La lutte pour la création du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (1883-1901)

Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), 1938

1. Abolition du servage et développement du capitalisme industriel en Russie. Formation du prolétariat industriel moderne. les premiers pas du mouvement ouvrier.

La Russie tsariste était entrée plus tard que les autres pays dans la voie du développement capitaliste. Jusqu’aux années 60 du siècle dernier, il n’y avait en Russie que très peu de fabriques et d’usines.

C’est l’économie féodale de la noblesse terrienne qui prédominait. Sous le régime du servage l’industrie ne pouvait prendre un véritable essor. Et dans l’agriculture, le travail non libre, serf, était d’une faible productivité.

Le cours du développement économique poussait à la suppression du servage. En 1861 le gouvernement tsariste, affaibli par la défaite militaire pendant la campagne de Crimée et terrifié par les « révoltes » des paysans contre les propriétaires fonciers, se vit obligé d’abolir le servage.

Mais, même après l’abolition du servage, les propriétaires fonciers continuèrent à opprimer les paysans. Lors de l’ « affranchissement » ils les avaient dépouillés en les privant, en les amputant d’une partie considérable de la terre dont ils jouissaient auparavant.

C’est cette partie de la terre que les paysans appelèrent « otrezki », les coupes [du mot « otrézat », couper]. Pour leur « affranchissement », on contraignit les paysans à payer aux propriétaires fonciers un droit de rachat, environ deux milliards de roubles.

Après l’abolition du servage, les paysans se virent obligés de louer aux plus dures conditions la terre du propriétaire foncier.

En plus du fermage en argent, le propriétaire astreignait souvent les paysans à travailler gratuitement, avec leurs outils et leurs chevaux à eux, une portion de la terre seigneuriale. C’est ce qu’on appelait « prestation de travail », « corvée ». Le plus souvent, le paysan était obligé de payer au propriétaire foncier la location de la terre en nature, soit la moitié de la récolte. On appelait cela le travail « ispolou » [le travail « à moitié »].

La situation restait donc à peu près la même que sous le servage, avec cette seule différence que maintenant le paysan était libre de sa personne. On ne pouvait ni le vendre, ni l’acheter comme une chose.

Les propriétaires fonciers saignaient à blanc les exploitations paysannes arriérées par tous les moyens de spoliation (fermage, amendes). Et le joug que les propriétaires fonciers faisaient peser sur la grande masse des paysans empêchait ces derniers d’améliorer leur exploitation. D’où le retard extrême de l’agriculture dans la Russie d’avant la Révolution, retard qui entraînait souvent de mauvaises récoltes et des disettes.

Les vestiges de l’économie féodale, les impôts écrasants, les indemnités de rachat payées aux propriétaires fonciers et qui, souvent, excédaient le revenu des exploitations paysannes, provoquaient la ruine, la paupérisation des masses paysannes, forçaient les paysans à quitter leur village pour aller chercher ailleurs un gagne-pain. Ils allaient se faire embaucher dans les fabriques et les usines. Et les fabricants avaient une main-d’œuvre à bon marché.

Les ouvriers et les paysans avaient sur le dos toute une armée d’ispravniks, d’ouriadniks, de gendarmes, de policiers, de gardes qui protégeaient le tsar, les capitalistes, les propriétaires fonciers contre les travailleurs, contre les exploités.

Les châtiments corporels restèrent en vigueur jusqu’en 1903. Bien que le servage fût aboli, on fouettait de verges les paysans pour la moindre faute, pour le non-paiement des impôts.

La police et les cosaques matraquaient les ouvriers, surtout pendant les grèves, lorsque ces derniers cessaient le travail, n’en pouvant plus de l’oppression des fabricants. Les ouvriers et les paysans n’avaient aucun droit politique dans la Russie tsariste. L’autocratie du tsar était le pire ennemi du peuple.

Une prison des peuples, voilà ce qu’était la Russie tsariste. Privées de tout droit, les nombreuses nationalités non russes subissaient constamment toutes sortes d’humiliations et d’outrages. Le gouvernement tsariste habituait la population russe à regarder les populations autochtones des régions nationales comme des races inférieures  ; il les appelait officiellement « allogènes », inculquait le mépris et la haine à leur égard.

Le gouvernement tsariste attisait consciemment les haines nationales, dressait un peuple contre l’autre, organisait des pogroms contre les Juifs, des massacres tataro-arméniens en Transcaucasie.

Dans les régions nationales, toutes ou presque toutes les charges d’État étaient occupées par des fonctionnaires russes. Toutes les affaires dans les administrations, devant les tribunaux, se traitaient en langue russe.

Défense était faite d’éditer des journaux et des livres dans les langues nationales ; l’usage de la langue maternelle pour l’enseignement était interdit dans les écoles.

Le gouvernement tsariste cherchait à étouffer toutes les manifestations de la culture nationale ; il poursuivait une politique de « russification » forcée des nationalités non russes. Le tsarisme était le bourreau, le tortionnaire des peuples non russes.

Après l’abolition du servage, le développement du capitalisme industriel fut assez rapide en Russie, malgré les vestiges du servage qui freinaient encore sa marche. En vingt-cinq ans, de 1865 à 1890, le nombre des ouvriers, rien que dans les grandes fabriques, les usines et les chemins de fer, était passé de 706.000 à 1.433.000, c’est-à-dire qu’il avait plus que doublé. La grande industrie capitaliste prit un développement encore plus rapide dans les années 90.

À la fin de cette décade, rien que pour les 50 provinces de la Russie d’Europe, le nombre des ouvriers occupés dans les grandes fabriques et usines, dans l’industrie minière et les chemins de fer, atteignait 2.207.000, et pour l’ensemble de la Russie, 2.792.000.

C’était un prolétariat industriel moderne, foncièrement distinct des ouvriers des fabriques de l’époque du servage, ainsi que des ouvriers de la petite industrie, artisanale ou autre, tant par sa concentration dans les grandes entreprises capitalistes que par sa combativité révolutionnaire.

L’essor industriel des années 90 était dû, au premier chef, à l’intense développement des chemins de fer. Au cours de la décade 1890-1900, il fut construit plus de 21.000 verstes de voies ferrées. Les chemins de fer avaient besoin d’une quantité énorme de métal (pour les rails, les locomotives, les wagons) ; ils consommaient une quantité de plus en plus grande de combustible, de houille et de pétrole.

D’où le développement de la métallurgie et de l’industrie des combustibles.

Dans la Russie d’avant la Révolution, comme dans tous les pays capitalistes, les années d’essor industriel étaient suivies d’années de crise industrielle et de marasme, qui frappaient durement la classe ouvrière et vouaient des centaines de milliers d’ouvriers au chômage et à la misère.

Bien que depuis l’abolition du servage le développement du capitalisme fût assez rapide en Russie, l’évolution économique de ce pays retardait sensiblement sur celle des autres pays capitalistes. L’immense majorité de la population s’adonnait encore à l’agriculture.

Dans son célèbre ouvrage Le développement du capitalisme en Russie, Lénine a cité des chiffres significatifs tirés du recensement général de 1897. Il en résulte que les cinq sixièmes environ de la population étaient occupés dans l’agriculture, tandis qu’à peu près un sixième seulement était occupé dans la grande et la petite industrie, le commerce, les chemins de fer et les transports par eau, les chantiers de construction, les exploitations forestières, etc.

D’où il suit que la Russie, bien que le capitalisme y fût en développement, était un pays agraire, économiquement arriéré, un pays petit-bourgeois, c’est-à-dire un pays où prédominait encore la petite propriété, la petite exploitation paysanne individuelle à faible rendement.

Le capitalisme progressait non seulement dans les villes, mais aussi à la campagne. La paysannerie, la classe la plus nombreuse de la Russie d’avant la Révolution, se désagrégeait, se différenciait.

Du sein de la paysannerie la plus aisée se dégageait une couche supérieure, la couche des koulaks, la bourgeoisie rurale ; d’un autre côté, beaucoup de paysans se ruinaient ; on voyait augmenter dans les campagnes le nombre des paysans pauvres, des prolétaires et semi-prolétaires. Quant aux paysans moyens, leur nombre diminuait chaque année.

En 1903, la Russie comptait environ 10 millions de feux. Dans sa brochure À la paysannerie pauvre, Lénine a calculé que, sur ce nombre, trois millions et demi au moins n’avaient pas de cheval.

D’ordinaire, les paysans pauvres ensemençaient un lopin de terre insignifiant, louaient le reste aux koulaks, et s’en allaient eux-mêmes chercher ailleurs un gagne-pain. Par leur situation, les paysans pauvres se rapprochaient plus que quiconque du prolétariat. Lénine les appelait prolétaires ruraux ou semi-prolétaires.

D’autre part, un million et demi de familles de paysans riches, de koulaks (sur un total de 10 millions de foyers paysans) avaient accaparé la moitié de toutes les terres labourables des paysans. Cette bourgeoisie paysanne s’enrichissait en opprimant les paysans pauvres et moyens, en exploitant le travail des salariés agricoles et des journaliers ; elle se transformait en capitalistes agraires.

Dès les années 70 et, surtout, les années 80 du siècle dernier, la classe ouvrière de Russie s’éveille et engage la lutte contre les capitalistes. La situation des ouvriers dans la Russie tsariste, était extrêmement pénible. De 1880 à 1890, la journée de travail dans les fabriques et les usines était d’au moins 12 heures et demie ; elle atteignait 14 à 15 heures dans l’industrie textile.

On exploitait largement la main-d’œuvre féminine et enfantine. Les enfants fournissaient un nombre d’heures égal à celui des adultes ; mais, comme les femmes, ils touchaient un salaire sensiblement inférieur. Les salaires étaient extrêmement bas. La majeure partie des ouvriers gagnaient de 7 à 8 roubles par mois. Les ouvriers les mieux payés des usines métallurgiques et des fonderies ne gagnaient pas plus de 35 roubles par mois.

Aucune protection du travail : d’où un grand nombre de mutilations, d’accidents mortels. Point d’assurances pour les ouvriers ; l’assistance médicale était payante. Les conditions de logement étaient extrêmement pénibles.

Dans les « bouges » des baraquements s’entassaient de 10 à 12 ouvriers. Souvent les fabricants trompaient les ouvriers sur les salaires, les obligeaient à acheter aux comptoirs patronaux des produits qu’ils leur faisaient payer trois fois trop cher ; ils les dépouillaient en les accablant d’amendes.

Les ouvriers commencèrent à se concerter entre eux ; ils présentaient en commun des revendications au patron pour que leur situation intenable fût améliorée. Ils abandonnaient le travail, proclamaient la grève ; les premières grèves des années 70 et 80 avaient généralement pour motifs les amendes démesurées, le vol, la fraude dont les ouvriers étaient victimes au moment de la paye, ainsi que les réductions de tarifs.

Lors des premières grèves, les ouvriers poussés à bout brisaient parfois les machines, cassaient les vitres des bâtiments de la fabrique, saccageaient les comptoirs patronaux et les bureaux.

Mais les ouvriers avancés commençaient à se rendre compte que pour lutter efficacement contre les capitalistes, il fallait s’organiser. Des associations ouvrières firent leur apparition. En 1875 fut fondée, à Odessa, l’ « Union des ouvriers de la Russie méridionale ». Cette première organisation ouvrière fonctionna pendant huit ou neuf mois ; après quoi, elle fut détruite par le gouvernement tsariste.

En 1878 fut fondée, à Pétersbourg, l’ « Union des ouvriers russes du Nord » ; elle avait à sa tête le menuisier Khaltourine et l’ajusteur Obnorski. Il était dit dans le programme de cette Union que, par ses objectifs, elle se rattachait aux partis ouvriers social-démocrates d’Occident. L’Union s’assignait pour but final la révolution socialiste, le « renversement du régime politique et économique de l’État, régime injuste à l’extrême ».

Un des organisateurs de l’Union, Obnorski, avait vécu un certain temps à l’étranger ; il s’y était familiarisé avec l’activité des partis social-démocrates marxistes et de la Ière Internationale, dirigée par Marx. Et cette circonstance avait laissé son empreinte sur le programme de l’ « Union des ouvriers russes du Nord ».

Comme tâche immédiate, l’Union s’assignait la conquête de la liberté et des droits politiques pour le peuple (liberté de parole, de presse, de réunion, etc.). Parmi les revendications immédiates figurait également la limitation de la journée de travail.

L’Union comptait 200 membres et autant de sympathisants. Elle avait commencé à prendre part aux grèves ouvrières, à les diriger. Le gouvernement tsariste la détruisit aussi.

Mais le mouvement ouvrier continuait de grandir, gagnant de plus en plus de régions nouvelles. Les années 80 furent marquées par un grand nombre de grèves. En cinq ans (1881-1886), il y eut plus de 48 grèves avec 80.000 grévistes.

La puissante grève qui éclata en 1885 à la fabrique Morozov d’Orékhovo-Zouévo, eut une importance toute particulière pour l’histoire du mouvement révolutionnaire.

Cette entreprise occupait environ 8.000 ouvriers. Les conditions de travail y empiraient de jour en jour : de 1882 à 1884, les salaires avaient subi cinq diminutions  ; en 1884, les tarifs avaient été, d’un seul coup, réduits de 25°/o. Au surplus, le fabricant Morozov accablait d’amendes les ouvriers. Pendant le procès qui suivit la grève, il fut établi que sur chaque rouble de gain, on décomptait à l’ouvrier, au profit du fabricant, de 30 à 50 copecks sous forme d’amendes.

N’en pouvant plus de ce vol, les ouvriers se mirent en grève en janvier 1885. La grève avait été préparée à l’avance. Elle était dirigée par un ouvrier éclairé Piotr Moïsséenko, ancien membre de l’ « Union des ouvriers russes du Nord », et qui déjà était riche d’expérience révolutionnaire.

La veille de la grève, Moïsséenko avait élaboré, en commun avec d’autres tisseurs, les plus conscients, un cahier de revendications, qui fut approuvé à une conférence secrète des ouvriers. Ceux-ci exigeaient en premier lieu qu’on cessât de les dépouiller à coups d’amendes.

La grève fut réprimée par la force armée. Plus de 600 ouvriers furent arrêtés, dont plusieurs dizaines déférés en justice.

Des grèves analogues se déroulèrent en 1885, dans les fabriques d’Ivanovo-Voznessensk.

L’année d’après, le gouvernement tsariste, que la progression du mouvement ouvrier effrayait, se vit contraint de promulguer une loi sur les amendes. Cette loi portait que les sommes provenant des amendes ne devaient pas être empochées par le fabricant, mais servir aux besoins des ouvriers eux-mêmes.

L’expérience de la grève Morozov et des autres grèves fit comprendre aux ouvriers qu’ils pouvaient beaucoup obtenir par une lutte organisée. Des dirigeants et des organisateurs de talent étaient apparus au sein du mouvement ouvrier, et ils défendaient avec fermeté les intérêts de la classe ouvrière.

Dans le même temps, à la faveur de la montée du mouvement ouvrier de Russie et sous l’influence de celui de l’Europe occidentale, on voit se créer dans le pays les premières organisations marxistes.

2. Le populisme et le marxisme en Russie. Plékhanov et son groupe « libération du travail ». Lutte de Plékhanov contre le populisme. Diffusion du marxisme en Russie.

Avant que les groupes marxistes ne fussent apparus, le travail révolutionnaire était fait en Russie par les populistes, adversaires du marxisme.

Le premier groupe marxiste russe prit naissance en 1883. C’était le groupe « Libération du Travail », organisé par G. Plékhanov à l’étranger, à Genève, où il avait dû se réfugier pour échapper aux persécutions du gouvernement tsariste, persécutions que lui avait values son activité révolutionnaire.

Auparavant, Plékhanov avait été lui-même populiste. Lorsque dans l’émigration il eut pris connaissance du marxisme, il rompit avec le populisme, pour devenir un propagandiste éminent du marxisme.

Le groupe « Libération du Travail » fournit un effort considérable pour diffuser le marxisme en Russie. Il traduisit en langue russe plusieurs ouvrages de Marx et d’Engels : le Manifeste du Parti communisteTravail salarié et capitalSocialisme utopique et socialisme scientifique, etc., et il les fit imprimer à l’étranger, pour les diffuser secrètement en Russie. G. Plékhanov, Zassoulitch, Axelrod et les autres membres du groupe ont également écrit une série d’ouvrages où ils exposaient la doctrine de Marx et d’Engels, les idées du socialisme scientifique.

Marx et Engels, les grands éducateurs du prolétariat, ont été les premiers à expliquer, à l’opposé des socialistes utopistes, que le socialisme n’était pas une invention de rêveurs (d’utopistes), mais le résultat inévitable du développement de la société capitaliste moderne. Ils ont montré que le régime capitaliste s’effondrerait de même que s’était effondré le régime du servage ; que le capitalisme créait lui-même son fossoyeur en la personne du prolétariat.

Ils ont montré que seule la lutte de classe du prolétariat, seule la victoire du prolétariat sur la bourgeoisie affranchirait l’humanité du capitalisme, de l’exploitation.

Marx et Engels enseignaient au prolétariat à prendre conscience de ses forces, de ses intérêts de classe et à s’unir pour une lutte décisive contre la bourgeoisie.

Marx et Engels ont découvert les lois du développement de la société capitaliste et ont démontré scientifiquement que le développement de la société capitaliste et la lutte de classes au sein de cette société devaient inévitablement entraîner la chute du capitalisme, la victoire du prolétariat, la dictature du prolétariat.

Marx et Engels enseignaient qu’il est impossible de s’affranchir du pouvoir du capital et de transformer la propriété capitaliste en propriété sociale par la voie pacifique ; que la classe ouvrière ne peut y parvenir qu’en usant de la violence révolutionnaire contre la bourgeoisie, par la révolution prolétarienne, en établissant sa domination politique, la dictature du prolétariat, qui doit écraser la résistance des exploiteurs et créer une société nouvelle, la société communiste sans classes.

Marx et Engels enseignaient que le prolétariat industriel est la classe la plus révolutionnaire et, par conséquent, la classe la plus avancée de la société capitaliste ; que seule une classe comme le prolétariat peut rallier autour d’elle toutes les forces : qui sont mécontentes du capitalisme, et les mener à l’assaut du capitalisme. Mais pour vaincre le vieux monde et créer une société nouvelle, sans classes, le prolétariat doit avoir son propre parti ouvrier, que Marx et Engels appelaient parti communiste.

Diffuser les idées de Marx et d’Engels, c’est ce qu’entreprit le premier groupe marxiste russe, le groupe de Plékhanov « Libération du Travail ».

Quand le groupe « Libération du Travail » engagea la lutte pour le marxisme dans la presse russe de l’étranger, le mouvement social-démocrate n’existait pas encore en Russie. Ce qui était nécessaire avant tout, c’était de frayer la voie à ce mouvement dans le domaine théorique, dans le domaine idéologique. Et le principal obstacle idéologique à la propagation du marxisme et du mouvement social-démocrate était représenté, à l’époque, par les conceptions populistes, qui prédominaient parmi les ouvriers avancés et les intellectuels d’esprit révolutionnaire.

Avec le développement du capitalisme en Russie, la classe ouvrière devenait une force d’avant-garde imposante, capable d’une lutte révolutionnaire organisée.

Or les populistes ne comprenaient pas le rôle d’avant-garde de la classe ouvrière. Les populistes russes considéraient à tort que la principale force révolutionnaire était non pas la classe ouvrière, mais la paysannerie ; que l’on pouvait renverser le pouvoir du tsar et des propriétaires fonciers par les seules « révoltes » paysannes.

Les populistes ne connaissaient pas la classe ouvrière ; ils ne comprenaient pas que sans être alliés à la classe ouvrière et sans être dirigés par elle, les paysans ne pourraient pas à eux seuls vaincre le tsarisme et les propriétaires fonciers. Les populistes ne comprenaient pas que la classe ouvrière était la classe la plus révolutionnaire et la plus avancée de la société.

Ils avaient d’abord essayé d’entraîner les paysans à la lutte contre le gouvernement tsariste. Dans ce but, la jeunesse intellectuelle révolutionnaire, revêtue de l’habit paysan, s’en était allée dans les campagnes, « au peuple » comme on disait alors. D’où le nom de « populistes ».

Mais ils ne furent pas suivis par les paysans, que du reste ils ne connaissaient ni ne comprenaient comme il faut. La plupart des populistes furent arrêtés par la police. Les populistes résolurent alors de poursuivre la lutte contre l’autocratie tsariste par leurs seules forces, sans le peuple » ce qui aboutit à des fautes encore plus graves.

La société secrète populiste « Narodnaia Volia » [Volonté du peuple] prépara la mise à mort du tsar. Le Ier mars 1881, les narodovoltsy tuèrent d’une bombe le tsar Alexandre II. Mais cet acte ne fut d’aucune utilité pour le peuple. On ne pouvait, par l’exécution de personnes isolées, renverser l’autocratie tsariste, ni anéantir la classe des propriétaires fonciers. La place du tsar fut prise par un autre, Alexandre III, sous lequel la vie des ouvriers et des paysans devint encore plus dure.

La voie choisie par les populistes pour lutter contre le tsarisme, celle des attentats isolés, de la terreur individuelle, était fausse et nuisible à la révolution. La politique de terreur individuelle s’inspirait de la fausse théorie populiste des «  héros » actifs et de la « foule » passive, qui attend les exploits de ces « héros ».

Cette fausse théorie prétendait que seules les individualités d’élite font l’histoire, tandis que la masse, le peuple, la classe, « la foule », comme s’exprimaient dédaigneusement les écrivains populistes, est incapable d’actions conscientes, organisées ; qu’elle ne peut que suivre aveuglément les « héros ».

C’est pourquoi les populistes avaient renoncé à l’action révolutionnaire de masse au sein de la paysannerie et de la classe ouvrière et étaient passés à la terreur individuelle. Les populistes amenèrent un des plus grands révolutionnaires de l’époque, Stépan Khaltourine, à abandonner le travail d’organisation d’une Union ouvrière révolutionnaire pour se consacrer entièrement au terrorisme.

Les populistes détournaient l’attention des travailleurs de lu lutte contre la classe des oppresseurs), en exécutant — sans profit pour la révolution — des représentants isolés de cette classe. Ils entravaient le développement de l’initiative révolutionnaire et de l’activité de la classe ouvrière et de la paysannerie.

Les populistes empêchaient la classe ouvrière de comprendre le rôle dirigeant qu’elle devait jouer dans la révolution et freinaient la création d’un parti indépendant pour la classe ouvrière. Bien que l’organisation secrète des populistes eût été détruite par le gouvernement tsariste, les conceptions populistes se maintinrent longtemps encore parmi les » intellectuels d’esprit révolutionnaire.

Ce qui restait de populistes résistaient opiniâtrement à la diffusion du marxisme en Russie, empêchaient la classe ouvrière de s’organiser.

Aussi le marxisme ne put-il croître et se fortifier en Russie qu’en luttant contre le populisme. C’est le groupe « Libération du Travail » qui engagea la lutte contre les conceptions erronées des populistes ; il montra tout le tort que leur doctrine et leurs procédés de lutte causaient au mouvement ouvrier.

Dans ses écrits contre les populistes, Plékhanov a montré que leurs conceptions n’avaient rien de commun avec le socialisme scientifique, malgré le titre de socialistes qu’ils se donnaient.

Plékhanov fut le premier à faire la critique marxiste des idées erronées des populistes. Portant à leurs conceptions des coups qui frappaient juste, Plékhanov développa en même temps une brillante défense des conceptions marxistes.

Quelles étaient ces erreurs principales des populistes, auxquelles Plékhanov porta un rude coup ?

Tout d’abord, les populistes affirmaient que le capitalisme était en Russie un phénomène « accidentel », qu’il ne se développerait pas et que, partant, le prolétariat lui non plus ne grandirait ni ne se développerait dans ce pays.

En second lieu, les populistes ne regardaient pas la classe ouvrière comme la classe d’avant-garde dans la révolution. Ils rêvaient d’atteindre au socialisme sans le prolétariat. Pour eux, la principale force révolutionnaire était la paysannerie dirigée par les intellectuels, et la communauté paysanne qu’ils regardaient comme l’embryon et la base du socialisme.

Troisièmement, les populistes soutenaient un point de vue erroné et nuisible sur la marche de l’histoire humaine. Ils ne con­naissaient pas, ne comprenaient pas les lois du développement économique et politique de la société. C’étaient sous ce rapport des hommes tout à fait arriérés.

D’après eux, ce n’étaient pas les classes ni la lutte des classes qui faisaient l’histoire, mais uniquement des individualités d’élite, des «  héros », que suivent aveuglément la niasse, la « foule », le peuple, les classes.

En luttant contre les populistes et en les démasquant, Plékhanov a écrit une série d’ouvrages marxistes, qui ont servi à l’instruction et à l’éducation des marxistes de Russie, Des ouvrages de Plékhanov comme Le Socialisme et la lutte politique, Nos divergences, Étude sur le développement de la conception monistique de l’histoire, ont déblayé le terrain pour le triomphe du marxisme en Russie.

Plékhanov a donné là l’exposé des questions fondamentales du marxisme. Son Étude sur le développement de la conception monist‎ique de l’histoire, éditée en 1895, joua un rôle particulièrement important. Lénine a dit de cet ouvrage qu’il « a fait l’éducation de toute une génération de marxistes russes », (Lénine, t. XIV, p. 347, éd. russe.)

Dans ses écrits dirigés contre les populistes, Plékhanov a démontré qu’il était absurde de poser la question comme ils le faisaient : le capitalisme doit-il ou ne doit-il pas se développer en Russie ? La vérité est, disait Plékhanov en citant des faits à l’appui, que la Russie est déjà entrée dans la voie du développement capitaliste et qu’il n’est point de force qui puisse l’en faire dévier.

