La proclamation de la république populaire de Chine et l’URSS

Finalement, tout alla plus vite encore que prévu. Le Parti Communiste de Chine tablait sur une victoire en 1951, cela fut 1949. De début juillet à fin octobre 1948, le Kuomintang perd un million d’hommes et l’équilibre numérique des forces s’établit ainsi.

En octobre 1948, 24,5 % de la Chine est d’ailleurs sous le contrôle de l’Armée Populaire de Libération, avec 35,3 % de la population (soit 2,3 millions de kilomètres carrés et 168 millions de personnes). 29 % des 2 009 villes du pays en font partie.

Pour cette raison, Mao Zedong multiplie les remarques et analyses sur les principes d’organisation, sur la nécessaire administration à organiser ; les tentatives du Kuomintang de gagner du temps, y compris avec l’intervention de navires britanniques organisant une provocation armée, furent également déjouées.

Rien n’y fera et le premier octobre 1949, c’est à Pékin que Mao Zedong proclame la République populaire de Chine. Le Kuomintang s’est quant à lui replié sur l’île de Taiwan.

La proclamation de la République populaire de Chine,
en 1949 à Pékin

La Chine populaire s’inscrivant dans le Mouvement Communiste International, les rapports avec l’URSS devaient acquérir une importance capitale.

Après la victoire de 1945 sur l’Allemagne nazie et le Japon militariste, Staline avait conseillé au Parti Communiste de Chine de négocier une paix avec le Kuomintang. Staline pensait en effet que le rapport de force ne serait pas suffisant, notamment avec l’élan de l’intervention américaine dans la région.

Staline pensait que les forces communistes chinoises ne pourraient pas franchir le Yangzi Jiang, le troisième plus long fleuve du monde, qui traverse la Chine d’ouest en est, sans avoir à être confrontées à une intervention militaire américaine.

Ce conseil de Staline ne fut pas suivi et Mao Zedong mena donc la révolution chinoise à la victoire. Staline reconnut par la suite son erreur lors du processus de rapprochement au plus haut niveau qui suivit la victoire chinoise.

La première chose qu’il dit à Mao Zedong lors de leur rencontre en décembre 1949 à Moscou fut ainsi :

« On ne juge pas les vainqueurs. Les vainqueurs ne peuvent pas être jugés, c’est une loi fondamentale. »

C’est cela qui explique également l’approche que l’on retrouve, dans ce télégramme de Staline, du début de l’année 1949, envoyé au Parti Communiste de Chine :

« Nous vous prions de considérer nos conseils précisément comme des conseils, qui ne vous engagent en rien et que vous êtes en mesure d’accepter ou de refuser.

Vous pouvez être convaincus du fait que le refus de nos conseils n’influencera pas nos relations et que nous resterons pour vous les mêmes amis que nous avons toujours été. »

Anastase Mikoyan fut envoyé à la fin du mois de janvier 1949 à Xibaipo, dans le Hebei, où était basé la direction du Parti Communiste de Chine. Les discussions s’engagèrent sur les aides soviétiques à la Chine nouvelle.

Un envoyé spécial, Ivan Kovalev, resta à cette occasion en Chine, rencontrant de manière régulière Mao Zedong.

Au même moment, tactiquement, l’ambassadeur soviétique en Chine expliquait à son homologue américain que si les communistes prenaient le pouvoir dans le pays, ce serait comme « chevaucher un tigre », qu’il ne devait pas s’inquiéter, que l’histoire a montré que le pays avait de telles forces centrifuges qu’il n’était pas gouvernable de manière centralisée, etc.

À partir d’avril, une délégation fut organisée pour aller en URSS, mais Staline demanda explicitement que Mao ne vienne pas, le chemin étant encore trop risqué alors qu’il était d’une importance centrale pour la révolution chinoise.

C’est pour cette raison Liu Shaoqi, qui dirige la délégation, qui arrive à Moscou le 26 juin 1949, dont un événement marquant fut l’appel de Staline à trinquer à ce que bientôt le petit frère rattrape le grand et le dépasse.

Affiche chinoise du début des années 1950,
sur l’amitié et l’aide mutuelle sino-soviétiques

Mao Zedong vint ensuite en URSS, du 16 décembre 1949 au 17 janvier 1950, Mao demandant en particulier à être présent pour féliciter Staline pour son 70e anniversaire. Mao avait à ce moment-là lui-même 56 ans.

Lors du convoi amenant Mao en train à Moscou, des gardes surveillaient les rails sur tout le parcours ; dans toutes les stations en URSS se tenait un représentant du PCUS(b) saluant le convoi, alors que le vice-premier ministre des affaires étrangères attendait lors du passage de à la frontière.

La délégation menée par Mao Zedong fut très étonné de la rigueur du protocole diplomatique soviétique, car elle fut reçu non pas en tant que délégation partidaire, mais en tant que délégation gouvernementale. À ce titre, Mao Zedong fut présenté comme « Monsieur Mao Zedong » et non comme un camarade, comme le protocole diplomatique l’exigeait, ce qui étonna la délégation chinoise.

Mao Zedong rencontra Staline dès son jour d’arrivée, à 18 heures au Kremlin. Les discussions portèrent notamment sur le contenu du Traité d’amitié, d’alliance et d’aide mutuelle, qui devait instaurer le cadre général des rapports sino-soviétiques.

« Avec le grand soutien de l’Union Soviétique, et notre propre grande force, nous réaliserons pas à pas l’industrialisation de notre nation ! », affiche chinoise de 1953

Mao Zedong demanda également la venue d’un haut cadre du PCUS(b) pour l’aider à la publication de ses propres œuvres ; ce fut Pavel Yudin qui vint en Chine, entre juillet 1950 et octobre 1951, afin de participer à la mise en place des tomes 1 et 2 des œuvres choisies de Mao Zedong, qui furent publiées en Chine et en URSS au tout début des années 1950.

Lors de la célébration de l’anniversaire de Staline, au Bolchoï le 21 décembre, Mao Zedong fut placé à la droite de Staline, lui-même ayant Kaganovitch à sa droite.

Mao Zedong et Staline

Mao Zedong fut également le premier étranger à avoir la parole après le communiqué officiel soviétique ; son discours fut interrompu cinq fois par des applaudissements avec le public se levant à la fin, ce qui se passa seulement pour lui.

Par la suite eut lieu un spectacle, Mao Zedong étant assis à côté de Staline, les deux étant salués par leurs nom par le public à la fin de celui-ci.

Affiche soviétique sur l’amitié sino-soviétique : Staline sert la main de Mao Zedong tenant un ouvrage de Lénine

Le lendemain, lors d’une fête avec un programme culturel, Mao Zedong fut également placé à côté de Staline.

Le 4 janvier 1950, la Pravda publia un discours de Liu Shaoqi tenu à la conférence des syndicats des pays d’Asie et d’Océanie, où la voie militaire employée en Chine est présentée comme le modèle à suivre pour les pays coloniaux et semi-coloniaux.

Le lendemain fut publié un article sur les fonctions de la dictature du prolétariat dans les pays de régime populaire, où il était expliqué que « la lutte du peuple chinois est un exemple pour tous les peuples colonisés et dépendants en lutte pour leur indépendance », avec également des citations de Mao Zedong.

La Pravda commença également une série de 18 articles sur la Chine écrits par le romancier soviétique Constantin Simonov, le dernier étant un éloge de Mao Zedong.

La révolution chinoise avait rejoint la révolution russe.

>Sommaire du dossier

La révolution chinoise : de victoire en victoire

À la fin de l’année 1947, il est évident que malgré tout le soutien américain, les force de Tchiang Kaï-Chek ne parviennent pas à prendre le dessus. Elles doivent même faire face à une puissante contre-offensive, les plaçant sur la défensive.

C’est une véritable catastrophe pour la contre-révolution, qui espérait écraser l’Armée Populaire de Libération en quelques mois, au moyen de deux millions de soldats de troupes régulières, d’un million dans les troupes irrégulières, d’un autre million à l’arrière. Concrètement, les chiffres donnent cependant, de juillet 1946 à novembre 1947, 640 000 tués et plus d’un million de prisonniers.

Inversement, en juillet 1946, si l’Armée Populaire de Libération dispose 612 000 hommes, à quoi s’ajoutaient 665 000 hommes des troupes irrégulières, elle double ces chiffres au début de l’année 1948. La balance penche du côté de la révolution en termes de nombre d’engagés dans la bataille.

Cela reste moins que le Kuomintang, qui a reconstitué ses forces, à la va-vite. Mais la clef est qu’il y a le succès qualitatif de la révolution chinoise, qui mettant en place une réforme agraire brisant les grands propriétaires fonciers – 7-8 % des paysans, pour 70-80 % des terres -, permet la formation d’une solide base sociale, Mao Zedong soulignant l’importance qu’il y a à réfuter les déviationnistes de gauche voulant aller trop loin, trop vite, sans suivre un rythme bien organisé et en ciblant bien pour unifier au maximum.

Cette déviation de gauche est alors la principale menace, car celle de droite était surtout forte lors de l’alliance avec le Kuomintang ; les déviationnistes de gauche risquaient de casser l’alliance avec les secteurs de la bourgeoisie nationale et des propriétaires fonciers favorables à la libération du pays.

Les corrections de Mao Zedong avaient d’autant plus d’impact que, à la fin 1947, le Parti Communiste de Chine dispose désormais de 2,7 millions de membres, dans un pays de 475 millions d’habitants.

En rouge foncé les zones libérées en 1946, puis leur expansion

En décembre 1947, Mao Zedong peut dans La situation actuelle et nos tâches rappeler les fondamentaux, sachant qu’avec un Parti organisé, une mise en place très approfondie relève du faisable, tant tactiquement que stratégiquement :

« Confisquer les terres de la classe féodale et les transférer aux paysans, confisquer le capital monopoliste dominé par Tchiang Kaï-chek, T. V. Soong, H. H. Kung et Tchen Li-fou, et le transférer à l’État de démocratie nouvelle, protéger l’industrie et le commerce de la bourgeoisie nationale, voilà les trois grands principes du pro-gramme économique de la révolution de démocratie nouvelle.

Pendant leurs vingt années de pouvoir, les quatre grandes familles, Tchiang, Soong, Kung et Tchen, ont entassé d’énormes fortunes, évaluées à 10-20 milliards de dollars américains, et ont monopolisé les artères vitales de l’économie de tout le pays.

Ce capital monopoliste, combiné avec le pouvoir d’Etat, est devenu capitalisme monopoliste d’État.

Étroitement lié à l’impérialisme étranger et, en Chine, à la classe des propriétaires fonciers et aux paysans riches de type ancien, il est devenu le capitalisme monopoliste d’État, comprador et féodal. Telle est la base économique du régime réactionnaire de Tchiang Kaï-chek.

Ce capitalisme monopoliste d’État opprime non seulement les ouvriers et les paysans, mais aussi la petite bourgeoisie urbaine, et il lèse les intérêts de la moyenne bourgeoisie. Il a atteint le point culminant de son développement durant la Guerre de Résistance et après la capitulation du Japon; il a préparé d’amples conditions matérielles pour la révolution de démocratie nouvelle. Ce capital est appelé communément en Chine capital bureaucratique.

Cette classe capitaliste, connue sous l’appellation de bourgeoisie bureaucratique, est la grande bourgeoisie de Chine.

Outre qu’elle doit abolir les privilèges de l’impérialisme en Chine, la révolution de démocratie nouvelle a pour tâche, à l’intérieur, de supprimer l’exploitation et l’oppression exercées par la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie bureaucratique (la grande bourgeoisie), de mettre fin aux rapports de production compradores et féodaux, et de libérer les forces productives enchaînées.

La couche supérieure de la petite bourgeoisie et la moyenne bourgeoisie, opprimées et lésées par la classe des propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie et par leur pouvoir d’État, peu-vent participer à la révolution de démocratie nouvelle ou rester neutres, bien qu’elles soient elles-mêmes des classes bourgeoises. Elles n’ont pas d’attaches avec l’impérialisme ou en ont relativement peu et constituent la bourgeoisie nationale authentique. Partout où s’étend le pouvoir d’État de démocratie nouvelle, il doit les protéger fermement, sans la moindre hésitation.

Dans les régions contrôlées par Tchiang Kaï-chek, il y a dans la couche supérieure de la petite bour-geoisie et dans la moyenne bourgeoisie un petit nombre de personnes — l’aile droite de ces classes — qui ont des tendances politiques réaction-naires; elles répandent des illusions au sujet de l’impérialisme américain et de la clique réactionnaire de Tchiang Kaï-chek et s’opposent à la révolution démocratique populaire.

Tant que leurs tendances réactionnaires peuvent agir sur les masses, nous devons les démasquer devant ceux qui sont sous leur influence politique, combattre cette influence et en libérer les masses. Mais combattre politiquement et liquider économiquement sont deux, et nous commettrons des erreurs si nous les confondons.

Ce que la révolution de démocratie nouvelle vise à éliminer, c’est seulement le féodalisme et le capitalisme monopoliste, c’est seulement la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie bureaucratique (la grande bourgeoisie), et non le capitalisme en général, non la couche supérieure de la petite bourgeoisie ni la moyenne bourgeoisie.

Vu le retard économique de la Chine, il sera encore nécessaire, même longtemps après la victoire de la révolution dans l’ensemble du pays, d’admettre l’existence d’un secteur capitaliste de l’économie, représenté par la couche supérieure très étendue de la petite bourgeoisie et par la moyenne bourgeoisie; et, en accord avec la division du travail dans l’économie nationale, nous aurons encore besoin d’un certain développement de tous les éléments de ce secteur capitaliste qui sont profitables à l’économie nationale. »

>Sommaire du dossier

Le manifeste de l’Armée populaire de Libération de Chine

Publié le 10 octobre 1947, le manifeste de l’Armée populaire de Libération de Chine, rédigé par Mao Zedong, fut connu comme « manifeste du 10 octobre ». Il présente le caractère général de l’armée dirigée par Mao Zedong.

Après avoir brisé l’offensive de Tchiang Kaï-chek, l’Armée populaire de Libération de Chine a maintenant déclenché une contre- offensive de grande envergure.

Nos armées du front sud avancent vers le bassin du Yangtsé, et celles du front nord vers le chemin de fer chinois de Tchangtchouen et la voie ferrée Peiping-Liaoning.

Partout où arrivent nos troupes, l’ennemi s’en va à la débandade et le peuple nous accueille par des ovations enthousiastes. La situation entre l’ennemi et nous a connu un changement fondamental, par rapport à ce qu’elle était il y a un an.

Le but poursuivi par notre armée, comme il a été maintes fois proclamé devant la nation et le monde, c’est la libération du peuple chinois et de la nation chinoise.

Et à l’heure actuelle, il s’agit d’exécuter ce que le peuple tout entier demande instamment, c’est-à-dire de jeter à bas le principal fauteur de guerre civile, Tchiang Kaï-chek, et de former un gouvernement démocratique de coalition, afin de parvenir à notre objectif général: la libération du peuple et de la nation.

Pour obtenir sa libération et l’indépendance nationale, le peuple chinois s’est battu héroïquement contre l’impérialisme japonais pendant huit longues années.

Après la capitulation du Japon, le peuple désirait ardemment la paix, mais Tchiang Kaï-chek réduisit à néant tous les efforts du peuple pour la paix et fit peser sur lui le désastre d’une guerre civile sans précédent.

Ainsi, il ne reste à toutes les couches du peuple de notre pays d’autre issue que de s’unir pour renverser Tchiang Kaï-chek.

Ce n’est pas par hasard que Tchiang Kaï-chek a adopté sa politique actuelle de guerre civile, celle-ci est l’aboutissement inévitable de la politique antipopulaire que lui-même et sa clique réactionnaire ont constamment suivie.

En 1927 déjà, Tchiang Kaï-chek trahit dans son ingratitude l’alliance révolutionnaire entre le Kuomintang et le Parti communiste, ainsi que les trois principes du peuple révolutionnaires et les trois thèses politiques fondamentales de Sun Yat-sen ; dès lors il institua une dictature, capitula devant l’impérialisme et mena la guerre civile pendant dix ans, ce qui entraîna l’agression des bandits japonais.

Dans l’Incident de Sian, en 1936, le Parti communiste chinois rendit le bien pour le mal et, agissant d’un commun accord avec les généraux Tchang Hsiué-liang et Yang Hou-tcheng, fit relâcher Tchiang Kaï-chek dans l’espoir qu’il se repentirait, ferait peau neuve et se joindrait à la lutte contre les agresseurs japonais.

Mais une fois de plus il se montra ingrat ; il resta passif dans la lutte contre l’envahisseur japonais, s’employa activement à réprimer le peuple et témoigna d’une haine farouche à l’égard du Parti communiste.

Il y a deux ans (en 1945), le Japon capitula, et le peuple chinois pardonna encore une fois à Tchiang Kaï-chek, exigeant qu’il mette fin à la guerre civile qu’il avait déjà déclenchée, qu’il réalise la démocratie et s’unisse avec tous les partis pour la paix et la construction nationale.

Mais l’Accord de trêve signé, les résolutions de la Conférence consultative politique adoptées et les quatre engagements proclamés [Il s’agit des “quatre engagements” pris par Tchiang Kaï-chek à la séance d’ouverture de la Conférence consultative politique en 1946: garantir les libertés du peuple, garantir le statut légal des partis, procéder aux élections générale set relâcher les détenus politiques], Tchiang Kaï-chek, ce prodige de déloyauté, récusa aussitôt le tout.

A maintes reprises, le peuple se montra patient et conciliant, dans l’intérêt du bien commun, mais, aidé par l’impérialisme américain, Tchiang Kaï-chek était décidé à lancer contre le peuple une offensive générale d’une envergure sans précédent, au mépris du sort du pays et de la nation.

