Le structuralisme, Jacques Lacan, l’inconscient et l’œuvre écrite

Le structuralisme s’est, dès le départ, largement tourné vers la psychanalyse. C’était inévitable, car il s’agit finalement d’un prolongement surtout de la phénoménologie d’Edmund Husserl, qui ramène tout phénomène à une saisie par la conscience.

Le structuralisme baigne dans une atmosphère psychologisante ; c’est là quelque chose de spécifiquement français, dont Henri Bergson est le produit le plus connu, mais on peut également penser aux romans de Georges Bernanos.

Les mots, dans leur rapport à la pensée, puis à la réalité, se voient attribuer une forme pratiquement magique. Le structuralisme s’appuie directement sur la notion de langage comme forme partant dans tous les sens et ayant pourtant un sens.

La découverte de ce sens est la clef de ce que le structuraliste se donne comme tâche, s’appuyant sur un domaine particulier pour trouver une pseudo dynamique, cependant il va de soi que la question de l’esprit était central.

Jacques Lacan

Ce qui joue ici comme idéologie, ce n’est pas tant la psychanalyse d’ailleurs que le surréalisme et ses prédécesseurs symbolistes-décadentistes. L’oeuvre de Jacques Lacan puise dans Freud et la psychanalyse, mais de manière lyrique-délirante, avec de véritables shows où il s’agite en prononçant des phrases spectaculaires sans qu’un sens réel se dégage.

Grande figure du structuralisme, Jacques Lacan considère à la fois que « l’inconscient est structuré comme un langage », et en même temps que tout discours relève de l’inconscient, non pas comme sous-produit mais directement comme parallèle.

C’est là une vision en « double » tout à fait dans l’esprit du structuralisme, où la structure est « structurée » et en même temps « structurante ». Il dit ainsi :

« Une œuvre écrite n’imite pas l’effet de l’inconscient. Elle en pose l’équivalent, pas moins réel que lui, de le forger dans sa courbure ; l’œuvre littéraire n’existe que dans la courbure qui est celle même de la structure (…). Elle en est le réel, et c’est en ce sens que l’œuvre n’imite rien. Elle est en tant que fiction, structure véridique. »

Une œuvre d’art se voit, encore et toujours, comme avec Gérard Genette par exemple, attribué une valeur transcendante, une valeur en soi, découplé de l’époque, de la société, de l’histoire, de la matière.

Ce qui compte encore et toujours, c’est la « structure » ; ici, chez Jacques Lacan, la psychanalyse permet de la découvrir et il devint, à ce titre, l’une des principales figures de la nouvelle psychanalyste, un courant portant directement son nom.

Et il existe un va-et-vient permanent : le langage est l’inconscient, l’inconscient est le langage lui-même. Le psychanalyste n’est rien d’autre qu’un linguiste :

« Voyez les hiéroglyphes égyptiens : tant qu’on a cherché quel était le sens direct des vautours, des poulets, des bonshommes debout, assis, ou s’agitant, l’écriture est demeurée indéchiffrable. C’est qu’à lui tout seul le petit signe “vautour” ne veut rien dire ; il ne trouve sa valeur signifiante que pris dans l’ensemble du système auquel il appartient. Eh bien ! les phénomènes auxquels nous avons affaire dans l’analyse sont de cet ordre-là, ils sont d’un ordre langagier.

Le psychanalyste n’est pas un explorateur de continents inconnus ou de grands fonds, c’est un linguiste : il apprend à déchiffrer. »

Jacques Lacan se fonde d’ailleurs directement et ouvertement sur le structuralisme linguistique pour justifier sa propre approche :

« L’inconscient, à partir de Freud, est une chaîne de signifiants qui quelque part (sur une autre scène, écrit-il) se répète et insiste pour interférer dans les coupures que lui offre le discours effectif et la cogitation qu’il informe.

Dans cette formule, qui n’est nôtre que pour être conforme aussi bien au texte freudien qu’à l’expérience qu’il a ouverte, le terme crucial est le signifiant, ranimé de la rhétorique antique par la linguistique moderne, en une doctrine dont nous ne pouvons marquer ici les étapes, mais dont les noms de Ferdinand de Saussure et de Roman Jakobson indiqueront l’aurore et l’actuelle culmination, en rappelant que la science pilote du structuralisme en Occident a ses racines dans la Russie où a fleuri le formalisme.

Genève 1910, Pétrograd 1920 disent assez pourquoi l’instrument en a manqué à Freud.

Mais ce défaut de l’histoire ne rend que plus instructif le fait que les mécanismes décrits par Freud comme ceux du processus primaire, où l’inconscient trouve son régime, recouvrent exactement les fonctions que cette école tient pour déterminer les versants les plus radicaux des effets du langage, nommément la métaphore et la métonymie, autrement dit les effets de substitution et de combinaison du signifiant dans les dimensions respectivement synchronique et diachronique où ils apparaissent dans le discours. »

Jacques Lacan, avec ce positionnement, va être une figure incontournable de la scène intellectuelle bourgeoise des grandes métropoles mondiales.

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Le structuralisme et le mythe comme «super langage»

La conception ethno-différentialiste de Claude Lévi-Strauss est connue à travers des ouvrages ayant eu une énorme résonance universitaire et intellectuelle : Tristes Tropiques publié en 1955, La Pensée sauvage publié en 1962, Le Cru et le Cuit publié en 1964.

Le premier est un récit personnel racontant comment la vocation d’ethnologue s’est ouverte à l’auteur ; il commence par une formule paradoxale en apparence :

« Je hais les voyages et les explorateurs. Et voici que je m’apprête à raconter mes expéditions. »

Car, en réalité, l’énorme succès de Tristes Tropiques tient à sa thématique, qui est la même que celle du régime de Pétain ou, plus précisément, que celle de Georges Bernanos. Il s’agit du rejet du monde moderne, de la civilisation dite occidentale, au nom d’une protection des différences.

C’est un positionnement anti-universaliste total, au nom de l’ethno-différentialisme. C’est une agression caractérisée des valeurs humanistes, mais tout comme Aimé Césaire à l’époque, cela correspond à un état d’esprit de la bourgeoisie intellectuelle, prétendument anti-coloniale mais en réalité façonnant la formation d’une élite locale bureaucratique dans les pays colonisés ou décolonisés.

Voici une illustration de l’approche ultra-réactionnaire de Claude Lévi-Strauss :

« Aujourd’hui où des îles polynésiennes noyées de béton sont transformées en porte-avions pesamment ancrés au fond des mers du Sud, où l’Asie tout entière prend le visage d’une zone maladive, où les bidonvilles rongent l’Afrique, où l’aviation commerciale et militaire flétrit la candeur de la forêt américaine ou mélanésienne avant même d’en pouvoir détruire la virginité, comment la prétendue évasion du voyage pourrait-elle réussir autre chose que nous confronter aux formes les plus malheureuses de notre existence historique ?

Cette grande civilisation occidentale, créatrice des merveilles dont nous jouissons, elle n’a certes pas réussi à les produire sans contrepartie.

Comme son œuvre la plus fameuse, pile où s’élaborent des architectures d’une complexité inconnue, l’ordre et l’harmonie de l’occident exigent l’élimination d’une masse prodigieuse de sous-produits maléfiques dont la terre est infectée.

Ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité.

Je comprends alors la passion, la folie, la duperie des récits de voyage. Ils apportent l’illusion de ce qui n’existe plus et qui devrait être encore, pour que nous échappions à l’accablante évidence que vingt-mille ans d’histoire sont joués.

Il n’y a plus rien à faire : la civilisation n’est plus cette fleur fragile qu’on préservait, qu’on développait à grand peine dans quelques coins abrités d’un terroir riche en espèces rustiques, menaçantes sans doute par leur diversité, mais qui permettaient aussi de varier et de revigorer les semis.

L’humanité s’installe dans la monoculture, elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comporte plus que ce plat. »

Avec La Pensée sauvage, Claude Lévi-Strauss théorise cette conception, qui se résume ainsi :

« Il n’y a pas de civilisation « primitive » ni de civilisation « évoluée », il n’y a que des réponses différentes à des problèmes fondamentaux et identiques. »

C’est là, bien entendu, en 1962, une attaque ouverte à la proposition communiste se posant alors au monde. Et cela est fait au nom d’une lecture structuraliste. Il y aurait une « pensée sauvage », une « pensée mythique », qui ne peut être vue que comme structure structurante. Le rôle du structuraliste est d’autant plus souligné…

Claude Lévi-Strauss explique cela de la manière suivante :

« De ce point de vue aussi, la réflexion mythique apparaît comme une forme intellectuelle de bricolage. La science tout entière s’est construite sur la distinction du contingent et du nécessaire, qui est aussi celle de l’événement et de la structure.

Les qualités qu’à sa naissance elle revendiquait pour siennes étaient précisément celles qui, ne faisant point partie de l’expérience vécue, demeuraient extérieures et comme étrangères aux événements : c’est le sens de la notion de qualités premières.

Or, le propre de la pensée mythique, comme du bricolage sur le plan pratique, est d’élaborer des ensembles structurés, non pas directement avec d’autres ensembles structurés, mais en utilisant des résidus et des débris d’événements : « odds and ends », dirait l’anglais, ou, en français, des bribes et des morceaux, témoins fossiles de l’histoire d’un individu ou d’une société.

En un sens, le rapport entre diachronie et synchronie est donc inversé : la pensée mythique, cette bricoleuse, élabore des structures en agençant des événements, ou plutôt des résidus d’événements, alors que la science, « en marche » du seul fait qu’elle s’instaure, crée, sous forme d’événements, ses moyens et ses résultats, grâce aux structures qu’elle fabrique sans trêve et qui sont ses hypothèses et ses théories.

Mais ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas de deux stades, ou de deux phases, de l’évolution du savoir, car les deux démarches sont également valides.

Déjà, la physique et la chimie aspirent à redevenir qualitatives, c’est-à-dire à rendre compte aussi des qualités secondes qui, quand elles seront expliquées, redeviendront des moyens d’explication ; et peut-être la biologie marque-t-elle le pas en attendant cet accomplissement, pour pouvoir elle-même expliquer la vie.

