Staline : Pour une formation bolchévik

Défauts du travail du Parti et mesures à prendre pour liquider les gens à double face, trotskistes et autres.

Des rapports que nous avons entendus à l’Assemblée plénière et des débats qui les ont suivis, il apparaît que nous avons affaire aux trois faits principaux suivants :

Premièrement, le travail de sabotage, d’espionnage et de diversion des agents des Etats étrangers, parmi lesquels les trotskistes jouaient un rôle assez actif, a plus ou moins touché toutes ou presque toutes nos organisations, aussi bien économiques qu’administratives et du Parti.

Deuxièmement, des agents des Etats étrangers, et parmi eux des trotskistes, se sont glissés non seulement dans les organisations de base, mais aussi à certains postes responsables.

Troisièmement, certains de nos dirigeants, au centre comme en province, non seulement n’ont pas su discerner le vrai visage de ces saboteurs, agents de diversion, espions et assassins, mais se sont montrés insouciants, débonnaires et naïfs au point qu’ils ont souvent eux-mêmes contribué à faire accéder les agents des Etats étrangers à tels ou tels postes responsables.

Tels sont les trois faits incontestables qui découlent naturellement des rapports et des débats qui les ont suivis.

 I. Insouciance politique

Comment expliquer que nos dirigeants, qui ont une riche expérience de la lutte contre les courants hostiles au Parti et antisoviétiques de tout genre, se soient montrés en l’occurrence si naïfs et si aveugles qu’ils n’ont pas su discerner le vrai visage des ennemis du peuple, qu’ils n’ont pas su reconnaître les loups déguisés en moutons, qu’ils n’ont pas su leur arracher le masque ?

Peut-on affirmer que l’action de sabotage, d’espionnage et de diversion des agents des Etats étrangers oeuvrant sur le territoire de l’U.R.S.S., puisse être pour nous quelque chose d’inattendu, qui ne s’est jamais vu ? Non, on ne saurait l’affirmer.

Témoins les actes de sabotage commis dans les diverses branches de l’économie nationale au cours des dix dernières années, depuis l’époque de l’affaire de Chakhti, et qui « ont enregistrés dans des documents officiels.

Peut-on affirmer que ces derniers temps aucun signal ne nous ait mis en garde, ni averti au sujet de l’activité de sabotage, d’espionnage ou de terrorisme des agents trotskistes-zinoviévistes du fascisme ? Non, on ne saurait l’affirmer.

Il y a eu de ces signaux et les bolcheviks n’ont pas le droit de les oublier. L’assassinat scélérat de Kirov fut le premier avertissement sérieux attestant que les ennemis du peuple allaient jouer double jeu et que, ce faisant, ils se camoufleraient en bolcheviks, en membres du Parti pour gagner la confiance et s’ouvrir l’accès de nos organisations.

Le procès du « Centre de Léningrad », de même que le procès « Zinoviev-Kaménev » ont donné un nouveau fondement aux leçons qui découlaient de l’assassinat scélérat de Kirov.

Le procès du « Bloc zinoviéviste-trotskiste » a amplifié les enseignements des procès antérieurs et montré, en toute évidence, que les zinoviévistes et les trotskistes groupent autour d’eux tous les éléments bourgeois hostiles, qu’ils sont devenus une agence d’espionnage, de diversion et de terreur de la Gestapo allemande, que le double jeu et le camouflage sont pour les zinoviévistes et les trotskistes l’unique moyen de pénétrer dans nos organisations, que la vigilance et la perspicacité politique constituent le moyen le plus sûr pour empêcher cette pénétration, pour liquider la bande zinoviéviste-trotskiste.

Dans sa lettre confidentielle du 18 janvier 1935, relative à l’assassinat scélérat de Kirov, le Comité central du Parti communiste de l’U.R.S.S. mettait résolument les organisations du Parti en garde contre la bénignité politique et la badauderie philistine.

Voici ce que dit cette lettre confidentielle :

Il faut en finir avec la bénignité opportuniste qui part de cette supposition erronée qu’à mesure que nos forces croissent, l’ennemi deviendrait plus apprivoisé et inoffensif.

Cette supposition est foncièrement erronée. Elle est un relent de la déviation de droite, assurant à tous et a chacun que les ennemis s’intégreront tout doucement dans le socialisme, qu’ils deviendront en définitive de véritables socialistes.

Il n’appartient pas aux bolcheviks de se reposer sur leurs lauriers et de bayer aux corneilles. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas la bénignité, mais la vigilance, la véritable vigilance révolutionnaire bolchevik.

Il ne faut pas oublier que plus la situation des ennemis sera désespérée et plus volontiers ils se raccrocheront aux moyens extrêmes, comme unique recours de gens voués à leur perte dans leur lutte contre le pouvoir soviétique. Il faut s’en souvenir et être vigilant.

Dans sa lettre confidentielle du 29 juillet 1936, sur l’activité terroriste et d’espionnage du Bloc trotskiste-zinoviéviste, le Comité central du Parti communiste de l’U.R.S.S. appelait de nouveau les organisations du Parti à déployer le maximum de vigilance, à savoir reconnaître les ennemis du peuple, si habilement masqués fussent-ils.

Voici ce que dit la lettre confidentielle :

Maintenant que la preuve a été faite que, dans la lutte contre le pouvoir des Soviets, les monstres trotskistes-zinoviévistes groupent tous les ennemis jurés, les ennemis les plus haineux des travailleurs de notre pays, – espions, provocateurs, fauteurs de diversion, gardes blancs, koulaks, etc., et qu’entre ces éléments, d’une part, et les trotskistes et les zinoviévistes de l’autre, toutes les démarcations se sont effacées, – toutes nos organisations du Parti, tous les membres du Parti doivent comprendre que la vigilance des communistes est indispensable sur tous les secteurs et dans toutes les conditions. La qualité indispensable à tout bolchevik, dans les conditions présentes, doit être la capacité de reconnaître l’ennemi du Parti, si bien masqué qu’il soit.

Ainsi donc, il y a eu signaux et avertissements.

A quoi appelaient ces signaux et avertissements ?

Ils appelaient à liquider la faiblesse du travail d’organisation dans le Parti à faire du Parti une forteresse inexpugnable où pas un homme à double face ne pût pénétrer.

Ils appelaient à en finir avec la sous-estimation du travail politique du Parti et à opérer un tournant décisif, destiné à renforcer la vigilance politique.

Eh bien ? Les faits ont montré que, pour entendre ces avertissements et signaux, nos camarades avaient l’oreille plus que dure.

C’est ce qu’attestent avec éloquence les faits connus de tous, empruntés à la campagne pour la vérification et l’échange des cartes du Parti.

Comment expliquer que ces avertissements et signaux n’aient pas eu l’effet voulu ?

Comment expliquer que nos camarades du Parti, malgré leur expérience de la lutte contre les éléments antisoviétiques, malgré toute une série de signaux et de mises en garde, se soient montrés politiquement des myopes, en présence de l’action de sabotage, d’espionnage et de diversion des ennemis du peuple ?

Peut-être, nos camarades du Parti ont-ils perdu les qualités qu’ils avaient autrefois, sont-ils devenus moins conscients et moins disciplinés ? Non, certes non.

Peut-être, sont-ils en voie de dégénérescence ? Non plus ! Une telle supposition est dénuée de tout fondement.

Mais alors ? D’où viennent cette badauderie, cette insouciance, cette bénignité, cette cécité ?

La vérité est que nos camarades du Parti, emportés par les campagnes économiques et les succès prodigieux remportés sur le front de l’édification économique, ont simplement oublié certains faits très importants que les bolcheviks n’ont pas le droit d’oublier.

Ils ont oublié un fait essentiel touchant la situation internationale de l’U.R.S.S., et ils n’ont pas remarqué deux faits très importants qui sont en rapport direct avec les actuels saboteurs, espions, agents de diversion et assassins, lesquels s’abritent derrière la carte du Parti et se déguisent en bolcheviks.

 II. Encerclement capitaliste

Quels sont donc les faits qu’ont oubliés ou que n’ont simple ment pas remarqués nos camarades du Parti ?

Ils ont oublié que le pouvoir des Soviets n’a triomphé que sur un sixième du globe, que les cinq sixièmes du globe sont la possession des Etats capitalistes. Ils ont oublié que l’Union soviétique se trouve dans l’encerclement capitaliste.

On a coutume, chez nous, de bavarder sur l’encerclement capitaliste ; mais, pour ce qui est de réfléchir à ce qu’est cette chose-là, l’encerclement capitaliste, on s’y refuse. L’encerclement capitaliste n’est pas une phrase creuse, c’est une chose très réelle et fort désagréable.

L’encerclement capitaliste, cela veut dire qu’il existe un pays, l’Union soviétique, qui a instauré chez lui l’ordre socialiste, et qu’il existe, en outre, un grand nombre de pays, pays bourgeois, qui continuent à mener un genre de vie capitaliste et qui encerclent l’Union soviétique, guettant une occasion de l’attaquer, de la briser ou, en tout cas, de saper sa puissance et de l’affaiblir.

Ce fait essentiel, nos camarades l’ont oublié. Et c’est pourtant bien lui qui détermine la base des relations entre l’encerclement capitaliste et l’Union soviétique.

Prenons, par exemple, les Etats bourgeois. Des gens naïfs pourraient croire qu’il n’existe entre eux que de bonnes relations, comme entre Etats d’un seul et même type.

Mais, seuls, des gens naïfs peuvent penser ainsi. En réalité, les rapporta entre ces Etats sont loin d’être des rapports de bon voisinage.

Il a été démontré, comme deux fois deux font quatre, que les Etats bourgeois se dépêchent mutuellement, sur leurs arrières, leurs espions, leurs saboteurs, leurs agents de diversion, et, parfois aussi, leurs assassins ; qu’ils leur donnent comme tâche de s’insinuer dans les établissements et entreprises de ces Etats, et les noyauter, et, « en cas de nécessité », de faire sauter les arrières de ces Etats, pour les affaiblir et saper leur puissance.

Il en est ainsi à l’heure présente.

Il en fut ainsi dans le passé également. Prenons, par exemple, les Etats européens de l’époque de Napoléon Ier. La France grouillait alors d’espions et d’agents de diversion, venus du camp des Russes, Allemands, Autrichiens, Anglais.

Et, inversement, l’Angleterre, les Etats d’Allemagne, l’Autriche, la Russie avaient alors sur leurs arrières un nombre non moins grand d’espions et d’agents de diversion du camp français.

Par deux fois, les agents de l’Angleterre attentèrent à la vie de Napoléon et ils soulevèrent à plusieurs reprises les paysans vendéens, en France, contre le gouvernement de Napoléon.

Et qu’était le gouvernement de Napoléon ? Un gouvernement bourgeois qui étouffa la Révolution française et conserva seulement les résultats de la révolution qui étaient avantageux pour la grosse bourgeoisie.

Il va de soi que le gouvernement de Napoléon n’était pas en reste avec ses voisins et lui aussi prenait des mesures de diversion. Il en était ainsi autrefois, il y a de cela cent trente ans.

Il en est ainsi maintenant, cent trente ans après Napoléon Ier. A l’heure actuelle, la France et l’Angleterre grouillent d’espions et d’agents de diversion allemands ; et, inversement, les espions et agents de diversion anglo-français agissent, de leur côté, en Allemagne.

Les Etats-Unis d’Amérique grouillent d’espions et d’agents de diversion japonais, et le Japon d’espions et d’agents de diversion américains.

Telle est la loi des rapports entre Etats bourgeois.

On se demande pourquoi les Etats bourgeois devraient observer envers l’Etat soviétique socialiste une attitude plus délicate et de meilleur voisinage qu’envers les Etats bourgeois de même type qu’eux ?

Pourquoi doivent-ils dépêcher à l’arrière de l’Union soviétique moins d’espions, de saboteurs, d’agents de diversion et d’assassins qu’ils n’en ont sur les arrières des Etats bourgeois congénères ? Où avez-vous été chercher cela ?

Ne serait-il pas plus juste de supposer, du point de vue marxiste, que les Etats bourgeois doivent dépêcher à l’arrière de l’Union soviétique deux fois et trois fois plus de saboteurs, d’espions, d’agents de diversion et d’assassins qu’ils n’en envoient à l’arrière de n’importe quel Etat bourgeois ?

N’est-il pas clair que tant qu’existe l’encerclement capitaliste, existeront chez nous les saboteurs, les espions, les agents de diversion et les assassins dépêchés à l’arrière de notre pays par les agents des Etats étrangers ?

Tout cela, nos camarades du Parti l’avaient oublié ; ils ont été pris au dépourvu.

Voilà pourquoi l’activité de diversion et d’espionnage des agents trotskistes de la police secrète japonaise et allemande a été une chose tout à fait inattendue pour certains de nos camarades.

 III. Le trotskisme de nos jours

Poursuivons. Dans la lutte qu’ils mènent contre les agents trotskistes, nos camarades du Parti n’ont pas remarqué, ont laissé échapper le fait que le trotskisme actuel n’est plus ce qu’il était, disons, sept ou huit ans plus tôt ; que le trotskisme et les trotskistes ont passé durant ce temps par une sérieuse évolution qui a modifié à fond le visage du trotskisme ; qu’en conséquence, la lutte contre le trotskisme, les méthodes de lutte contre ce dernier, doivent être radicalement changées.

Nos camarades du Parti n’ont pas remarqué que le trotskisme a cessé d’être un courant politique dans la classe ouvrière ; que, de courant politique qu’il était sept ou huit ans plus tôt, le trotskisme est devenu une bande forcenée et sans principes de saboteurs, d’agents de diversion et d’assassins agissant sur ordre des services d’espionnage des Etats étrangers.

Qu’est-ce qu’un courant politique dans la classe ouvrière ?

Un courant politique dans la classe ouvrière, c’est un groupe ou un parti qui a sa physionomie politique propre, nettement déterminée, une plate-forme, un programme ; qui ne cache pas et ne peut cacher sa façon de voir à la classe ouvrière, la préconise ouvertement et honnêtement, sous les yeux de la classe ouvrière ; qui ne craint pas de montrer sa physionomie politique à la classe ouvrière, ni de faire la démonstration de ses buts et objectifs réels devant la classe ouvrière, mais qui, au contraire, va à celle-ci, le visage découvert, pour la convaincre de la justesse de son point de vue.

Dans le passé, il y a de cela sept ou huit ans, le trotskisme était au sein de la classe ouvrière un des courants politiques de ce genre anti-léniniste, il est vrai, et partant profondément erroné, mais malgré tout un Gourant politique.

Peut-on dire que le trotskisme actuel, par exemple, le trotskisme de 1936, soit un courant politique dans la classe ouvrière ?

Non, on ne peut le dire.

Pourquoi ? Parce que les trotskistes de nos jours craignent de montrer à la classe ouvrière leur vrai visage ; parce qu’ils craignent de lui découvrir leurs buts et objectifs réels ; parce qu’ils cachent soigneusement à la classe ouvrière leur physionomie politique, de peur que si la classe ouvrière apprend leurs véritables intentions, elle les maudisse comme des hommes qui lui sont étrangers et les chasse loin d’elle.

Ainsi, s’explique que, à proprement parler, la méthode essentielle de l’action trotskiste ne soit pas aujourd’hui la propagande ouverte et loyale de ses points de vue au sein de la classe ouvrière, mais leur camouflage, la louange obséquieuse et servile des points de vue de ses adversaires, la façon pharisaïque et hypocrite de traîner dans la boue ses propres points de vue.

Au procès de 1936, si vous vous en souvenez, Kaménev et Zinoviev ont catégoriquement nié avoir une plate-forme politique quelconque. Ils avaient la pleine possibilité de développer pendant le procès leur plate-forme politique.

Or, ils ne l’ont pas fait ; ils ont déclaré n’avoir aucune plate-forme politique.

Il ne fait pas doute que tous deux mentaient lorsqu’ils niaient avoir une plate-forme. Aujourd’hui, les aveugles eux-mêmes voient qu’ils avaient une plate- forme politique à eux.

Mais pourquoi ont-ils nié avoir une plate- forme politique ?

Parce qu’ils craignaient de découvrir leur vrai visage politique, parce qu’ils craignaient de montrer leur plate- forme réelle de restauration du capitalisme en U.R.S.S., de peur qu’une telle plate-forme provoque l’aversion de la classe ouvrière.

Au procès de 1937, Piatakov, Radek et Sokolnikov ont pris un autre chemin. Ils n’ont pas nié l’existence d’une plate-forme politique chez les trotskistes et les zinoviévistes.

Ils ont reconnu que ceux- ci avaient une plate-forme politique déterminée ; ils ont reconnu et développé celle-ci dans leurs déclarations.

Mais s’ils l’ont développée, ce n’était point pour appeler la classe ouvrière, pour appeler le peuple à soutenir la plate-forme trotskiste, mais pour la maudire et la stigmatiser comme plateforme antipopulaire et anti- prolétarienne.