La tâche des révolutionnaires n’était pas de freiner le déve­loppement du capitalisme en Russie, — au reste ils n’auraient quand même pas pu le faire !

La tâche des révolutionnaires consistait à s’appuyer sur l’imposante force révolutionnaire qu’engendre le capitalisme en développement, sur la classe ouvrière ; à développer en elle la conscience de classe, à l’organiser, à l’aider dans la création de son propre parti ouvrier.

Plékhanov réfuta la seconde conception essentielle, non moins erronée, des populistes : la négation du rôle d’avant-garde du prolétariat dans la lutte révolutionnaire. Les populistes considéraient l’apparition du prolétariat en Russie comme un « malheur historique » en son genre ; ils parlaient dans leurs écrits de la «  plaie du prolétarisme ».

Plékhanov, défendant la doctrine marxiste et sa parfaite convenance à la Russie, démontrait que malgré la supériorité numérique de la paysannerie et bien que le prolétariat fût relativement peu nombreux, c’était justement sur le prolétariat, sur son accroissement que les révolutionnaires devaient fonder leur principal espoir.

Pourquoi précisément sur le prolétariat ?

Parce que le prolétariat, malgré sa faiblesse numérique actuelle, est la classe laborieuse liée à la forme la plus avancée de l’économie, à la grande production, et parce qu’il a, de ce fait, un grand avenir.

Parce que le prolétariat, en tant que classe, grandit d’année en année, se développe politiquement, se prête facilement à l’organisation par suite des conditions de travail dans la grande production, et qu’il est éminemment révolutionnaire en raison même de sa condition prolétarienne, puisque dans la révolution il n’a rien à perdre, que ses chaînes.

Il en va autrement de la paysannerie.

Cette paysannerie (formée comme elle était alors de paysans individuels. — N. de la Réd.), malgré sa force numérique, est la classe laborieuse liée à la forme la plus arriérée de l’économie, à la petite production, et de ce fait, elle n’a ni ne peut avoir un grand avenir.

La paysannerie non seulement ne grandit pas en tant que classe, mais au contraire, elle se décompose d’année en année en bourgeoisie (koulaks) et en paysannerie pauvre (prolétaires, semi-prolétaires). De plus, les paysans se prêtent plus difficilement à l’organisation par suite de leur dispersion et, en raison de leur situation de petits propriétaires, ils rejoignent moins volontiers que le prolétariat le mouvement révolutionnaire.

Les populistes prétendaient que le socialisme viendrait en Russie non par la dictature du prolétariat, mais par la communauté paysanne : c’était elle qu’ils considéraient comme l’embryon et la base du socialisme.

Mais cette communauté n’était et ne pouvait être ni la base, ni l’embryon du socialisme, puisque dans la communauté dominaient les koulaks, vrais vampires exploitant les paysans pauvres, les ouvriers agricoles et les petits paysans. La possession communale de la terre qui existait officiellement, et la redistribution de la terre à laquelle on procédait de temps à autre suivant le nombre de bouches, ne changeaient rien à la situation. Jouissaient de la terre ceux des membres de la communauté qui possédaient des bêtes de travail, du matériel agricole, des semences, c’est-à-dire les paysans aisés et les koulaks.

Les paysans sans cheval, les pauvres et, d’une façon générale, les petits paysans se voyaient obligés de livrer leur terre aux koulaks et d’aller se louer, de se faire journaliers.

La communauté paysanne était, en réalité, une forme commode pour masquer l’emprise des koulaks et, dans les mains du tsarisme, un moyen peu coûteux de contraindre les paysans à payer les impôts d’après la règle de la caution solidaire. C’est bien pourquoi le tsarisme ne touchait pas à la communauté paysanne. Aussi eût-il été ridicule de considérer cette communauté comme l’embryon ou la base du socialisme.

Plékhanov réfuta la troisième conception essentielle, non moins erronée, des populistes sur le rôle primordial, dans le développement social, des « héros », des individualités d’élite, de leurs idées, et sur le rôle infime de la masse, de la « foule », du peuple, des classes. Plékhanov accusait les populistes d’idéalisme, en montrant que la vérité n’était pas du côté de l’idéalisme, mais du côté du matérialisme de Marx et d’Engels.

Plékhanov développa et justifia le point de vue du matérialisme marxiste. En s’inspirant de cette doctrine, il démontra que le développement de la société n’est pas en fin de compte déterminé par les souhaits ou les idées des individualités d’élite, mais par le développement des conditions matérielles d’existence de la société, par le changement dans le mode de production des biens matériels nécessaires à l’existence de la société, par le changement des rapports entre les classes dans le domaine de la production des biens matériels, par la lutte des classes pour le rôle et la place à tenir dans le domaine de la production et de la répartition des biens matériels.

Ce ne sont pas les idées qui déterminent la situation économique et sociale des hommes, c’est la situation économique et sociale des hommes qui détermine leurs idées.

Des individualités d’élite peuvent être réduites à rien, si leurs idées et leurs souhaits vont à l’encontre du développement économique de la société, à l’encontre des nécessités de la classe d’avant-garde ; au contraire, des hommes d’élite peuvent véritablement devenir des personnalités marquantes, si leurs idées et leurs souhaits traduisent exactement les nécessités du développement économique de la société, les nécessités de la classe avancée.

Aux populistes affirmant que la masse est une foule, que seuls les héros font l’histoire et transforment la foule en peuple, les marxistes répondaient : Ce ne sont pas les héros qui font l’histoire, c’est l’histoire qui fait les héros ; par conséquent, ce ne sont pas les héros qui créent le peuple, c’est le peuple qui crée les héros et fait progresser l’histoire.

Les héros, les individualités d’élite, ne peuvent jouer un rôle sérieux dans la vie de la société que dans la mesure où ils savent comprendre correctement les conditions de développement de la société, comprendre comment il faut les améliorer.

Les héros, les individualités d’élite, peuvent se trouver dans la situation d’hommes ratés, ridicules et inutiles, s’ils ne savent pas comprendre correctement les conditions de développement de la société et se ruent contre les nécessités historiques de la société, en s’imaginant qu’ils sont les « faiseurs » de l’histoire. C’est précisément à celte catégorie de ratés de l’héroïsme qu’appartenaient les populistes.

Les écrits de Plékhanov, sa lutte contre les populistes compromirent sérieusement l’influence des populistes parmi les intellectuels révolutionnaires. Mais la déroute idéologique du populisme était loin d’être achevée.

Cette tâche — achever le populisme en tant qu ennemi du marxisme — était réservée à Lénine. La majorité des populistes, peu après l’écrasement du parti « Narodnaia Volia » renonça à la lutte révolutionnaire contre le gouvernement tsariste, et se mit à prêcher la réconciliation, l’entente avec ce gouvernement. Les populistes des années 80 et 90 devinrent les porte-parole des intérêts des koulaks.

Le groupe « Libération du Travail » rédigea deux projets de programme pour les social-démocrates russes (le premier en 1884 et le second en 1887). C’était là un pas très important dans le sens de la création d’un parti social-démocrate marxiste en Russie.

Mais le groupe « Libération du Travail » avait également commis des erreurs graves. Son premier projet de programme renfermait encore des vestiges de conceptions populistes, il admettait la tactique de la terreur individuelle.

En outre, Plékhanov ne se rendait pas compte que, dans le cours de la révolution, le prolétariat pouvait et devait entraîner derrière lui la paysannerie, que c’était seulement en s’alliant à la paysannerie que le prolétariat pourrait remporter la victoire sur le tsarisme.

Ensuite, Plékhanov considérait la bourgeoisie libérale comme une force capable de prêter un appui, fût-il précaire, à la révolution ; quant à la paysannerie, il n’en faisait pas état dans certains de ses écrits ; il déclarait par exemple :

« En dehors de la bourgeoisie et du prolétariat, nous ne voyons pas d’autres forces sociales sur lesquelles puissent s’appuyer, chez nous, les combinaisons d’opposition ou révolutionnaires. »

(Plékhanov, t. III, p. 119, éd. russe.)

Ces vues erronées de Plékhanov renfermaient le germe de ses futures conceptions menchéviques.

Ni le groupe « Libération du Travail », ni les cercles marxistes de ce temps n’étaient encore pratiquement liés au mouvement ouvrier. On en était encore à la période où ne faisaient qu’apparaître et s’affirmer en Russie la théorie marxiste, les idées marxistes, les principes du programme de la social-démocratie.

Durant la décade 1884-1894, la social-démocratie n’existait que sous la forme de petits groupes et cercles, qui n’étaient pas liés, ou l’étaient très peu, avec le mouvement ouvrier de masse. Tel l’enfant qui n’est pas encore né, mais qui déjà se développe dans le sein maternel, la social-démocratie traversait, comme l’écrivait Lénine, « un processus de développement utérin ».

Le groupe « Libération du Travail », indiquait Lénine, « n’avait fondé que théoriquement la social-démocratie et n’avait fait que le premier pas au-devant du mouvement ouvrier ».

C’est Lénine qui dut résoudre le problème de la fusion du marxisme avec le mouvement ouvrier en Russie, ainsi que le problème du redressement des erreurs commises par le groupe « Libération du Travail ».

3. Débuts de l’activité révolutionnaire de Lénine. L’ « Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière » à Pétersbourg.

Vladimir Ilitch Lénine [Oulianov], fondateur du bolchévisme, naquit à Simbirsk (aujourd’hui Oulianovsk) en 1870. En 1887, Lénine entre à l’Université de Kazan, mais est bientôt arrêté et exclu de l’Université pour avoir participé au mouvement révolutionnaire des étudiants.

À Kazan, Lénine avait adhéré à un cercle marxiste, organisé par Fédosséev. Installé à Samara, Lénine eut tôt fait de grouper autour de lui le premier cercle marxiste de cette ville. Dès cette époque, il étonnait tout le monde par sa connaissance du marxisme.

Fin 1893, Lénine va se fixer à Pétersbourg. Dès ses premières interventions, il produit une forte impression sur les membres des cercles marxistes de Pétersbourg. Une connaissance approfondie de Marx, l’aptitude à appliquer le marxisme à la situation économique et politique de la Russie contemporaine, une foi ardente, indestructible en la victoire de la cause ouvrière, des talents d’organisation remarquables : tout cela fit de Lénine le dirigeant reconnu des marxistes de Pétersbourg.

Lénine était très aimé des ouvriers d’avant-garde, qui fréquentaient les cercles où il enseignait :

« Nos leçons, a dit l’ouvrier Babouchkine, à propos des conférences de Lénine dans les cercles ouvriers, portaient un caractère de vif intérêt. Nous étions tous très satisfaits de ces conférences, et nous admirions constamment l’intelligence de notre conférencier. »

En 1895, Lénine groupa tous les cercles ouvriers marxistes de Pétersbourg (il y en avait déjà près de vingt) en une seule « Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière ». C’est ainsi qu’il préparait la création d’un parti ouvrier révolutionnaire marxiste.

Lénine assignait à l’ « Union de lutte » la tâche de se lier plus étroitement avec le mouvement ouvrier de masse et d’en assumer la direction politique.

De la propagande du marxisme auprès d’un petit nombre d’ouvriers avancés, groupés dans des cercles de propagande, Lénine propose de passer à l’agitation politique d’actualité parmi les grandes masses de la classe ouvrière. Ce tournant dans le sens de l’agitation de masse fut de la plus haute importance pour le développement du mouvement ouvrier en Russie.

Après 1890, l’industrie connut une période d’essor. Le nombre des ouvriers augmenta. Le mouvement ouvrier se développa. De 1895 à 1899, d’après des données incomplètes, 221.000 ouvriers au moins firent grève. Le mouvement ouvrier devenait une force sérieuse dans la vie politique du pays. La vie elle-même ve­nait confirmer les idées que défendaient les marxistes dans leur lutte contre les populistes, quant au rôle d’avant-garde de la classe ouvrière dans le mouvement révolutionnaire.

Dirigée par Lénine, l’ « Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière » rattachait la lutte des ouvriers pour les revendications économiques, — amélioration des conditions de travail, réduction de la journée de travail, augmentation des salaires, — à la lutte politique contre le tsarisme. L’ « Union de lutte » faisait l’éducation politique des ouvriers.

Sous la direction de Lénine, l’ « Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière » de Pétersbourg fut la première à réaliser en Russie la fusion du socialisme avec le mouvement ouvrier. Lorsque dans une fabrique une grève éclatait, l’ « Union de lutte », qui connaissait parfaitement la situation dans les entreprises par les membres de ses cercles, réagissait immédiatement en publiant des tracts, des proclamations socialistes.

Ces tracts dénonçaient l’oppression dont les ouvriers étaient victimes de la part des fabricants ; ils expliquaient comment les ouvriers devaient lutter pour la défense de leurs intérêts et ils exposaient les revendications ouvrières.

Les tracts proclamaient toute la vérité sur les plaies du capitalisme, sur la vie misérable des ouvriers, sur leur accablante journée de 12 à l4 heures, sur leur situation de parias. On y trouvait également les revendications politiques appropriées. Fin 1894, Lénine écrivit, avec le concours de l’ouvrier Babouchkine, le premier de ces tracts d’agitation avec un appel aux ouvriers grévistes de l’usine Sémiannikov, à Pétersbourg.

À l’automne 1895, Lénine adressa un tract aux ouvriers et ouvrières en grève de la fabrique Thornton. Celle-ci appartenait à des patrons anglais, dont les bénéfices se chiffraient par millions. La journée de travail comportait plus de 14 heures, et les tisseurs gagnaient environ 7 roubles par mois.

La grève se termina par la victoire des ouvriers. En peu de temps, l’ « Union de lutte » avait édité des dizaines de ces appels adressés aux ouvriers des diverses fabriques. Chacun de ces tracts élevait puissamment le moral des ouvriers. Ils se rendaient compte qu’ils étaient aidés, défendus par les socialistes.

En été 1896, une grève de 30.000 ouvriers textiles se déroula à Pétersbourg, sous la direction de l’ « Union de lutte ». La revendication principale était la réduction de la journée de travail.

C’est sous la poussée de cette grève que le gouvernement tsariste se trouva obligé de promulguer la loi du 2 juin 1897, qui limitait la journée de travail à 11 heures et demie. Avant cette loi, il n’y avait point, d’une façon générale, de limites à la journée de travail.

En décembre 1895, Lénine est arrêté par le gouvernement tsariste. Même en prison, il continue le combat révolutionnaire. Il aide l’ « Union de lutte » de ses conseils et de ses indications, il envoie de la prison brochures et tracts.

C’est alors qu’il écrit la brochure À propos des grèves et le tract Au gouvernement tsariste, dans lequel il dénonce le féroce arbitraire de ce gouvernement. C’est en prison que Lénine rédige encore le projet de programme du Parti (il l’écrivit avec du lait, entre les lignes d’un livre de médecine).

L’ « Union de lutte » de Pétersbourg a puissamment aidé à rassembler les cercles ouvriers en des unions analogues dans les autres villes et régions de Russie. Vers le milieu des années 90, des organisations marxistes apparaissent en Transcaucasie. En 1894 se constitue l’ « Union ouvrière » de Moscou. À la fin des années 90 est organisée l’ « Union social-démocrate » de Sibérie.

Dans les années 90 apparaissent à Ivanovo-Voznessensk, Iaroslavl, Kostroma, des groupes marxistes qui, plus tard, formeront l’ « Union du nord du Parti social-démocrate ». À partir de 1895, des groupes et unions social-démocrates sont organisés à Rostov-sur-Don, Iékatérinoslav, Kiev, Nikolaev, Toula, Samara, Kazan, Orékhovo-Zouévo et autres villes.

L’ « Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière » de Pétersbourg avait ceci d’important qu’elle représentait, selon le mot de Lénine, le premier sérieux embryon d’un parti révolutionnaire s’appuyant sur le mouvement ouvrier.

C’est de l’expérience révolutionnaire de l’ « Union de lutte » de Pétersbourg que Lénine s’inspira en travaillant plus tard à la création du parti social-démocrate marxiste de Russie.

Après l’arrestation de Lénine et de ses proches compagnons d’armes, il y eut un notable changement dans la direction de l’ « Union de lutte » de Pétersbourg.

Des hommes nouveaux étaient apparus, qui se donnaient le nom de « jeunes », alors qu’ils qualifiaient de « vieux » Lénine et ses compagnons d’armes. Les « jeunes » se mirent à suivre une ligne politique erronée. Ils disaient qu’il ne fallait appeler les ouvriers qu’à la lutte économique contre les patrons ; quant à la lutte politique, c’était l’affaire de la bourgeoisie libérale ; à elle d’en assumer la direction.

On donna à ces hommes le nom d’ « économistes ».

C’était, dans les rangs des organisations marxistes de Russie, le premier groupe de conciliateurs, d’opportunistes.

4. Lutte de Lénine contre le populisme et le « marxisme légal ». L’idée de Lénine sur l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie. Ier congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie.

Bien que Plékhanov eût porté, dès 1880-1890, un rude coup au système des conceptions populistes, celles-ci ralliaient encore, après 1890, les sympathies d’une partie de la jeunesse révolutionnaire.

Il y en avait, parmi les jeunes, qui continuaient à penser que la Russie pouvait éviter la voie du développement capitaliste, que le rôle principal dans la révolution appartiendrait à la paysannerie, et non la classe ouvrière.

Ce qui restait de populistes s’efforçaient par tous les moyens d’empêcher la diffusion du marxisme en Russie ; ils engagèrent la lutte contre les marxistes, qu’ils cherchèrent à noircir de toutes les manières. Il importait donc de démolir à fond le populisme, sur le terrain idéologique, pour assurer la diffusion continue du marxisme te la possibilité de créer un parti social-démocrate.

Cette tâche, ce fut Lénine qui s’en acquitta.

Dans son ouvrage Ce que sont les « amis du peuple » et comment ils luttent contre les social-démocrates(1894), Lénine a arraché le masque des populistes, ces faux « amis du peuple » qui, en fait, marchaient contre le peuple.

Les populistes de 1890-1900 avaient, à la vérité, abandonné depuis longtemps toute lutte révolutionnaire contre le gouvernement tsariste. Les populistes libéraux prêchaient la réconciliation avec le gouvernement tsariste. « Ils pensent tout simplement, écrivait Lénine en parlant des populistes de ce temps, que ce gouvernement, si on le lui demande bien et assez gentiment, pourra tout arranger pour le mieux. » (Lénine, t. I, p. 161, éd. Russe.)

Les populistes de 1890-1900 fermaient les yeux sur la situation des paysans pauvres, sur la lutte de classe au village, où les paysans pauvres étaient pressurés par les koulaks ; ils exaltaient les progrès des exploitations koulaks. En réalité, ils s’affirmaient comme les porte-parole des intérêts des koulaks.

En même temps, dans leurs revues, ils faisaient campagne contre les marxistes. En déformant et en altérant à dessein les conceptions des marxistes russes, ils prétendaient que les marxistes voulaient ruiner la campagne, qu’ils voulaient « faire passer chaque moujik par la fournaise de l’usine ».

Lénine, dénonçant cette tendancieuse critique populiste, montra qu’il ne s’agissait point des « désirs » des marxistes, mais de la marche réelle du développement du capitalisme en Russie, qui faisait que le prolétariat, inévitablement, croissait en nombre. Or le prolétariat serait le fossoyeur de l’ordre capitaliste.

Lénine montra que les vrais amis du peuple, ceux qui désirent supprimer l’oppression des capitalistes et des grands propriétaires fonciers, supprimer le tsarisme, n’étaient pas les populistes, mais les marxistes.

Dans son ouvrage Ce que sont les « amis du peuple », il formula pour la première fois l’idée de l’alliance révolutionnaire des ouvriers et des paysans, principal moyen de renverser le tsarisme, les propriétaires fonciers, la bourgeoisie.

Dans plusieurs ouvrages de cette période, Lénine a aussi critiqué les moyens de lutte politique qui étaient ceux du principal groupe populiste – des narodovoltsy [membres de la « Narodnala Volia »], – et plus tard, des continuateurs des populistes, les socialistes-révolutionnaires ; il critiqua surtout la tactique de la terreur individuelle.

Lénine considérait cette tactique comme nuisible au mouvement révolutionnaire, puisqu’elle substituait à la lutte des masses la lutte de héros isolés. Elle révélait le manque de foi dans le mouvement révolutionnaire populaire.

Dans son ouvrage Ce que sont les « amis du peuple », Lénine traçait les objectifs fondamentaux des marxistes russes. Selon Lénine, les marxistes russes devaient, en premier lieu, organiser un parti ouvrier socialiste unique avec les cercles marxistes dispersés.

Lénine indiquait ensuite que c’était la classe ouvrière de Russie qui, en alliance avec la paysannerie, renverserait l’autocratie tsariste ; après quoi, le prolétariat russe, allié aux masses laborieuses et exploitées, prendrait aux côtés du prolétariat des autres pays la voie directe de la lutte politique ouverte, vers la victoire de la révolution communiste.

Voilà comment il y a plus de quarante ans, Lénine a montré de façon juste le chemin que devait suivre la lutte de la classe ouvrière, défini son rôle de force révolutionnaire d’avant-garde dans la société et défini le rôle de la paysannerie en tant qu’alliée de la classe ouvrière.

Dès 1890-1900, la lutte de Lénine et de ses partisans contre le populisme aboutit à la déroute idéologique, définitive, de ce dernier.

Une haute importance s’attache également à la lutte de Lénine contre le « marxisme légal ». Comme il arrive toujours dans l’histoire, des « compagnons de route » s’accrochent pour un temps aux grands mouvements sociaux.

Parmi ces « compagnons de route », il y eut aussi ceux qu’on appela les « marxistes légaux ». Quand le marxisme eut pris un large développement en Russie, les intellectuels bourgeois commencèrent à s’affubler de l’habit marxiste. Ils faisaient imprimer leurs articles dans les revues et journaux légaux, c’est-à-dire autorisés par le gouvernement tsariste. D’où le nom de « marxistes légaux ».

Ils luttaient à leur manière contre le populisme. Mais cette lutte, ainsi que le drapeau du marxisme, ils cherchaient à les utiliser pour subordonner et adapter le mouvement ouvrier aux intérêts de la société bourgeoise, aux intérêts de la bourgeoisie.

De la doctrine de Marx, ils rejetaient l’essentiel : la doctrine de la révolution prolétarienne, de la dictature du prolétariat. Piotr Strouvé, le plus en vue des marxistes légaux, exaltait la bourgeoisie et, au lieu d’exhorter à la lutte révolutionnaire contre le capitalisme, il appelait « à avouer notre manque de culture et à nous mettre à l’école du capitalisme ».

Dans la lutte contre les populistes, Lénine admettait des ententes provisoires avec les « marxistes légaux », afin de les utiliser contre les populistes, par exemple, pour la publication en commun d’un recueil dirigé contre eux. Mais en même temps Lénine faisait une critique sévère des « marxistes légaux », dont il dénonçait le fond de libéralisme bourgeois.

Beaucoup de ces « compagnons de route » deviendront par la suite des cadets (principal parti de la bourgeoisie russe) et, pendant la guerre civile, de parfaits gardes blancs.

Parallèlement aux « Unions de lutte » de Pétersbourg, Moscou, Kiev, etc., des organisations social-démocrates se forment aussi dans les régions périphériques nationales dans l’ouest de la Russie.

Après 1890, les éléments marxistes se retirent du parlement nationaliste polonais pour former la « Social-démocratie de Pologne et de Lituanie ».

Vers 1900 se constituent les organisations de la social-démocratie lettone. En octobre 1897, dans les provinces occidentales de Russie, se crée le Bund, Union générale social-démocrate juive.

En 1898, plusieurs « Unions de lutte », – celles de Pétersbourg ; Moscou, Kiev, Iékatérinoslav, – ainsi que le Bund, font une première tentative pour se grouper en un parti social-démocrate. À cet effet ils réunissent à Minsk, en mars 1898, le Ier congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR).

Le Ier congrès du POSDR ne rassembla que 9 délégués. Lénine n’avait pu y assister, étant à l’époque déporté en Sibérie. Le Comité central du Parti, élu au congrès, fut bientôt arrêté.

Le Manifeste lancé au nom du congrès laissait encore à désirer sur bien des points. Il restait muet sur la nécessité, pour le prolétariat, de conquérir le pouvoir politique ; il ne disait rien de l’hégémonie du prolétariat, il restait également mué sur les alliés du prolétariat dans sa lutte contre le tsarisme te la bourgeoisie.

Dans ses décisions et dans son Manifeste, le congrès proclamait la création du Parti ouvrier social-démocrate de Russie.

C’est dans cet acte formel, destiné à jouer un grand rôle au point de vue de la propagande révolutionnaire, que réside l’importance du Ier congrès du POSDR.

Toutefois, malgré la réunion de ce Ier congrès, le Parti social-démocrate marxiste n’était pas encore effectivement crée en Russie. Le congrès n’avait pu grouper les cercles et organisations marxistes, ni les rattacher par des liens d’organisation. Il n’y avait pas encore de ligne unique dans le travail des organisations locales, ni programme, ni statuts du parti ; il n’y avait pas de direction émanant d’un centre unique.

Pour ces raisons et bien d’autres encore, le désarroi idéologique s’était accru dans les organisations locales ; et c’est ce qui créa des conditions favorables au renforcement d’un courant opportuniste, l’ « économisme », au sein du mouvement ouvrier.

