Les fondements matérialistes dialectiques du droit soviétique en URSS socialiste

Pour comprendre l’appareil de sécurité de l’État de l’URSS socialiste, il faut saisir la nature du droit servant de base juridique aux actions étatiques et son rapport avec la morale socialiste.

Contrairement aux prétentions « objectivistes » ou inversement « relativistes » du droit bourgeois, le droit socialiste pose en effet comme noyau du procès la subjectivité révolutionnaire du jugement, fondée sur l’objectivité de l’analyse des faits.

Cette combinaison n’est pas seulement combattue par la bourgeoisie ; elle lui semble surtout de fait littéralement incompréhensible. Bien entendu, l’accusation est celle du règne de « l’arbitraire ».

En réalité, il s’agit simplement du fait que le droit a une fonction non pas simplement négative et représentative comme dans le droit bourgeois, mais qu’il sert également de mise en perspective du juste et l’injuste, avec une mise en valeur du juste et cela de manière toujours plus poussée.

Cela correspond à l’affirmation de la dignité du réel, caractéristique du matérialisme dialectique. Le titan Andreï Vychinski, dans son ouvrage de 1941, La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, formule de manière magistrale cela en affirmant :

« Lénine écrivait en 1915 [dans La faillite de la II° Internationale], exposant l’opportunisme de Plekhanov, que : « La dialectique exige qu’un phénomène social soit étudié sous toutes ses faces, à travers son développement, et que l’apparence, l’aspect extérieur soit ramené aux forces motrices capitales, au développement des forces productives et à la lutte des classes. »

La vraie dialectique se concentre sur le concret, sur la base de la règle: « il n’y a pas de vérité abstraite, la vérité est toujours concrète ».

Cela nécessite une compréhension claire de toutes les connexions ou du moins des plus importantes, des transitions, des interdépendances dans leur spécificité et leur causalité, sans lesquelles une évaluation correcte des actions humaines et de la personne elle-même est impossible.

La logique formelle est ici insuffisante, impuissante.

Formelle, la logique est incapable d’établir la vérité matérielle, c’est-à-dire ce qui existe réellement, ce qui constitue le contenu réel des choses et des phénomènes, et ce qui constitue pourtant l’une des tâches les plus importantes de la justice.

La logique formelle se limite donc à ce que les avocats appellent la vérité juridique, c’est-à-dire comment certains phénomènes ou choses se caractérisent par des faits présentés au tribunal par les parties, quelle que soit la manière dont ces faits reflètent les rapports de la vie réelle.

Cette méthode juridique formelle d’évaluation des faits dans les affaires judiciaires est directement liée à la compréhension formelle du droit.

Une compréhension formelle de la loi se traduit par l’incapacité à aller au-delà de sa lettre, l’incapacité à approfondir la reconnaissance de ces relations réelles et vitales qui sont cachées derrière l’extérieur de la question. »

Le droit soviétique implique ainsi la recherche du mouvement de la réalité à l’origine des phénomènes relevant du droit. Cela n’est toutefois pas une démarche aboutissant elle-même à un nouveau formalisme, un formalisme anti-formaliste. En effet, pour être authentique, cette démarche doit elle-même s’appuyer, au niveau de la réalisation du droit, sur la transformation de l’ancien par le nouveau.

Cela veut dire que le droit soviétique doit, par définition même, venir de la société socialiste en construction elle-même, de sa substance même. L’appareil de sécurité d’État de la société socialiste doit donc consister en une structure de la société elle-même. Tel est le principe socialiste.

Il y a une convergence de la défense du droit soviétique par l’appareil de sécurité d’État et l’affirmation du socialisme, de sa morale, par une société réalisant dans les faits l’affirmation historique d’un nouveau mode de production.

La morale et le droit sont ainsi en rapport dialectique dans le cadre de la construction du socialisme.

Maria Pavlovna Kareva, dans Le droit et la moralité dans la société socialiste, publié en 1951, explique à ce sujet que :

« La spécificité de la corrélation du droit et de la morale sous le socialisme n’est pas seulement que notre loi exprime et renforce les vues morales et les exigences du travail du peuple tout entier, tandis que le droit bourgeois n’exprime et ne consolide que les vues et les exigences morales de la bourgeoisie, c’est-à-dire la partie non significative du point de vue numérique, exploitant la société.

La spécificité de cette corrélation réside dans le fait que notre loi, consolidant les fondements matériels et politiques de la société, favorise l’opposition inconciliable entre les peuples et l’exploitation de l’homme par l’homme, et toute forme d’oppression de l’homme, de la nation et des peuples, que notre loi éduque les gens dans l’esprit de la démocratie véritable, leur inspire de nobles sentiments.

La loi bourgeoise, qui consolide les fondements matériels qui donnent lieu à l’exploitation, et le système étatique qui assure la domination des exploiteurs, c’est-à-dire des minorités, instaure dans les peuples une moralité qui est le reflet du capitalisme, que les moralistes officiels préfèrent passer sous silence – l’égoïsme, l’inimitié et la méfiance réciproques, l’hypocrisie. »

Le droit a ainsi une dimension active, au sens où les masses le voient et cherchent à voir le reflet non seulement d’eux-mêmes, mais également de leur propre évolution, de leur propre amélioration sur le plan de la conscience morale.

C’est la base d’un État qui, parce qu’il est en passe d’être assumé par l’ensemble de la population, disparaît ; le droit de l’État disparaît parce qu’il est devenu le droit du peuple lui-même, qui le prend en charge de lui-même. L’État a alors cessé sa fonction.

La transition au communisme d’un État socialiste consiste en la remise du droit au peuple lui-même. L’État socialiste a une « fonction économique-organisationnelle et culturelle-éducative », comme cela était appelé en URSS à partir des années 1930, qui doit être assimilée et assumée par le peuple.

Maria Pavlovna Kareva, dans le même ouvrage, explique à ce titre que :

« Les émotions elles-mêmes ne doivent donc pas être considérées comme définissant l’essence des devoirs moraux et légaux, mais comme une réponse de la psyché à des responsabilités objectives et légales dans la vie.

Là où, en raison de la structure antagoniste entre le droit et la moralité de la majorité de la société, un gouffre est creusé, où, par conséquent, les devoirs juridiques ne peuvent être à la fois des devoirs moraux, du moins pour la majorité de la population, des différences profondes d’émotions accompagnent les devoirs moraux.

Dans nos conditions [socialistes], pour la majorité des gens, une telle différence profonde entre les émotions lors de la réalisation de leurs obligations légales et morales ne peut avoir lieu.

Pour un homme soviétique conscient, l’accomplissement des devoirs juridiques et moraux est lié aux mêmes nobles émotions – le désir d’accomplir son devoir social, le respect des lois juridiques et morales de son pays socialiste. »

Les citoyens soviétiques ne sont à terme plus des citoyens de l’URSS, mais l’URSS elle-même.

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de l’État de l’URSS socialiste

Andreï Jdanov sur l’opéra «La grande amitié»

Discours d’introduction à la Conférence des musiciens soviétiques de 1948.

Quelques mots sur le livret. Le livret de cet opéra est artificiel et les événements à rendre sont inexacts et faux du point de vue historique.

Voici, brièvement, de quoi il est question. L’opéra est consacré à la lutte livrée pour l’amitié des peuples dans le Caucase du Nord, en 1918-1920. Les peuples du Caucase, dont l’opéra a en vue de montrer des Ossètes, les Lesghiens et les Géorgiens, passent, avec l’aide d’un commissaire envoyé de Moscou, de la lutte contre le peuple russe, en particulier contre les Cosaques, à la paix et à l’amitié avec lui.

Ce qu’il y a d’historiquement faux ici, c’est que ces peuples n’ont jamais été en inimitié avec le peuple russe. Tout au contraire, dans la période historique à laquelle est consacré cet opéra, c’est précisément de concert avec les Ossètes, les Lesghiens et les Géorgiens que le peuple russe et l’Armée rouge battaient les forces de la contre-révolution, jetaient les fondements du pouvoir des Soviets dans le Caucase du Nord et instauraient la paix et l’amitié des peuples.

A l’époque, ce sont les Tchétchènes et les Irigouchis qui faisaient obstacle à l’amitié des peuples.

Donc, en ce temps-là, ce sont les Tchétchènes et les Ingouchis qui semaient la haine entre les nationalités, et voilà qu’au lieu d’eux, on présente au public les Ossètes et les Géorgiens ! C’est là une erreur historique grossière ; c’est falsifier l’histoire ; c’est attenter à la vérité historique.

Bien qu’il soit question dans cet opéra d’une époque fort intéressante, de l’époque de l’instauration du pouvoir des Soviets dans le Caucase du Nord, avec toute la complexité de ses coutumes multinationales et la variété des formes de la lutte de classes, et alors que dans ces conditions cet opéra aurait dû rendre pleinement la vie fertile en événements et les mœurs des peuples du Caucase du Nord ­ sa musique s’est trouvée être très loin de l’œuvre populaire des peuples du Caucase du Nord.

Si les Cosaques paraissent sur la scène ­ et ils jouent un grand rôle dans l’opéra – ni la musique, ni les chants n’ont rien de typique pour les Cosaques, leurs chansons et leur musique. Il en est de même des peuplades de montagnards. Si au cours de l’action on danse une lesghienne, la mélodie ne rappelle en rien les mélodies si connues et si populaires des lesghiennes. Le compositeur, en quête d’originalité, a écrit pour sa lesghienne, une musique peu compréhensible, fastidieuse et beaucoup moins jolie et riche en contenu que la musique populaire ordinaire de la lesghienne.

Puis, reprenant la parole au cours de la discussion, Jdanov fit l’intervention suivante :

Permettez­-moi d’abord de faire quelques remarques sur le caractère de la discussion qui se déroule ici. L’appréciation générale de la situation dans le domaine de la création musicale se ramène à cette constatation : ça ne va pas fort.

Il s’est exprimé, il est vrai, différentes nuances au cours des interventions. Les uns ont dit qu’elle boitait surtout sous le rapport de l’organisation, ils ont montré l’insuffisance de la critique et de l’autocritique et dénoncé les fausses méthodes de direction, particulièrement à l’Union des compositeurs.

D’autres, s’associant à la critique de l’organisation et du régime régnant dans les organisations, ont signalé ce qui va mal dans l’orientation idéologique de la musique soviétique. Les troisièmes ont tenté d’escamoter le caractère aigu de la situation ou de passer sous silence les questions désagréables. Mais de quelque façon qu’aient été exprimées ces nuances, le ton général de la discussion se réduit à constater que ça ne va pas fort.

Je n’ai pas l’intention d’apporter une dissonance ou une « atonalité » dans cette appréciation, quoique l’« atonalité » soit aujourd’hui à la mode. La situation est en effet bien mauvaise. Il me semble qu’elle est pire qu’on ne l’a dit ici.

Je n’ai pas l’intention de nier les résultats obtenus par la musique soviétique. Ils existent, bien sûr, mais si l’on se représente quels résultats nous aurions pu et dû obtenir dans le domaine de la musique, si l’on compare même les succès dans ce domaine avec les résultats obtenus dans d’autres domaines de l’idéologie, il faut avouer qu’ils sont tout à fait insignifiants.

Si l’on prend, par exemple, la littérature, on voit aujourd’hui certaines revues éprouver de véritables difficultés parce qu’elles n’arrivent plus à faire place à tous les manuscrits dignes de publication qu’elles ont en portefeuille. Il semble qu’aucun des orateurs n’ait pu se vanter d’une telle surproduction en musique. Il y a progrès dans le domaine du cinéma ou de la dramaturgie.

Mais dans le domaine de la musique il n’y a pas le moindre progrès sensible.

La musique est en retard, tel est le ton de toutes les interventions. Aussi bien à l’Union des compositeurs qu’au Comité des arts, il s’est créé une situation évidemment anormale. Du Comité des arts on a peu parlé et on ne l’a pas suffisamment critiqué. En tout cas on a parlé notablement plus et de façon plus incisive de l’Union des compositeurs.

Et pourtant, le Comité des arts a joué un rôle de fort mauvais aloi. En se donnant l’air de défendre de toutes ses forces la tendance réaliste en musique, le Comité a favorisé de toutes les façons la tendance formaliste en élevant ses représentants sur le pavois, et par là-même il a rendu possible la désorganisation et l’introduction de la pagaille idéologique dans les rangs de nos compositeurs. En outre, inculte et incompétent dans les questions musicales, le Comité s’est mis à la traîne des compositeurs du clan formaliste.

On a comparé ici le Comité d’organisation de l’Union des compositeurs à un monastère ou aux généraux sans armée. Il n’est pas besoin de contester ces affirmations.

Si le sort de la création musicale soviétique se trouve être la prérogative du cercle le plus fermé de compositeurs et de critiques dirigeants, de critiques choisis suivant le principe du soutien des chefs et créant autour des compositeurs une atmosphère enivrante d’adulation, s’il n’y a pas de discussion de travail, si à l’Union des compositeurs s’est instaurée une atmosphère confinée, moisie, où l’on distingue les compositeurs de première et de seconde qualités, si le style dominant dans les conférences de l’Union des compositeurs est le silence respectueux ou les pieuses louanges aux élus, si la direction du Comité d’organisation est coupée de la masse des compositeurs ­ alors on ne peut pas ne pas reconnaître que la situation sur l’« Olympe » musical est devenue menaçante.

Il convient de dire un mot particulier de critique de l’orientation vicieuse de la critique et de l’absence de discussion de travail à l’Union des compositeurs. Du moment qu’il n’y a pas discussion de travail, qu’il n’y a ni critique ni autocritique, il n’y a pas non plus mouvement en avant. La discussion de travail est une critique objective, indépendante – ­ c’est aujourd’hui devenu un axiome – ­ apparaissent comme la condition la plus importante du progrès créateur.

Là où il n’y a pas critique et discussion de travail, les sources mêmes du mouvement se tarissent, il s’installe une atmosphère de serre, de moisissure et de stagnation, dont nos compositeurs n’ont nul besoin.

Ce n’est point par hasard que les gens qui prennent part pour la première fois à une conférence sur les questions musicales, trouvent étrange que puissent se perpétuer des contradictions aussi irréductibles entre le régime très conservateur qui préside à l’organisation de l’Union des compositeurs, et les idées soi-disant ultra-progressives de ses dirigeants actuels dans le domaine de l’idéologie et de la création.

On sait que la direction de l’Union a inscrit sur son drapeau des formules prometteuses comme l’appel à l’esprit novateur, le rejet des traditions désuètes, la lutte contre l’ « épigonisme », etc.

Mais il est curieux que les mêmes personnes qui veulent paraître très radicales et même ultra-révolutionnaires dans leur programme créateur, qui prétendent au rôle de destructeurs des canons vieillis ­ que ces mêmes personnes, quand elles prennent part à l’activité de l’Union des compositeurs, se révèlent extraordinairement rétrogrades, imperméables aux nouveautés et aux changements, conservatrices dans leurs méthodes de travail et de direction, et souvent paient volontiers tribut dans les questions d’organisation aux pires traditions et à l’« épigonisme » tant décrié, cultivant les procédés les plus bornés et éculés quand il s’agit de diriger la vie et l’activité de leur propre groupement.

Comment cela se fait, il est aisé de l’expliquer. Si une phraséologie boursoufflée sur les soi-disant tendances nouvelles de la musique soviétique, s’associe à des actes qui ne sont nullement d’avant-garde, cela seul suffît à provoquer un doute légitime sur le caractère progressiste des bases idéologiques sur lesquelles reposent des méthodes aussi réactionnaires.

L’organisation a en toutes choses une grande importance, vous le comprenez parfaitement. Il faut c’est évident, procéder à une sérieuse ventilation dans les organisations de compositeurs et de musiciens, il faut qu’un souffle frais y purifie l’air pour qu’y soient créées des conditions normales au travail créateur.

Mais la question d’organisation, pour importante qu’elle soit, n’est pas fondamentale. La question fondamentale, c’est l’orientation de la musique soviétique. La discussion qui s’est déroulée ici élude quelque peu le problème et ce n’est pas juste.

Si en musique vous cherchez la phrase musicale claire, de même dans la question de l’orientation de notre musique nous devons chercher à atteindre la clarté.

A la question : s’agit-il de deux tendances en musique ? ­ la discussion apporte une réponse parfaitement nette : oui, c’est précisément de cela qu’il s’agit. Bien que certains camarades aient essayé de ne pas appeler les choses par leur nom et que l’on ait joué partiellement en sourdine, il est clair qu’il y a lutte entre les tendances, que les efforts faits pour remplacer une orientation par une autre sont manifestes.

En même temps une partie de nos camarades a prétendu qu’il n’y avait pas de raison de poser la question de la lutte des tendances, qu’il ne s’était produit aucun changement d’ordre qualitatif, qu’on assistait seulement au développement de l’héritage classique dans les conditions du milieu soviétique.

On a dit qu’il n’y avait aucune révision des fondements de la musique classique et que, par conséquent, il n’y avait pas matière à discussion, qu’il était vain de faire du bruit.

Le problème se réduirait tout au plus à des corrections de détail, à des cas isolés d’engouement pour la technique, à des fautes isolées de caractère naturaliste, etc. C’est justement parce que l’on s’est livré à un camouflage de cette nature, qu’il convient de s’étendre plus en détail sur la lutte des deux tendances.

Il ne s’agit évidemment pas seulement de corrections, il ne suffit pas de dire qu’il y a une gouttière dans le toit du Conservatoire et qu’il faut la boucher ­ et l’on ne peut pas ne pas être d’accord là-dessus avec le camarade Chebaline, mais le trou n’est pas seulement dans le toit du Conservatoire ce serait vite réparé ; il s’est formé une brèche beaucoup plus importante dans les fondations mêmes de la musique soviétique.

Il n’y a pas là-dessus deux avis et tous les orateurs l’ont montré : dans l’activité de l’Union des compositeurs le rôle dirigeant est joué aujourd’hui par un groupe limité de compositeurs. Il s’agit des camarades Chostakovitch, Prokofiev, Miaskovsky, Khatchatourian, Popov, Kabalevski, Chebaline. Qui voulez-vous encore associer à ces camarades ?

Une voix crie : « Chaporine ». Jdanov poursuit :

Lorsqu’on parle du groupe dirigeant qui tient tous les fils et toutes les clés du « Comité exécutif des arts » ce sont les noms qu’on donne le plus souvent. Nous admettrons que ces camarades sont les principales figures dirigeantes de la tendance formaliste en musique. Et cette tendance est totalement fausse.

Les camarades sus-nommés ont, eux aussi, pris ici la parole, et déclaré qu’eux aussi étaient mécontents qu’à l’Union des compositeurs il n’y ait pas d’atmosphère de critique, qu’on les loue exagérément, qu’ils sentent un certain affaiblissement de leurs contacts avec les cadres de base des compositeurs, avec les auditoires, etc.

Mais pour constater toutes ces vérités, sans doute n’avait-on pas besoin d’attendre un opéra incomplètement ou imparfaitement réussi.

Ces aveux auraient pu être faits beaucoup plus tôt. C’est qu’au fond pour ce groupe dirigeant de nos compositeurs du clan formaliste, le régime qui régnait jusqu’ici dans les organisations musicales n’était, pour modérer mon expression, « point désagréable ». Il a fallu la conférence au Comité central du Parti pour que ces camarades découvrent le fait, que ce régime recèle aussi des côtés négatifs. En tout cas, jusqu’à la Conférence au C.G., aucun d’entre eux n’a jamais proposé de rien changer à l’état de choses existant dans l’Union des compositeurs. Les forces du « traditionalisme » et de l’« épigonisme » agissaient sans défaillance.

On a dit ici que le moment était venu de changer carrément les choses. On ne peut pas ne pas en tomber d’accord.