Restauration du capitalisme, liquidation des kolkhoz et des sovkhoz, rétablissement du système d’exploitation ; alliance avec les forces fascistes de l’Allemagne et du Japon pour hâter le déclenchement d’une guerre contre l’Union soviétique ; lutte pour la guerre et contre la politique de paix ; démembrement territorial de l’Union soviétique, l’Ukraine devant être livrée aux Allemands et la Province maritime aux Japonais ; préparation de la défaite militaire de l’Union soviétique au cas où elle serait attaquée par les Etats ennemis ; et, comme moyen d’atteindre ces buts : sabotage, diversion, terrorisme individuel contre les dirigeants du pouvoir des Soviets, espionnage au profit des forces fascistes nippo-allemandes, telle est la plate-forme politique du trotskisme actuel, exposée par Piatakov, Radek et Sokolnikov.

On comprend qu’une telle plate-forme, les trotskistes ne pouvaient pas ne pas la cacher au peuple, à la classe ouvrière.

Et ils ne la cachaient pas seulement à la classe ouvrière, mais aussi à la masse trotskiste, et non seulement à la masse trotskiste, mais aussi à l’équipe dirigeante des trotskistes, composée d’une petite poignée de trente à quarante hommes.

Lorsque Radek et Piatakov ont demandé à Trotski l’autorisation de réunir une petite conférence de trente à quarante trotskistes, afin de les informer du caractère de cette plate-forme, Trotski le leur a interdit, en déclarant qu’il n’était pas rationnel d’exposer le caractère réel de la plate- forme, même à une petite poignée de trotskistes, une « opération » de ce genre pouvant provoquer la scission.

Des « hommes politiques » qui cachent leurs convictions, leur plate- forme non seulement à la classe ouvrière, mais aussi à la masse trotskiste, et non seulement à la masse trotskiste, mais aussi à l’équipe dirigeante des trotskistes : telle est la physionomie du trotskisme de nos jours.

Il s’ensuit que le trotskisme actuel ne peut plus être appelé un courant politique dans la classe ouvrière.

Le trotskisme de nos jours n’est pas un courant politique dans la classe ouvrière, mais une bande sans principes et sans idéologie de saboteurs, d’agents de diversion et de renseignements, d’espions, d’assassins, une bande d’ennemis jurés de la classe ouvrière, une bande à la solde des services d’espionnage des Etats étrangers.

Tel est le résultat incontestable de l’évolution du trotskisme au cours des sept ou huit dernières années. Telle est la différence entre le trotskisme d’autrefois et le trotskisme d’aujourd’hui. L’erreur de nos camarades du Parti, c’est qu’ils n’ont pas remarqué cette différence profonde entre le trotskisme d’autrefois et le trotskisme d’aujourd’hui.

Ils n’ont pas remarqué que les trotskistes ont depuis longtemps cessé d’être des hommes d’idées ; que, depuis longtemps, les trotskistes sont devenus des bandits de grand chemin capables de toutes les vilenies, de toutes les infamies, jusques et y compris l’espionnage et la trahison directe de leur patrie, pourvu qu’ils puissent faire du tort à l’Etat soviétique et au pouvoir des Soviets. Nos camarades ne l’ont pas remarqué et n’ont pas su, pour cette raison, se réorganiser en temps opportun pour engager la lutte contre les trotskistes d’une manière nouvelle, d’une façon plus énergique.

Voilà pourquoi les ignominies commises par les trotskistes, en ces dernières années, ont été une chose tout à fait inattendue pour certains de nos camarades du Parti.

Poursuivons.

Nos camarades du Parti n’ont pas remarqué, enfin, qu’il existe une différence essentielle, d’une part entre les actuels saboteurs et agents de diversion, parmi lesquels les agents trotskistes du fascisme jouent un rôle actif, et les saboteurs et agents de diversion de l’époque de l’affaire de Chakhti, d’autre part.

Premièrement. Les saboteurs de Chakhti et les membres du Parti industriel étaient pour nous des hommes franchement étrangers.

C’étaient, pour la plupart, d’anciens propriétaires d’entreprises, d’anciens administrateurs des patrons d’autrefois, d’anciens associés de vieilles sociétés anonymes où simplement de vieux socialistes bourgeois qui, au point de vue politique, « nous étaient » franchement hostiles.

Aucun d’entre nous ne doutait du vrai visage politique de ces messieurs.

Au reste, les hommes de Chakhti eux-mêmes ne dissimulaient pas leur attitude hostile envers le régime soviétique. On ne saurait en dire autant des actuels saboteurs et agents de diversion, des trotskistes : ce sont, pour la plupart, des membres du Parti, qui ont en poche la carte du Parti ; par conséquent, des hommes qui, officiellement, ne nous sont pas étrangers.

Si les vieux saboteurs agissaient contre nos hommes, les nouveaux saboteurs, au contraire, leur font des courbettes, font l’éloge de nos hommes, rampent devant nos hommes pour gagner leur confiance.

La différence, comme vous le voyez, est essentielle.

Deuxièmement.

Ce qui faisait la force des saboteurs de Chakhti et des membres du Parti industriel, c’est qu’ils possédaient, à un degré plus ou moins grand, les connaissances techniques nécessaires, tandis que nos hommes à nous, qui n’avaient pas ces connaissances, étaient contraints de se mettre â leur école.

Cela donnait un grand avantage aux saboteurs de l’époque de Chakhti, cela leur permettait de nuire en toute liberté et sans obstacle, cela leur permettait de tromper nos hommes techniquement. Il en va autrement des saboteurs de nos jours, des trotskistes.

Les saboteurs d’aujourd’hui n’ont aucun avantage technique sur nos hommes.

Au contraire, au point de vue technique, nos hommes sont mieux préparés que les saboteurs actuels, que les trotskistes.

Dans l’intervalle de l’époque de Chakhti à nos jours, de véritables cadres bolcheviks techniquement ferrés ont grandi chez nous et comptent des dizaines de milliers d’hommes.

On pourrait nommer des milliers et des dizaines de milliers de dirigeants bolcheviks qui se sont développés au point de vue technique et en comparaison desquels tous ces Piatakov et ces Livchitz, ces Chestov et Bogouslavski, ces Mouralov et Drobnis, ne sont que de vains bavards et des blancs-becs sous le rapport de la formation technique.

Qu’est-ce qui fait donc la force des saboteurs actuels ?

Leur force réside dans la carte du Parti, dans la possession de la carte du Parti.

Leur force c’est que la carte du Parti leur donne la confiance politique et leur ouvre accès à tous nos établissements et organisations. Leur avantage, c’est que, possédant cette carte et se faisant passer pour les amis du pouvoir des Soviets, ils trompaient nos hommes politiquement, abusaient de leur confiance, nuisaient en sous-main et dévoilaient nos secrets d’Etat aux ennemis de l’Union soviétique.

« Avantage » douteux quant à sa valeur politique et morale, mais « avantage » qui, en somme, explique le fait que les saboteurs trotskistes, comme possesseurs de la carte du Parti et ayant accès à tous les postes de nos établissements et organisations, ont été une véritable aubaine pour les services d’espionnage des Etats étrangers.

L’erreur de certains de nos camarades du Parti, c’est qu’ils n’ont pas remarqué, qu’ils n’ont pas compris toute cette différence entre les anciens et les nouveaux saboteurs, entre les hommes de Chakhti et les trotskistes, et, ne rayant pas remarquée, ils n’ont pas su se réorganiser en temps opportun pour engager leur lutte, d’une manière nouvelle, contre les nouveaux saboteurs.

 IV. Les côtés négatifs des succès économiques

Tels sont les faits principaux touchant notre situation internationale et intérieure, que nombre de nos camarades du Parti ont oubliés ou n’ont pas remarqués.

Voilà pourquoi nos gens ont été pris au dépourvu par les événements des dernières années, en ce qui concerne le sabotage et les actes de diversion.

On peut demander : mais pourquoi nos hommes n’ont-ils pas remarqué tout cela, pourquoi ont-ils oublié toutes ces choses t D’où viennent cette amnésie, cette cécité, cette insouciance, cette bénignité ? N’est-ce pas là un vice organique dans le travail de nos hommes ?

Non, ce n’est pas un vice organique. C’est un phénomène temporaire, qui peut être rapidement liquidé à la condition que nos hommes fassent certains efforts.

Mais alors, de quoi s’agit-il ?

La vérité est que, ces dernières années, nos camarades du Parti étaient entièrement absorbés par le travail économique, les succès économiques les exaltaient à l’extrême ; devant cette exaltation, ils ont oublié toute autre chose, délaissé tout le reste.

La vérité est qu’étant exaltés par les succès économiques, ils y ont vu le commencement et la fin de tout ; quant aux problèmes touchant la situation internationale de l’Union soviétique, l’encerclement capitaliste, le renforcement du travail politique du Parti, la lutte contre le sabotage, etc., ils ont simplement cessé d’y faire attention, estimant que toutes ces questions sont choses de deuxième et même de troisième ordre.

Certes, les succès et les réalisations sont une grande chose.

Nos succès dans le domaine de l’édification socialiste sont immenses en effet.

Mais les succès, comme tout ce qui existe au monde, ont aussi leurs ombres. Les grands succès et les grandes réalisations font souvent naître chez des hommes peu rompus a la politique l’insouciance, la bénignité, le contentement de soi, une assurance excessive, la suffisance, la vantardise, vous ne pouvez nier que, ces derniers temps, les vantards pullulent chez nous.

Il n’est pas étonnant que, dans cette ambiance de grands et sérieux succès dans le domaine de l’édification socialiste, des tendances se font jour à la fanfaronnade, à la démonstration pompeuse de nos succès, des tendances à sous-estimer les forces de nos ennemis et à surestimer nos propres forces et, comme conséquence de tout cela, la cécité politique se manifeste.

A ce propos, je dois dire quelques mots sur les dangers liés aux succès, sur les dangers liés aux réalisations.

Les dangers liés aux difficultés, nous les connaissons par expérience.

Voilà plusieurs années que nous menons la lutte contre les dangers de ce genre, et, il faut le dire, non sans succès. Les dangers liés aux difficultés font souvent naître chez les gens instables des tendances à l’abattement, au manque de foi en leurs forces, des tendances au pessimisme.

Et, au contraire, là où il s’agit de vaincre les dangers résultant des difficultés, les hommes se trempent dans cette lutte et en sortent de véritables bolcheviks de silex. Telle est la nature des dangers liés aux difficultés. Tels sont les résultats que donne la lutte menée pour triompher des difficultés.

Mais il est un autre genre de dangers, dangers liés aux succès, liés aux réalisations. Parfaitement, des dangers liés aux succès, aux réalisations.

Ces dangers consistent en ceci : chez les hommes peu rompus à la politique et n’ayant pas beaucoup d’expérience, l’ambiance des succès, – succès sur succès, réalisation sur réalisation, dépassement de plan sur dépassement de plan, – engendre des tendances à l’insouciance et au contentement de soi, crée une atmosphère de solennité, d’apparat et de félicitations mutuelles qui tue le sens de la mesure et émousse le flair politique, désaimante les hommes et les incite à se reposer sur leurs lauriers.

Il n’est pas étonnant que dans cette atmosphère grisante de suffisance et de contentement de soi, que dans cette atmosphère de démonstrations pompeuses et de tapageuses louanges réciproques, les gens oublient certains faits essentiels d’une importance primordiale pour les destinées de notre pays ; les gens commencent à ne pas remarquer des choses désagréables comme l’encerclement capitaliste, les nouvelles formes de sabotage, les dangers attachés à nos succès, etc. Encerclement capitaliste ? Bah ! mais c’est une bagatelle !

Quelle importance peut bien avoir un encerclement capitaliste, si nous accomplissons et dépassons nos plans économiques ? Nouvelles formes de sabotage, lutte contre le trotskisme ? Bêtises que tout cela !

Quelle importance peuvent bien avoir toutes ces vétilles, si nous accomplissons et dépassons nos plans économiques ? Statut du Parti, caractère électif des organes du Parti, devoir pour les dirigeants du Parti de rendre compte de leur mandat devant la masse des militants du Parti ? Mais tout cela est-il bien nécessaire ?

D’une façon générale, est-ce la peine de perdre son temps à ces vétilles, si notre économie croît, et si la situation matérielle des ouvriers et des paysans s’améliore de plus en plus ? Bêtises que tout cela !

Nous dépassons nos plans, nous avons un Parti qui n’est pas mal ; le Comité central du Parti n’est pas mal non plus. Du diable si nous avons besoin d’autre chose ?

Drôles de gens que ceux qui siègent là-bas à Moscou, au Comité central du Parti : ils inventent un tas de problèmes, ils discutent d’on ne sait quel sabotage, ils ne dorment pas eux-mêmes et empêchent les autres de dormir…

Voilà un exemple démonstratif de la facilité et de la « simplicité » avec laquelle certains de nos camarades sans expérience, emportés par le vertige des succès économiques, contractent la cécité politique.

Tels sont les dangers liés aux succès, aux réalisations. Voilà ce qui fait que nos camarades du Parti, s’étant laissés emporter par les succès économiques, ont oublié les faits d’ordre international et intérieur, dont l’importance est essentielle pour l’Union soviétique et n’ont pas remarqué tout un ensemble de dangers qui entourent notre pays.

Telles sont les racines de notre insouciance, de notre amnésie, de notre bénignité, de notre cécité politique.

Telles sont les racines des défauts de notre travail économique et du Parti.

 V. Nos tâches

Comment liquider ces défauts de notre travail ?

Que faut-il faire pour cela ?

Il est nécessaire de réaliser les mesures suivantes :

1. – Il faut avant tout orienter l’attention de nos camarades du Parti, qui restent embourbés dans les « questions courantes » de tel ou tel service, vers les grandes questions politiques d’ordre international et intérieur.

2. – Il faut élever le travail politique de notre Parti au niveau nécessaire, en plaçant au premier plan l’instruction politique et la trempe bolchevik des cadres du Parti, de l’Etat et de l’économie nationale.

3. – Il faut expliquer à nos camarades du Parti que les succès économiques, dont l’importance est incontestablement très grande, et auxquels nous continuerons à travailler de jour en jour, d’année en année, n’épuisent cependant pas tous les problèmes de notre édification socialiste.

Expliquer que les côtés négatifs des succès économiques, qui sont le contentement de soi, l’insouciance, l’émoussement du flair politique, ne peuvent être liquidés que si, aux succès économiques s’ajoutent les succès de l’édification du Parti et d’un vaste travail politique de notre Parti.

Expliquer que les succès économiques eux-mêmes, leur solidité et leur durée dépendent entièrement et sans réserve des succès du travail d’organisation et du travail politique du Parti ; qu’en l’absence de ces conditions, les succès économiques peuvent s’avérer bâtis sur le sable.

4. – Il faut se rappeler et ne jamais oublier que l’encerclement capitaliste est le fait essentiel qui détermine la situation internationale de l’Union soviétique.

Il faut se rappeler et ne jamais oublier que tant qu’existe l’encerclement capitaliste, existeront les saboteurs, les agents de diversion, les espions, les terroristes dépêchés à l’arrière de l’Union soviétique par les services d’espionnage des Etats étrangers : il faut s’en souvenir et mener la lutte contre les camarades qui sous-estiment l’importance de l’encerclement capitaliste, qui sous-estiment les forces et l’importance du sabotage.

Expliquer à nos camarades du Parti qu’il n’est point de succès économiques, si grands soient-ils, qui puissent annuler le fait de l’encerclement capitaliste et les conséquences découlant de ce fait. Appliquer les mesures nécessaires pour que nos camarades, les bolcheviks, membres et non-membres du Parti, aient la possibilité de prendre connaissance des buts et des tâches, de la pratique et de la technique de l’action de sabotage, d’espionnage et de diversion des services d’espionnage étrangers.

5. – Il faut expliquer à nos camarades du Parti que les trotskistes, qui sont des éléments actifs de l’action de sabotage, de diversion et d’espionnage des services d’espionnage étrangers, ont depuis longtemps déjà cessé d’être un courant politique dans la classe ouvrière ; qu’ils ont depuis longtemps déjà cessé de servir quelque idée que ce soit, compatible avec les intérêts de la Classe ouvrière ; qu’ils sont devenus une bande, sans principes et sans idées, de saboteurs, d’agents de diversion, d’espions, d’assassins à la solde des services d’espionnage étrangers.

Expliquer que, dans la lutte contre le trotskisme de nos jours, ce qu’il faut maintenant, ce ne sont pas les vieilles méthodes, les méthodes de discussion, mais les méthodes nouvelles, les méthodes consistant à extirper, à mettre en déroute.

6. – Il faut expliquer à nos camarades du Parti la différence qui existe entre les saboteurs actuels et les saboteurs de l’époque de l’affaire de Chakhti ; expliquer que si les saboteurs de l’époque de Chakhti trompaient nos hommes sur le terrain technique, en exploitant leur retard technique, les saboteurs actuels, en possession de la carte du Parti, trompent nos hommes par la confiance politique qui leur est faite, comme à des membres du Parti, en exploitant l’insouciance politique de nos hommes.