Il fallut plusieurs années de travail intense de Lénine et du journal Iskra [l’Étincelle] fondée par lui, pour surmonter le désarroi, vaincre les flottements opportunistes et préparer la formation du Parti ouvrier social-démocrate de Russie.

5. Lutte de Lénine contre l’ « économisme ». Lénine fonde le journal Iskra.

 Lénine n’avait pu assister au Ier congrès du POSDR. Il se trouvait alors en Sibérie, déporté dans le village de Chouchenskoïé, où le gouvernement tsariste l’avait relégué après l’avoir longtemps gardé en prison à Pétersbourg pour l’affaire de l’ « Union de lutte ».

Mais, même en exil, Lénine continuait son activité révolutionnaire. C’est là qu’il termina son grand ouvrage scientifique Le développement du capitalisme en Russie, livre qui acheva la déroute idéologique du populisme.

C’est là aussi qu’il écrivit sa brochure fameuse Les tâches des social-démocrates russes.

Bien qu’isolé de l’action révolutionnaire pratique et directe, Lénine avait su conserver certaines relations avec les militants ; du lieu de déportation où il se trouvait, il entretenait une correspondance avec eux, leur demandait des renseignements, leur prodiguait des conseils.

Ce qui préoccupait surtout Lénine à cette époque, c’était la question des « économistes ». Il comprenait mieux que tout autre que l’ « économisme » était le noyau central de la politique de conciliation, de l’opportunisme ; que la victoire de l’ « économisme » dans le mouvement ouvrier signifierait la ruine du mouvement révolutionnaire du prolétariat, la défaite du marxisme.

Et Lénine attaqua les « économistes » dès leur apparition.

Les « économistes » prétendaient que les ouvriers devaient mener uniquement la lutte économique ; quant à la lutte politique, il fallait en laisser le soin à la bourgeoisie libérale, que les ouvriers devaient soutenir. Lénine considérait cette propagande des « économistes » comme un reniement du marxisme, une négation de la nécessité, pour la classe ouvrière, d’avoir un parti politique indépendant, une tentative de transformer la classe ouvrière en un appendice politique de la bourgeoisie.

En 1899, un groupe d’ « économistes » (Prokopovitch, Kouskova et autres, passés plus tard aux cadets) lancèrent un manifeste dans lequel ils affirmaient contre le marxisme révolutionnaire et exigeaient que l’on renonçât à la création d’un parti politique prolétarien indépendant, que l’on renonçât aux revendications politiques indépendantes formulées par la classe ouvrière.

Les « économistes » estimaient que la lutte politique était l’affaire de la bourgeoisie libérale, pour ce qui est des ouvriers, c’était bien assez qu’ils mènent a lute économique contre les patrons.

Quand il eut pris connaissance de ce document opportuniste, Lénine convoqua une conférence des déportés marxistes qui se trouvaient dans le voisinage ; et 17 camarades, Lénine en tête, formulèrent une protestation – réquisitoire contre le point de vue de « économistes ».

Cette protestation, rédigée par Lénine, fut diffusée dans les organisations marxistes, par toute la Russie ; elle eut une importance énorme pour le développement de la pensée marxiste et du parti marxiste en ce pays.

Les « économistes » russes prêchaient les mêmes idées que les adversaires du marxisme dans les partis social-démocrates de l’étranger, ceux que l’on appelait les bernsteiniens, c’est-à-dire les partisans de l’opportuniste Bernstein.

Ainsi la lutte de Lénine contre les « économistes » était-elle en même temps une lutte contre l’opportunisme international.

Ce fut principalement le journal illégal Iskra, fondé par Lénine, qui mena la lutte contre l’ « économisme », pour la création d’un parti politique prolétarien indépendant.

Au début de 1900, Lénine et les autres membres de l’ « Union de lutte » rentraient en Russie, retour de leur déportation en Sibérie. Lénine avait conçu le projet de fonder un grand journal marxiste illégal pour toute la Russie. Les nombreux petits cercles et organisations marxistes qui existaient déjà en Russie, n’étaient pas encore liés entre eux.

Au moment où, selon l’expression du camarade Staline, « le travail à la mode artisanale et par cercles isolés rongeait le Parti du haut en bas ; où le désarroi idéologique était le trait caractéristique de la vie intérieure du Parti », la création d’un journal illégal pour toute la Russie apparaissait aux marxistes révolutionnaires russes comme une tâche essentielle.

Seul ce journal pouvait lier entre elles les organisations marxistes disséminées, et préparer la création d’un parti véritable.

Mais il était impossible d’organiser un pareil journal dans la Russie tsariste, à cause des persécutions policières.

Au bout d’un ou deux mois, le journal aurait été repéré par les limiers du tsar et mis à sac.

Aussi Lénine avait-il décidé de l’éditer à l’étranger. Imprimé sur un papier très fin et très solide, le journal était secrètement introduit en Russie. Tels numéros de l’Iskra étaient réimprimés dans des typographies clandestines à Bakou, à Kichinev, en Sibérie.

À l’automne 1900, Vladimir Ilitch Lénine se rendit à l’étranger pour s’y entendre avec les camarades du groupe « Libération du Travail » au sujet de l’édition d’un journal politique pour toute la Russie.

Cette idée, Lénine l’avait mûrie dans tous ses détails, en exil. Alors qu’il rentrait de Sibérie, il avait organisé une série de conférences à Oufa, Pskov, Moscou, Pétersbourg.

Il s’était entendu partout avec les camarades au sujet d’un code chiffré pour la correspondance secrète, au sujet des adresses pour l’envoi de la littérature du parti, etc., et partout il avait discuté le plan de la lutte à venir.

Le gouvernement tsariste se rendait compte qu’il avait en Lénine un ennemi extrêmement dangereux.

Le gendarme Zoubatov, agent de l’Okhrana tsariste [Police politique secrète en Russie tsariste.

Crée pour lutter contre le mouvement révolutionnaire. (N. des Trad.)], a écrit dans sa correspondance secrète : « Aujourd’hui, il n’y a pas plus grand qu’Oulianov [Lénine] dans la révolution. » Aussi estimait-il opportun d’organiser l’assassinat de Lénine.

Une fois à l’étranger, Lénine s’entendit avec le groupe « Libération du Travail », c’est-à-dire avec Plékhanov, Axelrod et V. Zassoulitch, sur la publication en commun de l’Iskra. Le plan d’édition fut établi d’un bout à l’autre par Lénine.

En décembre 1900, paraissait à l’étranger le premier numéro du journal Iskra [l’Étincelle].

Sous le titre du journal, on lisait cette épigraphe : « De l’étincelle jaillira la flamme », – emprunt à la réponse des décembristes [Révolutionnaires issus de la noblesse qui, en décembre 1825, se dressèrent contre l’autocratie et le servage. (N. des Trad.)] au poète Pouchkine, qui leur avait adressé un message de salutations en Sibérie où ils étaient déportés.

Plus tard, en effet, de l’Iskra allumée par Lénine, a jailli la flamme du grand incendie révolutionnaire qui a réduit en cendres la monarchie tsariste des nobles et des grands propriétaires fonciers, ainsi que le pouvoir de la bourgeoisie.

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Introduction du précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Le Parti communiste (bolchévik) de l’URSS a parcouru une longue et glorieuse carrière, depuis les cercles et groupes marxistes du début, apparus en Russie dans les années 80 du siècle dernier, jusqu’au grand Parti bolchévik, qui dirige de nos jours le premier État socialiste du monde, l’État des ouvriers et des paysans.

Le Parti communiste de l’URSS est né – sur la base du mouvement-ouvrier de la Russie d’avant la Révolution – des cercles et groupes marxistes qui s’étaient liés avec le mouvement ouvrier auquel ils apportaient une conscience socialistes.

Le Parti communiste de l’URSS s’est inspiré et s’inspire de la doctrine révolutionnaire marxiste-léniniste. Ses chefs ont développé plus avant, dans les conditions propres à l’époque de l’impérialisme, des guerres impérialistes et des révolutions prolétariennes, la doctrine de Marx et d’Engels ; ils l’ont portée à un degré supérieur.

Le Parti communiste de l’URSS a grandi et s’est fortifié dans une lutte de principe contre les partis petits-bourgeois au sein du mouvement ouvrier : contre les socialistes-révolutionnaires (et antérieurement, contre leurs prédécesseurs, les populistes), les menchéviks, les anarchistes, les nationalistes bourgeois de toutes nuances et, à l’intérieur du Parti, contre les courants menchéviks opportunistes : les trotskistes, les boukhariniens, les fauteurs de déviations nationalistes et autres groupes antiléninistes.

Le Parti communiste de l’URSS s’est fortifié et aguerri dans la lutte révolutionnaire contre tous les ennemis de la classe ouvrière, contre tous les ennemis des travailleurs, les grands propriétaires fonciers, les capitalistes, les koulaks, les saboteurs, les espions, contre tous les mercenaires des États capitalistes qui encerclent l’Union soviétique.

L’histoire du Parti communiste de l’URSS est l’histoire de trois révolutions : révolution démocratique bourgeoise de 1905, révolution démocratique bourgeoise de février 1917 et révolution socialiste d’octobre 1917.

L’histoire du Parti communiste de l’URSS est l’histoire du renversement du tsarisme, celle du renversement du pouvoir des propriétaires fonciers et des capitalistes, celle de l’écrasement de l’intervention armée de l’étranger pendant la guerre civile, celle de la construction de l’État soviétique et de la société socialiste dans notre pays.

L’étude de l’histoire du Parti communiste de l’URSS nous enrichit de toute l’expérience de la lutte soutenue par les ouvriers et les paysans de notre pays pour le socialisme.

L’étude de l’histoire du Parti communiste de l’URSS, l’étude de l’histoire de la lutte de notre Parti contre tous les ennemis du marxisme-léninisme, contre tous les ennemis des travailleurs, nous aide à assimiler le bolchévisme ; elle élève notre vigilance politique.

L’étude de l’histoire héroïque du Parti bolchévik nous donne pour arme la connaissance des lois du développement social et de la lutte politique, la connaissance des forces motrices de la révolution. L’étude de l’histoire du Parti communiste de l’URSS affermit en nous la certitude de la victoire définitive de la grande cause qui est celle du Parti de Lénine et de Staline, la certitude de la victoire du communisme dans le monde entier.

Ce livre expose sommairement l’histoire du Parti communiste (bolchévik) de l’URSS.

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Résumés des chapitres du précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Chaque chapitre se conclut à l’origine par un résumé. Les voici.

Résumé du chapitre 1.

Le Parti ouvrier social-démocrate marxiste de Russie s’est formé dans la lutte d’abord contre le populisme, contre ses conceptions erronées et nuisibles à la cause de la révolution.

C’est seulement quand les populistes eurent été battus dans le domaine idéologique, qu’il fut possible de déblayer le terrain pour la création d’un parti ouvrier marxiste de Russie. En 1880-1890, Plékhanov et son groupe « Libération du Travail » avaient porté un coup décisif au populisme.

En 1890-1900, Lénine achève la mise en déroute idéologique du populisme ; il lui donne le coup de grâce.

Le groupe « Libération du Travail », fondé en 1883, réalisa un travail important pour diffuser le marxisme en Russie ; il donna une base théorique à la social-démocratie et fit le premier pas au-devant du mouvement ouvrier.

Avec le développement du capitalisme en Russie, les effectifs du prolétariat industriel sont en progression rapide. Vers 1885, la classe ouvrière s’engage dans la voie d’une lutte organisée, dans la voie d’une action de masse sous forme de grèves organisées.

Mais les cercles et groupes marxistes ne s’occupaient que de propagande ; ils ne comprenaient pas la nécessité de passer à l’agitation de masse dans la classe ouvrière. C’est ce qui fait qu’ils n’étaient pas encore pratiquement liés au mouvement ouvrier, qu’ils ne dirigeaient pas.

La fondation par Lénine de l’ « Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière » à Pétersbourg (1895), Union qui déploya une agitation de masse parmi les ouvriers et dirigea les grèves de masse, marqua une nouvelle étape, le passage à l’agitation de masse parmi les ouvriers et la fusion du marxisme avec le mouvement ouvrier.

L’ « Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière » à Pétersbourg fut le premier embryon du parti prolétarien révolutionnaire de Russie. À la suite de l’ « Union de lutte » de Pétersbourg, des organisations marxistes furent crées dans tous les principaux centres industriels, de même qu’à la périphérie du pays.

En 1898, le Ier congrès du POSDR se réunit, première tentative, du reste infructueuse, pour grouper les organisations social-démocrates marxistes au sein d’un parti. Mais ce congrès ne fonda pas encore le parti : il n’y avait ni programme, ni statuts du parti, ni direction émanant d’un centre unique ; il n’y avait presque aucune liaison entre les différents cercles et groupes marxistes.

C’est pour grouper et lier entre elles, au sein d’un seul parti, les organisations marxistes disséminées, que Lénine établit et réalisa le plan de fondation du premier journal des marxistes révolutionnaires pour toute la Russie, l’Iskra.

Dans cette période, les « économistes » étaient les principaux adversaires de la création d’un parti politique ouvrier unique. Ils niaient la nécessité d’un tel parti. Ils entretenaient la dispersion des différents groupes et leurs habitudes de travailler à la mode artisanale. C’est contre les « économistes » que Lénine et l’Iskra fondée par lui dirigèrent leurs coups.

La publication des premiers numéros de l’Iskra (1900-1901) marqua la transition à une période nouvelle, à la période de formation effective avec les groupes et cercles dispersés, du Parti ouvrier social-démocrate unique de Russie.

Résumé du chapitre 2.

Pendant la période de 1901 à 1904, à la faveur de l’essor du mouvement ouvrier révolutionnaire, on voit grandir et se renforcer les organisations social-démocrates marxistes de Russie. Dans une opiniâtre lutte de principe contre les « économistes », la ligne révolutionnaire de l’Iskra de Lénine triomphe ; la confusion idéologique et le « travail à la mode artisanale » sont vaincus.

L’Iskra relie entre eux les cercles et groupes social-démocrates dispersés et prépare le IIe congrès du Parti. À ce congrès, en 1903, se forme le Parti ouvrier social-démocrate de Russie ; on en adopte le programme et les statuts, on forme les organismes centraux dirigeants du Parti.

Dans la lutte qui se déroule au IIe congrès pour la victoire définitive de l’orientations iskriste à l’intérieur du POSDR, deux groupes font leur apparition : celui des bolchéviks et celui des menchéviks.

Les divergences essentielles entre bolchéviks et menchéviks à la suite du IIe congrès s’enveniment autour des questions d’organisation.

Les menchéviks se rapprochent des « économistes » et prennent la place de ceux-ci dans le Parti. L’opportunisme des menchéviks se manifeste, pour l’instant, dans les questions d’organisation. Les menchéviks sont contre le Parti révolutionnaire de combat du type léniniste. Ils sont pour un Parti aux contours vagues, pour un parti inorganisé, suiviste. Ils appliquent une ligne de scission dans le Parti. Secondés par Plékhanov, ils s’emparent de l’Iskra et du Comité central ; ils utilisent ces centres à des fins de scission.

Devant la menace de scission émanant des menchéviks, les bolchéviks prennent des mesures pour mettre au pas les scissionnistes ; ils mobilisent les organisations locales pour la convocation du IIIe congrès, et éditent leur journal V périod.

C’est ainsi qu’à la veille de la première révolution russe, à un moment où a déjà commencé la guerre russo-japonaise, les bolchéviks et les menchéviks s’affirment comme des groupes politiques distincts.

Résumé du chapitre 3.

La première révolution russe marque toute une période historique dans le développement de notre pays.

Cette période historique comporte deux phases : la première, quand la révolution s’élève de la grève politique générale d’octobre à l’insurrection armée de décembre, en mettant à profit la faiblesse du tsar qui essuyait des défaites sur les champs de bataille de Mandchourie, en balayant la Douma de Boulyguine et en arrachant au tsar concession sur concession ; la seconde phase, quand le tsar, ayant rétabli sa situation après la signature de la paix avec le Japon, exploite la peur de la bourgeoisie libérale devant la révolution, exploite les hésitations de la paysannerie, leur jette comme une aumône la Douma de Witle et passe à l’offensive contre la classe ouvrière, contre la révolution.

En quelque trois années de révolution (1905-1907), la classe ouvrière et la paysannerie acquièrent une riche éducation politique que n’auraient pu leur donner trente années de développement pacifique ordinaire. Quelques années de révolution avaient rendu évidentes des choses que n’auraient pas suffi à rendre évidentes des dizaines d’années de développement pacifique.

La révolution montra que le tsarisme était l’ennemi juré du peuple, qu’il était ce renard dont on dit qu’il mourra dans sa peau. La révolution montra que la bourgeoisie libérale recherchait une alliance non pas avec le peuple, mais avec le tsar ; qu’elle était une force contre-révolutionnaire et qu’une entente avec elle équivalait à trahir le peuple.

La révolution montra que seule la classe ouvrière peut être le chef de la révolution démocratique bourgeoise ; qu’elle seule est capable de refouler la bourgeoisie cadette libérale, de soustraire à son influence la paysannerie, d’anéantir les propriétaires fonciers, de mener la révolution jusqu’au bout et de déblayer le chemin pour le socialisme. La révolution, montra enfin que la paysannerie travailleuse, en dépit de ses hésitations, n’en est pas moins l’unique force sérieuse qui soit capable d’accepter une alliance avec la classe ouvrière.

Deux lignes se sont affrontées dans le P.O.S.D.R. pendant la révolution : la ligne bolchévique et la ligne menchévique.

Les bolchéviks visaient à développer la révolution, à renverser le tsarisme par l’insurrection armée, à réaliser l’hégémonie de la classe ouvrière, à isoler la bourgeoisie cadette, à établir l’alliance avec la paysannerie, à créer un gouvernement révolutionnaire provisoire composé des représentants des ouvriers et des paysans, à mener la révolution jusqu’à la victoire finale. Les menchéviks, au contraire, visaient à contenir la révolution.

Au lieu du renversement du tsarisme par l’insurrection, ils en proposaient la réforme et l’ « amélioration » ; au lieu de l’hégémonie du prolétariat, l’hégémonie de la bourgeoisie libérale ; au Heu d’une alliance avec la paysannerie, l’alliance avec la bourgeoisie cadette ; au lieu d’un gouvernement révolutionnaire provisoire, la Douma d’État comme centre des « forces révolutionnaires » du pays.

C’est ainsi que les menchéviks ont roulé dans le marais de la conciliation et sont devenus les porte-parole de l’influence bourgeoise dans la classe ouvrière ; ils sont devenus, en fait, les agents de la bourgeoisie dans la classe ouvrière. Les bolchéviks se trouvèrent constituer l’unique force marxiste révolutionnaire dans le Parti et dans le pays.

On conçoit qu’après d’aussi graves divergences, le P.O.S.D.R. se soit trouvé pratiquement scindé en deux partis : le Parti bolchévik et le parti menchévik. Le IVe congrès du Parti ne changea rien à la situation de fait qui régnait à l’intérieur du Parti. Il ne put que maintenir et consolider un peu l’unité formelle du Parti. Le Ve congrès fit un pas en avant vers l’unification effective du Parti, et cette unification se réalisa sous le drapeau du bolchévisme.

En dressant le bilan du mouvement révolutionnaire, le Ve congrès du Parti condamna la ligne menchévique comme une ligne de conciliation, et approuva la ligne bolchévique comme la ligne marxiste révolutionnaire. Ce faisant, il confirmait une fois de plus ce qui avait été déjà confirmé dans le cours de la première révolution russe.

La révolution a montré que les bolchéviks savent prendre l’offensive quand la situation le commande ; qu’ils ont appris à marcher aux premiers rangs et à conduire derrière eux le peuple à l’assaut. Mais la révolution a montré, en outre, que les bolchéviks savent aussi se replier en bon ordre, quand la situation devient défavorable, quand la révolution décroît ; que les bolchéviks ont appris à reculer dans les règles, sans panique ni précipitation, afin de conserver les cadres, de rassembler leurs forces et, après avoir reformé leurs rangs en tenant compte de la nouvelle situation, de reprendre l’offensive.

On ne peut vaincre l’ennemi sans savoir bien conduire l’offensive. On ne peut éviter la débâcle en cas de défaite, si l’on ne sait se replier dans les règles, se replier sans panique et en bon ordre.

Résumé du chapitre 4.

Les années 1908-1912 furent une période très difficile pour l’action révolutionnaire.

Après la défaite de la révolution, au moment où le mouvement révolutionnaire déclinait et où les masses étaient en proie à la lassitude, les bolchéviks changèrent de tactique en passant de la lutte directe contre le tsarisme, aux, voies détournées. C’est ainsi que dans les conditions pénibles de la réaction stolypinienne, ils exploitèrent les moindres possibilités légales pour maintenir la liaison avec les masses (depuis les caisses d’assurance et les syndicats jusqu’à la tribune de la Douma).

Inlassablement, les bolchéviks travaillaient à rassembler les forces en vue d’un nouvel essor du mouvement révolutionnaire.

Dans les dures conditions créées par la défaite de la révolution, la désagrégation des courants d’opposition, la déception à l’égard de la révolution et le renforcement des attaques révisionnistes des intellectuels détachés du Parti (Bogdanov, Bazarov et autres) contre les fondements théoriques du Parti, les bolchéviks furent l’unique force, les seuls à ne pas baisser le drapeau du Parti, à rester fidèles au programme et à repousser les attaques des « critiques » de la théorie marxiste (ouvrage de Lénine Matérialisme et empiriocriticisme). 

La trempe idéologique marxiste-léniniste, la compréhension des perspectives de la révolution, aidèrent le noyau fondamental des bolchéviks groupés autour de Lénine à sauvegarder le Parti et ses principes révolutionnaires. « Ce n’est pas sans raison qu’on a dit de nous : fermes comme le roc  », disait Lénine en parlant des bolchéviks.

Les menchéviks, à cette époque, abandonnent de plus en plus la révolution. Ils deviennent des liquidateurs ; ils exigent que le Parti révolutionnaire illégal du prolétariat soit liquidé, supprimé ; ils répudient de plus en plus ouvertement le programme du Parti, ses objectifs et ses mots d’ordre révolutionnaires. Ils tentent d’organiser un parti à eux, un parti réformiste, que les ouvriers baptisent du nom de « parti ouvrier de Stolypine ». Trotski soutient les liquidateurs, en se retranchant pharisaïquement derrière le mot d’ordre d’ « unité du parti », qui signifie en réalité unité avec les liquidateurs.

D’autre part, certains bolchéviks, qui n’ont pas compris la nécessité d’emprunter de nouvelles voies, des voies détournées, pour lutter contre le tsarisme, demandent que l’on renonce à utiliser les possibilités légales, que l’on rappelle les députes ouvriers de la Douma d’État. Les otzovistes poussent le Parti à se détacher des masses ; ils gênent le rassemblement des forces en vue d’un nouvel essor révolutionnaire. Sous le couvert d’une phraséologie gauchiste, les otzovistes, de même que les liquidateurs, renoncent en fait à la lutte révolutionnaire.

Les liquidateurs et les otzovistes constituent contre Lénine un bloc, dit bloc d’Août, organisé par Trotski. Dans la lutte contre les liquidateurs et les otzovistes, dans la lutte contre le bloc d’Août, les bolchéviks prennent le dessus et sauvent le Parti prolétarien illégal.

L’événement capital de cette période est la conférence du P.O.S.D.R. tenue à Prague en janvier 1912. Cette conférence chasse les menchéviks du Parti ; on en finit pour toujours avec l’unité officielle des bolchéviks et des menchéviks dans un seul et même parti. De groupe politique qu’ils étaient, les bolchéviks se constituent en un parti indépendant, le Parti ouvrier social-démocrate (bolchévik) de Russie. La conférence de Prague marque la naissance d’un parti d’un type nouveau, le parti du léninisme, le Parti bolchévik.

L’épuration du Parti prolétarien des éléments opportunistes, des menchéviks, réalisée par la conférence de Prague, a joué un rôle important, un rôle décisif pour le développement ultérieur du Parti et de la révolution. Si les bolchéviks n’avaient pas chassé du Parti les menchéviks-conciliateurs, traîtres à la cause ouvrière, le parti prolétarien n’aurait pas pu, en 1917, soulever les masses pour la conquête de la dictature du prolétariat.

Résumé du chapitre 5.

Dans les années du nouvel essor révolutionnaire (1912 à 1911), le Parti bolchévik s’est mis à la tête du mouvement ouvrier et l’a conduit sous les mots d’ordre bolchéviks vers une nouvelle révolution Le Parti a su allier le travail illégal à l’action légale. Brisant la résistance des liquidateurs et de leurs amis, les trotskistes et les otzovistes, il a pris possession de toutes les formes du mouvement légal, et fait des organisations légales les points d’ap­pui de son activité révolutionnaire.

Dans sa lutte contre les ennemis de la classe ouvrière et leurs agents au sein du mouvement ouvrier, le Parti a consolidé ses rangs et élargi ses liaisons avec la classe ouvrière. En utilisant à fond la tribune de la Douma pour faire l’agitation révolutionnaire et en créant un remarquable journal ouvrier de masse, la Pravda, le Parti a formé une nouvelle génération d’ouvriers révolutionnaires : les « pravdistes ».

Dans les années de guerre impérialiste, ce contingent d’ouvriers resta fidèle au drapeau de l’internationalisme et de la révolution prolétarienne. C’est lui encore qui forma le noyau du Parti bolchévik aux jours de la Révolution d’Octobre, en 1917.

