Une saison en enfer, la couverture de l’oeuvre de 1873
Après avoir quitté Paul Verlaine, Arthur Rimbaud revint en Angleterre, mais publia entre-temps à compte d’auteur, en octobre 1873, le recueil Une saison en enfer, qu’il écrivit lors d’un séjour chez sa mère dans les Ardennes, dans une fermé l’écart de Charleville.
Une saison en enfer fut un fiasco, la scène
littéraire boycottant de toutes façons Arthur Rimbaud en raison du
scandale ayant amené Paul Verlaine à se retrouver en prison.
En elle-même, l’œuvre est par ailleurs d’une faiblesse inouïe,
jouant sur les poncifs littéraires : une utilisation
systématique de la première personne du singulier, des références
au diable, au démon, à l’enfer, à la damnation, à Satan, etc..
A cela s’ajoute l’esprit provocateur (en parlant des Gaulois :
« D’eux, j’ai : l’idolâtrie et l’amour du
sacrilège ; — oh ! tous les vices, colère, luxure, —
magnifique, la luxure ; — surtout mensonge et paresse. »)…
Des références exotiques (Gaulois, Scandinaves c’est-à-dire
vikings , Mongols, le Coran…).
Ainsi bien entendu que le mysticisme (« C’est la vision
des nombres. Nous allons à l’Esprit. C’est très-certain, c’est
oracle, ce que je dis. »), et les régulières accumulations
pour frapper les esprits (« Faim, soif, cris, danse, danse,
danse, danse ! »).
Sans oublier le culte des images « fortes » (« je
voyais une mer de flammes et de fumée au ciel ; et, à gauche,
à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de
tonnerres. »).
A quoi s’ajoute une affirmation d’amoralisme quasi nietzschéen,
teinté de racisme (« je n’ai pas le sens moral, je
suis une brute (…) Je suis une bête, un nègre. »).
Toute cette autosatisfaction provocatrice se résume bien par le
propos suivant :
« Maintenant je suis maudit, j’ai horreur de la
patrie. Le meilleur, c’est un sommeil bien ivre, sur la grève. »
C’est le poète qui s’imagine contestataire, marginal, rebelle,
alors qu’il passe totalement à côté du mouvement ouvrier naissant
et se complaît dans une pseudo-quête esthétique.
C’est un mysticisme para-religieux, une fuite en avant dans une
poésie censée redessiner le monde lui-même. Un passage d’Une
saison en enfer est connu pour refléter cette approche.
Intitulé Alchimie du verbe, on y lit au début le
passage suivant :
« À moi. L’histoire d’une de mes folies.
Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les
paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la
peinture et de la poésie moderne.
J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes,
décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ;
la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans
orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres
de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.
Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n’a
pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion
étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de
continents : je croyais à tous les enchantements.
J’inventai la couleur des voyelles !
— A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert.
— Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec
des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique
accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la
traduction.
Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences,
des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges. »
C’est là une quête de totalité purement subjectiviste, comme si
Georges Sorel avait tenté d’écrire de la poésie, avec une approche
vitaliste, sous la forme d’un « élan », d’un vertige
total censé être créateur, avec donc non plus l’action (syndicale)
comme clef, mais la poésie comme regard censé être transformateur
en lui-même.
Arthur Rimbaud affirme ainsi qu’il sait « aujourd’hui
saluer la beauté » et il a réussi, avec le sens de la
formule, à fournir une certaine aura eschatologique,
pseudo-révolutionnaire, à sa prose :
« — Il a peut-être des secrets pour
changer la vie ?
Non, il ne faitqu’en chercher, me répliquais-je
(…). Il faut être absolument moderne (…). Et à l’aurore,
armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides
villes. »
Henri Fantin-Latour , Coin de table, 1872 gros plan sur Paul Verlaine et Arthur Rimbaud
Au cours de ce périple décadent, Arthur Rimbaud théorisa la démarche subjectiviste d’appréhension du monde au moyen de la désorganisation, l’éparpillement, la déconstruction selon ses propres désirs.