Il faut compléter l’ancien mot d’ordre sur l’assimilation de la technique, mot d’ordre qui correspondait à l’époque de Chakhti, par un nouveau mot d’ordre sur l’éducation politique des cadres, sur l’assimilation du bolchévisme et la liquidation de notre crédulité politique, mot d’ordre qui correspond parfaitement à l’époque que nous vivons.

On peut demander : n’était-il pas possible, dix ans plus tôt, pendant l’époque de Chakhti, de formuler d’emblée les deux mots d’ordre, le premier sur l’assimilation de la technique, et le deuxième sur l’éducation politique des cadres ?

Non, cela n’était pas possible. Ce n’est pas ainsi que les choses se font dans notre Parti bolchevik.

Aux moments où le mouvement révolutionnaire opère un tournant, toujours est formulé un mot d’ordre essentiel, un mot d’ordre crucial dont nous nous saisissons pour pouvoir, grâce à lui, tirer à nous toute la chaîne.

Voici ce que Lénine nous a enseigné : trouvez l’anneau essentiel dans la chaîne de notre travail, saisissez-vous-en et tirez-le pour pouvoir, grâce à lui, tirer à vous toute la chaîne et marcher de l’avant.

L’histoire du mouvement révolutionnaire montre que cette tactique est la seule juste.

A l’époque de Chakhti, la faiblesse de nos hommes résidait dans leur retard technique.

Ce n’étaient pas les questions politiques, mais les questions techniques qui étaient alors pour nous le point faible.

Quant à notre attitude politique à l’égard des saboteurs de ce temps, elle est parfaitement claire : attitude de bolcheviks à l’égard d’hommes politiques étrangers.

Cette faiblesse technique, nous l’avons liquidée en formulant le mot d’ordre de l’assimilation de la technique et en éduquant, pendant la période écoulée, des dizaines et des centaines de milliers de bolcheviks techniquement ferrés.

Il en va autrement maintenant que nous possédons des cadres bolcheviks techniquement ferrés, et que le rôle de saboteurs est tenu non plus par des hommes ouvertement étrangers, mais par des hommes qui n’ont, par-dessus le marché, aucun avantage technique sur nos hommes à nous, mais par des hommes possédant la carte du Parti et jouissant de tous les droits réservés aux membres du Parti.

Maintenant, la faiblesse de nos hommes, ce n’est pas leur retard technique, mais leur insouciance politique, leur confiance aveugle envers ceux qu’un hasard a mis en possession de la carte du Parti ; l’absence d’un contrôle sur les hommes, non d’après leurs déclarations politiques, mais d’après les résultats de leur travail.

Maintenant, la question cruciale pour nous n’est pas de liquider le retard technique de nos cadres, celui-ci l’étant déjà dans l’essentiel, mais de liquider l’insouciance politique et la crédulité politique à l’égard des saboteurs qu’un hasard a mis en possession de la carte du Parti.

Telle est la différence essentielle entre la question cruciale de la lutte pour les cadres à l’époque de Chakhti, et la question cruciale de la période présente.

Voilà pourquoi, il y a dix ans, nous ne pouvions, ni ne devions lancer ensemble les deux mots d’ordre, celui de l’assimilation de la technique et celui de l’éducation politique des cadres.

Voilà pourquoi il est nécessaire maintenant de compléter l’ancien mot d’ordre de l’assimilation de la technique par un nouveau mot d’ordre sur l’assimilation du bolchévisme, sur l’éducation politique des cadres et la liquidation de notre insouciance politique.

7. – Il faut démolir et rejeter loin de nous la théorie pourrie selon laquelle, à chaque pas que nous faisons en avant, la lutte de classe, chez nous, devrait, prétend-on, s’éteindre de plus en plus ; qu’au fur et à mesure de nos succès, l’ennemi de classe s’apprivoiserait de plus en plus.

C’est non seulement une théorie pourrie, mais une théorie dangereuse, car elle assoupit nos hommes, elle les fait tomber au piège et permet à l’ennemi de classe de se reprendre, pour la lutte contre le pouvoir des Soviets.

Au contraire, plus nous avancerons, plus nous remporterons de succès et plus la fureur des débris des classes exploiteuses en déroute sera grande, plus ils recourront vite aux formes de la lutte plus aiguës, plus ils nuiront à l’Etat soviétique, plus ils se raccrocheront aux procédés de lutte les plus désespérés, comme au dernier recours d’hommes voués à leur perte.

Il ne faut pas perdre de vue que les débris des classes défaites en U.R.S.S. ne sont pas solitaires.

Ils bénéficient de l’appui direct de nos ennemis, au delà des frontières de l’U.R.S.S. Ce serait une erreur de croire que la sphère de la lutte de classe est limitée aux frontières de l’U.R.S.S.

Si une aile de la lutte de classe agit dans le cadre de l’U.R.S.S., son autre aile s’étend jusque dans les limites des Etats bourgeois qui nous entourent.

Les débris des classes défaites ne peuvent l’ignorer. Et, justement parce qu’ils le savent, ils continueront à l’avenir encore leurs attaques désespérées.

C’est ce que nous enseigne l’histoire. C’est ce que nous enseigne le léninisme.

Il faut se rappeler tout cela et se tenir sur le qui-vive.

8. – Il faut démolir et rejeter loin de nous une autre théorie pourrie, selon laquelle ne pourrait être saboteur celui qui ne se livre pas constamment au sabotage et qui, ne serait-ce que de temps à autre, montre des succès dans son travail.

Cette étrange théorie dénonce la naïveté de ses auteurs. Il n’est pas de saboteur qui s’avise de saboter continuellement, s’il ne veut pas être démasqué à bref délai.

Au contraire, un vrai saboteur doit, de temps en temps, montrer des succès dans son travail, cela étant pour lui l’unique moyen de se préserver comme saboteur, de gagner la confiance et de poursuivre son travail de sabotage. Je pense que cette question est claire et se passe d’explications complémentaires.

9. – Il faut démolir et rejeter loin de nous la troisième théorie pourrie, selon laquelle l’exécution systématique des plans de l’économie réduirait à néant le sabotage et ses résultats. Une telle théorie ne peut poursuivre qu’un but : chatouiller un peu l’amour-propre bureaucratique de nos administrateurs, les tranquilliser et affaiblir leur lutte contre le sabotage.

Que signifie « exécution systématique de nos plans de l’économie » ?

Premièrement, il a été prouvé que tous nos plans économiques sont infériorisés, car ils ne tiennent pas compte des immenses réserves et des possibilités que recèle notre économie nationale.

Deuxièmement, l’exécution globale et dans leur ensemble des plans économiques par les commissariats du peuple, ne signifie pas encore que les plans soient aussi exécutés par certaines branches très importantes.

Au contraire, les faits attestent que tout un ensemble de commissariats du peuple, qui ont accompli et même dépassé les plans économiques annuels, systématiquement n’exécutent pas les plans de certaines branches très importantes de l’économie nationale.

Troisièmement, il ne peut faire doute que si les saboteurs n’avaient pas été démasqués et boutés dehors, les choses iraient infiniment plus mal en ce qui concerne l’exécution des plans économiques, ce dont devraient se souvenir les auteurs myopes de la théorie analysée.

Quatrièmement, les saboteurs, ordinairement, choisissent, pour leur principale action de sabotage, non pas le temps de paix, mais la veille de la guerre ou le temps de guerre même.

Admettons que nous nous laissions bercer par la théorie pourrie de l’ « exécution systématique des plans de l’économie » et que nous ne touchions pas aux saboteurs.

Les auteurs de cette théorie pourrie se représentent-ils le tort immense que les saboteurs feraient à notre Etat en cas de guerre, si nous les laissions au sein de notre économie nationale, à l’ombre de la théorie pourrie de l’ « exécution systématique des plans de l’économie » ?

N’est-il pas clair que la théorie de l’ « exécution systématique des plans de l’économie » est une théorie avantageuse pour les saboteurs ?

10. – Il faut démolir et rejeter la quatrième théorie pourrie, selon laquelle le mouvement Stakhanov serait le moyen essentiel de liquidation du sabotage.

Cette théorie a été inventée pour pouvoir, à la faveur de bavardages sur les stakhanovistes et le mouvement Stakhanov, détourner les coups destinés aux saboteurs.

Dans son rapport, Molotov nous a signalé toute une série de faits attestant que les saboteurs trotskistes et non-trotskistes du bassin de Kouznetsk et de celui du Donetz, abusant de la confiance de nos camarades atteints d’insouciance politique, ont systématiquement mené par le bout du nez les stakhanovistes, leur ont mis des bâtons dans les roues, ont créé artificiellement des obstacles au succès de leur travail et sont parvenus, finalement, à désorganiser leur travail.

Que peuvent faire les stakhanovistes à eux seuls, si, dans le bassin du Donetz, par exemple, le sabotage dans la conduite des grands travaux a causé une rupture entre les travaux préparatoires de l’extraction du charbon, lesquels retardent sur les rythmes, et tous les autres travaux ?

N’est-il pas clair que le mouvement stakhanoviste lui-même a besoin d’une aide réelle de notre part, contre toutes les machinations des saboteurs, pour faire avancer les choses et accomplir sa grande mission ?

N’est-il pas clair que la lutte contre le sabotage, la lutte pour liquider le sabotage, pour mater le sabotage, est la condition indispensable pour que le mouvement stakhanoviste puisse prendre toute son ampleur ?

Je pense que cette question est également claire et se passe d’explications complémentaires.

11. – Il faut démolir et rejeter loin de nous la cinquième théorie pourrie, selon laquelle les saboteurs trotskistes n’auraient plus de réserves, qu’ils achèveraient d’épuiser leurs derniers cadres. Cela est faux. Seuls les gens naïfs ont pu inventer cette théorie. Les saboteurs trotskistes ont des réserves.

Celles-ci se composent, tout d’abord, des débris des classes exploiteuses battues en U.R.S.S. Elles se composent de toute une série de groupes et organisations, au delà des frontières de l’U.R.S.S. et hostiles à l’Union soviétique.

Prenons, par exemple, la IVe Internationale contre-révolutionnaire trotskiste, composée, pour les deux tiers, d’espions et d’agents de diversion. N’est-ce pas là une réserve ? N’est-il pas clair que cette Internationale d’espions formera des cadres pour l’action d’espionnage et de sabotage des trotskistes ?

Ou bien prenons, par exemple, le groupe de l’aigrefin Schefflo, en Norvège, qui abrita chez lui le maître espion Trotski et l’aida à nuire à l’Union soviétique. Ce groupe n’est-il pas une réserve ? Qui peut nier que ce groupe contre-révolutionnaire continuera, comme par le passé, à servir les espions et les saboteurs trotskistes ?

Ou bien encore, prenons, par exemple, un autre groupe, celui d’un aigrefin du même acabit que Schefflo, le groupe Souvarine, en France. N’est-ce pas là une réserve ? Peut-on nier que ce groupe d’aigrefins aidera aussi les trotskistes dans leur activité d’espionnage et de sabotage contre l’Union soviétique ?

Et tous ces messieurs d’Allemagne, tous ces Ruth Fischer, ces Maslov, ces Urbans, qui se sont vendus corps et âme aux fascistes, ne sont-ils pas une réserve pour l’action trotskiste d’espionnage et de sabotage ?

Ou bien, par exemple, la fameuse horde des écrivains bien connus d’Amérique, avec, en tête, la célèbre fripouille Eastman, tous ces bandits de la plume qui ne vivent qu’en calomniant la classe ouvrière de l’U.R.S.S., ne constituent-ils pas une réserve pour le trotskisme ?

Oui, il faut rejeter loin de nous la théorie pourrie qui prétend que les trotskistes achèvent d’épuiser leurs derniers cadres.

12. – Enfin, il faut démolir et rejeter encore une théorie pourrie : qu’étant donné que nous, bolcheviks, sommes nombreux et que les saboteurs sont en petit nombre ; que nous, bolcheviks, sommes soutenus par des dizaines de millions d’hommes, tandis que les saboteurs trotskistes ne sont soutenus que par des unités et des dizaines, nous, les bolcheviks, pourrions bien ne pas faire attention à une malheureuse poignée de saboteurs.

C’est faux, camarades. Cette théorie plus qu’étrange a été imaginée pour consoler ceux de nos camarades dirigeants dont l’incapacité à combattre le sabotage les a fait échouer dans leur travail, et pour assoupir leur vigilance et les laisser dormir tranquilles.

Que les saboteurs trotskistes soient soutenus par des unités, tandis que les bolcheviks le sont par des dizaines de millions d’hommes, cela est évidemment exact.

Mais il ne s’ensuit nullement que les saboteurs ne peuvent causer le plus sérieux préjudice à notre oeuvre. Pour faire du tord et nuire, il n’est pas besoin d’une grande quantité d’hommes. Pour construire le Dniéprostroï, il a fallu des dizaines de milliers d’ouvriers.

Tandis que pour le faire sauter, il faudrait peut-être quelques dizaines d’hommes, pas plus. Gagner une bataille pendant la guerre peut nécessiter plusieurs corps de l’Armée rouge.

Tandis que pour empêcher cette victoire, sur le front, il suffit de quelques espions à l’état-major de l’armée, voire même à l’état-major de la division, qui puissent voler le plan des opérations et le communiquer à l’ennemi.

Pour construire un grand pont de chemin de fer, il faut des milliers d’hommes. Mais pour le faire sauter, quelques hommes suffisent. On pourrait citer des dizaines et des centaines de ces exemples.

Par conséquent, on ne saurait se consoler à l’idée que nous sommes nombreux, tandis qu’eux, les saboteurs trotskistes, sont en petit nombre.

Il faut faire en sorte qu’il n’y ait point du tout de saboteur » trotskistes dans nos rangs.

C’est ainsi que se pose la question de savoir comment liquider les défauts de notre travail, communs à toutes nos organisations tant économiques et de l’Etat, qu’administratives et du Parti. Telles sont les mesures à prendre pour liquider ces défauts. En ce qui concerne spécialement les organisations du Parti, et les défauts de leur travail, il est parlé de façon suffisamment détaillée des mesures à prendre pour liquider ces défauts dans le projet de résolution soumis à votre examen. C’est pourquoi je pense qu’il n’est pas nécessaire d’insister ici sur ce côté de la question.

Je voudrais simplement dire quelques mots de la préparation politique et du perfectionnement de nos cadres du Parti. Je pense que si nous pouvions, que si nous savions préparer idéologiquement et aguerrir politiquement nos cadres du Parti, depuis le bas jusqu’en haut, afin qu’ils puissent s’orienter aisément dans la situation intérieure et internationale, si nous savions en faire des léninistes, des marxistes d’une maturité totale, capables de résoudre sans fautes graves les problèmes de la direction du pays, nous résoudrions les neuf dixièmes de toutes nos tâches.

Comment les choses se présentent-elles pour les cadres dirigeants de notre Parti ?

Notre Parti comprend, si l’on considère ses couches dirigeantes, environ de 3 à 4.000 dirigeants supérieurs. Je dirais que c’est là le haut commandement de notre Parti.

Puis viennent 30 à 40.000 dirigeants moyens. Ce sont nos cadres d’officiers du Parti.

Puis vient un effectif de commandement subalterne du Parti, d’environ 100 à 150.000. Ce sont, pour ainsi dire, nos cadres de sous-officiers du Parti.

Elever le niveau idéologique et la préparation politique de ces cadres de commandement, verser dans ces cadres les forces nouvelles qui attendent leur promotion et élargir ainsi l’effectif des cadres dirigeants, telle est la tâche.

Que faut-il pour cela ?

Tout d’abord, il faut inviter nos dirigeants du Parti, depuis les secrétaires de cellules jusqu’aux secrétaires des organisations de régions et de Républiques, à trouver, dans un délai fixé, deux hommes, deux militants du Parti, capables de les suppléer effectivement.

On peut dire : mais où trouver deux suppléants pour chacun de nous, nous n’avons pas de tels hommes, nous n’avons pas de militants appropriés.

C’est faux. Les hommes capables, les hommes de talent, nous en avons des dizaines de milliers. Il faut seulement les repérer et les promouvoir en temps voulu, afin qu’ils n’entrent pas en décomposition en végétant à leur vieille place. Cherchez et vous trouverez.

Ensuite. Pour l’éducation de Parti et le perfectionnement des secrétaires de cellules, il faut créer, dans chaque centre régional, des cours du Parti, comportant quatre mois d’étude.

Il faut envoyer à ces cours les secrétaires de toutes les organisations primaires du Parti (cellules), et puis, lorsqu’ils auront terminé ces cours et regagné leur poste, on y enverra, leurs suppléants et les membres les plus capables des organisations primaires du Parti.

Ensuite. Pour le perfectionnement politique des premiers secrétaires des organisations de rayon, il faut créer en U. R. S. S., disons, dans les dix principaux centres, des cours léninistes de huit mois.

A ces cours, il faut envoyer les premiers secrétaires des organisations de rayon et d’arrondissement du Parti, et puis, lorsqu’ils auront terminé ces cours et regagné leurs postes, on y enverra leurs suppléants et les membres les plus capables des organisations de rayon et d’arrondissement.