De son côté, la pensée mythique n’est pas seulement la prisonnière d’événements et d’expériences qu’elle dispose et redispose inlassablement pour leur découvrir un sens ; elle est aussi libératrice, par la protestation qu’elle élève contre le non-sens, avec lequel la science s’était d’abord résignée à transiger. »

On a ici affaire à un relativisme accompagné d’un éloge d’une lecture magique de la réalité. Cela va, par ailleurs, toujours avec une vision de l’art comme porteuse de transcendance. C’est là une caractéristique essentielle du structuralisme et le rapport avec l’art contemporain est évident.

A ce sujet, dans La pensée sauvage, Claude Lévi-Strauss dit la chose suivante :

« Le mythe suit le même parcoursmais dans l’autre sens : il utilise une structure pour produire un objet absolu offrant l’aspect d’un ensemble d’événements (puisque tout mythe raconte une histoire).

L’art procède donc à partir d’un ensemble : (objet + événement) et va à la découverte de sa structure ; le mythe part d’une structure, au moyen de laquelle il entreprend la construction d’un ensemble : (objet + événement). »

Claude Lévi-Strauss n’a alors qu’à produire des grilles d’analyses des mythes par des « structures ». Voici le tout début de l’ouvrage Le cru et le cuit :

« Le but de ce livre est de montrer comment des catégories empiriques telles que celles de cru et de cuit, de frais et de pourri, de mouillé et de brûlé, etc., définissables avec précision par la seule observation ethnographique et chaque fois en se plaçant au point de vue d’une culture particulière, peuvent néanmoins servir d’outils conceptuels pour dégager des notions abstraites et les enchaîner en propositions. »

L’œuvre de Claude Lévi-Strauss consiste alors en des pseudo-études de situations de peuples « primitifs », avec des mythes pris à un instant T décodés au moyen d’analyses structuralistes, c’est-à-dire en réalité totalement subjectivistes. La structure est supérieure à l’être humain, qui n’existe d’ailleurs plus que comme matière première de la structure, en quelque sorte.

Aussi, dans Le Cru et le Cuit, Clause Lévi-Strauss affirme :

« Nous ne prétendons pas montrer comment les hommes pensent dans les mythes, mais comment les mythes se pensent dans les hommes, et à leur insu. »

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Le structuralisme, Claude Lévi-Strauss et les mythes

Claude Lévi-Strauss (1908-2009) est considéré comme l’un des plus grands intellectuels français de la seconde moitié du XXe siècle ; il est une figure intouchable systématiquement valorisé. Il est, au sens strict, le premier vrai porteur du structuralisme français des années 1960.

Sa conception est, pourtant, ni plus ni moins que celle de l’ethno-différentialisme, maquillé en respect des autres cultures. Il est le socle même des théories racialistes modernes des partisans de la « déconstruction » ; un film hollywoodien comme Black Panther, qui présentent des noirs africains ultra-développés technologiquement mais restant entièrement tribaux-patriarcaux, s’appuie entièrement sur sa conception.

Dès sa thèse en 1948, intitulée Les Structures élémentaires de la parenté, Claude Lévi-Strauss théorise que la parenté repose sur une « alliance » structurale des différentes familles, dans un souci d’alliance. C’est l’idée d’une structure comme base de la famille et Claude Lévi-Strauss va prolonger sa perspective avec Anthropologie structurale, un recueil d’articles de 1958.

Dans le chapitre La Structure des mythes, on peut lire une longue présentation de la perspective structuraliste :

« Un mythe se rapporte toujours à des événements passés : « avant la création du monde, » ou « pendant les premiers âges, » en tout cas, « il y a longtemps. »

Mais la valeur intrinsèque attribuée au mythe provient de ce que ces événements, censés se dérouler à un moment du temps, forment aussi une structure permanente.

Celle-ci se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur. Une comparaison aidera à préciser cette ambiguïté fondamentale. Rien ne ressemble plus à la pensée mythique que l’idéologie politique. Dans nos sociétés contemporaines, peut-être celle-ci a-t-elle seulement remplacé celle-là (…).

Nous posons, en effet, que les véritables unités constitutives du mythe ne sont pas les relations isolées, mais des paquets de relations, et que c’est seulement sous forme de combinaisons de tels paquets que les unités constitutives acquièrent une fonction signifiante.

Des relations qui proviennent du même paquet peuvent apparaître à intervalles éloignés, quand on se place à un point de vue diachronique, mais, si nous parvenons à les rétablir dans leur groupement « naturel, » nous réussissons du même coup à organiser le mythe en fonction d’un système de référence temporel d’un nouveau type et qui satisfait aux exigences de l’hypothèse de départ.

Ce système est en effet à deux dimensions : à la fois diachronique et synchronique, et réunissant ainsi les propriétés caractéristiques de la « langue » et celles de la « parole. » Deux comparaisons aideront à comprendre notre pensée.

Imaginons des archéologues de l’avenir, tombés d’une autre planète alors que toute vie humaine a déjà disparu de la surface de la Terre, et fouillant l’emplacement d’une de nos bibliothèques.

Ces archéologues ignorent tout de notre écriture mais ils s’essayent à la déchiffrer, ce qui suppose la découverte préalable que l’alphabet, tel que nous l’imprimons, se lit de gauche à droite et de haut en bas. Pourtant, une catégorie de volumes restera indéchiffrable de cette façon. Ce seront les partitions d’orchestre, conservées au département de musicologie.

Nos savants s’acharneront sans doute à lire les portées l’une après l’autre, commençant par le haut de la page et les prenant toutes en succession ; puis, ils s’apercevront que certains groupes de notes se répètent à intervalles, de façon identique ou partielle, et que certains contours mélodiques, apparemment éloignés les uns des autres, offrent entre eux des analogies.

Peut-être se demanderont-ils alors, si ces contours, plutôt que d’être abordés en ordre successif, ne doivent pas être traités comme les éléments d’un tout, qu’il faut appréhender globalement.

Ils auront alors découvert le principe de ce que nous appelons harmonie : une partition d’orchestre n’a de sens que lue diachroniquement selon un axe (page après page, de gauche à droite), mais en même temps, synchroniquement selon l’autre axe, de haut en bas. Autrement dit, toutes les notes placées sur la même ligne verticale forment une grosse unité constitutive, un paquet de relations.

L’autre comparaison est moins différente qu’il ne semble. Supposons un observateur ignorant tout de nos cartes à jouer, écoutant une diseuse de bonne aventure pendant une période prolongée.

Il voit et classe les clients, devine leur âge approximatif, leur sexe, leur apparence, leur situation sociale, etc., un peu comme l’ethnographe sait quelque chose des sociétés dont il étudie les mythes.

Notre observateur écoutera les consultations, les enregistrera même sur un magnétophone pour pouvoir les étudier et les comparer à loisir, comme nous faisons également avec nos informateurs indigènes.

Si l’observateur est suffisamment doué, et s’il recueille une documentation assez abondante, il pourra, semble-t-il, reconstituer la structure et la composition du jeu employé, c’est-à-dire le nombre de cartes – 32 ou 52 – réparties en quatre séries homologues formées des mêmes unités constitutives (les cartes) avec un seul caractère différentiel, la couleur. »

Comme on le voit, c’est là une reprise directe de la conception de Ferdinand de Saussure, sorti de la linguistique pour être appliqué aux phénomènes culturels, interprétés ici de manière anthropologique.

Claude Lévi-Strauss en 1973.

C’est cela qui a fait de Claude Lévi-Strauss le grand théoricien du relativisme absolu dans le domaine des cultures, dans le rejet tant de l’histoire que de l’universalisme.

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Le point de rupture du structuralisme

Cette irruption du structuralisme proposé par Claude Lévi-Strauss et Roman Jakobson va développer une vague intellectuelle sans pareil. Michel Foucault pouvait constater dès mai 1966 que :

« Le point de rupture s’est situé le jour où Lévi-Strauss pour les sociétés et Lacan pour l’inconscient, nous ont montré que le sens n’était probablement qu’une sorte d’effet de surface, un miroitement, une écume, et que ce qui nous traversait profondément, ce qui était avant nous, ce qui nous soutenait dans le temps et dans l’espace, c’était le système. »

Michel Foucault

On doit bien noter ici le caractère spécifiquement français du structuralisme, tout comme de la « French Theory », c’est-à-dire des continuateurs français l’ayant prolongé jusqu’à une philosophie de la post-modernité qui a eu un écho d’une résonance totale dans les universités américaines des années 1980-1990.

Ce sont des penseurs français, pétris de la philosophie de René Descartes, de l’individualisme bourgeois le plus grand, qui ont développé le structuralisme.

Ainsi, Claude Lévi-Strauss a appliqué le principe en anthropologie, Gérard Genette et Roland Barthes en littérature, Jacques Lacan en psychanalyse, Michel Foucault en politique, Louis Althusser en économie, Pierre Bourdieu en sociologie, Gilles Deleuze en philosophie, Henry Corbin dans la religion musulmane chiite, Algirdas Greimas en linguistique, Georges Dumézil en anthropologie, Fernand Braudel et Pierre Vidal-Naquet en histoire, etc.

Pour cette raison, l’université française, dans ses grandes marqueurs et quand elle n’est pas, de manière bien plus secondaire, sur une ligne conservatrice, se confond avec le structuralisme.

Le structuralisme, par son caractère « scientifique » plus que philosophique dans sa prétention (à l’opposé de l’existentialisme qui se veut philosophe avant tout), est une forme correspondant à l’hégémonie historique du positivisme d’Auguste Comte dans l’université française et l’idéologie bourgeoise lorsque commence son élan d’appropriation totale des institutions étatiques, dans la seconde partie du XIXe siècle.

Le structuralisme fonde sa pensée sur le principe d’une dynamique sociale en-dehors des classes sociales et de l’histoire, tout comme le positivisme ; on a le même positionnement du savant comme observateur neutre constatant des tranches seulement d’une évolution considérée comme n’ayant pas un sens en soi.

Le scepticisme et le relativisme sont deux conséquences inéluctables du structuralisme ; l’observation est si « puissante » qu’elle aboutit d’un côté à la conceptualisation d’une structure, qu’il faut parfois « déconstruire » selon les post-structuralistes, de l’autre à l’acceptation permanente d’une différence susceptible en soi d’avoir un sens.