Il en formula notamment les contours dans une lettre depuis
fameuse, dite « du voyant », écrite à Paul Demeny le 15
mai 1871.
Le début de la lettre vise à surpasser l’affirmation romantique,
au nom d’une prétention subjectiviste à aller plus loin, à être
plus pur encore dans une démarche se voulant totale, à ceci près
qu’il n’y a strictement aucun contenu d’affirmé.
Cela reflète uniquement l’affirmation du moi bourgeois, du moi
auto-centré. Voici comment Arthur Rimbaud formule la chose :
« — Voici de la prose sur l’avenir de la poésie
-Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque ; Vie
harmonieuse. — De la Grèce au mouvement romantique, — moyen-âge,
— il y a des lettrés, des versificateurs.
D’Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir
Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire
d’innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le
fort, le grand. — On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses
hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd’hui aussi ignoré que
le premier venu auteur d’Origines. — Après Racine, le jeu
moisit. Il a duré deux mille ans !
Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m’inspire plus
de certitudes sur le sujet que n’aurait jamais eu de colères un
jeune-France. Du reste, libre aux nouveaux ! d’exécrer les
ancêtres : on est chez soi et l’on a le temps.
On n’a jamais bien jugé le romantisme ; qui
l’aurait jugé ? les critiques !! Les romantiques, qui
prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l’œuvre,
c’est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur ?
Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon,
il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste
à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute :
je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement
dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.
Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi
que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces
millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ! ont
accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en
clamant les auteurs ! »
L’affirmation selon laquelle « Je est un autre » –
c’est-à-dire selon laquelle on peut comme s’observer, observer sa
propre existence, est un prolongement direct de René Descartes et de
son Cogito ergo sum ; c’est une interprétation historiquement
française, due à l’échec du protestantisme, à un matérialisme
incapable d’être empiriste.
« Assister à l’éclosion » de sa propre pensée
correspond précisément à ce qu’on retrouvera chez Albert Camus et
le courant du « Nouveau roman », dans l’éloge
subjectiviste de sa propre individualité comme seule réalité
tangible et observable.
D’où la réduction de l’existence à sa propre observation, sa
propre expérimentation, que l’on trouve dans la lettre, qui raconte
qu’auparavant, l’humanité n’avait pas saisi la « plénitude du
grand songe », c’est-à-dire l’acceptation de la reconnaissance
de son individualité comme seule réalité, comme une sorte de songe
en tant que tel.
« L’étude de ce passé charme les curieux :
plusieurs s’éjouissent à renouveler ces antiquités : —
c’est pour eux.
L’intelligence universelle a toujours jeté ses idées,
naturellement ; les hommes ramassaient une partie de ces fruits
du cerveau : on agissait par, on en écrivait des livres :
telle allait la marche, l’homme ne se travaillant pas, n’étant
pas encore éveillé, ou pas encore dans la plénitude du grand
songe.
Des fonctionnaires, des écrivains : auteur,
créateur, poète, cet homme n’a jamais existé !
La première étude de l’homme qui veut être poète
est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il
l’inspecte, il la tente, l’apprend.
Dès qu’il la sait, il doit la cultiver ; cela
semble simple : en tout cerveau s’accomplit un développement
naturel ; tant d’égoïstes se proclament auteurs ; il en
est bien d’autres qui s’attribuent leur progrès intellectuel !
— Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse : à l’instar
des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s’implantant et se
cultivant des verrues sur le visage.
Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné
dérèglement de tous les sens.
Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ;
il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en
garder que les quintessences.
Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de
toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade,
le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car
il arrive à l’inconnu !
Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus
qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il
finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues !
Qu’il crève dans son bondissement par les choses
inouïes et innombrables : viendront d’autres horribles
travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre
s’est affaissé ! »
Le poète n’est pas ici voyant au sens de quelqu’un découvrant
l’avenir, lisant la réalité, mais bien voyant car il se voit
lui-même ; il est sa propre aventure.