Ensuite. Pour le perfectionnement idéologique et le perfectionnement politique des secrétaires des organisations de ville, il faut créer, auprès du Comité central du Parti communiste de l’U.R.S.S., des cours d’histoire et de politique du Parti comportant six mois d’étude.

A ces cours, il faut envoyer les premiers ou les seconds secrétaires des organisations de ville, et puis, lorsqu’ils auront terminé ces cours, regagné leur poste, on enverra les membres les plus capables des organisations de ville.

Enfin, il faut créer, auprès du Comité central du Parti communiste de l’U.R.S.S., une conférence de six mois pour les questions de politique intérieure et internationale.

On y enverra les premiers secrétaires des organisations de région et de territoire et des comités centraux des Partis communistes nationaux. Ces camarades devront fournir non pas une, mais plusieurs équipes capables de remplacer les dirigeants du Comité central de notre Parti. La chose est indispensable et doit être faite.

Je termine.

Nous avons donc exposé les défauts essentiels de notre travail, ceux qui sont communs à toutes nos organisations économiques, administratives et du Parti, et ceux qui sont propres uniquement aux organisations du Parti, défauts qu’exploitent les ennemis de la classe ouvrière pour leur action de sabotage et de diversion, d’espionnage et de terrorisme.

Nous avons établi ensuite les mesures essentielles nécessaires pour liquider ces défauts et mettre hors d’état de nuire les menées de diversion et de sabotage, d’espionnage et de terrorisme des agents trotskistes-fascistes des services d’espionnage étrangers. Une question se pose : pouvons-nous réaliser toutes ces mesures, avons-nous pour cela toutes les possibilités nécessaires ?

Nous le pouvons, incontestablement. Nous le pouvons parce que nous disposons de tous les moyens nécessaires pour effectuer ces mesures. Qu’est-ce donc qui nous manque ?

Il ne nous manque qu’une chose : être prêts à liquider notre propre insouciance, notre propre bénignité, notre propre myopie politique. Là est la difficulté.

Mais se peut-il vraiment que nous ne sachions pas nous débarrasser de cette maladie ridicule et idiote, nous, qui avons renversé le capitalisme, qui avons construit le socialisme dans l’essentiel, et avons levé le grand drapeau du communisme mondial ?

Nous n’avons pas de raisons de douter que nous nous en débarrasserons certainement, bien entendu, si nous en avons la volonté. Nous ne nous en débarrasserons pas simplement, mais en bolcheviks, pour de bon.

Et, lorsque nous nous serons débarrassés de cette maladie idiote, nous pourrons dire en toute certitude que nous n’avons à craindre aucun ennemi, ni les ennemis de l’intérieur, ni les ennemis de l’extérieur, que leurs menées ne nous font pas peur, car nous les briserons dans l’avenir comme nous les brisons aujourd’hui, comme nous les avons brisées dans le passé.

 Discours de clôture de la discussion

5 Mars 1937

J’ai exposé dans mon rapport les principaux points du problème envisagé.

Les débats ont montré que, maintenant, la question est parfaitement claire, que nous avons la compréhension des tâches à accomplir et la volonté de liquider les défauts de notre travail.

Mais les débats ont montré aussi qu’il est certaines questions concrètes de notre travail pratique, politique et d’organisation, dont nous n’avons pas encore la compréhension tout à fait claire. Ces questions sont au nombre de sept.

Permettez-moi de dire quelques mots sur ces questions.

1. – Il faut croire que, maintenant, tous ont compris, ont conscience que l’engouement excessif pour les campagnes économiques et les succès économiques, alors que les questions politiques du Parti sont sous-estimées et oubliées, aboutit à une impasse.

Il est donc nécessaire d’orienter l’attention des militants vers les questions du Parti, de sorte que les succès économiques s’allient et marchent de pair avec les succès du travail politique du Parti.

Comment réaliser pratiquement la tâche qui consiste à renforcer le travail politique du Parti, la tâche qui consiste à libérer, des petites besognes de l’économie, les organisations du Parti ?

Les débats ont montré que certains camarades sont enclins à en tirer une déduction fausse, à savoir que, maintenant, il faudra prétendument abandonner tout à fait le travail économique.

Du moins, des voix se sont fait entendre : enfin, grâce à Dieu, nous serons débarrassés des problèmes de l’économie, nous allons pouvoir maintenant nous occuper du travail politique du Parti.

Cette déduction est-elle juste ? Non, elle est fausse.

Lorsque nos camarades du Parti, emportés par les succès économiques, abandonnaient la politique, ça été un extrême qui nous a coûté de grands sacrifices.

Si, maintenant, certains de nos camarades, soucieux de renforcer le travail politique du Parti, pensent abandonner le travail économique, ce sera un autre extrême qui ne nous coûtera pas moins de sacrifices.

On ne peut pas se jeter d’un extrême dans l’autre. On ne peut pas séparer la politique de l’économie.

Nous ne pouvons abandonner l’économie, de même que nous ne pouvons abandonner la politique.

Pour la commodité des études, les gens séparent d’ordinaire, méthodologiquement, les problèmes de l’économie et ceux de la politique.

Mais cela ne se fait que méthodologiquement, artificiellement, pour la seule commodité des études.

Dans la vie, au contraire, la politique et l’économie sont en pratique inséparables.

Elles existent ensemble et agissent ensemble.

Et celui qui, dans notre travail politique, pense séparer l’économie et la politique, renforcer le travail économique en diminuant l’importance du travail politique, ou, inversement, renforcer le travail politique en diminuant l’importance du travail économique, celui-là sera nécessairement acculé dans une impasse.

Le sens du paragraphe que l’on connaît du projet de résolution sur la libération des organisations du Parti des petites besognes de l’économie, et le renforcement du travail politique du Parti, ne consiste pas à abandonner le travail économique et la direction de l’économie, mais simplement à ne plus tolérer, dans la pratique, le remplacement et la dépersonnalisation des organismes économiques, y compris et surtout les organismes agraires, par nos organisations du Parti.

Il est donc nécessaire de s’assimiler la méthode de direction bolchevik des organismes de l’économie, méthode qui consiste à aider systématiquement ces organismes, à les renforcer systématiquement et à diriger l’économie, non pas en dehors de ces organismes, mais par leur intermédiaire.

Il faut donner aux organismes économiques et, avant tout, aux organismes agraires, les meilleurs hommes ; il faut compléter ces organismes parmi des militants nouveaux et de choix, capables de s’acquitter des tâches dont ils sont chargés.

C’est seulement après que ce travail aura été fait que l’on pourra considérer les organisations du Parti comme entièrement libérées des petites questions de l’économie.

On conçoit que c’est là une affaire sérieuse et qui demande du temps.

Mais tant que cela n’aura pas été fait, les organisations du Parti devront continuer, pour un délai déterminé de brève durée, à s’occuper de près des choses de l’agriculture, dans tous leurs détails : labours, semailles, moissons, etc.

2. – Deux mots à propos des saboteurs, agents de diversion, espions, etc. Maintenant, il est clair pour tous, je pense, que les actuels saboteurs et agents de diversion, de quelque drapeau qu’ils se couvrent, trotskiste ou boukharinien, ont, depuis longtemps déjà, cessé d’être un courant politique dans le mouvement ouvrier ; qu’ils se sont transformés en une bande, sans principes et sans idées, de saboteurs, agents de diversion, espions, assassins professionnels.

On conçoit que ces messieurs, il faudra les écraser et les extirper sans merci, comme des ennemis de la classe ouvrière, comme des traîtres à notre patrie. Cela est net et se passe d’explications complémentaires.

Mais voilà la question : comment accomplir pratiquement la tâche consistant à écraser et à extirper les agents nippo-allemands du trotskisme ?

Est-ce à dire qu’il faille frapper et extirper non seulement les véritables trotskistes, mais aussi ceux qui, autrefois, oscillaient vers le trotskisme, et qui, par la suite, il y a longtemps déjà, ont abandonné le trotskisme ; non seulement ceux qui sont réellement les agents trotskistes du sabotage, mais aussi ceux à qui il est arrivé de passer dans la rue où était passé naguère tel ou tel trotskiste ?

Du moins, des voix ont retenti dans ce sens, ici, à cette assemblée plénière. Peut-on considérer comme juste une telle interprétation de la résolution ?

Non, on ne saurait la considérer comme juste.

Dans cette question, comme dans toutes les autres, pour juger d’un homme, on doit s’en tenir au principe individuel, différencié.

On ne peut mettre tout le monde sur le même plan. Cette manière simpliste de juger les hommes ne peut que nuire à la lutte contre les véritables saboteurs et espions trotskistes.

Parmi nos camarades responsables, il est un certain nombre d’anciens trotskistes qui ont, depuis longtemps déjà, abandonné le trotskisme et mènent la lutte contre lui pas plus mal, mais mieux que certains de nos honorables camarades, lesquels n’ont pas eu l’occasion d’osciller vers le trotskisme.

Il serait absurde, maintenant de tenir ces camarades pour des hommes tarés.

Parmi nos camarades, il en est aussi qui, idéologiquement, se sont toujours affirmés contre le trotskisme, mais entretenaient néanmoins des relations personnelles avec certains trotskistes, relations qu’ils n’ont pas tardé à rompre dès qu’ils ont compris ce qu’était dans la pratique la physionomie du trotskisme.

Qu’ils n’aient pas rompu du premier coup, mais avec retard, leurs relations personnelles d’amitié avec certains trotskistes, cela est, certes, regrettable. Mais il serait absurde de jeter ces camarades dans un même tas avec les trotskistes.

3. – Que signifie : choisir judicieusement les militants et leur répartir judicieusement le travail ?

Cela signifie : choisir les militants, premièrement, d’après l’indice politique, c’est-à-dire voir s’ils méritent la confiance politique, et, deuxièmement, d’après l’indice pratique, c’est-à- dire voir s’ils conviennent à tel ou tel travail concret.

Cela signifie : ne pas transformer la manière de juger sérieuse en un praticisme étroit, ce qui arrive lorsqu’on s’occupe des capacités des militants, mais qu’on ne s’occupe pas de leur physionomie politique.

Cela signifie : ne pas transformer la manière de juger politique en la seule et unique manière de juger, à laquelle on arrive lorsqu’on s’occupe de la physionomie politique des militants, mais qu’on ne s’occupe pas de leurs capacités.

Peut-on dire que cette règle bolchevik soit appliquée par nos camarades du Parti ?

Malheureusement, on ne saurait le dire. On en a déjà parlé ici, à l’Assemblée plénière.

Mais on n’a pas tout dit. La vérité est que cette règle éprouvée est violée constamment dans notre pratique, et encore de la façon la plus grossière. La plupart du temps, les militants sont choisis, non point d’après des indices objectifs, mais d’après des indices fortuits, subjectifs, étroits et mesquins.

On choisit la plupart du temps ce qu’on appelle des connaissances, des amis, des compatriotes, des hommes personnellement dévoués, passés maîtres dans l’art d’exalter leurs chefs, sans égard à leurs capacités politiques et pratiques.

On comprend qu’au lieu d’un groupe dirigeant de militants responsables, on obtient une petite famille d’hommes proches les uns des autres, une artel dont les membres s’appliquent à vivre en paix, à ne pas se faire de tort, à laver leur linge sale en famille, à se louer les uns les autres, et à envoyer de temps en temps au centre des rapports vides de sens et écœurants sur les succès réalisés.

Il n’est pas difficile de comprendre que, dans cette ambiance de famille, il ne peut y avoir de place ni pour la critique des défauts du travail, ni pour l’autocritique de ceux qui dirigent le travail.

On comprend qu’une telle ambiance de famille crée un milieu favorable à la formation de lèche-bottes, d’hommes sans dignité et qui, pour cette raison, n’ont rien de commun avec le bolchévisme. Prenons, par exemple, Mirzoïan et Vaïnov.

Le premier est secrétaire de l’organisation de territoire du Parti au Kazakstan ; le second, secrétaire de l’organisation de la région de Iaroslav. Ces hommes ne sont pas les premiers venus dans notre milieu. Eh bien, comment ont-ils choisi leurs collaborateurs ?

Le premier a traîné avec lui au Kazakstan, de l’Azerbaïdjan et de l’Oural où il travaillait précédemment, trente ou quarante de ses hommes « à lui », et leur a confié des postes chargés de responsabilité au Kazakstan.

Le second, aussi, a traîné avec lui à Iaroslav, du bassin du Donetz où il travaillait auparavant, plus d’une dizaine de ses hommes « à lui » et leur a également confié des postes importants.

Ainsi donc, Mirzoïan possède sa propre artel. Vaïnov en possède une également. N’était-il vraiment pas possible de choisir des collaborateurs parmi les hommes du pays, en se conformant à la règle bolchevik, que l’on connaît, sur le choix et la répartition des hommes ?

Evidemment, la chose était possible. Pourquoi donc ne l’ont-ils pas fait ?

Parce que la règle bolchevik du choix des militants exclut la possibilité de se placer à un point de vue étroit et mesquin, exclut la possibilité de choisir les militants parmi ses relations de famille, d’artel.

En outre, en choisissant comme collaborateurs des hommes qui leur sont personnellement dévoués, ces camarades voulaient, visiblement, se créer une atmosphère d’indépendance tant à l’égard des gens qu’à l’égard du Comité central du Parti.

Admettons que Mirzoïan et Vaïnov, en raison de telles ou telles circonstances, soient déplacés du lieu actuel de leur travail dans un autre. Que doivent-ils faire, en ce cas, de leurs « traînes » ?

Vont-ils les emmener encore au nouveau lieu de leur travail ? Voilà à quelle absurdité conduit la violation de la règle bolchevik sur le choix et la répartition judicieux des militants.

4. – Que signifie contrôler les militants, vérifier l’exécution des tâches ?

Contrôler les militants, c’est les contrôler non d’après leurs promesses et déclarations, mais d’après les résultats de leur travail.

Vérifier l’exécution des tâches, c’est les vérifier non seulement dans les bureaux, non seulement d’après les comptes rendus officiels, mais, avant tout, sur les lieux du travail, d’après les résultats effectifs de l’exécution.

Une telle vérification est-elle nécessaire, en général ?

Incontestablement. Elle est nécessaire, d’abord, parce que seule une telle vérification permet de mieux connaître le militant, d’établir ses qualités réelles.

Elle est nécessaire, ensuite, parce que seul un tel contrôle permet d’établir les qualités et les défauts de l’appareil d’exécution. Elle est nécessaire, enfin, parce que seul un tel contrôle permet d’établir les qualités et les défauts des tâches elles-mêmes.

Certains camarades pensent qu’on ne peut contrôler les gens que par en haut, lorsque les dirigeants contrôlent les dirigés d’après les résultats de leur travail.

C’est faux. Le contrôle par en haut est évidemment nécessaire comme une des mesures effectives permettant de contrôler les hommes et de vérifier l’exécution des tâches. Mais le contrôle par en haut est loin d’épuiser toute l’oeuvre de vérification.

Il existe encore un autre genre de contrôle, le contrôle par, en bas, lorsque les masses, lorsque les dirigés contrôlent les dirigeants, signalent leurs fautes et indiquent le moyen de les corriger. Ce genre de contrôle est un des moyens les plus efficaces pour vérifier les hommes.

La masse des membres du Parti contrôlent leurs dirigeants aux réunions de l’actif, aux conférences, aux congrès où ils entendent leurs comptes rendus d’activité, en critiquant les défauts, enfin en élisant ou n’élisant pas aux organismes de direction tels ou tels camarades dirigeants.

Application stricte du centralisme démocratique dans le Parti, ainsi que l’exige le statut de notre Parti ; constitution des organismes du Parti absolument par voie d’élection ; droit de présenter et de récuser les candidatures ; vote secret, liberté de critique et d’autocritique, toutes ces mesures et autres analogues, il est nécessaire de les mettre en pratique pour pouvoir, entre autres, faciliter la vérification et le contrôle des dirigeants du Parti par la masse des membres du Parti.

Les masses sans-parti contrôlent leurs dirigeants économiques, syndicaux et autres, aux réunions de l’actif sans-parti, aux conférences de masse de tout genre, où elles entendent les comptes rendus d’activité de leurs dirigeants, critiquent les défauts et indiquent les moyens de les corriger.

Enfin, le peuple contrôle les dirigeants du pays pendant les élections aux organismes du pouvoir de l’Union soviétique, par le suffrage universel, égal, direct et secret.

La tâche consiste à réunir le contrôle d’en haut au contrôle d’en bas.

5. – Que signifie : instruire les cadres par l’expérience de leurs propres erreurs ?