Ce découplage de l’Histoire est tout à fait significatif lorsque Roland Barthes explique, dans L’empire des signes, que :

« Chez nous, une soupe claire est une soupe pauvre; mais ici [au Japon], la légèreté du bouillon, fluide comme de l’eau, la poussière de soja ou de haricots qui s’y déplace, la rareté des deux ou trois solides (brin d’herbe, filament de légume, parcelle de poisson) qui divisent en flottant cette petite quantité d’eau, donnent l’idée d’une densité claire, d’une nutritivité sans graisse, d’un élixir d’autant plus réconfortant qu’il est pur : quelque chose d’aquatique (plus que d’aqueux), de délicatement marin amène une pensée de source, de vitalité profonde. »

Tout se vaut, rien n’a de valeur en soi, le structuralisme étant là pour évaluer et constater les phénomènes. C’est donc un puissant dés-agrégateur, obéissant à un besoin bien précis.

Le capitalisme, pour élargir le champ de ses interventions, a en effet besoin de déconstruire ce qui a historiquement été construit par le capitalisme lui-même comme forces de socialisation. Il s’agit là d’un aspect à la fois intellectuel, en termes de vision du monde, mais également donc d’une dimension sociale.

Au concept de totalité, d’unité des contraires proposé par le matérialisme dialectique, avec comme tradition Aristote, Épicure, Avicenne, Averroès, Spinoza, Hegel, Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong, le structuralisme oppose la multiplicité.

Au concept d’être humain générique, de personne devant développer ses facultés, l’existentialisme a opposé l’individu et le structuralisme est allé encore plus loin en plaçant celui-ci comme objet d’un infini de tendances et de phénomènes.

Au concept de mouvement, de matière proposé par le matérialisme dialectique, le structuralisme oppose la « structure ». Une structure est ici une forme sociale, un phénomène social, une conception mentale, une tradition pratique… qui imprègne tellement les rapports entre des choses qu’elle déciderait de la tendance dominante dans ces rapports.

Le structuralisme pave ainsi la voie au principe post-structuraliste de la « déconstruction », base de la philosophie post-moderne en général qui refuse le concept de société pour lui opposer le concept de « rapport » ou de « relations ».

Toute existence serait déterminée par des « rapports » et de relations ; modifier ces rapports serait un acte d’affirmation individuelle « révolutionnaire », car transgressif par rapport à la structure encadrant les rapports à l’initial.

C’est la négation complète de l’humanisme comme réflexion humaine en tant qu’espèce de l’être humain générique par rapport à la nature, la société étant fondée sur un mode de production et de reproduction de la vie, au nom d’une saisie de l’individu comme seul point de départ et d’arrivée de la multitude des tendances et poussées variées à l’infini dans la réalité.

La manière de modifier ces rapports, tendances, poussées, même de les comprendre ou de les concevoir, est très différent selon les auteurs structuralistes – qui bien souvent n’assument pas le terme -, qui se sont divisés les champs de réflexion. Tous relèvent par contre de la même démarche anti-historique et anti-matérialiste dialectique.

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Roman Jakobson, Claude Lévi-Strauss et les chats de Charles Baudelaire

En 1962, la revue française d’anthropologie L’Homme qui avait commencé à être publié l’année précédente publie un article écrit en commun par Roman Jakobson et Claude Lévi-Strauss, relu par le linguiste Émile Benveniste.

Cet article est consacré à un poème de Charles Baudelaire, Les chats, que l’on trouve dans Les fleurs du mal. Du point de vue du matérialiste historique, ses premières lignes, formant le début d’une introduction à l’article lui-même, sont le véritable manifeste du structuralisme moderne.

On y lit la chose suivante :

« On s’étonnera peut-être qu’une revue d’anthropologie publie une étude consacrée à un poème français du XIXe siècle.

Pourtant, l’explication est simple : si un linguiste et un ethnologue ont jugé bon d’unir leurs efforts pour tâcher de comprendre de quoi était fait un sonnet de Baudelaire, c’est qu’ils s’étaient trouvés indépendamment confrontés à des problèmes complémentaires.

Dans les œuvres poétiques, le linguiste discerne des structures dont l’analogie est frappante avec celles que l’analyse des mythes révèle à l’ethnologue.

De son côté, celui-ci ne saurait méconnaître que les mythes ne consistent pas seulement en agencements conceptuels : ce sont aussi des œuvres d’art, qui suscitent chez ceux qui les écoutent (et chez les ethnologues eux-mêmes, qui les lisent en transcription) de profondes émotions esthétiques.

Se pourrait-il que les deux problèmes n’en fissent qu’un ? »

C’est là, en effet, la prétention d’une analyse « structurelle » – « fonctionnelle » en-dehors de toute circonscription du domaine étudié. Le structuralisme se pose ici comme méthode d’analyse universellement valable.

La longue analyse du poème qui suit est une sorte de piochage d’éléments plus ou moins vrais sur le plan de la grammaire, de la syntaxe, du style, rassemblés dans une sorte de grand bricolage. En voici un exemple.

« Les deux quatrains présentent objectivement le personnage du chat, tandis que les deux tercets opèrent sa transfiguration. Cependant, le second quatrain diffère fondamentalement du premier et, en général, de toutes les autres strophes.

La formulation équivoque : ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres donne lieu à une méprise évoquée dans le septième vers du sonnet, et dénoncée dans le vers suivant. Le caractère aberrant de ce quatrain, surtout l’écart de sa dernière moitié et du septième vers en particulier, est accentué par les traits distinctifs de sa texture grammaticale et phonique (…).

La rime remarquable qui lie les deux tercets est l’unique rime homonyme de tout le sonnet et la seule, parmi ses rimes masculines, qui juxtapose des parties de discours différentes. Il y a une certaine symétrie syntactique entre les deux mots qui riment, puisque tous les deux terminent des propositions subordonnées, l’une complète et l’autre elliptique. »

Cette approche va connaître un succès gigantesque dans l’Éducation nationale auprès des professeurs de français, Gérard Genette (1930-2018) publiant de nombreux ouvrages créant un style, une approche, une lecture des textes spécifiquement propre à la caste intellectuelle des professeurs s’occupant du français.

C’est la fameuse image du professeur de français surinterprétant jusqu’au délire des textes, voyant ce qu’il n’y a pas, au grand dam des élèves voyant bien que c’est absurde, sauf qu’il s’agit pour le professeur de la découverte d’une structure.

Le texte est décomposé en petits morceaux, qui ensemble formeraient une structure de par leurs inter-relations. Gérard Genette s’est ainsi concentré sur le paratexte, les références à d’autres textes dans les textes, charcutant littéralement les textes en les découplant totalement de toute liaison avec l’histoire.

Le texte aurait une valeur en soi, chaque expression aurait un sens littéraire en soi, découplé del a société. Dans Palimpsestes, publié en 1982, Gérard Genette définit de la manière suivante ce qu’il appelle un « architexte » :

« L’ensemble des catégories générales, ou transcendantes -types de discours, modes d’énonciation, genres littéraires, etc.- dont relève chaque texte singulier. »

C’est, au sens strict, une approche résolument portée contre l’approche traditionnelle, historique et liée aux mouvements littéraires, portée par André Lagarde et Laurent Michard, auteurs d’une anthologie qui est l’un plus des grands succès de l’édition en France dans la seconde moitié du XXe siècle.

C’est l’idée d’une œuvre se baladant littéralement dans l’espace et le temps, avec des propriétés magiques. C’est la substance même du discours idéaliste de Gérard Genette, qui assume entièrement ce discours. Dans L’Œuvre de l’art, publié en 1994, il prétend ainsi que :

« Étant donné le réseau inextricable de relations qui compose le monde de l’art, aucune œuvre […] ne se suffi t à elle-même, ni ne se contient elle-même : la transcendance des œuvres est sans limites. »

Impossible par conséquent de saisir l’œuvre autrement qu’en mouvement ; un écrit peut être relu sans cesse différemment, il peut et doit être décomposé, déconstruit, au moyen de plusieurs disciplines : la linguistique, la stylistique, la sémiologie, l’analyse des discours, la logique narrative, de la thématique des genres et des époques, etc. L’ensemble formerait une « théorie générale des formes littéraires », c’est-à-dire une « poétique ».

C’est le prolongement direct de l’œuvre comme « phénomène », comme « mythe » et dans Figures I,publié en 1966, Gérard Genette affirme ainsi :

« La genèse d’une œuvre, dans le temps et dans la vie d’un auteur, est le moment le plus contingent et le plus insignifiant de sa durée.

De tous les grands livres, on peut dire ce que Borges écrit des romans de Wells : « ils s’incorporent comme la fable de Thésée ou celle d’Assuérus, à la mémoire générale de notre espèce, et fructifieront dans son sein quand aura péri la gloire de ceux qui les écrivit et la langue dans laquelle ils furent écrits ».

Le temps de œuvres n’est pas le temps défini de l’écriture, mais le temps indéfini de la lecture et de la mémoire.

Le sens des livres est devant eux et non derrière, il est en nous : un livre n’est pas un sens tout fait, une révélation que nous avons à subir, c’est une réserve de formes qui attendent leur sens, c’est l' »imminence d’une révélation que nous avons à subir, c’est une réserve de formes qui attendent leur sens, c’est l’imminence d’une révélation qui ne se produit pas » et que chacun doit produire pour lui-même. »

Il s’agit là d’une conception extrêmement élaborée, visant à détruire toute perspective historique en littérature, et à renforcer la démarche « structuraliste » en général.

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Le structuralisme et le rôle de l’école de Prague

C’est ensuite l’école dite de Prague qui prolongea cette lecture de Ferdinand de Saussure, avec notamment Roman Jakobson et Nicolas Troubetskoï, par une série de travaux entre 1929 et 1939, dans le pays de l’est européen le plus développé sur le plan du capitalisme.

La Tchécoslovaquie était un important laboratoire intellectuel bourgeois ; la revue publiant les Travaux du cercle linguistique de Prague – le titre est en français, comme beaucoup d’articles – joua un important rôle de concepteur et de diffuseur de la conception qu’on peut déjà qualifier de « structuraliste ».