À la veille de la guerre impérialiste, c’était le Parti qui dirigeait l’action révolutionnaire de la classe ouvrière. Ces combats d’avant-garde interrompus par la guerre, devaient reprendre trois ans plus tard, pour renverser le tsarisme. Le Parti bolchévik entra dans la dure période de la guerre impérialiste en tenant bien haut le drapeau de l’internationalisme prolétarien.

Résumé du chapitre 6.

La guerre impérialiste éclata par suite de l’inégalité du développement des pays capitalistes, par suite de la rupture de l’équilibre entre les principales puissances, la nécessité s’étant affirmée pour les impérialistes de procéder par la guerre à un nouveau partage du monde et d’établir un nouvel équilibre des forces.

La guerre n’aurait pas eu la même force de destruction, peut-être même ne se serait-elle pas déployée avec la même violence, si les partis de la IIe Internationale n’avaient pas trahi la cause de la classe ouvrière, s’ils n’avaient pas violé les décisions des congrès de la IIe Internationale contre la guerre, s’ils s’étaient décidés à réagir énergiquement et à dresser la classe ouvrière contre les gouvernements impérialistes, contre les fauteurs de guerre.

Le Parti bolchévik fut le seul parti prolétarien qui resta fidèle à la cause du socialisme et de l’internationalisme et qui déclencha la guerre civile contre son gouvernement impérialiste. Tous les autres partis de la IIe Internationale, liés comme ils l’étaient avec la bourgeoisie par leurs groupes dirigeants, se trouvèrent sous l’emprise de l’impérialisme et rallièrent le camp impérialiste.

La guerre, qui était un effet de la crise générale du capitalisme, aggrava cette crise et affaiblit le capitalisme mondial. Les ouvriers de Russie et le Parti bolchévik furent les premiers dans le monde qui surent exploiter la faiblesse du capitalisme, enfoncer le front de l’impérialisme, renverser le tsar et créer des Soviets de députés ouvriers et soldats.

Grisées par les premiers succès de la révolution et rassurées par les promesses des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires, qui prétendaient que désormais tout irait bien, les grandes masses de petits bourgeois, de soldats et aussi d’ouvriers se pénétrèrent de confiance dans le Gouvernement provisoire et lui donnèrent leur appui.

Une tâche s’imposait au Parti bolchévik : expliquer aux masses d’ouvriers et de soldats grisés par les premiers succès qu’on était encore loin de la victoire totale de la révolution ; qu’aussi longtemps que le pouvoir serait détenu par le Gouvernement provisoire bourgeois et que les conciliateurs menchéviks et socialistes-révolutionnaires régneraient dans les Soviets, le peuple n’aurait ni paix, ni terre, ni pain ; que pour vaincre définitivement, il était indispensable de faire encore un pas en avant, de remettre le pouvoir aux Soviets.

Résumé du chapitre 7.

En huit mois, de février à octobre 1917, le Parti bolchévik s’acquitte d’une tâche des plus difficiles : il conquiert la majorité dans la classe ouvrière, dans les Soviets ; il fait passer du côté de la révolution socialiste des millions de paysans. Il arrache ces masses à l’influence des partis petits-bourgeois (socialistes-révolutionnaires, menchéviks, anarchistes) ; il démasque pas à pas la politique de ces partis dirigée contre les intérêts des travailleurs.

Le Parti bolchévik déploie une activité politique intense sur le front et à l’arrière, préparant les masses à la Révolution socialiste d’Octobre.

Facteurs décisifs dans l’histoire du Parti pendant cette période : retour de Lénine de l’émigration, thèses d’Avril de Lénine, conférence d’Avril et VIe congrès du Parti.

La classe ouvrière puise dans les décisions du Parti la force et la certitude de la victoire ; elle y trouve une réponse aux plus graves problèmes de la révolution. La conférence d’Avril oriente le Parti vers la lutte pour le passage de la révolution démocratique bourgeoise à la révolution socialiste.

Le VIe congrès aiguille le Parti sur l’insurrection armée contre la bourgeoisie et son Gouvernement provisoire.

Les partis conciliateurs, socialiste-révolutionnaire et menchévik, les anarchistes et les autres partis non communistes achèvent leur évolution : dès avant la Révolution d’Octobre, ils deviennent tous des partis bourgeois ; ils défendent l’intégrité du régime capitaliste.

Le Parti bolchévik dirige à lui seul la lutte des masses pour le renversement de la bourgeoisie et l’instauration du pouvoir des Soviets. En même temps, les bolchéviks brisent les tentatives des capitulards à l’intérieur du Parti, — Zinoviev, Kaménev, Rykov, Boukharine, Trotski, Piatakov, — pour faire dévier le Parti de la route de la révolution socialiste.

Sous la direction du Parti bolchévik, la classe ouvrière, alliée aux paysans pauvres et soutenue par les soldats et les matelots, renverse le pouvoir de la bourgeoisie, instaure le pouvoir des Soviets, institue un nouveau type d’État, l’État soviétique socialiste ; elle abolit la propriété seigneuriale sur la terre, remet la terre en jouissance à la paysannerie, nationalise toutes les terres du pays, exproprie les capitalistes, réussit à sortir de la guerre, à signer la paix, obtient la trêve nécessaire et crée ainsi les conditions requises pour une ample construction socialiste.

La Révolution socialiste d’Octobre a battu le capitalisme ; elle a enlevé à la bourgeoisie les moyens de production et fait des fabriques, des usines, de la terre, des chemins de fer, des banques une propriété du peuple entier, une propriété sociale.

Elle a instauré la dictature du prolétariat et remis la direction d’un immense État à la classe ouvrière, dont elle a fait la classe dominante. La Révolution socialiste d’Octobre a inauguré ainsi une ère nouvelle dans l’histoire de l’humanité, l’ère des révolutions prolétariennes.

Résumé du chapitre 8.

Battus par la Révolution d’Octobre, les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, de concert avec les généraux blancs, s’abouchent, au préjudice de leur patrie, avec les gouvernements des pays de l’Entente, pour déclencher en commun une agression militaire contre le pays des Soviets et en renverser le pouvoir. C’est sur cette base que s’organise l’intervention militaire de l’Entente et les rébellions de gardes blancs à la périphérie de la Russie, ce qui fait que la Russie se trouve coupée de ses bases de ravitaillement en subsistances et en matières premières.

La défaite militaire de l’Allemagne et la cessation de la guerre des deux coalitions impérialistes en Europe aboutissent au renforcement de l’Entente, au renforcement de l’intervention, et suscitent de nouvelles difficultés pour le pays des Soviets. La révolution en Allemagne et le mouvement révolutionnaire dans les pays d’Europe — au contraire — créent une situation internationale favorable au pouvoir soviétique et allègent la situation du pays des Soviets.

Le Parti bolchévik alerte les ouvriers et les paysans pour la guerre de salut de la patrie contre les envahisseurs étrangers et la contre-révolution de la bourgeoisie et des grands propriétaires fonciers. La République soviétique et son Armée rouge battent, l’une après l’autre, les créatures de l’Entente : Koltchak, Ioudénitch, Dénikine, Krasnov, Wrangel ; elles chassent d’Ukraine et de Biélorussie Pilsudski, autre créature de l’Entente, et repoussent l’intervention militaire étrangère, dont elles rejettent les troupes au delà des frontières du pays des Soviets.

C’est ainsi que la première agression militaire du capital international contre le pays du socialisme se termine par un échec complet. Battus par la révolution, les partis socialiste-révolutionnaire, menchévik, anarchiste, nationalistes soutiennent, dans la période de l’intervention, les généraux blancs et les envahisseurs ; ils ourdissent des complots contre la République des Soviets, organisent la terreur contre les militants soviétiques.

Ces partis qui, avant la Révolution d’Octobre, avaient eu quelque influence sur la classe ouvrière, pendant la guerre civile se démasquent complètement aux yeux des masses populaires comme partis de contre-révolution.

La période de la guerre civile et de l’intervention marque l’effondrement politique de ces partis et le triomphe définitif du Parti communiste dans le pays des Soviets.

Résumé du chapitre 9.

Les années de transition à l’œuvre pacifique de rétablissement de l’économie nationale constituent une des périodes les plus décisives de l’histoire du Parti bolchévik. Dans une atmosphère tendue, le Parti a su opérer le difficile tournant de la politique du communisme de guerre à la nouvelle politique économique. Le Parti a cimenté l’alliance des ouvriers et des paysans sur une nouvelle base économique. L’Union des Républiques socialistes soviétiques a été créée.

Par les méthodes de la nouvelle politique économique, des succès décisifs ont été obtenus dans le rétablissement de l’économie nationale. Le pays des Soviets a traversé avec succès la période de rétablissement dans le développement de l’économie nationale et il a abordé une nouvelle période, celle de l’industrialisation du pays.

Le passage de la guerre civile à l’œuvre pacifique de construction socialiste a comporté, dans les premiers temps surtout, de grandes difficultés. Les ennemis du bolchévisme, les éléments hostiles dans les rangs du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. ont mené, durant toute cette période, une lutte acharnée contre le Parti de Lénine. À la tête de ces éléments hostiles au Parti se trouait Trotski.

Ses sous-ordres, dans cette lutte, furent Kaménev, Zinoviev, Boukharine. L’opposition comptait, après la mort de Lénine, décomposer les rangs du Parti bolchévik, disloquer le Parti, lui inoculer le scepticisme à l’égard de la victoire du socialisme en U.R.S.S. Au fond, les trotskistes tentaient de créer en U.R.S.S. une organisation politique de la nouvelle bourgeoisie, un autre parti, le parti de la restauration du capitalisme.

Le Parti serra les rangs sous le drapeau de Lénine, autour de son Comité central léniniste, autour du camarade Staline, et il mit en déroute les trotskistes de même que leurs nouveaux amis de Leningrad, la nouvelle opposition Zinoviev-Kaménev. Le Parti bolchévik, après avoir accumulé forces et ressources, conduisit le pays à une nouvelle étape historique, à l’étape de l’industrialisation socialiste.

Résumé du chapitre 10.

Dans la lutte pour l’industrialisation socialiste du pays, le Parti vainquit, de 1926 à 1929, d’immenses difficultés intérieures et internationales. Les efforts du Parti et de la classe ouvrière firent triompher la politique d’industrialisation socialiste du pays.

On résolut dans l’essentiel l’un des problèmes les plus difficiles de l’industrialisation, à savoir : le problème de l’accumulation des ressources pour édifier l’industrie lourde. On jeta les fondements d’une industrie lourde capable de rééquiper l’ensemble de l’économie nationale. On adopta le premier plan quinquennal de construction socialiste. On entreprit en grand l’organisation d’usines neuves, de sovkhoz et de kolkhoz.

La marche au socialisme s’accompagnait d’une aggravation de la lutte de classes dans le pays et d’une aggravation de la lutte au sein du Parti. Cette lutte eut pour principaux résultats : l’écrasement de la résistance des koulaks ; la dénonciation du bloc capitulard trotskiste-zinoviéviste en tant que bloc antisoviétique ; la dénonciation des capitulards de droite en tant qu’agents des koulaks ; l’expulsion des trotskistes hors du Parti ; la reconnaissance de l’incompatibilité des vues professées par les trotskistes et les opportunistes de droite, avec l’appartenance au Parti communiste de l’U.R.S.S.

Battus par le Parti bolchévik sur le terrain de l’idéologie et privés de toute base dans la classe ouvrière, les trotskistes cessèrent d’être un courant politique pour devenir une clique sans principes d’arrivistes et d’escrocs politiques, une bande de politiciens à double face.

Après avoir jeté les bases de l’industrie lourde, le Parti mobilise la classe ouvrière et la paysannerie pour exécuter le premier plan quinquennal de réorganisation socialiste de l’U.R.S.S. À travers le pays, des millions de travailleurs développent l’émulation socialiste ; on voit naître un puissant élan de travail, une nouvelle discipline du travail s’élabore.

Cette période s’achève par l’année du grand tournant, qui marque les immenses succès du socialisme dans l’industrie, les premiers succès importants dans l’agriculture, le tournant opéré par le paysan moyen vers les kolkhoz, le début du mouvement kolkhozien de masse.

Résumé du chapitre 11.

En 1930-1934, le Parti bolchévik s’est acquitté de la tâche historique la plus difficile de la révolution prolétarienne après la conquête du pouvoir : celle qui consiste à faire passer lès millions de petits propriétaires paysans sur la voie des kolkhoz, sur la voie du socialisme.

La liquidation des koulaks, classe d’exploiteurs la plus nombreuse, et le passage des masses essentielles de la paysannerie sur la voie des kolkhoz ont abouti à extirper les dernières racines du capitalisme dans le pays, à achever la victoire du socialisme dans l’agriculture, à consolider définitivement le pouvoir des Soviets à la campagne.

Après avoir surmonté une série de difficultés d’organisation, les kolkhoz se sont définitivement consolidés et engagés sur le chemin d’une vie aisée.

L’exécution du premier plan quinquennal a eu pour résultat la construction, dans notre pays, d’inébranlables fondations de l’économie socialiste : industrie lourde socialiste de premier ordre et agriculture collective mécanisée ; le chômage a été supprimé ; supprimée l’exploitation de l’homme par l’homme ; les conditions requises ont été créées pour une amélioration continue de la situation matérielle et culturelle des travailleurs de notre pays.

Ces succès grandioses ont été remportés par la classe ouvrière, les kolkhoziens et tous les travailleurs de notre pays, grâce à la politique courageuse, révolutionnaire et lucide du Parti et du gouvernement.

Les États capitalistes qui nous encerclent, cherchent à affaiblir et à miner la puissance de l’U.R.S.S. ; c’est pourquoi ils accentuent leur « travail » en vue d’organiser à l’intérieur du pays des bandes d’assassins, de saboteurs, d’espions.

L’hostilité de ces États capitalistes à l’égard de l’U.R.S.S. s’intensifie particulièrement avec l’arrivée des fascistes au pouvoir en Allemagne et au Japon.

En la personne des trotskistes, des zinoviévistes, le fascisme a acquis des serviteurs fidèles ; ils se chargent d’espionner, de pratiquer le sabotage, d’exercer la terreur et de commettre des actes de diversion ; ils veulent la défaite de l’U.R.S.S. pour pouvoir restaurer le capitalisme. Le pouvoir des Soviets châtie d’une main ferme ces rebuts du genre humain ; il les frappe d’une répression impitoyable, comme ennemis du peuple et traîtres à la patrie.

Résumé du chapitre 12.

Pas de résumé, mais il est suivi d’une conclusion qui évalue l’ensemble et la situation alors.

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Présentation historique du précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Le précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik) est le document le plus important produit par l’Union Soviétique de la période socialiste. Publié en 1938, il fut réalisé sous supervision d’une Commission du Comité Central du Parti, avec comme but de devenir l’ouvrage principal de référence idéologique.

Racontant les luttes internes au sein du Parti bolchévik, avec une présentation de l’idéologie officielle de l’État – le matérialisme dialectique, dans un chapitre directement rédigé par Staline -, il parut tout d’abord en différentes parties dans dix numéros différents successifs de la Pravda à partir du 9 septembre 1938, étant présenté de la première publication comme « une arme idéologique puissante ».

Il parut ensuite dans l’organe pour les cadres Bolchevik, et fut officialisé comme documents de base pour la connaissance par une résolution du Comité Central, le 14 novembre 1938, soulignant l’importance d’éviter des interprétations arbitraires, avant d’être publié comme ouvrage indépendant.

Il devint également jusqu’en 1953 le manuel de formation des cadres pour les communistes, notamment des pays de l’Est de l’Europe.

Au sujet précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), Mao Zedong dit dans Réformer notre étude, un rapport lors d’une réunion de cadres à Yenan en mai 1941 :

« Conformément aux vues énoncées ci-dessus, je fais les propositions suivantes :

1) Poser comme tâche, devant tout le Parti, l’étude systématique et complète de la réalité environnante (…).

2) Réunir des personnes compétentes pour faire des études sur l’histoire de la Chine des cent dernières années (…).

3) Établir pour l’éducation des cadres en fonction comme pour l’enseignement dans les écoles de cadres, le principe selon lequel les études doivent être centrées sur les questions pratiques de la révolution chinoise et guidées par les principes fondamentaux du marxisme-léninisme ; abandonner la méthode consistant à étudier le marxisme-léninisme d’un point de vue statique et en-dehors de la réalité.

Adopter, comme principal matériel d’étude du marxisme-léninisme, l’Histoire du Parti Communiste (bolchévik) de l’URSS.

Cet ouvrage est la meilleure synthèse et le meilleur bilan du mouvement communiste mondial des cent dernières années, c’est le modèle de l’union de la théorie et de la pratique, l’unique modèle achevé qu’on trouve actuellement dans le monde.

En voyant comment Lénine et Staline ont uni la vérité universelle du marxisme à la pratique concrète de la révolution en Union soviétique et ont, sur cette base, développé le marxisme, nous comprendrons comment nous devons travailler chez nous en Chine. »

A ce titre, s’il fut publié à l’origine à un million d’exemplaires à la fin de 1938, le précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik) connut jusqu’en 1956 301 éditions, pour 42 816 000 exemplaires, en 67 langues.

En République Démocratique Allemande par exemple, un million d’exemplaires de cet ouvrage avaient été publié, en Hongrie 530 000 exemplaires, en Tchécoslovaquie 652 000 exemplaires, mais leur utilisation disparu du jour au lendemain à la suite du 20e congrès du PCUS (le terme bolchévik ayant enlevé du nom du Parti au XIXe congrès, en 1952).

En URSS même, un précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique fut publié en 1962, afin de définitivement nier le précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), afin d’accompagner le coup d’État révisionniste.

Le précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik) formait, en effet, la base idéologique du pouvoir d’État de l’URSS de Staline ; le réfuter, le nier, était inévitable pour les révisionnistes ayant modifié la base sociale du pays en renversant la classe ouvrière.

L’objectif du précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik) avait justement été, inversement, de renforcer le pouvoir de la classer ouvrière. Le développement du socialisme avait permis l’avènement d’une couche sociale éduquée, composée d’environ dix millions de personnes ; il s’agissait d’encadrer de manière adéquate cette émergence.

Une anecdote est rapportée au sujet de cette importance, Staline constatant :

« Aucune classe ne peut conserver le pouvoir et guider l’État si elle ne parvient pas à former sa propre intelligentsia, c’est-à-dire des gens ayant abandonné le travail physique et vivant du travail intellectuel.

Le camarade Khrouchtchev pense qu’il est encore un ouvrier, et entre-temps, c’est un intellectuel [agitation amusée dans la salle]. »

Staline abordait la question de la manière suivante dans son rapport présenté au XVIIIe congrès du PCUS(b), le 10 mars 1939 :

« Un léniniste ne peut être uniquement un spécialiste de la science qu’il a choisie; il doit être en même temps un homme politique, un homme public qui s’intéresse vivement aux destinées de son pays, qui connaît les lois du développement social, qui sait s’inspirer de ces lois et entend prendre une part active à la direction politique du pays. 

Ce sera là, évidemment, un supplément de travail pour les spécialistes bolcheviks.

Mais ce travail donnera des résultats qui compenseront largement l’effort fourni. La propagande du Parti, l’éducation marxiste-léniniste des cadres, a pour tâche d’aider nos cadres dans toutes les branches d’activité à assimiler la science marxiste-léniniste des lois du développement de la société.

Les mesures à prendre pour améliorer la propagande et l’éducation marxisteléniniste des cadres ont été maintes fois envisagées au Comité central du Parti communiste de l’U.R.S.S., avec la participation des propagandistes des différentes organisations régionales du Parti.

On a fait état de la parution du Précis d’histoire du P.C. (b) de l’U.R.S.S. en septembre 1938. On a constaté que la parution du Précis d’histoire du P.C. (b) de l’U.R.S.S. donne une nouvelle ampleur à la propagande marxiste-léniniste dans notre pays. Les résultats du travail du Comité central ont été publiés dans sa décision que l’on connaît sur réorganisation de la propagande du Parti à la suite de la publication du Précis d’histoire du P.C. (b) de l’U.R.S.S.».

Partant de cette décision et compte tenu des décisions prises par l’Assemblée plénière du Comité central du P.C. (b) de l’U.R.S.S., en mars 1937, sur «Les défauts du travail du Parti», le Comité central du Parti communiste, afin de remédier aux insuffisances dans le domaine de la propagande du Parti et pour améliorer l’éducation marxiste-léniniste des membres et des cadres du Parti, a élaboré les principales mesures que voici :

1. Concentrer en un seul point le travail de propagande et d’agitation du Parti et fusionner les sections de propagande et d’agitation avec les sections de la presse en un seul service de propagande et d’agitation près le Comité central du P.C. (b) de l’U.R.S.S. ; créer une section de propagande et d’agitation dans chaque organisation du Parti — de République, de territoire et de région.

2. Considérant comme une erreur notre engouement pour le système de la propagande par les cercles, et estimant plus rationnelle la méthode de l’étude individuelle des principes du marxisme-­léninisme par les membres du Parti, le Parti doit concentrer son attention sur la propagande dans la presse et sur l’organisation du système de propagande au moyen de conférences.

3. Organiser dans chaque centre régional des cours annuels de perfectionnement pour nos cadres de base.

4. Organiser dans une série de centres de notre pays des écoles léninistes de deux ans, pour nos cadres moyens.

5. Organiser une école supérieure de marxisme-léninisme près le Comité central du P.C. (b) de l’U.R.S.S. pour la formation de cadres théoriques hautement qualifiés du Parti. Durée des études, trois ans.

6. Créer dans une série de centres de notre pays, des cours annuels de perfectionnement pour propagandistes et journalistes.

7. Créer près l’école supérieure de marxisme-léninisme, des cours de six mois pour le perfectionnement des professeurs de marxisme-léninisme dans les écoles supérieures. Il est hors de doute que l’application de ces mesures qui sont déjà mises en œuvre, mais ne le sont pas encore à un degré suffisant, ne tardera pas à donner de bons résultats. »

Les constatations de ces faiblesses témoignent de l’analyse minutieuse qu’avait la direction du PCUS(b) du niveau de ses cadres. Malheureusement, il est évident que l’irruption de la seconde guerre mondiale a contribué à amoindrir l’implantation réellement profonde des leçons du précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), sans parler de la mort de nombreux cadres.

A cela s’ajoute une certaine faiblesse sur le plan idéologique et culturel, que Mao Zedong corrigera, notamment avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

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L’URSS socialiste et l’approche erronée de Staline et des communistes d’URSS

Dans le combat contre les tendances erronées après 1945, les communistes d’URSS ont eu comme base non pas le matérialisme dialectique, mais la défense de la constitution de 1936, ainsi que le matérialisme historique concernant le développement économique.

Cela a eu des conséquences fatales. Comme l’avait souligné Staline, les meilleures forteresses se prennent de l’intérieur, et une clique de révisionnistes a pu réussir à placer ses membres dans l’appareil d’Etat, pour renverser l’idéologie à la direction du Parti à la mort de Staline, finalisant la démarche lors du XXe congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, en 1956.

La conception de Staline et des communistes d’URSS était que les oppositions à la construction du socialisme en URSS, après 1945, relevaient uniquement de déviations ou d’influences externes à l’URSS. La raison fondant ce raisonnement était que l’URSS était devenue socialiste et qu’il n’existait plus de classes antagonistes ; s’il existait des restes idéologiques relevant du passé, il n’y avait plus de classes sociales réactionnaires capables en tant que telle de porter un projet de renversement.

Cela est juste, dans la perspective du matérialisme historique. Cependant, il n’y a aucune raison de couper la société humaine et son histoire de la matière en général. Les communistes d’URSS, et à leur tête le grand Staline, ont considéré que les forces productives étaient indépendantes de la réalité matérielle.

Cela va avoir deux tendances : tout d’abord, le développement d’une idéologie volontariste, caractérisé par l’anthropocentrisme, totalement idéaliste, portée justement par la clique révisionniste qui va dévier les acquis matérialistes dialectiques pour affirmer la toute-puissance de la pensée sur la matière, avec la possibilité absolue de la transformer.

Cela va se montrer dans les années 1960, avec Khrouchtchev et son soutien aux déviations de Trofim Lyssenko, dont le point de départ était pourtant scientifique, à la conquête spatiale coupée pareillement de sa base matérialiste dialectique, aux grands projets de transformation de la biosphère eux aussi coupés de leur base matérialiste dialectique, etc.

C’est alors, en pratique, l’État et l’armée qui ont pris le pouvoir sur le Parti, devenu un simple rouage du complexe militaro-industriel au cœur du social-impérialisme soviétique.

Dans les faits, la clique révisionniste a ainsi pu prendre le pouvoir en 1953 en profitant des aspects erronés du « Grand Plan pour la Transformation de la Nature » lancé en 1948, contenant plusieurs projets, dont celui de former des forêts de pratiquement six millions d’hectares dans le sud de la Russie, d’irriguer l’Asie centrale de manière généralisée, etc.

Les communistes d’URSS se sont arbitrairement restreints au matérialisme historique, faisant du matérialisme dialectique un outil du premier, sans voir que c’est l’inverse qui est vrai. Voici ce que dit Staline dans le grand classique de l’après 1945, Les problèmes économiques du socialisme en URSS :

« Le marxisme conçoit les lois de la science, qu’il s’agisse des lois de la nature ou des lois de l’économie politique, comme le reflet des processus objectifs qui s’opèrent indépendamment de la volonté humaine.

Ces lois, on peut les découvrir, les connaître, les étudier, en tenir compte dans ses actes, les exploiter dans l’intérêt de la société, mais on ne peut les modifier ou les abolir.

