Le XIXe congrès du PCUS(b) et la guerre impérialiste

La thèse des deux camps, clef du XIXe congrès, ne peut pas être interprétée correctement sans voir quelle analyse est faite de l’impérialisme. Dans Les problèmes économiques du socialisme en URSS, Staline démonte clairement les thèses d’Eugen Varga au sujet d’un capitalisme qui serait organisé, capitalisme monopoliste d’État, et rappelle que le capitalisme implique la guerre.

Que dit le Rapport du Comité central du PCUS (B) effectué par Gueorgui Malenkov ?

Il est déjà souligné que l’impérialisme américain est dorénavant le chef de file des pays impérialistes, qu’il écrase même les autres pays capitalistes :

« L’impérialisme américain apparaît maintenant non seulement comme un exploiteur et un esclavagiste international de peuples, mais aussi comme une force désorganisant les économies d’autres pays capitalistes.

Profitant de l’affaiblissement de ses concurrents, le capital monopoliste américain s’est emparé après la guerre d’une part importante du marché capitaliste mondial.

Il détruit les liens économiques multilatéraux historiquement établis entre les pays capitalistes et les remplace par les liens unilatéraux de ces pays avec les États-Unis.

Imposant leurs exportations par le biais du dumping le plus éhonté et en protégeant leur marché intérieur des importations de biens étrangers, le peuple américain suffoquant des prix élevés, les monopoles américains bouleversent de plus en plus le marché capitaliste mondial.

Une telle politique économique de l’impérialisme américain ne pouvait qu’aggraver les contradictions entre les États-Unis et les autres États capitalistes. Les principales sont les contradictions entre les États-Unis et l’Angleterre (…).

Les cercles dirigeants de la France, de l’Italie, de l’Angleterre, de l’Allemagne de l’Ouest et du Japon se sont attachés au char de l’impérialisme américain, abandonnant leur politique étrangère nationale et indépendante. »

Le bellicisme américain est cependant contrecarré par les forces soutenant le camp démocratique dans les pays capitalistes eux-mêmes :

« Face à la menace croissante de la guerre, un mouvement national de défense de la paix se développe, une coalition anti-guerre de différentes classes et couches sociales est créée dans le but de mettre fin aux tensions internationales et de prévenir une nouvelle guerre mondiale.

Les incendiaires ne sont pas en mesure de faire de ce mouvement non partisan, pacifique et démocratique un parti soi-disant communiste.

Le fait que 500 millions de signatures aient été faites dans le cadre de l’appel de Stockholm et que plus de 600 millions de personnes aient réclamé la conclusion d’un pacte de paix entre les cinq grandes puissances constitue la meilleure réfutation de cette déclaration des incendiaires bellicistes et est une indication de l’ampleur colossale de ce mouvement démocratique et non partisan de défense de la paix.

Ce mouvement pacifique ne poursuit pas l’objectif de l’élimination du capitalisme, car il n’est pas socialiste, mais un mouvement démocratique de centaines de millions de personnes.

Les partisans de la paix ont formulé de telles demandes et propositions qui devraient contribuer à préserver la paix et à prévenir une nouvelle guerre. Atteindre cet objectif serait, dans les conditions historiques modernes, une grande victoire pour la cause de la démocratie et de la paix (…).

Il s’agit maintenant d’augmenter encore l’activité des masses, de renforcer l’organisation des partisans de la paix, de dénoncer inlassablement les incendiaires de la guerre et de les empêcher de mentir aux nations.

C’est la tâche principale de toute l’humanité progressiste et pacifique que de réprimer et d’isoler les aventuriers du camp des agresseurs impérialistes qui cherchent à entraîner les peuples dans un massacre sanglant pour en tirer profit. »

Il est très clair que cette thèse est un compromis entre les partisans de la thèse de Staline sur le caractère inéluctable des guerres dans le capitalisme et les partisans d’Eugen Varga comme quoi le capitalisme a désormais atteint un stade organisé, rationnel.

D’un côté, il est expliqué que l’impérialisme américain est belliciste, de l’autre qu’il existe une contre-tendance suffisamment puissante. On est dans la présentation d’un équilibre qui, par manque d’analyse prospective, laisse beaucoup d’espace aux interprétations. Cela est d’autant plus vrai que cela s’accompagne d’une lecture particulière du camp de la paix et de l’URSS elle-même.

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Le XIXe congrès du PCUS(b) et la victoire sur l’Allemagne nazie

Nikolaï Boulganine, dans un discours lors du congrès, expose le point de vue du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) concernant la grande guerre patriotique face à l’Allemagne nazie.

Nikolaï Boulganine

En voici les principaux extraits :

« L’attaque soudaine et perfide des envahisseurs fascistes a immédiatement et radicalement changé la situation.

Des millions de citoyens soviétiques ont été contraints d’abandonner le travail pacifique et de prendre les armes pour défendre les grands acquis socialistes et débarrasser leur pays des menaces de l’esclavage fasciste.

Dans la Grande Guerre patriotique, il s’agissait de la vie et de la mort de notre État.

La question, comme vous le savez, était la suivante: ou l’Union soviétique maintenait son indépendance et les peuples de notre pays resteront libres, ou l’Union soviétique se transformait en une colonie et les peuples qui y vivront deviendront les esclaves des impérialistes allemands.

Il ne pouvait y avoir d’autre issue.

La Grande guerre patriotique n’était pas seulement une guerre entre deux armées, mais aussi une guerre de tout le peuple soviétique contre des envahisseurs étrangers.

C’était une guerre qui visait non seulement à éliminer le monstrueux danger qui guettait notre mère patrie, mais également à aider les peuples d’Europe languissant sous le joug du fascisme allemand.

C’était la plus dure de toutes les guerres de notre État et, par conséquent, elle exigeait des efforts incroyables de la part du peuple soviétique, de grandes difficultés et de lourdes pertes.

Il n’est pas nécessaire de parler en détail des difficultés exceptionnelles rencontrées par notre pays durant les années de guerre. Les épreuves difficiles de la guerre sont fraîches dans nos mémoires.

Il est important de noter encore une chose: si un État bourgeois avait rencontré de telles difficultés, il n’aurait pas pu résister au coup que les nazis ont infligé à notre pays. Seul l’État socialiste soviétique pouvait se tenir dans ces conditions, survivre à des difficultés sans précédent et remporter la victoire. (Applaudissements prolongés)

Qu’est-ce qui nous a aidé à surmonter l’assaut de l’ennemi et à remporter ensuite la plus grande victoire de l’histoire?

Le camarade Staline enseigne que la guerre moderne est un test complet de toutes les forces matérielles et spirituelles de chaque nation.

Seuls les États qui résistent à cette épreuve sont plus puissants que leur adversaire dans le développement et l’organisation de l’économie, dans l’expérience, le talent et le moral de leurs troupes, dans l’endurance et dans l’unité de la population tout au long de la guerre.

En bref, l’issue de la guerre dépend des capacités économiques, morales et militaires des parties belligérantes.

Dans tout cela, notre État soviétique s’est révélé beaucoup plus puissant que son adversaire – l’Allemagne nazie, bien que cette dernière, au moment de l’attaque contre notre pays, disposait de ressources économiques et humaines non seulement sur son territoire, mais aussi en France, en Tchécoslovaquie, en Autriche, en Belgique et en Hollande, en Hongrie, en Roumanie, en Espagne et dans plusieurs autres pays.

Au cours de la période d’avant-guerre, comme aujourd’hui, les principaux efforts de notre peuple visaient la construction pacifique.

L’Union soviétique a fermement et systématiquement poursuivi une politique étrangère pacifique.

En même temps, notre Parti n’a jamais oublié la menace de guerre, les machinations des impérialistes et, sous la sage direction stalinienne, a préparé le pays et l’armée à la défense active.

La préparation consistait tout d’abord à créer des capacités matérielles qui, en cas de guerre, pourraient assurer l’organisation rapide de la production militaire et la fourniture ininterrompue de produits alimentaires et industriels à l’armée et à la population, ainsi que des matières premières.

Notre Parti a résolu cette tâche difficile à l’aide d’une politique d’industrialisation du pays et de collectivisation de l’agriculture au cours des trois plans quinquennaux antérieurs. C’est pendant ces années que la transformation historique a eu lieu (…).

Le transfert de notre industrie vers la production militaire, qui a débuté dès les premiers jours de la guerre, a été pratiquement achevé en trois ou quatre mois et la restructuration complète de l’économie sur le plan militaire a duré environ un an.

Il convient de garder à l’esprit que la restructuration s’est déroulée dans des conditions incroyablement difficiles, alors qu’une partie importante de notre territoire était soumise à l’occupation ennemie et qu’un grand nombre d’entreprises devaient être déplacées à l’Est (…).

La parole du Parti, la parole du grand Staline, a armé le peuple soviétique avec des armes d’un pouvoir extraordinaire – une foi profonde dans le triomphe de notre juste cause.

Souvenez-vous, camarades, des jours difficiles de l’automne 1941, lorsque les nazis ont approché la capitale de notre pays, Moscou. Les ennemis se sont réjouis et étaient sur le point de célébrer la victoire (…).

Et en ces jours difficiles, le camarade Staline a rendu un rapport le 24 novembre sur le 24e anniversaire de la Grande Révolution d’Octobre et, le lendemain, il a prononcé un discours lors d’un défilé devant la tribune du mausolée de Lénine.

Malgré la situation critique qui régnait pour le pays et l’armée à cette époque, le camarade Staline a déclaré qu’il ne pouvait y avoir aucun doute sur notre victoire et a ouvert une telle perspective dans la guerre qui, par son audace, était inattendue pour beaucoup.

Il a déclaré que l’armée soviétique était capable non seulement de détruire les hordes prédatrices d’envahisseurs fascistes, mais aussi de libérer les peuples asservis de l’Europe (…).

À la suite des victoires historiques de l’Union soviétique pendant les années de guerre et des réalisations exceptionnelles de l’après-guerre, un tel renforcement de notre pays est survenu tel que nous n’avons jamais eu.

Sans aucune exagération, on peut affirmer qu’une situation interne aussi solide et inébranlable telle qu’elle existe actuellement en Union soviétique n’existe et ne peut exister dans aucun État bourgeois. (Applaudissements)

L’Union soviétique est aujourd’hui un État socialiste bien coordonné, doté d’une industrie de premier ordre, de transports bien développés et d’une agriculture très productive.

La vie économique de notre pays est déterminée par le plan économique national de l’État, qui vise à accroître la richesse sociale, à élever régulièrement le niveau matériel et culturel des travailleurs, à renforcer l’indépendance et à renforcer les capacités de défense de l’Union soviétique (…).

Les tâches définies dans le nouveau plan quinquennal imposent de lourdes contraintes aux organisations des partis, de l’Union soviétique, de l’économie, des syndicats, du Komsomol [la jeunesse communiste] et les obligent à mobiliser la masse des travailleurs pour mener à bien et surpasser le nouveau plan quinquennal.

« Il serait insensé de penser, dit le camarade Staline, que le plan de production se résume à une liste de chiffres et de tâches. En fait, le plan de production est une activité vivante et pratique de millions de personnes. La réalité de notre plan de production est que des millions de travailleurs créent une nouvelle vie. »

Dans le passé, le peuple soviétique a montré à plusieurs reprises sa ferme détermination non seulement à mettre en œuvre ses plans économiques nationaux, mais aussi à les remplir, ce qui a permis de les réaliser plus tôt que prévu.

Une telle détermination de notre peuple s’explique par le fait que, dans ses plans économiques, il reflète ses intérêts vitaux et voit de ses propres yeux que la réalisation de ces plans renforce notre État soviétique, augmente notre richesse sociale, améliore la vie de son peuple et rapproche notre pays à chaque nouvelle année, tous les cinq ans. de l’objectif chéri – le communisme. »

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Le discours d’ouverture de Molotov au XIXe congrès du PCUS(b)

C’est Viatcheslav Molotov qui fut chargé de faire le discours d’ouverture du XIXe congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique (Bolchevik). Il y traça les traits généraux de la situation telle qu’elle était alors considérée.

L’URSS est passée par l’épreuve de feu en étant victorieuse de l’Allemagne nazie ; il y a deux camps désormais dans le monde, en partant du principe que le camp de la paix, de la démocratie, est désormais particulièrement puissant.

Viatcheslav Molotov

Voici les points principaux de son discours :

« Camarades!

Au nom du Comité central du parti, je souhaite la bienvenue aux délégués du XIXe Congrès du parti, ainsi qu’à nos chers invités représentant les Partis Communistes étrangers et les autres partis frères de la classe ouvrière. (Applaudissements prolongés et tempétueux)

Notre première parole aujourd’hui devrait être consacrée à ceux qui, pendant les années de guerre contre l’Allemand et d’autres agresseurs, ont défendu héroïquement notre patrie soviétique et ont donné leur vie pour notre juste cause. Honorons le souvenir glorieux de ceux qui sont morts dans cette guerre, qui ont donné leur vie dans la lutte contre le fascisme, pour la cause de la liberté et de l’indépendance de l’Union soviétique. (Tout le monde se lève) (…)

Comme vous le savez, le travail pacifique de notre peuple a été violé par l’attaque perfide du fascisme allemand contre l’Union soviétique.

Nous avons été obligés d’interrompre les travaux du troisième plan quinquennal. Nous avons dû nous réorganiser complètement sur le pied de guerre, en subordonnant tout à l’intérêt de vaincre l’ennemi envahissant notre territoire.

La Seconde Guerre mondiale fut le plus grand test pour le jeune État multinational soviétique.

En même temps, c’était une vérification complète de la justesse de la politique de notre Parti. Pendant la guerre, le peuple soviétique a survécu à de nombreux jours difficiles et a consenti de lourds sacrifices.

Mais sous le feu de ces événements, l’Union soviétique ne s’est pas affaiblie et n’a pas hésité. Sous la direction de notre parti, elle s’est encore endurcie et renforcée, en tant qu’État socialiste, encore plus confiante dans ses capacités, dans l’invincibilité de sa grande cause.

La Seconde Guerre mondiale s’est terminée par la défaite des agresseurs fascistes, qui ont déchaîné à de nombreux égards les forces du mouvement de libération nationale en Europe et en Asie.

Dans les nouvelles conditions qui sont apparues, en particulier compte tenu du rôle décisif de l’Union soviétique dans cette guerre, l’après-guerre a vu un certain nombre de pays passer de la voie du développement capitaliste à une nouvelle voie, la voie de la création et du développement d’États démocratiques et populaires.

Cela a marqué le début d’une nouvelle étape dans le développement du socialisme international.

Tout cela explique pourquoi, de nos jours, l’influence idéologique dominante de notre Parti sur tous les aspects de la vie du pays a tellement augmenté, et l’amour de notre peuple pour son Parti – l’amour du Parti de Lénine et Staline – est si grand (…).

Nous n’oublions pas, bien sûr, que l’Union soviétique vit dans « un système d’États », qu’il existe un camp impérialiste qui a des projets aventuristes, qui s’arme de plus en plus, gonfle de toutes les manières possibles l’hystérie militaire et se prépare à déclencher une nouvelle guerre mondiale.

Ce camp agressif et antidémocratique est dirigé par les milieux réactionnaires au pouvoir aux États-Unis d’Amérique, conformément à la volonté des monopoles capitalistes, qui, dans la quête insatiable de profits croissants, cherchent à établir leur domination mondiale par la force.

Ce sont les milieux dirigeants des États-Unis qui assument la responsabilité principale de la guerre criminelle en Corée, de la capture de l’île chinoise de Taïwan, de la transformation de l’Allemagne de l’Ouest et du Japon en États dépendants, ainsi que de la création d’alliances militaires agressives à l’Ouest et à l’Est, comme le bloc de l’Atlantique Nord.

Rien ne peut masquer le grave affaiblissement du système capitaliste mondial survenu ces dernières années, en particulier après le retrait d’un certain nombre d’États comptant une population totale de 600 millions d’habitants au cours de la période d’après-guerre.

Rien ne cache l’incapacité des pays capitalistes à faire face au danger croissant d’une nouvelle crise économique et d’une nouvelle augmentation du chômage de masse, ce qui entraîne en même temps une augmentation des contradictions et des frictions entre ces États et une aggravation inévitable de la lutte de classe dans ces pays.

Aucun effort des incendiaires de guerre et de leurs employés de la presse, essayant de revêtir un masque de paix et en même temps d’enivrer les lecteurs de la presse bourgeoise en répandant des calomnies sur l’agressivité de l’Union soviétique, ne pourra occulter le fait que c’est précisément du côté des cercles d’agression du camp impérialiste que se posent de nouvelles menaces contre la liberté et l’indépendance nationale des peuples, toutes les nouvelles menaces contre la violation de la paix et de la sécurité internationales.

Plus sont révélée la précarité et l’insécurité des perspectives futures et les faiblesses internes du capitalisme moderne, qui est au stade de la crise générale et a intensifié son glissement vers le régime fasciste, plus les principales puissances du camp impérialiste et leur propagande perverse d’une nouvelle guerre sont agressives.

Un autre camp, le camp international de défense de la paix et de la démocratie, s’oppose au camp de la réaction et de l’agression (…).

Notre Parti est venu au 19e congrès aussi puissant et uni que jamais. (Applaudissements prolongés)

La bannière de notre Parti, couverte de batailles glorieuses et de nombreuses victoires, a été élevée et appelle notre peuple à la victoire du communisme. (Applaudissements prolongés)

Le nom du chef de notre parti, le nom de Staline, exprime les meilleurs espoirs et les aspirations de toute l’humanité progressiste (…).

Au nom du Comité central, je déclare le congrès du Parti ouvert. (Tout le monde se lève. Applaudissements tempétueux et prolongés. Les délégués du Congrès chantent l’hymne du parti L’Internationale). »

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La tenue du XIXe congrès du PCUS(b)

Le XIXe congrès se tint du 5 au 14 octobre 1952, dans le grand palais de la forteresse du Kremlin. Étaient présents 1359 délégués : 1192 avec un droit de vote, 167 avec un vote consultatif seulement.

Cinq questions étaient inscrites à l’ordre du jour :

Le rapport du Comité central ;

Le rapport de la Commission centrale de vérification des comptes ;

Le plan quinquennal ;

Les nouveaux statuts du parti ;

Les élections des organes centraux du parti

Le Rapport du Comité central du PCUS (B) fut, pour la première fois depuis la mort de Lénine, lu par quelqu’un d’autre que Staline. C’est Gueorgui Malenkov qui a pris sa place. Voici le plan de ce rapport :

I. La situation internationale de l’Union soviétique

1. Nouvel affaiblissement du système capitaliste mondial et de la situation économique dans les pays du capitalisme

2. Aggravation de la situation internationale. La menace d’une nouvelle guerre du bloc agressif américano-anglais. La lutte des peuples pour la paix.

3. L’Union soviétique dans la lutte pour la préservation et la consolidation de la paix

II. La situation interne de l’Union soviétique

1. Nouvelle progression de l’économie nationale de l’URSS

A. Industrie

B. agriculture

C. Chiffre d’affaires, transport, communications

D. Le régime économique est le levier le plus important pour la poursuite de la croissance de l’économie nationale

2. L’augmentation continue du bien-être matériel, des soins de santé et du niveau de vie culturel de la population

3. Renforcement du système social et étatique soviétique

III. Le Parti

Le rapport de la Commission centrale de vérification des comptes fut effectué par Piotr Gueorguievitch Moskatov. Le plan quinquennal et ses directives furent présentés par Maksim Saburov, le responsable du Gosplan. On notera ici qu’on allait déjà à la troisième année du plan en question. La question des nouveaux statuts du parti fut présentée par Nikita Khrouchtchev.

Joseph Staline tint un bref discours, à la fin, le 14 octobre 1952. Il a ensuite tenu un discours sans aucune note, bien plus long, lors du plénum du Comité Central du PCUS, deux jours plus tard. Il n’existe pas de retranscription de ce dernier discours.

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La signification historique du XIXe congrès du PCUS(b)

Le XIXe congrès du PCUS(b) a été un événement historique de la plus haute importance et cependant, jusqu’à présent, il n’y avait pas d’analyse profonde de sa signification. C’est un fait étrange quand on sait que le XXe congrès du PCUS établit la « déstalinisation ». Il est de fait d’autant plus essentiel de porter le regard sur le congrès précédent.

De fait, l’analyse matérialiste historique de celui-ci apporte un approfondissement de la plus haute valeur à l’interprétation correcte du révisionnisme en URSS, aboutissant à la formation du social-impérialisme soviétique.

On sait à quel point il était difficile de saisir comment des communistes éprouvés, en URSS et dans les autres pays, ont pu accepter la « déstalinisation » tout en se prétendant dans la continuité historique du Mouvement Communiste International.

On a compris leur nature opportuniste, leur louvoiement, leurs faiblesses idéologiques et culturelles, mais il manquait la saisie de ce qui les projetait historiquement. L’analyse matérialiste historique du XIXe congrès résout ce problème fondamental.

Il en découle, d’ailleurs, une correction nécessaire à la date avec laquelle on doit considérer que le révisionnisme a triomphé en URSS. L’usage voulait qu’on choisisse l’année 1953, à la suite directe de la mort de Staline. Il est en fait nécessaire de choisir 1952 et plus précisément le XIXe congrès.

En effet, c’est à ce congrès que des figures aussi importantes que Nikita Khrouchtchev, Léonid Brejnev et Mikhail Souslov accèdent aux plus hauts postes, parmi bien d’autres encore par ailleurs.

C’est à ce congrès que le Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) modifie son nom et son identité, puisque l’organisation de sa direction est entièrement revue. Il n’y a notamment plus ni poste de secrétaire général du Parti, ni Bureau Politique du Comité Central.

C’est également à ce congrès que l’URSS change de perspective, et donc de nature, puisqu’il est désormais considéré qu’est commencée la construction du communisme, que le socialisme a été complété. La définition même du Parti est d’ailleurs modifiée, passant de celui de la classe ouvrière à celui des ouvriers, des paysans et des intellectuels, ce qui est fondamentalement erroné.

C’est exactement cette base idéologique – et de fait également économique, culturelle, politique, militaire, puisque le Parti est dirigeant en URSS – qui va permettre aux forces révisionnistes d’enclencher une séquence où ils apparaissent et qui les projettent dans l’histoire.

Il y a, dans le XIXe congrès, les principaux éléments qui seront ceux du révisionnisme par la suite. Naturellement, tel n’était pas du tout le projet de Staline, qui avait strictement encadré la définition du XIXe congrès par l’intermédiaire d’un ouvrage sorti au même moment, servant d’outil de protection essentielle du matérialisme historique et dialectique : Les problèmes économiques du socialisme en URSS.

Toutefois, le calibrage de cette séquence contenait trop d’éléments unilatéraux et métaphysiques – pour reprendre la critique des communistes de Chine – pour être à même de permettre une réussite.

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Conclusion du Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Quels sont les enseignements essentiels à tirer de l’œuvre historique accomplie par le Parti bolchévik ?

Que nous apprend l’histoire du Parti communiste de l’U.R.S.S. ?

1. L’histoire du Parti nous apprend, tout d’abord, que la victoire de la révolution prolétarienne, la victoire de la dictature du prolétariat est impossible sans un parti révolutionnaire du prolétariat, exempt d’opportunisme, intransigeant vis-à-vis des con­ciliateurs et des capitulards, révolutionnaire vis-à-vis de la bour­geoisie et de son pouvoir d’État.

L’histoire du Parti nous apprend que laisser le prolétariat privé d’un tel parti équivaut à le laisser sans direction révolutionnaire ; or, le laisser sans direction révolutionnaire, c’est ruiner la cause de la révolution prolétarienne.

L’histoire du Parti nous apprend que ce parti/ne peut être un parti social-démocrate ordinaire, du type de ceux de l’Europe occidentale, qui ont été éduqués dans les conditions de la paix civile, se traînent à la remorque des opportunistes, rêvent de « réformes sociales » et ont peur de la révolution sociale.

L’histoire du Parti nous apprend que ce parti ne peut être qu’un parti de type nouveau, un parti marxiste-léniniste, un parti de révolution sociale, capable de préparer le prolétariat aux combats décisifs contre la bourgeoisie et d’organiser la victoire de la révolution prolétarienne.

Ce parti, en U.R.S.S., est le Parti bolchévik.

« Dans la période pré-révolutionnaire, dit le camarade Staline, dans la période de développement plus ou moins paisible, où les partis de la IIe Internationale étaient la force dominante dans le mouvement ouvrier, et où les formes par­lementaires de lutte étaient considérées comme les principales, — dans ces circonstances, le Parti n’avait pas et ne pouvait pas avoir l’importance sérieuse et décisive qu’il a acquise par la suite au cours des batailles révolutionnaires ouvertes.

Dans sa défense de la IIe Internationale contre les attaques dont elle est l’objet, Kautsky dit que les partis de la IIe Internatio­nale sont un instrument de paix, et non de guerre ; que pré­cisément pour cette raison, ils n’ont pas’ été à même d’entre­prendre quoi que ce fût de sérieux pendant la guerre, dans la période des actions révolutionnaires du prolétariat.

C’est tout à fait exact. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Cela signi­fie que les partis de la IIe Internationale ne sont pas bons pour la lutte révolutionnaire du prolétariat ; qu’ils ne sont pas des partis de combat du prolétariat, menant les ouvriers à la conquête du pouvoir, mais un appareil électoral, approprié aux élections parlementaires et à la lutte parlementaire.

Voilà ce qui explique justement le fait que, dans la période de domina­tion des opportunistes de la IIe Internationale, l’organisation politique fondamentale du prolétariat n’était pas le parti, mais la fraction parlementaire.

On sait qu’à cette époque, le parti était en fait un appendice de la fraction parlementaire et un élément destiné à la servir. Il est à peine besoin de démontrer que, dans ces conditions, avec un tel parti à la tête, il ne pou­vait être même question de préparer le prolétariat à la révolution. Mais la situation a radicalement changé avec l’avènement de la nouvelle période.

La nouvelle période est celle des colli­sions ouvertes entre les classes, la période des actions révolu­tionnaires du prolétariat, la période de la révolution proléta­rienne et de la préparation directe des forces au renversement de l’impérialisme, à la prise du pouvoir par le prolétariat.

Cette période pose devant le prolétariat des tâches nouvelles : réorganisation de l’ensemble du travail du Parti selon un mode nouveau, révolutionnaire ; éducation des ouvriers dans l’esprit de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir ; préparation et rassemblement des réserves ; alliance avec les prolétaires des pays voisins ; établissement de liens solides avec le mouvement de libération des colonies et des pays dépendants, etc., etc.

Croire que ces nouvelles tâches peuvent être accomplies avec les forces des vieux partis social-démocrates, éduqués dans les conditions paisibles du parlementarisme, c’est se vouer à un désespoir sans fond, à une défaite inévitable. Demeurer avec de telles tâches sur les bras, avec les vieux partis en tête, c’est demeurer en état de désarmement complet. Il est à peine besoin de démontrer que le prolétariat ne pouvait admettre une pareille situation.

De là, la nécessité d’un nouveau parti, d’un parti combatif, révolutionnaire, suffisamment courageux pour mener les prolétaires à la lutte pour le pouvoir, suffisamment expéri­menté pour se retrouver dans les conditions complexes d’une situation révolutionnaire et suffisamment souple pour contour­ner les écueils de toute sorte sur le chemin conduisant au but.

Sans un tel parti, on ne saurait même songer à renverser l’impérialisme, à conquérir la dictature du prolétariat. Ce nouveau parti, c’est le Parti du léninisme. » (Staline : Des principes du léninisme.)

2. L’histoire du Parti nous apprend encore que le parti de la classe ouvrière ne peut pas remplir le rôle de dirigeant de sa classe, ne peut pas remplir le rôle d’organisateur et de dirigeant de la révolution prolétarienne, s’il ne s’est pas assimilé la théorie d’avant-garde du mouvement ouvrier, s’il ne s’est pas assimilé la théorie marxiste-léniniste.

Ce qui fait la force de la théorie marxiste-léniniste, c’est qu’elle permet au Parti de s’orienter dans une situation donnée, de com­prendre la liaison interne des événements au milieu desquels il se trouve, de prévoir la marche des événements et de discerner non seulement de quelle façon et dans quelle direction les événements évoluent aujourd’hui, mais aussi comment et de quel côté ils doivent évoluer demain.

Seul le parti qui s’est assimilé la théorie marxiste-léniniste peut avancer d’un pas assuré et conduire en avant la classe ouvrière. Et inversement, le parti qui ne s’est pas assimilé la théorie marxiste-léniniste, est obligé d’errer à tâtons ; il perd toute assuran­ce dans son action, il est incapable de conduire en avant la classe ouvrière.

Il peut sembler que s’assimiler la théorie marxiste-léniniste, c’est apprendre scrupuleusement par cœur certaines conclusions et thèses qui se trouvent dans les œuvres de Marx, d’Engels, de Lénine ; c’est apprendre à les citer en bonne place, et en rester là, dans l’espoir que les conclusions et les thèses apprises par cœur conviendront à toutes les situations, à toutes les occasions de la vie.

Mais une telle façon de concevoir la théorie marxiste-léniniste est absolument fausse.

On ne peut considérer la théorie mar­xiste-léniniste comme un recueil de dogmes, comme un catéchisme, comme un Credo, et les marxistes comme des pédants farcis de textes. La théorie marxiste-léniniste est la science du dévelop­pement de la société, la science du mouvement ouvrier, la science de ta révolution prolétarienne, la science de la construction de la société communiste.

En tant que science, elle ne reste pas et ne peut pas rester à un point mort ; elle se développe et se perfec­tionne.

On comprend bien que dans Je cours de son développement, elle s’enrichit forcément de l’expérience nouvelle, des connaissan­ces nouvelles et telles de ses thèses et de ses conclusions changent forcément avec le temps, sont forcément remplacées par des con­clusions et des thèses nouvelles, conformes aux conditions his­toriques nouvelles.

S’assimiler la théorie marxiste-léniniste, ce n’est nullement en apprendre par cœur toutes les formules et toutes les conclu­sions, et se cramponner à chaque lettre de ces formules et de ces conclusions. Pour s’assimiler la théorie marxiste-léniniste, il faut avant tout apprendre à distinguer entre la lettre et le fond.

S’assimiler la théorie marxiste-léniniste, c’est s’approprier la substance de cette théorie et apprendre à en tirer parti quand il s’agit de résoudre les problèmes pratiques du mouvement révo­lutionnaire dans les diverses conditions de la lutte de classe du prolétariat.

S’assimiler la théorie marxiste-léniniste, c’est savoir enrichir cette théorie de la nouvelle expérience du mouvement révolution­naire ; c’est savoir l’enrichir de thèses et de conclusions nouvelles ; c’est savoir la développer et la faire progresser, sans hésiter — en s’inspirant de la substance de la théorie — à remplacer certaines de ses thèses et de ses conclusions qui ont désormais vieilli, par des thèses et des conclusions nouvelles conformes à la situation historique nouvelle.

La théorie marxiste-léniniste n’est pas un dogme, mais un gui­de pour l’action.

Avant la deuxième révolution russe (février 1917), les mar­xistes de tous les pays partaient du point de vue que la républi­que démocratique parlementaire est la forme la plus indiquée pour l’organisation politique de la société en période de transition du capitalisme au socialisme.

Il est vrai que Marx avait signalé, dans les années 1870, que ce n’est pas la république parlementaire, mais l’organisation politique du type de la Commune de Paris qui est la forme la plus indiquée pour la dictature du prolétariat.

Mais mal­heureusement, cette indication de Marx n’avait pas été développée plus avant dans ses travaux, et elle était vouée à l’oubli. D’autre part, la déclaration autorisée faite par Engels dans sa critique au projet de programme d’Erfurt, en 1891, et disant que « la républi­que démocratique… est… une forme spécifique pour la dicta­ture du prolétariat », ne permettait pas de douter que les mar­xistes continuaient à considérer la république démocratique comme une forme politique pour la dictature du prolétariat.

Cette thè­se d’Engels devint par la suite un principe directeur pour tous les marxistes, y compris Lénine. Mais la révolution russe de 1905, et surtout la révolution de février 1917, mirent en avant une nou­velle forme d’organisation politique de la société, les Soviets des députés ouvriers et paysans.

Après une étude approfondie de l’ex­périence des deux révolutions russes, Lénine, s’inspirait de la théorie du marxisme, fut amené à conclure que la meilleure forme politique de dictature du prolétariat est, non pas la républi­que démocratique parlementaire, mais la République des Soviets.

C’est sur cette base que Lénine formula en avril 1917, lors du passage de la révolution bourgeoise à la révolution socialiste, le mot d’ordre d organisation de la République des Soviets, comme étant la meilleure forme politique de dictature du prolétariat. Et les opportunistes de tous les pays de se cramponner à la répu­blique parlementaire, en accusant Lénine de s’écarter du marxisme, de détruire la démocratie !

Mais le vrai marxiste, celui qui s’était assimilé la théorie du marxisme, c’était évidemment Lénine, et non les opportunistes, puisque Lénine faisait progresser la théorie marxiste, en l’enrichissant de la nouvelle expérience acquise, tandis que les opportunistes la faisaient rétrograder, en transfor­mant une de ses thèses en dogme.

Que serait-il advenu du Parti, de notre révolution, du mar­xisme, si Lénine s’était incliné devant la lettre du marxisme et ne s’était pas décidé à substituer à l’une des vieilles thèses du marxisme, formulée par Engels, la nouvelle thèse de la Républi­que des Soviets, conforme à la nouvelle situation historique ? Le Parti aurait erré dans les ténèbres, 1es Soviets auraient été désor­ganisés, nous n’aurions pas le pouvoir des Soviets, la théorie mar­xiste aurait subi un sérieux préjudice. Le prolétariat y aurait perdu, les ennemis du prolétariat y auraient gagné.

Dans leur étude du capitalisme préimpérialiste, Engels et Marx en étaient arrivés à la conclusion que la révolution socialiste ne pouvait vaincre dans un seul pays pris à part ; qu’elle ne pou­vait vaincre que si l’explosion se produisait simultanément dans tous les pays, ou dans la plupart des pays civilisés.

C’était au milieu du XIXe siècle, cette conclusion devint plus tard un principe directeur pour tous les marxistes. Cependant, vers le début du XXesiècle, le capitalisme préimpérialiste s’est transformé en capitalis­me impérialiste, le capitalisme ascendant s’est transformé en ca­pitalisme agonisant. Après une étude approfondie du capitalisme impérialiste, Lénine, — s’inspirant de la théorie marxiste, — a été amené à conclure que l’ancienne formule d’Engels et de Marx ne correspondait plus à la nouvelle situation historique ; que la révolution socialiste pouvait parfaitement triompher dans un seul pays pris à part.

Et les opportunistes de tous les pays de se cram­ponner à l’ancienne formule d’Engels et de Marx, en accusant Lénine de s’écarter du marxisme ! Mais le vrai marxiste, celui qui s’était assimilé la théorie du marxisme, c’était évidemment Lénine et non les opportunistes, puisque Lénine faisait progresser la théo­rie marxiste, en l’enrichissant de la nouvelle expérience acquise, tandis que les opportunistes la faisaient rétrograder en la momi­fiant.

Que serait-il advenu du Parti, de notre révolution, du mar­xisme si Lénine s’était incliné devant la lettre du marxisme, s’il n’avait pas eu le courage théorique de rejeter une des vieilles con­clusions du marxisme en la remplaçant par une conclusion nou­velle, sur la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays pris à part, conclusion conforme à la nouvelle situation his­torique ?

Le Parti aurait erré dans les ténèbres, la révolution prolétarienne aurait été privée de direction, la théorie marxiste se serait mise à dépérir. Le prolétariat y aurait perdu, les enne­mis du prolétariat y auraient gagné.

L’opportunisme ne signifie pas toujours la négation directe de la théorie marxiste ou de certaines de ses thèses et conclusions. L’opportunisme se manifeste parfois dans des tentatives pour se cramponner à telles thèses du marxisme, désormais vieillies, et les convertir en dogmes, en vue de freiner par là le développement ultérieur du marxisme, et, partant, de freiner aussi le progrès du mouvement révolutionnaire du prolétariat.

On peut dire sans exagération, que depuis la mort d’Engels, le plus grand théoricien Lénine, et après Lénine, Staline et les autres disciples de Lénine, ont été les seuls marxistes qui aient fait progresser la théorie marxiste et l’aient enrichie de la nou­velle expérience acquise dans les nouvelles conditions de la lutte de classe du prolétariat.

C’est précisément parce que Lénine et les léninistes ont fait progresser la théorie marxiste que le léninisme est le développe­ment continu du marxisme ; il est le marxisme dans les nouvelles conditions de la lutte de classe du prolétariat, le marxisme de l’époque de l’impérialisme et des révolutions prolétariennes, le marxisme de l’époque de la victoire du socialisme sur un sixième du globe.

Le Parti bolchévik n’aurait pas pu vaincre en octobre 1917, si ses cadres d’avant-garde ne s’étaient pas assimilé la théorie du marxisme, s’ils n’avaient pas appris à regarder cette théorie comme un guide pour l’action, s’ils n’avaient pas appris à faire progresser la théorie marxiste en l’enrichissant de la nouvelle expérience acquise dans la lutte de classe du prolétariat.

Dans sa critique des marxistes allemands d’Amérique, qui avaient pris sur eux de diriger le mouvement ouvrier américain, Engels a écrit :

« Les Allemands n’ont pas su faire de leur théorie le levier qui eût mis en mouvement les masses américaines ; cette théo­rie, ils ne la comprennent pas eux-mêmes la plupart du temps, et ils la traitent de façon doctrinaire et dogmatique, comme quelque chose que l’on doit apprendre par cœur et qui, dès lors, pourvoit à tous les besoins.

C’est pour eux un Credo, et non un guide pour l’action. » (Engels an Sorge, Marx-Engels, Ausgew. Briefe, Moscou 1934, p. 357.)

Dans sa critique de Kaménev et de certains vieux bolche­viks qui, en avril 1917, se cramponnaient à la vieille formule de dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie, alors que le mouvement révolutionnaire avait marché de l’avant et exigeait que l’on passât à la révolution socialiste, Lénine a écrit :

« Notre doctrine n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action, ont toujours dit Marx et Engels, se moquant à juste titre des « formules » apprises par cœur et répétées telles quelles, formules susceptibles dans le meilleur des cas d’indiquer, tout au plus, les tâches générales que modifie nécessaire­ment la situation économique et politique concrète à chaque phase particulière du processus historique…

Il faut s’assimi­ler celte vérité incontestable que le marxiste doit tenir compte de la vie même, des faits précis de la réalité, au lieu de conti­nuer à se cramponner à la théorie de la veille… » (Lénine, t. XX, pp. 100-101, éd. russe.)

3. L’histoire du Parti nous apprend encore que, si l’on n’écra­se pas les partis petits-bourgeois qui travaillent au sein de la classe ouvrière, qui poussent ses couches arriérées dans les bras de la bourgeoisie et détruisent de la sorte l’unité de in classe ouvrière, la victoire de la révolution prolétarienne est impossible.

L’histoire de notre Parti est l’histoire de la lutte et de l’écrase­ment des partis petits-bourgeois : socialistes-révolutionnaires, menchéviks, anarchistes, nationalistes. Sans avoir triomphé de ces partis, sans les avoir chassés du sein de la classe ouvrière, il eût été impossible de réaliser l’unité de la classe ouvrière ; or, sans l’uni­té de la classe ouvrière, il eût été impossible de faire triompher la révolution prolétarienne.

Sans avoir écrasé ces partis qui, d’abord, étaient pour le main­tien du capitalisme, et puis, après la Révolution d’Octobre, pour la restauration du capitalisme, il eût été impossible de sauvegarder la dictature du prolétariat, de vaincre l’intervention militaire de l’étranger, de construire le socialisme.

On ne saurait considérer comme un hasard le fait que tous les partis petits-bourgeois qui, pour tromper le peuple, s’intitulaient partis « révolutionnaires » et « socialistes » — socialistes-révolu­tionnaires, menchéviks, anarchistes, nationalistes,—sont devenus des partis contre-révolutionnaires avant même la Révolution so­cialiste d’Octobre, et plus tard, les agents des services de rensei­gnements de la bourgeoisie étrangère, une bande d’espions, de saboteurs, d’auteurs de diversions, d’assassins, de traîtres à la patrie.

« L’unité du prolétariat, dit Lénine, à l’époque de la ré­volution sociale, ne peut être réalisée que par le parti révo­lutionnaire extrême, le parti du marxisme, que par une lutte implacable contre tous les autres partis. » (Lénine, t. XXVI, p. 50, éd. russe.)

4. L’histoire du Parti nous apprend encore que sans une lutte intransigeante contre les opportunistes dans ses propres rangs, sans écraser les capitulards dans son propre milieu, le parti de la classe ouvrière ne peut pas sauvegarder l’unité et la discipline dans ses rangs, ne peut pas remplir son rôle d’organisateur et de dirigeant de la révolution prolétarienne, ne peut pas remplir son rôle de bâtisseur de la nouvelle société socialiste.

L’histoire du développement de la vie intérieure de notre Parti est l’histoire de la lutte et de l’écrasement des groupes opportunis­tes à l’intérieur du Parti, « économistes », menchéviks, trotskistes, boukhariniens, fauteurs des déviations nationalistes.

L’histoire du Parti nous apprend que tous les groupes de ca­pitulards ont été, au fond, les agents du menchévisme à l’intérieur de notre Parti, son appendice, son prolongement De même que le menchévisme, ils ont servi de véhicule à l’influence bourgeoise dans la classe ouvrière et dans le Parti. C’est pour­quoi la lutte pour la liquidation de ces groupes dans le Parti a été le prolongement de la lutte pour la liquidation du menché­visme.

Si nous n’avions pas battu les « économistes » et les menché­viks, nous n’aurions pas pu construire le Parti et conduire la clas­se ouvrière à la révolution prolétarienne. Si nous n’avions pas battu les trotskistes et les boukhariniens, nous n’aurions pas pu préparer les conditions requises pour cons­truire le socialisme.

Si nous n’avions pas battu les fauteurs des déviations natio­nalistes de tout genre et de tout acabit, nous n’aurions pas pu éduquer le peuple dans l’esprit de l’internationalisme, nous n’aurions pas pu sauvegarder le drapeau de la grande amitié des peuples de l’U.R.S.S., nous n’aurions pas pu bâtir l’Union des Républiques socialistes soviétiques.

Il peut sembler que les bolchéviks aient accordé trop de temps à la lutte contre les éléments opportunistes dans le Parti, qu’ils en aient surestimé l’importance. Mais cela est absolument faux.

On ne saurait pas plus tolérer l’opportunisme chez soi qu’on ne saurait tolérer un ulcère dans un organisme sain. Le Parti est le détachement dirigeant de la classe ouvrière, sa citadelle avancée, son état-major de combat. On ne saurait admettre qu’il y ait à l’état-major dirigeant de la classe ouvrière des sceptiques, des op­portunistes, des capitulards, des traîtres.

Mener une lutte à mort contre la bourgeoisie avec des capitulards et des traîtres dans son propre état-major, dans sa propre citadelle, c’est tomber dans la situation d’hommes pris entré deux feux.

Il n’est pas difficile de comprendre que dans ces conditions, la lutte ne peut aboutir qu’à la défaite. C’est de l’intérieur que les forteresses s’enlèvent le plus facilement.

Pour obtenir la victoire, il faut avant toute chose épurer le parti de la classe ouvrière, — son état-major dirigeant, sa citadelle avancée, — dès capitulards, des déserteurs, des félons et des traîtres.

On ne peut considérer comme un hasard le fait que les trots­kistes, les boukhariniens, les fauteurs des déviations nationalistes, en luttant contre Lénine, contre le Parti, ont fini comme avaient fini les partis menchévik et socialiste-révolutionnaire : ils sont devenus agents des services de renseignements fascistes, espions, saboteurs, assassins, auteurs de diversions, traîtres à la patrie.

« Si l’on compte dans ses rangs des réformistes, des menchéviks, dit Lénine, on ne saurait faire triompher la révolution prolétarienne, on ne saurait la sauvegarder. C’est un principe évident. L’expérience de la Russie et de la Hongrie l’a confirmé nettement…

En Russie, maintes fois se sont pré­sentées des situations difficiles dans lesquelles le régime sovié­tique eût certainement été renversé, si les menchéviks, les ré­formistes, les démocrates petits-bourgeois étaient demeurés dans notre Parti. .. » (Lénine, t. XXV, pp. 462-463, éd. russe.)

« Si notre Parti, dit le camarade Staline, a réussi à cons­tituer son unité intérieure et la cohésion sans précédent qui règne dans ses rangs, c’est avant tout parce qu’il a su se pu­rifier à temps de la souillure de l’opportunisme, parce qu’il a su chasser du Parti les liquidateurs et les menchéviks.

La voie du développement et du renforcement des partis prolé­tariens passe par leur épuration des opportunistes et des réfor­mistes, des social-impérialistes et des social-chauvins, des social-patriotes et des social-pacifistes. Le Parti se fortifie en s’épurant des éléments opportunistes. » (Staline : Des principes du léninisme.)

5. L’histoire du Parti nous apprend encore que le Parti ne peut remplir son rôle de dirigeant de la classe ouvrière si, grisé par ses succès, il se laisse aller à la présomption, s’il cesse de re­marquer les insuffisances de son travail, s’il craint de reconnaître ses erreurs, s’il craint de les corriger à temps, ouvertement et hon­nêtement.

Le Parti est invincible s’il ne craint pas la critique et l’auto­critique, s’il ne voile pas les erreurs et les insuffisances de son travail, s’il instruit et éduque les cadres en les éclairant sur les erreurs commises dans le travail, s’il sait corriger ces erreurs à temps.

Le Parti périt s’il cache ses erreurs, escamote les questions névralgiques, dissimule ses déficiences sous de fausses apparences de santé, s’il ne souffre pas la critique ni l’autocritique, s’il se pénètre d’un sentiment de suffisance, s’adonne au culte de soi-même et s’endort sur ses lauriers.

« L’attitude d’un parti politique en face de ses erreurs, dit Lénine, est un des critériums les plus importants et les plus sûrs pour juger si ce parti est sérieux et s’il remplit réel­lement ses obligations envers sa classe et envers les masses laborieuses.

Reconnaître ouvertement son erreur, en découvrir les causes, analyser la situation qui lui a donné naissance, exa­miner attentivement les moyens de corriger celte erreur, voilà la marque d’un parti sérieux, voilà ce qui s’appelle, pour lui, remplir ses obligations, éduquer et instruire la classe, et puis les masses. » (Lénine, Œuvres choisies, t. II, p. 725.)

Et plus loin :

« Tous les partis révolutionnaires qui ont péri jusqu’ici, ont péri parce qu’ils se laissaient aller à la présomption, ne savaient pas voir ce qui faisait leur force, et craignaient de parler de leurs faiblesses. Mais nous, nous ne périrons pas, parce que nous ne craignons pas de parler de nos faiblesses, parce que nous apprendrons à les surmonter. » (Lénine, t. XXVII, pp. 260-261, éd. russe.)

6. Enfin l’histoire du Parti nous apprend que faute d’avoir d’amples liaisons avec les masses, faute de raffermir constam­ment ces liaisons, faute de savoir écouter la voix des masses et comprendre leurs besoins poignants, faute d’avoir la volonté non seulement d’instruire les masses, mais aussi de s’instruire auprès d’elles, le parti de la classe ouvrière ne peut pas être un véritable parti de masse, capable d’entraîner, avec leurs millions d’hom­mes, la classe ouvrière et l’ensemble des travailleurs.

Le Parti est invincible, s’il sait, comme dit Lénine, « se lier, se rapprocher et, si vous voulez, se fondre jusqu’à un certain point avec la masse des travailleurs la plus large, au premier chef avec la masse prolétarienne, mais aussi avec la masse des travailleurs non prolétarienne ». (Lénine, t. XXV, p. 174, éd. russe.)

Le Parti périt s’il se confine étroitement dans sa propre coquil­le, s’il se détache des masses, s’il se couvre d’un enduit de bureaucratisme.

« On peut reconnaître pour règle générale, dit le camarade Staline, qu’aussi longtemps que les bolchéviks conserveront leur liaison avec les grandes masses du peuple, ils seront in­vincibles.

Et au contraire, il suffit que les bolchéviks se dé­tachent des masses et rompent leur liaison avec elles, il suffit qu’ils se couvrent de la rouille bureaucratique, pour qu’ils per­dent toute leur force et se transforment en une nullité.

La mythologie des Grecs de l’antiquité comptait un héros célèbre, Antée, qui était, selon la mythologie, le fils de Po­séidon, dieu de la mer, et de Gê, déesse de la terre.

Il était particulièrement attaché à sa mère, qui lui avait donné le jour, qui l’avait nourri et élevé. Il n’y avait point de héros qu’Antée ne pût vaincre. Il passait pour un héros invincible. Qu’est-ce qui faisait sa force ? C’était que chaque fois qu’en combattant un adversaire il était en difficulté, il touchait la terre, sa mè­re, qui lui avait donné le jour et l’avait nourri, et il reprenait des forces.

Mais il avait pourtant un point faible : c’était le danger d’être d’une façon ou de l’autre détaché de la terre. Ses ennemis tenaient compte de cette faiblesse et guettaient Antée.

Et il se trouva un ennemi qui profita de cette faiblesse et vainquit Antée. Ce fut Hercule. Mais comment réussit-il à le vaincre ? Il l’arracha de terre, le souleva en l’air, et l’em­pêchant de prendre contact avec le sol, il l’étouffa.

Je pense que les bolchéviks nous rappellent le héros de la mythologie grecque, Antée. De même qu’Antée, ils sont forts parce qu’ils sont liés à leur mère, aux masses qui leur ont donné naissance, les ont nourris et les ont éduqués.

Et aussi longtemps qu’ils restent attachés à leur mère, au peuple, ils ont toutes les chances de rester invincibles. Là est le secret de l’invincibilité de la direction bolchevi­que. » (Staline : Des insuffisances du travail du Parti, éd. russe.)

Tels sont les enseignements essentiels de l’œuvre historique accomplie par le Parti bolchévik.

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Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Le parti bolchévik en lutte pour achever la construction de la société socialiste. Application de la nouvelle Constitution (1935-1937)

Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), 1938

1. La situation internationale en 1935-1937. Atténuation momentanée de la crise économique. Début d’une nouvelle crise économique. L’Italie s’empare de l’Éthiopie. Intervention germano-italienne en Espagne. Invasion japonaise en Chine centrale. Début de la deuxième guerre impérialiste.

La crise économique qui avait éclaté dans les pays capitalistes au cours du deuxième semestre de 1929, dura jusqu’à la fin 1933. À partir de ce moment, le déclin de l’industrie s’arrêta, la crise évolua en stagnation, et l’industrie connut une certaine reprise, un certain essor. Mais ce n’était pas là l’essor qui inaugure l’épanouissement de l’industrie sur une base nouvelle supérieure.

L’industrie capitaliste mondiale ne put s’élever même au niveau de 1929 ; elle n’atteignit, vers le milieu de 1937, que 95 à 96 % de ce niveau. Et dès le second semestre de 1937 survint une nouvelle crise économique qui étreint avant tout les États-Unis. Fin 1937, le nombre des sans-travail aux États-Unis remonte jusqu’à 10 millions de personnes. Et il augmente rapidement en Angleterre.

C’est ainsi qu’à peine remis des coups de la crise économique récente, les pays capitalistes se trouvaient placés devant une nouvelle crise.

En conséquence, on voit s’aggraver encore les antagonismes entre les pays impérialistes, de même qu’entre la bourgeoisie et le prolétariat. Aussi, les États agresseurs multiplient-ils leurs tentatives de récupérer, aux dépends des autres pays mal défendus, les pertes intérieures causées par la crise économique. Notons que cette fois, aux deux États agresseurs connus, l’Allemagne et le Japon, un troisième était venu se joindre : l’Italie.

En 1935, l’Italie fasciste attaqua et soumit l’Ethiopie. Cela sans aucune raison, sans aucun motif de « droit international ». L’attaque se fit sans déclaration de guerre, subrepticement, comme il est de mode aujourd’hui chez les fascistes. Le coup n’atteignit pas seulement l’Ethiopie.

Il était dirigé également contre l’Angleterre, contre ses routes maritimes d’Europe aux Indes, en Asie. Les tentatives de l’Angleterre pour empêcher l’Italie de prendre pied en Ethiopie demeurèrent sans résultat. Pour avoir les mains entièrement libres, l’Italie sortira bientôt de la Société des nations et s’armera vigoureusement.

C’est ainsi qu’un nouveau foyer de guerre est apparu sur la plus courte des voies maritimes d’Europe en Asie.

De son côté, l’Allemagne fasciste, par un acte unilatéral, rompit le traité de Versailles et dressa son plan pour imposer la révision des frontières des États européens. Les fascistes allemands ne cachaient pas qu’ils entendaient se soumettre les États voisins ou au moins s’emparer de ceux de leurs territoires qui sont peuplés d’allemands.

Leur plan comportait les points suivants : d’abord occuper l’Autriche ; ensuite, porter un coup à la Tchécoslovaquie, et puis, vraisemblablement à la Pologne, où l’on trouve aussi un territoire entièrement peuplé d’allemands et limitrophe de l’Allemagne, et puis… et puis « on verra ».

En été 1936, l’Allemagne et l’Italie intervinrent militairement contre le République d’Espagne. Sous prétexte de soutenir les fascistes espagnols, l’Italie et l’Allemagne eurent la possibilité d’introduire en sous-main leurs troupes en territoire espagnol sur les derrières de la France, en même temps que leur flotte navale dans les eaux espagnoles, dans les parages de Baléares et de Gibraltar au sud, dans la zone de l’océan Atlantique à l’ouest, dans celle du golfe de Biscaye au nord.

Au début de 1938, les fascistes allemands occupèrent l’Autriche, pénétrant ainsi dans la région du Moyen-Danube et gagnant le sud de l’Europe, plus près de l’Adriatique.

En développant leur intervention contre l’Espagne, les fascistes germano-italiens cherchèrent à persuader le monde qu’ils luttaient contre les « rouges » sans poursuivre aucune autre fin dans ce pays. Mais ce n’était là qu’un grossier et maladroit camouflage, destiné à donner le change aux naïfs. En réalité, leur coup visait l’Angleterre et la France, puisqu’ils interceptaient les routes maritimes de ces deux pays vers leurs immenses possessions coloniales d’Afrique et d’Asie.

En ce qui concerne l’annexion de l’Autriche, il était absolument impossible de prétendre que cette annexion rentrait dans le cadre de la lutte contre le traité de Versailles, dans le cadre de la protection des intérêts « nationaux » de l’Allemagne cherchant à récupérer les territoires perdus dans la première guerre impérialiste : l’Autriche n’a fait partie de l’Allemagne ni avant la guerre ni depuis.

Le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne par la violence est une brutale annexion impérialiste de territoires étrangers. Il dévoile à n’en pas douter le désir de l’Allemagne fasciste de régner dans l’Ouest de l’Europe continentale.

Il porte atteinte avant tout aux intérêts de la France et de l’Angleterre.

C’est ainsi qu’au sud de l’Europe, dans la région de l’Autriche et de l’Adriatique, comme aussi à sa pointe occidentale, dans les parages de l’Espagne et dans les eaux qui la baignent, sont apparus de nouveaux foyers de guerre.

En 1937, les militaristes fascistes du Japon s’emparèrent de pékin, envahirent la Chine centrale et occupèrent Shangaï. L’intrusion des troupes nippones en Chine centrale s’opéra comme s’était opérée l’invasion de la Mandchourie, quelques années plus tôt, à la façon japonaise, c’est-à-dire subrepticement, sous le fallacieux prétexte d’ « incidents locaux » provoqués par les japonais eux-mêmes, en violant pratiquement toutes les « règles internationales », conventions, accords, etc.

L’occupation de Tien-Tsin et de Shangaï livre au Japon la clé des relations commerciales avec la Chine et son immense marché. Si bien que le Japon, tant qu’il tient Shangaï et Tien-Tsin, peut à tout instant déloger de la Chine centrale l’Angleterre et les États-Unis, qui y ont investi d’énormes capitaux.

Mais, bien entendu, la lutte héroïque du peuple chinois et de son armée contre les envahisseurs nippons ; le puissant essor du sentiment national en Chine ; les colossales réserves du pays en hommes et en territoires ; enfin la volonté qu’a le gouvernement national chinois de conduire la lutte pour la libération de la chine jusqu’à ce que les envahisseurs soient complètement chassés du pays, tous ces éléments attestent, sans nul doute possible, que les impérialistes japonais n’ont et ne peuvent avoir aucun avenir en Chine.

Il n’en est pas moins vrai que le Japon déteint momentanément la clé des relations commerciales avec la chine et que la guerre qu’il fait à ce pays constitue, au fond, une atteinte grave aux intérêts de l’Angleterre et des États-Unis.

C’est ainsi que dans le pacifique, dans les parages de la Chine, est apparu un autre foyer de guerre.

De tout cela il résulte que la deuxième guerre impérialiste a commencé en fait. Elle a commencé furtivement, sans déclaration de guerre. Les États et les peuples ont, en quelque sorte, glissé imperceptiblement dans l’orbite d’une deuxième guerre impérialiste. Cette guerre a été amorcée sur différents points du globe par trois États agresseurs : par les milieux dirigeants fascistes de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon.

Elle se poursuit sur une immense étendue, de Gibraltar à Shangaï. Elle a déjà entraîné dans son orbite plus d’un demi milliard d’êtres humains. Elle se poursuit, en définitive, contre les intérêts capitalistes de l’Angleterre, de la France et des États-Unis puisqu’elle a pour but de redistribuer le monde et les zones d’influence au profit des pays agresseurs et au détriment de ces états couramment appelés démocratiques.

La deuxième guerre impérialiste a pour l’instant ceci de particulier qu’elle est conduite et déployée par les puissances agressives, tandis que les autres puissances, les puissances « démocratiques », contre lesquelles elle est bel et bien dirigée, font mine de croire que cette guerre ne les concerne pas, s’en lavent les mains, reculent, exaltent leur amour de la paix, invectivent les agresseurs fascistes et… livrent tout doucement leurs positions aux agresseurs, non sans prétendre se préparer à la riposte.

Cette guerre, comme on le voit, ne laisse pas d’être une guerre assez singulière, une guerre à sens unique. Mais elle n’en est pas moins féroce et pas moins brutalement expansionniste, faite comme elle est sur le dos des peuples mal défendus d’Ethiopie, d’Espagne et de Chine.

On aurait tord d’expliquer le caractère unilatéral de la guerre par la faiblesse militaire ou économique des États « démocratiques ». Ces États « démocratiques sont, sans aucun doute, plus forts que les États fascistes.

Le caractère unilatéral de la guerre mondiale en marche s’explique par l’absence d’un front unique des États « démocratiques » contre les puissances fascistes. Certes, les États démocratiques n’approuvent pas les « extrémités » auxquelles se portent les États fascistes et ils craignent le renforcement de ces derniers.

Mais ils redoutent encore plus le mouvement ouvrier en Europe et le mouvement de libération nationale en Asie, et ils estiment que le fascisme est un « bon antidote » contre tous ces mouvements « dangereux ».

Voilà pourquoi les cercles dirigeants des États « démocratiques », et notamment les milieux anglais conservateurs, s’en tiennent à une politique qui veut persuader les manitous fascistes déchaînés « de ne pas pousser les choses à l’extrême » ; en même temps, ils leur donnent à entendre qu’ils ont une « compréhension parfaite » et, au fond, de la sympathie pour leur politique de réaction et de basse police contre le mouvement ouvrier et le mouvement de libération nationale.

En l’occurrence, les milieux dirigeants de l’Angleterre suivent à peu près la politique qu’observaient sous le tsarisme les bourgeois libéraux monarchistes de Russie qui, tout en redoutant les « extrémités » de la politique tsariste, craignaient encore davantage le peuple et avaient adopté, en conséquence, une politique de persuasion, envers le tsar, c’est-à-dire une politique decollusion avec le tsar contre le peuple.

On sait que la bourgeoisie libérale monarchiste de Russie paya cher cette double politique. Il y a tout lieu de croire que les milieux dirigeants d’Angleterre et leurs amis de France et des États-Unis paieront aussi leur rançon à l’histoire.

On conçoit que l’URSS, voyant le tour que prenaient les affaires internationales, ne pouvait passer outre à ces évènements gros de menaces. Toute guerre déclenchée par les agresseurs, même peu étendue, présente un danger pour les pays attachés à la paix.

À plus forte raison, la deuxième guerre impérialiste, qui est venue « imperceptiblement », à pas de loup, surprendre les peuples et entraîne déjà plus d’un demi-milliard d’êtres humains, est-elle forcément un grave danger pour les peuples et, en tout premier lieu, pour l’URSS. C’est ce qu’attestent éloquemment la création entre l’Allemagne, l’Italie et le Japon, d’un « bloc anticommuniste ».

Aussi notre pays, tout en pratiquant sa politique de paix, travaille-t-il à augmenter sans cesse la capacité de défense de nos frontières et la valeur militaire de l’Armée et de la Flotte rouges. Fin 1934, l’URSS est entrée dans la société des nations, estimant que, malgré la faiblesse de cette institution, elle peut néanmoins fournir un terrain pour démasquer les agresseurs, et servir dans une certaine mesure d’instrument de paix, fragile sans doute, pour entraver le déclenchement de la guerre.

L’URSS a estimé qu’en un temps comme celui-ci, il convient de ne pas dédaigner même une organisation internationale aussi faible que la Société des Nations. En mai 1935 a été conclu entre la France et l’URSS un pacte d’assistance mutuelle contre l’attaque éventuelle des agresseurs. Simultanément, un autre pacte a été conclu avec la Tchécoslovaquie. En mars 1936, l’URSS a conclu un pacte d’assistance mutuelle avec la République populaire de Mongolie. En août 1937, un pacte de non-agression a été signé entre l’URSS et la République de Chine.

2. L’essor de l’industrie et de l’agriculture se poursuit en U.R.S.S. Exécution avant terme du deuxième plan quinquennal. Reconstruction de l’agriculture et achèvement de la collectivisation. Importance des cadres. Le mouvement stakhanoviste. Essor du bien-être national. Essor de la culture nationale. Puissance de la Révolution soviétique.

Tandis que dans les pays capitalistes une nouvelle crise économique survenait, trois ans seulement après celle de 1930-1933, en U.R.S.S., durant toute cette période, l’essor de l’industrie se poursuivit irrésistiblement.

Alors que l’industrie capitaliste dans l’ensemble du monde atteignait à peine, vers le milieu de 1937, 95 à 96% du niveau de 1929 pour subir dès la seconde moitié de 1937 une nouvelle crise économique, l’in­dustrie de l’U.R.S.S., fin 1937, atteignit, au cours de sa pro­gression de plus en plus vigoureuse, 428% du niveau de 1929 ; en comparaison du niveau d’avant-guerre, elle avait plus que septuplé.

Ces succès étaient la conséquence directe de la politique de reconstruction pratiquée avec une absolue persévérance par le Parti et le gouvernement. Ils eurent pour résultat que le deuxième plan quinquennal de l’industrie se trouva exécuté avant terme, à la date du pre­mier avril 1937, c’est-à-dire en 4 ans et 3 mois.

C’était là une victoire éclatante du socialisme.

L’agriculture marquait un essor presque identique. La su­perficie ensemencée, pour l’ensemble des cultures, passa de 105 millions d’hectares en 1913 (période d’avant-guerre) à 135 millions en 1937.

La production des céréales augmenta de 4 milliards 800 millions de pouds en 1913 à 6 milliards 800 mil­lions en 1937 ; la production de coton brut, de 44 millions de pouds à 154 millions ; la production de lin (fibre), de 19 mil­lions de pouds à 31 millions ; la production de betterave, de 654 millions de pouds à 1 milliard 311 millions ; la production des plantes oléagineuses, de 129 millions de pouds à 306 millions. À noter qu’en 1937, les kolkhoz à eux seuls (sans les sov-khoz) donnèrent au pays plus d’un milliard 700 millions de ouds de blé marchand, c’est-à-dire au moins 400 millions de pouds de plus que n’en fournissaient tous ensemble, en 1913, grands propriétaires fonciers, koulaks et paysans. Une seule branche de l’agriculture, l’élevage, retardait en­core sur le niveau d’avant-guerre et progressait à une allure trop lente.

En ce qui concerne la collectivisation agricole, on pouvait, d’ores et déjà, la considérer comme achevée. En 1937, les kolkhoz groupèrent 18,5 millions de feux, soit 93% de la totalité. Quant aux champs kolkhoziens ensemencés en grains, ils repré­sentèrent 99% de toutes les emblavures paysannes en céréales. La reconstruction de l’agriculture et son approvisionne­ment intensif en tracteurs et en machines agricoles donnaient des résultats évidents.

Ainsi, l’achèvement de la reconstruction industrielle et agri­cole avait permis de pourvoir abondamment l’économie natio­nale en matériel technique de premier ordre. L’industrie et l’agriculture, les transports et l’armée, avaient été dotés d’une quantité immense de matériel technique moderne : nouvelles machines et machines-outils, tracteurs, machines agricoles, locomotives et bateaux à vapeur, artillerie et tanks, avions et navires de guerre.

Il s’agissait de lancer, par dizaines et cen­taines de milliers, des cadres spécialisés capables de dominer toute cette technique et d’en tirer le maximum. Faute d’y par­venir, faute d’un nombre suffisant de spécialistes, maîtres de la technique, cette technique risquait de se transformer en un amas de métal inerte, inutilisé. Il y avait là un danger sérieux, puisque la formation de cadres capables de maîtriser la tech­nique n’allait pas de pair avec le développement de la techni­que, mais restait bien en arrière ! Les choses se compliquaient encore du fait qu’une notable partie de nos militants n’avaient pas conscience de ce péril et qu’ils estimaient que la technique « ferait toute seule » sa besogne.

Si, auparavant, on avait sous-estimé la technique et pris à son égard une attitude de dédain, maintenant on la surestimait, on en faisait un fétiche. On ne comprenait pas que la technique, sans les hommes qui s’en rendent maîtres, est une chose morte. On ne comprenait pas que c’est seulement avec des hommes qui en ont acquis la maîtrise que la technique peut fournir un rendement supé­rieur.

La question des cadres techniques prenait donc une impor­tance primordiale.

De toute nécessité, nos militants devaient se défaire de leur engouement excessif pour la technique et de la sous-estimation du rôle des cadres, pour s’assimiler la technique, en prendre possession, intensifier dans toute la mesure du possible la for­mation de cadres capables de la dominer et d’en tirer le maxi­mum.

Auparavant, dans les débuts de la période de reconstruc­tion, au temps où te pays était affamé de technique, le Parti avait lancé le mot d’ordre « la technique en période de recons­truction décide de tout » ; mais maintenant que nous étions abondamment pourvus en moyens techniques depuis l’achève­ment, dans ses grandes lignes, de la période de reconstruction, et que le pays souffrait de la pénurie de cadres, le Parti avait à lancer un nouveau mot d’ordre pour appeler l’attention non plus sur la technique, mais sur les hommes, sur les cadres ca­pables de l’utiliser à plein.

L’intervention que fit le camarade Staline, en mai 1935, lors de la promotion des élèves des Ecoles supérieures de l’Ar­mée rouge, eut une grande importance à cet égard.

« Auparavant, déclara le camarade Staline, nous disions que « la technique décide de tout ». Ce mot d’ordre nous a aidés en ce sens que nous avons fait disparaître la pénurie tech­nique et créé la base technique la plus large dans toutes les branches d’activité, pour armer nos hommes d’une technique de premier ordre. C’est très bien. Mais c’est loin, bien loin de suffire.

Pour mettre la technique en mouvement et l’utiliser à fond, il faut des hommes, maîtres de la technique, il faut des cadres capables d’assimiler et d’utiliser cette technique selon toutes les règles de l’art. La technique sans les hommes qui en aient acquis la maîtrise est chose morte. La technique avec, en tête, des hommes qui en ont acquis la maîtrise, peut et doit faire des miracles.

Si dans nos usines et nos fabriques de pre­mier ordre, dans nos sovkhoz et nos kolkhoz, dans nos trans­ports, dans notre Armée rouge, il y avait en nombre suffisant des cadres capables de dominer cette technique, notre pays obtiendrait un rendement trois et quatre fois plus élevé qu’au­jourd’hui.

Voilà pourquoi le gros de notre effort doit porter maintenant sur les hommes, sur les cadres, sur les travail­leurs, maîtres de la technique. Voilà pourquoi l’ancien mot d’ordre : « la technique décide de tout », reflet d’une période déjà révolue, où la pénurie sévissait chez nous dans le domaine technique, doit être maintenant remplacé par un mot d’ordre nouveau : « les cadres décident de tout ».

C’est là aujourd’hui l’essentiel… Il faut comprendre enfin que de tous les capitaux précieux existant dans le monde, le plus précieux et le plus décisif, ce sont les hommes, les cadres. Il faut comprendre que, chez nous, dans les conditions actuelles, « les cadres décident de tout ». Si nous avons de bons et nombreux cadres dans l’in­dustrie, dans l’agriculture, dans les transports, dans l’armée, notre pays sera invincible. Si nous n’avons pas de tels cadres, nous boiterons des deux pieds. »

Ainsi, c’étaient la formation accélérée des cadres techniques et la prompte maîtrise de la technique nouvelle en vue d’assurer l’essor constant de la productivité du travail, qui étaient deve­nues la tâche primordiale.

Ce qui montra avec le plus d’éclat le développement de ces cadres, l’assimilation de la nouvelle technique par nos hommes et le relèvement sans cesse poursuivi de la productivité du travail, ce fut le mouvement stakhanoviste.

Ce mouvement prit naissan­ce et s’épanouit dans le bassin du Donetz, dans l’industrie houil­lère, pour s’étendre à d’autres industries, aux transports, et ga­gner ensuite l’agriculture. Il fut appelé mouvement stakhanoviste du nom de son promoteur, le piqueur Alexéï Stakhanov, du puits « Tsentralnaïa Irmino » (bassin du Donetz).

Avant Stakhanov, Nikita lzotov avait déjà établi des records sans précédent dans l’extraction du charbon. L’exemple de Stakhanov, qui abattit en un seul poste, le 31 août 1935, 102 tonnes de charbon, soit 14 fois plus que la norme courante, marqua le début d’un mouvement de masse des ouvriers et des kolkhoziens pour le relèvement des normes de rendement, pour un nouvel essor de la productivité du travail Boussyguine dans l’industrie automobile, Smétanine dans la chaussure, Krivonos dans les transports, Moussinski dans l’industrie forestière, Evdokia et Maria Vinogradova dans le tex­tile, Maria Demtchenko, Marina Gnatenko, P. Anguélina, Pola-goutine, Kolessov, Kovardak, Borine dans l’agriculture, tels furent les noms des pionniers du mouvement stakhanoviste.

D’autres les ont suivis, des détachements entiers de pionniers, qui ont porté encore plus haut que, leurs prédécesseurs la pro­ductivité du travail. La première Conférence des stakhanovistes de l’U.R.S.S., te­nue en novembre 1935, au Kremlin, ainsi que l’intervention du camarade Staline à cette conférence, eurent une portée immense pour le développement du mouvement stakhanoviste.

« Le mouvement stakhanoviste, dit le camarade Staline, exprime un nouvel essor de l’émulation socialiste, une étape nouvelle, supérieure, de l’émulation socialiste… Précédem­ment, il y a quelque trois ans, pendant la première étape de l’émulation socialiste, celle-ci n’était pas nécessairement liée à la technique nouvelle. D’ailleurs, à ce moment, nous n’a­vions presque pas, à proprement parler, de technique nouvelle.

Tandis que l’étape actuelle de l’émulation socialiste, le mouve­ment stakhanoviste est, au contraire, nécessairement liée à la technique moderne.

Le mouvement stakhanoviste ne serait pas concevable sans la technique nouvelle, supérieure. Voici devant vous des gens tels que les camarades Stakhanov, Bous­syguine, Smétanine, Krivonos, Pronine, les Vinogradova et beaucoup d’autres, des gens nouveaux, ouvriers et ouvrières, qui se sont rendus entièrement maîtres de la technique de leur métier, qui l’ont domptée et poussée en avant. Ces gens-là, nous n’en avions pas ou presque pas, il y a quelque trois ans…

La portée du mouvement stakhanoviste, c’est que ce mouvement renverse les anciennes normes techniques comme étant insuffisantes, dépasse en maintes occasions la producti­vité du travail des pays capitalistes avancés, et ouvre ainsi la possibilité pratique d’un renforcement sans cesse poursuivi du socialisme dans notre pays, la possibilité de faire de notre pays le pays le plus aisé. »

Définissant les méthodes de travail des stakhanovistes et ana­lysant le rôle énorme de ce mouvement pour l’avenir de notre pays, le camarade Staline poursuivait en ces termes :

« Observez de plus près les camarades stakhanovistes.

Que sont ces gens ? Ce sont surtout des ouvriers et des ouvrières, jeunes ou d’âge moyen, des gens développés, ferrés sur la technique, qui donnent l’exemple de la précision et de l’atten­tion au travail, qui savent apprécier le facteur temps dans le travail et qui ont appris à compter non seulement par minu­tes, mais par secondes. La plupart d’entre eux ont passé ce qu’on appelle le minimum technique [Niveau de connaissances techniques établi pour les ouvriers dans les entreprises socialistes. (N. des Trad.)] et continuent de compléter leur instruction technique.

Ils sont exempts du conserva­tisme et de la routine de certains ingénieurs, techniciens et di­rigeants d’entreprises ; ils vont hardiment de l’avant, renver­sent les normes techniques vieillies et en créent de nouvelles plus élevées ; ils apportent des rectifications aux capacités de rendement prévues et aux plans économiques établis par les dirigeants de notre industrie ; ils complètent et corri­gent constamment les ingénieurs et techniciens ; souvent ils leur en remontrent et les poussent en avant, car ce sont des hommes qui se sont rendus pleinement maîtres de la techni­que de leur métier el qui savent tirer de la technique le maxi­mum de ce qu’on en peut tirer.

Les stakhanovistes sont enco­re peu nombreux aujourd’hui, mais qui peut douter que de­main leur nombre ne soit décuplé ?

N’est-il pas clair que les stakhanovistes sont des novateurs dans notre industrie ; que le mouvement stakhanoviste représente l’avenir de notre in­dustrie ; qu’il contient en germe le futur essor technique et culturel de la classe ouvrière ; qu’il ouvre devant nous la voie qui seule nous permettra d’obtenir les indices plus élevés de la productivité du travail, indices nécessaires pour passer du socialisme au communisme et supprimer l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel ? »

Ce sont le mouvement stakhanoviste largement déployé et l’exécution avant terme du deuxième plan quinquennal qui créèrent les conditions nécessaires pour un nouvel essor du bien-être et le développement culturel des travailleurs.

Le salaire réel des ouvriers et des employés fit plus que dou­bler au cours de la deuxième période quinquennale. Le fonds de salaires passa de 34 milliards de roubles en 1933 à 81 milliards en 1937. Le fonds des assurances sociales d’État passa de 4 mil­liards 000 millions de roubles en 1933 à 5 milliards 600 millions en 1937.

Dans la seule année 1937, 10 milliards environ furent dépensés au titre des assurances d’État pour les ouvriers et les employés, pour l’amélioration des conditions d’existence pour les œuvres culturelles, les sanatoria, les stations de cure, les mai­sons de repos et l’assistance médicale.

Le régime des kolkhoz se consolida définitivement à la cam­pagne. Deux facteurs y contribuèrent puissamment : les Statuts de l’artel agricole, adoptés au IIe congrès des kolkhoziens de choc, en février 1935, et la confirmation de la remise aux kolkhoz, en jouissance perpétuelle, de toutes les terres cultivées par eux. Grâce à la consolidation du régime kolkhozien, on vit disparaître à la campagne la pauvreté et l’insécurité du lendemain.

Si quelque trois ans plus tôt on allouait dans les kolkhoz un ou deux kilogrammes de grains par journée de travail, maintenant, la plupart des kolkhoziens des régions productrices de céréales touchaient par journée de travail, de 5 à 12 kilogrammes, et beaucoup d’entre eux jusqu’à 20 kilogrammes de grains, sans compter les autres produits et le revenu en argent.

Il y a des millions de foyers kolkhoziens qui ont touché dans les régions céréalières de 500 à 1.500 pouds de grains pour un an, et des dizaines de milliers de roubles de revenu annuel dans les régions productrices de coton, de betterave, de lin, ou consacrées à l’éle­vage, à la culture de la vigne, des citrus, des fruits et légumes.

L’aisance s’est installée dans les kolkhoz. La construction de granges et de remises neuves est devenue la préoccupation essen­tielle du foyer kolkhozien, attendu que les vieux greniers calcu­lés pour de faibles provisions annuelles, ne suffisaient même pas pour un dixième aux nouveaux besoins des kolkhoziens.

Tenant compte du bien-être croissant des masses populaires, le gouvernement promulgua en 1936 une loi interdisant les avortements. En même temps, on dressa un vaste programme de construction de maternités, de crèches, de gouttes de lait, de jar­dins d’enfants.

Cette année-là, il fut assigné à ces œuvres sociales 2 milliards 174 millions de roubles contre 875 millions en 1935. Une loi spéciale prévoit des allocations considérables pour les familles nombreuses. En vertu de ces dispositions, il a été payé en 1937 plus d’un milliard de roubles.

Avec l’introduction de l’instruction générale obligatoire et la construction de nouvelles écoles, la culture des masses populaires marque un puissant essor. Une œuvre grandiose de développe­ment de l’enseignement se poursuit à travers l’U.R.S.S. Le nom­bre des élèves des écoles primaires et secondaires est passé de 8 millions en 1914 à 28 millions en 1936-1937. Le nombre des étudiants des établissements d’enseignement supérieur est passé de 112.000 en 1914 à 542.000 en 1936-1937.

Telle fut la révolution culturelle.

Dans cet essor du bien-être matériel et du développement culturel des masses populaires se révélèrent la force, la puissance, l’invincibilité de notre révolution soviétique. Les révolutions, dans le passé, périssaient parce qu’après avoir donné ta liberté au peuple, elles n’avaient pas la possibilité de lui donner en même temps une amélioration sérieuse de sa situation matérielle et culturelle. Là était leur principale faiblesse.

Notre révolution se distingue de toutes les autres en ce qu’elle a non seulement libéré le peuple du tsarisme, du capitalisme, mais encore foncièrement amélioré sa situation matérielle et culturelle. C’est ce qui fait sa force, c’est ce qui la rend invincible. Dans son intervention à la première Conférence des stakha­novistes de l’U.R.S.S., le camarade Staline a dit :

« Notre révolution prolétarienne est la seule révolution du monde à laquelle il ait été donné de montrer au peuple non seulement ses résultats politiques, mais aussi ses résultats matériels. De toutes les révolutions ouvrières, nous n’en con­naissons qu’une qui soit parvenue, tant bien que mal, au pouvoir. C’est la Commune de Paris.

Mais elle n’a pas vécu longtemps. Elle tenta, il est vrai, de rompre les chaînes du capitalisme, mais elle n’eut pas le temps de le faire ; encore moins eut-elle le temps de montrer au peuple les bienfaits matériels de la révolution.

Notre révolution est la seule qui ait non seulement rompu les chaînes du capitalisme et donné au peuple la liberté, mais qui, en outre, ait pu lui donner les conditions matérielles d’une vie aisée. C’est ce qui fait la force de notre révolution, c’est ce qui la rend invincible. »

3. Le VIIIe congrès des Soviets. Adoption de la nouvelle constitution de l’U.R.S.S.

En février 1935, le VIIe congrès des Soviets de l’Union des Républiques socialistes soviétiques avait décidé d’apporter des mo­difications à la Constitution de l’U.R.S.S., adoptée en 1924. La nécessité de ces modifications résultait des immenses changements qui s’étaient opérés dans la vie de l’U.R.S.S. depuis 1924, c’est-à-dire depuis l’adoption de la première Constitution de l’Union soviétique.

Durant les années écoulées, le rapport des forces de classes avait complètement changé en U.R.S.S. : on avait créé une nouvelle industrie, l’industrie socialiste ; les koulaks étaient écra­sés ; le régime des kolkhoz avait triomphé ; la propriété socialiste des moyens de production s’était affermie dans l’ensemble de l’économie nationale, comme base de la société soviétique. La victoire du socialisme permettait de poursuivre la démocratisation du système électoral, d’introduire le suffrage universel, égal et direct, avec scrutin secret.

Une commission de Constitution présidée par le camarade Staline, élabora le projet d’une nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. Ce texte fut l’objet d’un examen populaire qui dura cinq mois et demi. Puis il fut soumis au VIIIecongrès, congrès extraordinaire, des Soviets.

Celui-ci, réuni en novembre 1936, était appelé à approuver ou rejeter le projet de nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. Dans son rapport au VIIIe congrès sur le projet de nouvelle Constitution, le camarade Staline exposa les changements essen­tiels qui s’étaient produits dans le pays des Soviets depuis l’adop­tion de la Constitution de 1924.

La Constitution de 1924 avait été élaborée dans la première période de la Nep, alors que le pouvoir des Soviets tolérait encore le développement du capitalisme, à côté du développement du socialisme. En ce temps-là, il comptait, au cours de la compétition des deux systèmes, — capitaliste et socialiste, — organiser et assurer la victoire du socialisme sur le capitalisme dans le do­maine de l’économie.

A ce moment, la question « Qui l’empor­tera ? » n’était pas encore résolue. Basée sur une vieille et pauvre technique, l’industrie n’atteignait pas même le niveau d’avant-guerre.

L’agriculture offrait à ce moment un tableau encore plus lamentable ; les sovkhoz et les kolkhoz ne formaient que de petits îlots dans l’immense océan des exploitations paysannes indivi­duelles. Il ne s’agissait pas alors de liquider les koulaks, mais seu­lement de les limiter. Dans le domaine du commerce, le secteur socialiste ne comptait que pour 50% environ.

Tout autre était le tableau que l’U.R.S.S. offrait en 1936. À cette date, l’économie nationale avait complètement changé. Les éléments capitalistes avaient été entièrement liquidés : le système socialiste triomphait dans tous les domaines de l’économie natio­nale. La puissante industrie socialiste produisait sept fois plus que l’industrie d’avant-guerre, et elle avait entièrement supplanté l’industrie privée.

Dans l’agriculture, c’était le triomphe de la production socialiste, la plus grande production du monde, mé­canisée et armée d’une technique moderne, sous la forme du système des kolkhoz et des sovkhoz. Les koulaks, vers 1936, étaient entièrement liquidés en tant que classe et le secteur des paysans individuels avait cessé de jouer un rôle de quelque im­portance dans l’économie du pays.

Le commerce tout entier était concentré entre les mains de l’État et de la coopération L’exploi­tation de l’homme par l’homme était supprimée pour toujours. La propriété sociale, propriété socialiste, des moyens de production, s’affirmait comme la base inébranlable du régime nouveau, du régime socialiste, dans toutes les branches de l’économie nationale.

Dans la nouvelle société socialiste avaient disparu à jamais les crises, la misère, le chômage et la ruine. Les conditions étaient créées d’une vie d’aisance et de culture pour tous les mem­bres de la société soviétique.

Comme le déclara dans son rapport le camarade Staline, la composition de classe de la population de l’Union soviétique s’était modifiée en conséquence. La classe des grands proprié­taires fonciers et la grosse bourgeoisie impérialiste avaient été liquidées dès la guerre civile.

Tous les éléments exploiteurs, — capitalistes, négociants, koulaks, spéculateurs, — avaient été li­quidés dans les années de construction du socialisme. De toutes les classes exploiteuses liquidées, il ne subsistait que des restes insignifiants, dont la suppression complète n’était plus qu’une question de proche avenir.

Les travailleurs de l’U.R.S.S., — ouvriers, paysans, intellectuels, — avaient radicalement changé durant les années de construction du socialisme.

La classe ouvrière avait cessé d’être une classe exploitée, dépourvue des moyens de production, comme c’est le cas en régime capitaliste. Elle avait supprimé le capitalisme, elle avait enlevé aux capitalistes les moyens de production dont elle avait fait une propriété sociale. Elle avait cessé d’être un prolétariat dans le sens propre, dans le vieux sens du mot. Le prolétariat de l’U.R.S.S., maître du pouvoir d’État, était devenu une classe absolument nouvelle.

Il s’était transformé en une classe ouvrière libérée de l’exploitation, qui a anéanti le système capitaliste de l’économie et institué la propriété socialiste des moyens de production, c’est-à-dire en une classe ouvrière telle que l’histoire de l’humanité n’en avait encore jamais connu.

Non moins profonds étaient les changements survenus égale­ment dans la situation de la paysannerie de l’U.R.S.S. Dans le vieux temps, plus d’une vingtaine de millions d’exploitations paysannes isolées, petites et moyennes, avaient besogné séparé­ment sur leurs parcelles de terre.

Elles n’avaient alors qu’une technique arriérée ; elles subissaient alors l’exploitation des grands propriétaires fonciers, des koulaks, des marchands, des spécula­teurs, des usuriers, etc. Mais maintenant une paysannerie tout à fait nouvelle avait grandi en U.R.S.S. ; plus de grands proprié­taires fonciers ni de koulaks, plus de marchands ni d’usuriers qui puissent exploiter la paysannerie.

L’immense majorité des exploitations paysannes avaient rejoint les kolkhoz, qui sont fondés non sur la propriété privée des moyens de production, mais sur la propriété collective, née du travail collectif. C’est là un type nouveau de paysannerie, libérée de toute exploitation. L’histoire de l’humanité n’avait jamais connu non plus une telle paysan­nerie.

De même ont changé les intellectuels de l’U.R.S.S. Dans leur grande masse, ils sont devenus des intellectuels nouveaux, absolu­ment différents des anciens. Ils sont pour la plupart issus du mi­lieu ouvrier et paysan. Ils servent non pas le capitalisme, comme les anciens intellectuels, mais le socialisme. Les intellectuels sont devenus membres à droits égaux, de la société socialiste.

Avec les ouvriers et les paysans, ils construisent une nouvelle société, la société socialiste. Ce sont des intellectuels d’un type nouveau, au service du peuple et libérés de toute exploitation. L’histoire de l’humanité n’avait pas encore connu de tels intel­lectuels.

C’est ainsi que s’effacent les démarcations de classe entre les travailleurs de l’U.R.S.S., que disparaît le vieil exclusivisme de classe. Les contradictions économiques et politiques tombent et s’effacent entre les ouvriers, les paysans et les intellectuels. Il s’est créé une base pour l’unité morale et politique de la so­ciété.

Ce sont ces profonds changements intervenus dans la vie de l’U.R.S.S., ces succès décisifs du socialisme en ce pays, qui ont trouvé leur expression dans la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S.

Aux termes de cette Constitution, la société soviétique est for­mée de deux classes amies, les ouvriers et les paysans, entre les­quelles subsistent encore des distinctions de classe. L’Union des Républiques socialistes soviétiques est un État socialiste des ou­vriers et des paysans.

La base politique de l’U.R.S.S. est constituée par les Soviets des députés des travailleurs, qui ont grandi et se sont affermis à la suite du renversement du pouvoir des grands propriétaires fonciers et des capitalistes et grâce à la conquête de la dictature du prolétariat. Tout le pouvoir en U.R.S.S. appartient aux travailleurs de la ville et de la campagne, représentés par les Soviets des députés des travailleurs. L’organisme supérieur du pouvoir d’État en U.R.S.S. est le Soviet suprême de l’U.R.S.S.

Celui-ci, composé de deux Chambres égales en droits, — le Soviet de l’Union et le Soviet des Nationalités, — est élu par les citoyens de l’U.R.S.S. pour une durée de quatre ans, sur la base du suffrage universel, direct et égal, avec scrutin secret.

Les élections au Soviet suprême de l’U.R.S.S., de même qu’à tous les Soviets des députés des travailleurs, se font au suffrage universel. C’est-à-dire que tous les citoyens de l’U.R.S.S. ayant atteint l’âge de 18 ans, indépendamment de la race ou de la na­tionalité à laquelle ils appartiennent, de leur religion, de leur de­gré d’instruction, du délai de résidence, de leur origine sociale, de leur situation matérielle et de leur activité passée, ont le droit de prendre part aux élections des députés et d’être élus, à l’exception des aliénés et des personnes condamnées par le tribunal à la pri­vation des droits électoraux. Les élections des députés se font au suffrage égal.