On trouve également, comme « manifeste », publié dans les Actes du premier congrès international de linguistes à La Haye, s’étant tenu du 10 au 15 avril 1928, le point suivant :

QUELLES SONT LES MÉTHODES LES MIEUX APPROPRIÉES À UN EXPOSÉ COMPLET ET PRATIQUE DE LA PHONOLOGIE D’UNE LANGUE QUELCONQUE?

Roman Jakobson, Prague

S. Karcevsky, professeur adjoint à l’université de Genève

Prince N. Troubetskoy, professeur à l’université de Vienne

Toute description scientifique de la phonologie d’une langue doit avant tout comprendre la caractéristique de son système phonologique, c.-à-d. la caractéristique du répertoire, propre à cette langue, des différences significatives entre les images acoustico-motrices.

Une spécification plus détaillée des types de ces différences est très désirable. Il est surtout utile d’envisager comme une classe à part de différences significatives les corrélations phonologiques.

Une corrélation phonologique est constituée par une série d’oppositions binaires définies par un principe commun qui peut être pensé indépendamment de chaque couple de termes opposés. La phonologie comparée doit formuler les lois générales qui régissent les rapports des corrélations dans les cadres d’un système phonologique donné.

L’antinomie de la phonologie synchronique et de la phonétique diachronique se trouverait être supprimée du moment que les changements phonétiques seraient considérés en fonction du système phonologique qui les subit.

Le problème du but dans lequel ces changements ont lieu doit être posé. La phonétique historique se transforme ainsi en une histoire de l’évolution d’un système phonologique.

D’autre part, le problème du finalisme des phénomènes phonétiques fait, que dans l’étude du côté extérieur de ces phénomènes, c’est l’analyse acoustique qui doit ressortir au premier plan.

Suit une longue « argumentation » explicitant cette conception, que par la suite l’anthropologue Claude Lévi-Strauss va reprendre, à la suite d’échanges approfondis avec Roman Jakobson à New York durant les années 1940.

Photographie présentant l’ouverture du congrès dans le quotidien néerlandais Leidsch Dagblad, 1928.

On a alors le déclenchement de l’offensive structuraliste. Claude Lévi-Strauss, dans l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur du 25 janvier 1967, définit ainsi le structuralisme :

« Il prélève les faits sociaux dans l’expérience et les transporte au laboratoire.

Là, il s’efforce de les représenter sous forme de modèles, prenant toujours en considération, non les termes, mais les relations entre les termes.

Il traite ensuite chaque système de relations comme un cas particulier d’autres systèmes, réels ou simplement possibles, et cherche leur explication globale au niveau des règles de transformation permettant de passer d’un système à un autre système, tels que l’observation concrète, linguistique ou ethnologique, peut les saisir.

Il rapproche ainsi les sciences humaines des sciences physiques et naturelles, puisqu’il ne fait rien d’autre, en somme, que mettre en pratique la remarque prophétique de Niels Bohr, qui écrivait en 1939 : « Les différences traditionnelles entre les cultures humaines ressemblent à beaucoup d’égards aux manières différentes, mais équivalentes, selon lesquelles l’expérience physique peut être décrite ». »

Il faut bien voir ici que le structuralisme nie, ainsi, que l’universel est présent dans le particulier ; il tente de s’arracher au particulier pour établir une structure, qui est elle-même ni la totalité, ni l’universel. C’est une lecture du monde comme si celui-ci disposait de multiples facettes tel un diamant, chaque aspect ayant une signification réelle autonome en tant que structure.

A ce rejet du matérialisme dialectique s’ajoute celui du matérialisme historique (qui est compris dans le matérialisme historique), au sens il n’y a plus de processus, de contextualisation historique, seulement une prise de photographie à un moment donné.

Raisonner en termes de structure implique de se focaliser sur un instant T et de le couper de ce qu’il y a avant et après, au nom d’une prétendue objectivité, d’une neutralité à prétention scientifique.

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Le structuralisme : «structurante en même temps que structurée»

La notion d’ensemble n’est pas la seule idée associée au concept de « structure ». Il y a également l’idée d’une forme d’évolution particulière. Tout comme une langue connaîtrait une évolution linéaire, la « structure » connaît une évolution du même type.

L’idée est la suivante : la langue évolue jusqu’à ce que des différences très marquées soient visibles à l’échelle des siècles, alors qu’en même temps chaque génération comprenait pourtant la précédente. Il en irait de même pour la structure.

Ferdinand de Saussure, dans son Cours de linguistique générale, dresse un parallèle très connu, concernant cette question, avec le jeu d’échecs.

« La langue est un système qui ne connaît que son ordre propre. Une comparaison avec le jeu d’échecs le fera mieux sentir.

Là, il est relativement facile de distinguer ce qui est externe de ce qui est interne : le fait qu’il a passé de Perse en Europe est d’ordre externe ; interne, au contraire, tout ce qui concerne le système et les règles.

Si je remplace des pièces de bois par des pièces d’ivoire, le changement est indifférent pour le système : mais si je diminue ou augmente le nombre des pièces, ce changement-là atteint profondément la « grammaire » du jeu.

Il n’en est pas moins vrai qu’une certaine attention est nécessaire pour faire des distinctions de ce genre.

Ainsi dans chaque cas on posera la question de la nature du phénomène, et pour la résoudre on observera cette règle : est interne tout ce qui change le système à un degré quelconque. »

La structure connaîtrait donc des rapports à la fois internes et externes. Et, qui plus est, il forme à un moment T un « système ». Là encore, Ferdinand de Saussure fait une analogie avec les échecs. Cet aspect est central pour le structuralisme dans sa justification de la fonction du « spécialiste ».

« De toutes les comparaisons qu’on pourrait imaginer, la plus démonstrative est celle qu’on établirait entre le jeu de la langue et une partie d’échecs.

De part et d’autre, on est en présence d’un système de valeurs et on assiste à leurs modifications. Une partie d’échecs est comme une réalisation artificielle de ce que la langue nous présente sous une forme naturelle.

Voyons la chose de plus près.

D’abord un état du jeu correspond bien à un état de la langue. La valeur respective des pièces dépend de leur position sur l’échiquier, de même que dans la langue chaque terme a sa valeur par son opposition avec tous les autres termes.

En second lieu, le système n’est jamais que momentané ; il varie d’une position à l’autre. Il est vrai que les valeurs dépendent aussi et surtout d’une convention immuable, la règle du jeu, qui existe avant le début de la partie et persiste après chaque coup.

Cette règle admise une fois pour toutes existe aussi en matière de langue ; ce sont les principes constants de la sémiologie.

Enfin, pour passer d’un équilibre à l’autre, ou — selon notre terminologie — d’une synchronie à l’autre, le déplacement d’une pièce suffit ; il n’y a pas de remue-ménage général.

Nous avons là le pendant du fait diachronique avec toutes ses particularités. En effet :

a) Chaque coup d’échecs ne met en mouvement qu’une seule pièce ; de même dans la langue les changements ne portent que sur des éléments isolés.

b) Malgré cela le coup a un retentissement sur tout le système ; il est impossible au joueur de prévoir exactement les limites de cet effet. Les changements de valeurs qui en résulteront seront, selon l’occurrence, ou nuls, ou très graves, ou d’importance moyenne.

Tel coup peut révolutionner l’ensemble de la partie et avoir des conséquences même pour les pièces momentanément hors de cause. Nous venons de voir qu’il en est exactement de même pour la langue.

c) Le déplacement d’une pièce est un fait absolument distinct de l’équilibre précédent et de l’équilibre subséquent. Le changement opéré n’appartient à aucun de ces deux états : or les états sont seuls importants.

Dans une partie d’échecs, n’importe quelle position donnée a pour caractère singulier d’être affranchie de ses antécédents ; il est totalement indifférent qu’on y soit arrivé par une voie ou par une autre ; celui qui a suivi toute la partie n’a pas le plus léger avantage sur le curieux qui vient inspecter l’état du jeu au moment critique ; pour décrire cette position, il est parfaitement inutile de rappeler ce qui vient de se passer dix secondes auparavant.

Tout ceci s’applique également à la langue et consacre la distinction radicale du diachronique et du synchronique. La parole n’opère jamais que sur un état de langue, et les changements qui interviennent entre les états n’y ont eux-mêmes aucune place.

Il n’y a qu’un point où la comparaison soit en défaut ; le joueur d’échecs a l’intention d’opérer le déplacement et d’exercer une action sur le système ; tandis que la langue ne prémédite rien ; c’est spontanément et fortuitement que ses pièces à elle se déplacent — ou plutôt se modifient ; l’umlaut de Hände pour hanti, de Gäste pour gasti (voir p. 120), a produit une nouvelle formation de pluriel, mais a fait surgir aussi une forme verbale comme trägt pour tragit, etc.

Pour que la partie d’échecs ressemblât en tout point au jeu de la langue, il faudrait supposer un joueur inconscient ou inintelligent.

D’ailleurs cette unique différence rend la comparaison encore plus instructive, en montrant l’absolue nécessité de distinguer en linguistique les deux ordres de phénomènes.

Car, si des faits diachroniques sont irréductibles au système synchronique qu’ils conditionnent, lorsque la volonté préside à un changement de ce genre, à plus forte raison le seront-ils lorsqu’ils mettent une force aveugle aux prises avec l’organisation d’un système de signes. »

Un moment donné ne dépend pas organiquement des précédents ni des suivants : c’est la négation du matérialisme historique. L’ensemble n’a pas de sens en soi et ne forme pas de totalité : c’est le rejet du matérialisme dialectique.

Jean Piaget résume cela ainsi :

« Une structure est un système de transformations. Ce n’est pas un système statique, ou simplement une forme sans quoi il faudrait y faire rentrer tous les formalismes ou toutes les philosophies de la forme à partir du platonisme.

La structure permet de passer de l’un de ses éléments à un autre grâce à certaines transformations bien déterminées.

Par conséquent, la structure est structurante en même temps que structurée.

Elle est en état perpétuel de recombinaison et permet d’engendrer sans cesse de nouveaux éléments à son intérieur. »

Il s’agit ici de micro-réalités doubles, qui sont le produit de la réalité et produisent la réalité elles-mêmes, tout en étant la réalité.