Pour autant que les postes de commande de la musique soviétique sont occupés par les camarades en question, pour autant qu’il a été démontré que des tentatives pour les critiquer auraient provoqué, comme l’a dit ici le camarade Zakharov, une explosion, une mobilisation immédiate de toutes les forces contre la critique, il faut en conclure que ce sont précisément ces camarades qui ont créé cette insupportable atmosphère de serre, de stagnation et de rapports amicaux, qu’ils sont maintenant disposés à déclarer indésirables.

Les dirigeants de l’Union des compositeurs ont dit ici qu’il n’y a pas d’oligarchie à l’Union des compositeurs. Mais alors se pose la question: pourquoi s’accrochent-ils tant aux postes de directeurs de l’Union? Le pouvoir les séduit-il pour lui-même?

En d’autres termes, ces gens ont-ils pris l’autorité en mains parce qu’il leur est agréable de détenir l’autorité pour elle-même, ont-ils été atteints d’une telle démangeaison administrative, veulent­-ils simplement jouer aux petits princes comme Vladimir Galitski dans le « Prince Igor »?

Ou bien serait-ce que cette domination s’est établie en vue de donner à la musique une orientation déterminée ? Je pense que la première supposition tombe et que la seconde est la bonne.

Nous n’avons pas raison d’affirmer que la direction des affaires de l’Union n’est pas liée à l’orientation. Nous ne pouvons pas adresser une telle accusation disons, à Chostakovitch Par conséquent, si l’on dirigeait, c’était pour orienter.

Effectivement nous avons affaire à une lutte très aiguë, encore que voilée en surface, entre deux tendances.

L’une représente dans la musique soviétique une base saine, progressive, fondée sur la reconnaissance du rôle énorme joué par l’héritage classique, et en particulier par les traditions de l’école musicale russe, sur l’association d’un contenu idéologique élevé, de la vérité réaliste, de liens organiques profonds avec le peuple, d’une création musicale chantante, d’une haute maîtrise professionnelle.

La deuxième tendance exprime un formalisme étranger à l’art soviétique, le rejet de l’héritage classique sous le couvert d’un faux effort vers la nouveauté, le rejet du caractère populaire de la musique, le refus de servir le peuple, cela au bénéfice des émotions étroitement individuelles d’un petit groupe, d’esthètes élus.

Cette tendance remplace la musique naturelle, belle, humaine, par une musique fausse, vulgaire, parfois simplement pathologique.

En outre, c’est une particularité de la seconde tendance que d’éviter les attaques de front, de préférer cacher son activité révisionniste sous le masque d’un accord prétendu avec les propositions fondamentales du réalisme socialiste.

De telles méthodes « de contrebande » ne sont évidemment pas neuves, les exemples du révisionnisme proclamant son accord avec les propositions fondamentales de la théorie révisée, ne manquent pas dans l’histoire. Il est d’autant plus nécessaire de démasquer la véritable nature de cette seconde tendance et le mal qu’elle a fait au développement de la musique soviétique.

Analysons par exemple la question de l’attitude envers l’héritage classique. Les compositeurs en question ont beau jurer qu’ils se tiennent des deux pieds sur le sol de l’héritage classique, il n’y a pas moyen de démontrer que les partisans de l’école formaliste prolongent et développent les traditions de la musique classique.

N’importe quel auditeur dira que les œuvres des compositeurs soviétiques du clan formaliste sont radicalement différentes de la musique classique. La musique classique se caractérise par la vérité et le réalisme, par l’art d’unir une forme éclatante à un contenu profond, d’associer la plus haute maîtrise avec la simplicité la plus accessible.

La musique classique en général, la musique classique russe en particulier, ignorent le formalisme et le grossier naturalisme. Ce qui les caractérise, c’est l’élévation de l’idée : car elles savent reconnaître les sources de la musique dans l’œuvre musicale des peuples, elles ont respect et amour pour le peuple, pour sa musique et sa chanson.

Quel pas en arrière font nos formalistes hors de la grand’route de notre histoire musicale lorsque sapant les bases de la vraie musique ils composent une musique monstrueuse, factice, pénétrée d’impressions idéalistes, étrangère aux larges masses du peuple, s’adressant non à des millions de soviétiques mais à quelques unités ou à quelques dizaines d’élus, à une « élite » !

Comme cela ressemble peu à Glinka, à Tchaïkovsky, à Rimsky-Korsakov, à Dargomyjski, à Moussorgski, qui voyaient le principe de leur œuvre dans leur capacité d’exprimer l’esprit du peuple, son caractère ! La volonté d’ignorer les besoins du peuple, son esprit, sa création, signifie que la tendance formaliste en musique a un caractère nettement antipopulaire.

Si chez certains compositeurs soviétiques a cours cette théorie illusoire selon laquelle « on nous comprendra dans cinquante ou cent ans », « si nos contemporains ne peuvent nous comprendre, la postérité nous comprendra », alors c’est une chose simplement effrayante. Si vous êtes déjà accoutumés à cette pensée, une telle habitude est extrêmement dangereuse.

De tels raisonnements signifient qu’on se coupe d’avec le peuple. Si moi ­ écrivain, artiste, littérateur, responsable du Parti ­ je ne cherche pas à être compris de mes contemporains, alors pour qui donc vivre et travailler ?

Mais cela conduit au vide spirituel, à l’impasse. On dit que certains critiques musicaux parmi les flatteurs murmurent aux compositeurs, maintenant en particulier, des « consolations » de cette sorte. Mais des compositeurs peuvent-ils entendre de sang-froid de tels conseils, sans traîner les conseillers au moins devant un tribunal d’honneur ?

Rappelez-vous comment les classiques répondaient aux exigences du peuple. On oublie déjà chez nous en quels termes lumineux se sont exprimés les « Grands Cinq » [littéralement le « groupe vigoureux », groupe de compositeurs russes du milieu du XIXe siècle, avec comme principaux représentants Mili Balakirev, Modest Moussorgski, Alexander Borodine, Nikolaï Rimsky-Korsakov, César Cui] et le grand critique musical Stassov, leur compagnon, sur le caractère populaire de la musique.

On oublie le mot remarquable de Glinka sur les rapports du peuple et des artistes: « Celui qui crée la musique c’est le peuple, et nous, les artistes, ne faisons que l’arranger ». On oublie que les choryphées de l’art musical n’ont écarté aucun genre, quand ces genres les aidaient à promouvoir l’art musical dans de larges masses populaires.

Mais vous écartez même des genres tels que l’opéra, vous tenez l’opéra pour une œuvre de second ordre, vous lui opposez la musique symphonique instrumentale, pour ne rien dire de votre attitude dédaigneuse envers la musique de chant, la musique chorale ou la musique de concert : vous trouvez honteux de vous abaisser jusqu’à elle et de satisfaire aux exigences populaires.

Cependant, Moussorgski a mis en musique le « Hopak ». Glinka utilisa le « Komarinski » dans l’une de ses meilleures œuvres. Peut-être faudra-t-il reconnaître que le propriétaire foncier Glinka, le fonctionnaires des tsars Serov et le gentilhomme Stassov étaient plus démocrates que vous.

C’est paradoxal, mais c’est un fait. Vous avez souvent juré vos grands dieux que vous tenez pour la musique populaire ; s’il en est ainsi, pourquoi dans vos œuvres utilisez-vous si peu les mélodies populaires ? Pourquoi se répètent les défauts que critiquait déjà Serov lorsqu’il montrait que la musique « savante », c’est-à-dire professionnelle, se développait parallèlement et indépendamment de la populaire ?

Est-ce que chez nous la musique symphonique instrumentale se développe en une étroite interaction avec la musique populaire, que ce soit la chanson, la musique de concert ou la musique chorale ?

Non, on ne peut le dire. Au contraire, on constate ici indéniablement une rupture qui tient à la sous-estimation par nos symphonistes de la musique populaire. Je rappellerai en quels termes Serov caractérisait son attitude envers la musique populaire. Je pense à son article La musique des chants de la Russie du Sud où il disait :

« Les chansons. populaires en tant qu’organismes musicaux ne sont absolument pas l’œuvre de talents isolés, mais la production du peuple tout entier ; elles sont, par toute leur structure, très différentes de la musique artificielle qui résulte d’une imitation consciente des modèles, qui est le produit de l’école, de la science, de la routine et de la réflexion.

Ce sont les fleurs d’un point donné, apparues comme d’elles-mêmes, poussées dans tout leur éclat sans la moindre prétention d’auteur, et, par suite, elles ne ressemblent guère à ces produits de châssis ou de serres de la composition savante.

C’est pourquoi apparaît le plus clairement en elles la naïveté ­de la création et (pour reprendre la juste expression de Gogol dans les Âmes mortes) la haute sagesse de la simplicité, grâce essentielle et secret essentiel de toute création artistique.

Comme un lys dans sa splendeur parfaite éclipse l’éclat du brocart et des pierres précieuses, de même la musique populaire, par sa simplicité enfantine, est mille fois plus riche et plus forte que tous les artifices de l’art d’école, préconisés par les pédants dans les conservatoires et les académies musicales. »

Comme tout est bon, juste et fort ! Comme l’essentiel est bien saisi : le développement de la musique doit se faire sur la base d’une action réciproque, d’un enrichissement de la musique « savante » par la musique populaire ! Mais de nos articles théoriques et critiques d’aujourd’hui ce thème a presque complètement disparu.

Cela confirme une fois de plus le danger que courent les chefs de file de la musique contemporaine, de se couper du peuple lorsqu’ils renoncent à une source aussi belle de création que la chanson et la mélodie populaires. Une telle coupure ne peut évidemment être le fait de la musique soviétique.

Permettez-moi de passer à la question des rapports de la musique nationale et de la musique étrangère.

Des camarades ont dit ici avec raison qu’on constate un engouement et même une certaine orientation vers la musique bourgeoise occidentale contemporaine, vers la musique de décadence, et qu’il y a là également un des traits fondamentaux de l’orientation formaliste dans la musique soviétique.

Stassov a fort bien parlé en son temps des rapports de la musique russe avec la musique de l’Europe occidentale, dans son article Ce qui freine le nouvel art russe, où il écrivait :

« II est ridicule de nier la science, la connaissance en quelque domaine que ce soit y compris dans le domaine musical. Mais les jeunes musiciens russes qui n’ont pas derrière eux comme l’Europe, pour les soutenir, une longue chaîne de périodes scolastiques, regardent audacieusement la science en face : ils la vénèrent, utilisent ses bienfaits, mais sans exagération et sans servilité. Ils nient la nécessité de sa sécheresse et de ses excès pédants, ils se refusent à ses jeux gymnastiques auxquels donnent tant d’importance de milliers d’Européens, et ils ne croient pas qu’il faille humblement végéter de longues années sur ces mystères sacro-saints. »

Ainsi parlait Stassov de la musique classique de l’Europe occidentale. En ce qui concerne la musique bourgeoise contemporaine, qui se trouve en pleine décadence et dégradation, il n’y a rien à tirer d’elle. A plus forte raison sont absurdes et ridicules les manifestations de servilité devant une telle musique.

Si l’on étudie l’histoire de notre musique russe, puis soviétique, on en vient à la conclusion qu’elle a poussé, s’est développée et est devenue une force puissante justement parce qu’elle a réussi à tenir sur ses propres pieds et à trouver ses propres voies de développement, qui lui ont donné la possibilité de mettre à nu la richesse du monde intérieur de notre peuple.

Ceux-là se trompent profondément qui pensent que l’épanouissement de la musique nationale russe, aussi bien que celles des autres peuples soviétiques, signifie un affaiblissement de l’internationalisme dans l’art.

Celui-ci ne naît pas sur la base d’un affaiblissement et d’un appauvrissement de l’art national. Au contraire, l’internationalisme naît là où s’épanouit l’art national. Oublier cette vérité, cela signifie perdre la ligne directrice, perdre son visage, devenir des cosmopolites sans attaches. Seul peut apprécier la richesse musicale d’autres peuples le peuple qui possède une culture musicale hautement développée.

On ne peut pas être un internationaliste en musique, comme en toute autre chose, sans être un véritable patriote de sa patrie. Si à la base de l’internationalisme il y a le respect des autres peuples, on ne peut pas être un internationaliste sans respecter et sans aimer son propre peuple.

Cela, toute l’expérience de l’U.R.S.S. le prouve. Par conséquent l’internationalisme en musique, le respect de l’œuvre des autres peuples, se développent sur la base de l’enrichissement et du développement de l’art musical national, sur la base d’un épanouissement tel qu’il ait quelque chose à faire partager aux autres peuples, et non sur la base d’un appauvrissement de l’art national, d’une imitation aveugle de modèles étrangers, et de l’effacement des particularités du caractère national en musique. Rien de tout cela ne doit être oublié lorsqu’on parle des rapports de la musique soviétique et de la musique étrangère.

Continuons. Quand on dit que la tendance formaliste s’écarte des principes de l’héritage classique, on ne peut pas ne pas parler de l’affaiblissement du rôle de la musique descriptive. On en a déjà parlé ici, mais l’essence du principe de cette question n’a pas été convenablement tirée au clair. Il est parfaitement évident que la musique descriptive tient moins de place ou n’en tient presque plus du tout.

Les choses en sont venues à ce point qu’on est obligé d’expliquer le contenu d’une œuvre musicale nouvelle même après qu’elle a été jouée. Il s’est formé toute une nouvelle profession, celle des commentateurs ­ recrutés par les amis ­ qui s’efforcent d’après leurs conjectures personnelles de déchiffrer après coup, le contenu des œuvres musicales déjà jouées, dont le sens obscur, à ce qu’on dit, n’est pas tout à fait clair, même à leurs auteurs.

Oublier la musique à programme, c’est aussi s’écarter des traditions progressives. On sait que la musique classique russe était, en règle générale, à programme.

On a parlé ici de la volonté d’innover. On a dit que cette volonté d’innover n’était pas loin d’être le trait distinctif principal de la tendance formaliste ; mais la volonté d’innover n’est pas une fin en soi ; le nouveau doit être meilleur que l’ancien autrement il n’a pas de raison d’être. Il me semble que les tenants de la tendance formaliste utilisent principalement ce petit mot d’innovation aux fins de propagande de la mauvaise musique.

On ne peut pourtant qualifier d’innovation toutes les originalités, toutes les grimaces et toutes les cabrioles en musique. Si l’on ne veut pas se contenter de lancer des mots sonores, il faut se représenter nettement de quel ancien il faut essayer de s’éloigner et vers quel nouveau il faut tendre. Si l’on ne fait pas cela, alors les phrases sur l’innovation en musique ne vont signifier qu’une chose : révision des fondements de la musique.

Cela ne peut signifier que le rejet de lois et de normes dont on ne peut s’écarter. Et qu’on ne puisse s’en écarter, ce n’est pas là du conservatisme ; et si l’on s’en écarte, ce n’est point faire œuvre de novateur. L’innovation ne coïncide pas toujours avec le progrès.

On tourne la tête à beaucoup de jeunes musiciens avec l’esprit d’innovation comme avec un épouvantail en leur disant que s’ils ne sont pas originaux, nouveaux, cela signifie qu’ils sont prisonniers des traditions conservatrices. Mais pour autant qu’innovation n’est pas synonyme de progrès, la diffusion de telles opinions représente une profonde illusion sinon une tromperie.

Or, « l’innovation » des formalistes n’est même pas nouvelle, car ce nouveau sent la musique bourgeoise décadente de l’Europe et de l’Amérique contemporaines. Voilà où il faut dénoncer les véritables épigones !

Il fut un temps où dans les écoles primaires et secondaires, comme vous vous le rappelez, on s’était engoué de la méthode des « brigades laboratoires » et par le « plan Dalton », selon lesquels le rôle du maître à l’école était réduit au minimum, tandis que chaque élève avait le droit, au commencement de la leçon, de fixer le programme de la classe.

Le maître, en arrivant pour sa leçon, demandait aux élèves : « Qu’est-­ce que nous allons faire aujourd’hui ? » Les élèves répondaient : « Parlez-nous de l’Arctique, parlez-nous de l’Atlantique, parlez-nous de Tchapaïev, parlez-nous du Dnieprostroï ».

Le maître devait se plier à toutes ces exigences. Cela s’appelait la méthode des « brigades laboratoires ». En fait, cela signifiait que toute l’organisation de l’enseignement était mise sens dessus dessous, puisque les élèves étaient dirigeants et le maître dirigé. Il y avait eu autrefois des (manuels poussiéreux, le système de notation sur 5 avait disparu. Tout cela c’était des nouveautés, mais je vous le demande ces nouveautés étaient-elles progressives ?

Le Parti, comme on sait, a supprimé ces « nouveautés ». Pourquoi ? Parce que ces « nouveautés » très « à gauche » dans la forme, étaient en fait parfaitement réactionnaires et conduisaient à la liquidation de l’école.

Autre exemple : il n’y a pas si longtemps, a été organisée une Académie des Beaux-Arts. La peinture, c’est votre sœur, une des muses. En peinture, comme vous le savez, les influences bourgeoises furent fortes à un moment donné; elles se manifestaient sans discontinuer sous le drapeau le plus « à gauche », se collaient les étiquettes de futurisme, de cubisme, de modernisme ; « on renversait » « l’académisme pourri », on préconisait l’innovation. Cette innovation s’exprimait dans des histoires de fous : on dessinait par exemple une femme à une tête sur quarante jambes, un œil regardant par ici et l’autre au diable.

Comment tout cela s’est-il terminé ? Par un krach complet de « la nouvelle tendance ». Le Parti a pleinement rendu son importance à l’héritage classique de Repine, de Briullov, de Verechtchaguine, de Vasnetsov, de Sourikov. Avons-nous bien fait de maintenir les trésors de la peinture classique et de mettre en déroute les liquidateurs de la peinture ?

Est-ce que la survivance de telles « écoles » n’aurait pas signifié la liquidation de la peinture ? Hé quoi, en défendant la tradition classique en peinture, le Comité central s’est-il conduit en «conservateur», s’est-il trouvé sous l’influence du « traditionalisme », de 1′ « épigonisme », etc., etc… ? Tout cela ne tient pas debout.

Il en est de même en musique. Nous n’affirmons pas que l’héritage classique est le sommet absolu de la culture musicale.

Si nous parlions ainsi, cela voudrait dire que nous reconnaissons que le progrès s’est achevé avec les classiques. Mais jusqu’à présent les modèles classiques restent insurpassés. Cela veut dire qu’il faut étudier et étudier encore, prendre de l’héritage classique tout ce meilleur dont nous avons besoin pour le développement ultérieur de la musique soviétique.

On parle d’épigonisme et autres balivernes, et avec ces mots-là on effraie la jeunesse pour la détourner d’apprendre auprès des classiques. On lance pour mot d’ordre qu’il faut dépasser les classiques. C’est évidemment excellent. Mais pour les dépasser il faut commencer par les rattraper, et c’est un stade que vous négligez comme si c’était déjà une étape dépassée.

Mais pour parler sincèrement et exprimer la pensée du spectateur et de l’auditeur soviétiques, ce ne serait pas mal du tout si l’on voyait paraître chez nous un peu plus d’oeuvres ressemblant aux classiques par le contenu et la forme, par l’élégance, la beauté et la musicalité. Si c’est là de l’ « épigonisme », eh bien, ma foi, il n’y a pas de honte à être un tel épigone !