C’est-à-dire que chaque citoyen dispose d’une voix, et que tous les citoyens prennent part aux élections sur la base de l’égalité. Les élections des députés se font au suffrage direct. C’est-à-dire que les élections à tous les Soviets des députés des tra­vailleurs, depuis les Soviets des députés des travailleurs des agglomérations rurales et des villes, jusqu’au Soviet suprême de l’U.R.S.S. sont faites par les citoyens sans intermédiaire, au suffrage direct.

Le Soviet suprême de l’U.R.S.S. élit, en séance commune des deux Chambres, son Présidium, ainsi que le Conseil des commis­saires du peuple de l’U.R.S.S.

La base économique de l’Union soviétique est constituée par le système socialiste de l’économie et par la propriété socialiste des moyens de production. En U.R.S.S., est appliqué le principe du socialisme : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail. »

À tous les citoyens de l’U.R.S.S. sont garantis le droit au tra­vail, le droit au repos, le droit à l’instruction, le droit d’être assu­rés matériellement dans leur vieillesse, et aussi en cas de maladie et de perte de la capacité de travail. Des droits égaux à ceux de l’homme sont accordés à la femme, dans toutes les branches d’activité. L’égalité en droits des citoyens de l’U.R.S.S., sans distinction de nationalité et de race, est une loi imprescriptible.

La liberté de conscience et la liberté de propagande antireli­gieuse sont reconnues à tous les citoyens.

La Constitution garantit, — en vue d’affermir la société socia­liste, — la liberté de la parole, de la presse, des réunions et des meetings, le droit de se grouper au sein d’organisations so­ciales, l’inviolabilité de la personne, l’inviolabilité du domicile et le secret de la correspondance, le droit d’asile aux citoyens étrangers poursuivis pour la défense des intérêts des travailleurs, en raison de leur activité scientifique ou pour leur lutte de libération nationale.

La nouvelle Constitution impose en même temps de sérieux devoirs à tous les citoyens de l’U.R.S.S. : exécuter les lois, obser­ver la discipline du travail, remplir honnêtement le devoir social, respecter les règles de la vie en société socialiste, sauvegarder et affermir la propriété sociale, propriété socialiste, défendre la patrie socialiste.

« La défense de la patrie est le devoir sacré de tout citoyen de l’U.R.S.S. »

Au sujet du droit des citoyens à s’associer en organisations diverses, la Constitution a inscrit dans un de ses articles :

« … Les citoyens les plus actifs et les plus conscients de la classe ouvrière et des autres couches de travailleurs s’unissent dans le Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S,, avant-garde des travailleurs dans leur lutte pour l’affermissement et le développement du régime socialiste et noyau dirigeant de toutes les organisations de travailleurs, aussi bien des organi­sations sociales que des organisations d’État. »

Le VIIIe congrès des Soviets approuva et ratifia à l’unanimité le projet de nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. C’est ainsi que le pays des Soviets reçut une nouvelle Cons­titution : la Constitution de la victoire du socialisme et de la dé­mocratie ouvrière et paysanne.

Par là la Constitution consacra ce fait capital pour l’histoire de l’humanité que l’U.R.S.S. était entrée dans une nouvelle phase de développement : celle de l’achèvement de la construction de la société socialiste et du passage progressif à la société commu­niste, où le principe directeur de la vie sociale doit être le prin­cipe communiste : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. »

4. Liquidation des débris boukhariniens et trotskistes, espions, traîtres à la patrie. Préparatifs des élections au Soviet Suprême de l’U.R.S.S. Le parti s’oriente vers une large démocratie intérieure. Elections au Soviet Suprême de l’U.R.S.S.

L’année 1937 apporta de nouvelles révélations sur les mons­tres de la bande boukharinienne et trotskiste. Le procès de Piatakov, Radek et autres, celui de Toukhatchevski, Iakir, etc., enfin celui de Boukharine, Rykov, Krestinski, Rosengolz et autres, tous ces procès montrèrent que les boukhariniens et les trotskistes for­maient depuis longtemps déjà une seule bande d’ennemis du peuple, sous les espèces du « bloc des droitiers et des trotskistes ».

Les procès établirent que ces rebuts du genre humain avaient, dès les premiers jours de la Révolution socialiste d’Octobre, tramé avec les ennemis du peuple Trotski, Zinoviev et Kaménev, un complot contre Lénine, contre le Parti, contre l’État soviétique.

Tentatives provocatrices pour faire échouer la paix de Brest-Litovsk, au début de 1918 ; complot contre Lénine et collusion avec les socialistes-révolutionnaires « de gauche » en vue d’arrê­ter et d’assassiner Lénine, Staline, Sverdlov, au printemps de 1918 ; coup de feu scélérat tiré sur Lénine, qui est blessé, en été 1918 ; émeute des socialistes-révolutionnaires « de gauche » en été 1918  ; aggravation voulue des divergences au sein du Parti, en 1921, dans le but d’ébranler et de renverser du dedans la direction de Lénine, tentatives faites pour renverser la direction du Parti pendant la maladie de Lénine et après sa mort ; trahison des secrets d’État et livraison de renseignements aux services d’espionnage étrangers ; lâche assassinat de Kirov ; sabotage, actes de diversion, explosions ; lâche assassinat de Menjinski, de Koui-bychev, de Gorki : tous ces forfaits et ceux qui s’y rattachèrent avaient été perpétrés durant vingt années, comme on le sut plus tard, avec le concours ou sous la direction de Trotski, de Zino­viev, de Kaménev, de Boukharine, de Rykov et de leurs suppôts, sur les ordres des services d’espionnage bourgeois de l’étranger.

Les procès révélèrent que les monstres trotskistes et boukhariniens, sur l’ordre de leurs patrons des services d’espionnage bour­geois, s’étaient assigné pour but de détruire le Parti et l’État sovié­tique, de miner la défense du pays, de faciliter l’intervention mi­litaire de l’étranger, de préparer la défaite de !’Armée rouge, de démembrer l’U.R.S.S., de livrer aux Japonais la Province mari­time soviétique d’Extrême-Orient, de livrer aux Polonais la Biélorussie soviétique, de livrer aux Allemands l’Ukraine soviétique, d’anéantir les conquêtes des ouvriers et des kolkhoziens, de res­taurer l’esclavage capitaliste en U.R.S.S.

Sans doute, ces pygmées de gardes blancs, dont on ne saurait comparer la force qu’à celle d’un misérable moucheron, se consi­déraient-ils — quelle dérision ! — comme les maîtres du pays et s’imaginaient-ils pouvoir réellement distribuer et vendre en des mains étrangères l’Ukraine, la Biélorussie, la Province maritime ! Cette vermine de gardes blancs avait oublié que le maître du pays des Soviets est le peuple soviétique, tandis que messieurs Rykov, Boukharine, Zinoviev, Kaménev n’étaient rien que des serviteurs temporaires de l’État qui pouvait à tout instant les rejeter de ses administrations comme un fatras inutile ! Ces piteux laquais des fascistes avaient oublié qu’il suffisait au peuple soviétique de remuer le doigt pour qu’il ne restât d’eux aucune trace ! Le tribunal soviétique condamna les monstres boukhariniens et trotskistes à être fusillés.

Le Commissariat du peuple de l’Intérieur exécuta le verdict.

Le peuple soviétique approuva l’écrasement de la bande bou­kharinienne et trotskiste et passa aux affaires courantes. Et les affaires courantes consistaient à préparer les élections du Soviet suprême de l’U.R.S.S., et à y procéder sous des formes dûment organisées.

Le Parti déployait à pleine force l’action préparatoire aux élections. Il estimait que la mise en œuvre de la nouvelle Cons­titution de l’U.R.S.S. marquait un tournant dans la vie politique du pays. Il estimait que ce tournant consistait à démocratiser pleinement le système électoral, à passer du suffrage restreint au suffrage universel, du suffrage incomplètement égal au suffrage égal, des élections à plusieurs degrés au suffrage direct, du scru­tin public au scrutin secret.

Tandis qu’avant l’adoption de la nouvelle Constitution le droit électoral ne s’étendait pas aux serviteurs du culte, aux anciens gardes blancs, aux anciens koulaks et aux personnes ne faisant pas un travail d’utilité publique, la nouvelle Constitution rejette toutes les restrictions du droit électoral pour ces catégories de citoyens, en faisant élire les députés au suffrage universel.

Tandis qu’auparavant l’élection des députés ne se faisait pas au suffrage égal, puisqu’il existait des règles électorales différentes pour la population des villes et celle des campagnes, mainte­nant la nécessité de restreindre l’égalité du suffrage a disparu : tous les citoyens ont le droit de participer aux élections sur la base de l’égalité.

Tandis qu’auparavant l’élection des organes intermédiaires et supérieurs du pouvoir des Soviets se faisait à plusieurs degrés, maintenant, d’après la nouvelle Constitution, on doit procéder aux élections, pour tous les Soviets, depuis les Soviets ruraux et les Soviets de ville jusqu’au Soviet suprême, par le vote de tous les citoyens directement, au suffrage direct.

Tandis qu’auparavant l’élection des députés aux Soviets se faisait par vote public et au scrutin de liste, maintenant le vote est secret et l’électeur se prononce non sur une liste de candidats, mais sur des candidatures individuelles proposées par circonscrip­tions électorales.

Il y avait là un tournant indéniable dans la vie politique du pays.

Le nouveau système électoral devait provoquer, et il a réelle­ment provoqué, un redoublement d’activité politique des masses, le renforcement du contrôle des masses sur les organes du pou­voir soviétique, l’accentuation de la responsabilité des organes du pouvoir soviétique devant le peuple.

Pour faire face de toutes ses forces à ce tournant, le Parti devait se placer en tête de la nouvelle orientation et s’assurer entièrement le rôle dirigeant dans les élections prochaines.

Mais il fallait pour cela que les organisations du Parti obéissent elles-mêmes, dans leur fonctionnement pratique, à une démocratie absolue ; qu’elles appliquent pleinement à leur vie intérieure les principes du centralisme démocratique, comme le veulent les sta­tuts du Parti ; que tous les organismes du Parti soient électifs ; que la critique et l’autocritique se développent à plein dans le Parti ; que la responsabilité des organisations du Parti devant la masse môme des adhérents soit totale, et que cette masse déploie une activité intense.

Le rapport du camarade Jdanov à l’Assemblée plénière du Comité central, fin février 1937, sur les préparatifs des organi­sations du Parti aux élections du Soviet suprême de l’U.R.S.S., établit que certaines organisations du Parti ne se faisaient pas faute de violer, dans leur activité pratique, les statuts du Parti et les principes du centralisme démocratique ; qu’elles substituaient aux élections la cooptation ; au vote uninominal, le vote au scru­tin de liste ; au scrutin secret, le vote public, etc.

On conçoit que de pareilles organisations, avec une pareille pratique, eussent été incapables de s’acquitter de leur tâche lors des élections au Soviet suprême. Il fallait par conséquent mettre tout d’abord un terme à cette pratique antidémocratique des organisations du Parti et réorganiser leur travail sur la base d’une démocratie largement déployée.

C’est pourquoi l’Assemblée plénière du Comité central, après avoir entendu le rapport du camarade Jdanov, prit les décisions suivantes :

« a) Réorganiser le travail du Parti en appliquant entière­ment et sans réserve, à l’intérieur du Parti, les principes dé­mocratiques prescrits par les statuts.
b) Mettre un terme à la pratique de cooptation aux comités du Parti et rétablir, conformément aux statuts du Parti, l’élec­tion des organismes dirigeants par les organisations du Parti.
c) Interdire pour l’élection des organismes du Parti le vote au scrutin de liste ; procéder au vote par scrutin uninominal, en assurant à tous les membres du Parti le droit illimité de récuser les candidatures et d’en faire la critique. 
d) Instituer pour l’élection des organismes du Parti le vote au scrutin secret. 
e) Procéder dans foutes les organisations du Parti au renouvellement des organismes dirigeants, depuis les comités des organisations primaires jusqu’aux comités de territoire et de région et aux comités centraux des Partis communistes des Républiques nationales, cela de manière à achever les élections le 20 mai au plus tard. 
f) Faire un devoir à toutes les organisations du Parti d’ob­server strictement les délais établis par les statuts du Parti pour le renouvellement de ses organismes : un an dans les organisations primaires ; un en dans les organisations de rayon et de ville ; dix-huit mois dans les organisations de ré­gion, de territoire et de république. 
g) Assurer dans les organisations primaires du Parti la stricte observation du règlement relatif à l’élection des comités du Parti par les réunions plénières d’entreprise, sans admettre qu’elles soient remplacées par des conférences. 
h) Liquider la pratique de certaines organisations primaires du Parti, qui suppriment en fait les réunions plénières d’entre­prise et les remplacent par des réunions générales d’atelier et des conférences. »

C’est ainsi que commença la préparation du Parti aux élec­tions prochaines.

Cette décision du Comité central eut une énorme portée po­litique. Ce qui faisait son importance, ce n’était pas seulement qu’elle marquait pour le Parti le début de la campagne des élec­tions au Soviet suprême de l’U.R.S.S.

C’était avant tout le fait que cette décision aidait les organisations du Parti à prendre po­sition, à s’orienter vers la démocratie intérieure et à assurer la parfaite conduite des élections au Soviet suprême.

En ouvrant une large campagne électorale, le Parti avait décidé de faire reposer toute sa politique dans cette campagne sur l’idée d’un bloc électoral des communistes et des sans-parti. C’est ainsi que le Parti se présenta aux élections en un seul bloc avec les sans-parti, en alliance avec eux, après avoir pris la déci­sion de proposer dans les circonscriptions électorales des candida­tures communes avec les sans-parti. Fait sans précédent et absolu­ment impossible dans la pratique électorale des pays bourgeois.

Et pourtant, il s’avéra que le bloc des communistes et des sans-parti était un phénomène parfaitement naturel pour notre pays, où il n’y a plus de classes ennemies et où l’unité morale et poli­tique de toutes les couches du peuple est un fait incontestable. Le 7 décembre 1937, le Comité central du Parti adressa un message à tous les électeurs. On y lisait :

« Le 12 décembre 1937, les travailleurs de l’Union soviéti­que, forts de leur Constitution socialiste, vont élire leurs dépu­tés au Soviet suprême de l’U.R.S.S.

Le Parti bolchévik se présente aux élections en bloc, en alliance avec les sans-parti, ouvriers, paysans, employés, intellectuels… Le Parti bolche­vik n’élève pas de barrière entre lui et les sans-parti ; au contraire, il se présente aux élections en bloc, en alliance avec les sans-parti, il s’y présente en bloc avec les syndicats des ouvriers et des employés, avec les jeunesses communistes et les autres organisations et associations de sans-parti.

Par con­séquent, communistes et sans-parti auront des candidats com­muns ; chaque député sans-parti sera aussi le député des com­munistes, de même que chaque député communiste sera le dé­puté des sans-parti. »

Le message du Comité central s’achevait par l’appel suivant aux électeurs :

« Le Comité central du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. appelle tous les communistes et sympathisants à voter pour les candidats sans-parti avec la même unanimité qu’ils sont tenus de voter pour les candidats communistes.

Le Comité central du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. appelle tous les électeurs sans-parti à voter pour les candidats communistes avec la même unanimité qu’ils met­tront à voter pour les candidats sans-parti. Le Comité central du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., appelle tous les électeurs à se présenter, comme un seul homme, le 12 décembre 1937, aux urnes électorales, pour élire les députés au Soviet de l’Union et au Soviet des Natio­nalités.

Pas un électeur qui ne tienne à honneur d’exercer son droit : élire les députés à l’organisme suprême de l’État sovié­tique ! Pas un citoyen militant qui ne considère de son devoir civique d’aider à faire participer tous les électeurs sans excep­tion aux élections au Soviet suprême ! Le 12 décembre 1937 doit devenir la grande fête du ral­liement des travailleurs de tous les peuples de l’U.R.S.S. autour du drapeau victorieux de Lénine et de Staline. »

Le 11 décembre 1937, la veille des élections, le camarade Staline, prenant la parole devant les électeurs de sa circonscrip­tion, examina ce que doivent être les élus du peuple, les députés au Soviet suprême de l’U.R.S.S. Le camarade Staline déclara :

« Les électeurs, le peuple, doivent exiger de leurs députés qu’ils restent à la hauteur de leurs tâches ; que dans leur travail ils ne descendent pas au niveau de petits bourgeois terre à terre ; qu’ils restent à leur poste d’hommes politiques de type léniniste ; qu’ils soient des hommes politiques aussi lucides et aussi déterminés que l’était Lénine ; qu’ils soient aussi intrépides dans le combat, aussi implacables pour les ennemis du peuple que l’était Lénine ; qu’ils soient exempts de toute panique, de toute ombre de panique, quand les choses commencent à se compliquer et qu’un danger quelconque se dessine à l’horizon, qu’ils soient aussi exempts de toute ombre de panique que l’était Lénine.

Qu’ils soient aussi sages et aussi étrangers à toute précipitation que l’était Lénine, quand il s’agira de résoudre des problèmes complexes, à propos des­quels il faut savoir s’orienter largement et tenir largement compte de tous les inconvénients et de tous les avantages. Qu’ils soient aussi droits et aussi honnêtes que l’était Lénine ; qu’ils aiment leur peuple comme l’aimait Lénine. »

C’est le 12 décembre que les élections au Soviet suprême de l’U.R.S.S. eurent lieu. Elles se déroulèrent dans un puissant élan. Ce ne fut pas simplement une élection, ce fut une fête grandiose, le triomphe du peuple soviétique, une démonstration de la grande amitié des peuples de l’U.R.S.S.

Sur 94 millions d’électeurs, plus de 91 millions, soit 96,8% prirent part aux élections. De ce nombre, 89.844.000 personnes, soit 98,6%) votèrent pour le bloc des communistes et des sans-parti. 632.000 personnes seulement, c’est-à-dire moins de 1%, votèrent contre les candidats du bloc des communistes et des sans-parti.

Tous les candidats du bloc des communistes et des sans-parti, sans exception, furent élus. C’est ainsi que 90 millions de personnes confirmèrent par leur vote unanime la victoire du socialisme en U.R.S.S.

Ce fut une victoire insigne du bloc des communistes et des sans-parti. Ce fut le triomphe du Parti bolchévik. L’unité morale et politique du peuple soviétique, unité évoquée par le camarade Molotov dans son magistral discours à l’occasion du XXe anniversaire de la Révolution d’Octobre, reçut en cette occasion une brillante consécration.

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Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Le parti bolchévik en lutte pour la collectivisation agricole (1930-1934)

Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), 1938

1. La situation internationale en 1930-1934. Crise économique dans les pays capitalistes. Occupation de la Mandchourie par le Japon. Arrivée des fascistes au pouvoir en Allemagne. Deux foyers de guerre.

Tandis que l’URSS enregistrait de sérieux succès dans l’industrialisation socialiste du pays et développait son industrie à une cadence accélérée, on vit éclater fin 1929 dans les pays du capitalisme, pour s’aggraver encore dans les trois années qui suivirent, une crise économique mondiale sans précédent par sa force de destruction. La crise industrielle se compliqua d’une crise agraire, ce qui aggrava encore la situation des pays capitalistes.

Alors qu’en ces trois années de crise (1930-1933), l’industrie de l’URSS avait plus que doublé, atteignant, en 1933, 201% par rapport au niveau de 1929, l’industrie des États-Unis d’Amérique tombait, en fin d’année 1933, à 65% du niveau de 1929 ; l’industrie d’Angleterre, à 86% ; celle de l’Allemagne, à 66%, celle de la France, à 77%.

Ainsi apparut une fois de plus la supériorité de l’organisation socialiste de l’économie sur l’organisation capitaliste. Ainsi il fut prouvé que le pays du socialisme est le seul pays du monde qui ignore les crises économiques.

En conséquence de la crise économique mondiale, 24 millions de chômeurs furent voués à la famine, à la misère, aux souffrances. Des dizaines de millions de paysans furent frappés par la crise agraire.

La crise économique mondiale aggrava encore les antagonismes entre les États impérialistes, entre pays vainqueurs et pays vaincus, entre États impérialistes et pays coloniaux et dépendants, entre ouvriers et capitalistes, entre paysans et grands propriétaires fonciers.

Le camarade Staline disait, dans le rapport du Comité central au XVIe congrès du Parti, que la bourgeoisie chercherait une issue à la crise économique, d’une part en matant la classe ouvrière par l’établissement de la dictature fasciste, c’est-à-dire des éléments capitalistes les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes ; d’autre part en déclanchant la guerre pour la redistribution des colonies et des zones d’influence au détriment des pays mal défendus.

C’est bien ce qui se produisit.

En 1932, la menace de guerre s’accentua du côté du Japon. Les impérialistes japonais, voyant que les puissances d’Europe et les États-Unis étaient entièrement absorbés par leurs affaires intérieures en raison de la crise économique, décidèrent de profiter de l’occasion pour tenter de faire pression sur la chine mal défendue, pour la subjuguer et se rendre maîtres du pays.

Sans déclaration de guerre à la Chine, en utilisant hypocritement les « incidents locaux » qu’ils avaient eux-mêmes provoqués, les impérialistes japonais débarquèrent subrepticement des troupes en Mandchourie.

L’armée japonaise prit entièrement possession de la Mandchourie, se ménageant ainsi des positions avantageuses pour mettre la main sur la Chine du Nord et déclencher l’agression contre l’URSS. Pour avoir les coudées franches, le Japon se retira de la Société des Nations et s’arma fiévreusement.

Cette circonstance poussa les États-Unis, l’Angleterre et la France à renforcer leurs armements navals en Extrême-Orient. Le but du japon était clair : se soumettre la Chine et en déloger les puissances impérialistes d’Europe et d’Amérique. celles-ci ripostèrent en renforçant leurs armements.

Mais le Japon s’assignait encore un autre but : s’emparer de l’Extrême-Orient soviétique. On conçoit que l’URSS ne pouvait passer outre ce danger : elle renforça énergiquement la capacité de défense du Territoire d’Extrême-Orient.

C’est ainsi que, du fait des impérialistes japonais passés au fascisme, il se forma en Extrême-Orient un premier foyer de guerre.

La crise économique n’exaspéra pas seulement les contradictions du capitalisme en Extrême-Orient. Elle les aggrava aussi en Europe. La crise qui se prolongeait dans l’industrie et dans l’agriculture, le chômage massif et la situation de plus en plus précaire des classes non possédantes, avaient accru le mécontentement des ouvriers et des paysans. Ce mécontentement se transformait en une indignation révolutionnaire de la classe ouvrière.

Il s’accentuait particulièrement en Allemagne, pays économiquement épuisé par la guerre, par les contributions payées aux vainqueurs anglo-français et par la crise économique ; pays où la classe ouvrière gémissait sous le joug de sa propre bourgeoisie et de la bourgeoisie étrangère, anglo-française.

C’est ce qu’attestèrent les six millions de voies recueillies par le Parti communiste allemand, lors des élections au Reichstag qui précédèrent l’arrivée des fascistes au pouvoir. La bourgeoisie allemande voyait que les libertés démocratiques bourgeoises qui subsistaient dans le pays pouvaient lui jouer un mauvais tour ; que la classe ouvrière pouvait profiter de ces libertés pour développer le mouvement révolutionnaire.

Aussi avait-elle décidé que pour maintenir son pouvoir en Allemagne, il n’y avait qu’un seul moyen : anéantir les libertés bourgeoises, réduire à zéro le Parlement (le Reichstag) et instaurer une dictature terroriste de la bourgeoisie nationaliste, dictature qui pût écraser la classe ouvrière et prendre appui dans les masses petites-bourgeoises éprises de revanche.

La bourgeoisie allemande appela au pouvoir le parti fasciste qui, pour tromper le peuple, s’intitule parti national-socialiste : elle savait parfaitement que ce parti est d’abord une fraction de la bourgeoisie impérialiste, fraction la plus réactionnaire et la plus hostile à la classe ouvrière et, en second lieu, le parti le plus revanchard, capable d’entraîner derrière lui la grande masse de la petite bourgeoisie à tendance nationaliste.

En cela, la bourgeoisie fut secondée par les traîtres à la classe ouvrière, les leaders de la social-démocratie allemande qui, par leur politique de conciliation, avaient frayé la voie au fascisme.

Telles furent les conditions qui déterminèrent l’accession des fascistes allemands au pouvoir en 1933.

En analysant les évènements d’Allemagne, le camarade Staline a dit, dans le rapport du Comité central au XVIIe congrès du Parti :

« La victoire du fascisme en Allemagne, il ne faut pas la considérer simplement comme un signe de faiblesse de la classe ouvrière et comme le résultat des trahisons perpétrées contre elle par la social-démocratie qui a frayé la route au fascisme.

Il faut la considérer aussi comme un signe de faiblesse de la bourgeoisie, comme un signe montrant que la bourgeoisie n’est plus en mesure d’exercer le pouvoir par les vieilles méthodes du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise, ce qui l’oblige à recourir, dans sa politique intérieure, aux méthodes terroristes de gouvernement… » (Staline : Les Questions du léninisme.)

Les fascistes allemands consacrèrent leur politique intérieure par l’incendie du Reichstag, par la répression sauvage de la classe ouvrière, par la destruction des organisations ouvrières, par l’anéantissement des libertés démocratiques bourgeoises. Quant à leur politique extérieure, ils la consacrèrent en se retirant de la Société des Nations et en préparant ouvertement la guerre pour imposer la révision des frontières des États européens au profit de l’Allemagne.

C’est ainsi que, du fait des fascistes allemands, il se forma au cœur de l’Europe un second foyer de guerre.

On conçoit que l’URSS ne pouvait passer outre à un fait aussi grave. et elle se mit à suivre avec vigilance le cours des évènements d’Occident, en renforçant sa capacité de défense sur ses frontières occidentales.

2. De la politique de limitation des éléments koulaks à la politique de liquidation des koulaks comme classe. lutte contre les déformations de la politique du Parti dans le mouvement kolkhozien. Offensive contre les éléments capitalistes sur toute la ligne du front. Le XVIe congrès du Parti.

L’adhésion massive des paysans aux kolkhoz en 1929-1930 fut le résultat de toute l’activité antérieure du Parti et du gouverne­ment.

L’essor de l’industrie socialiste, qui avait commencé la fa­brication en grand des tracteurs et des machines pour l’agricultu­re ; la lutte décisive contre les koulaks lors des campagnes de stockage en 1928-1929 ; le progrès de la coopération agricole, qui habituait peu à peu le paysan à l’économie collectivisée , l’expé­rience concluante des premiers kolkhoz et sovkhoz, tout cela avait préparé le passage à la collectivisation intégrale, l’adhésion des paysans aux kolkhoz, par villages, par rayons, par arrondisse­ments entiers.

Le passage à la collectivisation intégrale ne s’opérait pas par la simple et pacifique adhésion des masses essentielles de la pay­sannerie aux kolkhoz, mais à travers une lutte de masse des pay­sans contre les koulaks.

La collectivisation intégrale signifiait que toutes les terres du village devaient passer au kolkhoz ; or une partie notable de ces terres étaient détenues par les koulaks. C’est pourquoi les paysans les chassaient de la terre, les dépossédaient, leur enlevaient le bétail et les machines ; ils exigeaient du pouvoir soviétique que les koulaks fussent arrêtés et expulsés.

C’est ainsi que la collectivisation intégrale signifia la liquidation des koulaks. C’est ainsi que se réalisa la politique de liquidation des koulaks comme classe sur la base de la collectivisation intégrale. À cette époque, l’U.R.S.S. possédait déjà une base matérielle suffisante pour en finir avec les koulaks, pour briser leur résistan­ce, les liquider en tant que classe, et remplacer leur production par celle des kolkhoz et des sovkhoz.

En 1927, les koulaks produisaient encore plus de 600 millions de pouds de blé [1 poud = 16 kg, 38] dont environ 130 millions de pouds de blé marchand. Les kolkhoz et les sovkhoz, à la même date, ne pouvaient produire que 35 millions de pouds de blé mar­chand.

En 1929, grâce à la ferme orientation du Parti bolchévik dans le sens du développement des sovkhoz et des kolkhoz, et grâce aux succès de l’industrie socialiste qui approvisionnait la campagne en tracteurs et en machines agricoles, les kolkhoz et les sovkhoz étaient devenus une force sérieuse.

Dès celte année-là, les kolkhoz et les sovkhoz ne produisirent pas moins de 400 millions de ponds de blé, dont plus de 130 millions de pouds de blé mar­chand, c’est-à-dire plus que n’en avaient produit les koulaks en 1927. En 1930, les kolkhoz et tes sovkhoz devaient donner, et ils ont réellement donné, plus de 400 millions de pouds de blé marchand, c’est-à-dire une quantité de beaucoup supérieure à celle qu’avaient donnée les koulaks en 1927,

C’est ainsi que le regroupement des forces de classe dans l’économie du pays et l’existence de la base matérielle nécessaire pour pouvoir remplacer la production koulak du blé par celle des kolkhoz et des sovkhoz, permirent au Parti bolchévik de passer de la politique de limitation des koulaks à une politique nouvelle, à la politique de liquidation des koulaks comme classe, sur la base de la collectivisation intégrale.

Jusqu’en 1929, le pouvoir des Soviets avait appliqué une po­litique de limitation des koulaks. Il frappait le koulak d’un impôt majoré ; il l’obligeait à vendre à l’État son blé aux prix fermes ; il bornait la jouissance du sol pour le koulak à une superficie réduite par la loi sur l’affermage de la terre ; il imposait des li­mites à l’économie koulak par la loi sur l’emploi de la main-d’œu­vre salariée dans les exploitations paysannes individuelles.

Mais il n’appliquait pas encore la politique de liquidation des koulaks, puisque les lois sur l’affermage et l’emploi de la main-d’œuvre toléraient l’existence des koulaks, et que 1’interdiction de les déposséder, alors en vigueur, leur donnait certaines garanties à cet égard.

Cette politique entravait le développement des koulaks, dont Certaines couches avaient succombé aux mesures de limi­tation, avaient été évincées et ruinées.

Cependant, elle ne suppri­mait pas la base économique des koulaks comme classe. Elle ne conduisait pas à la liquidation des koulaks. C’était une politique de limitation, et non une politique de liquidation des koulaks. Mais elle avait été indispensable pendant une certaine période parce que les kolkhoz et les sovkhoz étaient encore faibles et ne pouvaient remplacer la production de blé des koulaks par leur propre production.

Fin 1929, en présence du développement des kolkhoz et des sovkhoz, le pouvoir des Soviets opéra un tournant vigoureux. Il passa à la politique de liquidation, à la politique de suppression des koulaks comme classe. II abolit les lois sur l’affermage du sol et l’emploi de la main-d’œuvre, retirant ainsi aux koulaks la terre et la main-d’œuvre salariée. Il leva l’interdiction de tes déposséder.

Il autorisa les paysans à leur confisquer, au profit des kolkhoz, le bétail, les machines et autre matériel. Les koulaks furent expropriés comme les capitalistes l’avaient été en 1918 dans le domaine de l’industrie, avec cette différence pourtant que les moyens de production des koulaks passaient, cette fois, non plus à l’État, mais aux paysans associés, aux kolkhoz.

Ce fut là une transformation révolutionnaire des plus profon­des, un bond effectué de l’ancien état qualitatif de la société à un nouvel état qualitatif, équivalant par ses conséquences à la Révolution d’octobre 1917. Cette révolution avait ceci d’original qu’elle avait été accom­plie d’en haut, sur l’initiative du pouvoir d’État, soutenu directe­ment d’en bas, par des millions de paysans en lutte contre l’em­prise koulak, pour la libre vie kolkhozienne.

Cette révolution tranchait d’un seul coup trois problèmes fon­damentaux de la construction du socialisme :

a) Elle liquidait la classe d’exploiteurs la plus nombreuse dans notre pays, la classe des koulaks, rempart de la restauration du capitalisme.
b) Elle faisait passer de la voie de l’économie individuelle, qui engendre le capitalisme, à la voie de l’économie collective, kol­khozienne, socialiste, la classe laborieuse la plus nombreuse de notre pays, la classe des paysans.
c) Elle donnait au pouvoir des Soviets une base socialiste dans le domaine le plus vaste, le plus indispensable à l’existence, mais aussi le plus arriéré de l’économie nationale, dans l’agriculture.

C’est ainsi que furent supprimées, à l’intérieur du pays, les dernières sources de restauration du capitalisme ; et en même temps on créait les conditions nouvelles, les conditions décisives, qui étaient indispensables pour construire l’économie socialiste. En motivant la politique de liquidation des koulaks comme classe et en marquant les résultats du mouvement massif des paysans pour la collectivisation intégrale, le camarade Staline a écrit en 1929 :

« On voit s’écrouler et se réduire en poussière l’espoir ultime des capitalistes de tous les pays, qui rêvent de restau­rer en U.R.S.S. le capitalisme, le « principe sacré de la pro­priété privée ». Les paysans qu’ils considèrent comme un en­grais destiné à préparer le terrain pour le capitalisme, abandon­nent en masse le drapeau tant vanté de la « propriété privée » et s’engagent dans la voie du collectivisme, dans la voie du socialisme.

Il croule, l’espoir ultime de voir restaurer le capi­talisme. » (Staline : L’année du grand tournant. Voir Les Ques­tions du léninisme.)

La politique de liquidation des koulaks comme classe fut con­sacrée par la décision historique du Comité central du P. C. de l’U.R.S.S. en date du 5 janvier 1930 « Sur les rythmes de la collectivisation et les dispositions prises par l’État pour aider à la cons­truction des kolkhoz ».

Cette décision tint parfaitement compte de la diversité des conditions et du degré inégal de préparation à la collectivisation dans les différentes régions de l’U.R.S.S. On établit des rythmes différenciés de collectivisation. Le Comité central du P.C. de l’U.R.S.S. divisa les régions de l’Union soviétique en trois groupes, suivant les rythmes de collectivisation à pratiquer.

Le premier groupe comprenait les plus importantes régions productrices de céréales, celles qui étaient les mieux préparées à la collectivisation et qui disposaient du plus grand nombre de tracteurs, de sovkhoz ainsi que de la plus grande expérience dans la lutte contre les koulaks lors des campagnes de stockage de blé.

C’étaient le Caucase du Nord (régions du Kouban, du Don, du Térek), la Moyenne-Volga et la Basse-Volga. En ce qui con­cerne ce groupe de régions céréalières, le Comité central proposa de terminer la collectivisation, pour l’essentiel, au printemps de 1931.

Le deuxième groupe de régions à céréales, qui comprenait l’Ukraine, la Région centrale des Terres noires, la Sibérie, l’Oural, le Kazakhstan et les autres régions céréalières, pouvait achever la collectivisation, pour l’essentiel, au printemps de 1932. Les autres régions, territoires et républiques (région de Mos­cou, Transcaucasie, Républiques de l’Asie centrale, etc.) pouvaient échelonner les délais de collectivisation jusqu’à la fin de la période quinquennale, c’est-à-dire jusqu’à 1933.

Le Comité central du Parti estima nécessaire, en présence des rythmes de collectivisation de plus en plus élevés, d’accélérer encore la construction des usines produisant les tracteurs, les mois­sonneuses-batteuses et toutes les machines remorquées par les tracteurs, etc.

En même temps, le Comité central exigeait que fût donnée « une riposte décisive aux tendances à sous-estimer le rôle de la traction chevaline en ce stade du mouvement de collecti­visation, aux tendances à vendre, à bazarder les chevaux ».

Les crédits accordés aux kolkhoz furent doublés pour l’année 1929-1930 (ils atteignirent 500 millions de roubles). On proposa d’assurer aux frais de l’État la répartition des terres aux kolkhoz. La décision comportait cette indication précieuse entre toutes que la principale forme du mouvement kolkhozien, à l’étape donnée, était l’artel agricole, où seuls les principaux moyens de production sont collectivisés.

Le Comité central avait expressément mis en garde les orga­nisations du Parti « contre la tendance à décréter, sous quelque forme que ce fût, le mouvement kolkhozien par en haut ; car de là peut venir le danger qu’au lieu de réaliser une émulation véri­tablement socialiste dans l’organisation des kolkhoz, on ne joue à la collectivisation ». (Le P.C. de l’U.R.S.S. dans ses résolutions, IIe partie, p. 662, éd. russe.)

Cette décision du Comité central fit la clarté sur l’application de la nouvelle politique du Parti à la campagne. Un puissant mouvement kolkhozien se développa à la faveur de la politique de liquidation des koulaks et de collectivisation intégrale. Les paysans entraient dans les kolkhoz par villages et par rayons entiers ; ils balayaient de leur chemin les koulaks, dont ils rejetaient le joug.

Mais à côté des immenses succès remportés par la collectivisation, on vit bientôt apparaître des lacunes dans l’activité prati­que des militants du Parti, des déformations de la politique du Parti dans le domaine de la construction des kolkhoz.

Malgré l’avertissement du Comité central qui recommandait de ne pas se laisser griser par les succès de la collectivisation, nombreux furent les militants du Parti qui forçaient artificiellement la collectivi­sation, sans tenir compte des circonstances de lieu et de temps, ni du degré de préparation des paysans à leur adhésion au kolkhoz.

Il apparut que le principe du libre consentement était violé dans la construction des kolkhoz.

Dans certains rayons, au lieu de respecter le principe du libre consentement, on contraignait les paysans à entrer dans les kolkhoz en les menaçant de les « dé­posséder », de les priver de leurs droits électoraux, etc. Dans certaines régions, au travail préparatoire et à l’explica­tion patiente des principes de la politique du Parti en matière de collectivisation, on substituait la proclamation bureaucratique, à coups de décrets, de statistiques enflées sur les kolkhoz soi-disant organisés, le grossissement artificiel des pourcentages de collectivisation.

En dépit des indications du Comité central disant que le maillon essentiel du mouvement kolkhozien est l’artel agricole où ne sont collectivisés que les principaux moyens de production, dans certaines régions on sautait étourdiment par-dessus l’artel à la commune ; on collectivisait habitations, bétail à lait et menu bétail non destinés au marché, volaille, etc.

Les dirigeants de certaines régions, grisés par les premiers succès de la collectivisation, violaient les indications expresses du Comité central sur les rythmes et les délais de collectivisation. La région de Moscou, à la poursuite de statistiques enflées poussait ses militants à terminer la collectivisation au printemps de 1930, bien que cette région disposât d’une marge d’au moins trois ans (fin 1932).

Une violation encore plus flagrante des directives don­nées fut commise en Transcaucasie et en Asie centrale. Les koulaks et leurs sous-ordres, exploitant ces surenchères dans des buts de provocation, proposaient d’organiser des commu­nes à la place des artels agricoles, de collectiviser immédiatement les habitations, le menu bétail, la volaille.

En même temps les kou­laks poussaient les paysans à abattre leur bétail avant d’entrer au kolkhoz, en les persuadant qu’au moment de leur adhésion, le bétail leur serait «  retiré de toute façon ». L’ennemi de classe comptait que ces fautes et ces surenchères, commises par les or­ganisations locales lors de la collectivisation, exaspéreraient la paysannerie et provoqueraient des révoltes contre le pouvoir des Soviets.

Les erreurs commises par les organisations du Parti et les provocations directes de l’ennemi de classe eurent des conséquen­ces dans la seconde quinzaine de février 1930 ; alors que dans l’ensemble la collectivisation enregistrait des succès certains, on vit se manifester dans plusieurs régions les indices inquiétants d’un sérieux mécontentement de la paysannerie. Çà et là, les kou­laks et leurs agents réussirent même à provoquer parmi les pay­sans une action directe contre le pouvoir soviétique.

Le Comité central, averti des dangereuses déformations de la ligne du Parti qui menaçaient de compromettre la collectivisation, se mit aussitôt en devoir de remédier à la situation ; il orienta les cadres du Parti vers un prompt redressement des fautes commi­ses.

Le 2 mars 1930, sur décision du Comité central, parut l’article du camarade Staline « Le vertige du succès ». Dans cet article, un avertissement était adressé à tous ceux qui, grisés par les suc­cès de la collectivisation, étaient tombés dans de grossières erreurs et s’étaient écartés de la ligne du Parti ; à tous ceux qui cher­chaient à faire passer les paysans dans la voie des kolkhoz par des mesures de pression administrative.

L’article soulignait avec force le principe du libre consentement dans la construction des kolkhoz, il affirmait la nécessité de tenir compte de la variété des conditions dans les diverses régions de l’U.R.S.S. en fixant les rythmes et méthodes de collectivisation. Le camarade Staline rappelait que le maillon essentiel du mouvement kolkhozien est l’artel agricole où ne sont collectivisés que les principaux moyens de production, — dans la culture des céréales surtout, — et où ne sont pas collectivisés le terrain attenant à la maison, les habitations, une partie du bétail laitier, le menu bétail, la volaille, etc.

L’article du camarade Staline eut la plus haute importance politique. Il aida les organisations du Parti à corriger leurs fautes et porta un rude coup aux ennemis du pouvoir des Soviets, qui espéraient, à la faveur des exagérations, dresser la paysannerie contre lui.

Les grandes masses paysannes se convainquirent que la ligne du Parti bolchévik n’avait rien de commun avec les ab­surdes surenchères « gauchistes » commises en province. L’article apporta l’apaisement dans les masses paysannes. Pour achever de redresser les exagérations et les erreurs, tra­vail amorcé par l’article du camarade Staline, le Comité central du P.C. de l’U.R.S.S. décida de porter encore un coup contre ces fautes en publiant le 15 mars 1930 la décision « Sur la lutte con­tre les déformations de la ligne du Parti dans le mouvement de collectivisation ».

Cette décision analysait par le menu les erreurs commises du fait qu’on s’était écarté de la ligne léniniste-stalinienne du Parti, qu’on s’était livré à une violation flagrante des directives du Parti.

Le Comité central indiquait que la pratique des exagérations « gauchistes » était une aide directe à l’ennemi de classe. Il invitait « à relever de leurs postes et à remplacer par d’au­tres militants, ceux qui ne savent pas ou ne veulent pas mener résolument la lutte contre les déformations de la ligne du Par­ti ». (Le Parti communiste de l’UR.S.S. dans ses résolutions, IIe partie, p. 663, éd. russe.)

Le Comité central destitua les dirigeants de certaines organi­sations de région et de territoire (régions de Moscou, Transcaucasie) qui avaient commis des fautes politiques et n’avaient pas su les corriger.

Le 3 avril 1930 parut l’article du camarade Staline « Réponse aux camarades kolkhoziens ».

Il montrait l’origine des erreurs dans la question paysanne et les principales fautes commises dans le mouvement de collectivisation : attitude erronée envers le pay­san moyen ; violation du principe léniniste du libre consentement dans la construction des kolkhoz ; infraction au principe léninis­te qui veut que l’on tienne compte de la diversité des conditions dans les différentes régions de l’U.R.S.S. ; passage direct à la commune, en sautant par-dessus l’artel.

Toutes ces mesures permirent au Parti de liquider les exa­gérations commises dans une série de régions par les militants locaux. Le Comité central dut faire preuve de la plus grande fermeté ; il dut se montrer apte à marcher contre le courant, pour orien­ter à temps dans la voie juste une quantité considérable de ca­dres du Parti qui, grisés par les succès, roulaient précipitamment au bas de la côte, en s’écartant de la ligne du Parti.

Le Parti sut agir de telle sorte que les déformations de sa ligne dans le mouvement kolkhozien furent liquidées. C’est sur cette base que les succès du mouvement kolkhozien furent consolidés. C’est sur cette base que fut créé un terrain propice à un nouvel et puissant essor du mouvement kolkhozien.

Avant que le Parti n’eût adopté la politique de liquidation des koulaks comme classe, la grande offensive contre les éléments capitalistes, en vue de la liquidation de ces éléments, était menée principalement dans les villes, dans l’industrie. L’agriculture, le village, retardaient encore à cet égard sur l’industrie, sur la ville. C’est pourquoi l’offensive avait un caractère unilatéral, incomplet, non généralisé.

Mais maintenant que le retard du village com­mençait à disparaître, la lutte de la paysannerie pour la liquida­tion des koulaks se précisa très nettement et le Parti adopta la politique de liquidation des koulaks ; l’offensive contre les élé­ments capitalistes prit un caractère général ; d’unilatérale qu’elle était, elle devint une offensive sur l’ensemble du front. À la date de la convocation du XVIecongrès du Parti, l’offensive générale contre les éléments capitalistes était déployée sur toute la ligne.

Le XVIe congrès du Parti se réunit le 26 juin 1930. À ce con­grès assistèrent 1.268 délégués avec voix délibérative et 891 dé­légués avec voix consultative ; ils représentaient 1.260.874 mem­bres du Parti et 711.609 stagiaires.

Le XVIe congrès est entré dans l’histoire du Parti comme « le congrès de l’offensive développée du socialisme sur l’ensemble du front, le congrès de la liquidation des koulaks comme classe et de la mise en application de la collectivisation intégrale » (Staline).

Dans le rapport politique du Comité central, le camarade Staline montra les immenses victoires que le Parti bolchévik avait remportées en développant l’offensive socialiste. Dans le domaine de l’industrialisation socialiste, on avait ob­tenu que la part de l’industrie dans la production globale de l’économie nationale dominât la part de l’agriculture Au cours de l’exercice économique de 1929-1930, la part de l’industrie dans la production globale de l’économie nationale était déjà d’au moins 53%, et la part de l’agriculture, d’environ 47%.

À l’époque du XVecongrès, 1926-1927, la production de toute l’industrie atteignait un total de 102,5% du niveau d’avant-guer­re ; et à la date du XVIe congrès, c’est-à-dire en 1929-1930, envi­ron 180% de ce niveau. L’industrie lourde, — production des moyens de production et constructions mécaniques, — progressait sans cesse.

« … Nous sommes à la veille de nous transformer de pays agraire en pays industriel », déclara le camarade Staline aux ac­clamations enthousiastes du congrès tout entier.

Cependant, expliquait le camarade Staline, on ne doit pas confondre les rythmes élevés du développement industriel avec le niveau de développement de l’industrie. Malgré la cadence sans précédent du développement de l’industrie socialiste, nous étions encore bien en retard pour ce qui était du niveau de développe­ment industriel, sur les pays capitalistes avancés. Il en était ainsi de la production d’énergie électrique, malgré les succès prodigieux obtenus dans l’électrification de l’U.R.S.S. Il en était ainsi de la production des métaux.

La production de fonte en URSS devait, d’après te plan, s’élever en fin d’année 1929-1930, à 5,5 millions de tonnes, alors qu’en Allemagne, en 1929, la production de fonte se chiffrait par 13.4 millions de tonnes, et en France, par 10.45 millions de tonnes.

Pour liquider à bref délai notre retard écono­mique cl technique, il était nécessaire d’accélérer encore les ryth­mes de développement de notre industrie ; il fallait engager la lutte la plus résolue contre les opportunistes qui cherchaient à abaisser les rythmes de développement de l’industrie socialiste.

« …Les gens qui bavardent sur la nécessité d’abaisser le rythme de développement de notre industrie sont des ennemis du socialisme, les agents de nos ennemis de classe », indiqua le camarade Staline.

Lorsque le programme de la première année du plan quin­quennal eut été exécuté et dépassé, un mot d’ordre surgit dans les masses : « Exécuter le plan quinquennal en quatre ans. »

Pour certaines industries qui venaient en tête (pétrole, tourbe, constructions mécaniques générales, machines agricoles, industrie électrotechnique), l’exécution du plan accusait de tels succès que dans ces branches, on pouvait même réaliser le programme quin­quennal en 2 ans et demi ou 3 ans.

Ainsi se trouvait absolument confirmée la valeur pratique du mot d’ordre « Le plan quinquen­nal en quatre ans ! » Ainsi se trouvait démasqué l’opportunisme des sceptiques, qui doutaient que ce mot d’ordre pût être réalisé.

Le XVIe congrès mandata le Comité central du Parti pour « assurer à l’avenir également les rythmes bolchéviks impétueux dans la construction du socialisme et obtenir que le plan quin­quennal fût réellement exécuté en quatre ans ».

À la date du XVIe congrès, le Parti avait réalisé un tournant décisif dans le développement de l’agriculture de l’U.R.S.S. Les grandes masses paysannes s’étaient tournées vers le socialisme. Au Ier mai 1930, dans les principales régions productrices de céréales, la collectivisation s’étendait à 40-50% des exploitations paysannes (au lieu de 2 à 3% au printemps de 1928.) La super­ficie ensemencée des kolkhoz atteignait 36 millions d’hectares.

Ainsi, on avait dépassé le programme déjà élevé qui avait été établi par la décision du Comité central en date du 5 jan­vier 1930 (30 millions d’hectares). Quant au programme quin­quennal de construction des kolkhoz, il avait été exécuté en deux ans à plus de 150%. La production marchande des kolkhoz s’était multipliée, en trois ans, par plus de 40.

Dès 1930, l’État recevait des kolkhoz, sans parler des sovkhoz, plus de la moitié de toute la production nationale de céréales marchandes. Ces chiffres signifiaient que les destinées de l’agriculture se­raient désormais déterminées non par les exploitations paysannes individuelles, mais par les kolkhoz et 1es sovkhoz.

Si avant l’entrée en masse de la paysannerie dans les kolkhoz, le pouvoir des Soviets s’était appuyé principalement sur l’indus­trie socialiste, désormais il s’appuyait aussi sur le secteur socia­liste de l’agriculture en pleine progression, sur les kolkhoz et les sovkhoz. La paysannerie kolkhozienne, comme l’indiquait le XVIe con­grès du Parti dans une de ses décisions, était devenue « l’appui véritable et solide du pouvoir des Soviets ».

3. Orientation du Parti vers la reconstruction de toutes les branches de l’économie nationale. Rôle de la technique. Nouvel essor du mouvement kolkhozien. Les sections politiques près les stations de machines et de tracteurs. Bilan de l’exécution du plan quinquennal en quatre ans. Victoire du socialisme sur l’ensemble du front. Le XVIIe congrès du Parti.

Lorsqu’il apparut que l’industrie lourde et, surtout, les cons­tructions mécaniques n’avaient pas été seulement créées et conso­lidées, mais qu’elles continuaient de se développer à une cadence assez rapide, une tâche immédiate se posa devant le Parti : pro­céder à la reconstruction de toutes les branches de l’économie nationale sur la base de la technique moderne.

Il s’agissait de donner une technique moderne, de nouvelles machines-outils, un nouvel outillage à l’industrie du combustible, à la métallurgie, à l’industrie légère, à l’industrie de l’alimentation, à l’industrie fo­restière, aux industries de guerre, aux transports, à l’agriculture.

Devant la montée colossale de la demande de produits agricoles et d’articles manufacturés, la nécessité s’imposait de doubler, de tripler la production dans toutes les branches de l’économie na­tionale. Mais on ne pouvait y parvenir sans avoir doté les usines et les fabriques, les sovkhoz et les kolkhoz, d’un outillage moder­ne et en quantité suffisante, le vieux matériel ne pouvant pas permettre cette augmentation de la production.

Sans la reconstruction des principales branches de l’économie nationale, il eût été impossible de satisfaire les besoins nouveaux, les besoins de plus en plus développés du pays et de son écono­mie nationale.

Sans la reconstruction, il eût été impossible de mener jusqu’au bout l’offensive du socialisme sur toute la ligne du front, puis­qu’il fallait battre et achever les éléments capitalistes de la ville et de In campagne, non seulement par une nouvelle organisation du travail et de la propriété, mais aussi par une technique nouvel­le et supérieure.

Sans la reconstruction, il eût été impossible de rattraper et de dépasser au point de vue technique et économique les pay3 capitalistes avancés. Car, si l’U.R.S.S. dépassait les pays capitalis­tes par les rythmes du développement industriel, elle marquait encore un sérieux retard sur ces pays pour le niveau de dévelop­pement industriel, pour la quantité des produits fabriqués.

Afin de liquider ce retard, il fallait doter l’ensemble de notre économie nationale d’une nouvelle technique ; il fallait reconstrui­re toutes les branches de l’économie nationale sur la base de la technique moderne. La technique prenait de la sorte une importance décisive.

L’obstacle à surmonter, c’était moins le manque de nouvelles machines et machines-outils — l’industrie des constructions mé­caniques pouvant fournir ce nouvel équipement — que l’attitude de dédain, l’altitude erronée de nos dirigeants de l’industrie à l’égard de la technique, la sous-estimation du rôle qu’elle devait jouer dans la période de reconstruction.

Nos dirigeants de l’indus­trie estimaient que la technique était l’affaire des « spécialistes », une affaire de second ordre, confiée aux « spécialistes bour­geois » ; que les dirigeants communistes de l’industrie n’avaient pas à s’immiscer dans la technique de la production ; qu’ils’ ne devaient pas s’occuper de la technique, mais de choses plus im­portantes, à savoir : de la direction « générale » de la production.

On laissait donc aux « spécialistes » bourgeois le soin de con­duire la production, tandis que les dirigeants communistes de l’industrie se réservaient la direction « générale », la signature des papiers.

Inutile de démontrer qu’en conséquence de cette attitude, la direction « générale » devait se réduire à des bavardages sur la direction « en général », à signer des papiers sans plus, à se noyer dans la paperasse.

On conçoit qu’avec cette attitude de dédain envers la techni­que de la part des dirigeants communistes de l’industrie, nous n’aurions jamais pu non seulement dépasser, mais même rattraper les pays capitalistes avancés. Cette attitude envers la techni­que, surtout en période de reconstruction, vouait notre pays au retard, et nos rythmes de développement à la baisse.

Au fond, cette attitude envers la technique couvrait, masquait le désir secret d’une partie des dirigeants communistes de l’industrie de ralentir les rythmes de son développement, de les faire baisser et de créer pour soi une « atmosphère de calme », en rejetant sur les « spé­cialistes » la responsabilité de la production.

Il importait de tourner les dirigeants communistes de l’in­dustrie face à la technique, de leur en donner le goût, de leur montrer qu’assimiler la nouvelle technique était une chose vitale pour les cadres dirigeants bolchéviks de l’industrie, que faute d’avoir assimilé la nouvelle technique, nous risquions de vouer notre pays à végéter dans un état d’infériorité.

Il y avait là un problème qu’il fallait absolument résoudre si l’on voulait aller de l’avant. À cette œuvre, le camarade Staline contribua éminemment par son discours à la première conférence des cadres dirigeants de l’industrie, en février 1931 :

« On demande parfois, disait le camarade Staline dans son intervention, s’il ne serait pas possible de ralentir un peu les rythmes, de retenir le mouvement. Non, ce n’est pas possible, camarades ! Il n’est pas possible de réduire les rythmes !… Freiner les rythmes, cela signifie retarder. Mais les retardatai­res se font battre. Et nous, nous ne voulons pas être battus. Non, nous ne le voulons pas !

L’histoire de l’ancienne Russie consistait, entre autres, en ce que la Russie était continuellement battue à cause de son retard. Battue par les khans mongols. Battue par les beys turcs. Battue par les féodaux suédois. Battue par les seigneurs polono-lituaniens. Battue par les capitalistes anglo-français. Battue par les barons japonais. Battue par tout le monde, — pour son retard…

Nous retardons de cinquante à cent ans sur les pays avan­cés. Nous devons parcourir cette distance en dix ans. Ou nous le ferons, ou nous serons broyés…

En dix ans au maximum, nous devons parcourir la distan­ce dont nous retardons sur les pays avancés du capitalisme. Pour cela, nous avons toutes les possibilités « objectives ». Il ne nous manque que le savoir-faire pour tirer véritablement parti de ces possibilités.

Mais c’est une chose qui dépend de nous. Uniquement de nous ! Il est temps que nous apprenions à tirer parti de ces possibilités. Il est temps d’en finir avec cette tendance pernicieuse à ne pas s’ingérer dans la produc­tion.

Il est temps d’adopter une autre, une nouvelle attitude, conforme à la période actuelle : l’attitude qui consiste à se mê­ler de tout. Si tu es directeur d’usine, mêle-toi de toutes les affaires, pénètre au fond de toutes choses, ne laisse rien passer, apprends et apprends encore.

Les bolchéviks doivent se rendre maîtres de la technique. Il est temps que les bolchéviks devien­nent eux-mêmes des spécialistes. La technique en période de reconstruction décide de tout. » (Staline : Les Questions du léninisme.)

La portée historique de l’intervention du camarade Staline, c’est qu’elle a mis un terme à l’attitude de dédain envers la tech­nique de la part des dirigeants communistes de l’industrie ; c’est qu’elle les a orientés face à la technique ; qu’elle a ouvert une nouvelle période de lutte pour l’assimilation de la technique par les bolchéviks eux-mêmes, facilitant ainsi le développement de la reconstruction de l’économie nationale.

Dorénavant, de monopole des « spécialistes » bourgeois, la technique devint une chose vitale pour les cadres dirigeants bol­chéviks de l’industrie ; le surnom méprisant de « spécialiste » devint un litre d’honneur pour le bolchévik qui s’était assimilé la technique.

Dorénavant, devaient apparaître, — et sont effectivement ap­parus, — des détachements entiers, des milliers et des dizaines de milliers de spécialistes rouges qui, s’étant rendus maîtres de la technique, étaient capables de diriger la production. C’étaient là les nouveaux intellectuels, les intellectuels soviéti­ques, maîtres de la technique et de la production, qui sortaient de la classe ouvrière et de la paysannerie, et qui forment aujourd’hui la force essentielle de notre direction économique.

Tout cela devait favoriser — et a effectivement favorisé — l’essor de la reconstruction de l’économie nationale. Cette vaste reconstruction ne s’est pas seulement poursuivie dans l’industrie et les transports.

Elle s’est étendue avec encore plus d’intensité à l’agriculture. Et cela se conçoit : l’agriculture était moins bien fournie en machines que les autres branches de l’économie ; elle avait, plus que les autres branches, besoin de machines modernes. En outre, l’équipement renforcé de l’agricul­ture en nouvelles machines était particulièrement nécessaire maintenant que chaque mois, chaque semaine accusait un nouveau progrès de la construction des kolkhoz et, par suite, de nouvelles demandes portant sur des milliers et des milliers de tracteurs et de machines agricoles.

1931 marqua un nouveau progrès du mouvement kolkhozien. Dans les principales régions productrices de céréales, les kolkhoz groupaient déjà plus de 80% de la totalité des exploitations pay­sannes. La collectivisation intégrale, ici, était déjà achevée pour l’essentiel.

Dans les régions céréalières moins importantes et dans les régions de cultures industrielles, les kolkhoz groupaient plus de 50% des feux. 200.000 kolkhoz et 4.000 sovkhoz ensemençaient déjà les deux tiers de la superficie cultivable ; les paysans indivi­duels, un tiers seulement. Victoire immense du socialisme à la campagne !

Cependant, la construction des kolkhoz, pour le moment, ne se faisait pas en profondeur, mais en largeur ; elle s’opérait non dans le sens d’une amélioration en qualité du travail des kolkhoz et de leurs cadres, mais dans le sens de leur augmentation numé­rique et de leur rayonnement sur des régions toujours nouvelles.

La raison en était que les effectifs de kolkhoziens militants, les cadres kolkhoziens, retardaient sur le développement numérique des kolkhoz eux-mêmes. En conséquence, le travail dans les nou­veaux kolkhoz n’était pas toujours satisfaisant, et les kolkhoz eux-mêmes demeuraient faibles, encore fragiles.

Ce qui freinait aussi leur consolidation, c’était l’absence à la campagne d’hommes instruits dont ils avaient besoin (comptables, économes, secrétai­res) et le manque d’expérience chez les paysans pour gérer la grosse production kolkhozienne. Les kolkhoz groupaient les pay­sans individuels d’hier. S’ils avaient de l’expérience pour exploiter de petits lopins de terre, ils n’en avaient point encore pour con­duire de grandes exploitations, des exploitations kolkhoziennes. Et il fallait du temps pour acquérir cette expérience.

Toutes ces circonstances firent que de graves lacunes se révé­lèrent les premiers temps dans le travail des kolkhoz. Il apparut que ce travail était encore mal organisé et que la discipline en était faible. Dans beaucoup de kolkhoz, les revenus n’étaient pas répartis selon les journées de travail fournies, mais d’après le nombre des bouches à nourrir. Il arrivait souvent qu’un fainéant touchât plus de blé que le kolkhozien honnête et assidu.

Ces défauts dans la direction des kolkhoz diminuaient l’intérêt de leurs membres pour le travail : il y eut quantité d’absences, même au plus fort de la saison ; une partie des emblavures kolkhoziennes restaient non moissonnées jusqu’aux premières neiges ; la moisson elle-même était mal faite ; les pertes de grain énormes. L’absence de responsabilité personnelle pour les machines et pour les chevaux, l’exécution du travail en général, sans fixation de responsabilités individuelles, affaiblissaient les kolkhoz et dimi­nuaient leurs revenus.

La situation était particulièrement mauvaise dans les régions où les anciens koulaks et leurs sous-ordres avaient pu se faufiler dans les kolkhoz et y exercer telles ou telles fonctions. Souvent les koulaks dépossédés se transportaient dans une autre région, où on ne les connaissait pas et ils y pénétraient dans le kolkhoz pour y faire tout le tort possible.

Çà et là, les koulaks, faute de vigilance chez les militants, du Parti et dans l’administration so­viétique, pénétraient dans les kolkhoz de leur région. Ce qui faci­litait l’infiltration des anciens koulaks, c’était que dans leur lutte contre les kolkhoz ils avaient nettement changé de tactique. Autre­fois, les koulaks s’élevaient ouvertement contre les kolkhoz ; ils luttaient avec sauvagerie contre les militants et les kolkhoziens avancés ; ils les assassinaient traîtreusement, incendiaient leurs maisons et leurs granges, etc.

Ils voulaient ainsi terroriser la masse des paysans et les empêcher de rejoindre les kolkhoz. Maintenant que la lutte ouverte contre les kolkhoz avait échoué, ils changèrent de tactique. Ils n’usaient plus, comme auparavant, de vieux fusils dont ils avaient rogné le canon ; ils faisaient mine d’être des hommes dévoués au pouvoir des Soviets ; ils se montraient humbles, paisibles, apprivoisés.

Une fois qu’ils avaient pénétré dans les kolkhoz, ils y poussaient des sapes sour­noises. Partout, ils s’efforçaient de les décomposer du dedans, de ruiner la discipline du travail, de désorganiser le recensement des récoltes, la statistique du travail. Les koulaks visaient à détruire le troupeau de chevaux dans les kolkhoz ; ils parvinrent à en faire périr un grand nombre. Ils communiquaient sciemment aux chevaux la morve, la gale et autres maladies ; ils ne leur don­naient aucun soin, etc. Les koulaks détérioraient tracteurs et ma­chines.

Si les koulaks réussissaient à tromper les kolkhoziens et à saboter impunément, c’est que les kolkhoz étaient encore faibles et sans expérience, et que les cadres kolkhoziens n’avaient pas encore eu le temps de se consolider.

Pour mettre un terme au sabotage des koulaks et hâter la consolidation des kolkhoz, il fallait apporter à ceux-ci une aide prompte et sérieuse, en hommes, en conseils, en dirigeants. Cette aide, le Parti bolchévik la leur prêta.

En janvier 1933, le Comité central décida d’organiser des sections politiques près les stations de machines et de tracteurs qui des­servaient les kolkhoz. Pour aider les kolkhoz et faire le travail dans les sections politiques, 17.000 militants du Parti furent envoyés à la campagne. 

C’était là une aide précieuse. Les sections politiques des S.M.T. accomplirent en deux an­nées— 1933 et 1934—une énorme besogne pour remédier aux insuffisances du travail, pour former des cadres de kolkhoziens militants, pour raffermir les kolkhoz, pour les épurer des éléments hostiles, des koulaks, des saboteurs.

Les sections politiques s’acquittèrent avec honneur de la tâche qui leur avait été confiée ; elles renforcèrent les kolkhoz du point de vue de la gestion économique et de l’organisation ; elles éduquèrent de nouveaux cadres de kolkhoziens, mirent au point la direction économique des kolkhoz et élevèrent le niveau politique des masses kolkhoziennes.

Le Ier congrès des kolkhoziens de choc de l’U.R.S.S. (février 1933) et l’intervention qu’y fit le camarade Staline, jouèrent un rôle énorme ; ils stimulèrent l’activité des masses kolkhoziennes dans la lutte pour la consolidation des kolkhoz.

En établissant dans son discours un parallèle entre l’ancien régime où la campagne ignorait les kolkhoz et le régime nouveau, celui des kolkhoz, le camarade Staline déclara :

« Sous l’ancien régime, les paysans travaillaient séparé­ment ; ils travaillaient suivant les vieux procédés ancestraux, avec les vieux instruments de travail ; ils besognaient pour les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, les koulaks et les spéculateurs ; ils peinaient, souffrant la faim et enrichis­sant les autres.

Sous le régime nouveau, sous le régime des kolkhoz, les paysans travaillent en commun, par artels, en employant de nouveaux instruments, tracteurs et machines agricoles ; ils travaillent pour eux-mêmes et pour leurs kol­khoz ; ils vivent sans capitalistes ni grands propriétaires fon­ciers, sans koulaks ni spéculateurs ; ils travaillent pour amélio­rer tous les jours leur situation matérielle et culturelle. » (Staline : Les Questions du léninisme.)

Dans son intervention, le camarade Staline montrait ce que la paysannerie avait obtenu en fait en s’engageant dans la voie des kolkhoz.

Le Parti bolchévik a aidé les millions de paysans pauvres à entrer dans les kolkhoz et à s’affranchir du joug des koulaks. Et c’est en rejoignant les kolkhoz, où ils jouissent de la meilleure terre et des meilleurs instruments de production, que les millions de paysans pauvres, autrefois sous-alimentés, se sont hausses jusqu’au niveau des paysans moyens ; ils sont désormais assurés du lendemain.

C’était là le premier pas, la première réalisation dans la voie de la construction des kolkhoz. Le second pas, disait le camarade Staline, consistait à élever encore davantage les kolkhoziens, — aussi bien les anciens pay­sans pauvres que les anciens paysans moyens, — à faire de tous les kolkhoziens des hommes aisés, et de tous les kolkhoz des kol­khoz bolchéviks.

« Aujourd’hui, pour que les kolkhoziens acquièrent l’aisan­ce, disait le camarade Staline, une chose suffit : travailler honnêtement dans le kolkhoz, utiliser rationnellement tracteurs et machines, utiliser rationnellement les bêtes de travail, cultiver rationnellement la terre, être ménager de la propriété du kolkhoz. » (Ibidem.)

Le discours du camarade Staline s’est profondément ancré dans la conscience des millions de kolkhoziens ; il est devenu un programme d’action, un programme de combat pour les kol­khoz. Vers la fin de 1934, les kolkhoz étaient devenus une force résistante, invincible. À cette époque, ils groupaient déjà près des trois quarts de toutes les exploitations paysannes de l’UR.S.S. ; ils disposaient d’environ 90% de toute la superficie ensemencée.

En 1931, l’agriculture de l’U.R.S.S. employait déjà 281.000 tracteurs et 32 000 moissonneuses-batteuses. Les semailles du prin­temps 1934 furent terminées 15 ou 20 jours plus tôt qu’en 1933, et 30 ou 40 jours plus tôt qu’en 1932. Le plan de stockage fut exécuté 3 mois plus tôt qu’en 1932. C’est ainsi qu’en deux ans, les kolkhoz se fortifièrent grâce à l’aide puissante qu’ils avaient reçue du Parti et de l’État ouvrier et paysan.

La victoire décisive du régime des kolkhoz et l’essor de l’agri­culture qui en résulta, permirent au pouvoir des Soviets d’abolir le système des cartes pour le pain et les autres produits, et de proclamer la liberté des achats pour les denrées alimentaires.Comme les sections politiques des S.M.T. créées à titre d’or­ganismes politiques provisoires, avaient rempli leur rôle, le Comité central décida de les réorganiser en rouages ordinaires du Parti, de les fusionner avec les comités de rayon.

Tous ces succès, tant dans le domaine de l’agriculture que dans celui de l’industrie, n’ont été rendus possibles que grâce à l’exécution victorieuse du plan quinquennal.

Dès le début de 1933, il apparut clairement que le premier plan quinquennal était exécuté, exécuté avant terme, exécuté en quatre ans et trois mois. C’était là pour la classe ouvrière et la paysannerie de I’U.R.S.S. une immense victoire, une victoire qui compte dans l’histoire de l’humanité.

Dans son rapport à l’Assemblée plénière du Comité central et de la Commission centrale de contrôle, tenue en janvier 1933, le camarade Staline dresse le bilan de la première période quinquen­nale. Comme le montre ce rapport, le Parti et le pouvoir des Soviets ont obtenu, au cours de la période écoulée, c’est-à-dire dans la période d’exécution du premier plan quinquennal, les principaux résultats que voici :

a) L’U.R.S.S., de pays agraire, est devenue un pays industriel, puisque la part de la production industrielle dans l’ensemble de la production de l’économie nationale atteint 70%.
b) Le système socialiste de l’économie a liquidé les éléments capitalistes dans le domaine de l’industrie ; il est devenu le seul système d’économie dans l’industrie.
c) Le système socialiste de l’économie a liquidé les koulaks comme classe et est devenu la force dominante dans l’agriculture.
d) Le régime des kolkhoz a supprimé la misère, la pauvreté à la campagne ; des dizaines de millions de paysans pauvres se sont élevés à la situation d’hommes assurés du lendemain.
e) Le système socialiste dans l’industrie a supprimé le chô­mage ; il a maintenu la journée de huit heures dans une série de branches de production, établi la journée de sept heures dans l’immense majorité des entreprises et la journée de six heures dans les entreprises insalubres.
f) La victoire du socialisme dans tous les domaines de l’écono­mie nationale a supprimé l’exploitation de l’homme par l’homme.

La portée de ces réalisations du premier plan quinquennal, c’est avant tout qu’elles ont définitivement libéré les ouvriers et les paysans du joug de l’exploitation, et ouvert à TOUS les travail­leurs de l’U.R.S.S. la route d’une vie d’aisance et de culture.

En janvier 1934 se réunit le XVIIe congrès du Parti. À ce con­grès assistèrent 1.225 délégués avec voix délibérative et 736 avec voix consultative ; ils représentaient 1.874.488 membres du Parti et 935.298 stagiaires.

Le congrès dressa le bilan de l’activité du Parti pour la période écoulée ; il constata les succès décisifs du socialisme dans toutes les branches de l’économie et de la culture, et établit que la ligne générale du Parti avait triomphé sur l’ensemble du front. Le XVIIe congrès du Parti est entré dans l’histoire comme le « congrès des vainqueurs ».

Dans le rapport du Comité central, le camarade Staline a évo­qué les transformations essentielles qui s’étaient produites en U.R.S.S. dans la période écoulée :

« Pendant cette période, l’U.R.S.S. s’est transformée à fond ; elle s’est débarrassée de son enveloppe arriérée et médiévale. De pays agraire, elle est devenue un pays industriel. De pays de petite culture individuelle, elle est devenue un pays de grande agriculture collectivisée et mécanisée. De pays ignorant, illettré et inculte, elle est devenue — ou plus exactement elle devient — un pays lettré et cultivé, couvert d’un immense réseau d’écoles supérieures, secondaires et primaires, où l’en­seignement se fait dans les langues des différentes nationali­tés de l’U.R.S.S. » (Staline : Les Questions du léninisme.)

L’industrie socialiste, vers ce temps, constituait déjà 99% de toute l’industrie du pays. L’agriculture socialiste — kolkhoz et sovkhoz — occupait environ 90% de toute la superficie en­semencée du pays. Quant au commerce, les éléments capitalistes en avaient été complètement évincés.

Lors de l’institution de la nouvelle politique économique, Lénine avait dit qu’il existait dans notre pays des éléments de cinq formations économiques et sociales.

Première formation : l’économie patriarcale, économie naturelle en grande partie, c’est-à-dire ne faisant presque aucun commerce.

Deuxième formation : la petite production marchande, c’est-à-dire la plupart des exploi­tations paysannes pratiquant la vente de produits agricoles, et d’un autre côté, l’artisanat ; cette formation économique englobait dans les premières années de la Nep la majorité de la population.

Troi­sième formation : le capitalisme privé, qui avait repris des forces au début de la Nep.

Quatrième formation : le capitalisme d’État, principalement les concessions, qui n’ont pas pris un développe­ment quelque peu considérable.

Cinquième formation : le socia­lisme, c’est-à-dire l’industrie socialiste encore Faible à l’époque ; les sovkhoz et les kolkhoz qui occupaient, au début de la Nep, une place Insignifiante dans l’économie nationale ; le commerce d’État et la coopération qui, au début de la Nep, étaient égale­ment faibles.

Lénine avait indiqué que de toutes ces formations, c’est la formation socialiste qui devait l’emporter. La nouvelle politique économique avait été instituée en vue rie faire triompher entièrement les formes socialistes de l’économie. Ce but, le Parti lavait déjà atteint à la date de son XVIIe con­grès.

Le camarade Staline y déclara :

« Aujourd’hui nous pouvons dire que les première, troi­sième et quatrième formations économiques et sociales n’exis­tent plus ; la deuxième formation économique et sociale est refoulée sur des positions de second plan, et la cinquième formation économique et sociale, la formation socialiste, do­mine sans partage ; elle est la seule force qui commande dans l’ensemble de l’économie nationale. » (Ibidem.)

Les problèmes de direction politique et idéologique occupaient une place importante dans le rapport du camarade Staline. Il avertissait le Parti que, bien que les ennemis du Parti — les opportunistes de toutes nuances, les fauteurs des déviations na­tionalistes de toute sorte — aient été battus, les vestiges de leur idéologie subsistent dans le cerveau de certains membres du Parti et se font sentir en mainte occasion.

Les survivances du capitalis­me dans l’économie et, surtout, dans la conscience des hommes, offrent un terrain propice pour faire renaître l’idéologie des grou­pes antiléninistes battus. Le développement de la conscience des hommes retarde sur leur situation économique.

C’est pourquoi les survivances des conceptions bourgeoises restent et resteront enco­re un certain temps dans le cerveau des hommes, bien que le ca­pitalisme soit liquidé dans l’économie. Au surplus, il faut tenir compte que les États capitalistes qui encerclent l’U.R.S.S. et con­tre lesquels nous devons garder notre poudre sèche, s’appliquent à ranimer et à soutenir ces survivances.

Le camarade Staline insistait entre autres sur les survivan­ces du capitalisme dans la conscience des hommes en ce qui con­cerne la question nationale, domaine où elles sont particulière­ment vivaces. Le Parti bolchévik avait combattu sur les deux fronts : contre la déviation dans le sens du chauvinisme grand-russe et contre la déviation dans le sens du nationalisme local.

Dans certaines Républiques (Ukraine, Biélorussie, etc.) les organisations du Parti avaient relâché la lutte contre le nationalisme local ; elles lui avaient permis de se développer jusqu’au point de fusionner avec les forces hostiles, avec les interventionnistes, jus­qu’au point de devenir un danger pour l’État. En réponse a la ques­tion de savoir quelle est, dans le problème national, la dé­viation qui représente le principal danger, le camarade Staline disait :

« Le principal danger est représenté par la déviation que l’on a cessé de combattre et à laquelle on a ainsi permis de se développer jusqu’aux proportions d’un danger pour l’État. » (Ibidem.)

Le camarade Staline appelait le Parti à renforcer le travail sur le terrain politique et idéologique, à dénoncer méthodique­ment l’idéologie — et les survivances de l’idéologie — des clas­ses et courants hostiles au léninisme.

Le camarade Staline indiquait ensuite, dans son rapport, que l’adoption de décisions justes ne garantit pas encore, par elle-même, le succès. Pour assurer le succès, il faut répartir judicieuse­ment les hommes capables de faire appliquer les décisions des organismes dirigeants, et organiser le contrôle sur l’exécution de ces décisions.

Sans ces mesures d’organisation, les décisions ris­quent de rester sur le papier, détachées de la vie. Le camarade Staline invoquait la thèse bien connue de Lénine d’après laquelle le principal, dans le travail d’organisation, est le choix des hom­mes et le contrôle de l’exécution. En outre, le camarade Staline soulignait que la rupture entre les décisions prises et le travail d’organisation destiné à faire appliquer ces décisions, à en contrôler l’exécution, constitue le mal essentiel de notre travail pratique.

Pour améliorer le contrôle sur l’exécution des décisions du Parti et du Gouvernement, le XVIIe congrès du Parti, — à la place de la Commission centrale de contrôle et de l’Inspection ouvrière et paysanne qui avaient déjà, depuis l’époque du XIIe congrès, mené leur tâche a bien, — créa une Commission de contrôle du Parti près le Comité central du P.C. de l’U.R.S-S., et une Commis­sion du contrôle soviétique près le Conseil des Commissaires du peuple de l’U.R.S.S. Le camarade Staline formula comme suit les tâches d’orga­nisation qui s’imposaient au Parti durant la nouvelle étape :

1° Adapter notre travail d’organisation aux nécessités de la ligne politique du Parti ;

2° Elever la direction en matière d’organisation au ni­veau de la direction politique ;

3° Faire en sorte que la direction, en matière d’organisa­tion, assure pleinement l’application des mots d’ordre poli­tiques et des décisions du Parti.

Le camarade Staline termina son rapport par cet avertisse­ment : bien que les succès du socialisme soient grands et provo­quent un sentiment de fierté légitime, on ne doit pas se laisser griser par le succès, tomber dans la présomption, se bercer dans le contentement.

« … Il faut non pas bercer le Parti, mais développer sa vigilance ; non pas l’endormir, mais le tenir prêt au combat ; non pas le désarmer, mais l’armer ; non pas le démobiliser, mais le tenir sur le pied de mobilisation pour réaliser le deu­xième plan quinquennal. » (Ibidem.)

Le XVIIe congrès prit connaissance des rapports présentés par les camarades Molotov et Kouibychev sur le deuxième plan quinquennal de développement de l’économie nationale. Les ob­jectifs du deuxième plan étaient encore plus grandioses que ceux du premier.

Au terme de son exécution, en 1937, la production in­dustrielle devait être environ huit fois plus élevée par rapport au niveau d’avant-guerre.

Le volume des grands travaux à exécuter dans l’ensemble de l’économie nationale était évalué pour le deu­xième plan quinquennal à 133 milliards de roubles au lieu des 64 milliards de roubles et plus du premier plan. Donner une envergure pareille aux grands travaux, c’était as­surer le complet rééquipement technique de toutes les branches de l’économie nationale. Au cours de la deuxième période quinquennale, on achevait, pour l’essentiel, de mécaniser l’agriculture.

La puissance du parc de tracteurs devait passer de 2,25 millions de CV, en 1932, à plus de 8 millions de CV en 1937. On envisageait une large applica­tion des mesures agrotechniques {assolements rationnels, em­ploi de semences sélectionnées, labours d’automne, etc.).

D’énormes travaux furent prévus pour remettre technique­ment en état les transports et les P.T.T. On établit un vaste programme de relèvement ultérieur du ni­veau matériel et culturel des ouvriers et des paysans.

Le XVIIe congrès accorda une attention soutenue aux pro­blèmes d’organisation. Il adopta, sur le rapport du camarade Kaganovitch, des décisions spéciales touchant les problèmes d’or­ganisation du Parti et des institutions soviétiques.

Cette question prenait une importance encore plus grande, après que la ligne gé­nérale du Parti avait triomphé, que la politique du Parti avait été vérifiée dans la vie même par l’expérience de millions d’ouvriers et de paysans. Les tâches nouvelles et complexes du deuxième plan quinquennal imposaient le relèvement de la qualité du tra­vail dans toutes les branches.

« Les tâches essentielles du deuxième plan quinquennal, — liquidation définitive des éléments capitalistes, victoire sur les survivances du capitalisme dans l’économie et dans la cons­cience des hommes, achèvement de la reconstruction de l’en­semble de l’économie nationale sur une base technique moder­ne, assimilation de la nouvelle technique et mise en valeur des entreprises nouvelles, mécanisation de l’agriculture et aug­mentation de son rendement, — posent dans toute son acuité la question du relèvement de la qualité du travail dans tous les domaines, et d’abord en ce qui concerne les lâches prati­ques et d’organisation » : ainsi s’exprimaient les décisions du congrès sur les problèmes d’organisation. (Le P.C.(b) de l’U.R.S.S. dans ses résolutions, IIe partie, p. 591, éd. russe)

Le XVIIe congrès adopta de nouveaux statuts du Parti ; ils se distinguent des anciens d’abord par l’introduction qui a été ajoutée. Cette introduction donne une brève définition du Parti communiste, de son importance pour la lutte du prolétariat et de sa place dans l’ensemble des organes de la dictature prolé­tarienne. Les nouveaux statuts énumèrent dans le détail les de­voirs des membres du Parti.

On y a introduit des règles d’admis­sion plus sévères ainsi qu’un paragraphe relatif aux groupes de sympathisants.

La structure du Parti y est étudiée d’une façon plus minutieuse ; les paragraphes relatifs aux anciennes cellules du Parti, c’est-à-dire aux organisations primaires, comme on les appelle depuis le XVIIe congrès, ont été refondus. Il en va de même pour les paragraphes sur la démocratie intérieure et la discipline du Parti.

4. Les boukhariniens dégénèrent en politiciens à double face. Les trotskistes à double face dégénèrent en une bande de gardes blancs, assassins et espions. Lâche assassinat de S. Kirov. Le Parti prend des mesures pour renforcer la vigilance bolchévique.

Les succès du socialisme dans notre pays ne réjouissaient pas seulement le Parti, les ouvriers et les kolkhoziens. Ils réjouis­saient aussi tous nos intellectuels soviétiques, tous les citoyens honnêtes de l’U.R.S.S. Mais ils ne réjouissaient pas les résidus des classes exploi­teuses défaites ; ils les exaspéraient de plus en plus. Ils excitaient la fureur des sous-ordres des classes battues, des débris piteux des boukhariniens et des trotskistes.

Ces messieurs n’appréciaient pas les réalisations des ouvriers et des kolkhoziens du point de vue des intérêts du peuple, qui se félicitait de chacune de ces réalisations, mais du point de vue des intérêts de leur lamentable fraction, détachée de la vie et gan­grenée jusqu’à la moelle.

Comme les succès du socialisme dans notre pays signifiaient la victoire de la politique du Parti et l’ef­fondrement définitif de leur politique, ces messieurs, au lieu de re­connaître l’évidence des faits et de s’associer à l’œuvre commune, se vengèrent de leurs échecs, de leur faillite sur le Parti et sur le peuple ; ils se mirent à faire tout le mal et tout le tort possibles à l’œuvre des ouvriers et des kolkhoziens, à faire sauter les mines, à incendier les usines, à’ se livrer au sabotage dans les kolkhoz et les sovkhoz, pour réduire à néant les réalisations des ouvriers et des kolkhoziens et provoquer le mécontentement du peuple à l’égard du pouvoir des Soviets.

Cependant, pour empêcher leur la­mentable groupe d’être démasqué et écrasé, ils se camouflaient en hommes dévoués au Parti, devant lequel ils faisaient de plus en plus de courbettes ; ils exaltaient le Parti, rampaient devant lui, tout en continuant en fait à pousser leur sape sournoise contre les ouvriers et les paysans.

Au XVIIe congrès, Boukharine, Rykov et Tomski firent acte de contrition ; ils glorifiaient le Parti, portaient aux nues ses réalisations. Mais le congrès se rendait bien compte que leurs discours étaient marqués au sceau de l’insincérité et de la dupli­cité, car ce que le Parti demande à ses membres, ce n’est pas d’exalter et de glorifier ses réalisations, mais de travailler honnê­tement sur le front du socialisme, ce qui depuis bien longtemps n’était plus le fait des boukhariniens.

Le Parti voyait qu’en réalité ces messieurs, dans leurs discours hypocrites, parlaient pour leurs partisans en dehors du congrès, qu’ils leur donnaient une leçon de duplicité et les appelaient à ne pas déposer les armes.

Au XVIIe congrès, les trotskistes Zinoviev et Kaménev pri­rent également la parole pour flageller sans mesure leurs erreurs, et glorifier, — sans plus de mesure, — les réalisations du Parti. Mais le congrès ne pouvait pas ne pas s’apercevoir que cette auto-flagellalion écœurante ainsi que la mielleuse glorification du Par­ti n’étaient que l’envers de la conscience trouble et inquiète de ces messieurs.

Toutefois, le Parti ne savait pas encore, ne se doutait pas encore qu’au moment même où ils prononçaient au congrès des discours sucrés, ces messieurs préparaient le lâche assassinat de S. Kirov.

Le Ier décembre 1931, à Léningrad, à Smolny, S. Kirov était lâchement assassiné d’un coup de revolver. Arrêté sur le lieu du crime, l’assassin s’avéra adhérent d’un groupe contre-révolutionnaire clandestin, composé de membres du groupe antisoviétique Zinoviev, à Léningrad.

L’assassinat de S. Kirov, — tant aimé du Parti et de la classe ouvrière, — provoqua chez les travailleurs de notre pays une co­lère extrême et une profonde douleur.

L’instruction établit qu’en 1933-1934 s’était constitué, à Lénin­grad, un groupe terroriste contre-révolutionnaire clandestin, for­mé des anciens membres de l’opposition zinoviéviste, avec en tête ce qu’on appelait le « centre de Léningrad ». Ce groupe se don­nait pour but d’assassiner les dirigeants du Parti communiste. S. Kirov avait été désigné pour première victime. Les dépositions faites par tes membres de ce groupe contre-révolutionnaire mon­trèrent qu’ils étaient liés avec les représentants d’États capitalistes étrangers, qui les subventionnaient.

Les membres démasqués de cette organisation furent condam­nés par le Collège militaire du Tribunal suprême de l’U.R.S.S. à la peine capitale, à être fusillés. On établit bientôt l’existence d’un autre centre contre-révo­lutionnaire clandestin, le « centre de Moscou ».

L’instruction et le procès mirent en lumière le rôle abject de Zinoviev, de Kaménev, d’Evdokimov et des autres dirigeants de cette organisation, qui cultivaient chez leurs partisans l’esprit terroriste, qui prépa­raient l’assassinat des membres du Comité central et du gouver­nement soviétique.

Dans leur duplicité et leur lâcheté, ces hommes en étaient arrivés au point que Zinoviev, lui qui avait été un des organisateurs et des inspirateurs de l’assassinat de S. Kirov, lui qui avait pressé le meurtrier de consommer le crime au plus vite, écrivit une nécrologie élogieuse de Kirov et en exigea la publication. Même au moment où ils feignirent de se repentir devant le tribunal, les zinoviévistes continuaient en fait à jouer double. Ils ont dissimulé leur liaison avec Trotski.

Dissimulé qu ils s’é­taient vendus, avec les trotskistes, aux services d’espionnage fas­cistes ; dissimulé leur travail d’espions et de saboteurs. Les zino­viévistes ont dissimulé au tribunal leur liaison avec les boukhariniens, l’existence d’une bande de mercenaires du fascisme, grou­pant à la fois trotskistes et boukhariniens. L’assassinat du camarade Kirov, comme on le sut plus tard, avait été perpétré par cette bande de trotskistes et de boukhari­niens réunis.

Dès 1935, il apparut clairement que le groupe zinoviéviste était une organisation contre-révolutionnaire camouflée, qui méritait parfaitement que l’on traitât ses membres en gardes blancs.

Un an plus tard, on établit que les authentiques et véritables organisateurs directs de l’assassinat de Kirov et les organisateurs des préparatifs d’assassinats contre d’autres membres du Comité central étaient Trotski, Zinoviev, Kaménev et leurs complices. On déféra devant le tribunal Zinoviev, Kaménev, Bakaev, Evdokimov, Pikel, I. Smirnov, Mratchkovski, Ter-Vaganian, Reingold et autres.

Pris en flagrant délit, les criminels durent avouer publiquement, devant le tribunal, qu’ils avaient non seulement organisé l’assassi­nat de Kirov, mais qu’ils préparaient également celui de tous les autres dirigeants du Parti et du gouvernement.