Lénine nous a enseigné que révéler consciencieusement les erreurs du Parti, étudier les causes qui ont engendré ces erreurs, et envisager les mesures nécessaires pour corriger ces erreurs, est un des moyens les plus sûrs pour une instruction et une éducation véritablement justes des cadres du Parti ; pour une instruction et une éducation véritablement justes de la classe ouvrière et des masses travailleuses.Lénine dit :

L’attitude d’un parti politique en face de ces erreurs est un des critériums les plus importants et les plus sûrs pour juger si ce parti est sérieux et s’il s’acquitte réellement de ses devoirs envers sa classe et envers les masses laborieuses. Reconnaître franchement son erreur, en découvrir les causes, analyser les circonstances qui lui ont donné naissance, examiner attentivement les moyens de corriger cette erreur, voilà la marque d’un parti sérieux, voilà ce qui s’appelle, pour lui, s’acquitter de ses devoirs, éduquer et instruire sa classe et, ensuite, les masses. (V. I. Lénine : la Maladie Infantile du Communisme.)

Cela signifie que le devoir des bolcheviks n’est pas de voiler leurs erreurs, d’en éluder la discussion, comme cela arrive souvent chez nous, mais de reconnaître honnêtement et ouvertement leurs erreurs, d’envisager honnêtement et ouvertement les mesures nécessaires pour corriger ces erreurs, de corriger leurs erreurs honnêtement et ouvertement.

Je ne dirais pas que beaucoup de nos camarades se prêtent volontiers à cette besogne.

Mais les bolcheviks, s’ils veulent être réellement des bolcheviks, doivent trouver en eux le courage de reconnaître ouvertement leurs erreurs, d’en découvrir les causes, d’indiquer le moyen de les corriger et d’aider ainsi le Parti à donner aux cadres une vraie instruction et une vraie éducation politique.

Car ce n’est que dans cette voie, ce n’est que dans les conditions d’une autocritique franche et honnête, que l’on peut former des cadres véritablement bolcheviks, que l’on peut former de véritables leaders bolcheviks.

Deux exemples qui montrent la justesse de la thèse de Lénine. Prenons, par exemple, nos erreurs dans l’édification des kolkhoz.

Vous vous rappelez sans doute l’année 1930, lorsque nos camarades du Parti pensaient résoudre, en quelque trois ou quatre mois, ce problème éminemment complexe – faire passer la paysannerie dans la voie de l’édification des kolkhoz – et lorsque le Comité central du Parti fut obligé de mettre au pas les camarades trop fougueux.

Ce fut une des périodes les plus dangereuses de la vie de notre Parti.

L’erreur, c’était que nos camarades du Parti avaient oublié le principe de l’adhésion libre, dans l’édification des kolkhoz ; ils avaient oublié qu’on ne pouvait faire passer les paysans dans la voie kolkhozienne en exerçant sur eux une pression administrative ; ils avaient oublié que l’édification des kolkhoz nécessitait non pas quelques mois, mais plusieurs années d’un travail minutieux et réfléchi.

Ils avaient oublié tout cela et ne voulaient pas reconnaître leurs erreurs.

Vous vous souvenez, sans doute, que l’indication du Comité central relative au vertige du succès, et disant que nos camarades de la base ne devaient pas aller trop vite et méconnaître la situation réelle, fut accueillie par une levée de boucliers.

Mais cela n’empêcha pas le Comité central de marcher contre le courant et d’orienter nos camarades du Parti dans la voie juste.

Eh bien ? Maintenant, il est clair pour tous que le Parti a obtenu ce qu’il voulait, en orientant nos camarades du Parti dans la voie juste.

Aujourd’hui, nous possédons d’excellents cadres, comptant des dizaines de milliers de paysans pour l’édification et la direction des kolkhoz.

Ces cadres ont grandi et se sont formés, par l’expérience des erreurs de 1930.

Mais nous n’aurions pas ces cadres maintenant, si, à l’époque, le Parti n’avait pas compris ses erreurs et ne les avait pas corrigées à temps.

Un autre exemple emprunté, cette fois, au domaine de l’édification industrielle. Je veux parler de nos erreurs de la période du sabotage de Chakhti.

Notre erreur était que nous ne nous rendions pas compte de tout le danger que présentait le retard technique de nos cadres de l’industrie ; nous nous accommodions de ce retard et nous pensions pouvoir déployer une vaste édification industrielle socialiste avec l’aide de spécialistes à tendances hostiles, en vouant nos cadres économiques au rôle de mauvais commissaires auprès des spécialistes bourgeois.

Vous vous souvenez, sans doute, de la mauvaise grâce que nos cadres économiques mettaient à reconnaître leurs erreurs, à reconnaître leur retard technique, et avec quelle difficulté ils s’assimilaient le mot d’ordre : « se rendre maître de la technique ».

Eh bien ? Les faits montrent que le mot d’ordre « se rendre maître de la technique » a agi et a donné de bons résultats. Nous possédons aujourd’hui d’excellents cadres comptant des dizaines et des centaines de milliers de dirigeants bolcheviks de l’industrie qui, d’ores et déjà, se sont rendus maîtres de la technique et font avancer notre industrie.

Mais nous n’aurions pas ces cadres maintenant, si le Parti avait cédé devant l’obstination des dirigeants de l’industrie qui refusaient de reconnaître leur retard technique, si, à l’époque, le Parti n’avait pas pris conscience de ses erreurs et ne les avait pas corrigées à temps.

Certains camarades disent qu’on aurait tort de parler ouvertement de nos erreurs, la reconnaissance ouverte de nos erreurs pouvant être interprétée par nos ennemis comme un signe de ; notre faiblesse, et exploitée par eux. Ce sont des bêtises, camarades, des bêtises et rien de plus.

Au contraire, reconnaître ouvertement nos erreurs et les corriger honnêtement, ne peut que renforcer notre Parti, élever l’autorité de notre Parti aux yeux des ouvriers, des paysans, des travailleurs intellectuels, augmenter la force, la puissance de notre Etat.

Et c’est là l’essentiel.

Pourvu que les ouvriers, les paysans, les travailleurs intellectuels soient avec nous, tout le reste viendra par surcroît.

D’autres camarades disent que la reconnaissance ouverte de nos erreurs peut amener, non à la formation et au renforcement de nos cadres, mais à leur affaiblissement et à leur désorganisation ; que nous devons ménager et épargner nos cadres, que nous devons ménager leur amour-propre et leur tranquillité.

Pour cela, ils proposent de voiler les erreurs de nos camarades, d’atténuer la critique et, mieux encore, de passer outre à ces erreurs.

Un tel point de vue n’est pas seulement faux à la racine, mais dangereux au plus haut point, dangereux avant tout pour les cadres que l’on veut « ménager » et « épargner ».

Ménager et conserver les cadres en voilant leurs erreurs, c’est à coup sûr détruire ces mêmes cadres.

Nous aurions à coup sûr détruit nos cadres bolcheviks kolkhoziens, si nous n’avions pas dénoncé les erreurs de 1930 et n’avions pas instruit les cadres par l’expérience de ces erreurs.

Nous aurions à coup sûr détruit nos cadres bolcheviks de l’industrie, si nous n’avions pas dénoncé les erreurs de nos camarades dans la période de sabotage de Chakhti, et si nous n’avions pas instruit nos cadres industriels par l’expérience de ces erreurs.

Celui qui pense ménager l’amour- propre de nos cadres en voilant leurs erreurs, celui-là détruit et les cadres et l’amour-propre de ces cadres ; car, en voilant leurs erreurs, il facilite la répétition de nouvelles erreurs, peut-être plus graves et qui, il y a lieu de le croire, conduiront à un effondrement complet des cadres au préjudice de leur « amour-propre » et de leur « tranquillité ».

6. – Lénine nous a enseigné, non seulement à instruire les masses, mais à nous instruire auprès des masses.

Cela signifie d’abord que nous, les dirigeants, nous ne devons pas tomber dans la présomption et devons comprendre que si nous sommes membres du Comité central ou commissaires du peuple, cela ne veut pas encore dire que nous possédons toutes les connaissances nécessaires pour diriger d’une façon juste.

Le grade par lui-même ne donne pas les connaissances et l’expérience.

Et, à plus forte raison, le titre ne les donne pas.

Qu’est-ce à dire ?

Cela signifie, en second lieu, que notre expérience à elle seule, l’expérience des dirigeants, ne suffit pas pour diriger d’une façon juste ; qu’il est nécessaire, par conséquent, de compléter notre expérience, l’expérience des dirigeants, par l’expérience des masses, par l’expérience de la masse des membres du Parti ; par l’expérience de la masse ouvrière, par l’expérience du peuple.

Cela signifie, en troisième lieu : ne pas relâcher une minute et, à plus forte raison, ne pas rompre nos liens avec les masses. Cela signifie, en quatrième lieu : prêter une oreille attentive à la voix des masses, à la voix des simples membres du Parti, à la voix de ce qu’on appelle les « petites gens », à la voix du peuple. Que signifie diriger d’une façon juste ?

Cela ne veut pas dire du tout : rester dans un bureau et aligner des directives.

Diriger d’une façon juste, cela veut dire : Premièrement, trouver la juste solution du problème.

Or, il est impossible de trouver la juste solution sans tenir compte de l’expérience des masses qui éprouvent, sur leur propre dos, les résultats de notre direction ;

Deuxièmement, organiser l’application de la juste solution ; or, on ne saurait le faire sans une aide directe des masses ;

Troisièmement, organiser le contrôle de l’exécution de cette solution, chose également impossible sans l’aide directe des masses.

Nous, dirigeants, nous ne voyons les choses, les événements, les hommes, que d’un côté, pour ainsi dire d’en haut ; notre champ visuel est, par conséquent, plus ou moins limité.

Les masses, au contraire, voient les choses, les événements, les hommes d’un autre côté, pour ainsi dire d’en bas. Par conséquent, leur champ visuel est, lui aussi, dans une certaine mesure, limité.

Pour avoir une juste solution du problème, il faut réunir ces deux expériences. C’est dans ce cas seulement que la direction sera juste. Voilà ce que c’est non seulement instruire les masses, mais aussi s’instruire auprès des masses.

Deux exemples qui montrent la justesse de cette thèse de Lénine : C’était il y a quelques années.

Nous, membres du Comité central, nous discutions le problème de l’amélioration de la situation dans le bassin du Donetz. Le projet des mesures présenté par le commissariat du peuple à l’Industrie lourde était manifestement insuffisant. Le projet fut renvoyé par trois fois au commissariat à l’Industrie lourde.

Par trois fois, nous reçûmes de ce dernier des projets différents. Et cependant il était impossible de les reconnaître pour satisfaisants.

Nous avons décidé de faire venir du bassin du Donetz quelques ouvriers et quelques dirigeants subalternes de l’industrie et des syndicats.

Trois jours durant nous nous sommes entretenus avec ces camarades.

Et nous tous, membres du Comité central, nous avons dû reconnaître que seuls ces militants du rang, ces « petites gens », avaient su nous suggérer la solution juste.

Vous vous souvenez sans doute de la décision du Comité central et du Conseil des commissaires du peuple sur les mesures à prendre pour intensifier l’extraction de la houille dans le bassin du Donetz.

Eh bien ! cette décision du Comité central et du Conseil des commissaires du peuple, que tous nos camarades ont reconnue comme une solution juste et même fameuse, nous a été suggérée par de simples hommes de la base.

Un autre exemple. Je veux parler de l’exemple de la camarade Nikolaenko.

Qui est Nikolaenko ? Nikolaenko est un simple membre du Parti. Elle est du nombre des « petites gens » ordinaires. Une année durant, elle avait signalé la mauvaise situation de l’organisation du Parti à Kiev ; elle avait dénoncé l’esprit de famille, la façon étroite et mesquine de traiter les militants, l’étouffement de l’autocritique, l’autorité qu’avaient les saboteurs trotskistes.

On cherchait à se défaire de Nikolaenko comme d’une mouche importune. Enfin, pour s’en débarrasser, on l’avait simplement exclue du Parti. Ni l’organisation de Kiev, ni le Comité central du Parti communiste ukrainien ne l’ont aidée à trouver justice. Seule, l’intervention du Comité central du Parti a permis de démêler cet écheveau.

Et qu’est-il résulté de l’examen de cette affaire ? Il en est résulté que Nikolaenko avait raison, tandis que l’organisation de Kiev avait tort. Ni plus ni moins. Et pourtant, qui est cette Nikolaenko ?

Elle n’est évidemment ni membre du Comité central, ni commissaire du peuple ; elle n’est pas secrétaire de l’organisation régionale de Kiev, elle n’est même pas secrétaire d’une cellule quelconque ; elle n’est qu’un simple membre du Parti.

Comme vous voyez, les simples gens sont parfois autrement plus près de la vérité que certaines institutions supérieures. On pourrait citer encore des dizaines et des centaines de ces exemples.

Il s’ensuit donc que pour diriger notre oeuvre, notre expérience à elle seule, l’expérience des dirigeants, est encore loin de suffire.

Pour diriger d’une façon juste, il est nécessaire de compléter l’expérience des dirigeants par l’expérience de la masse des membres du Parti, par l’expérience des masses, par l’expérience des travailleurs, par l’expérience de ce qu’on appelle les « petites gens ».

Mais quand cela est-il possible ?

Cela n’est possible que lorsque les dirigeants sont le plus étroitement liés aux masses ; lorsqu’ils sont liés à la masse des membres du Parti, à la classe ouvrière, à la paysannerie, aux travailleurs intellectuels.

La liaison avec les masses, le renforcement de cette liaison, la volonté de prêter l’oreille à la voix des masses, voilà ce qui fait la force et l’invincibilité de la direction bolchevik.

On peut établir comme règle générale, qu’aussi longtemps que les bolcheviks conserveront leur liaison avec les grandes masses du peuple, ils seront invincibles.

Et, au contraire, il suffit que les bolcheviks se détachent des masses et rompent leur liaison avec elles, il leur suffit de se couvrir de la rouille bureaucratique, pour perdre toute leur force et se transformer en néant.

La mythologie des Grecs de l’antiquité comptait un héros fameux, Antée, qui était, selon la mythologie, le fils de Poséidon, dieu de la mer, et de Gê, déesse de la terre.

Il était particulièrement attaché à sa mère qui lui avait donné le jour, qui l’avait nourri et élevé. Il n’y avait point de héros qu’Antée ne pût vaincre. Il passait pour un héros invincible.

Qu’est-ce qui faisait sa force ? C’est que chaque fois qu’en combattant un adversaire il se sentait faiblir, il touchait la terre, sa mère, qui lui avait donné le jour et l’avait nourri, et reprenait des forces.

Cependant, il avait un point faible : c’était le danger d’être d’une façon quelconque détaché de la terre. Ses ennemis connaissaient cette faiblesse et guettaient Antée.

Et il se trouva un ennemi qui, profitant de cette faiblesse, vainquit Antée. Ce fut Hercule. Mais comment réussit-il à le vaincre ? Il l’arracha de terre, le souleva en l’air et, l’empêchant de prendre contact avec le sol, l’étouffa.

Les bolcheviks nous rappellent, selon moi, le héros de la mythologie grecque, Antée. De même qu’Antée, ils sont forts parce qu’ils ont des attaches avec leur mère, avec les masses qui leur ont donné naissance, qui les ont nourris et les ont formés. Et aussi longtemps qu’ils restent attachés à leur mère, au peuple, ils ont toutes les chances de rester invincibles. Là est le secret de l’invincibilité de la direction bolchevik.

7. – Enfin, encore une question. Je veux parler de l’attitude formaliste et sèchement bureaucratique de certains de nos communistes pour le sort de tels ou tels membres du Parti, pour les exclusions du Parti ou la réintégration des exclus dans leurs droits de membres du Parti.

La vérité est que certains de nos dirigeants du Parti pèchent par un manque d’attention pour les hommes, pour les membres du Parti, pour les militants.

Bien plus, ils ne cherchent pas à connaître les membres du Parti, ils ne savent pas ce qui fait leur vie, ni comment ils progressent ; d’une façon générale, ils ne connaissent pas les militants. C’est pourquoi, dans leur façon d’aborder les membres du Parti, les militants du Parti, ils ne tiennent pas compte du facteur individuel.

Et, justement parce qu’ils ne tiennent pas compte du facteur individuel en jugeant les membres du Parti et les militants du Parti, ils agissent habituellement au hasard : ou bien ils les vantent en bloc et sans mesure, ou bien ils les frappent aussi en bloc et sans mesure, ils les excluent du Parti par milliers et par dizaines de milliers.

En général, ces dirigeants s’efforcent de penser en grand, par dizaines de mille, sans se soucier des « unités », des membres isolés du Parti, de leur sort.

Exclure du Parti des milliers et des dizaines de milliers de membres, c’est, selon eux, très peu de chose, et ils se consolent à l’idée que notre Parti est fort de deux millions de membres, et que les dizaines de mille exclus ne peuvent rien changer à la situation du Parti. Mais, seuls, des gens foncièrement hostiles au Parti peuvent traiter de la sorte des membres du Parti.

Cette attitude de sèche indifférence à l’égard des gens, à l’égard des membres et des militants du Parti engendre artificiellement le mécontentement et l’irritation de certains contingents du Parti ; et les traîtres trotskistes se saisissent avec habileté de ces camarades aigris et les entraînent savamment dans le bourbier du sabotage trotskiste.

