La pensée est pour le matérialisme un reflet de la réalité, mais est-elle un reflet authentique, complet ?
Si l’on réfléchit à cela, alors on doit bien se rappeler que pour le matérialisme dialectique, la matière n’est pas statique. Chez Aristote, la pensée est un reflet mais comme le monde est statique, la pensée authentique culmine dans la contemplation de l’ordre naturel, cosmique, universel.
Dans le matérialisme dialectique, tout processus de reflet est lié à la réalité qui se transforme. Ce qui se reflète a un sens par rapport au mouvement de la matière lui-même, dont la personne qui pense est un élément.
Il n’y a pas de pensée « indépendante », séparée de la réalité. L’objectivité doit être « neutre » selon les théoriciens bourgeois : c’est impossible aux yeux du matérialisme dialectique ; la réalité est en mouvement et la pensée est un reflet lié à un être en action, dans un cadre concret.
Ce qu’on sait est alors relatif, et en même temps non relatif, relevant de la loi de la contradiction. Voici ce qu’enseigne Lénine :
« Pour le matérialiste, le monde est plus riche, plus vivant, plus varié qu’il ne paraît, tout progrès de la science y découvrant de nouveaux aspects. Pour le matérialiste nos sensations sont les images de la seule et ultime réalité objective ; ultime non pas en ce sens qu’elle soit déjà entièrement connue, mais parce qu’en dehors d’elle, il n’en existe ni ne peut en exister aucune autre. »
Lénine souligne au niveau de la question des « limites » de la connaissance :
« Au point de vue du matérialisme moderne, c’est‑à‑dire du marxisme, les limites de l’approximation de nos connaissances par rapport à la vérité objective, absolue, sont historiquement relatives, mais l’existence même de cette vérité est certaine comme il est certain que nous en approchons.
Les contours du tableau sont historiquement relatifs, mais il est certain que ce tableau reproduit un modèle existant objectivement. Le fait qu’à tel ou tel moment, dans telles ou telles conditions, nous avons avancé dans notre connaissance de la nature des choses au point de découvrir l’alizarine dans le goudron de houille ou de découvrir des électrons dans l’atome, est historiquement relatif ; mais ce qui est certain, c’est que toute découverte de ce genre est un progrès de la « connaissance objective absolue ».
En un mot, toute idéologie est historiquement relative, mais il est certain qu’à chaque idéologie scientifique (contrairement à ce qui se produit, par exemple, pour l’idéologie religieuse) correspond une vérité objective, une nature absolue. Cette distinction entre la vérité absolue et la vérité relative est vague, direz-vous. Je vous répondrai : elle est tout juste assez « vague » pour empêcher la science de devenir un dogme au mauvais sens de ce mot, une chose morte, figée, ossifiée ; mais elle est assez « précise » pour tracer entre nous et le fidéisme, l’agnosticisme, l’idéalisme philosophique, la sophistique des disciples de Hume et de Kant, une ligne de démarcation décisive et ineffaçable.
II y a ici une limite que vous n’avez pas remarquée, et, ne l’ayant pas remarquée, vous avez glissé dans le marais de la philosophie réactionnaire.
C’est la limite entre le matérialisme dialectique et le relativisme (…). La dialectique, comme l’expliquait déjà Hegel, intègre comme l’un de ses moments, le relativisme, la négation, le scepticisme, mais ne se réduit pas au relativisme.
La dialectique matérialiste de Marx et d’Engels inclut sans contredit le relativisme, mais ne s’y réduit pas ; c’est‑à‑dire qu’elle admet la relativité de toutes nos connaissances non point au sens de la négation de la vérité objective, mais au sens de la relativité historique des limites de l’approximation de nos connaissances par rapport à cette vérité. »
Le matérialisme dialectique inclut le relativisme, mais ne s’y réduit pas : c’est là une thèse essentielle. Les tentatives de saboter le matérialisme dialectique se dévoilent justement parce qu’elles adoptent comme ligne de souligner l’importance du relativisme, de conduire au scepticisme, d’accuser le matérialisme dialectique de métaphysique – exactement comme le fait l’empirio-criticisme, le néo-kantisme, etc.