Un mot des déviations naturalistes. Il est apparu ici qu’on s’écartait de plus en plus des normes naturelles et saines de la musique. On fait de plus en plus de place dans notre musique à des éléments de grossier naturalisme. Or voici comment il y a quatre-vingt-dix ans Serov prévenait ses contemporains contre l’attrait d’un naturalisme grossier :

« Dans la nature il y a une infinité de sons différents de nature et de qualité, mais tous ces sons qui en certains cas s’appellent bruit, roulement, fracas, craquement, clapotement, grondement, bourdonnement, tintement, hurlement, grincement, sifflement, parole, chuchotement, bruissement, grésillement, murmure, etc., etc… et en d’autres circonstances ne peuvent s’exprimer par le langage, tous ces bruits ou bien n’entrent pas du tout dans la composition de la langue musicale, ou n’y entrent qu’à titre d’exception (sons de cloches, de cymbales, de triangle, bruits de tambour, de tambourin, etc…)

« La matière proprement musicale c’est un son d’une qualité particulière. »

N’est-il pas vrai, n’est-il pas juste que le son des cymbales ou le bruit du tambour doit être l’exception et non la règle dans une œuvre musicale ?

N’est-il pas clair que tout bruit naturel ne doit pas être transporté dans une œuvre musicale ? Or combien y a-t-il chez nous d’engouement insolent pour un naturalisme vulgaire qui représente indiscutablement un pas en arrière !

Il faut dire carrément que toute une série d’œuvres contemporaines sont à ce point surchargées de bruits naturalistes qu’elles rappellent, pardonnez l’inélégance de l’expression, soit la fraise de dentiste, soit une périssoire musicale. Simplement ce sont les forces qui manquent, prêtez-y attention !

C’est ici qu’on commence à sortir des limites du rationnel, des limites non seulement des émotions humaines normales, mais aussi de la raison de l’homme normal. Il y a, il est vrai, aujourd’hui des « théories » à la mode qui prétendent que l’état pathologique est une forme supérieure de l’humanité et que les schizophréniques et les paranoïaques dans leur délire peuvent atteindre à des hauteurs spirituelles où n’atteindra jamais un homme ordinaire dans son état normal.

Ces « théories » ne sont évidemment pas accidentelles, elles sont très caractéristiques de l’époque de pourriture et de décomposition de la culture bourgeoise. Mais laissons toutes ces « recherches » aux fous, exigeons de nos compositeurs une musique normale, humaine.

Quel a été le résultat de l’oubli des lois et des normes de la création musicale ? La musique s’est vengée des efforts faits pour la dénaturer. Quand la musique perd tout contenu, toute qualité artistique, quand elle devient inélégante, laide, vulgaire, elle cesse de satisfaire les besoins pour lesquels elle existe, elle cesse d’être elle-même.

Vous vous étonnez peut-être qu’au Comité central du Parti bolchevik on exige de la musique beauté et élégance. Qu’est-ce qui se passe encore ? Eh bien, non, ce n’est pas un lapsus, nous déclarons que nous sommes pour une musique belle et élégante, une musique capable de satisfaire les besoins esthétiques et les goûts artistiques des Soviétiques, et ces besoins et ces goûts ont grandi incroyablement.

Le peuple apprécie le talent d’une œuvre musicale dans la mesure où elle reflète profondément l’esprit de notre époque, l’esprit de notre peuple, dans la mesure où elle est accessible aux larges masses. Qu’est-ce donc qui est génial en musique ?

Ce n’est pas du tout ce que ne peuvent apprécier qu’un individu ou un petit groupe d’esthètes raffinés ; une œuvre musicale est d’autant plus géniale que le contenu en est plus riche et plus profond, que la maîtrise en est plus élevée, qu’est plus grand le nombre de ceux qui la reconnaissent, le nombre de ceux qu’elle est capable d’inspirer.

Tout ce qui est accessible n’est pas génial, mais tout ce qui est vraiment génial est accessible, et d’autant plus génial que plus accessible aux larges masses du peuple.

A. N. Serov avait profondément raison lorsqu’il disait : « Contre la beauté vraie en art le temps est impuissant, autrement on n’aimerait plus ni Homère, Dante ou Shakespeare, ni Raphaël, Le Titien ou Poussin, ni Palestrina, Haendel, ou Glück ».

Une œuvre musicale est d’autant plus haute qu’elle fait entrer en résonance plus de cordes de l’âme humaine. L’homme du point de vue de sa perception musicale est une membrane merveilleusement riche, un récepteur travaillant sur des milliers d’ondes ­ – on peut, sans doute, choisir une meilleure comparaison – ­ et pour l’émouvoir il ne suffît pas d’une seule note, d’une seule corde, d’une seule émotion.

Si un compositeur n’est capable de faire vibrer qu’une ou que quelques-unes des cordes humaines, cela ne suffit pas, car l’homme moderne et surtout le nôtre, l’homme soviétique, se présente aujourd’hui comme un organisme perceptif extrêmement complexe. Si Glinka, Tchaïkovsky, Serov, ont parlé du haut développement du sens musical dans le peuple russe, au temps où ils s’exprimaient ainsi le peuple russe n’avait pas encore une large idée de la musique classique.

Sous le pouvoir soviétique, la culture musicale des peuples s’est extraordinairement développée ; si déjà auparavant notre peuple se distinguait par son sens musical, aujourd’hui son goût artistique s’est enrichi en raison de la diffusion de la musique classique.

Si vous avez laissé s’appauvrir la musique, si, comme il est arrivé dans l’opéra de Mouradéli, ne sont utilisées ­ni les possibilités de l’orchestre ni les aptitudes des chanteurs, alors vous avez cessé de satisfaire les besoins musicaux de vos auditeurs. Et l’on récolte ce qu’on a semé. Les compositeurs dont les œuvres sont incompréhensibles au peuple ne doivent pas s’attendre à ce que le peuple, qui n’a pas compris leur musique, « s’élève » jusqu’à eux.

La musique qui est inintelligible au peuple, lui est inutile. Les compositeurs doivent s’en prendre, non au peuple mais à eux-mêmes, ils doivent faire la critique de leur propre travail, comprendre pourquoi ils n’ont pas satisfait leur peuple, pourquoi ils n’ont pas mérité son approbation, et ce qu’ils doivent faire pour qu’il les comprenne et approuve leurs œuvres.

Voilà en quel sens il faut réformer votre travail. En outre, vous courez le risque de perdre la maîtrise de votre profession musicale. Si les déviations formalistes appauvrissent la musique, elles comportent encore un autre danger : c’est de ruiner la maîtrise du métier.

A ce propos, il me faut m’attarder sur une erreur très répandue, selon laquelle la musique classique serait plus simple et la musique moderne plus complexe, la complication de la technique contemporaine étant considérée comme un pas en avant, étant donné que tout développement va du simple au complexe et du particulier en général. Il n’est pas vrai que toute complication signifie maîtrise plus grande. Non, pas n’importe laquelle. C’est une profonde erreur que de prendre toute complication pour un progrès.

J’en donnerai un exemple : on sait que la langue littéraire russe utilise un grand nombre de mots étrangers, on sait comme Lénine se moquait de l’emploi abusif de tels termes, et comme il combattit pour épurer la langue nationale des emprunts qui rengorgeait. La complication de la langue par l’introduction d’un mot étranger, là où il y a la possibilité d’employer un mot russe, n’a jamais passé pour un progrès linguistique.

Par exemple le mot étranger « losung » (mot d’ordre) est remplacé aujourd’hui par le mot russe correspondant [en russe prlzy]; est ce que cela ne constitue pas un pas en avant ? Il en est de même en musique.

Sous le masque d’une complication purement extérieure des procédés de composition, se cache une tendance à l’appauvrissement de la musique. La langue musicale devient inexpressive.

On y introduit tant d’éléments grossiers, vulgaires, faux, qu’elle cesse de répondre à sa destination : procurer une jouissance. La signification esthétique de la musique doit­-elle donc être abolie ? Est-ce en cela, dites-moi, que consiste l’innovation ? Ou bien la musique devient-elle une conversation du compositeur avec lui-même ?

Mais alors pourquoi l’imposer au peuple? Cette musique devient antipopulaire, étroitement individualiste et le peuple a le droit de devenir, et devient en effet, indifférent à son destin. Si l’on exige de l’auditeur qu’il loue une musique grossière, inélégante, vulgaire, fondée sur des atonalités, sur des dissonances continuelles, lorsque les consonances deviennent un cas particulier et les fausses notes et leur combinaison la règle, c’est qu’on s’est écarté des normes fondamentales de la musique.

Tout cela pris ensemble, menace la musique de liquidation, tout comme le cubisme et le futurisme en peinture ne représentent pas autre chose qu’une menace de destruction de la peinture. Une musique qui volontairement ignore les émotions humaines normales et ébranle le psychisme et le système nerveux, ne peut être populaire, ne peut être au service de la société.

On a parlé ici d’un engouement unilatéral pour la musique symphonique instrumentale sans texte, cet oubli de la diversité des genres musicaux n’est pas juste. A quoi il conduit, on peut en juger par l’opéra de Mouradéli. Vous vous rappelez comme les grands maîtres de l’art variaient généreusement les genres.

Ils comprenaient que le peuple demande la diversité. Pourquoi êtes-vous si différents de vos grands ancêtres ? Vous êtes autrement insensibles qu’eux qui, occupant les cimes de l’art, écrivaient pour le peuple soli, chœurs et musique d’orchestre.

Parlons de la disparition de la mélodie dans la musique. La musique contemporaine est caractérisée par l’amour unilatéral du rythme aux dépens de la mélodie. Mais nous savons que la musique ne donne de plaisir que lorsque tous ses éléments – ­ la mélodie, le chant, le rythme – ­ se trouvent dans une certaine union harmonieuse.

L’attention unilatérale accordée à l’un d’eux aux dépens d’un autre aboutit à détruire l’interaction correcte des divers éléments de la musique, ce qui ne peut évidemment être accepté par une oreille humaine normale.

On se laisse aller aussi à utiliser les instruments en dehors de leur destination propre ; le piano par exemple se change en instrument de batterie. On réduit le rôle de la musique vocale au bénéfice d’un développement unilatéral de la musique instrumentale. La musique vocale elle-même tient de moins en moins compte des normes de l’art vocal.

Pareils écarts par rapport aux normes de l’art musical signifient la violation, non seulement des bases fonctionnelles normales du son musical, mais encore des bases physiologiques de l’oreille humaine normale. On n’a malheureusement pas encore assez fouillé chez nous le domaine de la théorie qui traite de l’influence physiologique de la musique sur l’organisme humain.

Et pourtant il faut admettre qu’une musique mauvaise, disharmonique, lèse sans aucun doute l’activité psycho-physiologique régulière de l’homme.

Conclusions. Il faut rétablir pleinement l’importance de l’héritage classique, il faut rétablir une musique humaine normale.

Il faut souligner le danger de liquidation que fait courir à la musique l’orientation formaliste et condamner cette tendance comme une tentative à la Erostrate pour détruire le temple de l’art bâti par les grands maîtres de la culture musicale. Il faut que tous nos compositeurs se transforment et se tournent face à notre peuple. Il faut que tous se rendent compte que notre Parti, qui exprime les intérêts de notre Etat, de notre peuple, ne soutiendra que la tendance saine, progressive de la musique, celle du réalisme socialiste soviétique.

Camarades ! Si la haute dignité de compositeur soviétique vous est chère, vous devez montrer que vous êtes capables de mieux servir votre peuple que vous ne l’avez fait jusqu’ici. Un sérieux examen vous attend. La tendance formaliste en musique a été condamnée par le Parti il y a déjà 12 ans.

Pendant cette période le gouvernement a récompensé de prix Staline nombre d’entre vous, y compris certains qui avaient péché par formalisme. Ces récompenses c’était une avance.

Nous n’estimions pas pour autant que vos œuvres étaient exemptes de fautes, mais nous patientions, attendant que nos compositeurs trouvent en eux-mêmes la force de choisir la vraie route.

Mais maintenant chacun voit que l’intervention du Parti était nécessaire. Le C.C. vous déclare sans ambages que sur la voie choisie par vous notre musique ne s’illustrera pas.

Les compositeurs soviétiques ont deux tâches responsables au plus haut degré. La principale, c’est de développer et de parfaire la musique soviétique. L’autre consiste à défendre la musique soviétique contre l’intrusion des éléments de la décadence bourgeoise.

Il ne faut pas oublier que l’U.R.S.S. est actuellement l’authentique dépositaire de la culture musicale universelle, de même que dans tous les autres domaines elle est le rempart de la civilisation et de la culture humaine contre la décadence bourgeoise et la décomposition de la culture.

Il faut s’attendre à ce qu’aux influences bourgeoises venues d’au delà de nos frontières fassent écho des survivances du capitalisme dans la conscience de quelques représentants de l’intelligentsia soviétique, chez qui elles se traduisent par des efforts d’une folle légèreté pour troquer les trésors de la musique soviétique contre les misérables haillons de l’art bourgeois contemporain.

Aussi n’est-ce pas seulement l’oreille musicale, mais aussi l’oreille politique des compositeurs soviétiques qui doit être plus sensible.

Vos liens avec le peuple doivent être plus étroits que jamais. Vous devez tendre à la critique une oreille très attentive. Vous devez suivre les processus qui se développent dans l’art de l’Occident.

Mais votre tâche ne consiste pas seulement à empêcher la pénétration des influences bourgeoises dans la musique soviétique. Votre tâche consiste à confirmer la supériorité de la musique soviétique, à créer une puissante musique soviétique qui incorpore ce qu’il y a de meilleur dans le passé de la musique, qui reflète la société soviétique d’aujourd’hui et puisse élever plus haut encore la culture de notre peuple et sa conscience communiste.

Nous, bolcheviks, nous ne rejetons pas l’héritage culturel. Au contraire nous assimilons avec esprit critique l’héritage culturel de tous les peuples, de toutes les époques, pour en saisir tout ce qui peut inspirer aux travailleurs de la société soviétique de grandes actions dans le domaine du travail, de la science et de la culture. Vous devez aider le peuple en cela : si vous ne proposez pas cette tâche, si vous ne vous y donnez pas tout entiers, avec toute votre ardeur et votre enthousiasme créateurs, alors vous ne remplirez pas votre rôle historique.

Camarades! nous voulons, nous souhaitons passionnément que nous ayons nous aussi nos « Grands Cinq », que nos musiciens soient plus nombreux et plus forts que ceux qui ont jadis étonné le monde par leur talent et fait honneur à notre peuple. Pour être forts il faut que vous rejetiez loin de votre route tout ce qui peut vous affaiblir et que vous choisissiez les seules armes qui vous aideront à être forts et puissants.

Si vous utilisez à fond l’héritage de la géniale musique classique, et si en même temps vous le développez dans l’esprit des exigences nouvelles de notre grande époque, vous serez les « Grands Cinq » soviétiques.

Nous voulons que le retard dont vous souffrez soit dominé aussi rapidement que possible, que vous vous réformiez et vous transformiez en glorieuse cohorte des compositeurs soviétiques, fierté de tout le peuple soviétique. 

Discours d’introduction à la Conférence des musiciens soviétiques de 1948.

Quelques mots sur le livret. Le livret de cet opéra est artificiel et les événements à rendre sont inexacts et faux du point de vue historique.

Voici, brièvement, de quoi il est question. L’opéra est consacré à la lutte livrée pour l’amitié des peuples dans le Caucase du Nord, en 1918-1920. Les peuples du Caucase, dont l’opéra a en vue de montrer des Ossètes, les Lesghiens et les Géorgiens, passent, avec l’aide d’un commissaire envoyé de Moscou, de la lutte contre le peuple russe, en particulier contre les Cosaques, à la paix et à l’amitié avec lui.

Ce qu’il y a d’historiquement faux ici, c’est que ces peuples n’ont jamais été en inimitié avec le peuple russe. Tout au contraire, dans la période historique à laquelle est consacré cet opéra, c’est précisément de concert avec les Ossètes, les Lesghiens et les Géorgiens que le peuple russe et l’Armée rouge battaient les forces de la contre-révolution, jetaient les fondements du pouvoir des Soviets dans le Caucase du Nord et instauraient la paix et l’amitié des peuples.

A l’époque, ce sont les Tchétchènes et les Irigouchis qui faisaient obstacle à l’amitié des peuples.

Donc, en ce temps-là, ce sont les Tchétchènes et les Ingouchis qui semaient la haine entre les nationalités, et voilà qu’au lieu d’eux, on présente au public les Ossètes et les Géorgiens ! C’est là une erreur historique grossière ; c’est falsifier l’histoire ; c’est attenter à la vérité historique.

Bien qu’il soit question dans cet opéra d’une époque fort intéressante, de l’époque de l’instauration du pouvoir des Soviets dans le Caucase du Nord, avec toute la complexité de ses coutumes multinationales et la variété des formes de la lutte de classes, et alors que dans ces conditions cet opéra aurait dû rendre pleinement la vie fertile en événements et les mœurs des peuples du Caucase du Nord ­ sa musique s’est trouvée être très loin de l’œuvre populaire des peuples du Caucase du Nord.

Si les Cosaques paraissent sur la scène ­ et ils jouent un grand rôle dans l’opéra – ni la musique, ni les chants n’ont rien de typique pour les Cosaques, leurs chansons et leur musique. Il en est de même des peuplades de montagnards. Si au cours de l’action on danse une lesghienne, la mélodie ne rappelle en rien les mélodies si connues et si populaires des lesghiennes. Le compositeur, en quête d’originalité, a écrit pour sa lesghienne, une musique peu compréhensible, fastidieuse et beaucoup moins jolie et riche en contenu que la musique populaire ordinaire de la lesghienne.

Puis, reprenant la parole au cours de la discussion, Jdanov fit l’intervention suivante :

Permettez­-moi d’abord de faire quelques remarques sur le caractère de la discussion qui se déroule ici. L’appréciation générale de la situation dans le domaine de la création musicale se ramène à cette constatation : ça ne va pas fort.

Il s’est exprimé, il est vrai, différentes nuances au cours des interventions. Les uns ont dit qu’elle boitait surtout sous le rapport de l’organisation, ils ont montré l’insuffisance de la critique et de l’autocritique et dénoncé les fausses méthodes de direction, particulièrement à l’Union des compositeurs.

D’autres, s’associant à la critique de l’organisation et du régime régnant dans les organisations, ont signalé ce qui va mal dans l’orientation idéologique de la musique soviétique. Les troisièmes ont tenté d’escamoter le caractère aigu de la situation ou de passer sous silence les questions désagréables. Mais de quelque façon qu’aient été exprimées ces nuances, le ton général de la discussion se réduit à constater que ça ne va pas fort.

Je n’ai pas l’intention d’apporter une dissonance ou une « atonalité » dans cette appréciation, quoique l’« atonalité » soit aujourd’hui à la mode. La situation est en effet bien mauvaise. Il me semble qu’elle est pire qu’on ne l’a dit ici.

Je n’ai pas l’intention de nier les résultats obtenus par la musique soviétique. Ils existent, bien sûr, mais si l’on se représente quels résultats nous aurions pu et dû obtenir dans le domaine de la musique, si l’on compare même les succès dans ce domaine avec les résultats obtenus dans d’autres domaines de l’idéologie, il faut avouer qu’ils sont tout à fait insignifiants.

Si l’on prend, par exemple, la littérature, on voit aujourd’hui certaines revues éprouver de véritables difficultés parce qu’elles n’arrivent plus à faire place à tous les manuscrits dignes de publication qu’elles ont en portefeuille. Il semble qu’aucun des orateurs n’ait pu se vanter d’une telle surproduction en musique. Il y a progrès dans le domaine du cinéma ou de la dramaturgie.

Mais dans le domaine de la musique il n’y a pas le moindre progrès sensible.

La musique est en retard, tel est le ton de toutes les interventions. Aussi bien à l’Union des compositeurs qu’au Comité des arts, il s’est créé une situation évidemment anormale. Du Comité des arts on a peu parlé et on ne l’a pas suffisamment critiqué. En tout cas on a parlé notablement plus et de façon plus incisive de l’Union des compositeurs.