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Ferdinand de Saussure et le structuralisme

Le terme de structure tel qu’il est employé par le structuralisme s’appuie sur une conception formulée par le Suisse Ferdinand de Saussure dans son Cours de linguistique générale, en 1916, publié à partir de notes de ses élèves.

Ferdinand de Saussure (1857-1913) développe une approche très largement diffusée en France en philosophie par la suite. Il y aurait d’un côté la réalité matérielle dont on parlerait, qui serait le référent. Mais le mot le désignant existerait de manière indépendante, comme signifant, c’est-à-dire comme son ayant un écho dans un esprit : Ferdinand de Saussure parle d’image acoustique.

Et il y aurait le signifié, c’est-à-dire l’activité mentale en réaction à ce son et appelant le concept. Par exemple, le signifiant « arbre » est un son appelant le concept d’arbre dans l’esprit, formant un signifié.

S’ensuit alors une conclusion anti-matérialiste : puisqu’il y a différentes langues, c’est nécessairement que les signifiants sont arbitraires. Il y aurait donc en quelque sorte une vie autonome du langage. Tout le structuralisme part de cette lecture du langage réfutant la thèse matérialiste dialectique du langage comme infrastructure.

Ferdinand de Saussure, sans doute en 1905.

Ferdinand de Saussure n’emploie pas lui-même le terme de « structure », mais de « système », chose que feront également certains structuralistes, notamment Michel Foucault, qui lui relève plus directement du post-structuralisme, qui est en l’idéologie du capitalisme conquérant de nouveaux espaces sociaux, par la « déconstruction » de toutes les anciennes formes.

En fait, le structuralisme s’appuie entièrement, dans ses fondements mêmes, sur une certaine vision de la langue et du langage. Tous les auteurs structuralistes ont souligné cette dimension, se référant au structuralisme linguistique comme socle de leur approche.

Voici ce que dit Ferdinand de Saussure, qui établit ainsi un principe de système et d’échanges que va reprendre précisément le structuralisme :

« La langue, distincte de la parole, est un objet qu’on peut étudier séparément. Nous ne parlons plus les langues mortes, mais nous pouvons fort bien nous assimiler leur organisme linguistique.

Non seulement la science de la langue peut se passer des autres éléments du langage, mais elle n’est possible que si ces autres éléments n’y sont pas mêlés.

Tandis que le langage est hétérogène, la langue ainsi délimitée est de nature homogène : c’est un système de signes où il n’y a d’essentiel que l’union du sens et de l’image acoustique, et où les deux parties du signe sont également psychiques (…).

La langue est un système de signes exprimant des idées, et par là, comparable à l’écriture, à l’alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc., etc. Elle est seulement le plus important de ces systèmes. »

Cette idée d’une langue comme structure va être directement reprise par les auteurs structuralistes, pour l’appliquer à d’autres domaines. Tout comme la langue est déterminée par des relations entre des éléments donnés, il existerait des structures pareillement formées d’inter-relations.

C’est une vision du monde croyant en une sorte de réalité composée de multiples constructions, plus ou moins indépendantes, plus ou moins liées, ayant chacun sa forme particulière, sa propre base, sa nature en propre, etc.

Le logicien Jean Piaget, l’une des figures du structuralisme, résume cela en disant :

« Une structure suppose tout d’abord une notion de totalité, c’est-à-dire, d’un ensemble d’éléments qui comportent des lois en tant que système et des lois différentes des propriétés des éléments eux-mêmes. »

Il n’y pas une totalité, mais des micro-totalités, formant comme un kaléidoscope de réalités autonomes.

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Le structuralisme comme une émergence spécifique à une époque

La France de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle a connu plusieurs approches majeures correspondant à l’esprit républicain : la science comme expérimentation avec le positivisme d’Auguste Comte, le roman expérimental du naturalisme d’Émile Zola, les expériences poétiques du Parnasse, la lecture expérimentale de l’histoire par Hippolyte Taine, la philosophie comme expérience intérieure temporelle avec Henri Bergson, l’expérience momentanée en peinture avec l’impressionnisme.

Cela reflète ici parfaitement le besoin de la bourgeoisie de se lier à la réalité d’un côté, avec l’expérience, mais d’en même temps faire prévaloir le subjectivisme et le refus d’une lecture de la réalité comme système.

Le temps l’emporte toujours davantage sur l’espace ; il commence à primer dans la compréhension de la réalité. Ce qu’on appelle structuralisme est la théorisation de cette lecture temporelle, une théorisation strictement parallèle à l’émergence du « nouveau roman », de l’art contemporain, du théâtre de l’absurde, de l’ultra-libéralisme comme vecteur des avancées sociétales.

Le processus de genèse du structuralisme est tout à fait similaire à celui de la fin du 19e siècle. C’était alors toute une période de transition, marquant le passage d’une bourgeoisie déjà sortie de son rôle révolutionnaire anti-féodal, mais pas encore établi en tant que classe dominante ayant développée son identité propre, son idéologie en propre, purifiée au maximum des éléments des stades précédents.

Cela souligne un aspect d’importance : celui de la fonction des couches intellectuelles dans la maturation et la mise en place des dispositifs idéologiques.

On ne sera donc nullement étonné qu’avec un capitalisme relancé dans un nouveau cycle après 1945 et l’établissement d’une nouvelle couche d’intellectuels s’appuyant sur des universités en pleine expansion, on ait un retour en force de ces approches modernisatrices, de manière évidemment adaptée aux conditions nouvelles.

C’est là le terrain d’émergence du structuralisme.

Ce dernier apparaît alors comme levier idéologique pour contourner la question de l’analyse de la réalité comme ensemble, comme totalité. De la même manière que la bourgeoisie profite des puissances de l’informatique, afin d’utiliser les statistiques comme moyen de contourner une analyse d’un phénomène dans sa substance, se focalisant sur les résultats au moyen de calculs sophistiqués, elle a cherché à interpréter la réalité, mais petits bouts par petits bouts, dans un souci fonctionnel.

Dessin de Maurice Henry dans La Quinzaine Littéraire du 1er juillet 1967.
Sont caricaturés les figures structuralistes :
Michel Foucault, Jacques Lacan, Claude Lévi-Strauss, Roland Barthes.

Le structuralisme est ainsi, avant tout, un fonctionnalisme ; il est un outil intellectuel ayant une portée pratique, dans le sens d’une gestion d’une partie de la réalité. C’est un pseudo-matérialisme dans sa nature même.

Quelle est son approche ?

Ce qu’on appelle le structuralisme consiste en une méthode existant dans plusieurs domaine de pensée et visant à trouver une « structure » qui serait déterminante pour tel ou tel phénomène.

De telles structures n’ont ni contours définis, ni nature particulière ; cela peut être indifféremment un échange, la main gauche, la parenté, la croyance en le retour d’un prophète particulier, une arme particulière, l’État, le capital, les héritiers, la mer Méditerranée, un lieu particulier, un habitude, une démarche concrète, un rapport concret, une forme, un symbole, etc.

Le rôle du « scientifique » serait de constater de telles structures, ce que le commun des mortels ne pourraitt évidemment pas aux yeux des universitaires, et de les évaluer, de les contextualiser, ce qui attribue aux intellectuels un caractère central unilatéral.

Il s’agit ici de deux aspects essentiels de la méthode dite structuraliste. Tout d’abord, le structuralisme, dans ses exposés, ne cesse de souligner le caractère masqué de la structure, l’impossibilité qu’il y a lieu pour une personne simple, hors du circuit universitaire, à ne serait-ce qu’à l’imaginer, sans parler de la concevoir, la comprendre, etc.

Ensuite, le structuralisme est le vecteur du discours de la primauté de l’évaluateur : l’intellectuel, le journaliste, le philosophe, le sociologue, etc. C’est le culte du spécialiste qui interprète. C’est là son aspect fonctionnel.

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Friedrich Engels sur la cause et l’effet

La cause et l’effet sont des concepts rejetés par le matérialisme dialectique ; voici ici le point de vue de Friedrich Engels.

Ce qui manque à tous ces messieurs, c’est la dialectique. Ils ne voient toujours ici que la cause, là que l’effet.

Que c’est une abstraction vide, que dans le monde réel pareils antagonismes polaires métaphysiques n’existent que dans les crises, mais que tout le grand cours des choses se produit sous la forme d’action et de réaction de forces, sans doute, très inégales, — dont le mouvement économique est de beaucoup la force la plus puissante, la plus initiale, la plus décisive, qu’il n’y a rien ici d’absolu et que tout est relatif, tout cela, que voulez-vous, ils ne le voient pas ; pour eux Hegel n’a pas existé…

Friedrich Engels, Lettre à Conrad Schmidt, 27 octobre 1890

Pour le métaphysicien, les choses et leurs reflets dans la pensée, les concepts, sont des objets d’étude isolés, à considérer l’un après l’autre et l’un sans l’autre, fixes, rigides, donnés une fois pour toutes.

Il ne pense que par antithèses sans moyen terme: il dit oui, oui, non, non; ce qui va au delà ne vaut rien.

Pour lui, ou bien une chose existe, ou bien elle n’existe pas; une chose ne peut pas non plus être à la fois elle même et une autre.

Le positif et le négatif s’excluent absolument; la cause et l’effet s’opposent de façon tout aussi rigide.

Si ce mode de penser nous paraît au premier abord tout à fait évident, c’est qu’il est celui de ce qu’on appelle le bon sens.

Mais si respectable que soit ce compagnon tant qu’il reste cantonné dans le domaine prosaïque de ses quatre murs, le bon sens connaît des aventures tout à fait étonnantes dès qu’il se risque dans le vaste monde de la recherche; et la manière de voir métaphysique, si justifiée et même si nécessaire soit elle dans de vastes domaines dont l’étendue varie selon la nature de l’objet, se heurte toujours, tôt ou tard, à une barrière au delà de laquelle elle devient étroite, bornée, abstraite, et se perd en contradictions insolubles: la raison en est que, devant les objets singuliers, elle oublie leur enchaînement; devant leur être, leur devenir et leur périr: devant leur repos, leur mouvement; les arbres l’empêchent de voir la forêt.