L’instruction éta­blit ensuite que les scélérats s’étaient engagés dans la voie des actes de diversion, dans l’espionnage. La déchéance morale et po­litique la plus monstrueuse, la lâcheté et la traîtrise la plus vile, masquées sous des protestations hypocrites de fidélité au Parti, voi­là ce que le procès de Moscou en 1936 révéla chez ces hommes.

L’inspirateur et organisateur principal de toute cette bande d’assassins et d’espions était le judas Trotski. Il avait pour auxi­liaires et pour exécuteurs de ses directives contre-révolutionnaires Zinoviev, Kaménev et leurs suppôts trotskistes.

Ces gens prépa­raient la défaite de l’U.R.S.S. au cas où les impérialistes l’attaque­raient ; ils étaient devenus des défaitistes à l’égard de l’État ou­vrier et paysan ; ils étaient devenus les serviteurs et les agents mé­prisables des fascistes germano-japonais.

La leçon essentielle que les organisations du Parti eurent à tirer des procès rattachés au lâche assassinat de S. Kirov, ce fut de mettre un terme à leur propre myopie politique, en finir avec leur insouciance politique et d’élever leur vigilance, la vigilance de tous les membres du Parti.

Dans la lettre aux organisations du Parti qu’il publia à la suite de l’infâme assassinat de S. Kirov, le Comité central indiquait :

a) « Il faut en finir avec la placidité opportuniste qui part de cette supposition erronée qu’à mesure que nos forces gran­dissent, l’ennemi doit s’apprivoiser et devenir plus inoffensif. Cette supposition est radicalement fausse. C’est là un relent de la déviation de droite, qui assurait tout un chacun que les en­nemis s’intégreraient tout doucement dans le socialisme, qu’ils finiraient par devenir de vrais socialistes.

Il n’appartient pas aux bolchéviks de se reposer sur leurs lauriers et de bayer aux corneilles. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas la placidité, mais la vigilance, la vraie vigilance révolutionnaire bolchevi­que. Il ne faut pas oublier que plus la situation des ennemis sera désespérée, plus ils se raccrocheront aux « moyens ex­trêmes » comme étant l’unique recours de gens voués à la perte dans leur lutte contre le pouvoir des Soviets. Il convient de ne jamais oublier cela et d’être vigilant. »

b) « Il faut porter au niveau requis l’enseignement de l’his­toire du Parti aux membres du Parti ; l’étude de toutes les espèces de groupements hostiles au Parti qui ont existé au cours de son histoire, l’étude de leurs procédés de lutte contre la ligne du Parti, l’étude de leur tactique et, à plus forte rai­son, celle de la tactique et des procédés de lutte de notre Parti contre les groupements qui lui étaient hostiles, l’étude de la tactique et des moyens qui ont permis à notre Parti de vain­cre, de battre à plate couture tous ces groupements.

Il faut que les membres du Parti sachent non seulement comment le Parti a combattu et vaincu les cadets, les socialistes-révo­lutionnaires, les menchéviks, les anarchistes, mais aussi com­ment il a combattu et vaincu les trotskistes, les tenants du « centralisme démocratique », l’ « opposition ouvrière », les zinoviévistes, les fauteurs des déviations de droite, les avortons droitiers-gauchistes, etc.

Il ne faut pas oublier que la connais­sance et la compréhension de l’histoire de notre Parti consti­tuent un moyen important entre tous, indispensable, pour as­surer pleinement la vigilance révolutionnaire des membres du Parti. »

Une importance énorme s’attache, en cette période, à l’épu­ration du Parti des intrus et des éléments étrangers — épuration commencée en 1933 — et en particulier à la vérification minu­tieuse des documents personnels de chaque membre du Parti, ainsi qu’au renouvellement des cartes d’adhérents, entrepris à la suite de l’infâme assassinat de S. Kirov.

Avant cette vérification, nombreuses étaient les organisations du Parti où l’arbitraire et l’incurie présidaient au maniement des cartes du Parti. Dans plusieurs organisations locales, on cons­tata un chaos absolument intolérable dans le recensement des communistes. Les ennemis en avaient profité dans un dessein in­fâme ; ils se servaient de la carte du Parti comme d’un masque pour pratiquer l’espionnage, le sabotage, etc.

De nombreux diri­geants d’organisations du Parti s’étaient déchargés du soin de procéder aux admissions dans le Parti et à la délivrance des car­tes d’adhérents sur des tiers, parfois même sur des membres non-vérifiés du Parti. Dans une lettre spéciale du 13 mai 1935, adressée à toutes les organisations et relative au recensement, à la délivrance et à la conservation des cartes d’adhérents, le Comité central invita à procéder, dans toutes les organisations, à une vérification soignée des cartes du Parti, « à faire régner l’ordre bolchévik dans la maison de notre propre Parti ».

Cette vérification des documents du Parti eut une grande por­tée politique. Dans la résolution qui fut adoptée le 25 décembre 1935 par l’Assemblée plénière du Comité central sur les résultats de la vérification des documents du Parti, il est dit que cette véri­fication a eu, du point de vue politique et du point de vue de l’or­ganisation, une énorme importance pour la consolidation des rangs du P.C. de l’U.R.S.S.

Une fois terminés la vérification et le renouvellement des car­tes, on reprit les admissions au Parti.

Ce faisant, le Comité cen­tral du P.C. de l’U.R.S.S. exigea que l’on fît entrer au Parti non pas en gros, mais par voie d’admissions rigoureusement indivi­duelles, « les meilleurs des hommes de notre pays, des hommes réellement avancés et réellement dévoués à la cause de la classe ouvrière, en les prenant avant tout parmi les ouvriers, mais aussi parmi les paysans et les intellectuels du monde du travail qui ont fait leurs preuves dans les différents secteurs de la lutte pour le socialisme ».

En reprenant les admissions au Parti, le Comité central fai­sait aux organisations du Parti un devoir de ne jamais oublier que les éléments hostiles tenteront à l’avenir encore de pénétrer dans les rangs du P,C de l’U.R.S.S. En conséquence : 

« La tâche de chaque organisation du Parti consiste, en intensifiant dans toute la mesure du possible la vigilance bol­chévique, à tenir haut le drapeau du Parti de Lénine et à prémunir le Parti contre la pénétration dans ses rangs d’élé­ments étrangers, hostiles et venus par hasard. » (Décision du Comité central du P.C. de l’U.R.S.S., en date du 29 septembre 1936, Pravda n° 270, 1936.)

En épurant ses rangs et les affermissant, en réduisant à néant les ennemis du Parti et en luttant impitoyablement contre les déformations de la ligne générale, le Parti bolchévik se res­serra encore plus étroitement autour de son Comité central, sous la direction duquel le Parti et le pays des Soviets passaient à l’étape nouvelle, à l’achèvement de la construction de la société socialiste sans classes.

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Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Le parti bolchévik dans la période de transition à l’œuvre pacifique de rétablissement de l’économie nationale (1921-1925)

Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), 1938

1. Le pays des Soviets après la liquidation de l’intervention et de la guerre civile. Les difficultés de la période de rétablissement.

Après en avoir fini avec la guerre, le pays des Soviets s’en­gagea dans la voie d’une œuvre de paix : la construction de l’économie. Il fallait guérir les plaies de la guerre. Il fallait réta­blir l’économie nationale délabrée, mettre de l’ordre dans l’in­dustrie, les transports, l’agriculture.

Mais ce passage à la construction pacifique devait s’effectuer dans des conditions extrêmement dures. La victoire remportée dans la guerre civile avait coûté cher. Le pays était ruiné par quatre années de guerre impérialiste et trois années de guerre contre l’intervention. La production globale de l’agriculture, en 1920, ne représentait qu’environ la moitié de celle d’avant-guerre. Or, il ne faut pas oublier que le niveau d’avant-guerre était celui de la misérable campagne des temps tsaristes. Au surplus, en 1920, nombre de provinces avaient souffert d’une mauvaise récolte. L’économie paysanne se trouvait dans une situation pénible.

Plus difficile encore était la situation de l’industrie en pleine ruine. La production de la grande industrie, en 1920, n’atteignait qu’un septième environ de la production d’avant-guerre. La plu­part des fabriques et des usines étaient arrêtées ; les mines détruites, inondées. La métallurgie était dans un état lamentable. La production de fonte pour toute l’année 1921 ne fut que de 116.300 tonnes, c’est-à-dire environ 3% de la production d’avant-guerre.

On n’avait pas assez de combustible. Les transports étaient désorganisés. Les réserves de métaux et de tissus étaient presque épuisées. Le pays manquait du strict nécessaire : pain, graisses, viande, chaussures, vêtements, allumettes, sel, pétrole, savon.

Pendant la guerre, on avait pris son parti de ces manques et de ces insuffisances, parfois même on avait cessé d’y faire atten­tion. Mais, maintenant qu’il n’y avait plus de guerre, les gens sentirent tout à coup ce que ces privations avaient d’intolérable et demandèrent qu’il y fût remédié sans délai. Du mécontentement apparut chez les paysans. Dans le feu de la guerre civile, on avait vu se créer et se fortifier l’alliance politique et militaire de la classe ouvrière et de la paysannerie.

Cette alliance reposait sur une base déterminée : au paysan, le pouvoir des Soviets assurait la terre ainsi que la défense contre le grand propriétaire foncier, contre le koulak ; les ouvriers recevaient de la paysannerie les denrées provenant du prélève­ment des excédents.

Maintenant cette base s’avérait insuffisante. L’État soviétique s’était vu obligé de prendre au paysan, par voie de prélèvement, tous ses excédents, afin de pourvoir aux besoins de la défense. La victoire dans la guerre civile eût été impossible sans les prélèvements, sans la politique du commu­nisme de guerre. Cette politique avait été imposée par la guerre, par l’intervention. La paysannerie l’acceptait alors ; elle ne fai­sait pas attention au manque de marchandises ; mais lorsque la guerre fut terminée et que la menace du retour du grand pro­priétaire foncier eut disparu, le paysan commença à manifester son mécontentement du prélèvement de tous les excédents et demanda à être pourvu d’une quantité suffisante de marchan­dises.

Tout le système du communisme de guerre, comme l’indi­quait Lénine, était entré en collision avec les intérêts de la pay­sannerie. La vague de mécontentement avait gagné aussi la classe ou­vrière. Le prolétariat avait supporté le fardeau principal de la guerre civile, en luttant héroïquement, avec abnégation, contre les cohortes de gardes blancs et d’envahisseurs, contre la ruine et la famine.

Les meilleurs ouvriers, les plus conscients, les plus dévoués et les plus disciplinés brûlaient du feu de l’enthousias­me socialiste. Mais le profond délabrement économique influait aussi sur la classe ouvrière.

Les rares fabriques et usines qui marchaient encore, ne fonctionnaient qu’avec de graves à-coups. Les ouvriers étaient réduits à bricoler, à confectionner des bri­quets, à mettre sac au dos pour aller chercher à la campagne des produits alimentaires. La base de classe de la dictature du prolétariat commençait à faiblir ; la classe ouvrière s’émiettait ; on voyait des ouvriers partir à la campagne, cesser d’être ou­vriers, se déclasser. La famine et la fatigue provoquaient le mécontentement d’une partie des ouvriers.

Le Parti dut envisager, pour tous les problèmes de la vie économique du pays, une nouvelle orientation conforme à la situation nouvelle. Et le Parti se mit à la tâche.

Cependant, l’ennemi de classe ne dormait pas. Il cherchait à exploiter la pénible situation économique et le mécontentement des paysans. Des émeutes de koulaks, organisées par les gardes blancs et les socialistes-révolutionnaires, éclatèrent en Sibérie, en Ukraine, dons la province de Tambov (rébellion d’Antonov). On assista a une recrudescence d’activité de tous les éléments contre-révolutionnaires : menchéviks, socialistes-révolutionnaires, anar­chistes, gardes blancs, nationalistes bourgeois. L’ennemi recourut à une nouvelle tactique de lutte contre le pouvoir des Soviets. Il se camoufla en empruntant les couleurs soviétiques ; au lieu du vieux mot d’ordre avorté « À bas les Soviets ! » il lança un mot d’ordre nouveau : « Pour les Soviets, mais sans les commu­nistes ».

L’émeute contre-révolutionnaire de Cronstadt fut un exemple patent de la nouvelle tactique de l’ennemi de classe Elle com­mença huit jours avant l’ouverture du Xe congrès du Parti, en mats 1921. À la tête de l’émeute se trouvaient des gardes blancs liés aux socialistes-révolutionnaires, aux menchéviks et à des représentants d »États étrangers. La volonté des émeutiers de rétablir le pouvoir et la propriété des capitalistes et des grands propriétaires fonciers, ils cherchèrent à la dissimuler au début sous une enseigne « soviétique » ; ils formulèrent le mot d’ordre : « Les Soviets sans les communistes ».

La contre-révolution enten­dait exploiter le mécontentement des masses petites-bourgeoises et tout en se couvrant d’un mot d’ordre pseudosoviélique, ren­verser le pouvoir des Soviets.

Deux circonstances avaient facilité l’émeute de Cronstadt : la composition, qui avait empiré, des équipages des navires de guerre et la faiblesse de l’organisation bolchévique de Cronstadt. Les vieux matelots qui avaient pris part à la Révolution d’Octo­bre étaient presque tous partis au front, où ils combattaient héroïquement dans les rangs de l’Armée rouge. De nouveaux contingents étaient venus s’incorporer dans la flotte, qui n’a­vaient pas été aguerris au feu de la révolution.

Ces contingents étaient formés d’une masse encore parfaitement fruste de paysans, qui reflétait le mécontentement de la paysannerie à l’égard des prélèvements. Quant à l’organisation bolchévique de Cron­stadt en cette période, elle avait été gravement affaiblie par une série de mobilisations pour le front. C’est ce qui avait permis aux menchéviks, aux socialistes-révolutionnaires et aux gardes blancs de s’infiltrer dans Cronstadt et d’en prendre pos­session.

Les émeutiers s’étaient emparés d’une forteresse de premier ordre, de la flotte, d’une immense quantité d’armements et d’obus. La contre-révolution internationale chantait victoire. Mais c’était trop tôt pour se réjouir. L’émeute fut promptement écrasée par les troupes soviétiques.

Le Parti envoya contre les émeutiers de Cronstadt ses meilleurs fils, les délégués du Xe congrès, Vorochilov en tête. Les soldats rouges marchèrent sur Cronstadt en avançant sur la mince couche de glace du golfe. La glace cédant, beaucoup se noyèrent. Il fallut prendre d’assaut les forts presque inexpugnables de Cronstadt.

Le dévouement à la révolution, la bravoure et la volonté de sacrifier sa vie pour le pouvoir des Soviets eurent le dessus. La forteresse de Cron­stadt fut prise d’assaut par les troupes rouges. L’émeute fut liquidée.

2. La discussion dans le Parti sur les syndicats. Le Xe congrès du parti. Défaite de l’opposition. Nouvelle politique économique (Nep).

Le Comité central du Parti, sa majorité léniniste, se rendait nettement compte qu’après la liquidation de la guerre et le pas­sage à l’œuvre pacifique de construction de l’économie, il n’y avait plus de raison de maintenir le dur régime du communisme de guerre, imposé par la guerre et le blocus. Il se rendait compte que la nécessité des prélèvements ne s’imposait plus ; qu’il fallait les remplacer par l’impôt en nature, pour permettre aux paysans d’employer à leur guise la majeure partie des excédents de leur production. Le Comité central com­prenait qu’une telle mesure permettrait de ranimer l’agriculture, d’élargir la production des céréales et des cultures nécessaires au développement de l’industrie, de stimuler dans le pays la circu­lation des marchandises, d’améliorer le ravitaillement des villes, de donner une base nouvelle, une base économique, à l’alliance des ouvriers et des paysans.

Le Comité central se rendait également compte que la reprise de l’industrie était une tâche primordiale ; mais il estimait im­possible de ranimer l’industrie sans le concours de la classe ou­vrière et de ses syndicats ; il estimait que l’on pouvait y intéres­ser les ouvriers en leur faisant comprendre que la ruine écono­mique était, pour le peuple, un ennemi aussi dangereux que l’in­tervention et le blocus ; que le Parti et les syndicats sauraient certainement s’acquitter de cette tâche s’ils agissaient à l’égard de la classe ouvrière, non par des ordres militaires, comme cela avait été le cas sur le front, où de pareils ordres sont réellement nécessaires, mais par la persuasion.

Or tous les membres du Parti ne pensaient pas comme le Comité central. Les petits groupes d’opposition : trotskistes, « oppo­sition ouvrière », « communistes de gauche », « centralistes démo­crates », etc., étaient désorientés ; ils hésitaient devant les difficultés qui allaient surgir au seuil de la construction pacifique de l’éco­nomie. Il y avait dans le Parti bon nombre d’anciens menchéviks, d’anciens socialistes-révolutionnaires, d’anciens bundistes, d’anciens borotbistes [Aile gauche du parti national-chauvin des socialistes-révolutionnaires ukrainiens.

Publia jusqu’en 1918 son organe central Borotba (Lutte) N. des Trad.] et toute sorte de semi-nationalistes des régions périphériques de la Russie. Ils appartenaient pour la plupart à tel ou tel groupuscule d’opposition. Faute d’être des marxistes véritables, de connaître les lois du développement économique, d’avoir une trempe léniniste, ces gens ne faisaient qu’aggraver le désarroi et les hésitations de ces petits groupes d’opposition. Parmi eux, les uns pensaient qu’il ne fallait pas affaiblir le dur régime du communisme de guerre : qu’au con­traire, il fallait « serrer encore la vis ».

D’autres pensaient que le Parti et l’État devaient se tenir a l’écart de l’œuvre de rétablis­sement de l’économie nationale ; que ce travail devait être entiè­rement confié aux syndicats.

Il était clair que devant ce désarroi dans certains milieux du Parti, il se trouverait des gens, des amateurs de discussion, des « leaders » d’opposition de toute sorte qui s’efforceraient d’imposer une discussion au Parti. C’est en effet ce qui se produisit. La discussion s’engagea d’abord à propos du rôle des syndi­cats, encore que la question des syndicats ne fût pas alors la question essentielle dans la politique du Parti.

Le promoteur de la discussion et de la lutte contre Lénine, contre la majorité léniniste du Comité central, fut Trotski, Dé­sireux d’aggraver la situation, il prit la parole à une séance des délégués communistes de la Veconférence des syndicats de Rus­sie, au début de novembre 1920, et formula des mots d’ordre douteux qui parlaient de « serrer la vis » et de « secouer les syndicats ». Trotski exigeait qu’il fût immédiatement procédé à l’ « étatisation des syndicats ».

Il était contre la méthode de per­suasion envers les masses ouvrières. Il entendait transposer la méthode militaire dans les syndicats. Trotski était contre le dé­veloppement de’ la démocratie dans les syndicats, contre l’élec­tion des organismes syndicaux.

Au lieu de la méthode de persuasion sans laquelle l’activité des organisations ouvrières ne saurait se concevoir, les trotskis­tes offraient la méthode de contrainte pure et simple, de com­mandement tout court. Par leur politique, là où ils arrivaient à la direction du travail syndical, les trotskistes apportaient dans les syndicats conflits, scission et décomposition. Par leur politi­que, ils dressaient la masse des ouvriers sans-parti contre le Parti, ils scindaient la classe ouvrière.

En réalité, la discussion sur les syndicats dépassait de beau­coup le cadre de la question syndicale. Ainsi que l’a montré plus tard la résolution de l’Assemblée plénière du Comité central du Parti communiste russe (17 janvier 1925), le débat s’était insti­tué en fait « sur l’attitude envers la paysannerie qui se dressait contre le communisme de guerre ; sur l’attitude envers la masse des ouvriers sans-parti ; en général, sur l’attitude du Parti envers la masse dans la période où la guerre civile touchait à sa fin ». (Le Parti communiste de l’U.R.S.S. dans ses résolutions, premiè­re partie, p. 651, éd. russe.)

À la suite de Trotski, on vit se manifester aussi les autres groupes de lutte contre le Parti : l’ « opposition ouvrière » (Chliapnikov, Medvédev, Kollontaï, d’autres encore), les « cen­tralistes démocrates » (Sapronov, Drobnis, Bogousiavski, Ossinski, V. Smirnov, d’autres encore), les « communistes de gauche » (Boukharine, Préobrajenski).

L’ « opposition ouvrière » formula le mot d’ordre de remise de la gestion de toute l’économie nationale au « congrès des produc­teurs de Russie ». Elle réduisait à rien le rôle du Parti, niait l’im­portance de la dictature du prolétariat dans la construction de l’économie. L’ « opposition ouvrière » opposait les syndicats à l’État soviétique et au Parti communiste. Elle considérait comme forme suprême de l’organisation de la classe ouvrière, non pas le Parti, mais les syndicats.

L’ « opposition ouvrière » était en fait un groupe anarcho-syndicaliste de lutte contre le Parti. Le groupe du « centralisme démocratique » réclamait la liberté complète des fractions et des groupements. Ces gens, tout comme les trotskistes, cherchaient à compromettre, le rôle dirigeant du Parti dans les Soviets et les syndicats. Lénine les qualifia de fraction des « plus forts braillards », et leur plate-forme, de plate-for­me menchévico-socialiste-révolutionnaire.

Dans sa lutte contre Lénine et le Parti, Trotski était secondé par Boukharine. Boukharine, Préobrajenski, Sérébriakov et Sokoluikov avaient créé un groupe « tampon ». Ce groupe défendait et couvrait les pires fractionnistes, les trotskistes. Lénine qualifia la conduite de Boukharine de « comble de la déchéance idéologi­que ». Bientôt les boukhariniens s’allièrent ouvertement aux trots­kistes contre Lénine.

Lénine et les léninistes dirigèrent leur coup principal contre les trotskistes, force essentielle des groupements de lutte contre le Parti.

Ils convainquirent les trotskistes d’avoir confondu les syndicats avec des organisations militaires ; ils leur montrèrent qu’on ne saurait transplanter les méthodes des organisations mili­taires dans les syndicats. En contre-partie aux plates-formes des groupes d’opposition, Lénine et les léninistes formulèrent leur propre plate-forme. Celle-ci indiquait que les syndicats sont une école d’administration, une école de gestion économique, l’école du communisme.

Tout leur travail doit reposer sur la méthode de persuasion. C’est à cette condition seulement qu’ils sauront mobi­liser tous les ouvriers pour la lutte contre la ruine économique, qu’ils sauront les entraîner à l’édification socialiste.

Dans la lutte contre las groupes d’opposition, les organisations du Parti se rallièrent autour de Lénine. La bataille fut particuliè­rement ardente à Moscou. C’est là que l’opposition avait concentré le gros de ses forces, en visant à conquérir l’organisation commu­niste de la capitale.

Mais les bolchéviks de Moscou repoussèrent résolument les menées des fractionnistes. Une lutte aiguë se déve­loppa également dans les organisations ukrainiennes du Parti. Sous la direction du camarade Molotov, alors secrétaire du Comi­té central du Parti communiste d’Ukraine, les bolchéviks d’Ukrai­ne battirent les trotskistes et les partisans de Chliapnikov. Le Parti communiste d’Ukraine demeura le sûr rempart du Parti de Léni­ne.

À Bakou, l’écrasement de l’opposition fut organisé sous la direction du camarade Ordjonikidze. En Asie centrale, c’est le camarade L. Kaganovitch qui dirigea la lutte contre les groupes ennemis du Parti. Toutes les principales organisations locales du Parti se ralliè­rent à la plate-forme de Lénine.

Le 8 mars 1921 s’ouvrait le Xe congrès du Parti. À ce congrès assistaient 694 délégués avec voix délibérative, et ils représentaient 732.521 membres du Parti. Il y avait 296 délégués avec voix consultative. Le congrès dressa le bilan de la discussion sur les syndicats et approuva, à une écrasante majorité, la plate-forme de Lénine. En ouvrant le congrès, Lénine déclara que la discussion avait été un luxe inadmissible. Il montra que les ennemis misaient sur la lutte intérieure et sur la scission dans le Parti communiste.

Devant le danger immense que représentait pour le Parti bol­chévik et pour la dictature du prolétariat, l’existence de groupes de fraction, le Xe congrès accorda une attention spéciale au pro­blème de l’unité du Parti. Lénine fit un rapport à ce sujet. Le congrès condamna tous les groupes d’opposition et indiqua qu’ « en fait, ils aidaient les ennemis de classe de la révolution proléta­rienne ».

Le congrès prescrivit la dissolution immédiate do toutes les fractions et chargea toutes les organisations de veiller strictement à ce qu’il n’y eût aucune action fractionnelle ; l’inexécution de la décision du congrès entraînait absolument l’exclusion immé­diate du Parti. Pour le cas où la discipline serait violée, où l’ac­tion fractionnelle serait reprise ou tolérée par des membres du Comité central, le congrès mandatait le Comité central pour pren­dre toutes les sanctions qui s’imposeraient, jusques et y compris leur exclusion du Comité central et du Parti.

Toutes ces décisions ont été consignées dans une résolution spéciale proposée par Lénine et adoptée par le Congrès « Sur l’unité, du Parti ». Dans cette résolution, le congrès attirait l’attention de tous les membres du Parti sur la nécessité de réaliser l’unité et la cohésion des rangs du Parti, l’unité de volonté de l’avant-garde du prolétariat, surtout dans un moment comme la période du Xe congrès, où un concours de circonstances avait renforcé les hési­tations au sein de la population petite-bourgeoise du pays.

« Cependant, était-il dit dans la résolution, dès avant la discussion générale du Parti sur les syndicats, il s’est mani­festé dans le Parti certains indices d’activité de fraction, c’est-à-dire qu’on a vu apparaître des groupes avec leurs plates-for­mes particulières et avec une tendance à se replier jusqu’à un certain point sur eux-mêmes et à créer leur propre discipline de groupe.

Il est nécessaire que tous les ouvriers conscients se rendent nettement compte de ce qu’il y a de nuisible et d’inadmissible dans quelque activité de fraction que ce soit, car cette activité, en fait, conduit inévitablement à affaiblir la bonne entente dans le travail et à renforcer de la part des ennemis qui se raccrochent au Parti gouvernemental, les tenta­tives réitérées d’approfondir la division [du Parti] et de l’ex­ploiter aux lins de contre-révolution. »

Le congrès poursuivait :

« L’exploitation par les ennemis du prolétariat de toute espèce de déviations de la stricte ligne communiste a été illus­trée de la façon la plus saisissante par l’émeute de Cronstadt, dans les circonstances où la contre-révolution bourgeoise et les gardes blancs de tous les pays du monde se sont aussitôt montrés prêts à accepter jusqu’aux mots d’ordre du régime soviétique, pourvu que fût renversée la dictature du proléta­riat en Russie ; où les socialistes-révolutionnaires et, d’une façon générale, la contre-révolution bourgeoise ont utilisé à Cronstadt les mots d’ordre d’insurrection soi-disant au nom du pouvoir des Soviets contre le gouvernement soviétique en Russie.

De tels faits prouvent suffisamment que les gardes blancs veulent et savent se camoufler en communistes, et mê­me « plus à gauche » qu’eux, à seule fin d’affaiblir et de ren­verser le rempart de la révolution prolétarienne en Russie.

Les tracts menchéviks de Pétrograd, à la veille de l’émeute de Cronstadt, montrent également que les menchéviks ont exploi­té les divergences à l’intérieur du Parti communiste russe pour pousser et soutenir en fait les émeutiers de Cronstadt, socialistes-révolutionnaires et gardes blancs, en se donnant en paroles pour des adversaires des émeutes et pour des parti­sans du pouvoir des Soviets sauf quelques petites réserves, disaient-ils. »

La résolution indiquait que la propagande du Parti doit expli­quer à fond ce qu’il y a de nuisible et de dangereux dans l’activi­té de fraction du point de vue de l’unité du Parti et de la réalisa­tion de la volonté unique de l’avant-garde du prolétariat, condition essentielle du succès de la dictature du prolétariat.

D’autre part, était-il dit dans la résolution du congrès, la pro­pagande du Parti doit expliquer ce qu’il y a de particulier dans les derniers procédés tactiques des ennemis du pouvoir des Soviets.

« Ces ennemis, disait la résolution, convaincus désormais que la contre-révolution tentée ouvertement sous le drapeau des gardes blancs est condamnée, font tous leurs efforts pour exploiter les divergences à l’intérieur du P.C.R. et ainsi pous­ser en avant la contre-révolution, d’une façon ou d’une autre, en remettant le pouvoir à des groupements politiques qui, d’ap­parence, sont le plus près de reconnaître le pouvoir des So­viets. ». (Le Parti communiste de l’U.R.S.S. dans ses résolu­tions, première partie, pp. 373-374, éd. russe.)

La résolution indiquait ensuite que la propagande du Parti « doit mettre aussi en lumière l’expérience des révolutions précé­dentes, où la contre-révolution appuyait les groupements petits-bourgeois les plus proches du parti révolutionnaire extrême afin d’ébranler et de renverser la dictature révolutionnaire, en frayant ainsi le chemin pour plus tard à la victoire complète de la contre-révolution, des capitalistes et des grands propriétaires fon­ciers ».

À la résolution « Sur l’unité du Parti » se trouva étroitement liée une autre : « Sur la déviation syndicaliste et anarchiste dans notre Parti », également proposée par Lénine et adoptée par le congrès. Dans cette résolution, le Xe congrès condamna l’opposi­tion dite « opposition ouvrière ». Il déclara la propagande des idées à tendance anarcho-syndicaliste, incompatible avec l’appar­tenance au Parti communiste et il appela le Parti à combattre résolument cette déviation.

Le Xe congrès adopta une décision fort importante sur l’aban­don du système des prélèvements et l’institution de l’impôt en nature, sur le passage à la nouvelle politique économique (Nep). Dans ce tournant du communisme de guerre à la Nep s’est révélée toute la sagesse, toute la clairvoyance de la politique de Lénine.

La résolution du congrès parlait du remplacement des prélè­vements par l’impôt en nature.

L’impôt alimentaire en nature était moins élevé que les prélèvements. Le montant de l’impôt devait être rendu public dès avant les semailles de printemps. Les délais de livraison étaient exactement fixés. Une fois l’impôt livré, le paysan disposait de tout ce qui lui restait en plus ; il était libre de vendre ses excédents. La liberté du commerce, indiquait Lénine dans son rapport, aboutira au début à une certaine reprise du capitalisme dans le pays. Il nous faudra admettre le commerce privé et autoriser les patrons privés à ouvrir de petites entreprises.

Mais il ne faut pas que cela nous fasse peur. Lénine estimait qu’une certaine liberté du commerce stimulerait l’intérêt du pay­san pour son exploitation, relèverait la productivité de son travail et déterminerait un essor rapide de l’agriculture ; que sur cette base, l’industrie de l’État se rétablirait et le capital privé serait évincé ; qu’après avoir accumulé des forces et des ressources, on pourrait créer une industrie puissante, base économique du so­cialisme, et entreprendre ensuite une offensive énergique afin de détruire les vestiges du capitalisme dans le pays.

Le communisme de guerre avait été une tentative de prendre d’assaut, par une attaque de front, la forteresse des éléments capi­talistes à la ville et à la campagne. Dans cette offensive le Parti s’était poussé loin en avant, risquant de se détacher de sa base. Maintenant, Lénine proposait de recoller un peu, de se replier pour un temps plus près de l’arrière, de passer de l’assaut à un siège plus prolongé de la forteresse, pour accumuler des forces et ensuite, reprendre l’offensive.

Les trotskistes et autres membres de l’opposition estimaient que la Nep était simplement un recul.

Une pareille interprétation leur était avantageuse, puisqu’ils visaient à la restauration du ca­pitalisme. C’était là une interprétation profondément pernicieuse, antiléniniste, de la Nep. En réalité, un an seulement après l’insti­tution de la Nep, au XIecongrès du Parti, Lénine déclara que la retraite était terminée et lança le mot d’ordre : «  Préparation de l’offensive contre le capital privé dans l’économie. » (Lénine, t. XXVII, p. 213, éd. russe.)

Les membres de l’opposition, qui étaient de mauvais marxis­tes et de fieffés ignorants en matière de politique bolchévique, ne comprenaient ni la nature de la Nep, ni le caractère du recul en­trepris au début de la Nep. De la nature de la Nep, nous avons déjà parlé plus haut. Quant au caractère du recul, il convient de dire que les reculs diffèrent. Il est des moments où le parti ou bien l’armée doivent se replier parce qu’ils ont subi une défaite.

Dans ces cas-là, le parti ou l’armée recule pour rester sauf et sauvegarder ses cadres en vue de nouvelles batailles. Ce n’était point ce genre de recul que proposait Lénine lors de l’institution de la Nep, attendu que le Parti, loin d’essuyer une défaite et d’avoir été battu, avait lui-même battu les envahisseurs et les gardes blancs pendant la guerre civile. Mais il est des moments où le parti victorieux, ou l’armée, dans son offensive, prend trop les devants, sans s’assurer une base à l’arrière.

De là résulte un sé­rieux danger. Dans ces cas-là, un parti expérimenté, ou une armée expérimentée, estime généralement nécessaire, pour ne pas se cou­per de sa base, de se replier un peu, en se rapprochant de son arrière, afin de se lier plus solidement avec sa base de l’arrière, de se munir de tout le nécessaire et de reprendre ensuite l’offensive avec plus d’assurance, avec les garanties du succès. C’est justement ce genre de recul momentané que réalisa Lénine sous la Nep.

En exposant devant le IVe congrès de l’Internationale communiste les causes qui avaient déterminé l’institution de la Nep, Lénine décla­ra expressément : « Dans notre offensive économique nous avons trop pris les devants, sans nous être assuré une base suffisante » ; c’est pourquoi il était indispensable d’opérer un recul momentané vers un arrière sûr.

Le malheur de l’opposition fut que son ignorance ne lui per­mettait pas et ne lui a jamais permis de comprendre cette parti­cularité du recul sous la Nep. La décision du Xe congrès sur la Nep assurait une solide allian­ce économique de la classe ouvrière et de la paysannerie pour la construction du socialisme. Cette tâche essentielle était servie encore par une autre déci­sion du congrès, sur la question nationale.

Le rapport fut présenté par le camarade Staline. Nous avons supprimé l’oppression natio­nale, dit le camarade Staline, mais cela ne suffit pas. La tâche consiste à supprimer le lourd héritage du passé, le retard écono­mique, politique et culturel des peuples autrefois opprimés. Il faut les aider à rattraper à cet égard la Russie centrale.

Le camarade Staline signala ensuite deux déviations hostiles au Parti dans la question nationale : le chauvinisme impérialiste (grand-russe) et le nationalisme local. Le congrès condamna les deux déviations comme nuisibles et dangereuses pour le commu­nisme et l’internationalisme prolétarien. Ce faisant, le congrès dirigea le coup le plus fort contre le chauvinisme grand-russe, qui constituait le danger principal, c’est-à-dire contre les restes et les survivances de l’attitude envers les nationalités analogue à celle que les chauvins grands-russes, au temps du tsarisme, adoptaient vis-à-vis des peuples non russes.

3. Premiers résultats de la Nep. XIe congrès du Parti. Formation de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Maladie de Lénine. Le plan coopératif de Lénine. XIIe congrès du Parti.

La mise en application de la Nep rencontrait la résistance des éléments instables du Parti. Cette résistance se manifestait de deux côtés. D’une part s’élevaient les braillards « de gauche », les avortons politiques du genre Lominadzé, Chattskine et autres, qui « démontraient » que la Nep, c’était l’abandon des conquêtes de la Révolution d’Octobre, le retour au capitalisme, la mort du pouvoir des Soviets.

Ces gens-là, par ignorance politique et par méconnaissance des lois du développement économique, ne comprenaient pas la politique du Parti, tombaient dans la panique et semaient autour d’eux la démoralisation.

D’autre part, on avait les francs capitulards, genre Trotski, Radek, Zinoviev, Sokolnikov, Kaménev, Chlianikov, Boukharine, Rykov, d’autres encore, qui ne croyaient pas à la possibilité du développement socialiste de notre pays ; ils s’inclinaient devant la « puissance » du capitalisme et, visant à affermir les positions du capitalisme dans le pays des Soviets, réclamaient que des concessions importantes fussent faites au capital privé, tant à l’intérieur du pays qu’au dehors ; ils demandaient que fussent livrés au capital privé une série de postes de commandement du pouvoir soviétique dans l’économie nationale sous la forme de concessions ou de sociétés mixtes par actions, auxquelles participerait le capital privé.

Les uns comme les autres étaient étrangers au marxisme, au léninisme.

Le Parti dénonça et isola les premiers et les seconds. Il infligea une riposte décisive aux paniquards et aux capitulards.

Une telle résistance à la politique du Parti rappelait une fois de plus la nécessité de l’épurer de ses éléments instables. C’est dans ces conditions que le Comité central accomplit un important travail de renforcement du Parti, en organisant son épuration en 1921. L’épuration se fit avec la participation des sans-parti, dans des réunions publiques. Lénine avait recommandé de chasser du Parti « … les filous, les communistes bureaucratisés, malhonnêtes, mous, et les menchéviks qui ont ‘‘repeint façade’’ mais qui, dans l’âme, sont restés des menchéviks ». (Lénine, Œuvres choisies, t. II, p. 908.)

Au total, on exclut par l’épuration jusqu’à 170 000 personnes, soit environ 25% de tout l’effectif du Parti.

L’épuration fortifia considérablement le Parti, en améliora la composition sociale, renforça la confiance des masses à son égard, éleva son autorité. La cohésion et l’esprit de discipline augmentèrent.

La première année de la nouvelle politique économique prouva la justesse de cette politique. Le passage à la Nep avait sensiblement fortifié l’alliance des ouvriers et des paysans sur une base nouvelle. La puissance et la solidité de la dictature du prolétariat s’étaient accrues. Le banditisme des koulaks avait été presque entièrement liquidé. Les paysans moyens, depuis la suppression du système des prélèvements, aidaient le pouvoir soviétique à lutter contre les bandes koulaks. Le pouvoir des Soviets conservait en mains tous les postes de commandement de l’économie nationale : la grande industrie, les transports, les banques, la terre, le commerce intérieur, le commerce extérieur. Le Parti avait opéré un tournant sur le front économique.

L’agriculture fit bientôt des progrès. L’industrie et les transports enregistrèrent leurs premiers succès. On assista à un essor économique encore très lent, mais certain. Les ouvriers et les paysans se rendirent compte que le Parti était dans la bonne voie.

En mars 1922 se réunit le XIe congrès du Parti. Il comptait 522 délégués avec voix délibérative, représentant 532 000 membres du Parti, c’est-à-dire moins qu’au congrès précédent. Il y avait 165 délégués avec voix consultative. Cette diminution du nombre des adhérents s’expliquait par l’épuration qui avait commencé dans les rangs du Parti.

Au congrès, le Parti dressa le bilan de la première année de la nouvelle politique économique, bilan qui permit à Lénine de déclarer :

« Nous avons reculé pendant un an. Nous devons maintenant dire au nom du Parti : Assez ! Le but que visait le recul est atteint. Cette période se termine ou est terminée. Maintenant un autre objectif s’impose : regrouper les forces. » (Lénine, t. XXVII, p. 238, éd. russe.)

Lénine indiquait que la Nep signifiait une lutte acharnée, une lutte à mort entre le capitalisme et le socialisme. « Qui l’emportera ? » voilà comment se pose la question. Pour vaincre, il faut assurer l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie de l’industrie socialiste et de l’économie paysanne, en développant par tous les moyens les échanges entre la ville et la campagne. Pour cela, il est nécessaire d’apprendre à bien gérer notre économie, d’apprendre à faire le commerce sous des formes cultivées.

Le commerce, en cette période, apparaissait comme le maillon essentiel dans la chaîne des problèmes qui se posaient au Parti. Avant d’avoir résolu ce problème, on ne pouvait développer les échanges entre la ville et la campagne, on ne pouvait renforcer l’alliance économique des ouvriers et des paysans, on ne pouvait relever l’agriculture, tirer l’industrie de la ruine.

Le commerce soviétique, à ce moment, était encore très faible. Très faible l’appareil commercial. Les communistes n’avaient pas encore les habitudes du commerce ; ils n’avaient pas encore appris à reconnaître l’ennemi, le nepman [Employeur privé, marchand, spéculateur dans la première période de la nouvelle politique économique. (N. des Trad.)] ; ils n’avaient pas encore appris à le combattre. Les commerçants privés, — les nepmans, — mettaient à profit la faiblesse du commerce soviétique et accaparaient le commerce des tissus et autres marchandises d’usage courant. Le problème de l’organisation du commerce de l’État et du commerce coopératif prenait une importance considérable.

À la suite du XIe congrès, l’activité économique redoubla de vigueur. On mit heureusement fin aux conséquences de la mauvaise récolte qui avait frappé le pays. L’économie paysanne se redressa rapidement. Les chemins de fer fonctionnèrent mieux. On vit se multiplier le nombre des fabriques et des usines qui reprenaient le travail.

En octobre 1922, la République soviétique célébra une grande victoire : l’Armée rouge et les partisans d’Extrême-Orient avaient libéré de l’intervention japonaise Vladivostok, le dernier secteur de la terre soviétique qui se trouvait encore entre les mains de l’envahisseur.

Maintenant que tout le territoire du pays était libéré de l’intervention et que les tâches de la construction socialiste et de la défense exigeaient que fût encore renforcée l’alliance des peuples du pays des Soviets, une question se posait : grouper encore plus étroitement les Républiques soviétiques en une seule union, en un seul État. Il s’agissait de réunir toutes les forces populaires en vue de construire le socialisme.

Il s’agissait d’organiser une défense vigoureuse du pays. Il s’agissait d’assurer le développement harmonieux et complet de toutes les nationalités de notre patrie. Et c’est pourquoi il fallait rapprocher encore davantage, entre eux, tous les peuples du pays des Soviets.

En décembre 1922 se tint le Ier congrès de Soviets de l’URSS. À ce congrès, sur la proposition de Lénine et de Staline fut réalisée l’union librement consentie des peuples soviétiques en un seul État : l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS).

Au début firent partie de l’URSS : la République socialiste fédérative de Russie (RSFSR), la République socialiste fédérative de Transcaucasie (RSFST), la République socialiste soviétique d’Ukraine (RSSU) et la République socialiste soviétique de Biélorussie (RSSB). À quelque temps de là se constituèrent en Asie centrale trois Républiques soviétiques fédérées indépendantes : la République d’Ouzbékie, la république de Turkménie et la république de Tadjikie. Maintenant, toutes ces Républiques sont également rentrées dans l’Union des États soviétiques, dans l’URSS, sur la base du libre consentement et de l’égalité en droits, chacune d’elles conservant le droit de sortir librement de l’Union soviétique.

Créer l’Union des Républiques socialistes soviétiques, c’était renforcer le pouvoir des Soviets ; c’était, pour la politique léniniste stalinienne du Parti bolchévik, remporter une grande victoire dans la question nationale.

En novembre 1922, Lénine prit la parole à l’Assemblée plénière du Soviet de Moscou.

Dressant le bilan des cinq années d’existence du pouvoir des Soviets, Lénine dit sa conviction ferme que « de la Russie de la Nep sortirait la Russie socialiste ». Ce fut son dernier discours devant le pays. En automne 1922, un grand malheur frappa le Parti : Lénine tomba gravement malade. Tout le parti, tous les travailleurs ressentirent la maladie de Lénine comme une grande douleur personnelle. Tous vivaient dans l’angoisse, craignant pour les jours de Lénine tant aimé.

Mais, même pendant sa maladie, Lénine continuait son travail. Alors qu’il était déjà gravement atteint, il écrivit une série d’articles de grande portée. C’étaient ses derniers articles ; il y dressait le bilan du travail accompli et y traçait un plan pour construire le socialisme dans notre pays en entraînant la paysannerie à cette œuvre : pour l’y associer, Lénine présenta son plan de coopération dans le cadre du plan général qu’il donnait.

C’était la coopération en général, et la coopération agricole en particulier, qui constituait aux yeux de Lénine le moyen accessible et compréhensible aux millions de paysans qui permettrait de passer des petites exploitations individuelles aux grandes associations de production, aux kolkhoz. Lénine indiquait que le développement de l’agriculture de notre pays devait passer par la participation des paysans à la construction socialiste sous la forme de la coopération, par une introduction graduelle des principes du collectivisme dans l’agriculture, d’abord dans le domaine de l’écoulement des produits agricoles, puis dans celui de leur production. Lénine indiquait que, quand on a la dictature du prolétariat et l’alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie, quand on a la direction assurée au prolétariat, à l’égard de la paysannerie, quand on dispose d’une industrie socialiste, la coopération de production judicieusement organisée et englobant des millions de paysans constitue le moyen qui permet de construire dans notre pays la société socialiste intégrale.

En avril 1923 se tint le XIIe congrès du Parti. Ce fut le premier congrès depuis la prise du pouvoir par les bolchéviks, auquel Lénine ne put assister. Le congrès réunit 408 délégués avec voix délibérative, représentant 386 000 membres du Parti, c’est-à-dire moins qu’au congrès précédent. C’était le résultat de l’épuration qui se poursuivait et qui avait entraîné l’exclusion d’une portion considérable d’adhérents. Les délégués avec voix consultative étaient au nombre de 417.

Dans ses décisions, le XIIe congrès du Parti tint compte de toutes les indications que Lénine avait données dans ses derniers articles et ses dernières lettres.

Le congrès infligea une riposte vigoureuse à tous ceux qui concevaient la Nep comme un abandon des positions socialistes, comme une reddition de nos positions au capitalisme, à ceux qui proposaient de se laisser asservir par le capitalisme. Ces propositions furent faites au congrès par Radek et Krassine, partisans de Trotski. Ils proposèrent de rendre à la merci des capitalistes étrangers, de leur livrer sous forme de concessions les industries qui offraient un intérêt vital pour l’État soviétique. Il proposèrent de payer les dettes contractées par le gouvernement tsariste et annulées par la Révolution d’Octobre. Ces propositions de capitulation furent stigmatisées par le Parti comme une trahison. Le Parti ne se refusa pas à utiliser la politique des contrats de concession, mais il l’accepta seulement pour des branches d’industries déterminées et dans des proportions avantageuses à l’État soviétique.

Dès avant le congrès, Boukharine et Sokolnikov avaient proposé de supprimer le monopole du commerce extérieur. Cette proposition était également due à leur façon de comprendre la Nep comme une reddition de nos positions au capitalisme. Lénine stigmatisa à ce moment Boukharine qu’il qualifia de défenseur des spéculateurs, des nepmans, des koulaks. Le XIIe congrès du Parti repoussa résolument ces attaques contre le monopole intangible du commerce extérieur.

Il battit également Trotski, qui tentait d’imposer au Parti une politique néfaste à l’égard de la paysannerie. Le congrès indiqua qu’on ne pouvait pas oublier un fait comme la prédominance de la petite exploitation paysanne dans le pays. Il souligna que le développement de l’industrie, — y compris celui de l’industrie lourde, — ne devait pas aller à l’encontre des intérêts des masses paysannes, mais en alliance avec elles, au profit de la population travailleuse toute entière. Ces décisions étaient dirigées contre Trotski qui entendait monter l’industrie en exploitant l’économie paysanne, et désavouait en fait la politique d’alliance du prolétariat avec la paysannerie.

Trotski proposait en même temps que l’on fermât des entreprises aussi grandes, aussi importantes pour la défense que les usines Poutilov, celles de Briansk et autres, lesquelles, à ce qu’il disait, ne rapportaient pas. Le congrès, indigné, repoussa ses propositions.

Conformément à une proposition écrite que Lénine lui avait adressée, le XIIe congrès constitua un organisme unifié : la Commission centrale de contrôle de l’Inspection ouvrière et paysanne. Une tâche lourde de responsabilité incombait à cet organisme : veiller à l’unité de notre Parti, renforcer la discipline dans le Parti et dans l’État, perfectionner par tous les moyens l’appareil de l’État soviétique.

Le congrès accorda une attention sérieuse à la question nationale. Le rapporteur de cette question était le camarade Staline. Il souligna l’importance internationale de notre politique dans la question nationale. Les peuples opprimés d’Occident et d’Orient voient dans l’Union soviétique un parfait exemple de la façon dont il convient de résoudre la question nationale et de supprimer l’oppression des nationalités.

Le camarade Staline affirma la nécessité de travailler énergiquement à faire disparaître l’inégalité économique et culturelle entre les peuples de l’Union soviétique. Il appela l’ensemble du Parti à lutter résolument contre les déviations dans la question nationale : le chauvinisme grand-russe et le nationalisme local bourgeois.

Le congrès démasqua les tenants des déviations nationalistes et leur politique à prétentions impérialistes à l’égard des minorités nationales. En ce temps-là s’élevaient contre le Parti les nationalistes géorgiens, Mdivani et autres. Ils étaient contre la création d’une fédération transcaucasienne, contre le raffermissement des liens d’amitié entre les peuples de Transcaucasie.

Ils se comportaient envers les autres nationalités de Géorgie comme de vrais chauvins impérialistes. Ils expulsaient de Tiflis tous les non-Géorgiens, les Arméniens surtout ; ils avaient édicté une loi aux termes de laquelle toute Géorgienne qui se mariait avec un non-Géorgien, perdait la citoyenneté géorgienne. Les nationalistes géorgiens étaient soutenus par Trotski, Radek, Boukharine, Skrypnik, rakovski.

Peu après le congrès, on convoqua une conférence des militants des Républiques nationales pour étudier spécialement la question nationale. C’est là que fut démasqué le groupe des nationalistes bourgeois tatars : Soultan-Galiev et autres, de même que le groupe des nationalistes ouzbeks : Faïzoulla khodjaev et autres.

Le XIIe congrès du Parti dressa le bilan des deux années de nouvelle politique économique. Ce bilan inspirait l’optimisme et la certitude dans la victoire finale.

« Notre Parti est resté soudé, cohérent ; il a su opérer un tournant prodigieux, et il va de l’avant, drapeaux largement déployés », déclara au congrès le camarade Staline.

4. Lutte contre les difficultés du rétablissement de l’économie nationale. Recrudescence de l’activité trotskiste en rapport avec la maladie de Lénine. Nouvelle discussion dans le Parti. Défaite des trotskistes. Mort de lénine. Promotion lénine. XIIIe congrès du Parti.

Les premières années de lutte pour le rétablissement de l’éco­nomie nationale furent marquées par des succès considérables. Vers 1924, on observait un essor dans tous les domaines. La super­ficie ensemencée s’était accrue sensiblement depuis 1921, l’écono­mie paysanne se fortifiait de plus en plus. L’industrie socialiste était en progression. Les effectifs de la classe ouvrière s’étaient notablement accrus. Les salaires avaient augmenté. Les ouvriers et les paysans vivaient mieux, plus à l’aise que dans les années 1920-1921.

Mais les conséquences de la ruine économique se faisaient toujours sentir. L’industrie retardait encore sur le niveau d’avant-guerre ; son développement retardait sur le développement des besoins du pays.

Fin 1923, on comptait près d’un million de chô­meurs : la lenteur du progrès de l’économie nationale ne permet­tait pas de résorber le chômage. Le commerce se développait avec des à-coups, en raison des prix démesurément élevés des articles fabriqués en ville, prix qui étaient imposés au pays par les nep­mans proprement dits et par les éléments nepmans de nos organi­sations commerciales. De ce l’ait, le rouble soviétique subissait de fortes fluctuations, il se dépréciait. Tout cela freinait l’améliora­tion de la situation des ouvriers et des paysans.

Vers l’automne 1923, les difficultés économiques se trouvèrent quelque peu aggravées en raison des infractions à la politique so­viétique des prix qu’avaient commises nos organismes industriels et commerciaux.

On constata un écart marqué entre les prix des marchandises industrielles et ceux des produits agricoles. Les prix du blé étaient bas ; ceux des articles industriels, exorbitants. Les frais généraux étaient énormes dans l’industrie, d’où le renché­rissement des marchandises. L’argent que la paysannerie tirait de la vente de son blé se dépréciait rapidement.

Au surplus, le trot­skiste Piatakov, alors installé au Conseil supérieur de l’économie nationale, avait donné une directive criminelle aux dirigeants de l’industrie : drainer le plus de profits possible de la vente des marchandises manufacturées, hausser sans retenue les prix soi-disant pour développer l’industrie.

En réalité, ce mot d’ordre nepman ne pouvait aboutir qu’à un rétrécissement de la base de la production industrielle et à la ruine de l’industrie. Dans ces conditions, la paysannerie n’avait pas intérêt à acquérir les mar­chandises de la ville ; elle cessa de les acheter. Et ce fut la crise des débouchés, qui se répercuta dans l’industrie. Des difficultés surgirent pour le paiement des salaires, ce qui provoqua le mécon­tentement des ouvriers. Dans certaines fabriques, les ouvriers les moins conscients abandonnaient le travail.

Le Comité central du Parti envisagea les moyens d’éliminer ces difficultés et ces défauts. Des mesures turent prises pour liqui­der la crise des débouchés. On réduisit les prix des articles de grande consommation. Une réforme monétaire fut décidée : l’a­doption d’une devise ferme et stable, le tschervonetz. On fit ré­gner l’ordre dans le paiement des salaires aux ouvriers. Des me­sures furent envisagées pour développer le commerce par les or­ganismes soviétiques et coopératifs et évincer du commerce les commerçants privés et les spéculateurs de toute sorte.

Il fallait se mettre à la besogne avec ensemble, les manches retroussées. Ainsi pensaient et agissaient les hommes dévoués au Parti. Mais telle n’était pas la conduite des trotskistes. Pro­fitant de l’absence de Lénine, à qui une grave maladie avait fait quitter les rangs, ils déclenchèrent une nouvelle offensive contre le Parti et se direction. Ils jugeaient le moment favorable pour battre le Parti et renverser sa direction.

Tout était bon pour eux dans leur lutte contre le Parti : et la défaite de la révolution en Allemagne et en Bulgarie à l’automne de 1923, et les difficultés économiques dans le pays, et la maladie de Lénine. C’est juste­ment dans celle période difficile pour l’État soviétique, au mo­ment où le chef du Parti était cloué sur son lit, que Trotski entre­prit son attaque contre le Parti bolchévik. Après avoir groupé au­tour de lui tous les éléments antiléninistes du Parti, il confection­na une plate-forme de l’opposition, dirigée contre le Parti, contre sa direction, contre sa politique.

Cette plate-forme s’appela : décla­ration des 46. Dans la lutte contre le Parti de Lénine s’étaient unis tous les groupes d’opposition : trotskistes, partisans du « centralis­me démocratique », et ce qui restait des « communistes de gau­che » et de l’ « opposition ouvrière ». Dans leur déclaration, ils pronostiquaient une grave crise économique et l’effondrement du pouvoir dos Soviets ; ils réclamaient la liberté des fractions et des groupes comme étant la seule issue à la situation.

C’était donc une lutte pour la reconstitution des fractions interdites, sur la proposition de Lénine, par le Xecongrès du Parti.

Les Trotskistes ne soulevèrent aucun problème concret en vue d’améliorer l’industrie ou l’agriculture, le commerce national, la situation des travailleurs. Au reste, ils s’y intéressaient fort peu. Une seule chose les intéressait : profiter de l’absence de Lénine pour reconstituer les fractions au sein du Parti et ébranler les fon­dements du Parti, ébranler son Comité central.

À la suite de la plate-forme des 46, Trotski lança une lettre dans laquelle il couvrait de boue les cadres du Parti et formulait une série de nouvelles accusations calomnieuses contre le Parti. Il reprenait dans cette lettre les vieux refrains menchéviks que le Parti lui avait entendu répéter maintes fois.

Avant tout, les trotskistes s’attaquaient à l’appareil du Parti. Ils comprenaient que ce dernier ne pouvait vivre ni travailler sans un appareil solidement charpenté. L’opposition s’employa à ébranler, à détruire cet appareil, à opposer les membres du Parti à son appareil et à opposer les jeunes aux vieux cadres du Parti. Dans sa lettre, Trotski misait sur la jeunesse des écoles, sur les jeunes membres du Parti, qui ne connaissaient pas l’histoire de la lutte du Parti contre le trotskisme.

Pour conquérir la jeunesse stu­dieuse Trotski la flattait en l’appelant « le plus sûr baromètre du Parti » : il déclarait en même temps que la vieille garde léniniste était en dégénérescence. Faisant allusion aux chefs tarés de la IIe Internationale, i1 insinuait bassement que la vieille garde bolche­vique suivait leurs traces. Il criait à la dégénérescence du Parti pour mieux masquer sa propre dégénérescence et ses desseins di­rigés contre le Parti.

Les deux documents de l’opposition, — la plate-forme des 46 et la lettre de Trotski, — furent expédiés par les trotskistes dans les rayons et les cellules, et proposés à l’examen des mem­bres du Parti. On provoquait le Parti à la bataille.

Ainsi, tout comme au moment de la discussion syndicale avant le Xe congrès, on imposait maintenant au Parti une discussion gé­nérale. Bien que le Parti fût préoccupé par des problèmes économi­ques autrement graves, il releva le défi et ouvrit la discussion.

Elle s’étendit à l’ensemble du Parti. La lutte prit un caractère acharné. Elle fut particulièrement âpre à Moscou. Les trotskistes visaient à s’emparer tout d’abord de l’organisation bolchévique de la capitale. Mais la discussion ne leur fut d’aucune aide. Elle les confondit. Ils furent battus à plate couture tant à Moscou que dans l’ensemble de l’Union soviétique. Seules quelques cellules d’écoles supérieures et d’administrations votèrent en leur faveur.

En janvier 1924 se réunit la XIIIe conférence du Parti. Elle entendit le rapport du camarade Staline, qui tirait les enseigne­ments de la discussion. La conférence condamna l’opposition trot­skiste en déclarant qu’en l’espèce le Parti avait affaire à une dé­viation petite-bourgeoise du marxisme. Les décisions de la confé­rence furent confirmées plus tard par le XIIIe congrès du Parti et le Ve congrès de l’Internationale communiste. Le prolétariat communiste international soutint le Parti bolchévik dans sa lutte contre le trotskisme.

Mais les trotskistes ne cessèrent point leur travail de sape. En automne 1924, Trotski publia un article « Les leçons d’Oc­tobre », dans lequel il tentait de substituer le trotskisme au léni­nisme. Cet article n’était qu’un tissu de calomnies contre notre Parti, contre son chef Lénine. Tous les ennemis du communis­me et du pouvoir des Soviets se saisirent de cette méchante pla­quette de diffamation.

Le Parti repoussa avec indignation la ca­lomnie de Trotski contre l’histoire héroïque du bolchévisme. Le camarade Staline dénonça la tentative de Trotski de substituer le trotskisme au léninisme. Dans ses interventions, le camarade Staline déclara : « La tâche du Parti consiste à enterrer le trot­skisme en tant que courant idéologique. »

L’ouvrage théorique du camarade Staline : Des principes du léninisme, paru en 1924, eut une importance considérable pour l’écrasement idéologique du trotskisme et la défense du léninisme. Cette brochure est un exposé magistral et une importante justifi­cation théorique du léninisme. Elle fournit alors et continue de fournir aujourd’hui aux bolchéviks du monde entier l’arme acérée de la théorie marxiste-léniniste.

Dans les batailles contre le trotskisme, le camarade Staline rallia le Parti autour de son Comité central et le mobilisa en vue de la lutte nouvelle pour la victoire du socialisme dans notre pays. Le camarade Staline sut prouver que l’écrasement idéologique du trotskisme est une condition nécessaire pour assurer la marche victorieuse au socialisme.

En dressant le bilan de cette période de lutte contre le trots­kisme, le camarade Staline a dit :

« Sans avoir battu le trotskisme, il est impossible de vain­cre dans les conditions de la Nep, impossible de transformer la Russie d’aujourd’hui en Russie socialiste. »

Mais les succès de la politique léniniste du Parti furent en­deuillés par le malheur immense qui frappa le Parti et la classe ouvrière. Le 21 janvier 1924, à Gorki, près de Moscou, mou­rut notre chef et notre éducateur, Lénine, le fondateur du Parti bolchévik. La classe ouvrière du monde entier accueillit la nou­velle de la mort de Lénine comme la perte la plus douloureuse.

Le jour des obsèques, le prolétariat international proclama un arrêt du travail de cinq minutes. Les chemins de fer s’immobilisèrent, le travail fut interrompu dans les usines et les fabriques. C’est ainsi que les travailleurs du monde entier, dans leur suprême af­fliction, rendirent hommage à leur père et à leur éducateur, à leur meilleur ami et défenseur, à Lénine.

La classe ouvrière de l’Union soviétique répondit à la mort de Lénine en se ralliant encore plus étroitement autour du Parti léniniste. En ces jours de deuil, chaque ouvrier conscient médita sur l’attitude qu’il devait prendre à l’égard du Parti communiste, qui appliquait les préceptes de Lénine. Des milliers et des milliers de demandes d’adhésion, émanant d’ouvriers, affluèrent au Co­mité central.

Le Comité central alla au-devant de ce mouvement et proclama l’admission en masse des ouvriers d’avant-garde dans le Parti ; il proclama la promotion Lénine. Par dizaines de mil­liers, on vit adhérer de nouveaux ouvriers au Parti, on vit adhérer tous ceux qui étaient prêts à sacrifier leur vie pour la cause du Parti, pour la cause de Lénine En un court espace de temps, plus de 240.000 ouvriers rejoignirent les rangs du Parti bolchévik. Celui-ci vit affluer dans son sein la partie avancée de la classe ouvrière, la plus consciente et la plus révolutionnaire, la plus cou­rageuse et la plus disciplinée. C’était la promotion Lénine.

La mort de Lénine montra combien notre Parti était proche des masses ouvrières, combien leur était cher le Parti de Lénine. En ces jours de deuil, au IIe congrès des Soviets de l’U.R.S.S., le camarade Staline fit un serment solennel au nom du Parti, il dit :

« Nous sommes, nous, communistes, des gens d’une fac­ture à part. Nous sommes taillés dans une étoffe à part. Nous formons l’armée du grand stratège prolétarien, l’armée du camarade Lénine. Il n’est rien de plus haut que l’honneur d’appartenir à cette armée. Il n’est rien de plus haut que le titre de membre du Parti qui a pour fondateur et pour diri­geant le camarade Lénine…

En nous quittant, le camarade Lénine nous a recom­mandé de tenir haut et de garder dans sa pureté le glorieux titre de membre du Parti. Nous te jurons, camarade Lénine, d’accomplir avec honneur ta volonté ! …

En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé de garder l’unité de notre Parti comme la prunelle de nos yeux. Nous te jurons, camarade Lénine, que là encore nous ac­complirons avec honneur ta volonté ! …

En nous quittant, le camarade Lénine nous a recomman­dé de sauvegarder et d’affermir la dictature du prolétariat. Nous te jurons, camarade Lénine, de ne pas épargner nos for­ces pour, là encore, accomplir avec honneur ta volonté !…

En nous quittant, le camarade Lénine nous a recomman­dé de consolider de toutes nos forces l’alliance des ouvriers et des paysans. Nous te jurons, camarade Lénine, que là encore nous accomplirons avec honneur ta volonté !…

Le camarade Lénine nous a toujours parlé de la néces­sité d’une alliance librement consentie des peuples de notre pays, de la nécessité de leur collaboration fraternelle dans le cadre de l’Union des Républiques. En nous quittant, le cama­rade Lénine nous a recommandé de consolider et détendre l’Union des Républiques Nous te jurons, camarade Lénine, que là encore nous accomplirons avec honneur ta volonté !…

Maintes fois Lénine nous a indiqué que le renforcement de l’Armée rouge et son perfectionnement sont une des tâches les plus importantes de notre Parti… Jurons donc, ca­marades, de ne pas épargner nos efforts pour renforcer notre Armée rouge, notre Flotte rouge…

En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé la fidélité aux principes de l’Internationale communiste. Nous te jurons, camarade Lénine, que nous n’épargnerons pas notre vie pour consolider et étendre l’union des travailleurs du mon­de entier, l’Internationale communiste ! »

Tel fut le serment du Parti bolchévik à son chef Lénine, qui vivra dans les siècles.

En mai 1924 se tint le XIII » congrès du Parti. À ce congrès assistèrent 748 délégués avec voix délibérative, représentant 735.881 membres du Parti. Cette forte augmentation des effec­tifs par rapport au congrès précédent s’explique par l’adhésion au Parti d’environ 250.000 nouveaux membres de la promotion Lénine. Les délégués avec voix consultative étaient au nombre de 416.

Le congrès condamna unanimement la plate-forme de l’opposition trotskiste en la qualifiant de déviation petite-bourgeoise du marxisme, de révision du léninisme ; il confirma les résolu­tions de la XIIIe conférence du Parti « Sur la construction du Par­ti » et « Sur le bilan de la discussion » Mû par la volonté de renforcer l’alliance de la ville et de la campagne, le congrès donna la directive de développer encore l’in­dustrie, en premier lieu l’industrie légère ; il affirma en même temps la nécessité de hâter le développement de la métallurgie.

Le congrès ratifia la création d’un Commissariat du peuple du Commerce intérieur ; il fixa pour tâche à tous les organis­mes commerciaux de prendre possession du marché et d’évincer du commerce le capital privé.

Le congrès fixa la tâche d’élargir le crédit à bon marché ac­cordé par l’État à la paysannerie et d’éliminer de la campagne les usuriers. Le congrès indiqua que le mot d’ordre principal à la cam­pagne était de mettre tout en œuvre pour rassembler les mas­ses paysannes dans les coopératives. Enfin, le congrès montra l’importance extraordinaire de la promotion Lénine, et attira l’attention du Parti sur la nécessité d’instruire des principes du léninisme les jeunes adhérents du Par­ti, avant tout ceux de la promotion Lénine.

5. L’Union Soviétique à la fin de la période de rétablissement. Le problème de la construction socialiste et de la victoire du socialisme dans notre pays. La « nouvelle opposition » Zinoviev-Kaménev. XIVe congrès du Parti. Orientation vers l’industrialisation socialiste du pays.

Il s’était écoulé plus de quatre années de travail tenace du Parti bolchévik et de la classe ouvrière dans la voie de la nou­velle politique économique. Le travail héroïque accompli en vue de rétablir l’économie nationale touchait à sa fin. On voyait gran­dir de plus en plus la puissance économique et politique de l’U.R.S.S.

La situation internationale s’était modifiée vers cette époque. Le capitalisme avait résisté au premier assaut révolutionnaire des masses après la guerre impérialiste. Le mouvement révolutionnaire d’Allemagne, d’Italie, de Bulgarie, de Pologne et d’une série d’au­tres pays avait été écrasé. Dans cette besogne, la bourgeoisie avait été secondée par les chefs des partis conciliateurs social-démocra­tes.

On assistait à un reflux momentané de la révolution. Et ce fut la stabilisation temporaire, partielle, du capitalisme en Europe occidentale, la consolidation partielle de ses positions.

Mais la sta­bilisation du capitalisme n’avait pas supprimé les contradictions fondamentales qui déchirent la société capitaliste. Au contraire : la stabilisation partielle aggrava les antagonismes entre les ou­vriers et les capitalistes, entre l’impérialisme et les peuples colo­niaux, entre les groupes impérialistes des divers pays. La stabili­sation prépara une nouvelle explosion d’antagonismes, des crises nouvelles dans les pays du capitalisme.

Parallèlement à la stabilisation du capitalisme s’opérait la sta­bilisation de l’Union soviétique. Toutefois, ces deux stabilisations se distinguaient foncièrement l’une de l’autre. La stabilisation ca­pitaliste annonçait une nouvelle crise du capitalisme. La stabilisa­tion de l’Union soviétique signifiait un nouveau progrès de la puis­sance économique et politique du pays du socialisme.

Malgré la défaite de la révolution en Occident, la situation internationale de l’Union soviétique continuait de se consolider, à un rythme moins rapide il est vrai. En 1922, l’Union soviétique fut invitée à une conférence éco­nomique internationale tenue à Gênes, en Italie.

À cette confé­rence, les gouvernements impérialistes encouragés par la défaite de la révolution dans les pays du capitalisme, essayèrent d’exercer une nouvelle pression sur la République des Soviets, cette fois sous la forme diplomatique.

Les impérialistes présentèrent au pays des Soviets des exigences scandaleuses. Ils demandaient que les fabriques et les usines nationalisées par la Révolution d’Octobre fussent restituées aux capitalistes étrangers et que fussent payées toutes les dettes du gouvernement tsariste. C’est à ces conditions que les États impérialistes promettaient à l’État soviétique des emprunts, insignifiants d’ailleurs.

L’Union soviétique repoussa ces exigences. Les résultats de la conférence de Gênes furent nuls. La menace d’une nouvelle intervention armée, sous la for­me d’un ultimatum du ministre des Affaires étrangères anglais Curzon, en 1923, fait de même repoussée comme elle le méritait.

Après avoir éprouvé la solidité du pouvoir des Soviets et s’être convaincus de sa stabilité, les États capitalistes commencèrent à rétablir, l’un après l’autre, les relations diplomatiques avec notre pays. Au cours de l’année 1924, les relations diplomatiques furent rétablies avec l’Angleterre, la France, le Japon et l’Italie.

Il fut évident que le pays des Soviets était parvenu à s’as­surer toute une période de trêve.

La situation intérieure du pays avait changé, elle aussi. Le travail plein d’abnégation des ouvriers et des paysans dirigés par le Parti bolchévik portait ses fruits.

On assistait au déve­loppement rapide de l’économie nationale. Pendant l’exercice 1924-1925, l’agriculture approchait du niveau d’avant-guerre, dont elle atteignait déjà 87%. La grande industrie de l’U.R.S.S. fournit en 1925 près des trois quarts de la production industrielle d’avant-guerre. En 1924-1925, le pays des Soviets put déjà investir dans les grands travaux 385 000.000 de roubles.

On exécutait avec suc­cès le plan d’électrification du pays. Les postes de commandement du socialisme dans l’économie nationale se fortifiaient. De sérieux succès furent remportés au cours de la lutte contre le capital privé dans l’industrie et le commerce. L’essor de l’économie entraînait une nouvelle amélioration de la situation des ouvriers et des paysans. Les effectifs de la classe ouvrière grandissaient à un rythme accéléré. Les salaires augmentaient, de même que la productivité du travail La situation matérielle des paysans accusait une amélioration sensible.

L’État ouvrier et paysan put en 1924-1925, assigner jusqu’à 290.000.000 de roubles pour l’aide aux petits paysans. A la faveur du mieux-être des ouvriers et des paysans, l’activité politique des masses se développe fortement. La dictature du prolétariat se raffermit. Le Parti bolchévik voit grandir son autorité et son influence. Le rétablissement de l’économie nationale allait être achevé.

Mais il ne suffisait pas au pays des Soviets, au pays du socia­lisme en construction, de rétablir simplement l’économie, d’at­teindre simplement le niveau d’avant-guerre, qui était celui d’un pays arriéré. II fallait aller de l’avant. La trêve prolongée conqui­se par l’État soviétique assurait la possibilité de poursuivre l’œuvre constructive.

Mais ici se posait dans toute son ampleur la question des pers­pectives du caractère de notre développement, de notre construc­tion, le problème des destinées du socialisme en Union soviétique. Dans quelle direction fallait-il orienter la construction économique en U.R.S.S. ?

Dans le sens du socialisme ou dans quelque autre sens ? Devions-nous et pouvions-nous construire l’économie socia­liste, ou bien le sort nous réservait-il le soin d’engraisser le ter­rain pour une autre économie, pour l’économie capitaliste ? Etait-il possible d’une façon générale de construire l’économie so­cialiste en U.R.S.S. et si oui, était-il possible de la construire alors que la révolution tardait dans les pays capitalistes et que le ca­pitalisme se stabilisait ?

Etait-il possible de construire l’économie socialiste en suivant la voie de la nouvelle politique économique qui, multipliant et étendant dans toute la mesure du possible les forces du socialisme dans le pays, accusait du même coup un pro­grès momentané du capitalisme ? Comment fallait-il construire, l’économie socialiste, et par quel bout commencer ?

Toutes ces questions se posaient au Parti à l’issue de la pé­riode de rétablissement, non plus comme des problèmes de théo­rie, mais comme des problèmes de pratique, des problèmes de la construction quotidienne de l’économie.

À toutes ces questions, il importait de donner des réponses claires et nettes, pour que les militants de notre Parti travaillant dans l’économie nationale où ils édifiaient l’industrie et l’agricul­ture, de même que le peuple tout entier, sachent de quel côté s’orien­ter, vers le socialisme ou vers le capitalisme.

Sans réponse claire à ces questions, tout notre travail pratique de construction aurait été privé de perspectives ; c’eût été travail­ler à l’aveuglette, travailler à vide. À toutes ces questions, le Parti répondit de façon claire et précise.

Oui, répondit le Parti, on peut et on doit construire une éco­nomie socialiste dans notre pays, puisque nous avons tout ce qui est nécessaire pour construire cette économie, pour construire la société socialiste intégrale.

En octobre 1917, la classe ouvrière a triomphé du capitalisme politiquement, en instaurant sa dictature politique. Depuis lors, le pouvoir des Soviets a pris toutes mesures utiles afin de briser la puissance économique du capitalisme et de créer les conditions nécessaires pour construire l’économie socia­liste.

L’expropriation des capitalistes et des grands propriétaires fonciers ; la transformation de la terre, des fabriques, des usines, des voies de communication, des banques en propriété nationale ; l’institution de la nouvelle politique économique ; la construction d’une industrie socialiste d’État ; la mise en application du plan de coopération établi par Lénine, telles ont été les mesures en ques­tion.

Maintenant la tâche essentielle consiste à déployer à travers le pays la construction d’une économie nouvelle, socialiste, et à donner par là le coup de grâce au capitalisme sur le terrain éco­nomique également. Tout notre travail pratique, tous nos actes doi­vent être subordonnés à l’exécution de cette tâche primordiale. La classe ouvrière peut s’acquitter de cette tâche, et elle s’en ac­quittera. Il faut commencer l’exécution de cette tâche grandiose par l’industrialisation du pays.

L’industrialisation socialiste du pays, tel est le maillon essentiel dont il faut partir pour déployer la construction de l’économie socialiste. Ni le retard de la révolu­tion en Occident, ni la stabilisation partielle du capitalisme dans les pays non soviétiques ne peuvent arrêter notre marche en avant vers le socialisme. La nouvelle politique économique ne peut que faciliter notre tâche, puisqu’elle a été instituée par le Parti juste­ment pour faciliter la construction des fondements socialistes de notre économie nationale.

Telle fut la réponse faite par le Parti à la question de la- vic­toire de la construction socialiste dans notre pays.

Mais le Parti savait bien que ce n’était pas là épuiser le pro­blème de la victoire du socialisme dans un seul pays.

La construc­tion du socialisme en U.R.S.S. marque un tournant prodigieux dans l’histoire de l’humanité ; elle marque de la part de la classe ouvrière et de la paysannerie de ce pays une victoire d’une portée historique universelle. Mais cette construction représente toutefois une œuvre intérieure de l’U.R.S.S., elle ne constitue qu’une partie du problème de la victoire du socialisme. L’autre partie du pro­blème, c’est son côté international.

En soutenant la thèse de la vic­toire du socialisme dans un seul pays, le camarade Staline a main­tes fois indiqué qu’il convient de distinguer deux aspects de cette question, le côté intérieur et le côté international. En ce qui con­cerne le côté intérieur du problème, c’est-à-dire les rapports des classes à l’intérieur du pays, la classe ouvrière et la paysannerie de l’U.R.S.S. peuvent parfaitement vaincre économiquement leur propre bourgeoisie et construire une société socialiste intégrale.

Mais il y a aussi le côté international du problème, c’est-à-dire le domaine des rapports extérieurs, celui des rapports entre le pays des Soviets et les pays capitalistes, entre le peuple soviétique et la bourgeoisie internationale qui exècre le régime soviétique et cher­che une occasion d’entreprendre une nouvelle intervention armée contre le pays des Soviets, de faire de nouvelles tentatives de res­tauration du capitalisme en U.R.S.S.

Etant donné que l’U.R.S.S, est pour le moment le seul pays du socialisme et que les autres pays demeurent capitalistes, l’encerclement capitaliste existe tou­jours autour de l’U.R.S.S. et crée le danger d’une intervention ca­pitaliste.

Il est évident que tant que subsistera l’encerclement capitaliste, subsistera le danger d’une intervention capitaliste. Le peuple soviétique peut-il, par ses seules forces, écarter ce danger extérieur, le danger dune intervention capitaliste contre l’U.R.S.S. ? Evidemment non. Parce que pour supprimer le dan­ger d’une intervention capitaliste, il faut supprimer l’encerclement capitaliste.

Or, on ne peut supprimer l’encerclement capitaliste qu’à la suite d’une révolution prolétarienne victorieuse au moins, dans plusieurs pays. Il s’ensuit donc que la victoire du socialisme en U.R.S.S., qui se traduit par la liquidation du système capitaliste de l’économie et par la construction du système socialiste de l’économie ne peut toutefois pas être considérée comme une victoire définitive, pour autant que le danger d’une intervention armée de l’étranger et de tentatives de restauration du capitalisme demeure entier ; pour autant que le pays du socialisme n’est pas garanti contre un tel danger. Pour supprimer le danger d’une intervention capitaliste étrangère, il faut supprimer l’encerclement capitaliste.

Certes, le peuple soviétique et son Armée rouge, — étant donné la politique juste du pouvoir des Soviets, — sauront infliger la riposte méritée à une nouvelle intervention capitaliste de l’étran­ger, de même qu’ils l’ont fait pour la première intervention ca­pitaliste en 1918-1920. Mais le danger de nouvelles interventions capitalistes n’en sera pas écarté pour autant. La défaite de la pre­mière intervention n’a pas écarté le danger d’une nouvelle inter­vention, puisque la source du danger d’intervention, — l’encercle­ment capitaliste, — existe toujours La défaite d’une nouvelle in­tervention n’écarterait pas non plus le danger d’intervention, si l’encerclement capitaliste demeure.

Il suit de là que les travailleurs de l’U.R.S.S. ont un intérêt vital à la victoire de la révolution prolétarienne dans les pays ca­pitalistes. Tel était le point de vue du Parti en ce qui concerne la victoi­re du socialisme dans notre pays.

Le Comité central insista pour que ce point de vue fût discuté à la XIVe conférence du Parti à la veille de laquelle on se trouvait, pour qu’il fût approuvé et adopté comme l’orien­tation du Parti, comme la loi du Parti,obligatoire pour tous ses membres. Cette orientation eut un effet ahurissant sur l’opposition. Avant tout parce que le Parti conterait à cette orientation un caractère pratique et concret, la rattachait au plan pratique d’industrialisa­tion socialiste du pays et demandait qu’elle fût revêtue de la forme d’une loi du Parti, de la forme d’une résolution de la XIVe con­férence, résolution qui serait obligatoire pour tous les membres du Parti.

Les trotskistes s’élevèrent contre cette orientation, en lui op­posant une théorie menchévique dite « théorie de la révolution permanente », qui ne pouvait être que par dérision appelée théorie marxiste et qui niait la possibilité de la victoire de la construction socialiste en U.R.S.S.

Les boukhariniens n avaient pas osé se dresser ouvertement contre l’orientation du Parti. Mais ils ne lui en opposèrent pas moins, sournoisement, leur « théorie » de l’intégration pacifique de la bourgeoisie dans le socialisme, en la complétant d’un mot d’ordre « nouveau » : « Enrichissez-vous ! » Selon les boukhari­niens, la victoire du socialisme signifiait non pas liquider la bour­geoisie, mais stimuler son développement et l’enrichir.

Zinoviev et Kaménev s’étaient hasardés, pendant un temps, à déclarer que la victoire du socialisme dans l’U.R.S.S. était im­possible pas suite de son retard économique et technique ; mais ils durent par la suite rentrer dans leur trou.

La XIVe conférence du Parti (avril 1925) condamna toutes ces « théories » de capitulation, formulées par les membres, dé­clarés ou masqués de (opposition, et elle confirma par une résolu­tion appropriée l’orientation du Parti vers la victoire du socialisme en U.R.S.S. Mis au pied du mur, Zinoviev et Kaménev préférèrent voter pour la résolution. Mais le Parti savait qu’ils n’avaient fait qu ajourner leur lutte, en se réservant de « livrer bataille au Parti » à son XIVe congrès. Ils rassemblèrent leurs partisans à Léningrad et formèrent ce qu’on appela la « nouvelle opposition ».

En décembre 1925 s’ouvrit le XIVe congrès.

L’atmosphère était tendue au sein du Parti. Depuis qu’il exis­tait, on n’avait jamais vu une délégation d’un grand centre du Parti, comme Léningrad, se préparer à intervenir contre son Comité central. Au congrès assistaient 665 délégués avec voix délibérative et 641 avec voix consultative ; ils représentaient 643.000 membres du Parti et 445.000 stagiaires, c’est-à-dire un peu moins qu’au congrès précédent : résultat de l’épuration partielle des cellules des écoles supérieures et des administrations, qui s’étaient révélées encom­brées d’éléments hostiles au Parti.

Le rapport politique du Comité central fut présenté par le camarade Staline. Il brossa un tableau saisissant du progrès de la puissance politique et économique de l’U.R.S.S. L’industrie comme l’agriculture, grâce aux avantages du système soviétique de l’économie, avaient été restaurées dans un délai relativement court et elles approchaient du niveau d’avant-guerre.

Mais le ca­marade Staline invitait à ne pas s’en tenir là, les succès réalisés ne pouvant supprimer cette vérité que notre pays restait encore un pays arriéré, un pays agraire. Les deux tiers de la production glo­bale étaient fournis par l’agriculture, un tiers seulement par l’in­dustrie.

Devant le Parti, disait le camarade Staline, se pose dans toute son ampleur le problème de la transformation de notre pays en un pays industriel, économiquement indépendant des pays ca­pitalistes. On peut atteindre ce but, et il faut l’atteindre. La tâche centrale du Parti devient la lutte pour l’industrialisation socialiste du pays, la lutte pour la victoire du socialisme.

« Transformer notre pays de pays agraire en pays indus­triel, capable de produire par ses propres forces l’outillage nécessaire voilà le fond, la base de notre ligne générale », indiqua le camarade Staline.

L’industrialisation du pays assurait son indépendance écono­mique, renforçait sa capacité de défense et créait les conditions nécessaires pour la victoire du socialisme en U.R.S.S. Contre la ligne générale du Parti s’élevèrent les zinoviévistes. Au plan d’industrialisation socialiste de Staline, le zinoviéviste Sokolnikov opposa le plan bourgeois qui avait cours parmi les requins de l’impérialisme.

D’après ce plan, l’U.R.S S. devait rester un pays agraire, produisant principalement des matières premières et des produits agricoles, les exportant à l’étranger et important en échange les machines qu’elle ne fabriquait pas ni ne fabriquerait. Dans les conditions de Tannée 1925, ce plan apparaissait comme un plan d’asservissement économique de l’U.R.S.S. par les pays étrangers industriellement évolués, comme un plan de consé­cration du retard industriel de l’Union soviétique, bien fait pour plaire aux requins impérialistes des pays du capital.

Adopter ce plan revenait à transformer notre pays en un ap­pendice agraire, appendice impuissant du monde capitaliste, à le laisser désarmé et débile face à l’encerclement capitaliste et, en dernière analyse, à enterrer la cause du socialisme en U.R.S.S. Le congrès condamna le « plan » économique des zinovièvistes comme un plan d’asservissement de l’U.R.S.S.

La « nouvelle opposition » échoua également dans ses manœu­vres telles que l’affirmation (à l’encontre de Lénine !) que notre industrie d’État n’était pas une industrie socialiste, ou la déclara­tion (également à l’encontre de Lénine !) que le paysan moyen ne pouvait pas être l’allié de la classe ouvrière dans l’œuvre de cons­truction socialiste. Le congrès condamna ces manœuvres de la « nouvelle opposi­tion » comme antiléninistes.

Le camarade Staline dénonça la nature menchévico-trotskiste de la « nouvelle opposition ». Il montra que Zinoviev et Kaménev ne faisaient que reprendre les refrains des ennemis du Parti contre lesquels Lénine avait engagé en son temps une lutte impla­cable. Il apparaissait de toute évidence que les zinoviévistes n’étaient que des trotskistes mal camouflés.

Le camarade Staline souligna que la tâche la plus importante du Parti consistait à assurer l’alliance solide de la classe ouvrière avec le paysan moyen dans l’œuvre de construction du socialisme. Il signala les deux déviations qui existaient alors dans le Parti sur la question paysanne et qui représentaient un danger pour cette alliance. La première déviation consistait à sous-estimer et à di­minuer le danger koulak ; la seconde, c’était la panique la peur du koulak et la sous-estimation du rôle du paysan moyen.

À la question de savoir laquelle de ces déviations était la pire le ca­marade Staline répondit : « Elles sont pires toutes les deux, la première comme la seconde. Et si elles prennent de l’extension, elles sont capables de décomposer et de perdre le Parti. Par bon­heur, nous avons dans le Parti des forces qui peuvent amputer la première déviation comme la seconde. »

En effet, le Parti a écrasé et amputé aussi bien la déviation « de gauche » que celle de droite.

En dressant le bilan des débats sur la construction de l’éco­nomie, le XIVe congrès du Parti repoussa à l’unanimité les plans de capitulation formulés par l’opposition et il écrivit dans sa célèbre résolution :

« Dans le domaine de la construction de l’économie, le congrès part de ce fait que notre pays, pays de la dictature du prolétariat, possède « tout ce qui est nécessaire pour construire la société socialiste intégrale » (Lénine). Le congrès estime que la lutte pour la victoire de la construction socialiste en URS.S. est la tâche fondamentale de notre Parti. »

Le XIVe congrès adopta les nouveaux statuts du Parti. C’est à dater de ce congrès que notre Parti s’est appelé Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. : P.C.(b) de l’U.R.S.S.

Les zinovièvistes, battus au congrès, refusèrent de se sou­mettre au Parti. Ils engagèrent la lutte contre les décisions du XIVe congrès. Aussitôt après, Zinoviev réunit le Comité des Jeu­nesses communistes de la région de Léningrad, dont la direction avait été éduquée par Zinoviev, Zaloutski, Bakaev, Evdokimov, Koukline, Safarov ainsi que par d’autres hommes à double face, dans la haine du Comité central léniniste du Parti.

À cette réu­nion, le Comité des Jeunesses communistes de la région de Lénin­grad adopta une décision sans précédent dans l’histoire des J. C. léninistes de l’U.R.S.S. : celle de ne pas se conformer aux ré­solutions du XIVe congrès du Parti.

Mais la direction zinoviéviste des J. C. de Léningrad ne tradui­sait nullement l’état d’esprit des masses des Jeunesses communis­tes de cette ville. Aussi fut-elle facilement défaite ; et bientôt l’organisation des J. C. de Léningrad reprenait la place qui lui revenait dans les J. C.

Vers la fin des travaux du XIVe congrès, un groupe de dé­légués, les camarades Molotov, Kirov, Vorochilov, Kalinine, Andréev d’autres encore, furent envoyés à Léningrad. Il fallait éclairer les membres de l’organisation du Parti sur le caractère criminel, antibolchévik, de la position adoptée au congrès par la délégation de Léningrad, qui n’avait dû ses mandats qu’à la frau­de. Les réunions de compte rendu du congrès furent orageuses.

On réunit une conférence extraordinaire de l’organisation de Léningrad du Parti. La masse écrasante des membres de cette organisation (plus de 97%) approuva entièrement et sans réserve les décisions du XIVe congrès du Parti ; elle condamna la « nouvelle opposition » zinoviéviste ennemie du Parti. Cette dernière ne représentait dès ce moment que des généraux sans armée !

Les bolchéviks de Leningrad demeuraient au premier rang du Parti de Lénine et de Staline. En dressant le bilan des travaux du XIVe congrès du Parti, le camarade Staline écrivait :

« L’importance historique du XIVe congrès du Parti com­muniste de l’U.R.S.S., c’est qu’il a su mettre à nu jusqu’à la racine les erreurs de la nouvelle opposition ; il a rejeté bien loin de lui le scepticisme et les lamentations de cette opposi­tion ; il a tracé, claire et nette, la voie où la lutte se poursuivra pour le socialisme ; il a donné au Parti la perspective de la victoire et armé par là même le prolétariat d’une foi inébran­lable en la victoire de la construction socialiste. » (Staline : Questions du léninisme, chapitre VII.)