La lettre continue de la manière suivante, après qu’Arthur
Rimbaud y ait intercalé des vers et quelques remarques :
« Il est chargé de l’humanité,
des animaux même ; il devra faire sentir, palper,
écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a
forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de
l’informe. Trouver une langue ;
— Du reste, toute parole étant idée, le temps d’un
langage universel viendra !
Il faut être académicien, — plus mort qu’un
fossile, — pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce
soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de
l’alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie !-
Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant
tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et
tirant.
Le poète définirait la quantité d’inconnu
s’éveillant en son temps dans l’âme universelle : il
donnerait plus — (que la formule de sa pensée, que la notation de
sa marche au Progrès ! Enormité devenant norme, absorbée par
tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès !
Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez ; —
Toujours pleins du Nombre et de l’Harmonie ces poèmes seront faits
pour rester. — Au fond, ce serait encore un peu la Poésie grecque.
L’art éternel aurait ses fonctions ; comme les poètes sont
citoyens. La Poésie ne rhythmera plus l’action, elle sera en
avant. »
La voyance est purement spirituelle ; si Arthur Rimbaud dit
que l’avenir sera matérialiste, il le fait au sens où pour lui, la
réalité matérielle est façonnée par le « Nombre » et
« l’Harmonie », conformément à l’interprétation
idéaliste de Pythagore et de Platon.
La matière est dessinée par la spiritualité et en ce sens le
poète « voyant » redessine le monde. On est ici
totalement éloigné du romantisme authentique, au sens d’une
affirmation des sens, de la Nature.
Il est vrai que le romantisme français ne consiste déjà pas en
cela – contrairement aux romantismes allemand et anglais. Mais chez
Arthur Rimbaud, on va encore plus loin dans la dénaturation du
romantisme comme aventure esthétique en soi.
On est ici dans une révolte sans contenu, une esthétique de la
contestation au nom d’une contestation du manque de l’esthétique ;
c’est un esprit mi-anarchiste, mi-nihiliste, avec un vitalisme de
type quasi fasciste.
Voici comment Arthur Rimbaud réécrit l’histoire du romantisme,
assimilant d’ailleurs le Parnasse au romantisme, comme « seconds
romantiques » :
« Les premiers romantiques ont été voyants sans
trop bien s’en rendre compte : la culture de leurs âmes s’est
commencée aux accidents : locomotives abandonnées, mais
brûlantes, que prennent quelque temps les rails.
— Lamartine est quelquefois voyant, mais étranglé par
la forme vieille. — Hugo, trop cabochard, a bien du vu dans les
derniers volumes : Les Misérables sont un vrai poème (…).
Musset est quatorze fois exécrable pour nous,
générations douloureuses et prises de visions, — que sa paresse
d’ange a insultées ! Ô ! les contes et les proverbes
fadasses ! Ô les nuits ! Ô Rolla, Ô Namouna, Ô la
Coupe ! Tout est français, c’est-à-dire haïssable au
suprême degré ; français, pas parisien ! (…)
Les seconds romantiques sont très voyants : Th.
Gautier, Lec. de Lisle, Th. de Banville.
Mais inspecter l’invisible et entendre l’inouï étant
autre chose que reprendre l’esprit des choses mortes, Baudelaire
est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. Encore a-t-il
vécu dans un milieu trop artiste ; et la forme si vantée en
lui est mesquine — les inventions d’inconnu réclament des formes
nouvelles. »
Arthur Rimbaud avait tracé une perspective où le contenu était nié, au nom des formes nouvelles. Il va en ce sens effectuer deux tentatives, avec Une saison en enfer, puis avec Illuminations qui consistent en des rêves censés exprimer des sortes de visions éveillées.
