencontrer de résistance armée sérieuse de la part des masses du peuple, comme ce fut le cas en Italie en 1922 et en Allemagne en 1933.

Mais tous ces calculs étaient complètement erronés. La noix d’Espagne était trop dure pour les dents du fascisme. L’Espagne de 1936 n’était ni l’Italie de 1922, ni l‘Allemagne de 1913.

La rébellion fasciste en Espagne fut déclenchée après la première victoire de la révolution démocratique du peuple espagnol, à un moment où le prolétariat espagnol et les masses du peuple avaient déjà tiré les enseignements des événements d’Italie, d’Allemagne et d’Autriche, où les fondements du Front populaire antifasciste étaient déjà posés.

Du fait qu’elle avait renversé la monarchie moyenâgeuse et instauré la république parlementaire démocratique, la révolution espagnole avait fait jaillir en une inépuisable source les forces du peuple espagnol en lutte avec la contre-révolution, qui apportait le retour à l’ancien régime des propriétaires fonciers et des oligarchies financières.

Pour le peuple, la lutte contre la rébellion fasciste est, pour cette raison, indissolublement liée au maintien et au développement des conquêtes démocratiques de sa révolution contre le régime de moyen âge et d’obscurantisme, contre les propriétaires fonciers, l’aristocratie pourrie et le des officiers contre-révolutionnaires.

C’est quand ils ont constaté l’impuissance de Franco, en présence de la riposte énergique du peuple espagnol, à faire triompher le fascisme à l’aide des Marocains et de la Légion étrangère, que les Etats fascistes ont pris directement en mains la conduite de la guerre contre la République espagnole.

Ce sont, en fait, des détachements des armées allemandes et italiennes, leur artillerie, leurs tanks et leurs avions qui luttent sous Madrid et Guadalajara, sur les fronts nord et sud, contre la vaillante armée républicaine, détruisant les villes, anéantissant les villages, noyant sous des torrents de sang la terre du peuple espagnol. La flotte des Etats fascistes bloque les ports espagnols, les bombarde et les détruit. Madrid, Guernica et Almeria perpétueront à jamais dans la conscience de l’humanité progressive le sinistre souvenir de la barbarie fasciste.

Et plus le peuple espagnol montre d’énergie, d’enthousiasme et d’assurance dans la justice de la cause pour laquelle il lutte, plus il renforce l’année républicaine après chaque provocation nouvelle des envahisseurs fascistes, serrant ses rangs, supprimant les faiblesses et les défauts dans la conduite de la guerre, plus Hitler et Mussolini accentuent cyniquement leur interventions, en déclarant ouvertement qu’ils n’admettront pas l’existence d’une Espagne républicaine.

Traduits dans la langue ordinaire, les derniers articles de Mussolini se résument en cette formule cynique et éhontée : « l’Espagne doit être une colonie fasciste, ou bien elle sera réduite en ruines. »

A la lumière des faits, il est difficile de trouver dans l’histoire politique moderne des pages plus honteuses que la conduite des principaux Etats capitalistes d’Occident, qui se donnent fièrement le nom d’Etats démocratiques, à l’égard du peuple espagnol et de sa lutte pour la liberté et I ‘indépendance.

Au moment où, à la face du monde entier les envahisseurs fascistes font ouvertement une guerre de brigandage en Espagne, ces Etats, et en premier lieu l’Angleterre, jouent depuis près d’un an la farce de lia « non-intervention » dans les affaires d’Espagne et continuent à chercher, même après le rejet du contrôle dit international pat Hitler et Mussolini, des formules transactionnelles, d’accord avec les impudents envahisseurs fascistes.

La Société des nations, dont les statuts contiennent un paragraphe spécial sur les sanctions contre l’agresseur, paragraphe qui prévoit précisément les cas analogues à l’intervention armée faite actuellement par l’Allemagne et l’Italie contre le peuple espagnol, garde un silence obstiné.

Bien qu’il soit évident que les envahisseurs fascistes, s’ils réussissent à asservir l’Espagne, ne tarderont pas à manigancer des rébellions pareilles à celle de Franco en Tchécoslovaquie, en Autriche, au Danemark, en Belgique et dans d’autres pays, la S. d. N., sous la pression de l’Angleterre surtout, évite soigneusement de prendre dans la question espagnole des décisions qui garantissent les droits internationaux du gouvernement constitutionnel de l’Espagne.

De la sorte, elle encourage en fait les envahisseurs et les agresseurs fascistes. Les Etats-Unis démocratiques, avec Roosevelt à leur tête, ont adopté une attitude d’« observateurs impassibles ». Les efforts de l’Union soviétique, qui s’est rangée avec résolution et esprit de suite du côté du peuple espagnol, pour pousser les Etats non fascistes à pratiquer une politique ferme et énergique vis-à-vis des envahisseurs fascistes afin de garantir à l’Espagne républicaine les droits et les possibilités légitimes de défense contre l’ agression et d’exercice de son autorité souveraine sur son propre territoire, n’ont pas donné jusqu’à présent de résultats positifs.