Les trotskistes par eux-mêmes n’ont jamais représenté une grande force dans notre Parti.

Rappelez-vous la dernière discussion qui s’était instituée dans notre Parti en 1927. Ce fut un véritable référendum du Parti. Sur 854.000 membres du Parti, ont voté alors 730.000 membres dont 724.000 pour le Parti, pour le Comité central, contre les trotskistes.

Pour les trotskistes votèrent 4.000 membres du Parti, soit environ 1/2 %, et 2.600 se sont abstenus.

123.000 membres du Parti n’ont pas pris part au vote, soit qu’ils fussent en voyage, soit qu’ils fussent de service.

Si aux 4.000 qui votèrent pour les trotskistes l’on ajoute tous ceux qui se sont abstenus, en supposant qu’ils sympathisaient également avec les trotskistes, et si l’on ajoute à ce chiffre, non pas 1/2 % de ceux qui n’ont pas participé au vote, ainsi qu’il faudrait le faire selon la règle, mais 5 % de non participants, soit environ 6.000 membres du Parti, on obtiendra environ 12.000 membres qui sympathisaient d’une façon ou d’une autre avec le trotskisme.

Voilà toute la force de messieurs les trotskistes. Ajoutez encore que beaucoup de ces membres ont été déçus par le trotskisme et l’ont abandonné et vous aurez une idée de l’insignifiance des forces trotskistes.

Et si, malgré cela, les saboteurs trotskistes possèdent néanmoins quelques réserves autour de notre Parti, c’est parce que la politique erronée de certains de nos camarades en ce qui concerne les exclusions du Parti et la réintégration des exclus, la sèche indifférence de certains de nos camarades pour le sort de tels ou tels membres du Parti et de tels ou tels militants, multiplient artificiellement le nombre des mécontents et des aigris, et crée, de la sorte, des réserves pour les trotskistes.

La plupart du temps, on exclut du Parti pour ce qu’en appelle la passivité. Qu’est-ce que la passivité ?

On considère, paraît-il, que si un membre du Parti ne s’est pas assimilé le programme du Parti, il est passif et doit être exclu.

Mais c’est faux, camarades. On ne peut pourtant pas interpréter de façon aussi pédantesque le statut de notre Parti.

Pour s’assimiler le programme du Parti, il faut être un vrai marxiste, un marxiste éprouvé et possédant une formation théorique.

Je ne sais s’il se trouvera beaucoup de membres dans notre Parti, qui se soient déjà assimilé notre programme, qui soient devenus de vrais marxistes éprouvés et possédant une formation théorique.

Si l’on continuait à marcher dans cette voie, il ne nous faudrait laisser dans le Parti que les intellectuels, et, en général, les hommes savants.

Qui a besoin d’un tel Parti ? Nous avons pour l’appartenance au Parti une formule léniniste vérifiée et qui a résisté à toutes les épreuves.

Selon cette formule, est considéré comme membre du Parti celui qui reconnaît le programme du Parti, paie les cotisations et travaille dans une de ses organisations.

Remarquez bien : la formule léniniste ne parle pas d’assimilation du programme, mais de reconnaissance du programme.

Ce sont deux choses absolument différentes. Inutile de démontrer qu’ici c’est Lénine qui a raison, et non pas nos camarades du Parti, qui bavardent inutilement d’assimilation du programme. Et cela se conçoit.

Si le Parti partait du point de vue que, seuls, les camarades qui se sont assimilés le programme et sont devenus des marxistes théoriquement formés peuvent être membres du Parti, il ne créerait pas dans son sein des milliers de cercles communistes, des centaines d’écoles du Parti, où l’on enseigne le marxisme aux membres du Parti et où on les aide à s’assimiler notre programme.

Il est parfaitement clair que si le Parti organise ces écoles et ces cercles pour ses membres, c’est parce qu’il sait que les membres du Parti n’ont pas encore eu le temps de s’assimiler le programme du Parti, qu’ils n’ont pas encore eu le temps de devenir des marxistes ayant une formation théorique.

Ainsi donc, pour redresser notre politique dans la question de l’appartenance au Parti et des exclusions, il faut en finir avec cette façon stupide d’interpréter la question de la passivité.

Mais nous péchons encore sur un autre point, dans ce domaine. La vérité est que nos camarades ne reconnaissent pas de milieu entre les deux extrêmes.

Il suffit qu’un ouvrier, membre du Parti, commette une faute légère, qu’il arrive en retard une ou deux fois à une réunion du Parti, qu’il ne paye pas pour une raison ou pour une autre sa cotisation, pour qu’aussitôt il soit chassé du Parti.

On ne cherche pas à établir le degré de sa culpabilité, le motif pour lequel il n’est pas venu à la réunion, la raison pour laquelle il n’a pas payé sa cotisation.

Le bureaucratisme, dans ces questions, est tout simplement inouï.

Il n’est pas difficile de comprendre que, justement par suite de cette politique de sèche indifférence, de remarquables ouvriers de vieille souche, d’excellents stakhanovistes, ont été jetés hors du Parti.

Ne pouvait-on pas, avant d’exclure du Parti, donner un avertissement ?

Si cela n’agit pas, faire une réprimande ou Infliger un blâme, et si cela n’agit pas non plus, fixer un délai pour que le coupable puisse se corriger, ou à la rigueur le faire rétrograder dans la catégorie des candidats, mais non pas exclure, du premier coup, du Parti ? Evidemment on pouvait le faire.

Mais pour cela il faut se montrer attentif aux hommes, aux membres du Parti, au sort des membres du Parti. Et c’est justement ce qui manque à certains de nos camarades.

Il est temps, il est grand temps d’en finir avec cette situation scandaleuse.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Réponse à la lettre du camarade Razine

23 février 1946 – Bolchevik, n° 3, 1947

J’ai reçu votre lettre du 30 janvier au sujet de Clausewitz, et vos courtes thèses sur la guerre et l’art militaire.

1. Vous demandez : Les thèses de Lénine dans son appréciation de Clausewitz ne sont-elles pas vieillies ? Selon moi la question est mal posée.

D’après une telle présentation de la question on peut penser que Lénine a étudié la doctrine militaire et les œuvres militaires de Clausewitz, leur a donné une appréciation militaire et nous a laissé en héritage une série de thèses directrices sur les questions militaires que nous acceptons comme telles. Poser ainsi la question n’est pas juste car, en fait, il n’existe aucune thèse directrice de Lénine à propos de la doctrine et des œuvres de Clausewitz.

Contrairement à Engels, Lénine ne se considérait pas comme un connaisseur dans les affaires militaires.

Il ne se considérait pas comme un connaisseur dans les affaires militaires, non seulement dans le passé, avant la Révolution d’Octobre, mais aussi par la suite, après la Révolution d’Octobre, jusqu’à la fin de la guerre civile. Pendant la guerre civile Lénine nous obligeait, quand nous étions encore de jeunes camarades du CC à « étudier à fond l’art militaire ».

En ce qui le concerne, il nous a carrément déclaré qu’il est déjà pour lui trop tard d’étudier l’art militaire. Et ceci, en somme, explique que dans ses avis sur Clausewitz et ses remarques sur le livre de Clausewitz, Lénine ne touche pas les questions purement militaires, du genre question sur la stratégie et la tactique militaires et leurs rapports réciproques, sur les rapports réciproques entre l’offensive et la retraite, la défense et la contre-offensive, etc.

Dans ce cas qu’est-ce qui intéressait Lénine dans Clausewitz et pourquoi le louait-il ?

Il louait Clausewitz avant tout parce que, le non-marxiste Clausewitz, faisant de son temps autorité en tant que connaisseur des affaires militaires, confirmait dans ses travaux la célèbre thèse marxiste qu’entre la guerre et la politique il existe une relation directe, que la politique engendre la guerre, que la guerre est la continuation de la politique par des moyens violents.

La référence à Clausewitz était ici nécessaire à Lénine pour une fois de plus convaincre Plekhanov, Kautsky et d’autres de social-chauvinisme, de social-impérialisme.

Ensuite, il louait Clausewitz parce que Clausewitz confirmait dans ses travaux la thèse juste du point de vue du marxisme, que la retraite dans des conditions défavorables déterminées est de la même façon tout aussi légitime dans la lutte que l’offensive.

La référence à Clausewitz était ici nécessaire à Lénine pour encore une fois convaincre les communistes de « gauche », ne reconnaissant pas la retraite comme forme légitime de la lutte.

Par conséquent, Lénine approchait les œuvres de Clausewitz non comme un militaire, mais comme un politique, et s’intéressait dans les œuvres de Clausewitz aux questions qui montrent la relation de la guerre et de la politique.

Ainsi, dans le cas de la critique de la doctrine militaire de Clausewitz, nous, héritiers de Lénine, ne sommes liés par aucune indication de Lénine, limitant notre liberté critique.

Mais de ceci découle que votre estimation de l’article du camarade Mechtcheriakov (cf. Voênnaia mysl [la Pensée Militaire], n°s 6-7, 1945) critiquant la doctrine militaire de Clausewitz, comme « sortie anti-léniniste » et comme « révision » de l’appréciation léniniste, manque sa cible.

2. Devons-nous critiquer au fond la doctrine militaire de Clausewitz ?

Oui nous le devons.

Nous sommes obligés du point de vue des intérêts de notre cause et de la science militaire de notre temps de critiquer sévèrement non seulement Clausewitz, mais aussi Moltke, Schlieffen, Lüdendorf, Keitel et d’autres porteurs de l’idéologie militaire en Allemagne. Les dernières trente années l’Allemagne a par deux fois imposé au monde la guerre la plus sanglante, et les deux fois elle s’est trouvée battue.

Est-ce par hasard ? Evidemment non.

Cela ne signifie-t-il pas que non seulement l’Allemagne dans son entier, mais aussi son idéologie militaire n’ont pas résisté à l’épreuve ? Absolument, cela le signifie.

Tout le monde sait quel respect témoignaient les militaires du monde entier, et parmi eux nos militaires russes, envers les sommités militaires d’Allemagne. Faut-il en finir avec ce respect non mérité ? Il faut en finir.

Et pour cela il faut la critique, particulièrement de notre côté, du côté des vainqueurs de l’Allemagne.

En ce qui concerne, en particulier, Clausewitz, il a évidemment vieilli comme sommité militaire.

Clausewitz était, au fond, un représentant de l’époque de la guerre des manufactures.

Mais maintenant nous sommes à l’époque de la guerre mécanisée.

Il est évident que la période de la machine exige de nouveaux idéologues militaires.

Il est drôle à présent de prendre des leçons auprès de Clausewitz.

On ne peut avancer de l’avant et faire avancer la science sans soumettre à l’examen critique les thèses et les énonciations vieillies de sommités connues.

Ceci concerne non seulement les sommités de la science militaire, mais aussi les classiques du marxisme.

Engels a dit une fois que de tous les chefs militaires de la période de 1812, le Général Barclay de Tolly est le seul qui méritait l’intérêt.

Engels évidemment se trompait, car Koutouzov en tant que chef militaire, dépasse sans conteste Barclay de Tolly de deux mesures.

Et pourtant il peut se trouver des gens de notre temps qui, avec rage, vont défendre cette opinion erronée d’Engels.

Dans notre critique nous devons nous diriger non pas d’après des thèses et des énonciations isolées des classiques, mais d’après cette célèbre indication, qu’a donnée Lénine de son temps : Nous ne tenons nullement la doctrine de Marx pour quelque chose d’achevé et d’intangible ; au contraire, nous sommes persuadés qu’elle a seulement posé les pierres angulaires de la science que les socialistes doivent faire progresser dans toutes les directions s’ils ne veulent pas retarder sur la vie. Nous pensons que les socialistes russes surtout doivent absolument développer par eux-mêmes la théorie de Marx, car celle-ci n’indique que des principes directeurs généraux, qui s’appliquent dans chaque cas particulier, à l’Angleterre autrement qu’à la France, à la France autrement qu’à l’Allemagne, à l’Allemagne autrement qu’à la Russie. (Lénine, tome II, p. 252)

Une telle approche est encore plus obligatoire pour nous dans le domaine des sommités militaires.

3. En ce qui concerne vos courtes thèses sur la guerre et l’art militaire, vu leur caractère schématique, je ne peux que donner des remarques générales.

Dans les thèses il y a trop de philosophie et de thèses abstraites.

La terminologie de Clausewitz à propos de la grammaire et de la logique de l’armée blesse l’oreille.

La question de la science militaire comme ayant caractère de parti est posée d’une façon trop primitive.

Les dithyrambes en l’honneur de Staline blessent l’oreille : à les lire, on se sent carrément mal à l’aise.

La division à propos de la contre-offensive n’existe pas (ne pas confondre avec la contre-attaque). Je parle de contre-offensive après une offensive réussie de l’ennemi, n’ayant pas donné, cependant, de résultats décisifs, et durant laquelle le défenseur rassemble ses forces, passe à la contre-offensive et fait subir à l’ennemi une défaite décisive.

Je pense qu’une contre-offensive bien organisée est une forme très intéressante d’offensive.

Il conviendrait pour vous, en tant qu’historien, de vous intéresser à cette chose.

Déjà les anciens Parthes connaissaient cette contre-offensive, quand ils ont entraîné le général romain Crassus et ses troupes dans la profondeur de leur pays, et après ont frappé dans une contre-offensive et les ont défaits. Notre génial chef militaire Koutouzov connaissait aussi cela très bien, il a défait Napoléon et son armée grâce à une contre-offensive bien préparée.

Dans le même numéro de la revue Bolchevik où a été publiée la lettre de J. Staline, se trouve la lettre de Razine, ainsi rédigée :

« Cher camarade Staline ! Si cela était possible je vous prierai instamment de me donner des éclaircissements sur les questions suivantes : 1° Les thèses de Lénine dans l’appréciation de Clausewitz ne sont-elles pas vieillies ? ; 2° Comment doit-on traiter l’héritage théorico-militaire de Clausewitz ?

Je suis hésitant sur ces questions, après avoir lu l’article de notre revue théorique militaire directrice Voennaïa mysl [la Pensée militaire] n° 6-7 de l’année 1945, « Clausewitz et l’idéologie militaire allemande » (du lieutenant-colonel Mechtcheriakov).

En 1944, à l’Académie militaire supérieure Vorochilov, il m’a fallu prendre la parole contre les propos du directeur en second de l’Académie, de la section politique, le colonel Baz, qui disait qu’il fallait réviser Lénine sur cette question.

A ce qu’il me semble, l’article de la Voennaïa mysl concrétise de fait cette thèse du colonel Baz. En publiant un tel article, la rédaction a-t-elle agi correctement ? Si l’on considère l’appréciation de principe des œuvres de Clausewitz dans l’article de la revue, cela aboutit aux thèses suivantes : « Une prédominance de vues réactionnaires dans les oeuvres de Clausewitz » (p. 93) ; « Il n’a pas compris la nature et l’essence de la guerre » (p. 110) ; « Il se place au-dessous de la pensée théorico-militaire de son époque » (p. 116).

Comme on le sait Lénine considérait Clausewitz comme un des plus profonds écrivains sur les questions militaires, un des grands écrivains militaires, un des plus célèbres écrivains sur la philosophie des guerres et sur l’histoire des guerres, dont les idées essentielles, aujourd’hui, sont sans conteste devenues le patrimoine de tout homme pensant (Lénine, Œuvres, t. XVIII, p. 197, 249, t. XXII, p. 511, t. XXX, p. 333). Ainsi, l’appréciation léninienne de Clausewitz est en contradiction directe avec celle qui a été portée dans l’article de la revue Voennaïa mysl.

Si, dans l’appréciation de Clausewitz, Mechtcheriakov a raison, et non pas Lénine, la compétence de l’auteur de l’article est trop insignifiante pour une telle position sur cette question. De plus, il ne contredit pas Lénine ouvertement.

Ainsi l’article désoriente nos officiers, nos généraux, ce qui peut causer du tort à l’Armée rouge. Et si Mechtcheriakov, dans ses idées sur cette question, a tort, alors on ne peut qualifier son article autrement que comme une sortie anti-léniniste, qu’il faut repousser. C’est en ceci, je pense, que réside le tort politique de l’article en question.

Ainsi, ce n’est pas une question « théorico-militaire étroite », mais une question politique. C’est pourquoi j’ai décidé de m’adresser au sein du CC du PC(b)US, à vous, cher camarade Staline.

Des indications complètes sur cette question ont une grande importance en ce qui concerne l’exécution de l’ordre par lequel vous avez souligné les sérieuses lacunes de la revue théorico-militaire Voennaïa mysl, lui assignant une série d’importantes tâches concrètes.

Pour la science militaire soviétique la plus d’avant-garde en général, et pour notre science militaire historique en particulier, la question essentielle se trouve être celle de l’attitude envers l’héritage théorique du passé.

Dans les classiques du marxisme-léninisme nous avons à ce propos des directives claires et précises : assimilation complète de tout ce qu’a donné la science passée, évaluation critique de tout ce qui a été créé par la pensée humaine, vérification dans la pratique. (Lénine, t. XXV, p. 387).