Pour les besoins de tous les jours, nous savons, par exemple, et nous pouvons dire avec certitude, si un animal existe ou non; mais une étude plus précise nous fait trouver que ce problème est parfois des plus embrouillés, et les juristes le savent très bien, qui se sont évertués en vain à découvrir la limite rationnelle à partir de laquelle tuer un enfant dans le sein de sa mère est un meurtre; et il est tout aussi impossible de constater le moment de la mort, car la physiologie démontre que la mort n’est pas un événement unique et instantané, mais un processus de très longue durée.

Pareillement, tout être organique est, à chaque instant, le même et non le même; à chaque instant, il assimile des matières étrangères et en élimine d’autres, à chaque instant des cellules de son corps dépérissent et d’autres se forment; au bout d’un temps plus ou moins long, la substance de ce corps s’est totalement renouvelée, elle a été remplacée par d’autres atomes de matière de sorte que tout être organisé est constamment le même et cependant un autre.

A considérer les choses d’un peu près, nous trouvons encore que les deux pôles d’une contradiction, comme positif et négatif, sont tout aussi inséparables qu’opposés et qu’en dépit de toute leur valeur d’antithèse, ils se pénètrent mutuellement; pareillement, que cause et effet sont des représentations qui ne valent comme telles qu’appliquées à un cas particulier, mais que, dès que nous considérons ce cas particulier dans sa connexion générale avec l’ensemble du monde, elles se fondent, elles se résolvent dans la vue de l’universelle action réciproque, où causes et effets permutent continuellement, où ce qui était effet maintenant ou ici, devient cause ailleurs ou ensuite et vice versa.

Friedrich Engels, L’Anti-Dühring

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Le matérialisme dialectique et la notion de catégorie

La notion de catégorie est indispensable à toute interprétation scientifique du monde. Il s’agit, en effet, pour mieux les comprendre, de dresser une typologie des choses et des phénomènes, de former des catégories.

La formation de ces catégories ne doit toutefois rien au hasard ni à la subjectivité. Historiquement, Platonconsidérait que les catégories préexistaient aux choses, avec des « idées » existant dans un monde « idéal », les choses n’étant que leur reflet. Au Moyen-Âge, la controverse sur le nominalisme, sur la valeur du nom d’une catégorie, tenait au débat et à la remise en cause de cette conception idéaliste.

Le matérialisme considère, quant à lui, historiquement, que les catégories sont formées par la réalité elle-même. L’étymologie du mot catégorie permet de voir qu’il vient du grec, du verbe signifiant « accuser ».

Catégoriser, c’est accuser la matière, c’est-à-dire la définir comme quelque chose ayant des caractéristiques précises, comme par exemple, le lieu, le temps, l’action, la couleur, la quantité, etc. Aristote a joué ici un rôle essentiel dans l’affrontement du matérialisme avec l’idéalisme.

Toutefois, si le matérialisme dialectique considère comme utile cette typologie, il a une autre définition de la catégorie.

Le problème est, en effet, que la définition matérialiste non dialectique de la catégorie ne connaît pas le principe de la transformation. Aristote, par exemple, a bien compris qu’il n’y avait pas de création du monde, et donc pas de première poule ni de premier œuf, seulement cela signifiait qu’il y avait toujours eu des œufs et des poules.

Aristote ne connaissait pas le principe de l’évolution ; en réalité, il n’y a pas de première poule, pas plus qu’il n’y a eu de premier homme et de première femme, les poules sont elles-mêmes le prolongement de dinosaures, qui eux-mêmes sont un prolongement d’autres formes matérielles vivantes les précédant, etc.

Le matérialisme dialectique raisonne, pour cette raison, avec une notion de catégorie qui s’appuie sur le principe du mouvement et non simplement de la typologie. Karl Marx, dans Misère de la philosophie, nous donne la définition suivante :

« Ce qui constitue le mouvement dialectique, c’est la coexistence des deux côtés contradictoires, leur lutte et leur fusion en une catégorie nouvelle. »

Une catégorie, pour le matérialisme dialectique, c’est le fruit de la loi de la contradiction concernant une chose, un phénomène. Le mode de production capitaliste est une catégorie, car il est le fruit de la coexistence, de la lutte et de la fusion de la bourgeoisie avec la féodalité.

De même, le socialisme est une catégorie, car il représente le résultat de la coexistence, de la lutte et de la fusion du prolétariat avec le mode de production capitaliste.

Le principe de la fusion amène le dépassement des aspects contradictoires et c’est pour cela qu’apparaît quelque chose ayant une identité relative nouvelle, une catégorie.

Cette lecture scientifique du principe de catégorie permet de ne pas faire un fétiche du prolétariat et de la bourgeoisie, sous la forme par exemple de « catégories socio-professionnelles », mais de voir qu’ils sont deux aspects d’un même processus, relevant d’une catégorie : le matérialisme dialectique considère que ce sont les modes de production qui sont les catégories et non pas ses éléments.

De la même manière, l’Humanité est une catégorie ; ni les hommes ni les femmes ne forment des catégories en soi, ce qui serait les isoler, abstraitement. Le fruit de la contradiction hommes-femmes est l’Humanité, l’espèce humaine évoluant.

Au principe idéaliste statique d’identité, à la notion matérialiste statique de catégorie-caractéristique, le matérialisme dialectique oppose la catégorie comme résultat d’un saut qualitatif.

Concevoir une catégorie, c’est pour le matérialisme dialectique non pas simplement regarder quelles sont les propriétés de telle ou telle chose, regrouper selon les caractéristiques, mais étudier les processus aboutissant à la production d’une nouvelle chose, d’un nouveau phénomène, et de là former des catégories.

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Le matérialisme dialectique et la pensée-guide

L’une des caractéristiques du mouvement de la matière est le développement inégal. Le développement ne se fait jamais de manière uniforme ; il existe un décalage entre les parties en développement.

Cela tient au fait que la réalité est complexe et qu’il existe des variations, plus ou moins grandes, entre les parties de la réalité, même si à terme ces variations disparaissent avec le saut qualitatif qui a lui une valeur générale.

Le capitalisme ne s’est, par exemple, nullement développé de la même manière et avec la même profondeur, la même intensité, dans tous les pays. La première guerre mondiale impérialiste tient notamment à ce fait que, les impérialismes allemand et austro-hongrois ne disposant que de pratiquement aucune colonie, ils se voyaient obliger de bousculer l’ordre produit par le développement inégal.

On peut penser, tout aussi pareillement, à un verre d’eau dans lequel on verse de la grenadine : certaines parties de l’eau connaissent déjà une union avec la grenadine, alors que d’autres parties restent encore indépendantes pour un petit moment.

Pareillement, quand on réfléchit à un problème, certains aspects nous semblent particulièrement faciles à saisir, alors que d’autres pas du tout. En fonction de notre vécu, de notre expérience, de notre étude, de nos connaissances, etc., il y a des décalages dans la saisie des différents phénomènes (ce que les réactionnaires ne comprennent pas, parlant des différences d’« intelligence »).

Il en va de même pour l’analyse matérialiste dialectique de la réalité. Chaque individu analyse la réalité, mais il faut ici, pour que l’analyse soit juste, complète, que la théorie et la pratique soient hautement développées, avec un haut niveau de synthèse.

Chaque personne n’analyse pas la réalité dans son ensemble, soit par manque de besoin comme pour une personne bourgeoise, par un manque de conscience pour une personne prolétaire. Si le processus d’analyse est lancé, il faut alors que l’ensemble se développe de manière cohérente, avec une base solide.

Étant donné alors que la révolution socialiste (ou de nouvelle démocratie dans les pays opprimés) se déroule dans un cadre national – celui des contradictions du mode de production – il faut donc avoir une haute connaissance de la culture, des mentalités, de la réalité économique, des traditions historiques, de la politique, des développements sociaux en cours.

Cette connaissance ne saurait être théorique uniquement : elle doit au contraire se fonder sur la lutte de classes, sur la pratique, c’est-à-dire sur la rupture politique avec les différents aspects de la domination des classes dominantes. C’est la position idéologique au sein de la lutte des classes – par rapport, en pratique, au mode de production capitaliste et à l’État – qui détermine cela.

On ne peut pas avoir une analyse réelle, correcte, complète de la situation de son pays, si on participe de plain-pied au développement du capitalisme, au renforcement des institutions. C’est dans le combat contre tous les aspects du capitalisme et de l’Etat que c’est possible.

Ce qu’on appelle alors Pensée-Guide dans le matérialisme dialectique, c’est la pensée d’un individu qui a réussi à synthétiser la connaissance matérialiste dialectique de la réalité historique d’un pays. Cette pensée sert de poteau indicateur, fournissant les connaissances théoriques pour déployer une pratique réellement révolutionnaire.

Le cadre historique est expliqué par la Pensée-Guide, guidant les combats présentés comme nécessaires pour changer la réalité selon les nécessités historiques. Les luttes sont guidées par l’expression de l’analyse, de la pensée d’un individu.

Cet individu n’a pas d’intérêt en tant qu’individu : ce qui compte c’est sa position d’avant-garde ; son mérite est d’avoir été en première ligne d’une compréhension qui ne peut que se systématiser dans les masses, de par son caractère juste, de par son juste reflet des conditions matérielles dans leur synthèse.

Ce qui caractérise la Pensée-Guide, c’est qu’elle refléte la réalité matérielle.

Mao Zedong a ainsi développé une Pensée-Guide, assumée par le Parti Communiste de Chine en tant que « pensée Mao Zedong ».

On peut voir que Staline a pratiquement procédé de même avec Lénine, même s’il n’a pas différencié ce qui relevait du léninisme et ce qui relevait de la pensée Lénine spécifique à la Russie.

Staline disait ainsi :

« En ce qui me concerne, je ne suis qu’un élève de Lénine et le but de ma vie est d’être un élève digne de lui. »

Cette mentalité est typique des communistes : le respect des grands contributeurs à la science, au matérialisme dialectique, ne relève pas du « culte de la personnalité », mais de la protection de leurs apports.

« Arborer, défendre, appliquer » la Pensée-Guide, comme l’a formulé le Parti Communiste du Pérou, est ce qui définit les communistes, qui se fonde sur le reflet synthétisé de la réalité produite comme pensée de certains individus au cœur de la lutte des classes.