Le Dormeur du val est le poème le plus connu du Recueil de Douai laissé par Arthur Rimbaud ; il en est effet le plus réussi. Cela signifie, cependant, qu’il est uniquement techniquement réussi.
En fait, il correspond à un véritable blocage dans la poésie française, qui n’atteint pas une dimension psychologique et une fluidité adéquate pour être marquante, universelle. C’est ce qu’avaient compris Baudelaire et Paul Verlaine.
D’ailleurs, tout le symbolisme cherchera – vainement – de dépasser ce rationalisme réducteur qu’est le Parnasse, dont on a ici finalement un brillant exemple.
Sur le plan formel, ce poème est ainsi impeccable, il représente un vrai travail stylistique, il possède une dimension critique de la guerre. Mais il n’a pas d’âme, ni de rythme ; il n’a aucune profondeur et n’interpelle que par le paradoxe : le soldat jeune dans l’herbe, comme on l’apprend dans le dernier vers conformément au principe du sonnet avec sa chute finale, est mort ou en train de mourir.
On notera, en effet, que contrairement à l’explication classique et unilatérale, la méthode employée ici témoigne nettement que le soldat est en train de mourir ou vient de mourir. Il y a une correspondance directe entre les trous dans le corps et le val format un trou dans la montagne, où justement coule une rivière, allusion au sang qui coule.
Cependant, au-delà de sa réussite formelle, il n’est également que réussite formelle. Il est par là même très en-deça de la force, de la densité des tragédies de Racine.
Voici le poème en tant que tel.
Le Dormeur du val
C’est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au coté droit.
Maintenant, regardons le poème sous deux aspects : le val d’un côté, la nature de l’autre.
Le Dormeur du val
C’est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au coté droit.
Deux autres aspects doivent maintenant attirer notre attention : la lumière et le mouvement.
Le Dormeur du val
C’est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui moussede rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumièrepleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au coté droit.
On peut désormais regarder le sommeil (au sens aussi d’être allongé) et la jeunesse. On notera – autre exemple de déviation dans un esprit purement technique – que les trois premières lettres des derniers vers forment le mot lit.
Le Dormeur du val
C’est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans lefraiscresson bleu, Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfantmalade, il fait un somme : Nature,berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au coté droit.
On peut désormais s’attarder sur les parties du corps (sauf le visage, la tête), ainsi que sur les termes de localisation spatiale.
Le Dormeur du val
C’est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil,la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges aucoté droit.
Regardons de manière spécifique le visage, la tête, ainsi que l’humidité.
Le Dormeur du val
C’est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuquebaignantdans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumièrepleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au coté droit.
Repérons les couleurs, ainsi que la maladie, la faiblesse.
Le Dormeur du val
C’est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au coté droit.
Techniquement, c’est un admirable collage, un assemblage méthodique. Cependant, c’est simplement propre et bien construit, avec l’idée de rupture à la toute fin comme seule dynamique, au-delà de la cohérence du tout. Il n’y a pas d’âme.
Né à Charleville dans les Ardennes, avec son père capitaine
d’infanterie qui quittera totalement le foyer et sa mère paysanne,
Arthur Rimbaud fut tout d’abord un élève de l’Institution Rossat.
Il s’agit d’une institution privée accueillant les enfants des
couches sociales supérieures de Charleville, disposant d’importants
moyens : installations de travaux pratiques dédiées aux études
scientifiques et industrielles, un amphithéâtre, un gymnase.
A partir de la 6e, il rejoint le collège municipal, écrit une
lettre en vers latins au Prince impérial en 1868 (à laquelle le
précepteur rédigera une réponse, à la surprise du collège). Il
remporte le premier prix au Concours de vers latins de l’Académie
pour les classes de seconde, trois de ses poèmes étant publiés
dans le bulletin officiel de l’Académie de Douai : « Ver
erat », « Jamque novus », « Jugurtha ».
Il gagnera ensuite encore six premiers prix. Il profite ensuite de
l’arrivée d’une jeune professeur de lettres, Georges Izambard,
donnant des cours de rhétorique aux premières en option littéraire.