« La culture prolétarienne doit être le développement logique de la somme de connaissances que l’humanité a accumulées sous le joug de la société capitaliste, de la société des propriétaires fonciers et des bureaucrates. » (Lénine, même endroit). Ceci concerne également la culture militaire. Par conséquent, nous ne rejetons pas les acquisitions de la culture bourgeoise, par exemple, pour cette raison que les fascistes, comme l’on sait, ont profité de ces acquisitions avec pour objectif la barbarie la plus sauvage.

Nous utiliserons les acquisitions de la culture bourgeoise pour la construction socialiste, pour l’édification de la société communiste. Mais nous n’assimilons pas mécaniquement toute la somme des connaissances de la science bourgeoise, nous remanions tout cela d’une façon critique, et sur des bases socio-économiques et politiques nouvelles, nous faisons avancer la science de l’avant.

Il y a deux formes avérées de critique de base : − la forme inférieure, recherche d’altérations, d’idéalisme, des vues mécanistes, réactionnaires, etc., et le rejet du tout, en entier ; − la forme supérieure, évaluation critique, recherche des noyaux de contenu positif derrière une forme erronée, les conserver, et les développer. Il est bien plus facile de déceler des lacunes générales (idéalisme, métaphysique, vues mécanistes), ce qui dans un stade critique est beaucoup plus difficile, là où il faut rechercher les noyaux rationnels, les conserver et les développer.

« Les chercheurs d’or creusent beaucoup de terre et trouvent peu d’or » (Héraclite). C’est justement à ce degré élevé de la critique que doit se placer notre pensée théorico-militaire. Mais l’article de Mechtcheriakov nous tire en arrière. Et c’est là, je pense, son tort théorique.

Ai-je raison de penser que l’auteur de l’article n’a pas compris Clausewitz et à cause de cela nous recommande de renoncer à cet héritage théorico-militaire ?

Mais pourtant Engels a raison quand il dit que « l’homme qui juge chaque philosophe, non pas sur ce qu’il apporte à la science, non pas sur ce qu’il y avait de progressiste dans son activité, mais sur ce qui était inévitablement transitoire, réactionnaire, qui juge sur le système, un tel homme aurait mieux fait de se taire ». (Engels, Lettre à Conrad Schmidt du 1er juillet 1891).

Serait-il juste, avec l’idéalisme, la métaphysique, etc., de jeter par-dessus bord tout ce qu’il y a de positif dans l’étude de la théorie militaire qu’a donnée Clausewitz ?

Mechtcheriakov ne répète-t-il pas les fautes de Pokrovski, qui ont été rejetées par le CC du PC (b) US ? Ou peut-être qu’à travers l’expérience de la Grande Guerre patriotique l’ensemble de l’œuvre théorico-militaire de Clausewitz est évaluée tout à fait autrement que chez Lénine ?

Une compréhension juste de l’ensemble de cette question est importante pour ceux qui travaillent sur l’histoire de l’art militaire, l’ai consacré près de quinze années à la préparation de la publication d’un ouvrage en huit volumes, les cinq premiers étant en grande partie prêts.

Les deux tomes édités avant la guerre ont été remaniés par moi d’une manière radicale, en particulier d’après les indications du maréchal Chopochnikov.

D’après les thèses adjointes au premier tome et la préface à toute l’œuvre, les points de départ de mon travail sont clairs.

Il est tout à fait évident que des données de départ erronées, si elles existaient, déprécieraient tout ce travail, dont on m’a dit plus d’une fois qu’il est nécessaire à l’Armée rouge. C’est justement pourquoi je vous demande cher camarade Staline, de me donner des éclaircissements sur ces questions.

Professeur, colonel E. Razine, le 30 janvier 1946. »

=>Oeuvres de Staline

Lettre de Staline et Molotov au CC du Parti Communiste de Yougoslavie (mars 1948)

27 mars 1948

Dans votre lettre, vous exprimez, le désir que nous vous communiquions quels sont les autres faits qui provoquent le mécontentement de l’URSS et qui entraînent l’aggravation des rapports entre l’URSS et la Yougoslavie.

De tels faits existent, en réalité, et bien qu’ils soient étrangers au rappel des conseillers civils et militaires, nous estimons nécessaire de vous les communiquer.

Premièrement.

Nous savons que, parmi les camarades dirigeants en Yougoslavie, circulent des déclarations antisoviétiques telles que par exemple « le PC(b) dégénère », qu’« en URSS règne un chauvinisme de grande puissance », que « l’URSS aspire à subjuguer économiquement la Yougoslavie », que « le Kominform est un instrument du PC (b) pour subjuguer les autres partis » et ainsi de suite.

Ces déclarations antisoviétiques se dissimulent généralement derrière des phrases gauchistes, comme quoi « le socialisme en URSS a cessé d’être révolutionnaire », que seule la Yougoslavie est le véritable champion du « socialisme révolutionnaire ».

Certes, il est ridicule d’entendre de pareilles histoires sur le PC(b) venant de marxistes douteux du type Djilas, Voukmanovitch, Kidritch, Rankovitcn et autres.

Mais il s’agit ici du fait que ces déclarations circulent depuis longtemps parmi de nombreux travailleurs dirigeants de Yougoslavie et qu’on continue à en faire, ce qui naturellement crée une atmosphère antisoviétique qui aggrave les rapports entre le PC(b) et le PCY.

Nous reconnaissons sans condition le droit au parti communiste yougoslave de même qu’à chaque parti communiste, de critiquer le PC(b) comme le PC(b) a également le droit de critiquer tout autre parti communiste.

Mais le marxisme exige que la critique soit franche et honnête, et non dissimulée et calomnieuse, privant celui qui est critiqué de la possibilité de répondre.

Cependant, la critique de la part des dirigeants yougoslaves n’est ni franche ni honnête, mais de derrière les coulisses et malhonnête.

C’est une critique hypocrite car, tout en discréditant par leur « critique » le PC(b) derrière son dos, les dirigeants yougoslaves le vantent publiquement et relèvent jusqu’aux cieux.

C’est justement pourquoi une semblable critique devient calomnieuse, une tentative de discréditer le PC(b), une tentative de détrôner le système soviétique.

Nous ne doutons pas que les masses yougoslaves du parti rejetteraient avec indignation cette critique antisoviétique, comme leur étant étrangère et hostile, si elles pouvaient seulement supposer son existence.

Nous pensons que les dirigeants yougoslaves en question s’efforcent, justement à cause de cela, de faire ces critiques secrètement, dans les coulisses, derrière le dos des masses.

Il n’est pas inutile de rappeler que lorsqu’il entreprit de déclarer la guerre au PC(b), Trotsky commenta également par accuser le PC(b) de dégénérescence, d’étroitesse nationaliste, de chauvinisme.

Bien entendu, il dissimulait tout cela derrière des phrases gauchistes sur la révolution mondiale.

Néanmoins, on sait que Trotsky était un renégat, et que plus tard, étant démasqué, il passa ouvertement au camp des ennemis jurés du PC(b) et de l’Union soviétique.

Nous pensions que la carrière politique de Trotsky était suffisamment instructive.

Deuxièmement.

La situation actuelle du Parti communiste yougoslave suscite nos craintes.

Le fait que le Parti communiste de Yougoslavie, tout en étant le parti dirigeant, n’est toujours pas complètement légalisé, qu’il se trouve toujours dans une position semi-légale, laisse une impression étrange.

Les décisions des organes du Parti ne sont généralement pas publiées dans la presse. On ne publie également pas de rapports sur les réunions du Parti.

Dans la vie du Parti communiste de Yougoslavie on ne sent pas de démocratie intérieure.

Le CC du Parti, dans sa majorité, n’est pas élu mais coopté.

Il n’y a pas de critique et d’autocritique dans le Parti, ou presque pas. Il est caractéristique que le secrétaire administratif du Parti est ministre de la Sûreté d’Etat, en d’autres termes, les cadres du Parti sont mis sous la surveillance du ministre de la Sûreté d’État.

Selon la théorie marxiste, le parti doit contrôler tous les organes d’État du pays, et parmi eux le ministre de la Sûreté d’État également.

Or en Yougoslavie c’est l’inverse, puisqu’en réalité c’est le parti qui est contrôlé par le ministre de la Sûreté d’État. C’est ce qui explique probablement le fait que l’initiative des masses du parti en Yougoslavie n’est pas ce qu’elle devrait être.

Il est compréhensible que nous ne pouvons pas considérer une telle organisation du parti communiste comme marxiste-léniniste, comme bolchevique.

Dans le Parti communiste de Yougoslavie on ne sent pas l’esprit d’une politique de lutte de classe.

L’accroissement des éléments capitalistes dans les campagnes comme dans les villes avance à grand pas, et la direction du parti ne prend aucune mesure pour limiter les éléments capitalistes.

Le Parti communiste de Yougoslavie se berce dans l’illusion de la théorie opportuniste pourrie d’une intégration pacifique des éléments capitalistes dans le socialisme, théorie empruntée à Bernstein, Folmar, Boukharine.

Selon la théorie marxiste-léniniste, le parti est considéré comme la force dirigeante fondamentale d’un pays, possédant son programme propre et ne se diluant pas dans la masse des sans-parti.

En Yougoslavie au contraire, c’est le Front populaire qui est considéré comme la force dirigeante fondamentale tandis qu’on tend à diluer le parti dans le Front populaire.
Dans son discours au second Congrès du Front populaire de Yougoslavie, le camarade Tito a dit :

« Le Parti communiste de Yougoslavie a-t-il un autre programme, différent de celui du Front populaire ? Non. Le Parti communiste n’a pas d’autre programme. Le programme du Front populaire est son programme. »

La Yougoslavie, il se trouve que l’on considère cette bizarre théorie comme une théorie nouvelle. Mais en réalité, il n’y a là rien de nouveau.

En Russie, il y a déjà 40 ans, une partie des menchéviks proposait que le parti marxiste se dissolve dans l’organisation ouvrière de masse sans-parti et que le premier soit remplacé par la seconde ; l’autre partie des menchéviks proposait que le parti marxiste se dissolve dans l’organisation de masse sans-parti – travailleurs ouvriers et paysans, et que le premier soit remplacé par la seconde.

On sait que Lénine qualifia alors ces menchéviks de méchants opportunistes et de liquidateurs du parti. [ … ]

Ces faits, ainsi qu’il a déjà été dit, ne sont pas liés à la question du rappel des techniciens militaires et civils, mais cela ne veut pas dire qu’ils louent pour cela un rôle moindre dans l’aggravation des rapports entre nos pays.

Le Comité Central du PC(b)

=>Oeuvres de Staline

Lettre de Staline et Molotov au CC du Parti Communiste de Yougoslavie (mai 1948)

22 mai 1948

Vos lettres du 17 mai 1943 et du 20 mai 1943, portant les signatures des camarades Tito et Kardelj ont été reçues.

Le CC du PC (b) estime que les dirigeants du Parti communiste yougoslave font avec ces lettres un nouveau pas sur la voie qui aggrave les erreurs de principe les plus grossières dont le CC du PC (b) a souligné le danger et la nuisance dans sa lettre du 4 mai 1943.

1. Les camarades Tito et Kardelj écrivent qu’ils se sentent « si inégaux en droits, qu’il nous est impossible d’accepter que cette affaire soit débattue devant le Kominform », et ils se permettent de nouveau d’insinuer que c’est le CC du PC (b) qui les a mis dans cette position.

Le CC du PC (b) estime qu’il n’y a pas la moindre parcelle de vérité dans cette affirmation. Il n’y a aucune inégalité en droits du parti communiste yougoslave et il ne peut y en avoir au sein du Bureau d’Information des neuf partis communistes.

Chacun sait que lors de la formation du Bureau d’Information des neuf partis communistes tous les partis communistes ont décidé sans conteste que chaque parti devait soumettre ses rapports au Bureau d’Information, de même que chaque parti avait le droit de critiquer les autres partis.

C’est justement de ce point de vue qu’est partie la conférence des neuf partis lorsqu’à ses réunions de septembre 1947, elle entendit les rapports des CC de tous les partis communistes sans exception.

Lorsqu’elle soumit l’activité des partis communistes italiens et français a la sévère critique bolchevique, la conférence des neuf partis se basait sur l’égalité en droits permettant a chaque parti de critiquer les autres partis.

On sait que les camarades français et italiens, non seulement n’ont pas refusé aux autres partis le droit de critiquer leurs erreurs, mais ont eu, au contraire, une attitude bolchevique devant cette critique et en ont tiré les conclusions nécessaires.

On sait encore que les camarades yougoslaves, de même que tous les autres, ont utilisé a la conférence la possibilité de critiquer les erreurs des camarades italiens et français et n’ont pas jugé, de même que tous les autres, qu’en critiquant les italiens et les français, les autres partis communistes détruisaient l’égalité en droits des partis communistes italien et français.

Mais pourquoi les camarades yougoslaves font-ils maintenant ce retour complet, exigeant la liquidation de l’ordre établi au Bureau d’Information ?

Justement parce qu’ils pensent que le parti yougoslave et sa direction doivent avoir la faveur d’une position privilégiée, que les statuts du Kominform ne sont pas pour eux, qu’ayant le droit de critiquer les autres partis, ils ne doivent pas eux-mêmes subir la critique de ceux-ci.

Mais une telle morale, si l’on peut ainsi s’exprimer, n’a rien de commun avec l’égalité de droits.

Ce n’est rien d’autre qu’une exigence de la part des camarades yougoslaves de privilèges pour le PCY, comme n’en a pas et ne peut en avoir aucun parti.

Nous avons soutenu et nous soutenons un point de vue sans lequel l’existence et l’activité du Bureau d’Information deviendraient impossibles : chaque parti communiste est tenu de soumettre son rapport au Bureau d’Information, chaque parti communiste a le droit de critiquer chaque autre parti communiste.

Le refus de la part des yougoslaves de faire un rapport sur leur activité devant le Bureau d’Information, et d’entendre la critique des autres partis communistes est une atteinte a l’égalité en droits des partis communistes.

2. Dans leur lettre du 17 mai, les camarades Tito et Kardelj répètent, comme dans leur dernière lettre, que la critique des erreurs de la direction du parti communiste yougoslave par le CC du PC (b) est soi-disant fondée sur des informations inexactes.

Mais les camarades yougoslaves ne citent aucune preuve à l’appui de cette affirmation.

De sorte que la déclaration reste phrase creuse, et la critique du CC du PC (b) reste une fois de plus sans réponse, bien que les camarades Tito et Kardelj écrivent dans leur lettre qu’ils « ne cherchent par a fuir la critique sur les questions de principe ».

Peut-être que les dirigeants yougoslaves n’ont tout simplement rien a dire pour se justifier ?

C’est l’un ou l’autre : ou bien le Bureau politique du CC du PCY, conscient de la gravité des erreurs qu’il a commises, mais désirant les cacher au Parti communiste de Yougoslavie et induire celui-ci en erreur, établit une version sur l’inexistence de ces erreurs et accuse, comme coupables, des personnes innocentes qui auraient soi-disant mal informé le CC du PC (b) ou bien il ne comprend réellement pas que par ses erreurs il s’éloigne du marxisme-léninisme.

Mais il faut alors reconnaître que l’ignorance des questions du marxisme est trop grande au Bureau politique du CC du PCY.

3. Évitant de répondre aux questions directes du CC du PC (b) et aggravant leurs fautes par leur entêtement, ne désirant ni les reconnaître ni les corriger, les camarades Tito et Kardelj affirment en paroles qu’ils prouveront a l’oeuvre qu’ils restent fidèles a l’Union soviétique, fidèles aux leçons de Marx, Engels, Lénine et Staline.

Après tout ce qui s’est passé, nous n’avons aucune raison de croire a ces affirmations.

Les camarades Tito et Kardelj ont déjà fait au CC du PC (b) bien des promesses, sans les tenir.

Leurs lettres, et en particulier la dernière, nous en ont encore plus convaincus.

Le Bureau politique du CC du PCY, et en particulier le camarade Tito doivent savoir que, par leur politique antisoviètique et antirusse qui a été appliquée ces derniers temps dans la pratique quotidienne, ils ont tout fait pour saper la confiance du parti communiste et du gouvernement de l’URSS.

4. Les camarades Tito et Kardelj se plaignent d’être dans une situation difficile et disent que les conséquences de tout cela sont très lourdes pour la Yougoslavie.

Cela est, bien entendu, exact, mais les camarades Tito et Kardelj en sont exclusivement coupables et, de concert avec eux, les autres membres du Bureau politique du CC du parti communiste yougoslave qui ont placé leur prestige et leur ambition au-dessus des intérêts du peuple yougoslave et qui, au lieu de reconnaître et de corriger leurs erreurs, dans l’intérêt de leur peuple, nient opiniâtrement ces erreurs, dangereuses pour le peuple yougoslave.

5. Les camarades Tito et Kardelj déclarent que le CC du PCY refuse de se présenter à la session du Bureau d’Information pour y discuter la question de la situation dans le parti communiste yougoslave.