Depuis janvier de l’année dernière (1946), du moment où fut annoncé l’Accord de trêve, Tchiang Kaï-chek a mobilisé plus de 220 brigades de ses troupes régulières et près d’un million de soldats des troupes disparates et a lancé des attaques de grande envergure contre les régions libérées que le peuple chinois avait arrachées à l’impérialisme japonais au prix de combats sanglants; il s’est emparé successivement de villes comme Chenyang, Fouchouen, Penhsi, Seping, Tchangtchouen, Yongki, Tchengteh, Tsining, Tchangkiakeou, Houaiyin, Hotseh, Linyi, Yenan, Yentai et de vastes régions rurales. Partout où elles vont, les troupes de Tchiang Kaï-chek massacrent et incen- dient, violent et pillent, pratiquent la politique de tout brûler, tout tuer et tout piller, se conduisant exactement comme les bandits japonais.

En novembre de l’année dernière, Tchiang Kaï-chek convoqua la pseudo-Assemblée nationale et proclama la pseudo-Constitution.

En mars de cette année, il expulsa des régions du Kuomintang les délégués du Parti communiste.

En juillet, il décréta la mobilisation générale contre le peuple [Le 4 juillet 1947, le gouvernement réactionnaire du Kuomintang adopta le “Projet de mobilisation générale” avancé par Tchiang Kaï-chek et émit immédiate- ment l’“Ordre de mobilisation générale pour réprimer la rébellion des bandits communistes”].

A l’égard du juste mouvement populaire qui se développe dans les différentes parties du pays contre la guerre civile, la faim et l’agression de l’impérialisme américain, comme de la lutte pour l’existence engagée par les ouvriers, les paysans, les étudiants, les citadins, les fonctionnaires et les enseignants, Tchiang Kaï-chek adopte une politique de répression, d’arrestation et de massacre.

A l’égard de nos minorités nationales, il pratique la politique de chauvinisme grand-Han, de persécution et de répression par tous les moyens possibles.

Dans toutes les régions placées sous la domination de Tchiang Kaï-chek, la corruption règne, les agents secrets font la loi, les impôts sont innombrables et écrasants, les prix montent en flèche, l’économie est en faillite, toutes les affaires languissent, l’enrôlement forcé et la réquisition des céréales sévissent, des griefs se font partout entendre; l’immense majorité de la population du pays est ainsi plongée dans un abîme de souffrances.

Cependant, les oligarques de la nance, les fonctionnaires corrompus et concussionnaires, les despotes locaux et les mauvais hobereaux, tous, avec Tchiang Kaï-chek en tête, ont rassemblé d’immenses fortunes. Ces fortunes, Tchiang Kaï-chek et ses semblables les ont amassées à la faveur de leurs pouvoirs dictatoriaux en commettant des exactions et en servant leurs intérêts privés sous le couvert des intérêts publics.

Pour maintenir sa dictature et poursuivre sa guerre civile, Tchiang Kaï-chek n’a pas hésité à aliéner les droits souverains de notre pays à l’impérialisme étranger; il s’est entendu avec les forces américaines pour qu’elles restent à Tsingtao et ailleurs, et a fait venir des États-Unis des conseillers qu’il fait participer à la direction de la guerre civile et à l’instruction des troupes pour massacrer ses propres compatriotes.

De grandes quantités d’avions, de tanks, de canons et de munitions pour la guerre civile sont venus des États-Unis.

Des sommes colossales consacrées à la guerre civile sont empruntées aux États-Unis.

En reconnaissance des faveurs qu’il a reçues de l’impérialisme américain, Tchiang Kaï-chek lui a cédé des bases militaires et des droits de survol et de navigation [par le “Traité sino-américain d’Amitié, de Commerce et de Navigation”, conclu entre le gouvernement de Tchiang Kaï-chek et le gouvernement des Etats-Unis le 4 novembre 1946], a conclu avec lui un traité commercial d’asservissement et a commis d’autres actes de trahison, tous bien pires que ceux de Yuan Che-kai.

En un mot, les vingt années de domination de Tchiang Kaï-chek n’ont été que trahison, dictature et lutte contre le peuple.

Aujourd’hui, l’immense majorité des Chinois, qu’ils soient du Nord ou du Sud, jeunes ou vieux, con- naissent les crimes monstrueux de Tchiang Kaï-chek et espèrent que notre armée passera rapidement à la contre-offensive pour le renverser et libérer toute la Chine.

Nous sommes l’armée du peuple chinois et, en toute chose, nous faisons nôtre la volonté du peuple chinois.

La politique suivie par notre armée reflète les revendications urgentes du peuple chinois; elle comporte principalement les points suivants:

1) Unir toutes les classes et couches sociales opprimées — ouvriers, paysans, soldats, intellectuels et commerçants —, toutes les organisations populaires, tous les partis démocratiques, toutes les minorités nationales, tous les ressortissants chinois à l’étranger et autres patriotes; former un front uni national; renverser le gouvernement dictatorial de Tchiang Kaï-chek; et constituer un gouvernement démocratique de coalition.

2) Arrêter, juger et punir les criminels de la guerre civile,Tchiang Kaï-chek en tête.

3) Abolir le régime dictatorial de Tchiang Kaï-chek, réaliser la démocratie populaire et garantir au peuple la liberté de parole, de la presse, de réunion et d’association.

4) Abolir les institutions pourries du régime de Tchiang Kaï-chek, éliminer tous les fonctionnaires corrompus et concussion- naires et établir un gouvernement propre et honnête.

5) Confisquer les biens des quatre grandes familles 8 de Tchiang Kaï-chek, de T. V. Soong, de H. H. Kung et des frères Tchen, ainsi que les biens des autres principaux criminels de guerre; confisquer le capital bureaucratique, développer l’industrie et le commerce de la bourgeoisie nationale, améliorer les conditions de vie des ouvriers et des employés et secourir les sinistrés et les indigents.

6) Abolir le système d’exploitation féodale et appliquer le système de la terre à ceux qui la travaillent.

7) Reconnaître le droit à l’égalité et à l’autonomie des minorités nationales sur tout le territoire chinois.

8) Répudier la politique étrangère de trahison du gouvernement dictatorial de Tchiang Kaï-chek, dénoncer tous les traités de trahison nationale et refuser de reconnaître toutes les dettes contractées par Tchiang Kaï-chek avec les pays étrangers durant la période de la guerre civile.

Exiger du gouvernement des États-Unis le retrait de ses troupes stationnées en Chine, qui sont une menace pour l’indépendance de la Chine, et s’opposer à ce qu’un pays étranger, quel qu’il soit, aide Tchiang Kaï-chek à poursuivre la guerre civile ou tente de faire renaître les forces agressives du Japon.

Conclure des traités de commerce et d’amitié avec les pays étrangers sur la base de l’égalité et de l’intérêt réciproque.

Nous unir dans une lutte commune avec toutes les nations du monde qui nous traitent sur un pied d’égalité.

Telle est la politique fondamentale suivie par notre armée. Elle sera mise en pratique immédiatement, partout où ira notre armée. Elle est conforme aux exigences de plus de 90 pour cent de la population de notre pays.

Notre armée ne rejette pas tous les membres du personnel de Tchiang Kaï-chek, mais se donne pour ligne de conduite de les traiter différemment selon les cas.

Autrement dit, les grands criminels seront punis, ceux qui sont complices par contrainte ne seront pas poursuivis et ceux qui rendent des services méritoires seront récompensés.

Quant à Tchiang Kaï-chek, le principal fauteur de guerre civile qui a commis les crimes les plus odieux, et tous ses complices endurcis, qui ont foulé le peuple aux pieds et sont stigmatisés comme criminels de guerre par les larges masses, notre armée les traquera, fût-ce au bout du monde, en sorte qu’ils soient jugés et punis selon la loi.

A tous les officiers et soldats de l’armée de Tchiang Kaï-chek, tous les fonctionnaires du gouvernement de Tchiang Kaï-chek et tous les membres du Parti de Tchiang Kaï-chek, notre armée donne cet avertissement: ceux dont les mains ne sont pas encore tachées du sang des innocents doivent s’abstenir rigoureusement de se joindre à ces criminels; ceux qui ont fait du mal doivent cesser immédiatement, se repentir, faire peau neuve et rompre avec Tchiang Kaï-chek, nous leur laisserons la chance de racheter leurs crimes par des services méritoires.

Notre armée ne tuera ni ne maltraitera aucun des officiers ou soldats de l’armée de Tchiang Kaï-chek qui déposeront leurs armes, mais les acceptera dans nos rangs s’ils veulent rester ou les renverra chez eux s’ils veulent s’en aller.

Les troupes de Tchiang Kaï-chek qui se soulèvent et se joignent à notre armée ou les personnes qui travaillent pour notre armée ouvertement ou en secret seront récompensées.

Afin de renverser Tchiang Kaï-chek et de former un gouverne- ment démocratique de coalition dans un bref délai, nous faisons appel à nos compatriotes de tous les milieux pour qu’ils coopèrent active- ment avec notre armée, là où elle est présente, pour balayer les forces réactionnaires et instaurer l’ordre démocratique.

Dans les endroits où notre armée n’est pas encore parvenue, ils doivent prendre d’eux- mêmes les armes, résister à l’enrôlement forcé et aux réquisitions de céréales, procéder à la distribution des terres, refuser de reconnaître les dettes et profiter des lacunes dans les régions contrôlées par l’ennemi pour développer la guerre de partisans.

Afin de renverser Tchiang Kaï-chek et de former un gouvernement démocratique de coalition dans un bref délai, nous faisons appel au peuple des régions libérées pour qu’il mène la réforme agraire à bonne fin, consolide les bases de la démocratie, développe la production, applique un régime de stricte économie, augmente la puissance des forces armées populaires, balaie les derniers points d’appui de l’ennemi et soutienne le front.

Camarades commandants et combattants de notre armée! La tâche la plus importante, la plus glorieuse dans l’histoire de la révolution de notre pays repose sur nos épaules. Nous devons redoubler d’efforts pour accomplir cette tâche.

Nos efforts décideront du jour où notre grande patrie émergera des ténèbres et où nos chers compatriotes auront une vie digne de l’homme et choisiront un gouvernement selon leur vœu.

Tous les officiers et soldats de notre armée doivent se perfectionner dans l’art militaire, avancer hardiment dans une guerre où notre victoire est certaine, et anéantir tous nos ennemis résolument, radicalement, intégralement, totalement. Ils doivent tous élever le niveau de leur conscience politique, se rendre habiles à anéantir les forces ennemies comme à éveiller les masses, s’unir intimement aux masses et développer rapidement les nouvelles régions libérées pour en faire des régions bien consolidées.

Ils doivent renforcer l’esprit de discipline et exécuter résolument les ordres, appliquer notre politique, mettre en pratique les trois grandes règles de discipline et les huit recommandations, réaliser l’unité de l’armée et du peuple, l’unité de l’armée et du gouvernement, l’unité des officiers et des soldats et l’unité de toute l’armée; aucune infraction à la discipline ne sera tolérée.

Tous nos officiers et soldats doivent toujours avoir présent à l’esprit que nous sommes la grande Armée populaire de Libération, les troupes dirigées par le grand Parti communiste chinois.

A condition que nous observions constamment les directives du Parti, nous sommes sûrs de la victoire.

A bas Tchiang Kaï-chek! Vive la Chine nouvelle!

>Sommaire du dossier

La révolution chinoise et les débuts de la guerre de libération

Avant l’intervention japonaise généralisée, le Kuomintang s’appuyait sur la côte ainsi que les grandes villes le long des fleuves, tandis que le Parti Communiste de Chine avait ses bases dans les régions montagneuses.

Par la suite, le cœur du Kuomintang se déplaça vers le « grand arrière », la Chine du nord-ouest et du sud-ouest, alors que l’armée dirigée par le Parti Communiste de Chine avait l’initiative, affrontant 45 % des troupes d’invasion japonaises et 95 % des troupes fantoches à leur service.

Au moment de l’effondrement de l’armée impériale japonaise, la zone contrôlée par le Parti Communiste de Chine est alors peuplée de cent millions de personnes sur 19 provinces, avec un million de soldats et de 2,2 millions de personnes dans les milices populaires.

En même temps, par trois fois durant la guerre sino-japonaise, le Kuomintang avait lancé de grandes campagnes contre l’armée dirigée par le Parti Communiste de Chine : en 1940, en 1941 (avec notamment l’incident de l’Anhouei où 9000 personnes de la Nouvelle IVe armée furent tués lors d’une offensive surprise de l’armée de Tchiang Kaï-Chek) et en 1943.

Une fois le Japon vaincu, les Etats-Unis soutinrent massivement les troupes de Tchian Kaï-Chek, qui rassemblaient deux millions d’hommes.


Tchiang Kaï-Chek, Franklin D. Roosevelt et Winston Churchill,
au Caire en Egypte en novembre 1943

À la fin de juin 1946, pas moins de 45 divisions du Kuomintang avaient été équipées par les États-Unis, depuis les forces terrestres, navales et aériennes jusqu’au personnel de santé, les services secrets, etc.

Des avions et des navires américains transportèrent plus de 540 000 hommes à l’intérieur du territoire chinois (soit 41 divisions et 8 brigades), ainsi que 90 000 fusiliers cantonnés auparavant dans les principales villes.

Officiellement, les États-Unis fournirent 4500 millions de dollars à l’armée de Tchiang Kaï-Chek, au point que 50 % des dépenses du gouvernement de celui-ci provenait de cette aide.

Mais cela ne fut pas suffisant pour contrer la formidable avancée de l’armée dirigée par Mao Zedong, dont voici la présentation, en septembre 1947, de la stratégie pour la deuxième année de la guerre de libération, traçant un bilan de l’année précédente.

« 1. Au cours de la première année de la guerre (de juillet de l’an dernier à juin de cette année), nous avons anéanti 97 brigades et demie des troupes régulières ennemies, soit 780.000 hommes, des troupes fantoches, des corps de sécurité publique et autres unités se montant à 340.000 hommes, ce qui fait en tout 1.120.000 hommes.

C’est là une grande victoire.

Cette victoire a été pour l’ennemi un coup sérieux, elle a suscité un profond sentiment de défaitisme dans tout le camp ennemi, soulevé d’enthousiasme le peuple dans tout le pays et jeté les bases pour l’anéantissement complet de l’ennemi et la conquête de la victoire finale.

2. Pendant la première année de la guerre, l’ennemi a lancé une offensive de grande envergure contre nos régions libérées avec 218 de ses 248 brigades régulières, soit plus de 1.600.000 hommes, avec près d’un million d’hommes des unités spéciales (marine, aviation, artillerie, corps du génie et troupes blindées), des troupes fantoches, des troupes du corps de la police des communications et du corps de sécurité publique.

Notre armée a eu raison d’adopter la stratégie consistant à mener des opérations à l’intérieur des lignes, même si ce fut au prix de plus de 300.000 tués et blessés et de vastes territoires abandonnés à l’ennemi, grâce à quoi notre armée a réussi à garder l’initiative en tout temps et en tout lieu.

Il en est résulté que nous avons pu infliger à l’ennemi des pertes s’élevant à 1.120.000 hommes, le contraindre à disperser ses troupes, forger et renforcer les nôtres, lancer des contre-offensives stratégiques dans le Nord-Est, le Jéhol, le Hopei de l’Est, le Chansi du Sud et le Honan du Nord, où nous avons recouvré et libéré de vastes territoires.

3. Pendant la deuxième année de la guerre, la tâche essentielle de notre armée est de lancer une contre-offensive à l’échelle nationale, c’est-à-dire de faire combattre nos troupes de campagne à l’extérieur des lignes, de porter la guerre dans les régions du Kuomintang, d’anéantir l’ennemi en grand nombre à l’extérieur des lignes et de faire échouer complètement la stratégie contre-révolutionnaire du Kuomintang, qui, elle, consiste à continuer de porter la guerre dans les régions libérées, à détruire et à épuiser toujours davantage nos ressources en hommes et en matériel, pour nous mettre dans l’impossibilité de tenir longtemps.

Pendant la deuxième année de la guerre, une part de la tâche de notre armée est d’employer un certain nombre de nos troupes de campagne et les importantes unités de nos troupes locales pour poursuivre les opérations à l’intérieur des lignes, y anéantir l’ennemi et recouvrer les territoires perdus.

4. En appliquant le principe qui consiste à mener des opérations à l’extérieur des lignes, à porter la guerre dans les régions du Kuomintang, notre armée rencontrera évidemment beaucoup de difficultés.

La raison en est qu’il faut du temps pour établir de nouvelles bases dans les régions du Kuomintang et que nous ne pouvons établir des bases solides qu’après avoir anéanti l’ennemi en grand nombre au cours de multiples opérations mobiles où alternent avances et reculs, mis en mouvement les masses, distribué les terres, instauré notre pouvoir et organisé les forces armées populaires.

Jusque-là, les difficultés seront nombreuses.

Mais elles peuvent et doivent être surmontées.

En effet, l’ennemi sera contraint de se disperser encore davantage, et notre armée disposera de vastes territoires qui serviront de champs de bataille à nos opérations mobiles et nous pourrons ainsi engager une guerre de mouvement; les larges masses de la population de ces territoires haïssent le Kuomintang et soutiennent notre armée; et, bien qu’une partie des forces ennemies ait encore une puissance de combat relativement élevée, dans l’ensemble le moral de l’ennemi est beaucoup plus bas et sa puissance de combat beaucoup plus faible qu’il y a un an.

