Voici le manifeste de la SFIO aux travailleurs de France du 25 novembre 1933, Nous réclamons le pouvoir. Il est absolument emblématique de la ligne de la « nouvelle » SFIO, consistant en une SFIO reconditionnée : le centre est toujours aux commandes avec Léon Blum et Paul Faure, en synthèse avec l’aile gauche « socialiste française » de Jean Zyromski et ayant utilisé les néos-socialistes comme boucs-émissaires.
On ne peut que constater que la radicalité mise ici en avant est employée de manière « sincère » par l’aile gauche « socialiste française » et de manière pragmatique-machiavélique par le centre, et il est évident qu’une telle synthèse aurait à un moment besoin d’une porte de sortie. C’est cela qui va expliquer pourquoi la SFIO va se tourner vers le Front populaire.
NOUS RÉCLAMONS LE POUVOIR
Citoyens,
Devant les dangers que la crise du capitalisme et la défaillance des classes dirigeantes font courir aux libertés publiques et à la paix, nous nous adressons directement à la classe ouvrière et à tous les hommes de pensée et de travail.
Nous venons déjouer les manœuvres des puissants consortiums de finance, de grand négoce, de haute industrie, qui, par les mensonges quotidiens de la grande presse qu’ils possèdent ou subventionnent, s’efforcent à vous dresser contre le socialisme dans le même temps que, par leur égoïsme de classe, ils dépouillent le travail, avilissent les salaires, sabotent les lois sociales, spéculent sur le paysan et, par la concurrence et l’impôt, acculent à la ruine la petite propriété commerciale, industrielle et agricole.
POUR COUVRIR LEURS MÉFAITS ET DÉTOURNER VOS COLÈRES, ILS ACCUSENT LE SOCIALISME.
LE SOCIALISME RÉPOND PAR SON CRI DE GUERRE :
LE CAPITALISME, VOILA L’ENNEMI !IL Y A DANS LE MONDE TRENTE MILLIONS DE CHÔMEURS.
Dans les entrepôts et les magasins, sont accumulés des stocks énormes de charbon, de blé, de vêtements, de chaussures, de produits de première nécessité, qui ne trouvent pas d’acheteurs, alors que des millions d’êtres humains souffrent de la misère, de la faim et du froid.
Le malaise pèse sur les producteurs ; l’hypothèque, à nouveau, guette le monde rural ; l’inquiétude secoue la jeunesse, le déficit ruine le Trésor et ébranle l’État ; la guerre menace le monde.
QUI DONC EN EST LA CAUSE ?
C’EST LE RÉGIME CAPITALISTE.Ce sont les partis qui, jusqu’ici, ont gouverné le pays.
Une oligarchie de banquiers et d’industriels contrôle la totalité de l’économie mondiale. Tout est dans leurs mains : transports, assurances, électricité, banques, grands magasins, etc…
Les richesses sont multipliées en désordre, au seul gré du profit capitaliste ; la capacité d’achat des hommes a été restreinte.
SEUL LE SOCIALISME PEUT ORDONNER LA PRODUCTION SELON L’INTÉRÊT DE LA COMMUNAUTÉ HUMAINE, ET DANS LE SENS DE LA SATISFACTION DIRECTE DES BESOINS.
SEUL IL PEUT ABOLIR LA DICTATURE FINANCIÈRE ET CAPITALISTE, EN SOCIALISANT LES INDUSTRIES CLEFS : GRANDS MOYENS DE PRODUCTION ET D’ÉCHANGE, BANQUES, etc…
Cette tâche du socialisme, nous sommes résolus à la poursuivre.
Mais, devant la crise qui s’étend et menace toutes les catégories de travail : ouvriers, paysans, intellectuels et employés, petits commerçants, artisans, des tâches immédiates et urgentes s’imposent à nous.
Les vieux partis de la bourgeoisie, dominés par les forces économiques, se sont révélés impuissants.