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Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Le parti bolchévik pendant l’intervention militaire de l’étranger et la guerre civile (1918-1920

Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), 1938

1. Début de l’intervention militaire de l’étranger. Première période de la guerre civile.

Ainsi la paix avait été conclue à Brest-Litovsk et le pouvoir des Soviets s’était consolidé à la suite des mesures économiques révolutionnaires qu’il avait prises. Ces deux faits s’étaient produits à un moment où, en Occident, la guerre battait encore son plein, et ils avaient provoqué la plus vive alarme parmi les impérialistes d’Occident, et surtout parmi les impérialistes de l’Entente.

Ils craignaient que la signature de la paix entre l’Allemagne et la Russie pût alléger la situation militaire de l’Allemagne et aggra­ver en conséquence celle des armées de l’Entente. Ils craignaient ensuite que la conclusion de la paix entre la Russie et l’Allemagne pût renforcer l’élan vers la paix dans tous les pays, sur tous les fronts, et compromettre ainsi la cause de la guerre, la cause des impérialistes.

Ils redoutaient enfin que l’existence du pouvoir des Soviets sur le territoire d’un immense pays et ses succès intérieurs, consécutifs au renversement du pouvoir de la bourgeoisie, ne fus­sent un exemple contagieux pour les ouvriers et les soldats d’Oc­cident : profondément mécontents d’une guerre qui traînait en longueur, ceux-ci ne pouvaient-ils, à l’exemple des Russes, tourner leurs baïonnettes contre leurs maîtres et oppresseurs ? Pour tou­tes ces raisons, les gouvernements de l’Entente décidèrent une intervention militaire en Russie, pour renverser le pouvoir des So­viets et mettre sur pied un pouvoir bourgeois qui restaurerait le régime capitaliste dans le pays, annulerait le traité de paix avec l’Allemagne et rétablirait le front militaire contre l’Allemagne et l’Autriche.

Les impérialistes de l’Entente entreprirent d’autant plus volon­tiers cette infâme besogne qu’ils étaient convaincus de la précarité du pouvoir des Soviets et ne doutaient pas que, si ses ennemis s’y employaient, il ne tarderait pas à succomber.

Les succès du pouvoir des Soviets et sa consolidation avaient semé encore plus d’alarme dans les rangs des classes renversées, grands propriétaires fonciers et capitalistes, dans les rangs des partis battus, cadets, menchéviks, socialistes-révolutionnaires, anarchistes, nationalistes bourgeois de toute sorte, dans les rangs des généraux gardes-blancs, des officiers cosaques, etc.

Dès les premiers jours de la victoire de la Révolution d’Octobre, ces éléments hostiles avaient crié sur tous les toits que le pouvoir soviétique n’avait pas de terrain propice en Russie, qu’il était condamné, qu’il s’effondrerait dans une ou deux semaines, dans un mois, ou tout au plus dans deux ou trois mois.

Mais comme le pouvoir soviétique, en dépit des exorcismes de ses ennemis, con­tinuait à exister et à se consolider, les ennemis du pouvoir des Soviets à l’intérieur de la Russie se virent obligés de reconnaître que ce pouvoir était beaucoup plus fort qu’ils ne l’auraient cru, que pour le renverser il fallait un sérieux effort, une lutte acharnée de toutes les forces de la contre-révolution. Aussi décidèrent-ils de faire un vaste travail de rébellion pour rassembler les forces de contre-révolution, pour racoler des cadres militaires, pour or­ganiser des émeutes, avant tout dans les régions cosaques et dans celles où les koulaks étaient en force.

C’est ainsi que dès la première moitié de 1918, deux forces déterminées apparurent, qui étaient prêtes à renverser le pou­voir des Soviets : les impérialistes de l’Entente et la contre-ré­volution intérieure de Russie.

Aucune de ces forces ne réunissait des moyens suffisants pour entreprendre à elle seule de renverser le pouvoir des Soviets. La contre-révolution de Russie disposait de certains cadres mili­taires, ainsi que de certaines ressources en hommes, principale­ment parmi les couches supérieures des cosaques et chez les koulaks, ressources nécessaires pour déclencher un soulèvement contre le pouvoir des Soviets.

Mais elle n’avait ni argent ni armes. Les impérialistes étrangers, au contraire, avaient de l’argent et des armes, mais ils ne pouvaient « assigner » pour l’intervention des forces militaires suffisantes, non seulement parce que ces forces étaient indispensables pour la guerre contre l’Allemagne et l’Autriche, mais encore parce qu’elles pouvaient s’avérer trop peu sûres pour la lutte contre le pouvoir des Soviets.

Les circonstances de la lutte contre le pouvoir des Soviets imposaient la fusion des deux forces antisoviétiques, celle de l’étranger et celle de l’intérieur. Et cette fusion s’opéra dans la première moitié de 1918. C’est ainsi que prit forme l’intervention militaire de l’étran­ger contre le pouvoir des Soviets, appuyée par les rébellions contre-révolutionnaires des ennemis de ce pouvoir à l’intérieur de la Russie. C’est ainsi que finit la trêve et que la guerre civile commença en Russie, c’est-à-dire la guerre des ouvriers et des paysans des peuples de Russie contre les ennemis extérieurs et intérieurs du pouvoir des Soviets.

Les impérialistes d’Angleterre, de France, du Japon, des États-Unis déclenchent l’intervention sans déclaration de guerre, bien que cette intervention fût une guerre contre la Russie, et une guerre de la pire espèce. Ces brigands « civilisés » se glissent, su­brepticement, en voleurs, et débarquent leurs troupes en territoire russe.

Les Anglo-Français opèrent un débarquement dans le nord de la Russie ; ils occupent Arkhangelsk et Mourmansk, et ils y épau­lent l’émeute des gardes blancs ; ils renversent le pouvoir des Soviets et forment un gouvernement garde-blanc, le « gouverne­ment du Nord de la Russie ».

Les Japonais débarquent leurs troupes à Vladivostok, s’em­parent de la Province maritime, dispersent les Soviets et épaulent les rebelles gardes-blancs, qui rétabliront plus tard le régime bourgeois. Dans le Caucase du Nord, les généraux Kornilov, Alexéev, Dénikine, secondés par les Anglo-Français, organisent une « armée volontaire » de gardes blancs, provoquent une émeute parmi les couches supérieures des cosaques et partent en campagne contre les Soviets. Dans la région du Don, les généraux Krasnov et Mamontov, secrètement aidés des impérialistes allemands (qui n’osaient les soutenir ouvertement, en raison du traité de paix avec la Russie), soulèvent une révolte parmi les cosaques du Don, occupent la ré­gion et partent en campagne contre les Soviets.

Dans la région de la Moyenne-Volga et en Sibérie, les menées anglo-françaises aboutissent à l’organisation de la révolte du corps d’armée tchécoslovaque. Le gouvernement soviétique avait autorisé ce corps d’armée composé de prisonniers de guerre à rentrer dans sa patrie par la Sibérie et l’Extrême-Orient. Mais il fut utilisé en cours de route par les socialistes-révolutionnaires et les Anglo-Fran­çais qui le poussèrent à se soulever contre le pouvoir des Soviets.

L’émeute du corps d’armée tchécoslovaque fut le signal de la ré­volte des koulaks dans le bassin de la Volga et en Sibérie, et de celle des ouvriers des usines de Volkinsk et d’Ijevsk qui suivaient les socialistes-révolutionnaires. Dans la région de la Volga se cons­titua le gouvernement garde-blanc et socialiste-révolutionnaire de Samara ; à Omsk, le gouvernement garde-blanc de Sibérie.

L’Allemagne ne participait pas et ne pouvait pas participer à cette intervention du bloc anglo-franco-nippo-américain. D’abord parce qu’elle était en guerre contre ce bloc. Mais malgré cela, et en dépit du traité de paix qui existait entre la Russie et l’Allemagne, personne parmi les bolchéviks ne doutait que le gouvernement de l’empereur Guillaume ne fût, pour le pays des Soviets, un ennemi tout aussi féroce que les interventionnistes anglo-franco-nippo-américains. Et en effet, les impérialistes allemands faisaient l’im­possible pour isoler, affaiblir et perdre le pays des Soviets.

De la Russie soviétique, ils détachèrent l’Ukraine, en vertu, il est vrai, d’un « traité » passé avec la Rada d’Ukraine ; ils introduisirent leurs troupes dans ce pays à la demande de la Rada ukrainienne contre-révolutionnaire, et se mirent en devoir de piller et d’oppri­mer inhumainement le peuple ukrainien, en lui interdisant le moindre contact avec la Russie soviétique. Ils amputèrent la Rus­sie soviétique de la Transcaucasie où, à la demande des nationa­listes géorgiens et azerbaïdjanais, ils introduisirent des troupes alle­mandes et turques et s’installèrent en maîtres à Tiflis et à Bakou. Ils soutenaient contre le pouvoir des Soviets, — secrètement il est vrai, — mais par tous les moyens, en lui fournissant munitions et vivres, le général Krasnov, révolté dans la région du Don.

La Russie soviétique se trouvait ainsi coupée de ses principales sources de vivres, de matières premières et de combustible.

La situation de la Russie soviétique fut difficile, à l’époque. On manquait de pain. On manquait de viande. Les ouvriers étaient tenaillés par la faim. Aux ouvriers de Moscou et de Pétrograd, on distribuait cinquante grammes de pain pour deux jours. Et il arri­vait qu’on ne distribuât pas de pain du tout. Les usines chômaient, ou presque ; elles manquaient de matières premières et de com­bustible. Mais la classe ouvrière ne connut pas le découragement. Le découragement n’atteignit pas le Parti bolchévik. Les difficultés inouïes de cette période et la lutte acharnée contre les difficultés montrèrent quelle énergie inépuisable la classe ouvrière recèle et de quelle force d’autorité, grande et infinie, le Parti bolchévik dispose.

Le Parti proclama que le pays était un camp retranché, et ré­organisa la vie économique, politique et culturelle sur le pied de guerre. Le gouvernement soviétique déclara : « La patrie socialiste est en danger », et appela le peuple à la résistance. Lénine lança le mot d’ordre : « Tout pour le front. » Et des centaines de milliers d’engagés volontaires, ouvriers et paysans, rejoignirent l’Armée rou­ge.

Près de la moitié des effectifs du Parti et des Jeunesses communistes étaient au front. Le Parti soulevait le peuple pour la guerre de salut de la patrie, contre l’invasion des troupes étrangè­res, contre les rébellions des classes exploiteuses renversées par la révolution. Le Conseil de la défense ouvrière et paysanne, orga­nisé par Lénine dirigeait le ravitaillement du front en hommes, en vivres, en équipements, en munitions. L’abandon du principe du volontariat et l’introduction du service militaire obligatoire firent affluer dans l’Armée rouge de nouveaux contingents, forts de cen­taines de milliers d’hommes ; en un court espace de temps, les effectifs de l’Armée rouge avaient atteint un million d’hommes.

Bien que la situation du pays fût difficile et que l’Armée rouge, encore jeune, n’eût pas eu le temps de prendre toute sa force, les mesures prises pour la défense aboutirent à de premiers succès.

Le général Krasnov fut repoussé de Tsaritsyne dont il considérait la prise comme certaine, et rejeté au delà du Don. L’action du général Dénikine fut localisée dans une zone peu étendue du Cau­case du Nord, et le général Kornilov fut tué dans une bataille con­tre l’Armée rouge. Les Tchécoslovaques et les bandes de socialistes-révolutionnaires et de gardes blancs furent chassés de Kazan, de Simbirsk, de Samara et refoulés vers l’Oural. L’émeute du garde blanc Savinkov, à Iaroslavl, qui avait été organisée par Lockhart, chef de la mission anglaise à Moscou, fut écrasée, et Lockhart arrêté. Pour avoir exercé la terreur blanche contre les bolchéviks, les socialistes-révolutionnaires qui avaient assassiné les camarades Ouritski et Volodarski et perpétré un lâche attentat contre Lénine, furent soumis à la terreur rouge et écrasés sur tous les points quelque peu importants de la Russie centrale.

La jeune Armée rouge se trempait, s’aguerrissait dans les ba­tailles contre l’ennemi. Les commissaires communistes qui travaillaient alors dans l’Armée rouge, jouèrent un rôle décisif pour la consolidation de l’Armée, pour son éducation politique, pour le renforcement de sa valeur militaire et de sa discipline.

Le Parti bolchévik comprit que ces succès de l’Armée rouge ne pouvaient décider de l’issue des opérations, que ce n’étaient là que des coups d’essai. Il se Tendit compte que de nouvelles batail­les, encore plus graves, étaient imminentes ; que le pays ne pour­rait récupérer ses bases de ravitaillement en vivres, en matières premières et en combustible qu’au prix de batailles sérieuses, acharnées, contre l’ennemi. Aussi les bolchéviks entreprirent-ils de se préparer énergiquement à une guerre de longue haleine  ; ils résolurent de mettre l’arrière tout entier au service du front.

Le gouvernement soviétique instaura le communisme de guerre Il plaça sous son contrôle, outre la grande industrie, la petite et la moyenne, afin d’accumuler des réserves de marchandises de gran­de consommation et d’en pourvoir l’armée et la campagne. Il éta­blit le monopole du blé, en interdit le commerce privé et établit un régime de prélèvements pour recenser tous les excédents de pro­duits alimentaires détenus par les paysans, afin d’amasser des réserves de blé et de ravitailler l’armée et les ouvriers. Enfin, il introduisit le travail obligatoire pour toutes les classes. En con­traignant la bourgeoisie au travail manuel et en libérant de la sor­te les ouvriers, qui purent ainsi exécuter un autre travail, plus im­portant pour le front, le Parti réalisait le principe : « Qui ne tra­vaille pas, ne mange pas. »

Tout cet ensemble de mesures, qui étaient imposées par les conditions exceptionnellement difficiles de la défense du pays et qui avaient un caractère provisoire, s’appela communisme de guerre. Le pays se prépara à une longue et âpre guerre civile contre les ennemis extérieurs et intérieurs du pouvoir des Soviets. Il lui fallut tripler les effectifs de l’armée vers la fin de 1918. Il lui fallut accumuler des ressources pour ravitailler cette armée.

Lénine indiquait à l’époque :

« Nous avions décidé d’avoir une armée d’un million d’hommes au printemps ; et il nous faut maintenant une armée de trois millions d’hommes. Nous pouvons l’avoir. Et nous l’aurons. »

2. Défaite militaire de l’Allemagne. Révolution allemande. Fondation de la IIIe Internationale. VIIIe congrès du Parti.

Tandis que le pays des Soviets se préparait aux nouvelles batailles contre l’intervention étrangère, des évènements décisifs se déroulaient en Occident, à l’arrière et sur les fronts des pays belligérants. L’Allemagne et l’Autriche étouffaient dans l’étau de la guerre et de la crise de subsistances. Alors que l’Angleterre, la France te les États-Unis engageaient des réserves toujours nouvelles, les faibles réserves de l’Allemagne et de l’Autriche touchaient à leur fin. Il était évident que les deux pays, épuisés à l’extrême seraient incessamment vaincus.

Simultanément, l’indignation populaire montait en Allemagne et en Autriche contre l’interminable et funeste guerre, contre les gouvernements impérialistes de ces pays, qui vouaient le peuple à l’épuisement, à la famine.

À cet état d’esprit contribuait également la puissante action révolutionnaire de la Révolution d’Octobre, la fraternisation des soldats soviétiques avec les soldats austro-allemands sur le front, dès avant la paix de Brest-Litovsk, enfin, l’influence de la cessation de la guerre avec la Russie soviétique, l’influence de la paix signée avec elle. L’exemple de la Russie, dont le peuple avait mis un terme à la guerre exécrée en renversant son gouvernement impérialiste, ne pouvait pas ne pas servir de leçon aux ouvriers austro-allemands.

Quant aux soldats allemands qui avaient été sur le front est et qui, plus tard, après la paix de Brest-Litovsk, avaient été envoyés au front ouest, ils ne pouvaient manquer de décomposer l’armée allemande en racontant leur fraternisation avec les soldats soviétiques et comment ceux-ci s’étaient libérés de la guerre. En ce qui concerne l’armée autrichienne, elle avait commencé à se décomposer bien plus tôt, pour les mêmes raisons.

Toutes ces circonstances renforcèrent l’aspiration à la paix des troupes allemandes ; elles avaient perdu leur ancienne valeur combative et elles reculaient sous la poussée des armées de l’Entente. En Allemagne même, une révolution éclata en novembre 1918, qui renversa Guillaume et son gouvernement.

Force fut à l’Allemagne de s’avouer vaincue et de demander la paix à l’Entente.

C’est ainsi que l’Allemagne, puissance de premier rang, fut réduite d’un seul coup à l’état de puissance de second ordre.

Pour le pouvoir des Soviets, cette circonstance avait une certaine portée négative, puisqu’elle faisait des pays de l’Entente, organisateurs de l’intervention militaire contre le pouvoir soviétique, la force dominante de l’Europe et de l’Asie ; elle leur permettait de renforcer l’intervention et d’organiser le blocus du pays des Soviets, de serrer encore le nœud coulant qui étranglait ce pays. C’est bien ce qu’ils firent, comme nous le verrons plus tard.

Mais d’un autre côté, cette circonstance avait une portée positive encore plus grande, puisqu’elle allégeait radicalement la situation du pays des Soviets. Premièrement, le pouvoir soviétique pouvait annuler la paix spoliatrice de Brest-Litovsk, arrêter les paiements au titre de la contribution de guerre et engager ouvertement la lutte militaire et politique pour libérer l’Estonie, la Lettonie, la Biélorussie, la Lituanie, l’Ukraine, la Transcaucasie, pour les arracher au joug de l’impérialisme allemand.

En second lieu, et c’est là l’essentiel, l’existence au centre de l’Europe, en Allemagne, d’un régime républicain et de Soviets de députés ouvriers et soldats devait exercer une influence révolutionnaire, — et elle exerça réellement cette influence, — sur les autres pays d’Europe, ce qui ne pouvait manquer de raffermir la situation du pouvoir des Soviets en Russie. La révolution allemande était, il est vrai, une révolution bourgeoise, et non socialiste ; les Soviets y étaient un instrument docile du parlement bourgeois, car en son sein dominaient les social-démocrates, des conciliateurs dans le genre des menchéviks russes, ce qui explique proprement la faiblesse de la révolution.

À quel point elle était faible, c’est ce qu’atteste, par exemple, le fait qu’elle laissa impuni l’assassinat par les gardes blancs de révolutionnaires en vue comme R. Luxembourg et K. Liebknecht. Mais c’était quand même une révolution. Guillaume avait été renversé. Les ouvriers avaient secoué leurs chaînes ; ce fait seul devait forcément donner libre cours à la révolution en Occident, susciter un essor de la révolution dans les pays d’Europe.

La révolution montait en Europe. En Autriche, le mouvement révolutionnaire prenait de l’extension. La République des Soviets avait été proclamée en Hongrie. À la faveur de la vague révolutionnaire, les partis communistes, en Europe, étaient remontés à la surface.

Un terrain réel se trouvait crée pour l’unification des partis communistes dans la IIIe Internationale, dans l’Internationale communiste.

En mars 1919, à Moscou, au Ier congrès des partis communistes de différents pays, l’Internationale communiste fut fondée sur l’initiative de Lénine et des bolchéviks. Le blocus et les persécutions des impérialistes avaient empêché beaucoup de délégués de se rendre à Moscou ; le Ier congrès réunit néanmoins les délégués des principaux pays d’Europe et d’Amérique. C’est Lénine qui dirigea les travaux du congrès.

Dans son rapport sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat, Lénine montra la signification du pouvoir des Soviets, en tant que démocratie authentique pour les travailleurs. Le congrès adopta un Manifeste au prolétariat international, qui appelait à la lutte décisive pour la dictature prolétarienne, pour la victoire des Soviets dans tous les pays.

Le congrès constitua un Comité exécutif de la IIIe Internationale, de l’Internationale communiste (C.E. de l’I.C.).

C’est ainsi que fut crée une organisation internationale du prolétariat révolutionnaire d’un type nouveau, l’Internationale marxiste-léniniste.

D’une part se renforçait donc le bloc réactionnaire des États de l’Entente contre le pouvoir des Soviets, mais d’autre part, l’essor révolutionnaire s’affirmait en Europe, principalement dans les pays vaincus et cet essor avait puissamment allégé la situation du pays des Soviets, telles étaient les circonstances contradictoires au milieu desquelles le VIIIe congrès de notre Parti se réunit en mars 1919.

Il comptait 301 délégués avec voix délibérative, représentant 313 766 membres du Parti. Les délégués avec voix consultative étaient au nombre de 102.

En ouvrant le congrès, Lénine évoqua d’abord la mémoire d’un des meilleurs organisateurs du Parti bolchévik, J. Sverdlov, qui était mort la veille.

Le congrès adopta le nouveau programme du Parti. Ce programme donnait la caractéristique du capitalisme et de son stade suprême, l’impérialisme ; deux systèmes d’États y étaient mis en regard : le système de la démocratie bourgeoise et le système soviétique.

Il exposait en détail les tâches concrètes du Parti en lutte pour le socialisme : mener jusqu’au bout l’expropriation de la bourgeoisie, gérer l’économie du pays d’après un plan socialiste unique, faire participer les syndicats à l’organisation de l’économie nationale ; appliquer la discipline socialiste du travail ; utiliser les spécialistes dans l’économie nationale sous le contrôle des organismes soviétiques ; entraîner graduellement et méthodiquement la paysannerie moyenne à l’œuvre de la construction socialiste.

Le congrès adopta la proposition de Lénine de donner dans le programme, à côté de la définition de l’impérialisme comme stade suprême du capitalisme, la description du capitalisme industriel et de l’économie marchande simple, qui figurait dans l’ancien programme adopté par le IIe congrès du Parti. Lénine jugeait nécessaire de marquer dans le programme la complexité de notre économie et d’indiquer l’existence dans notre pays de différentes formations économiques, y compris la petite économie marchande représentée par le paysan moyen.

C’est pourquoi, lors de la discussion du programme, Lénine s’éleva résolument contre le point de vue antibolchévik de Boukharine, qui proposait d’éliminer du programme les paragraphes relatifs au capitalisme, à la petite production marchande, à l’économie du paysan moyen. Le point de vue de Boukharine signifiait la négation menchévique et trotskiste du rôle du paysan moyen dans la construction du régime soviétique. En même temps, Boukharine escamotait le fait de l’apparition et du développement des éléments koulaks engendrés par la petite exploitation marchande à la campagne.

Lénine battit également en brèche le point de vue antibolchévik de Boukharine et de Piatakov sur la question nationale. Tous deux s’étaient prononcés contre l’inscription au programme d’un paragraphe sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, contre l’égalité des droits pour les nations, sous prétexte que ce mot d’ordre empêcherait la révolution prolétarienne de triompher, empêcherait l’union des prolétaires des différentes nationalités. Lénine réfuta ces funestes conceptions impérialistes et chauvines de Boukharine et de Piatakov.

Le VIIIe congrès du Parti réserva dans ses travaux une place importante à la question de l’attitude à observer envers le paysan moyen. Après ce décret que l’on connaît sur la terre, le village devenait de plus en plus un village de paysans moyens ; c’étaient eux qui constituaient maintenant la majorité de la population paysanne. L’état d’esprit et la conduite de la paysannerie moyenne, qui avait oscillé entre la bourgeoisie et le prolétariat, étaient d’une importance considérable pour les destinées de la guerre civile et de la construction socialiste.

L’issue de la guerre civile dépendait pour beaucoup de ces questions : de quel côté pencherait le paysan moyen ; quelle classe, — prolétariat ou bourgeoisie, — saurait gagner la paysannerie moyenne. Dans l’été de 1918, les Tchécoslovaques, les gardes blancs, les koulaks, les socialistes-révolutionnaires, les menchéviks étaient parvenus à renverser le pouvoir des Soviets dans le bassin de la Volga, parce qu’ils avaient eu l’appui d’une partie importante de la paysannerie moyenne. Il en avait été de même des émeutes fomentées par les koulaks dans la Russie centrale. Mais à partir de l’automne 1918, un revirement s’opère dans l’état d’esprit des masses de la paysannerie moyenne en faveur du pouvoir des Soviets.

La paysannerie s’était rendue compte que la victoire des blancs entraînait la restauration du pouvoir des grands propriétaires fonciers, la reprise des terres aux paysans, le pillage, le fouet et la torture pour les paysans. Ce qui contribua aussi à modifier l’attitude de la paysannerie, ce fut l’activité des comités de paysans pauvres, qui avaient maté les koulaks. Voilà dans quelles conditions Lénine formula en novembre 1918 le mot d’ordre :

« Savoir aboutir à une entente avec le paysan moyen, sans renoncer une minute à la lutte contre le koulak et en s’appuyant solidement sur les seuls paysans pauvres. » (Lénine, t. XXIII, p. 294, éd. Russe.)

Certes, les hésitations de la paysannerie moyenne n’avaient pas cessé entièrement, mais elle s’était rapprochée du pouvoir des Soviets et elle le soutenait avec plus de fermeté. La politique préconisée par le VIIIe congrès du Parti à l’égard de la paysannerie moyenne y contribua dans une grande mesure.

Le VIIIe congrès marqua un tournant dans la politique du Parti envers la paysannerie moyenne. Le rapport de Lénine et les décisions du congrès déterminèrent une nouvelle ligne du Parti dans cette question. Le congrès demanda aux organisations du Parti et à tous les communistes de faire une stricte distinction entre la paysannerie moyenne et les koulaks, de la gagner à la cause de la classe ouvrière en se montrant attentifs à ses besoins.

Il fallait lutter contre le retard du paysan moyen par la persuasion, et non par des mesures de contrainte, de violence. Aussi le congrès donna-t-il la directive de réaliser les mesures socialistes à la campagne (constitution des communes, des artels agricoles), sans user de contrainte.

Dans toutes les occasions où l’on heurtait les intérêts vitaux du paysan moyen, il fallait aboutir à s’entendre pratiquement avec lui, lui faire certaines concessions sur les moyens de réaliser les transformations socialistes. Le congrès proposa de pratiquer une politique d’alliance solide avec le paysan moyen, en conservant au prolétariat le rôle dirigeant dans cette alliance.

La nouvelle politique envers la paysannerie moyenne, proclamée par Lénine au VIIIe congrès, demandait au prolétariat de s’appuyer sur la paysannerie pauvre, de réaliser une alliance solide avec le paysan moyen et de mener la lutte contre le koulak. Jusqu’au VIIIe congrès, le Parti avait en somme fait une politique de neutralisation du paysan moyen. Autrement dit, il avait voulu obtenir du paysan moyen qu’il ne se plaçât pas aux côtés de la bourgeoisie. Mais maintenant cela ne suffisait plus. Le VIIIe congrès passa de la politique de neutralisation du paysan moyen à l’alliance solide avec lui pour lutter contre les gardes blancs et l’intervention étrangère de même que pour assurer le succès de la construction socialiste.

La ligne adoptée par le congrès envers la masse fondamentale de la paysannerie, envers le paysan moyen, joua un rôle décisif pour assurer la victoire dans la guerre civile contre l’intervention étrangère et ses suppôts, les gardes blancs. En automne 1919, lorsqu’il fallut choisir entre le pouvoir des Soviets et Dénikine, la paysannerie soutint les Soviets, et la dictature du prolétariat triompha de son ennemi le plus dangereux.

Les questions d’organisation de l’Armée rouge prirent une place toute spéciale dans le congrès. On vit s’affirmer l’opposition dite « opposition militaire ». Elle réunissait bon nombre d’anciens « communistes de gauche ».

Mais, outre les représentants du « communisme de gauche » battu, l’ « opposition militaire » comprenait des militants qui, sans jamais avoir participé à aucune opposition, étaient mécontents de la direction de Trotski dans l’armée. La plupart des délégués militaires étaient très montés contre Trotski, contre le culte qu’il vouait aux spécialistes de l’ancienne armée tsariste, dont une partie nous avaient franchement trahis pendant la guerre civile, contre son attitude d’arrogance et d’hostilité envers les vieux cadres bolchéviks de l’armée.

On cita au congrès des exemples « tirés de la pratique », montrant que Trotski avait voulu faire fusiller nombre de communistes responsables de l’armée qui n’avaient pas l’heur de lui plaire, faisant ainsi le jeu de l’ennemi ; seule l’intervention du Comité central et les protestations des militants de l’armée avaient empêché que ces camarades ne fussent exécutés.

Mais tout en luttant contre la déformation de la politique militaire du Parti par Trotski, l’ « opposition militaire » défendait un point de vue erroné dans plusieurs problèmes relatifs à la construction de l’armée.

Lénine et Staline s’élevèrent résolument contre l’ « opposition militaire », qui défendait les survivances de l’esprit partisan dans la troupe et luttait contre la création d’une Armée rouge régulière, contre l’utilisation des spécialistes militaires, contre la discipline de fer sans laquelle il ne saurait y avoir de véritable armée. Dans sa réplique à l’ « opposition militaire », le camarade Staline demanda la création d’une armée régulière, imprégnée d’un rigoureux esprit de discipline.

« Ou bien, disait le camarade Staline, nous créerons une véritable armée ouvrière et paysanne, principalement paysanne, rigoureusement disciplinée, et nous défendrons la République, ou bien c’en sera fait de nous. »

Tout en repoussant une série de suggestions de l’ « opposition militaire », le congrès critiqua violement Trotski, en exigeant de lui l’amélioration du travail des institutions militaires centrales et le renforcement du rôle des communistes dans l’armée.

Les travaux de la commission de l’Armée désignée dans le sein du congrès aboutirent à une décision unanime des congressistes sur la question militaire.

Les décisions du congrès fortifièrent l’Armée rouge et la rapprochèrent encore du Parti.

On examina ensuite les problèmes relatifs à la construction du Parti et des Soviets, au rôle dirigeant du Parti dans le travail des Soviets. Au cours de la discussion, le congrès infligea une riposte au groupe opportuniste de Sapronov-Ossinki, qui déniait au Parti le rôle dirigeant dans le travail des Soviets.

Enfin, devant l’afflux considérable de nouveaux adhérents, le congrès prit une décision tendant à améliorer la composition sociale du Parti et à procéder à un nouveau recensement.

Et ce fut le début de la première épuration du Parti.

3. L’intervention s’étend. Blocus du pays des Soviets. Campagne de Koltchak et écrasement de Koltchak. Campagne de Dénikine et écrasement de Dénikine. La trêve de trois mois. IXe congrès du Parti.

L’Allemagne et l’Autriche une fois vaincues, les États de l’Entente décidèrent de lancer d’importantes forces militaires contre le pays des Soviets. Après la défaite de l’Allemagne et le retrait de ses troupes hors d’Ukraine et de Transcaucasie, ce furent les Anglo-Français qui prirent sa place en amenant leur flotte dans la mer Noire et en opérant des débarquements à Odessa et en Transcaucasie.

Les envahisseurs de l’Entente, qui se conduisaient en maîtres dans les régions occupées, en arrivèrent à un tel degré de sauvagerie qu’ils n’hésitaient pas à passer par les armes des groupes entiers d’ouvriers et de paysans. Enfin, après l’occupation du Turkestan, ils poussèrent le cynisme jusqu’à emmener au delà de la Caspienne 26 bolchéviks dirigeants de Bakou, les camarades Chaoumian, Fiolétov, Djaparidzé, Malyguine, Azizbékov, Korganov et autres, et là, aidés des socialistes-révolutionnaires, ils les firent sauvagement fusiller.

À quelque temps de là, les envahisseurs proclamèrent le blocus de la Russie. Les communications maritimes et autres avec le monde extérieur furent coupées.

Le pays des Soviets se trouva ainsi presque entièrement cerné.

À cette époque, l’Entente fondait son principal espoir sur l’amiral Koltchak, sa créature en Sibérie, à Omsk. Il avait été proclamé « régent suprême de la Russie ». Toute la contre-révolution de Russie obéissait à ses ordres.

Ainsi, le front est devenait le front principal.

Au printemps de 1919, Koltchak, à la tête d’une importante armée, atteignit presque la Volga. Les meilleures forces bolchéviques furent lancées contre lui ; on mobilisa Jeunesses communistes et ouvriers. En avril 1919, l’Armée rouge infligea à Koltchak une défaite grave. Et ce fut peu après, sur toute la ligne du front, la retraite de son armée.

Au plus fort de l’offensive de l’Armée rouge sur le front est, Trotski proposa un plan qui ne laissait pas d’être suspect : s’arrêter devant l’Oural, cesser la poursuite de Koltchak et porter l’armée de front est au front sud.

Le Comité central du Parti comprit fort bien qu’il était impossible de laisser aux mains de Koltchak l’Oural et la Sibérie, où il pouvait, avec le concours de Japonais et des Anglais, se ressaisir et se remettre sur pieds : le Comité central rejeta ce plan et donna la directive de poursuivre l’offensive. Trotski, en désaccord avec cette directive, donna sa démission.

Le Comité central n’accepta pas sa démission, mais il l’obligea à abandonner sans délai la direction des opérations militaires sur le front est. L’Armée rouge poussa son offensive contre Koltchak avec plus de vigueur encore. Elle lui fit subir une série de nouvelles défaites et débarrassa des blancs l’Oural et la Sibérie, où elle fut soutenue par un puissant mouvement de partisans, surgi à l’arrière des blancs.

En été 1919, les impérialistes chargèrent le général Ioudénitch, qui se trouvait à la tête de la contre-révolution dans le nord-ouest (dans les Provinces baltiques, sous Pétrograd), de détourner du front est l’attention de l’Armée rouge en lançant une attaque sur Pétrograd.

La garnison des deux forts qui défendaient les accès de la ville, gagnée par l’agitation contre-révolutionnaire des anciens officiers, se souleva contre le pouvoir des Soviets ; un complot contre-révolutionnaire fut découvert à l’état-major du front. L’ennemi menaçait Pétrograd. Mais grâce aux mesures prises par le pouvoir soviétique avec le concours des ouvriers et des matelots, les forts insurgés furent repris aux blancs et les troupes de Ioudénitch, vaincues, rejetées sur l’Estonie.

La défaite de Ioudénitch devant Pétrograd facilita la lutte contre Koltchak. Fin 1919, l’armée de Koltchak était définitivement mise en déroute. Koltchak lui-même fut arrêté et fusillé à Irkoutsk, sur sentence du comité révolutionnaire.

C’en était fini de Koltchak.

En Sibérie, le peuple chantait ce refrain :

« Veste anglaise,
Epaulette française,
Tabac du Japon,
Régent d’Omsk, hon !

Usée, la veste,
Epaulette,
tombée,
Du tabac, n’en reste,
Régent décampé ! »

En voyant que Koltchak n’avait pas justifié l’espoir qu’ils avaient mis en lui, les envahisseurs modifièrent leur plan d’offensive contre la République des Soviets. On dut évacuer d’Odessa les troupes d’intervention qui, au contact des armées de la république soviétique, se laissaient gagner par l’esprit révolutionnaire et avaient commencé à se soulever contre leurs maîtres, les impérialistes.

C’est ainsi, par exemple, que les marins français, guidés par André Marty, s’étaient révoltés à Odessa. Aussi, après la défaite de Koltchak, l’Entente reporta-t-elle son attention principale sur le général Dénikine, complice de Kornilov et organisateur de l’ « armée des volontaires ». Dénikine travaillait à ce moment contre le pouvoir des Soviets dans le midi, dans la région du Kouban. L’Entente avait abondamment ravitaillé son armée en armes et équipements, et elle la jeta vers le nord, contre le pouvoir des Soviets.

Cette fois, le front sud devenait le front principal.

Dénikine engagea sa grande campagne contre le pouvoir des Soviets dans l’été de 1919. Trotski avait désorganisé le front sud, et nos troupes subissaient défaite sur défaite. À la mi-octobre, les blancs avaient envahi toute l’Ukraine, enlevé Orel, et ils menaçaient Toula qui fournissait notre armée en cartouches, en fusils et en mitrailleuses. Les blancs arrivaient sur Moscou. La situation de la république des Soviets devenait plus que grave. Le Parti sonna l’alarme, appelant le peuple à la résistance. Lénine lança le mot d’ordre : « Tous à la lutte contre Dénikine ! » Sous l’inspiration des bolchéviks, les ouvriers et les paysans tendirent toutes leurs forces afin d’écraser l’ennemi.

Pour organiser l’écrasement de Dénikine, le Comité central dépêcha sur le front sud les camarades Staline, Ordjonikidzé, Boudionny. Trotski fut écarté de la direction de l’Armée rouge du midi. Avant l’arrivée du camarade Staline, l’état-major avait élaboré, de concert avec Trotski, un plan d’après lequel l’attaque principale contre Dénikine devait être portée de Tsaritsyne sur Novorossiisk en passant par les steppes du Don, où l’Armée rouge se serait trouvé dans une région totalement dépourvue de voies de communication et peuplée de cosaques, dont une notable partie subissait alors l’influence des gardes blancs.

Le camarade Staline fit une critique serrée de ce plan et proposa au Comité central son propre plan d’écrasement de Dénikine : diriger l’attaque principale par la ligne Kharkov – Bassin du Donetz – Rostov. Ce plan assurait l’avance rapide de nos troupes contre Dénikine, grâce aux sympathies manifestes de la population ouvrière et paysanne des régions que traverserait notre armée. En outre, l’existence, dans cette zone d’action, d’un réseau ramifié de chemins de fer permettait de ravitailler régulièrement nos troupes. Ce plan permettait enfin de libérer le bassin du Donetz et de pourvoir notre pays en combustible.

Le Comité central du Parti adopta le plan du camarade Staline. Dans la seconde quinzaine d’octobre 1919, après une résistance acharnée, Dénikine fut défait par l’Armée rouge dans des batailles décisives, devant Orel et Voronèje. Dénikine se replia rapidement, puis il précipita encore sa retraite vers le sud, poursuivi par nos troupes. Au début 1920, toute l’Ukraine et le Caucase du Nord étaient libérés des blancs.

Pendant les combats décisifs livrés sur le front sud, les impérialistes avaient de nouveau lancé le corps d’armée de Ioudénitch sur Pétrograd, pour détourner une partie de nos forces vers le nord et remédier ainsi à la situation des troupes de Dénikine. Les blancs étaient tout près de la ville. Le prolétariat héroïque de Pétrograd fit de son corps un rempart pour défendre la première ville de la révolution. Comme toujours, les communistes marchaient dans les premiers rangs. À la suite de combats acharnés, les blancs furent battus et rejetés à nouveau au delà des frontières de notre pays, en Estonie.

C’est ainsi qu’on en finit avec Dénikine également.

Koltchak et Dénikine écrasés, il se fit une courte trêve.

Les impérialistes voyaient que les armées blanches avaient été défaites, que l’intervention échouait et que le pouvoir des Soviets se consolidait dans le pays, tandis que par ailleurs, les ouvriers d’Europe occidentale manifestaient leur indignation croissante de la guerre d’intervention contre la République des Soviets : les impérialistes changèrent donc d’attitude à l’égard de l’État soviétique. En janvier 1920, l’Angleterre, la France et l’Italie décidèrent de lever le blocus.

C’était là une brèche importante pratiquée dans le mur de l’intervention.

Evidemment, il ne fallait pas en déduire que l’État soviétique en avait fini avec l’intervention et la guerre civile. Restait le danger d’une agression de la part de la Pologne impérialiste. Les envahisseurs n’avaient pas encore été définitivement chassés d’Extrême-Orient, de Transcaucasie et de Crimée. Mais le pays des Soviets avait obtenu une trêve momentanée, qui lui permettait de consacrer plus de forces à la construction de l’économie. Le Parti pouvait s’occuper des problèmes économiques.

Pendant la guerre civile, nombreux étaient les ouvriers qualifiés qui avaient abandonné la production en raison de la fermeture des fabriques et des usines. Maintenant, le parti rappelait ces ouvriers pour qu’ils pussent travailler à la production dans leur spécialité. Plusieurs milliers de communistes furent spécialement affectés au relèvement des transports, dont la situation était difficile.

Sans avoir rétabli les transports, on ne pouvait songer sérieusement à rétablir les principales branches de l’industrie. Le travail d’approvisionnement se renforça et s’améliora. On entreprit d’élaborer un plan d’électrification de la Russie. Près de cinq millions de soldats rouges, que, vu le danger de guerre, on ne pouvait encore licencier, se trouvaient sous les armes, aussi certaines unités de l’Armée rouge furent-elles transformées en armées du travail et utilisées aux tâches de la construction économique. Le Conseil de la défense ouvrière et paysanne fut transformé en Conseil du travail et de la défense (STO). Pour l’aider dans ses travaux, on créa une Commission du plan d’État (Gosplan).

C’est dans cette atmosphère que s’ouvrit, fin mars 1920, le IXe Congrès du Parti.

Au congrès assistèrent 554 délégués avec voix délibérative, représentant 611 978 membres du Parti. Il y avait 162 délégués avec voix consultative.

Le congrès fixa les tâches économiques immédiates du pays dans le domaine des transports et de l’industrie ; il affirma particulièrement la nécessité, pour les syndicats, de participer à la construction économique.

Une attention soutenue fut accordée au plan unique de l’économie, qui prévoyait en premier lieu le relèvement des transports, du combustible, de la métallurgie. Dans ce plan, la place essentielle revenait à l’électrification de l’ensemble de l’économie nationale, que Lénine préconisait comme « un grandiose programme pour 10 à 20 ans ». C’est sur cette base que fur élaboré ensuite le célèbre plan GOELRO [Plan d’État pour l’électrification de la Russie], dépassé de loin aujourd’hui.

Le congrès infligea une défaite au groupe du « centralisme démocratique », groupe hostile au Parti, qui s’élevait contre la direction unique et la responsabilité personnelle des dirigeants dans l’industrie, et qui défendait la « collégialité » sans limites et l’irresponsabilité dans la direction de l’industrie. Le rôle principal dans ce groupe ennemi du Parti était joué par Sapronov, Ossinki, V. Smirnov. Ils furent soutenus au congrès par Rykov et Tomski.

4. Agression des hobereaux polonais contre le pays des Soviets. Aventure du général Wrangel. Effondrement du plan polonais. Ecrasement de Wrangel. Fin de l’intervention.

Malgré l’écrasement de Koltchak et de Dénikine, et bien que le pays des Soviets étendît de plus en plus ses dimensions en libérant des blancs et des envahisseurs le territoire du Nord, le Turkestan, la Sibérie, le Don, l’Ukraine, etc. ; bien que l’Entente eût été obligée de lever le blocus de la Russie, les États de l’Entente se refusaient néanmoins à accepter l’idée que le pouvoir des Soviets s’était montré imbattable et qu’il demeurait victorieux. Aussi décidèrent-ils de tenter une nouvelle intervention contre lui. Cette fois, les envahisseurs vont utiliser d’une part Pilsudski, nationaliste contre-révolutionnaire bourgeois, chef effectif de l’État polonais, et d’autre part le général Wrangel, qui avait rassemblé en Crimée les débris de l’armée de Dénikine et de là, menaçait le bassin du Donetz, l’Ukraine.

Selon le mot de Lénine, la Pologne des hobereaux et Wrangel étaient comme les deux mains de l’impérialisme international, qui tentaient d’étrangler le pays des Soviets.

Les polonais avaient leur plan : s’emparer de l’Ukraine soviétique rive-droite du Dniepr, s’emparer de la Biélorussie soviétique, rétablir dans ces régions le pouvoir des hobereaux polonais, étendre les limites de l’État polonais « d’une mer à l’autre », de Dantzig à Odessa, et pour le concours que leur prêtait Wrangel, aider celui-ci à battre l’Armée rouge et à rétablir dans la Russie soviétique le pouvoir des grands propriétaires fonciers et des capitalistes.

Ce plan fût approuvé par les États de l’Entente.

Les tentatives du gouvernement soviétique pour engager des négociations avec la Pologne en vue de maintenir la paix et de conjurer la guerre ne donnèrent aucun résultat. Pilsudski ne voulait pas entendre parler de paix. Il voulait la guerre. Il comptait que l’Armée rouge, fatiguée des batailles livrées à Koltchak et à Dénikine, ne résisterait pas à l’attaque des troupes polonaises.

La courte trêve prit fin.

En avril 1920, les troupes de la Pologne envahissaient l’Ukraine soviétique et s’emparaient de Kiev. Dans le même temps, Wrangel prenait l’offensive, menaçant le bassin du Donetz.

En riposte à l’attaque de l’armée polonaise, les armées rouges du front sud atteignirent dans leur élan les portes de Lvov en Galicie, tandis que l’armée du front ouest approchait de Varsovie. L’armée des hobereaux polonais allait être battue à plate couture.

Mais les louches agissements de Trotski et de ses partisans au Grand Quartier Général de l’Armée rouge compromirent nos succès. Par la faute de Trotski et de Toukhatchevski, l’offensive des armées rouges sur le front ouest, en direction de Varsovie, s’effectuait d’une façon absolument inorganisée : on ne laissait pas aux troupes le temps de se fortifier sur les positions conquises ; on fit prendre une avance excessive aux unités de tête, qui se trouvèrent sans munitions et sans réserves, celles-ci étant restées trop loin derrière ; la ligne de front avait été allongée sans fin, ce qui en facilitait la percée.

C’est ainsi qu’un faible contingent de troupes polonaises ayant enfoncé notre front ouest dans un des secteurs, nos troupes dépourvues de munitions durent opérer un recul. En ce qui concerne les armées du front sud, qui étaient déjà devant Lvov et refoulaient les polonais, le triste « président du conseil militaire révolutionnaire » Trotski leur interdit de prendre Lvov et leur enjoignit de dépêcher loin vers le nord-est, soi-disant pour appuyer le front ouest, l’armée de cavalerie, c’est-à-dire la force principale du front sud : il était cependant facile de comprendre que la prise de Lvov était le seul – et le meilleur – soutien possible à procurer au front ouest !

Tandis que le retrait de l’armée de cavalerie du front sud et son départ de la zone de Lvov signifiait en fait le repli de nos armées, sur le front sud également. C’est ainsi que Trotski, par un ordre de trahison, imposa à nos armées du front sud une retraite incompréhensible pour elles et dénuée de fondement, à la grande joie des hobereaux polonais.

C’était bien une aide directe, non pas à notre front ouest, mais aux hobereaux polonais et à l’Entente.

Quelques jours plus tard, l’offensive des armées polonaises était arrêtée ; nos troupes s’apprêtaient à une nouvelle contre-offensive. Mais la Pologne, manquant de forces pour continuer la guerre et alarmée par la perspective d’une contre-attaque des rouges dut renoncer à se prétentions sur l’Ukraine rive-droite et la Biélorussie ; elle préféra conclure la paix avec la Russie. Le 20 octobre 1920, à Riga, un traité de paix était signé avec la Pologne, en vertu duquel la Pologne conservait la Galicie et une partie de la Biélorussie.

Quand elle eût signé la paix avec la Pologne, la république soviétique décida d’en finir avec Wrangel. Celui-ci avait reçu des Français et des Anglais, des armes modernes, des autos blindés, des chars d’assaut, des avions, des équipements.

Il disposait d’unités de choc, principalement composées d’officiers blancs. Mais Wrangel n’avait pas réussi à rassembler des forces quelque peu importantes de paysans et de cosaques autour des troupes de débarquement qu’il avait fait descendre dans le Kouban et la région du Don. Cependant, Wrangel, qui touchait de près au bassin du Donetz, menaçait notre région houillère. La situation du pouvoir des Soviets se compliquait encore du fait qu’à cette époque l’Armée rouge était recrue de fatigue. Les soldats rouges étaient obligés d’avancer dans des conditions extrêmement difficiles, en marchant contre les troupes de Wrangel et en écrasant en même temps les bandes d’anarchistes-makhnovistes [partisans de Makhno], qui aidaient Wrangel.

Mais bien que celui-ci eût l’avantage de la technique de son côté, et bien que l’Armée rouge ne disposait pas de chars d’assaut, elle refoula Wrangel jusque dans la presqu’île de Crimée. En novembre 1920, les troupes rouges s’emparaient des positions fortifiées de Pérékop, pénétraient en Crimée, écrasant les troupes de Wrangel et libérant la Crimée des gardes blancs et des envahisseurs. La Crimée devint soviétique.

C’est l’effondrement des plans impérialistes polonais et l’écrasement de Wrangel qui ferment la période de l’intervention militaire.

Fin 1920 avait commencé la libération de la Transcaucasie du joug des nationalistes bourgeois moussavatistes en Azerbaïdjan, national-menchéviks en Géorgie, dachnaks en Arménie. Le pouvoir des Soviets triompha en Azerbaïdjan, en Arménie et en Géorgie.

Cela ne signifiait pas encore la fin complète de l’intervention. L’intervention japonaise en Extrême-Orient se poursuivit jusqu’en 1922. En outre, il y eût de nouvelles tentatives d’organiser l’intervention (ataman Sémionov et baron Ungern à l’est, intervention des gardes blancs de Finlande en Carélie, en 1921). Mais les principaux ennemis du pays des Soviets, les forces essentielles de l’intervention, avaient été écrasés fin 1920.

La guerre des envahisseurs étrangers et des gardes blancs russes contre les Soviets s’était terminée par la victoire des Soviets. La République soviétique avait sauvegardé l’indépendance de son État, sa libre existence.

C’était la fin de l’intervention militaire étrangère de la guerre civile.

C’était la victoire historique du pouvoir des soviets.

5. Comment et pourquoi le pays des Soviets a vaincu les forces conjuguées tournées contre lui : l’intervention de l’Angleterre, de la France, du Japon, de la Pologne et la contre-révolution de la bourgeoisie, des grands propriétaires fonciers et des gardes blancs de Russie.

Si l’on prend la grande presse européenne et américaine de l’époque de l’intervention, on peut constater sans peine que pas un écrivain en vue, militaire ou civil, pas un connaisseur de l’art militaire ne croyait à la victoire du pouvoir des Soviets. Au con­traire, tous les écrivains en vue, tous les connaisseurs des choses militaires, les historiens des révolutions de tous les pays et de tous les peuples, ce qu’on appelle les hommes de science, tous étaient unanimes à proclamer que les jours du pouvoir des Soviets étaient comptés, que sa défaite ne saurait être conjurée.

Leur certitude de la victoire de l’Intervention reposait sur le fait que le pays des Soviets n’avait pas encore une Armée rouge constituée, qu’il aurait à la créer, pour ainsi dire, en cours de mar­che, tandis que les envahisseurs et les gardes blancs avaient une armée plus ou moins prête.

Elle reposait ensuite sur le fait que l’Armée rouge n’avait pas de cadres militaires expérimentés, la majeure partie des cadres de ce genre étant passée à la contre-révolution, tandis que les en­vahisseurs et les gardas blancs avaient de tels cadres.

Elle reposait encore sur le fait que l’Armée rouge souffrait de l’insuffisance, — en quantité et en qualité, — des armements et des munitions, à cause du retard de l’industrie militaire russe ; qu’elle ne pouvait recevoir de matériel militaire des autres pays, la Russie étant bloquée de toutes parts, tandis que les armées d’in­tervention et les blancs étaient et continueraient d’être abondam­ment pourvus en armements, en munitions et en équipements de premier ordre.

Elle reposait enfin sur le fait que les armées d’intervention et les blancs occupaient alors les régions les plus riches en denrées alimentaires, tandis que l’Armée rouge était coupée de ces régions et souffrait du manque de vivres.

Effectivement, tous ces défauts et toutes ces insuffisances exis­taient dans les unités de l’Armée rouge. Sous ce rapport, mais seulement sous ce rapport, messieurs les interventionnistes avaient parfaitement raison. Comment expliquer en ce cas que l’Armée rouge, qui avait tant de défauts graves, ait vaincu l’armée des envahisseurs et des gardes blancs, exempte de tous ces défauts ?

1° L’Armée rouge a vaincu parce que la politique du pouvoir des Soviets pour laquelle elle se battait était une politique juste, conforme aux intérêts du peuple ; parce que le peuple sentait et concevait cette politique comme une politique juste, comme sa politique à lui, et la soutenait jusqu’au bout. Les bolchéviks savaient qu’une armée qui lutte au nom d’une politique injuste, non soutenue par le peuple, ne peut pas vaincre.

Telle était précisément l’armée des envahisseurs et des gardes blancs. Cette armée avait tout : de vieux chefs expérimentés, un matériel de premier ordre, des munitions, des équipements, des vivres. Il ne lui manquait qu’une chose : le soutien et la sympathie des peuples de Russie, qui ne voulaient ni ne pouvaient soutenir la politique antipopulaire des envahisseurs et des « régents » gar­des blancs. Et l’armée des envahisseurs et des gardes blancs fut battue.

2° L’Armée rouge a vaincu parce qu’elle était fidèle et dévouée jusqu’au bout à son peuple, ce qui lui valait l’amour de ce peuple, qui la soutenait comme son armée à lui. L’Armée rouge est issue du peuple. Et si elle est fidèle à son peuple comme un fils est fi­dèle à sa mère, elle aura le soutien du peuple, elle vaincra. Tandis qu’une armée qui va contre son peuple subira nécessairement la défaite.

3° L’Armée rouge a vaincu parce que le pouvoir des Soviets avait réussi à alerter tout l’arrière, tout le pays, pour servir le front.

Une armée sans un arrière fort pour soutenir le front par tous les moyens, est vouée à la défaite. Les bolchéviks savaient cela, et c’est pour cette raison qu’ils avaient transformé le pays en un camp retranché qui approvisionnait le front en matériel de guerre, en munitions, en équipements, en vivres, en contingents de renfort.

4° L’Armée rouge a vaincu parce que : a) les soldats rouges comprenaient le but et les objectifs de la guerre, et se rendaient compte qu’ils étaient justes ; b) la conscience que le but et les tâches de la guerre étaient justes, fortifiait leur esprit de discipline et leur valeur combative ; c) ceci étant, la masse des soldats rouges a fait preuve, à tout instant, dans sa lutte contre l’en­nemi, d’une abnégation sans exemple et d’un héroïsme sans pré­cédent.

5° L’Armée rouge a vaincu parce que son noyau dirigeant, à l’arrière et au front, était le Parti bolchévik, soudé par sa cohé­sion et sa discipline, puissant par son esprit révolutionnaire et sa volonté de consentir tous les sacrifices pour faire triompher la cause commune, insurpassé par sa capacité à organiser les mul­titudes et à les diriger de façon judicieuse, dans une situation complexe.

Lénine a dit :

« C’est uniquement parce que le Parti était sur ses gardes, parce que le Parti était rigoureusement discipliné et que son autorité unissait toutes les institutions et toutes les administra­tions, parce que des dizaines, des centaines, des milliers et, en fin de compte, des millions d’hommes suivaient comme un seul le mot d’ordre du Comité central, c’est uniquement parce que des sacrifices inouïs furent consentis, que le miracle qui s’est produit a pu se produire. C’est uniquement pour cela qu’en dépit des campagnes redoublées, triplées, quadruplées des impérialistes de l’Entente et des impérialistes du monde entier, nous nous sommes trouvés en mesure de vaincre. » (Lénine, Œuvres choisies, t. II, p. 671.)

6° L’Armée rouge a vaincu parce que : a) elle a su former dans son sein des dirigeants militaires d’un type nouveau comme Froun­ze, Vorochilov, Boudionny et autres  ; b) dans ses rangs combat­taient des héros-nés comme Kotovski, Tchapaev, Lazo, Chtchors, Parkhomenko et bien d’autres ; c) l’éducation politique de l’Armée rouge était faite par des hommes tels que Lénine, Staline, Molotov, Kalinine, Sverdlov, Kaganovitch, Ordjonikidze, Kirov, Kouibychev, Mikoïan, Jdanov, Andréev, Pétrovski, Iaroslavski, Dzerjinski, Chtchadenko, Mekhliss, Khrouchtchev, Chvernik, Chkiriatov, d’autres encore ; d) l’Armée rouge comptait dans son sein ces organisateurs et agitateurs peu communs qu’étaient les commissai­res militaires, dont l’activité cimentait les rangs des soldats et qui implantaient parmi eux l’esprit de discipline et l’intrépidité au combat, réprimaient avec énergie, — rapidement et sans merci, — les actes de trahison de certains chefs et, au contraire, soutenaient avec courage et résolution l’autorité et la gloire des commandants, membres et non-membres du Parti, qui avaient prouvé leur dé­vouement au pouvoir des Soviets et s’étaient montrés capables de diriger d’une main ferme les unités de l’Armée rouge.

« Sans commissaires militaires, nous n’aurions pas eu d’Armée rouge », disait Lénine.

7° L’Armée rouge a vaincu parce qu’à l’arrière des armées blanches, à l’arrière de Koltchak, de Dénikine, de Krasnov, de Wrangel, travaillaient dans l’illégalité des bolchéviks admirables, membres et non-membres du Parti, qui soulevaient les ouvriers et les paysans contre les envahisseurs, contre les gardes blancs ; qui minaient l’arrière des ennemis du pouvoir des Soviets et, par là même, facilitaient l’avance de l’Armée rouge.

Nul n’ignore que les partisans d’Ukraine, de Sibérie, d’Extrême-Orient, de l’Oural, de Biélorussie, du bassin de la Volga, qui disloquaient l’arrière des gardes blancs et des envahisseurs, ont rendu un service inappré­ciable à l’Armée rouge.

8° L’Armée rouge a vaincu parce que le pays des Soviets n’était pas seul dans sa lutte avec la contre-révolution des gardes blancs et l’intervention étrangère ; parce que la lutte du pouvoir des Soviets et ses succès avaient suscité la sympathie et l’aide des prolétaires du monde entier. Si les impérialistes voulaient étouffer la République soviétique par l’intervention armée et le blocus, les ouvriers de ces pays impérialistes sympathisaient avec les Soviets et les aidaient. Leur lutte contre les capitalistes des pays ennemis de la République soviétique a fait que les impérialistes ont dû re­noncer à l’intervention.

Les ouvriers d’Angleterre, de France et des autres pays qui avaient participé à l’intervention, organisaient des grèves, refusaient de charger le matériel de guerre destiné aux en­vahisseurs et aux généraux blancs ; ils formaient des « comités d’ac­tion » sous le mot d’ordre « Bas les mains devant la Russie ! »

« Aussitôt que la bourgeoisie internationale, disait Lénine lève la main contre nous, ses propres ouvriers la saisissent au poignet. » (Ibidem, p. 405.)

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Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Le parti bolchévik prépare et accomplit la révolution socialiste d’octobre (avril 1917-1918)

Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), 1938

1. La situation dans le pays après la révolution de Février. Le Parti sort de l’illégalité et passe à l’action politique ouverte. Arrivée de Lénine à Pétrograd. Thèses d’Avril de Lénine. le parti s’oriente vers la Révolution socialiste.

Les événements et la conduite du Gouvernement provisoire confirmaient chaque jour davantage la justesse de la ligne bol­chévique. Ils montraient de plus en plus clairement que le Gouver­nement provisoire n’était pas pour, mais contre le peuple ; qu’il n’était pas pour la paix, mais pour la guerre ; qu’il ne voulait et ne pouvait donner ni la paix, ni la terre, ni le pain.

Le travail d’éclaircissement que faisaient les bolchéviks, trouvait un terrain favorable. Tandis que les ouvriers et les soldats renversaient le gouverne­ment tsariste et détruisaient les racines de la monarchie, le Gouvernement provisoire penchait nettement vers le maintien de la monarchie. Le 2 mars 1917, il envoya secrètement Goutchkov et Choulguine auprès du tsar. La bourgeoisie entendait remettre le pouvoir à Michel, frère de Nicolas Romanov. Mais lorsqu’à un meeting de cheminots, Goutchkov proclama en terminant son dis­cours : « Vive l’empereur Michel ! », les ouvriers exigèrent que Goutchkov fût immédiatement arrêté et fouillé ; indignés, ils ré­pondaient par le proverbe : « Le raifort n’est pas plus doux que le radis noir. »

Il était évident que les ouvriers ne laisseraient pas ressusci­ter la monarchie.

Tandis que les ouvriers et les paysans qui faisaient là révo­lution et versaient leur sang pour elle, attendaient qu’on mît fin à la guerre, revendiquaient le pain et la terre, réclamaient des mesures de lutte décisives contre la ruine économique, le Gouver­nement provisoire demeurait sourd à ces revendications vitales du peuple. Composé des représentants les plus notoires des capitalistes et des grands propriétaires fonciers, il ne songeait même pas à donner suite aux revendications des paysans, qui demandaient que la terre leur fût remise. Il ne pouvait pas non plus donner le pain aux travailleurs car, pour cela, il eût fallu heurter les intérêts des gros négociants en blé ; il eût fallu user de tous les moyens pour prendre le blé aux grands propriétaires fonciers, aux koulaks, ce que le gouvernement n’osait faire, étant lui-même lié aux intérêts de ces classes. Il ne pouvait pas non plus donner la paix.

Lié aux impérialistes anglo-français, le Gouvernement pro­visoire, loin de songer à finir la guerre, cherchait au contraire à exploiter la révolution pour faire participer plus activement la Russie à la guerre impérialiste, pour réaliser ses visées impérialis­tes : s’emparer de Constantinople et des Détroits, ainsi que de la Galicie.

Il était évident que c’en serait bientôt fait de la confiance des masses populaires envers la politique du Gouvernement provi­soire. De toute évidence, la dualité de pouvoir qui s’était établie après la révolution de Février, ne pouvait plus se maintenir long­temps, car la marche des événements exigeait que le pouvoir fût concentré en un seul point : ou bien dans les mains du Gouver­nement provisoire, ou bien dans les mains des Soviets.

Il est vrai que la politique de conciliation des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires jouissait encore pour l’instant de l’appui des masses populaires. Nombreux étaient encore les ouvriers, et plus nombreux les soldats et les paysans, qui croyaient que « bientôt l’Assemblée constituante viendrait tout arranger pour le mieux » ; qu’on ne faisait pas la guerre dans un but de conquête, mais par nécessité, pour défendre le pays.

Lénine appe­lait ces gens-là des jusqu’auboutistes qui se trompent de bonne foi. La politique de promesses et d’exhortations, pratiquée par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, était pour l’instant considérée par eux comme une politique juste. Mais il était évi­dent qu’il n’y en avait plus pour longtemps de ces promesses et de ces exhortations, car la marche des événements et la conduite du Gouvernement provisoire révélaient, prouvaient chaque jour que la politique conciliatrice des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks était une politique d’atermoiements et de mystification des naïfs.

Le Gouvernement provisoire ne se bornait pas toujours à la politique de lutte sournoise contre le mouvement révolutionnaire des masses, à la politique des combinaisons de coulisse con­tre la révolution. Il essayait parfois de prendre ouvertement l’of­fensive contre les libertés démocratiques, de « rétablir la discipli­ne », surtout parmi les soldats, de « mettre de l’ordre », c’est-à-dire de faire rentrer la révolution dans le cadre voulu par la bourgeoi­sie.

Mais quels que fussent ses efforts dans ce sens, il ne pouvait arriver à ses fins, et les masses populaires usaient avec ardeur des libertés démocratiques : liberté de parole, de presse, d’association, de réunion, de manifestation. Les ouvriers et les soldats s’effor­çaient d’utiliser intégralement les droits démocratiques qu’ils avaient conquis pour la première fois, afin de participer activement à la vie politique du pays, de comprendre à fond la situation créée et de décider de la conduite à tenir.

Après la révolution de Février, les organisations du Parti bol­chévik qui avaient milité illégalement dans les dures conditions du tsarisme, étaient sorties de l’illégalité et développaient ouvertement leur travail politique et d’organisation. Les effectifs des organisa­tions bolchéviques, à cette époque, ne dépassaient guère 40 ou 45.000 adhérents. Mais c’étaient des cadres trempés dans la lutte. Les Comités du Parti avaient été réorganisés sur le principe du centralisme démocratique. Tous les organismes du Parti étaient élus, de la base au sommet.

Le Parti devenu légal, on vit se révéler les divergences qui existaient dans son sein. Kaménev et quelques militants de l’or­ganisation de Moscou, comme Rykov, Boubnov, Noguine, te­naient pour la position semi-menchévique de soutien condition­nel du Gouvernement provisoire et de la politique des jusqu’au­boutistes. Staline, qui venait de rentrer d’exil, Molotov et les au­tres, avec la majorité du Parti, préconisaient une politique de dé­fiance à l’égard du Gouvernement provisoire, s’élevaient contre le jusqu’auboutisme et appelaient à la lutte active pour la paix, con­tre la guerre impérialiste. Un certain nombre de militants du Parti hésitaient, traduisant ainsi leur retard politique, conséquence d’un long séjour en prison ou en exil.

L’absence de Lénine, chef du Parti, se faisait sentir. C’est le 3 (10) avril 1917, après un exil prolongé, que Lénine rentra en Russie. L’arrivée de Lénine eut une importance considérable pour le Parti, pour la révolution. Alors qu’il était encore en Suisse, Lénine, touché par les premières nouvelles de la révolution, avait écrit au Parti et à la classe ouvrière de Russie dans ses Lettres de loin :

« Ouvriers ! Vous avez accompli des prodiges d’héroïsme prolétarien et populaire dans la guerre civile contre le tsa­risme. Vous devez accomplir des prodiges d’organisation pro­létarienne et populaire pour préparer votre victoire dans la seconde étape de la révolution ». (Lénine, Œuvres choisies, t. I, p. 906.)

Lénine arriva à Pétrograd dans la nuit du 3 avril. À la gare de Finlande et sur la place, des milliers d’ouvriers, de soldats et de matelots s’étaient rassemblés pour le recevoir. Un enthousias­me indescriptible s’empara des masses, quand il descendit de wa­gon. Elles portèrent en triomphe leur chef dans le grand hall, où les menchéviks Tchkhéidzé et Skobélev tentèrent bien de pronon­cer, au nom du Soviet de Pétrograd, des discours de « bienvenue », dans lesquels ils « exprimaient l’espoir » que Lénine saurait trou­ver une « langue commune » avec eux. Mais Lénine ne les écouta pas.

Passant outre, il alla droit à la masse des ouvriers et des soldats. Monté sur une auto blindée, il prononça le célèbre dis­cours dans lequel il appelle les masses à la lutte pour faire triom­pher la révolution socialiste. « Vive la révolution socialiste !  », c’est ainsi que Lénine termina son discours, le premier depuis de lon­gues années d’exil.

Rentré en Russie, Lénine s’adonna de toute son énergie au travail révolutionnaire. Au lendemain de son arrivée, il fit un rap­port sur la guerre et la révolution à une réunion de bolchéviks ; puis il reprit les thèses de son rapport dans une réunion où, en plus des bolchéviks, assistaient également des menchéviks. C’étaient les célèbres thèses d’Avril qui donnèrent au Parti et au prolétariat une claire ligne révolutionnaire, pour passer de la révolution bourgeoise à la révolution socialiste.

Les thèses de Lénine eurent une importance énorme pour la révolution, ainsi que pour l’activité ultérieure du Parti. La ré­volution marquait un tournant prodigieux dans la vie du pays, et le Parti, dans les nouvelles conditions de lutte, — le tsarisme une fois renversé, — avait besoin d’une orientation nouvelle pour s’engager hardiment et d’un pas assuré dans la voie nouvelle. Ce furent les thèses de Lénine qui donnèrent cette orientation au Parti.

Les thèses d’Avril dressaient un plan génial de lutte du Parti pour passer de la révolution démocratique bourgeoise à la révolu­tion socialiste, pour passer de la première étape de la révolution à la seconde étape ; à celle de la révolution socialiste. Toute l’histoire antérieure du Parti l’avait préparé à cette grande tâche. Dès 1905, Lénine, dans sa brochure Deux tactiques de la social-dé­mocratie dans la révolution démocratique, avait dit qu’après le renversement du tsarisme, le prolétariat procéderait à l’accom­plissement de la révolution socialiste. L’élément nouveau, dans les thèses, c’était qu’elles donnaient un plan concret, fondé théorique­ment, pour s’engager dans la voie de la révolution socialiste.

Dans le domaine économique, les mesures de transition étaient les suivantes : nationaliser toutes les terres du pays, les terres des grands propriétaires fonciers devant être confisquées ; fusionner toutes les banques en une seule banque nationale et instituer le contrôle du Soviet des députés ouvriers sur cette banque ; établir le contrôle de la production sociale et de la répartition des pro­duits.

Dans le domaine politique, Lénine proposait de passer de la république parlementaire à la république des Soviets. C’était là un sérieux pas en avant dans le domaine de la théorie et de la pratique du marxisme. Jusqu’ici, les théoriciens marxistes avaient estimé que la république parlementaire était la meilleure forme politique pour passer au socialisme. Maintenant, Lénine proposait de remplacer la république parlementaire par la république des Soviets, comme étant la forme la plus indiquée d’organisation po­litique de la société, dans la période de transition du capitalisme au socialisme.

« Ce qu’il y a d’original dans l’actualité russe, était-il dit dans les thèses, c’est la transition de la première étape de la révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie par suite du degré insuffisant de conscience et d’organisation du pro­létariat, à sa deuxième étape, qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de la paysannerie. » (Lénine, Œuvres choisies, t. II, p. 8.)

Et plus loin :

« Non pas une république parlementaire — y retourner après les Soviets des députés ouvriers, ce serait un pas en ar­rière, — mais une république des Soviets des députés ouvriers, salariés agricoles et paysans dans le pays entier, de la base au sommet. » (Ibidem, p. 9.)

La guerre, disait Lénine, même sous le nouveau gouvernement, sous le Gouvernement provisoire, demeure une guerre de rapine, une guerre impérialiste. La tâche du Parti est de l’expliquer aux masses, de leur montrer qu’il est impossible, à moins de renverser la bourgeoisie, de finir la guerre, non par une paix imposée de force, mais par une paix véritablement démocratique.

En ce qui concerne le Gouvernement provisoire, Lénine for­mulait ce mol d’ordre : « Aucun soutien au Gouvernement pro­visoire ! » Lénine indiquait encore, dans ses thèses, que notre Parti se trouvait pour l’instant en minorité dans les Soviets ; que le bloc des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires y dominait, servant de véhicule à l’influence de la bourgeoisie sur le prolé­tariat. Aussi le Parti devait-il :

« Expliquer aux masses que le Soviet des députés ou­vriers est la seule forme possible de gouvernement révolution­naire, et que par conséquent, notre tache, tant que ce gouver­nement-là se laisse influencer par la bourgeoisie, ne peut être que d’expliquer aux masses patiemment, avec méthode et persévérance, les erreurs de leur tactique, en nous adaptant surtout aux besoins pratiques de ces masses. Tant que nous sommes en minorité, nous faisons un travail de critique et d’éclaircissement des erreurs, en affirmant en même temps la nécessité du passage de tout le pouvoir d’État aux Soviets des députés ouvriers… » (Ibidem, p. 9.)

Autrement dit, Lénine n’appelait point à l’insurrection con­tre le Gouvernement provisoire, qui jouissait alors de la confiance des Soviets ; il ne demandait pas qu’il fût renversé, mais il voulait, par un travail d’éclaircissement et de recrutement, conquérir la majorité dans les Soviets, modifier leur politique et par leur in­termédiaire changer la composition et la politique du gouver­nement. C’était s’orienter vers le développement pacifique de la ré­volution.

Lénine demandait ensuite qu’on se débarrassât du « linge sa­le », que l’on renonçât à l’appellation de parti social-démocrate. Les partis de la IIe Internationale, comme aussi les menchéviks russes, s’intitulaient social-démocrates.

Ce nom avait été souillé, déshonoré par les opportunistes, traîtres au socialisme. Lénine proposa donc d’appeler le Parti bolchévik Parti communiste, ain­si que Marx et Engels avaient appelé leur parti. Ce nom est scien­tifiquement exact, puisque le but final du Parti bolchévik est l’avènement du communisme. Du capitalisme, l’humanité ne peut passer directement qu’au socialisme, c’est-à-dire à la possession en commun des moyens de production et à la répartition des produits selon le travail de chacun. Lénine disait que notre Parti voyait plus loin. Le socialisme doit, inévitablement, se transformer peu à peu pour devenir le communisme, sur le drapeau duquel on lit : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. »

Lénine demandait enfin dans ses thèses la création d’une nouvelle, d’une IIIe Internationale, l’Internationale communiste, dégagée de l’opportunisme, du social-chauvinisme.

Les thèses de Lénine provoquèrent de furieuses clameurs dans les rangs de la bourgeoisie, des menchéviks et des socialistes-ré­volutionnaires. Les menchéviks lancèrent aux ouvriers un appel qui com­mençait par cette mise en garde : « La révolution est en danger. » Le danger, selon les menchéviks, c’était que les bolchéviks avaient formulé la revendication du passage du pouvoir aux Soviets des députés ouvriers et soldats.

Dans son journal Edinstvo [Unité], Plékhanov publia un ar­ticle où il qualifiait le discours de Lénine de « discours délirant ». Plékhanov se référait aux paroles du menchévik Tchkhéidzé, qui avait déclaré : « Lénine restera seul en dehors de la révolution ; quant à nous, nous suivrons notre chemin. » Le 14 avril se tint la conférence bolchévique de Pétrograd-ville. Elle approuva les thèses de Lénine et les prit pour base de ses travaux. Quelque temps après, les organisations locales du Parti ap­prouvaient à leur tour les thèses de Lénine. Le Parti tout entier, à l’exception de quelques individus du genre Kaménev, Rykov, Piatakov, adopta les thèses de Lénine avec une immense satisfaction.

2. Début de la crise du Gouvernement provisoire. La conférence d’avril du parti bolchévik.

Tandis que les bolchéviks se préparaient à développer plus avant la révolution, le Gouvernement provisoire continuait à œu­vrer contre le peuple. Le 18 avril, le ministre des Affaires étran­gères, Milioukov, déclara aux alliés : « Le peuple tout entier dé­sire mener la guerre mondiale jusqu’à la victoire définitive, et le Gouvernement provisoire est décidé à faire entièrement honneur aux engagements pris envers nos alliés. » Ainsi le Gouvernement provisoire jurait fidélité aux traités tsaristes et promettait de faire encore verser au peuple tout le sang qu’il faudrait aux impérialistes pour remporter la « victoire finale ».

C’est le 19 avril que les ouvriers et les soldats eurent con­naissance de cette déclaration (« Note Milioukov »). Le 20 avril, le Comité central du Parti bolchévik appela les masses à protester contre la politique impérialiste du Gouvernement provisoire. Les 20-21 avril (3-4 mai) 1917, des masses d’ouvriers et de soldats, 100 000 personnes au moins, indignées de la « Note Milioukov », descendirent dans la rue pour manifester.

Les drapeaux portaient les mois d’ordre : « Publiez les traités secrets ! », « À bas la guerre ! », « Tout le pouvoir aux Soviets ! » Les ouvriers et les soldats affluèrent des faubourgs vers le centre, vers le siège du Gouverne­ment provisoire. Sur la perspective Nevski et en d’autres points de la ville, des collisions eurent lieu avec des groupes de la bourgeoisie. Les contre-révolutionnaires les plus déclarés, comme le gé­néral Kornilov, appelèrent à tirer sur les manifestants ; ils pri­rent même des dispositions appropriées. Mais les unités militai­res qui avaient reçu ces ordres, refusèrent de les exécuter.

Pendant la manifestation, un petit groupe de membres du Comité de Pétrograd du Parti (Bagdatiev et d’autres) avait lancé le mot d’ordre de renversement immédiat du Gouvernement pro­visoire. Le Comité central du Parti bolchévik condamna sévère­ment la conduite de ces aventuriers « de gauche » ; il considérait que ce mot d’ordre, inopportun et inexact, gênerait le Parti dans son action pour faire passer à ses côtés la majorité des Soviets et qu’il contredisait l’orientation du Parti dans le sens du développe­ment pacifique de la révolution.

Les événements des 20 et 21 avril marquèrent le début de la crise du Gouvernement provisoire. C’était la première fissure grave dans la politique de concilia­tion pratiquée par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires. Le 2 mai 1917, sous la poussée des masses, Milioukov et Gou-tchkov furent exclus du Gouvernement provisoire. Un premier Gouvernement provisoire de coalition fut formé qui comprenait à côté des représentants de la bourgeoisie, des menchéviks (Skobélev, Tsérételi) et des socialistes-révolutionnaires (Tchernov, Kérenski, d’autres encore).

C’est ainsi que les menchéviks qui, en 1905, avaient tenu pour inadmissible la participation des représentants de la social-démo­cratie au Gouvernement provisoire révolutionnaire, jugeaient main­tenant admissible la participation de leurs représentants à un gouvernement provisoire contre-révolutionnaire.

Les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires ralliaient ainsi le camp de la bourgeoisie contre-révolutionnaire.

Le 24 avril 1917, s’ouvrit la VIIe conférence bolchévique (con­férence d’Avril). C’était, depuis qu’existait le Parti, la première fois qu’une conférence des bolchéviks se tenait ouvertement, con­férence destinée par son importance à jouer dans l’histoire du Parti le rôle d’un congrès. La conférence nationale d’Avril attesta le développement pro­digieux du Parti. Elle comprenait 133 délégués avec voix délibérative et 18 avec voix consultative.

Ces délégués représentaient 80.000 membres organisés du Parti. La conférence discuta et élabora la ligne du Parti dans tou­tes les questions essentielles de la guerre et de la révolution : situation générale, guerre, Gouvernement provisoire, Soviets, ques­tion agraire, question nationale, etc.

Dans son rapport, Lénine développa les principes qu’il avait formulés dans ses thèses d’avril. La tâche du Parti consistait à réa­liser le passage de la première étape de la révolution « qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie… à sa deuxième étape qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de la paysan­nerie » (Lénine). Le Parti devait s’orienter vers la préparation de la révolution socialiste. Comme tâche immédiate du Parti, Lénine formula le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux Soviets ! »

Le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux Soviets ! » signifiait qu’il fallait en finir avec la dualité de pouvoir, c’est-à-dire avec te partage du pouvoir entre le Gouvernement provisoire et les So­viets ; qu’il fallait remettre tout le pouvoir aux Soviets et chasser des organes du pouvoir les représentants des grands propriétaires fonciers et des capitalistes.

La conférence établit que l’une des tâches les plus importantes du Parti consistait à expliquer inlassablement aux masses cette vérité que « le Gouvernement provisoire, de par son caractère, est un organe de domination des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie », de même qu’à dénoncer ce qu’il y a de néfaste dans la politique conciliatrice des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks, qui trompent le peuple par des promesses falla­cieuses et l’exposent aux coups de la guerre impérialiste et de la contre-révolution.

À cette conférence, Kaménev et Rykov prirent la parole con­tre Lénine. Ils répétèrent à la suite des menchéviks que la Russie n’était pas encore mûre pour la révolution socialiste, que seule la république bourgeoise était possible en Russie. Ils proposèrent au Parti et à la classe ouvrière de se borner à « contrôler » le Gou­vernement provisoire. Au fond ils se plaçaient, tout comme les menchéviks, sur des positions de maintien du capitalisme, de main­tien du pouvoir de la bourgeoisie.

Zinoviev se prononça également contre Lénine, sur la question de savoir si le Parti bolchévik devait rester dans le groupe de Zimmerwald ou rompre avec lui et créer une nouvelle Interna­tionale. Comme l’avaient montré les années de guerre, ce grou­pement, tout en Faisant la propagande pour la paix, n’avait pas rompu, en fait, avec les jusqu’auboutistes bourgeois.

Aussi Lénine insista-t-il pour l’abandon immédiat de ce groupement et l’orga­nisation d’une Internationale nouvelle, l’Internationale commu­niste. Zinoviev proposait de rester avec les zimmerwaldiens. Lénine condamna résolument cette intervention de Zinoviev, en qualifiant sa tactique d’ «  archi-opportuniste et nuisible »

La conférence d’Avril discuta aussi de la question agraire et de la question nationale.

À la suite du rapport de Lénine sur la question agraire, la con­férence se prononça pour la confiscation des terres des grands propriétaires fonciers et leur remise à la disposition des comités de paysans, ainsi que pour la nationalisation de toutes les terres du pays. Les bolchéviks appelaient les masses paysannes à lutter pour la terre et leur démontraient que le Parti bolchévik était le seul parti révolutionnaire qui aidât pratiquement les paysans à renverser les propriétaires fonciers.

Le rapport du camarade Staline sur la question nationale eut une grande importance. Dès avant la révolution, à la veille de la guerre impérialiste, Lénine et Staline avaient élaboré les prin­cipes de la politique du Parti bolchévik sur la question nationale. Lénine et Staline disaient que le parti prolétarien devait soutenir le mouvement de libération nationale des peuples opprimés, mou­vement dirigé contre l’impérialisme.

Ainsi le Parti bolchévik défen­dait le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, jusques et y compris leur séparation et leur constitution en États indépendants. Ce point de vue fut défendu à la conférence par le camarade Staline, rapporteur du Comité central.

Contre Lénine et Staline se prononça Piatakov qui, dès les années de guerre, avait pris avec Boukharine une position na­tionaliste et chauvine dans la question nationale. Piatakov et Bou­kharine étaient contre le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. L’attitude résolue et conséquente du Parti dans la question nationale, sa lutte pour l’égalité complète des nations et pour l’abolition de toutes les formes d’oppression nationale et d’iné­galité nationale lui valurent les sympathies et le soutien des nationalités opprimées.

Voici le texte de la résolution sur la question nationale qui fut adoptée par la conférence d’Avril :

« La politique d’oppression nationale, héritage de l’auto­cratie et de la monarchie, est appuyée par les grands proprié­taires fonciers, les capitalistes et la petite bourgeoisie, qui veulent ainsi protéger leurs privilèges de classe et diviser les ouvriers des diverses nationalités. L’impérialisme contempo­rain, qui renforce la tendance à la subordination des peuples faibles, est un nouveau facteur d’aggravation de l’oppression nationale.

Pour autant que la suppression du joug national est réa­lisable dans la société capitaliste, elle n’est possible que lorsque l’État se trouve sous le régime d’une république démocratique conséquente, assurant l’égalité complète de toutes les nations et langues.

À toutes les nations composant la Russie doit être reconnu le droit de se séparer librement et de se constituer en États indépendants. Nier ce droit et ne pas prendre des mesures propres à garantir son application pratique, équivaut à soute­nir la politique de conquête ou d’annexions. Seule la recon­naissance par le prolétariat du droit des nations à se séparer assure la solidarité complète des ouvriers des différentes na­tions et favorise le rapprochement démocratique véritable des nations…

Il n’est pas permis de confondre la question du droit des nations à se séparer librement avec la question de l’utilité de se séparer pour telle ou telle nation, à tel ou tel moment. Ce dernier problème, le Parti du prolétariat doit le résoudre, dans chaque cas particulier, d’une façon absolument indépen­dante, en se plaçant au point de vue des intérêts de l’ensemble du développement social et des intérêts de la lutte de classe du prolétariat pour le socialisme.

Le Parti réclame une large autonomie régionale, la sup­pression de la surveillance s’exerçant d’en haut, l’abolition de la langue officielle obligatoire et la délimitation des frontières des régions autonomes ou s’administrant par leurs propres moyens, — la population locale elle-même devant tenir compte des conditions économiques et de vie, de la composition na­tionale de la population, etc.

Le parti du prolétariat rejette catégoriquement l’ « auto­nomie dite culturelle-nationale », c’est-à-dire le retrait — du res­sort de l’État — des œuvres scolaires, etc., et leur remise entre les mains de sortes de Diètes nationales. L’autonomie culturelle-nationale sépare artificiellement les ouvriers habitant la même localité, voire travaillant dans la même entreprise, selon leur appartenance à telle ou telle « culture nationale ».

C’est-à-dire qu’elle renforce la liaison des ouvriers avec la culture bourgeoise des différentes nations, cependant que la social-démocratie s’assigne comme tâche de renforcer la culture in­ternationale du prolétariat universel. Le Parti exige que soit inscrite dans la Constitution une loi fondamentale proclamant l’abrogation de tous les privilè­ges d’une nation quelconque, ainsi que toutes les atteintes aux droits des minorités nationales.

Les intérêts de la classe ouvrière exigent que les ouvriers de toutes les nationalités de Russie se rassemblent en des or­ganisations prolétariennes uniques — politiques, syndicales, coopératives, éducatives, etc. Seul un tel rassemblement des ouvriers des différentes nationalités dans des organisations uniques permet au prolétariat de mener une lutte victorieuse contre le capital international et le nationalisme bourgeois. » (Lénine, Œuvres choisies, t. II, pp. 52-53.)

C’est ainsi que la conférence d’Avril dénonça la ligne oppor­tuniste antiléniniste de Kaménev, Zinoviev, Piatakov, Boukharine, Rykov, et de leurs rares partisans.

La conférence suivit unanimement Lénine ; elle prit une po­sition nette sur toutes les questions importantes et s’orienta vers la victoire de la révolution socialiste.

3. Succès du Parti Bolchévik dans la capitale. Echec de l’offensive de l’armée du Gouvernement provisoire sur le front. répression de la manifestation de juillet des ouvriers et des soldats.

Fort des décisions de la conférence d’Avril, le Parti développa un travail considérable en vue de gagner les masses, de les éduquer et de les organiser pour la lutte. La ligne du Parti, dans cette période, consistait à expliquer patiemment la politique bolchevi­que, à dénoncer l’esprit de conciliation des menchéviks et des socialistes-révolulionnaires pour isoler ces partis des masses et con­quérir la majorité dans les Soviets.

Outre leur activité dans les Soviets, les bolchéviks faisaient un travail énorme dans les syndicats, dans les comités d’usine. Particulièrement importante était leur action dans l’armée. Des organisations militaires se constituaient partout.

Sur les fronts et à l’arrière, les bolchéviks travaillaient inlassablement à organiser les soldats et les matelots. Le journal bolchévik du front, Okopnaïa pravda [la Vérité des tranchées], contribuait puissamment à faire pénétrer l’esprit révolutionnaire chez les soldats. Grâce à ce travail de propagande et d’agitation des bolche­viks, les ouvriers, dès les premiers mois de la révolution, avaient dans un grand nombre de villes renouvelé les Soviets, notamment les Soviets de quartier, en débarquant les menchéviks et les so­cialistes-révolutionnaires et en élisant à leur place les partisans des bolchéviks.

Le travail des bolchéviks donnait d’excellents résultats, à Pétrograd surtout. Du 30 mai au 3 juin 1917 se tint la Conférence des comités d’usine de Pétrograd. Les trois quarts des délégués se rallièrent aux bolchéviks. La presque totalité du prolétariat de cette ville suivit le mot d’ordre bolchévik « Tout le pouvoir aux Soviets ! » Le 3 (16) juin 1917 se réunit le Ier congrès des Soviets de Rus­sie. Les bolchéviks étaient encore en minorité dans les Soviets ; ils ne comptaient qu’un peu plus de 100 délégués contre les 700 à 800 menchéviks, socialistes-révolutionnaires et autres.

Au Ier congrès des Soviets, les bolchéviks dénoncèrent résolu­ment l’entente funeste avec la bourgeoisie, ils dévoilèrent le carac­tère impérialiste de la guerre. Lénine prononça un discours où il démontrait la justesse de la ligne bolchévique ; il déclara que le pouvoir des Soviets pouvait seul donner le pain aux travailleurs, la terre aux paysans, obtenir la paix et tirer le pays de la ruine.

Une vaste campagne de masse se poursuivait à ce moment dans les quartiers ouvriers de Pétrograd pour organiser une ma­nifestation et présenter des revendications au congrès des Soviets. Mû par le désir de prévenir une manifestation spontanée des ou­vriers et par la volonté d’utiliser à ses fins propres l’esprit révolu­tionnaire des masses, le Comité exécutif du Soviet de Pétrograd décida de fixer la manifestation au 18 juin (1er juillet). Les men­chéviks et les socialistes-révolutionnaires espéraient que le mou­vement se déroulerait sous des mot3 d’ordre antibolchéviks. Energiquement, le Parti bolchévik prit ses dispositions en conséquence.

Le camarade Staline écrivit alors dans la Pravda : 

« Notre tâche est de faire eu sorte que la manifestation du 18 juin à Pétrograd se déroule sous nos mots d’ordre révolutionnaires. »

Le 18 juin 1917, les manifestants défilèrent devant la sépulture des victimes tombées pour la révolution et ce fut une véritable re­vue des forces du Parti bolchévik. Elle montra les progrès de l’es­prit révolutionnaire des masses et leur confiance grandissante dans le Parti bolchévik.