Arthur Rimbaud envoie alors des poèmes à Théodore de Bainville,
s’offusque du patriotisme particulièrement prégnant en 1870,
refusant au début août de la même année la proposition faite par
d’autres lauréats d’un prix qu’il avait gagné de ne pas recevoir
les livres profits en soutien à l’effort de guerre.
A la fin du mois, il décide alors de s’enfuit sans prévenir
personne, mais il est arrêté à la gare du Nord de Paris et envoyé
en prison. Georges Izambard envoie de l’argent pour le libérer et
l’accueille à Douai pendant trois semaines, et tous deux décident
de soutenir la République en s’engageant dans la Garde nationale.
Arthur Rimbaud est cependant refusé en raison de son jeune âge,
mais il soutient les initiatives de Georges Izambard, écrivant pour
lui un appel au maire de Douai à fournir des armes à la Garde
nationale, participant à son journal Le Libéral du Nord.
Il retourne finalement à Charleville, s’enfuit à Charleroi en
Belgique au bout de dix jours, finit par se réfugier à Douai,
finissant d’écrire 22 poèmes formant le Recueil de Douai, mais les
gendarmes le ramènent chez sa mère, alors qu’il vient d’avoir seize
ans.
Avant son arrestation, Rimbaud avait dépose les 22 poèmes chez
Paul Demeny, un poète également éditeur, ami de Georges Izambard.
Par la suite, Arthur Rimbaud lui écrira une lettre, demandant
explicitement :
« Brûlez, je le veux, et je crois que vous respecterez ma volonté comme celle d’un mort, brûlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon séjour à Douai. »
Les feuilles furent vendus à un proche de Georges Izambard, mais
une édition eut tout de même lieu en 1919.
En soi, les poèmes sont simplement besogneux, au mieux ont-ils
une certaine tournure relativement réussie. L’esprit reste cependant
niais, rempli de clichés, avec une tentative de faire dans le style
mais sans aucune maturité. On peut mentionner le poème suivant,
assez représentatif.
Sensation
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers, Picoté par les blés, fouler l’herbe menue : Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien, Mais l’amour infini me montera dans l’âme ; Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien, Par la Nature, heureux – comme avec une femme.
On retrouve ici une candeur, qui rend peut-être la chose
appréciable, malgré sa naïveté. Le début du poème « Roman »
est pour connu ce regard attendri sur soi-même, pratiquement
candide :
On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. – Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, Des cafés tapageurs aux lustres éclatants ! – On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bons dans les bons soirs de juin ! L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ; Le vent chargé de bruits, – la ville n’est pas loin, – A des parfums de vigne et des parfums de bière …
– Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon D’azur sombre, encadré d’une petite branche, Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond Avec de doux frissons, petite et toute blanche …
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser. La sève est du champagne et vous monte à la tête … On divague ; on se sent aux lèvres un baiser Qui palpite là, comme une petite bête …
Le poème « Ma Bohême (Fantaisie) » est à lui seul
un programme en ce sens, mais on sent justement la maîtrise, par
ailleurs de faible niveau, masquée derrière la naïveté trop
étalée pour être authentique.
On est ici, en fait, dans un jeu, dans un exercice de style.
Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ; Oh ! là là ! que d’ amours splendides j’ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou. – Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. – Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
D’ailleurs, finalement, l’approche est le plus souvent lourde,
avec des mots placés de manière à tenter d’aller dans
l’esthétique, mais sans succès, comme ici avec Soleil et
Chair.
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie, Verse l’amour brûlant à la terre ravie, Et, quand on est couché sur la vallée, on sent Que la terre est nubile et déborde de sang; Que son immense sein, soulevé par une âme, Est d’amour comme dieu, de chair comme la femme. Et qu’il renferme, gros de sève et de rayons, Le grand fourmillement de tous les embryons !