Et pourtant, le Comité des arts a joué un rôle de fort mauvais aloi. En se donnant l’air de défendre de toutes ses forces la tendance réaliste en musique, le Comité a favorisé de toutes les façons la tendance formaliste en élevant ses représentants sur le pavois, et par là-même il a rendu possible la désorganisation et l’introduction de la pagaille idéologique dans les rangs de nos compositeurs. En outre, inculte et incompétent dans les questions musicales, le Comité s’est mis à la traîne des compositeurs du clan formaliste.

On a comparé ici le Comité d’organisation de l’Union des compositeurs à un monastère ou aux généraux sans armée. Il n’est pas besoin de contester ces affirmations.

Si le sort de la création musicale soviétique se trouve être la prérogative du cercle le plus fermé de compositeurs et de critiques dirigeants, de critiques choisis suivant le principe du soutien des chefs et créant autour des compositeurs une atmosphère enivrante d’adulation, s’il n’y a pas de discussion de travail, si à l’Union des compositeurs s’est instaurée une atmosphère confinée, moisie, où l’on distingue les compositeurs de première et de seconde qualités, si le style dominant dans les conférences de l’Union des compositeurs est le silence respectueux ou les pieuses louanges aux élus, si la direction du Comité d’organisation est coupée de la masse des compositeurs ­ alors on ne peut pas ne pas reconnaître que la situation sur l’« Olympe » musical est devenue menaçante.

Il convient de dire un mot particulier de critique de l’orientation vicieuse de la critique et de l’absence de discussion de travail à l’Union des compositeurs. Du moment qu’il n’y a pas discussion de travail, qu’il n’y a ni critique ni autocritique, il n’y a pas non plus mouvement en avant. La discussion de travail est une critique objective, indépendante – ­ c’est aujourd’hui devenu un axiome – ­ apparaissent comme la condition la plus importante du progrès créateur.

Là où il n’y a pas critique et discussion de travail, les sources mêmes du mouvement se tarissent, il s’installe une atmosphère de serre, de moisissure et de stagnation, dont nos compositeurs n’ont nul besoin.

Ce n’est point par hasard que les gens qui prennent part pour la première fois à une conférence sur les questions musicales, trouvent étrange que puissent se perpétuer des contradictions aussi irréductibles entre le régime très conservateur qui préside à l’organisation de l’Union des compositeurs, et les idées soi-disant ultra-progressives de ses dirigeants actuels dans le domaine de l’idéologie et de la création.

On sait que la direction de l’Union a inscrit sur son drapeau des formules prometteuses comme l’appel à l’esprit novateur, le rejet des traditions désuètes, la lutte contre l’ « épigonisme », etc.

Mais il est curieux que les mêmes personnes qui veulent paraître très radicales et même ultra-révolutionnaires dans leur programme créateur, qui prétendent au rôle de destructeurs des canons vieillis ­ que ces mêmes personnes, quand elles prennent part à l’activité de l’Union des compositeurs, se révèlent extraordinairement rétrogrades, imperméables aux nouveautés et aux changements, conservatrices dans leurs méthodes de travail et de direction, et souvent paient volontiers tribut dans les questions d’organisation aux pires traditions et à l’« épigonisme » tant décrié, cultivant les procédés les plus bornés et éculés quand il s’agit de diriger la vie et l’activité de leur propre groupement.

Comment cela se fait, il est aisé de l’expliquer. Si une phraséologie boursoufflée sur les soi-disant tendances nouvelles de la musique soviétique, s’associe à des actes qui ne sont nullement d’avant-garde, cela seul suffît à provoquer un doute légitime sur le caractère progressiste des bases idéologiques sur lesquelles reposent des méthodes aussi réactionnaires.

L’organisation a en toutes choses une grande importance, vous le comprenez parfaitement. Il faut c’est évident, procéder à une sérieuse ventilation dans les organisations de compositeurs et de musiciens, il faut qu’un souffle frais y purifie l’air pour qu’y soient créées des conditions normales au travail créateur.

Mais la question d’organisation, pour importante qu’elle soit, n’est pas fondamentale. La question fondamentale, c’est l’orientation de la musique soviétique. La discussion qui s’est déroulée ici élude quelque peu le problème et ce n’est pas juste.

Si en musique vous cherchez la phrase musicale claire, de même dans la question de l’orientation de notre musique nous devons chercher à atteindre la clarté.

A la question : s’agit-il de deux tendances en musique ? ­ la discussion apporte une réponse parfaitement nette : oui, c’est précisément de cela qu’il s’agit. Bien que certains camarades aient essayé de ne pas appeler les choses par leur nom et que l’on ait joué partiellement en sourdine, il est clair qu’il y a lutte entre les tendances, que les efforts faits pour remplacer une orientation par une autre sont manifestes.

En même temps une partie de nos camarades a prétendu qu’il n’y avait pas de raison de poser la question de la lutte des tendances, qu’il ne s’était produit aucun changement d’ordre qualitatif, qu’on assistait seulement au développement de l’héritage classique dans les conditions du milieu soviétique.

On a dit qu’il n’y avait aucune révision des fondements de la musique classique et que, par conséquent, il n’y avait pas matière à discussion, qu’il était vain de faire du bruit.

Le problème se réduirait tout au plus à des corrections de détail, à des cas isolés d’engouement pour la technique, à des fautes isolées de caractère naturaliste, etc. C’est justement parce que l’on s’est livré à un camouflage de cette nature, qu’il convient de s’étendre plus en détail sur la lutte des deux tendances.

Il ne s’agit évidemment pas seulement de corrections, il ne suffit pas de dire qu’il y a une gouttière dans le toit du Conservatoire et qu’il faut la boucher ­ et l’on ne peut pas ne pas être d’accord là-dessus avec le camarade Chebaline, mais le trou n’est pas seulement dans le toit du Conservatoire ce serait vite réparé ; il s’est formé une brèche beaucoup plus importante dans les fondations mêmes de la musique soviétique.

Il n’y a pas là-dessus deux avis et tous les orateurs l’ont montré : dans l’activité de l’Union des compositeurs le rôle dirigeant est joué aujourd’hui par un groupe limité de compositeurs. Il s’agit des camarades Chostakovitch, Prokofiev, Miaskovsky, Khatchatourian, Popov, Kabalevski, Chebaline. Qui voulez-vous encore associer à ces camarades ?

Une voix crie : « Chaporine ». Jdanov poursuit :

Lorsqu’on parle du groupe dirigeant qui tient tous les fils et toutes les clés du « Comité exécutif des arts » ce sont les noms qu’on donne le plus souvent. Nous admettrons que ces camarades sont les principales figures dirigeantes de la tendance formaliste en musique. Et cette tendance est totalement fausse.

Les camarades sus-nommés ont, eux aussi, pris ici la parole, et déclaré qu’eux aussi étaient mécontents qu’à l’Union des compositeurs il n’y ait pas d’atmosphère de critique, qu’on les loue exagérément, qu’ils sentent un certain affaiblissement de leurs contacts avec les cadres de base des compositeurs, avec les auditoires, etc.

Mais pour constater toutes ces vérités, sans doute n’avait-on pas besoin d’attendre un opéra incomplètement ou imparfaitement réussi.

Ces aveux auraient pu être faits beaucoup plus tôt. C’est qu’au fond pour ce groupe dirigeant de nos compositeurs du clan formaliste, le régime qui régnait jusqu’ici dans les organisations musicales n’était, pour modérer mon expression, « point désagréable ». Il a fallu la conférence au Comité central du Parti pour que ces camarades découvrent le fait, que ce régime recèle aussi des côtés négatifs. En tout cas, jusqu’à la Conférence au C.G., aucun d’entre eux n’a jamais proposé de rien changer à l’état de choses existant dans l’Union des compositeurs. Les forces du « traditionalisme » et de l’« épigonisme » agissaient sans défaillance.

On a dit ici que le moment était venu de changer carrément les choses. On ne peut pas ne pas en tomber d’accord.

Pour autant que les postes de commande de la musique soviétique sont occupés par les camarades en question, pour autant qu’il a été démontré que des tentatives pour les critiquer auraient provoqué, comme l’a dit ici le camarade Zakharov, une explosion, une mobilisation immédiate de toutes les forces contre la critique, il faut en conclure que ce sont précisément ces camarades qui ont créé cette insupportable atmosphère de serre, de stagnation et de rapports amicaux, qu’ils sont maintenant disposés à déclarer indésirables.

Les dirigeants de l’Union des compositeurs ont dit ici qu’il n’y a pas d’oligarchie à l’Union des compositeurs. Mais alors se pose la question: pourquoi s’accrochent-ils tant aux postes de directeurs de l’Union? Le pouvoir les séduit-il pour lui-même?

En d’autres termes, ces gens ont-ils pris l’autorité en mains parce qu’il leur est agréable de détenir l’autorité pour elle-même, ont-ils été atteints d’une telle démangeaison administrative, veulent­-ils simplement jouer aux petits princes comme Vladimir Galitski dans le « Prince Igor »?

Ou bien serait-ce que cette domination s’est établie en vue de donner à la musique une orientation déterminée ? Je pense que la première supposition tombe et que la seconde est la bonne.

Nous n’avons pas raison d’affirmer que la direction des affaires de l’Union n’est pas liée à l’orientation. Nous ne pouvons pas adresser une telle accusation disons, à Chostakovitch Par conséquent, si l’on dirigeait, c’était pour orienter.

Effectivement nous avons affaire à une lutte très aiguë, encore que voilée en surface, entre deux tendances.

L’une représente dans la musique soviétique une base saine, progressive, fondée sur la reconnaissance du rôle énorme joué par l’héritage classique, et en particulier par les traditions de l’école musicale russe, sur l’association d’un contenu idéologique élevé, de la vérité réaliste, de liens organiques profonds avec le peuple, d’une création musicale chantante, d’une haute maîtrise professionnelle.

La deuxième tendance exprime un formalisme étranger à l’art soviétique, le rejet de l’héritage classique sous le couvert d’un faux effort vers la nouveauté, le rejet du caractère populaire de la musique, le refus de servir le peuple, cela au bénéfice des émotions étroitement individuelles d’un petit groupe, d’esthètes élus.

Cette tendance remplace la musique naturelle, belle, humaine, par une musique fausse, vulgaire, parfois simplement pathologique.

En outre, c’est une particularité de la seconde tendance que d’éviter les attaques de front, de préférer cacher son activité révisionniste sous le masque d’un accord prétendu avec les propositions fondamentales du réalisme socialiste.

De telles méthodes « de contrebande » ne sont évidemment pas neuves, les exemples du révisionnisme proclamant son accord avec les propositions fondamentales de la théorie révisée, ne manquent pas dans l’histoire. Il est d’autant plus nécessaire de démasquer la véritable nature de cette seconde tendance et le mal qu’elle a fait au développement de la musique soviétique.

Analysons par exemple la question de l’attitude envers l’héritage classique. Les compositeurs en question ont beau jurer qu’ils se tiennent des deux pieds sur le sol de l’héritage classique, il n’y a pas moyen de démontrer que les partisans de l’école formaliste prolongent et développent les traditions de la musique classique.

N’importe quel auditeur dira que les œuvres des compositeurs soviétiques du clan formaliste sont radicalement différentes de la musique classique. La musique classique se caractérise par la vérité et le réalisme, par l’art d’unir une forme éclatante à un contenu profond, d’associer la plus haute maîtrise avec la simplicité la plus accessible.

La musique classique en général, la musique classique russe en particulier, ignorent le formalisme et le grossier naturalisme. Ce qui les caractérise, c’est l’élévation de l’idée : car elles savent reconnaître les sources de la musique dans l’œuvre musicale des peuples, elles ont respect et amour pour le peuple, pour sa musique et sa chanson.

Quel pas en arrière font nos formalistes hors de la grand’route de notre histoire musicale lorsque sapant les bases de la vraie musique ils composent une musique monstrueuse, factice, pénétrée d’impressions idéalistes, étrangère aux larges masses du peuple, s’adressant non à des millions de soviétiques mais à quelques unités ou à quelques dizaines d’élus, à une « élite » !

Comme cela ressemble peu à Glinka, à Tchaïkovsky, à Rimsky-Korsakov, à Dargomyjski, à Moussorgski, qui voyaient le principe de leur œuvre dans leur capacité d’exprimer l’esprit du peuple, son caractère ! La volonté d’ignorer les besoins du peuple, son esprit, sa création, signifie que la tendance formaliste en musique a un caractère nettement antipopulaire.

Si chez certains compositeurs soviétiques a cours cette théorie illusoire selon laquelle « on nous comprendra dans cinquante ou cent ans », « si nos contemporains ne peuvent nous comprendre, la postérité nous comprendra », alors c’est une chose simplement effrayante. Si vous êtes déjà accoutumés à cette pensée, une telle habitude est extrêmement dangereuse.

De tels raisonnements signifient qu’on se coupe d’avec le peuple. Si moi ­ écrivain, artiste, littérateur, responsable du Parti ­ je ne cherche pas à être compris de mes contemporains, alors pour qui donc vivre et travailler ?

Mais cela conduit au vide spirituel, à l’impasse. On dit que certains critiques musicaux parmi les flatteurs murmurent aux compositeurs, maintenant en particulier, des « consolations » de cette sorte. Mais des compositeurs peuvent-ils entendre de sang-froid de tels conseils, sans traîner les conseillers au moins devant un tribunal d’honneur ?

Rappelez-vous comment les classiques répondaient aux exigences du peuple. On oublie déjà chez nous en quels termes lumineux se sont exprimés les « Grands Cinq » [littéralement le « groupe vigoureux », groupe de compositeurs russes du milieu du XIXe siècle, avec comme principaux représentants Mili Balakirev, Modest Moussorgski, Alexander Borodine, Nikolaï Rimsky-Korsakov, César Cui] et le grand critique musical Stassov, leur compagnon, sur le caractère populaire de la musique.

On oublie le mot remarquable de Glinka sur les rapports du peuple et des artistes: « Celui qui crée la musique c’est le peuple, et nous, les artistes, ne faisons que l’arranger ». On oublie que les choryphées de l’art musical n’ont écarté aucun genre, quand ces genres les aidaient à promouvoir l’art musical dans de larges masses populaires.

Mais vous écartez même des genres tels que l’opéra, vous tenez l’opéra pour une œuvre de second ordre, vous lui opposez la musique symphonique instrumentale, pour ne rien dire de votre attitude dédaigneuse envers la musique de chant, la musique chorale ou la musique de concert : vous trouvez honteux de vous abaisser jusqu’à elle et de satisfaire aux exigences populaires.

Cependant, Moussorgski a mis en musique le « Hopak ». Glinka utilisa le « Komarinski » dans l’une de ses meilleures œuvres. Peut-être faudra-t-il reconnaître que le propriétaire foncier Glinka, le fonctionnaires des tsars Serov et le gentilhomme Stassov étaient plus démocrates que vous.

C’est paradoxal, mais c’est un fait. Vous avez souvent juré vos grands dieux que vous tenez pour la musique populaire ; s’il en est ainsi, pourquoi dans vos œuvres utilisez-vous si peu les mélodies populaires ? Pourquoi se répètent les défauts que critiquait déjà Serov lorsqu’il montrait que la musique « savante », c’est-à-dire professionnelle, se développait parallèlement et indépendamment de la populaire ?

Est-ce que chez nous la musique symphonique instrumentale se développe en une étroite interaction avec la musique populaire, que ce soit la chanson, la musique de concert ou la musique chorale ?

Non, on ne peut le dire. Au contraire, on constate ici indéniablement une rupture qui tient à la sous-estimation par nos symphonistes de la musique populaire. Je rappellerai en quels termes Serov caractérisait son attitude envers la musique populaire. Je pense à son article La musique des chants de la Russie du Sud où il disait :

« Les chansons. populaires en tant qu’organismes musicaux ne sont absolument pas l’œuvre de talents isolés, mais la production du peuple tout entier ; elles sont, par toute leur structure, très différentes de la musique artificielle qui résulte d’une imitation consciente des modèles, qui est le produit de l’école, de la science, de la routine et de la réflexion.

Ce sont les fleurs d’un point donné, apparues comme d’elles-mêmes, poussées dans tout leur éclat sans la moindre prétention d’auteur, et, par suite, elles ne ressemblent guère à ces produits de châssis ou de serres de la composition savante.

C’est pourquoi apparaît le plus clairement en elles la naïveté ­de la création et (pour reprendre la juste expression de Gogol dans les Âmes mortes) la haute sagesse de la simplicité, grâce essentielle et secret essentiel de toute création artistique.

Comme un lys dans sa splendeur parfaite éclipse l’éclat du brocart et des pierres précieuses, de même la musique populaire, par sa simplicité enfantine, est mille fois plus riche et plus forte que tous les artifices de l’art d’école, préconisés par les pédants dans les conservatoires et les académies musicales. »

Comme tout est bon, juste et fort ! Comme l’essentiel est bien saisi : le développement de la musique doit se faire sur la base d’une action réciproque, d’un enrichissement de la musique « savante » par la musique populaire ! Mais de nos articles théoriques et critiques d’aujourd’hui ce thème a presque complètement disparu.

Cela confirme une fois de plus le danger que courent les chefs de file de la musique contemporaine, de se couper du peuple lorsqu’ils renoncent à une source aussi belle de création que la chanson et la mélodie populaires. Une telle coupure ne peut évidemment être le fait de la musique soviétique.

Permettez-moi de passer à la question des rapports de la musique nationale et de la musique étrangère.

Des camarades ont dit ici avec raison qu’on constate un engouement et même une certaine orientation vers la musique bourgeoise occidentale contemporaine, vers la musique de décadence, et qu’il y a là également un des traits fondamentaux de l’orientation formaliste dans la musique soviétique.

Stassov a fort bien parlé en son temps des rapports de la musique russe avec la musique de l’Europe occidentale, dans son article Ce qui freine le nouvel art russe, où il écrivait :

« II est ridicule de nier la science, la connaissance en quelque domaine que ce soit y compris dans le domaine musical. Mais les jeunes musiciens russes qui n’ont pas derrière eux comme l’Europe, pour les soutenir, une longue chaîne de périodes scolastiques, regardent audacieusement la science en face : ils la vénèrent, utilisent ses bienfaits, mais sans exagération et sans servilité. Ils nient la nécessité de sa sécheresse et de ses excès pédants, ils se refusent à ses jeux gymnastiques auxquels donnent tant d’importance de milliers d’Européens, et ils ne croient pas qu’il faille humblement végéter de longues années sur ces mystères sacro-saints. »

Ainsi parlait Stassov de la musique classique de l’Europe occidentale. En ce qui concerne la musique bourgeoise contemporaine, qui se trouve en pleine décadence et dégradation, il n’y a rien à tirer d’elle. A plus forte raison sont absurdes et ridicules les manifestations de servilité devant une telle musique.

Si l’on étudie l’histoire de notre musique russe, puis soviétique, on en vient à la conclusion qu’elle a poussé, s’est développée et est devenue une force puissante justement parce qu’elle a réussi à tenir sur ses propres pieds et à trouver ses propres voies de développement, qui lui ont donné la possibilité de mettre à nu la richesse du monde intérieur de notre peuple.

Ceux-là se trompent profondément qui pensent que l’épanouissement de la musique nationale russe, aussi bien que celles des autres peuples soviétiques, signifie un affaiblissement de l’internationalisme dans l’art.

Celui-ci ne naît pas sur la base d’un affaiblissement et d’un appauvrissement de l’art national. Au contraire, l’internationalisme naît là où s’épanouit l’art national. Oublier cette vérité, cela signifie perdre la ligne directrice, perdre son visage, devenir des cosmopolites sans attaches. Seul peut apprécier la richesse musicale d’autres peuples le peuple qui possède une culture musicale hautement développée.