5. La clé de notre victoire dans les combats à l’intérieur des régions du Kuomintang est, premièrement, de savoir saisir le moment propice pour combattre, d’être courageux et décidé, et de gagner autant de batailles que possible; et, deuxièmement, d’appliquer résolument la politique visant à gagner les masses, de leur donner la possibilité d’obtenir des avantages, afin qu’elles prennent parti pour notre armée.

Si ces deux points sont réalisés, nous enlèverons la victoire.

6. A la fin d’août de cette année, les forces ennemies, y compris celles qui ont été anéanties ou qui ont essuyé des coups écrasants, se répartissent ainsi: 157 brigades sur le front sud, 70 sur le front nord et 21 à l’arrière, ce qui fait donc encore au total, pour le pays entier, 248 brigades, le chiffre réel des effectifs s’élevant à environ 1.500.000 hommes; les unités spéciales, les troupes fantoches, les corps de la police des communications et les corps de sécurité publique comptent à peu près1.200.0 hommes; les non-combattants dans les organismes militaires de l’arrière sont d’environ 1.000.000.

Les forces ennemies comptent donc au total 3.700.000 hommes environ.

Parmi les troupes du front sud, 117 brigades appartiennent au groupe de Kou Tchou-tong,

7 au groupe de Tcheng Tsien ainsi qu’à d’autres, et 33 au groupe de Hou Tsong-nan. Des 117 brigades du groupe de Kou Tchou-tong, 63 ont été anéanties ou ont reçu des coups écrasants.

Parmi celles-ci, certaines n’ont pas procédé au complètement de leurs effectifs; d’autres, tout en l’ayant fait, restent encore faibles en effectifs comme en puissance de combat; d’autres enfin, qui ont été assez bien pourvues en effectifs et en armes et qui ont retrouvé dans une certaine mesure leur puissance de combat, sont néanmoins beaucoup plus faibles qu’auparavant.

Il n’y a que 54 brigades qui n’aient pas été anéanties ou n’aient pas reçu de coups écrasants.

De la totalité des forces de Kou Tchou-tong, 82 à 85 brigades sont employées au service de garnison ou ne peuvent être utilisées que pour des manœuvres locales, alors que 32 à 35 brigades seulement peuvent être utilisées dans des manœuvres stratégiques.

Les 7 brigades appartenant au groupe de Tcheng Tsien et à d’autres ne peuvent être utilisées, dans l’ensemble, que pour le service de gar- nison et l’une d’elles a déjà reçu des coups écrasants.

Des 33 brigades du groupe de Hou Tsongnan (y compris celles qui se trouvent à l’est de Lantcheou, au sud de Ninghsia et de Yulin et à l’ouest de Linfen et de Louoyang), 12 ont été anéanties ou ont reçu des coups écrasants, 7 seulement peuvent être utilisées pour des manœuvres stratégiques et les autres sont employées au service de garnison.

Sur le front nord, l’ennemi a en tout 70 brigades.

Parmi celles-ci, le groupe du Nord- Est compte 26 brigades, dont 16 ont été anéanties ou ont reçu des coups écrasants; le groupe de Souen Lien-tchong possède 19 brigades, dont 8 ont été anéanties ou ont reçu des coups écrasants; Fou Tsouo-yi dispose de 10 brigades, dont 2 ont reçu des coups écrasants; et Yen Si-chan de 15 brigades, dont 9 ont été anéanties ou ont reçu des coups écrasants.

Ces troupes ennemies sont maintenant pour l’essentiel sur la défensive et une petite partie d’entre elles seulement sont capables d’entreprendre des opérations mobiles.

A l’arrière, le Kuomintang n’a que 21 brigades en service de garnison. Parmi celles- ci, 8 brigades se trouvent dans le Sinkiang et le Kansou de l’Ouest, 7 dans le Setchouan et le Sikang, 2 dans le Yunnan, 2 dans le Kouangtong (il s’agit de la 69e division qui a été anéantie) et 2 autres à Taïwan. Il n’y a pas de troupes régulières dans les six provinces du Hounan, du Kouangsi, du Koueitcheou, du Foukien, du Tchékiang et du Kiangsi.

Le Kuomintang projette, avec l’aide des États-Unis, de lever cette année un million d’hommes pour regarnir le front, et de former un certain nombre de nouvelles brigades et de régiments de remplacement.

Cependant, tant que notre armée réussira à anéantir en moyenne 8 brigades ennemies par mois, comme elle l’a fait pendant la première année de combats, et à anéantir 96 à 100 autres brigades pendant la deuxième année (en juillet et août, 16 brigades et demie ont déjà été anéanties), alors l’armée ennemie continuera de s’affaiblir considérablement, verra sa réserve stratégique se réduire au minimum et sera acculée à la défensive partout dans le pays et attaquée par nous de toutes parts.

Bien que le Kuomintang projette de lever un million d’hommes et de former de nouvelles brigades et des régiments de remplacement, cela ne lui servira à rien.

Comme sa seule méthode de recrutement consiste à enrôler par force et à engager des mercenaires, il lui sera certainement difficile d’atteindre le million; de plus, les désertions seront nombreuses. Par ailleurs, en appliquant le principe consistant à opérer à l’extérieur des lignes, notre armée sera en mesure de réduire les ressources de l’ennemi en hommes et en matériel.

7. Nos principes d’opérations restent les mêmes que ceux qui ont été fixés auparavant:

Attaquer d’abord les forces ennemies dispersées et isolées (ceci s’applique aussi à une vaste campagne d’anéantissement dirigée contre plusieurs brigades à la fois, telle que la campagne de Laiwou en février ou la campagne du Chantong du Sud- Ouest en juillet de cette année), et ensuite les forces ennemies concentrées et puissantes.

S’emparer d’abord des villes petites et moyennes et des vastes régions rurales, et ensuite des grandes villes.

Se fixer pour objectif principal l’anéantissement des forces vives de l’ennemi, et non pas la défense ou la prise d’un territoire.

La possibilité de garder ou de prendre un territoire résulte de l’anéantissement des forces vives de l’ennemi, et souvent un territoire ne peut être tenu ou pris définitivement qu’après avoir changé de mains à plusieurs reprises.

A chaque bataille, concentrer des forces d’une supériorité absolue, encercler complètement les forces ennemies, s’efforcer de les anéantir totalement, sans leur donner la possibilité de s’échapper du filet.

Dans des cas particuliers, infliger à l’ennemi des coups écrasants, c’est-à-dire concentrer toutes nos forces pour une attaque de front et une attaque sur l’un des flancs de l’ennemi ou sur les deux, anéantir une partie de ses troupes et mettre l’autre partie en déroute, afin que notre armée puisse déplacer rapidement ses forces pour écraser d’autres troupes ennemies.

D’une part, il faut se garder d’engager un combat sans préparation, ou un combat dont l’issue victorieuse ne soit pas certaine; il faut faire les plus grands efforts pour se bien préparer à chaque engagement, faire les plus grands efforts pour s’assurer la victoire dans un rapport de conditions donné entre l’ennemi et nous.

D’autre part, il faut mettre pleinement en œuvre notre excellent style de combat — bravoure, esprit de sacrifice, mépris de la fatigue et ténacité dans les combats continus (c’est-à-dire engagements successifs en un court laps de temps).

Il faut s’efforcer d’attirer l’ennemi dans la guerre de mouvement, mais en même temps il faut bien s’appliquer à apprendre la tactique d’attaque de positions et renforcer l’artillerie et les corps du génie, afin de s’emparer d’un grand nombre de points fortifiés et de villes de l’ennemi.

Attaquer et prendre résolument tous les points fortifiés et toutes les villes qui sont faiblement défendus. Attaquer et prendre au moment propice, et pour autant que les circonstances le permettent, tous les points fortifiés et toutes les villes modérément défendus.

Laisser de côté, pour le moment, tous les points fortifiés et toutes les villes puissamment défendus. Compléter nos forces à l’aide de toutes les armes et de la plus grande partie des effectifs pris à l’ennemi (80-90 pour cent des soldats et un petit nombre d’officiers subalternes).

Chercher à compléter nos forces essentiellement aux dépens de l’ennemi et dans les régions du Kuomintang, et seulement en partie dans les régions libérées anciennes; ceci s’applique en particulier aux armées du front sud.

Dans toutes les régions libérées, nouvelles ou anciennes, nous devons résolument réaliser la réforme agraire (c’est la condition fondamentale pour soutenir une guerre de longue durée et remporter la victoire dans tout le pays), développer la production, appliquer le régime d’une stricte économie et accentuer le développement de l’industrie de guerre — tout pour la victoire sur le front.

C’est seulement ainsi que nous pourrons soutenir une guerre de longue durée et remporter la victoire dans tout le pays. Si nous agissons effectivement de la sorte, il est bien certain que nous serons capables de soutenir une guerre de longue durée et de remporter la victoire dans tout le pays.

8. Sont exposés ci-dessus le bilan des combats de la première année et les principes pour les combats futurs.

Les camarades dirigeants des différentes régions sont priés d’en transmettre le contenu à tous les cadres à l’échelon du régiment et au-dessus, à l’échelon du comité préfectoral du Parti [Le comité préfectoral du Parti est un organe dirigeant d’un échelon inférieur au comité de province ou de territoire du Parti, mais supérieur au comité de district du Parti] et au-dessus, ainsi qu’à l’échelon du commissariat préfectoral et au-dessus, de sorte que chacun comprenne bien quelle est sa tâche et s’en acquitte avec une fermeté inébranlable. »

>Sommaire du dossier

La révolution chinoise : la première victoire en 1945

Lorsque la victoire arriva en 1945, le pays avait payé un lourd tribut pour venir à bout de l’occupation japonaise. 3,22 millions de soldats et 8,4 millions de civils avaient perdu la vie, l’armée japonaise perdant quant à elle 1,1 million de soldats.

Ce fut une guerre cruelle, l’armée japonaise pratiquant, devant la résistance chinoise, la « politique des trois tout » (tout brûler, tout tuer, tout piller). Les crimes de guerre par l’armée japonaise furent immenses et rivalisent en perversité avec l’Allemagne nazie.

Lorsque l’armée japonaise prit notamment la ville de Nanjing (anciennement appelé Nankin en français), elle massacra 300 000 personnes pendant six semaines à partir de fin 1937, violant collectivement jusqu’à la mort 20 000 femmes et jeunes filles, avec toutes les perversités possibles : mutilations, personnes enterrées vivantes, etc.

C’est dans cette même ville que le représentant du Japon, Yasuji Okamura, signa la capitulation devant la Chine, après l’avoir fait devant les Etats-Unis.

Alors qu’il fut un haut dirigeant militaire japonais en Chine, devenant en novembre 1944 le chef de l’armée japonaise en Chine, et qu’il a à ce titre appliqué la « politique des trois tout », il ne fut finalement pas inquiété comme criminel de guerre sur demande exprès de Jiang Jieshi (Tchiang Kaï-Chek) qui en fit un conseiller.

Car la Chine n’en avait pas fini avec la guerre : le Kuomintang, avec l’appui américain, comptait affronter le Parti Communiste de Chine. Ce dernier avait progressé à grands pas, passant à 40 000 membres en 1937, 800 000 en 1940, 1 211 128 en avril 1945.

Cette situation fut présentée comme suit par Mao Zedong, dans le discours « Les deux destins de la Chine » ouvrant le 7e congrès du Parti Communiste de Chine, le 23 avril 1945.

« Camarades! Aujourd’hui s’ouvre le VIle Congrès du Parti communiste chinois. En quoi réside l’importance toute particulière de ce Congrès? C’est qu’il concerne, nous devons le dire, le sort de 450 millions de Chinois.

Deux destins s’offrent à la Chine: sur l’un d’eux, on a déjà écrit un livre [Jiang Jieshi, Le destin de la Chine, publié en 1943]; notre Congrès représente l’autre destin de la Chine, et nous aussi, nous écrirons un livre [il s’agira de Du gouvernement de coalition].

Notre Congrès veut le renversement de l’impérialisme japonais et la libération de tout le peuple chinois.

C’est un congrès pour la défaite de l’agresseur japonais et pour l’édification d’une Chine nouvelle, un congrès pour l’union de tout le peuple chinois et l’union avec tous les peuples du monde, en vue de la victoire finale.

Le moment nous est très favorable. En Europe, Hitler est sur le point d’être abattu.

Le théâtre principal de la guerre mondiale contre le fascisme se trouve en Occident, où l’heure de la victoire est proche grâce aux efforts de l’Armée rouge soviétique.

Déjà, on entend ses canons à Berlin, dont la chute est sans doute imminente. En Orient, la guerre pour écraser l’impérialisme japonais touche également à la victoire. Notre Congrès se réunit donc à la veille de la victoire finale dans la guerre contre le fascisme.

Deux voies s’ouvrent devant le peuple chinois — la voie de la lumière et la voie des ténèbres. Deux destins attendent la Chine — l’un radieux, l’autre sombre.

L’impérialisme japonais n’est pas encore battu. Mais même après sa défaite, ces deux perspectives d’avenir resteront ouvertes: ou bien une Chine indépendante, libre, démocratique, unifiée, forte et prospère, c’est-à-dire une Chine radieuse, la Chine nouvelle d’un peuple libéré, ou bien l’autre Chine, semi-coloniale et semi-féodale, divisée, faible et pauvre, c’est-à-dire l’ancienne Chine.

Une Chine nouvelle ou l’ancienne Chine, telles sont les deux perspectives qui s’offrent à notre peuple, au Parti communiste chinois et à notre Congrès.

Puisque le Japon n’est pas encore battu et que ces deux perspectives resteront ouvertes même après sa défaite, comment nous faut-il mener notre travail?

Quelle est notre tâche? Notre seule tâche est de mobiliser hardiment les masses, d’accroître la force du peuple, d’unir toutes les énergies de la nation qui peuvent être unies, en vue de la lutte menée sous la direction de notre Parti pour vaincre l’agresseur japonais, édifier une Chine nouvelle et radieuse, une Chine indépendante, libre, démocratique, unifiée, forte et prospère.

Nous devons lutter de toutes nos forces pour un avenir lumineux, un destin radieux, contre un avenir ténébreux, un sombre destin. Voilà notre seule et unique tâche! Voilà la tâche de notre Congrès, de tout notre Parti, de tout le peuple chinois! Nos espoirs peuvent-ils se réaliser? Nous le pensons. Cette possibilité existe parce que nous jouissons des quatre conditions suivantes:

1° Un puissant Parti communiste, riche en expérience et fort de 1.210.000 membres;

2° De puissantes régions libérées, avec une population de 95.500.000 habitants, une armée de 910.000 hommes et une milice populaire de 2.200.000 membres;

3° L’appui des masses de tout le pays;

4° Le soutien des peuples du monde entier et en particulier celui de l’Union soviétique.

Ces conditions étant réunies — un puissant Parti communiste, de puissantes régions libérées, l’appui du peuple tout entier et le soutien des peuples du monde —, nos espoirs pourront-ils se réaliser?

Nous le pensons. Dans le passé, la Chine n’avait jamais connu de telles conditions.

Certes, elles existent dans une certaine mesure depuis un bon nombre d’années, mais elles ne se sont jamais manifestées comme aujourd’hui dans toute leur plénitude.

Jamais le Parti communiste chinois n’a été aussi puissant, l’armée et la population des bases révolutionnaires aussi nombreuses; à aucun moment, le prestige du Parti communiste chinois auprès de la population des régions occupées par les Japonais et des régions dominées par le Kuomintang n’a été aussi grand, alors que les forces révolutionnaires représentées par l’Union soviétique et par les peuples des autres pays sont plus puissantes que jamais.

On peut donc affirmer qu’en bénéficiant de telles conditions il est tout à fait possible de vaincre l’agresseur et d’édifier une Chine nouvelle.

Nous devons avoir une politique juste, dont l’élément fondamental est de mobiliser hardiment les masses et d’en accroître la force, afin que, sous la direction de notre Parti, elles mettent en échec l’agresseur et édifient une Chine nouvelle.

Au cours de ses vingt-quatre années d’existence, c’est-à-dire depuis sa création en 1921, le Parti communiste chinois a traversé trois périodes historiques de luttes héroïques — l’Expédition du Nord, la Guerre révolutionnaire agraire et la Guerre de Résistance contre le Japon —et il a acquis une riche expérience.

Aujourd’hui, notre Parti est devenu le centre de gravité du peuple chinois en lutte contre l’agression japonaise et pour le salut de la patrie, son centre de gravité dans la lutte pour la libération, pour la victoire sur l’envahisseur et pour l’édification d’une Chine nouvelle.

Le centre de gravité de la Chine est ici même où nous sommes, et nulle part ailleurs.

Nous devons étre modestes et prudents, nous garder de toute présomption et de toute précipitation, servir le peuple chinois de tout notre coeur, afin de l’unir pour vaincre l’agresseur japonais dans le présent et pour édifier un Etat de démocratie nouvelle dans l’avenir. Si nous savons agir ainsi, si nous avons une politique juste, si nous conjuguons nos efforts, nous accomplirons notre tâche.

A bas l’impérialisme japonais!

Vive la libération du peuple chinois! Vive le Parti communiste chinois!

Vive le VIIe Congrès du Parti communiste chinois! »

>Sommaire du dossier

La révolution chinoise : les trois étapes de la guerre anti-japonaise

La guerre contre l’occupant japonais fut donc au cœur de l’action du Parti Communiste de Chine. L’une des batailles fameuses, où la guerre de partisans joua symboliquement un rôle majeur, fut celle de Pingxingguan, en septembre 1937.

À cette occasion, la 8e armée de route, nouvelle dénomination de l’armée rouge depuis l’accord du 15 juillet 1937 (avec trois divisions de deux brigades, avec elles-même deux régiments chacune), s’appropria un millier d’armes et une centaine de véhicules remplis de matériel.