Les intérêts égoïstes des grands capitalistes et des cliques financières d’Angleterre, de France et des Etats-Unis continuent à primer non seulement les intérêts du peuple espagnol de la sauvegarde de la paix, mais aussi les véritables intérêts et l’avenir de leurs propres peuples.

Tableau étrange, qui doit faire sérieusement réfléchir tout ouvrier et tout partisan de la démocratie et de la paix !

Au moment où les Etats fascistes agissent de concert contre la République espagnole, où Berlin Rome et Tokyo préparent méthodiquement, pas à pas, une nouvelle guerre mondiale de rapine, où le renforcement de l’intervention de Mussolini et de Hitler en Espagne s’accompagne d’une provocation de la clique militaire japonaise sur l’Amour et d’opérations militaires dans la Chine du Nord, les gouvernements des grands Etats d’Occident discutent sans fin, s’entretiennent sur le plan de « non-intervention » et de « contrôle » qui a fait fiasco, et pratiquent la politique de l’autruche vis-à-vis des envahisseurs, des fauteurs de guerre enragés et forcenés.

On ne saurait admettre que la politique des milieux dirigeants d’Angleterre, de France, des Etats-Unis dans la question espagnole et dans celle de la sauvegarde de la paix réponde aux dispositions, aux sentiments et a la volonté de l’immense majorité du peuple de ces pays. Voilà pourquoi, pour justifier leur politique.

Ils ne cessent d’agiter devant leurs peuples le spectre de la guerre, qui sera soi-disant déclenchée par les Etats fascistes, si les pays non-fascistes de la S. d. N. se dressent résolument contre les envahisseurs.

Mais il est évident, pour quiconque connaît la véritable situation internationale, la situation dans les pays fascistes eux-mêmes et le rapport des forces entre les partisans de la paix et les fauteurs de guerre, qu’il s’agit tout simplement d’une spéculation indigne sur les tendances antiguerrières des grandes masses.

La conquête de l’Espagne n’est-elle pas précisément, pour les Etats fascistes, une des principales conditions de la guerre mondiale qu’ils préparent ? Leur permettre de se consolider en Espagne, c’est les aider à accentuer leurs préparatifs de guerre, c’est transformer ce pays en base d’agression contre la France, c’est les laisser renforcer leurs positions militaires et stratégiques dans la Méditerranée.

La vérité authentique, dans cette question, est que la défaite du peuple espagnol centuplerait la menace de guerre et hâterait considérablement le déroulement de la guerre par les agresseurs fascistes.

La victoire du peuple espagnol, par contre, dresserait une nouvelle barrière contre le déclenchement de la guerre. Ceux qui veulent sérieusement le maintien de la paix doivent tout faire pour que les envahisseurs fascistes soient expulsés d’Espagne dans le plus bref délai possible et pour que le peuple espagnol puisse assurer sa liberté et son indépendance.

Lloyd George lui-même, bien qu’admirateur de Hitler, n’a pu nier cette vérité. Dans un discours qu’il a prononcé dernièrement sur la question espagnole à la Chambre des Communes, il a déclaré : « On dit que, si nous montrons de la fermeté à l’égard de Berlin et de Rome, ce sera la guerre. Je vous dis, moi : Si nous ne montrons pas cette fermeté, ce sera la guerre à coup sûr. »

Une des principales conditions qui permettra aux Etats non-fascistes d’occident d’adopter cette attitude de laisser-faire à l’égard des envahisseurs fascistes, de s’en laver les mains comme Pilate, c’est certainement le fait que, jusqu’à présent, le prolétariat mondial n’a pas réussi à agir en commun et dans la plénitude de ses moyens pour faire aboutir les revendications les plus importantes en faveur du peuple espagnol : « retrait immédiat des forces armées d’intervention, italiennes et allemandes, hors d’Espagne ; levée du blocus de La République espagnole ; reconnaissance de tous les droits internationaux du gouvernement légal de l’Espagne ; application des statuts de la S. d. N. aux agresseurs fascistes qui ont attaqué le peuple espagnol.

Ces revendications, posées, dans leurs lignes essentielles par l’Internationale communiste bientôt après le début de la rébellion fasciste en Espagne, ont été, par la suite, proclamées également par l’Internationale ouvrière socialiste. Ce sont incontestablement les revendications de tout ouvrier conscient, de tout honnête partisan de la paix.

Le prolétariat international est indéniablement aux côtés du peuple espagnol contre les rebelles et les, envahisseurs fascistes. Il a manifesté et continue à manifester sa solidarité avec les combattants espagnols. Il ne se borne pas à les aider matériellement, à leur envoyer des vivres et des ambulances. Une partie de ses meilleurs fils combat, sur les fronts de Madrid, de Guadalajara et ailleurs, dans les rangs de I ‘armée républicaine.