On ne peut pas être un internationaliste en musique, comme en toute autre chose, sans être un véritable patriote de sa patrie. Si à la base de l’internationalisme il y a le respect des autres peuples, on ne peut pas être un internationaliste sans respecter et sans aimer son propre peuple.

Cela, toute l’expérience de l’U.R.S.S. le prouve. Par conséquent l’internationalisme en musique, le respect de l’œuvre des autres peuples, se développent sur la base de l’enrichissement et du développement de l’art musical national, sur la base d’un épanouissement tel qu’il ait quelque chose à faire partager aux autres peuples, et non sur la base d’un appauvrissement de l’art national, d’une imitation aveugle de modèles étrangers, et de l’effacement des particularités du caractère national en musique. Rien de tout cela ne doit être oublié lorsqu’on parle des rapports de la musique soviétique et de la musique étrangère.

Continuons. Quand on dit que la tendance formaliste s’écarte des principes de l’héritage classique, on ne peut pas ne pas parler de l’affaiblissement du rôle de la musique descriptive. On en a déjà parlé ici, mais l’essence du principe de cette question n’a pas été convenablement tirée au clair. Il est parfaitement évident que la musique descriptive tient moins de place ou n’en tient presque plus du tout.

Les choses en sont venues à ce point qu’on est obligé d’expliquer le contenu d’une œuvre musicale nouvelle même après qu’elle a été jouée. Il s’est formé toute une nouvelle profession, celle des commentateurs ­ recrutés par les amis ­ qui s’efforcent d’après leurs conjectures personnelles de déchiffrer après coup, le contenu des œuvres musicales déjà jouées, dont le sens obscur, à ce qu’on dit, n’est pas tout à fait clair, même à leurs auteurs.

Oublier la musique à programme, c’est aussi s’écarter des traditions progressives. On sait que la musique classique russe était, en règle générale, à programme.

On a parlé ici de la volonté d’innover. On a dit que cette volonté d’innover n’était pas loin d’être le trait distinctif principal de la tendance formaliste ; mais la volonté d’innover n’est pas une fin en soi ; le nouveau doit être meilleur que l’ancien autrement il n’a pas de raison d’être. Il me semble que les tenants de la tendance formaliste utilisent principalement ce petit mot d’innovation aux fins de propagande de la mauvaise musique.

On ne peut pourtant qualifier d’innovation toutes les originalités, toutes les grimaces et toutes les cabrioles en musique. Si l’on ne veut pas se contenter de lancer des mots sonores, il faut se représenter nettement de quel ancien il faut essayer de s’éloigner et vers quel nouveau il faut tendre. Si l’on ne fait pas cela, alors les phrases sur l’innovation en musique ne vont signifier qu’une chose : révision des fondements de la musique.

Cela ne peut signifier que le rejet de lois et de normes dont on ne peut s’écarter. Et qu’on ne puisse s’en écarter, ce n’est pas là du conservatisme ; et si l’on s’en écarte, ce n’est point faire œuvre de novateur. L’innovation ne coïncide pas toujours avec le progrès.

On tourne la tête à beaucoup de jeunes musiciens avec l’esprit d’innovation comme avec un épouvantail en leur disant que s’ils ne sont pas originaux, nouveaux, cela signifie qu’ils sont prisonniers des traditions conservatrices. Mais pour autant qu’innovation n’est pas synonyme de progrès, la diffusion de telles opinions représente une profonde illusion sinon une tromperie.

Or, « l’innovation » des formalistes n’est même pas nouvelle, car ce nouveau sent la musique bourgeoise décadente de l’Europe et de l’Amérique contemporaines. Voilà où il faut dénoncer les véritables épigones !

Il fut un temps où dans les écoles primaires et secondaires, comme vous vous le rappelez, on s’était engoué de la méthode des « brigades laboratoires » et par le « plan Dalton », selon lesquels le rôle du maître à l’école était réduit au minimum, tandis que chaque élève avait le droit, au commencement de la leçon, de fixer le programme de la classe.

Le maître, en arrivant pour sa leçon, demandait aux élèves : « Qu’est-­ce que nous allons faire aujourd’hui ? » Les élèves répondaient : « Parlez-nous de l’Arctique, parlez-nous de l’Atlantique, parlez-nous de Tchapaïev, parlez-nous du Dnieprostroï ».

Le maître devait se plier à toutes ces exigences. Cela s’appelait la méthode des « brigades laboratoires ». En fait, cela signifiait que toute l’organisation de l’enseignement était mise sens dessus dessous, puisque les élèves étaient dirigeants et le maître dirigé. Il y avait eu autrefois des (manuels poussiéreux, le système de notation sur 5 avait disparu. Tout cela c’était des nouveautés, mais je vous le demande ces nouveautés étaient-elles progressives ?

Le Parti, comme on sait, a supprimé ces « nouveautés ». Pourquoi ? Parce que ces « nouveautés » très « à gauche » dans la forme, étaient en fait parfaitement réactionnaires et conduisaient à la liquidation de l’école.

Autre exemple : il n’y a pas si longtemps, a été organisée une Académie des Beaux-Arts. La peinture, c’est votre sœur, une des muses. En peinture, comme vous le savez, les influences bourgeoises furent fortes à un moment donné; elles se manifestaient sans discontinuer sous le drapeau le plus « à gauche », se collaient les étiquettes de futurisme, de cubisme, de modernisme ; « on renversait » « l’académisme pourri », on préconisait l’innovation. Cette innovation s’exprimait dans des histoires de fous : on dessinait par exemple une femme à une tête sur quarante jambes, un œil regardant par ici et l’autre au diable.

Comment tout cela s’est-il terminé ? Par un krach complet de « la nouvelle tendance ». Le Parti a pleinement rendu son importance à l’héritage classique de Repine, de Briullov, de Verechtchaguine, de Vasnetsov, de Sourikov. Avons-nous bien fait de maintenir les trésors de la peinture classique et de mettre en déroute les liquidateurs de la peinture ?

Est-ce que la survivance de telles « écoles » n’aurait pas signifié la liquidation de la peinture ? Hé quoi, en défendant la tradition classique en peinture, le Comité central s’est-il conduit en «conservateur», s’est-il trouvé sous l’influence du « traditionalisme », de 1′ « épigonisme », etc., etc… ? Tout cela ne tient pas debout.

Il en est de même en musique. Nous n’affirmons pas que l’héritage classique est le sommet absolu de la culture musicale.

Si nous parlions ainsi, cela voudrait dire que nous reconnaissons que le progrès s’est achevé avec les classiques. Mais jusqu’à présent les modèles classiques restent insurpassés. Cela veut dire qu’il faut étudier et étudier encore, prendre de l’héritage classique tout ce meilleur dont nous avons besoin pour le développement ultérieur de la musique soviétique.

On parle d’épigonisme et autres balivernes, et avec ces mots-là on effraie la jeunesse pour la détourner d’apprendre auprès des classiques. On lance pour mot d’ordre qu’il faut dépasser les classiques. C’est évidemment excellent. Mais pour les dépasser il faut commencer par les rattraper, et c’est un stade que vous négligez comme si c’était déjà une étape dépassée.

Mais pour parler sincèrement et exprimer la pensée du spectateur et de l’auditeur soviétiques, ce ne serait pas mal du tout si l’on voyait paraître chez nous un peu plus d’oeuvres ressemblant aux classiques par le contenu et la forme, par l’élégance, la beauté et la musicalité. Si c’est là de l’ « épigonisme », eh bien, ma foi, il n’y a pas de honte à être un tel épigone !

Un mot des déviations naturalistes. Il est apparu ici qu’on s’écartait de plus en plus des normes naturelles et saines de la musique. On fait de plus en plus de place dans notre musique à des éléments de grossier naturalisme. Or voici comment il y a quatre-vingt-dix ans Serov prévenait ses contemporains contre l’attrait d’un naturalisme grossier :

« Dans la nature il y a une infinité de sons différents de nature et de qualité, mais tous ces sons qui en certains cas s’appellent bruit, roulement, fracas, craquement, clapotement, grondement, bourdonnement, tintement, hurlement, grincement, sifflement, parole, chuchotement, bruissement, grésillement, murmure, etc., etc… et en d’autres circonstances ne peuvent s’exprimer par le langage, tous ces bruits ou bien n’entrent pas du tout dans la composition de la langue musicale, ou n’y entrent qu’à titre d’exception (sons de cloches, de cymbales, de triangle, bruits de tambour, de tambourin, etc…)

« La matière proprement musicale c’est un son d’une qualité particulière. »

N’est-il pas vrai, n’est-il pas juste que le son des cymbales ou le bruit du tambour doit être l’exception et non la règle dans une œuvre musicale ?

N’est-il pas clair que tout bruit naturel ne doit pas être transporté dans une œuvre musicale ? Or combien y a-t-il chez nous d’engouement insolent pour un naturalisme vulgaire qui représente indiscutablement un pas en arrière !

Il faut dire carrément que toute une série d’œuvres contemporaines sont à ce point surchargées de bruits naturalistes qu’elles rappellent, pardonnez l’inélégance de l’expression, soit la fraise de dentiste, soit une périssoire musicale. Simplement ce sont les forces qui manquent, prêtez-y attention !

C’est ici qu’on commence à sortir des limites du rationnel, des limites non seulement des émotions humaines normales, mais aussi de la raison de l’homme normal. Il y a, il est vrai, aujourd’hui des « théories » à la mode qui prétendent que l’état pathologique est une forme supérieure de l’humanité et que les schizophréniques et les paranoïaques dans leur délire peuvent atteindre à des hauteurs spirituelles où n’atteindra jamais un homme ordinaire dans son état normal.

Ces « théories » ne sont évidemment pas accidentelles, elles sont très caractéristiques de l’époque de pourriture et de décomposition de la culture bourgeoise. Mais laissons toutes ces « recherches » aux fous, exigeons de nos compositeurs une musique normale, humaine.

Quel a été le résultat de l’oubli des lois et des normes de la création musicale ? La musique s’est vengée des efforts faits pour la dénaturer. Quand la musique perd tout contenu, toute qualité artistique, quand elle devient inélégante, laide, vulgaire, elle cesse de satisfaire les besoins pour lesquels elle existe, elle cesse d’être elle-même.

Vous vous étonnez peut-être qu’au Comité central du Parti bolchevik on exige de la musique beauté et élégance. Qu’est-ce qui se passe encore ? Eh bien, non, ce n’est pas un lapsus, nous déclarons que nous sommes pour une musique belle et élégante, une musique capable de satisfaire les besoins esthétiques et les goûts artistiques des Soviétiques, et ces besoins et ces goûts ont grandi incroyablement.

Le peuple apprécie le talent d’une œuvre musicale dans la mesure où elle reflète profondément l’esprit de notre époque, l’esprit de notre peuple, dans la mesure où elle est accessible aux larges masses. Qu’est-ce donc qui est génial en musique ?

Ce n’est pas du tout ce que ne peuvent apprécier qu’un individu ou un petit groupe d’esthètes raffinés ; une œuvre musicale est d’autant plus géniale que le contenu en est plus riche et plus profond, que la maîtrise en est plus élevée, qu’est plus grand le nombre de ceux qui la reconnaissent, le nombre de ceux qu’elle est capable d’inspirer.

Tout ce qui est accessible n’est pas génial, mais tout ce qui est vraiment génial est accessible, et d’autant plus génial que plus accessible aux larges masses du peuple.

A. N. Serov avait profondément raison lorsqu’il disait : « Contre la beauté vraie en art le temps est impuissant, autrement on n’aimerait plus ni Homère, Dante ou Shakespeare, ni Raphaël, Le Titien ou Poussin, ni Palestrina, Haendel, ou Glück ».

Une œuvre musicale est d’autant plus haute qu’elle fait entrer en résonance plus de cordes de l’âme humaine. L’homme du point de vue de sa perception musicale est une membrane merveilleusement riche, un récepteur travaillant sur des milliers d’ondes ­ – on peut, sans doute, choisir une meilleure comparaison – ­ et pour l’émouvoir il ne suffît pas d’une seule note, d’une seule corde, d’une seule émotion.

Si un compositeur n’est capable de faire vibrer qu’une ou que quelques-unes des cordes humaines, cela ne suffit pas, car l’homme moderne et surtout le nôtre, l’homme soviétique, se présente aujourd’hui comme un organisme perceptif extrêmement complexe. Si Glinka, Tchaïkovsky, Serov, ont parlé du haut développement du sens musical dans le peuple russe, au temps où ils s’exprimaient ainsi le peuple russe n’avait pas encore une large idée de la musique classique.

Sous le pouvoir soviétique, la culture musicale des peuples s’est extraordinairement développée ; si déjà auparavant notre peuple se distinguait par son sens musical, aujourd’hui son goût artistique s’est enrichi en raison de la diffusion de la musique classique.

Si vous avez laissé s’appauvrir la musique, si, comme il est arrivé dans l’opéra de Mouradéli, ne sont utilisées ­ni les possibilités de l’orchestre ni les aptitudes des chanteurs, alors vous avez cessé de satisfaire les besoins musicaux de vos auditeurs. Et l’on récolte ce qu’on a semé. Les compositeurs dont les œuvres sont incompréhensibles au peuple ne doivent pas s’attendre à ce que le peuple, qui n’a pas compris leur musique, « s’élève » jusqu’à eux.

La musique qui est inintelligible au peuple, lui est inutile. Les compositeurs doivent s’en prendre, non au peuple mais à eux-mêmes, ils doivent faire la critique de leur propre travail, comprendre pourquoi ils n’ont pas satisfait leur peuple, pourquoi ils n’ont pas mérité son approbation, et ce qu’ils doivent faire pour qu’il les comprenne et approuve leurs œuvres.

Voilà en quel sens il faut réformer votre travail. En outre, vous courez le risque de perdre la maîtrise de votre profession musicale. Si les déviations formalistes appauvrissent la musique, elles comportent encore un autre danger : c’est de ruiner la maîtrise du métier.

A ce propos, il me faut m’attarder sur une erreur très répandue, selon laquelle la musique classique serait plus simple et la musique moderne plus complexe, la complication de la technique contemporaine étant considérée comme un pas en avant, étant donné que tout développement va du simple au complexe et du particulier en général. Il n’est pas vrai que toute complication signifie maîtrise plus grande. Non, pas n’importe laquelle. C’est une profonde erreur que de prendre toute complication pour un progrès.

J’en donnerai un exemple : on sait que la langue littéraire russe utilise un grand nombre de mots étrangers, on sait comme Lénine se moquait de l’emploi abusif de tels termes, et comme il combattit pour épurer la langue nationale des emprunts qui rengorgeait. La complication de la langue par l’introduction d’un mot étranger, là où il y a la possibilité d’employer un mot russe, n’a jamais passé pour un progrès linguistique.

Par exemple le mot étranger « losung » (mot d’ordre) est remplacé aujourd’hui par le mot russe correspondant [en russe prlzy]; est ce que cela ne constitue pas un pas en avant ? Il en est de même en musique.

Sous le masque d’une complication purement extérieure des procédés de composition, se cache une tendance à l’appauvrissement de la musique. La langue musicale devient inexpressive.

On y introduit tant d’éléments grossiers, vulgaires, faux, qu’elle cesse de répondre à sa destination : procurer une jouissance. La signification esthétique de la musique doit­-elle donc être abolie ? Est-ce en cela, dites-moi, que consiste l’innovation ? Ou bien la musique devient-elle une conversation du compositeur avec lui-même ?

Mais alors pourquoi l’imposer au peuple? Cette musique devient antipopulaire, étroitement individualiste et le peuple a le droit de devenir, et devient en effet, indifférent à son destin. Si l’on exige de l’auditeur qu’il loue une musique grossière, inélégante, vulgaire, fondée sur des atonalités, sur des dissonances continuelles, lorsque les consonances deviennent un cas particulier et les fausses notes et leur combinaison la règle, c’est qu’on s’est écarté des normes fondamentales de la musique.

Tout cela pris ensemble, menace la musique de liquidation, tout comme le cubisme et le futurisme en peinture ne représentent pas autre chose qu’une menace de destruction de la peinture. Une musique qui volontairement ignore les émotions humaines normales et ébranle le psychisme et le système nerveux, ne peut être populaire, ne peut être au service de la société.

On a parlé ici d’un engouement unilatéral pour la musique symphonique instrumentale sans texte, cet oubli de la diversité des genres musicaux n’est pas juste. A quoi il conduit, on peut en juger par l’opéra de Mouradéli. Vous vous rappelez comme les grands maîtres de l’art variaient généreusement les genres.

Ils comprenaient que le peuple demande la diversité. Pourquoi êtes-vous si différents de vos grands ancêtres ? Vous êtes autrement insensibles qu’eux qui, occupant les cimes de l’art, écrivaient pour le peuple soli, chœurs et musique d’orchestre.

Parlons de la disparition de la mélodie dans la musique. La musique contemporaine est caractérisée par l’amour unilatéral du rythme aux dépens de la mélodie. Mais nous savons que la musique ne donne de plaisir que lorsque tous ses éléments – ­ la mélodie, le chant, le rythme – ­ se trouvent dans une certaine union harmonieuse.

L’attention unilatérale accordée à l’un d’eux aux dépens d’un autre aboutit à détruire l’interaction correcte des divers éléments de la musique, ce qui ne peut évidemment être accepté par une oreille humaine normale.

On se laisse aller aussi à utiliser les instruments en dehors de leur destination propre ; le piano par exemple se change en instrument de batterie. On réduit le rôle de la musique vocale au bénéfice d’un développement unilatéral de la musique instrumentale. La musique vocale elle-même tient de moins en moins compte des normes de l’art vocal.

Pareils écarts par rapport aux normes de l’art musical signifient la violation, non seulement des bases fonctionnelles normales du son musical, mais encore des bases physiologiques de l’oreille humaine normale. On n’a malheureusement pas encore assez fouillé chez nous le domaine de la théorie qui traite de l’influence physiologique de la musique sur l’organisme humain.

Et pourtant il faut admettre qu’une musique mauvaise, disharmonique, lèse sans aucun doute l’activité psycho-physiologique régulière de l’homme.

Conclusions. Il faut rétablir pleinement l’importance de l’héritage classique, il faut rétablir une musique humaine normale.

Il faut souligner le danger de liquidation que fait courir à la musique l’orientation formaliste et condamner cette tendance comme une tentative à la Erostrate pour détruire le temple de l’art bâti par les grands maîtres de la culture musicale. Il faut que tous nos compositeurs se transforment et se tournent face à notre peuple. Il faut que tous se rendent compte que notre Parti, qui exprime les intérêts de notre Etat, de notre peuple, ne soutiendra que la tendance saine, progressive de la musique, celle du réalisme socialiste soviétique.

Camarades ! Si la haute dignité de compositeur soviétique vous est chère, vous devez montrer que vous êtes capables de mieux servir votre peuple que vous ne l’avez fait jusqu’ici. Un sérieux examen vous attend. La tendance formaliste en musique a été condamnée par le Parti il y a déjà 12 ans.

Pendant cette période le gouvernement a récompensé de prix Staline nombre d’entre vous, y compris certains qui avaient péché par formalisme. Ces récompenses c’était une avance.

Nous n’estimions pas pour autant que vos œuvres étaient exemptes de fautes, mais nous patientions, attendant que nos compositeurs trouvent en eux-mêmes la force de choisir la vraie route.

Mais maintenant chacun voit que l’intervention du Parti était nécessaire. Le C.C. vous déclare sans ambages que sur la voie choisie par vous notre musique ne s’illustrera pas.

Les compositeurs soviétiques ont deux tâches responsables au plus haut degré. La principale, c’est de développer et de parfaire la musique soviétique. L’autre consiste à défendre la musique soviétique contre l’intrusion des éléments de la décadence bourgeoise.