A plus forte raison ne peut-on former ou créer de nouvelles lois de la science. Est-ce à dire, par exemple, que les résultats de l’action des lois de la nature, des forces de la nature sont, en général, inéluctables ; que l’action destructive des forces de la nature se produit toujours et partout avec une spontanéité inexorable, qui ne se prête pas à l’action des hommes ?

Évidemment non. Si l’on fait abstraction des processus astronomiques, géologiques et quelques autres analogues, où les hommes, même s’ils connaissent les lois de leur développement, sont véritablement impuissants à agir sur eux ; ils sont en maintes occasions loin d’être impuissants quant à la possibilité d’agir sur les processus de la nature.

Dans toutes ces circonstances, les hommes, en apprenant à connaître les lois de la nature, en en tenant compte et en s’appuyant sur elles, en les appliquant avec habileté et en les exploitant, peuvent limiter la sphère de leur action, imprimer aux forces destructives de la nature une autre direction, les faire servir à la société. »

Cette position du grand Staline est erronée, dans la mesure où elle sépare l’humanité, en tant que matière, du reste de la matière ; elle pose la réalité de la biosphère comme simplement statique sur le plan général, même si obéissant à certaines lois propres.

Staline n’était pas le seul à avoir cette position ; nombreuses sont les remarques dans le même sens des immenses Maxime Gorki et Ivan Mitchourine.

Malheureusement, on s’éloigne là tant du réalisme que du matérialisme dialectique ; on en revient au matérialisme vulgaire, celui de Claude Bernard, repris par Emile Zola pour inventer le « naturalisme ».

Dans son écrit Le roman expérimental, voici comment Emile Zola nie l’importance de la philosophie – donc du matérialisme dialectique – en soulignant l’importance de la dimension « pragmatique ».

Cela pourrait être littéralement le manifeste des cliques révisionnistes apparus en URSS et en Chine populaire ! Sur tous les plans, de l’approche à la méthode, de l’idéologie à la démarche, on retrouve chez Emile Zola ce qu’ont dit Nikita Khrouchtchev en URSS et Deng Xiao Ping en Chine populaire :

« Je citerai encore cette image de Claude Bernard, qui m’a beaucoup frappé: «L’expérimentateur est le juge d’instruction de la nature.» Nous autres romanciers, nous sommes les juges d’instruction des hommes et de leurs passions (…).

Admettons que la science ait marché, que la conquête de l’inconnu soit complète: l’âge scientifique que Claude Bernard a vu en rêve sera réalisé. Dès lors, le médecin sera maître des maladies; il guérira à coup sûr, il agira sur les corps vivants pour le bonheur et pour la vigueur de l’espèce.

On entrera dans un siècle où l’homme tout-puissant aura asservi la nature et utilisera ses lois pour faire régner sur cette terre la plus grande somme de justice et de liberté possible. Il n’y a pas de but plus noble, plus haut, plus grand. Notre rôle d’être intelligent est là: pénétrer le pourquoi [ou le comment? – voir ci-dessus] des choses, pour devenir supérieur aux choses et les réduire à l’état de rouages obéissants.

Eh bien! ce rêve du physiologiste et du médecin expérimentateur est aussi celui du romancier qui applique à l’étude naturelle et sociale de l’homme la méthode expérimentale. Notre but est le leur; nous voulons, nous aussi, être les maîtres des phénomènes des éléments intellectuels et personnels, pour pouvoir les diriger (…).

Notre vraie besogne est là, à nous romanciers expérimentateurs, aller du connu à l’inconnu, pour nous rendre maître de la nature tandis que les romanciers idéalistes restent de parti pris dans l’inconnu, par toutes sortes de préjugés religieux et philosophiques, sous le prétexte stupéfiant que l’inconnu est plus noble et plus beau que le connu (…).

Nous montrons le mécanisme de l’utile et du nuisible, nous dégageons le déterminisme des phénomènes humains et sociaux, pour qu’on puisse un jour dominer et diriger ces phénomènes. En un mot, nous travaillons avec tout le siècle à la grande œuvre qui est la conquête de la nature, la puissance de l’homme décuplée. Et voyez à côté de la nôtre, la besogne des écrivains idéalistes, qui s’appuient sur l’irrationnel et le surnaturel, et dont chaque élan est suivi d’une chute profonde dans le chaos métaphysique. C’est nous qui avons la force, c’est nous qui avons la morale (…).

Si Claude Bernard se défend d’être un novateur, un inventeur plutôt qui apporte une théorie personnelle, il revient également plusieurs fois sur le danger qu’il y aurait pour un savant à s’inquiéter des systèmes philosophiques.

[Zola cite Claude Bernard:] «Pour l’expérimentateur physiologiste, dit-il, il ne saurait y avoir ni spiritualisme ni matérialisme. Ces mots appartiennent à une philosophie naturelle qui a vieilli, ils tomberont en désuétude par le progrès même de la science. Nous ne connaîtrons jamais ni l’esprit ni la matière, et si c’était ici le lieu, je montrerais facilement que d’un côté comme de l’autre, on arrive bientôt à des négations scientifiques, d’où il résulte que toutes les considérations de cette espèce sont oiseuses et inutiles. Il n’y a pour nous que des phénomènes à étudier, les conditions matérielles de leurs manifestations à connaître et les lois de ces manifestations à déterminer.»

J’ai dit que, dans le roman expérimental, le mieux était de nous en tenir à ce point de vue strictement scientifique, si nous voulions baser nos études sur un terrain solide. Ne pas sortir du comment, ne pas s’attacher au pourquoi. »

Refusant le révisionnisme, Mao Zedong défendra l’œuvre de Staline mais il verra, lors du Grand Bond en Avant et de son échec relatif, qu’il y avait là un problème dans le rapport entre matérialisme historique et matérialisme dialectique, avec la soumission du second au premier.

C’est pourquoi il va appeler à inverser ce rapport, ce qui va se réaliser avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

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L’URSS socialiste et les contradictions Parti-Etat

La victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie doit avant tout à l’Armée Rouge, qui a battu l’écrasante majorité de l’armée allemande, libérant toute une série de pays, pavant la voie aux démocraties populaires.

Cependant, après 1945, une intense lutte de classes se déroula en URSS. Celle-ci ne sera cependant pas réellement apparente, mais c’est elle qui va aboutir à un coup d’État suite à la mort de Staline, en 1953.

Cette lutte de classes n’est pas liée tant à la période d’avant 1941 qu’aux conditions provoquées par la seconde guerre mondiale impérialiste. Celle-ci a posé un problème terrible, en plus des innombrables destructions : 34,4 millions de personnes y ont participé, dans l’Armée Rouge ; 9,1 millions de personnes y ont laissé la vie, alors que dans la population civile, 15 millions de personnes ont également été tuées.

De ce fait, la guerre a coûté la vie à 2 millions de communistes. Cela signifie que toute une génération, qui a profité des expériences de lutte idéologique, a été saignée à blanc. C’est un problème pratique gigantesque pour le Parti bolchevik.

En pratique, parmi les vétérans, seulement 17 % sont membres du Parti. Les ministères, durant les urgences de la guerre, ont acquis une indépendance nette par rapport au Parti. D’une certaine manière, on est dans la situation inverse de 1923, date où le congrès du Parti bolchevik décide de former un organisme – supervisé par Viatcheslav Molotov et Lazare Kaganovitch de sélection des cadres de l’État.

Rien que pour l’année 1923, après la victoire dans la guerre civile, cela donne un choix de personnes pour à peu près 18 000 postes, à chaque fois validé (ou non) par le Comité Central.

Il est significatif que ce nombre passe, en 1946 juste après la victoire sur l’Allemagne nazie, à 46 000. C’est tout l’appareil d’État qui, en pratique, est renouvelé.

Qui dit renouvellement, dit changement générationnel. En 1946, 50 % de la population masculine est née après 1914. Elle a grandi sous le nouveau régime, mais il se pose le problème de la transmission idéologique, cassée par la guerre.

En pratique, donc, les soldats et officiers vont former rapidement la moitié des postes de responsabilité dans l’industrie, pour un pourcentage inversement faible dans le Parti et dans l’État. Il y a ainsi déjà une contradiction entre l’industrie d’un côté, le Parti et l’État de l’autre. L’urgence matérielle tend à produire une nécessité pratique mettant en danger l’idéologie.

Citons ici le principal document d’après-guerre, de février 1946, où Staline dresse le panorama de la production économique en 1940 (par rapport à 1913), mais également militaire pour les années 1943-1945. On voit bien exprimer les urgences techniques et productives provoquées par l’invasion nazie.

« En ce qui concerne 1940, notre pays a produit an cours de cette année 15 millions de tonnes de fonte, soit presque quatre fois plus qu’en 1913 ; 18 millions 300 000 tonnes d’acier, soit quatre fois et demie plus qu’en 1913 ; 166 millions de tonnes de houille, soit cinq fois et demie plus qu’en 1913 ; 31 millions de tonnes de pétrole, soit trois fois et demie plus qu’en 1913 ; 38 millions 300 000 tonnes de céréales marchandes, soit 17 millions de tonnes de plus qu’en 1913 ; 2 millions 700 000 tonnes de coton brut, soit trois fois et demie plus qu’en 1913.

Telles furent les ressources matérielles de notre pays, au seuil de la seconde guerre mondiale (…).

On sait que pendant les trois dernières années de guerre, notre industrie des chars a produit chaque année une moyenne de plus de 30 000 tanks, canons autopropulsés et autos blindées

(Vifs applaudissements).

On sait ensuite que notre industrie aéronautique a produit, pendant la même période, près de 40 000 avions par an.

(Vifs applaudissements.)

On sait de même que notre industrie de l’artillerie a produit, annuellement, pendant la même période, près de 120000 canons de tout calibre (vifs applaudissements) , près de 450 000 fusils-mitrailleurs et mitrailleuses lourdes (vifs applaudissements) , plus de 3 millions de fusils (applaudissements) et environ 2 millions de mitraillettes (applaudissements) .

On sait enfin que durant la période 1942-1944, notre industrie des mortiers a produit une moyenne de près de 100 000 mortiers par an (vifs applaudissements).

Il va de soi que, dans le même temps, on a fabriqué une quantité correspondante d’obus, de mines de tout genre, de bombes d’aviation, de cartouches à fusils et à mitrailleuses.

On sait, par exemple, que dans la seule année 1944, il a été fabriqué plus de 240 millions d’obus, de bombes et de mines (applaudissements) et 7 milliards 400 millions de cartouches (vifs applaudissements).

Tel est dans ses grandes lignes le tableau du ravitaillement de l’Armée rouge en matériel de guerre et en munitions. »

Discours prononcé à l’assemblée des électeurs de la circonscription Staline de Moscou

Très concrètement, cela signifie qu’au milieu de l’année 1946, 6000 cadres de l’appareil d’État agissent depuis une année, en étant pourtant toujours en attente d’une confirmation de leur nomination par le Comité Central. De la même manière, les ministères, pour parer à l’urgence et surtout lorsqu’ils étaient importants, avaient une marge de manœuvre par rapport à l’organisme de nomination.

Le Parti bolchevik prit alors des résolutions en faveur d’une résolution positive de ces problèmes. Tout d’abord, il procéda à la dissolution des commissions internes au Parti comme celles pour l’économie, les transports, l’agriculture. Désormais, ces commissions consisteront en pratique, en quelque sorte, directement en les cadres nommés dans les ministères concernés.

Il s’agissait de casser l’influence autonome des ministères, qui parfois firent la conquête de l’hégémonie sur le Parti, y compris par la corruption. En pratique, il existait différentes mafias en URSS, effectivement. La principale structure reposait sur des « guildes », qui utilisaient les failles de la planification.

Les guildes s’appuyaient sur des soutiens qui, dans les entreprises, trafiquaient les mesures, volant au passage différentes denrées (soit en augmentant la taille des cuves, ou bien en prétextant des dégradations, voire en modifiant les données chiffrées).

Les membres des guildes organisaient alors la répartition des biens volés dans différents commerces, s’appropriant les bénéfices. Les chefs d’entreprise, lors de la crise économique de l’URSS redevenue capitaliste des années 1960-1990, s’appuieront fondamentalement sur les guildes comme intermédiaires permettant de pallier les problèmes d’approvisionnement.

Ici, on en revient au troc, avec les responsables des guildes nommés à des postes de managers afin de toucher un salaire légal.

Les guildes ne fonctionnaient pas toutefois qu’avec les responsables d’entreprises. Elles étaient également liées à des gangs, commandés par des « frères ». Tel dans un ordre religieux strict, un frère ne devait pas se marier ni avoir de famille ; il ne devait avoir aucune éducation ni aucun emploi. Il devait ne pas servir dans l’armée, ni n’avoir aucune propriété privée.

Il y avait une trentaine de « Frères » environ dans les années 1950, chacun s’appuyant jusque sur 300 personnes, les sous-chefs étant des « frères » (au sens familial) et les éléments de base des « numéros six ». Il existe ici une gigantesque culture du tatouage propre à ces gangs, élaborée dans les camps de travail, utilisant de manière récurrente des éléments propres à l’idéologie nazie.

Bien entendu, les gangs procédaient également à des extorsions, du trafic sur le marché noir, des « protections » de commerce, la prostitution, le jeu etc. Dans les années 1980, l’autonomisation des entreprises ayant été très largement avancée, les guildes fusionneront de fait avec les gangs, annonçant la fameuse « mafia russe » des années 1990.

Dans les années 1950 cependant, les gangs ne sont qu’embryonnaires même si structurées par les « Frères » ; ce sont les « boucaniers rouges » qui priment dans la mafia, utilisant des méthodes de pirate pour arraisonner des marchandises et en tirer du bénéfice.

On put voir une même généralisation des « confréries » dans les années 1960 avec l’émergence de groupes de pression s’appuyant sur les vétérans. Après 1945, les vétérans n’auront que très peu d’avantages sociaux, consistant en des réductions, des voyages, etc., mais sans que cela aille très loin. Ces avantages furent même supprimés en 1947, même le jour de la victoire étant supprimé comme jour férié.

La conception du Parti bolchevik était que les soldats ont servi l’URSS toute entière et ne doivent pas former une caste à part. On pourra voir de fait que le régime nouveau, fondé dès la mort de Staline et la prise du pouvoir par la clique révisionniste, instaurera des associations d’anciens combattants dès 1956, faisant monter ceux-ci en puissance progressivement, le pic étant atteint sous Leonid Brejnev.

Tout cela témoigne d’une intense lutte de classes après 1945, car l’idéologie bourgeoise avait des pions dans les mafias et certains dirigeants, et la possibilité de corrompre des responsables du Parti. A cela s’ajoute un lieu central de contradiction : la commission réorganisée, juste après la guerre, de nomination des cadres.

A partir du moment où avec cette commission réorganisée et la fin de l’époque d’exception propre à la guerre, les ministères ne pouvaient plus nommer leurs cadres en dehors de l’aval du Comité Central, alors cela signifie que tous les efforts bourgeois allaient porter sur la commission elle-même.

D’intenses campagnes de rectification furent menées dans le personnel des ministères et dans le Parti lui-même. C’est Andreï Jdanov qui fut au cœur de cette bataille, menant de fait la reconquête idéologique de l’appareil d’État, dans une véritable révolution culturelle visant ceux qu’on doit considérer comme une sorte de déviation « pragmatique-machiavélique ».

La répression fut menée pour cette raison contre un nouveau « centre », basé à Léningrad et prônant des réformes où les entreprises posséderaient un grand degré d’autonomie. 2000 personnes furent pour cette raison exclues du Parti ou bien exilé de Leningrad, 213 furent condamnées dont 23 à mort. 300 professeurs furent exclus de l’université de Leningrad, ainsi que 18 recteurs d’université et 29 responsables de départements économiques.

Cela ne pouvait cependant pas suffire, en raison de l’approche même de la lutte contre la contre-révolution.

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L’URSS socialiste: «la vie est devenue meilleure»

La vie soviétique souffrait d’un manque certain de biens de consommation, en raison de la nécessaire accumulation de capital dans l’industrie lourde, qui elle seule pouvait permettre un travail au meilleur rendement et donc justement une base matérielle d’existence pour les consommateurs.

Toutefois, la vie culturelle soviétique a immédiatement pris son envol, ne cessant de progresser et d’atteindre des stades plus élevés, amenant la naissance d’une société nouvelle, naissance qui a été le socle sur lequel s’est brisé le trotskysme, qui pensait au début des années 1930 l’URSS s’effondrerait.

Suivant les propos alors très connus de Staline, « la vie est devenue meilleure, camarades ; la vie est devenue plus joyeuse. »

La société soviétique était ainsi produite par les masses, à leur propre service ; tous les aspects de la vie en témoignaient. L’un des aspects les plus frappants se produisit dans le domaine littéraire, où la Russie était de très haut niveau, comme avec Tolstoï et Pouchkine. L’écrivain Maxime Gorki participa de plein pied à la formation d’une littérature propre à la société soviétique, d’une littérature en tant que reflet de la réalité et de ses transformations.

Le réalisme socialiste devint ainsi l’approche dominante, dans la littérature et dans les arts ; les masses se lançaient dans la bataille, mais avec des exigences très strictes et très élevées. C’est également le sens du concours pour le « palais des soviets ».

Ce monument devait symboliser l’union des masses et former un lieu de réunion pour des délégués toujours plus nombreux des pays communistes membres de l’URSS, comme base de la république socialiste mondiale.

De fait, l’URSS devient un lieu permettant aux masses de se réunir, avec la construction de grandes salles de conférences et de halls pour les meetings, de bibliothèques, de cinémas, de théâtres, de lieux permettant les démonstrations de masse, de clubs ouvriers, de centres sportifs, etc.

L’un des symboles les plus connus de cette évolution fur le métro de Moscou, d’une magnificence complète, montrant que les masses servaient les masses.

Le palais des soviets, quant à lui, devait être construit sur le site de la cathédrale du Christ-Sauveur, qui fut dynamitée ; l’invasion nazie bloqua cependant les travaux (après la mort de Staline, les fondations furent utilisées pour faire une piscine découverte, et dans les années 1990 la cathédrale fut reconstruite).

Dans le palais des soviets, deux halls étaient prévus, de 20 000 et 6000 places assises ; les étages supérieurs devaient abriter une bibliothèque de 500 000 ouvrages.

Dans un même esprit, on trouve l’université Lomonossov, consistant en un bâtiment de 240 mètres, 36 étages, 33 kilomètres de couloirs, 5 000 pièces ; six autres bâtiments furent construits dans la même perspective (elle sont surnommées désormais les « Sept Sœurs de Moscou »).

Cette conquête de l’intelligence et de la collectivité s’est également exprimée dans deux domaines d’une importance capitale. Deux savants, dont les recherches avaient et ont une signification historique, ont effet rejoint l’élan de la révolution russe et de l’URSS.

Constantin Tsiolkovsky (1857-1935) fut ainsi pas moins que le fondateur du principe de la conquête spatiale et à l’origine de l’astronautique. Il théorisa le principe des fusées, avec leurs carburants, leurs différents étages, une station interplanétaire, etc.

Vladimir Vernadsky (1863-1945) fut pareillement un activiste central de la science en URSS. Il fut à l’origine de la géochimie et le premier à développer la conception de « biosphère », comprenant que la matière vivante sur la planète devait être considérée comme un ensemble.

L’ensemble du territoire soviétique était ainsi conquis intellectuellement et physiquement. Le 30e anniversaire de la révolution d’Octobre fut ainsi notamment célébré par une course automobile (ainsi que de motos) de 6000 kilomètres, avec point de départ et d’arrivée Moscou.

L’un des grands événements fut également le sauvetage par avion en 1934 des marins du Tcheliouskine, un navire pris dans les glaces qu’il étudiait (et dont le nom vient de l’explorateur russe Semion Tcheliouskine, du 18e siècle).

Un être humain, soviétique, se produisait lui-même, dans une bataille pour une vie meilleure et rationalisée. Il devenait un « organisme perceptif extrêmement complexe », comme le souligna Jdanov, dans des remarques sur la musique, en 1948 :

« C’est ici qu’on commence à sortir des limites du rationnel, des limites non seulement des émotions humaines normales, mais aussi de la raison de l’homme normal.

Il y a, il est vrai, aujourd’hui des « théories » à la mode qui prétendent que l’état pathologique est une forme supérieure de l’humanité et que les schizophréniques et les paranoïaques dans leur délire peuvent atteindre à des hauteurs spirituelles où n’atteindra jamais un homme ordinaire dans son état normal.

Ces « théories » ne sont évidemment pas accidentelles, elles sont très caractéristiques de l’époque de pourriture et de décomposition de la culture bourgeoise. Mais laissons toutes ces « recherches » aux fous, exigeons de nos compositeurs une musique normale, humaine.

Quel a été le résultat de l’oubli des lois et des normes de la création musicale ? La musique s’est vengée des efforts faits pour la dénaturer.

Quand la musique perd tout contenu, toute qualité artistique, quand elle devient inélégante, laide, vulgaire, elle cesse de satisfaire les besoins pour lesquels elle existe, elle cesse d’être elle-même.

Vous vous étonnez peut-être qu’au Comité central du Parti bolchevik on exige de la musique beauté et élégance. Qu’est-ce qui se passe encore ?

Eh bien, non, ce n’est pas un lapsus, nous déclarons que nous sommes pour une musique belle et élégante, une musique capable de satisfaire les besoins esthétiques et les goûts artistiques des Soviétiques, et ces besoins et ces goûts ont grandi incroyablement.

Le peuple apprécie le talent d’une œuvre musicale dans la mesure où elle reflète profondément l’esprit de notre époque, l’esprit de notre peuple, dans la mesure où elle est accessible aux larges masses. Qu’est-ce donc qui est génial en musique ?

Ce n’est pas du tout ce que ne peuvent apprécier qu’un individu ou un petit groupe d’esthètes raffinés ; une œuvre musicale est d’autant plus géniale que le contenu en est plus riche et plus profond, que la maîtrise en est plus élevée, qu’est plus grand le nombre de ceux qui la reconnaissent, le nombre de ceux qu’elle est capable d’inspirer.

Tout ce qui est accessible n’est pas génial, mais tout ce qui est vraiment génial est accessible, et d’autant plus génial que plus accessible aux larges masses du peuple.

A. N. Sérov avait profondément raison lorsqu’il disait : « Contre la beauté vraie en art le temps est impuissant, autrement on n’aimerait plus ni Homère, Dante ou Shakespeare, ni Raphaël, Le Titien ou Poussin, ni Palestrina, Haendel, ou Glück ».

Une œuvre musicale est d’autant plus haute qu’elle fait entrer en résonance plus de cordes de l’âme humaine.

L’homme du point de vue de sa perception musicale est une membrane merveilleusement riche, un récepteur travaillant sur des milliers d’ondes – on peut, sans doute, choisir une meilleure comparaison – et pour l’émouvoir il ne suffît pas d’une seule note, d’une seule corde, d’une seule émotion.

Si un compositeur n’est capable de faire vibrer qu’une ou que quelques-unes des cordes humaines, cela ne suffit pas, car l’homme moderne et surtout le nôtre, l’homme soviétique, se présente aujourd’hui comme un organisme perceptif extrêmement complexe. »

L’être humain, dans le socialisme, connaissait un saut qualitatif. Le déclenchement de la seconde guerre mondiale impérialiste va bouleverser cette réalité, faisant de l’URSS un pays assiégé par les troupes nazies barbares et meurtrières, mais suffisamment puissant pour résister et vaincre.

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L’URSS socialiste et le trotskysme comme sabotage

Le trotskysme, à partir de 1934 en tant que tel, n’est plus du tout un courant d’opposition, mais un magma de structures clandestines, liées à l’étranger à tout ce qui était favorable à un changement de régime en URSS, donc notamment aux services secrets étrangers ayant des visées impérialistes sur des parties du territoire soviétique (Allemagne, Japon, mais également Grande-Bretagne par rapport à l’Asie centrale).

Staline notait ainsi, en 1937 :

« Dans la lutte qu’ils mènent contre les agents trotskistes, nos camarades du Parti n’ont pas remarqué, ont laissé échapper le fait que le trotskisme actuel n’est plus ce qu’il était, disons, sept ou huit ans plus tôt ; que le trotskisme et les trotskistes sont passé durant ce temps par une sérieuse évolution qui a modifié profondément le visage du trotskisme ; qu’en conséquence, la lutte contre le trotskisme, les méthodes de lutte contre ce dernier, doivent être radicalement changées.

Nos camarades du Parti n’ont pas remarqué que le trotskisme a cessé d’être un courant politique dans la classe ouvrière ; que, de courant politique qu’il était sept ou huit ans plus tôt, le trotskisme est devenu une bande forcenée et sans principes de saboteurs, d’agents de diversion et d’assassins agissant sur ordre des services d’espionnage des États étrangers.

Qu’est-ce qu’un courant politique dans la classe ouvrière ?

Un courant politique dans la classe ouvrière, c’est un groupe ou un parti qui a sa physionomie politique propre, nettement déterminée, une plate-forme, un programme ; qui ne cache pas et ne peut cacher sa façon de voir à la classe ouvrière, la préconise ouvertement et honnêtement, sous les yeux de la classe ouvrière; qui ne craint pas de montrer sa physionomie politique à la classe ouvrière, ni de faire la démonstration de ses buts et objectifs réels devant la classe ouvrière, mais qui, au contraire, va à celle-ci, le visage découvert, pour la convaincre de la justesse de son point de vue.