L’histoire de ces quatorze dernières années n’est que l’histoire de leurs faillites :
Faillite des traités de paix,
Faillite des réparations,
Faillite du franc,
Faillite de la stabilisation,
Faillite des routines budgétaire et administrative.
De tout cela on ose accuser le socialisme ! IL NE FUT JAMAIS AU POUVOIR.
Qui donc a gouverné la France pendant ces quatorze années ?
De 1919 à 1924, le Bloc National ;
De 1926 à 1932, l’Union Nationale.
Vainement, en 1924, le Parti socialiste avait donné son appui au gouvernement de M. Herriot pour établir la justice fiscale, éviter l’inflation, organiser la paix. Le Sénat radical renversa M. Herriot.
Vainement, en 1932, au lendemain des élections, le Parti socialiste proposa au Parti radical un programme immédiat d’action gouvernementale. Le Parti radical refusa cette proposition.
Depuis lors, jamais une demande de collaboration du Parti radical n’a été appuyée par un programme. Jamais, contrairement au jeu normal des partis, le pouvoir n’a été directement offert au Parti socialiste, malgré son importance numérique et les deux millions de citoyens qu’il représente.
Malgré cela, il a toujours accordé son vote à toutes les mesures qui tendent à l’amélioration du sert des travailleurs.
IL EST ENCORE PRÊT, AU PARLEMENT, A BARRER LA ROUTE A LA RÉACTION.
IL EST ENCORE PRÊT A DONNER SA VOIX A TOUTES LES MESURES D’ÉQUILIBRE ÉQUITABLE ET DE PROGRÈS SOCIAUX.
Mais il se refuse à faire, avec le Sénat qui l’impose depuis un an, une politique de régression économique et sociale qui, provoquant des déceptions cruelles, préparerait pouf les partis de réaction les plus éclatantes revanches.
Le Parti socialiste dénonce le Sénat comme le refuge des conservateurs sociaux. Il demande sa suppression, et, en attendant, la limitation de ses pouvoirs.
Il dénonce les lenteurs des méthodes parlementaires, l’impuissance des réalisations, les carences gouvernementales, le jeu des intrigues qui multiplie les crises sans modifier ni les projets, ni le personnel gouvernemental.
IL DÉNONCE L’ANARCHIE ADMINISTRATIVE sous laquelle étouffe l’État lui-même et contre laquelle on ne trouve d’autre remède que l’absurde diminution des salaires publics, alors qu’on n’a pas le courage de s’attaquer aux abus, aux cumuls, aux traitements excessifs.
En présence d’une telle situation, et n’oubliant pas qu’il représente deux millions de citoyens, LE PARTI SOCIALISTE POSE SA CANDIDATURE AU POUVOIR.
Il organisera, à travers le pays, tous les travailleurs des villes et des champs pour préparer avec eux le monde nouveau, et, en même temps, il est résolu à établir, dans le sens du socialisme, les grandes réformes qui préserveront les masses populaires contre les convulsions de l’économie capitaliste, bouleversée par la guerre et par la crise.
Le Parti Socialiste réclame le Pouvoir :
Pour simplifier et rajeunir l’administration congestionnée par une centralisation absurde, et pour ABATTRE LE VIEUX SYSTÈME FISCAL, pléthorique et inique, fait d’impôts innombrables, propices à la fraude, accablants pour la consommation, vexatoires pour la production et pour le commerce.
Il demande la suppression des 128 impôts ou taxes existants : taxe sur le chiffre d’affaires, contributions indirectes, taxes sur la production, y compris les centimes départementaux et communaux, et leur remplacement par TROIS TAXES SIMPLES et claires, équitables, dont la fraude sera chassée par des répressions exemplaires :
UN IMPÔT SUR LA DÉPENSE avec différenciation des taux pour les dépenses de première nécessité ;
UN IMPÔT SUR LES REVENUS, sans FORFAIT, avec des taux différents pour les revenus du capital et ceux du travail, et n’excédant pas 6 p. 100 pour les cédules, 12 p. 100 pour l’impôt global ;
UN IMPÔT SÉVÈREMENT PROGRESSIF sur les successions et donations, dont le rendement sera assuré par la mise à ordre des valeurs mobilières.