Il ne faut pas oublier que l’U.R.S.S. est actuellement l’authentique dépositaire de la culture musicale universelle, de même que dans tous les autres domaines elle est le rempart de la civilisation et de la culture humaine contre la décadence bourgeoise et la décomposition de la culture.

Il faut s’attendre à ce qu’aux influences bourgeoises venues d’au delà de nos frontières fassent écho des survivances du capitalisme dans la conscience de quelques représentants de l’intelligentsia soviétique, chez qui elles se traduisent par des efforts d’une folle légèreté pour troquer les trésors de la musique soviétique contre les misérables haillons de l’art bourgeois contemporain.

Aussi n’est-ce pas seulement l’oreille musicale, mais aussi l’oreille politique des compositeurs soviétiques qui doit être plus sensible.

Vos liens avec le peuple doivent être plus étroits que jamais. Vous devez tendre à la critique une oreille très attentive. Vous devez suivre les processus qui se développent dans l’art de l’Occident.

Mais votre tâche ne consiste pas seulement à empêcher la pénétration des influences bourgeoises dans la musique soviétique. Votre tâche consiste à confirmer la supériorité de la musique soviétique, à créer une puissante musique soviétique qui incorpore ce qu’il y a de meilleur dans le passé de la musique, qui reflète la société soviétique d’aujourd’hui et puisse élever plus haut encore la culture de notre peuple et sa conscience communiste.

Nous, bolcheviks, nous ne rejetons pas l’héritage culturel. Au contraire nous assimilons avec esprit critique l’héritage culturel de tous les peuples, de toutes les époques, pour en saisir tout ce qui peut inspirer aux travailleurs de la société soviétique de grandes actions dans le domaine du travail, de la science et de la culture. Vous devez aider le peuple en cela : si vous ne proposez pas cette tâche, si vous ne vous y donnez pas tout entiers, avec toute votre ardeur et votre enthousiasme créateurs, alors vous ne remplirez pas votre rôle historique.

Camarades! nous voulons, nous souhaitons passionnément que nous ayons nous aussi nos « Grands Cinq », que nos musiciens soient plus nombreux et plus forts que ceux qui ont jadis étonné le monde par leur talent et fait honneur à notre peuple. Pour être forts il faut que vous rejetiez loin de votre route tout ce qui peut vous affaiblir et que vous choisissiez les seules armes qui vous aideront à être forts et puissants.

Si vous utilisez à fond l’héritage de la géniale musique classique, et si en même temps vous le développez dans l’esprit des exigences nouvelles de notre grande époque, vous serez les « Grands Cinq » soviétiques.

Nous voulons que le retard dont vous souffrez soit dominé aussi rapidement que possible, que vous vous réformiez et vous transformiez en glorieuse cohorte des compositeurs soviétiques, fierté de tout le peuple soviétique. 

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La résolution du PCUS(b) sur l’opéra «La grande amitié»

La Pravda, 11 février 1948.

Le Comité central du PCUS(b) estime que l’opéra La grande amitié, mis en scène par le Théâtre Bolchoï de l’URSS à l’occasion du 30e anniversaire de la Révolution d’octobre, est vicieux, à la fois sur le plan musical et sur le plan graphique , un travail anti-artistique.

Les principaux inconvénients de l’opéra sont principalement liés à sa musique. La musique de l’opéra est inexpressive, pauvre. Il n’y a pas une seule mélodie ou air accrocheur. C’est confus et disharmonieux, construit sur la discorde continue, sur des combinaisons sonores coupantes. 

Des lignes et des scènes séparées, prétendant être mélodiques, sont soudainement interrompues par un bruit instable, totalement étranger à l’audition humaine normale et agissant de manière déprimante. Il n’y a pas de lien organique entre l’accompagnement musical et le développement de l’action sur scène. La partie vocale de l’opéra – chant choral, solo et ensemble – fait une mauvaise impression. Pour toutes ces raisons, les possibilités de l’orchestre et des chanteurs restent inutilisées.

Le compositeur n’a pas profité de la richesse des mélodies populaires, des chansons, des airs, de la danse et des motifs de danse, qui sont si riches dans les œuvres des peuples de l’URSS et, en particulier, des œuvres des peuples du Caucase du Nord, où sont déployées les actions décrites dans l’opéra.

À la recherche de la fausse « originalité » de la musique, le compositeur Muradeli a négligé les meilleures traditions et expériences de l’opéra classique en général, l’opéra classique russe en particulier, se distinguant par son contenu interne, la richesse de ses mélodies et l’étendue de son spectre, la narodnost [la dimension populaire], la gracieuse, belle, claire forme musicale, qui fait de l’opéra russe le meilleur opéra du monde, le genre musical aimé et accessible au grand public.

L’intrigue de l’opéra est historiquement fausse et artificielle et prétend représenter la lutte pour l’instauration du pouvoir soviétique et l’amitié des peuples du Nord-Caucase de 1918-1920. Il y a dans l’opéra, l’idée fausse que des peuples du Caucase, tels que les Géorgiens et les Ossètes, étaient à ce moment-là hostiles au peuple russe, ce qui est historiquement faux, puisque ce furent les Ingouches et les Tchétchènes qui constituaient un obstacle à l’établissement de l’amitié entre les peuples à cette époque dans le Caucase du Nord.

Le Comité central du PCUS(b) estime que l’échec de l’opéra de Muradeli est le résultat d’une action fausse et destructrice pour le travail du compositeur soviétique, dans la voie empruntée par le camarade Muradeli.

Comme l’a montré la réunion de musiciens soviétiques au Comité central du PCUS(b), l’échec de l’opéra de Muradel n’est pas un cas à part, mais est étroitement lié à un état dysfonctionnel de la musique soviétique moderne, avec la propagation parmi les compositeurs soviétiques d’une direction formaliste.

Dès 1936, dans le cadre de l’apparition de l’opéra Lady Macbeth de Mzensk de Dmitri Chhostakovich , l’organe du Comité central du PCUS(b), dénonça avec véhémence les perversions formelles contre le peuple dans le travail de Dmitri Shostakovich pour le destin du développement de la musique soviétique. La Pravda, s’exprimant alors sous la direction du Comité central du PCUS(b), a clairement énoncé les revendications imposées aux compositeurs par le peuple soviétique.

En dépit de ces avertissements, et contrairement aux instructions données par le Comité central du PCUS(b) dans ses décisions sur les magazines Zvezda et Leningrad, sur le film La grande vie, sur le répertoire des théâtres dramatiques et sur les mesures prises pour améliorer le tout, il n’y a pas eu de restructuration dans la musique soviétique.

Certains succès de certains compositeurs soviétiques dans le domaine de la création de nouvelles chansons, qui ont été reconnus et largement répandus parmi le peuple, dans le domaine de la création de musique pour films, etc., ne changent pas l’image globale de la situation.

La situation est particulièrement mauvaise dans le domaine de la symphonie et de l’opéra. Nous parlons de compositeurs adhérant à une direction formaliste et anti-populaire.

Cette direction a trouvé sa pleine expression dans les œuvres de tels compositeurs, comme D. Chhostakovich, S. Prokofiev , A. Khatchatourian , V. Shebalin , G. Popov , N. Myaskovsky et d’autres, dans lesquels des distorsions formalistes, des tendances musicales antidémocratiques, étrangères au peuple soviétique et à leurs goûts artistiques, sont particulièrement bien représentées. 

Les caractéristiques de cette musique sont la négation des principes de base de la musique classique, la prédication de l’atonalité, la dissonance et la discorde, censées être une expression du « progrès » et de « l’innovation » dans le développement de la forme musicale, le rejet de fondements aussi importants d’une œuvre musicale que la mélodie et une fascination pour les combinaisons chaotiques, neuropathiques, pour transformer la musique en cacophonie, en une pile de sons chaotiques.

Cette musique reflète fortement l’esprit de la musique bourgeoise moderniste moderne en Europe et en Amérique, reflétant la folie de la culture bourgeoise.

Une caractéristique essentielle de la direction formaliste est également le rejet de la musique et du chant polyphoniques, basés sur la combinaison et le développement simultanés de plusieurs lignes mélodiques indépendantes, ainsi que sur l’enthousiasme pour la musique monophonique et un chant, souvent sans paroles, qui constitue une violation du système de chants à plusieurs voix inhérent à notre peuple, et conduit à l’appauvrissement et au déclin de la musique.

Bafouant les meilleures traditions de la musique classique russe et occidentale, rejetant ces traditions comme étant supposées être « obsolètes », « à l’ancienne », « conservatrices », piétinant avec arrogance des compositeurs qui essaient de maîtriser et de développer consciencieusement des techniques de musique classique comme étant des partisans du « traditionalisme primitif » et de « l’épigonisme », de nombreux compositeurs soviétiques, à la recherche d’innovations faussement comprises, se sont séparés des exigences et des goûts artistiques du peuple soviétique, se sont enfermés dans un cercle étroit de spécialistes et de gourmets musicaux, ont réduit le rôle social important de la musique et en ont rétréci la signification, la limitant à satisfaire les goûts pervers des individualistes esthétiques.

La tendance formaliste de la musique soviétique a généré chez une partie des compositeurs soviétiques une fascination unilatérale pour les formes complexes de musique instrumentale symphonique non textuelle et une négligence de genres musicaux tels que l’opéra, la musique chorale, la musique populaire pour petits orchestres, pour instruments folkloriques, ensembles vocaux, etc.

Tout cela mène inévitablement au fait que les fondements de la culture vocale et de la maîtrise dramatique soient perdus et que les compositeurs n’apprennent pas à écrire pour le peuple, comme le prouve le fait qu’aucun opéra soviétique créé récemment ne se situe au niveau des classiques de l’opéra russe.

La séparation de certaines personnalités de la musique soviétique du peuple a conduit à la propagation d’une « théorie » pourrie, selon laquelle l’incompréhension de la musique de nombreux compositeurs soviétiques modernes par le peuple s’expliquait par le fait que le peuple n’aurait pas suffisamment « grandi » pour comprendre leur musique complexe.

Il le comprendrait au fil des siècles et il ne faut pas être gêné si certaines œuvres musicales ne trouvent pas d’auditeurs.

Cette théorie profondément individualiste et fondamentalement anti-populaire a contribué encore plus à aider certains compositeurs et musicologues à s’isoler du peuple, de la critique du public soviétique et à s’enfermer dans leur coquille.

La culture de tous ces points de vue et de vues similaires cause le plus grand préjudice à l’art musical soviétique. Une attitude tolérante vis-à-vis de ces points de vue signifie la propagation parmi les dirigeants de la culture musicale soviétique de tendances qui lui sont étrangères, ce qui conduit à une impasse dans le développement de la musique, à l’élimination de l’art musical.

La tendance formelle vicieuse, anti-populaire et formaliste de la musique soviétique a également un effet néfaste sur la formation et l’éducation des jeunes compositeurs de nos conservatoires, et en particulier du Conservatoire de Moscou (le camarade Shebalin), où la tendance formaliste est dominante.

Les étudiants ne sont pas instillés dans le respect des meilleures traditions de la musique classique russe et occidentale, il ne leur est pas inculqué l’amour du folklore, des formes musicales démocratiques. La créativité de nombreux étudiants des conservatoires est une imitation aveugle de la musique de D. Chhostakovich, S. Prokofiev et d’autres.

Le Comité central du PCUS(b) déclare l’état complètement intolérable de la critique musicale soviétique. La position dominante parmi les critiques est occupée par les opposants à la musique réaliste russe, par les partisans de la musique formaliste décadente. Ces critiques déclarent chacune des œuvres successives de Prokofiev, Chostakovitch, Myaskovski, Shbaline comme « la nouvelle conquête de la musique soviétique » et louent la subjectivité, le constructivisme, l’individualisme extrême, la complication professionnelle de la langue, c’est-à-dire exactement ce qui doit être critiqué.

Au lieu de dissiper des théories préjudiciables et étrangères aux principes du réalisme socialiste, la critique musicale contribue elle-même à leur diffusion en les louant et en déclarant comme « avancée » de la part de ces compositeurs qui partagent de faux préceptes créatifs dans leur travail.

La critique musicale a cessé d’exprimer l’opinion du public soviétique, l’opinion du peuple et s’est transformée en porte-parole des compositeurs individuels. Certains critiques musicaux, au lieu de critiques objectives fondées sur des principes, ont commencé à être serviles à l’un ou l’autre chef musical, en raison de leurs relations amicales, en vantant de toutes les manières possibles leur travail.

Tout cela signifie que, chez certains compositeurs soviétiques, les vestiges de l’idéologie bourgeoise, alimentés par l’influence de la musique décadente moderne d’Europe occidentale et américaine, n’ont pas encore été éliminées.

Le Comité central du PCUS(b) estime que cette situation défavorable sur le front de la musique soviétique a été créée à la suite d’une mauvaise ligne dans la musique soviétique indiquée par le Comité des arts sous le Conseil des ministres de l’URSS et le Comité organisateur de l’Union des compositeurs soviétiques.

La commission des arts du Conseil des ministres de l’URSS (le camarade Khrapchenko) et le comité d’organisation de l’Union des compositeurs soviétiques (le camarade Khatchatourian) encourageaient en fait une direction formaliste, étrangère au peuple soviétique, au lieu d’élaborer une direction réaliste dans la musique soviétique, sur la base de la reconnaissance du rôle considérable joué par l’héritage classique, en particulier des traditions de l’école de musique russe, l’utilisation de cet héritage et son développement ultérieur, la combinaison dans la musique de contenu élevé avec la perfection artistique de la forme musicale, la véracité et le réalisme de la musique, sa profonde connexion organique avec les gens et leur composition musicale et musicale, la grande compétence professionnelle, la simplicité et l’accessibilité des œuvres musicales.

Le comité organisateur de l’Union des compositeurs soviétiques est devenu l’instrument d’un groupe de compositeurs formalistes et est devenu le principal foyer de perversions formalistes. Le comité d’organisation a créé une atmosphère moisie, il n’y a pas de discussions créatives.

Les dirigeants du comité organisateur et les musicologues qui les entourent font l’éloge d’œuvres anti-réalistes et modernistes qui ne méritent pas d’être soutenues. Des œuvres qui se distinguent par leur nature réaliste, le désir de continuer et de développer le patrimoine classique sont déclarées secondaires, passent inaperçues et sont gâchées.

Les compositeurs, se vantant de leur « innovation », de leur position « archirévolutionnaire » dans le domaine de la musique, agissent dans le cadre de leurs activités au sein du comité d’organisation comme des défenseurs du conservatisme le plus arriéré et le plus renfermé.

Le Comité central du PCUS(b) estime qu’une telle situation et une telle attitude vis-à-vis des tâches de la musique soviétique telles qu’elles ont été définies dans le Comité des arts sous le Conseil des ministres de l’URSS et le Comité organisateur de l’Union des compositeurs soviétiques sont préjudiciables au développement de la musique soviétique.

Ces dernières années, les exigences culturelles et les goûts artistiques du peuple soviétique ont considérablement augmenté.

Le peuple soviétique attend des compositeurs des œuvres de haute qualité et idéologiques de tous les genres – opéra, musique symphonique, composition de chansons, musique chorale et de danse.

Dans notre pays, les compositeurs disposent de possibilités créatives illimitées et toutes les conditions nécessaires au véritable épanouissement de la culture musicale sont créés.

Les compositeurs soviétiques ont un public qu’aucun compositeur n’a connu auparavant. Il serait impardonnable de ne pas utiliser toutes ces riches opportunités et de ne pas diriger nos efforts créatifs sur la bonne voie réaliste.

Le Comité central du PCUS (b) décide:

1. de condamner la tendance formaliste de la musique soviétique en tant qu’anti-populaire et conduisant en pratique à l’élimination de la musique.

2. d’inviter la Direction de la propagande et de l’agitation du Comité central et du Comité des arts à remédier à la situation de la musique soviétique, à éliminer les carences signalées dans cette résolution du Comité central et à développer de manière réaliste la musique soviétique.

3. d’encourager les compositeurs soviétiques à prendre conscience des exigences élevées de leur peuple en matière de créativité musicale et, après avoir mis de côté tout ce qui affaiblit notre musique et freine son développement, afin de garantir un tel essor de la création qui fera avancer rapidement la création dans tous les domaines de la créativité musicale d’œuvres à part entière, de grande qualité, dignes du peuple soviétique.

4. d’approuver les mesures organisationnelles de la partie concernée et des organismes soviétiques visant à améliorer la musique.

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Le réalisme socialiste et le caractère accessible

Le fait qu’une œuvre d’art soit accessible au peuple a toujours été un critère essentielle pour les bolcheviks. Anatoli Lounatcharski avait écrit en 1921 à Lénine au sujet de la publication d’un ouvrage de Vladimir Maïakovski, 150,000,000.

La réponse de Lénine quant à cette œuvre futuriste, le 6 mai, fut acerbe :

N’est-ce pas une honte de voter en faveur des 150 000 000 de Maïakovski à 5000 exemplaires ?

Sottise, absurdité, extravagance et affectation que tout cela. À mon avis, il n’y a qu’un sur dix de ces écrits qui vaille la peine d’être publiée, et guère plus qu’en 1500 exemplaires pour les bibliothèques et les toqués.

Quant à Lounacharski, il mérite une correction pour son futurisme.

Le fait que l’art soit considéré comme une expression de la société, avec une organisation de sa production, accentua particulièrement l’exigence quant au caractère accessible de l’œuvre d’art. Le tableau L’amour de ma jeunesse d’Ahmed Ibadullovich Kitaev correspond aisément à cette exigence. D’autres thèmes rendent la capacité à satisfaire celle-ci bien plus ardue.

C’est dans le domaine de la musique que les controverses à ce sujet furent le plus marquantes. Le 28 janvier 1936, un article de la Pravda intitulé « Le chaos remplace la musique », au sujet de l’œuvre « Lady Macbeth de Mzensk » de Dmitri Chostakovitch, critiqua son approche de manière approfondie :

« L’auditeur de cet opéra se trouve d’emblée étourdi par un flot de sons intentionnellement discordants et confus (…). Il est difficile de suivre cette musique, il est impossible de la mémoriser (…). Cette musique est mise intentionnellement sens dessus dessous (…).

Il s’agit d’un chaos gauchiste remplaçant une musique naturelle, humaine. La faculté qu’a la bonne musique de captiver les masses est sacrifiée sur l’autel des vains labeurs du formaliste petit-bourgeois (…).

Ce Lady Macbeth est apprécié des publics bourgeois à l’étranger. Si le public bourgeois l’applaudit, n’est-ce pas parce que cet opéra est absolument apolitique et confus ? Parce qu’il flatte les goûts dénaturés des bourgeois par sa musique criarde, contorsionnée, neurasthénique ? »

La suite sera, en 1937, la « réponse créative d’un artiste soviétique à de justes critiques » comme le formulera Dmitri Chostakovitch au sujet de sa Symphonie n°5. Il faut également noter, parmi ses autres œuvres, la Symphonie n°7 « Leningrad » dont la première eut lieu le 9 août 1942 durant le siège de la ville par les nazis.

Parmi les autres grands compositeurs soviétiques, il est nécessaire de mentionner Aram Khatchatourian qui s’appuie sur la musique populaire arménienne ou encore Sergueï Prokofiev, qui recevra pour sa Symphonie n°5 un prix en 1945, le fameux « prix Staline ».

La question de la musique a une importance capitale en URSS, de par le prolongement de la culture nationale. On comprend qu’en 1948, il puisse y avoir un débat de fond de haut niveau.