Les mots d’ordre des menchéviks et des socia­listes-révolutionnaires en faveur de la confiance au Gouvernement provisoire, de la nécessité de continuer la guerre, furent noyés dans la masse énorme des mots d’ordre bolchéviks. 400.000 ma­nifestants défilèrent avec des drapeaux portant les mots d’ordre : « À bas la guerre ! », « À bas les dix ministres capitalistes ! », « Tout le pouvoir aux Soviets ! »

C’était l’effondrement complet des menchéviks et des socia­listes-révolutionnaires, l’effondrement du Gouvernement provisoire dans la capitale.

Cependant, fort du soutien du Ier congrès des Soviets, le Gou­vernement provisoire avait décidé de poursuivre sa politique impérialiste. Dans cette même journée du 18 juin, docile à la volonté des impérialistes anglo-français, il jeta les soldats du front à l’attaque. La bourgeoisie voyait dans cette offensive la seule possibilité d’en finir avec la révolution. Elle espérait, en cas de succès, prendre en main tout le pouvoir, refouler les Soviets et écraser les bolchéviks. En cas d’insuccès, on pourrait rejeter toute la faute sur ces mêmes bolchéviks, en les accusant d’avoir décom­posé l’armée.

On pouvait être certain que l’offensive échouerait. C’est ce qui advint en effet. La fatigue des soldats, l’incompréhension où ils étaient des buts de l’offensive, leur défiance à l’égard d’un com­mandement qui leur était étranger, le manque de munitions et d’artillerie, toutes ces circonstances déterminèrent l’échec de l’of­fensive.

La nouvelle de l’offensive et de son échec émut toute la capi­tale. L’indignation des ouvriers et des soldats fut sans bornes. Il apparut qu’en proclamant une politique de paix, le Gouvernement provisoire avait trompé le peuple. Il apparut que le Gouvernement provisoire était pour la continuation de la guerre impérialiste. Il apparut que le Comité exécutif central des Soviets de Russie et le Soviet de Pétrograd n’avaient pas voulu ou n’avaient pas pu s’opposer aux agissements criminels du Gouvernement provisoire et s’étaient traînés à sa suite.

Le courroux révolutionnaire des ouvriers et des soldats de Pétrograd débordait. Le 3 (16) juillet, dans le quartier de Vyborg, des manifestations éclatent spontanément, qui durent toute la journée.

D’abord isolées, elles se transforment en une grandiose manifestation armée, sur le mot d’ordre de passage du pouvoir aux Soviets. Le Parti bolchévik était contre une action armée à ce moment-là ; il considérait que la crise révolutionnaire n était pas encore mûre, que Tannée et la province n’étaient pas encore prêtes à soutenir l’insurrection de la capitale ; qu’une insurrection isolée et prématurée dans Pétrograd ne pouvait qu’aider la contre-révolution à écraser l’avant-garde de la révolution.

Mais lorsqu’il devint évident qu’il était impossible d’empêcher les masses de manifester, le Parti bolchévik décida de prendre part à la mani­festation afin de lui donner un caractère pacifique et organisé. Et le Parti réussit : des centaines de milliers de manifestants se dirigèrent vers le siège du Soviet de Pétrograd et du Comité exécutif central des Soviets de Russie ; ils demandaient aux So­viets de prendre le pouvoir en main, de rompre avec la bourgeoi­sie impérialiste et de faire une politique de paix active.

Malgré le caractère pacifique de la manifestation, des détache­ments réactionnaires de junkers [élèves-officiers] et d’officiers furent lancés contre les manifestants. Les rues de Pétrograd furent inondées du sang des ouvriers et des soldats. Pour mater les ouvriers, on avait mandé du front les formations les plus incultes, les plus contre-révolutionnaires.

Quand ils eurent réprimé la manifestation des ouvriers et des soldats, menchéviks et socialistes-révolutionnaires, alliés à la bourgeoisie et aux généraux gardes-blancs, s’abattirent sur le Parti bolchévik. Les locaux de la rédaction de la Pravda sont saccagés. On interdit la Pravda, la Soldatskaïa Pravda [la Vérité des sol­dats} et nombre d’autres journaux bolchéviks.

L’ouvrier Voïnov, pour le seul fait d’avoir vendu le Listok Pravdy [Feuille de véri­té], est abattu dans la rue par les junkers. On commence à désarmer les gardes rouges. Les unités révolutionnaires de la garnison sont retirées de la capitale et envoyées au front. On opère des arrestations à l’arrière et sur le front. Le 7 juillet, un mandat d’arrêt est lancé contre Lénine.

Plusieurs militants bol­chéviks en vue sont arrêtés. L’imprimerie « Troud » [le Travail], où se tiraient les publications bolchéviques est mise à sac. Un communiqué du procureur de Pétrograd annonce que Lénine et plusieurs autres bolchéviks sont déférés en justice pour « haute trahison » et pour organisation de l’insurrection armée. L’accusation contre Lénine avait été fabriquée de toutes pièces à l’état-major du général Dénikine, avec des dépositions de mouchards et d’agents provocateurs.

C’est ainsi que le Gouvernement provisoire de coalition, dont faisaient partie des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires en vue, tels que Tsérételi et Skobélev, Kérenski et Tchernov, roulait dans le bourbier de l’impérialisme et de la contre-révolu­tion déclarée. Au lieu d’une politique de paix, le Gouvernement pratiquait une politique visant à continuer la guerre. Au lieu de sauvegarder les droits démocratiques du peuple, il pratiquait une politique visant a supprimer ces droits et à mater par les armes les ouvriers et les soldais.

Ce que les représentants de la bourgeoisie Goulchkov et Milioukov n’avaient osé faire, les « socialistes » Kérenski et Tséré­teli, Tchernov et Skobélev, l’osaient. La dualité de pouvoir avait pris fin. Elle s’était terminée en faveur de la bourgeoisie, puisque tout le pouvoir était passé aux mains du Gouvernement provisoire et que les Soviets, avec leur direction menchévique et socialiste-révolutionnaire, s’étaient transformés en appendice du Gouver­nement.

C’en était fait de la période pacifique de la révolution, puisqu’on avait mis la baïonnette à l’ordre du jour. En présence d’une situation modifiée, le Parti bolchévik déci­da de modifier sa tactique. Il passa au travail clandestin, cacha soigneusement dans l’illégalité son chef Lénine et se prépara à l’insurrection pour renverser par les armes le pouvoir de la bourgeoisie et instaurer le pouvoir des Soviets.

4. Le Parti bolchévik s’oriente vers la préparation de l’insurrection armée. Le VIe congrès du Parti.

C’est dans les conditions d’une incroyable campagne d’excitation de la presse bourgeoise et petite-bourgeoise que se réunit à Pétrograd le Vie congrès du Parti bolchévik. Il se réunissait dix ans après le Ve congrès de Londres et cinq ans après la conférence bolchévique de Prague.

Les travaux du congrès se poursuivirent du 26 juillet au 3 août 1917, illégalement. Dans la presse on avait simplement annoncé la convocation du congrès, mais sans dire où il allait siéger. Les premières séances eurent lieu dans le quartier de Vyborg. Les dernières, dans un bâtiment scolaire, près de la porte de Narva, là où s’élève aujourd’hui une Maison de la culture. La presse bourgeoisie réclamait l’arrestation des congressistes. Les limiers de la police étaient sur les dents ; peine perdue : ils ne purent repérer le lieu où se tenait le congrès.

Ainsi, cinq mois après le renversement du tsarisme, les bolchéviks étaient obligés de se réunir clandestinement et Lénine, chef du parti prolétarien, se voyait contraint de se cacher dans une hutte de branchages, près de la station Razliv.

Traqué par les limiers du Gouvernement provisoire, il n’avait pu assister au congrès, mais il le dirigea du fond de sa retraite par l’intermédiaire de ses compagnons d’armes et disciples de Pétrograd : Staline, Sverdlov, Molotov, Ordjonikidzé.

Il y avait au congrès 157 délégués avec voix délibérative et 128 avec voix consultative. Le Parti comptait à l’époque près de 240 000 adhérents. Le 3 juillet, c’est-à-dire avant l’écrasement de la manifestation ouvrière, alors que l’action des bolchéviks était encore légale, le Parti possédait 41 organes de presse : 29 en russe et 12 dans les autres langues.

Les persécutions engagées dans les journées de juillet contre les bolchéviks et la classe ouvrière, loin de diminuer l’influence de notre Parti, l’avaient au contraire augmentée. Les délégués des organisations locales rapportèrent une quantité de faits témoignant que les ouvriers et les soldats abandonnaient en masse les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, qu’ils traitaient avec mépris de « social-geôliers ». Les ouvriers et les soldats membres des partis menchévik et socialiste-révolutionnaire déchiraient leurs cartes d’adhérents ; la malédiction aux lèvres, ils abandonnaient leur parti et venaient demander aux bolchéviks de les accepter dans leurs rangs.

Les questions essentielles du congrès furent le rapport politique du Comité central et la situation politique. Dans ces rapports, le camarade Staline montra avec toute la précision voulue que, malgré les efforts de la bourgeoisie pour écraser la révolution, celle-ci montait, se développait. Il montra que la révolution posait une série de problèmes : application du contrôle ouvrier sur la production et la répartition des produits ; remise de la terre aux paysans, remise du pouvoir détenu par la bourgeoisie aux mains de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre. Il déclara que par son caractère, la révolution devenait socialiste.

La situation politique du pays s’était nettement modifiée depuis les journées de juillet. Plus de dualité de pouvoir. Les Soviets avec leur direction menchévique et socialiste-révolutionnaire avaient refusé de prendre tout le pouvoir. Voilà pourquoi les Soviets étaient devenus impuissants.

Le pouvoir s’était concentré dans les mains du Gouvernement provisoire bourgeois, qui continuait à désarmer la révolution, à saccager ses organisations, à saccager le Parti bolchévik. Les possibilités de développement pacifique de la révolution avaient disparu. Il ne reste qu’une chose, dit le camarade Staline : prendre le pouvoir par la force en renversant le Gouvernement provisoire. Mais prendre le pouvoir par la force, cela n’est possible qu’au prolétariat allié aux pauvres de la campagne.

Les Soviets, toujours dirigés par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, avaient glissé dans le camp de la bourgeoisie et, dans la situation actuelle, ils ne pouvaient que faire figure d’auxiliaires du Gouvernement provisoire.

Depuis les journées de juillet, dit le camarade Staline, le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux Soviets » devait être retiré. Cependant, le retrait momentané de ce mot d’ordre ne signifiait nullement l’abandon de la lutte pour le pouvoir des Soviets. Il ne s’agissait pas des Soviets en général, organes de la lutte révolutionnaire, mais uniquement des soviets d’alors, qui étaient dirigés par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires.

« La période pacifique de la révolution a pris fin, déclara le camarade Staline ; la période non pacifique est venue, la période des engagements et des explosions… » (Procès verbaux du Vie congrès du P.O.S.D.R., p111, éd. Russe.)

Le Parti s’orientait vers l’insurrection armée.

Mais il se trouva au congrès des gens qui, traduisant l’influence de la bourgeoisie, s’élevèrent contre l’orientation vers la révolution socialiste.

Le trotskiste Préobrajenski proposa, dans la résolution sur la conquête du pouvoir, d’indiquer qu’on ne pourrait diriger le pays dans la voie socialiste que si la révolution prolétarienne éclatait en Occident.

Contre cette proposition trotskiste s’éleva le camarade Staline :

« La possibilité n’est pas exclue, dit le camarade Staline, que la Russie soit justement le pays qui fraye la voie au socialisme… Il faut rejeter loin de nous cette idée périmée que seule l’Europe peut nous montrer le chemin. Il existe un marxisme dogmatique et un marxisme créateur. Je me place sur le terrain de ce dernier. » (Ibidem, pp. 233-234.)

Boukharine, qui se plaçait sur les positions trotskistes, soutint que les paysans étaient d’humeur patriotarde, qu’ils faisaient bloc avec la bourgeoisie et ne suivraient pas la classe ouvrière.

Dans sa réplique à Boukharine, le camarade Staline indiqua que les paysans diffèrent : il y a des paysans coccus qui soutiennent la bourgeoisie impérialiste, et il y a la paysannerie pauvre qui recherche une alliance avec la classe ouvrière et la soutiendra dans sa lutte pour la victoire de la révolution.

Le congrès repoussa les amendements de Préobrajenski et de Boukharine et approuva le projet de résolution du camarade Staline.

Le congrès discuta et approuva la plate-forme économique des bolchéviks. Ses points essentiels étaient : confiscation de la terre des grands propriétaires fonciers et nationalisation de toutes les terres dans le pays ; nationalisation des banques, nationalisation de la grande industrie, contrôle ouvrier sur la production et la répartition.

Le congrès souligna l’importance de la lutte pour le contrôle ouvrier sur la production, contrôle qui sera d’une importance considérable lors du passage à la nationalisation de la grande industrie.

Dans toutes ses décisions, le VIe congrès souligne avec force la thèse de Lénine sur l’alliance du prolétariat et de la paysannerie pauvre comme condition de la victoire de la révolution socialiste.

Le congrès condamna la théorie menchévique de la neutralité des syndicats. Il montra que les tâches importantes qui attendaient la classe ouvrière de Russie, ne pouvaient être accomplies que si les syndicats demeuraient des organisations de classe combatives, reconnaissant la direction politique du Parti bolchévik.

Le congrès adopta une résolution sur les « Unions de la jeunesse » qui, à l’époque, surgissaient souvent de façon spontanée. Par son travail ultérieur, le Parti a su faire de ces organisations de jeunes la réserve de ses forces.

Le congrès discuta si Lénine devait se présenter à la justice. Kaménev, Rykov, Trotski et d’autres estimaient, dès avant le congrès, que Lénine devait comparaître devant le tribunal des contre-révolutionnaires. Le camarade Staline s’éleva résolument contre la comparution de Lénine. Le VIe congrès se prononça dans le même sens, estimant qu’on ne procèderait pas à un jugement, mais à un règlement de comptes. Le congrès ne doutait pas que la bourgeoisie ne voulut qu’une chose : supprimer physiquement Lénine, son ennemi le plus dangereux. Le congrès protesta énergiquement contre la persécution policière des chefs du prolétariat révolutionnaire par la bourgeoisie et envoya un message de salutations à Lénine.

Le VIe congrès adopta de nouveaux statuts pour le Parti. Ces statuts indiquaient que toutes les organisations du Parti devaient être basées sur le principe du centralisme démocratique.

Cela signifiait :

1° Election de tous les organismes dirigeants du Parti, du sommet à la base ;
2° Comptes rendus périodiques des organismes du Parti devant leurs organisations respectives ;
3° Discipline rigoureuse dans le parti et soumission de la minorité à la majorité ;
4° Caractère strictement obligatoire des décisions des organismes supérieurs pour les organismes inférieurs ainsi que pour tous les membres du Parti.

Les statuts disaient que les adhésions au parti sont acceptées par les organisations de base sur recommandation de deux membres du Parti et après confirmation par l’assemblée générale des membres de l’organisation intéressée.

Le VIe congrès accepta dans le Parti les « mejrayontsy » [interrayons], avec leur leader Trotski. Ce petit groupe qui existait à Pétrograd depuis 1913, était composé de menchéviks trotskistes et d’un certain nombre d’anciens bolchéviks qui avaient abandonné le Parti.

Pendant la guerre, les « mejrayontsy » s’étaient affirmés comme une organisation centriste. Ils luttaient contre les bolchéviks, mais ils étaient aussi, sur bien des points, en désaccord avec les menchéviks, occupant ainsi une position intermédiaire, centriste, hésitante. Au VIe congrès du Parti, les « mejrayontsy » se déclarèrent d’accord en tous points avec les bolchéviks ; ils demandèrent à être admis au Parti. Le congrès donna suite à leur demande, pensant qu’ils pourraient avec le temps devenir de véritables bolchéviks. En effet, certains « mejrayontsy », par exemple, Volodarski, Ouritski, d’autres encore sont devenus par la suite des bolchéviks.

Quant à Trotski et certains de ses proches amis, ils étaient entrés dans le Parti, comme on l’a su plus tard, non pour travailler au profit du Parti, mais pour le disloquer, le faire sauter du dedans.

Toutes les décisions du VIe congrès visaient à préparer le prolétariat et la paysannerie pauvre à l’insurrection armée. Le congrès aiguilla le Parti sur l’insurrection armée, sur la révolution socialiste.

Le manifeste lancé par le congrès au nom du parti appelait les ouvriers, les soldats, les paysans, à se préparer aux combats décisifs contre la bourgeoisie. Il se terminait par ces mots :

« Préparez-vous aux nouvelles batailles, camarades de combat ! Avec fermeté, courage et calme, sans vous laisser prendre à la provocation, accumulez les forces, formez-vous en colonnes de combat ! Sous le drapeau du parti, prolétaires et soldats ! Sous notre drapeau, opprimés des campagnes ! »

5. Complot du général Kornilov contre la Révolution. Ecrasement du complot. Les Soviets de Pétrograd et de Moscou se rangent aux côtés des bolchéviks.

Une fois maîtresse du pouvoir, la bourgeoisie se prépara à écraser les Soviets, devenus impuissants, et à établir une dicta­ture contre-révolutionnaire déclarée. Le millionnaire Riabouchinski eut le cynisme de déclarer que la seule issue à la situation était, selon lui, « que la main décharnée de la famine, la misère du peuple prenne à la gorge les faux amis du peuple, les Soviets et Comités démocratiques ». Au front sévissaient les cours martiales et la peine de mort pour les soldats ; le 3 août 1917, le général en chef Kornilov exigea que la peine de mort fût rétablie également à l’arrière.

Le 12 août s’ouvrit à Moscou, au Grand Théâtre, la confé­rence d’État convoquée par le Gouvernement provisoire, en vue de mobiliser les forces de la bourgeoisie et des propriétaires fon­ciers. À la conférence assistaient principalement les représentants des grands propriétaires fonciers, de la bourgeoisie, des généraux, des officiers, des cosaques. Les Soviets y étaient représentés par des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires.

Le jour de l’ouverture de la Conférence d’État, les bolche­viks organisèrent à Moscou, en signe de protestation, une grève générale qui engloba la majorité des ouvriers. Des grèves eurent lieu également dans plusieurs autres villes.

Le socialiste-révolutionnaire Kérenski, vrai tranche-monta­gne, menaça dans son discours à la conférence de réprimer « par le fer et dans le sang » toutes les tentatives de mouvement révolu­tionnaire, y compris celles des paysans pour enlever d’autorité les terres des grands propriétaires fonciers. Quant au général contre-révolutionnaire Kornilov, il exigeait, sans plus, « la suppression des Comités et des Soviets ».

Et ce fut, au Grand Quartier Général, un pèlerinage de ban­quiers, de gros négociants, de fabricants, venant offrir à Kor­nilov leur argent et leur appui. On vit également arriver chez le général Kornilov les repré­sentants des « alliés », c’est-à-dire de l’Angleterre et de la France, pour exiger que 1’on hâtât l’offensive contre la révolution. On s’acheminait vers le complot contre-révolutionnaire du général Kornilov.

Ce complot se préparait ouvertement. Pour détourner l’atten­tion, les conspirateurs avaient fait courir le bruit que les bolche­viks préparaient une insurrection à Pétrograd pour le 27 août, à l’occasion des six mois de la révolution. Le Gouvernement provi­soire, Kérenski en tête, fondit sur les bolchéviks, renforça la terreur contre le Parti du prolétariat. De son côté, le général Kornilov rassembla des troupes pour marcher sur Pétrograd, anéantir les Soviets et former un gouvernement à dictature mili­taire.

Kornilov s’était d’abord abouché avec Kérenski pour son coup de force contre-révolutionnaire. Mais, au dernier moment, Ké­renski fit brusquement volte-face, se désolidarisant de son com­plice. Il craignait que les masses populaires, dressées contre la réaction Kornilov pour l’écraser, ne balaient du même coup le gouvernement bourgeois, si ce dernier ne se désolidarisait pas aussitôt de Kornilov.

Le 25 août, Kornilov dépêcha sur Pétrograd le 3e corps de cavalerie, sous les ordres du général Krymov, en proclamant son intention de « sauver la patrie ». En réponse à la rébellion Kor­nilov, le Comité central du Parti bolchévik appelle les ouvriers et les soldats à infliger une énergique riposte armée à la contre-ré­volution. Les ouvriers s’arment rapidement et se préparent à la riposte. En ces jours-là, les détachements de gardes rouges voient leurs effectifs augmenter de plusieurs fois. Les syndicats mobili­sent leurs adhérents. Les formations militaires révolutionnaires de Pétrograd se tiennent prêtes au combat.

Autour de Pétrograd on creuse des tranchées, on pose des fils de fer barbelés, on démonte les voies ferrées. Plusieurs milliers de matelots armés arrivaient de Cronstadt pour défendre la capitale. On envoya des délégués au-devant de la « division sauvage » qui marchait sur Pétrograd  ;quand ils eurent expliqué aux soldats — des montagnards du Caucase — le vrai sens du coup de force Kornilov, la « division sauvage » refusa de marcher sur Pétrograd !

Des agitateurs furent également envoyés dans les autres formations de Kornilov. Partout où il y avait du danger, on créait des comités révolutionnaires et des états-majors de lutte contre Kornilov.

Saisis d’une frayeur mortelle, les leaders menchéviks et so­cialistes-révolutionnaires, y compris Kérenski, cherchèrent au cours de ces journées protection auprès des bolchéviks ; ils s’étaient convaincus que les bolchéviks étaient dans la capitale la seule force réelle qui fût capable de battre Kornilov. Mais, en mobilisant les masses pour écraser Kornilov, les bol­chéviks n’abandonnaient point leur lutte contre le gouvernement Kérenski. Ils dénonçaient aux masses le gouvernement de Kéren­ski, des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires, qui par toute leur politique favorisaient objectivement le complot contre-révolutionnaire de Kornilov.

Grâce à toutes ces mesures, le coup de force Kornilov est écrasé. Le général Krymov se suicide. Kornilov et ses acolytes, Dénikine et Loukomski, sont arrêtés. (Au reste, Kérenski les fera bientôt remettre en liberté.)

L’écrasement de l’aventure Kornilov révéla d’un coup le rap­port des forces entre la révolution et la contre-révolution. Il mon­tra que tout le camp de la contre-révolution était condamné, de­puis les généraux et le parti cadet jusqu’aux menchéviks et aux socialistes-révolutionnaires empêtrés dans les rets de la bourgeoi­sie.

Il devint évident que la politique de continuation d’une guerre accablante ainsi que la ruine économique que cette politique en­gendrait, avaient définitivement compromis leur influence sur les masses populaires. L’écrasement de Kornilov montra encore que le Parti bolchévik avait grandi et était devenu la force décisive de la révo­lution, la force capable de battre en brèche les pires menées de la contre-révolution.

Notre Parti n’était pas encore un parti gouvernant, mais lors du coup de force Kornilov, il s’affirma comme la véritable force gouvernante, puisque les ouvriers et les soldats exécutaient ses directives sans hésiter. L’écrasement de Kornilov montra enfin que les Soviets, qui semblaient morts, recélaient une force immense de résistance ré­volutionnaire. Il était hors de doute que c’étaient les Soviets et leurs comités révolutionnaires qui avaient barré la route aux trou­pes de Kornilov dont ils avaient entamé les forces. La lutte contre Kornilov ranima les Soviets des députés ou­vriers et soldats ; elle les libéra des entraves de la politique de conciliation ; elle leur fit trouver la grand’route de la lutte révo­lutionnaire et les orienta vers le Parti bolchévik.

L’influence des bolchéviks dans les Soviets grandissait plus que jamais. De même, l’influence des bolchéviks augmentait rapidement à la campagne.

La rébellion Kornilov avait montré aux grandes masses pay­sannes que les propriétaires fonciers et les généraux, une fois les bolchéviks et les Soviets écrasés, s’en prendraient à la pay­sannerie. C’est pourquoi les grandes masses de paysans pauvres se groupèrent de plus en plus étroitement autour des bolchéviks.

Quant aux paysans moyens dont les hésitations avaient freiné le progrès de la révolution dans la période d’avril à août 1917, ils commencèrent après l’écrasement de Kornilov à se tourner déli­bérément vers le Parti bolchévik, en rejoignant la masse des pay­sans pauvres. Les grandes masses paysannes se rendaient compte peu à peu que seul le Parti bolchévik pouvait les débarrasser de la guerre, que seul il était capable de terrasser les propriétaires fonciers et était disposé à remettre la terre aux paysans. Les oc­cupations de terres seigneuriales par les paysans se multipliaient énormément en septembre et octobre 1917.

Le labourage effectué d’autorité sur ces terres par les paysans se généralisait dans le pays entier. Exhortations et expéditions punitives ne pouvaient plus arrêter les paysans dressés pour la révolution.

La révolution montait.

El ce fut une période d’animation et de renouvellement des So­viets, la période de leur bolchévisation.Fabriques, usines, for­mations militaires, en renouvelant leurs députés, envoient aux Soviets, à la place des menchéviks et des socialistes-révolutionnai­res, des représentants du Parti bolchévik. Le 31 août, au lende­main de la victoire remportée sur Kornilov, le Soviet de Pétrograd se prononce pour la politique bolchévique. L’ancien bureau menchévik et socialiste-révolutionnaire du Soviet de Pétrograd, Tchkhéidzé en tête, démissionne, cédant la place aux bolchéviks. Le 5 septembre, le Soviet des députés ouvriers de Moscou se rallia aux bolchéviks. Le bureau menchévik et socialiste-révolutionnaire du Soviet de Moscou démissionne également, cédant le pas aux bolchéviks.

C’était la preuve que les conditions essentielles, nécessaires pour une insurrection victorieuse, étaient venues à maturité. Et de nouveau « Tout le pouvoir aux Soviets ! » s’inscrit à l’ordre du jour.

Mais ce n’est plus le vieux mot d’ordre de remise du pou­voir aux Soviets menchéviks et socialistes-révolutionnaires. Non, c’est le mot d’ordre d’insurrection des Soviets contre le Gou­vernement provisoire, pour que la plénitude du pouvoir dans le pays passe aux Soviets dirigés par les bolchéviks. Au sein des partis de conciliation règne le désarroi.

Sous la poussée des paysans d’esprit révolutionnaire, une aile gauche se forme parmi les socialistes-révolutionnaires, savoir les socialistes-révolutionnaires « de gauche » ; ceux-ci expriment leur mécontentement de la politique de conciliation avec la bourgeoisie.

Chez les menchéviks, se forme à son tour un groupe de « gau­ches » dits « internationalistes », qui penchent vers les bolchéviks.

Quant aux anarchistes, groupe assez insignifiant déjà par son influence, ils se disloquent définitivement en groupuscules, dont les uns se confondent avec les éléments criminels, — voleurs cl agents provocateurs, — des bas-fonds de la société ; les autres se font expropriateurs « idéalistes », ils pillent les paysans et les petites gens de la ville, confisquent les locaux des clubs ouvriers, leurs économies ; les troisièmes enfin se jettent ouvertement dans le camp des contre-révolutionnaires pour organiser leur vie per­sonnelle dans les arrière-cours de la bourgeoisie. Mais tous s’affir­ment contre tout pouvoir, y compris et surtout contre le pouvoir révolutionnaire des ouvriers et des paysans, convaincus qu’ils sont que le pouvoir révolutionnaire ne leur permettra pas de spolier le peuple et de dilapider son avoir.

Après l’écrasement de Kornilov, les menchéviks et les socia­listes-révolutionnaires firent une nouvelle tentative pour affaiblir l’essor révolutionnaire de plus en plus vigoureux. C’est à cet effet qu’ils réunirent le 12 septembre 1917 une Conférence démocrati­que de Russie, composée des représentants des partis socialistes, des Soviets conciliateurs, des syndicats, des zemstvos, des cercles industriels et commerçants et de l’armée.

La Conférence désigna dans son sein un Préparlement (Conseil provisoire de la Répu­blique). Les conciliateurs pensaient pouvoir, à l’aide de ce Prépar­lement, arrêter la révolution et faire passer le pays du chemin de la révolution soviétique dans la voie du développement constitu­tionnel bourgeois, dans la voie du parlementarisme bourgeois. Vai­ne tentative de politiciens banqueroutiers pour faire tourner à rebours la roue de la révolution. Cette tentative devait échouer lamentablement, et c’est bien ce qui arriva. Les ouvriers se mo­quèrent des exercices parlementaires des conciliateurs. Pour rire, ils baptisèrent le Préparlement du nom d’ « avant-bain ».

Le Comité central du Parti bolchévik décida de boycotter le Préparlement. Il est vrai que la fraction bolchévique de ce dernier, où siégeaient des hommes tels que Kaménev et Théodorovitch, ne voulait pas quitter l’enceinte du Préparlement. Mais le Comité central du Parti l’y obligea. C’est avec le souci de détourner le Parti des préparatifs de l’insurrection que Kaménev et Zinoviev insistaient pour la participation au Préparlement.

À une séance do la fraction bolchevi­que de la Conférence démocratique de Russie, le camarade Sta­line s’éleva résolument contre cette participation. Il qualifia le Préparlement de « fausse-couche du kornilovisme ».

Lénine et Staline considéraient comme une faute grave mê­me une participation de courte durée au Préparlement, car cette participation pouvait faire naître parmi les masses l’illusion que le Préparlement était effectivement capable de faire quelque chose pour les travailleurs. En même temps les bolchéviks préparaient avec insistance la convocation du IIe congrès des Soviets, où ils comptaient recueil­lir la majorité. Sous la poussée des Soviets bolchéviks et malgré tous les subterfuges des menchéviks et des socialistes-révolution­naires installés au Comité exécutif central de Russie, le IIe congrès des Soviets fut fixé à la seconde quinzaine d’octobre 1917.

6. Insurrection d’Octobre à Pétrograd et arrestation du Gouvernement provisoire. IIe congrès des Soviets et formation du gouvernement soviétique. Les décrets du IIe congrès des Soviets sur la paix et sur la terre. La révolution socialiste triomphe. Les causes de la victoire de la Révolution socialiste.

Les bolchéviks se préparaient énergiquement à l’insurrection. Lénine indiquait que les bolchéviks, ayant recueilli la majorité dans les Soviets des députés ouvriers et soldats des deux capitales, — Moscou et Pétrograd, — pouvaient et devaient prendre le pouvoir en main. En dressant le bilan des progrès accomplis, Lénine soulignait : « La majorité du peuple est pour nous ». Dans ses articles et ses lettres au Comité central et aux organisations bolchéviques, Lénine donnait le plan concret de l’insurrection : comment utiliser les unités militaires, la flotte et les gardes rouges ; quels étaient les points décisifs dont il fallait s’emparer à Pétrograd pour assurer le succès de l’insurrection, etc.

Le 7 octobre, Lénine arriva illégalement de Finlande à Pétrograd. Le 10 octobre se tint la séance historique du Comité central du Parti, qui décida de déclencher prochainement l’insurrection armée. La résolution historique du Comité central du Parti, rédigée par Lénine, portait :

« Le Comité central reconnaît que la situation internationale de la révolution russe (insurrection dans la flotte allemande comme manifestation extrême de la croissance, dans toute l’Europe, de la révolution socialiste mondiale ; menace du monde impérialiste d’étrangler la révolution russe), ainsi que la situation militaire (décision indéniable de la bourgeoisie russe et de Kérenski et consorts, de livrer Pétrograd aux Allemands), de même que la conquête de la majorité dans les Soviets par le Parti du prolétariat, — tout cela joint au soulèvement paysan et au revirement de confiance populaire en faveur de notre Parti (élections de Moscou) ; enfin, la préparation manifeste d’une deuxième aventure Kornilov (retrait des troupes de Pétrograd, transport de cosaques sur cette ville, encerclement de Minsk par les cosaques, etc.), — tous ces faits mettent à l’ordre du jour l’insurrection armée.

Reconnaissant ainsi que l’insurrection armée est inévitable et arrivée à pleine maturité, le Comité central invite toutes les organisations du Parti à s’inspirer de ce fait et à examiner et résoudre de ce point de vue toutes les questions pratiques (congrès des Soviets de la région du Nord, retrait des troupes de Pétrograd, actions de Moscou et de Minsk, etc.). » (Lénine, Œuvres choisies, t. II, p. 154.)

Contre cette décision historique se sont élevés et ont voté deux membres du comité central, Kaménev et Zinoviev. De même que les menchéviks, ils rêvaient d’une république parlementaire bourgeoise et calomniaient la classe ouvrière en soutenant qu’elle manquait de forces pour faire la révolution socialiste, qu’elle n’était pas encore suffisamment mûre pour prendre le pouvoir.

À cette séance, Trotski ne vota pas directement contre la résolution, mais il présenta un amendement qui devait faire échouer, réduire à néant l’insurrection. Il proposa de ne pas commencer l’insurrection avant l’ouverture du IIecongrès des Soviets : c’eût été faire traîner en longueur l’insurrection, en annoncer d’avance la date, avertir le Gouvernement provisoire.

Le Comité central du Parti bolchévik envoya des délégués dans le bassin du Donetz, dans l’Oural, à Helsingfors, à Cronstadt, sur le front sud-ouest, etc., pour organiser l’insurrection en province. Les camarades Vorochilov, Molotov, Dzerjinski, Ordjonikidzé, Kirov, Kaganovitch, Kouibychev, Frounzé, Iaroslavski, d’autres encore, furent spécialement chargés par le Parti de diriger l’insurrection en province.

Dans l’Oural, à Chadrinsk, le camarade Jdanov menait l’action dans l’armée. Les délégués du Comité central initiaient au plan d’insurrection les dirigeants des organisations bolchéviques locales et les alertaient pour soutenir l’insurrection de Pétrograd.

Sur les indications du Comité central du parti, on créa un Comité militaire révolutionnaire près le Soviet de Pétrograd, et il devint l’état-major reconnu de l’insurrection.

Cependant, la contre-révolution, elle aussi, rassemblait en hâte ses forces. On vit se constituer une union contre-révolutionnaire dite « Union des officiers ». Partout les contre-révolutionnaires créaient des états-majors pour la formation de bataillons de choc. Fin octobre, la contre-révolution disposait de 43 bataillons de choc. On avait crée des bataillons entièrement composés de chevaliers de Saint-Georges.

Le gouvernement de Kérenski posa la question du transfert du gouvernement à Moscou. Signe qu’il préparait a reddition de Pétrograd aux Allemands, pour conjurer l’insurrection dans la capitale. La protestation des ouvriers et des soldats de la garnison força le Gouvernement provisoire à rester à Pétrograd.

Le 16 octobre se tint une séance élargie du Comité central du Parti. Elle élut un Centre du Parti pour diriger l’insurrection, avec le camarade Staline à sa tête. Ce fut ce centre, noyau dirigeant du Comité militaire révolutionnaire près le Soviet de Pétrograd, qui guida pratiquement l’insurrection.

Pendant la séance du Comité central, les capitulards Zinoviev et Kaménev s’élevèrent de nouveau contre l’insurrection. Remis à leur place, ils décidèrent de se prononcer publiquement, dans la presse, contre l’insurrection, contre le Parti. Le 18 octobre, le journal menchévik Novaïa Jizn [Vie nouvelle] publiait une déclaration de Kaménev et de Zinoviev sur la préparation par les bolchéviks d’une insurrection qu’ils considéraient, eux, comme une aventure. Ainsi, Kaménev et Zinoviev révélaient à l’ennemi que le Comité central avait décidé de déclencher l’insurrection, de l’organiser à bref délai.

C’était une trahison. Lénine a écrit à ce propos : « Kaménev et Zinoviev ont livré à Rodzianko et à Kérenski la décision du Comité central de leur Parti sur l’insurrection armée. » Lénine posa devant le Comité central la question de l’exclusion de Zinoviev et de Kaménev du Parti.

Avertis par les traîtres, les ennemis de la révolution prennent aussitôt des mesures pour prévenir l’insurrection et écraser le Parti bolchévik, état-major de la révolution. Le Gouvernement provisoire tient une séance secrète, où il décide des mesures à prendre pour combattre les bolchéviks. Le 19 octobre, le Gouvernement provisoire mande d’urgence à Pétrograd des troupes du front.

Des patrouilles renforcées circulent dans les rues. La contre-révolution avait réussi à concentrer à Moscou des forces particulièrement importantes. Le Gouvernement provisoire avait dressé son plan : un jour avant l’ouverture du IIe congrès des Soviets, attaquer et occuper l’institut Smolny, siège du Comité central bolchévik et écraser le centre dirigeant bolchévik. À cet effet on avait amené de Pétrograd des troupes que le Gouvernement provisoire croyait sûres.

Mais les jours et les heures du Gouvernement provisoire étaient comptés. Aucune force ne pouvait plus arrêter la marche triomphale de la révolution socialiste.

Le 21 octobre, les bolchéviks dépêchent des commissaires du Comité militaire révolutionnaire dans toutes les unités révolutionnaires. Dans les jours qui précèdent l’insurrection, les unités militaires, les fabriques et les usines se préparent énergiquement au combat. Des tâches précises sont également assignées aux cuirassés Avrora [Aurore] et Zaria svobody [Aube de la liberté].

En séance du Soviet de Pétrograd, Trotski, par vantardise, livre à l’ennemi la date arrêtée par les bolchéviks pour déclencher l’insurrection. Afin d’empêcher le gouvernement Kérenski de faire échec à l’insurrection armée, le Comité central du Parti décide de la lancer et de l’accomplir plus tôt que le terme fixé, un jour avant l’ouverture du IIe congrès des Soviets 

Le 24 octobre (6 novembre), de grand matin, Kérenski commença à interdire l’organe central du Parti bolchévik Rabotchi pout [la Voix ouvrière] et par dépêcher des autos blindées aux portes de la rédaction du Rabotchi pout et de l’imprimerie des bolchéviks.

Mais vers 10 heures du matin, sur les indications du camarade Staline, les gardes rouges et les soldats révolutionnaires refoulaient les autos blindées et plaçaient un poste renforcé aux abords de l’imprimerie et de la rédaction du Rabotchi pout. Vers 11 heures du matin, le Rabotchi pout paraissait avec un appel à renverser le Gouvernement provisoire. En même temps, sur la directive du Centre du parti qui dirigeait l’insurrection, on faisait venir d’urgence à Smolny des détachements de soldats révolutionnaires et de gardes rouges.

L’insurrection avait commencé.

Le 24 octobre dans la nuit, Lénine arriva à Smolny et prend en mains la direction de l’insurrection. Toute la nuit, des unités de troupes révolutionnaires et des détachements de la Garde rouge affluent vers Smolny. Les bolchéviks les dirigent sur le centre de la capitale, pour investir le palis d’Hiver où le Gouvernement provisoire s’est retranché.

Le 25 octobre (7 novembre), la Garde rouge et les troupes révolutionnaires occupent les gares, la poste, le télégraphe, les ministères, la banque d’État.

Le préparlement est dissous.

Smolny, siège du Soviet de Pétrograd et du Comité central bolchévik, devient l’état-major de la révolution d’où partent les ordres de combat.

Les ouvriers de Pétrograd ont montré, en ces journées, qu’ils avaient été à bonne école sous la direction du Parti bolchévik. Les unités de troupes révolutionnaires, préparées à l’insurrection par l’action bolchévique, exécutaient fidèlement les ordres de combat et se battaient dans le coude à coude avec la Garde rouge. La flotte ne se laissa pas distancer par l’armée. Cronstadt était un bastion du Parti bolchévik où, depuis longtemps, l’autorité du Gouvernement provisoire n’était plus reconnue. Le 25 octobre, c’est le cuirassé Avrora qui, par le grondement de ses pièces pointées sur le Palais d’Hiver, proclama l’inauguration d’une ère nouvelle, l’ère de la grande Révolution socialiste.

Le 25 octobre (7 novembre), les bolchéviks publièrent un appel « Aux citoyens de Russie » annonçant que le Gouvernement provisoire bourgeois était déposé, que le pouvoir de l’État était passé aux Soviets.

Le Gouvernement provisoire s’était retranché dans le Palais d’Hiver, sous la protection des junkers et des bataillons de choc. Dans la nuit du 25 au 26 octobre, ouvriers, soldats et matelots révolutionnaires prirent d’assaut le Palais d’Hiver et mirent en état d’arrestation le Gouvernement provisoire.

L’insurrection armée de Pétrograd avait triomphé.

Le IIe congrès des Soviets de Russie s’ouvrit à Smolny, le 25 octobre (7 novembre) 1917, à 10 H. 45 du soir, alors que l’insurrection victorieuse battait son plein à Pétrograd et que le pouvoir, dans la capitale, se trouvait en fait aux mains du Soviet de Pétrograd.

Les bolchéviks avaient recueilli au congrès l’immense majorité. Menchéviks, bundistes et socialistes-révolutionnaires de droite, voyant qu’ils avaient fait leur temps, abandonnèrent le congrès en déclarant qu’ils refusaient de participer à ses travaux. Dans la déclaration dont ils donnèrent lecture, ils qualifiaient la Révolution d’Octobre de « complot militaire ». Le congrès stigmatisa les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires ; il marqua que non seulement il ne regrettait pas leur défection, mais qu’il s’en félicitait, puisque grâce au départ des traîtres le congrès devenait un véritable congrès révolutionnaire des députés ouvriers et soldats.

Le congrès proclama que le pouvoir passait entièrement aux mains des Soviets.

« Fort de la volonté de l’immense majorité des ouvriers, des soldats et des paysans, fort de l’insurrection victorieuse des ouvriers et de la garnison de Pétrograd, le congrès prend en mains le pouvoir », était-il dit dans l’appel du IIe congrès des Soviets.

Dans la nuit du 26 octobre (8 novembre) 1917, le IIe congrès des Soviets adopta le décret sur la paix. Le congrès invitait les pays belligérants à conclure sur-le-champ un armistice d’au moins trois mois pour engager les pourparlers de paix. Tout en faisant appel aux gouvernements et aux peuples de tous les pays belligérants, le congrès s’adressait aussi aux « ouvriers conscients des trois nations les plus avancées de l’humanité et des plus grands États participant à la guerre présente : l’Angleterre, la France et l’Allemagne ».

Il en appelait au concours de ces ouvriers « pour faire aboutir l’œuvre de paix et du même coup l’œuvre d’affranchissement des masses travailleuses et exploitées, de tout esclavage et de toute exploitation ».

La même nuit, le IIe congrès des Soviets adopta un décret sur la terre, en vertu duquel le « droit de propriété des grands propriétaires fonciers sur la terre était aboli immédiatement, sans aucune indemnité ». Cette loi agraire s’inspirait d’un Mandat paysan général, établi sur la base de 242 mandats paysans locaux. Aux termes de ce Mandat, le droit de propriété privée sur la terre était aboli à jamais et remplacé par la propriété nationale, par la propriété de l’État sur la terre. Les terres des grands propriétaires fonciers, des apanages et des couvents étaient remises en jouissance gratuite à tous les travailleurs.

En vertu de ce décret, la paysannerie reçut de la Révolution socialiste d’Octobre plus de 150 millions de déciatines [1 déciatine = 1,092 ha] de terres nouvelles, qui jusqu’à présent étaient détenues par les grands propriétaires fonciers, la bourgeoisie, la famille impériale, les couvents, l’Eglise.

Les paysans furent libérés des annuités de fermage aux propriétaires fonciers pour une somme d’environ 500 millions de roubles-or.

Toutes les richesses du sous-sol (pétrole, charbon, minerai, etc.), les forêts et les eaux, devinrent propriété du peuple.

Enfin le IIe congrès des Soviets de Russie constitua le premier gouvernement des Soviets, le Conseil des commissaires du peuple. Celui-ci était entièrement formé de bolchéviks. Lénine fut élu président de ce premier Conseil des commissaires du peuple.

Ainsi se termina le IIe congrès historique des Soviets.

Les délégués rentrèrent chez eux pour répandre la nouvelle de la victoire des Soviets à Pétrograd et assurer l’extension du pouvoir des Soviets à l’ensemble du pays.

Ce n’est pas du premier coup ni partout que le pouvoir passa aux Soviets. Alors que le pouvoir soviétique existait déjà à Pétrograd, des batailles opiniâtres et acharnées se déroulèrent pendant plusieurs jours encore dans les rues de Moscou. Pour empêcher que le pouvoir passât aux mains du Soviet de Moscou, les partis de contre-révolution, — menchéviks et socialiste-révolutionnaire, — aidés des gardes blancs et des junkers engagèrent une lutte armée contre les ouvriers et les soldats. C’est seulement au bout de plusieurs jours que les rebelles furent battus et le pouvoir des Soviets instauré à Moscou.

À Pétrograd même, dans certains quartiers, des tentatives contre-révolutionnaires furent faites, dans les premiers jours qui suivirent la victoire de la révolution, pour renverser le pouvoir des Soviets. Kérenski, qui pendant l’insurrection s’était enfui de Pétrograd dans la zone du front nord, rassembla plusieurs formations cosaques placées sous les ordres du général Krasnov et le 10 novembre 1917, il les jeta sur Pétrograd.

Le 11 novembre 1917, une organisation contre-révolutionnaire, le « Comité du salut de la patrie et de la révolution », socialistes-révolutionnaires en tête, souleva à Pétrograd une révolte de junkers. Mais les rebelles furent battus sans trop de peine. En l’espace d’une seule journée, dans la soirée du 11 novembre, la mutinerie des junkers était liquidée par les matelots et les gardes rouges et le 13 novembre, le général Krasnov était mis en déroute près des hauteurs de Poulkovo.

Comme pendant l’insurrection d’Octobre, Lénine avait dirigé personnellement l’écrasement de l’émeute antisoviétique. Sa fermeté irréductible et sa calme certitude de la victoire inspiraient les masses, les soudaient. L’ennemi fut battu. Krasnov, fait prisonnier, donna sa « parole d’honneur » de ne plus lutter contre le pouvoir soviétique. C’est sur cette « parole d’honneur » qu’il fut relâché ; par la suite, Krasnov devait violer sa parole de général. Kérenski, déguisé en femme, put s’enfuir « dans une direction inconnue ».

À Moguilev, au Grand Quartier Général des armées, le général Doukhonine essaya également de déclencher une rébellion. Le gouvernement soviétique avait invité Doukhonine à négocier immédiatement l’armistice avec le commandement allemand : Doukhonine refusa d’obéir. Il fut destitué par ordre du pouvoir soviétique. Le G.Q.G. contre-révolutionnaire fut anéanti, et Doukhonine tué par les soldats qui s’étaient soulevés contre lui.

Une sortie fut également tentée contre le pouvoir des Soviets par les opportunistes bien connus à l’intérieur du Parti : Kaménev, Zinoviev, Rykov, Chliapnikov et autres. Ils demandaient la constitution d’un « gouvernement socialiste homogène », dont fissent partie les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires qui venaient d’être renversés par la Révolution d’Octobre. Le 15 novembre 1917, le Comité central du Parti bolchévik adopta une résolution repoussant l’accord avec ces partis contre-révolutionnaires ; Kaménev et Zinoviev furent proclamés traîtres à la Révolution.

Le 17 novembre, Kaménev, Zinoviev, Rykov, Milioutine, en désaccord avec la politique du Parti, déclarèrent de se retirer du Comité central. Le même jour, 17 novembre, Noguine, en son nom personnel et au nom de Rykov, V. Milioutine, Théodorovitch, A. Chliapnikov, D. Riazanov, Iourénev et Larine, qui faisaient partie du Conseil des commissaires du peuple, déclara qu’en désaccord avec la politique du Comité central du Parti, ils se retiraient du Conseil des commissaires du peuple. La désertion de cette poignée de lâches fit exulter les ennemis de la Révolution d’Octobre.

Toute la bourgeoisie et ses auxiliaires ricanaient, criaient à l’effondrement du bolchévisme, prophétisant la perte du Parti bolchévik. Mais cette poignée de déserteurs n’ébranla pas un seul instant le Parti. Le Comité central les stigmatisa avec mépris comme des déserteurs de la révolution et des auxiliaires de la bourgeoisie, et passa à l’ordre du jour.

Quant aux socialistes-révolutionnaires « de gauche », désireux de conserver leur influence dans les masses paysannes qui sympathisaient nettement avec les bolchéviks, ils avaient décidé de ne pas se brouiller avec les bolchéviks, de maintenir provisoirement le front unique avec eux. Le Congrès des Soviets paysans, tenu en novembre 1917, reconnut toutes les conquêtes de la Révolution socialiste d’Octobre et les décrets du pouvoir soviétique.

Un accord fut conclu avec les socialistes-révolutionnaires « de gauche », dont un certain nombre furent compris dans le Conseil des commissaires du peuple (Kolégaev, Spiridonova, Prochian et Steinberg). Mais cet accord ne durera que jusqu’à la signature de la paix de Brest-Litovsk et à la formation de comités de paysans pauvres, date où une profonde différenciation s’opèrera dans la paysannerie et où les socialistes-révolutionnaires « de gauche », traduisant de plus en plus les intérêts des koulaks, déclencheront un soulèvement contre les bolchéviks et seront battus par le pouvoir des Soviets.

D’octobre 1917 à janvier-février 1918, la révolution soviétique s’étendit au pays entier. L’extension du pouvoir des Soviets sur cet immense territoire se faisait à un rythme si accéléré, que Lénine la qualifia de « marche triomphale » du pouvoir soviétique.

La grande Révolution socialiste d’Octobre triomphait.

Parmi les raisons qui ont déterminé cette victoire relativement facile de la Révolution socialiste en Russie, voici les principales :

1° La Révolution d’Octobre avait en face d’elle cet ennemi relativement faible, mal organisé, peu expérimenté en politique qu’était la bourgeoisie russe. Parce qu’elle manquait encore de force économique et qu’elle dépendait entièrement des commandes du gouvernement, la bourgeoisie russe n’avait ni l’indépendance politique, ni l’initiative suffisante pour trouver une issue à la situation.

Elle n’avait pas l’expérience des combinaisons et des mystifications politiques d’envergure que possède, par exemple, la bourgeoisie française ; elle n’avait pas non plus été à l’école des compromissions malhonnêtes de grand style, qui est celle, par exemple, de la bourgeoisie anglaise. En quête, hier encore, d’une entente avec le tsar renversé par la révolution de Février, elle n’avait rien su trouver de mieux, une fois au pouvoir, que de continuer dans ses grandes lignes la politique du tsar exécré.

Tout comme le tsar, elle était pour « la guerre jusqu’au bout », bien que la guerre fut devenue une charge insupportable pour le pays et eût totalement épuisé le peuple et l’armée. Tout comme le tsar, elle était pour le maintien, dans les grandes lignes, de la propriété seigneuriale de la terre, malgré la disette de terre et le joug des propriétaires fonciers dont se mourait la paysannerie. En ce qui concerne la politique à l’égard de la classe ouvrière, la bourgeoisie russe, dans sa haine des ouvriers, surpassait le tsar, puisqu’elle s’appliquait, non seulement à maintenir et à renforcer l’oppression des usiniers et des fabricants, mais encore à la rendre intolérable par l’application de lock-outs massifs.

Rien d’étonnant que le peuple n’ait point vu de distinction substantielle entre la politique du tsar et celle de la bourgeoisie et qu’il ait reporté sa haine du tsar sur le Gouvernement provisoire de la bourgeoisie.

Tant que les partis de conciliation, socialiste-révolutionnaire et menchévik, exercèrent quelque influence sur le peuple, la bourgeoisie put se retrancher derrière eux et conserver le pouvoir. Mais du jour où les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires se furent démasqués comme agents de la bourgeoisie impérialiste, perdant du même coup leur influence sur le peuple, la bourgeoisie et son Gouvernement provisoire restèrent sans appui.

2° À la tête de la Révolution d’Octobre se trouvait cette classe révolutionnaire qu’est la classe ouvrière de Russie, classe trempée dans les combats, qui avait traversé en un court laps de temps deux révolutions, et qui, à la veille de la troisième, avait acquis l’autorité de chef du peuple dans la lutte pour la paix, la terre, la liberté, le socialisme. Sans ce chef de la révolution, jouissant de la confiance du peuple, qu’était la classe ouvrière de Russie, il n’y aurait pas eu d’alliance des ouvriers et des paysans : et sans cette alliance, la Révolution d’octobre n’aurait pas pu vaincre.

3° La classe ouvrière de Russie avait, dans la révolution, ce sérieux allié qu’était la paysannerie pauvre formant l’immense majorité de la population paysanne. L’expérience des huit mois de révolution, que l’on peut sans hésiter assimiler à l’expérience de plusieurs dizaines d’années de développement « normal », n’avait pas été perdue pour les masses laborieuses de la paysannerie.

Durant ce temps, elles avaient pu juger à l’œuvre tous les partis de Russie et se rendre compte que ni les cadets, ni les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks n’entendaient se brouiller sérieusement avec les grands propriétaires fonciers et verser leur sang pour les paysans ; qu’il n’y avait qu’un seul parti en Russie qui ne fut point lié aux grands propriétaires fonciers, et qui fut prêt à les écraser pour satisfaire aux besoins des paysans : le Parti bolchévik.

Et ce fut là la base réelle de l’alliance du prolétariat et de la paysannerie pauvre. Cette alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre déterminera aussi la conduite des paysans moyens qui hésiteront longtemps et qui, à la veille seulement de l’insurrection d’Octobre, se tourneront franchement vers la révolution, en s’unissant à la paysannerie pauvre. Inutile de démontrer que sans cette alliance, la Révolution d’Octobre n’aurait pas pu vaincre.

4° À la tête de la classe ouvrière se trouvait ce parti rompu à la lutte politique qu’est le Parti bolchévik.

Seul un parti comme le Parti bolchévik, suffisamment hardi pour mener le peuple à l’assaut décisif et suffisamment circonspect pour éviter les écueils de tout genre sur le chemin du succès, seul un tel parti pouvait fondre de façon aussi judicieuse, en un seul flot révolutionnaire, des mouvements révolutionnaires aussi divers qu’étaient le mouvement démocratique général pour la paix, le mouvement démocratique paysan pour la mainmise sur les terres seigneuriales, le mouvement de libération nationale des peuples opprimés en lutte pour l’égalité nationale et le mouvement socialiste du prolétariat pour le renversement de la bourgeoisie, pour l’instauration de la dictature du prolétariat.

Il est évident que c’est la fusion de ces divers courants révolutionnaires en un flot révolutionnaire unique et puissant qui a décidé du sort du capitalisme en Russie.

5° La Révolution d’Octobre a commencé à un moment où la guerre impérialiste battait encore son plein ; où les principaux États bourgeois étaient divisés en deux camps ennemis, où, occupés à se faire la guerre et à s’affaiblir les uns les autres, ils ne pouvaient sérieusement s’ingérer dans les « affaires russes » et se dresser activement contre la Révolution d’Octobre.

Il est évident que cette circonstance a grandement facilité la victoire de la Révolution socialiste d’Octobre.

7. Lutte du Parti bolchévik pour la consolidation du pouvoir des Soviets. Paix de Brest-Litovsk. Le VIIecongrès du Parti.

Pour consolider le pouvoir des Soviets, il fallait détruire, mettre en pièces le vieil appareil d’État bourgeois et créer à sa place l’appareil nouveau de l’État soviétique. Il fallait détruire les vestiges des castes anciennes el le régime d’oppression nationale, abolir les privilèges de l’Eglise, supprimer la presse contre-révolutionnaire et les organisation contre-révolutionnaires de toute sorte, légales et illégales ; dissoudre l’Assemblée constituante de la bourgeoisie. Il fallait enfin, après avoir nationalisé la terre, nationaliser aussi toute la grande industrie, et puis sortir de l’état de guerre, en finir avec la guerre qui entravait plus que tout le reste la consolidation du pouvoir des Soviets.

Toutes ces mesures furent réalisées en l’espace de quelques mois, de la fin de 1917 au milieu de 1918.

Le sabotage des fonctionnaires des anciens ministères, organisé par les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks, est brisé et liquidé. Les ministères sont supprimés et remplacés par des administrations soviétiques et des commissariats du peuple. On crée le Conseil suprême de l’économie nationale pour gérer l’industrie du pays. On organise la Commission extraordinaire de Russie (Vétchéka), dirigée par F. Dzerjinski et chargée de combattre la contre-révolution et le sabotage. Un décret est rendu sur la création de l’Armée et de la Flotte rouges. L’Assemblée constituante dont les élections avaient eu lieu, pour l’essentiel, dès avant la révolution d’Octobre et qui avait refusé de ratifier les décrets du IIe congrès des Soviets sur la paix, la terre et le passage du pouvoir aux Soviets est dissoute.

Pour faire définitivement disparaître les vestiges du féodalisme, des castes et de l’inégalité dans tous les domaines de la vie sociale, des décrets sont rendus sur l’abolition des castes, la suppression des restrictions nationales et confessionnelles, la séparation de l’Eglise et de l’État et la séparation de l’Ecole et de l’Eglise, l’égalité des femmes, l’égalité des nationalités de Russie.

Une décision spéciale du gouvernement soviétique connue sous le nom de « Déclaration des droits des peuples de Russie », porte que le libre développement des peuples de Russie et leur complète égalité en droits sont consacrés par la loi.

Pour miner la puissance économique de la bourgeoisie et organiser une économie nouvelle, l’économie nationale du pays des Soviets, avant tout pour organiser la nouvelle industrie soviétique, on nationalise les banques, les chemins de fer, le commerce extérieur, la flotte marchande et toute la grosse industrie : charbon, métallurgie, pétrole, produits chimiques, constructions mécaniques, textile, raffineries de sucre, etc.

Afin de libérer notre pays de la dépendance financière et de l’exploitation des capitalistes étrangers, on annule les emprunts placés à l’étranger par le Tsar et le Gouvernement provisoire. Les peuples de notre pays n’entendaient pas payer les dettes qui avaient été contractées pour continuer la guerre de rapine et qui asservissaient la Russie au capital étranger.

Toutes les dispositions de ce genre sapèrent jusqu’à la racine la puissance de la bourgeoisie, des grands propriétaires fonciers, des fonctionnaires réactionnaires, des partis contre-révolutionnaires et affermirent considérablement le pouvoir des Soviets à l’intérieur du pays.

Mais on ne pouvait tenir la situation du pouvoir des Soviets pour parfaitement consolidée tant que la Russie se trouvait en état de guerre avec l’Allemagne et l’Autriche. Pour stabiliser définitivement le pouvoir des Soviets, il fallait en finir avec la guerre. Aussi le Parti déploya-t-il la lutte pour la paix aussitôt après la victoire de la Révolution d’Octobre.

Le gouvernement soviétique proposa « à tous les peuples en guerre et à leurs gouvernements d’engager sans délai des pourparlers pour une paix démocratique équitable ». Mais les « alliés » – l’Angleterre et la France – repoussèrent la proposition du gouvernement soviétique. Devant le refus de la France et de l’Angleterre de négocier la paix, le gouvernement soviétique, accomplissant la volonté des Soviets, décida d’engager des pourparlers avec l’Allemagne et l’Autriche.

Les négociations s’ouvrirent le 3 décembre, à Brest-Litovsk. Le 5 décembre, un armistice était conclu.

Les pourparlers se poursuivirent au milieu d’une crise profonde de l’économie nationale ; le pays était fatigué de la guerre et nos troupes abandonnaient le front qui se désagrégeait. Durant les pourparlers, il apparût que les impérialistes allemands voulaient s’emparer d’immenses territoires de l’ancien empire tsariste et qu’ils entendaient transformer la Pologne, l’Ukraine et les provinces baltiques et États dépendants de l’Allemagne.

Continuer la guerre dans ces conditions, c’eût été mettre en péril l’existence de la République soviétique nouvellement formée. La classe ouvrière et la paysannerie se virent dans la nécessité d’accepter de dures conditions de paix, de reculer devant le rapace le plus dangereux à l’époque, l’impérialisme allemand, pour obtenir une trêve, consolider le pouvoir des Soviets et créer une armée nouvelle, l’Armée rouge, qui fût capable de défendre le pays contre l’agresseur.

Tous les contre-révolutionnaires, depuis les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, jusqu’aux gardes blancs les plus avérés, se lancèrent dans une agitation forcenée contre la signature du traité de paix. Leurs intentions étaient claires : faire échouer les pourparlers de paix, provoquer une offensive des allemands et exposer aux coups le pouvoir soviétique encore mal affermi, mettre en péril les conquêtes des ouvriers et des paysans.

Ils avaient pour alliés dans cette infâme besogne Trotski et son sous-ordre Boukharine qui, avec Radek et Piatakov, se trouvaient à la tête d’un groupe hostile au Parti, groupe qui s’intitulait, pour se camoufler, groupe des « communistes de gauche ». Trotski et les « communistes de gauche » engagèrent au sein du Parti une lutte acharnée contre Lénine, pour la continuation de la guerre. Ces gens-là faisaient manifestement le jeu des impérialistes allemands et des contre-révolutionnaires à l’intérieur du pays, puisqu’ils voulaient exposer aux coups de l’impérialisme allemand la jeune République soviétique, encore dépourvue d’armée.

Politique de provocation habilement masquée de phrases gauchistes.

Le 10 février 1918, les pourparlers de paix de Brest-Litovsk furent interrompus. Bien que Lénine et Staline eussent insisté au nom du Comité central pour que la paix fût signée, Trotski, président de la délégation soviétique à Brest-Litovsk, viola traîtreusement les directives expresses du Parti bolchévik. Il déclara que la République des Soviets refusait de signer la paix aux conditions imposées par l’Allemagne ; en même temps, il informa les allemands que la République des Soviets ne ferait pas la guerre, qu’elle continuerait de démobiliser.

Acte monstrueux. Les impérialistes allemands ne pouvaient se promettre davantage d’un traître aux intérêts du pays des Soviets !

L’Allemagne rompit l’armistice et reprit l’offensive. Les restes de notre ancienne armée cédèrent à la poussée des troupes allemandes et prirent la fuite. Les allemands avançaient vite, s’emparant d’un immense territoire et menaçant Pétrograd. L’impérialisme allemand, après avoir pénétré en terre soviétique, se proposait de renverser le pouvoir soviétique et de réduire notre patrie à l’état de colonie. La vieille armée tsariste désorganisée ne pouvait résister aux cohortes de l’impérialisme allemand. Elle refluait sous les coups de l’armée d’invasion.

Cependant, l’intervention militaire des impérialistes allemands provoqua un puissant essor révolutionnaire dans le pays. À l’appel lancé par le Parti et le gouvernement des Soviets « La patrie socialiste est en danger », la classe ouvrière répondit par la formation intense des unités de l’Armée rouge. Les jeunes détachements de la nouvelle armée, – armée du peuple révolutionnaire – repoussèrent héroïquement l’assaut du rapace allemand armé jusqu’aux dents. Devant Narva et Pskov, une riposte énergique fût infligée aux envahisseurs. Leur avance sur Pétrograd fût arrêtée. Et le 23 février, date à laquelle les troupes de l’impérialisme allemand avaient été repoussées, marqua la naissance de la jeune Armée rouge.

Dès le 18 février, le Comité central du Parti avait adopté la proposition de Lénine d’adresser au gouvernement allemand un télégramme proposant la signature immédiate de la paix. Afin de s’assurer des conditions de paix plus avantageuses, les Allemands continuaient l’offensive. Le 22 février seulement, le gouvernement allemand accepta de signer la paix, et cela à des conditions beaucoup plus dures pour nous que lors des premières négociations. Lénine, Staline et Sverdlov eurent à soutenir, au sein du Comité central, une lutte des plus acharnées contre Trotski, Boukharine et les autres trotskistes, pour obtenir un vote en faveur de la paix. Lénine indiqua que Boukharine et Trotski avaient « aidé en fait les impérialistes allemands et entravé le progrès et le développement de la révolution en Allemagne ». (Lénine, Œuvres choisies, t. II, p.337.)

Le 23 février, le Comité central décida d’accepter les conditions de l’État-major allemand et de signer la paix. La trahison de Trotski et Boukharine avait coûté cher à la République soviétique. La Lettonie, l’Estonie, sans parler de la Pologne, passaient à l’Allemagne ; l’Ukraine était détachée de la République des Soviets pour devenir un État vassal de l’Allemagne. La République soviétique s’engageait à payer une contribution aux Allemands.

Cependant les « communistes de gauche » qui continuaient à combattre Lénine, roulaient de plus en plus bas dans le bourbier de la trahison.

Le Bureau de la région de Moscou du Parti communiste, dont s’étaient momentanément emparés les « communistes de gauche » (Boukharine, Ossinski, Iakovléva, Stoukov, Mantsev), adopta une résolution scissionniste de défiance envers le Comité central ; il déclara qu’il n’estimait « guère possible de conjure la scission du Parti à bref délai ». Les « communistes de gauche » allèrent dans cette résolution jusqu’à prendre une décision antisoviétique : « Dans l’intérêt de la révolution internationale, écrivaient-ils, nous estimons opportun d’admettre la perte éventuelle du pouvoir soviétique, qui devient désormais purement formel. »

Lénine qualifia cette décision d’ « étrange et monstrueuse ».

À ce moment, la cause véritable de la conduite hostile au Parti, ainsi adoptée par Trotski et les « communistes de gauche », n’était pas encore claire pour le Parti. Mais comme l’a établi dernièrement (au début 1938) le procès de l’organisation antisoviétique dite « bloc des droitiers et des trotskistes », Boukharine et le groupe des « communistes de gauche » qu’il dirigeait, tramaient à l’époque, de concert avec Trotski et les socialistes-révolutionnaires « de gauche », un complot contre le gouvernement soviétique. Il apparaît que Boukharine, Trotski et leurs complices s’assignaient comme but de saboter le traité de paix de Brest-Litovsk, de faire arrêter V. Lénine, J. Staline, J. Sverdlov, de les assassiner et de former un nouveau gouvernement composé de Boukhariniens, de trotskistes et de socialistes-révolutionnaires « de gauche ».

Tout en organisant un complot contre-révolutionnaire, le groupe des « communistes de gauche », soutenu par Trotski, attaquait ouvertement le Parti bolchévik dans le but de scinder le Parti et de disloquer ses rangs. Mais, en ce moment difficile, le Parti se rallia autour de Lénine, Staline et Sverdlov, et soutint le Comité central dans la question de la paix, de même que dans toutes les autres questions.

Le groupe des « communistes de gauche » se trouva isolé et défait.

Pour régler définitivement la question de la Paix, le Parti réunit son VIIe congrès.

Celui-ci s’ouvrit le 6 mars 1918. C’était le premier congrès depuis la prise du pouvoir par notre Parti. Il comprit 46 délégués avec voix délibérative et 58 avec voix consultatives, représentant 145 000 membres du Parti. En réalité, le Parti comptait à l’époque au moins 270 000 adhérents. La différence s’explique par le fait que, vu l’urgence du congrès, une partie considérable des organisations n’avaient pas eu le temps d’envoyer leurs délégués ; et les organisations dont le territoire était momentanément occupé par les Allemands avaient été dans l’impossibilité de se faire représenter.

À propos de la paix de Brest-Litovsk, Lénine dit au congrès que « … la crise pénible que traverse notre Parti, du fait qu’une opposition de gauche s’est formée en son sein, est une des plus graves qu’ait connues la révolution russe. » (Lénine, Œuvres choisies, t. II, p. 352.)

Par 30 voix contre 12 et 4 abstentions, fût adoptée la résolution sur la paix de Brest-Litovsk.

Le lendemain, Lénine écrivit dans un article intitulé « Une paix malheureuse » :

« Les conditions de paix son infiniment dures. Toutefois l’histoire aura le dernier mot… Au travail pour l’organisation, l’organisation et l’organisation ! En dépit de toutes les épreuves, l’avenir est à nous. » » (Lénine, t. XXII, p. 288, éd. russe.)

La résolution du congrès indiquait qu’une nouvelle action militaire des États impérialistes était inévitable contre la République des Soviets ; aussi le congrès estimait-il que la tâche essentielle du Parti était de prendre les mesures les plus énergiques et les plus résolues pour élever sa propre discipline et celle des ouvriers et des paysans, pour préparer les masses à défendre avec abnégation la patrie socialiste, pour organiser l’Armée rouge, pour donner à la population l’instruction militaire générale.

Le congrès, après avoir confirmé la justesse de la ligne de Lénine touchant la paix de Brest-Litovsk, condamna la position de Trotski et Boukharine ; il flétrit la tentative des « communistes de gauche » défaits, de poursuivre au congrès même leur travail de scission.

La conclusion de la paix de Brest-Litovsk permit au Parti de gagner du temps pour consolider le pouvoir des Soviets et mettre de l’ordre dans l’économie du pays.

La conclusion de la paix permit d’utiliser les conflits dans le camp de l’impérialisme (la guerre continuait entre le bloc austro-allemand et l’Entente), de décomposer les forces adverses, d’organiser l’économie soviétique, de créer l’Armée rouge.

La conclusion de la paix permit au prolétariat de conserver l’appui de la paysannerie et de rassembler des forces pour écraser les généraux gardes-blancs pendant la guerre civile.

Dans la période de la Révolution d’Octobre, Lénine avait enseigné au Parti bolchévik l’art d’attaquer avec intrépidité et résolution, lorsque les conditions nécessaires sont réunies,. Dans la période de Brest-Litovsk, Lénine enseigna au Parti l’art de se replier en bon ordre, quand les forces adverses sont manifestement supérieures aux nôtres, afin de préparer, avec la plus grande énergie une nouvelle offensive contre l’ennemi.

L’histoire a démontré la justesse de la ligne de Lénine.

Le VIIe congrès décida de changer le nom du Parti et d’en modifier le programme. Le parti s’appela dès lors Parti communiste (bolchévik) de Russie, P.C. (b) R. C’est Lénine qui avait proposé d’appeler notre Parti « Parti communiste », parce que ce nom répondait exactement au but que le parti s’assigne : réaliser le communisme.

Pour établir le nouveau programme du Parti, fût élue une commission spéciale, composée de Lénine, de Staline et d’autres ; on prit pour base du programme un projet élaboré par Lénine.

Ainsi le VIIe congrès s’est acquitté d’une immense tâche historique : il a battu les ennemis embusqués au sein de notre Parti, « communistes de gauche » et trotskistes ; il a réussi à tirer le pays de la guerre impérialiste et à obtenir la paix, la trêve ; il a permis au Parti de gagner du temps pour organiser l’Armée rouge ; il a fait un devoir au Parti d’établir l’ordre socialiste dans l’économie nationale.

8. Le plan de Lénine pour aborder la construction socialiste. Les comités de paysans pauvres et la mise au pas des koulaks. L’émeute des socialistes-révolutionnaires « de gauche » et son écrasement. le Ve congrès des Soviets et l’adoption de la constitution de la R.S.F.S.R.

Quand il eut signé la paix et obtenu une trêve, le pouvoir des Soviets aborda un ample travail de construction socialiste. La période écoulée de novembre 1917 à février 1918 avait été appelée par Lénine période « d’assaut des gardes rouges contre le Capital  ». Le pouvoir des Soviets était parvenu, dans la première moitié de 1918, à briser la puissance économique de la bourgeoisie, à con­centrer dans ses mains les postes de commandement de l’écono­mie nationale (fabriques, usines, banques, chemins de fer, com­merce extérieur, flotte marchande, etc.), à briser l’appareil d’État bourgeois et à liquider victorieusement les premières tentatives de la contre-révolution pour renverser le pouvoir des Soviets.

Mais tout cela ne suffisait pas. Tant s’en faut. Pour aller de l’avant, il fallait, après avoir détruit l’ancien ordre de choses, pas­ser à la construction du nouveau. C’est pourquoi au printemps de 1918 on aborde une nouvelle étape de la construction socialiste, on passe « de l’expropriation des expropriateurs » à la consolidation matérielle des victoires remportées, à la construction de l’économie nationale soviétique. Lénine estimait nécessaire d’utiliser la trêve au maximum pour entreprendre la construction des fondements de l’économie socialiste. Les bolchéviks devaient apprendre à or­ganiser et à gérer la production d’une manière nouvelle. Lénine écrivait que le Parti bolchévik avait su persuader la Russie, qu’il avait conquis la Russie sur les riches pour le peuple ; mais mainte­nant, disait Lénine, le Parti bolchévik doit apprendre à gouverner la Russie.

D’après lui, la tâche principale, à cette étape, était de recenser tout ce que produisait l’économie nationale et de contrôler l’usage fait de l’ensemble de la production. Dans l’économie du pays pré­dominaient les éléments petits-bourgeois. Les millions de petits propriétaires, à la ville et à la campagne, constituaient un lorrain propice au développement du capitalisme. Ces petits propriétaires ne reconnaissaient ni la discipline du travail ni la discipline de l’État, ils ne se soumettaient ni au recensement ni au contrôle. Ce qui était surtout dangereux dans ce moment difficile, c’était l’élément petit-bourgeois spéculateur et mercantile, ainsi que les tentatives des petits propriétaires et des commerçants de s’enrichir sur la misère du peuple.

Le Parti engagea une lutte énergique contre le relâchement dans la production, contre l’indiscipline du travail dans l’industrie. Les masses ne s’assimilaient que lentement les nouvelles habitudes de travail. Aussi la lutte pour la discipline devint-elle, dans cette période, la tâche centrale.

Lénine affirma la nécessité de développer dans l’industrie l’é­mulation socialiste, d’introduire le salaire aux pièces, de lutter contre le nivellement des salaires, d’appliquer, parallèlement aux mesures d’éducation et de persuasion, les méthodes de contrainte à l’égard des profiteurs qui voulaient arracher le plus possible à l’État, a l’égard de ceux qui taisaient les fainéants et se livraient à la spéculation. Il estimait que la nouvelle discipline, — la disci­pline du travail, la discipline des liens de camaraderie, la discipli­ne soviétique, — est élaborée par les millions de travailleurs au cours de leur besogne quotidienne. Il indiquait que « cette œuvre occuperait toute une époque historique ». (Lénine, t. XXIII, p. 44, éd. russe.)

Ce sont tous ces problèmes de la construction socialiste, tous ces problèmes sur la création de rapports de production nouveaux, socialistes, qui furent traités par Lénine dans son célèbre ouvrage Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets.

Sur ces questions également, les « communistes de gauche » faisant cause commune avec les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks, engagèrent la lutte contre Lénine. Boukharine, Ossinski et les autres s’élevaient contre l’introduction de la discipline, contre la direction unique dans les entreprises, contre l’utilisation des spécialistes dans l’industrie, contre l’application du principe du rendement commercial. Ils calomniaient Lénine en prétendant que celte politique signifiait le retour à l’ordre bourgeois. En mê­me temps, les « communistes de gauche » prônaient le point de vue trotskiste d’après lequel la construction socialiste et la victoire du socialisme étaient impossibles en Russie.

Toutes ces phrases « de gauche » des « communistes de gau­che » ne tendaient qu’à masquer la défense du koulak, du fainéant, du spéculateur, qui étaient contre la discipline et envisageaient avec hostilité la réglementation par l’État de la vie économique, le recensement et le contrôle.

Quand il eut réglé les problèmes d’organisation de l’industrie nouvelle, soviétique, le Parti passa aux questions relatives à la campagne. La lutte des paysans pauvres contre les koulaks battait son plein à l’époque. Les koulaks croissaient en force, ils accapa­raient les terres enlevées aux grands propriétaires fonciers. II fal­lait aider les paysans pauvres. Les koulaks, qui luttaient contre l’État prolétarien, refusaient de lui vendre le blé aux prix fermes. Ils voulaient contraindre par la famine l’État soviétique à renon­cer aux mesures socialistes. Le Parti fixa la tâche d’écraser les koulaks contre-révolutionnaires. Pour organiser les paysans pau­vres et vaincre les koulaks qui détenaient les excédents de blé, on organisa en grand l’envoi d’ouvriers à la campagne.

« Camarades ouvriers ! écrivait Lénine. Rappelez-vous que la révolution est dans une situation critique. N’oubliez pas que vous, et vous seuls, pouvez sauver la révolution. Des dizaines de milliers d’ouvriers d’élite, d’ouvriers d’avant-garde dévoués au socialisme, incapables de succomber aux pots-de-vin ou de commettre un vol, et capables de créer une force d’airain con­tre les koulaks, les spéculateurs, les maraudeurs, les concus­sionnaires, les désorganisateurs, voilà ce qu’il nous faut. » (Lénine, t. XXIII, p. 25, éd. russe.)

« La lutte pour le blé, c’est la lutte pour le socialisme », décla­ra Lénine. Et c’est sous ce mot d’ordre que l’on organisa les ou­vriers dépêchés dans les campagnes. On prit plusieurs décrets pour établir la dictature dans le domaine du ravitaillement et in­vestir les organes du commissariat de l’Approvisionnement de (pou­voirs extraordinaires pour l’achat du blé aux prix fermes.

Par décret du 11 juin 1918, furent institués des comités de paysans pauvres. Ils jouèrent un grand rôle dans la lutte contre les koulaks, dans la redistribution des terres confisquées et la ré­partition du matériel d’exploitation, dans le stockage des excédents détenus par les koulaks, dans le ravitaillement des centres ouvriers et de l’Armée rouge. 50 millions d’hectares de terres koulaks pas­sèrent aux mains des paysans pauvres et moyens. On expropria les koulaks d’une grande partie de leurs moyens de production au profit des paysans pauvres.

L’organisation des comités de paysans pauvres marqua une nouvelle étape dans le développement de la révolution socialiste à la campagne. Ces comités furent les points d’appui de la dicta­ture du prolétariat au village. C’est en grande partie par leur in­termédiaire que la population paysanne fournissait des contingents à l’Année rouge.

L’arrivée des prolétaires au village et l’organisation des comi­tés de paysans pauvres consolidèrent le pouvoir des Soviets dans las campagnes. Elles furent d’une immense portée politique pour gagner le paysan moyen au pouvoir des Soviets.

Fin 1918, leurs tâches remplies, les comités de paysans pauvres cessèrent d’exister ; ils fusionnèrent avec les Soviets ruraux.

Le 4 juillet 1918 s’était ouvert le Ve congrès des Soviets. Les socialistes-révolutionnaires « de gauche » y engagèrent une lutte acharnée contre Lénine, en faveur des koulaks. Ils exigeaient que l’on cessât de combattre les koulaks et que l’on renonçât à l’envoi de détachements de ravitaillement ouvriers à la campagne. Lors­que les socialistes-révolutionnaires « de gauche » se furent con­vaincus que la majorité du congrès s’opposait énergiquement à leur ligne, ils déclenchèrent une émeute à Moscou, s’emparèrent de la rue Trekhsviatitelski et, de là, firent donner l’artillerie sur le Kremlin.

Mais cette aventure des socialistes-révolutionnaires « de gauche » fut écrasée en quelques heures par les bolche­viks. Sur plusieurs points du pays, les organisations locales des socialistes-révolutionnaires « de gauche » avaient également tenté de se soulever, mais partout cette entreprise fut rapidement liquidée.

Le procès de l’organisation antisoviétique dite « bloc des droi­tiers et des trotskistes » a établi maintenant que l’émeute des socia­listes-révolutionnaires « de gauche » avait été déclenchée à la con­naissance et avec l’assentiment de Boukharine et de Trotski, qu’elle était partie intégrante du plan général de complot contre-révolu­tionnaire monté par les boukhariniens, les trotskistes et les socialistes-révolutionnaires « de gauche » contre le pouvoir des Soviets.

Dans le même temps, le socialiste-révolutionnaire « de gauche » Blumkine, plus tard agent de Trotski, pénétrait dans les locaux de l’ambassade allemande et, afin de provoquer la guerre avec l’Allemagne, assassinait l’ambassadeur Mirbach. Mais le gouvernement soviétique réussit à conjurer la guerre et à faire échouer la provocation des contre-révolutionnaires. Le Ve congrès des Soviets adopta la Constitution de la R.S.F.S.R., première constitution soviétique.

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Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Le parti bolchévik pendant la guerre impérialiste. La deuxième révolution russe (1914 à mars 1917)

Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), 1938

1. L’origine et les causes de la guerre impérialiste.

Le 14 (27) juillet 1914, le gouvernement tsariste proclamait la mobilisation générale. le 19 juillet (1er août), l’Allemagne déclarait la guerre à la Russie.

La Russie entrait en campagne.

Bien avant le début de la guerre, Lénine, les bolchéviks avaient prévu qu’elle allait éclater inévitablement. Dans les congrès socialistes internationaux, Lénine avait formulé ses propositions visant à définir la ligne de conduite révolutionnaire des socialistes en cas de guerre.

Lénine indiquait que les guerres étaient l’accompagnement inévitable du capitalisme. Le pillage des territoires d’autrui, la conquête et la spoliation des colonies, la mainmise sur de nouveaux débouchés avaient plus d’une fois servi de motifs aux États capitalistes pour entreprendre des guerres de conquête. La guerre pour les pays capitalistes est un fait aussi naturel et aussi légitime que l’exploitation de la classe ouvrière.

Les guerres sont inévitables surtout depuis que le capitalisme, à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, s’est définitivement transformé en impérialisme, stade suprême et dernier stade de son développement. Sous l’impérialisme, les puissantes associations (les monopoles) capitalistes et les banques prennent un rôle décisif dans la vie des États capitalistes. Le capitalisme financier y règne en maître. Il exige de nouveaux marchés, la conquête de nouvelles colonies, de nouveaux débouchés pour l’exportation des capitaux, de nouvelles sources de matières premières.

Mais dès la fin du XIXe siècle, tout le territoire du globe se trouvait partagé entre les États capitalistes. Cependant, le capitalisme, à l’époque de l’impérialisme, se développe d’une façon extrêmement inégale et par bonds : tels pays qui autrefois occupaient la première place, développent leur industrie avec assez de lenteur ; d’autres, qui étaient autrefois arriérés, les rattrapent et les dépassent par bonds rapides.

Le rapport de forces économique et militaire des États impérialistes se modifie. Une tendance se manifeste en faveur d’un nouveau partage du monde. C’est la lutte pour ce nouveau partage du monde qui rend inévitable la guerre impérialiste. La guerre de 1914 fut une guerre pour repartager le monde et les zones d’influence. Elle avait été préparée longtemps à l’avance par tous les États impérialistes. Ses responsables, ce furent les impérialistes de tous les pays.

Cette guerre avait été particulièrement préparée par l’Allemagne et l’Autriche d’une part, et de l’autre, par la France et l’Angleterre, avec la Russie qui dépendait de ces deux derniers pays. En 1907 apparut la Triple Entente, ou l’Entente, alliance de l’Angleterre, de la France et de la Russie. L’autre alliance impérialiste était formée par l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie. Mais au début de la guerre de 1914, l’Italie abandonna cette alliance pour rejoindre ensuite l’Entente. L’Allemagne et l’Autriche-Hongrie étaient soutenues par la Bulgarie et la Turquie.

En se préparant à la guerre impérialiste, l’Allemagne voulait enlever leurs colonies à l’Angleterre et à la France, et l’Ukraine, la Pologne et les provinces baltiques à la Russie. L’Allemagne menaçait la domination de l’Angleterre dans le Proche-Orient en construisant le chemin de fer de Bagdad. L’Angleterre redoutait le développement des armements navals de l’Allemagne.

La Russie tsariste visait à démembrer la Turquie ; elle rêvait de conquérir les Dardanelles, détroit reliant la mer Noire à la Méditerranée, et de s’emparer de constantinople. Il entrait aussi dans les plans du gouvernement tsariste d’annexer une partie de l’Autriche-Hongrie, la Galicie.

L’Angleterre voulait la guerre pour battre son dangereux concurrent, l’Allemagne, dont les marchandises évinçaient de plus en plus les siennes propres du marché mondial. En outre, l’Angleterre se proposait de conquérir sur la Turquie la Mésopotamie et la Palestine et de prendre solidement pieds en Egypte.

Les capitalistes français voulaient conquérir sur l’Allemagne le bassin de la Sarre, l’Alsace et la Lorraine, riches en charbon et en fer ; l’Alsace et la Lorraine avaient été enlevées à la France par l’Allemagne à l’issue de la guerre de 1870-1871.

Ainsi, c’étaient les graves antagonismes divisant les deux groupes d’États capitalistes qui avaient abouti à la guerre impérialiste.

Cette guerre de rapine pour un nouveau partage du monde affectait les intérêts de tous les pays impérialistes ; c’est pourquoi le Japon, les États-Unis d’Amérique et nombre d’autres États s’y trouvèrent, par la suite, également entraînés.

La guerre devint mondiale.

La guerre impérialiste avait été fomentée par la bourgeoisie dans le plus grand secret, à l’insu des peuples. Lorsqu’elle éclata, chaque gouvernement impérialiste s’attacha à démontrer que ce n’était pas lui qui avait attaqué ses voisins, mais que c’était lui la victime de l’agression. La bourgeoisie trompait le peuple en dissimulant les véritables motifs de la guerre, son caractère impérialiste, expansionniste. Chaque gouvernement impérialiste déclarait faire la guerre pour la défense de la patrie.

Les opportunistes de la IIe Internationale aidèrent la bourgeoisie à tromper le peuple. Les social-démocrates de la IIe Internationale trahirent lâchement la cause du socialisme, la cause de la solidarité internationale du prolétariat. Loin de s’élever contre la guerre, ils aidèrent au contraire la bourgeoisie à dresser les uns contre les autres les ouvriers et les paysans des États belligérants, en invoquant la défense de la patrie.

Ce n’est point par hasard que la Russie était entrée dans la guerre impérialiste aux côtés de l’Entente : de la France et de l’Angleterre. Il ne faut pas oublier qu’avant 1914, les principales industries de Russie étaient détenues par le capital étranger, surtout par le capital français, anglais et belge, c’est-à-dire par le capital des pays de l’Entente. Les usines métallurgiques les plus importantes de Russie se trouvaient entre les mains de capitalistes français. La métallurgie dépendait, presque pour les trois quarts (72%), du capital étranger. Même tableau pour l’industrie houillère dans le bassin du Donetz.

Près de la moitié des puits de pétrole étaient aux mains du capital anglo-français. Une notable partie des profits de l’industrie russe allait aux banques étrangères, anglo-françaises principalement. Toutes ces circonstances, ajoutées aux emprunts qui avaient été contractés par le tsar en France et en Angleterre et qui se chiffraient par des milliards, rivaient le tsarisme à l’impérialisme anglo-français, transformaient la Russie en pays tributaire, en semi-colonie de ces pays.

La bourgeoisie russe comptait, en déclanchant la guerre, améliorer sa situation : conquérir de nouveaux débouchés, s’enrichir par les commandes militaires et les fournitures aux armées et mater du même coup le mouvement révolutionnaire en exploitant la situation crée par la guerre.

La Russie tsariste n’était pas préparée à la guerre. Son industrie retardait fortement sur celle des autres pays capitalistes. La plupart des fabriques et des usines étaient vieilles, leur outillage usé. L’agriculture, étant donné le régime de propriété semi-féodal et l’appauvrissement, la ruine des masses paysannes, ne pouvait servir de base économique solide pour une guerre de longue haleine.

Le tsar s’appuyait principalement sur les féodaux de la terre. Les grands propriétaires fonciers ultra-réactionnaires, alliés aux grands capitalistes, régnaient en maîtres dans le pays et à la Douma d’État. Ils appuyaient entièrement la politique intérieure et extérieure du gouvernement tsariste. La bourgeoisie impérialiste russe comptait sur l’autocratie tsariste comme un poing ganté de fer, capable d’un côté de lui garantir la conquête de nouveaux marchés et de nouveaux territoires et, de l’autre, de mater le mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans.

Le parti de la bourgeoisie libérale, — les cadets – figurait l’opposition ; il soutenait cependant sans réserve la politique extérieure du gouvernement tsariste.

Les partis petits-bourgeois socialiste-révolutionnaire et menchévik, tout en se retranchant derrière le drapeau du socialisme, aidèrent dès le début de la guerre la bourgeoisie à tromper le peuple, à cacher le caractère impérialiste et spoliateur de la guerre. Ils prêchaient la nécessité de sauvegarder, de défendre la « patrie » bourgeoise contre les « barbares prussiens » ; ils appuyaient la politique d’ « union sacrée » et aidaient ainsi le gouvernement du tsar russe à faire la guerre, comme les social-démocrates allemands aidaient le gouvernement du kaiser à faire la guerre aux « barbares de Russie ».