Ainsi un système fiscal simple et clair dégrèvera la consommation aujourd’hui accablée par la multiplicité et la superposition des taxes, libérera la production, facilitera les échanges intérieurs et le commerce extérieur, mettra un terme à la thésaurisation, concourra ainsi pour sa part à la stimulation de la vie économique.
Le Parti Socialiste réclame le Pouvoir :
Pour garantir à tous le droit à la vie et au travail.
POUR LA CLASSE OUVRIÈRE :
Minimum vital de salaire ;
Semaine de quarante heures et maintien du pouvoir d’achat des travailleurs ;
Assurance chômage ;
Mise en chantier de grands travaux publics à caractère productif et dont l’exécution rapide et coordonnée doit aboutir à l’équipement rationnel de la nation et à la reprise de la vie industrielle et commerciale du pays.
POUR LA CLASSE PAYSANNE :
Office national du blé, du vin, des engrais, afin de briser la spéculation, triomphante de la loi.
Le Parti Socialiste réclame le Pouvoir :
Pour éliminer les grands monopoles capitalistes, pour en restituer le profit à la nation, pour en remettre la gestion aux travailleurs et aux usagers associés sous le contrôle de l’État :
MINES, dont les ouvriers connaissent le chômage et la misère, au moment où les besoins de la France l’obligent à importer le tiers de sa consommation charbonnière ;
ASSURANCES PRIVÉES, dont la gestion collective avec le concours des agents et des assurés libérerait l’État de la souveraineté d’une oligarchie de financiers et permettrait sans frais ni impôts d’assurer le fonctionnement d’un système général d’assurances, couvrant tous les risques – y compris le chômage et les calamités agricoles ;
GRANDES INDUSTRIES MÉTALLURGIQUES, CHIMIQUES, ÉLECTRIQUES, qui pillent le budget de l’État et soufflent sur les conflits mondiaux dont elles profitent ;
TRANSPORTS, dont le fonctionnement anarchique coûte quatre milliards par an à l’État ;
CRÉDIT ET BANQUE, pour :
1° Protéger la petite épargne abandonnée au pillage des écumeurs ;
2° Assurer la répartition rationnelle du crédit aujourd’hui soumis à la capricieuse dictature du capitalisme financier ;
3° Pour préserver enfin du chantage et de la souveraineté des puissances financières l’indépendance de l’État républicain, de la presse et du suffrage universel.
Le Parti Socialiste réclame le Pouvoir :
Pour prendre au dehors les initiatives de paix et d’entente économique internationale, au lieu de suivre les initiatives des autres, dont les efforts ne tendent pas toujours à la paix.
Citoyens,
TEL SE PRÉSENTE A VOUS LE PARTI SOCIALISTE, passionné d’action au moment où on l’en prétend incapable, mais soucieux de ne pas participer à l’impuissance des partis dits de gouvernement, et décidé à défendre avec la classe ouvrière les libertés publiques et la paix.
A TOUS LES PARTIS, TOUR A TOUR DÉFAILLANTS, IL OPPOSE SA DOCTRINE ET SON PROGRAMME.
A tous les travailleurs, à tous les exploités que la déception risquerait de conduire à l’indifférence ou de livrer à la réaction.
NOUS TENDONS NOTRE DRAPEAU.
Suivez-le avec nous ! Nous voulons vaincre avec vous !
Pour le Conseil National du Parti Socialiste S. F. I. O. :
PAUL FAURE.
La crise néo-socialiste aurait pu être le naufrage de la SFIO : elle fut son sauvetage grâce à Léon Blum, le chef des centristes, manœuvrant l’aile gauche « socialiste française » pour réactiver le parti en lui accordant une nouvelle légitimité.
Le Front populaire fut d’autant plus nécessaire comme porte de sortie permettant une perspective gouvernementale traditionnelle, tout en satisfaisant symboliquement l’aile gauche.
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