Une autre bataille de grande importance fut celle de Taierzhuang, où l’armée nationale révolutionnaire chinoise battit les troupes japonaises pour la première fois, en mars-avril 1938, dans une bataille d’envergure où 20 000 soldats japonais perdirent la vie.

Un événement d’importance fut l’offensive dite des cent régiments mené par la 8e armée de route, permettant notamment de détruire des centaines de kilomètres de voies ferrées. 400 000 soldats y participèrent, participant à 1 824 batailles, tuant 20 645 soldats japonais et 5 155 soldats chinois des régimes fantoches pro-japonais.

Carte de l’armée américaine montrant la situation à la fin de la seconde guerre mondiale.
Les zones en rouge sont sous occupation japonaise,
celles hachurées sont des bases de l’Armée Populaire de Libération.

Voici comment Mao Zedong, en 1944, présente les étapes de cette guerre antijaponaise par rapport au Parti Communiste de Chine.

« On peut distinguer trois étapes dans le développement de notre Parti durant la Guerre de Résistance.

La première va de 1937 à 1940.

En 1937 et 1938, soit pendant les deux premières années de la guerre, les militaristes japonais prenaient au sérieux le Kuomintang et faisaient peu de cas du Parti communiste, aussi lancèrent-ils leurs forces principales contre le front du Kuomintang ; dans leur politique à l’égard de ce dernier, l’attaque militaire était l’élément principal, et l’action politique pour l’inciter à capituler, l’élément secondaire.

Quant aux bases antijaponaises dirigées par notre Parti, ils leur accordaient peu d’importance, croyant n’avoir à faire qu’à une poignée de communistes engagés dans des actions de partisans.

Mais, après avoir occupé Wouhan en octobre 1938, les impérialistes japonais se mirent à changer de politique, à prendre au sérieux le Parti communiste et à faire peu de cas du Kuomintang ; à l’égard de celui-ci, l’action politique pour l’inciter à capituler devint alors l’élément essentiel, et l’attaque militaire l’élément secondaire; en même temps, ils déplacèrent peu à peu leurs forces principales pour les lancer contre les communistes, s’étant alors rendu compte que ce n’était plus le Kuomintang mais le Parti communiste qu’il fallait redouter.

En 1937 et 1938, le Kuomintang se montrait encore plus ou moins actif dans la Guerre de Résistance, et ses relations avec notre Parti étaient encore relativement bonnes ; malgré de nombreuses restrictions, il laissait au mouvement populaire antijaponais une liberté d’action assez grande.

Mais après la chute de Wouhan, ses défaites dans la guerre et son hostilité croissante à l’égard du Parti communiste le poussèrent à devenir peu à peu plus réactionnaire, plus actif dans la lutte anticommuniste et plus passif dans la Guerre de Résistance.

A la suite des revers subis dans la guerre civile, le Parti communiste n’avait en 1937 qu’environ 40.000 membres bien organisés et une armée dépassant à peine 30.000 hommes; c’est pourquoi les militaristes japonais en faisaient peu de cas.

Mais en 1940, l’effectif du Parti avait atteint le chiffre de 800.000, notre armée comptait près de 500.000 hommes, et la population des bases d’appui atteignait un total d’environ 100 millions d’habitants, si l’on compte tous ceux qui nous payaient l’impôt en céréales, y compris ceux qui devaient en outre le payer aux autorités fantoches.

En quelques années, notre Parti a étendu à tel point le théâtre des opérations, formé par les régions libérées, que nous avons pu empêcher pendant cinq ans et demi toute offensive stratégique des forces principales de l’envahisseur japonais contre le front du Kuomintang, attirer ces forces autour de nous, sortir le Kuomintang de la situation critique qui régnait sur son propre théâtre d’opérations et soutenir une guerre de résistance prolongée.

Mais, durant la première étape, certains de nos camarades ont commis une erreur: ils ont sous-estimé l’impérialisme japonais (ainsi ont-ils méconnu le caractère prolongé et acharné de la guerre, préconisé la primauté de la guerre de mouvement menée avec de grosses formations et minimisé le rôle de la guerre de partisans), ils ont compté sur le Kuomintang et, faute de lucidité, ils n’ont pas su appliquer une politique indépendante (d’où leur esprit de capitulation devant le Kuomintang et leur hésitation à mobiliser hardiment les masses pour créer des bases démocratiques antijaponaises sur les arrières de l’ennemi et à augmenter largement les effectifs des forces armées dirigées par notre Parti).

D’autre part, les nouveaux membres que le Parti avait recrutés en grand nombre n’avaient pas d’expérience et nos bases d’appui nouvellement établies derrière les lignes ennemies n’étaient pas encore consolidées.

Durant cette étape, une certaine suffisance apparut dans nos rangs en raison du cours favorable des événements, de l’essor de notre Parti et de nos forces armées, et beaucoup de nos membres s’enflèrent d’orgueil.

Cependant, nous sommes venus à bout de la déviation de droite dans le Parti et nous avons appliqué une politique indépendante; nous n’avons pas seulement porté des coups à l’impérialisme japonais, créé des bases d’appui et développé la VIIIe Armée de Route et la Nouvelle IV Armée, nous avons aussi fait échec à la première campagne anticommuniste du Kuomintang.

Les années 1941 et 1942 constituent la deuxième étape.

Afin de préparer et d’entreprendre la guerre contre la Grande-Bretagne et les États-Unis, les impérialistes japonais intensifièrent encore l’application de la politique qu’ils avaient adoptée après la chute de Wouhan en faisant porter leurs attaques principales non plus sur le Kuomintang mais sur le Parti communiste; ils massèrent des effectifs encore plus importants de leurs forces principales autour de toutes les bases d’appui dirigées par le Parti communiste, firent se succéder leurs campagnes de « nettoyage » et appliquèrent leur politique brutale de « tout brûler, tout tuer, tout piller », concentrant leurs attaques contre notre Parti.

Aussi ce dernier se trouva-t-il, durant ces deux années, dans une situation extrêmement difficile. Nos bases d’appui se rétrécirent, la population tomba au-dessous de 50 millions d’habitants, la VIIIe Armée de Route fut réduite à quelque 300.000 hommes, nos pertes en cadres furent très lourdes, nos finances et notre économie durement touchées.

Pendant ce temps, le Kuomintang, se sentant les mains libres, combattait notre Parti par tous les moyens ; il déclencha sa deuxième campagne anticommuniste, conjuguant ses attaques avec celles des impérialistes japonais.

Mais cette situation difficile fut pleine d’enseignements pour nous, communistes, et nous apprit beaucoup de choses.

Nous avons appris à combattre les campagnes de « nettoyage » de l’ennemi, sa politique de « grignotage », sa campagne « pour le renforcement de la sécurité publique’, sa politique de « tout brûler, tout tuer, tout piller » et celle d’arracher aux nôtres des rétractations de leurs opinions politiques.

Nous avons appris ou commencé à apprendre comment appliquer le « système des trois tiers » dans les organes du pouvoir du front uni, comment mettre en pratique la politique agraire, comment entreprendre le mouvement de rectification des trois styles, style de notre étude, style du Parti dans ses relations intérieures et extérieures et style de nos écrits, comment appliquer la politique: « moins de troupes mais de meilleures et une administration simplifiée », ainsi que celle de l’unification de la direction, comment étendre le mouvement pour « le soutien au gouvernement et l’amour du peuple », et enfin comment développer la production; nous avons éliminé maints défauts, dont cette suffisance qui s’était manifestée chez nombre de nos camarades au cours de la première étape.

Bien que nous ayons subi de lourdes pertes durant cette deuxième étape, nous avons tenu bon; nous avons repoussé d’un côté les attaques de l’envahisseur japonais, et de l’autre la deuxième campagne anticommuniste du Kuomintang.

Les attaques du Kuomintang contre le Parti communiste et les luttes que nous avons dû soutenir pour notre légitime défense ont par ailleurs engendré dans le Parti une sorte de déviation gauchiste; ainsi, par exemple, croyant à une rupture prochaine de la coopération entre le Kuomintang et le Parti communiste, on s’est attaqué outre mesure aux propriétaires fonciers et on a négligé de rallier les non-communistes.

Mais là encore, nous sommes venus à bout de la déviation.

Dans notre lutte contre les « frictions » créées par le Kuomintang, nous avons affirmé le principe que nous devions avoir le bon droit de notre côté, nous assurer l’avantage et garder la mesure; dans notre travail du front uni, nous avons montré la nécessité de pratiquer « l’union et la lutte, l’union par la lutte », ce qui nous a permis de maintenir le front uni national antijaponais dans nos bases d’appui comme dans l’ensemble du pays.

La troisième étape va de 1943 à aujourd’hui.

Nos mesures politiques sont devenues plus efficaces; en particulier, le mouvement de rectification des trois styles et le développement de la production ont donné des résultats si décisifs que notre Parti s’est acquis sur le plan idéologique et matériel une position inexpugnable.

De plus, nous avons appris ou commencé d’apprendre, l’année dernière, à procéder à la vérification des cadres et à mener la lutte contre les agents secrets.

C’est dans ces circonstances que nos bases d’appui ont repris leur expansion, que leur population s’est élevée à plus de 80 millions d’habitants — si l’on compte tous ceux qui nous paient l’impôt en céréales, y compris ceux qui doivent en outre le payer aux autorités fantoches —, que notre armée à vu ses effectifs passer à 470.000 hommes et notre milice populaire à 2.270.000 hommes, que notre Parti a pu porter les siens à plus de 900.000 membres. »

>Sommaire du dossier

La révolution chinoise et l’organisation des bases anti-japonaises

Voici comment Mao Zedong présente l’organisation sociale dans les zones libérées, dans Sur la question du pouvoir dans les bases anti-japonaises, formant une directive au nom du Comité central du Parti communiste de Chine, le 6 mars 1940.

1. Nous sommes à un moment où les irréductibles anti-communistes du Kuomintang s’opposent de toutes leurs forces à ce que nous créions des organes du pouvoir démocratique anti-japonais en Chine du Nord, en Chine centrale et dans d’autres régions du pays, alors que nous devons, pour notre part, les instaurer et qu’il nous est déjà possible de le faire dans les principales bases anti-japonaises.

Notre lutte contre les irréductibles anticommunistes sur cette question dans la Chine du Nord, la Chine centrale et le Nord-Ouest peut contribuer à promouvoir l’établissement des organes du pouvoir de front uni dans l’ensemble du pays; et cela retient l’attention de toute la nation. C’est pourquoi il faut procéder avec circonspection.

2. Le pouvoir politique que nous établissons au cours de la Guerre de Résistance contre le Japon est, par son caractère, un pouvoir de front uni national.

C’est le pouvoir de tous ceux qui sont pour la Résistance et la démocratie, c’est la dictature démocratique exercée conjointement par plusieurs classes révolutionnaires sur les traîtres à la nation et les réactionnaires.

Ce pouvoir diffère de la dictature contre-révolutionnaire des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie ; il diffère aussi de la dictature démocratique des ouvriers et des paysans dans la période de la Révolution agraire.

Si on comprend clairement le caractère de ce pouvoir et si on s’applique à l’instaurer effectivement, on contribuera pour une large part à la démocratisation du pays.

Toute déviation “de gauche” ou de droite aurait de très fâcheuses répercussions dans tout le peuple.

3. La convocation de l’Assemblée provinciale du Hopei et l’élection du Conseil administratif du Hopei, dont les préparatifs viennent de commencer, sont d’une importance exceptionnelle. Il en va de même de la création des nouveaux organes du pouvoir dans le nord- ouest du Chansi, dans le Chantong, dans les régions au nord du Houaiho, dans les districts de Soueiteh et de Fouhsien, et dans le Kansou oriental. Nous devons, pour cela, procéder conformément aux principes exposés plus haut, en nous efforçant d’éviter toute déviation de droite ou “de gauche”.

La déviation “de gauche” est actuellement la plus grave, elle néglige de gagner à nous la moyenne bourgeoisie et les hobereaux éclairés.

4. D’après le principe du front uni national anti-japonais concernant la composition des organes du pouvoir, il doit être prévu qu’il y aura un tiers de communistes, un tiers d’éléments progressistes de gauche non communistes et un tiers d’éléments intermédiaires qui ne sont ni de la gauche ni de la droite.

5. Nous devons assurer aux communistes une position dirigeante dans les organes du pouvoir ; il faut donc que les communistes, qui y entrent pour un tiers, l’emportent par leurs qualités personnelles. Seule cette condition assurera au Parti le rôle dirigeant sans qu’il ait besoin d’une représentation plus nombreuse.

Assurer au Parti le rôle dirigeant, ce n’est pas un mot d’ordre à claironner du matin au soir. Cela ne signifiee pas non plus forcer les autres, avec arrogance, à se soumettre à nos ordres. C’est convaincre et éduquer les non-communistes par la juste politique du Parti et l’exemple de notre travail, an  qu’ils acceptent de bonne grâce nos propositions.

6. Il faut qu’il y ait un tiers d’éléments progressistes non communistes, car ils sont liés aux masses petites-bourgeoises. Cela contribuera énormément à gagner la petite bourgeoisie.

7. En admettant un tiers d’éléments intermédiaires, on vise à gagner la moyenne bourgeoisie et les hobereaux éclairés. La conquête de ces couches est une mesure importante pour isoler les irréductibles.

Actuellement, il faut nous garder de négliger la force que constituent ces couches et agir avec prudence dans nos relations avec elles.

8. Nous devons avoir une attitude de coopération à l’égard de tous les non-communistes, affiliés ou non à un parti, et quel que soit le parti auquel ils appartiennent, pourvu qu’ils soient partisans de la Résistance et désireux de coopérer avec le Parti communiste.

9. Le principe relatif à la composition des organes du pouvoir, exposé plus haut, est l’expression authentique de la politique de notre Parti, et on ne doit en aucun cas considérer son application comme une question de pure forme.

Pour appliquer ce principe, il est nécessaire d’éduquer les membres de notre Parti qui travaillent dans les organes du pouvoir, afin que ceux qui ne veulent pas coopérer avec les non-communistes, ou qui n’en ont pas l’habitude, triomphent de leur étroitesse ; on encouragera un style démocratique de travail, qui consiste à prendre l’avis des non-communistes et à obtenir le consentement de la majorité avant d’agir.

En même temps, il faut encourager par tous les moyens les non-communistes à exprimer leurs opinions sur diverses questions et les écouter attentivement. Il ne faut pas croire que, du moment que nous avons l’armée et le pouvoir, tout se fera inconditionnellement selon nos décisions; on risquerait de ne pas faire l’effort nécessaire pour rallier les non-communistes à nos propositions, de façon qu’ils les mettent en pratique de bon gré et par conviction profonde.

10. Les proportions mentionnées ci-dessus ne représentent qu’une règle générale, qui sera appliquée en fonction des circonstances du lieu et non de façon mécanique pour faire le nombre.

Dans les organes du pouvoir à l’échelon de base, les proportions peuvent être quelque peu modifiées, afin d’empêcher l’infiltration des propriétaires fonciers, despotes locaux et mauvais hobereaux. Là où ces organes sont en place depuis longtemps, comme dans la région frontière du Chansi- Tchahar-Hopei, dans les régions du Hopei central, du Taihangchan et du Hopei méridional, la politique appliquée antérieurement doit être réexaminée à la lumière de ce principe.

Celui-ci doit toujours être observé lorsqu’on crée de nouveaux organes du pouvoir.

11. La politique électorale du front uni anti-japonais doit être la suivante: accorder le droit d’élire et d’être élu à tout citoyen chinois âgé de dix-huit ans révolus et qui soutient la Résistance et la démocratie, sans distinction de classe, de nationalité, de sexe, de croyance, d’appartenance politique et de niveau d’instruction. Les organes du pouvoir du front uni anti-japonais seront élus par le peuple. Leur forme d’organisation répondra au principe du centralisme démocratique.

12. Le programme politique du pouvoir du front uni anti-japonais doit avoir essentiellement pour point de départ la lutte contre l’impérialisme japonais, la protection du peuple qui résiste au Japon, le rajustement des intérêts de toutes les couches sociales qui participent à la Résistance, l’amélioration des conditions de vie des ouvriers et des paysans et l’écrasement des traîtres et des réactionnaires.

13. On ne peut exiger des non-communistes travaillant dans nos organes du pouvoir qu’ils vivent, parlent et agissent en communistes ; une telle exigence pourrait les mécontenter ou les mettre mal à l’aise.

14. Les bureaux et sous-bureaux du Comité central, les comités régionaux du Parti et les chefs des unités militaires sont tous tenus d’expliquer clairement la présente directive aux membres du Parti, afin d’assurer son application intégrale dans notre travail concernant les organes du pouvoir.

>Sommaire du dossier

La révolution chinoise et Norman Béthune

L’une des grandes figures de la révolution chinoise est le communiste canadien Norman Béthune.

Médecin, il se rendit en Espagne en 1936 en soutien à la République, avant de rejoindre la Chine en 1938, où en mars-avril il fondit une unité médicale à Yenan, puis dans la région frontière du Chansi-Tchahar-Hopei.

Norman Béthune (tout à droite), en Chine en 1938

Il décéda lui-même en novembre 1939, d’une septicémie contractée lors d’une opération d’ugence. Il devint alors une grande figure de l’internationalisme, extrêmement connu en Chine ; voici comment Mao Zedong salue sa mémoire.

« Le camarade Norman Béthune était membre du Parti communiste du Canada. Il avait une cinquantaine d’années lorsqu’il fut envoyé en Chine par le Parti communiste du Canada et le Parti communiste des Etats-Unis ; il n’hésita pas à faire des milliers de kilomètres pour venir nous aider dans la Guerre de Résistance contre le Japon.