Seul, le Parti bolchévik demeura fidèle au glorieux drapeau de l’internationalisme révolutionnaire ; seul, il resta fermement attaché aux positions marxistes de lutte résolue contre l’autocratie tsariste, contre les propriétaires fonciers et les capitalistes, contre la guerre impérialiste. Le Parti bolchévik, dès l’ouverture des hostilités, s’en tint à ce point de vue que la guerre avait été déclenchée, non pour défendre la patrie, mais pour s’emparer des territoires d’autrui, pour piller les autres peuples dans l’intérêt des propriétaires fonciers et des capitalistes, en sorte que les ouvriers devaient résolument faire la guerre à cette guerre.

La classe ouvrière soutenait le Parti bolchévik.

À la vérité, l’ivresse patriotique de la bourgeoisie, qui, au début de la guerre avait gagné les intellectuels et les éléments koulaks de la paysannerie, avaient également touché une certaine partie des ouvriers. Mais c’étaient surtout des membres de l’ « Union du peuple russe » — union de fripouilles – et une partie des ouvriers à tendances socialistes-révolutionnaires et menchéviques. Il est évident qu’ils ne traduisaient pas et ne pouvaient pas traduire l’état d’esprit de la classe ouvrière. Ce sont ces éléments là qui participaient aux manifestations chauvines de la bourgeoisie, organisées par le gouvernement tsariste dans les premiers jours de la guerre.

2. Les partis de la IIe Internationale se placent aux côtés de leurs gouvernements impérialistes respectifs. La IIe Internationale se désagrège en partis social-chauvins séparés.

Lénine avait plus d’une fois mis en garde contre l’opportunisme de la IIe internationale et la carence de ses chefs. Il répétait sans cesse que les chefs de la IIe internationale n’étaient contre la guerre qu’en paroles ; qu’au cas où la guerre éclaterait, ils pourraient bien abandonner leurs positions et se ranger aux côtés de la bourgeoisie impérialiste ; qu’ils pourraient devenir partisans de la guerre. Cette prévision de Lénine se confirma dès le début des hostilités.

En 1910, le congrès de la IIe internationale tenu à Copenhague avait décidé que les socialistes, dans les parlements, voteraient contre les crédits de guerre. Pendant la guerre des Balkans, en 1912, le congrès de la IIeinternationale, tenu à Bâle, avait proclamé que les ouvriers de tous les pays regardaient comme un crime de s’entre-tuer à seule fin d’augmenter les profits des capitalistes. Telle était la position prise en paroles, dans les résolutions.

Mais lorsque éclata le coup de tonnerre de la guerre impérialiste et qu’il fallut appliquer les décisions, les chefs de la IIe internationale s’avérèrent des félons, des traîtres au prolétariat, des serviteurs de la bourgeoisie ; ils devinrent partisans de la guerre.

Le 4 août 1914, la social-démocratie allemande vota au parlement les crédits de guerre, le soutien de la guerre impérialiste. L’immense majorité des socialistes de France, d’Angleterre, de Belgique et des autres pays en fit autant.

La IIe internationale avait cessé d’exister. En fait, elle s’était désagrégée en partis social-chauvins séparés, qui se faisaient mutuellement la guerre.

Traîtres au prolétariat, les chefs des partis socialistes passèrent sur les positions du social-chauvinisme et de la défense de la bourgeoisie impérialiste. Ils aidèrent les gouvernements impérialistes à duper la classe ouvrière, à l’intoxiquer du poison du nationalisme. Sous le drapeau de la défense de la patrie, ces social-traîtres excitèrent les ouvriers allemands contre les ouvriers français, les ouvriers français et anglais contre les ouvriers allemands. Il n’y eût qu’une minorité infime de la IIe internationale qui resta fidèle aux positions internationalistes et marcha contre le courant, certes sans assez d’assurance, sans beaucoup de détermination, mais néanmoins contre le courant.

Seul le Parti bolchévik avait, du premier coup et sans hésiter, levé le drapeau d’une lutte décidée contre la guerre impérialiste. Dans les thèses sur la guerre que Lénine rédigea à l’automne de 1914, il indiqua que l’effondrement de la IIe internationale n’était pas un effet du hasard.

La IIe internationale devait sa perte aux opportunistes, contre lesquels les meilleurs représentants du prolétariat révolutionnaire avaient depuis longtemps mis en garde.

Les partis de la IIe internationale étaient, dès avant la guerre, atteints d’opportunisme. Les opportunistes prêchaient ouvertement l’abandon de la lutte révolutionnaire, ils prêchaient la théorie de l’ « intégration pacifique du capitalisme dans le socialisme ». La IIe internationale se refusait à combattre l’opportunisme ; elle était pour faire la paix avec lui et elle le laissait se fortifier. En pratiquant une politique de conciliation à l’égard de l’opportunisme, la IIe internationale était devenue elle-même opportuniste.

Avec les profits qu’elle tirait de ses colonies, de l’exploitation des pays arriérés, la bourgeoisie impérialiste achetait systématiquement, grâce à des salaires plus élevés et autres aumônes, les couches supérieures des ouvriers qualifiés, l’aristocratie ouvrière, comme on les appelait.

C’est de cette catégorie d’ouvriers qu’étaient sortis maints dirigeants des syndicats et des coopératives, maint conseillers municipaux et parlementaires, maint employés de la presse et des organisations social-démocrates. Au moment de la guerre, ces gens, par crainte de perdre leur situation, deviennent des adversaires de la révolution, les défenseurs les plus enragés de leur bourgeoisie, de leurs gouvernements impérialistes.

Les opportunistes s’étaient transformés en social-chauvins. Ces derniers, y compris les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires russes, prêchaient la paix sociale entre ouvriers et bourgeois à l’intérieur du pays, et la guerre contre les autres peuples, hors de leur pays.

Non moins dangereux pour la cause du prolétariat étaient les social-chauvins masqués, dits centristes. Les centristes, — Kautsky, Trotski, Martov et autres, — justifiaient et défendaient les social-chauvins déclarés, c’est-à-dire qu’avec les social-chauvins ils trahissaient le prolétariat, en couvrant leur trahison de phrases gauchistes sur la lutte contre la guerre, phrases destinées à abuser la classe ouvrière.

De fait, les centristes appuyaient la guerre, puisque leur proposition de ne pas voter contre les crédits de guerre et de s’abstenir revenait à soutenir la guerre. Tout comme les social-chauvins, ils exigeaient l’abandon de la lutte de classe pendant la guerre, pour ne pas gêner leurs gouvernements impérialistes respectifs dans la conduite de la guerre. Sur toutes les questions importantes de la guerre et du socialisme, le centriste Trotski était contre Lénine, contre le parti bolchévik.

Dès l’ouverture des hostilités, Lénine avait commencé à rassembler les forces pour créer une nouvelle Internationale, la IIIe internationale. Déjà dans le manifeste lancé contre la guerre en novembre 1914, le Comité central du Parti bolchévik avait posé la tâche de créer une IIIe internationale à la place de la IIe internationale qui avait honteusement fait faillite.

En février 1915, à Londres, le camarade Litvinov, mandaté par Lénine, prit la parole à la conférence des socialistes des pays de l’Entente. Litvinov demanda la sortie des socialistes (Vandervelde, Sembat, Guesde) des gouvernements bourgeois de Belgique et de France, la rupture complète avec les impérialistes, le refus de collaborer avec eux. Il demanda à tous les socialistes de lutter résolument contre leurs gouvernements impérialistes et de réprouver le vote des crédits de guerre. Mais à cette conférence, la voix de Litvinov retentit solitaire.

Au début de septembre 1915, une première conférence des internationalistes se réunit à Zimmerwald. Lénine a qualifié cette conférence de « premier pas » dans la voie du développement du mouvement internationaliste contre la guerre. Lénine y constitua la gauche de Zimmerwald. Mais dans cette gauche zimmerwaldienne, seul le Parti bolchévik, avec Lénine en tête, occupait une position juste contre la guerre, une position allant jusqu’au bout de ses conséquences. La gauche de Zimmerwald publia en langue allemande la revue l’Avant-coureur, où étaient insérés les articles de Lénine.

En 1916, on réussit à convoquer dans le village de Kienthal, en Suisse, une deuxième conférence des internationalistes. Elle est connue sous le nom de deuxième conférence de Zimmerwald. À ce moment, des groupes d’internationalistes étaient apparus dans presque tous les pays ; la séparation des éléments internationalistes d’avec les social-chauvins s’était précisée. Mais l’essentiel, c’est que les masses elles-mêmes avaient à l’époque évolué à gauche sous l’influence de la guerre et des malheurs qu’elle engendrait. Le manifeste de Kienthal fut le résultat d’un accord entre les différents groupes qui s’étaient affrontés à la conférence. Il marqua un pas en avant par rapport au manifeste de Zimmerwald.

Mais la conférence de Kienthal, elle non plus, n’avait pas adopté les principes fondamentaux de la politique bolchévique : transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, défaite des gouvernements impérialistes respectifs dans la guerre, constitution d’une IIIe internationale. Toutefois, la conférence de Kienthal contribua à dégager les éléments internationalistes qui plus tard devaient former la IIIe internationale, l’Internationale communiste.

Lénine critiqua les erreurs des internationalistes inconséquents, social-démocrates de gauche, comme Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht ; mais il les aida en même temps à adopter une position juste.

3. La théorie et la tactique du Parti bolchévik dans les questions de la guerre, de la paix et de la révolution.

Les bolchéviks n’étaient pas de simples pacifistes, soupirant après la paix et se bornant à faire de la propagande en sa faveur, comme la majorité des social-démocrates de gauche. Les bolchéviks s’affirmaient pour une lutte révolutionnaire active en faveur de la paix, allant jusqu’à renverser le pouvoir de la belliqueuse bourgeoisie impérialiste. Ils rattachaient la cause de la paix à celle dé la victoire de la révolution prolétarienne, estimant que le plus sûr moyen de liquider la guerre et d’obtenir une paix équitable, une paix sans annexions ni con­tributions, était de renverser le pouvoir de la bourgeoisie impérialiste.

Contre le reniement menchévik et socialiste-révolutionnaire de la révolution, et contre le mot d’ordre de trahison appelant au respect de l’ « union sacrée » pendant la guerre, les bolchéviks formulèrent le mot d’ordre de « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile ». Ce mot d’ordre signifiait que les travailleurs, y compris les ouvriers et les paysans armés et revêtus de la capote de soldat, devaient tourner leurs armes contre leur propre bourgeoisie et renverser son pouvoir, s’ils voulaient se débarrasser de la guerre et obtenir une paix équi­table.

Contre la politique menchévique et socialiste-révolutionnaire de défense de la patrie bourgeoise, les bolchéviks préco­nisèrent la politique de « défaite de son propre gouvernement dans la guerre impérialiste ». Cela voulait dire qu’on devait voter contre les crédits de guerre, créer des organisations révolutionnaires illégales dans l’armée, encourager la fraternisation des soldats sur le front et organiser l’action révolution­naire des ouvriers et des paysans contre la guerre, en transformant cette action en insurrection contre son gouvernement impérialiste.

Les bolchéviks estimaient que le moindre mal pour le peuple, dans la guerre impérialiste, serait la défaite militaire du gouvernement tsariste, puisqu’elle faciliterait la victoire du peuple sur le tsarisme et la lutte victorieuse de la classe ou­vrière pour son affranchissement de l’esclavage capitaliste et des guerres impérialistes. Lénine estimait au surplus que ce n’étaient pas seulement les révolutionnaires russes, mais aussi les partis révolutionnaires de la classe ouvrière de tous les pays belligérants qui devaient pratiquer la politique de défaite de leur gouvernement impérialiste.

Les bolchéviks n’étaient pas contre toute guerre. Ils étaient seulement contre la guerre de conquête, contre la guerre Im­périaliste. Les bolchéviks estimaient qu’il y a deux genres de guerres :

a) La guerre juste, non annexionniste, émancipatrice, ayant pour but soit de défendre le peuple contre une agression du dehors et contre les tentatives de l’asservir, soit d’affranchir le peuple de l’esclavage capitaliste, soit enfin de libérer les colonies et les pays dépendants du joug des impérialistes.

b) La guerre injuste, annexionniste, ayant pour but de conquérir et d’asservir les autres pays, les autres peuples.

Les bolchéviks soutenaient la guerre du premier genre. En ce qui concerne l’autre guerre, les bolchéviks estimaient qu’on devait diriger contre elle une lutte résolue, allant jusqu’à la révolution et au renversement de son gouvernement impérialiste. Les ouvrages théoriques composés par Lénine du temps de la guerre eurent une énorme importance pour la classe ou­vrière du monde entier. C’est au printemps de 1916 qu’il écrivit son Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Lénine montra dans ce livre que l’impérialisme est le stade suprême du capitalisme, le stade où celui-ci, de capitalisme « progressif » qu’il était, s’est déjà transformé en capitalisme parasitaire, en capitalisme pourrissant ; que l’impérialisme est un capitalisme agonisant.

Cela ne voulait point dire, bien entendu, que le capitalisme disparaîtrait de lui-même, sans une révolution du prolétariat ; que de lui-même, il achèverait de pourrir sur pied. Lénine a toujours enseigné que sans une révolution accomplie par la classe ouvrière, il est impossible de renverser le capitalisme. C’est pourquoi, après avoir défini l’impérialisme comme un capitalisme agonisant, Lénine montrait en même temps dans son ouvrage que « l’impérialisme est la veille de la révo­lution sociale du prolétariat ».

Lénine montrait que l’oppression capitaliste, à l’époque de l’impérialisme, allait se renforçant ; que dans les conditions de l’impérialisme, l’indignation du prolétariat augmentait sans cesse contre les bases du capitalisme ; que les éléments d’une explosion révolutionnaire se multipliaient au sein des pays capitalistes. Lénine montrait qu’à l’époque de l’impérialisme la crise révolutionnaire s’aggrave dans les pays coloniaux et dépendants ; que l’indignation s’accroît contre l’impérialisme ; que les fac­teurs d’une guerre libératrice contre l’impérialisme s’accumulent. Lénine montrait que dans les conditions de l’impérialisme, l’inégalité du développement et les contradictions du capita­lisme s’aggravent particulièrement ; que la lutte pour les mar­chés d’exportation des marchandises et des capitaux, la lutte pour les colonies, pour les sources de matières premières, rend inévitables les guerres impérialistes périodiques en vue d’un nouveau partage du monde.

Lénine montrait que justement par suite de ce développement inégal du capitalisme, des guerres impérialistes éclatent qui débilitent les forces de l’impérialisme et rendent possible la rupture du front de l’impérialisme là où il se révèle le plus faible.

Partant de ce point de vue, Lénine en arrivait à conclure que la rupture du front impérialiste par le prolétariat était par­faitement possible en un ou plusieurs points  ; que la victoire du socialisme était possible d’abord dans un petit nombre de pays ou même dans un seul pays pris à part ; que la victoire simultanée du socialisme dans tous les pays, en raison du développement inégal du capitalisme, était impossible ; que le socialis­me vaincrait d’abord dans un seul ou dans plusieurs pays tandis que les autres pays resteraient, pendant un certain temps, des pays bourgeois.

Voici la formule de cette conclusion géniale, telle que Lénine la donna dans deux articles du temps de la guerre im­périaliste :

1° « L’inégalité du développement économique et politique est une loi absolue du capitalisme. I1 s’ensuit que la victoire du socialisme est possible au début dans un petit nombre de pays capitalistes ou même dans un seul pays capitaliste pris à part. Le prolétariat victorieux de ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se dresserait contre le reste du monde, capita­liste, en attirant à lui les classes opprimées des autres pays. .. » (Extrait de l’article « Du mot d’ordre des États-Unis d’Europe », août 1915. Lénine, Œuvres choisies, t. I, p. 755.)

2° « Le développement du capitalisme se fait d’une façon extrêmement inégale dans les différents pays. Au reste il ne saurait en être autrement sous le régime de la production marchande. D’où cette conclusion qui s’impose : le socialisme ne peut vaincre simultanément dans tous les pays. Il vaincra d’abord dans un seul ou dans plusieurs pays, tandis que les autres resteront pendant un certain temps des pays bourgeois ou pré-bourgeois. Cette situation donnera lieu non seulement à des frottements, mais à une tendance directe de la bourgeoisie des autres pays à écraser le prolétariat victorieux de l’État socialiste. Dans ces cas-là, la guerre de notre part serait légitime et juste. Ce serait une guerre pour le socialisme, pour l’affranchissement des autres peuples du joug de la bourgeoisie. » (Extrait de l’ar­ticle : « Le programme militaire de la révolution proléta­rienne », automne 1916. Lénine, Œuvres choisies, t. I, p. 888.)

Il y avait là une théorie nouvelle, une théorie achevée sur la révolution socialiste, sur la possibilité de la victoire du socia­lisme dans un pays pris à part, sur les conditions de sa victoi­re, sur les perspectives de sa victoire, — théorie dont les fon­dements avaient été définis par Lénine, dès 1905, dans sa brochure Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique.

Elle différait foncièrement de la conception répandue dans la période du capitalisme pré-impérialiste parmi les marxistes, au temps où ceux-ci estimaient que la victoire du socialisme était impossible dans un seul pays, que le socialisme triompherait simultanément dans tous les pays civilisés. C’est en partant des données relatives au capitalisme impérialiste, exposées dans son remarquable ouvrage L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, que Lénine renversait cette conception comme périmée ; il formulait une nouvelle conception théorique d’a­près laquelle la victoire simultanée du socialisme dans tous les pays était jugée impossible, tandis que la victoire du socia­lisme dans un seul pays capitaliste pris à part était reconnue possible.

Ce qui fait la valeur inappréciable de la théorie de Lénine sur la révolution socialiste, ce n’est pas seulement qu’elle a enrichi le marxisme d’une théorie nouvelle et qu’elle l’a fait pro­gresser. Ce qui fait sa valeur, c’est encore qu’elle donne une perspective révolutionnaire aux prolétaires des différents pays ; qu’elle stimule leur initiative pour livrer assaut à leur bourgeoisie nationale ; elle leur apprend à utiliser les circonstances de guerre pour organiser cet assaut et affermit leur foi en la victoire de la révolution prolétarienne.

Telle était la conception théorique et tactique des bolchéviks dans les questions de guerre, de paix et de révolution. C’est en se basant sur cette conception que les bolchéviks faisaient leur travail pratique en Russie.

Malgré les féroces persécutions policières, les députés bol­chéviks à la Douma, Badaev, Pétrovski, Mouranov, Samoïlov, Chagov, s’étaient mis, au début de la guerre, à faire le tour d’une série d’organisations pour y exposer l’attitude des bolchéviks devant la guerre et la révolution. En novembre 1914, la fraction bolchévique de la Douma d’État se réunit pour discuter de l’attitude à observer à l’égard de la guerre. Au troi­sième jour, l’ensemble des participants de la réunion furent arrêtés. Le tribunal condamna tous les députés à la perte des droits civiques et à la déportation en Sibérie orientale. Le gou­vernement tsariste accusait de « haute trahison » les députés bolchéviks de la Douma d’État.

Le procès révéla l’activité qui avait été déployée par les dé­putés de la Douma et qui faisait honneur à notre Parti. Les députés bolchéviks eurent une attitude courageuse devant le tribunal tsariste, dont ils se firent une tribune pour dénoncer la politique de conquête du tsarisme. Tout autre fut la conduite de Kaménev, impliqué dans la même affaire. Au premier danger, il renia par lâcheté la poli­tique du Parti bolchévik. Kaménev proclama au procès son désaccord avec les bolchéviks dans la question de la guerre ; il demanda, pour preuve, à faire citer le menchévik Iordanski comme témoin.

Les bolchéviks firent un gros travail dirigé contre les comités des industries de guerre, contre les tentatives des men­chéviks de soumettre les ouvriers à l’influence de la bourgeoi­sie impérialiste. La bourgeoisie avait un intérêt vital à présen­ter aux yeux de tout le monde la guerre impérialiste comme l’affaire du peuple entier. Pendant la guerre, elle avait pris une grande influence sur les affaires de l’État en créant sa propre organisation nationale, les unions des zemstvos et des villes. Il lui restait à soumettre les ouvriers à sa direction et à son influence.

La bourgeoisie imagina un bon moyen pour y par­venir : la création de « groupes ouvriers » près les comités des industries de guerre. Les menchéviks s’emparèrent de cette idée de la bourgeoisie.

Les bourgeois avaient intérêt à faire partici­per à ces comités des industries de guerre les représentants des ouvriers, afin qu’ils fissent de 1’agitation parmi les niasses ouvrières pour affirmer la nécessité d’intensifier la productivité du travail dans les fabriques d’obus, de canons, de fusils, de cartouches, et autres entreprises travaillant pour la défense.

« Tout pour la guerre, tout en vue de la guerre », tel était le mot d’ordre de la bourgeoisie. Mot d’ordre qui signifiait en réalité : « Enrichis-toi tant que tu pourras dans les fournitures de guerre et l’annexion des territoires d’autrui ! » Les menchéviks prirent une part active à cette entreprise pseudo-pa­triotique de la bourgeoisie. Se faisant les auxiliaires des capitalistes, ils engageaient vivement les ouvriers à participer à l’élection des « groupes ouvriers ». Les bolchéviks étaient contre cette entreprise. Ils préconisaient le boycottage des comités des industries de guerre et ils réalisèrent ce boycottage avec succès.

Une partie des ouvriers s’associa pourtant aux travaux de ces comités, sous la direction du menchévik notoire Gvozdev et de l’agent provocateur Abrossimov. Lorsque, en septembre 1915, les mandataires des ouvriers se réunirent pour procéder à l’élection définitive des « groupes ouvriers » des comités des industries de guerre, il se trouva que la plupart des mandataires étaient contre la participation à ces comités.

Dans leur ma­jorité, les représentants des ouvriers adoptèrent une résolution condamnant nettement la participation aux comités des indus­tries de guerre et déclarèrent que les ouvriers s’assignaient comme tâche de lutter pour la paix, pour le renversement du tsarisme.

Un important travail fut également accompli par les bolchéviks dans l’armée et dans la flotte. Ils dénonçaient aux mas­ses de soldats et de matelots les responsables des atrocités de la guerre et des souffrances inouïes du peuple ; ils expliquaient que la révolution était pour le peuple le seul moyen de s’arra­cher à la boucherie impérialiste. Les bolchéviks créaient des cellules dans l’armée et dans la flotte, sur les fronts et dans les formations de l’arrière ; ils diffusaient des appels contre la guerre.

À Cronstadt, les bolchéviks constituèrent le « Groupe central de l’organisation militaire de Cronstadt », étroitement ratta­ché au Comité de Pétrograd du Parti. Une organisation militaire fut créée auprès du Comité de Pétrograd du Parti pour le travail parmi les troupes de la garnison. En août 1916, le chef de l’Okhrana de Pétrograd fit un rapport où on lit : « Dans le Groupe de Cronstadt, le travail est organisé très sérieuse­ment, clandestinement ; les participants sont tous des gens silen­cieux et circonspects. Ce groupe a aussi des représentants à terre. »

Le Parti faisait de l’agitation au front pour la fraternisa­tion entre les soldats des armées belligérantes ; il soulignait que l’ennemi était la bourgeoisie mondiale et qu’on ne pouvail terminer la guerre impérialiste qu’en la transformant en guerre civile, en tournant les armes contre sa propre bourgeoisie et son gouvernement. On voyait se multiplier les cas où telle ou telle formation militaire refusait de monter à l’attaque.

Des faits de ce genre se produisirent en 1915, et surtout en 1916. Les bolchéviks firent un travail particulièrement important dans les armées du front Nord, qui étaient cantonnées dans les Provinces baltiques. Au début de 1917, le général Rouzski, commandant en chef de l’armée du front nord, fit un rapport à ses chefs hiérarchiques sur l’intense activité révolutionnaire déployée sur ce front par les bolchéviks.

La guerre marquait un tournant considérable dans la vie des peuples, dans la vie de la classe ouvrière mondiale.

Elle avait mis en jeu les destinées des États, le sort des peuples et du mouvement socialiste. Aussi fut-elle en même temps une pierre de touche, une épreuve pour tous les partis et fous les courants qui se disaient socialistes. Ces partis et ces courants resteraient-ils fidèles à la cause du socialisme, à la cause de l’internationa­lisme, ou préféreraient-ils trahir la classe ouvrière, rouler leurs drapeaux et les jeter aux pieds de leur bourgeoisie nationale ? Voila comment la question se posait.

La guerre montra que les partis de la IIe Internationale n’avaient pu résister à l’épreuve, qu’ils avaient trahi la classe ouvrière et incliné leurs drapeaux devant leur bourgeoisie na­tionale, leur bourgeoisie impérialiste. Au reste, comment ces partis auraient-ils pu agir autrement, eux qui cultivaient dans leur sein l’opportunisme et étaient éduqués dans l’esprit des concessions aux opportunistes, aux natio­nalistes ? La guerre montra que seul le Parti bolchévik passait l’épreuve avec honneur et demeurait fidèle jusqu’au bout à la cause du socialisme, à la cause de l’internationalisme prolétarien.

Et cela se conçoit : seul un parti d’un type nouveau, seul un parti éduqué dans l’esprit d’une lutte intransigeante contre l’opportunisme, seul un parti affranchi de l’opportunisme et du nationalisme, seul un tel parti pouvait passer la grande épreuve et demeurer fidèle à la cause de la classe ouvrière, à la cause du socialisme et de l’internationalisme. Ce parti-là, c’était le Parti bolchévik.

 4. Défaite de l’armée tsariste sur le front. Ruine économique. Crise du tsarisme.

La guerre durait depuis trois ans. Elle emportait des millions de vies humaines : tués, blessés, victimes des épidémies qu’elle avait engendrées. La bourgeoisie et les propriétaires fonciers s’enrichissaient tandis que les ouvriers et les paysans souffraient de plus en plus de la misère et des privations. La guerre délabrait l’économie nationale de la Russie. Environ 14 millions de travailleurs valides avaient été incorporés à l’armée, retirés de la production ; fabriques et usines s’arrêtaient. La surface des emblavures diminuait : on manquait de bras. La population et les soldats du front étaient affamés, sans chaussures et sans vêtements. La guerre engloutissait toutes les ressources du pays.

L’armée tsariste essuyait défaite sur défaite. L’artillerie allemande faisait pleuvoir une grêle d’obus sur les troupes tsaristes qui, elles, manquaient de canons, d’obus, voire même de fusils. Il y arrivait qu’il n’y eût qu’un fusil pour trois hommes.

En pleine guerre, on avait découvert la trahison du ministre de la guerre Soukhomlinov, qui avait des intelligences avec les espions allemands. Soukhomlinov, exécutant les ordres qu’il recevait des services d’espionnage allemands, sabotait le ravitaillement du front en munitions, laissait le front sans canons et sans fusils.

Plusieurs ministres et généraux du tsar contribuaient en sous-main aux succès de l’armée allemande ; de concert avec la tsarine, qui avait des attaches chez les allemands, ils leur livraient les secrets militaires. Rien d’étonnant que l’armée tsariste essuyât des défaites et fût obligée de reculer. Vers 1916, les Allemands s’étaient déjà emparés de la Pologne et d’une partie des Provinces baltiques.

Tous ces faits provoquaient la haine et la colère des ouvriers, des paysans, des soldats et des intellectuels contre le gouvernement tsariste ; ils renforçaient et aggravaient le mouvement révolutionnaire des masses du peuple contre la guerre, contre le tsarisme, tant à l’arrière que sur le front, tant au centre qu’à la périphérie.

Le mécontentement avait aussi gagné la bourgeoisie impérialiste russe. Ce qui l’irritait, c’était de voir qu’à la cour impériale régnaient en maître des aigrefins dans le genre de Raspoutine, qui visaient manifestement à faire signer une paix séparée avec les Allemands. Elle se persuadait de plus en plus que le gouvernement tsariste était incapable de mener la guerre à la victoire. Elle craignait que le tsarisme, pour sauver sa situation, n’acceptât une paix séparée avec les Allemands.

Aussi la bourgeoisie russe avait-elle décidé de faire une révolution de palais, afin de déposer le tsar Nicolas II et de mettre à sa place un tsar lié à la bourgeoisie : Michael Romanov. Ce faisant, elle entendait courir deux lièvres à la fois : premièrement, se faufiler au pouvoir et assurer la continuation de la guerre impérialiste ; en second lieu, prévenir par une petite révolution de palais l’avènement de la grande révolution populaire, dont elle voyait monter la vague.

Pour cette entreprise, la bourgeoisie russe avait l’appui entier des gouvernements anglais et français. Ceux-ci se rendaient compte que le tsar était incapable de continuer la guerre. Ils redoutaient qu’il ne finît par signer une paix séparée avec les Allemands. Si le gouvernement tsariste avait conclu une paix séparée, les gouvernements d’Angleterre et de France auraient perdu, par la défection de la Russie, un allié qui non seulement attirait des forces adverses sur les fronts occupés par lui, mais fournissaient à la France des dizaines de milliers d’excellents soldats russes. Aussi prêtaient-ils leur appui à la bourgeoisie russe dans ses tentatives d’accomplir une révolution de palais.

Le tsar se trouvait ainsi isolé.

En même temps que les revers se multipliaient sur le front, la ruine économique s’aggravait. C’est dans les journées de janvier-février 1917 que la crise des denrées alimentaires, des matières premières et du combustible atteignit son point culminant, sa plus grande acuité. Il y eut arrêt presque complet des transports de vivres sur Pétrograd et sur Moscou. Les entreprises fermaient l’une après l’autre, augmentant le chômage. La situation des ouvriers était devenue particulièrement intenable. Des masses populaires de plus en plus profondes arrivaient à la conviction qu’il n’y avait qu’une seule issue à cette situation intolérable : renverser l’autocratie tsariste.

Le tsarisme traversait manifestement une crise mortelle.

La bourgeoisie croyait pouvoir régler la crise par une révolution de palais.

Mais le peuple la régla à sa manière.

5. La révolution de Février. Chute du tsarisme. Formation des Soviets de députés ouvriers et soldats. Formation du gouvernement provisoire. Dualité des pouvoirs.

 L’année 1917 débuta par la grève du 9 Janvier. Au cours de cette grève des manifestations se déroulèrent à Pétrograd, Moscou, Bakou, Nijni-Novgorod. A noter que le 9 janvier, à Moscou, près d’un tiers de tous les ouvriers prirent part à la grève. Une manifestation de deux mille personnes sur le boulevard Tverskoï fut dispersée par la police montée. Sur la chaussée de Vyborg, à Pétrograd, les soldats firent cause commune avec les manifestants. La police de Pétrograd écrivait dans son rapport : « L’idée de la grève générale rallie de jour en jour de nouveaux partisans ; elle devient populaire comme elle le fut en 1905. »

Les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires s’appliquaient à faire entrer le mouvement révolutionnaire qui s’amorçait, dans le cadre voulu par la bourgeoisie libérale. Au 14 février, lors de l’ouverture de la Douma d’État, les menchéviks proposèrent d’organiser un cortège des ouvriers dans la direc­tion de la Douma. Mais les masses ouvrières suivirent les bolchéviks : au lieu d’aller à la Douma, elles s’en furent manifester. Le 18 février 1917 éclata à Pétrograd la grève de l’usine Poutilov. Le 22 février, les ouvriers de la plupart des grandes en­treprises se joignirent au mouvement.

Le 23 février (8 mars), Journée internationale des femmes, à l’appel du Comité bolchévik de Pétrograd, les ouvrières descendirent dans la rue pour manifester contre la famine, la guerre le tsarisme. Cette manifestation fut soutenue par l’action gréviste générale des ouvriers de Pétrograd. La grève politique commença à se transformer en une manifestation politique générale contre le régime tsariste. Le 24 février (9 mars), la manifestation redouble de force. Cette fois, 200.000 ouvriers sont en grève.

Le 25 février (10 mars), le mouvement révolutionnaire s’étend à tous les ouvriers de Pétrograd. Les grèves politiques des différents quartiers se transforment en une grève politique générale de la ville entière. Partout, ce ne sont que manifestations et collisions avec la police. Sur les masses ouvrières flottent des drapeaux rouges portant ces mots d’ordre : « À bas le tsar ! », « À bas la guerre ! », « Du pain !  »

Dans la matinée du 26 février (11 mars), la grève politique et la manifestation commencent à se transformer en essais d’insurrection. Les ouvriers désarment la police et la gendarmerie, et ils s’arment eux-mêmes. Toutefois, la collision armée avec la police, place Znamenskaïa, se termine par la fusillade de la manifestation. Le général Khabalov, commandant de la région militaire de Pétrograd, signifie aux ouvriers d’avoir à reprendre le travail le 28 février (13 mars), sinon ils seront envoyés au front. Le 25 février (10 mars), le tsar mande au général Khabalov : « J’ordonne de faire cesser dès demain les désordres dans la capitale. »

Mais il n’était plus possible de « faire cesser » la révolution !

Dans la journée du 26 février (11 mars), la 4° compagnie du bataillon de réserve du régiment Pavlovski ouvre le feu, non sur les ouvriers, mais sur les détachements de police montée qui échangeaient des coups de feu avec les ouvriers. La lutte pour l’armée se déploya, énergique et opiniâtre, notamment du côté des ouvrières, qui faisaient directement appel aux soldats, fraternisaient avec eux, les exhortaient à aider le peuple à renverser l’autocratie tsariste exécrée. L’action pratique du Parti bolchévik était dirigée par le Bureau du Comité central de notre Parti, qui se trouvait alors à Pétrograd, avec le camarade Mololov en tête.

Le 26 février (11 mars), le Bureau du Comité central lança un manifeste qui engageait à poursuivre la lutte armée contre le tsarisme, à créer un Gouvernement révolutionnaire provisoire.

Le 27 février (12 mars), à Pétrograd, les troupes refusent de tirer sur les ouvriers et passent aux côtés du peuple insurgé. Dans la matinée, il n’y avait que 10.000 soldats insurgés ; le soir, ils étaient déjà plus de 60.000. Ouvriers et soldats soulevés procèdent à l’arrestation des ministres et des généraux tsaristes ; ils remettent en Liberté les révolutionnaires emprisonnés. Sitôt libres, les détenus politiques s’incorporent à la lutte révolutionnaire.

Dans les rues, la fusillade continuait avec les agents de po­lice et les gendarmes, qui avaient posté des mitrailleuses dans les greniers des maisons. Mais le rapide passage de la troupe aux côtés des ouvriers décida du sort de l’autocratie tsariste. Lorsque la nouvelle de la révolution victorieuse à Pétrograd arriva dans les autres villes et sur le front, ouvriers et soldats se mirent en devoir de destituer partout les fonctionnaires tsa­ristes.

La révolution démocratique bourgeoise de Février triomphait.

Elle avait triomphé parce que sa promotrice avait été la classe ouvrière, qui s’était mise à la tête du mouvement des millions de paysans en capote de soldat « pour la paix, pour le pain, pour la liberté ». L’hégémonie du prolétariat avait déterminé le succès de la révolution :

« La révolution a été accomplie par le prolétariat ; c’est lui qui a fait preuve d’héroïsme, qui a versé son sang, qui a entraîné derrière lui les plus grandes masses des travail­leurs et de la population pauvre… », écrivait Lénine dans les premiers jours de la révolution. (Lénine, t. XX, pp. 23-24, éd. russe.)

La première révolution de 1905 avait préparé la victoire rapide de la deuxième révolution de 1917 :

« Si le prolétariat russe n’avait pas, pendant trois ans, de 1905 à 1907, livré les plus grandes batailles de classe et dé­ployé son énergie révolutionnaire, la deuxième révolution n’eût pas été aussi rapide, en ce sens que son étape initiale n’eût pas été achevée en quelques jours », indiqua Lénine. (Lénine, Œuvres choisies, t. I, pp. 898-899.)

Les Soviets apparurent dès les premiers jours de la révolution. La révolution victorieuse s’appuya sur les Soviets des dé­putés ouvriers et soldats, créés par les ouvriers et les soldats insurgés. La révolution de 1905 avait montré que les Soviets étaient les organes de l’insurrection armée et en même temps l’embryon d’un pouvoir nouveau, révolutionnaire. L’idée des Soviets vivait dans la conscience des masses ouvrières, et elles la réalisèrent dès le lendemain du renversement du tsarisme, avec cette différence toutefois qu’en 1905 c’étaient des Soviets uniquement de députés ouvriers, tandis qu’on février 1917, sur l’initiative des bolchéviks, furent formés des Soviets de députés ouvriers et soldats.

Pendant que les bolchéviks assumaient la direction immédiate de la lutte des masses dans la rue, les partis de conciliation, menchéviks et socialistes-révolutionnaires, s’emparèrent des sièges de députés dans les Soviets, y établissant leur majorité.

Ce qui pour une part avait contribué à cette situation, c’est que la majorité des chefs du Parti bolchévik se trouvaient en prison ou en exil (Lénine, dans l’émigration, Staline et Sverdlov, déportés en Sibérie), alors que menchéviks et socialistes-révolutionnaires déambulaient en toute liberté dans les rues de Pétrograd C’est ainsi que les représentants des partis de conciliation, menchéviks et socialistes-révolutionnaires, se trouvèrent à la tête du Soviet de Pétrograd et de son Comité exécutif.

Il en fut de même à Moscou et dans plusieurs autres villes. C’est seulement à Ivanovo-Voznessensk, à Krasnoïarsk et dans quelques villes encore que la majorité au sein des Soviets appartint dès le début aux bol­chéviks. Le peuple armé, les ouvriers et les soldats, en déléguant leurs représentants au Soviet, regardaient celui-ci comme l’organe du pouvoir populaire. Ils estimaient, ils étaient convaincus que le Soviet des députés ouvriers et soldats ferait aboutir toutes les revendications du peuple révolutionnaire, et qu’en premier lieu la paix serait conclue.

Mais la crédulité excessive des ouvriers et des soldats allait leur jouer un mauvais tour. Les socialistes-révolutionnaires et Les menchéviks ne songeaient même pas à mettre un terme à la guerre, à obtenir la paix. Ils entendaient utiliser la révolution pour continuer la guerre. Pour ce qui était de la révolution et des revendications révolutionnaires du peuple, les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks considéraient que la révolution était terminée, qu’il s’agissait maintenant de la consolider et de s’engager dans la voie d’une coexistence « normale », constitu­tionnelle, avec la bourgeoisie. C’est pourquoi la direction socialiste-révolutionnaire et menchévique du Soviet de Pétrograd prit toutes les mesures qui dépendaient d’elle pour escamoter le pro­blème de la cessation de la guerre, la question de la paix, et re­mettre le pouvoir à la bourgeoisie.

Le 27 février (12 mars) 1917, les députés libéraux de la Dou­ma d’État, après s’être concertés dans la coulisse avec les leaders socialistes-révolutionnaires et menchéviks, constituèrent le Co­mité provisoire de la Douma d’État avec, en tête, le président de la IVe Douma Rodzianko, grand propriétaire foncier et mo­narchiste. Quelques jours après, le Comité provisoire et les lea­ders socialistes-révolutionnaires et menchéviks du Comité exé­cutif du Soviet des députés ouvriers et soldats s’entendirent entre eux, à l’insu des bolchéviks, pour former un nouveau gouverne­ment de la Russie, le Gouvernement provisoire bourgeois avec, à sa tête, le prince Lvov, dont le tsar Nicolas II, avant la ré­volution de Février, avait pensé faire son premier ministre.

Le Gouvernement provisoire comprenait le chef des cadets Milioukov, le chef des octobristes Goutchkov et d’autres représentants notoires de la classe des capitalistes ; le socialiste-révolutionnaire Kérenski y avait été Introduit comme représentant de la « démo­cratie ».

Voilà comment les leaders socialistes-révolutionnaires et menchéviks du Comité exécutif du Soviet livrèrent le pouvoir à la bourgeoisie ; le Soviet des députés ouvriers et soldats, mis au courant du fait, approuva à la majorité l’activité des leaders so­cialistes-révolutionnaires et menchéviks, malgré les protestations des bolchéviks. C’est ainsi que fut formé, en Russie, le nouveau pouvoir d’État, composé, comme dit Lénine, des représentants « de la bourgeoisie et des grands propriétaires fonciers embourgeoisés ».

Mais à côté du gouvernement bourgeois existait un autre pou­voir, le Soviet des députés ouvriers et soldats. Les députés sol­dats étaient principalement des paysans mobilisés. Le Soviet des députés ouvriers et soldats était l’organe de l’alliance des ou­vriers et des paysans contre le pouvoir tsariste et, en même temps, l’organe de leur pouvoir, l’organe de la dictature de la classe ouvrière et de la paysannerie.

Il en résulta un original enchevêtrement de deux pouvoirs, de deux dictatures : la dictature de la bourgeoisie représentée par le Gouvernement provisoire et la dictature du prolétariat et de la paysannerie représentée par le Soviet des députés ouvriers et soldats.

Il y eut dualité des pouvoirs.

Comment expliquer que les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires se soient trouvés au début en majorité dans les Soviets ? Comment expliquer que les ouvriers et les paysans victorieux aient remis volontairement le pouvoir aux représentants de la bourgeoisie ?

Lénine l’expliquait par ce fait que des millions d’hommes non initiés à la politique s’étaient éveillés à la politique, s’y sentaient attirés. C’étaient pour la plupart de petits exploitants, des pay­sans, des ouvriers récemment venus de la campagne, des hom­mes qui tenaient le milieu entre la bourgeoisie et le prolétariat. La Russie était alors le pays petit-bourgeois par excellence entre les grands pays d’Europe.

Et dans ce pays, « une formidable vague petite-bourgeoise avait tout submergé, avait écrasé non seulement par son nombre, mais aussi par son idéologie, le prolé­tariat conscient, c’est-à-dire qu’elle avait contaminé de très larges milieux ouvriers, en leur communiquant ses conceptions petites-bourgeoises en politique ». (Lénine, Œuvres choisies, t. II, p. 21.)

C’est cette vague de l’élément petit-bourgeois qui avait fait remonter à la surface les partis petits-bourgeois : menchévik et socialiste-révolutionnaire. Lénine indiqua encore une autre raison, à savoir le change­ment intervenu dans la composition du prolétariat pendant la guerre, et le degré insuffisant de conscience et d’organisation du prolétariat au début de la révolution. Pendant la guerre, des changements notables s’étaient opérés dans la composition du prolétariat lui-même. Près de 40% des hommes de condition ouvrière avaient été incorporés à l’armée.

Un grand nombre de petits propriétaires, d’artisans, de boutiquiers, étrangers à la mentalité prolétarienne, s’étaient infiltrés dans les entreprises pour échapper à la mobilisation. Ce sont ces éléments petits-bourgeois du monde ouvrier qui formaient justement le terrain où s’alimentèrent les politiciens petits-bourgeois, menchéviks et socialistes-révolutionnaires.

Voilà pourquoi les grandes masses populaires non initiées à la politique, débordées par la vague de l’élément petit-bourgeois et grisées par les premiers succès de la révolution, se trouvèrent, dans les premiers mois de la révolution, sous l’emprise des partis conciliateurs ; voilà pourquoi elles consentirent à céder à la bourgeoisie le pouvoir d’État, croyant dans leur candeur que le pouvoir bourgeois ne gênerait pas l’activité des Soviets.

Une tâche s’imposait au Parti bolchévik : par un patient travail d’explication auprès des masses, dévoiler le caractère im­périaliste du Gouvernement provisoire, dénoncer la trahison des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks, et montrer qu’il était impossible d’obtenir la paix à moins de remplacer le Gou­vernement provisoire par le gouvernement des Soviets.

Et le Parti bolchévik s’attela à cette besogne avec la plus grande énergie.

Il reconstitue ses organes de presse légaux. Cinq jours seule­ment après la révolution de Février, le journal Pravda paraît à Pétrograd, et quelques jours plus tard, le Social-Démocrate à Moscou. Le Parti se met à la tête des masses qui perdent leur confiance dans la bourgeoisie libérale, leur confiance dans les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires.

Il explique patiem­ment aux soldats, aux paysans, la nécessité d’une action com­mune avec la classe ouvrière. Il leur explique que les paysans n’auront ni la paix, ni la terre, si la révolution ne continue pas à se développer, si le Gouvernement provisoire bourgeois n’est pas remplacé par le gouvernement des Soviets.

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Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Le parti bolchévik dans les années d’essor du mouvement ouvrier à la veille de la première guerre impérialiste (1912-1914)

Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), 1938

1. L’essor du mouvement révolutionnaire de 1912 à 1914.

Le triomphe de la réaction stolypinienne ne fut pas de longue durée. Un gouvernement qui n’entendait donner au peuple que le knout et la potence, ne pouvait être un gouvernement solide. La répression était devenue chose si coutumière que le peuple ne la redoutait plus. Peu à peu disparaissait la lassitude qui s’était emparée des ouvriers dans les premières années de la défaite de la révolution.

De nouveau, les ouvriers se dressaient pour la lutte. La prévision des bolchéviks qu’un nouvel essor révolutionnaire était inévitable, s’avéra exacte. Dès 1911, le nombre des grévistes dépassa 100 000, alors que dans les années précédentes, il n’atteignit que 50 à 60 000. Dès janvier 1912, la conférence de Prague du Parti constata une reprise de l’activité dans le mouvement ouvrier. Mais le véritable essor du mouvement révolutionnaire ne commença qu’en avril-mai 1912, lorsqu’à la suite du massacre des ouvriers de la Léna éclatèrent les grèves politiques de masse.

Le 4 avril 1912, pendant la grève des mines d’or de la Léna, en Sibérie, plus de 500 ouvriers furent tués ou blessés sur l’ordre d’un officier de gendarmerie tsariste. Le massacre de la foule désarmée des mineurs de la Léna, qui s’en allaient paisiblement engager des pourparlers avec l’administration, bouleversa le pays entier.

Ce nouveau forfait sanglant avait été commis par l’autocratie tsariste pour complaire aux patrons des mines d’or de la Léna, des capitalistes anglais, et briser la grève économique des mineurs. Les capitalistes anglais et leurs associés russes tiraient de ces mines des profits scandaleux, — plus de 7 millions de roubles par an, — en exploitant les ouvriers de la façon la plus éhontée. Ils leur payaient un salaire misérable et ils les nourrissaient de denrées avariées. N’en pouvant plus des brimades et des vexations, les six mille ouvriers s’étaient mis en grève.

Le prolétariat répondit au massacre de la Léna par des grèves, des manifestations et des meetings de masse à Pétersbourg, à Moscou, dans tous les centres et toutes les régions d’industrie.

« Notre stupeur, notre ahurissement étaient si grands que, sur le moment, nous ne pouvions trouver les mots nécessaires. Quelle qu’eût été notre protestation, elle ne pouvait être qu’un faible reflet de l’effervescence qui grondait en chacun de nous. Rien n’y fera : ni les larmes, ni les protestations ; seule, la lutte de masse organisée peut nous tirer d’affaire », écrivaient les ouvriers d’un groupe d’entreprises dans leur résolution.

La véhémente indignation des ouvriers s’accrut encore lorsque le ministre tsariste Makarov, répondant à une interpellation de la fraction sociale-démocrate de la Douma d’État sur le massacre de la Léna déclara cyniquement : « Il en a été et il en sera toujours ainsi ! » Le nombre des participants aux grèves politiques de protestation contre le sanglant carnage de la Léna s’éleva à 300 000.

Les journées de la Léna, tel un ouragan, bouleversaient l’atmosphère d’ « apaisement » crée par le régime de Stolypine.

Voici ce que le camarade Staline écrivit à ce propos dans le journal bolchévik de Pétersbourg, Zvezda [l’Étoile], en 1912 :

« Les coups de feu qui ont retenti sur la Léna ont rompu la glace du silence, et le fleuve du mouvement populaire s’est mis en marche. Il marche !… Tout ce qu’il y avait de mauvais et de néfaste dans le régime actuel, tout ce qu’avait supporté la Russie martyre, tout s’est ramassé dans un seul fait, dans les évènements de la Léna. C’est bien pourquoi les coups de feu de la Léna ont été le signal de grèves et de manifestations. »

En vain, liquidateurs et trotskistes enterraient la révolution. Les évènements de la Léna montrèrent que les forces révolutionnaires étaient vivaces, qu’une masse énorme d’énergie révolutionnaire s’était accumulée dans la classe ouvrière.

Les grèves du Premier Mai 1912 touchèrent près de 400 000 ouvriers. Elles revêtirent un caractère politique prononcé et se déroulèrent sous les mots d’ordre révolutionnaires des bolchéviks : république démocratique, journée de huit heures, confiscation de toute la terre des grands propriétaires fonciers. Ces mots d’ordre essentiels visaient à unir non seulement les grandes masses d’ouvriers, mais aussi les masses de paysans et de soldats, en vue de réaliser l’assaut révolutionnaire contre l’autocratie.

« La grève grandiose déclenchée au mois de mai par le prolétariat de Russie et les manifestations de rue qui s’y rattachent, les tracts révolutionnaires et les discours révolutionnaires prononcés devant des foules d’ouvriers ont montré avec éclat que la Russie est entrée dans une phase d’essor de la révolution », écrivit Lénine, dans un article intitulé « L’essor révolutionnaire ». (Lénine, Œuvres choisies, t. I, p. 654.)

Inquiets de l’esprit révolutionnaire des ouvriers, les liquidateurs s’élevèrent contre la lutte gréviste, qu’ils qualifiaient de « rage gréviste ». Les liquidateurs et leur allié Trotski entendaient substituer à la lutte révolutionnaire du prolétariat une « campagne de pétitions », une requête concernant leurs « droits » (abolition des restrictions relatives aux syndicats, aux grèves, etc.) pour envoyer ensuite ce papier à la Douma d’État ! Les liquidateurs ne purent recueillir que 1 300 signatures, tandis que des centaines de milliers d’ouvriers s’étaient groupés autour des mots d’ordre révolutionnaires formulés par les bolchéviks.

La classe ouvrière suivait la voie tracée par les bolchéviks.

La situation économique du pays, dans cette période, offrait le tableau que voici.

Au marasme industriel avait succédé, dès 1910, une reprise, un développement de la production dans les industries maîtresses. Si, en 1910, la production de fonte avait été de 186 000 000 de pouds [1 poud = 16 kg. 38] et en 1912, de 256 000 000, en 1913 elle se chiffra par 283 000 000 de pounds. L’extraction de la houille, en 1910, avait été de 1 522 000 000 de pouds ; en 1913, elle atteignit déjà 2 214 000 000 de pouds.

En même temps que se développait l’industrie capitaliste, les effectifs du prolétariat croissaient rapidement. Ce qui caractérisait le développement de l’industrie, c’était la concentration continue de la production dans les grandes et les très grandes entreprises.

Si, en 1901, les grandes entreprises comptant 500 ouvriers et plus occupaient 46,7% de la totalité des ouvriers, en 1910 les entreprises de ce type occupaient déjà près de 54%, soit plus de la moitié de tous les ouvriers : concentration industrielle sans précédent. Même dans un pays industriel aussi développé que les États-Unis, les grandes entreprises, à l’époque, n’occupaient que près d’un tiers de tous les ouvriers.

Ce développement et cette concentration du prolétariat dans les grandes entreprises, quand il existait un parti révolutionnaire comme le Parti bolchévik, firent de la classe ouvrière de Russie une force considérable dans la vie politique de ce pays. Les formes barbares d’exploitation des ouvriers dans les entreprises, jointes à l’intolérable régime policier des sicaires tsaristes, conféraient à chaque grève importante un caractère politique. Et l’interpénétration de la lutte économique et de la lutte politique donnait aux grèves de masse une vigueur révolutionnaire toute particulière.

À l’avant-garde du mouvement ouvrier révolutionnaire marchait le prolétariat héroïque de Pétersbourg ; derrière Pétersbourg venaient les Provinces baltiques, Moscou et sa province, puis le bassin de la Volga et la Russie méridionale.

En 1913, le mouvement s’étend au territoire de l’Ouest, à la Pologne, au Caucase. Les comptes rendus officiels donnent, pour 1912, 725 000 grévistes ; d’après d’autres informations plus complètes, leur nombre dépasse un million ; en 1913, d’après les comptes rendus officiels, il y eut 861 000 grévistes, et d’après des informations plus complètes, 1 272 000. Au cours du premier semestre 1914, près d’un million et demi d’ouvriers prenaient déjà part aux grèves.

Ainsi l’essor révolutionnaire de 1912-1914, l’envergure du mouvement gréviste rapprochaient le pays de la situation qu’in avait connue au début de la révolution de 1905.

Les grèves révolutionnaires de masse que faisaient le prolétariat importaient au peuple entier. Elles étaient dirigées contre l’autocratie, elles ralliaient la sympathie de l’immense majorité de la population laborieuse. Fabricants et usiniers se vengeaient des ouvriers grévistes par des lock-outs.

En 1913, dans la province de Moscou, les capitalistes jetèrent à la rue 50 000 ouvriers du textile. En mars 1914, à Pétersbourg, 70 000 ouvriers furent renvoyés en un seul jour. Les ouvriers des autres entreprises et industries aidaient les grévistes et les camarades frappés de lock-out, par des collectes massives, parfois par des grèves de solidarité.

L’essor du mouvement ouvrier et les grèves de masse stimulaient et entraînaient à la lutte les masses paysannes elles aussi. De nouveau, les paysans se dressèrent pour la lutte contre les propriétaires fonciers, détruisirent les domaines seigneuriaux et les fermes des koulaks. De 1910 à 1914, il y eut plus de 13 000 actions paysannes.

L’action révolutionnaire commençait aussi dans l’armée. En 1912, une révolte armée éclata parmi les troupes du Turkestan. Des insurrections s’annonçaient dans la flotte de la Baltique et à Sébastopol.

Le mouvement gréviste révolutionnaire et les manifestations, dirigées par le Parti bolchévik, montraient que la classe ouvrière luttait, non pour des revendications partielles ni pour des « réformes », mais pour affranchir le peuple du tsarisme. Le pays allait au-devant d’une nouvelle révolution.

Pour être plus près de la Russie, Lénine avait quitté Paris au cours de l’été 1912, et vint se fixer en Galicie (province de l’ancienne Autriche). C’est là qu’il présida deux conférences des membres du Comité central élargies aux militants responsables : l’une à Cracovie, fin 1912, et l’autre à l’automne 1913, dans le bourg de Poronino, près de Cracovie. À ces conférences, des décisions furent prises sur les questions essentielles du mouvement ouvrier : l’essor révolutionnaire, les grèves et les tâches du Parti, le renforcement des organisations illégales, la fraction social-démocrate de la Douma, la presse du Parti, la campagne des assurances.

2. Le journal bolchévik Pravda. La fraction bolchévique à la IVe Douma d’État.

La Pravda [la Vérité], journal bolchévik quotidien qui parais­sait à Pétersbourg, fut, dans les mains du Parti bolchévik, une arme puissante pour consolider ses organisations et conquérir l’influence sur les masses. Elle fut fondée d’après les indications de Lénine, sur l’initiative de Staline, Olminski et Polétaev. La Pravda, journal ouvrier de masse, naquit en même temps que commençait le nouvel essor du mouvement ouvrier.

Le 22 avril 1912 (5 mai nouveau style) paraissait son premier numéro. Ce fut une véritable fête pour les ouvriers. Pour commémorer le lance­ment de la Pravda, le 5 mai a été proclamé jour de fête de la presse ouvrière.

Avant la Pravda paraissait un hebdomadaire bolchévik Zvezda, destiné aux ouvriers avancés. La Zvezda avait joué un grand rôle pendant les journées de la Lena. Elle publia une série d’ardents articles politiques de Lénine et de Staline, qui mobilisaient la classe ouvrière pour la lutte. Mais dans les conditions de l’essor révolutionnaire, le Parti bolchévik ne pouvait plus se contenter d’un journal hebdomadaire. Il lui fallait un quotidien politique de masse, destiné aux plus larges couches d’ouvriers. C’est la Pravda qui fut ce journal.

Pendant cette période, l’importance de la Pravda fut exceptionnelle. Elle gagnait au bolchévisme les grandes masses de la classe ouvrière. Dans l’atmosphère des incessantes persécutions policières, amendes et saisies, que lui valait l’insertion d’articles et de correspondances coupables d’avoir déplu à la censure, la Pravda ne pouvait exister qu’avec le soutien actif de dizaines de milliers d’ouvriers avancés.

Elle ne pouvait payer les très fortes amendes dont elle était frappée, que grâce aux collectes massives effectuées parmi les ouvriers. Souvent, une grande partie des numéros interdits de la Pravda parvenaient quand même au lecteur, les ou­vriers d’avant-garde venant la nuit à l’imprimerie pour emporter des paquets de journaux.

En deux ans et demi, le gouvernement tsariste interdit la Frauda [la Vérité] à fruit reprises ; mais, soutenue par les ou­vriers, elle reparaissait sous un nouveau titre qui rappelait le premier, par exemple : Pour la Vérité, le Chemin de la Vérité, la Vérité du Travail. Alors que la Pravda était diffusée en moyenne à 40.000 exem­plaires par jour, le tirage du quotidien menchévik Loutch [le Rayon de lumière] n’allait pas au delà de 15 à 16.000.

Les ouvriers considéraient la Pravda comme leur journal à eux ; ils lui témoignaient une grande confiance et se montraient très attentifs à tout ce qu’elle leur disait. Chaque exemplaire de la Pravda, en passant de main en main, était lu par des dizaines de personnes ; il formait leur conscience de classe, les éduquait, les organisait, les appelait à la lutte.

Que disait la Pravda ?

Chaque numéro contenait des dizaines de correspondances ou­vrières, qui relataient la vie des ouvriers, l’exploitation féroce, les multiples brimades et vexations dont les ouvriers avaient à souf­frir de la part des capitalistes, de leurs administrateurs et contre­maîtres. Ces correspondances dressaient un réquisitoire âpre et cinglant contre le régime capitaliste. Il n’était pas rare de trouver dans la Pravda des notes annonçant le suicide de chômeurs affa­més qui avaient perdu l’espoir de trouver du travail.

La Pravda exposait les besoins et les revendications des ou­vriers des diverses usines et industries ; elle disait la lutte des ouvriers pour leurs revendications. Presque chaque numéro évo­quait les grèves déclenchées dans les différentes entreprises.

Lorsque éclataient des grèves importantes, de longue durée, le journal organisait l’aide aux grévistes en lançant des souscriptions parmi les ouvriers des autres entreprises et industries. Parfois les fonds de grève atteignaient des dizaines de milliers de roubles, somme énorme pour l’époque, si l’on tient compte que la majorité des ouvriers ne gagnaient que de 70 à 80 copecks par jour. C’est ainsi que les ouvriers étaient éduqués dans l’esprit de la solidarité prolétarienne et de la communauté de leurs intérêts.

À chaque événement politique, à chaque victoire ou chaque défaite, les ouvriers réagissaient en envoyant à la Pravda des lettres, des adresses, des protestations, etc. Dans ses articles, la Pravda éclairait les objectifs du mouvement ouvrier d’un point de vue bolchévik Conséquent.

Etant légal, le journal ne pouvait appeler ouvertement à renverser le tsarisme. Force lui était de procéder par allusions ; mais les ouvriers conscients comprenaient fort bien ces allusions et les expliquaient aux masses. Lorsque, par exemple, la Pravda parlait des « revendications complètes et inté­grales de 1905 », les ouvriers comprenaient qu’il s’agissait des mots d’ordre révolutionnaires des bolchéviks : renversement du tsarisme, république démocratique, confiscation de la terre des grands propriétaires fonciers, journée de huit heures.

C’est la Pravda qui organisa les ouvriers d’avant-garde au mo­ment des élections à la IVe Douma. Elle dénonça l’attitude de trahison des menchéviks, partisans d’une entente avec la bourgeoi­sie libérale, partisans du « parti ouvrier de Stolypine ». La Pravda appela les ouvriers à voter pour les partisans des « revendications intégrales de 1905 », c’est-à-dire pour les bolchéviks. Les élections se faisaient à plusieurs degrés.

D’abord, les réunions ouvrières élisaient des délégataires ; ceux-ci élisaient des « électeurs » ; ces derniers, enfin, participaient à l’élection du député ouvrier à la Douma. Le jour des élections, la Pravda publia la liste des bolchéviks désignés comme électeurs, en recommandant aux ou­vriers de voter pour elle. Cette liste, on n’avait pu la publier d’avance, pour ne pas exposer les candidats au danger d’une arrestation.

La Pravda aidait à organiser l’action du prolétariat. Au cours d’un grand lock-out à Pétersbourg, au printemps de 1914, à un moment où il n’eût pas été opportun de déclarer une grève de masse, la Pravda appela les ouvriers à pratiquer d’autres formes de lutte : meetings de masse dans les usines, manifestations de rue. On ne pouvait en parler ouvertement dans le journal. Mais l’appel fut compris des ouvriers conscients qui avaient lu l’article de Lénine paru sous le modeste titre : « Des formes du mouve­ment ouvrier ». Il y était dit qu’à l’heure présente, il fallait rem­placer la grève par une forme supérieure du mouvement ouvrier, ce qui signifiait un appel à l’organisation de meetings et de ma­nifestations.

C’est ainsi que l’activité révolutionnaire illégale des bolchéviks s’alliait à l’agitation légale et à l’organisation des masses ouvrières par la Pravda.

Le journal ne parlait pas simplement de la vie ouvrière, des grèves et des manifestations. Il éclairait méthodiquement la vie des paysans, les disettes qui les frappaient, l’exploitation que leur faisaient subir les féodaux, la mise au pillage des meilleures terres paysannes par les fermiers koulaks, conséquences de la « ré­forme » de Stolypine. La Pravda montrait aux ouvriers conscients quelle énorme quantité de matières inflammables était accumulée dans les campagnes. Elle expliquait au prolétariat que les tâches de la révolution de 1905 n’étaient pas accomplies et qu’une nouvelle révolution était imminente.

La Pravda disait que dans cette deuxième révolution, le prolétariat devait agir comme le véritable chef, comme le dirigeant du peuple et que dans cette révolution, il aurait cet allié puissant qu’est la paysannerie révolution­naire.

Les menchéviks auraient voulu que le prolétariat cessât de penser à la révolution. Ils cherchaient à suggérer aux ouvriers : Cessez de penser au peuple, aux disettes paysannes, à la domina­tion des féodaux ultra-réactionnaires ! Ne luttez que pour la « liberté de coalition », et présentez à ce sujet des « pétitions » au gouvernement tsariste ! Les bolchéviks expliquaient aux ouvriers que cette propagande menchévique d’abandon de la révolution, d’abandon de l’alliance avec la paysannerie se faisait dans l’intérêt de la bourgeoisie ; que les ouvriers triompheraient à coup sûr du tsarisme s’ils attiraient de leur côté la paysannerie comme alliée, que les mauvais bergers du genre des menchéviks devaient être rejetés en tant qu’ennemis de la révolution.

Que disait la Pravda dans sa rubrique « La vie des paysans » ? Citons à titre d’exemple quelques correspondances de 1913. Une correspondance intitulée « Questions agraires » annonçait de Samara que sur 45 paysans du village de Novokhasboulate, district de Bougoulminsk, accusés d’avoir opposé de la résistance à l’arpenteur lors de l’attribution d’une partie de la terre commu­nale aux paysans qui se retiraient de la commune, un grand nombre avaient été condamnés à une longue peine de prison.

Une brève correspondance de la province de Pskov annonçait : « Les paysans du village de Psitsa (près de la station de chemin de fer Zavalié) ont opposé à la garde rurale une résistance ar­mée. Il y a des blessés. Des malentendus agraires sont à l’origine du conflit. Des gardes ont été dépêchés à Psitsa. Le vice-gouverneur et le procureur se sont transportés sur les lieux, »

Une correspondance de la province d’Oufa annonçait la vente des lots de terre paysans ; elle expliquait que la disette et la loi autorisant les retraits de la communauté rurale, avaient augmenté le nombre des paysans sans terre. Voyez le hameau de Borissovka. Il compte 27 feux qui possèdent 543 déciatines de terre labou­rable. Pendant la disette, cinq paysans ont vendu à perpétuité 31 déciatines à raison de 25 à 33 roubles la déciatine [1,092 hec­tare], alors que la terre coûte trois et quatre fois plus cher. Dans la même localité, sept ménages ont hypothéqué 177 déciatines ; ils ont eu de 18 à 20 roubles par déciatine, à 6 ans, au taux de 12%. Si l’on tient compte de l’appauvrissement de la population et du scandaleux taux d’intérêt, on peut dire en toute certitude que sur ces 177 déciatines, la moitié doit passer aux mains des usuriers ; il est peu probable que même la moitié des débiteurs puisse acquit­ter en six ans une somme aussi importante.

Dans son article « La grande propriété terrienne seigneuriale et la petite propriété paysanne en Russie », publié dans la Pravda, Lénine montrait clairement aux ouvriers et aux paysans quelles immenses richesses territoriales étaient détenues par les propriétaires parasites. 30.000 grands propriétaires fonciers possédaient à eux seuls environ 70 millions de déciatines de terre. Autant que 10 millions de familles paysannes.

À chaque grand propriétaire, il revenait en moyenne 2.300 déciatines. Il en revenait 7 en moyenne à chaque famille paysanne, y compris les koulaks. Au surplus, 5 millions de familles de petits paysans, c’est-à-dire la moitié de toute la paysannerie, n’avaient pas plus d’une ou deux déciatines de terre par feu. Ces faits montraient de toute évidence que la cause première de la misère et des disettes paysannes résidait dans la grande propriété terrienne des seigneurs, dans les survivances du servage dont la paysannerie ne pouvait se défaire qu’au moyen d’une révolution dirigée par la classe ouvrière.

Par les ouvriers qui avaient des attaches au village, la Pravda pénétrait dans les campagnes, éveillait à la lutte révolutionnaire les paysans d’avant-garde. Pendant la période de création de la Pravda, les organisations social-démocrates illégales se trouvaient entièrement aux mains des bolchéviks. Quant aux formes légales d’organisation, — frac­ion de la Douma, presse, caisses d’assurance, syndicats, — elles n’avaient pas encore été complètement conquises sur les menchéviks. Il fallait une lutte résolue des bolchéviks pour chasser les liquidateurs des organisations légales de la classe ouvrière.

C’est grâce à la Pravda que cette lutte fut couronnée de succès. La Pravda était au centre de la lutte pour l’esprit du parti, pour la reconstitution d’un parti ouvrier révolutionnaire de masse. Elle groupait les organisations légales autour des foyers clandestins du Parti bolchévik et orientait le mouvement ouvrier vers un seul but bien déterminé, vers la préparation de la révolu­tion.

La Pravda avait un nombre énorme de correspondants ou­vriers. En une seule année, elle publia plus de 11.000 correspon­dances ouvrières. Mais ses relations avec les masses ouvrières, la Pravda ne les entretenait pas uniquement par des lettres et des correspondances. De nombreux ouvriers des entreprises se présentaient tous les jours aux bureaux de la rédaction. C’était là que se faisait une part considérable du travail d’organisation du Parti, là qu’avaient lieu les entrevues avec les représentants des cellules locales du Parti, là qu’arrivaient les informations sur le travail du Parti dans les fabriques et les usines. C’est de là qu’étaient transmises les directives du comité de Pétersbourg et du Comité central du Parti.

Deux années et demie d’une lutte opiniâtre contre les liqui­dateurs pour la reconstitution d’un parti ouvrier révolutionnaire de masse avaient permis aux bolchéviks, vers l’été 1914, de rallier autour du Parti bolchévik, autour de la tactique « pravdiste » les quatre cinquièmes des ouvriers actifs de Russie. Témoin, par exemple, le fait suivant : sur un total de 7.000 groupes ouvriers qui effectuèrent en 1914 le collectage de fonds pour les journaux ouvriers, 5.600 groupes ramassèrent des fonds pour la presse bolchévique et 1.400 groupes seulement pour la presse menchévique.

En revanche, les menchéviks avaient beaucoup de « riches amis » parmi la bourgeoisie libérale et les intellectuels bourgeois, et c’étaient eux qui fournissaient plus de la moitié des sommes nécessaires à l’entretien du journal menchévik. On donnait alors aux bolchéviks le nom de « pravdistes » Avec la Pravda grandissait toute une génération de prolétaires révolutionnaires, futurs artisans de la révolution socialiste d’Octobre. Derrière la Pravda,les ouvriers se serraient par dizaines et par centaines de milliers. C’est ainsi que, dans les années d’essor révolutionnaire (1912-1914), on jeta les solides fondations d’un Parti bolchévik de masse, des fondations que n’ont pu détruire les persécutions du tsarisme pendant la guerre impérialiste.

« La Pravda de 1912, ç’a été la pose des fondations de la victoire du bolchévisme en 1917 » (Staline).

La fraction bolchévique de la IVe Douma d’État constituait un autre organe légal du Parti pour toute la Russie.

En 1912 le gouvernement avait annoncé les élections à la IVe Douma. Notre Parti attachait une grandie importance à la parti­cipation à ces élections. La fraction social-démocrate de la Douma et le journal Pravdaconstituaient, à l’échelle de toute la Russie, les principaux points d’appui légaux grâce auxquels le Parti bolchévik faisait son travail révolutionnaire dans les masses.

Le Parti bolchévik participa aux élections de la Douma en toute indépendance, avec ses propres mots d’ordre, portant simul­tanément des coups aux partis du gouvernement et à la bourgeoi­sie libérale (cadets).

Les bolchéviks firent la campagne électorale sur les mots d’ordre de république démocratique, journée de huit heures, confiscation de La terre des grands propriétaires fonciers.

Les élections à la IVe Douma eurent lieu à l’automne de 1912. Au début d’octobre, le gouvernement, mécontent de la marche des élections à Pétersbourg, essaya dans maintes usines importantes de violer les droits électoraux des ouvriers. En réponse, le comité de Pétersbourg de notre Parti, sur la proposition du camarade Staline, appela les ouvriers des grandes entreprises à une grève de vingt-quatre heures.

Placé dans une situation difficile, le gouvernement dut céder et les ouvriers eurent la possibilité d’élire qui ils voulaient. À une immense majorité, ils volèrent pour le « Mandat » aux délégataires et au député qui avait été rédigé par le camarade Staline. Le « Mandat des ouvriers de Pétersbourg à leur député ouvrier » rappelait les tâches de 1905 restées inaccom­plies :

« … Nous pensons, était-il dit dans le « Mandat », que la Russie est à la veille de mouvements de masse plus profonds peut-être que ceux de 1905… Le promoteur de ces mouve­ments sera, comme en 1905, la classe la plus avancée de la société russe, le prolétariat russe. Son allié ne peut être que la paysannerie martyre, qui a un intérêt vital à l’émancipation de la Russie. »

Le « Mandat » déclarait que l’action future du peuple devait prendre la forme d’une lutte sur deux fronts : tant contre le gou­vernement tsariste que contre la bourgeoisie libérale qui recherchait une entente avec le tsarisme. Lénine attachait une grande importance au « Mandat », qui appelait les ouvriers à la lutte révolutionnaire. Et les ouvriers, dans leurs résolutions, répondirent à cet appel.

Aux élections, ce furent les bolchéviks qui remportèrent la victoire, et le camarade Badaev fut envoyé à la Douma par les ouvriers de Pétersbourg. Les ouvriers avaient voté séparément des autres couches de la population (dans ce qu’on appelait la curie ouvrière). Sur neuf députés de cette curie, six étaient membres du Parti bolchévik : Badaev, Pétrovski, Mouranov, Samoïlov, Chagov et Malinovski (qui plus tard s’avéra agent provocateur). Les députés bolchéviks avaient été élus par les grands centres industriels, qui groupaient au moins les quatre cinquièmes de la classe ouvrière.

Mais il y avait des liquidateurs élus en dehors de la curie ouvrière. C’est ainsi qu’il se trouva à la Douma 7 liquidateurs contre 6 bolchéviks. Dans les premiers temps, bolchéviks et liquidateurs formè­rent à la Douma une fraction social-démocrate commune. Mais après une lutte opiniâtre contre les liquidateurs qui entravaient Faction révolutionnaire des bolchéviks, les députés bolchéviks, en octobre 1913, sur l’indication du Comité central du Parti, se re­tirèrent de la fraction social-démocrate unifiée pour former une fraction bolchévique indépendante.

À la Douma, les députés bolchéviks prononçaient des discours révolutionnaires, dans lesquels ils dénonçaient le régime autocra­tique ; ils interpellaient le gouvernement sur la répression dont les ouvriers étaient victimes, sur l’exploitation inhumaine des ouvriers par les capitalistes. Ils intervenaient également sur la question agraire, et leurs discours appelaient les paysans à lutter contre les féodaux, dénon­çaient le parti cadet qui s’affirmait contre la confiscation et la remise des terres seigneuriales aux paysans. Les bolchéviks déposèrent à la Douma d’État une proposition de loi sur la journée de huit heures qui, bien entendu, fut repous­sée par la Douma des Cent-Noirs, mais n’en eut pas moins une grande valeur d’agitation.

La fraction bolchévique à la Douma était en liaison étroite avec le Comité central du Parti, avec Lénine dont elle recevait des directives. C’était le camarade Staline qui en assumait la direction pratique durant son séjour à Pétersbourg. Loin de se borner au travail dans la Douma, les députés bol­chéviks déployaient une activité intense en dehors de l’assemblée.

Ils se rendaient dans les fabriques et les usines ; ils visitaient les centres ouvriers du pays pour y faire des conférences, et organi­saient des réunions clandestines au cours desquelles ils expli­quaient les décisions du Parti ; ils créaient de nouvelles organisations du Parti. Les députés alliaient judicieusement l’activité légale à l’activité illégale, clandestine.

3. Victoire des bolchéviks dans les organisations légales. Nouveau progrès du mouvement révolutionnaire à la veille de la guerre impérialiste.

À cette époque, le Parti bolchévik a fourni des exemples de direction de la lutte de classe du prolétariat sous toutes ses forme et manifestations. Il créait des organisations clandestines, éditait des tracts illégaux, faisait un travail révolutionnaire clandestin parmi les masses.

En même temps, il prenait de mieux en mieux possession des diverses organisations légales de la classe ouvrière. Le Parti s’appliquait à conquérir les syndicats, les maisons du peuple, les universités du soir, les clubs, les établissements d’assurances. Depuis longtemps, ces organisations légales servaient d’asile aux liquidateurs.

Les bolchéviks engagèrent énergiquement la lutte pour faire des sociétés légales les points d’appui de notre Parti. En alliant intelligemment le travail illégal à l’action légale ils firent passer de leur côté, dans les deux capitales, la majorité des syndicats. Ils remportèrent une victoire particulièrement brillante en 1913, lors des élections à la direction du syndicat des métaux de Pétersbourg : sur 3 000 métallurgistes venus à la réunion, 150 à peine votèrent pour les liquidateurs.

Il faut en dire autant de l’organisation légale qu’était la fraction social-démocrate de la IVe Douma d’État. Bien que les menchéviks eussent 7 députés à la Douma et que les bolchéviks n’en eussent que 6, les 7 députés menchéviks, élus principalement par les régions non ouvrières, représentaient à peine un cinquième de la classe ouvrière, tandis que les 6 député bolchéviks, élus par les principaux centres industriels (Pétersbourg, Moscou, Ivanovo-Voznessensk, Kostroma, Iékatérinoslav, Kharkov), représentaient plus des quatre cinquièmes de la classe ouvrière du pays. Les ouvriers considéraient comme leurs députés, non pas les 7 menchéviks, mais les 6 élus bolchéviks (Badaev, Pétrovski et les autres).

Si les bolchéviks réussirent à conquérir les organisations légales, c’est qu’en dépit des persécutions sauvages du tsarisme et de l’odieuse campagne déclenchée par les liquidateurs et les trotskistes, ils avaient pu sauvegarder le parti illégal et maintenir une ferme discipline dans leurs rangs ; c’est qu’ils défendaient courageusement les intérêts de la classe ouvrière, qu’ils étaient étroitement liés aux masses et menaient une lutte intransigeante contre les ennemis du mouvement ouvrier.

Voilà pourquoi la victoire des bolchéviks et la défaite des menchéviks dans les organisations légales se développèrent sur toute la ligne. Dans le domaine de l’agitation faite à la tribune de la Douma comme dans le domaine de la presse ouvrière et des autres organisations légales, les menchéviks étaient rejetés à l’arrière-plan. Emportée par le mouvement révolutionnaire, la classe ouvrière se groupait nettement autour des bolchéviks, en repoussant les menchéviks.

Pour couronner le tout, les menchéviks avaient fait faillite dans la question nationale. Le mouvement révolutionnaire des régions périphériques de la Russie réclamait un programme clair dans ce domaine. Mais il s’avéra que les menchéviks n’avaient aucun programme, si ce n’est l’ « autonomie culturelle » du Bund, qui ne pouvait satisfaire personne. Seuls, les bolchéviks se trouvèrent en possession d’un programme marxiste sur la question nationale, programme formulé par le camarade Staline dans son article « Le marxisme et la question nationale » et par Lénine dans ses articles « Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes » et « Notes critiques sur la question nationale ».

Rien d’étonnant qu’après de telles défaites du menchévisme, le bloc d’Août se fût mis à craquer sur toutes les coutures. Composé d’éléments hétérogènes, il ne put résister à la poussée des bolchéviks et se disloqua. Crée pour combattre le bolchéviks, le bloc d’Août s’était désagrégé bientôt sous leurs coups. D’abord se retirèrent du bloc les partisans de Vpériod (Bogdanov, Lounatcharski, d’autres encore) ; ensuite ce fut le tour des Lettons, enfin les autres se dispersèrent.

Après leur défaite dans la lutte contre les bolchéviks, les liquidateurs appelèrent à leur aide la IIe Internationale. Elle répondit à leur appel. Sous couleur de « réconcilier » les bolchéviks avec les liquidateurs, sous couleur de faire « la paix dans le Parti », la IIe Internationale exigea des bolchéviks qu’ils missent fin à leur critique de la politique conciliatrice des liquidateurs. Mais, intransigeants, les bolchéviks refusèrent de se soumettre aux décisions de la IIeInternationale opportuniste ; ils ne firent aucune concession.

La victoire des bolchéviks dans les organisations légales n’était pas et ne pouvait pas être un effet du hasard. D’abord parce qu’ils avaient une théorie marxiste juste, un programme clair et un parti prolétarien révolutionnaire trempé dans les combats. Et ensuite parce que cette victoire traduisait l’essor continu de la révolution.

Le mouvement révolutionnaire se développait de plus en plus parmi les ouvriers, gagnant villes et régions. Lorsque arriva l’année 1914, les grèves ouvrières, loin de s’apaiser, prirent au contraire une ampleur nouvelle. Elles devinrent de plus en plus opiniâtres, entraînant un nombre de plus en plus élevé d’ouvriers. Le 9 janvier, 250 000 ouvriers étaient en grève, dont 140 000 à Pétersbourg. Le Ier mai, plus d’un demi-million, dont plus de 250 000 à Pétersbourg.

Les grévistes firent preuve d’une fermeté peu ordinaire. À l’usine Oboukhov de Pétersbourg, la grève dura plus de deux mois ; celle de l’usine Lessner, près de trois mois. Les intoxications en masse survenues dans une série d’entreprises de Pétersbourg déclenchèrent une grève de 115 000 ouvriers, suivie de manifestations. Le mouvement allait grandissant. Au total, durant le premier semestre de 1914 (y compris le début de juillet), 1 425 000 ouvriers firent grève.

En mai avait éclaté à Bakou la grève générale des ouvriers du pétrole, qui retint l’attention du prolétariat de toute la Russie. La grève se déroula avec ordre. Le 20 juin, 20 000 ouvriers manifestèrent dans les rues de Bakou. La police prit des mesures féroces. En signe de protestation et de solidarité avec les ouvriers de cette ville, la grève éclata à Moscou ; elle s’étendit aux autres régions.

Le 3 juillet, à Pétersbourg, un meeting eut lieu à l’usine Poutilov au sujet de la grève de Bakou. La police tira sur les ouvriers. L’effervescence fut grande au sein du prolétariat de Pétersbourg. Le 4 juillet, à l’appel du comité de Pétersbourg du Parti, 90 000 ouvriers faisaient grève en signe de protestations. Le 7 juillet, 130 000 ; le 8 juillet, 150 000 ; le 11 juillet, 200 000.

Toutes les usines étaient en ébullition ; meetings et manifestations se déroulaient partout. On en vint même à dresser des barricades. Ce fut également le cas à Bakou et à Lodz. En plusieurs endroits, la police tira sur les ouvriers. Pour écraser le mouvement, le gouvernement décréta des mesures d’ « exception » ; la capitale avait été transformée en camp retranché. La Pravda fut interdite.

Mais à ce moment, une nouvelle force d’ordre international, — la guerre impérialiste, — entrait en scène ; elle allait changer le cours des choses. C’est pendant les événements révolutionnaires de juillet que le président de la République française Poincaré était arrivé à Pétersbourg pour s’entretenir, avec le tsar, de la guerre imminente. Quelques jours plus tard, l’Allemagne déclarait la guerre à la Russie. Le gouvernement tsariste en profita pour écraser les organisations bolchéviques et réprima le mouvement ouvrier. L’essor de la révolution fut interrompu par la guerre mondiale, à laquelle le gouvernement tsariste demandait son salut contre la révolution.

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Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Menchéviks et bolchéviks durant la période de la réaction stolypinienne. les bolchéviks se constituent en un parti marxiste indépendant (1908-1912)

Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), 1938

1. La réaction stolypinienne. Décomposition dans les milieux intellectuels de l’opposition. Abattement moral. Passage d’un certain nombre des intellectuels du Parti dans le camp des ennemis du marxisme et tentatives de révision de la théorie marxiste. Riposte infligée par Lénine aux révisionnistes dans son ouvrage Matérialisme et empiriocriticisme et défense des principes théoriques du Parti marxiste.

La IIe Douma d’État avait été dissoute par le gouvernement tsariste le 3 juin 1907.

C’est ce qu’on est convenu d’appeler, dans l’histoire, le coup d’État du 3 juin.

Le gouvernement tsariste avait édicté une nouvelle loi sur le mode d’élection à la IIIe Douma d’État, violant ainsi lui-même son manifeste du 17 octobre 1905 puisque, aux termes de ce manifeste, il ne devait promulguer des lois nouvelles qu’avec l’assentiment de la Douma. Les membres de la fraction social-démocrate de la IIe Douma furent déférés en justice ; on envoya au bagne et on déporta les représentants de la classe ouvrière.

La nouvelle loi électorale avait été établie de telle sorte qu’elle augmentait de beaucoup, à la Douma, le nombre des représentants des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie commerciale et industrielle.

En même temps, le nombre des représentants des paysans et des ouvriers, déjà bien réduit, était diminué de plusieurs fois. Par sa composition, la IIIe Douma fut une Douma de Cent-Noirs et de cadets.

Sur un total de 442 députés, il y eut 171 hommes de droite (Cent-Noirs), 113 octobristes et membres de groupes apparentés 101 cadets et membres de groupes voisins, 13 troudoviks [Groupement petit-bourgeois constitué en 1906 à la Ire Douma d’État et composé par une partie des députés paysans avec, à leur tête, des intellectuels socialistes-révolutionnaires. (N. des Trad.)], 18 social-démocrates.

Les hommes de droite (ainsi appelés parce qu’ils siégeaient du côté droit de l’assemblée) étaient les pires ennemis des ouvriers et des paysans : c’étaient les propriétaires fonciers féodaux ultra-réactionnaires qui avaient fait fouetter et fusiller en masse les paysans lors de la répression de l’action paysanne, les organisateurs des pogroms contre les Juifs, du matraquage des manifestations ouvrières, de l’incendie sauvage des locaux où se tenaient les meetings dans les journées de la révolution.

Les hommes de droite étaient pour la répression la plus féroce des travailleurs, pour le pouvoir illimité du tsar, contre le manifeste tsariste du 17 octobre 1905.

Le parti octobriste, ou « Union du 17 octobre », touchait de près à la droite.

Les octobristes traduisaient les intérêts du grand capital industriel et des gros propriétaires fonciers qui dirigeaient leurs exploitations par les méthodes capitalistes (au début de la révolution de 1905, les octobristes avaient été rejoints par une partie considérable des cadets, grands propriétaires fonciers).

Un seul trait distinguait les octobristes des hommes de droite : pour leur part, ils se prononçaient, — en paroles seulement, — en faveur du manifeste du 17 octobre.

Les octobristes soutenaient entièrement tant la politique intérieure que la politique extérieure du gouvernement tsariste.

Les cadets, ou parti « constitutionnel-démocrate », disposaient dans la IIIe Douma de moins de sièges que dans la Ire et la IIe.

La raison en était qu’une partie des voix des propriétaires fonciers étaient passées des cadets aux octobristes.

Il y avait à la IIIe Douma un groupe peu nombreux de démocrates petits-bourgeois dits troudoviks.

Ceux-ci balançaient entre les cadets et la démocratie ouvrière (les bolchéviks).

Lénine indiquait que malgré leur faiblesse extrême à la Douma, les troudoviks représentaient les masses, les masses paysannes.

Les oscillations des troudoviks entre les cadets et la démocratie ouvrière étaient le résultat inévitable de la situation de classe des petits exploitants. Lénine assignait aux députés bolchéviks, à la démocratie ouvrière, la tâche « de venir en aide aux faibles démocrates petits-bourgeois, de les arracher à l’influence des libéraux, de former un camp de la démocratie contre les cadets contre-révolulionnaires, et non pas simplement contre les droites… » (Lénine, Œuvres choisies, t. I, p. 651.)

Pendant la révolution de 1905 et surtout après sa défaite, les cadets s’affirmèrent de plus en plus comme une force contre-révolutionnaire.

Ils rejetaient de plus en plus délibérément le masque « démocratique », et agissaient en véritables monarchistes, défenseurs du tsarisme.

En 1909, un groupe d’écrivains cadets notoires fit paraître un recueil Vékhi [les Jalons], dans lequel les cadets, au nom de la bourgeoisie, remerciaient le tsarisme d’avoir écrasé la révolution.

Servilement aplatis devant le gouvernement du knout et de la potence, les cadets écrivaient en toutes lettres qu’il fallait « bénir ce pouvoir qui seul, avec ses baïonnettes et ses prisons, nous protège encore (nous, c’est-à-dire la bourgeoisie libérale) contre la fureur populaire ».

Après avoir dissous la IIe Douma d’État et sévi contre la fraction social-démocrate, le gouvernement tsariste entreprit la destruction des organisations politiques et économiques du prolétariat. Bagnes, forteresses et lieux de déportation regorgeaient de révolutionnaires. Ceux-ci étaient sauvagement frappés, torturés, suppliciés dans les prisons.

La terreur des Cent-Noirs sévissait à plein. Le ministre tsariste Stolypine avait couvert de potences le pays entier. Plusieurs milliers de révolutionnaires avaient été exécutés. « La cravate de Stolypine », c’est ainsi qu’on appelait en ce temps-là la corde de la potence.

Mais tout en écrasant le mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans, le gouvernement ne put se borner aux seules répressions, aux expéditions punitives, aux exécutions, à la prison, aux bagnes.

Non sans anxiété, il voyait s’éteindre de plus en plus la foi naïve de la paysannerie dans « le petit-père le tsar ».

Aussi recourut-il à une manœuvre d’envergure : il imagina de s’assurer un appui solide à la campagne en y renforçant la classe de la bourgeoisie rurale, les koulaks.

Le 9 novembre 1906, Stolypine promulgua une nouvelle loi agraire autorisant les paysans à se retirer de la communauté pour aller s’installer dans des khoutors [fermes isolées].

La loi stolypinienne détruisait la possession communale de la terre.

On invitait le paysan à prendre, à titre de propriété personnelle, le lot à lui concédé et à se retirer de la communauté.

Le paysan pouvait vendre sa part de terre, ce qu’il n’avait pas le droit de faire auparavant. On obligeait la communauté paysanne à donner une terre d’un seul tenant (khoutor otroub) aux paysans sortant de la communauté.

Les paysans riches, les koulaks, purent ainsi accaparer à bon marché la terre des petits paysans. En quelques années, plus d’un million de petits paysans se trouvèrent sans terre, ruinés.