Ainsi, à la suite de l’opéra La grande amitié de Vano Muradeli, il y eut avoir trois jours de réunion dans les locaux du Comité Central du PCUS(b) à ce sujet, sous la forme d’une Conférence des musiciens soviétiques. Participèrent à celle-ci plus de 70 compositeurs, chefs d’orchestre, critiques musicaux et professeurs de musique.

Cela aboutit à la résolution du 10 février 1948 au sujet de cet opéra, avec un appel au réalisme socialiste et non au subjectivisme, au formalisme. C’est là un épisode marquant, qui rappelle que lee réalisme socialiste est l’esthétique propre au socialisme, et en ce sens il témoigne de la bataille entre l’ancien et le nouveau, exigeant une capacité d’intervention subjective fondée sur les principes matérialistes dialectiques pour reconnaître la dignité du réel et faire avancer l’art.

Le premier congrès des écrivains soviétiques en 1934

En 1932, le Parti Communiste de Russie (bolchévik) décida d’unifier les écrivains dans une seule grande association. Ce choix est officialisé par la résolution du Comité Central du 23 avril 1932 : « Sur la restructuration des organisations littéraires et artistiques ».

La mise en place des décisions de la réalisation aboutit au premier congrès des écrivains soviétiques, à Moscou en 1934, ouvert le 17 août 1934, pour se dérouler du 19 août au 1er septembre.

Ce congrès des écrivains en 1934 fut la grande réalisation du mouvement lancé par les communistes soviétiques à la suite de la révolution de 1917 dans le domaine des arts et des lettres. Il s’est tenu de manière très organisée, en étant largement annoncé dans la presse, une grande valeur lui étant accordée, avec une très grande reconnaissance idéologique et culturelle.

Parmi les écrivains soviétiques, on trouvait notamment Feodor Gladkov, Samuil Marshak, Demyan Bedny, Leonid Leonov, Konstantin Fedin, Vsevolod Ivanov, Mikhail Sholokhov, Fyodor Panfyorov, Alexander Serafimovich, Aleksei Tolstoy, Aleksandr Fadeev, Mikhail Zoshchenko, Boris Pilnyak, Mikhail Prishvin, Ilya Ehrenbourg.

Parmi les auteurs venus hors d’URSS, on trouvait entre autres Johannes Becher, Louis Aragon, André Malraux, Ernst Toller, Vitezlav Nezval, Theodor Plivier, Willi Bredel.

Une soirée culturelle, avec Maxime Gorki et Lénine

En pratique, 53% des personnes participant étaient membres du Parti. 26 sessions furent tenues, avec 212 discours et présentations. Il y eut 41 messages de salutations, venant d’usines, de kolkhozes, d’écoles et d’universités, de l’armée rouge, d’organisations artistiques ainsi que d’organes du Parti.

Le congrès lui-même a envoyé des messages de salutations à Staline, à Kliment Vorochilov (commissaire politique pour la défense), au comité central du Parti, au conseil des commissaires du peuple, au conseil des ministres, aux écrivains révolutionnaires de Japon et de Chine, ainsi qu’à l’écrivain français Romain Rolland. Une lettre fut envoyée aux travailleurs des usines à papier d’Union Soviétique.

Différents discours ont encadré la congrès ; c’est ainsi Gorki qui a tenu le discours d’ouverture et celui de clôture, lançant un magnifique :

« Nous nous présentons comme les juges d’un monde voué à la mort et comme des hommes qui proclament l’humanisme authentique, l’humanisme du prolétariat révolutionnaire. »

Il tint également, dès le premier jour, un exposé sur la littérature soviétique et il prit de nouveau la parole aussi lors de la 9e session. Il fut, de fait, la grande figure du congrès.

Andreï Jdanov, secrétaire du comité central, intervint quant à lui le premier jour ; Karl Radek prit la parole lors de la 12e session au sujet de « La littérature mondiale moderne et les tâches de l’art prolétarien », et Nikolaï Boukharine prit la parole lors de la 19e session au sujet du thème « Poésie, poétique et les tâches de l’activité poétique en URSS ».

Karl Radek et Nikolaï Boukharine reprirent la parole, respectivement lors des 15e et 22e sessions, en réponse aux remarques suite à leurs interventions. Alexei Steckij, responsable de la section du comité central pour la culture et la propagande, prit la parole lors de la 23e session.

Une soirée culturelle, avec Maxime Gorki et Staline

La clôture du congrès alla de pair avec l’établissement des statuts. Ceux-ci se fondent directement sur la résolution du Parti d’avril 1932, soulignant « l’appropriation critique de l’héritage littéraire du passé ». Le réalisme socialiste est présenté comme

« la méthode fondamentale de la littérature artistique soviétique et de la critique littéraire »

Ce qui est exigé, c’est la

« mise en forme historique-concrète, conforme à la vérité, de la réalité et de son développement révolutionnaire »

Cependant, les communistes ne forment qu’une « fraction » de l’Union des écrivains. Du moment qu’un écrivain respecte la légalité socialiste, il peut rejoindre l’Union.

Ces statuts furent largement exposés dans la presse soviétique; le quotidien Izvestia traita chaque jour du congrès, la Pravda le traita régulièrement, la Literaturnaja gazeta fut publiée quotidiennement pendant le congrès.

L’idée mise en avant était que la littérature devait avancer, se mettre en adéquation avec les progrès qu’avaient connus la société. Selon le mot de Staline, les écrivains étaient les « ingénieurs des âmes ».

Tant Staline que Maxime Gorki soulignaient l’importance de donner naissance au réalisme socialiste; ils mirent en avant la démarche, l’esprit, le contenu, soit l’accompagnement de la construction du socialisme. Il n’y avait pas d’explication quant à la forme, il n’y avait pas d’obligation.

Le socialisme ne commande pas à la littérature, il orchestre le mouvement, il indique le chemin, et il doit convaincre. C’est le principe de la « littérature de tendance ». C’est Andreï Jdanov qui théorisa le principe, dont les grandes lignes ont été établies par Lénine.

Andreï Jdanov parla de « romantisme révolutionnaire », de « romantisme de nouveau type », composante incontournable du réalisme socialiste.

Dans ce cadre, la Pravda numéro 229 du 20 août 1934 publia un discours d’Andreï Jdanov, deux jours après la tenue de celui de Maxime Gorki, lui aussi publié. Les deux discours commençaient à la page deux, furent publiés en entier, malgré leur longueur, et accompagnés d’une grande photographie.

Le même numéro de la Pravda publia également en entier une lettre de salutation, depuis Nice, de Heinrich Mann, le grand auteur communiste allemand désormais réfugié, ainsi que des messages des écrivains allemands Oskar Maria Graf (présent au congrès) et Lion Feuchtwanger.

La Pravda publia ainsi de manière régulière, et en y accordant une grande place, les activités du congrès.

Le 26 août, la résolution appela à la lutte les écrivains du monde entier, contre l’oppression capitaliste, la barbarie fasciste, contre l’esclavagisme colonialiste, contre la préparation d’une nouvelle guerre impérialiste et pour la défense de l’Union Soviétique.

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Le réalisme socialiste et le prolongement de l’héritage national

Étant un art porté par le peuple dans un pays particulier, avec l’affirmation de l’universel à travers le particulier, le réalisme socialiste rejette les concepts d’arts censés être « prolétarien » ou « bourgeois ». Il considère l’art comme relevant de la culture et pour cette raison il assume l’héritage national sur ce plan.

Le réalisme socialiste marque une nouvelle étape dans la culture, mais il se définit comme le dépassement des périodes passées, pas comme leur négation. Le Dictionnaire philosophique abrégé de 1951, publié en Union Soviétique, souligne ainsi que :

« L’art soviétique prolonge les meilleures traditions réalistes de l’art du passé, en particulier de l’art russe, l’art de Pouchkine et de Tolstoï, de Gogol et de Nekrassov, de Répine et de Sourikov, de Tchaïkovski et de Glinka, etc.

Mais le réalisme de l’art soviétique représente une étape qualitativement nouvelle dans l’histoire de l’art universelle. »

Si on prend un tableau comme De nouveau des mauvaises notes, de Fedor Reshetnikov, datant de 1952, se place tout à fait dans le prolongement des portraitistes russes des décennies précédentes surnommes les ambulants.

On a ici portrait avec une situation caractéristique, une présentation typique, mais avec l’ajout de la dimension socialiste représentée par la pionnière avec le regard plein de reproches qui a justement fini d’étudier. Le chien – plein d’empathie, c’est la dignité du réel – salue un jeune garçon dont le regard perdu montre qu’il cherchera à mieux faire.

On ne peut pas comprendre la valeur d’une peinture comme Le restaurateur d’Andrei Kouznetsov, de 1951, sans voir la valeur essentielle que trouve le réalisme socialiste dans l’héritage national.

Pour cette raison, le réalisme socialiste est né de la victoire idéologique sur le « proletkult », à la « culture prolétarienne », une conception non communiste, malgré ses prétentions. Cette idéologie a été puissante dans les années 1920, portée par le courant anarcho-syndicaliste. Son principal théoricien, Alexander Bogdanov (1863-1928), avait déjà été critiqué par Lénine dans Matérialisme et empirio-criticisme pour sa philosophie idéaliste.

Zprès la révolution de 1917, Alexander Bogdanov avait remis en avant sa conception de manière plus développée, appelant à une science de l’organisation qu’il appelle « tectologie », avec le Parti s’occupant de la politique, les syndicats de l’économie et les artistes d’avant-garde des arts et des lettres.

Le proletkult est alors, dans cette conception, une prétendue avant-garde devant commander les arts, imposer par en-haut une nouvelle organisation, sur les ruines du passé. L’Association des Ecrivains Prolétariens de Moscou (MAPP), alliée au Front Gauche des Arts (LEF), explique ainsi dans sa revue Au poste, premier numéro du 24 juin 1923, que :

« Est prolétarienne la littérature qui organise le psychisme et la conscience de la classe ouvrière et des classes travailleuses dans le sens des missions finales du prolétariat, transformateur du monde et créateur de la société communiste. »

Le proletkult qui prétendait régir les arts et les lettres fut remis à sa place par la résolution du 18 juin 1925 du Comité Central du Parti Communiste de Russie (bolchévik), intitulé Sur la politique du parti dans le domaine des belles-lettres. Il fut par la suite liquidé comme tendance gauchiste, du type bourgeois-cosmopolite, un grand rôle étant joué par le premier congrès des écrivains soviétiques, en 1934.

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Le réalisme socialiste et la chanson « Vaste est ma patrie »

L’un des grands symboles de la dimension nationale du réalisme socialiste est la « chanson sur le patrie », d’Issak Dunaïevskiy pour la musique, Vassili Lebedev-Kumach pour les paroles. Elle se trouve dans Le cirque, une comédie mélodramatique de Grigori Alexandrov datant de 1936. Ce film racontee l’histoire d’une femme américaine ayant un enfant noir et fuyant le racisme meurtrier de son pays.

Ayant rejoint le monde du cirque et en visite en URSS, elle bascule dans la culture soviétique et l’apothéose du film est l’acceptation de son enfant, elle-même devenant une citoyenne soviétique, un défilé se faisant avec la chanson pour la patrie.

Voici l’affiche de la chanson, véritable hymne patriotique soviétique.

Voici différentes versions de la chanson.

Version chantée par Boris Gmirya
Version chantée par D.V. Demyanov
Version chantée par Andrey Ivanov
Version chantée par Pyotr Leshenko
Version chantée par Sergey Moroz
Version marche militaire (1944))

Voici le texte avec la translittération et une traduction, ainsi qu’une version complète (les passages en italiques ont été supprimés par le révisionnisme après la mort de Staline).

Широка страна моя родная,
Много в ней лесов, полей и рек!
Я другой такой страны не знаю,
Где так вольно дышит человек.

Shiroka strana moya rodnaya,
Mnogo v ney lesov, poley i rek!
Ya drugoy takoy strany ne znayu,
Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

Vaste est ma patrie,
d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
Je ne connais aucun autre pays
Où un Homme peut respirer si librement
.

От Москвы до самых до окраин,
С южных гор до северных морей
Человек проходит, как хозяин
Необъятной Родины своей.

Ot Moskvy do samykh do okrain,
S yuznykh gor do severnykh morey
Chelovyek prohodit, kak hozyain
Neobyatnoy Rodiny svoyey.

De Moscou aux frontières,
Des montagnes méridionales à la mer du Nord
Un Homme se trouve tel un maître
sur sa vaste patrie.

Всюду жизнь и вольно и широко,
Точно Волга полная, течёт.
Молодым везде у нас дорога,
Старикам везде у нас почёт.

Vsyudu zhizn’ i vol’no i shiroko,
Tochno Volga polnaya, techyot.
Molodym vezdye u nas doroga,
Starikam vezdye u nas pochyot.

A travers la vie, et librement et largement,
comme coule la Volga.
La jeunesse toujours nous est toujours chère,
Les personnes âgées toujours honorées par nous.

Широка страна моя родная,
Много в ней лесов, полей и рек!
Я другой такой страны не знаю,
Где так вольно дышит человек.

Shiroka strana moya rodnaya,
Mnogo v ney lesov, poley i rek!
Ya drugoy takoy strany ne znayu,
Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

Vaste est ma patrie,
d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
Je ne connais aucun autre pays
Où un Homme peut respirer si librement
.

Наши нивы глазом не обшаришь,
Не упомнишь наших городов,
Наше слово гордое – товарищ –
Нам дороже всех красивых слов.

Nashi nivy glazom ne obsharish’
Ne upomnish’ nashikh gorodov,
Nashe slovo gordoye – tovarisch –
Nam dorozhye vsyekh krasivykh slov.

Nos champs sont trop larges pour nos yeux,
nos villes trop nombreuses pour s’en rappeler,
notre fier mot – camarade –
est pour nous plus précieux que tous les jolis mots
.

С этим словом мы повсюду дома.
Нет для нас ни чёрных, ни цветных.
Это слово каждому знакомо,
С ним везде находим мы родных.

S etim slovom my povsyudu doma.
Nyet dlya nas ni chyornykh, ni tsvetnykh.
Eto slovo kazhdomu znakomo,
S nim vezdye nahodim my rodnykh.

Avec ce mot partout nous sommes dans notre foyer.
Pour nous il n’y a ni noir ni coloré.
Ce mot est familier à tous,
avec lui nous trouvons toujours des amis.

Широка страна моя родная,
Много в ней лесов, полей и рек!
Я другой такой страны не знаю,
Где так вольно дышит человек.

Shiroka strana moya rodnaya,
Mnogo v ney lesov, poley i rek!
Ya drugoy takoy strany ne znayu,
Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

Vaste est ma patrie,
d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
Je ne connais aucun autre pays
Où un Homme peut respirer si librement.

За столом никто у нас не лишний,
По заслугам каждый награждён,
Золотыми буквами мы пишем
Всенародный Сталинский закон

Za stolom nikto u nas ne lishniy,
Po zaslugam kazhdyi nagrazhdyon,
Zolotymi bukvami my pishyem
Vsyenarodniy Stalinskiy zakon.

A notre table personne n’est exclu.
Chacun reçoit selon son mérite,
en lettres d’or nous écrivons
la loi de Staline.

Этих слов величие и славу
Никакие годы не сотрут:
Человек всегда имеет право
На ученье, отдых и на труд.

Etikh slov velichiye i slavu
Nikakiye gody ne sotrut:
Chelovyek vsegda imyeyet pravo
Na uchenye, otdykh i na trud.

Ces grands et glorieux mots
vivront à travers les années :
Une personne toujours a le droit
d’étudier, de se reposer et de travailler.

Широка страна моя родная,
Много в ней лесов, полей и рек!
Я другой такой страны не знаю,
Где так вольно дышит человек.

Shiroka strana moya rodnaya,
Mnogo v ney lesov, poley i rek!
Ya drugoy takoy strany ne znayu,
Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

Vaste est ma patrie,
d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
Je ne connais aucun autre pays
Où un Homme peut respirer si librement

Над страной весенний ветер веет.
С каждым днём все радостнее жить,
И никто на свете не умеет
Лучше нас смеяться и любить.

Nad stranoy vesenniy veter veyet.
S kazhdym dnyom vsye radostneye zhit,
I nikto na svetye ne umyeyet
Luchshe nas smeyatsya i lyubit.

Sur le pays souffle le vent du Printemps
Chaque jour la vie devient plus joyeuse,
et personne sur terre ne peut connaître
nos grandes manières de rire et d’aimer.

Но сурово брови мы насупим,
Если враг захочет нас сломать,
Как невесту, Родину мы любим,
Бережём, как ласковую мать.

No surovo brovi my nasupim,
Yesli vrag zahochet nas slomat’,
Kak nevestu, Rodinu my lyubim,
Berezhyom, kak laskovuyu mat’.

Mais nos sourcils se fronceront farouchement
si un ennemi tente de nous briser.
Comme une épouse, nous aimons notre patrie
Nous en prenons soin comme une mère affectueuse.

Широка страна моя родная,
Много в ней лесов, полей и рек!
Я другой такой страны не знаю,
Где так вольно дышит человек.

Shiroka strana moya rodnaya,
Mnogo v ney lesov, poley i rek!
Ya drugoy takoy strany ne znayu,
Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

Vaste est ma patrie,
d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
Je ne connais aucun autre pays
Où un Homme peut respirer si librement.

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Le réalisme socialiste et le caractère national de l’art

Le caractère néo-classique du réalisme socialiste correspond au fait que le socialisme vit par un peuple en particulier. Pour cette raison, la forme néo-classique change selon les républiques soviétiques et, dans tous les cas, l’art atteint une reconnaissance nationale.

Il faut saisir le réalisme socialiste comme l’expression culturelle démocratique des masses, par et dans le socialisme. Le peintre et théoricien de l’art Konstantin Juon explique que 

« C’est sur son sol natal que l’art peut développer ses formes et ses traits nationaux authentiques, en liaison avec le nouveau contenu socialiste.

Le coloris spécifique de la vie et de la nature, les types humains, la richesse architecturale, ornementale, celle de l’habillement, le caractère unique du style, des formes et des couleurs propres aux différents lieux sont susceptibles de créer de nouvelles valeurs artistiques qui constitueront un apport original à l’art mondial. »

C’est la reconnaissance de la dignité du réel, et Konstantin Juon parle également de

« la subordination du principe intuitif à la pensée consciente, laquelle n’entre pas en contradiction avec l’intuition, mais ne fait au contraire que la préciser. »

Konstantin Juon mentionne également

« l’appréhension synthétique ou universelle, selon le terme de Léonard de Vinci, des phénomènes. »

Cette unité fait que le trait distinctif du réalisme socialiste est

« la liquidation des contradictions entre l’artiste et le spectateur, entre le talent et la conception du monde (…), le réalisme compris non seulement comme la représentation véridique du monde visible, mais aussi comme l’expression de la pensée critique et des sentiments de l’homme par rapport aux phénomènes de la vie. »

Voici, en ce sens, une œuvre de Nikolaï Karakhin. C’est un peintre ouzbek, ce qui explique l’approche picturale particulière, présente ici la construction du lac Komosomol, à Tachkent.

La représentation des ouvrières estoniennes est, par définition, différente sur le plan pictural.

Le Dictionnaire philosophique abrégé de 1951, publié en Union Soviétique, donne la définition suivante de l’art en URSS :

« L’art soviétique est profondément populaire non seulement par son contenu et son orientation idéologique, mais aussi par sa forme.

Lénine disait que le nouvel art doit être compris des masses. En 1948, la Résolution du Comité central du PC(b) sur l’opéra La grande amitié de V. Muradeli a donné des directives claires en cette matière.

On y indique que les fondements de l’orientation réaliste dans la musique soviétique sont l’alliage « d’un contenu élevé et d’une perfection artistique de la forme musicale, la véracité et le caractère réaliste de la musique, son lien profondément organique avec la création musicale du peuple et l’art du chant de ce dernier, une haute maîtrise professionnelle accompagnée d’une simplicité et d’une accessibilité des œuvres musicales. »

La méthode du réalisme socialiste postule la fusion organique de l’élément national et de l’élément international dans l’art.