Il arriva à Yenan au printemps de l’année dernière, puis alla travailler dans le Woutaichan où, à notre plus grand regret, il est mort à son poste. Voilà donc un étranger qui, sans être poussé par aucun intérêt personnel, a fait sienne la cause de la libération du peuple chinois: Quel est l’esprit qui l’a inspiré? C’est l’esprit de l’internationalisme, du communisme, celui que tout communiste chinois doit s’assimiler.

Le léninisme enseigne que la révolution mondiale ne peut triompher que si le prolétariat des pays capitalistes soutient la lutte libératrice des peuples coloniaux et semi-coloniaux et si le prolétariat des colonies et semi-colonies soutient la lutte libératrice du prolétariat des pays capitalistes.

Le camarade Béthune a mis en pratique cette ligne léniniste. Nous, membres du Parti communiste chinois, devons faire de même. Il nous faut nous unir au prolétariat de tous les pays capitalistes, au prolétariat du Japon, de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis, de l’Allemagne, de l’Italie et de tout autre pays capitaliste, pour qu’il soit possible d’abattre l’impérialisme, de parvenir à la libération de notre nation et de notre peuple, des nations et des peuples du monde entier. Tel est notre internationalisme, celui que nous opposons au nationalisme et au patriotisme étroits. L’esprit du camarade Béthune, oubli total de soi et entier dévouement aux autres, apparaissait dans son profond sens des responsabilités à l’égard du travail et dans son affection sans bornes pour les camarades, pour le peuple.

Tout communiste doit le prendre pour exemple. Ils ne sont pas rares ceux à qui manque le sens des responsabilités dans leur travail, qui choisissent les tâches faciles et se dérobent aux besognes pénibles, laissant aux autres le fardeau le plus lourd et prenant la charge la plus légère. En toute chose, ils pensent d’abord à eux-mêmes, aux autres après.

A peine ont-ils accompli quelque effort, craignant qu’on ne s’en soit pas aperçu, ils s’en vantent et s’enflent d’orgueil. Ils n’éprouvent point de sentiments chaleureux pour les camarades et pour le peuple, ils n’ont à leur endroit que froideur, indifférence, insensibilité.

En vérité, ces gens-là ne sont pas des communistes ou, du moins, ne peuvent être considérés comme de vrais communistes. Parmi ceux qui revenaient du front, il n’y avait personne qui, parlant de Béthune, ne manifestât son admiration pour lui, et qui fût resté insensible à l’esprit qui l’animait. Il n’est pas un soldat, pas un civil de la région frontière du Chansi-Tchahar-Hopei qui, ayant reçu les soins du docteur Béthune ou l’ayant vu à l’oeuvre, ne garde de lui un souvenir ému.

Tout membre de notre Parti doit apprendre du camarade Béthune cet esprit authentiquement communiste.

Le camarade Béthune était médecin. L’art de guérir était sa profession, il s’y perfectionnait sans cesse et se distinguait par son habileté dans tout le service médical de la VIIIe Armée de Route. Son cas exemplaire devrait faire réfléchir tous ceux qui ne pensent qu’à changer de métier sitôt qu’ils en entrevoient un autre, ou qui dédaignent le travail technique, le considérant comme insignifiant, sans avenir.

Je n’ai rencontré qu’une seule fois le camarade Béthune. Il m’a souvent écrit depuis. Mais, pris par mes occupations, je ne lui ai répondu qu’une fois, et je ne sais même pas s’il a reçu ma lettre. Sa mort m’a beaucoup affligé.

Maintenant, nous honorons tous sa mémoire, c’est dire la profondeur des sentiments que son exemple nous inspire. Nous devons apprendre de lui ce parfait esprit d’abnégation. Ainsi, chacun pourra devenir très utile au peuple.

Qu’on soit plus ou moins capable, il suffit de posséder cet esprit pour être un homme aux sentiments nobles, intègre, un homme d’une haute moralité, détaché des intérêts mesquins, un homme utile au peuple. »

>Sommaire du dossier

La révolution chinoise et la guerre populaire à l’exemple madrilène

Après avoir théorisé la nouvelle situation dans Problèmes stratégiques de la guerre de partisans contre le Japon, Mao Zedong analysa ensuite de manière plus générale les Problèmes de la guerre et de la stratégie, ce qui aboutit à l’ouvrage De la guerre prolongée.

C’est ainsi à la suite de la longue marche et dans les conditions de la guerre anti-japonaise que Mao Zedong formula, à travers une série d’écrits, ce qui fut ensuite connu comme la conception de la « guerre populaire », de la « guerre populaire prolongée ».

Mao Zedong

Mao Zedong analyse en détail la situation chinoise et explique la stratégie à adopter, les tactiques à suivre, l’organisation à développer et l’état d’esprit à adopter. L’avantage essentiel constaté par Mao Zedong est bien sûr le caractère « tellement vaste » du théâtre d’opérations.

Même si le Japon parvenait à occuper une partie de la Chine, il n’aurait jamais les moyens de contrôler l’ensemble du pays et ainsi la résistance est inlassablement victorieuse, dans tous les cas.

« Nous avons ainsi ruiné le plan de l’ennemi qui escomptait une « décision rapide » et l’avons contraint à entreprendre une guerre prolongée.

Ces principes sont inapplicables dans un petit pays et difficilement applicables dans un pays trop arriéré politiquement.

Mais comme la Chine est un grand pays à une époque de progrès, elle peut les appliquer.

Si nous évitons la décision stratégique, nous y perdrons certes une partie de notre territoire, mais, comme dit le proverbe: « La forêt donnera toujours du bois », nous conserverons un vaste territoire pour manœuvrer, et nous pourrons attendre et faire en sorte qu’avec le temps notre pays progresse, l’aide internationale augmente et la désagrégation intérieure se produise dans le camp de l’ennemi.

C’est là pour nous la meilleure politique à suivre dans la Guerre de Résistance. »

Cela est vrai, bien entendu, à condition de mobiliser toujours davantage les masses. La guerre populaire n’est pas tant un concept que l’expression équivalente à celle de guerre du peuple.

Mao Zedong s’appuie ici sur l’expérience madrilène, lorsque le Parti Communiste d’Espagne a mobilisé massivement en défense de la ville, à un moment clef de la guerre civile.

« Maintenant que la défense de Wouhan et d’autres endroits est devenue un problème si urgent, notre tâche la plus importante, c’est de développer pleinement l’activité de l’armée et du peuple pour soutenir la guerre.

Il n’y a pas de doute, nous devons poser sérieusement le problème de la défense de Wouhan et d’autres endroits et nous mettre sérieusement à la tâche.

Mais la question de savoir si finalement nous réussirons à les défendre dépend non de notre volonté subjective mais des conditions concrètes.

La mobilisation politique de l’armée et du peuple tout entiers pour la lutte est l’une des plus importantes de ces conditions concrètes.

Si nous ne nous employons pas à réaliser toutes les conditions nécessaires, si même une seule de ces conditions fait défaut, il se produira inévitablement ce qui s’est passé à Nankin et en d’autres endroits que nous avons perdus.

Où sera le Madrid chinois? Il sera là où seront créées les mêmes conditions qu’à Madrid.

Nous n’avons pas eu jusqu’ici un seul Madrid, mais maintenant nous devons en créer plusieurs.

Cependant, la possibilité de le faire dépend entièrement des conditions.

Et la plus fondamentale d’entre elles, c’est une large mobilisation politique de toute l’armée et de tout le peuple. »

Mao Zedong et sa femme Jiang Qing, qui jouera un rôle très important
durant la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne

Cela amène Mao Zedong à prévoir trois étapes dans une guerre nécessairement prolongée de par les conditions chinoises.

Il parle ainsi de la défensive stratégique, suivie de la préparation de la contre-offensive accompagnée inversement par la consolidation stratégique des positions de l’ennemi, enfin de la contre-offensive stratégique accompagnée par la retraite stratégique de l’ennemi.

La première étape est marquée par la guerre de mouvement, avec de manière auxiliaire la guerre de partisans et la guerre de position.

La seconde étape est marquée par la guerre de partisans, avec de manière auxiliaire la guerre de mouvement.

La troisième étape est marquée par la guerre de mouvement, avec également la guerre de position, combinées en des offensives stratégiques.

Mao Zedong résume cela ainsi :

« Lorsque nous disons que, dans l’ensemble de la guerre, la guerre de mouvement est la forme principale et la guerre de partisans la forme auxiliaire, nous entendons que le sort de la guerre dépend principalement des opérations régulières, et particulièrement de celles menées sous forme de guerre de mouvement, et que la guerre de partisans ne peut assumer la responsabilité principale dans la détermination de l’issue de la guerre.

Mais cela ne veut pas dire que la guerre de partisans ne joue pas un rôle stratégique important dans la Guerre de Résistance.

Dans cette guerre prise dans son ensemble, la guerre de partisans ne le cède en importance stratégique qu’à la guerre de mouvement, car il est impossible de vaincre l’ennemi sans s’appuyer sur les forces des partisans.

Il en découle que nous avons pour tâche stratégique de transformer la guerre de partisans en guerre de mouvement.

Au cours d’une guerre longue et acharnée, la guerre de partisans ne restera pas ce qu’elle est, mais s’élèvera jusqu’au niveau de la guerre de mouvement.

Elle joue ainsi un double rôle stratégique : d’une part, elle aide aux succès des opérations régulières et, d’autre part, elle se transforme elle-même en guerre régulière (…).

Comme nous l’avons dit plus haut, la Guerre de Résistance prendra, au cours de ses trois étapes stratégiques, les formes suivantes :

Dans la première étape, la forme principale est la guerre de mouvement, les formes auxiliaires la guerre de partisans et la guerre de position.

A la deuxième étape,la guerre de partisans prendra la première place, tandis que la guerre de mouvement et la guerre de position seront les formes auxiliaires.

Dans la troisième étape, la guerre de mouvement redeviendra la forme principale, alors que la guerre de position et la guerre de partisans joueront un rôle auxiliaire.

Mais, dans cette troisième étape, la guerre de mouvement ne sera plus faite seulement par les troupes régulières du début ; elle sera pour une part, et très probablement une part assez importante, assumée par d’anciens détachements de partisans qui auront alors atteint le niveau des troupes régulières.

L’examen de ces trois étapes montre que, dans la Guerre de Résistance menée par la Chine, la guerre de partisans n’est aucunement une chose dont on puisse se passer.

Au contraire, elle est appelée à y jouer un rôle grandiose, encore sans exemple dans l’histoire des guerres de l’humanité.

C’est pourquoi il est absolument indispensable de prélever, sur notre armée régulière de plusieurs millions d’hommes, au moins quelques centaines de milliers d’hommes et de les répartir sur tous les territoires occupés par l’ennemi, où ils appelleront les masses à s’armer et entreprendront avec elles la guerre de partisans.

Les troupes qui auront été détachées à cette fin devront assumer cette tâche sacrée en toute conscience ; elles ne doivent pas penser qu’elles verront leur valeur diminuer parce qu’elles auront moins de grandes batailles à livrer et qu’elles ne pourront, pour un temps, faire figure de héros nationaux.

De telles conceptions sont fausses.

La guerre de partisans n’apporte pas des succès aussi rapides ni une gloire aussi éclatante que la guerre régulière, mais, comme dit le proverbe, « c’est dans un long voyage qu’on voit la force du coursier, et dans une longue épreuve le cœur de l’homme ».

Au cours d’une guerre longue et acharnée, la guerre de partisans apparaîtra dans toute sa puissance; elle n’est certes pas une entreprise ordinaire.

De plus, en éparpillant ses forces, une armée régulière peut entreprendre une guerre de partisans, et en les rassemblant, une guerre de mouvement; ainsi opère la VIIIe Armée de Route.

Le principe adopté par celle-ci est le suivant: « Faire essentiellement une guerre de parti sans, sans se refuser à la guerre de mouvement lorsque les circonstances sont favorables ».

Ce principe est tout à fait juste, alors que les points de vue opposés sont erronés. »

Mao Zedong

Mao Zedong caractérise ainsi la guerre des partisans :

« Pour que la guerre de partisans soit possible, une seule condition suffit: un vaste territoire. Aussi la guerre de partisans a-t-elle existé même dans les temps anciens.

Cependant, la guerre de partisans ne peut etre poursuivie jusqu’au bout que sous la direction du Parti communiste. C’est pourquoi les guerres de partisans dans le passé se sont généralement terminées par la défaite. La guerre de partisans ne peut être victorieuse qu’à notre époque, dans les grands pays où existe un parti communiste, par exemple en Union soviétique à l’époque de la guerre civile, ou en Chine à l’heure actuelle.

Dans la question des opérations militaires, une division du travail entre le Kuomintang et le Parti communiste pendant la Guerre de Résistance, le premier menant de front la guerre tarière et le second les opérations de partisans à l’arrière de l’ennemi, est, dans les conditions actuelles comme dans les conditions générales, nécessaire et tout indiquée; elle répond aux besoins mutuels, assume une coordination des efforts et constitue une entraide.

On comprend dès lors combien est importante et nécessaire la ligne stratégique militaire adoptée par notre Parti, celle du passage des opérations régulières de la deuxième période de la guerre civile aux opérations de partisans de la première période de la Guerre de Résistance.

Les opérations de partisans nous offrent les dix-huit avantages suivants :

1) réduction du territoire occupé par l’ennemi;

2) élargissement des bases d’appui de notre armée;

3) à l’étape de la défensive, coordination avec les opérations régulières menées de front, pour retenir les forces ennemies;

4) à l’étape de stabilisation, possibilité de maintenir fermement les bases d’appui à l’arrière de l’ennemi, afin de favoriser l’entraînement et la réorganisation des troupes régulières qui opèrent de front;

5) à l’étape de la contre-offensive, coordination avec les opérations régulières menées de front, pour recouvrer les territoires perdus;

6) accroissement des effectifs de notre armée avec la rapidité et l’efficacité les plus grandes;

7) développement au maximum du Parti communiste, de sorte que chaque village ait une cellule du Parti;

8) développement le plus large du mouvement de masse, afin que toute la population à l’arrière de l’ennemi, à l’exception de celle de ses points d’appui, puisse s’organiser;

9) possibilité de créer, sur la plus vaste échelle, des organes du pouvoir démocratique antijaponais;

10) développement le plus large de la culture et de l’éducation au service de la Résistance;

11) amélioration des conditions de vie des masses populaires les plus larges;

12) conditions les plus favorables pour désagréger les troupes de l’ennemi;

13) action la plus large et la plus durable sur les sentiments du peuple tout entier et sur le moral de toutes les armées du pays;

14) la plus grande aide possible apportée aux armées et aux partis amis pour les pousser à progresser;

15) adaptation aux conditions dans lesquelles l’ennemi est fort et nous faibles en vue de réduire nos pertes au minimum et de remporter le maximum de victoires;

16) adaptation au fait que la Chine est un grand pays et le Japon un petit pays en vue d’infliger à l’ennemi le maximum de pertes et de réduire ses succès au minimum;

17) formation la plus rapide et la plus efficace d’un grand nombre de cadres dirigeants;

18) conditions les plus favorables pour résoudre les problèmes du ravitaillement.

Il est hors de doute aussi qu’au cours d’une longue lutte les détachements de partisans et la guerre de partisans ne doivent pas se figer sous leur forme initiale et qu’ils doivent se développer pour passer à un niveau supérieur, se transformer peu à peu en armée régulière et en une guerre régulière.

Au cours de la guerre de partisans, nous accumulerons des forces telles que nous deviendrons l’un des facteurs décisifs de l’anéantissement de l’impérialisme japonais. »

Mao Zedong et Jiang Qing

Voici enfin comment Mao Zedong synthétisera par la suite les dix principes fondamentaux d’opération.

«  1. Attaquer d’abord les forces ennemies dispersées et isolées, et ensuite les forces ennemies concentrées et puissantes.

2. S’emparer d’abord des villes petites et moyennes et des vastes régions rurales, et ensuite des grandes villes.

3. Se fixer pour objectif principal l’anéantissement des forces vives de l’ennemi, et non pas la défense ou la prise d’une ville ou d’un territoire. La possibilité de garder ou de prendre une ville ou un territoire résulte de l’anéantissement des forces vives de l’ennemi, et souvent une ville ou un territoire ne peut être tenu ou pris définitivement qu’après avoir changé de mains à plusieurs reprises. »

4. A chaque bataille, concentrer des forces d’une supériorité absolue (deux, trois, quatre et parfois même cinq ou six fois celles de l’ennemi), encercler complètement les forces ennemies, s’efforcer de les anéantir totalement, sans leur donner la possibilité de s’échapper du filet.

Dans des cas particuliers, infliger à l’ennemi des coups écrasants, c’est-à-dire concentrer toutes nos forces pour une attaque de front et une attaque sur l’un des flancs de l’ennemi ou sur les deux, afin d’anéantir une partie de ses troupes et mettre l’autre partie en déroute, de sorte que notre armée puisse déplacer rapidement ses forces pour écraser d’autres troupes ennemies.

S’efforcer d’éviter les batailles d’usure dans lesquelles les gains sont inférieurs aux pertes ou les compensent seulement. Ainsi, bien que dans l’ensemble nous soyons (numériquement parlant) en état d’infériorité, nous avons la supériorité absolue dans chaque secteur déterminé, dans chaque bataille, et ceci nous assure la victoire sur le plan opérationnel. Avec le temps, nous obtiendrons la supériorité dans l’ensemble et finalement nous anéantirons toutes les forces ennemies.

5. Ne pas engager de combat sans préparation, ou un combat dont l’issue victorieuse ne soit pas certaine. Faire les plus grands efforts pour se bien préparer à chaque engagement, faire les plus grands efforts pour s’assurer la victoire dans un rapport de conditions donné entre l’ennemi et nous.