Dans le passé, il y a de cela sept ou huit ans, le trotskisme était au sein de la classe ouvrière un des courants politiques de ce genre anti-léniniste, il est vrai, et partant profondément erroné, mais malgré tout un Gourant politique.

Peut-on dire que le trotskisme actuel, par exemple, le trotskisme de 1936, soit un courant politique dans la classe ouvrière ?

Non, on ne peut le dire.

Pourquoi ? Parce que les trotskistes de nos jours craignent de montrer à la classe ouvrière leur vrai visage ; parce qu’ils craignent de lui découvrir leurs buts et objectifs réels ; parce qu’ils cachent soigneusement à la classe ouvrière leur physionomie politique, de peur que si la classe ouvrière apprend leurs véritables intentions, elle les maudisse comme des hommes qui lui sont étrangers et les chasse loin d’elle.

Ainsi, s’explique que, à proprement parler, la méthode essentielle de l’action trotskiste ne soit pas aujourd’hui la propagande ouverte et loyale de ses points de vue au sein de la classe ouvrière, mais leur camouflage, la louange obséquieuse et servile des points de vue de ses adversaires, la façon pharisaïque et hypocrite de traîner dans la boue ses propres points de vue.

Au procès de 1936, si vous vous en souvenez, Kaménev et Zinoviev ont catégoriquement nié avoir une plate-forme politique quelconque. Ils avaient la pleine possibilité de développer pendant le procès leur plate-forme politique.

Or, ils ne l’ont pas fait ; ils ont déclaré n’avoir aucune plate-forme politique.

Il ne fait pas doute que tous deux mentaient lorsqu’ils niaient avoir une plate-forme. Aujourd’hui, les aveugles eux-mêmes voient qu’ils avaient une plate- forme politique à eux.

Mais pourquoi ont-ils nié avoir une plate- forme politique ?

Parce qu’ils craignaient de découvrir leur vrai visage politique, parce qu’ils craignaient de montrer leur plate- forme réelle de restauration du capitalisme en U.R.S.S., de peur qu’une telle plate-forme provoque l’aversion de la classe ouvrière.

Au procès de 1937, Piatakov, Radek et Sokolnikov ont pris un autre chemin. Ils n’ont pas nié l’existence d’une plate-forme politique chez les trotskistes et les zinoviévistes.

Ils ont reconnu que ceux- ci avaient une plate-forme politique déterminée ; ils ont reconnu et développé celle-ci dans leurs déclarations.

Mais s’ils l’ont développée, ce n’était point pour appeler la classe ouvrière, pour appeler le peuple à soutenir la plate-forme trotskiste, mais pour la maudire et la stigmatiser comme plateforme antipopulaire et anti- prolétarienne.

Restauration du capitalisme, liquidation des kolkhoz et des sovkhoz, rétablissement du système d’exploitation ; alliance avec les forces fascistes de l’Allemagne et du Japon pour hâter le déclenchement d’une guerre contre l’Union soviétique; lutte pour la guerre et contre la politique de paix ; démembrement territorial de l’Union soviétique, l’Ukraine devant être livrée aux Allemands et la Province maritime aux Japonais ; préparation de la défaite militaire de l’Union soviétique au cas où elle serait attaquée par les Etats ennemis ; et, comme moyen d’atteindre ces buts : sabotage, diversion, terrorisme individuel contre les dirigeants du pouvoir des Soviets, espionnage au profit des forces fascistes nippo-allemandes, telle est la plate-forme politique du trotskisme actuel, exposée par Piatakov, Radek et Sokolnikov.

On comprend qu’une telle plate-forme, les trotskistes ne pouvaient pas ne pas la cacher au peuple, à la classe ouvrière.

Et ils ne la cachaient pas seulement à la classe ouvrière, mais aussi à la masse trotskiste, et non seulement à la masse trotskiste, mais ausi à l’équipe dirigeante des trotskistes, composée d’une petite poignée de trente à quarante hommes.

Lorsque Radek et Piatakov ont demandé à Trotski l’autorisation de réunir une petite conférence de trente à quarante trotskistes, afin de les informer du caractère de cette plate-forme, Trotski le leur a interdit, en déclarant qu’il n’était pas rationnel d’exposer le caractère réel de la plate- forme, même à une petite poignée de trotskistes, une « opération » de ce genre pouvant provoquer la scission.

Des « hommes politiques » qui cachent leurs convictions, leur plate- forme non seulement à la classe ouvrière, mais aussi à la masse trotskiste, et non seulement à la masse trotskiste, mais aussi à l’équipe dirigeante des trotskistes : telle est la physionomie du trotskisme de nos jours.

Il s’ensuit que le trotskisme actuel ne peut plus être appelé un courant politique dans la classe ouvrière.

Le trotskisme de nos jours n’est pas un courant politique dans la classe ouvrière, mais une bande sans principes et sans idéologie de saboteurs, d’agents de diversion et de renseignements, d’espions, d’assassins, une bande d’ennemis jurés de la classe ouvrière, une bande à la solde des services d’espionnage des Etats étrangers.

Tel est le résultat incontestable de l’évolution du trotskisme au cours des sept ou huit dernières années. Telle est la différence entre le trotskisme d’autrefois et le trotskisme d’aujourd’hui. L’erreur de nos camarades du Parti, c’est qu’ils n’ont pas remarqué cette différence profonde entre le trotskisme d’autrefois et le trotskisme d’aujourd’hui.

Ils n’ont pas remarqué que les trotskistes ont depuis longtemps cessé d’être des hommes d’idées ; que, depuis longtemps, les trotskistes sont devenus des bandits de grand chemin capables de toutes les vilenies, de toutes les infamies, jusques et y compris l’espionnage et la trahison directe de leur patrie, pourvu qu’ils puissent faire du tort à l’Etat soviétique et au pouvoir des Soviets. Nos camarades ne l’ont pas remarqué et n’ont pas su, pour cette raison, se réorganiser en temps opportun pour engager la lutte contre les trotskistes d’une manière nouvelle, d’une façon plus énergique.

Voilà pourquoi les ignominies commises par les trotskistes, en ces dernières années, ont été une chose tout à fait inattendue pour certains de nos camarades du Parti.

Poursuivons.

Nos camarades du Parti n’ont pas remarqué, enfin, qu’il existe une différence essentielle, d’une part entre les actuels saboteurs et agents de diversion, parmi lesquels les agents trotskistes du fascisme jouent un rôle actif, et les saboteurs et agents de diversion de l’époque de l’affaire de Chakhti, d’autre part.

Premièrement. Les saboteurs de Chakhti et les membres du Parti industriel étaient pour nous des hommes franchement étrangers.

C’étaient, pour la plupart, d’anciens propriétaires d’entreprises, d’anciens administrateurs des patrons d’autrefois, d’anciens associés de vieilles sociétés anonymes où simplement de vieux socialistes bourgeois qui, au point de vue politique, « nous étaient » franchement hostiles.

Aucun d’entre nous ne doutait du vrai visage politique de ces messieurs.

Au reste, les hommes de Chakhti eux-mêmes ne dissimulaient pas leur attitude hostile envers le régime soviétique. On ne saurait en dire autant des actuels saboteurs et agents de diversion, des trotskistes : ce sont, pour la plupart, des membres du Parti, qui ont en poche la carte du Parti ; par conséquent, des hommes qui, officiellement, ne nous sont pas étrangers.

Si les vieux saboteurs agissaient contre nos hommes, les nouveaux saboteurs, au contraire, leur font des courbettes, font l’éloge de nos hommes, rampent devant nos hommes pour gagner leur confiance.

La différence, comme vous le voyez, est essentielle.

Deuxièmement.

Ce qui faisait la force des saboteurs de Chakhti et des membres du Parti industriel, c’est qu’ils possédaient, à un degré plus ou moins grand, les connaissances techniques nécessaires, tandis que nos hommes à nous, qui n’avaient pas ces connaissances, étaient contraints de se mettre â leur école.

Cela donnait un grand avantage aux saboteurs de l’époque de Chakhti, cela leur permettait de nuire en toute liberté et sans obstacle, cela leur permettait de tromper nos hommes techniquement. Il en va autrement des saboteurs de nos jours, des trotskistes.

Les saboteurs d’aujourd’hui n’ont aucun avantage technique sur nos hommes.

Au contraire, au point de vue technique, nos hommes sont mieux préparés que les saboteurs actuels, que les trotskistes.

Dans l’intervalle de l’époque de Chakhti à nos jours, de véritables cadres bolcheviks techniquement ferrés ont grandi chez nous et comptent des dizaines de milliers d’hommes.

On pourrait nommer des milliers et des dizaines de milliers de dirigeants bolcheviks qui se sont développés au point de vue technique et en comparaison desquels tous ces Piatakov et ces Livchitz, ces Chestov et Bogouslavski, ces Mouralov et Drobnis, ne sont que de vains bavards et des blancs-becs sous le rapport de la formation technique.

Qu’est-ce qui fait donc la force des saboteurs actuels ?

Leur force réside dans la carte du Parti, dans la possession de la carte du Parti.

Leur force c’est que la carte du Parti leur donne la confiance politique et leur ouvre accès à tous nos établissements et organisations. Leur avantage, c’est que, possédant cette carte et se faisant passer pour les amis du pouvoir des Soviets, ils trompaient nos hommes politiquement, abusaient de leur confiance, nuisaient en sous-main et dévoilaient nos secrets d’Etat aux ennemis de l’Union soviétique.

« Avantage » douteux quant à sa valeur politique et morale, mais « avantage » qui, en somme, explique le fait que les saboteurs trotskistes, comme possesseurs de la carte du Parti et ayant accès à tous les postes de nos établissements et organisations, ont été une véritable aubaine pour les services d’espionnage des Etats étrangers.

L’erreur de certains de nos camarades du Parti, c’est qu’ils n’ont pas remarqué, qu’ils n’ont pas compris toute cette différence entre les anciens et les nouveaux saboteurs, entre les hommes de Chakhti et les trotskistes, et, ne rayant pas remarquée, ils n’ont pas su se réorganiser en temps opportun pour engager leur lutte, d’une manière nouvelle, contre les nouveaux saboteurs. »

Pour une formation bolchevik, 1937

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L’URSS socialiste: Tchéka, GPU, NKVD face aux «centres» terroristes

Il existe une contradiction entre l’affirmation de la Constitution et la nécessité de la répression à l’égard de la contre-révolution.

Le régime soviétique a toujours dû faire face à d’intenses activités contre-révolutionnaires, allant de la propagande au terrorisme. Pour cela, il a organisé une structure, qui a changé de nom historiquement.

Il y a ainsi au départ la Tchéka (Commission extraordinaire), de 1917 à 1922, puis le GPU (Direction Politique d’État) jusqu’en 1934, date à laquelle il cède la place au NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures).

Fut fondé ensuite le NKGB (Commissariat du peuple à la sécurité gouvernementale), subordonné au NKVD, le tout devenant le MGB (Ministère à la sécurité gouvernementale) de 1946 à 1954.

Ces services de répression utilisaient des camps de travail pour déporter les éléments de la contre-révolution. Ceux-ci étaient placés en périphérie du pays, qui connaît parfois des conditions naturelles extrêmement rudes. C’est de là que vient l’image largement utilisée par la bourgeoisie du « goulag sibérien ».

Les archives d’URSS montrent que de 1934 à 1947, il y eu en tout environ 10 millions de personnes (soit 5 % de la population) d’emprisonnées, avec 40 000 personnes mortes par an. Le chiffre est similaire pour la période 1945-1953.

De 1934 à 1953, entre 20 et 40 % des prisonniers sociaux quittaient les camps de travail pour être réintégrés dans la société. L’amnistie pour les prisonniers sociaux était promulguée lors de célébrations : en l’honneur de la naissance de l’URSS en 1923, pour commémorer les 5 et 10 ans de la révolution russe en 1922 et en 1927, pour le 20e anniversaire de l’armée rouge en 1938, pendant la seconde guerre mondiale impérialiste afin de rejoindre l’armée rouge (577 000 personnnes), à la victoire de 1945 (où 600 000 personnes furent libérées).

En pratique, c’est par vague que les camps de travail se remplissent, en fonction des campagnes de répression, avec les personnes arrêtées devant être rééduquées par le travail. L’une des plus importantes, malgré l’exécution de centaines de milliers de contre-révolutionnaires, date du milieu des années 1930.

Au début des années 1930, en effet, le trotskysme était passé au terrorisme, il était devenu l’idéologie mise en avant par tous les éléments contre-révolutionnaires, dans toutes leurs tentatives.

L’événement le plus brutal fut l’assassinat, le 1er décembre 1931, de Sergueï Kirov. Né en 1884, membre du Parti bolchevik dès 1904, il joua un rôle significatif durant la guerre civile, rejoignit le Comité Central en 1923 et devint responsable du Parti pour la ville de Léningrad à partir de 1925.

Ayant rejoint le Bureau Politique en 1930, il devint une figure extrêmement populaire et était alors le véritable second de Staline. Son meurtre était l’expression politique la plus avancée de la contre-révolution, visant le cœur de l’État soviétique.

La contre-révolution s’appuyait alors sur deux « centres », composés à la fois de contre-révolutionnaires et de renégats aux positions erratiques, tiraillés entre l’acceptation du régime et une ligne « ultra ».

Le premier « centre » agissait à Léningrad, autour d’anciens membre de « l’opposition » liée à Zinoviev, le second se situait à Moscou, lié à Zinoviev mais également à Kamenev.

La situation était tendue, et extrême : quelqu’un comme Guenrikh Liouchkov, qui fut un très important membre des services de sécurité, devint trotskyste et rejoignit l’armée japonaise, lui fournissant nombre d’informations sur la défense de l’armée rouge en Extrême-Orient et en Ukraine.

Le Parti bolchévik dut réagir vite et fermement, pour ne pas se faire déborder par la contre-révolution. A la suite de l’assassinat de Sergueï Kirov, le Comité Central explique :

« Il faut en finir avec la placidité opportuniste qui part de cette supposition erronée qu’à mesure que nos forces grandissent, l’ennemi doit s’apprivoiser et devenir plus inoffensif.

Cette supposition est radicalement fausse.

C’est là un relent de la déviation de droite, qui assurait tout un chacun que les ennemis s’intégreraient tout doucement dans le socialisme, qu’ils finiraient par devenir de vrais socialistes. Il n’appartient pas aux bolcheviks de se reposer sur leurs lauriers et de bayer aux corneilles.

Ce qu’il nous faut, ce n’est pas la placidité, mais la vigilance, la vraie vigilance révolutionnaire bolchevique. Il ne faut pas oublier que plus la situation des ennemis sera désespérée, plus ils se raccrocheront aux « moyens extrêmes » comme étant l’unique recours de gens voués à la perte dans leur lutte contre le pouvoir des Soviets. Il convient de ne jamais oublier cela et d’être vigilant (…).

Il faut porter au niveau requis l’enseignement de l’histoire du Parti aux membres du Parti ; l’étude de toutes les espèces de groupements hostiles au Parti qui ont existé au cours de son histoire, l’étude de leurs procédés de lutte contre la ligne du Parti, l’étude de leur tactique et, à plus forte raison, celle de la tactique et des procédés de lutte de notre Parti contre les groupements qui lui étaient hostiles, l’étude de la tactique et des moyens qui ont permis à notre Parti de vaincre, de battre à plate couture tous ces groupements.

Il faut que les membres du Parti sachent non seulement comment le Parti a combattu et vaincu les cadets, les socialistes-révolutionnaires, les menchéviks, les anarchistes, mais aussi comment il a combattu et vaincu les trotskistes, les tenants du « centralisme démocratique », l’ « opposition ouvrière », les zinoviévistes, les fauteurs des déviations de droite, les avortons droitiers-gauchistes, etc.

Il ne faut pas oublier que la connaissance et la compréhension de l’histoire de notre Parti constituent un moyen important entre tous, indispensable, pour assurer pleinement la vigilance révolutionnaire des membres du Parti. »

Les procès des centres, en 1936, 1937 et 1938 eurent un retentissement mondial. L’opinion publique fut largement frappée des aveux des responsables de ces centres – une chose tout à fait compréhensible de par leur situation ambivalente par rapport au Parti bolchevik, ces personnes étant littéralement coincés entre l’ancien et le nouveau.

Pour la presse bourgeoise et ses historiens, ces aveux ne pouvaient avoir été qu’extorqués et montés de toutes pièces. A cela s’ajoute l’incapacité de la bourgeoisie à comprendre qu’une personne « subjectivement » révolutionnaire peut, de manière objective, servir la contre-révolution.

Pourtant, des observateurs internationaux furent présents aux procès, et il n’y eut pas de coups d’éclat. Les aveux n’étaient que le fruit d’une simple vérité : on ne peut pas avoir raison contre le Parti.

L’une des erreurs de ces procès fut cependant de ne pas avoir compris précisément quand l’activité révolutionnaire de ces renégats se termina, et quand les choses se retournèrent en leur contraire. Au lieu de cela, le manque de compréhension du matérialisme dialectique à l’époque fit qu’on considéré que les traîtres avaient toujours été des traîtres.

Cependant, les procès montrèrent clairement la nature du trotskysme, devenu le drapeau de ceux qui entendaient liquider physiquement la direction du Parti bolchevik, former des cellules clandestines notamment dans l’armée et profiter d’une guerre pour renverser le régime. Staline devait même être tué en plein congrès, du Parti bolchévik ou de l’Internationale Communiste, afin de former une vague de mobilisation en la faveur du trotskysme.

La conception trotskyste reposait en fait sur la « déclaration Clémenceau » : Trotsky considérait dans ce texte du milieu des années 1920 (par ailleurs jamais traduit en français) que le régime soviétique ferait comme la France pendant la guerre de 1914-1918, en situation de presque défaite : elle appellerait son meilleur élément.

Trotsky pense que la même chose se déroulerait devant la guerre impérialiste rendue inévitable avec l’Allemagne devenue nazie. Parvenu au pouvoir, les trotskystes entendaient ouvrir le pays au capital étranger et abandonner la collectivisation des terres, afin de « renforcer » l’économie, pendant que le prolétariat serait organisé par une sorte de dictature pratiquement terroriste. Ils entendaient maintenir de bonnes relations avec leurs voisins au prix de concessions territoriales, principalement l’Ukraine.

Trotsky se voyait ainsi comme une sorte de Napoléon, qui « sauverait » les acquis de la révolution d’Octobre. Les différents dirigeants de « l’opposition » rassemblèrent des éléments autour d’eux, dans l’idée d’une « guérilla », puis du terrorisme.

Dans certains cas, comme celui de Karl Radek, ce sont ainsi les contacts qui l’ont amené à s’engager ; au procès de 1937 il déclara ainsi :

« Une direction, une somme de points de vue, est la somme des rapports humains, et on ne peut pas rompre avec une direction, sans rompre avec les gens avec qui on a lutté pour des objectifs hostiles au Parti ».

De fait, l’esprit de « factions » a abouti au terrorisme.

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L’URSS socialiste: une nouvelle citoyenneté

L’industrialisation et le développement d’une armée de cadres permit au Parti bolchevik de former une société socialiste, au grand dam des bourgeoisies des pays impérialistes, qui n’auront de cesse de critiquer la « dictature » et par la suite le « totalitarisme ».

L’URSS signifiait en effet alors une nouvelle citoyenneté, avec des individus s’assumant comme membres de la société. Dans le domaine des arts et des lettres, le réalisme socialiste s’imposait comme la forme la plus élevée de civilisation, l’URSS produisant toute une série d’artistes assumant l’héritage, suivant le réalisme et ancrés dans le peuple.

Sur tous les plans, la société de l’URSS progressait à pas de géant ; les masses se mobilisaient pour le socialisme, les plans étaient régulièrement finis en avance, comme par exemple le deuxième plan quinquennal de l’industrie réalisé en avril 1937, avec neuf mois d’avance.

L’une des expressions spectaculaires fut bien entendu également le stakhanovisme, du nom d’Alexéï Stakhanov qui travaillait dans un bassin minier du Donez et avait lors d’un poste en août 1935 amené 102 tonnes de charbon, soit 14 fois plus que la norme courante.

Ce genre d’initiatives volontaires se généralisa, donnant ce qui fut appelé le « stakhanovisme », avec des gens comme Boussyguine dans l’industrie automobile, Smétanine dans la chaussure, Krivonos dans les transports, Moussinski dans l’industrie forestière, Evdokia et Maria Vinogradova dans le textile, Maria Demtchenko, Marina Gnatenko, P. Anguélina, Pola-goutine, Kolessov, Kovardak, Borine dans l’agriculture.

En novembre 1935 se tint même une première Conférence des stakhanovistes de l’U.R.S.S, où Staline analysa la signification historique de cette initiative des masses par rapport au communisme :

« Le mouvement stakhanoviste exprime un nouvel essor de l’émulation socialiste, une étape nouvelle, supérieure, de l’émulation socialiste…

Précédemment, il y a quelque trois ans, pendant la première étape de l’émulation socialiste, celle-ci n’était pas nécessairement liée à la technique nouvelle. D’ailleurs, à ce moment, nous n’avions presque pas, à proprement parler, de technique nouvelle.

Tandis que l’étape actuelle de l’émulation socialiste, le mouvement stakhanoviste est, au contraire, nécessairement liée à la technique moderne. Le mouvement stakhanoviste ne serait pas concevable sans la technique nouvelle, supérieure.

Voici devant vous des gens tels que les camarades Stakhanov, Boussyguine, Smétanine, Krivonos, Pronine, les Vinogradova et beaucoup d’autres, des gens nouveaux, ouvriers et ouvrières, qui se sont rendus entièrement maîtres de la technique de leur métier, qui l’ont domptée et poussée en avant.

Ces gens-là, nous n’en avions pas ou presque pas, il y a quelque trois ans… (…)

Observez de plus près les camarades stakhanovistes.

Que sont ces gens ? Ce sont surtout des ouvriers et des ouvrières, jeunes ou d’âge moyen, des gens développés, ferrés sur la technique, qui donnent l’exemple de la précision et de l’attention au travail, qui savent apprécier le facteur temps dans le travail et qui ont appris à compter non seulement par minutes, mais par secondes.

La plupart d’entre eux ont passé ce qu’on appelle le minimum technique [niveau d’études pour travailler dans les entreprises] et continuent de compléter leur instruction technique.

Ils sont exempts du conservatisme et de la routine de certains ingénieurs, techniciens et dirigeants d’entreprises ; ils vont hardiment de l’avant, renversent les normes techniques vieillies et en créent de nouvelles plus élevées ; ils apportent des rectifications aux capacités de rendement prévues et aux plans économiques établis par les dirigeants de notre industrie ; ils complètent et corrigent constamment les ingénieurs et techniciens ; souvent ils leur en remontrent et les poussent en avant, car ce sont des hommes qui se sont rendus pleinement maîtres de la technique de leur métier et qui savent tirer de la technique le maximum de ce qu’on en peut tirer.

Les stakhanovistes sont encore peu nombreux aujourd’hui, mais qui peut douter que demain leur nombre ne soit décuplé ?

N’est-il pas clair que les stakhanovistes sont des novateurs dans notre industrie ; que le mouvement stakhanoviste représente l’avenir de notre industrie ; qu’il contient en germe le futur essor technique et culturel de la classe ouvrière ; qu’il ouvre devant nous la voie qui seule nous permettra d’obtenir les indices plus élevés de la productivité du travail, indices nécessaires pour passer du socialisme au communisme et supprimer l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel ? »

Par conséquent, l’URSS procéda à la formation d’une nouvelle Constitution, affirmant que l’URSS était désormais socialiste, qu’il n’y avait plus d’antagonisme de classe.

Le Projet de Constitution, en 1936, explique ainsi que :

« A la différence des constitutions bourgeoises, le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. Part du fait que dans la société il n’existe plus de classes antagonistes ; que la société est composé de deux classes amies, d’ouvriers et de paysans; que ce sont justement ces classes laborieuses qui sont au pouvoir ; que la direction politique de la société (dictature) appartient à la classe ouvrière, en tant que classe avancée de la société ; que la Constitution est nécessaire pour fixer l’ordre social au gré et à l’avantage des travailleurs. »

En URSS, de par la socialisation de la production, il n’y a plus d’exploitation d’êtres humains entre eux. Il reste des classes sociales, mais elles sont « amies ». La paysannerie, en effet, exerce son activité « sur le travail collectif et la technique moderne », ses intérêts sont les mêmes que la classe ouvrière.

Il y a, ensuite, « des intellectuels, des ingénieurs et techniciens, des travailleurs du front culturel, des employés en général » ; cependant, ceux-ci sont organiquement liés à la classe ouvrière et aux masses paysannes.

C’est pour cela qu’aux élections qui furent menées, sur 94 millions d’électeurs, plus de 91 millions, soit 96,8% prirent part aux élections, 98,6% votèrent pour le « bloc des communistes et des sans-parti », 632.000 personnes seulement votant contre.

Pour autant, il existait une répression visant les contre-révolutionnaires, comment était-elle expliquée ? Le Précis d’histoire du PCUS (b), en 1938, donne le point de vue suivant :

« Les problèmes de direction politique et idéologique occupaient une place importante dans le rapport [au 17e congrès, en 1934] du camarade Staline.

Il avertissait le Parti que, bien que les ennemis du Parti — les opportunistes de toutes nuances, les fauteurs des déviations nationalistes de toute sorte — aient été battus, les vestiges de leur idéologie subsistent dans le cerveau de certains membres du Parti et se font sentir en mainte occasion.

Les survivances du capitalis­me dans l’économie et, surtout, dans la conscience des hommes, offrent un terrain propice pour faire renaître l’idéologie des groupes antiléninistes battus.