Leurs terres aliénées servaient à multiplier les fermes des koulaks. Et ces fermes étaient parfois de véritables domaines, qui employaient une nombreuse main-d’œuvre salariée.

Le gouvernement obligeait les paysans à attribuer les meilleures terres de la communauté aux fermiers koulaks.

Lors de l’ « affranchissement » des paysans, leur terre avait été pillée par les propriétaires fonciers ; maintenant c’étaient les koulaks qui pillaient la terre communale, en se faisant attribuer les meilleurs terrains, en accaparant à bas prix les parcelles des paysans pauvres.

Le gouvernement tsariste prêtait aux koulaks des sommes importantes pour acheter des terres et monter leurs fermes. Stolypine entendait faire des koulaks de petits seigneurs terriens, de fidèles défenseurs de l’autocratie tsariste.

En neuf ans (de 1906 à 1915), plus de deux millions d’exploitants se retirèrent ainsi de la communauté.

La politique de Stolypine aggravait encore la situation des petits paysans et des paysans pauvres.

La différenciation de la paysannerie s’accentua. Des conflits éclatèrent entre paysans et fermiers koulaks. D’autre part, la paysannerie commençait à se rendre compte qu’elle n’aurait jamais les terres seigneuriales tant qu’existeraient le gouvernement tsariste et la Douma des propriétaires fonciers et des cadets.

Dans les années de formation intense des fermes koulaks (1907-1909), le mouvement paysan décroît d’abord, mais ensuite, en 1910-1911 et plus tard, sur la base des conflits entre paysans communautaires et fermiers koulaks, il redouble de force contre les propriétaires fonciers et les koulaks.

Après la révolution, des changements importants s’étaient également produits dans le domaine de l’industrie. La concentration de l’industrie, c’est-à-dire l’agrandissement des entreprises et leur concentration entre les mains de groupes capitalistes de plus en plus puissants, s’était fortement accentuée.

Déjà avant la révolution de 1905, les capitalistes avaient formé des associations pour faire monter les prix des marchandises à l’intérieur du pays ; le surprofit ainsi réalisé était converti en un fonds d’encouragement à l’exportation, pour pouvoir jeter à bas prix las denrées sur le marché extérieur et conquérir des débouchés.

Ces associations, ces groupements capitalistes (monopoles) s’appelaient trusts ou syndicats.

Après la révolution, le nombre des trusts et des syndicats capitalistes avait encore augmenté. De même s’étaient multipliées les grosses banques dont le rôle grandissait dans l’industrie.

Les capitaux étrangers affluaient en Russie.

C’est ainsi que le capitalisme en Russie devenait de plus en plus un capitalisme monopolisateur, impérialiste.

Après quelques années de marasme, l’industrie se ranima : l’extraction du charbon, du pétrole, augmenta, de même que la production des métaux, des tissus, du sucre.

L’exportation du blé à l’étranger était en forte progression. Bien que la Russie eût enregistré à cette date un certain progrès industriel, elle restait un pays arriéré par rapport à l’Europe occidentale et elle se trouvait sous la dépendance des capitalistes étrangers.

On ne fabriquait en Russie ni machines ni machines-outils ; les machines étaient importées du dehors. Il n’y avait pas non plus d’industrie automobile ni d’industrie chimique ; on ne produisait pas d’engrais minéraux.

En ce qui concerne la fabrication des armements, la Russie était également en retard sur les autres pays capitalistes.

La faible consommation des métaux en Russie a été signalée par Lénine comme un témoignage de l’état arriéré du pays :

« Dans le demi-siècle écoulé depuis l’affranchissement des paysans, la consommation du fer en Russie s’est multipliée par cinq, et néanmoins la Russie reste un pays incroyablement, invraisemblablement arriéré, miséreux et à demi sauvage, quatre fois plus mal outillé en instruments de production modernes que l’Angleterre, cinq fois plus mal que l’Allemagne, dix fois plus mal que les États-Unis. » (Lénine, t. XVI, p. 543, éd. russe.)

La conséquence directe du retard économique et politique de la Russie était la dépendance, tant du capitalisme russe que du tsarisme lui-même, vis-à-vis du capitalisme d’Europe occidentale.

Voilà pourquoi des branches importantes entre toutes de l’économie nationale, comme le charbon, le pétrole, l’industrie électrique, la métallurgie, étaient détenues par le capital étranger, et presque toutes les machines, tout l’outillage devaient être importés.

Voilà pourquoi des emprunts de servitude étaient contractés à l’étranger, emprunts dont le tsarisme payait les intérêts en faisant suer chaque année à la population des centaines de millions de roubles.

Voilà pourquoi il y avait avec les « alliés » des traités secrets en vertu desquels le tsarisme s’était engagé à aligner en cas de guerre des millions de soldats russes sur les fronts impérialistes, pour soutenir les « alliés » et assurer des profits exorbitants aux, capitalistes anglo-français.

Les années de réaction stolypinienne furent marquées par les raids sauvages de la gendarmerie et de la police, des provocateurs tsaristes et des énergumènes cent-noirs contre la classe ouvrière.

Mais les sicaires tsaristes n’étaient pas les seuls à exercer la répression contre les ouvriers.

Sous ce rapport, les fabricants et les usiniers leur emboîtaient le pas, en accentuant l’offensive contre la classe ouvrière, surtout dans les années de marasme industriel et de chômage croissant.

Les fabricants pratiquaient les licenciements massifs d’ouvriers (lock-outs) ; ils avaient des « carnets noirs », où étaient consignés les noms des ouvriers conscients qui avaient pris une part active aux grèves.

Ceux dont le nom figurait sur ces « carnets noirs » ou « listes noires », ne pouvaient se faire embaucher dans aucune des entreprises affiliées à l’association patronale de l’industrie en question.

Dès 1908, les salaires avaient été diminués de 10 à 15%. On avait partout allongé la journée de travail jusqu’à 10 et 12 heures. De nouveau, fleurissait le système spoliateur des amendes.

La défaite de la révolution de 1905 avait porté la désagrégation et la décomposition parmi les compagnons de route de la révolution.

La décomposition et l’abattement moral étaient particulièrement graves parmi les intellectuels. Les compagnons de route qui étaient venus du milieu bourgeois dans les rangs de la révolution quand celle-ci prenait un impétueux essor, abandonnèrent le Parti dans les jours de réaction.

Les uns s’en furent rejoindre le camp des ennemis déclarés de la révolution ; les autres, installés dans les sociétés ouvrières légales qui avaient survécu, s’efforçaient de faire dévier le prolétariat de la route de la révolution, de discréditer le Parti révolutionnaire du pro­létariat. En abandonnant la révolution, ces compagnons de route cherchaient à s’adapter à la réaction, à s’accommoder au tsarisme.

Le gouvernement tsariste mit à profit la défaite de la révolution pour recruter comme agents provocateurs les compagnons de route les plus lâches et les plus pusillanimes.

Les Judas infâmes, les provocateurs que l’Okhrana tsariste avait dépêchés dans les organisations ouvrières et dans celles du Parti, espionnaient du dedans et vendaient les révolutionnaires.

L’offensive de la contre-révolution se poursuivit aussi sur le front idéologique.

On vit apparaître toute une kyrielle d’écrivains à la mode qui « critiquaient » et « exécutaient » le marxisme, bafouaient la révolution, la traînaient dans la boue, glorifiant la trahison, la débauche sexuelle au nom du « culte de la personne ». Dans le domaine de la philosophie se multiplièrent les tentatives de « critiquer », de réviser le marxisme ; on vit également apparaître toute sorte de courants religieux couverts de prétendus arguments « scientifiques ».

La « critique » du marxisme était devenue une mode.

Tous ces messieurs, malgré leur extrême disparité, poursuivaient un but commun : détourner les masses de la révolution.

L’abattement et le scepticisme avaient également atteint certains intellectuels du Parti, qui se prétendaient marxistes, mais ne s’étaient jamais tenus fermement sur les positions du marxisme.

Parmi eux figuraient des écrivains tels que Bogdanov, Bazarov, Iounatcharski (qui en 1905 étaient ralliés aux bolchéviks), Iouchkevitch. Valentinov (menchéviks). Ils développèrent une « critique » simultanée des fondements philosophiques et théoriques du marxisme, c’est-à-dire du matérialisme dialectique, et de ses fondements scientifico-historiques, c’est-à-dire du matérialisme historique.

Cette critique se distinguait de la critique ordinaire en ce qu’elle n’était pas faite ouvertement et honnêtement, mais d’une façon voilée et hypocrite, sous couleur de «  défendre » les positions fondamentales du marxisme.

Pour l’essentiel, disaient-ils, nous sommes marxistes, mais nous voudrions « améliorer » le marxisme, le dégager de certains principes fondamentaux.

En réalité, ils étaient hostiles au marxisme, dont ils cherchaient à saper les principes théoriques ; en paroles, avec hypocrisie, ils niaient leur hostilité au marxisme et continuaient de s’intituler perfidement marxistes.

Le danger de cette critique hypocrite était qu’elle visait à tromper les militants de base du Parti et qu’elle pouvait les induire en erreur.

Plus hypocrite se faisait cette critique, qui cherchait à miner les fondements théoriques du marxisme, plus dangereuse elle devenait pour le Parti ; car elle s’alliait d’autant plus étroitement à la croisade déclanchée par toute la réaction contre le Parti, contre la révolution.

Des intellectuels qui avaient abandonné le marxisme, en étaient arrivés à prêcher la nécessité de créer une nouvelle religion (on les appelait « chercheurs de Dieu » et « constructeurs de Dieu »).

Une tâche urgente s’imposait aux marxistes : infliger la riposte méritée à ces renégats de la théorie marxiste, leur arracher le masque, les dénoncer jusqu’au bout et sauvegarder ainsi les fondements théoriques du parti marxiste.

On eût pu croire que cette tâche serait entreprise par Plékhanov et ses amis menchéviks, qui se considéraient comme des « théoriciens notoires du marxisme ».

Mais ils s’en tinrent quittes avec une paire d’articles insignifiants, à caractère de feuilleton critique, après quoi ils se retirèrent chacun dans son trou. C’est Lénine qui s’acquitta du travail, en composant son célèbre ouvrage Matérialisme et empiriocriticisme, publié en 1909.

« En moins de six mois, écrivait Lénine dans cet ouvrage, quatre livres ont paru, consacrés principalement, presque entièrement à des attaques contre le matérialisme dialectique.

Ce sont tout d’abord les Essais sur ( ? il aurait fallu dire : contre) la philosophie du marxisme, Saint-Pétersbourg, 1908, recueil d’articles de Bazarov, Bogdanov, Lounatcharski, Bermann, Hellfond, Iouchkévitch, Souvorov ; puis Matérialisme et réalisme critique, de Iouchkévitch ; La Dialectique à la lumière de la théorie contemporaine de la connaissance, de Bermann ; Les constructions philosophiques du marxisme, de Valentinov…

Tous ces personnages qu’unit, — malgré les divergences accusées de leurs opinions politiques, — la haine du matérialisme dialectique, se prétendent cependant des marxistes en philosophie !

La dialectique d’Engels est une « mystique », dit Bermann  ; les conceptions d’Engels ont « vieilli », laisse tomber incidemment Bazarov, comme une chose qui va de soi ; le matérialisme est, paraît-il, réfuté par ces courageux guerriers, qui invoquent fièrement la « théorie contemporaine de la connaissance », la « philosophie moderne » (ou « positivisme moderne »), la « philosophie des sciences naturelles contemporaines », voire même la « philosophie des sciences naturelles du XXe siècle ». (Lénine, t. XIII, p. t1, éd. russe.)

En réponse à Lounatcharski qui, pour justifier ses amis les révisionnistes en philosophie, disait : « Nous nous fourvoyons peut-être, mais nous cherchons », Lénine écrivit :

« En ce qui me concerne, je suis aussi un « chercheur » en philosophie. Savoir : dans ces notes [il s’agit de Matérialisme et empiriocriticisme. — N. de la Réd.] je me suis donné pour tâche de rechercher ce qui fait buter les gens qui nous offrent sous couleur de marxisme quelque chose d’incroyablement incohérent, confus et réactionnaire. » (Ibidem, p. 12.)

En fait, l’ouvrage de Lénine dépassait de loin cette modeste tache. Le livre de Lénine, à la vérité, n’est pas seulement une critique de Bogdanov, Iouchkévitch, Bazarov, Valentinov et de leurs maîtres en philosophie :

Avenarius et Mach, qui avaient tenté dans leurs écrits d’offrir au public un idéalisme raffiné et pommadé, à l’opposé du matérialisme marxiste.

L’ouvrage de Lénine est en môme temps une défense des principes théoriques du marxisme, — du matérialisme dialectique et historique, — et une généralisation matérialiste de tout ce que la science, avant tout la science de la nature, avait acquis d’important et de substantiel pendant toute une période historique, depuis la mort d’Engels jusqu’à la parution de l’ouvrage de Lénine Matérialisme et empiriocriticisme.

Après avoir fait une critique serrée des empiriocriticistes russes et de leurs maîtres étrangers, Lénine est amené aux conclusions suivantes contre le révisionnisme théorique et philosophique :

1° « Une falsification de plus en plus subtile du marxisme, des contrefaçons de plus en plus subtiles du marxisme par des doctrines antimatérialistes, voilà ce qui caractérise le révisionnisme contemporain, tant en économie politique que dans les problèmes de tactique, et dans la philosophie en général. » (Ibidem, p. 270.)

2° « Toute l’école de Mach et d’Avenarius va à l’idéalisme. » (Ibidem, p. 291.)

3° « Nos partisans de Mach se sont tous enlisés dans l’idéalisme. » (Ibidem, p. 282.)

4° « II est impossible de ne pas discerner derrière la scolastique gnoséologique de l’empiriocriticisme la lutte des partis en philosophie, lutte qui traduit en dernière analyse les tendances et l’idéologie des classes ennemies de la société contemporaine. » (Ibidem, p. 292.)

5° « Le rôle objectif, le rôle de classe de l’empiriocriticisme se réduit entièrement à servir les fidéistes [réactionnaires qui préfèrent la foi à la science. — N. de la Réd.] dans leur lutte contre le matérialisme en général et contre le matérialisme historique en particulier. » (Ibidem, p. 292.)

6° « L’idéalisme philosophique est… la voie de l’obscurantisme clérical. » (Ibidem, p. 304.)

Pour apprécier la portée immense de l’ouvrage de Lénine dans l’histoire de notre Parti et comprendre quel trésor théorique Lénine a défendu contre toutes les espèces de révisionnistes et de dégénérés de la période de réaction stolypinienne, il est indispensable de prendre connaissance, ne fût-ce que sommairement, des principes du matérialisme dialectique et historique.

C’est d’autant plus nécessaire que le matérialisme dialectique et le matérialisme historique constituent le fondement théorique du communisme, les principes théoriques du Parti marxiste ; connaître ces principes, les assimiler est le devoir de tout militant actif de notre Parti.

Ainsi donc :

1° Qu’est-ce que le matérialisme dialectique ?

2° Qu’est-ce que le matérialisme historique ?

2.Le matérialisme dialectique et le matérialisme historique.

Le matérialisme dialectique est la théorie générale du parti marxiste-léniniste.

Le matérialisme dialectique est ainsi nommé parce que la façon de considérer les phénomènes de la nature, sa méthode d’investigation et de connaissance est dialectique, et son interprétation, sa conception des phénomènes de la nature, sa théorie est matérialiste.

Le matérialisme historique étend les principes de du matérialisme dialectique à l’étude de la vie sociale ; il applique ces principes aux phénomènes de la vie sociale, à l’étude de la société, à l’étude de l’histoire de la société.

En définissant leur méthode dialectique, Marx et Engels se réfèrent habituellement à Hegel, comme au philosophe qui a énoncé les traits fondamentaux de la dialectique.

Cela ne signifie pas, cependant, que la dialectique de Marx et Engels soit identique à celle de Hegel. Car Marx et Engels n’ont emprunté à la dialectique de Hegel que son « noyau rationnel » ; ils en ont rejeté l’écorce idéaliste et ont développé la dialectique en lui imprimant un caractère scientifique moderne.

« Ma méthode dialectique, dit Marx, non seulement diffère par la base de la méthode hégélienne, mais elle en est même l’exact opposé. Pour Hegel, le mouvement de la pensée, qu’il personnifie sous le nom de l’Idée, est le démiurge de la réalité, laquelle n’est que la forme phénoménale de l’Idée. Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n’est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme. » (Karl Marx : Le Capital, t. I, p. 29, Bureau d’Editions, Paris, 1938.)

En définissant leur matérialisme, Marx et Engels se réfèrent habituellement à Feuerbach, comme au philosophe qui a réintégré le matérialisme dans ses droits. Toutefois cela ne signifie pas que le matérialisme de Marx et Engels soit identique à celui de Feuerbach.

Marx et Engels n’ont en effet emprunté au matérialisme de Feuerbach que son « noyau central » ; ils l’ont développé en une théorie philosophique scientifique du matérialisme, et ils en ont rejeté toutes les superpositions idéalistes, éthiques et religieuses.

On sait que Feuerbach, tout en étant matérialiste quant au fond, s’est élevé contre la dénomination de matérialisme. Engels a dit maintes fois que Feuerbach « demeure, malgré sa ‘‘base’’ [matérialiste] prisonnier des entraves idéalistes traditionnelles », que le « véritable idéalisme de Feuerbach apparaît dès que nous en arrivons à sa philosophie de la religion et à son éthique ». (Fr. Engels : Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, Moscou, 1946, pp. 30 et 34.)

Dialectique provient du mot grec dialego qui signifie s’entretenir, polémiquer. Dans l’antiquité, on entendait par dialectique l’art d’atteindre la vérité en découvrant les contradictions renfermées dans le raisonnement de l’adversaire et en les surmontant. Certains philosophes de l’antiquité estimaient que la découverte des contradictions dans la pensée et le choc des opinions contraires étaient le meilleur moyen de découvrir la vérité.

Ce mode dialectique de penser, étendu par la suite aux phénomènes de la nature, est devenue la méthode dialectique de connaissance de la nature ; d’après cette méthode, les phénomènes de la nature sont éternellement mouvants et changeants, et le développement de la nature est le résultat du développement des contradictions de la nature, le résultat de l’action réciproque des forces contraires de la nature.

Par son essence, la dialectique est tout l’opposé de la métaphysique.

1° La méthode dialectique marxiste est caractérisée par les traits fondamentaux que voici :

a) Contrairement à la métaphysique, la dialectique regarde la nature, non comme une accumulation accidentelle d’objets, de phénomènes détachés les uns des autres, isolés et indépendants les uns des autres, mais comme un tout uni, cohérent, où les objets les phénomènes sont liés organiquement entre eux, dépendent les uns des autres et se conditionnent réciproquement.

C’est pourquoi la méthode dialectique considère qu’aucun phénomène de la nature ne peut être compris si on l’envisage isolément, en dehors des phénomènes environnants ; car n’importe quel phénomène dans n’importe quel domaine de la nature peut être converti en un non-sens si on le considère en dehors des conditions environnantes, si on le détache des ces conditions ; au contraire, n’importe quel phénomène peut être compris et justifié, si on le considère sous l’angle de sa liaison indissoluble avec les phénomènes environnants, si on le considère tel qu’il est conditionné par les phénomènes qui l’environnent.

b) Contrairement à la métaphysique, la dialectique regarde la nature, non comme un état de repos et d’immobilité, de stagnation et d’immuabilité, mais comme un état de mouvement et de changement perpétuels, de renouvellement et de développement incessants, où toujours quelque chose naît et se développe, quelque chose se désagrège et disparaît.

C’est pourquoi la méthode dialectique veut que les phénomènes soient considérés non seulement du point de vue de leurs relations et de leur conditionnement réciproques, mais aussi du point de vue de leur mouvement, de leur changement, de leur développement, du point de vue de leur apparition et de leur disparition.

Pour la méthode dialectique, ce qui importe avant tout, ce n’est pas ce qui à un moment donné paraît stable, mais commence déjà à dépérir ; ce qui importe avant tout, c’est ce qui naît et se développe, si même la chose semble à un moment donné instable, car pour la méthode dialectique, il n’y a d’invincible que ce qui naît et se développe.

« La nature toute entière, dit Engels, depuis les particules les plus infimes jusqu’aux corps les plus grands, depuis le grain de sable jusqu’au soleil, depuis le protiste [cellule vivante primitive – N. de la Réd.] jusqu’à l’homme, est engagée dans un processus éternel d’apparition et de disparition, dans un flux incessant, dans un mouvement et dans un changement perpétuels. » (K. Marx etFr. Engels : Œuvres complètes, Anti-Dühring, Dialectique de la Nature, éd. Allemande, Moscou, 1935, p. 491.)

C’est pourquoi, dit Engels, la dialectique « envisage les choses et leur reflet mental principalement dans leurs relations réciproques, dans leur enchaînement, dans leur mouvement, dans leur apparition et disparition ». (Ibidem, p. 25.)

c) Contrairement à la métaphysique, la dialectique considère le processus du développement non comme un simple processus de croissance où les changements quantitatifs n’aboutissent pas à des changements qualitatifs, mais comme un développement qui passe des changements quantitatifs insignifiants et latents à des changements apparents et radicaux, à des changements qualitatifs ; où les changements qualitatifs sont, non pas graduels, mais rapides, soudains, et s’opèrent par bonds, d’un état à un autre ; ces changements ne sont pas contingents, mais nécessaires ; ils sont le résultat de l’accumulation de changements quantitatifs insensibles et graduels.

C’est pourquoi la méthode dialectique considère que le processus du développement doit être compris non comme un mouvement circulaire, non comme une simple répétition du chemin parcouru, mais comme un mouvement progressif, ascendant, comme le passage de l’état qualitatif ancien à un nouvel état qualitatif, comme un développement qui va du simple au complexe, de l’inférieur au supérieur.

« La nature, dit Engels, est la pierre de touche de la dialectique et il faut dire que les sciences modernes de la nature ont fourni pour cette épreuve des matériaux qui sont extrêmement riches et qui augmentent tous les jours ; elles ont ainsi prouvé que la nature, en dernière instance, procède dialectiquement et non métaphysiquement, qu’elle ne se meut pas dans un cercle éternellement identique qui se répéterait perpétuellement, mais qu’elle connaît une histoire réelle.

À ce propos, il convient de nommer avant tout Darwin, qui a infligé un rude coup à la conception métaphysique de la nature, en démontrant que le monde organique tout entier, tel qu’il existe aujourd’hui, les plantes, les animaux et, par conséquent, l’homme aussi, est le produit d’un processus de développement qui dure depuis des millions d’années. » (Ibidem, p. 25.)

Engels indique que dans le développement dialectique, les changements quantitatifs se convertissent en changements qualitatifs :

« En physique… tout changement est un passage de la quantité à la qualité, l’effet du changement quantitatif de la quantité de mouvement – de forme quelconque – inhérente au corps ou communiquée au corps.

Ainsi la température de l’eau est d’abord indifférente à son état liquide ; mais si l’on augmente ou diminue la température de l’eau, il arrive un moment où son état de cohésion se modifie et l’eau se transforme dans un cas en vapeur et dans un autre en glace… c’est ainsi qu’un courant d’une certaine force est nécessaire pour qu’un fil de platine devienne lumineux ; c’est ainsi que tout métal a sa température de fusion ; c’est ainsi que tout liquide, sous une pression donnée, a son point déterminé de congélation et d’ébullition, dans la mesure où nos moyens nous permettent d’obtenir les températures nécessaires ; enfin c’est ainsi qu’il y a pour chaque gaz un point critique auquel on peut le transformer en liquide, dans des conditions déterminées de pression et de refroidissement… Les constantes, comme on dit en physique [point de passage d’un état à un autre. – N. de la Réd.], ne sont le plus souvent rien d’autre que les points nodaux où l’addition ou la soustraction quantitatives de mouvement [changement] provoque un changement qualitatif dans un corps, où, par conséquent, la quantité se transforme en qualité. » (Ibidem, pp. 502-503.)

Et à propos de la chimie :

« On peut dire que la chimie est la science des changements qualitatifs des corps dus à des changements quantitatifs. Hegel lui-même le savait déjà… prenons l’oxygène : si l’on réunit dans une molécule trois atomes au lieu de deux comme à l’ordinaire, on obtient un corps nouveau, l’ozone, qui se distingue nettement de l’oxygène ordinaire par son odeur et par ses réactions. Et que dire des différentes combinaisons de l’oxygène avec l’azote ou avec le soufre, dont chacune fournit un corps qualitativement différent de tous les autres ! » (Ibidem, p. 503.)

Enfin, Engels critique Dühring qui invective Hegel tout en lui empruntant en sous main sa célèbre thèse d’après laquelle le passage du règne du monde insensible à celui de la sensation, du règne du monde inorganique à celui de la vie organique, est un saut à un nouvel état :

« C’est tout à fait la ligne nodale hégélienne des rapports de mesure, où une addition ou une soustraction purement quantitative produit, en certains points nodaux, un saut qualitatif comme c’est le cas, par exemple, de l’eau chauffée ou refroidie, pour laquelle le point d’ébullition et le point de congélation sont les nœuds ou s’accomplit, à la pression normale, le saut à un nouvel état d’agrégation ; où par conséquent la quantité se transforme en qualité. » (Ibidem, pp. 49-50.)

d) Contrairement à la métaphysique, la dialectique part du point de vue que les objets et les phénomènes de la nature impliquent des contradictions internes, car ils ont tous un côté négatif et un côté positif, un passé et un avenir, tous ont des éléments qui disparaissent ou qui se développent ; la lutte de ces contraires, la lutte entre l’ancien et le nouveau, entre ce qui meurt et ce qui naît, entre ce qui dépérit et ce qui se développe est le contenu interne du processus de développement, de la conversion des changements quantitatifs en changements qualitatifs.

C’est pourquoi la méthode dialectique considère que le processus de développement de l’inférieur au supérieur ne s’effectue pas sur le plan d’une évolution harmonieuse des phénomènes, mais sur celui de la mise à jour des contradictions inhérentes aux objets, aux phénomènes, sur le plan d’une « lutte » des tendances contraires qui agissent sur la base de ces contradictions.

« La dialectique, au sens propre du mot, est, dit Lénine, l’étude des contradictions dans l’essence même des choses. » (Lénine : cahiers de philosophie, p. 263, éd. russe.)

Et plus loin :

« Le développement est la “lutte” des contraires. » (Lénine, t. XIII, p. 301, éd. russe.)

Tels sont les traits fondamentaux de la méthode dialectique marxiste.

Il n’est pas difficile de comprendre quelle importance considérable prend l’extension des principes de la méthode dialectique à l’étude de la vie sociale, à l’étude de l’histoire de la société, quelle importance considérable prend l’application de ces principes à l’histoire de la société, à l’activité pratique du parti du prolétariat.

S’il est vrai qu’il n’y a pas dans le monde de phénomènes isolés, s’il est vrai que tous les phénomènes sont liés entre eux et se conditionnent réciproquement, il est clair que tout régime social et tout mouvement social dans l’histoire doivent être jugés, non du point de vue de la « justice éternelle » ou de quelque autre idée préconçue, comme le font souvent les historiens, mais du point de vue des conditions qui ont engendré ce régime et ce mouvement social et avec lesquelles il sont liés.

Le régime de l’esclavage dans les conditions actuelles serait un non-sens, une absurdité contre nature.

Mais le régime de l’esclavage dans les conditions du régime de la communauté primitive en décomposition est un phénomène parfaitement compréhensible et logique, car il signifie un pas en avant par comparaison avec le régime de la communauté primitive.

Revendiquer l’institution de la république démocratique bourgeoise dans les conditions du tsarisme et de la société bourgeoise, par exemple dans la Russie de 1905, était parfaitement compréhensible, juste et révolutionnaire, car la république bourgeoise signifiait alors un pas en avant.

Mais revendiquer l’institution de la république démocratique bourgeoise dans les conditions actuelles de l’U.R.S.S. serait un non-sens, serait contre-révolutionnaire, car la république bourgeoise par comparaison avec la république soviétique est un pas en arrière.

Tout dépend des conditions, du lieu et du temps.

Il est évident que sans cette conception historique des phénomènes sociaux, l’existence et le développement de la science historique sont impossibles ; seule une telle conception empêche la science historique de devenir un chaos de contingences et un amas d’erreurs absurdes.

Poursuivons. S’il est vrai que le monde se meut et se développe perpétuellement, s’il est vrai que la disparition de l’ancien et la naissance du nouveau sont une loi du développement, il est clair qu’il n’est plus de régimes sociaux « immuables », de « principes éternels » de propriété privée et d’exploitation ; qu’il n’est plus « d’idées éternelles » de soumission des paysans aux propriétaires fonciers, des ouvriers aux capitalistes.

Par conséquent, le régime capitaliste peut être remplacé par un régime socialiste, de même que le régime capitaliste a remplacé en son temps le régime féodal.

Par conséquent, il faut fonder son action non pas sur les couches sociales qui ne se développent plus, même si elles ne représentent pour le moment la force dominante, mais sur les couches sociales qui se développent et qui ont de l’avenir, même si elles ne représentent pas pour le moment la force dominante.

En 1880-1890, à l’époque de la lutte des marxistes contre les populistes, le prolétariat de Russie était une infime minorité par rapport à la masse des paysans individuels qui formaient l’immense majorité de la population.

Mais le prolétariat se développait en tant que classe, tandis que la paysannerie en tant que classe se désagrégeait.

Et c’est justement parce que le prolétariat se développait comme classe, que les marxistes ont fondé leur action sur lui. En quoi ils ne se sont pas trompés, puisqu’on sait que le prolétariat, qui n’était qu’une force peu importante, est devenu par la suite une force historique et politique de premier ordre.

Par conséquent, pour ne pas se tromper en politique, il faut regarder en avant et non pas en arrière.

Poursuivons. S’il est vrai que le passage des changements quantitatifs lents à des changements qualitatifs brusques et rapides est une loi du développement, il est clair que les révolutions accomplies par les classes opprimées constituent un phénomène absolument naturel, inévitable.

Par conséquent, le passage du capitalisme au socialisme et l’affranchissement de la classe ouvrière du joug capitaliste peuvent être réalisés, non par des changements lents, non par des réformes, mais uniquement par un changement qualitatif du régime capitaliste, par la révolution.

Par conséquent, pour ne pas se tromper en politique, il faut être un révolutionnaire et non un réformiste.

Poursuivons. S’il est vrai que le développement se fait par l’apparition des contradictions internes, par le conflit des forces contraires sur la base de ces contradictions, conflit destiné à les surmonter, il est clair que la lutte de classe du prolétariat est un phénomène parfaitement naturel, inévitable.

Par conséquent, il ne faut pas dissimuler les contradictions du régime capitaliste, mais les faire apparaître et les étaler, ne pas étouffer la lutte de classes, mais la mener jusqu’au bout.

Par conséquent, pour ne pas se tromper en politique, il faut suivre une politique prolétarienne de classe, intransigeante, et non une politique réformiste d’harmonie des intérêts du prolétariat et de la bourgeoisie, non une politique conciliatrice « d’intégration » du capitalisme dans le socialisme.

Voilà ce qui en est de la méthode dialectique marxiste appliquée à la vie sociale, à l’histoire de la société.

À son tour, le matérialisme philosophique marxiste est par sa base l’exact opposé de l’idéalisme philosophique.

2° Le matérialisme philosophique marxiste est caractérisé par les traits fondamentaux que voici :

a) Contrairement à l’idéalisme qui considère le monde comme l’incarnation de l’ « idée absolue », de l’ « esprit universel », de la « conscience », le matérialisme philosophique de Marx part de ce principe que le monde, de par sa nature, est matériel, que les multiples phénomènes de l’univers sont les différents aspects de la matière en mouvement ; que les relations et le conditionnement réciproques des phénomènes, établis par la méthode dialectique, constituent les lois nécessaires du développement de la matière en mouvement ; que le monde se développe suivant les lois du mouvement de la matière, et n’a besoin d’aucun « esprit universel ».

« La conception matérialiste du monde, dit Engels, signifie simplement la conception de la nature telle qu’elle est sans aucune addition étrangère. » (Fr. Engels : Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, éd. Allemande, Moscou, p. 60.)

À propos de la conception matérialiste du philosophe de l’antiquité Héraclite, pour qui « le monde est un, n’a été crée par aucun dieu ni par aucun homme ; a été et sera une flamme éternellement vivante, qui s’embrasse et s’éteint suivant des lois déterminées », Lénine écrit :

« Excellent exposé des principes du matérialisme dialectique. » (Lénine : cahiers de philosophie, p. 318, éd. russe.)

b) Contrairement à l’idéalisme affirmant que seule notre conscience existe réellement, que le monde matériel, l’être, la nature n’existent que dans notre conscience, dans nos sensations, représentations, concepts, le matérialisme philosophique marxiste part de ce principe que la matière, la nature, l’être est une réalité objective existant en dehors et indépendamment de la conscience ; que la matière est une donnée première, car elle est la source des sensations, des représentations, de la conscience, tandis que la conscience est une donnée seconde, dérivée, car elle est le reflet de la matière, le reflet de l’être ; que la pensée est un produit de la matière, quand celle-ci a atteint dans son développement un haut degré de perfection ; plus précisément, la pensée est le produit du cerveau, et le cerveau, l’organe de la pensée ; on ne saurait, par conséquent, séparer la pensée de la matière sous peine de tomber dans une grossière erreur.

« La question du rapport de la pensée à l’être, de l’esprit à la nature », dit Engels, est la « question suprême de toute philosophie… Selon la réponse qu’ils faisaient à cette question, les philosophes se divisaient en deux camps importants. Ceux qui affirmaient l’antériorité de l’esprit par rapport à la nature… formaient le camp de l’idéalisme. Les autres, ceux qui considéraient la nature comme antérieure, appartenaient aux différentes écoles du matérialisme. » (Fr. Engels : Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, pp. 22 et 23.)

Et plus loin :

« Le monde matériel, perceptible par les sens, auquel nous appartenons nous-mêmes, est la seule réalité… Notre conscience et notre pensée, si transcendantales qu’elles paraissent, ne sont que le produit d’un organe matériel, corporel : le cerveau. La matière n’est pas un produit de l’esprit, mais l’esprit n’est lui-même que le produit supérieur de la matière. » (Ibidem, p. 26.)

À propos du problème de la matière et de la pensée, Marx écrit :

« On ne saurait séparer la pensée de la matière pensante. Cette matière est le substratum de tous les changements qui s’opèrent. » (Fr. Engels : Socialisme utopique et socialisme scientifique, Introduction.)

Dans sa définition du matérialisme philosophique marxiste, Lénine s’exprime en ces termes :

« Le matérialisme admet d’une façon générale que l’être réel objectif (la matière) est indépendant de la conscience, des sensations, de l’expérience… La conscience… n’est que le reflet de l’être, dans le meilleur des cas un reflet approximativement exact (adéquat, d’une précision idéale). » (Lénine, t. XIII, pp. 266-267, éd. russe.)

Et plus loin :

« La matière est ce qui, en agissant sur nos organes des sens, produit les sensations ; la matière est une réalité objective qui nous est donnée dans les sensations… La matière, la nature, l’être, le physique est la donnée première, tandis que l’esprit, la conscience, les sensations, le psychique est la donnée seconde. » (Ibidem, pp. 119-120.)

« Le tableau du monde est un tableau qui montre comment la matière se meut et comment la “matière pense”. » (Ibidem, p. 288.)

« Le cerveau est l’organe de la pensée. » (Ibidem, p. 125.)

c) Contrairement à l’idéalisme qui conteste la possibilité de connaître le monde et ses lois ; qui ne croit pas à la valeur de nos connaissances ; qui ne reconnaît pas la vérité objective et considère que le monde est rempli de « choses en soi » qui ne pourront jamais être connues de la science, le matérialisme philosophique marxiste part de ce principe que le monde et ses lois sont parfaitement connaissables, que notre connaissance des lois de la nature, vérifiées par l’expérience, par la pratique, est une connaissance valable, qu’elle a la signification d’une vérité objective ; qu’il n’est point dans le monde de choses inconnaissables, mais uniquement des choses encore inconnues, lesquelles seront découvertes et connues par les moyens de la science et de la pratique.

Engels critique la thèse de Kant et des autres idéalistes, suivant laquelle le monde et les « choses en soi » sont inconnaissables, et il défend la thèse matérialiste bien connue, suivant laquelle nos connaissances sont valables. Il écrit à ce sujet :

« La réfutation la plus décisive de cette lubie philosophique, comme d’ailleurs de toutes les autres, est la pratique, notamment l’expérience et l’industrie. Si nous pouvons prouver la justesse de notre conception d’un phénomène naturel en le créant nous-mêmes, en le faisant surgir de son propre milieu, et qui plus est, en le faisant servir à nos buts, c’en est fini de l’insaisissable « chose en soi » de Kant.

Les substances chimiques produites dans les organismes végétaux et animaux restèrent ces « choses en soi » jusqu’à ce que la chimie organique se fût mise à les préparer l’une après l’autre ; par là, la « chose en soi » devint une chose pour nous, comme par exemple, la matière colorante de la garance, l’alizarine, que nous n’extrayons plus des racines de la garance cultivée dans les champs, mais que nous tirons à meilleur marché et bien plus simplement du goudron de houille.

Le système solaire de Copernic fut, pendant trois cents ans, une hypothèse sur laquelle on pouvait parier à cent, à mille, à dix mille contre un, — c’était malgré tout une hypothèse ; mais lorsque Leverrier, à l’aide des chiffres obtenus grâce à ce système, calcula non seulement la nécessité de l’existence d’une planète inconnue, mais aussi l’endroit où cette planète devait se trouver dans l’espace céleste, et lorsque Galle la découvrit ensuite effectivement, le système de Copernic était prouvé. » (Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, p. 24.)

Lénine accuse de fidéisme Bogdanov, Bazarov, Iouchkévitch et les autres partisans de Mach ; il défend la thèse matérialiste bien connue d’après laquelle nos connaissances scientifiques sur les lois de la nature sont valables, et les lois scientifiques sont des vérités objectives ; il dit à ce sujet :

 « Le fidéisme contemporain ne répudie nullement la science ; il n’en répudie que les « prétentions excessives », à savoir la prétention de découvrir la vérité objective. S’il existe une vérité objective (comme le pensent les matérialistes), si les sciences de la nature, reflétant le monde extérieur dans l’ »expérience » humaine, sont seules capables de nous donner la vérité objective, tout fidéisme doit être absolument rejeté. » (Matérialisme et empiriocriticisme, t. XIII, p. 102.)

Tels sont en bref les traits distinctifs du matérialisme philosophique marxiste

On conçoit aisément l’importance considérable que prend l’extension des principes du matérialisme philosophique à l’étude de la vie sociale, à l’étude de l’histoire de la société ; on comprend l’importance considérable de l’application de ces principes à l’histoire de la société, à l’activité pratique du parti du prolétariat

S’il est vrai que la liaison des phénomènes de la nature et leur conditionnement réciproque sont des lois nécessaires du développement de la nature, il s’ensuit que la liaison et le conditionnement réciproque des phénomènes de la vie sociale, eux aussi, sont non pas des contingences, mais des lois nécessaires du développement social

Par conséquent, la vie sociale, l’histoire de la société cesse d’être une accumulation de « contingences », car l’histoire de la société devient un développement nécessaire de la société et l’étude de l’histoire sociale devient une science

Par conséquent, l’activité pratique du parti du prolétariat doit être fondée, non pas sur les désirs louables des « individualités d’élite », sur les exigences de la « raison », de la « morale universelle », etc., mais sur les lois du développement social, sur l’étude de ces lois

Poursuivons. S’il est vrai que le monde est connaissable et que notre connaissance des lois du développement de la nature est une connaissance valable, qui a la signification d’une vérité objective, il s’ensuit que la vie sociale, que le développement social est également connaissable et que les données de la science sur les lois du développement social, sont des données valables ayant la signification de vérités objectives

Par conséquent, la science de l’histoire de la société, malgré toute la complexité des phénomènes de la vie sociale, peut devenir une science aussi exacte que la biologie par exemple, et capable de faire servir les lois du développement social à des applications pratiques

Par conséquent, le parti du prolétariat, dans son activité pratique, ne doit pas s’inspirer de quelque motif fortuit que ce soit, mais des lois du développement social et des conclusions pratiques qui découlent de ces lois

Par conséquent, le socialisme, de rêve d’un avenir meilleur pour l’humanité qu’il était autrefois, devient une science

Par conséquent, la liaison entre la science et l’activité pratique, entre la théorie et la pratique, leur unité, doit devenir l’étoile conductrice du parti du prolétariat

Poursuivons. S’il est vrai que la nature, l’être, le monde matériel est la donnée première, tandis que la conscience, la pensée est la donnée seconde, dérivée ; s’il est vrai que le monde matériel est une réalité objective existant indépendamment de la conscience des hommes, tandis que la conscience est un reflet de cette réalité objective, il suit de là que la vie matérielle de la société, son être, est également la donnée première, tandis que sa vie spirituelle est une donnée seconde, dérivée ; que la vie matérielle de la société est une réalité objective existant indépendamment de la volonté de l’homme, tandis que la vie spirituelle de la société est un reflet de cette réalité objective, un reflet de l’être

Par conséquent, il faut chercher la source de la vie spirituelle de la société, l’origine des idées sociales, des théories sociales, des opinions politiques, des institutions politiques, non pas dans les idées, théories, opinions et institutions politiques elles-mêmes, mais dans les conditions de la vie matérielle de la société, dans l’être social dont ces idées, théories, opinions, etc., sont le reflet

Par conséquent, si aux différentes périodes de l’histoire de la société on observe différentes idées et théories sociales, différentes opinions et institutions politiques, si nous rencontrons sous le régime de l’esclavage telles idées et théories sociales, telles opinions et institutions politiques, tandis que sous le féodalisme nous en rencontrons d’autres, et sous le capitalisme, d’autres encore, cela s’explique non par la « nature », ni par les « propriétés » des idées, théories, opinions et institutions politiques elles-mêmes, mais par les conditions diverses de la vie matérielle de la société aux différentes périodes du développement social

L’être de la société, les conditions de la vie matérielle de la société, voilà ce qui détermine ses idées, ses théories, ses opinions politiques, ses institutions politiques.

À ce propos, Marx a écrit :

« Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. » (Contribution à la critique de l’économie politique, préface.)

Par conséquent, pour ne pas se tromper en politique, pour ne pas s’abandonner à des rêves creux, le parti du prolétariat doit fonder son action non pas sur les abstraits « principes de la raison humaine », mais sur les conditions concrètes de la vie matérielle de la société, force décisive du développement social ; non pas sur les désirs louables des « grands hommes », mais sur les besoins réels du développement de la vie matérielle de la société.

La déchéance des utopistes, y compris les populistes, les anarchistes, les socialistes-révolutionnaires, s’explique entre autres par le fait qu’ils ne reconnaissaient pas le rôle primordial des conditions de la vie matérielle de la société dans le développement de la société ; tombés dans l’idéalisme, ils fondaient leur activité pratique, non pas sur les besoins du développement de la vie matérielle de la société, mais indépendamment et en dépit de ces besoins, sur des « plans idéaux » et « projets universels » détachés de la vie réelle de la société.

Ce qui fait la force et la vitalité du marxisme-léninisme, c’est qu’il s’appuie dans son activité pratique, précisément sur les besoins du développement de la vie matérielle de la société, sans se détacher jamais de la vie réelle de la société.

De ce qu’a dit Marx, il ne suit pas, cependant, que les idées et les théories sociales, les opinions et les institutions politiques n’aient pas d’importance dans la vie sociale ; qu’elles n’exercent pas une action en retour sur l’existence sociale, sur le développement des conditions matérielles de la vie sociale.

Nous n’avons parlé jusqu’ici que de l’origine des idées et des théories sociales, des opinions et des institutions politiques, de leur apparition ; nous avons dit que la vie spirituelle de la société est un reflet des conditions de sa vie matérielle.

Mais pour ce qui est de l’importance de ces idées et théories sociales, de ces opinions et institutions politiques, de leur rôle dans l’histoire, le matérialisme historique, loin de les nier, souligne an contraire leur rôle et leur importance considérables dans la vie sociale, dans l’histoire de la société.

Les idées et les théories sociales diffèrent. Il est de vieilles idées et théories, qui ont fait leur temps et qui servent les intérêts des forces dépérissantes de la société. Leur importance, c’est qu’elles freinent le développement de la société, son progrès.

Il est des idées et des théories nouvelles, d’avant-garde, qui servent les intérêts des forces d’avant-garde de la société.

Leur importance, c’est qu’elles facilitent le développement de la société, son progrès ; et, qui plus est, elles acquièrent d’autant plus d’importance qu’elles reflètent plus fidèlement les besoins du développement de la vie matérielle de la société.

Les nouvelles idées et théorie sociales ne surgissent que lorsque le développement de la vie matérielle de la société a posé devant celle-ci des tâches nouvelles.

Mais une fois surgies, elles deviennent une force de la plus haute importance qui facilite l’accomplissement des nouvelles tâches posées par le développement de la vie matérielle de la société ; elles facilitent le progrès de la société.

C’est alors qu’apparaît précisément toute l’importance du rôle organisateur, mobilisateur et transformateur des idées et théories nouvelles, des opinions et institutions politiques nouvelles.

À vrai dire, si de nouvelles idées et théories sociales surgissent, c’est précisément parce qu’elles sont nécessaires à la société, parce que sans leur action, organisatrice, mobilisatrice et transformatrice, la solution des problèmes pressants que comporte le développement de la vie matérielle de la société est impossible.

Suscitées par les nouvelles tâches que pose le développement de la vie matérielle de la société, les idées et théories sociales nouvelles se frayent un chemin, deviennent le patrimoine des masses populaires qu’elles mobilisent et qu’elles organisent contre les forces dépérissantes de la société, facilitant par là le renversement de ces forces qui freinent le développement de la vie matérielle de la société.

C’est ainsi que, suscitées par les tâches pressantes du développement de la vie matérielle de la société, du développement de l’existence sociale, les idées et les théories sociales, les institutions politiques agissent elles-mêmes, par la suite, sur l’existence sociale, sur la vie matérielle de la société, en créant les conditions nécessaires pour faire aboutir la solution des problèmes pressants de la vie matérielle de la société, et rendre possible son développement ultérieur

Marx a dit à ce propos :

« La théorie devient une force matérielle dès qu’elle pénètre les masses. » (Critique de la philosophie du droit de Hegel.)

Par conséquent, pour avoir la possibilité d’agir sur les conditions de la vie matérielle de la société et pour hâter leur développement, leur amélioration, le parti du prolétariat doit s’appuyer sur une théorie sociale, sur une idée sociale qui traduise exactement les besoins du développement de la vie matérielle de la société, et soit capable, par suite, de mettre en mouvement les grandes masses populaires, capable de les mobiliser et de les organiser dans la grande armée du parti du prolétariat, prête à briser les forces réactionnaires et à frayer la voie aux forces avancées de la société.

La déchéance des « économistes » et des menchéviks s’explique, entre autres, par le fait qu’ils ne reconnaissaient pas le rôle mobilisateur, organisateur et transformateur de la théorie d’avant-garde, de l’idée d’avant-garde ; tombés dans le matérialisme vulgaire, ils réduisaient ce rôle presque à zéro ; c’est pourquoi ils condamnaient le parti à rester passif, à végéter.

Ce qui fait la force et la vitalité du marxisme-léninisme, c’est qu’il s’appuie sur une théorie d’avant-garde qui reflète exactement les besoins du développement de la vie matérielle de la société, c’est qu’il place la théorie au rang élevé qui lui revient, et considère comme son devoir d’utiliser à fond sa force mobilisatrice, organisatrice et transformatrice.

C’est ainsi que le matérialisme historique résout le problème des rapports entre l’être social et la conscience sociale, entre les conditions du développement de la vie matérielle et le développement de la vie spirituelle de la société.

3° Le matérialisme historique. Une question reste à élucider : que faut-il entendre, du point de vue du matérialisme historique, par ces « conditions de la vie matérielle de la société », qui déterminent, en dernière analyse, la physionomie la société, ses idées, ses opinions, ses institutions politiques, etc. ?

Qu’est-ce que ces « conditions de la vie matérielle de la société » ?

Quels en sont les traits distinctifs ?

Il est certain que la notion de « conditions de la vie matérielle de la société » comprend avant tout la nature qui environne la société, le milieu géographique qui est une des conditions nécessaires et permanentes de la vie matérielle de la société et qui, évidemment, influe sur le développement de la société.

Quel est le rôle du milieu géographique dans le développement social ? Le milieu géographique ne serait-il pas la force principale qui détermine la physionomie de la société, le caractère du régime social des hommes, le passage d’un régime à un autre ?

À cette question, le matérialisme historique répond par la négative.

Le milieu géographique est incontestablement une des conditions permanentes et nécessaires du développement de la société, et il est évident qu’il influe sur ce développement : il accélère ou il ralentit le cours du développement social. Mais cette influence n’est pas déterminante, car les changements et le développement de la société s’effectuent incomparablement plus vile que les changements et le développement du milieu géographique.

En trois mille ans, l’Europe a vu se succéder trois régimes sociaux différents : la commune primitive, l’esclavage, le régime féodal ; et à l’est de l’Europe, sur le territoire de l’U.R.S.S., il y en a même eu quatre. Or, dans la même période, les conditions géographiques de l’Europe, ou bien n’ont pas changé du tout, ou bien ont changé si peu que les géographes s’abstiennent même d’en parler.

Et cela se conçoit. Pour que des changements tant soit peu importants du milieu géographique se produisent, il faut des millions d’années, tandis qu’il suffit de quelques centaines d’années ou de quelque deux mille ans pour que des changements même très importants interviennent dans le régime social des hommes.

Il suit de là que le milieu géographique ne peut être la cause principale, la cause déterminante du développement social, car ce qui demeure presque inchangé pendant des dizaines de milliers d’années, ne peut être la cause principale du développement de ce qui est sujet à des changements radicaux en l’espace de quelques centaines d’années.

Il est certain, ensuite, que la croissance et la densité de la population, elles aussi, sont comprises dans la notion de « conditions de la vie matérielle de la société », car les hommes sont un élément indispensable des conditions de la vie matérielle de la société, et sans un minimum d’hommes il ne saurait y avoir aucune vie matérielle de la société. La croissance de la population ne serait-elle pas la force principale qui détermine le caractère du régime social des hommes ?

À cette question, le matérialisme historique répond aussi par la négative.

Certes, la croissance de la population exerce une influence sur le développement social, qu’elle facilite ou ralentit ; mais elle ne peut être la force principale du développement social, et l’influence qu’elle exerce sur lui ne peut être déterminante, car la croissance de la population, par elle-même, ne nous donne pas la clé de ce problème : pourquoi à tel régime social succède précisément tel régime social nouveau, et non un autre ? pourquoi à la commune primitive succède précisément l’esclavage ? à l’esclavage, le régime féodal ? au régime féodal, le régime bourgeois, et non quelque autre régime ?

Si la croissance de la population était la force déterminante du développement social, une plus grande densité de la population devrait nécessairement engendrer un type de régime social supérieur.

Mais en réalité, il n’en est rien. La densité de la population en Chine est quatre fois plus élevée qu’aux États-Unis ; cependant les États-Unis sont à un niveau plus élevé que la Chine au point de vue du développement social : en Chine domine toujours un régime semi-féodal, alors que les États-Unis ont depuis longtemps atteint le stade supérieur du développement capitaliste.

La densité de la population en Belgique est dix-neuf fois plus élevée qu’aux États-Unis et vingt-six fois plus élevée qu’en U.R.S.S. ; cependant les États-Unis sont à un niveau plus élevé que la Belgique au point de vue du développement social ; et par rapport à l’U.R.S.S., la Belgique retarde de toute une époque historique : en Belgique domine le régime capitaliste, alors que l’U.R.S.S. en a déjà fini avec le capitalisme : elle a institué chez elle le régime socialiste.

Il suit de là que la croissance de la population n’est pas et ne peut pas être la force principale du développement de la société, la force qui détermine le caractère du régime social, la physionomie de la société.

a) Mais alors, quelle est donc, dans le système des conditions de la vie matérielle de la société, la force principale qui détermine la physionomie de la société, le caractère du régime social, le développement de la société d’un régime à un autre ?

Le matérialisme historique considère que cette force est le mode d’obtention des moyens d’existence nécessaires à la vie des hommes, le mode de production des biens matériels : nourriture, vêtements, chaussures, logement, combustible, instruments de production. etc. nécessaires pour que la société puisse vivre et se développer.

Pour vivre il faut avoir de la nourriture, des vêtements, des chaussures, un logement, du combustible, etc. ; pour avoir ces biens matériels il faut les produire, et pour les produire, il faut avoir les instruments de production à l’aide desquels les hommes produisent la nourriture, les vêtements, les chaussures, le logement, le combustible, etc. ; il faut savoir produire ces instruments, il faut savoir s’en servir.

Les instruments de production à l’aide desquels les biens matériels sont produits, les hommes gui manient ces instruments de production et produisent les biens matériels grâce à une certaine expérience de la production et à des habitudes de travail, voilà les éléments qui, pris tous ensemble, constituent les forces productives de la société.

Mais les forces productives ne sont qu’un aspect de la production, un aspect du mode de production, celui qui exprime le comportement des hommes à l’égard des objets et des forces de la nature dont ils se servent pour produire des biens matériels.

L’autre aspect de la production, l’autre aspect du mode de production, ce sont les rapports des hommes entre eux dans le processus de la production, les rapports de production entre les hommes.

Dans leur lutte avec la nature qu’ils exploitent pour produire les biens matériels, les hommes ne sont pas isolés les uns des autres, ne sont pas des individus détaches les uns des autres ; ils produisent en commun, par groupes, par associations.

C’est pourquoi la production est toujours, et quelles que soient les conditions, une production sociale.

Dans la production des biens matériels, les hommes établissent entre eux tels ou tels rapports à l’intérieur de la production, ils établissent tels ou tels rapports de production.

Ces derniers peuvent être des rapports de collaboration et d’entraide parmi des hommes libres de toute exploitation ; ils peuvent être des rapports de domination et de soumission ; ils peuvent être enfin des rapports de transition d’une forme de rapports de production à une autre.

Mais quel que soit le caractère que revêtent les rapports de production, ceux-ci sont toujours, sous tous les régimes, un élément indispensable de la production, à l’égal des forces productives de la société.

« Dans la production, dit Marx, les hommes n’agissent pas seulement sur la nature, mais aussi les uns sur les autres. Ils ne produisent qu’en collaborant d’une manière déterminée et en échangeant entre eux leurs activités. Pour produire, ils entrent en relations et en rapports déterminés les uns avec les autres, et ce n’est que dans les limites de ces relations et de ces rapports sociaux que s’établit leur action sur la nature, que se fait la production. » (Travail salarié et capital.)

Il suit de là que la production, le mode de production englobe tout aussi bien les forces productives de la société que les rapports de production entre les hommes, et est ainsi l’incarnation de leur unité dans le processus de production des biens matériels.

b) La première particularité de la production, c’est que jamais elle ne s’arrête à un point donné pour une longue période ; elle est toujours en voie de changement et de développement ; de plus, le changement du mode de production provoque inévitablement le changement du régime social tout entier, des idées sociales, des opinions et institutions politiques ; le changement du mode de production provoque la refonte de tout le système social et politique.

Aux différents degrés du développement, les hommes se servent de différents moyens de production ou plus simplement, les hommes mènent un genre de vie différent.

Dans la commune primitive il existe un mode de production ; sous l’esclavage, il en existe un autre ; sous le féodalisme, un troisième, et ainsi de suite. Le régime social des hommes, leur vie spirituelle, leurs opinions, leurs institutions politiques diffèrent selon ces modes de production.

Au mode de production de la société correspondent, pour l’essentiel, la société elle-même, ses idées et ses théories, ses opinions et institutions politiques.

Ou plus simplement : tel genre de vie, tel genre de pensée.

Cela veut dire que l’histoire du développement de la société est, avant tout, l’histoire du développement de la production, l’histoire des modes de production qui se succèdent à travers les siècles, l’histoire du développement des forces productives et des rapports de production entre les hommes.

Par conséquent, l’histoire du développement social est en même temps l’histoire des producteurs des biens matériels, l’histoire des masses laborieuses qui sont les forces fondamentales du processus de production et produisent les biens matériels nécessaires à l’existence de la société.

Par conséquent, la science historique, si elle veut être une science véritable, ne peut plus réduire l’histoire du développement social aux actes des rois et des chefs d’armées, aux actes des « conquérants » et des « asservisseurs » d’États ; la science historique doit avant tout s’occuper de l’histoire des producteurs des biens matériels, de l’histoire des masses laborieuses, de l’histoire des peuples.

Par conséquent, la clé qui permet de découvrir les lois de l’histoire de la société, doit être cherchée non dans le cerveau des hommes, non dans les opinions et les idées de la société, mais dans le mode de production pratiqué par la société à chaque période donnée de l’histoire, dans l’économique de la société.

Par conséquent, la tâche primordiale de la science historique est l’étude et la découverte des lois de la production, des lois du développement des forces productives et des rapports de production, des lois du développement économique de la société.

Par conséquent, le parti du prolétariat, s’il veut être un parti véritable, doit avant tout acquérir la science des lois du développement de la production, des lois du développement économique de la société.

Par conséquent, pour ne pas se tromper en politique, le parti du prolétariat, dans l’établissement de son programme aussi bien que dans son activité pratique, doit avant tout s’inspirer des lois du développement de la production, des lois du développement économique de la société.

c) La deuxième particularité de la production, c’est que ses changements et son développement commencent toujours par le changement et le développement des forces productives et, avant tout, des instruments de production.

Les forces productives sont, par conséquent, l’élément le plus mobile et le plus révolutionnaire de la production. D’abord se modifient et se développent les forces productives de la société ; ensuite, en fonction et en conformité de ces modifications, se modifient les rapports de production entre les hommes, leurs rapports économiques.

Cela ne signifie pas cependant que les rapports de production n’influent pas sur le développement des forces productives et que ces dernières ne dépendent pas des premiers.

Les rapports de production dont le développement dépend de celui des forces productives, agissent à leur tour sur le développement des forces productives, qu’ils accélèrent ou ralentissent.

De plus, il importe de noter que les rapports de production ne sauraient trop longtemps retarder sur la croissance des forces productives et se trouver en contradiction avec cette croissance, car les forces productives ne peuvent se développer pleinement que si les rapports de production correspondent au caractère, à l’état des forces productives et donnent libre cours au développement de ces dernières.

C’est pourquoi, quel que soit le retard des rapports de production sur le développement des forces productives, ils doivent, tôt ou tard, finir par correspondre — et c’est ce qu’ils font effectivement — au niveau du développement des forces productives, au caractère de ces forces productives.

Dans le cas contraire, l’unité des forces productives et des rapports de production dans le système de la production serait compromise à fond, il y aurait une rupture dans l’ensemble de la production, une crise de la production, la destruction des forces productives.

Les crises économiques dans les pays capitalistes, — où la propriété privée capitaliste des moyens de production est en contradiction flagrante avec le caractère social du processus de production, avec le caractère des forces productives, — sont un exemple du désaccord entre les rapports de production et le caractère des forces productives, un exemple du conflit qui les met aux prises.

Les crises économiques qui mènent à la destruction des forces productives sont le résultat de ce désaccord ; de plus, ce désaccord lui-même est la base économique de la révolution sociale appelée à détruire les rapports de production actuels et à créer de nouveaux rapports conformes au caractère des forces productives.

Au contraire, l’économie socialiste en U.R.S.S., où la propriété sociale des moyens de production est en parfait accord avec le caractère social du processus de production, et où, par suite, il n’y a ni crises économiques, ni destruction des forces productives, est un exemple de l’accord parfait entre les rapports de production et le caractère des forces productives.

Par conséquent, les forces productives ne sont pas seulement l’élément le plus mobile et le plus révolutionnaire de la production. Elles sont aussi l’élément déterminant du développement de la production. Telles sont les forces productives, tels doivent être les rapports de production.

Si l’état des forces productives indique par quels instruments de production les hommes produisent les biens matériels qui leur sont nécessaires, l’état des rapports de production, lui, montre en la possession de qui se trouvent les moyens de production (la terre, les forêts, les eaux, le sous-sol, les matières premières, les instruments de production, les bâtiments d’exploitation, les moyens de transport et de communication, etc.) ; à la disposition de qui se trouvent les moyens de production, à la disposition de la société entière, ou à la disposition d’individus, de groupes ou de classes qui s’en servent pour exploiter d’autres individus, groupes ou classes.

Voici le tableau schématique du développement des forces productives depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours : transition des grossiers outils de pierre à l’arc et aux flèches et, par suite, passage de la chasse à la domestication des animaux et à l’élevage primitif ; transition des outils de pierre aux outils de métal (hache de fer, araire muni d’un soc en fer, etc.) et, par suite, passage à la culture des plantes, à l’agriculture ; nouveau perfectionnement des outils de métal pour le travail des matériaux, apparition de la forge à soufflet et de la poterie et, par suite, développement des métiers, séparation des métiers et de l’agriculture, développement des métiers indépendants et puis de la manufacture ; transition des instruments de production artisanale à la machine et transformation de la production artisanale-manufacturière en industrie mécanisée ; transition, au système des machines et apparition de la grande industrie mécanisée moderne : tel est le tableau d’ensemble, très incomplet, du développement des forces productives de la société tout au long de l’histoire de l’humanité.

Et il va de soi que le développement et le perfectionnement des instruments de production ont été accomplis par les hommes, qui ont un rapport à la production, et non pas indépendamment des hommes.

Par conséquent, en même temps que les instruments de production, changent et se développent, les hommes, — élément essentiel des forces productives, — changent et se développent également ; leur expérience de production, leurs habitudes de travail, leur aptitude à manier les instruments de production ont changé et se sont développées.

C’est en accord avec ces changements et avec ce développement des formes productives de la société au cours de l’histoire qu’ont changé et se sont développés les rapports de production entre les hommes, leurs rapports économiques.

L’histoire connaît cinq types fondamentaux de rapports de production : la commune primitive, l’esclavage, le régime féodal, le régime capitaliste et le régime socialiste.

Sous le régime de la commune primitive, la propriété collective des moyens de production forme le base des rapports de production.

Ce qui correspond, pour l’essentiel, au caractère des forces productives dans cette période. Les outils de pierre, ainsi que l’arc et les flèches apparus plus tard, ne permettaient pas aux hommes de lutter isolément contre les forces de la nature et les bêtes de proie.

Pour cueillir les fruits dans les forêts, pour pêcher le poisson, pour construire une habitation quelconque, les hommes étaient obligés de travailler en commun s’ils ne voulaient pas mourir de faim ou devenir la proie des bêtes féroces ou de tribus voisines.

Le travail en commun conduit à la propriété commune des moyens de production, de même que des produits.

Ici, on n’a pas encore la notion de la propriété privée des moyens de production, sauf la propriété individuelle de quelques instruments de production qui sont en même temps des armes de défense contre les bêtes de proie. Ici, il n’y a ni exploitation ni classes.

Sous le régime de l’esclavage, c’est la propriété du maître des esclaves sur les moyens de production ainsi que sur le travailleur, — l’esclave qu’il peut vendre, acheter, tuer comme du bétail, — qui forme la base des rapports de production.

De tels rapports de production correspondent, pour l’essentiel, à l’état des forces productives dans cette période.

À la place des outils de pierre, les hommes disposent maintenant d’instruments de métal ; à la place d’une économie réduite à une chasse primitive et misérable, qui ignore l’élevage et l’agriculture, on voit apparaître l’élevage, l’agriculture, les métiers, la division du travail entre ces différentes branches de la production ; on voit apparaître la possibilité d’échanger les produits entre individus et groupes, la possibilité d’une accumulation de richesse entre les mains d’un petit nombre, l’accumulation réelle des moyens de production entre les mains d’une minorité, la possibilité que la majorité soit soumise à la minorité et la transformation des membres de la majorité en esclaves.

Ici, il n’y a plus de travail commun et libre de tous les membres de la société dans le processus de la production ; ici, domine le travail forcé des esclaves exploités par des maîtres oisifs.

C’est pourquoi il n’y a pas non plus de propriété commune des moyens de production, ni des produits. Elle est remplacée par la propriété privée. Ici, le maître des esclaves est le premier et le principal propriétaire, le propriétaire absolu.

Des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités, des gens qui ont tous les droits et des gens qui n’en ont aucun, une âpre lutte de classes entre les uns et les autres : tel est le tableau du régime de l’esclavage.

Sous le régime féodal, c’est la propriété du seigneur féodal sur les moyens de production et sa propriété limitée sur le travailleur, — le serf que le féodal ne peut plus tuer, mais qu’il peut vendre et acheter, — qui forment la base des rapports de production.

La propriété féodale coexiste avec la propriété individuelle du paysan et de l’artisan sur les instruments de production et sur son économie privée, fondée sur le travail personnel.

Ces rapports de production correspondent, pour l’essentiel, à l’état des forces productives dans cette période.

Perfectionnement de la fonte et du traitement du fer, emploi généralisé de la charrue et du métier à tisser, développement continu de l’agriculture, du jardinage, de l’industrie vinicole, de la fabrication de l’huile : apparition des manufactures à côté des ateliers d’artisans, tels sont les traits caractéristiques de l’état des forces productives.

Les nouvelles forces productives exigent du travailleur qu’il fasse preuve d’une certaine initiative dans la production, de goût à l’ouvrage, d’intérêt au travail.

C’est pourquoi le seigneur féodal, renonçant à un esclave qui n’a pas d’intérêt au travail et est absolument dépourvu d’initiative, aime mieux avoir affaire à un serf qui possède sa propre exploitation, ses instruments de production et qui a quelque intérêt au travail, intérêt indispensable pour qu’il cultive la terre et paye sur sa récolte une redevance en nature au féodal.

Ici, la propriété privée continue à évoluer.

L’exploitation est presque aussi dure que sous l’esclavage ; elle est à peine adoucie. La lutte de classes entre les exploiteurs et les exploités est le trait essentiel du régime féodal.

Sous le régime capitaliste, c’est la propriété capitaliste des moyens de production qui forme la base des rapports de production : la propriété sur les producteurs, les ouvriers salariés, n’existe plus ; le capitaliste ne peut ni les tuer ni les vendre, car ils sont affranchis de toute dépendance personnelle ; mais ils sont privés des moyens de production et pour ne pas mourir de faim, ils sont obligés de vendre leur force de travail au capitaliste et de subir le joug de l’exploitation.

A côté de la propriété capitaliste des moyens de production existe, largement répandue dans les premiers temps, la propriété privée du paysan et de l’artisan affranchis du servage, sur les moyens de production, propriété basée sur le travail personnel.

Les ateliers d’artisans et les manufactures ont fait place à d’immenses fabriques et usines outillées de machines.

Les domaines des seigneurs qui étaient cultivés avec les instruments primitifs des paysans, ont fait place à de puissantes exploitations capitalistes gérées sur la base de la science agronomique et pourvues de machines agricoles.

Les nouvelles forces productives exigent des travailleurs qu’ils soient plus cultivés et plus intelligents que les serfs ignorants et abrutis ; qu’ils soient capables de comprendre la machine et sachent la manier convenablement.

Aussi les capitalistes préfèrent-ils avoir affaire à des ouvriers salariés affranchis des entraves du servage, suffisamment cultivés pour manier les machines convenablement.

Mais pour avoir développé les forces productives dans des proportions gigantesques, le capitalisme s’est empêtré dans des contradictions insolubles pour lui.

En produisant des quantités de plus en plus grandes de marchandises et en en diminuant les prix, le capitalisme aggrave la concurrence, ruine la masse des petits et moyens propriétaires privés, les réduit à l’état de prolétaires et diminue leur pouvoir d’achat ; le résultat est que l’écoulement des marchandises fabriquées devient impossible.

En élargissant la production et en groupant dans d’immenses fabriques et usines des millions d’ouvriers, le capitalisme confère au processus de production un caractère social et mine par là même sa propre base ; car le caractère social du processus de production exige la propriété sociale des moyens de production ; or, la propriété des moyens de production demeure une propriété privée, capitaliste, incompatible avec le caractère social du processus de production.

Ce sont ces contradictions irréconciliables entre le caractère des forces productives et les rapports de production qui se manifestent dans les crises périodiques de surproduction ; les capitalistes, faute de disposer d’acheteurs solvables à cause de la ruine des masses dont ils sont responsables eux-mêmes, sont obligés de brûler des denrées, d’anéantir des marchandises toutes prêles, d’arrêter la production, de détruire les forces productives, et cela alors que des millions d’hommes souffrent du chômage et de la faim, non parce qu’on manque de marchandises, mais parce qu’on en a trop produit.

Cela signifie que les rapports de production capitalistes ne correspondent plus à l’état des forces productives de la société et sont entrés en contradiction insoluble avec elles.

Cela signifie que le capitalisme est gros d’une révolution, appelée à remplacer l’actuelle propriété capitaliste des moyens de production par la propriété socialiste.

Cela signifie qu’une lutte de classes des plus aiguës entre exploiteurs et exploités est le trait essentiel du régime capitaliste.

Sous le régime socialiste qui, pour le moment, n’est réalisé qu’en U.R.S.S., c’est la propriété sociale des moyens de production qui forme la base des rapports de production. Ici, il n’y a plus ni exploiteurs ni exploités.

Les produits sont répartis d’après le travail fourni et suivant le principe : « Qui ne travaille pas, ne mange pas. » Les rapports entre les hommes dans le processus de production sont des rapports de collaboration fraternelle et d’entraide socialiste des travailleurs affranchis de l’exploitation.

Les rapports de production sont parfaitement conformes à l’état des forces productives, car le caractère social du processus de production est étayé par la propriété sociale des moyens de production.

C’est ce qui fait que la production socialiste en U.R.S.S. ignore les crises périodiques de surproduction et toutes les absurdités qui s’y rattachent.

C’est ce qui fait qu’ici les forces productives se développent à un rythme accéléré, car les rapports de production qui leur sont conformes, donnent libre cours à ce développement.

Tel est le tableau du développement des rapports de production entre les hommes tout au long de l’histoire de l’humanité.

Telle est la dépendance du développement des rapports de production à l’égard du développement des forces productives de la société, et, avant tout, du développement des instruments de production, dépendance qui fait que les changements et le développement des forces productives aboutissent tôt ou tard à un changement et à un développement correspondants des rapports de production.

« L’emploi et la création des moyens de travail [Par « moyens de travail », Marx entend principalement les instruments de production. – N. de la Réd.], quoiqu’ils se trouvent en germe chez quelques espèces animales, caractérisent éminemment le travail humain. Aussi Franklin donne-t-il cette définition de l’homme : l’homme est un animal fabricant d’outils (a toolmaking animal).

Les débris des anciens moyens de travail ont pour l’étude des formes économiques des sociétés disparues, la même importance que la structure des os fossiles pour la connaissance de l’organisation des races éteintes. Ce qui distingue une époque économique d’une autre, c’est moins ce que l’on fabrique, que la manière de fabriquer… Les moyens de travail sont les gradimètres du développement du travailleur, et les exposants des rapports sociaux dans lesquels il travaille. » (K. Marx : le Capital, t. 1, pp. 195-196.)

Et plus loin :

« Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives. En acquérant de nouvelles forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux. Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain [le seigneur féodal. – N. de la Réd.] ; le moulin à vapeur, la société avec le capitalisme industriel. » (K. Marx : Misère de la philosophie, Réponse à la Philosophie de la misère de M. Proudhon p. 99, Bureau d’Editions, Paris 1937.)

« Il y a un mouvement continuel d’accroissement dans les forces productives, de destruction dans les rapports sociaux, de formation dans les idées ; il n’y a d’immuable que l’abstraction du mouvement. » (Ibidem, p 99.)

Définissant le matérialisme historique formulé dans le Manifeste du Parti communiste, Engels dit :

« La production économique et la structure sociale qui en résulte nécessairement forment, à chaque époque historique, la base de l’histoire politique et intellectuelle de cette époque ; … par suite (depuis la dissolution de la primitive propriété commune du sol), toute l’histoire a été une histoire de lottes de classes, de luttes entre classes exploitées et classes exploitantes, entre classes dominées et classes dominantes, aux différentes étapes de leur développement social ; cette lutte a actuellement atteint une étape où la classe exploitée et opprimée (le prolétariat) ne peut plus se libérer de la classe qui l’exploite et l’opprime (la bourgeoisie) sans libérer en même temps, et pour toujours, la société tout entière de l’exploitation, de l’oppression et des luttes de classes… » (Fr. Engels : Préface à l’éd. allemande de 1883 au Manifeste du Parti communiste.)

d) La troisième particularité de la production, c’est que les nouvelles forces productives et les rapports de production qui leur correspondent n’apparaissent pas en dehors du régime ancien après sa disparition ; ils apparaissent au sein même du vieux régime ; ils ne sont pas l’effet d’une action consciente, préméditée des hommes. Ils surgissent spontanément, et indépendamment de la volonté des hommes, pour deux raisons  :

Tout d’abord, parce que les hommes ne sont pas libres dans le choix du mode de production ; chaque nouvelle génération, à son entrée dans la vie, trouve des forces productives et des rapports de production tout prêts, créés par le travail des générations précédentes ; aussi chaque génération nouvelle est-elle obligée d’accepter au début tout ce qu’elle trouve de prêt dans le domaine de la production et de s’y accommoder pour pouvoir produire des biens matériels.

En second lieu, parce qu’en perfectionnant tel ou tel instrument de production, tel ou tel élément des forces productives, les hommes n’ont pas conscience des résultats sociaux auxquels ces perfectionnements doivent aboutir ; ils ne le comprennent pas et n’y songent pas ; ils ne pensent qu’à leurs intérêts quotidiens, ils ne pensent qu’à rendre leur travail plus facile et à obtenir un avantage immédiat et tangible.

Quand quelques membres de la commune primitive ont commencé peu à peu et comme à tâtons à passer des outils en pierre aux outils en fer, ils ignoraient évidemment les résultats sociaux auxquels cette innovation aboutirait ; ils n’y pensaient pas ; ils n’avaient pas conscience, ils ne comprenaient pas que l’adoption des outils en métal signifiait une révolution dans la production, qu’elle aboutirait finalement au régime de l’esclavage.

Ce qu’ils voulaient, c’était simplement rendre leur travail plus facile et obtenir un avantage immédiat et palpable ; leur activité consciente se bornait au cadre étroit de cet avantage personnel, quotidien.

Quand sous le régime féodal, la jeune bourgeoisie d’Europe a commencé à construire, à côté des petits ateliers d’artisans, de grandes manufactures, faisant ainsi progresser les forces productives de la société, elle ignorait évidemment les conséquences sociales auxquelles cette innovation aboutirait, elle n’y pensait pas ; elle n’avait pas conscience, elle ne comprenait pas que cette « petite » innovation aboutirait à un regroupement des forces sociales, qui devait se terminer par une révolution contre le pouvoir royal dont elle prisait si fort la bienveillance, aussi bien que contre la noblesse dans laquelle rêvaient souvent d’entrer les meilleurs représentants de cette bourgeoisie ; ce qu’elle voulait, c’était simplement diminuer le coût de la production des marchandises, jeter une plus grande quantité de marchandises sur les marchés de l’Asie et sur ceux de l’Amérique qui venait d’être découverte, et réaliser de plus grands profits ; son activité consciente se bornait au cadre étroit de ces intérêts pratiques, quotidiens.

Quand les capitalistes russes, de concert avec les capitalistes étrangers, ont implanté activement en Russie la grande industrie mécanisée moderne, sans toucher au tsarisme et en jetant les paysans en pâture aux grands propriétaires fonciers, ils ignoraient évidemment les conséquences sociales auxquelles aboutirait ce considérable accroissement des forces productives, ils n’y pensaient pas ; ils n’avaient pas conscience, ils ne comprenaient pas que ce bond considérable des forces productives de la société aboutirait à un regroupement des forces sociales, qui permettrait au prolétariat de s’associer la paysannerie et de faire triompher la révolution socialiste.

Ce qu’ils voulaient, c’était simplement élargir à l’extrême la production industrielle, se rendre maîtres d’un marché intérieur immense, monopoliser la production et drainer de l’économie nationale le plus de profit possible ; leur activité consciente n’allait pas au delà de leurs intérêts quotidiens purement pratiques.

Marx a dit à ce sujet :

« Dans la production sociale de leur existence [c’est-à-dire dans la production des biens matériels nécessaires à la vie des hommes. – N. de la Réd.], les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants [Souligné par la Réd.] de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré de développement donné de leurs forces productives matérielles. » (K. Marx : Contribution à la critique de l’économie politique, préface.)

Cela ne signifie pas cependant que le changement des rapports de production et le passage des anciens rapports de production aux nouveaux s’effectuent uniment, sans conflits ni secousses.

Tout au contraire, ce passage s’opère habituellement par le renversement révolutionnaire des anciens rapports de production et par l’institution de rapports nouveaux.

Jusqu’à une certaine période, le développement des forces productives et les changements dans le domaine des rapports de production s’effectuent spontanément, indépendamment de la volonté des hommes.

Mais il n’en est ainsi que jusqu’à un certain moment, jusqu’au moment où les forces productives qui ont déjà surgi et se développent, seront suffisamment mûres.

Quand les forces productives nouvelles sont venues à maturité, les rapports de production existants et les classes dominantes qui les personnifient, se transforment en une barrière « insurmontable », qui ne peut être écartée de la route que par l’activité consciente de classes nouvelles, par l’action violente de ces classes, par la révolution.

C’est alors qu’apparaît d’une façon saisissante le rôle immense des nouvelles idées sociales, des nouvelles institutions politiques, du nouveau pouvoir politique, appelés à supprimer par la force les rapports de production anciens.

Le conflit entre les forces productives nouvelles et les rapports de production anciens, les besoins économiques nouveaux de la société donnent naissance à de nouvelles idées sociales ; ces nouvelles idées organisent et mobilisent les masses, celles-ci s’unissent dans une nouvelle armée politique, créent un nouveau pouvoir révolutionnaire et s’en servent pour supprimer par la force l’ancien ordre de choses dans le domaine des rapports de production, pour y instituer un régime nouveau.

Le processus spontané de développement cède la place à l’activité consciente des hommes ; le développement pacifique, à un bouleversement violent ; l’évolution, à la révolution.

« Le prolétariat, dit Marx, dans sa lutte contre la bourgeoisie, se constitue forcément en classe… il s’érige par une révolution en classe dominante et, comme classe dominante, détruit violemment l’ancien régime de production. » (K. Marx et Fr. Engels : Manifeste du Parti communiste.)

Et plus loin :

« Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout te capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production dans les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter aussi vite que possible la quantité des forces productives. » (Ibidem.)

« La force est l’accoucheuse de toute vieille société en travail. » (Marx : le Capital, livre 1er, t. III, p. 213, Paris 1939.)

Dans la préface historique de son célèbre ouvrage Contribution à la critique de l’économie politique (1859), Marx donne une définition géniale de l’essence même du matérialisme historique :

« Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré de développement donné de leurs forces productives matérielles.

L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base réelle sur quoi s’élève une superstructure juridique et politique, et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le procès de vie social, politique et intellectuel, en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence ; c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience.

À un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors.

De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports deviennent des entraves pour ces forces. Alors s’ouvre une époque de révolutions sociales.

Le changement de la base économique bouleverse plus ou moins lentement ou rapidement toute la formidable superstructure. Lorsqu’on étudie ces bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel, — constaté avec une précision propre aux sciences naturelles, — des conditions économiques de la production, et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques dans lesquelles les hommes conçoivent ce conflit et le combattent.

De même qu’on ne peut juger un individu sur l’idée qu’il a de lui même, on ne peut juger une semblable époque de bouleversements sur sa conscience : mais il faut expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui oppose les forces productives de la société et les rapports de production.

Une formation sociale ne meurt jamais avant que soient développées toutes les forces productives auxquelles elle peut donner libre cours ; de nouveaux rapports de production, supérieurs aux anciens, n’apparaissent jamais avant que leurs conditions matérielles d’existence n’aient mûri au sein de la vieille société. C’est pourquoi l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre ; car, à mieux considérer les choses, il s’avérera toujours que le problème lui-même ne surgit que lorsque les conditions matérielles de sa solution existent déjà ou tout au moins sont en formation. »

Voilà ce qu’enseigne le matérialisme marxiste appliqué à la vie sociale, à l’histoire de la société

Tels sont les traits fondamentaux du matérialisme dialectique et historique.

On voit par là quel trésor théorique Lénine a sauvegardé pour le Parti contre les atteintes des révisionnistes et des éléments dégénérés, et quelle importance a eu la parution de l’ouvrage de Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme, pour le développement de notre Parti.

3. Bolchéviks et menchéviks dans les années de la réaction stolypinienne. Lutte des bolchéviks contre les liquidateurs et les otzovistes.

Pendant les années de réaction, il fut beaucoup plus difficile de travailler dans les organisations du Parti que pendant la pério­de précédente de développement de la révolution.

Les effectifs du Parti avaient fortement diminué. De nombreux compagnons de route petits-bourgeois, des intellectuels surtout, abandonnaient les rangs du Parti par crainte des poursuites du gouvernement tsariste.

Lénine a indiqué qu’en de tels moments, les partis révolution­naires doivent parfaire leur éducation. Dans la période d’essor de la révolution, ils ont appris à attaquer ; dans la période de réac­tion, ils doivent apprendre à se replier en bon ordre, à passer à l’action clandestine, à conserver et fortifier le parti illégal, à utiliser les possibilités légales, toutes les organisations lé­gales, de masse surtout, pour raffermir leurs relations avec les masses.

Les menchéviks se repliaient dans la panique, ne croyant pas à la possibilité d’un nouvel essor de la révolution ; ils répudiaient honteusement les revendications révolutionnaires du programme et les mots d’ordre révolutionnaires du Parti ; ils entendaient liquider, supprimer le parti révolutionnaire illégal du prolé­tariat. C’est pourquoi on appela ce genre de menchéviks liquida­teurs.

À la différence des menchéviks, les bolchéviks avaient la cer­titude que dans les prochaines années se produirait un essor révo­lutionnaire et que le Parti se devait de préparer les masses en vue de ce nouvel essor.

Les tâches essentielles de la révolution n’avaient pas été accomplies.

La paysannerie n’avait pas reçu la terre sei­gneuriale ; les ouvriers n’avaient pas obtenu la journée de huit heures : l’autocratie tsariste exécrée du peuple n’avait pas été renversée ; elle avait étouffé le peu de libertés politiques que le peuple lui avait arrachées en 1905.

Ainsi demeuraient entières les causes qui avaient enfanté la révolution de 1905.

C’est pourquoi les bolchéviks avaient la certitude d’un nouvel essor du mouve­ment révolutionnaire ; ils s’y préparaient, ils rassemblaient les forces de la classe ouvrière.

Cette certitude d’un nouvel essor inévitable de la révolution, les bolchéviks la puisaient encore dans le fait que la révolution de 1905 avait appris à la classe ouvrière à conquérir ses droits par la lutte révolutionnaire de masse.

Dans les années de réaction, dans les années d’offensive du capital, les ouvriers ne pouvaient pas avoir oublié les enseignements de 1905. Lénine a cité des let­tres d’ouvriers dans lesquelles ceux-ci, parlant des nouvelles vexa­tions et brimades des fabricants, disaient : « Patience, il y aura un autre 1905 »

Le but politique essentiel des bolchéviks restait le même qu’en 1905 : renverser le tsarisme, achever la révolution démocratique bourgeoise, passer à la révolution socialiste.

Pas un instant les bolchéviks n’oubliaient ce but ; ils continuaient à formuler devant les masses les mots d’ordre révolutionnaires essentiels : république démocratique, confiscation de la terre des grands propriétaires fonciers, journée de huit heures.

Mais la tactique du Parti ne pouvait rester la même que dans la période d’essor de la révolution de 1905.

Par exemple, on ne pouvait, à bref délai, appeler les masses à la grève politique gé­nérale ou à l’insurrection armée, car on était en présence d’un déclin du mouvement révolutionnaire, d’une extrême lassitude de la classe ouvrière et d’un sérieux renforcement des classes réac­tionnaires.

Le Parti ne pouvait pas ne pas tenir compte de la nouvelle situation.

Il fallait remplacer la tactique d’offensive par la tactique de défensive, par la tactique de rassemblement des forces, la tactique de retrait des cadres dans l’illégalité et d’action clandestine du Parti, la tactique du travail illégal combiné avec le travail dans les organisations ouvrières légales.

De cette tâche, les bolchéviks surent s’acquitter.

« Nous avons su travailler durant de longues années avant la révolution. Ce n’est pas sens raison qu’on a dit de nous : fermes comme le roc. Les social-démocrates ont constitué un parti prolétarien qui ne se laissera pas décourager par l’échec d’un premier assaut militaire ; il ne perdra pas la tête, il ne se laissera pas aller aux aventures. » (Lénine, Œuvres choisies, t. I, pp. 572-573.)

Les bolchéviks luttaient pour le maintien et le renforcement des organisations illégales du Parti.

Mais en même temps ils jugeaient nécessaire d’utiliser toutes les possibilités légales, tout prétexte légal permettant d’entretenir et de conserver le contact avec les masses et de renforcer ainsi le Parti.

« Dans cette période, notre Parti opéra un tournant de la lutte révolutionnaire ouverte contre le tsarisme aux méthodes de lutte détournées, à l’utilisation des possibilités légales de tout ordre et de tout genre, depuis les caisses d’assurance jus­qu’à la tribune de la Douma.

Période de recul, après la dé­faite subie dans la révolution de 1905. Ce tournant nous astreignait à nous assimiler les méthodes de lutte nouvelles pour pouvoir, une fois que nous aurions rassemblé nos forces, engager de nouveau une lutte révolutionnaire déclarée contre le tsarisme. » (Staline : Compte rendu sténographique du XVe Congrès, pp. 366-367, 1935, éd. russe.)

Les organisations légales restées debout servirent en quelque sorte d’abris aux organisations illégales du Parti et d’organes de liaison avec les masses.

Pour conserver cette liaison, les bolche­viks utilisèrent les syndicats et les autres organisations sociales légales : caisses d’assurance-maladie, coopératives ouvrières, clubs et sociétés culturelles, maisons du peuple.

Ils utilisèrent la tribune de la Douma d’État pour dénoncer la politique du gouvernement tsariste, pour démasquer les cadets et faire passer les paysans aux côtés du prolétariat.

Le maintien de l’organisation illégale et la direction de toutes les autres formés du travail politique par le moyen de cette organisation, garantissaient au Parti l’application de sa ligne juste, la préparation des forces pour un nouvel essor révolutionnaire.

Les bolchéviks appliquaient leur ligne révolutionnaire en luttant sur deux fronts, contre les deux variétés d’opportunisme dans le Parti : contre les liquidateurs, adversaires déclarés du Parti, et contre ce qu’on appelait les otzovistes, ennemis masqués du Parti.

Lénine, les bolchéviks, avaient mené une lutte intransigeante contre le courant de liquidation dès l’apparition de cette tendance opportuniste.

Lénine indiquait que le groupe des liquidateurs était une agence de la bourgeoisie libérale dans le Parti.

En décembre 1908 se tint à Paris la cinquième conférence (nationale) du P.O.S.D.R. Sur la proposition de Lénine, cette con­férence condamna le courant de liquidation, c’est-à-dire les ten­tatives de certains intellectuels du Parti (les menchéviks) de « liquider l’organisation existante du P.O.S.D.R. pour la rempla­cer par un groupement informe dans le cadre de la légalité coûte que coûte, cette légalité dût-elle s’acheter au prix d’une renonciation manifeste au programme, à la tactique et aux traditions du Par­ti ». (Le P.C. de l’U.R.S.S. dans ses résolutions, 1èrepartie, p. 128, éd. russe.)

La conférence appela toutes les organisations du Parti à lut­ter résolument contre les tentatives de liquidation.

Mais les menchéviks ne se soumirent pas à la décision de la conférence ; ils glissaient de plus en plus dans la voie de la liqui­dation, de la trahison à l’égard de la révolution, du rapproche­ment avec les cadets.

Les menchéviks abandonnaient de plus en plus ouvertement le programme révolutionnaire du Parti prolé­tarien, les mots d’ordre de république démocratique, de journée de huit heures, de confiscation des terres des propriétaires fonciers.