6. Mettre pleinement en oeuvre notre style de combat-bravoure, esprit de sacrifice, mépris de la fatigue et ténacité dans les combats continus (c’est-à-dire engagements successifs livrés en un court laps de temps et sans prendre de repos).

7. S’efforcer d’anéantir l’ennemi en recourant à la guerre de mouvement. En même temps, accorder une grande importance à la tactique d’attaque de positions dans le but de s’emparer des points fortifiés et des villes de l’ennemi.

8. En ce qui concerne l’attaque des villes, s’emparer résolument de tous les points fortifiés et de toutes les villes faiblement défendus par l’ennemi. S’emparer au moment propice de tous les points fortifiés et de toutes les villes modérément défendus par l’ennemi, à condition que les circonstances le permettent. Quant aux points fortifiés et villes de l’ennemi puissamment défendus, attendre que les conditions soient mûres, et alors les prendre.

9. Compléter nos forces à l’aide de toutes les armes et de la plus grande partie des effectifs pris à l’ennemi. Les sources principales d’hommes et de matériel pour notre armée sont au front.

10. Savoir mettre à profit l’intervalle entre deux campagnes pour reposer, instruire et consolider nos troupes. Les périodes de repos, d’instruction et de consolidation ne doivent pas, en général, être très longues, et, autant que possible, il ne faut pas laisser à l’ennemi le temps de reprendre haleine. »

>Sommaire du dossier

La révolution chinoise et le tournant de 1936

L’année 1936 fut véritablement un tournant dans la révolution chinoise.

Le Japon ne cessait d’exercer une pression militaire toujours plus importante, ayant même créé en 1935 un gouvernement fantoche à son service dans la région du Hebei.

La région du Hebei

Toutefois, malgré cela, Tchang Kaï-chek (Jiang Jieshi) se focalisait uniquement sur l’armée rouge, ce qui provoqua des remous dans son camp, au point que les généraux Zhang Xueliang et Yang Hucheng provoquèrent l’incident de Xi’an en décembre 1936.

Tchang Kaï-chek (Jiang Jieshi) fut en effet arrêté pour faire pression sur lui au sujet de cette question, ce qui provoqua un vaste débat dans le kuomintang, qui se vit finalement amené à accepter de s’unir au Parti Communiste dans la bataille anti-japonaise.

L’armée rouge rejoint alors l’Armée nationale révolutionnaire chinoise formée par le kuomintang, en tant que Huitième armée de route et Nouvelle Quatrième armée.

En décembre 1936, Mao Zedong publia également un document intitulé Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine. C’est une étape capitale de l’histoire chinoise, dans la mesure où on assiste à l’émergence de la pensée Mao Zedong.

Mao Zedong

Mao Zedong a, en effet, compris qu’il ne suffisait pas de connaître les lois universelles, il fallait être capable de les retrouver dans le particulier également. Il ne suffit pas de comprendre le marxisme-léninisme, il faut le comprendre dans les conditions chinoises.

Voici comment est présentée la nature de la guerre révolutionnaire en Chine :

« La guerre, qui a commencé avec l’apparition de la propriété privée et des classes, est la forme suprême de lutte pour résoudre, à une étape déterminée de leur développement, les contradictions entre classes, entre nations, entre États ou entre blocs politiques.

Si l’on ne comprend pas les conditions de la guerre, son caractère, ses rapports avec les autres phénomènes, on ignore les lois de la guerre, on ne sait comment la conduire, on est incapable de vaincre.

La guerre révolutionnaire, qu’elle soit une guerre révolutionnaire de classe ou une guerre révolutionnaire nationale, outre les conditions et le caractère propres à la guerre en général, a ses conditions et son caractère particuliers, et c’est pourquoi elle est soumise non seulement aux lois de la guerre en général, mais également à des lois spécifiques.

Si l’on ne comprend pas les conditions et le caractère particuliers de cette guerre, si l’on en ignore les lois spécifiques, on ne peut diriger une guerre révolutionnaire, on ne peut y remporter la victoire.

La guerre révolutionnaire en Chine, qu’il s’agisse d’une guerre civile ou d’une guerre nationale, se déroule dans les conditions propres à la Chine et se distingue de la guerre en général ou de la guerre révolutionnaire en général, par ses conditions et son caractère particuliers.

C’est pourquoi elle a, outre les lois de la guerre en général et les lois de la guerre révolutionnaire en général, des lois qui lui sont propres. Si l’on ne connaît pas toutes ces lois, on ne peut remporter la victoire dans une guerre révolutionnaire en Chine.

C’est pourquoi nous devons étudier les lois de la guerre en général, les lois de la guerre révolutionnaire et, enfin, les lois de la guerre révolutionnaire en Chine. »

Par conséquent, non seulement il est erroné d’apprendre des manuels militaires réactionnaires, mais de plus il ne faut pas apprendre de manière formaliste les manuels militaires soviétiques, étant donné que les conditions chinoises ne sont pas celles de la Russie de 1917 et des années de guerre civile qui s’ensuivirent.

Mao Zedong

Cette démarche permet à Mao Zedong, de par la saisie de la nature particulière de la situation chinoise, de revenir à l’universel et de définir la nature même de la guerre révolutionnaire :

« La guerre, ce monstre qui fait s’entre-tuer les hommes, finira par être éliminée par le développement de la société humaine, et le sera même dans un avenir qui n’est pas lointain.

Mais pour supprimer la guerre, il n’y a qu’un seul moyen: opposer la guerre à la guerre, opposer la guerre révolutionnaire à la guerre contre-révolutionnaire, opposer la guerre nationale révolutionnaire à la guerre nationale contre-révolutionnaire, opposer la guerre révolutionnaire de classe à la guerre contre-révolutionnaire de classe (…).

Lorsque la société humaine en arrivera à la suppression des classes, à la suppression de l’Etat, il n’y aura plus de guerres — ni contre-révolutionnaires, ni révolutionnaires, ni injustes, ni justes.

Ce sera l’ère de la paix perpétuelle pour l’humanité. En étudiant les lois de la guerre révolutionnaire, nous partons de l’aspiration à supprimer toutes les guerres; c’est en cela que réside la différence entre nous autres communistes et les représentants de toutes les classes exploiteuses. »

Cela permet alors d’avoir un aperçu général des rapports internes qui existent au sein du phénomène qu’est la guerre, dans ses dimensions stratégiques.

« Tenir compte du rapport entre l’ennemi et nous;

Tenir compte de la relation entre les diverses campagnes ou entre les diverses phases opérationnelles;

Tenir compte de certains éléments qui sont importants (qui ont une valeur décisive) pour l’ensemble;

Tenir compte des particularités de la situation d’ensemble;

Tenir compte de la relation entre le front et l’arrière;

Tenir compte de la distinction aussi bien que du lien

entre les pertes ou l’usure et leur réparation,

entre le combat et le repos,

la concentration et la dispersion des forces,

l’attaque et la défense,

l’avance et le repli,

les positions couvertes et les positions exposées,

l’attaque principale et l’attaque de soutien,

l’assaut et la fixation, la centralisation et la décentralisation du commandement,

la guerre prolongée et la guerre de décision rapide,

la guerre de position et la guerre de mouvement,

nos propres forces et les forces amies,

telle arme et telle autre,

les supérieurs et les inférieurs,

les cadres et les hommes de troupe,

les vétérans et les nouvelles recrues,

les cadres supérieurs et les cadres inférieurs,

les cadres anciens et les cadres nouveaux,

les régions rouges et les régions blanches,

les anciennes régions rouges et les nouvelles régions rouges,

les régions centrales et les régions périphériques,

les temps chauds et les temps froids,

la victoire et la défaite,

les grandes unités et les petites unités,

l’armée régulière et les forces de partisans,

l’anéantissement de l’ennemi et la conquête des masses,

l’élargissement des rangs de l’Armée rouge et sa consolidation,

le travail militaire et le travail politique,

les tâches anciennes et les tâches présentes,

les tâches présentes et les tâches de l’avenir,

les tâches dans telles conditions et les tâches dans telles autres,

le front fixe et le front mobile,

la guerre civile et la guerre nationale,

telle étape historique et telle autre, etc. »

Cette compréhension dialectique permet au peuple lui-même de devenir le protagoniste de l’histoire, de la guerre révolutionnaire elle-même. Par l’étude, et l’application comme démarche essentielle de réalisation de l’étude, la guerre elle-même devient populaire.

Mao Zedong, tout à droite

Le civil et le militaire deviennent, en période révolutionnaire, deux aspects du même phénomène, à condition de saisir la dimension matérialiste dialectique du problème de fond : que les pensées sont le reflet du mouvement de la matière.

« Entre le civil et le militaire, il existe une certaine distance, mais il n’y a pas entre eux de Grande Muraille, et cette distance peut être rapidement franchie.

Faire la révolution, faire la guerre, voilà le moyen qui permet de la franchir.

Lorsque nous disons qu’il n’est pas facile d’apprendre et d’appliquer ce qu’on a appris, nous entendons par là qu’il n’est pas facile d’étudier quelque chose à fond et de l’appliquer avec une science consommée.

Lorsque nous disons que le civil peut rapidement se transformer en militaire, nous voulons dire qu’il n’est pas du tout difficile de s’initier à l’art militaire.

Pour faire la somme de ces deux affirmations, il convient de se rappeler le vieux proverbe chinois: « Il n’est rien de difficile au monde à qui veut s’appliquer à bien faire ».

S’initier à l’art militaire n’est pas difficile et se perfectionner est aussi possible pour peu qu’on s’applique et qu’on sache apprendre.

Les lois de la guerre, comme les lois de tous les autres phénomènes, sont le reflet dans notre esprit de la réalité objective.

Tout ce qui est en dehors de notre esprit est réalité objective.

En conséquence, notre intention d’apprendre et de connaître porte à la fois sur l’ennemi et sur nous ; ce sont ces deux aspects qui doivent être considérés comme l’objet de notre étude, et le sujet qui étudie, c’est uniquement notre esprit (notre faculté de penser).

Il est des gens capables de bien se connaître eux-mêmes, mais non de connaître l’adversaire; d’autres, de bien connaître l’adversaire, mais non de se connaître eux-mêmes.

Ni les uns ni les autres ne sont en état de venir à bout de l’étude et de l’application pratique des lois de la guerre.

Le précepte contenu dans l’ouvrage du grand théoricien militaire de la Chine antique, Souentse : « Connais ton adversaire et connais-toi toi-même, et tu pourras sans risque livrer cent batailles » se rapporte aux deux étapes celle de l’étude et celle de l’application pratique des connaissances ; il concerne tant la connaissance des lois du développement de la réalité objective que la détermination, sur la base de ces lois, de notre propre action en vue de vaincre notre adversaire.

Nous ne devons pas sous-estimer la valeur de ce précepte. »

Le document Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine est ainsi un vaste bilan des opérations menées jusqu’à présent par l’armée rouge, avec une grande insistance sur la rôle central des contre-offensives suivant les tentatives d’encerclement et d’anéantissement de l’ennemi.

Le principe est celui de la défensive pour permettre l’offensive, ce que Mao Zedong résume de la manière suivante :

« Nous vainquons des effectifs supérieurs avec des effectifs inférieurs – voilà ce que nous déclarons à l’ensemble des forces dominantes de la Chine.

Mais, en même temps, nous vainquons des effectifs inférieurs avec des effectifs supérieurs – voilà ce que nous déclarons à cette partie des forces ennemies avec laquelle nous nous mesurons sur le champ de bataille (…).

« Si on peut gagner, on se bat, sinon on s’en va », telle est la formule populaire pour expliquer le principe de la guerre de mouvement que nous menons actuellement. »

>Sommaire du dossier

La révolution chinoise et la longue marche

De son côté, Jiang Jieshi (Tchang Kaï-Chek) avait été obligé jusque-là de faire face à toute une série de généraux provinciaux en révolte. Il finit par saisir toute la mesure de l’établissement de cette base rouge, et lança de 1930 à 1934 cinq grandes offensives dites d’encerclement et d’anéantissement.

Les quatre premières échouèrent et les contre-offensives furent ravageuses.

Toutefois, la cinquième campagne d’encerclement et d’anéantissement manqua de porter ses fruits. Seule une compréhension approfondie du matérialisme dialectique par Mao Zedong permit au Parti Communiste de Chine de briser l’encerclement de ses troupes d’environ 130 000 hommes par les troupes ennemies d’environ 400 000 hommes.

C’est d’ailleurs à cette occasion que Mao Zedong accéda en tant que tel au poste de dirigeant du Parti.

Mao Zedong

Mieux encore, Mao Zedong organisa une vaste opération de retrait stratégique. C’est « la longue marche », l’armée rouge se divisant en trois blocs distincts et traversant onze provinces, parcourant 12 000 kilomètres, d’octobre 1934 à octobre 1935.

La longue marche fut effroyablement difficile, avec le froid, la faim amenant parfois à manger les plantes sauvages, les escarmouches en moyenne deux fois par jour, les marches de nuit qui eurent lieu 18 fois en raison de l’aviation menaçant l’armée rouge.

La longue marche

En moyenne, 39 kilomètres furent effectués chaque jour, le paquetage étant de dix kilos, avec une couverture, un uniforme d’hiver matelassé, trois paires de chaussures 
de toile, aux semelles de corde ferrées au bout et au talon.

La réussite de la traversée du pont de Luding, constitué de chaînes, malgré les attaques, devint un des symboles de la longue marche, que Mao Zedong décrit dans un poème, avec des notes pour bien saisir les références faites.

L’Armée rouge a tout vu dans ses longues campagnes.
C’est peu que tous ces flots, que toutes ces montagnes.
Les Cinq Chaînes, pour nous, rides de fine houle (2),
Wumeng le mont colossal à dévaler en boule (3).
Le Sable d’or chauffant ses roches flagellées (4),
Dadu tendu d’un pont tout en chaînes gelées (5),
Et Minchan dont la neige immense nous attire (6) :
Quand l’Armée a passé, se répand le sourire.

1) Ayant quitté en octobre 1934 sa base du Jiangxi, l’Armée rouge des Ouvriers et Paysans est arrivée en octobre 1935 dans la base du Shanxi du nord, au bout d’une longue marche de 25 000 lis après avoir passé les provinces : Fujian, Jiqngxi, Ghuangdong, Hunan, Guangxi, Guizhou, Yunnan, Xichang, Sichuan et Gansu. 

2) Cinq chaînes s’étendent sur 4 provinces : Hunan, Guangdong, Guangxi et Guizhou. 

3) Wumeng, chaînes de montagnes sur les confins du Yunnan et du Guizhou. 

4) Nom donné au Yangtsé pour son cours supérieur, précisément la section au Yunnan. 

5) Rivière située au Sichuan sur laquelle est jeté un pont appelé Luding formé de 13 chaînes tendues d’une rive à l’autre.

6) Chaîne située à la frontière du Qinghai, du Gansu et du Sichuan.

Seulement 20-30 000 combattants purent survivre. C’était le prix à payer pour un événement historique : la longue marche eut un immense écho national.

Après avoir résisté aux quatre campagnes d’anéantissement et d’encerclement, l’armée rouge témoignait de sa capacité à échapper à la destruction, pour relancer une nouvelle séquence.

Mao Zedong

La révolution démocratique était inébranlable et Mao Zedong pouvait constater :

« A propos de la Longue Marche, d’aucuns posent la question: « Quelle en est la signification? ».

Nous répondrons que la Longue Marche est la première de ce genre dans les annales de l’histoire.

Elle est à la fois un manifeste, un instrument de propagande et une machine à semer.

Depuis Pan Kou, qui sépara le Ciel de la Terre, depuis les Trois Souverains et les Cinq Empereurs’, l’histoire a-t-elle jamais connu une longue marche comme la nôtre?

Pendant douze mois, dans le ciel, des dizaines d’avions nous traquaient et nous bombardaient chaque jour; sur terre, une force colossale de plusieurs centaines de milliers d’hommes nous encerclait, nous poursuivait, s’opposait à notre avance et nous arrêtait au passage; sur notre chemin, nous nous sommes heurtés à des difficultés et à des dangers incalculables.

Cependant, en nous servant seulement de nos deux jambes, nous avons fait plus de 20.000 lis, traversant en long et en large onze provinces.

Dites-moi, est-ce que dans l’histoire il y a jamais eu une longue marche comme la nôtre?

Non, jamais.

La Longue Marche est un manifeste.

Elle a annoncé au monde entier que l’Armée rouge est une armée de héros, que les impérialistes et leurs valets, Tchiang Kaï-chek et ses semblables, ne sont bons à rien.

Elle a proclamé la faillite de l’impérialisme et de Tchiang Kaï-chek dans leur tentative de nous encercler, de nous poursuivre, de s’opposer à notre avance et de nous arrêter au passage. La Longue Marche est un instrument de propagande.

Elle a fait savoir aux quelque deux cents millions d’habitants des onze provinces traversées que la voie suivie par l’Armée rouge est la seule voie de leur libération.

Sans cette Longue Marche, comment les larges masses populaires auraient-elles pu apprendre aussi rapidement la vérité incarnée par l’Armée rouge? La Longue Marche est aussi une machine à semer.

Elle a répandu dans les onze provinces des semences qui germeront, porteront des feuilles, des fleurs et des fruits, et qui donneront leur moisson dans l’avenir. En un mot, la Longue Marche s’est terminée par notre victoire et par la défaite de l’ennemi.

Qui l’a conduite à la victoire? Le Parti communiste. Sans lui, une longue marche de ce genre eût été inconcevable. Le Parti communiste chinois, sa direction, ses cadres et ses membres n’ont peur d’aucune difficulté, d’aucune épreuve.