Et tout croît, et tout monte ! – O Vénus, ô Déesse ! Je regrette les temps de l’antique jeunesse, Des satyres lascifs, des faunes animaux, Dieux qui mordaient d’amour l’écorce des rameaux Et dans les nénuphars baisaient la Nymphe blonde ! Je regrette les temps où la sève du monde, L’eau du fleuve, le sang rose des arbres verts Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Arthur Rimbaud (1854-1891) est une figure littéraire extrêmement
célèbre en France, ayant été valorisé comme grand symbole de la
créativité et de l’adolescence.
Le fait qu’il est ait écrit des poèmes à quinze ans, fréquenté
d’importantes figures littéraires de l’époque comme Paul Verlaine,
puis cessé toute écriture à vingt ans, a été une source
d’innombrables fascinations, d’autant plus puissantes que l’on ne
connaît que très mal sa vie par la suite.
L’unique photographie connue avec certitude pendant longtemps a
renforcé la dimension pratiquement magique de ses poèmes,
considérés comme une affirmation de la modernité individuelle, de
la libération du moi.
La réalité est cependant bien différente de cette valorisation
idéaliste. En réalité, Arthur Rimbaud est le pur produit de la
formation républicaine la plus conformiste émergeant à l’époque.
Il a une formation entièrement académique ; c’est un latiniste
éprouvé.
Ce qu’on appelle sa créativité n’est ainsi qu’une lancée
délirante dans le solipsisme le plus virulent, accompagnant
l’émergence du capitalisme engloutissant toute la société.
Il y a une dimension romantique chez Arthur Rimbaud : il
proteste clairement contre certains traits typiquement bourgeois de
la vie quotidienne. Néanmoins, il s’appuie pour cela sur un
ultra-individualisme produit par le capitalisme lui-même.
Ce qui aurait été soit une véritable mélancolie produisant un
souci esthétique comme chez Paul Verlaine, ou bien une quête
esthétique d’harmonie qu’on trouvera dans le symbolisme.
Il n’y a toutefois rien de cela chez Arthur Rimbaud et c’est cela
qui le conduisit à voir sa démarche littéraire s’effondrer
totalement. Une fois atteintes les « illuminations »,
poèmes ultra-individualistes, quintessence de l’esprit bourgeois
allant jusqu’à engloutir son propre environnement dans la
subjectivité devenue subjectivisme, Arthur Rimbaud n’avait plus rien
à dire.
Ne restait alors que l’aventure, comme fuite en avant, dans un
esprit néo-colonial qui correspond également à une lecture
subjectiviste de son propre environnement. Le colon est un bourgeois
façonnant le monde selon sa propre lecture des choses, selon son bon
vouloir.
Pour cette raison, Arthur Rimbaud fut toujours célébré par la
bourgeoisie, mais en même temps celle-ci ne sut pas quoi en faire.
Un certain esprit contestataire pouvait tenter de l’interpréter dans
le sens d’une rébellion, au sens de quelqu’un allant jusqu’au bout
d’une démarche pour anéantir sa propre démarche en même temps,
comme une sorte de créativité s’auto-annihilant.
C’est là pourtant une lecture à la Nietzsche, avec son éternel
retour opposant créativité-naissance et beauté-effondrement, qui
n’a pas lieu d’être, car Arthur Rimbaud a assumé un contenu qui est
bien celui du subjectivisme, poussé tellement loin qu’il va jusqu’à
la négation du monde.
Arthur Rimbaud a assumé le solipsisme dans l’art et partant de là
le caractère suicidaire du subjectivisme en général et dans les
arts en particulier. Sa quête esthétique est marquée par une
déstructuration générale, un goût prononcé pour
l’auto-destruction, et cela de manière d’autant plus forte que,
finalement, Arthur Rimbaud ne trouvait rien à dire.
Rien à dire alors que, en même temps, naissait le mouvement ouvrier, la social-démocratie, l’affirmation du socialisme, l’appel au communisme.