En renonçant au programme et à la tactique du Parti, ils pen­saient obtenir du gouvernement tsariste qu’il autorisât l’existence d’un parti déclaré, légal, soi-disant « ouvrier ».

Les menchéviks étaient prêts à s’accommoder du régime stolypinien, à s’y adapter. C’est pourquoi les liquidateurs furent encore appelés « parti ou­vrier de Stolypine ».

En même temps qu’ils combattaient les adversaires déclarés de la révolution, les liquidateurs, — à la tête desquels se trouvaient Dan, Axelrod, Potressov, aidés de Martov, de Trotski et des autres menchéviks, — les bolchéviks menaient une lutte irréconciliable contre les liquidateurs camouflés, contre les otzovistes, qui mas­quaient leur opportunisme sous une phraséologie gauchiste.

On appelait otzovistes une partie des anciens bolchéviks qui exigeaient le rappel des députés ouvriers de la Douma d’État et, en général, la cessation de tout travail dans les organisations légales.

En 1908, une partie des bolchéviks avaient demandé le rappel des députés social-démocrates de la Douma d’État. D’où leur nom d’otzovistes [du mot otozvat, rappeler]. Les otzovistes formaient un groupe à part (Bogdanov, Lounatcharski, Alexinski, Pokrovski, Roubnov et autres), qui engagea la lutte contre Lénine et la ligne léniniste.

Ils refusaient catégoriquement de travailler dans les syndicats ouvriers et les autres associations légales, portant ainsi un grave préjudice à la cause ouvrière. Ils cherchaient à détacher Je Parti de la classe ouvrière, à le priver de son contact avec les masses sans-parti ; ils voulaient se replier dans l’organisation clandestine, mettant par là le Parti en péril, puisqu’ils lui ôtaient la possibilité d’utiliser toute couverture légale.

Les otzovistes ne comprenaient pas que dans la Douma d’État et par son inter­médiaire, les bolchéviks pouvaient influer sur la paysannerie, dé­noncer la politique du gouvernement tsariste, la politique des ca­dets, qui cherchaient par la ruse à entraîner derrière eux la pay­sannerie.

Les otzovistes gênaient le rassemblement des forces en vue d’un nouvel essor révolutionnaire. Ils étaient, par conséquent, des « liquidateurs à l’envers » ; ils s’efforçaient de liquider la pos­sibilité d’utiliser les organisations légales et renonçaient en fait à la direction des grandes masses sans-parti par le prolétariat, ils renonçaient au travail révolutionnaire.

Le conseil élargi de la rédaction du journal bolchévik Proletari, convoqué en 1909 pour discuter de la conduite des otzovistes, prononça leur condamnation.

Les bolchéviks déclarèrent n’avoir rien de commun avec eux, et ils les exclurent de l’organisation bolchévique. Liquidateurs et otzovistes n’étaient, en tout et pour tout, que les compagnons de route petits-bourgeois du prolétariat et de son parti.

Dans un moment difficile pour le prolétariat, liquida­teurs et otzovistes avaient montré en toute netteté leur véritable physionomie.

4. Lutte des bolchéviks contre le trotskisme. Le bloc d’Août contre le Parti.

Pendant que les Bolchéviks menaient une lutte irréconciliable sur deux fronts, — contre les liquidateurs et contre les otzovistes, — pour la ligne ferme et conséquente du Parti prolétarien, Trotski soutenait les menchéviks-liquidateurs.

C’est dans ces années là que Lénine l’appela « Petit-Judas Trotski ». Trotski avait organisé à Vienne (Autriche) un groupe littéraire et publiait un journal « hors-fractions », en réalité menchévik.

Voici ce que Lénine écrivit à l’époque sur son compte : « Trotski s’est conduit comme l’arriviste et le fractionniste le plus infâme…

Il bavarde sur le Parti, mais sa conduite est pire que celle de tous les autres fractionnistes. »

Plus tard, en 1912, Trotski fût l’organisateur du bloc d’Août, c’est-à-dire de tous les groupes et de toutes les tendances antibolchéviques, contre Lénine, contre le Parti bolchévik.

Dans ce bloc hostile au bolchévisme s’unirent les liquidateurs et les otzovistes, prouvant ainsi leur parenté. Sur toutes les questions essentielles, Trotski et les trotskistes avaient une attitude de liquidateurs.

Mais sa position de liquidateur, Trotski la dissimulait sous le masque du centrisme, c’est-à-dire sous le masque de la conciliation ; il prétendait se placer en marge des bolchéviks et des menchéviks et travailler soi-disant à leur réconciliation.

Lénine a dit à ce propos que Trotski était plus infâme et plus nuisible que les liquidateurs déclarés, parce qu’il trompait les ouvriers en se disant « en marge des fractions », alors qu’en réalité il soutenait entièrement et sans réserve les menchéviks-liquidateurs.

Le trotskisme était le groupe principal qui voulait implanter le centrisme :

« Le centrisme, écrit le camarade Staline, est une notion politique. Son idéologie est celle de l’adaptation, de la soumission des intérêts du prolétariat aux intérêts de la petite bourgeoisie au sein d’un seul parti commun. Cette idéologie est étrangère et contraire au léninisme. » (Staline : Les Questions du léninisme, p. 379, 9e éd. Russe.)

Dans cette période, Kaménev, Zinoviev, Rykov étaient en fait des agents camouflés de Trotski, à qui ils venaient souvent en aide contre Lénine.

Avec le concours de Kaménev, de Zinoviev, de Rykov et autres alliés secrets de Trotski fût réunie, en janvier 1910, contre la volonté de Lénine, l’assemblée plénière du Comité central.

À cette époque, la composition du Comité central, par suite de l’arrestation de plusieurs bolchéviks, s’était modifiée et les éléments hésitants purent faire voter des décisions antiléninistes.

C’est ainsi qu’au cours de cette assemblée plénière, on décida de cesser la publication du journal bolchévik Prolétari et d’octroyer une aide financière au journal Pravda, édité par Trotski à Vienne. Kaménev entra dans la rédaction du journal de Trotski ; avec Zinoviev, ils entendaient faire de cette feuille l’organe du Comité central.

Ce n’est que sur les instances de Lénine que l’assemblée plénière du Comité central de janvier adopta une décision condamnant le courant de liquidation et l’otzovisme ; mais cette fois encore, Zinoviev et Kaménev appuyèrent la proposition de Trotski demandant que les liquidateurs ne fussent pas désignés par leur vrai nom.

Il advint ce qu’avait prévu Lénine, ce contre quoi il avait mis en garde : les bolchéviks furent les seuls à se soumettre à la décision de l’assemblée plénière du Comité central ; ils cessèrent de publier leur journal Prolétari, tandis que les menchéviks continuèrent à éditer leur Golos social-démokrata [la Voix du social-démocrate], journal de fraction des liquidateurs.

La position de Lénine avait été soutenue sans réserve par le camarade Staline, qui publia dans le n° 11 du Social-Démocrate un article sur la question.

Dans cet article, il condamnait la conduite des auxiliaires du trotskisme, affirmait la nécessité de redresser la situation anormale qui s’était crée dans la fraction bolchévique par suite de la conduite traîtresse de Kaménev, Zinoviev, Rykov.

L’article formulait les tâches immédiates, qui furent réalisées plus tard à la conférence du Parti à Prague : convocation d’une conférence générale du Parti, publication d’un journal légal et création d’un centre pratique illégal du Parti, en Russie.

L’article du camarade Staline s’inspirait des décisions du Comité de Bakou, qui soutenait sans réserve Lénine.

Pour faire échec au bloc d’août dirigé par Trotski contre le Parti, bloc qui groupait uniquement les éléments hostiles au Parti, depuis les liquidateurs et les trotskistes jusqu’aux otzovistes et aux « constructeurs de Dieu », on créa un bloc comprenant les partisans du maintien et de la consolidation du Parti illégal du prolétariat.

Entrèrent dans ce bloc les bolchéviks, Lénine en tête, et un petit nombre de « menchéviks-partiitsy » avec Plékhanov à leur tête.

Celui-ci et son groupe de « menchéviks-partiitsy », tout en restant pour une série de questions sur les positions menchéviques, se désolidarisèrent résolument du bloc d’Août et des liquidateurs ; ils recherchèrent une entente avec les bolchéviks.

Lénine accepta la proposition de Plékhanov et fit provisoirement bloc avec lui contre les éléments hostiles au Parti ; ce faisant, il partait du point de vue qu’un tel bloc était avantageux au Parti et néfaste aux liquidateurs.

Le camarade Staline donna à ce bloc son appui entier. Il était à ce moment déporté. Il écrivit dans une lettre à Lénine :

« À mon avis, la ligne du bloc (Lénine-Plékhanov) est la seule juste : 1° elle, et elle seule, répond aux véritables intérêts du travail en Russie, intérêts qui exigent le groupement de tous les éléments véritablement fidèles au Parti ; 2° elle, et elle seule, accélère le processus d’affranchissement des organisations légales du joug des liquidateurs, en creusant un abîme entre les ouvriers-méki [Nom abrégé des menchéviks, N. de la réd.] et les liquidateurs, en dispersant et en brisant ces derniers » (Recueil Lénine et Staline, t. I, pp. 529-530, éd. Russe.)

Grâce à l’action clandestine heureusement combinée avec le travail légal, les bolchéviks purent devenir une force sérieuse dans les organisations ouvrières légales.

Témoin, entre autres, la sérieuse influence que les bolchéviks exercèrent sur les groupes ouvriers de quatre congrès légaux, — ceux des universités populaires, des femmes, des médecins d’usine et du mouvement anti-alcoolique, — qui se tinrent à cette époque. Les interventions des bolchéviks dans ces congrès légaux prirent une grande importance politique ; elles eurent du retentissement dans le pays entier.

C’est ainsi que, prenant la parole au congrès des universités populaires, la délégation ouvrière bolchévique dénonça la politique du tsarisme qui étouffait tout travail culturel ; elle s’attacha à démontrer que sans liquider le tsarisme, on ne pouvait songer à un véritable essor culturel dans le pays.

En intervenant au congrès des médecins d’usine, la délégation ouvrière exposa les horribles conditions antihygiéniques dans lesquelles les ouvriers étaient obligés de travailler et de vivre ; elle conclut qu’on ne saurait organiser convenablement les services médicaux d’usine sans renverser le régime tsariste.

Les bolchéviks supplantèrent peu à peu les liquidateurs dans les différentes organisations légales qui avaient survécu. La tactique originale de front unique avec le groupe Plékhanov fidèle au Parti, leur permit de conquérir une série d’organisations ouvrières menchéviques (quartier de Vyborg, Iékatérinoslav, etc.).

En cette période difficile, les bolchéviks ont montré comment il faut allier le travail légal au travail illégal.

5. La conférence du Parti à Prague, en 1912. Les bolchéviks se constituent en un parti marxiste indépendant.

La lutte contre les liquidateurs et les otzovistes, de même que la lutte contre les trotskistes, posait devant les bolchéviks une tâche pressante : grouper les bolchéviks en un tout et en former un parti bolchévik indépendant.

C’était là une nécessité impérieuse, d’abord pour en finir avec les courants opportunistes dans le Parti qui divisaient la classe ouvrière ; et en outre, la nécessité s’imposait d’achever le rassemblement des forces de la classe ouvrière et de préparer celle-ci en vue d’un nouvel essor de la révolution.

Pour s’acquitter de cette tâche, il fallait d’abord épurer le Parti des opportunistes, des menchéviks.

Personne parmi les bolchéviks ne doutait plus maintenant que leur coexistence avec les menchéviks dans un seul parti ne fut devenue impossible.

La conduite traîtresse des menchéviks pendant la réaction stolypinienne, leurs tentatives de liquider le parti prolétarien et d’organiser un nouveau parti, un parti réformiste, rendaient inévitable la rupture avec eux.

En restant dans un seul parti avec les menchéviks, les bolchéviks assumaient d’une façon ou d’une autre la responsabilité morale de la conduite des menchéviks.

Or il était désormais impossible aux bolchéviks de porter la responsabilité morale de la trahison déclarée des menchéviks, s’ils ne voulaient pas eux-mêmes être traîtres au Parti et à la classe ouvrière.

L’unité avec les menchéviks dans le cadre d’un seul parti dégénérait de la sorte en trahison vis-à-vis de la classe ouvrière et de son Parti.

Il était donc indispensable d’achever la rupture de fait avec les menchéviks, de la pousser jusqu’à une rupture officielle et organique, de chasser du Parti les menchéviks.

C’était là le seul moyen de reconstituer le Parti révolutionnaire du prolétariat avec un programme unique, une tactique unique, une organisation de classe unique.

C’était là le seul moyen de rétablir dans le parti l’unité véritable (et non purement formelle), qui avait été détruite par les menchéviks.

De cette tâche allait s’acquitter la VIe conférence du Parti, préparée par les bolchéviks.

Mais cette tâche n’était qu’un aspect du problème.

La rupture officielle avec les menchéviks et la constitution des bolchéviks en un parti distinct, représentait évidemment une tâche politique d’une extrême importance.

Mais une autre tâche, plus importante encore, se posait aux bolchéviks.

Il ne s’agissait pas seulement de rompre avec les menchéviks et de former un parti distinct ; ce qui importait surtout, c’était, après avoir rompu avec les menchéviks, de créer un parti nouveau, un parti d’un type nouveau, qui fût différent des partis social-démocrates ordinaires d’Occident, qui fût libéré des éléments opportunistes et capable de mener le prolétariat à la lutte pour le pouvoir.

Dans leur lutte contre les bolchéviks, tous les menchéviks sans distinction de nuances, depuis Axelrod et Martynov jusqu’à Martov et Trotski, se servaient invariablement d’une arme empruntée à l’arsenal des social-démocrates d’Europe Occidentale.

Ils voulaient avoir en Russie un parti comme, par exemple, le parti social-démocrate allemand ou français.

S’ils combattaient les bolchéviks, c’est justement parce qu’ils devinaient en eux quelque chose de nouveau, d’insolite, qui les distinguait des social-démocrates d’Occident.

Qu’étaient donc les partis social-démocrates d’Occident ?

Un alliage, un mélange d’éléments marxistes et opportunistes, d’amis et d’adversaires de la révolution, de partisans et d’adversaires de l’esprit du parti, – où les premiers se réconciliaient peu à peu, sur le terrain idéologique, avec ces derniers ; où en fait les premiers se soumettaient peu à peu aux derniers.

Réconciliation avec les opportunistes, avec les traîtres à la révolution : au nom de quoi ? demandaient les bolchéviks aux social-démocrates d’Europe occidentale.

Au nom de la « paix dans le Parti », au nom de l’ « unité », répondait-on aux bolchéviks.

L’unité avec qui, avec les opportunistes ? Et de répondre : Oui, avec les opportunistes.

Il était évident que de semblables partis ne pouvaient être des partis révolutionnaires !

Les bolchéviks ne pouvaient pas ne pas voir qu’après la mort d’Engels, les partis social-démocrates d’Europe occidentale avaient commencé à dégénérer, de partis de révolution sociale qu’ils étaient en partis de « réformes sociales », et que chacun de ces partis, en tant qu’organisation, s’était déjà transformé, de force dirigeante, en appendice de son propre groupe parlementaire.

Les bolchéviks ne pouvaient ignorer qu’un tel parti causerait un très grave préjudice au prolétariat et qu’il était incapable de mener la classe ouvrière à la révolution.

Les bolchéviks ne pouvaient ignorer que le prolétariat avait besoin d’un autre parti, d’un parti nouveau, d’un véritable parti marxiste, qui se montre irréconciliable à l’égard des opportunistes et révolutionnaire à l’égard de la bourgeoisie ; qui soit fortement soudé et monolithe ; qui soit le parti de la révolution sociale, le parti de la dictature du prolétariat.

C’est ce nouveau parti que les bolchéviks entendaient avoir chez eux.

Et ils préparaient, ils construisaient ce parti.

Toute l’histoire de la lutte contre les « économistes », les menchéviks, les trotskistes, les otzovistes et les idéalistes de toutes nuances jusques et y compris les empiriocriticistes, n’est rien d’autre que l’histoire de la formation d’un parti tel que celui-là.

Les bolchéviks entendaient créer un parti nouveau, bolchévik, qui soit un modèle pour tous ceux qui désiraient avoir un véritable parti marxiste révolutionnaire.

À sa formation, ils avaient travaillé dès l’époque de la vieille Iskra. Ils le préparaient opiniâtrement, avec ténacité, envers et contre tout. Un rôle essentiel et décisif dans ce travail préparatoire revient justement aux ouvrages de Lénine comme Que faire ?Deux tactiques, etc.

Le livre de Lénine Que faire ? servit à la préparation idéologique de ce parti.

Le livre de Lénine Un pas en avant, deux pas en arrière servit à la préparation de ce parti dans le domaine de l’organisation.

L’ouvrage de Lénine Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique servit à la préparation politique de ce parti.

Enfin le livre de Lénine Matérialisme et empiriocriticisme servit à la préparation théorique de ce parti.

On peut dire en toute certitude que jamais encore dans l’histoire un groupe politique n’avait été si bien préparé pour se constituer en parti, que l’était le groupe bolchévik.

Dès lors, la constitution des bolchéviks en parti était une œuvre prête, venue à pleine maturité.

La tâche de la VIe conférence du Parti consista à couronner cette œuvre déjà prête, par l’expulsion des menchéviks et la constitution du nouveau parti, du Parti bolchévik.

La VIe conférence (nationale) du Parti se tint à Prague, en janvier 1912. Plus de 20 organisations du Parti y étaient représentées. La conférence eut donc effectivement la portée d’un congrès du Parti.

Dans la communication relative à la conférence, qui annonçait la reconstruction de l’appareil central du Parti, la formation du Comité central, il était dit que les années de réaction avaient été pour le Parti les années les plus difficiles de toutes depuis que la social-démocratie de Russie avait pris corps en tant qu’organisation constituée.

Mais malgré toutes les persécutions, malgré les coups pénibles portés du dehors, malgré la trahison et les flottements des opportunistes à l’intérieur du Parti, le Parti du prolétariat avait conservé son drapeau et son organisation.

« Non seulement le drapeau de la social-démocratie russe, son programme, ses préceptes révolutionnaires demeurent, mais aussi son organisation, que les persécutions de toute sorte ont pu miner et affaiblir, mais qu’elles n’ont pu anéantir. »

La conférence releva les premiers signes d’un nouvel essor du mouvement ouvrier en Russie et la reprise du travail du Parti.

Les rapports des délégués permirent à la conférence de constater que « partout à la base, une action énergique est conduite parmi les ouvriers social-démocrates en vue de consolider les organisations et les groupes social-démocrates illégaux ».

La conférence constata que partout à la base, on avait reconnu ce principe essentiel de la tactique bolchévique en période de recul : combiner l’action illégale avec l’action légale dans les diverses associations et unions ouvrières légales.

La conférence de Prague élut pour le Parti un Comité central bolchévik.

Y entrèrent Lénine, Staline, Ordjonikidzé, Sverdlov, Spandarian et d’autres. Les camarades Staline et Sverdlov, déportés à l’époque, furent élus au Comité central malgré leur absence.

Le camarade Kalinine fut élu membre suppléant.

On créa un centre pratique pour diriger l’action révolutionnaire en Russie (Bureau russe du Comité central), avec le camarade Staline à sa tête. Ce bureau comprenait en outre les camarades J. Sverdlov, S. Spandarian, S. Ordjonikidzé, M. Kalinine.

La conférence de Prague dressa le bilan de toute la lutte antérieure des bolchéviks contre l’opportunisme ; elle décida de chasser du Parti les menchéviks.

Cela fait, elle consacra l’existence indépendante du Parti bolchévik.

Après avoir vaincu les menchéviks sur le terrain de l’idéologie et de l’organisation et les avoir chassées du Parti, les bolchéviks gardèrent entre leurs mains le vieux drapeau du Parti et le nom de POSDR.

C’est pourquoi le Parti bolchévik continua jusqu’en 1918 à s’appeler Parti ouvrier social-démocrate de Russie avec, entre parenthèses, le mot « bolchévik ».

Lénine écrivit à Gorki au début de 1912, à propos des résultats de la conférence de Prague :

« Nous avons réussi enfin, en dépit de la canaille liquidatrice, à reconstituer le Parti et son Comité central. J’espère que vous vous en réjouirez avec nous. » (Lénine, t. XXIX, p. 19, éd. russe.)

Et le camarade Staline a défini en ces termes la portée de la conférence de Prague :

« Cette conférence eut une importance considérable dans l’histoire de notre Parti, du fait qu’elle traçait la ligne de démarcation entre bolchéviks et menchéviks et rassemblait les organisations bolchéviques du pays entier en un seul Parti bolchévik. » (Compte rendu sténographique du XVe congrès du P.C. bolchévik de l’URSS, pp. 19361-362, éd. russe.)

Après l’expulsion des menchéviks et la constitution des bolchéviks en parti indépendant, ce parti devint plus fort, plus vigoureux. 

Le Parti se fortifie en s’épurant des éléments opportunistes : c’est là un des mots d’ordre du Parti bolchévik, parti de type nouveau qui se distingue par ses principes mêmes des partis social-démocrates de la IIeInternationale.

Les partis de la IIe Internationale qui, en paroles, se disaient marxistes, toléraient en fait dans leurs rangs, les adversaires du marxisme, les opportunistes avérés, par qui ils ont laissé décomposer, tuer la IIeInternationale.

Les bolchéviks, au contraire, ont mené une lutte intransigeante contre les opportunistes ; ils ont épuré le parti prolétarien de la souillure de l’opportunisme et sont parvenus à créer un parti d’un type nouveau, un parti léniniste, le parti qui, plus tard, allait conquérir la dictature du prolétariat.

Si les opportunistes étaient restés dans les rangs du Parti du prolétariat, du Parti bolchévik, il n’aurait pas pu sortir sur la grand’route et entraîner derrière lui le prolétariat ; il n’aurait pu conquérir le pouvoir et organiser la dictature du prolétariat, il n’aurait pu sortir vainqueur de la guerre civile, il n’aurait pu construire le socialisme.

Dans ses décisions, la conférence de Prague formula un programme minimum du Parti contenant les principaux mots d’ordre politiques immédiats : république démocratique, journée de huit heures, confiscation de toute la terre des propriétaires fonciers.

C’est sur ces mots d’ordre révolutionnaires que les bolchéviks firent la campagne électorale de la IVe Douma d’État.

C’est sur ces mots d’ordre que se développa le nouvel essor du mouvement révolutionnaire des masses ouvrières, de 1912 à 1914.

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Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Formation du Parti ouvrier social-démocrate de Russie. Apparition des fractions bolchévique et menchévique à l’intérieur du parti (1901-1904)

Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), 1938

1. Essor du mouvement révolutionnaire en Russie, 1901-1904.

À la fin du XIXe siècle avait éclaté en Europe une crise industrielle, qui s’étendit bientôt à la Russie.

Dans les années de crise de 1900 à 1903, près de 3.000 entreprises grandes et petites fermèrent leurs portes.

On jeta à la rue plus de 100.000 ouvriers. Les salaires des ouvriers restés dans les entreprises étaient en forte baisse.

Les capitalistes retiraient aux ouvriers les quelques concessions que ceux-ci leur avaient arrachées dans des grèves économiques opiniâtres.

La crise industrielle, le chômage n’avaient ni arrêté, ni affaibli le mouvement ouvrier.

Au contraire, la lutte des ouvriers prit un caractère de plus en plus révolutionnaire. Des grèves économiques, ils passent aux grèves politiques.

Enfin, ils déclenchent des manifestations, formulent des revendications politiques pour des libertés démocratiques ; ils lancent le mot d’ordre : « À bas l’autocratie tsariste ! »

En 1901, la grève du Premier Mai à l’usine de guerre Oboukhov, à Pétersbourg, se transforme en une collision sanglante entre les ouvriers et la troupe.

Contre les troupes tsaristes armées, les ouvriers ne peuvent se défendre qu’à coups de pierres et de morceaux de fer.

Et leur résistance opiniâtre est brisée. Puis, c’est une répression féroce : environ 800 ouvriers arrêtés, un grand nombre jetés en prison et envoyés au bagne.

Mais l’héroïque « Défense d’Oboukhov » exerça une influence considérable sur les ouvriers de Russie, provoquant parmi eux une vague de sympathie.

En mars 1902 se déroulent à Batoum de grandes grèves et une manifestation ouvrière organisées par le Comité social-démocrate de la ville.

Cette manifestation met en mouvement les ouvriers et les masses paysannes de Transcaucasie.

Dans la même année 1902, une grève importante éclate à Rostov-sur-Don.

Les premiers grévistes furent les cheminots ; ils furent bientôt rejoints par les ouvriers de nombreuses usines.

La grève mettait en mouvement tous les ouvriers ; aux meetings qui, durant plusieurs jours, se tinrent hors de la ville, se réunissaient jusqu’à 30 000 ouvriers.

Là, on lisait à voix haute les proclamations social-démocrates, des orateurs prenaient la parole.

La police et les cosaques ne suffisaient pas à disperser ces réunions de milliers d’ouvriers.

Plusieurs ouvriers ayant été tués par la police, une immense manifestation ouvrière se déroula le lendemain, pour les obsèques.

Ce n’est qu’après avoir mandé la troupe des villes voisines que le gouvernement tsariste put écraser la grève.

La lutte des ouvriers de Rostov avait été dirigée par le Comité du P.O.S.D.R. de la région du Don.

Plus vastes encore sont les grèves qui se déroulent en 1903.

Cette année-là, des grèves politiques de masse éclatent dans le midi, gagnant la Transcaucasie (Bakou, Tiflis, Batoum) et les plus grandes villes d’Ukraine (Odessa, Kiev, Iékatérinoslav).

Les grèves deviennent de plus en plus acharnées, de mieux en mieux organisées.

À la différence de ce qui se passait lors des actions précédentes de la classe ouvrière, ce sont tes comités social-démocrates qui presque partout, dirigent la lutte politique des ouvriers.

La classe ouvrière de Russie se dresse pour la lutte révolutionnaire contre le pouvoir tsariste.

Le mouvement ouvrier exerçait son influence sur la paysannerie.

Au printemps et dans l’été de 1902, en Ukraine (provinces de Poltava et de Kharkov), ainsi que dans le bassin de la Volga, les paysans déclenchèrent un vaste mouvement, incendiant les domaines des propriétaires fonciers, s’emparant de leurs terres, tuant les zemskié natchalniki [Nobles exerçant le droit de police et investis de fonctions judiciaires et administratives, (N. de » Trad.)] et les propriétaires exécrés.

On dépêchait la troupe contre les paysans soulevés, on les fusillait, on les arrêtait par centaines ; les dirigeants et les organisateurs étaient jetés en prison, mais le mouvement révolutionnaire paysan continuait de croître.

L’action révolutionnaire des ouvriers et des paysans montrait que la révolution mûrissait, était imminente en Russie.

Sous l’influence de la lutte révolutionnaire des ouvriers, le mouvement d’opposition s’accentue aussi parmi les étudiants Aux manifestations et grèves estudiantines, le gouvernement riposte en fermant les Universités ; il jette en prison des centaines d’étudiants ; il imagine enfin d’envoyer à l’armée les étudiants insoumis.

En réponse, les élèves de tous les établissements d’enseignement supérieur organisent dans l’hiver de 1901-1902 une grève générale qui englobe jusqu’à 30.000 étudiants.

Le mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans et, surtout, la répression exercée contre les étudiants, émurent jusqu’aux bourgeois libéraux et aux propriétaires fonciers libéraux installés dans ce qu’on appelait les zemstvos ; ils élevèrent une « protestation » contre les « extrémités » du gouvernement tsariste, qui frappait leurs rejetons, les étudiants.

C’étaient les zemskié oupravy qui servaient de points d’appui aux libéraux des zemstvos.

On appelait zemskié oupravy les organes d’administration locale qui réglaient les affaires d’ordre purement local, touchant la population des campagnes (aménagement de routes, construction d’hôpitaux et d’écoles).

Les propriétaires fonciers libéraux jouaient un rôle assez marquant dans les zemskié oupravy.

Ils étaient étroitement liés aux bourgeois libéraux, avec lesquels lis se confondaient presque, puisque eux-mêmes, dans leurs propriétés, abandonnaient peu à peu l’économie à demi féodale pour passer à l’économie capitaliste, celle-ci étant plus avantageuse.

Ces deux groupes de libéraux défen­daient, certes, le gouvernement tsariste, mais ils étaient contre les « extrémités » du tsarisme, par crainte que justement ces « extrémités » ne renforcent le mouvement révolutionnaire.

Ils redoutaient les « extrémités » du tsarisme, mais bien plus encore la révolution. En protestant contre les « extrémités » du tsarisme, les libéraux poursuivaient deux buts : premièrement, « faire entendre raison » au tsar et, en second lieu, se poser en hommes « fort mécontents » du tsarisme, gagner la confiance populaire, détacher de la révolution le peuple ou une partie du peuple, et par cela même affaiblir la révolution.

Il est évident que le mouvement libéral des zemstvos ne me­naçait en rien l’existence du tsarisme ; mais il attestait que tout n’était pas parfait pour ce qui était des fondements « séculaires » du tsarisme.

En 1902, le mouvement libéral des zemstvos avait conduit à l’organisation du groupe bourgeois « Osvobojdénié » [Émancipation], noyau du principal parti bourgeois de l’avenir en Russie, le parti cadet [constitutionnel-démocrate].

Voyant que le mouvement ouvrier et paysan déferle à travers le pays en un flot toujours plus menaçant, le tsarisme ne recule devant aucune mesure pour arrêter le mouvement révolutionnaire.

De plus en plus souvent, on fait usage de la force armée contre les grèves et les manifestations ouvrières ; les balles et le fouet sont la réponse habituelle du gouvernement tsariste aux mouvements ouvriers et paysans ; les prisons et les lieux de déportation regorgent de monde.

À côté des mesures répressives de plus en plus violentes, le gouvernement tsariste essaye d’en employer d’autres, plus « souples » et ne portant pas un caractère répressif, afin de détourner les ouvriers du mouvement révolutionnaire.

Des tentatives sont faites pour créer de prétendues organisations ouvrières placées sous la tutelle des gendarmes et de la police.

On les appelait alors organisations du « socialisme policier » ou organisations Zoubatov (du nom du colonel de gendarmerie qui avait créé ces organisations).

L’Okhrana tsariste, par la voix de ses agents, s’efforçait de persuader les ouvriers que le gouvernement tsariste était soi-disant prêt lui-même à aider les ouvriers à faire aboutir leurs revendications économiques.

« À quoi bon vous occuper de politique, à quoi bon organiser la révolution, si le tsar lui-même est du côté des ouvriers », disaient aux ouvriers les agents de Zoubatov, qui avaient créé leurs organisations dans plusieurs villes.

Sur le modèle des organisations de Zoubatov et dans le même but fut créée en 1904, par le pope Gapone, l’organisation dite « Réunion des ouvriers d’usine russes de Pétersbourg ».

Mais la tentative faite par l’Okhrana tsariste pour s’assujettir le mouvement ouvrier, avorta. Le gouvernement s’avéra incapable par ces procédés de venir à bout du mouvement ouvrier en marche.

Le mouvement révolutionnaire grandissant de la classe ouvrière finit par balayer de son chemin ces organisations de la police.

2. Le plan de Lénine pour construire un parti marxiste. l’opportunisme des « économistes ». Lutte de l’Iskrapour le plan de Lénine. L’ouvrage de Lénine Que faire ? Fondements idéologiques du parti marxiste.

Bien qu’en 1898 se fût tenu le Ier congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie qui avait proclamé la fondation du Parti, celui-ci n’avait cependant pas été créé.

Il n’y avait ni programme, ni statuts du Parti. Le Comité central élu au Ier congrès avait été arrêté et n’avait plus été rétabli, puisqu’il n’y avait personne pour s’en charger. Bien plus : après le Ier congrès, le désarroi idéologique et la dispersion organique du Parti s’étaient encore accentués.

Tandis que les années 1884-1894 avaient été marquées par la victoire sur le populisme et par la préparation idéologique de la social-démocratie, et qu’au cours des années 1894-1898 on avait tenté, infructueusement il est vrai, de créer un parti social-démocrate avec les organisations marxistes isolées, la période qui suivit 1898 fut une période d’accentuation, dans le parti, de la confusion idéologique et organique.

La victoire du marxisme sur le populisme de même que les actions révolutionnaires de la classe ouvrière, qui avaient montré combien les marxistes avaient raison, avaient renforcé les sympathies de la jeunesse révolutionnaire pour le marxisme.

Le marxisme fut à la mode. Résultat : dans les organisations marxistes affluèrent de grandes masses de jeunes intellectuels révolutionnaires, peu initiés à la théorie, sans expérience dans le domaine politique et d’organisation, et n’ayant du marxisme qu’une idée vague, — le plus souvent fausse, — qu’ils avaient puisée dans les écrits opportunistes dont les « marxistes légaux » remplissaient la presse.

Cette circonstance avait fait baisser le niveau théorique et politique des organisations marxistes ; y avait introduit la mentalité opportuniste des « marxistes légaux », accentué le désarroi idéologique, les flottements politiques et la confusion en matière d’organisation.

L’essor de plus en plus vigoureux du mouvement ouvrier et l’imminence manifeste de la révolution imposaient la création d’un parti unique de la classe ouvrière, d’un parti centralisé, capable de diriger le mouvement révolutionnaire.

Mais les organismes locaux du Parti, les comités, groupes et cercles locaux étaient dans un état si lamentable, leur désunion dans le domaine de l’organisation et leur discordance idéologique étaient si grandes que la création d’un tel parti présentait des difficultés inouïes.

La difficulté n’était pas seulement de construire le Parti sous le feu des persécutions féroces du tsarisme qui, à tout moment, arrachait des rangs des organisations les meilleurs militants pour les jeter en prison, les déporter, les envoyer au bagne.

La difficulté était encore qu’une notable partie des comités locaux et de leurs militants ne voulaient rien savoir de ce qui ne touchait pas leur étroite activité pratique dans le cadre local ; ils ne se rendaient pas compte du préjudice que causait l’absence d’unité du point de vue de l’idéologie et de l’organisation ; ils s’étaient accoutumés à l’émiettement du Parti, au désarroi idéologique et considéraient que l’on pouvait se passer d’un parti unique centralisé.

Pour créer un parti centralisé, il fallait vaincre ce retard, cette routine et ce praticisme étroit des organismes locaux.

Mais ce n’était pas tout. Il y avait dans le Parti un groupe assez nombreux qui possédait ses organes de presse, Rabotchaia Mysl [la Pensée ouvrière] en Russie et Rabotchéïé Diélo [la Cause ouvrière] à l’étranger, et qui justifiait théoriquement l’émiettement organique et le désarroi idéologique du Parti, souvent même les exaltait, en considérant que la création d’un parti politique unique, centralisé, de la classe ouvrière, était une tâche inutile et factice.

C’étaient les « économistes » et leurs adeptes. Pour créer un parti politique unique du prolétariat, il fallait d’abord battre les « économistes ».

S’acquitter de ces tâches et fonder le parti de la classe ouvrière, voilà ce qu’entreprit Lénine.

Les avis différaient sur la question de savoir par où commencer la fondation d’un parti unique de la classe ouvrière.

Certains pensaient que pour créer le Parti, il fallait commencer par réunir le IIe congrès, qui grouperait tes organisations locales et fonderait le Parti. Lénine était contre cette façon de voir.

Il estimait qu’avant de réunir un congrès, il fallait établir clairement les buts et les tâches du Parti ; il fallait savoir quel parti nous voulions créer ; il fallait se délimiter idéologiquement des « économistes » ; il fallait dire au Parti honnêtement et en toute franchise qu’il y avait deux opinions différentes sur les buts et les tâches du Parti : l’opinion des « économistes » et celle des social-démocrates révolutionnaires ; il fallait entamer une vaste propagande de presse en faveur des conceptions de la social-démocratie révolutionnaire, comme le faisaient les « économistes » dans leurs organes de presse, pour défendre les leurs ; il fallait permettre aux organisations locales de faire un choix réfléchi entre ces deux courants ; et c’est seulement quand cet indispensable travail préparatoire serait accompli qu’on pourrait convoquer le congrès du Parti. Lénine disait expressément :

« Avant de nous unir et pour nous unir, il faut d’abord nous délimiter résolument et délibérément. » (Lénine,Œuvres choisies en deux volumes, t. I, p. 190, Moscou 1948.)

Ceci étant, Lénine estimait que pour créer un parti politique de la classe ouvrière, il fallait commencer par fonder pour toute la Russie un journal politique de combat, qui ferait la propagande et l’agitation en faveur des conceptions de la social-démocratie révolutionnaire : l’organisation de ce journal devait être le premier pas à faire en vue de créer le Parti.

Dans son article bien connu « Par où commencer ? » Lénine a tracé le plan précis de la construction du Parti, plan qu’il développera plus tard dans son ouvrage célèbre Que faire ?

« À notre avis, disait Lénine dans cet article, le point de départ de notre activité, le premier pas pratique vers la création de l’organisation désirée, [Il s’agit de la création du Parti. (N. de la Réd.)] enfin le fil essentiel dont nous puissions nous saisir pour développer, approfondir et étendre sans cesse cette organisation, doit être la fondation d’un journal politique pour toute la Russie… Sans ce journal, toute propagande, toute agitation systématique, variée et fidèle aux principes, est impossible.

Et c’est pourtant là la tâche principale et constante de la social-démocratie en général, et surtout une tâche d’actualité en ce moment où l’intérêt pour la politique, pour les questions du socialisme s’est éveillé dans les plus larges couches de la population. » (Lénine, t. IV, p. 110, éd. russe.)

Lénine considérait qu’un tel journal servirait non seulement à rassembler le Parti sur le terrain idéologique, mais aussi à réunir les organisations locales dans le Parti.

Le réseau des agents et des correspondants de ce journal, représentants des organisations locales, serait l’ossature autour de laquelle s’organiserait, se rassemblerait le Parti. Car, disait Lénine, « le journal n’est pas seulement un propagandiste, un agitateur collectif, mais aussi un organisateur collectif ».

« Ce réseau d’agents, disait Lénine dans le même article, sera l’ossature de l’organisation dont nous avons justement besoin : suffisamment grande pour embrasser le pays entier ; suffisamment large et variée pour réaliser une division du travail stricte et détaillée ; suffisamment ferme pour savoir, en toutes circonstances, quels que soient les « tournants » et les surprises, faire sans défaillance son travail ; suffisamment souple pour savoir, d’un côté, éviter le combat en terrain découvert contre un ennemi supérieur en nombre, qui a rassemblé toutes ses forces sur un seul point, et, d’un autre côté, pour savoir mettre à profit le défaut de souplesse de cet ennemi et l’attaquer à l’endroit et au moment où il s’y attend le moins. » (Ibidem, p. 112.)

C’est l’Iskra qui devait être ce journal. Et, en effet, l’Iskra devint le journal politique, destiné à toute la Russie, qui prépara le rassemblement du Parti sur le terrain idéologique et organique.

Quant à la structure et à la composition du Parti lui-même, Lénine estimait qu’il devait être formé de deux éléments constitutifs : 

a) d’un cadre restreint de militants fixes, composé principalement de révolutionnaires de profession, c’est-à-dire de militants libres de toutes occupations autres que leur travail dans le Parti, possédant le minimum nécessaire de connaissances théoriques, d’expérience politique, d’habitudes d’organisation, avec l’art de lutter contre la police tsariste, l’art d’échapper à ses poursuites, et 

b) d’un vaste réseau d’organisations périphériques du Parti, comprenant une grande masse d’adhérents et entourées de la sympathie et du soutien de centaines de milliers de travailleurs.

« J’affirme, écrivait Lénine,
1° qu’il ne saurait y avoir de mouvement révolutionnaire solide sans une organisation de dirigeants, stable et qui assure la continuité du travail ;
2° que plus nombreuse est la masse entraînée spontanément dans la lutte. .. plus impérieuse est la nécessité d’avoir une telle organisation, plus cette organisation doit être solide…
3° qu’une telle organisation doit se composer principalement d’hommes ayant pour profession l’activité révolutionnaire ;
4° que, dans un pays autocratique, plus nous restreindronsl’effectif de cette organisation au point de n’y accepter que des révolutionnaires de profession ayant fait l’apprentissage de la lutte contre la police politique, plus il sera difficile de « se saisir » d’une telle organisation et
5° d’autant plus nombreux seront les ouvriers et les éléments des autres classes sociales qui pourront participer au mouvement et y militer d’une façon active. » (Lénine, Œuvres choisies, t. I, p. 276.)

En ce qui concerne le caractère du parti à créer et son rôle à l’égard de la classe ouvrière, ainsi que ses buts et ses tâches, Lénine estimait que le Parti devait être l’avant-garde de la classe ouvrière, qu’il devait être la force dirigeante du mouvement ouvrier, force unifiant et orientant la lutte de classe du prolétariat.

But final du Parti : le renversement du capitalisme et l’instauration du socialisme.

Objectif immédiat : le renversement du tsarisme et l’instauration de l’ordre démocratique.

Et comme il est impossible de renverser le capitalisme sans avoir, au préalable, renversé le tsarisme, la tâche essentielle du Parti à cette heure est de dresser la classe ouvrière, de dresser le peuple entier pour la lutte contre le tsarisme, de déployer le mouvement révolutionnaire du peuple contre le tsarisme, et de jeter bas le tsarisme en tant que premier et sérieux obstacle dans la voie du socialisme.

« L’histoire nous assigne maintenant, disait Lénine, une tâche immédiate, la plus révolutionnaire de toutes les tâches immédiates du prolétariat de n’importe quel autre pays.

L’accomplissement de cette tâche, la destruction du rempart le plus puissant, non seulement de la réaction européenne, mais aussi (nous pouvons maintenant le dire) de la réaction asiatique, ferait du prolétariat russe l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire international. » (Ibidem, p. 195.)

Et plus loin :

« Nous ne devons pas oublier que la lutte contre le gouvernement pour des revendications partielles, la bataille pour arracher des concessions partielles, ne sont que de petits engagements avec l’ennemi, de petites escarmouches d’avant-postes, et que la bataille décisive est encore à venir.

Devant nous se dresse dans toute sa force la citadelle ennemie, d’où l’on fait pleuvoir sur nous des nuées de boulets et de balles qui emportent nos meilleurs combattants.

Nous devons prendre cette citadelle, et nous la prendrons, si nous unissons toutes les forces du prolétariat qui s’éveille avec toutes les forces des révolutionnaires russes, en un seul parti qui ralliera tout ce qu’il y a de vivant et d’honnête en Russie.

C’est alors seulement que s’accomplira la grande prophétie du révolutionnaire ouvrier russe, Piotr Alexéev : « Le bras musclé des millions de travailleurs se lèvera, et le joug du despotisme, protégé par les baïonnettes des soldats, sera réduit en poussière ! » (Lénine,t. IV, p. 69, éd. russe.)

Tel était le plan de Lénine pour créer un parti de la classe ouvrière dans les conditions de la Russie tsariste autocratique.

Les « économistes » ne tardèrent pas à ouvrir le feu contre le plan de Lénine.

Les « économistes » prétendaient que la lutte politique générale contre le tsarisme était l’affaire de toutes les classes, et avant tout, celle de la bourgeoisie ; qu’elle n’offrait pas, par conséquent, un intérêt sérieux pour la classe ouvrière, le principal intérêt des ouvriers devant être la lutte économique contre le patronat pour l’augmentation des salaires, pour l’amélioration des conditions de travail, etc.

Aussi les social-démocrates devaient-ils s’assigner pour principale tâche immédiate, non la lutte politique contre le tsarisme, ni son renversement, mais l’organisation de la « lutte économique des ouvriers contre le patronat et le gouvernement » ; par lutte économique contre le gouvernement, ils entendaient la lutte à mener pour améliorer la législation ouvrière.

Les « économistes » assuraient que par ce moyen on pouvait « conférer à la lutte économique elle-même un caractère politique ».

Les « économistes » n’osaient plus s’élever ouvertement contre la nécessité d’un parti politique pour la classe ouvrière.

Mais ils considéraient que le Parti ne devait pas être la force dirigeante du mouvement ouvrier, qu’il ne devait pas s’immiscer dans le mouvement spontané de la classe ouvrière, et à plus forte raison le diriger ; mais qu’il devait le suivre, l’étudier et en tirer des enseignements.

Les « économistes » prétendaient ensuite que le rôle d’élément conscient dans le mouvement ouvrier, le rôle organisateur et dirigeant de la conscience socialiste, de la théorie socialiste, était insignifiant, ou presque ; que la social-démocratie ne devait pas élever les ouvriers au niveau de la conscience socialiste ; qu’au contraire, elle devait elle-même s’adapter et s’abaisser au niveau des couches moyennement développées ou même plus arriérées de la classe ouvrière ; que la social-démocratie ne devait pas apporter dans la classe ouvrière la conscience socialiste, mais devait attendre que le mouvement spontané de la classe ouvrière ait lui-même formé la conscience socialiste, par ses propres forces.

Quant au plan d’organisation de Lénine touchant la construction du Parti, ils considéraient que c’était violenter en quelque sorte le mouvement spontané.

Dans les colonnes de l’Iskra et, surtout, dans son célèbre ouvrage Que faire ? Lénine s’attaqua à cette philosophie opportuniste des « économistes », et n’en laissa pas pierre sur pierre.

1° Lénine a montré que détourner la classe ouvrière de la lutte politique générale contre le tsarisme et limiter ses tâches à la lutte économique contre les patrons et le gouvernement, en laissant indemnes et le patronat et le gouvernement, signifiait condamner les ouvriers à l’esclavage à perpétuité.

La lutte économique des ouvriers contre le patronat et le gouvernement est une lutte trade-unioniste pour de meilleures conditions de vente de la force de travail aux capitalistes ; or les ouvriers veulent lutter non seulement pour obtenir de meilleures conditions de vente de leur force de travail, mais aussi pour la suppression du système capitaliste lui-même, qui les réduit à la nécessité de vendre leur force de travail aux capitalistes et de subir l’exploitation.

Mais les ouvriers ne peuvent déployer la lutte contre le capitalisme, pour le socialisme, tant que sur le chemin du mouvement ouvrier se dresse le tsarisme, chien de garde du capitalisme.

Aussi la tâche immédiate du Parti et de la classe ouvrière est-elle de balayer de la route le tsarisme et de frayer ainsi la voie au socialisme.

2° Lénine a montré qu’exalter le processus spontané du mouvement ouvrier et nier le rôle dirigeant du Parti, en le réduisant au rôle d’enregistreur des événements, c’est prêcher le « suivisme », prêcher la transformation du Parti en un appendice du processus spontané, en une force passive du mouvement, uniquement capable de contempler le processus spontané ; c’est s’en remettre à la spontanéité.

Faire cette propagande, c’est orienter les choses vers la destruction du Parti, c’est-à-dire laisser la classe ouvrière sans parti, c’est-à-dire laisser la classe ouvrière désarmée.

Or, laisser la classe ouvrière désarmée alors que devant elle se dressent des ennemis tels que le tsarisme armé de tous les moyens de lutte, et la bourgeoisie organisée à la moderne et possédant un parti à elle, un parti qui dirige sa lutte contre la classe ouvrière, — c’est trahir la classe ouvrière.

3° Lénine a montré que s’incliner devant le mouvement ouvrier spontané et abaisser le rôle de l’élément conscient, diminuer le rôle de la conscience socialiste, de la théorie socialiste, c’est, d’abord, se moquer des ouvriers qui aspirent à acquérir la conscience comme on aspire à la lumière ; en second lieu, déprécier aux yeux du Parti la théorie, c’est déprécier l’arme qui lui permet de connaître le présent et de prévoir l’avenir ; c’est, en troisième lieu, rouler entièrement et définitivement dans le marais de l’opportunisme.

« Sans théorie révolutionnaire, disait Lénine, pas de mouvement révolutionnaire… Seul un parti guidé par une théo­rie d’avant-garde peut remplir le rôle de combattant d’avant-garde. » (Lénine, Œuvres choisies, t. I, pp. 192-193.)

4° Lénine a montré que les « économistes » trompaient la classe ouvrière en prétendant que l’idéologie socialiste pouvait naître du mouvement spontané de la classe ouvrière ; car, en réalité, l’idéologie socialiste ne naît point du mouvement spontané, mais de la science. Les « économistes », en niant la nécessité d’apporter dans la classe ouvrière la conscience socialiste, frayaient par là même le chemin à l’idéologie bourgeoise ; ils on facilitaient l’introduction, la pénétration dans la classe ouvrière ; par conséquent, ils enterraient l’idée de la fusion du mouvement ouvrier et du socialisme, ils faisaient le jeu de la bourgeoisie.

« Tout culte de la spontanéité du mouvement ouvrier, disait Lénine, toute diminution du rôle de « l’élément conscient », du rôle de la social-démocratie signifie par là même — qu’on le veuille ou non, cela n’y fait absolument rien — un renforcement de l’influence de l’idéologie bourgeoise sur les ouvriers. » (Ibidem, p. 204.)

Et plus loin :

« Le problème se pose uniquement ainsi : idéologie bourgeoise ou idéologie socialiste. Il n’y a pas de milieu… C’est pourquoi tout rapetissement de l’idéologie socialiste, tout éloignement vis-à-vis de celte dernière implique un renforcement de l’idéologie bourgeoise. » (Ibidem, p. 206.)

5° En dressant le bilan de toutes ces erreurs des « économistes » Lénine en arrive à conclure qu’ils veulent avoir, non pas un parti de révolution sociale pour libérer la classe ouvrière du capitalisme, mais un parti de « réformes sociales » impliquant le maintien de la domination du capitalisme ; et que les « économistes » sont, par conséquent, des réformistes qui trahissent les intérêts vitaux du prolétariat.

6° Lénine a montré enfin que l’ « économisme » n’est pas un phénomène accidentel en Russie ; que les « économistes » servaient de véhicule à l’influence bourgeoise sur la classe ouvrière ; qu’ils avaient des alliés dans les partis social-démocrates de l’Europe occidentale, en la personne des révisionnistes, partisans de l’opportuniste Bernstein.

Dans la social-démocratie d’Occident, un courant opportuniste s’affirmait de plus en plus ; il se manifestait sous le drapeau de la « liberté de critique » par rapport à Marx, et exigeait la « révision » de la doctrine de Marx (d’où le nom de « révisionnisme ») ; il exigeait que l’on renonçât à la révolution, au socialisme, à la dictature du prolétariat.

Lénine a montré que les « économistes » russes suivaient cette même ligne de renonciation à la lutte révolutionnaire, au socialisme, à la dictature du prolétariat.

Tels sont les principes théoriques essentiels développés par Lénine dans son ouvrage Que faire ?

La diffusion de Que faire ? eut pour résultat qu’un an après sa parution (le livre avait été édité en mars 1902), vers le IIe congrès du parti social-démocrate de Russie, il ne restait plus des positions idéologiques de l’ « économisme » qu’un souvenir désagréable, et l’épithète d’ « économiste » fut considérée dès lors par la plupart des militants du Parti comme une injure.

Ce fut là une défaite idéologique totale de l’ « économisme », la défaite de l’idéologie de l’opportunisme, du suivisme, du spontané.

Mais à cela ne se borne pas l’importance du livre de Lénine Que faire ? La portée historique de Que faire ?vient de ce que, dans cet ouvrage célèbre :

1° Lénine a, le premier dans l’histoire de la pensée marxiste, mis à nu jusqu’aux racines les origines idéologiques de l’opportunisme, en montrant qu’elles revenaient avant tout à s’incliner devant la spontanéité du mouvement ouvrier et à diminuer l’importance de la conscience socialiste dans ce mouvement ;

2° il a porté très haut l’importance de la théorie, de l’élément conscient, du Parti en tant que force qui dirige le mouvement ouvrier spontané et l’imprègne de l’esprit révolutionnaire ;

3° il a brillamment justifié ce principe marxiste fondamental, d’après lequel le Parti marxiste, c’est la fusion du mouvement ouvrier et du socialisme ;

4° il a fait une analyse géniale des fondements idéologiques du Parti marxiste.

Ce sont les principes théoriques développés dans Que faire ? qui ont constitué plus tard la base de l’idéologie du Parti bolchévik.

Forte de cette richesse théorique, l’Iskra pouvait déployer et a déployé effectivement une vaste campagne pour le plan de construction du Parti préconisé par Lénine, pour le rassemblement de ses forces, pour le II0 congrès du Parti, pour une social-démocratie révolutionnaire, contre les « économistes », contre les opportunistes de tout genre et de tout ordre, contre les révisionnistes.

La tâche essentielle de l’Iskra était d’élaborer un projet de programme du Parti.

Le programme du Parti ouvrier est, comme on sait, un bref exposé scientifique des buts et des tâches que se propose la lutte de la classe ouvrière.

Le programme définit le but final du mouvement révolutionnaire du prolétariat, comme aussi les revendications pour lesquelles combat le Parti en marche vers ce but.

Aussi l’élaboration du projet de programme ne pouvait-elle manquer d’avoir une importance de premier ordre.

Lors de l’élaboration du projet de programme, de sérieuses divergences avaient surgi au sein de la rédaction de l’Iskra, entre Lénine et Plékhanov et les autres membres de la rédaction.

Ces divergences et discussions faillirent provoquer la rupture complète entre Lénine et Plékhanov.

Cependant elle ne se produisit pas à ce moment-là. Lénine avait obtenu que dans le projet de programme fût inscrit un article essentiel sur la dictature du prolétariat, et que le rôle dirigeant de la classe ouvrière dans la révolution fût nettement spécifié.

C’est à Lénine qu’appartient encore, dans ce programme, toute la partie agraire.

Dès cette époque Lénine était pour la nationalisation de la terre, mais à cette première étape de la lutte, il croyait devoir formuler la revendication de la restitution aux paysans des « otrezki », c’est-à-dire des terres que les propriétaires fonciers avaient découpées sur les terres paysannes lors de l’ « affranchissement ».

Plékhanov était contre la nationalisation de la terre.

Les discussions de Lénine et de Plékhanov sur le programme du Parti déterminèrent pour une part les divergences ultérieures entre bolchéviks et menchéviks.

3. Le IIe congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie. adoption du programme et des statuts. Création d’un parti unique. Les divergences au congrès et l’apparition de deux courants, — bolchévik et menchévik — dans le parti.

Ainsi le triomphe des principes léninistes et la lutte victorieuse de l’Iskra pour le plan d’organisation de Lénine avaient préparé les principales conditions nécessaires pour créer un parti ou, comme on disait alors, pour créer un véritable parti.

L’orientation de l’Iskra avait triomphé dans les organisations social-démocrates de Russie. On pouvait dès lors convoquer le IIe congrès du Parti.

C’est le 17 (30) juillet 1903 que s’ouvrit le IIe congrès du P.O.S.D.R. Il se tint à l’étranger, secrètement.

Au début il avait siégé à Bruxelles, mais la police belge ayant invité les délégués à quitter la Belgique, le congrès se transporta à Londres.

S’étaient présentés, au total, 43 délégués de 26 organisations.

Chaque comité avait le droit d’envoyer au congrès 2 délégués, mais certains comités n’en avaient envoyé qu’un seul.

Ainsi donc, 43 délégués disposaient de 51 voix délibératives.

La tâche essentielle du congrès consistait à « créer un parti véritable sur les principes et les bases d’organisation qui avaient été formulés et élaborés par l’Iskra ». (Ibidem, p. 328.)

La composition du congrès était hétérogène.

On n’y voyait pas représentés les « économistes » avérés, à cause de la défaite qu’ils avaient subie.

Mais durant cette période, ils avaient si adroitement fait peau neuve qu’ils réussirent à glisser quelques-uns de leurs délégués.

D’autre part, les délégués du Bund ne se distinguaient qu’en paroles des « économistes » : ils étaient en fait pour les « économistes ».

Le congrès réunissait ainsi, non seulement les partisans de l’Iskra, mais aussi ses adversaires. Les partisans del’Iskra étaient au nombre de 33, c’est-à-dire la majorité.

Mais tous ceux qui se disaient iskristes n’étaient pas de véritables iskristes-léninistes. Les délégués s’étaient partagés en plusieurs groupes.

Les partisans de Lénine, ou les iskristes fermes, avaient 24 voix ; 9 iskristes suivaient Martov : c’étaient les iskristes instables.

Une partie des délégués oscillaient entre l’Iskra et ses adversaires : ils disposaient de 10 voix au congrès, formant le centre.

Les adversaires déclarés de l’Iskra avaient 8 voix (3 « économistes » et 5 bundistes). Que les iskristes se divisent, et les ennemis de l’Iskra pouvaient prendre le dessus.

On voit d’ici à quel point la situation était compliquée au congrès. Lénine dut fournir un gros effort pour assurer la victoire de l’Iskra au congrès.

La grosse affaire du congrès était l’adoption du programme du Parti.

La question essentielle, celle qui souleva les objections de la partie opportuniste du congrès lors de la discussion du programme, fut la question de la dictature du prolétariat.

Les opportunistes n’étaient pas d’accord non plus avec la partie révolutionnaire du congrès sur une série d’autres questions de programme.

Mais ils avaient décidé de livrer bataille principalement sur la question de la dictature du prolétariat, en invoquant le fait que nombre de partis social-démocrates de l’étranger n’avaient pas, dans leur programme, d’article sur la dictature du prolétariat, et en disant que l’on pouvait, par conséquent, ne pas l’inclure dans le programme de la social-démocratie de Russie.

Les opportunistes s’élevaient aussi contre l’introduction dans le programme du Parti des revendications touchant la question paysanne.

Ces hommes ne voulaient pas de la révolution ; et c’est pourquoi ils écartaient l’alliée de la classe ouvrière, la paysannerie, pour laquelle ils n’éprouvaient que de l’inimitié.

Les délégués du Bund et les social-démocrates polonais s’élevaient contre le droit des nations à disposer d’elles-mêmes.

Lénine avait toujours enseigné que la classe ouvrière avait le devoir de lutter contre l’oppression nationale.

S’élever contre cette revendication dans le programme, c’était répudier l’internationalisme prolétarien, se faire l’auxiliaire de l’oppression nationale.

À toutes ces objections, Lénine porta un coup décisif.

Le congrès adopta le programme présenté par l’Iskra.

Ce programme comportait deux parties : un programme maximum et un programme minimum.

Le programme maximum proclamait comme tâche essentielle du Parti de la classe ouvrière, la révolution socialiste, le renversement du pouvoir des capitalistes, l’instauration de la dictature du prolétariat.

Le programme minimum définissait les tâches immédiates du Parti, celles que l’on devait accomplir avant le renversement de l’ordre capitaliste, avant l’instauration de la dictature du prolétariat : renverser l’autocratie tsariste, instaurer la république démocratique, appliquer la journée de huit heures pour les ouvriers, supprimer tous les vestiges du servage à la campagne, restituer aux paysans les terres (« otrezki ») dont ils avaient été dépouillés par les propriétaires fonciers.

Plus tard, les bolchéviks remplacèrent la revendication de la restitution des « otrezki » par celle de la confiscation de toutes les terres seigneuriales.

Le programme adopté au IIe congrès était bien le programme révolutionnaire du Parti de la classe ouvrière.

Il subsista jusqu’au VIIIe congrès, époque à laquelle notre Parti, la révolution prolétarienne ayant triomphé, adopta un programme nouveau.

Après l’adoption du programme, le IIe congrès aborda la discussion du projet de statuts du Parti.

Dès l’instant qu’il avait adopté le programme et créé les bases nécessaires au rassemblement idéologique du Parti, le congrès devait adopter aussi les statuts du Parti, afin de mettre un terme à la façon artisanale de travailler et à la méthode des cercles, à l’émiettement organique et à l’absence d’une discipline ferme au sein du Parti.

Tandis que l’adoption du programme s’était passée relativement sans encombre, la question des statuts du Parti provoqua au congrès des débats acharnés.

Les plus violentes divergences éclatèrent autour de la rédaction de l’article premier des statuts : sur l’adhésion au Parti.

Qui pouvait être membre du Parti, quelle devait être la composition du Parti, qu’est-ce que le Parti devait être en matière d’organisation : un tout organisé ou quelque chose d’informe ?

Telles étaient les questions que soulevait l’article premier des statuts.

Deux formules s’affrontaient : la formule de Lénine qu’appuyaient Plékhanov et les iskristes fermes, et la formule de Martov qu’appuyaient Axelrod, Zassoulitch, les iskristes instables, Trotski et tous les éléments ouvertement opportunistes du congrès.

La formule de Lénine disait : Peuvent être membres du Parti tous ceux qui en reconnaissent le programme, soutiennent matériellement le Parti et adhèrent à l’une de ses organisations.

La formule de Martov, tout en considérant la reconnaissance du programme et le soutien matériel du Parti comme des conditions indispensables de l’affiliation au Parti, ne tenait cependant pas la participation à l’une de ses organisations pour une condition de l’adhésion ; elle estimait qu’un membre du Parti pouvait ne pas être membre d’une de ses organisations.

Lénine regardait le Parti comme un détachement organisé, dont les adhérents ne s’attribuent pas eux-mêmes la qualité de membres, mais sont admis dans le Parti par une de ses organisations et se soumettent par conséquent à la discipline du Parti.

Tandis que Martov regardait le Parti comme quelque chose d’informe au point de vue organisation, dont les adhérents s’attribuent eux-mêmes la qualité de membres et ne sont, par conséquent, pas tenus de se soumettre à la discipline du Parti, puisqu’ils n’entrent pas dans une de ses organisations. 

De cette façon, la formule de Martov, à la différence de celle de Lénine, ouvrait largement les portes du Parti aux éléments instables, non prolétariens.

À la veille de la révolution démocratique bourgeoise, il y avait parmi les intellectuels bourgeois des gens qui se montraient momentanément sympathiques à la révolution. Ils pouvaient même, de temps à autre, rendre quelque service au Parti.

Mais ces gens n’auraient pas adhéré à une organisation, ni obéi à la discipline du Parti, ni accompli des tâches assignées par ce dernier ; ils ne se seraient pas exposés aux dangers que l’accomplissement de ces tâches impliquait.

Et ce sont ces gens-là que Martov et les autres menchéviks proposaient de regarder comme membres du Parti ; c’est à eux qu’ils proposaient de donner le droit et la possibilité d’influer sur les affaires du Parti.

Ils entendaient même donner à chaque gréviste le droit de « s’attribuer » la qualité de membre du Parti, encore que des non-socialistes, des anarchistes et des socialistes-révolutionnaires prissent également part aux grèves.

Il en résultait donc qu’au lieu du Parti monolithe, combatif et doté de formes d’organisation précises pour lequel Lénine et les léninistes luttaient au congrès, les partisans de Martov voulaient un parti mêlé, aux contours vagues, un parti informe, qui ne pouvait être un parti combatif, ne fût-ce que parce qu’il aurait été mêlé et n’aurait pu avoir une ferme discipline.

L’abandon des iskristes fermes par les iskristes instables, l’alliance de ces derniers avec le centre et l’adhésion des opportunistes déclarés à cette alliance, donnèrent l’avantage à Martov dans cette question.

À la majorité de 28 voix contre 22 et une abstention, le congrès adopta l’article premier des statuts tel que l’avait formulé Martov.

Après la division des iskristes sur l’article premier des statuts, la lutte s’envenima encore davantage. Les travaux touchaient à leur fin ; on allait procéder à l’élection des organismes dirigeants du Parti, de la rédaction de l’organe central du Parti (Iskra) et du Comité central.

Mais avant que le congrès n’eût passé aux élections, des événements se produisirent qui modifièrent le rapport des forces en présence.

En relation avec les statuts du Parti, le congrès dut s’occuper du Bund. Celui-ci revendiquait une situation spéciale dans le Parti.

Il voulait être reconnu pour seul représentant des ouvriers juifs de Russie.

Accepter cette revendication du Bund eût abouti à diviser les ouvriers dans les organisations du Parti suivant un principe national, à renoncer aux organisations de classe uniques de la classe ouvrière sur la base territoriale.

Le congrès repoussa le nationalisme du Bund en matière d’organisation. Là-dessus les bundistes quittèrent le congrès. Deux « économistes » se retirèrent aussi quand le congrès eut refusé de reconnaître leur Union de l’étranger comme représentant le Parti à l’étranger.

Ce départ de sept opportunistes modifia le rapport des forces en faveur des léninistes.

Dès le début, l’attention de Lénine s’était concentrée sur le problème de la composition des organismes centraux du Parti.

Lénine considérait qu’il fallait faire élire au Comité central des révolutionnaires fermes et conséquents. Les partisans de Martov entendaient donner dans le Comité central la prédominance aux éléments instables, opportunistes.

La majorité du congrès suivit Lénine sur ce point. Les partisans de Lénine furent élus au Comité central.

Sur la proposition de Lénine, on élut à la rédaction de l’Iskra Lénine, Plékhanov et Martov.

Ce dernier avait insisté auprès du congrès pour que les six anciens rédacteurs du journal, dont la plupart étaient des partisans do Martov, fissent partie de la rédaction de l’Iskra. 

Le congrès repoussa à la majorité cette proposition ; il élut les trois candidats proposés par Lénine. Martov déclara alors qu’il ne ferait pas partie de la rédaction de l’organe central.

C’est ainsi que, par son vote sur la question des organismes centraux du Parti, le congrès consacra la défaite des partisans de Martov et la victoire des partisans de Lénine.

Dès ce moment, on appela bolchéviks [du mot « bolchinstvo », majorité], les partisans de Lénine, qui avaient recueilli la majorité lors des élections au congrès ; les adversaires de Lénine, restés en minorité, furent appelés menchéviks [du mot « menchinstvo », minorité].

Lorsqu’on dresse le bilan des travaux du IIe congrès, les conclusions suivantes s’imposent :

1° Le congrès a consacré la victoire du marxisme sur l’ « économisme », sur l’opportunisme déclaré ;

2° le congrès a adopté le programme et les statuts ; il a créé un parti social-démocrate et établi de la sorte le cadre d’un parti unique ;

3° le congrès a révélé dans le domaine de l’organisation de graves divergences, qui divisèrent le Parti en bolchéviks et menchéviks : les premiers défendaient les principes d’organisation de la social-démocratie révolutionnaire, tandis que les seconds roulaient dans la déliquescence organique, dans le marais de l’opportunisme ;

4° le congrès a fait voir que les vieux opportunistes déjà battus par le Parti, les « économistes », étaient peu à peu remplacés dans le Parti par des opportunistes nouveaux, les menchéviks ;

5° le congrès ne s’est pas montré à la hauteur de la situation en ce qui concerne les problèmes d’organisation ; il a hésité, donnant même par moments l’avantage aux menchéviks ; et bien qu’il se fût ressaisi à la fin, il n’a pas su, non seulement démasquer l’opportunisme des menchéviks dans les problèmes d’organisation et les isoler dans le Parti, mais même poser devant le Parti une semblable tâche.

C’était là une des principales raisons qui firent que la lutte entre bolchéviks et menchéviks, loin de s’apaiser après le congrès, s’envenima encore.

4. Les actes scissionnistes des leaders menchéviks et l’aggravation de la lutte au sein du Parti après le IIecongrès. L’opportunisme des menchéviks. L’ouvrage de Lénine Un pas en avant, deux pas en arrière. Les principes du Parti marxiste en matière d’organisation.

À la suite du IIe congrès, la lutte s’était encore aggravée au sein du Parti.

Les menchéviks cherchaient par tous les moyens à saboter les décisions du IIe congrès et à s’emparer des centres du Parti. Ils exigeaient que leurs représentants fussent compris dans la rédaction de l’Iskra et au Comité central, dans une proportion qui devait leur donner la majorité à la rédaction et l’égalité avec les bolchéviks au sein du Comité central.

Comme ces prétentions allaient à l’encontre des décisions expresses du IIe congrès, les bolchéviks repoussèrent les exigences des menchéviks.

Ceux-ci constituèrent alors, à l’insu du Parti, leur organisation fractionnelle hostile au Parti, à la tête de laquelle se trouvèrent Martov, Trotski et Axelrod.

Ils « déclenchèrent, ainsi que l’écrivait Martov, un soulèvement contre le léninisme ».

Le procédé de lutte qu’ils avaient adopté pour combattre le Parti était : « désorganiser tout le travail du Parti, lui faire du tord, freiner toutes choses, en tout » (expression de Lénine).

Ils s’étaient embusqués dans la « Ligue à l’étranger » des social-démocrates russes, dont les neuf dixièmes étaient formés d’intellectuels émigrés, détachés du travail en Russie ; et de là, ils avaient ouvert le feu sur le Parti, sur Lénine, sur les léninistes.

Plékhanov aidait puissamment les menchéviks. Au IIe congrès, il s’était placé aux côtés de Lénine.

Mais après le IIe congrès, les menchéviks avaient su l’intimider par des menaces de scission. Plékhanov avait donc décidé de « se réconcilier » coûte que coûte avec eux.

Ce qui faisait pencher Plékhanov du côté des menchéviks, c’était le poids de ses anciennes erreurs opportunistes.

De conciliateur à l’égard des menchéviks opportunistes, Plékhanov devint bientôt lui-même un menchévik.

Il insista pour que fussent compris dans la rédaction de l’Iskra tous les anciens rédacteurs menchéviks repoussés par le congrès.

Lénine ne pouvait évidemment pas accepter cette condition ; il se retira de la rédaction de l’Iskra, afin de fortifier ses positions au sein du Comité central du Parti et de là, battre les opportunistes.

Plékhanov, au mépris de la volonté du congrès, coopta de son propre chef à la rédaction de l’Iskra les anciens rédacteurs menchéviks.

Dès lors, à partir du n° 52 de l’Iskra, les menchéviks firent de ce journal leur organe et s’en servirent pour prêcher leurs conceptions opportunistes.

Désormais on parla dans le Parti de la vielle Iskra, de l’Iskra léniniste, bolchévique, et de la nouvelle Iskra, de l’Iskra menchévique, opportuniste.

Une fois aux mains des menchéviks, l’Iskra devint un organe de lutte contre Lénine, contre les bolchéviks, un organe de propagande de l’opportunisme menchévik, surtout dans le domaine de l’organisation. Alliés aux « économistes » et aux bundistes, les menchéviks de l’Iskra partirent en guerre contre le Léninisme, comme ils disaient ; Plékhanov ne put se maintenir sur ses positions de conciliation ; au bout de quelques temps il se rallia, lui aussi, à cette campagne.

Et c’est bien ce qui devait arriver d’après la logique des choses : quiconque insiste pour la conciliation avec les opportunistes, doit glisser à l’opportunisme.

De la nouvelle Iskra pleuvaient, comme d’une corne d’abondance, articles et déclarations disant que le Parti ne devait pas être un tout organisé ; qu’il fallait admettre au sein du Parti, l’existence de groupes et individus libres, qui ne seraient pas tenus de se soumettre aux décisions des organes du Parti ; qu’il fallait laisser à chaque intellectuel sympathisant avec le Parti, de même qu’à « chaque gréviste » et à « chaque manifestant », toute latitude pour se proclamer membre du Parti ; qu’exiger la soumission à toutes les décisions du Parti, c’était faire preuve de « formalisme bureaucratique » ; qu’exiger la soumission de la minorité à la majorité, c’était « refouler mécaniquement » la volonté des membres du Parti ; qu’exiger de tous les membres, leaders ou simples adhérents, une égale soumission à la discipline du Parti, — c’était instaurer le « servage » dans le Parti ; que ce qu’il « nous » faut, dans le Parti, ce n’est pas le centralisme, mais l’ « autonomisme » anarchique, qui donne le droit aux adhérents et aux organisations du Parti de ne pas exécuter ses décisions.

C’était là une propagande effrénée du relâchement en matière d’organisation ; c’était ruiner l’esprit du parti et la discipline du parti, exalter l’individualisme de l’intellectuel, justifier l’esprit d’indiscipline anarchique.

Par rapport au IIe congrès les menchéviks tiraient manifestement le Parti en arrière, vers l’émiettement organique, vers l’esprit du petit cercle, vers les méthodes artisanales de travail.

Il importait d’infliger aux menchéviks une riposte décisive.

C’est ce que fit Lénine dans sons livre célèbre Un pas en avant, deux pas en arrière, paru en mai 1904.

Voici les principes d’organisation essentiels qui furent développés dans cet ouvrage, et qui allaient devenir les principes d’organisation du Parti bolchévik.

1° Le Parti marxiste est partie intégrante de la classe ouvrière, il en est un détachement.

Mais les détachements sont nombreux dans la classe ouvrière : par conséquent, tout détachement de la classe ouvrière ne saurait être appelé parti de la classe ouvrière.

Le Parti se distingue des autres détachements de la classe ouvrière, d’abord parce qu’il n’est pas un détachement ordinaire, mais le détachement d’avant-garde, le détachement conscient, le détachementmarxiste de la classe ouvrière, armé de la connaissance de la vie sociale, de la connaissance des lois du développement social, de la connaissance des lois de la lutte de classes, et capable pour cette raison de guider la classe ouvrière, de diriger sa lutte.

Aussi ne doit-on pas confondre le Parti avec la classe ouvrière, pas plus qu’on ne doit confondre la partie avec le tout ; on ne saurait demander que chaque gréviste puisse se proclamer membre du Parti, car celui qui confond le Parti avec la classe, rabaisse le niveau de conscience du Parti au niveau de « chaque gréviste », détruit le Parti comme avant-garde consciente de la classe ouvrière.

La tâche du Parti n’est pas de rabaisser son niveau à celui de « chaque gréviste », mais de hausser les masses d’ouvriers, de hausser « chaque gréviste » au niveau du Parti.

« Nous sommes le Parti de la classe, écrivait Lénine, et c’est pourquoi presque toute la classe (et en temps de guerre, à l’époque de la guerre civile, absolument toute la classe) doit agir sous la direction de notre Parti, doit se serrer le plus possible autour de lui.

Mais ce serait du manilovisme [Placidité, inertie, fantaisie oiseuse. Manilov, personnage des Ames mortes de Gogol. (N. des Trad.)] et du « suivisme » que de penser que sous le capitalisme presque toute la classe ou la classe entière sera un jour en état de s’élever au point d’acquérir le degré de conscience et d’activité de son détachement d’avant-garde, de son parti social-démocrate. Sous le capitalisme, même l’organisation syndicale (plus primitive, plus accessible à la conscience des couches non développées) n’est pas en mesure d’englober presque toute, ou toute la classe ouvrière.

Et nul social-démocrate de bon sens n’en a jamais douté. Mais ce ne serait que se leurrer soi-même, fermer les yeux sur l’immensité de nos tâches, restreindre ces tâches, que d’oublier la différence entre le détachement d’avant-garde et toutes les masses qui gravitent autour de lui ; que d’oublier l’obligation constante pour le détachement d’avant-garde de hausser des couches de plus en plus vastes à ce niveau avancé. » (Lénine, Œuvres choisies, pp. 354-355.)

2° Le Parti est non seulement l’avant-garde, le détachement conscient de la classe ouvrière, mais aussi le détachement organisé de la classe ouvrière, avec sa propre discipline obligatoire pour ses membres.

C’est pourquoi les membres du Parti doivent obligatoirement adhérer à une de ses organisations. Si le Parti n’était pas un détachement organisé de la classe, ni un système d’organisation, mais une simple somme d’individus qui se proclament eux-mêmes membres du Parti sans adhérer à aucune de ses organisations, c’est-à-dire ne sont pas organisés et, par conséquent, ne sont pas tenus de se soumettre aux décisions du Parti, — le Parti n’aurait jamais une volonté unique, il ne pourrait jamais réaliser l’unité d’action de ses adhérents ; il lui serait donc impossible de diriger la lutte de la classe ouvrière.

Le Parti ne peut diriger pratiquement la lutte de la classe ouvrière et l’orienter vers un but unique que si tous ses membres sont organisés dans un seul détachement commun, cimenté par l’unité de volonté, par l’unité d’action, par l’unité de discipline.

L’objection des menchéviks disant qu’en ce cas, de nombreux intellectuels, par exemple, des professeurs, des étudiants, des lycéens, etc., resteraient en dehors du Parti, puisqu’ils ne veulent pas adhérer à telle ou telle de ses organisations, soit que la discipline du Parti leur pèse, soit que, comme le disait Plékhanov au IIe congrès, ils considèrent « comme une humiliation pour eux d’adhérer à telle ou telle organisation locale », cette objection des menchéviks se retourne contre eux, car le Parti n’a que faire des membres que gêne la discipline du Parti et qui craignent d’adhérer à une de ses organisations.

Les ouvriers ne craignent pas la discipline, ni l’organisation ; ils adhèrent volontiers aux organisations dès l’instant où ils sont décidés de devenir membres du Parti.

Seuls les intellectuels d’esprit individualiste craignent la discipline et l’organisation ; ils resteront effectivement en dehors du parti.

Tant mieux, puisque le Parti se débarrassera de l’afflux d’éléments instables, qui s’est particulièrement accentué aujourd’hui que la révolution bourgeoise commence à monter.

« Si je dis, écrivait Lénine, que le Parti doit être une somme (non une simple somme arithmétique, mais un complexe) d’organisations…, j’exprime par là, d’une façon absolument claire et précise que je désire, j’exige du Parti, comme avant-garde de la classe, soit une chose le plus possible organisée, que le Parti ne reçoive que des éléments susceptibles d’un minimum d’organisation… » (Ibidem, p. 352.)

Et plus loin :

« En paroles, la formule de Martov défend les intérêts des larges couches du prolétariat ; en fait, cette formule servira les intérêts des intellectuels bourgeois, qui craignent la discipline et l’organisation prolétariennes. Nul n’osera nier que ce qui caractérise, d’une façon générale, les intellectuels en tant que couche particulière dans les sociétés capitalistes contemporaines, c’est justement l’individualisme et l’inaptitude à la discipline et à l’organisation. » (Ibidem, p. 360.)

Et encore :

« Le prolétariat ne craint pas l’organisation, ni la discipline… Le prolétariat n’aura cure que ces messieurs les professeurs et lycéens, qui ne désirent pas adhérer à une organisation, soient reconnus membres du Parti parce qu’ils travaillent sous le contrôle d’une organisation… Ce n’est pas le prolétariat, mais certains intellectuels de notre Parti qui manquent de self-éducation quant à l’organisation et à la discipline. » (Ibidem, p. 390.)

3° Parmi toutes les autres organisations de la classe ouvrière, le Parti n’est pas simplement un détachement organisé, il est la « forme suprême d’organisation », appelée à diriger toutes les autres.

Le Parti, en tant que forme suprême d’organisation qui groupe l’élite de la classe, armée d’une théorie avancée, de la connaissance des lois de la lutte des classes et de l’expérience du mouvement révolutionnaire, a toutes les possibilités de diriger, – il a le devoir de diriger, – toutes les autres organisations de la classe ouvrière.

La tendance des menchéviks à diminuer, a ravaler le rôle dirigeant du Parti conduit à affaiblir toutes les autres organisations du prolétariat dirigées par le Parti, et, par conséquent, à affaiblir et à désarmer le prolétariat ; car « le prolétariat n’a pas d’autre arme dans sa lutte pour le pouvoir que l’organisation ». (Ibidem, p. 414.)

4° Le Parti incarne la liaison de l’avant-garde de la classe ouvrière avec les masses innombrables de cette classe. Le Parti serait le meilleur détachement avancé et le plus parfaitement organisé, qu’il ne pourrait pas vivre et se développer sans être lié aux masses de sans-parti, sans que ces liaisons se multiplient, sans qu’elles soient consolidées.

Un parti replié sur lui-même, isolé des masses et qui aurait perdu ou simplement relâché les liens avec sa classe, perdrait la confiance et l’appui des masses ; par conséquent, il devrait inévitablement périr.

Pour vivre à pleine vie et se développer, le Parti doit multiplier ses liaisons avec les masses, gagner la confiance des masses innombrables de sa classe.

« Pour être un parti social-démocrate, disait Lénine, il faut obtenir justement le soutien de la classe. » (Lénine, t. VI, p. 208, éd. russe.)

5° Le Parti, pour pouvoir bien fonctionner et guider méthodiquement les masses, doit être organisé conformément aux principes du centralisme, avoir un statut unique, une discipline unique, un organisme dirigeant unique représenté par le congrès du Parti, et dans l’intervalle des congrès, par le Comité central du Parti ; il faut que la minorité se soumette à la majorité et les différentes organisation, au centre, les organisations inférieures, aux organisations supérieures.

Sans ces conditions, le Parti de la classe ouvrière ne saurait être un parti véritable ; il ne saurait s’acquitter de sa tâche, qui est de guider la classe.

Naturellement, comme le Parti était illégal sous l’autocratie tsariste, les organisations du Parti ne pouvaient, à l’époque, reposer sur le principe de l’élection à la base ; aussi le Parti devait-il être rigoureusement clandestin.

Mais Lénine estimait que cet état de choses, momentané dans la vie de notre Parti, disparaîtrait dès que le tsarisme aurait été supprimé, lorsque le Parti serait un Parti déclaré, légal, et que ses organisations reposeraient sur le principe d’élections démocratiques, sur le principe du centralisme démocratique.

« Auparavant, écrivait Lénine, notre Parti n’était pas un tout formellement organisé, mais seulement une somme de groupes particuliers, ce qui fait qu’entre ces groupes il ne pouvait y avoir d’autres rapports que l’action idéologique. 

Maintenant nous sommes devenus un parti organisé, et cela signifie la création d’une autorité, la transformation du prestige des idées en prestige de l’autorité, la subordination des instances inférieures aux instances supérieures du Parti. » (Ibidem, p. 291.)

Attaquant les menchéviks pour leur nihilisme en matière d’organisation et leur anarchisme de grand seigneur, qui n’admet pas l’idée d’une soumission à l’autorité du Parti et à sa discipline, Lénine écrivait :

« Cet anarchisme de grand seigneur est particulièrement propre au nihiliste russe. L’organisation du Parti lui semble une monstrueuse « fabrique » ; la soumission de la minorité à la majorité lui apparaît comme un « asservissement »… la division du travail sous la direction d’un centre lui fait pousser des clameurs tragi-comiques contre la transformation des hommes en « rouages et ressorts » (et il voit une forme particulièrement intolérable de cette transformation dans la transformation des rédacteurs en collaborateurs), le seul rappel des statuts d’organisation du Parti provoque chez lui une grimace de mépris et la remarque dédaigneuse (à l’adresse des « formalistes ») que l’on pourrait se passer entièrement de statuts. » (Lénine, Œuvres choisies, t. I, p. 393.)

6° Le Parti dans son activité pratique, s’il tient à sauvegarder l’unité de ses rangs, doit appliquer une discipline prolétarienne unique, également obligatoire pour tous les membres du Parti, pour les leaders comme pour les simples membres.

C’est pourquoi il ne doit pas y avoir dans le Parti de division en « membres de l’élite », pour qui la discipline n’est pas obligatoire, et « non-membres de l’élite », qui sont tenus de se soumettre à la discipline.

Sans cette condition, ni l’intégrité du Parti, ni l’unité de ses rangs ne sauraient être sauvegardées.

« L’absence totale chez Martov et consorts, écrivait Lénine, d’arguments raisonnables contre la rédaction nommée par le congrès, est illustrée au mieux par ce mot qui leur appartient : « Nous ne sommes pas des serfs ! »… La psychologie de l’intellectuel bourgeois qui s’imagine appartenir aux « âmes d’élite », placées au-dessus de l’organisation de masse et de la discipline de masse, apparaît ici de façon saisissante…

Pour l’individualisme de l’intellectuel… toute organisation et toute discipline prolétariennes s’identifient avec le servage. » (Lénine, t. VI, p. 282, éd. russe.)

Et plus loin :

« À mesure que se forme chez nous un véritable parti, l’ouvrier conscient doit apprendre à distinguer entre la psychologie du combattant de l’armée prolétarienne et la psychologie de l’intellectuel bourgeois, qui fait parade de la phrase anarchiste ; il doit apprendre à exiger l’accomplissement des obligations incombant aux membres du Parti, — non seulement des simples adhérents, mais aussi des « gens d’en haut ». » (Lénine, Œuvres choisies, t. I, p. 396.)

En résumant l’analyse des divergences et en définissant la position des menchéviks comme de « l’opportunisme dans les questions d’organisation », Lénine considérait que l’un des pêchés essentiels du menchévisme était de sous-estimer l’importance essentielle de l’organisation du Parti, en tant qu’arme du prolétariat dans sa lutte pour son affranchissement.

Les menchéviks étaient d’avis que le Parti, organisation du prolétariat, n’avait pas une importance sérieuse pour la victoire de la révolution. Contrairement aux menchéviks, Lénine pensait que l’union idéologique du prolétariat à elle seule ne suffit pas pour assurer la victoire ; que pour vaincre, il est indispensable de « cimenter » l’unité idéologique par l’unité matérielle de l’organisation du prolétariat. Lénine estimait qu’à cette condition seule, le prolétariat peut devenir une force invincible.

« Le prolétariat, écrivait Lénine, n’a pas d’autre arme dans sa lutte pour le pouvoir que l’organisation.

Divisé par la concurrence anarchique qui règne dans le monde bourgeois, accablé sous un labeur servile pour le capital, rejeté constamment « dans les bas-fonds » de la misère noire, d’une sauvage inculture et de la dégénérescence, le prolétariat peut devenir – et deviendra inévitablement – une force invincible pour cette seule raison que son union idéologique basée sur les principes du marxisme est cimentée par l’unité matérielle de l’organisation qui groupe les millions de travailleurs en une armée de la classe ouvrière.

À cette armée ne pourront résister ni le pouvoir décrépit de l’autocratie russe, ni le pouvoir en décrépitude du capital international. » (Ibidem, p. 414.)

C’est par ces mots prophétiques que Lénine termine son livre.

Tels sont les principes d’organisation essentiels développés par Lénine dans son célèbre ouvrage Un pas en avant, deux pas en arrière.

Ce qui fait l’importance de ce livre, c’est avant tout qu’il a sauvegardé l’esprit du parti contre l’esprit de cercle étroit, et le Parti contre les désorganisateurs ; il a battu à plate couture l’opportunisme menchévik dans les problèmes d’organisation, et jeté les bases d’organisation du Parti bolchévik.

Mais son importance ne s’arrête pas là.

Son rôle historique, c’est que Lénine y a le premier, dans l’histoire du marxisme, élaboré la doctrine du Parti en tant qu’organisation dirigeante du prolétariat, en tant qu’arme essentielle entre les mains du prolétariat, sans laquelle il est impossible de vaincre dans la lutte pour la dictature prolétarienne.

La diffusion de l’ouvrage de Lénine Un pas en avant, deux pas en arrière parmi les militants du Parti fit que la plupart des organisations locales se groupèrent autour de Lénine.

Mais plus les organisations se groupaient étroitement autour des bolchéviks, plus haineuse devint l’attitude des leaders menchéviks.

En été 1904, ave l’aide de Plékhanov et par suite de la trahison de deux bolchéviks dégénérés, Krassine et Noskov, les menchéviks s’emparèrent de la majorité dans le Comité central. Il était évident que les menchéviks s’orientaient vers la scission.

La perte de l’Iskra et du Comité central plaça les bolchéviks dans une situation difficile. Il était indispensable de mettre sur pied un journal bolchévik à soi. Il fallait organiser un nouveau congrès, le IIIe congrès du Parti, pour former un nouveau Comité central du Parti et régler leur compte aux menchéviks.

C’est ce qu’entreprit Lénine, c’est ce qu’entreprirent les bolchéviks.

Les bolchéviks engagèrent la lutte pour la convocation du IIIe congrès du Parti. En août 1904 se tint en Suisse, sous la direction de Lénine, une conférence de 22 bolchéviks.

Elle adopta un message « Au Parti », qui devint pour les bolchéviks un programme de lutte pour la convocation du IIIe congrès.

Au cours de trois conférences régionales des bolchéviks (conférences du Sud, du Caucase et du Nord), un Bureau des comités de la majorité fut élu, qui procéda à la préparation pratique du IIIe congrès du Parti.

Le 4 janvier 1905 paraissait le premier numéro du journal bolchévik Vpériod [En avant].

C’est ainsi que se formèrent au sein du Parti deux fractions distinctes – bolchévique et menchévique – avec leurs centres et leurs organes de presse respectifs.

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