Quiconque met en doute notre capacité de diriger la guerre révolutionnaire tombe dans le bourbier de l’opportunisme. »

>Sommaire du dossier

L’intervention japonaise en Chine

Cependant, un autre élément capital commença également à jouer un rôle : l’intervention japonaise en Chine se faisait toujours plus agressive et sanglante.

Prenant prétexte un attentat contre une voie ferrée appartenant à une entreprise chinoise, le 18 Septembre 1931 – attentat monté par les services secrets japonais – le Japon envahit la Mandchourie et créa en février 1932 l’État fantoche du Mandchoukouo.

L’État fantoche du Mandchoukouo

La république chinoise soviétique déclara ainsi en réponse la guerre au Japon, le 15 avril 1932.

Le Parti Communiste était ainsi capable de réaliser une véritable proposition stratégique. Le Parti lui-même avait une solide compréhension de la société chinoise, comme en témoigne son programme en dix points adopté au sixième congrès, en juillet 1928 :

1) renversement de la domination de l’impérialisme ;

2) confiscation des entreprises et des banques appartenant au capital étranger ;

3) unification de la Chine et reconnaissance aux minorités nationales du droit à l’autodétermination ;

4) renversement du gouvernement des seigneurs de guerre du Kuomintang ;

5) établissement du pouvoir des conseils des délégués des ouvriers, des paysans et des soldats ;

6) institution de la journée de huit heures, augmentation des salaires, secours aux chômeurs, assurances sociales, etc. ;

7) confiscation de toutes les terres des propriétaires fonciers et distribution des terres aux paysans ;

8) amélioration des conditions de vie des soldats, distribution à leurs familles des terres auxquelles ils ont droit et attribution de travail à leurs familles ;

9) abolition de toutes les taxes et autres contributions exorbitantes et adoption d’un impôt progressif unique ;

10) union avec le prolétariat mondial et avec l’U.R.S.S.

L’intervention japonaise demandait cependant un réajustement.

Mao Zedong pendant la guerre civile ; à gauche, Zhou Enlai

Mao Zedong analysa par conséquent les réactions à l’invasion japonaise dans les différentes couches sociales, dans La tactique de lutte contre l’envahisseur japonais, en 1935.

Et il formula les corrections à faire.

« Les ouvriers et les paysans réclament la résistance. La révolution de 1924-1927, la révolution agraire de 1927 à nos jours et la vague anti-japonaise qui déferle depuis l’Incident du 18 Septembre 1931 montrent que la classe ouvrière et la paysannerie sont les forces les plus résolues de la révolution chinoise.

La petite bourgeoisie réclame également la résistance. La jeunesse étudiante et la petite bourgeoisie urbaine n’ont-elles pas déjà déclenché un vaste mouvement antijaponais ?

Cette fraction de la petite bourgeoisie chinoise avait participé à la révolution de 1924-1927. Sa situation économique relève, comme celle des paysans, de la petite exploitation, et ses intérêts sont inconciliables avec ceux des impérialistes.

Ses membres ont cruellement souffert de l’impérialisme et de la contre-révolution chinoise, qui ont acculé nombre d’entre eux au chômage et à la ruine totale ou partielle.

Maintenant, sous la menace directe de se voir réduits à l’état d’esclaves coloniaux, ils n’ont plus d’autre issue que la résistance.

Mais comment la bourgeoisie nationale, la bourgeoisie compradore, la classe des propriétaires fonciers et le Kuomintang réagissent-ils devant cette question?

Les grands despotes locaux et mauvais hobereaux, les grands seigneurs de guerre, les gros bureaucrates et les gros compradores ont depuis longtemps pris parti.

Comme toujours, ils soutiennent qu’une révolution – quelle qu’elle soit – est pire que l’impérialisme.

Ils ont constitué le camp de la trahison ; pour eux la question de savoir s’ils seront ou non des esclaves coloniaux ne se pose pas, puisqu’ils ont perdu tout sentiment national et que leurs intérêts sont inséparables de ceux des impérialistes.

Leur champion est Tchiang Kaï-chek. Ce camp de la trahison est l’ennemi juré du peuple chinois.

Sans cette meute de traîtres, l’impérialisme japonais ne se serait jamais lancé dans cette agression avec autant de cynisme. Ils sont les valets de l’impérialisme.

La bourgeoisie nationale pose un problème complexe. Cette classe avait pris part à la révolution de 1924-1927, mais effrayée par le feu de la révolution, elle passa dans le camp de l’ennemi du peuple — la clique de Tchiang Kaï-chek.

Il s’agit de savoir s’il est possible que la bourgeoisie nationale modifie sa position dans les circonstances actuelles.

Nous estimons que cela est possible, car cette classe ne s’identifie pas avec celle des propriétaires fonciers ni avec la bourgeoisie compradore: entre elle et ces dernières, il existe une différence.

La bourgeoisie nationale n’a pas un caractère féodal aussi prononcé que la classe des propriétaires fonciers ni un caractère compradore aussi marqué que la bourgeoisie compradore.

Une fraction de la bourgeoisie nationale, son aile droite, a des liens assez étroits avec le capital étranger et les intérêts fonciers chinois et, pour le moment, nous ne spéculerons pas sur les chances d’un changement de position de sa part.

Le problème se pose pour les autres fractions de la bourgeoisie nationale, qui n’ont pas de liens de ce genre ou qui en ont peu. Nous croyons que, dans cette situation nouvelle, où la Chine se trouve en danger d’être réduite à l’état de colonie, un changement peut se produire dans leur attitude.

Le trait caractéristique de ce changement sera l’hésitation.

D’une part, elles détestent l’impérialisme, d’autre part, elles redoutent une révolution poussée jusqu’au bout: elles balancent entre les deux attitudes.

Cela explique pourquoi dans la période révolutionnaire de 1924-1927 la bourgeoisie nationale avait pris part à la révolution et pourquoi elle passa du côté de Tchiang Kaï-chek à la fin de cette période.

Quelle différence y a-t-il entre l’époque actuelle et celle de 1927, où Tchiang Kaï-chek trahit la révolution? La Chine n’était alors qu’une semi-colonie, elle est aujourd’hui en voie de devenir une colonie.

Au cours de ces neuf années, qu’est-ce que la bourgeoisie nationale a gagné à abandonner son alliée, la classe ouvrière, et à lier amitié avec les propriétaires fonciers et les compradores?

Rien du tout, sinon la ruine totale ou partielle de ses entreprises industrielles et commerciales.

C’est ce qui nous fait conclure à la possibilité d’un changement d’attitude de la bourgeoisie nationale dans les circonstances actuelles.

Quelle sera l’importance de ce changement? L’hésitation en sera la caractéristique générale. Néanmoins, à un certain stade de la lutte, il est possible que l’une des fractions de la bourgeoisie nationale, son aile gauche, participe à la lutte, et qu’une autre passe d’une attitude hésitante à la neutralité (…).

Si notre gouvernement a été fondé jusqu’à présent sur l’alliance des ouvriers, des paysans et de la petite-bourgeoisie urbaine, il nous faut dès maintenant le réorganiser de façon qu’il comprenne des membres de toutes les autres classes désireux de participer à la révolution nationale.

Pour le moment, un tel gouvernement aurait pour tâche essentielle de s’opposer à l’annexion de la Chine par l’impérialisme japonais (…).

Pourquoi transformer la république des ouvriers et des paysans en république populaire?

Notre gouvernement ne représente pas seulement les ouvriers et les paysans, mais toute la nation.

Cela était exprimé implicitement dans notre formule de république démocratique des ouvriers et des paysans, étant donné que les ouvriers et les paysans constituent les 80 à 90 pour cent de la population.

Le Programme en dix points, adopté par le VIe Congrès de notre Parti, exprime non seulement les intérêts des ouvriers et des paysans, mais aussi ceux de la nation tout entière.

La situation présente exige cependant que nous remplacions notre formule par celle de république populaire.

En effet, l’agression japonaise a modifié les rapports de classes en Chine et rendu possible la participation à la lutte antijaponaise de la petite bourgeoisie et même de la bourgeoisie nationale.

Il va de soi que la république populaire ne représentera point les intérêts des classes ennemies.

Au contraire, elle sera directement opposée aux despotes locaux, aux mauvais hobereaux et à la bourgeoisie compradore, laquais de l’impérialisme, et ne les considérera pas comme faisant partie du peuple, exactement comme, à l’inverse, le « Gouvernement national de la République chinoise » de Tchiang Kaï-chek représente seulement les ploutocrates et non les gens du peuple, qui, pour lui, ne font pas partie de la nation.

La population de la Chine étant constituée dans une proportion de 80 à 90 pour cent par les ouvriers et les paysans, la république populaire devra en premier lieu représenter leurs intérêts.

Cependant, en rejetant l’oppression impérialiste pour donner la liberté et l’indépendance à la Chine et en brisant le pouvoir d’oppression des propriétaires fonciers de façon à libérer la Chine du régime semi-féodal, la république populaire profitera non seulement aux ouvriers et aux paysans, mais également aux autres couches du peuple.

Les intérêts des ouvriers, des paysans et du reste du peuple représentent, dans leur totalité, les intérêts de la nation chinoise. La bourgeoisie compradore et la classe des propriétaires fonciers vivent sur le sol chinois, mais elles ne tiennent pas compte des intérêts de la nation, et leurs intérêts sont en conflit avec ceux de la majorité.

Comme nous ne rompons qu’avec cette petite minorité et n’entrons en lutte que contre elle, nous avons le droit de nous appeler les représentants de toute la nation.

Il y a, bien entendu, conflit d’intérêts entre classe ouvrière et bourgeoisie nationale. Il est impossible de développer avec succès la révolution nationale sans donner à son avant-garde, la classe ouvrière, les droits politiques et économiques ainsi que la possibilité de diriger ses forces contre l’impérialisme et ses valets, les traîtres à la nation.

Cependant, si la bourgeoisie nationale adhère au front uni anti-impérialiste, la classe ouvrière et la bourgeoisie nationale auront des intérêts communs.

Durant la période de la révolution démocratique bourgeoise, la république populaire n’abolira pas la propriété privée, à l’exception de celle revêtant un caractère impérialiste ou féodal, et, loin de confisquer les entreprises industrielles et commerciales de la bourgeoisie nationale, elle en encouragera le développement. Nous devons protéger tout capitaliste national qui n’accorde pas son soutien aux impérialistes ou aux traîtres à la nation. »

>Sommaire du dossier

La révolution chinoise : la base rouge du Kiangsi et du Hounan

À l’échec des communistes à Canton répondit l’expression limpide du caractère correct de l’analyse de Mao Zedong sur la paysannerie, amenant un saut qualitatif titanesque pour le Parti Communiste de Chine.

L’épisode historique qui permit l’établissement de cette base fut, en 1927, l’insurrection de la Moisson d’Automne, organisée par Mao Zedong, contre les propriétaires terriens et le Kuomintang (KMT – Parti Nationaliste chinois) dirigé par Jiang Jieshi (Tchang Kaï-Chek).

Ce choix porté par Mao Zedong aboutit alors à la formation d’un bastion dans les régions du Kiangsi (ou Jiangxi) et du Hounan.

Mao Zedong, en 1927

Un autre soulèvement se produisit également dans la capitale du Kiangsi (ou Jiangxi), Nanchang, les communistes rassemblant plus de 20 000 insurgés, échappant ensuite aux opérations de destruction, parcourant 600 kilomètres pour rejoindre les monts Tsing-kang, entre le Kiangsi et le Hounan.

C’était la naissance de l’armée rouge et les communistes disposaient d’un territoire libéré. Leur politique consistait à mener la révolution agraire sur ce territoire, réaliser l’égalité des sexes, instaurer des écoles pour enfants jusqu’à l’âge de quatorze ans, des écoles du soir, abolir l’opium et les jeux de hasard, interdire la pratique des pieds bandés.

En novembre 1928, Mao Zedong pouvait constater la chose suivante :

« Actuellement, c’est seulement en Chine qu’on a vu apparaître, à l’intérieur d’un pays, une ou plusieurs régions où triomphe le pouvoir rouge, au milieu de l’encerclement du pouvoir blanc.

D’après notre analyse, les scissions et les guerres incessantes qui déchirent les classes des compradores et des despotes locaux et mauvais hobereaux sont une des raisons de ce phénomène.

Aussi longtemps que dureront ces scissions et ces guerres, les bases révolutionnaires crées par les forces armées des ouvriers et des paysans pourront subsister et se développer.

Il y faudra, en outre, les conditions suivantes :

1) une bonne base de masse ;

2) une forte organisation du Parti ;

3) une Armée rouge suffisamment puissantes ;

4) un terrain propice aux opérations militaires ;

5) des ressources économiques suffisantes.

Les bases révolutionnaires doivent adopter une stratégie différente à l’égard des forces des classes dominantes qui les entourent, selon qu’il s’agit d’une période de stabilisation temporaire du pouvoir de ces classes dominantes ou d’une période de rupture entre elles. »

À l’été 1930, les communistes disposaient d’une quinzaine de bases, avec environ 65 000 hommes en armes, organisées en treize armées.

Mao Zedong

Voici les trois règles et les huit recommandations pour les soldats, dans leur version finalisée en 1947, mais qui existaient déjà alors :

« Les trois grandes règles de discipline sont les suivantes : 

1) Obéissez aux ordres dans tous vos actes. 

2) Ne prenez pas aux masses une seule aiguille, un seul bout de fil. 

3) Remettez tout butin aux autorités. 

Les huit recommandations sont les suivantes : 

1) Parlez poliment. 

2) Payez honnêtement ce que vous achetez. 

3) Rendez tout ce que vous empruntez. 

4) Payez ou remplacez tout ce que vous endommagez. 

5) Ne frappez pas et n’injuriez pas les gens. 

6) Ne causez pas de dommages aux récoltes. 

7) Ne prenez pas de libertés avec les femmes. 

8) Ne maltraitez pas les prisonniers. »

L’organisation militaire était de plus en plus développée, avec un niveau de discipline toujours plus élevé et un commissaire politique au centre des décisions. C’est le département politique de l’armée qui organisait la nouvelle administration.

Mao Zedong

À cette occasion Mao Zedong dénonça les points de vue erronés, consistant d’un côté en le militarisme, de l’autre en « l’ultra-démocratisme », ainsi qu’en le subjectivisme, l’individualisme, l’égalitarisme absolu, etc.

Mao Zedong constate notamment la chose suivante au sujet de la déviation militariste :

« On s’imagine que les tâches de l’Année rouge sont semblables à celles de l’armée blanche, qu’elles consistent seulement à faire la guerre.

On ne comprend pas que l’Armée rouge chinoise est une organisation armée chargée d’exécuter les tâches politiques de la révolution.

Dans la période actuelle en particulier, l’Armée rouge ne se limite pas du tout aux activités militaires; outre les combats qu’elle doit livrer pour anéantir les forces années de l’adversaire, elle assume encore nombre d’autres tâches importantes: la propagande parmi les masses, l’organisation des masses, l’armement des masses, l’aide donnée aux masses pour créer le pouvoir révolutionnaire, et même l’établissement des organisations du Parti communiste.

L’Armée rouge ne fait pas la guerre pour la guerre, elle la fait dans le but de mener la propagande parmi les masses, d’organiser les masses, de les armer, de les aider à créer le pouvoir révolutionnaire; sans ces objectifs, la guerre n’aurait plus de sens, et l’Armée rouge plus de raison d’être. »

Au sujet de l’ultra-démocratisme, il explique la chose suivante :

« Au point de vue théorique, il faut détruire les racines de l’ultra-démocratisme.

Tout d’abord, il faut montrer que l’ultra-démocratisme menace de saper les organisations du Parti jusqu’à les détruire complètement, qu’il menace d’affaiblir et même de miner tout à fait la capacité combative du Parti, ce qui le mettra hors d’état d’accomplir sa tâche dans les luttes et conduira, par conséquent, la révolution à la défaite.

Il convient de montrer ensuite que l’ultra-démocratisme tire son origine de l’indiscipline petite-bourgeoise.

En pénétrant dans le Parti, celle-ci se traduit, sur le plan politique et sur le plan de l’organisation, par des conceptions ultra-démocratiques, absolument incompatibles avec les tâches de combat du prolétariat. »

Néanmoins, la ligne militariste l’emporta partiellement, avec à sa tête Li Lisan, aboutissant à une offensive tout azimut à l’été 1930, soldée par de lourdes défaites.

Cette erreur fut corrigée, et l’établissement de bases rouges fut suffisamment un succès pour que le 7 novembre 1931 ait lieu le premier congrès des soviets, avec la date choisie en référence à la révolution russe.

Cérémonie de fondation de la république soviétique chinoise, le 7 novembre 1931, dans la province du Kiangsi (ou Jiangxi)

610 délégués, membres des soviets locaux ainsi que du Parti Communiste, de l’armée rouge, des syndicats, y ratifièrent la constitution provisoire de la République chinoise.

Emblème de la première république soviétique chinoise : « Prolétaires et peuples opprimés du monde, unissez-vous ! »

Mao Zedong fut quant à lui élu président de la République le 27 novembre 1931.

>Sommaire du dossier

La révolution chinoise, la paysannerie et le pouvoir rouge

Ce qui est caractéristique de la démarche de Mao Zedong, c’est la reconnaissance de l’importance de la question paysanne. Cela ne faisait initialement pas l’unanimité au sein du Parti Communiste de Chine.

Tchen Tou-sieou avait pris la tête d’une faction combattant Mao Zedong pour cette raison et en réponse Mao Zedong passa trente-deux jours dans le Hounan afin de mener une enquête.

Les propos de Mao Zedong, écrits en mars 1927, témoignent de sa vision politique tout à fait juste : la paysannerie va se mettre en branle, de manière massive.