Mais tout cela est loin d’être suffisant. Le mouvement ouvrier international, ses organisations politiques et syndicales ne peuvent estimer avoir rempli leur devoir ir envers le peuple espagnol et la défense de la paix « avant d’avoir obtenu ; la garantie des droits internationaux de la République espagnole et la cessation de l’intervention fasciste en Espagne. »

A cet effet, il est nécessaire d’intensifier de toute façon une campagne effective de solidarité en faveur du peuple espagnol dans tous les pays.

Il faut mobiliser toutes les forces pour rendre impossible la politique de Laisser-faire à l’égard des envahisseurs fascistes. Il faut comprendre que l’Angleterre joue le rôle principal en Europe sous ce rapport, et que, de ce fait, la classe ouvrière d’Angleterre, le peuple Anglais sont particulièrement responsables des destinées du peuple espagnol et du maintien de la paix. On ne saurait tolérer certains actes scandaleux, comme celui du leader labouriste Lansbury qui, une « feuillé de vigne » à la main, va s’incliner devant Hitler et Mussolini, et celui du Secrétaire général des Trades-Unions, Citrine, qui reprend les refrains de Chamberlain et d’Eden pour endormir l’opinion publique anglaise au moment où les hordes fascistes d’Italie et d’Allemagne font couler le sang du peuple espagnol et détruisent les villes et les villages d’ Espagne.

Pour assurer une défense efficace du peuple espagnol et de la paix internationale, « il faut absolument une action commune et unanime de toutes les organisations internationales de la classe ouvrière. »

Qu’on ne dise pas que cette action unanime est impossible. Il est vrai que bien des obstacles se dressent sur ce chemin.

Il y a, au sein de l’International ouvrière socialiste et de la Fédération syndicale internationale, des leaders et des groupes qui, mus par des considérations qui n’ont rien à voir avec les intérêts du, prolétariat international et du peuple espagnol, se prononcent contre l’unité d’action des organisations ouvrières internationales et menacent même de quitter l’internationale socialiste en cas d’acceptation d’un pacte d’unité d’action avec l’Internationale communiste.

Mais faut-il vraiment considérer pareille situation « comme établie une fois pour toutes et non sujette à changements ? Il faut écarter les obstacles et non capituler devant eux. Il faut placer les intérêts du prolétariat international de la cause de la défense de la paix, qui coïncident avec les intérêts dit peuple espagnol, au-dessus des considérations de personnes et de groupe. »

Les entrevues des représentants de l’Internationale communiste et de l’Internationale socialiste Annemasse et à Paris ont montré que les deux parties sont d’accord pour les revendications essentielles visant à la défense du peuple espagnol et au maintien de la paix.

Pourquoi, dès lors, ne pas faire la seule chose qui puisse rapidement et sûrement à la réalisation de ces revendications : organiser une action commune des organisations ouvrières internationales sur toute la ligne et utiliser unanimement toutes les forces de réserves dont dispose le mouvement ouvrier mondial ?

Au jour anniversaire de la lutte héroïque du peuple espagnol, devant les progrès sinistres de l’intervention fasciste en Espagne et de la nouvelle agression japonaise dans la Chine du Nord, cette question se pose devant chaque organisation ouvrière, devant chaque militant du gouvernement ouvrier, devant tous les partisans de la démocratie et de la paix, « avec la plus grande acuité et demande une solution pratique ».

Au cours d’une année de combats continus et acharnés, le prolétariat espagnol a su sauvegarder les conquêtes de la révolution démocratique, consolidé l’unité dans les rangs du Front populaire, assurer la création d’une armée populaire républicaine qui compte un demi-million d’hommes et lutte héroïquement. Il fraye la voie à son parti politique unique et à la fusion de ses syndicats. Il travaille sans répit à assurer toutes les conditions intérieures nécessaires pour la victoire définitive sur le fascisme.

Le prolétariat espagnol qui, avec le parti communiste à sa tête, marche aux premiers rangs de son peuple, rempli à son honneur le devoir qui lui incombe aux avant-postes de la lutte contre la réaction mondiale et le fascisme. Le prolétariat mondial, de son côté, doit remplir « jusqu’au bout sont devoir » en vers son glorieux détachement espagnol.

C’est pourquoi les communistes, en intensifiant de toutes les façons leurs propres actions pour la défense du peuple espagnol et de la paix, « ne se lasseront pas d’indiquer encore plus opiniâtrement la nécessité impérieuse de l’unité d’action du mouvement ouvrier international et de lutter de, toutes leurs forces pour la réalisation de celte unité dans le plus bref délai.

=>Retour au dossier sur la guerre d’Espagne