Le développement de la conscience des hommes retarde sur leur situation économique. C’est pourquoi les survivances des conceptions bourgeoises restent et resteront encore un certain temps dans le cerveau des hommes, bien que le capitalisme soit liquidé dans l’économie.

Au surplus, il faut tenir compte que les États capitalistes qui encerclent l’U.R.S.S. et contre lesquels nous devons garder notre poudre sèche, s’appliquent à ranimer et à soutenir ces survivances. »

Cette vision de la contre-révolution était suffisante ? Pour cela, il faut voir comment le régime a, de manière juste, réprimé celle-ci.

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L’URSS socialiste: la technique, les cadres, «parcourir cette distance en dix ans»

La construction du socialisme posa certains problèmes, principalement dans l’équilibre entre les initiatives prises, dans la connexion entre les différentes étapes.

Ainsi, la victoire dans la collectivisation fut telle que le Parti bolchevik dut prendre des mesures pour empêcher que l’élan pris n’amène pas des mesures ne consistant qu’en des fictions administratives, certains kolkhozes n’étant pas encore réellement organisés.

C’est Staline, qui en mars 1930 dans un document alors célèbre et intitulé Le vertige du succès, dénonce cette démarche gauchiste de collectivisation « par en haut » :

« On sait que dans une série de régions de l’U.R.S.S., où la lutte pour l’existence des kolkhozes est loin d’être terminée, et où les artels ne sont pas encore consolidées, des tentatives sont faites pour sauter hors du cadre des artels et s’élancer d’emblée vers la commune agricole.

L’artel n’est pas encore consolidée, mais déjà on « collectivise » les habitations, le petit bétail, la volaille, et cette « collectivisation » dégénère en proclamations à coups de décrets paperassiers et bureaucratiques, les conditions n’étant pas encore réunies qui rendraient cette collectivisation nécessaire.

On pourrait croire que le problème des céréales est déjà résolu dans les kolkhoz, qu’il représente une étape déjà franchie; qu’à l’heure présente, la tâche essentielle n’est point de résoudre le problème des céréales,mais celui de l’élevage et de l’aviculture. On se demande à qui profite ce « travail » de brouillons, qui consiste à mettre dans le même sac les formes diverses du mouvement de collectivisation?

A qui profite cette précipitation absurde et nuisible pour la cause?

Irriter le paysan kolkhozien par la «collectivisation» des habitations, de tout le bétail laitier,de tout le petit bétail, de la volaille, alors que le problème des céréales n’est pas encore résolu, alors que la forme-artel des kolkhoz n’est pas encore consolidée,—n’est-il pas clair qu’une telle «politique» ne peut être agréable et avantageuse qu’à nos ennemis jurés?

Un de ces « collectivisateurs » zélés en arrive même à lancer un ordre à l’artel prescrivant d’«inventorier, dans un délai de trois jours, toute la volaille de chaque ferme », d’établir la fonction de « commandants »spéciaux pour l’enregistrement et la surveillance, d’« occuper dans l’artel les postes de commande», de « diriger le combat socialiste sans abandonner les postes», et—la chose est claire—de tenir l’artel fermement en mains.

Qu’est-ce donc ? Une politique de direction du kolkhoz ou une politique de sa décomposition et des on discrédit?

Je ne parle même pas de ces « révolutionnaires », s’il est permis de les appeler ainsi, qui, pour organiser une artel, commencent par décrocher les cloches des églises. Décrocher les cloches, pensez donc comme c’est révolutionnaire!

Comment ont pu se produire dans notre milieu ces pratiques brouillonnes en matière de « collectivisation », ces tentatives grotesques de vouloir sauter par-dessus soi-même, tentatives ayant pour but de passer outre aux classes et à la lutte de classes, mais qui, en réalité, portent l’eau au moulin de nos ennemis de classes?

Elles n’ont pu se produire que dans l’atmosphère de nos succès « faciles » et « inopinés » sur le front de construction des kolkhoz.

Elles n’ont pu se produire que par suite des tendances brouillonnes qui se manifestent dans les rangs de certaines couches du Parti: « Nous pouvons tout ! », « Il ne nous en coûte rien ! »

Elles n’ont pu se produire que parce que les succès ont donné le vertige à quelques-uns de nos camarades,qui ont perdu un instant la lucidité d’esprit et la saine compréhension des choses.

Pour redresser la ligne de notre travail en matière de construction des kolkhoz, il faut mettre un terme à ces tendances. C’est là maintenant une des tâches immédiates du Parti. »

Un second souci fut que lancer l’industrialisation faisait en sorte, nécessairement, que les investissements primaient sur les dépenses pour la consommation. De fait, l’un des problèmes de la politique d’industrialisation était que la consommation individuelle de biens était affaiblie par cette priorité choisie.

Staline en était bien sûr parfaitement conscient, mais il explique qu’il n’y avait pas d’autres choix, si l’on ne voulait pas que l’URSS devienne la cible des impérialistes. Il expliqua ainsi :

« On nous dit: Tout cela est fort bien,on a construit beaucoup de nouvelles usines,on a jeté les bases de l’industrialisation.

Mais il aurait beaucoup mieux valu renoncer à la politique d’industrialisation,à la politique d’extension de la production des moyens de production,ou du moins rejeter cette tâche à l’arrière-plan, afin de produire une plus grande quantité de cotonnades, de chaussures, de vêtements et autres objets de grande consommation.

La production d’objets de grande consommation a été inférieure à nos besoins,et cela crée certaines difficultés.

Mais alors il faut savoir et il faut se rendre compte à quoi nous aurait conduits cette politique de mise à l’arrière-plan des tâches de l’industrialisation. Évidemment,sur le milliard et demi de roubles, en devises étrangères,que nous avons dépensés au cours de cette période pour équiper notre industrie lourde,nous aurions pu réserver la moitié aux importations de coton,de cuir, de laine, de caoutchouc, etc.

Nous aurions eu alors plus de cotonnades, de chaussures, de vêtements.

Mais alors nous n’aurions ni industrie des tracteurs,ni industrie automobile; nous n’aurions pas de sidérurgie tant soit peu importante;nous n’aurions pas de métal pour la fabrication des machines,et nous serions désarmés face à l’encerclement capitaliste armé d’une technique nouvelle.

Nous nous serions alors privés de la possibilité de fournir l’agriculture en tracteurs et en machines agricoles, et donc nous serions restés sans blé.

Nous nous serions mis dans l’impossibilité de vaincre les éléments capitalistes du pays, et donc nous aurions augmenté incroyablement les chances de restauration du capitalisme.

Nous n’aurions pas alors tous les moyens modernes de défense, sans lesquels l’indépendance d’un pays comme État est impossible ; sans lesquels un pays devient un objectif pour les opérations militaires des ennemis du dehors. »

Le bilan du premier plan quinquennal, 1933

Staline avait déjà précisé, quelques années auparavant, l’importance capitale que cela avait pour la survie même de l’URSS. Il affirma ainsi, dans son discours à la première conférence des cadres dirigeants de l’industrie, en février 1931 :

« On demande parfois, disait le camarade Staline dans son intervention, s’il ne serait pas possible de ralentir un peu les rythmes, de retenir le mouvement.

Non, ce n’est pas possible, camarades ! Il n’est pas possible de réduire les rythmes !… Freiner les rythmes, cela signifie retarder. Mais les retardataires se font battre. Et nous, nous ne voulons pas être battus. Non, nous ne le voulons pas !

L’histoire de l’ancienne Russie consistait, entre autres, en ce que la Russie était continuellement battue à cause de son retard.

Battue par les khans mongols. Battue par les beys turcs. Battue par les féodaux suédois. Battue par les seigneurs polono-lituaniens. Battue par les capitalistes anglo-français. Battue par les barons japonais. Battue par tout le monde, — pour son retard…

Nous retardons de cinquante à cent ans sur les pays avancés. Nous devons parcourir cette distance en dix ans. Ou nous le ferons, ou nous serons broyés…

En dix ans au maximum, nous devons parcourir la distance dont nous retardons sur les pays avancés du capitalisme. Pour cela, nous avons toutes les possibilités « objectives ». Il ne nous manque que le savoir-faire pour tirer véritablement parti de ces possibilités. Mais c’est une chose qui dépend de nous. Uniquement de nous !

Il est temps que nous apprenions à tirer parti de ces possibilités. Il est temps d’en finir avec cette tendance pernicieuse à ne pas s’ingérer dans la production. Il est temps d’adopter une autre, une nouvelle attitude, conforme à la période actuelle : l’attitude qui consiste à se mêler de tout. Si tu es directeur d’usine, mêle-toi de toutes les affaires, pénètre au fond de toutes choses, ne laisse rien passer, apprends et apprends encore. Les bolcheviks doivent se rendre maîtres de la technique.

Il est temps que les bolcheviks deviennent eux-mêmes des spécialistes. La technique en période de reconstruction décide de tout. »

La technique décide de tout, expliqua Staline, à un moment précis ; ainsi, une fois l’industrialisation lancée, ce sont les cadres maîtrisant de cette technique qui jouent un rôle capital.

Voici comment, en 1935, Staline précise cette question fondamentale, lors de la promotion des élèves des Écoles supérieures de l’Armée rouge :

« Auparavant, nous disions que « la technique décide de tout ».

Ce mot d’ordre nous a aidés en ce sens que nous avons fait disparaître la pénurie technique et créé la base technique la plus large dans toutes les branches d’activité, pour armer nos hommes d’une technique de premier ordre.

C’est très bien. Mais c’est loin, bien loin de suffire.

Pour mettre la technique en mouvement et l’utiliser à fond, il faut des hommes, maîtres de la technique, il faut des cadres capables d’assimiler et d’utiliser cette technique selon toutes les règles de l’art.

La technique sans les hommes qui en aient acquis la maîtrise est chose morte. La technique avec, en tête, des hommes qui en ont acquis la maîtrise, peut et doit faire des miracles.

Si dans nos usines et nos fabriques de premier ordre, dans nos sovkhoz et nos kolkhoz, dans nos transports, dans notre Armée rouge, il y avait en nombre suffisant des cadres capables de dominer cette technique, notre pays obtiendrait un rendement trois et quatre fois plus élevé qu’aujourd’hui.

Voilà pourquoi le gros de notre effort doit porter maintenant sur les hommes, sur les cadres, sur les travailleurs, maîtres de la technique.

Voilà pourquoi l’ancien mot d’ordre : « la technique décide de tout », reflet d’une période déjà révolue, où la pénurie sévissait chez nous dans le domaine technique, doit être maintenant remplacé par un mot d’ordre nouveau : « les cadres décident de tout ». C’est là aujourd’hui l’essentiel…

Il faut comprendre enfin que de tous les capitaux précieux existant dans le monde, le plus précieux et le plus décisif, ce sont les hommes, les cadres. Il faut comprendre que, chez nous, dans les conditions actuelles, « les cadres décident de tout ».

Si nous avons de bons et nombreux cadres dans l’industrie, dans l’agriculture, dans les transports, dans l’armée, notre pays sera invincible. Si nous n’avons pas de tels cadres, nous boiterons des deux pieds. » 

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L’URSS socialiste et le triomphe de la collectivisation

Le plan quinquennal avait un objectif très clair : industrialiser l’URSS, qui était isolée du reste du monde, contrôlé par les capitalistes. Le pays devait de lui-même réaliser des centaines d’usines de constructions mécaniques, de machines-outils, d’automobiles, de produits chimiques, de moteurs, d’outillages pour centrales électriques, d’artillerie, de tanks, etc. etc.

Il y parvint. Au début des années 1930, l’industrie formait la majorité de l’économie. Elle avait rattrapé le niveau d’avant-guerre en 1926-1927 et représentait en 1933 201 % du niveau de 1929, alors qu’en même temps, en raison de la crise générale du capitalisme, l’industrie des États-Unis passait à 65 % par rapport à 1929, celle d’Angleterre à 86 %, celle de France à 77 % et celle d’Allemagne à 66 %.

Cela ne veut pas dire que l’URSS avait alors rattrapé ces pays. Tant sur le plan électrique que métallurgique, le retard était encore très grand. La production de fonte visait, en 1929-1930, 5,5 millions de tonnes, la France en produisant alors presque le double et l’Allemagne un peu moins du triple.

C’est pourquoi, pour assurer la stabilité de la croissance, il avait fallu liquider les koulaks, les paysans riches dont la production ne permettait pas d’avancer, de par son caractère arriéré. Comme le constatait Staline alors :

« Ceux qui disent que le koulak «n’est pas plus terrible» que le capitaliste de la ville,qu’il n’est pas plus dangereux que le nepman, que nous n’avons aujourd’hui rien à «redouter», de la part des koulaks,—ceux-là se livrent à un vain bavardage libéral, destiné à endormir la vigilance de la classe ouvrière et des masses fondamentales de la paysannerie.

Il ne faut pas oublier que si, dans l’industrie, nous pouvons opposer au petit capitaliste de la ville la grande industrie socialiste, qui fournit les neuf dixièmes de la masse des marchandises industrielles, nous ne pouvons, dans les campagnes, opposer à la grosse production des koulaks que les collectivités agricoles et fermes d’État,insuffisantes encore et produisant huit fois moins de céréales que les exploitations koulaks.

Ceux qui ne se rendent pas compte de ce que sont les grandes exploitations agricoles koulaks, ceux qui ne comprennent pas que le rôle de ces exploitations est cent fois plus considérable que celui des capitalistes dans l’industrie urbaine, sont des fous qui cherchent à rompre avec le léninisme, à passer au camp des ennemis de la classe ouvrière.

Donc, comment sortir de la situation?

Il faut avant tout abandonner le système des petites exploitations paysannes, éparpillées et retardataires, et former de grandes exploitations collectives unifiées,munies de machines, armées des progrès de la science et aptes à produire pour le marché le maximum de céréales. » (Sur le front des céréales, 1928)

L’industrialisation, c’est donc aussi les tracteurs destinés aux grandes entreprises agraires… qui restent à fonder avant la liquidation des koulaks.

Un kolkhoze, c’est une coopérative agricole où tout est mis en commun, depuis les terres jusqu’aux outils, ainsi que les animaux employés, même si chaque membre a droit à un lopin de terre.

Le salaire du kolkozien dépend de sa part de travail par rapport à l’ensemble produit, revendu à l’État. Dans le sovkhoze, au contraire, les membres sont des salariés, l’entreprise étant directement une composante de l’État.

Moderniser les moyens de production, c’est donc permettre aux kolkhozes et aux sovkhozes de produire plus et de se passer des koulaks.

Ces dernier produisaient, en 1927, plus de 600 millions de pouds de blé (1 poud = environ 16 kg) dont environ 130 millions de pouds de blé marchand, alors que les sovkhozes et les kolkhozes ne produisaient que 35 millions de pouds de blé marchand. Ce dernier chiffre passa à 130 millions dès 1929, puis 400 millions en 1930.

En 1930, environ la moitié des exploitations paysannes avaient été collectivisées, contre pratiquement rien en 1928 ; la grande majorité de la production de céréales était désormais réalisée par les kolkhozes.

Les koulaks, parallèlement, n’avaient plus le droit de s’approprier la terre et d’employer de la main d’oeuvre ; leurs propriétés furent saisis par le reste de la paysannerie organisée en kolkhozes.

C’était la fin de la propriété individuelle s’appuyant sur un capital pour exploiter, engendrant par conséquent le capitalisme et menaçant le régime socialiste de restauration capitaliste.

En 1931, dans les principales régions agricoles, les 200.000 kolkhozes regroupaient 80 % des exploitations, et 50 % dans les régions secondaires. Les sovkhozes n’étaient, quant à deux, pour l’instant que 4000. Cependant, les paysans individuels ne travaillaient déjà plus qu’un tiers de la superficie cultivable.

En 1937, les kolkhozes représenteront 93 % de l’agriculture, avec également 99 % des céréales, produisant un quart de plus que toute l’agriculture de 1913. De fait, les terres agricoles elles-mêmes étaient passées de 105 millions d’hectares en 1913 à 135 millions en 1937. 18,8 millions de foyers paysans faisaient partie des kolkhozes.

Le précis d’histoire du PCUS (b) de 1938 donne les chiffres suivants : la production des céréales augmenta de 4 milliards 800 millions de pouds en 1913 à 6 milliards 800 millions en 1937 ; la production de coton brut, de 44 millions de pouds à 154 millions ; la production de lin (fibre), de 19 millions de pouds à 31 millions ; la production de betterave, de 654 millions de pouds à 1 milliard 311 millions ; la production des plantes oléagineuses, de 129 millions de pouds à 306 millions.

En 1933, 17.000 cadres furent envoyés dans les campagnes, pour organiser des sections politiques dans les SMT, les stations de machines et tracteurs, qui étaient au nombre de 2860. Dès 1931, il y avait déjà 281.000 tracteurs et 32.000 moissonneuses-batteuses.

Le second plan quinquennal mis en œuvre fit en sorte que l’on passa de d’une puissance du parc de tracteurs de 2,25 millions de CV en 1932 à plus de 8 millions de CV en 1937.

L’industrialisation se développait de la même manière. Le nombre d’ouvriers et d’employés passa de 14,5 millions en 1930 à 21,8 millions en 1933.

De la même manière, le nombre de personnes sachant lire et écrire passa de 67 % en 1930 et 90 % en 1933.

Le nombre d’élèves dans les écoles passa de 14,3 millions en 1929 à 26,4 millions en 1933 ; le nombre d’enfants en maternelle passa de 838.000 en 1929 à 5,9 millions en 1933.

Le nombre d’établissements supérieurs, généraux et spéciaux passa de 91 en 1914 à 600 en 1933, alors que le nombre d’institutions de recherche scientifique passa de 400 en 1929 à 840 en 1933.

Le commerce coopératif et d’État, avec également les restaurants, vit son chiffre d’affaires passer de 18 milliards 900 millions de roubles en 1930 à 49 milliards en 1933.

Entre 1933 et 1937, les fonds destinés aux salaires passa de 37 à 81 milliards de roubles, et ceux pour les assurances sociales de 4 à 5,6 milliards, alors qu’en 1937 10 milliards furent dépensés pour l’amélioration des conditions d’existence pour les œuvres culturelles, les sanatoriums, les stations de cure, les maisons de repos et l’assistance médicale.

De la même manière, les fonds pour les maternités, les crèches, les jardins d’enfants… passèrent de 875 millions de roubles en 1935 à presque 2,2 milliards.

L’URSS commençait à devenir un pays de culture avancée, où la vie quotidienne était avancée sur le plan de la civilisation.

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L’URSS socialiste et l’affirmation du plan quinquennal

Le succès sur « l’opposition » fut total et marqué, comme pour les socialistes-révolutionnaires de gauche, par l’expulsion hors d’URSS, sur la base de l’article 58 du Code criminel réprimant la « propagande ou agitation en faveur du renversement, de la sape ou de l’affaiblissement du pouvoir soviétique ou pour commettre des actes individuels contre-révolutionnaires ».

L’issue était capitale, l’économie soviétique étant en effet à un tournant. En 1925, l’agriculture dépassait déjà 87 % du niveau d’avant-guerre et la grande industrie pratiquement 75 %.

A la fin de 1927, la partie socialiste de l’économie s’était considérablement renforcée. La part du secteur capitaliste dans l’industrie passa de 19 à 14 % de 1926 à 1927, alors que l’industrie atteignait désormais le niveau de 42 % de l’économie nationale.

Globalement, l’agriculture et l’industrie pris dans leur ensemble avait rattrapé le niveau d’avant-guerre et commençait à le dépasser.

La croissance de l’industrie marquait, de plus, une évolution formidable, étant de 18 % supérieur en 1927 à l’année précédente. A côté de cela, la part du commerce privé dans le commerce en général passa également à 32 %, au lieu de 42 % précédemment, et même de 9 % à 5 % dans le commerce de gros.

La victoire de l’industrie et du secteur socialiste avait cependant un prix : l’arriération de l’agriculture en raison de la petite propriété agricole. L’agriculture était revenue à son niveau d’avant-guerre, pour même le dépasser, mais elle en revenait à ses limites historiques.

Le fait étant criant dans le domaine des céréales qui, quant à lui, n’était qu’à 91 % du niveau d’avant-guerre, le blé marchand pour les villes atteignant péniblement 37 % du niveau d’avant-guerre. Cela signifiait que le moment était venu de procéder à un saut qualitatif dans l’agriculture, afin de rompre avec les méthodes arriérées.

Au 15e congrès du Parti bolchevik, en décembre 1927, Staline expliqua par conséquent :

« Où donc est l’issue ? L’issue, c’est de passer des petites exploitations paysannes dispersées aux grandes exploitations centralisées, basées sur le travail de la terre en commun ; c’est de passer à la culture collective de la terre, basée sur une technique nouvelle, supérieure.

L’issue, c’est de grouper les petites et minuscules exploitations paysannes, progressivement, mais d’une façon constante, — non pas en exerçant une pression, mais par l’enseignement des faits et la persuasion, — en de grandes exploitations basées sur le travail de la terre en commun, par associations, par collectivités, en employant des machines agricoles et des tracteurs, en appliquant les procédés scientifiques d’intensification de l’agriculture. Il n’est point d’autre issue. »

Cette position de Staline était en contradiction flagrante avec ce que prétendait le trotskysme au sujet du régime. Loin d’être l’expression de la petite production, l’URSS partait justement en guerre contre cette forme sociale.

Le trotskysme se révélait ainsi comme une tentative de saboter le passage de la nouvelle politique économique au socialisme. Le congrès décida ainsi d’affirmer que :

« L’opposition a rompu idéologiquement avec le léninisme ; elle a dégénéré en un groupe menchévik, s’est engagée dans la voie de la capitulation devant les forces de la bourgeoisie internationale et intérieure et s’est transformée, objectivement, en un instrument d’une troisième force contre le régime de la dictature du prolétariat. »

Cela se révéla avec une nouvelle forme de trotskysme, formulé par Boukharine et visant à empêcher la socialisation des campagnes, afin de protéger les koulaks, les paysans riches. Selon Boukharine, les capitalistes s’intégreraient pacifiquement dans le socialisme ; il ne fallait pas accentuer la lutte des classes.

Dans ce contexte, les koulaks s’organisèrent pour résister à la vente des excédents de blé, qu’ils accumulaient. Ils procédaient à une lutte de classes acerbes contre les kolkhozes, les formes de coopératives mises en avant par le socialisme. Cela alla du sabotage aux attaques, en passant par les incendies, notamment des centres publics de stockage.

A ces initiatives, l’URSS réagit fermement, en faisant confisquer sur ordre de la justice tous les excédents de blé des koulaks et des spéculateurs en cas de refus de les vendre à l’État sur la base de prix préétablis. Les paysans pauvres recevaient de leur côté 25 % du blé confisqué.

Les koulaks n’étaient pas les seuls à procéder au sabotage. Voici comment le précis d’histoire du PCUS (bolchevik) décrit un phénomène contre-révolutionnaire de la même période :

« La même année, on découvrit une importante organisation de saboteurs parmi les spécialistes bourgeois de Chakhty, dans le bassin du Donetz. Les saboteurs étaient étroitement liés aux anciens propriétaires des entreprises, — capitalistes russes et étrangers, — et aux services d’espionnage militaires de l’étranger. Leur but était de faire échec au développement de l’industrie socialiste et de favoriser la restauration du capitalisme en U.R.S.S.

Les saboteurs conduisaient de façon anormale l’exploitation des mines, en s’employant à diminuer les extractions de charbon. Ils détérioraient l’outillage et la ventilation, ils organisaient des éboulements et des explosions ; ils incendiaient les mines, les usines, les centrales électriques.

Ils freinaient à dessein l’amélioration des conditions matérielles des ouvriers et ils violaient les lois soviétiques sur la protection du travail. Les saboteurs furent déférés en justice et châtiés comme ils le méritaient.

Le Comité central du Parti invita toutes ses organisations à tirer de l’affaire de Chakhty les enseignements qui s’imposaient.

Le camarade Staline indiqua que les bolcheviks dirigeant les entreprises devaient eux-mêmes s’assimiler la technique de la production pour que les saboteurs figurant parmi les anciens spécialistes bourgeois ne pussent plus les tromper ; qu’il fallait hâter la formation de nouveaux cadres techniques recrutés au sein de la classe ouvrière.

Par décision du Comité central, on perfectionna la formation des jeunes spécialistes dans les écoles supérieures d enseignement technique. On mobilisa pour les études des milliers de membres du Parti, d’adhérents des Jeunesses communistes et de sans-parti dévoués à la cause de la classe ouvrière. »

La liquidation du courant de Boukharine permit l’affirmation par le Parti bolchévik de la formidable initiative que fut le plan quinquennal, le premier étant formulé théoriquement en avril 1929 à la 16e conférence du Parti. Cela marquait le saut dans la réalisation de l’économie socialiste, dirigé par un Parti à la lumière du matérialisme dialectique.

1929 fut ainsi « l’année du grand tournant ». Voici comment le précis d’histoire du PCUS bolchevik décrit cette période :

« L’édification industrielle se poursuivait, immense, à travers le pays. Les travaux de construction de la centrale hydroélectrique du Dniepr battaient leur plein.

Dans le bassin du Donetz, on édifiait les usines de Kramatorsk et de Gorlovka ; on reconstruisait l’usine de locomotives de Lougansk, des hauts fourneaux neufs et de nouvelles mines apparaissaient. Dans l’Oural, on édifiait une usine de constructions mécaniques, des groupes d’usines chimiques à Bérezniki et Solikamsk. On élevait l’usine métallurgique de Magnitogorsk.