La position élaborée par le camarade Staline oriente ici l’art soviétique : la culture soviétique est une culture socialiste par son contenu et nationale par sa forme. »

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Le réalisme socialiste et le classicisme nouveau

L’ère des masses, le fait que l’art soit reconnu comme relevant de leur culture, tout cela implique un classicisme réaffirmé. Le réalisme socialiste a toujours souligné qu’il assumait de prendre la position d’une systématisation nouvelle, harmonieuse de la réalité. Cette représentation allégorique du XVIe congrès du PCUS(b) reflète parfaitement l’idée de masses organisées assumant la culture, son exigence de classicisme, face aux barbares capitalistes.

Voici le théâtre académique central de l’Armée rouge. On y retrouve la même démarche dite néo-classique, au sens où le réalisme socialiste, en architecture, cherche à combiner le principe décoratif pour les éléments, caractérisant la dimension culturelle populaire, avec un caractère harmonieux et imposant, pour marquer le caractère général du socialisme.

L’approche ne consiste donc pas directement en une direction « monumentale », qui inversement caractérise strictement l’art fasciste (qui de ce fait préfère l’architecture, la sculpture), cette sinistre caricature du socialisme. On le voit très bien avec le fameux métro de Moscou, qui se construit à l’époque de Staline et combine néo-classicisme et art déco, formant une œuvre magistrale.

Ici, le bâtiment résidentiel des travailleurs du MGB (le ministère des affaires intérieures), à sa construction à Moscou en 1949.

Voici également des panneaux de mosaïque octogonaux qui ornent la voûte du hall central de la station de métro Novokuznetskaya à Moscou, réalisé par Alexandre Deïneka.

Il faut bien entendu mentionner les bâtiments moscovites souvent surnommés les « sept sœurs », qu’il faut rapprocher du Palais de la culture et des sciences offert par l’URSS à la Pologne.

Cette perspective architecturale du réalisme socialiste sera officiellement remis en cause par le révisionnisme au moyen du décret n ° 1871 du 4 novembre 1955 du Comité central du PCUS et du Conseil des ministres de l’URSS, intitulé À propos de l’élimination des excès de conception et de construction.

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Le réalisme socialiste et l’ère des masses

Le réalisme socialiste accorde sa pleine reconnaissance au caractère de masse de la société. Il présente par conséquent l’ensemble des masses comme la réalité sociale la plus haute, la plus véritable. Il y a le peuple, dans sa réalité quotidienne, mais il y a également dialectiquement le peuple comme force historique.

Voici deux peintures d’Isaak Brodsky reflétant cette exigence : Manifestation et Lénine aux usines Poutilov en mai 1917.

Voici, encore d’Isaak Brodsky, Le jour de la constitution.

Le tableau de Petr Krivonogov intitulé Victoire!, de 1948, confère également toute sa plénitude au caractère de masse du triomphe de 1945.

Il existe, de par l’irruption des masses dans l’histoire, une dimension épique dans la représentation des événements marquants, des phénomènes sociaux, politiques, culturels. Le socialisme inaugure l’ère des masses ; on change de dimension pour ce qui est de la manière de percevoir la réalité, on atteint une dimension de grande ampleur, de valeur mondiale. La dimension universelle se confond avec les événements mondiaux.

La victoire du peuple conquérant, par Mykhaylo Khmelko, en est un excellent exemple.

La présentation par Alexandre Deïneka en 1952 de l’ouverture d’une centrale hydro-électrique d’une ferme collective reflète tout à fait cette ère de masses, dans le cadre de la construction du socialisme, de son établissement comme société organisée.

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Le réalisme socialiste et la dimension socialiste

La nature socialiste du réalisme socialiste ne tient nullement à une dimension propagandiste, mais à sa dimension morale-culturelle portant les valeurs conformes à la tendance historique consistant en la marche au communisme. L’œuvre de Kerzhner Alexander Haskelevich montrant des élèves dans la première classe, en 1950, reflète cette exigence d’une vie rationnelle tournée vers la connaissance, la participation collective, l’esprit d’édification propre au socialisme.

Le Dictionnaire philosophique abrégé de 1951 publié en Union Soviétique dit à ce sujet que :

« L’exigence fondamentale du réalisme socialiste est la représentation véridique, historiquement concrète, de la réalité dans son développement révolutionnaire.

La véracité et le caractère historiquement concret de la représentation artistique de la réalité doivent se coupler avec la tâche de transformation idéologique et d’éducation des travailleurs dans l’esprit du socialisme.

Le réalisme socialiste n’exclut pas, mais au contraire inclut en lui comme un de ses éléments constitutifs le romantisme révolutionnaire, la faculté de percevoir à l’état embryonnaire ce qui appartient à l’avenir, car comme l’a montré A. Jdanov au premier congrès de l’Union des écrivains soviétiques, « toute la vie de notre Parti, toute la vie de la classe ouvrière et sa lutte sont une combinaison du travail pratique le plus lucide et rigoureux et des perspectives héroïques et grandioses les plus sublimes. »

Le camarade Staline a appelé les écrivains et artistes les « ingénieurs des âmes », voués à éduquer les masses laborieuses dans l’esprit du communisme, du dévouement sans réserve au parti communiste, dans l’esprit du patriotisme soviétique et de l’amour pour la grande patrie socialiste.

Par leurs œuvres, les écrivains et artistes soviétiques mènent la lutte contre les survivances du capitalisme dans les consciences et inculquent à l’homme soviétique les principes de la morale socialiste. »

On retrouve tout à fait cette expression du caractère socialiste de la morale dans le tableau de Grigory Gavrilenko présentant le fait d’Apprendre de l’excellence.

La dimension socialiste n’est jamais une apologétique, mais toujours l’expression d’une tendance au sein de la réalité, une expression de la réalité elle-même, une présentation des faits correspondant à l’affirmation du nouveau, contre l’ancien.

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Le réalisme socialiste et le caractère populaire

Le réalisme socialiste s’appuie sur la réalité du byt, de la vie quotidienne, mais cela ne prend son sens que de par la considération que l’art n’existe que dans le cadre de la narodnost, c’est-à-dire de la réalité populaire.

Il ne s’agit pas simplement d’une vie quotidienne concrète et non abstraite, il s’agit d’une vie quotidienne vécue par le peuple. Tout passe par le peuple, tout n’existe que par le peuple, tout part du peuple et doit retourner au peuple. Le réalisme socialiste implique que l’art n’existe que par le peuple et pour le peuple, de par un rapport dialectique entre l’artiste et lui.

Et ce peuple a connu des transformations, qui se reflète dans l’art ; Andreï Jdanov souligna ainsi au congrès des écrivains :

« Nous ne sommes plus les mêmes Russes qu’avant 1917, la Russie n’est plus la même et notre caractère n’est plus le même. »

Pour cette raison, le réalisme socialiste conjugue à la fois la mise en avant du plus haut niveau civilisationnel – avec comme références ouvertes à la fois l’Antiquité et la Renaissance – et l’expression du « sentiment nouveau », de la « signification intérieure. » Mais tout cela en liaison avec le caractère populaire de l’existence.

Le tableau Le grain de Tatiana Yablonskaya, de 1949, reflète cette exigence de l’art comme reflet du peuple, de la signification intérieure de sa réalité, du sentiment nouveau dans son rapport à l’existence.

Tatiana Yablonskaya expliquera en février 1950 dans la revue La culture et la vie, dans son article Le réalisme socialiste en peinture, que :

« Avant ma visite à la ferme collective, me faire le reproche de formalisme [ainsi que de soumission à l’impressionnisme] me faisait un peu mal. Maintenant, je suis d’accord avec cette critique…

Ma vision du monde a été renversée. J’ai abordé ma dernière peinture, « Le grain », différemment.

J’ai fait de mon mieux pour exprimer le sentiment qui m’a submergé lorsque j’étais à la ferme collective. Je me suis efforcé d’exprimer le joyeux travail communautaire de notre beau peuple, la richesse et le pouvoir de nos fermes collectives, ainsi que le triomphe des idées de Lénine et de Staline dans la reconstruction socialiste du village. »

L’artiste au travail pour son oeuvre

Ce que Tatiana Yablonskaya pose ici, c’est que l’artiste ne peut se prétendre tel sans être capable de se mettre à l’école du peuple, de ressentir dans sa propre existence les facettes et la profondeur de la vie populaire.

Ce n’est qu’ainsi que l’artiste trouve une dynamique réelle et ne décroche pas de la culture pour sombrer dans le formalisme voire même le subjectivisme.

C’est le peuple qui fournit la matière de l’existence même de l’art, et par conséquent l’artiste ne peut exister qu’en s’impliquant dans la réalité populaire elle-même, en apportant sa contribution.

Pour réaliser Le grain, Tatiana Yablonskaya resta de juin à septembre 1948 à Letava, réalisant 300 dessins et études.

Les œuvres de Fedot Sychkov possèdent également en ce sens une haute charge artistique, tout à fait dans l’esprit des ambulants russes, lui-même ayant été un disciple d’Ilia Répine. On a ici un portrait de la vie populaire, sur les collines enneigées et au retour de l’école.

La vie populaire, de fait, porte en elle une vraie joie, une réelle allégresse, et cela de manière tout à fait nette et expressive dans le cadre d’une société socialiste. La vie populaire et sa réalité impose la célébration de la vie.

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Le réalisme socialiste et la vie quotidienne

La reconnaissance de la vie quotidienne des masses va avec celle de la dignité du réel, c’est-à-dire la reconnaissance de l’universel dans le particulier. Le réalisme socialiste n’est pas un simple « portrait », une photographie à la mode du matérialisme vulgaire ; il révèle le monde intérieur, sa richesse, sa portée universelle.

Le tableau d’Alexander Laktionov, Lettre du front, de 1947, témoigne de la valeur de la vie quotidienne dans sa réalité même. Le caractère pauvre du lieu s’oppose à la luminosité des figures présentes, reflétant la richesse de la situation, son humanité.

Il en va de même pour sa peinture de 1952, Déménagement dans un nouvel appartement. Le caractère relevant de la vie quotidienne se conjugue avec une portée universelle. L’arrivée dans le nouvel appartement est représenté sous différents aspects matériels et psychologiques, avec une dimension socialiste marquée pour caractériser la situation. Il y a à la fois de la complexité et une puissante simplicité, ce qui est une marque du réalisme socialiste.

Le terme pour désigner cette vie quotidienne ayant une valeur en soi de portée universelle est celui de byt, le verbe être, exister. Le réalisme socialiste présente l’existence telle qu’elle est, dans sa tendance l’emportant. Nina Dmitrieva, lors de l’Exposition pansoviétique de 1952, explique au sujet de la peinture du byt :

« Montrer la richesse des aspirations individuelles, l’ampleur de la pensée et des horizons intellectuels, la beauté des qualités morales des Soviétiques, tout en dénonçant et en raillant impitoyablement les états d’arriération, la routine, l’inculture, la bassesse des intérêts, où qu’ils puissent se manifester, tel est le pathos de la peinture du byt.

Là sont sa signification et sa fonction en tant qu’instrument de l’éducation communiste.

C’est pourquoi l’on ne saurait indiscutablement réduire la spécificité du genre du byt à la représentation d’anecdotes futiles dont ne découle aucune façon ni tendance et qui ne proposent même pas des possibilités minimes pour révéler le typique, pour caractériser franchement l’état psychique des personnages. »

Le fait de reconnaître la richesse de la vie quotidienne, en plus de la reconnaître, fait que le matérialisme dialectique implique une profondeur de champ tout à fait marqué, une subjectivité impliquée dans le processus lui-même. Sans cela, il n’y a pas de matérialisme, mais seulement un regard abstrait.

Le réalisme socialiste implique le caractère concret du byt, comme ici dans Une sacrée surprise, par Adolf Gugel et Raisa Kudrevich, de 1951.

Ici encore, les différents aspects de la situation sont bien montrés, avec toujours la complexité et la simplicité.

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Le réalisme socialiste et la combinaison de l’universel et du particulier

L’œuvre d’art est une représentation particulière, mais il y a de l’universel dans ce qui est représenté. L’œuvre d’art reflète non seulement ce particulier, mais également l’universel en lui. Sa valeur en tant que reflet est d’autant plus forte.

Voici une œuvre d’Anatoli Yurevich Nikich-Krilichevski de 1951, intitulée Nature morte avec les médailles de Maria Isakova. Surnommée la cendrillon de Vyatka, elle fut la première à triompher à trois championnats du monde de patinage de vitesse – les premiers auxquels participa l’URSS- en 1948, 1949, 1950, alors qu’elle fut également première aux championnats d’URSS de 1945, 1946, 1947, 1948, 1949, 1951, seconde en 1944 et 1950.

Les médailles présentées, dans un contexte bien précis et qu’on redécouvre tout au long des détails de l’œuvre – la ville, le grand bâtiment soviétique à l’arrière-plan, le symbole du club de sport du Dynamo de Moscou, les objets de valeur avec une belle esthétique, les fleurs savamment agencés, les rideaux, les lettres reçues, les coupes, etc. – accordent à ce tableau une très forte charge artistique.

C’est en tant que sportive émérite que Maria Isakova, dont voici un portrait en 1950, porte une dimension universelle. C’est cette dimension qui est montrée dans le tableau.

Maria Isakova

Il y a la femme, la femme sportive, la femme sportive qui atteint un haut niveau, la femme sportive qui atteint un haut niveau et qui est une composante de la société socialiste. Le particulier et l’universel sont ici bien montrés dans leur liaison interne.

Georg Lukacs, dans la période où il assuma le réalisme socialiste (il fut toute sa vie un intellectuel bourgeois oscillant), explique de la manière suivante, en 1951 dans Balzac et le réalisme français, l’importance de la richesse intérieure de la figure montrée dans une œuvre :

« La catégorie centrale et le critère de la conception réaliste de la littérature, à savoir le type par rapport au caractère et à la situation est une synthèse particulière qui lie organiquement le général et l’individuel.

Le type ne devient pas tel parce qu’il est moyen, pas plus que pour son caractère uniquement individuel, quelque prononcé qu’il soit, mais du fait que tous les moments d’une période historique qui, du point de vue humain et social, sont essentiels et déterminants, concourent en lui et s’y croisent, du fait que la création du type montre ces moments dans leur degré d’évolution le plus élevé et dans l’extrême déploiement de ses possibilités virtuelles, dans l’extrême représentation d’extrêmes qui concrétise en même temps le sommet et les limites de la totalité de l’homme et de l’époque. »

Georg Lukacs surestime certainement ici la question de la « totalité » qui serait à montrer, ce thème étant son obsession, par incapacité à saisir la dialectique, et donc le caractère à la fois relatif et « total » des phénomènes. Cependant, il a raison de montrer qu’il faut que soit clair le passage de l’histoire à travers la figure montrée, l’entrelacement des facteurs propres à une époque, le déploiement de ce qui est sous-jacent à une époque.

Nature morte avec les médailles de Maria Isakova n’est à ce titre pas un témoignage particulier sur une sportive, mais le reflet d’une réalité historique tout à fait caractérisée, avec sa tendance, ici l’URSS socialiste.

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L’art comme cours d’eau historique de la culture

Comme l’art consiste en une représentation synthétique de la réalité, il n’est pas qu’un reflet de la vérité, il devient vérité lui-même car il la porte en elle. C’est ce qu’on appelle la culture, où tous les éléments matériels artistiques se reflètent, dans un long flux historique.

C’est pour cette raison que les œuvres de Lénine et de Mao Zedong sont parsemées de références littéraires. Leur nombre est important et la démarche systématique. Mao Zedong explique de nombreux faits et phénomènes au moyen de références littéraires classiques chinoises. Il les mentionne en considérant qu’il est impossible de ne pas les connaître, de ne pas les avoir assimilé.

Voici la liste des auteurs cités par Lénine, avec leurs occurrences, dans une statistique de 1934, alors que les 29 premiers volumes de ses œuvres complètes de Lénine étaient disponibles :

  • Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine : 320 fois
  • Nikolaï Gogol : 99 fois
  • Ivan Krylov : 60 fois
  • Ivan Tourgueniev : 46 fois
  • Nikolaï Nekrassov : 26 fois
  • Alexander Pouchkine : 19 fois
  • Anton Tchekhov : 18 fois
  • Alexander Ostrovsky : 17 fois
  • Gleb Ouspensky : 16 fois
  • Ivan Gontcharov : 11 fois

Il est d’autant plus marquant que Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine soit la référence la plus systématique, que son œuvre elle-même s’appuie sur la reconnaissances des figures typiques classiques et qu’il les prolonge.

Le grand écrivain russe Maxime Gorki, à l’origine avec Staline du concept de réalisme socialiste, constate ainsi dans son Histoire de la littérature russe la chose suivante au sujet du romancier le plus cité par Lénine dans ses œuvres :

« Prendre un héros de la littérature, un type littéraire du passé et le montrer dans la vie de tous les jours, c’est le procédé favori de Chtchedrine. Depuis 1870, ses héros sont les descendants de Khlestakov, Motchaline, Mitrophane, Prostakov, qui avaient conquis toute la société avec une force particulière après 1881. »

C’est que Lénine, Mao Zedong, Maxime Gorki voient le travail artistique comme une production, et non pas comme une « création » à partir de rien. Ils considèrent qu’il y a une continuité historique, un flux ininterrompu, non linéaire, de l’expression artistique, dans le cadre de la culture.

Mao Zedong, dans son Intervention aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan en mai 1942, nous explique cela de la manière suivante :

« Quelle est en dernière analyse la source de tous les genres littéraires et artistiques ?

En tant que formes idéologiques, les œuvres littéraires et les œuvres d’art sont le produit du reflet, dans le cerveau de l’homme, d’une vie sociale donnée.

La littérature et l’art révolutionnaires sont donc le produit du reflet de la vie du peuple dans le cerveau de l’écrivain ou de l’artiste révolutionnaire. La vie du peuple est toujours une mine de matériaux pour la littérature et l’art, matériaux à l’état naturel, non travaillés, mais qui sont en revanche ce qu’il y a de plus vivant, de plus riche, d’essentiel.

Dans ce sens, elle fait pâlir n’importe quelle littérature, n’importe quel art, dont elle est d’ailleurs la source unique, inépuisable. Source unique, car c’est la seule possible ; il ne peut y en avoir d’autre.

Certains diront : Et la littérature et l’art dans les livres et les œuvres des temps anciens et des pays étrangers ? Ne sont-ils pas des sources aussi ?

A vrai dire, les œuvres du passé ne sont pas des sources, mais des cours d’eau ; elles ont été créées avec les matériaux que les auteurs anciens ou étrangers ont puisés dans la vie du peuple de leur temps et de leur pays.

Nous devons recueillir tout ce qu’il y a de bon dans l’héritage littéraire et artistique légué par le passé, assimiler d’un esprit critique ce qu’il contient d’utile et nous en servir comme d’un exemple, lorsque nous créons des œuvres en empruntant à la vie du peuple de notre temps et de notre pays les matériaux nécessaires. »

L’art relève de la culture et la culture est portée par le mouvement historique. L’art reflète ce mouvement, de là vient sa dignité, sa valeur et par conséquent son appréciation. Il n’existe pas d’œuvres d’art séparées du processus général de la société, du mouvement général de la matière.

Le plaisir artistique tient au reflet : en voyant le haut niveau de reflet de la réalité dans une œuvre d’art, on apprécie celle-ci, parce que toute conscience est elle-même reflet. L’œuvre d’art se présente ici comme un reflet à portée universelle d’une réalité particulière.

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