« L’essor du mouvement paysan est un événement d’une extrême importance. Dans peu de temps, on verra dans les provinces du centre, du sud et du nord de la Chine des centaines de millions de paysans se dresser, impétueux, invincibles, tel l’ouragan, et aucune force ne pourra les retenir.

Ils briseront toutes leurs chaînes et s’élanceront sur la voir de la libération. Ils creuseront le tombeau de tous les impérialistes, seigneurs de la guerre, fonctionnaires corrompus et concussionnaires [qui Profit illicite que l’on fait dans l’exercice d’une fonction publique], despotes locaux et mauvais hobereaux.

Ils mettront à l’épreuve tous les partis révolutionnaires, tous les camarades révolutionnaires, qui auront à prendre leur parti. Nous mettre à la tête des paysans et les diriger ? Rester derrière eux en nous contentant de les critiquer avec force gestes autoritaires ? Ou nous dresser devant eux pour les combattre ?

Tout Chinois est libre de choisir une de ces trois voies, mais les événements obligent chacun à faire rapidement ce choix (…).

La réalité, c’est, comme il l’a été dit plus haut, que les larges masses paysannes se sont soulevées pour accomplir leur mission historique, que dans les campagnes les forces démocratiques se sont soulevées pour renverser les forces féodales.

La classe patriarco-féodale des despotes locaux, des mauvais hobereaux, et des propriétaires fonciers coupables de forfaits forme la base de cet absolutisme qui dure depuis des millénaires, et c’est sur elle que s’appuient les impérialistes, les seigneurs de la guerre et les fonctionnaires corrompus et concussionnaires.

Le but véritable de la révolution nationale est précisément de renverser ces forces féodales.

Pendant quarante ans, le Dr Sun Ya-Tsen a consacré toutes ses forces à la révolution nationale ; ce qu’il a voulu mais n’a jamais pu réaliser, les paysans l’ont accompli en quelques mois. »

Cette question démocratique forme l’aspect principal : Mao Zedong a compris que l’oppression nationale que connaît la Chine repose sur sa base féodale.

Le mouvement paysan, en renversant la féodalité, permet une poussée démocratique qui a une dimension historique. Les unions paysannes bousculent le panorama traditionnel, amenant le pouvoir féodal à s’effondrer.

La base même de la réalité sociale est bouleversée et pour que cela aille jusqu’au bout, il faut que le Parti Communiste assume entièrement la révolution démocratique, dans toute sa dimension anti-féodale c’est-à-dire en dirigeant le mouvement paysan.

Voici comment Mao Zedong précise la nature de cette base féodale :

« Les hommes se trouvent ordinairement soumis, en Chine, à l’autorité de trois systèmes :

1. Le système d’État ou le pouvoir politique : les organes du pouvoir à l’échelon de l’État, de la province, du district et du canton.

2. Le système du clan ou le pouvoir clanique : le temple des ancêtres du clan, le temple des ancêtres de la lignée, les chefs de la famille.

3. Le système des puissances surnaturelles ou le pouvoir religieux, constitué par les forces souterraines : le Souverain suprême de l’Enfer, le dieu protecteur de la Cité et les divinités locales, par les forces célestes : dieux et divinités, depuis le Souverain suprême du Ciel jusqu’aux esprits de toute espèce ; ensemble, ces forces constituent le système des puissances de l’au-delà.

Quant aux femmes, elles se trouvent en outre sous l’autorité des hommes ou le pouvoir marital.

Ces quatre formes de pouvoir — politique, clanique, religieux et marital — représentent l’ensemble de l’idéologie et du système féodalo-patriarcaux et sont les quatre grosses cordes qui ligotent le peuple chinois et en particulier la paysannerie. »

C’est cette réalité qui fait que, comme Mao Zedong le formule en octobre 1928, le « pouvoir rouge » peut exister en Chine. En effet, le mouvement paysan se développe alors que le pays est en proie au chaos, que l’impérialisme japonais décide d’envoyer des troupes à la mi-1928, afin d’empêcher l’écrasement des seigneurs de la guerre au nord du pays.

Par conséquent, il y a un espace pour un mouvement démocratique qui s’exprime directement par la lutte armée anti-féodale. Voici comment Mao Zedong explique sa pensée :

« L’existence prolongée, dans un pays, d’une ou de plusieurs petites régions où triomphe le pouvoir rouge, au milieu de l’encerclement du pouvoir blanc, constitue un fait absolument nouveau dans l’histoire du monde.

Pour qu’un phénomène aussi exceptionnel ait pu se produire, il a fallu des raisons particulières; pour qu’il subsiste et se développe, il faut des conditions appropriées.

I. Il ne peut se produire dans aucun pays impérialiste, ni même dans une colonie se trouvant sous la domination directe de l’impérialisme ; il ne peut se produire que dans un pays économiquement arriéré, semi-colonial, comme la Chine, qui se trouve sous la domination indirecte de l’impérialisme.

C’est qu’un phénomène aussi exceptionnel tient nécessairement à un autre phénomène non moins exceptionnel: la guerre entre les différents groupes représentant le pouvoir blanc.

L’une des caractéristiques de ce pays semi-colonial qu’est la Chine, c’est que depuis la première année de la République, les différentes cliques d’anciens et de nouveaux seigneurs de guerre soutenues par les impérialistes comme par les compradores, les despotes locaux et mauvais hobereaux se font continuellement la guerre.

Nous ne trouvons absolument rien de semblable ni dans les pays impérialistes ni même dans les colonies soumises à la domination directe de l’impérialisme; ce phénomène existe seulement en Chine, pays sous la domination indirecte de l’impérialisme.

Il est dû à deux raisons: l’existence d’une économie agricole locale (non d’une économie capitaliste unique pour tout le pays) et la politique de division et d’exploitation poursuivie par les pays impérialistes à l’égard de la Chine qu’ils partagent en zones d’influence.

Les scissions et les guerres intestines prolongées du pouvoir blanc ont créé des conditions telles qu’il a été possible à une ou plusieurs petites régions rouges, dirigées par le Parti communiste, de se constituer et de subsister au milieu de l’encerclement blanc.

Le territoire ainsi arraché à la région frontière du Hounan et du Kiangsi constitue justement un exemple de ces nombreuses petites régions. Dans les heures difficiles ou critiques, certains camarades se mettent souvent à douter qu’un tel pouvoir rouge puisse exister et ils deviennent pessimistes.

C’est parce qu’ils n’ont pas su trouver l’explication correcte des causes qui président à la naissance et à l’existence de ce pouvoir rouge.

Il suffit de se rendre compte que les scissions et les guerres intestines au sein du pouvoir blanc en Chine se succèdent continuellement pour être convaincu que le pouvoir rouge peut voir le jour, subsister, et même se développer de plus en plus.

2. Ce n’est pas dans les régions de la Chine qui ont échappé à l’influence de la révolution démocratique, telles que le Setchouan, le Koueitcheou, le Yunnan et les provinces du Nord, mais dans celles qui ont vu, en 1926-1927, au cours de la révolution démocratique bourgeoise, le puissant soulèvement de larges masses d’ouvriers, de paysans et de soldats, par exemple le Hounan, le Kouangtong, le Houpei, le Kiangsi, que le pouvoir rouge apparaît de préférence et peut se maintenir longtemps.

Dans de nombreuses parties de ces provinces, un réseau étendu d’organisations syndicales et d’unions paysannes s’était alors formé; les ouvriers et les paysans avaient mené de nombreuses luttes économiques et politiques contre les propriétaires fonciers, les despotes locaux, les mauvais hobereaux et la bourgeoisie.

C’est pourquoi on a vu s’établir à Canton et s’y maintenir pendant trois jours le pouvoir populaire urbain; dans les districts de Haifeng et de Loufeng, dans l’est et le sud du Hounan, dans la région frontière du Hou-nan et du Kiangsi, dans le district de Houangan, province du Houpei, a existé le pouvoir politique des paysans.

Quant à l’Armée rouge actuelle, elle est sortie de l’Armée révolutionnaire nationale qui avait été instruite politiquement dans un esprit démocratique tout en subissant l’influence des masses ouvrières et paysannes.

Des troupes qui, comme celles de Yen Si-chan et de Tchang Tsouo-lin, n’ont reçu aucune formation politique d’inspiration démocratique et n’ont aucunement subi l’influence des masses ouvrières et paysannes ne peuvent sûrement pas fournir les hommes nécessaires à la formation de l’Armée rouge.

3. Que le pouvoir populaire puisse ou non subsister longtemps dans les petites régions où il s’est établi, cela dépend de l’évolution de la situation révolutionnaire à l’échelle nationale.

Si cette situation évolue favorablement, il ne fait aucun doute que les petites régions rouges pourront subsister pendant une longue période ; bien plus, elles deviendront nécessairement l’une des nombreuses forces qui assureront la conquête du pouvoir à l’échelle nationale. Par contre, si la situation révolutionnaire n’évolue pas favorablement, si une période relativement longue de stagnation intervient, l’existence prolongée de petites régions rouges de-viendra impossible.

Actuellement, étant donné les scissions et les guerres qui se poursuivent dans le camp des compradores et des despotes locaux et mauvais hobereaux, ainsi que dans le camp de la bourgeoisie internationale, la situation révolutionnaire continue à se développer favorablement en Chine.

C’est pourquoi il ne fait pas de doute que les petites régions rouges peuvent subsister pendant longtemps, elles vont même s’agrandir, rapprochant ainsi le jour où nous conquerrons le pouvoir dans tout le pays.

4. La présence d’une Armée rouge suffisamment forte est une condition indispensable à l’existence du pouvoir rouge. Si, au lieu de l’Armée rouge, on ne dispose que de détachements locaux de la Garde rouge, on arrive tout au plus à tenir tête aux milices de ferme, mais non aux troupes régulières des Blancs.

Et ainsi, même avec l’appui des masses ouvrières et paysannes actives, il est absolument impossible de créer des bases révolutionnaires, et, à plus forte raison, d’en assurer l’existence prolongée et le développement ininterrompu si des forces régulières suffisantes nous font défaut. C’est pourquoi la création de bases révolutionnaires à l’aide des forces armées des ouvriers et des paysans est une idée très importante dont tous les membres du Parti doivent se pénétrer, ainsi que les masses ouvrières et paysannes des bases révolutionnaires.

5. La possibilité, pour le pouvoir rouge, de subsister pendant une longue période et de se développer dépend, outre les conditions précitées, d’une autre condition importante: que l’organisation du Parti communiste soit forte et sa politique juste. »

Il existe un espace pour toute une séquence politique : Mao Zedong avait analysé la situation et le Parti Communiste allait appliquer sa pensée.

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Mao Zedong et son analyse des classes de la société chinoise

Mao Zedong (毛泽东) est né le 26 décembre 1893 à Shaoshan, dans la province du Hunan, une province au sud du Yanzi Jiang, le grand fleuve chinois. 

La famille de Mao était traversée de contradictions fréquentes entre sa mère, généreuse et compatissante envers les pauvres, et son père, autoritaire, violent (qui battait fréquemment ses enfants), amassant son argent.

Dans le contexte de la féodalité pliant devant l’impérialisme, le jeune Mao Zedong rejoignit une école pour étudier, puis l’armée révolutionnaire du Hunan jusqu’à la fin de la guerre civile au Printemps 1912. Il sera par la suite diplômé de l’école normale du Hunan en 1918, et finalement assistant bibliothécaire à l’Université de Pékin, fréquentant des progressistes.

Il s’engage dans une réflexion critique de la société chinoise, dont l’un des témoignages les plus connus est son article de 1919: « Le suicide de Mademoiselle Chao », une critique très approfondie des mariages arrangés et du patriarcat.

Il participe logiquement, en juillet 1921 dans la ville de Shanghai, à la fondation du Parti Communiste de Chine, dont il deviendra rapidement l’un des principaux activistes et le penseur de la révolution agraire, notamment après le coup contre-révolutionnaire de 1927 à Shanghai.

C’est que Mao Zedong est celui qui a développé de la manière la plus approfondie l’étude de la situation chinoise, de son niveau de développement, de la situation de la lutte des classes et notamment de la paysannerie.

Son œuvre magistrale est ici, écrite en mars 1926, son analyse des classes de la société chinoise.

De manière fort logique, il accorde une importante attention à la bourgeoisie compradore, composée des gérants chinois d’entreprises commerciales appartenant à des pays impérialistes.

Ils jouent un rôle déterminant, de par la situation des forces productives en Chine à l’époque. Mao Zedong dit par conséquent que :

« Dans ce pays économiquement arriéré, semi-colonial, qu’est la Chine, la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie compradore sont de véritables appendices de la bourgeoisie internationale et dépendent de l’impérialisme quant à leur existence et développement.

Ces classes représentent les rapports de production les plus arriérés et les plus réactionnaires de la Chine et font obstacle au développement des forces productives du pays. Leur existence est absolument incompatible avec les buts de la révolution chinoise. »

Il y a ainsi lieu de distinguer la bourgeoisie compradore de la bourgeoisie nationale, qui est faible, hésitante. Elle aimerait se débarrasser de la présence impérialiste, mais elle sent que cela va avec un engagement anti-impérialiste et démocratique la dépassant largement.

Il y a lieu également de porter une attention particulière à la petite-bourgeoisie, définie comme suit :

« Appartiennent à la petite bourgeoisie les paysans propriétaires, les propriétaires d’entreprises artisanales, les couches inférieures des intellectuels – étudiants, enseignants des écoles primaires et secondaires, petits fonctionnaires, petits employés, petits avocats – et les petits commerçants. »

La couche supérieure, la plus aisée, de la petite-bourgeoisie, aimerait rejoindre la classe supérieure, tandis que les couches intermédiaires vont dans le bon sens sans assumer réellement, contrairement aux couches les plus pauvres.

Cependant, cette division n’a de sens que de manière relative. En effet, selon Mao Zedong :

« En temps normal, ces trois groupes de la petite bourgeoisie ont chacun une attitude différente à l’égard de la révolution.

Mais en temps de guerre, c’est-à-dire dans une période d’essor révolutionnaire, dès que l’aurore de la victoire commence à luire, on voit participer à la révolution non seulement les éléments de gauche de la petite bourgeoisie, mais également les éléments du centre ; et même les éléments de droite, emportés par le flux de l’élan révolutionnaire du prolétariat et des éléments de gauche de la petite bourgeoisie, sont contraints de suivre le courant de la révolution. »

À cela s’ajoute ce que Mao Zedong appelle le semi-prolétariat et qu’il définit de la manière suivante :

« Nous rattacherons au semi-prolétariat :

1) l’écrasante majorité des paysans semi-propriétaires ;

2) les paysans pauvres ;

3) les petits artisans ;

4) les commis  ;

5) les marchands ambulants.

L’écrasante majorité des paysans semi-propriétaires et les paysans pauvres forment une masse rurale énorme. Et ce qu’on appelle le problème paysan est essentiellement leur problème. »

À chaque fois, Mao Zedong définit de manière précise en quoi consiste le mode de vie de ces différentes strates du semi-prolétariat.

Enfin, il parle du prolétariat industriel, dont il rapproche certaines couches sociales :

« Le prolétariat industriel moderne compte en Chine environ deux millions de représentants.

Ce nombre réduit s’explique par le retard de la Chine sur le plan économique. Les ouvriers d’industrie sont principalement employés dans cinq secteurs : les chemins de fer, les mines, les transports maritimes, l’industrie textile et les chantiers navals ; il faut ajouter qu’un grand nombre d’entre eux sont sous le joug du capital étranger. Bien que faible en effectif, le prolétariat industriel incarne les nouvelles forces productives, constitue la classe la plus progressiste de la Chine moderne et est devenu la force dirigeante du mouvement révolutionnaire (…).

Les coolies des villes constituent aussi une force digne d’une sérieuse attention. Ce groupe comprend surtout les dockers et les tireurs de pousse, et également les vidangeurs et les éboueurs.

Comme ils n’ont rien d’autre que leurs bras, les travailleurs de ce groupe sont proches, par leur condition économique, des ouvriers de l’industrie et ne leur cèdent que par le degré de concentration et l’importance de leur rôle dans la production. L’agriculture capitaliste moderne est encore faiblement développée en Chine.

Le terme de prolétariat agricole désigne les salariés agricoles embauchés pour l’année ou travaillant au mois ou à la journée. Dépourvus de terre et de matériel agricole, et aussi de tout moyen financier, ils ne peuvent subsister qu’en vendant leur force de travail.

De tous les ouvriers, ce sont eux qui ont la plus longue journée de travail et le salaire le plus bas, eux qui sont les plus mal traités et en butte à la plus grande insécurité d’emploi. Soumis aux privations les plus lourdes, ce groupe de la population rurale occupe dans le mouvement paysan une position aussi importante que celle des paysans pauvres. »

Mao Zedong note également l’existence d’un lumpenproletariat, composé de paysans et d’ouvriers artisanaux dans une extrême précarité, pouvant aller dans un sens révolutionnaire s’ils sont correctement dirigés : il s’agit bien entendu ici des couches ayant porté le mouvement historique des boxeurs.

Mao Zedong conclut alors avec l’interprétation suivante :

« Il ressort de tout ce qui vient d’être dit que tous les seigneurs de guerre, les bureaucrates, les compradores et les gros propriétaires fonciers qui sont de mèche avec les impérialistes, de même que cette fraction réactionnaire des intellectuels qui en dépend, sont nos ennemis.

Le prolétariat industriel est la force dirigeante de notre révolution.

Nos plus proches amis sont l’ensemble du semi-prolétariat et de la petite bourgeoisie.

De la moyenne bourgeoisie toujours oscillante, l’aile droite peut être notre ennemie et l’aile gauche notre amie ; mais nous devons constamment prendre garde que cette dernière ne vienne désorganiser notre front. »

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