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Le matérialisme dialectique et le romantisme

L’avènement du mode de production capitaliste a ajouté une dimension individuelle qui n’existait pas auparavant ; le calvinisme a été la grande affirmation de l’existence individuelle, avec ses responsabilités, ses choix, dans une opposition complète au système féodal.

Or, c’est pourtant à travers le système féodal que s’est développé la bourgeoisie, dans la mesure où elle a profité de la monarchie absolue se mettant en place sur une base féodale, mais tendant vers la bourgeoisie dans une part significative.

C’est ce paradoxe qui fait que le calvinisme n’a pas su comment renverser la féodalité, étant lui-même né à travers lui, ne l’identifiant qu’imparfaitement et étant dans l’incapacité de définir ce qu’est le pouvoir d’État, se faisant par conséquent maltraité et brisé par celui-ci, à travers les épisodes des monarchomaques, de l’Édit de Nantes avec Henri IV.

Cela a permis l’affirmation de l’État moderne de Louis XIV, qui est allé de pair avec la réalisation d’un haut niveau de civilisation, d’organisation sociale, qui était absolument nécessaire historiquement pour la production sociale d’une bourgeoisie capable de se développer à la hauteur de ses responsabilités révolutionnaires et d’entrevoir ce qu’est l’État.

Le XVIIIe siècle, siècle des Lumières et de la Révolution française, n’est donc pas explicable sans le XVIIe siècle, le « grand siècle » fondé sur la monarchie absolue, stade le plus développé du féodalisme, ni sans le XVIe siècle, étape historique d’affirmation du capitalisme avec le calvinisme.

Cette trajectoire historique en spirale, comme le définit le matérialisme historique, a été parallèle à deux autres trajectoires ayant souffert de déséquilibres profonds.

A l’inverse d’en France, la bourgeoisie anglaise a accédé trop tôt à une existence sociale reconnue, ce qui est allé de pair avec un compromis relatif avec l’aristocratie anglaise participant au développement du capitalisme, et le maintien de tout un système de valeurs féodales, allant des châtiments corporels au maintien d’une religion semi-catholique.

La bourgeoisie allemande a, quant à elle, accédé trop tard à une existence sociale reconnue, ce qui est allé de pair avec une soumission à l’aristocratie allemande assumant tant la bureaucratie qu’un capitalisme agraire par en haut, avec ainsi le maintien de tout un système de valeurs que synthétisera le national-socialisme.

Pour cette raison, le romantisme a émergé comme phénomène historique tant en Angleterre qu’en Allemagne, correspondant au bouleversement du rapport entre villes et campagnes, entre travail manuel et travail intellectuel.

Le romantisme est l’expression artistique d’une couche sociale urbanisée et petite-bourgeoise, confronté à des changements extrêmement rapides ; la petite-bourgeoisie n’étant pas une classe, le romantisme est une expression fantasmée, une analyse pleine de confusions en quête d’une harmonie fictive, une démarche confuse et en même temps exigeante.

Le romantisme est, de fait, une démarche mystico-religieuse laïcisée.

Au lieu d’avoir comme par le passé des prophètes prétendant exprimer de manière mystico-religieuse l’insatisfaction par rapport à la réalité, on a des individus affirmant leur « moi » tourmenté comme preuve de l’inadéquation de la réalité avec les possibilité d’une vie harmonieuse.

La nature de cette vie harmonieuse dépend de la tendance des couches petites-bourgeoises portant le romantisme à basculer vers l’ancien ou le nouveau, la féodalité ou bien le capitalisme.

Le romantisme anglais a ainsi une orientation esthétisante, de protestation contre le cynisme triomphant du capitalisme conquérant. Son horizon est « ultime » dans sa quête esthétique totale, notamment avec le fantastique (le Frankenstein de Mary Shelley), l’idéalisation de la chevalerie que prolongeront les pré-raphaélites, ainsi que William Morris qui lui se positionnera ouvertement en faveur du communisme, compris de manière romantique tel que c’est exposé dans les Nouvelles de nulle part.

Le romantisme allemand a une orientation ouvertement progressiste à l’initial, exprimant de manière irrationnelle les besoins d’une bourgeoisie trop faible, avec notamment l’éloge de la spontanéité et de la dimension naturelle des rapports humains non policés selon les mœurs aristocratiques ; les grandes figures furent Johann Wolfgang von Goethe et Friedrich Schiller.

L’invasion napoléonienne transformera le romantisme allemand en son contraire, la bourgeoisie devant, pour protéger le cadre national, se lier à la féodalité autrefois combattue .

Il est significatif que pour les nations allemande et anglaise, ce n’est pas la Rome antique qui servait de référence, mais le Moyen-Âge marqué par une spontanéité sociale germanique se voulant plus authentique et concrète. Le romantisme a, dans les cas allemand et anglais, participé à la formation du cadre culturel et idéologique national.

Tel n’a pas été le cas en France ; le romantisme français fut historiquement une récupération ultra-royaliste idéalisant le Moyen-Âge, basculant dans le catholicisme social devant l’effacement de l’aristocratie, comme le montre l’exemple de Victor Hugo.

Honoré de Balzac est un immense auteur justement parce que, s’il est resté romantique, cela a été un prétexte pour une confrontation authentique avec la réalité. Son romantisme est allé jusqu’au bout.

Dans une lettre à l’écrivain Margaret Harkness en 1888, Friedrich Engels constate ainsi :

« Le réalisme, à mon avis, suppose, outre l’exactitude des détails, la représentation exacte des caractères typiques dans des circonstances typiques (…).

Balzac, que j’estime être un maître du réalisme infiniment plus grand que tous les Zola passés, présents et à venir, nous donne dans La Comédie humaine l’histoire la plus merveilleusement réaliste de la société française, [spécialement du monde parisien], en décrivant sous forme d’une chronique de mœurs presque d’année en année, de 1816 à 1848, la pression de plus en plus forte que la bourgeoisie ascendante a exercée sur la noblesse qui s’était reconstituée après 1815 et qui [tant bien que mal] dans la mesure du possible relevait le drapeau de la vieille politesse française […].

Sans doute, en politique, Balzac était légitimiste ; sa grande œuvre est une élégie perpétuelle qui déplore la décomposition irrémédiable de la haute société ; toutes ses sympathies vont à la classe condamnée à disparaître.

Mais malgré tout cela, sa satire n’est jamais plus tranchante, son ironie plus amère que quand il fait précisément agir les aristocrates, ces hommes et ces femmes pour lesquelles il ressentait une si profonde sympathie.

Et [en dehors de quelques provinciaux], les seuls hommes dont il parle avec une admiration non dissimulée, ce sont ses adversaires politiques les plus acharnés, les héros républicains du Cloître Saint-Merri, les hommes qui à cette époque (1830-1836) représentaient véritablement les masses populaires.

Que Balzac ait été forcé d’aller à l’encontre de ses propres sympathies de classe et de ses préjugés politiques, qu’il ait vu l’inéluctabilité de la fin de ses aristocrates chéris, et qu’il les ait décrit comme ne méritant pas un meilleur sort ; qu’il n’ait vu les vrais hommes de l’avenir que là seulement où l’on pouvait les trouver à l’époque, cela, je le considère comme un des plus grands triomphes du réalisme et l’une des caractéristiques les plus marquantes du vieux Balzac. »

Ainsi, le romantisme consiste en une critique fantasmagorique de la réalité, dont la base est petite-bourgeoise.

Il peut soit basculer dans la confrontation avec la réalité, dans le camp de la classe ouvrière, du réalisme, soit basculer dans le mysticisme et l’idéalisation réactionnaire du passé.

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Le matérialisme dialectique et le nucléaire civil et militaire

Le matérialisme dialectique considère que l’Univers est uniquement matériel et qu’il se développe qualitativement. Il n’y a pas de retour en arrière possible de manière générale dans ce processus de synthèse, de complexification.

Pour cette raison, il semble que les communistes d’Union Soviétique et de Chine populaire ont fait une erreur en considérant que l’énergie nucléaire issue de la fission pouvait, dans un cadre civil et non militaire, servir positivement le développement de l’Humanité.

En effet, dans le mouvement de la matière, il existe un processus de complexification appelé la fusion nucléaire, qui se déroule au moyen des étoiles. La nucléosynthèse stellaire donne naissance à la plupart des éléments chimiques, ceux plus légers que le fer l’étant dans un processus aboutissant à l’explosion des étoiles massives, explosion qui donne elle-même naissance à ceux plus lourds que le fer.

Il s’agit d’un processus de combinaison des éléments, pour en former de plus complexes. Voici le tableau indiquant la formation des éléments ; on notera que certains se voient attribués une origine liée au Big Bang, ce dernier concept étant une aberration du point de vue du matérialisme dialectique, qui considère que l’Univers est éternel.

Le principe de l’énergie nucléaire actuelle se fonde sur la fission des atomes et non sur leur fusion, leur synthèse. Il s’agit ici d’un processus de destruction de ce qui a été rendu plus complexe dans un processus naturel.

La nature meurtrière, instable, incontrôlable de l’énergie nucléaire issue de la fission tient justement à cette dimension anti-naturelle. L’exemple de la catastrophe de Tchernobyl, qui a commencé il y a précisément trente années, est un exemple frappant et terrible.

Le principe de la fission nucléaire obéit au principe de retourner en arrière dans le mouvement dialectique de la matière.

Il est significatif que les révisionnistes, partisans du pragmatisme dans la production, aient, une fois parvenus à la tête de pays devenus les social-impérialisme russe et social-fascisme chinois, systématiquement considéré comme incontournable cette énergie nucléaire.

Les révisionnistes ont également contribué à la prolifération de l’utilisation militaire du nucléaire, à l’opposé complet du point de vue communiste prônant son bannissement.

Lors d’une interview en octobre 1951, Staline résuma ainsi le point de vue communiste :

« Il a été procédé récemment chez nous à l’essai d’un des types de la bombe atomique. L’expérimentation de bombes atomiques de différents calibres se poursuivra également à l’avenir d’après le plan de défense de notre pays contre une attaque de la part du bloc agressif anglo-américain (…).