La construction de grandes usines d’automobiles à Moscou et à Gorki était en train. On édifiait de géantes usines de tracteurs et de moissonneuses-batteuses, une usine monstre de machines agricoles à Rostov-sur-Don. La deuxième base houillère de l’Union soviétique, le bassin de Kouznetsk, prenait de l’extension. En onze mois, on avait vu surgir en pleine steppe, près de Stalingrad, une colossale usine de tracteurs.

Sur les chantiers du Dnieproguès et de l’usine de tracteurs de Stalingrad, les ouvriers avaient battu les records mondiaux de productivité du travail.

L’Histoire n’avait jamais vu encore une construction industrielle d’une envergure aussi gigantesque, un pareil enthousiasme pour bâtir une œuvre nouvelle, un tel héroïsme au travail de la part des masses innombrables de la classe ouvrière.

C’était, dans la classe ouvrière, un véritable élan de travail, qui se déployait sur la base de l’émulation socialiste.

Les paysans, cette fois, emboîtaient le pas aux ouvriers. À la campagne aussi, l’élan de travail avait gagné les masses paysannes qui édifiaient les kolkhoz. La masse de la paysannerie s’orientait nettement vers les kolkhoz.

Un rôle important revint ici aux sovkhoz et aux stations de tracteurs et de machines agricoles (S.M.T.), bien pourvues de matériel. Les paysans venaient en foule visiter les sovkhoz et les S.M.T. ; ils s’intéressaient au fonctionnement des tracteurs, des machines agricoles, ils exprimaient leur enthousiasme et, séance tenante, décidaient d’ « aller au kolkhoz ».

Divisés en petites et en minuscules exploitations individuelles, dépourvus d’un outillage et d’une force de traction tant soit peu convenables, privés de la possibilité de défricher les immenses étendues de terre vierge, privés de toute perspective d’améliorer leurs exploitations, écrasés par le besoin et l’isolement abandonnés à eux-mêmes, les paysans avaient enfin trouvé l’issue, le chemin d’une vie meilleure, grâce à l’union des petites exploitations en associations, en kolkhoz ; grâce aux tracteurs capables de labourer n’importe quelle « terre dure », n’importe quelle friche ; grâce à l’aide que leur apportait l’État en machines, en argent, en hommes, en conseils ; grâce à la possibilité de se libérer du joug des koulaks que le gouvernement soviétique venait juste de battre, de terrasser à la grande joie des innombrables masses de paysans.

C’est sur cette base que commença et que se déploya ensuite le mouvement kolkhozien de masse ; devenu particulièrement vigou­reux à la fin de 1929, il fut marqué par des rythmes d’augmentation des kolkhoz, rythmes inconnus même de notre industrie socialiste.

En 1928, la superficie ensemencée appartenant aux kolkhoz avait été de 1.390.000 hectares ; en 1929, elle fut de 4.262.000 hectares ; en 1930, les kolkhoz pouvaient déjà prévoir la mise en culture de 15.000.000 d’hectares. »

Avec le plan quinquennal, le retentissement de la construction du socialisme en URSS fut mondial.

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L’URSS socialiste: l’effondrement de «l’opposition»

La ligne de Trotsky, Kamenev et Zinoviev ne pouvait conclure qu’à une seule chose : maintenir l’Etat en tant que tel mais ouvrir l’industrie au capitalisme privé, notamment aux capitalistes étrangers, afin qu’ils investissent. C’est en quelque sorte ce que Deng Xiao Ping parviendra à réaliser en Chine populaire dans les années 1980.

Une telle ligne n’avait aucune chance de réussir dans un Parti ayant mené la révolution socialiste et entendant construire le socialisme, à la suite de l’élan donné par Lénine.

En 1921, face aux déviations gauchistes, le Parti bolchevik s’était purgé de 170 000 personnes, le quart de ses effectifs. De telles mesures ne furent pas nécessaires face au trotskysme, bien plus minoritaire.

Ainsi, lors de la tentative de la « plate-forme des 46 » de diffuser ses thèses comme quoi la vie interne du Parti serait morte, en 1924, le XIIIe congrès du Parti bolchevik et le Ve congrès de l’Internationale Communiste écrasèrent sans souci cette « déviation petite-bourgeoise ».

En 1925, à la suite du XIVe congrès du Parti bolchevik, le courant de « l’opposition » parvint à faire en sorte que la direction de la Jeunesse Communiste de Leningrad – nouveau nom de Saint-Pétersbourg – s’oppose aux décisions du dit congrès. Elle fut débarquée et rejetée par élections par 97 % des membres des Jeunesses Communistes.

Par la suite, « l’opposition » produisit des « plateformes » à l’occasion des conférences, tentant de se réorganiser sans succès. Elle finit par se structurer comme une entité clandestine, avec des fractions élaborant une ligne, ayant sa presse, ses cotisations, etc.

La « plateforme des bolcheviks-léninistes (Opposition) », élaborée par Trotsky et Zinoviev, affirmait en 1927 que :

« Les dangers opportunistes dans le PC de l’URSS ont, dans les conditions actuelles, des sources objectives profondes :

1.L’entourage bourgeois mondial, la stabilisation temporaire et partielle du capitalisme créent un état d’esprit de « stabilisation ».

2.Indiscutablement nécessaire en tant que chemin vers le socialisme, la Nep, par le fait qu’elle fait renaître partiellement le capitalisme, anime par là même les forces ennemies (hostiles plutôt) au socialisme.

3.L’élément petit-bourgeois dans le pays qui compte une grosse majorité de paysans ne peut pas ne pas se répercuter non seulement dans les soviets, mais aussi dans le Parti.

4.La situation de parti unique qu’occupe le PC de l’URSS, situation absolument indispensable à la Révolution, crée aussi une série de dangers particuliers. Le XI° Congrès, du vivant de Lénine, indiquait ouvertement qu’il existait à cette époque déjà des groupes importants de gens (parmi les paysans riches, les couches supérieures de fonctionnaires, les intellectuels) qui appartiendraient aux partis socialistes-révolutionnaires, menchéviks, si ces partis étaient légaux.

5.L’appareil d’État, que dirige notre Parti, y introduit à son tour beaucoup d’esprit bourgeois et petit-bourgeois, l’infectant d’opportunisme.

6.Les spécialistes, les catégories supérieures des fonctionnaires et des intellectuels, indispensables à notre édification, font pénétrer dans nos appareils d’État, économique, et du Parti, une influence non prolétarienne. »

En Octobre 1927, finalement, une discussion fut menée dans le Parti bolchevik, avec un vote marquant un résultat écrasant : 724 000 membres soutenaient la direction, contre 4 000 pour le courant de Trotsky, Kamenev et Zinoviev.

Alors, à l’occasion de la grande manifestation pour le 10e anniversaire de la révolution d’Octobre, le 7 novembre 1927, « l’opposition » forma son propre cortège, qui fut refoulée. Le Comité Central décida alors de l’expulsion de Trotsky et de Zinoviev, puis en décembre le XVe congrès prit la même mesure contre Kamenev et d’autres. 898 délégués représentaient 887.233 membres. Seulement 1% des votants s’y opposèrent.

Staline expliqua ainsi le problème : 

« Pourquoi le Parti a-t-il exclu Trotsky et Zinoviev ? Parce qu’ils sont les organisateurs de toute l’œuvre de l’opposition, parce qu’ils ont pour but de briser les lois du Parti ; parce que, dans leur orgueil, ils ont cru qu’on n’oserait pas les toucher ; parce qu’ils ont voulu se créer une situation privilégiée dans le Parti.

Tolérera-t-on, dans le Parti, des grands seigneurs jouissant de privilèges et des paysans qui n’en ont pas ? Est-ce que nous, bolchéviks, qui avons extirpé la noblesse avec ses racines, allons maintenant la rétablir dans notre Parti ? (..).

Si l’opposition veut rester dans le Parti, qu’elle se soumette à la volonté du Parti, à ses lois, à ses instructions, sans réserve et sans équivoque. Si elle ne le veut pas, qu’elle s’en aille là où elle pourra être plus à son aise (..).

On demande quelles sont les conditions. Il n’y en a qu’une : l’opposition doit désarmer entièrement et complètement tant sous le rapport de l’idéologie que de l’organisation (..). Qu’ils fassent ainsi ou s’en aillent du Parti. Et s’ils ne s’en vont pas, nous les mettrons dehors ».

« L’opposition a organisé une fraction, et l’a transformée en un parti au sein de notre Parti bolchévik. Les traditions bolchéviks autorisent-elles un pareille ignominie ? Comment peut-on parler des traditions bolchéviks et admettre en même temps la scission dans le Parti, la formation dans son sein d’un autre parti antibolchévik ?

Ensuite, l’opposition a organisé une imprimerie illégale en s’alliant à des intellectuels bourgeois qui, à leur tour, étaient liés à des gardes blancs avérés. Comment ose-t-on parler des traditions du bolchévisme si l’on tolère un ignominie qui va jusqu’à la trahison directe du Parti et du pouvoir soviétique ?

Enfin, l’opposition a organisé une manifestation dirigée contre le Parti et en faisant appel à des éléments non prolétariens. Comment peut-on parler de traditions bolchéviks quand on fait appel à la rue contre son Parti, contre le pouvoir soviétique ?

A-t-on jamais entendu dire que les traditions bolchéviks autorisent de telles ignominies qui touchent directement à la contre-révolution ? N’est-il pas clair que le camarade Kamenev ne fait valoir ses traditions que pour cacher sa rupture avec elles au nom des intérêts de son groupe antibolchévik ?

Cet appel à la rue n’a rien apporté à l’opposition, car il n’a attiré qu’un groupe insignifiant. Ce n’est pas la faute de l’opposition, c’est son malheur. Que serait-il advenu si l’opposition avait été plus forte ?

L’appel à la rue se serait transformé en une émeute directe contre le pouvoir soviétique. Est-il difficile de comprendre qu’en réalité cette tentative de l’opposition ne se distingue en rien de la fameuse tentative des socialistes-révolutionnaires de gauche en 1918 ? ».

Staline va alors théoriser ce qu’est le trotskysme.

« En quoi consiste l’essence du trotskysme ?

L’essence du trotskysme consiste, avant tout, dans la négation de la possibilité d’édifier le socialisme en URSS par les forces de la classe ouvrière et de la paysannerie dans notre pays.

Qu’est-ce que cela signifie ? C’est que si, dans un proche avenir, le secours de la révolution mondiale victorieuse n’arrive pas, nous devrons capituler devant la bourgeoisie et déblayer la route à la République démocratique bourgeoise.

Ainsi donc, nous avons là une négation bourgeoise de la possibilité d’édifier le socialisme dans notre pays, négation masquée par une phrase révolutionnaire sur la victoire de la révolution mondiale.

Peut-on, avec de telles conceptions, provoquer chez les masses innombrables de la classe ouvrière, l’enthousiasme au travail, l’émulation socialiste, un vaste travail de choc, une offensive largement déployée contre les éléments capitalistes ?

Il est clair que non. Il serait absurde de croire que notre classe ouvrière, qui a fait trois révolutions, développerait l’enthousiasme au travail et un vaste travail de choc, à seule fin d’engraisser le terrain pour le capitalisme. Notre classe ouvrière développe son élan au travail, non pour le capitalisme, mais pour enterrer définitivement le capitalisme et édifier le socialisme en U.R.S.S..

Otez-lui la certitude de la possibilité d’édifier le socialisme, et vous détruirez tout terrain pour l’émulation, pour l’élan au travail, pour le travail de choc.

De là la conclusion : pour provoquer chez la classe ouvrière l’élan au travail et l’émulation, et organiser une offensive largement déployée, il fallait avant tout enterrer la théorie bourgeoise du trotskysme sur l’impossibilité d’édifier le socialisme dans notre pays.

L’essence du trotskysme consiste, en second lieu, dans la négation de la possibilité de faire participer les masses essentielles de la paysannerie à l’édification socialiste à la campagne.

Qu’est-ce que cela signifie ? C’est que la classe ouvrière n’est pas en mesure d’entraîner derrière elle la paysannerie afin d’aiguiller les exploitations paysannes individuelles dans la voie de la collectivisation ; que si, dans un proche avenir, la victoire de la révolution mondiale n’arrive pas au secours de la classe ouvrière, la paysannerie rétablira l’ancien ordre de choses bourgeois.

Ainsi donc, nous sommes là en présence d’une négation bourgeoise des forces et possibilités de la dictature prolétarienne pour mener la paysannerie au socialisme, négation masquée sous des phrases « révolutionnaires » sur la victoire de la révolution mondiale.

Peut-on, avec de telles conceptions, entraîner les masses paysannes dans le mouvement kolkhozien, organiser un mouvement kolkhozien de masse, organiser la liquidation des koulaks en tant que classe ? Il est clair que non.

De là la conclusion : pour organiser un mouvement kolkhozien de masse de la paysannerie et liquider la classe des koulaks, il fallait, avant tout, enterrer la théorie bourgeoise du trotskysme sur l’impossibilité d’associer les masses travailleuses de la paysannerie au socialisme.

L’essence du trotskysme consiste, enfin, à nier la nécessité d’une discipline de fer dans le Parti, à reconnaître la liberté des groupements de fraction dans le Parti, à reconnaître la nécessité de former un parti trotskyste.

Pour le trotskysme, le Parti Communiste de l’U.R.S.S. ne doit pas être un parti de combat, unique et cohérent, mais une réunion de groupes et de fractions avec leurs centres, avec leur presse, etc.

Or, qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie proclamer la liberté des fractions politiques dans le Parti. Cela signifie qu’après la liberté des groupements politiques dans le Parti, doit venir la liberté des partis politiques dans le pays, c’est-à-dire la démocratie bourgeoise.

Nous avons donc, ici, la reconnaissance de la liberté des groupements fractionnels dans le Parti, jusque et y compris l’admission des partis politiques dans le pays de la dictature du prolétariat, reconnaissance masquée par une phrase sur la « démocratie intérieure du Parti », sur l’« amélioration du régime » dans le Parti.

Que la liberté des chicaneries fractionnelles, des groupes intellectuels ne soit pas encore la démocratie intérieure du Parti ; que l’ample autocritique réalisée par le Parti et l’activité prodigieuse des masses d’adhérents du Parti soient une manifestation de la véritable et authentique démocratie du Parti, cela il n’est pas donné au trotskysme de le comprendre.

Peut-on, avec de telles conceptions sur le Parti, assurer une discipline de fer dans le Parti, assurer l’unité de fer du Parti, nécessaire au succès de la lutte contre les ennemis de classe ? Il est clair que non.

De là la conclusion : pour assurer l’unité de fer du Parti et la discipline prolétarienne dans son sein, il fallait avant tout enterrer la théorie du trotskysme en matière d’organisation.

Capitulation en fait, comme contenu, phrases « de gauche » et gestes d’aventurisme « révolutionnaire », comme forme couvrant et exaltant l’esprit de capitulation, qui est son contenu, telle est l’essence du trotskysme.

Cette dualité du trotskysme reflète la situation double de la petite bourgeoisie citadine en voie de se ruiner, qui ne peut souffrir le « régime » de la dictature du prolétariat et s’efforce, ou bien de sauter « d’un coup » dans le socialisme, pour échapper à la ruine (d’où l’esprit d’aventure et l’hystérie en politique), ou bien, si cela est impossible, de consentir n’importe quelle concession au capitalisme (d’où l’esprit de capitulation, en politique).

C’est cette dualité du trotskysme qui explique le fait que ses attaques « enragées » soi-disant contre les déviationnistes de droite, le trotskysme les couronne habituellement par un bloc avec eux, comme avec des capitulards sans masque ».

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L’URSS socialiste et le point de vue de Trotsky

La figure la plus importante du courant refusant de considérer la NEP comme un « sas » au socialisme fut Trotsky. Et il fut par ailleurs par la suite parlé de trotskysme pour désigner les différentes variantes de « l’opposition » au sens du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik).

A la différence de Staline, qui lui était un vieux bolchevik compagnon de Lénine et familier des conceptions de celui-ci, Trotsky était un penseur totalement indépendant par rapport au léninisme, auquel il s’est par ailleurs opposé durant toute la période avant 1917.

Staline, Lénine et Kalinine

Son point de vue est différent de celui de Lénine, fondamentalement, dans la mesure où Lénine voit des étapes dans le processus, là où Trotsky considère qu’il n’y a pas de ruptures dans ce qu’il appelle la « révolution permanente ».

Pour cette raison, aux yeux de Trotsky, l’échec de la révolution mondiale aboutit forcément à une dégénérescence de la situation en Russie, qui n’a pas les ressources pour assumer seule le socialisme.

Il reconnaît que la révolution d’octobre 1917 était juste, et c’est pour cela qu’il a rejoint Lénine. Mais il n’adopte pas le style « dirigiste » du léninisme, qui lui est étranger, lui qui a toujours fait partie du menchevisme, le courant non centralisateur de la social-démocratie russe.

Par conséquent, Trotsky ne croit pas que le capitalisme d’Etat puisse permettre à la formation d’une avant-garde authentique, car il ne place pas l’idéologie au poste de commandement, mais en quelque sorte ce que les trotskystes appelleront par la suite la « démocratie ouvrière ».

Pour Trotsky, en l’absence de révolution mondiale, il ne peut pas y avoir de « révolution permanente » et par conséquent, les cadres communistes ne peuvent que s’embourgeoiser, alors que les plus jeunes ne connaissent pas de périodes révolutionnaires leur permettant de se former.

Le bureaucratisme ne peut que triompher, la paysannerie formant par ailleurs la majorité de la population et ne voulant pas du socialisme. La révolution connaît alors inévitablement, dans la perspective de Trotsky, un coup d’arrêt et une série de reculs.

Léon Trotsky en 1919

Trotsky développera très tôt son approche ; dès le milieu des années 1920 sa conception est totalement développée, même si par la suite il l’approfondira dans différents ouvrages. De fait, dans « Thèses sur la révolution et la contre-révolution », un document de 1926, on retrouve exposée toute sa conception.

Voici ce qu’il dit :

« Dans l’Histoire, les révolutions ont toujours été suivies de contre-révolutions. Les contre-révolutions rejettent toujours la société en arrière, mais jamais au point de départ de la révolution. La succession de révolutions et de contre-révolutions est le produit de caractéristiques fondamentales de la mécanique de la société de classes, seule société ou révolutions et contre-révolutions soient possibles (…).

La paysannerie est une classe précapitaliste (état social). Sous le capitalisme, elle s’est transformée en classe de producteurs de biens à petite échelle, en petite-bourgeoisie agraire. Le communisme de guerre a étroitement comprimé les tendances petites-bourgeoises de l’économie paysanne.

La NEP a revitalisé ces tendances petites-bourgeoises contradictoires au sein de la paysannerie, avec pour conséquence la possibilité d’une restauration capitaliste.

La relation entre prix industriels et agricoles (les ciseaux) devrait s’avérer le facteur décisif dans la question de l’attitude des paysans vis-à-vis du capitalisme ou du socialisme. L’exportation de produits agricoles rend les « ciseaux » intérieurs sensibles à la pression du marché mondial.

Les paysans, ayant reconstitué leur économie comme celle de producteurs privés qui achètent et vendent, ont inévitablement recréé les conditions d’une restauration capitaliste. La base économique de ceci est l’intérêt matériel du paysan pour un prix élevé du blé et des prix bas pour les produits industriels (…).

Il serait erroné d’ignorer le fait que le prolétariat d’aujourd’hui (1926) est considérablement moins réceptif aux perspectives révolutionnaires et aux larges généralisations qu’il ne l’était pendant la révolution d’octobre et dans  les quelques années suivantes. 

Le parti révolutionnaire ne peut pas passivement s’adapter à chaque variation dans l’état d’esprit des masses. Mais il ne peut ignorer non plus des changements produits par des causes historiques profondes.

La révolution d’octobre, à un degré plus élevé que tout autre dans l’histoire, a suscité les plus grands espoirs et passions parmi les masses populaires, tout d’abord les masses prolétariennes.

Après les immenses souffrances de 1917-21, les masses prolétariennes ont considérablement amélioré leur sort. Ils tiennent à cette amélioration, pleins d’espoir quant au développement ultérieur.

Mais en même temps leur expérience leur a montré la lenteur extrême de cette amélioration, qui a seulement abouti maintenant à la restauration du niveau de vie d’avant-guerre. Cette expérience est d’importance incalculable pour les masses, particulièrement la génération ancienne.

Elles se sont développées de façon plus prudente, plus sceptique, moins directement sensible aux mots d’ordre révolutionnaires, moins réceptive, aux grandes généralisations.

Cet état d’esprit, qui est apparu au grand jour après les épreuves de la guerre civile et les succès de la reconstruction économique, n’a pas été encore défait par de nouveaux mouvements des forces de classe – cet état d’esprit constitue l’arrière-plan politique de la vie de parti.

C’est sur lui que le bureaucratisme – comme élément de « loi et d’ordre », de « tranquillité » – s’appuie. La tentative de l’opposition de poser de nouvelles questions devant le parti s’est justement heurtée à cet état d’esprit.

La vieille génération de la classe ouvrière, celle qui a fait deux révolutions, ou au moins la dernière, commençant par 1917, est maintenant nerveuse, épuisée, et, dans une large mesure, craint toute convulsion liée à la perspective de la guerre, du désordre, de la famine, des épidémies, et ainsi de suite.

Tout un tapage est fait à propos de la théorie de la révolution permanente précisément afin d’exploiter la psychologie d’une fraction considérable des ouvriers, qui ne sont pas du tout des carriéristes, mais qui ont pris du poids, fondé une famille.

La version de la théorie qui est utilisée n’est naturellement pas liée aux vieux conflits, depuis longtemps relégués aux archives, mais cela soulève simplement le phantasme de nouvelles convulsions – « invasions héroïques », violations de « la loi et l’ordre », menace des réalisations de la période de reconstruction, d’une nouvelle période de grands efforts et de sacrifices.

La fabrication d’un procès à propos de la révolution permanente est, essentiellement, une spéculation sur l’état d’esprit  de la fraction de la classe ouvrière, y compris des membres du parti, qui est devenue suffisante, a pris du poids, et est devenue semi-conservatrice.

La jeune génération, celle arrivant maintenant à la maturité, manque d’expérience de la lutte de classe et de la trempe révolutionnaire nécessaire. Elle n’examine pas les questions en soi, ainsi que la génération précédente, mais tombe immédiatement dans l’environnement d’un parti et d’institutions gouvernementales puissantes, de l’autorité, de la discipline, etc…

Pour l’instant ceci rend plus difficile que la jeune génération ait un rôle indépendant. La question de l’orientation correcte de la jeune génération du parti et de la classe ouvrière en acquiert une importance colossale.

En parallèle avec les processus indiqués ci-dessus, il y a eu une croissance extrême du rôle joué dans le parti et  l’appareil d’Etat par une catégorie spéciale des vieux bolchéviks, membres ou militants actifs du parti durant la période de 1905 ; durant la période de la réaction ils ont quitté le parti, se sont adaptés au régime bourgeois, et occupé une position plus ou moins importante ; ils étaient défensistes, comme toute l’intelligentsia bourgeoise, et, comme celle-ci, ont été propulsés en avant lors de la révolution de février (ce dont ils ne rêvaient même pas au début de la guerre) ; ils étaient des adversaires résolus du programme léniniste et de la révolution d’octobre ; mais ils sont retournés au parti après que la victoire ait été acquise ou après la stabilisation du nouveau régime, au moment où l’intelligentsia bourgeoise a arrêté son sabotage.

Ces éléments… sont, naturellement, des éléments du type conservateur. Ils sont généralement en faveur de la stabilisation, et généralement contre toute opposition. L’éducation de la jeunesse du parti est en grande partie dans entre leurs mains.

Telle est la combinaison des circonstances qui dans la période récente du développement du parti a déterminé le changement de la direction du parti et le tournant de sa politique vers la droite.

L’adoption officielle de la théorie de « Socialisme dans un seul pays » est la sanction théorique des tournants qui ont déjà eu lieu, et la première rupture ouverte avec la tradition marxiste.

Les éléments militant pour la restauration bourgeoise résident dans : a) la situation de la paysannerie, qui ne veut pas le retour des propriétaires mais n’est pas intéressées matériellement au socialisme (d’où l’importance de nos liens politiques avec les paysans pauvres) ; b) l’état d’esprit de couches considérables de la classe ouvrière, l’abaissement de l’énergie révolutionnaire, la fatigue de la génération plus ancienne, la croissance du poids spécifique des éléments conservateurs.

Les éléments militant contre la restauration sont les suivants : a) la crainte de la part du moujik que le propriétaire ne revienne avec le capitaliste, juste comme il est parti avec le capitaliste ; b) le fait que le pouvoir et les moyens de production les plus importants demeurent actuellement dans les mains de l’Etat ouvrier, bien qu’avec des déformations extrêmes ; c) le fait que la direction de l’Etat demeure actuellement dans les mains du parti communiste, bien qu’il s’y réfracte le mouvement moléculaire des forces de classe et les changements d’état d’esprit politique.

De ce qui a été dit s’ensuit que ce serait une déformation brutale de la réalité de parler de Thermidor comme d’un fait accompli. Les choses n’ont pas été plus loin qu’au niveau de quelques répétitions dans le parti et à la pose de quelques fondations théoriques. L’appareil matériel du pouvoir ne s’est pas rendu à une autre classe. »

Ce point de vue fut bien entendu considéré par Staline et la majorité du Parti bolchevik comme une capitulation devant le passage de la NEP au socialisme. Le conflit entre la majorité du Parti et « l’opposition » devenait inévitable.

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