Les personnalités des États-Unis d’Amérique ne peuvent ignorer que l’Union soviétique est non seulement contre l’emploi de l’arme atomique, mais encore pour son interdiction, pour la cessation de sa fabrication.

Comme on le sait, l’Union soviétique a exigé à plusieurs reprises l’interdiction de l’arme atomique mais elle s’est heurtée, chaque fois, à un refus de la part des puissances du bloc Atlantique.

Cela signifie qu’en cas d’agression des États-Unis contre notre pays les milieux gouvernants des États-Unis d’Amérique feront usage de la bombe atomique.

C’est précisément cette circonstance qui a contraint l’Union soviétique à avoir l’arme atomique afin de recevoir les agresseurs dans la plénitude de ses moyens.

Naturellement, les agresseurs voudraient que l’Union soviétique se trouve désarmée en cas d’agression de leur part contre elle.

Mais l’Union soviétique n’est pas de cet avis et pense que c’est dans la plénitude de ses moyens qu’elle doit recevoir l’agresseur (…).

Les personnalités des États-Unis d’Amérique sont mécontentes de ce que le secret de l’arme atomique soit détenu non seulement par les États-Unis d’Amérique mais par d’autres pays également et, en premier lieu, par l’Union soviétique.

Elles voudraient que les États-Unis d’Amérique aient le monopole de la fabrication de la bombe atomique, que les États-Unis d’Amérique aient la possibilité illimitée d’intimider les autres pays et d’user de chantage à leur égard.

Mais quelle raison ont-elles, en somme, de penser ainsi, et quel droit ? L’intérêt du maintien de la paix exige-t-il un tel monopole ?

Ne serait-il pas plus exact de dire que le contraire est vrai, que c’est précisément l’intérêt du maintien de la paix qui exige en premier lieu la liquidation de ce monopole et, ensuite, l’interdiction de l’arme atomique que dans le cas où ils verront qu’ils n’en détiennent plus le monopole (…).

L’Union soviétique est pour l’interdiction de l’arme atomique et pour la cessation de sa fabrication.

L’Union soviétique est pour l’établissement d’un contrôle international afin que la décision sur l’interdiction de l’arme atomique, sur la cessation de la fabrication de cette arme et sur l’emploi exclusivement à des fins civiles des bombes atomiques déjà fabriquées soit observée de la façon la plus stricte et la plus consciencieuse.

L’Union soviétique est précisément pour un tel contrôle international.

Les personnalités américaines parlent également de « contrôle », mais leur « contrôle » entend non la cessation de la fabrication de l’arme atomique mais la continuation de cette fabrication, et cela en des quantités correspondant à la quantité de matières premières dont disposent tels ou tels pays.

Par conséquent, le «contrôle» américain entend non l’interdiction de l’arme atomique mais sa légalisation et sa légitimation. »

A la suite de la prise du pouvoir par la clique révisionniste en 1953, l’URSS est devenu un social-impérialisme ayant systématisé le nucléaire civil et militaire. L’armement atomique fut généralisé, jusqu’à former à un arsenal terrifiant, avec à son apogée pas moins de 45 000 têtes nucléaires.

Cette multiplication d’armes de destruction massive montre bien la contradiction fondamentale du social-impérialisme soviétique avec la ligne de Staline ne fournissant que deux situations possibles pour l’emploi de l’arme atomique : en cas d’attaque nucléaire contre l’URSS, ainsi qu’en cas de menace de destruction du pays lui-même au moyen d’armes conventionnelles, c’est-à-dire une invasion.

La Chine populaire de Mao Zedong assuma exactement la même ligne que l’URSS à ce sujet.

Cette position est indéniablement juste, dans la mesure où elle est strictement défensive et va dans le sens de la bataille pour le bannissement des armes nucléaires.

Cependant, de par sa nature, le nucléaire civil issu de la fission est une erreur du point de vue du matérialisme dialectique. Le principe de la fission divise ce qui doit être encore plus synthétisé et en ce sens, il est anti-historique, opposé à la tendance générale de la matière.

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Les relations sentimentales du point de vue du matérialisme dialectique

Le mot impression vient du latin impressio, signifiant « action d’appuyer sur » ; le radical indo-européen commun per signifiant « frapper ». Or, qu’est-ce qui est frappé ? Justement la matière grise. C’est pour cela qu’on dit que quelqu’un nous a marqué. Notre cerveau, en tant que matière grise, possède son empreinte.

Voilà pourquoi ont tort les personnes prétendant vivre leur vie selon leurs propres « choix », à la mode de l’existentialisme. Ils prétendent que leur esprit « domine » leur corps, niant que l’esprit et le corps ne forment qu’un seul et même ensemble matériel. Dans leur logique, ils pourraient ainsi mettre de côté des impressions, comme bon leur semble.

L’exemple si commun de la vie en société bourgeoise qu’est la personne niant une relation sentimentale du jour au lendemain tient précisément à cela. Elle pense qu’elle peut gérer de manière « libre », « rationnelle » ; se voulant « pur esprit », elle s’imagine pouvoir mettre de côté les sentiments.

C’est naturellement impossible et cette personne se retrouve avec des « cadavres dans le placard », devenant une pure bombe à retardement sur plan sentimental et affectif. En fait, on devrait même dire qu’elle n’est plus qu’un être humain de manière équivoque.

Le thème de la fidélité tient précisément à cette question. Les idéalistes s’imaginent que l’empreinte ne peut être qu’éternelle, les post-modernes qu’elle ne peut être qu’éphémère. En réalité, il s’agit de porter un regard matérialiste sur l’empreinte, et de voir dans quelle mesure elle est « vivante » encore ou non.

Voir une empreinte là où il n’y en a pas ou là il n’y en a plus aboutit à un dérèglement du comportement individuel, car il y a inadéquation entre la réalité reflétée dans l’esprit et le comportement dans cette même réalité.

C’est cela qui faisait dire à Baruch Spinoza que « L’amour n’est rien d’autre qu’une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure ». Ce qu’on appelle l’amour est une représentation idéologique d’une réalité – la joie – reflétée dans l’esprit ; l’amour c’est, en fait, la joie de la joie, le fait d’être joyeux d’être joyeux !

La joie en elle-même, de manière cohérente sur le plan matérialiste, chez Baruch Spinoza, correspond au « passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection » : plus on utilise ses facultés en tant qu’être humain, plus on est épanoui.

Cela sous-tend bien entendu que l’être humain a une essence, décidée par la nature, par l’univers (ce que Baruch Spinoza ici, à son époque, masque sous le vocable de « Dieu » tout en précisant « Dieu ou la nature », les deux termes s’équivalant).

L’idéologie de l’existentialisme nie précisément cette essence, en affirmant de son côté qu’il y a d’abord l’existence, ensuite l’essence : on pourrait choisir qui on est ou qui on devient. D’où les théories post-modernes raisonnant en termes de « transphobie », de « queer », de « genre », de « pansexuel », etc., leur rejet du couple, leur rejet de tout ce qui est universel, leur rejet des Lumières, leur rejet de l’Humanisme, etc.

Du point de vue du matérialisme dialectique à l’opposé, il n’y a pas de « libre-arbitre », le cerveau n’étant qu’une caisse de résonance, les pensées formant un développement dialectique de la matière elle-même, avec notamment les neurones.

Une relation sentimentale ne se commande par conséquent pas : elle s’établit de manière matérialiste, dans les faits, dans la réalité, elle se reconnaît à son empreinte, et être matérialiste c’est l’assumer. Comme le dit l’adage, on tombe amoureux quand on s’y attend le moins.

Le drame de la société bourgeoisie est que justement par opportunisme, par obéissance au principe d’accumulation du capital, des individus réfutent leurs propres sentiments.

Il faut ici bien noter que les idéologies post-modernes prétendent combattre le capitalisme, mais poussent en réalité son raisonnement individualiste jusqu’au bout, en individualisant au maximum les individus.

L’idéologie post-moderne n’est qu’une réponse particulière, individuelle, à un problème d’ordre général. Elle nie le couple en prétendant combattre le capitalisme, alors qu’elle ne fait que pousser la logique capitaliste jusqu’au bout. Au couple instable du capitalisme, elle fait un fétiche de l’instabilité.

A cela on ne peut qu’opposer le romantisme révolutionnaire : un couple ne peut s’épanouir, dans notre société, qu’en levant la bannière de la sincérité et de l’authenticité, car pour être lui-même réel, authentique, honnête, il doit combattre culturellement et idéologiquement les valeurs dominantes.

Un couple authentique ne saurait rester stable dans une société capitaliste : il est rongé, attaqué de toutes parts par les appels opportunistes. Sans compréhension de cela, il y a effondrement ; l’amertume de bien des couples échouant provient de cette incompréhension idéologique de ce qui s’est passé.

C’est pourquoi ici les films hollywoodiens font l’éloge des couples petits-bourgeois new yorkais : à l’abri du grand capitalisme mais également éloigné du prolétariat, le couple pourrait faire son « cocon ».

Il va sans dire que c’est le rêve d’une immense part de la population française, plus exactement des jeunes s’établissant en tant qu’adultes dans la vie sociale.

Il y a une part de dignité du réel, car il s’agit de se protéger et de protéger une relation sentimentale ; en même temps, c’est une fuite, une tentative illusoire de vivre à côté de la société. Ce qui se déroule alors est un processus où le couple devient autocentré, et ne possédant forcément pas la force de vivre indépendamment du reste du monde, il va à l’effondrement par l’absence de production culturelle.

La réponse est alors de faire des enfants, dans l’idée de cimenter la relation, mais aussi d’intégrer la société sans l’intégrer, par des « intermédiaires ». Là encore c’est une illusion, car les enfants sont victimes de projection, ne sont pas éduqués car les parents sont autocentrés et basculent dans l’immaturité, alors que de toutes manières la société en pleine décadence formate les enfants dans un cadre ultra-individualiste.

On a là un drame tout à fait actuel, au cœur même de la société française ; c’est quelque chose qui devrait être représenté dans les arts et les lettres, au moyen du réalisme socialiste.

Ce serait là aider à la prise de conscience de ce qui est réel et ainsi servir le peuple, mais aussi combattre le fascisme qui profit des déceptions des gens cherchant de manière immature à être enchantés par le capitalisme.

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