Si c’est la leur décision définitive, cela veut dire alors qu’ils n’ont rien a dire au Bureau d’Information pour se justifier, que par cela même ils reconnaissent tacitement qu’ils sont coupables et qu’ils craignent de se montrer en face des partis communistes frères.

De plus, leur refus de venir devant le Bureau d’Information signifie que le CC du PCY est entré dans la voie d’une scission avec le front socialiste unique des démocraties populaires, avec l’Union soviétique et que maintenant il prépare son parti et le peuple yougoslave a trahir le front unique des démocraties populaires et l’URSS.

Étant donné que le Bureau d’Information est la base de parti du front unique, une telle politique mène à la trahison de la cause de la solidarité internationale des travailleurs et au passage sur les positions du nationalisme, hostile à la cause de la classe ouvrière.

Que les représentants du CC du PCY se présentent ou non a la session du Bureau d’Information, le CC du PC (b) insiste pour que la question de la situation dans le parti communiste yougoslave soit débattue a la prochaine session du Bureau d’Information.

Les camarades tchécoslovaques et hongrois demandant que la convocation du Bureau d’Information soit remise a la seconde moitié de juin, le CC du PC (b) déclare être d’accord avec cette proposition.


Staline : Au sujet de l’arme atomique

Pravda, 6 Octobre 1951

Que pensez-vous du bruit soulevé ces jours-ci dans la presse étrangère à l’occasion de l’essai d’une bombe atomique en Union soviétique ?

   Staline. En effet, il a été procédé récemment chez nous à l’essai d’un des types de la bombe atomique. L’expérimentation de bombes atomiques de différents calibres se poursuivra également à l’avenir d’après le plan de défense de notre pays contre une attaque de la part du bloc agressif anglo-américain.

Diverses personnalités des Etats-Unis d’Amérique sonnent l’alarme à propos de l’essai d’une bombe atomique et clament que la sécurité des Etats-Unis d’Amérique est menacée. Y a-t-il un fondement quelconque à cette alarme ?

   Staline. Cette alarme est dépourvue de tout fondement. Les personnalités des Etats-Unis d’Amérique ne peuvent ignorer que l’Union soviétique est non seulement contre l’emploi de l’arme atomique, mais encore pour son interdiction, pour la cessation de sa fabrication.

   Comme on le sait, l’Union soviétique a exigé à plusieurs reprises l’interdiction de l’arme atomique, mais elle s’est heurtée, chaque fois, à un refus de la part des puissances du bloc Atlantique.

   Cela signifie qu’en cas d’agression des Etats-Unis contre notre pays, les milieux gouvernants des Etats-Unis d’Amérique feront usage de la bombe atomique.

   C’est précisément cette circonstance qui a contraint l’Union soviétique à se doter de l’arme atomique afin de recevoir les agresseurs dans la plénitude de ses moyens.

   Naturellement, les agresseurs voudraient que l’Union soviétique se trouve désarmée en cas d’agression de leur part contre elle. Mais l’Union soviétique n’est pas de cet avis et pense que c’est dans la plénitude de ses moyens qu’elle doit recevoir l’agresseur.

   Par conséquent, si les Etats-Unis ne pensent pas attaquer l’Union soviétique, il faut considérer l’alarme des personnalités des Etats-Unis d’Amérique comme sans objet et simulée, car l’Union soviétique ne pense pas attaquer les Etats-Unis d’Amérique ou quelque autre pays à quelque moment que ce soit.

   Les personnalités des Etats-Unis d’Amérique sont mécontentes de ce que le secret de l’arme atomique soit détenu non seulement par les Etats-Unis d’Amérique mais par d’autres pays également et, en premier lieu, par l’Union soviétique.

   Elles voudraient que les Etats-Unis d’Amérique aient le monopole de la fabrication de la bombe atomique, que les Etats-Unis d’Amérique aient la possibilité illimitée d’intimider les autres pays et d’user de chantage à leur égard.

   Mais quelle raison ont-elles, en somme, de penser ainsi, et quel droit ?

   L’intérêt du maintien de la paix exige-t-il un tel monopole ?

   Ne serait-il pas plus exact de dire que le contraire est vrai, que c’est précisément l’intérêt du maintien de la paix qui exige en premier lieu la liquidation de ce monopole et, ensuite, l’interdiction absolue de l’arme atomique ?

   Je pense que les partisans de la bombe atomique ne pourront consentir à l’interdiction de l’arme atomique que dans le cas où ils verront qu’ils n’en détiennent plus le monopole.

Que pensez-vous du contrôle international de l’arme atomique ?

   Staline. L’Union soviétique est pour l’interdiction de l’arme atomique et pour la cessation de sa fabrication. L’Union soviétique est pour l’établissement d’un contrôle international afin que la décision sur l’interdiction de l’arme atomique, sur la cessation de la fabrication de cette arme et sur l’emploi exclusivement à des fins civiles des bombes atomiques déjà fabriquées soit observée de la façon la plus stricte et la plus consciencieuse.

   L’Union soviétique est précisément pour un tel contrôle international.

   Les personnalités américaines parlent également de «contrôle», mais leur « contrôle » entend non la cessation de la fabrication de l’arme atomique mais la continuation de cette fabrication, et cela en des quantités correspondant à la quantité de matières premières dont disposent tels ou tels pays.

   Par conséquent, le « contrôle » américain entend non l’interdiction de l’arme atomique mais sa légalisation et sa légitimation.

   Par là même se trouve légalisé le droit des fauteurs de guerre d’exterminer au moyen de l’arme atomique des dizaines et des centaines de milliers d’habitants paisibles.

   Il n’est pas difficile de comprendre que ce n’est pas un contrôle mais une parodie de contrôle, que c’est là tromper les aspirations pacifiques des peuples.

   On comprend que ce « contrôle » ne peut satisfaire les peuples attachés à la paix, qui exigent l’interdiction de l’arme atomique et la cessation de sa fabrication.

=>Oeuvres de Staline

Lénine, organisateur et chef du Parti Communiste de Russie

   A L’OCCASION DU 50e ANNIVERSAIRE DE SA NAISSANCE

   Publié dans la Pravda n° 86 le 23 avril 1920

Il y a deux groupes de marxistes. Tous deux travaillent sous le drapeau du marxisme et se croient « authentiquement » marxistes.

Et cependant ils ne sont pas identiques, loin de là. Bien plus : un abîme les sépare, leurs méthodes de travail étant diamétralement opposées. Le premier de ces groupes se borne d’ordinaire à reconnaître extérieurement le marxisme, à le proclamer avec solennité.

Ne sachant pas ou ne voulant pas pénétrer l’essence du marxisme, ne sachant pas ou ne voulant pas le faire passer dans la vie, il transforme les principes vivants et révolutionnaires du marxisme en formules mortes, qui ne disent rien.

Il fait reposer son activité, non sur l’expérience, ni sur les enseignements du travail pratique, mais sur des citations de Marx. Indications et directives, il les puise non dans l’analyse de la réalité vivante, mais dans les analogies et les parallèles historiques.

Divorce entre la parole et les actes, tel est le vice essentiel de ce groupe. De là les déceptions et cet éternel mécontentement du destin qui, à tout moment, le trahit, le laisse « Gros-Jean comme devant ». Ce groupe a nom menchévisme (en Russie), opportunisme (en Europe). Au congrès de Londres, le camarade Tyszko (Ioguichès) a donné une caractéristique assez heureuse de ce groupe ; il a dit de lui qu’il ne se tenait pas, mais gisait sur la plate-forme marxiste.

Le second groupe, au contraire, reporte le centre de gravité du problème, de la reconnaissance extérieure du marxisme à son application, à sa mise en œuvre.

Déterminer, selon la situation, les voies et moyens permettant de réaliser le marxisme, modifier ces voies et moyens lorsque la situation change, voilà ce qui retient principalement l’attention de ce groupe. Ce n’est pas dans les analogies et les parallèles historiques qu’il puise directives et indications, mais dans l’étude des conditions environnantes.

Dans son activité il ne s’appuie pas sur des citations et des sentences, mais sur l’expérience pratique dont il se sert pour vérifier chacun de ses pas, tirer parti de ses propres erreurs et apprendre aux autres à édifier la vie nouvelle. C’est ce qui explique à proprement parler que dans l’activité de ce groupe l’action ne dément pas la parole et que la doctrine de Marx conserve entièrement sa force révolutionnaire vive.

A ce groupe s’appliquent parfaitement les paroles de Marx, selon lesquelles les marxistes ne peuvent se contenter d’expliquer le monde, mais doivent aller plus loin pour le modifier. Ce groupe a nom : bolchévisme, communisme. L’organisateur et le chef de ce groupe est V. I. Lénine.

1. LÉNINE, ORGANISATEUR
DU PARTI COMMUNISTE DE RUSSIE

La formation du parti du prolétariat s’est poursuivie en Russie dans des conditions particulières, différentes de celles des pays d’Occident, au moment où s’y organisait le parti ouvrier.

En Occident, — France, Allemagne, — le parti ouvrier est né des syndicats, alors que syndicats et partis fonctionnaient légalement ; alors que la révolution bourgeoise était déjà faite, et qu’existait le Parlement bourgeois, quand la bourgeoisie qui s’était faufilée au pouvoir se trouvait face à face avec le prolétariat.

En Russie, au contraire, le parti du prolétariat s’est formé sous l’absolutisme le plus féroce, dans l’attente de la révolution démocratique bourgeoise, alors que d’une part les organisations du Parti regorgeaient d’éléments « marxistes légaux » bourgeois, avides d’utiliser la classe ouvrière pour la révolution bourgeoise.

D’autre part, les gendarmes du tsar arrachaient des rangs du Parti ses meilleurs militants, cela au moment où l’essor du mouvement révolutionnaire spontané réclamait l’existence d’un noyau de révolutionnaires, noyau apte à la lutte, ferme, uni et suffisamment clandestin, capable de diriger le mouvement en vue de renverser l’absolutisme.

Il s’agissait de séparer les boucs et les brebis, de se délimiter des intrus, de former des cadres de révolutionnaires expérimentés à la base, de leur donner un programme clair et une tactique ferme ; il s’agissait enfin de rassembler ces cadres en une seule organisation de combat composée de révolutionnaires professionnels, suffisamment clandestine pour pouvoir tenir contre les coups de main de la gendarmerie, et en même temps, suffisamment liée aux masses pour, le moment venu, les mener à la lutte.

Les menchéviks, ceux-là même qui « gisent » sur la plate-forme marxiste, tranchaient le problème simplement : du moment qu’en Occident le parti ouvrier était né des syndicats sans-parti en lutte pour l’amélioration de la situation économique de la classe ouvrière, il fallait, dans la mesure du possible, en faire autant pour la Russie, c’est-à-dire se borner pour l’instant à la « lutte économique des ouvriers contre le patronat et le gouvernement », à l’échelle locale, sans créer d’organisation de combat pour toute la Russie, et puis … et puis, si d’ici là les syndicats ne faisaient pas leur apparition, on convoquerait un congrès ouvrier sans-parti et on le proclamerait parti.

Que ce « plan » « marxiste » des menchéviks, utopique pour la Russie, supposât néanmoins un vaste travail d’agitation visant à ravaler l’idée même du parti, à en détruire les cadres, à priver de son parti le prolétariat et à donner la classe ouvrière en pâture aux libéraux, — c’est ce dont les menchéviks, et peut-être aussi nombre de bolcheviks, ne se doutaient guère à l’époque.

Le plus grand mérite de Lénine devant le prolétariat russe et son Parti, c’est d’avoir montré tout le danger du « plan » menchévik d’organisation, au moment où ce « plan » venait tout juste d être conçu, où les auteurs eux-mêmes de ce « plan » avaient peine à s’en représenter clairement les contours ; et, l’ayant montré, d’avoir déclenché une attaque à fond contre le débraillé qui régnait chez les menchéviks, en matière d’organisation, en concentrant sur ce problème toute l’attention des militants Car il s’agissait de l’existence du Parti, de la vie ou de la mort du Parti.

Mettre sur pied un journal politique pour toute la Russie, comme centre de ralliement des forces du Parti ; organiser des cadres stables à la base, comme « formation régulière » du Parti ; rassembler ces cadres en un tout au moyen d’un journal et les cimenter en un parti de combat à l’échelle de toute la Russie, parti aux limites nettement déterminées, au programme clair, à la tactique ferme et à la volonté unique : tel est te plan que Lénine développa dans ses célèbres brochures : Que faire ? et Un pas en avant, deux pas en arrière. 

Ce plan avait le mérite de répondre strictement à la réalité russe et de résumer de façon magistrale l’expérience des meilleurs militants en matière d’organisation.

Dans la lutte pour ce plan, ta majorité des militants russes suivirent résolument Lénine, sans reculer devant la scission. La victoire de ce plan permit de jeter les fondements d’un parti communiste, cohérent et aguerri, qui n’a pas son égal au monde.

Nos camarades (pas seulement les menchéviks !) accusaient souvent Lénine d’avoir un penchant excessif pour la polémique et la scission, d’avoir mené une lutte implacable contre les conciliateurs, etc Sans doute l’un et l’autre ont-ils eu lieu en leur temps.

Mais il n’est pas difficile de comprendre que notre Parti n’aurait pu se débarrasser de sa faiblesse intérieure et de son défaut de précision, ni acquérir la force et la vigueur qui le caractérisent, s’il n’avait chassé de son sein les éléments non prolétariens, opportunistes.

A l’époque de la domination de la bourgeoisie, le Parti du prolétariat ne peut croître et se fortifier que dans la mesure où il mène la lutte contre les éléments opportunistes, hostiles à la Révolution et au Parti, dans son propre milieu et parmi la classe ouvrière Lassalle avait raison de dire : « Le Parti se fortifie en s’épurant. »

Les accusateurs invoquaient d’ordinaire le parti allemand, où florissait l’« unité ».

Mais d’abord, toute unité n’est pas signe de force ; ensuite, il suffit de considérer aujourd’hui l’ancien Parti allemand, déchiré en trois partis, pour comprendre tout ce qu’il y avait de faux, d’illusoire dans l’« unité » entre Scheidemann-Noske et Liebknecht-Luxembourg.

Et qui sait s’il n’eût pas mieux valu pour le prolétariat d’Allemagne que les éléments révolutionnaires du parti allemand se fussent séparés à temps de ses éléments antirévolutionnaires…

Oui, Lénine avait mille fois raison de conduire le Parti dans la voie d’une lutte irréconciliable contre les éléments hostiles au Parti et à la Révolution Car ce n’est que grâce à cette politique d’organisation que notre Parti a su réaliser dans son sein cette unité intérieure et cette étonnante cohésion, dont la possession lui a permis de sortir indemne de la crise de juillet sous Kérenski (1) de porter sans défaillance le poids de l’insurrection d’Octobre, de traverser sans perturbation la crise de la période de Brest-Litovsk (2), d’organiser la victoire sur l’Entente et, enfin, d’acquérir cette souplesse sans analogue qui lui permet à tout moment de reformer ses rangs et de concentrer les centaines de milliers de ses membres sur quelque grande tâche que ce soit, sans jeter la confusion dans son milieu.

2. LÉNINE, CHEF DU PARTI COMMUNISTE DE RUSSIE

Mais les qualités du Parti communiste de Russie dans le domaine d’organisation ne sont qu’un des aspects du problème. Le Parti n’aurait pu croître ni se fortifier avec cette rapidité si le contenu politique de son activité, son programme et sa tactique ne répondaient pas à la situation russe, si ses mots d’ordre n’enflammaient pas les masses ouvrières et ne poussaient le mouvement révolutionnaire en avant. C’est cet aspect que nous allons analyser.

La révolution démocratique bourgeoise russe (1905) s’est faite dans des conditions différentes de celles des pays d’Occident lors des bouleversements révolutionnaires, par exemple, en France et en Allemagne.

La révolution survint en Occident en période manufacturière, à une époque où la lutte de classes n’était pas développée, où le prolétariat faible et peu nombreux ne possédait pas de parti propre, capable de formuler ses revendications, et où la bourgeoisie était assez révolutionnaire pour inspirer confiance aux ouvriers et aux paysans et les mener à la lutte contre l’aristocratie.

En Russie, au contraire, la révolution (1905) a commencé à l’époque du machinisme et de la lutte de classes évoluée, alors que le prolétariat russe, relativement nombreux et soudé par le capitalisme, avait déjà livré maint combat à la bourgeoisie, possédait son propre parti, plus uni que les partis bourgeois, et formulait ses revendications de classe ; cependant que la bourgeoisie russe, qui d’ailleurs vivait des commandes du gouvernement, était effrayée par l’esprit révolutionnaire du prolétariat au point de rechercher une alliance avec le gouvernement et les grands propriétaires fonciers contre les ouvriers et les paysans.

Le fait que la révolution russe ait éclaté à la suite des échecs militaires sur les champs de bataille de la Mandchourie, n’a pu qu’accélérer le cours des événements sans toutefois modifier en rien le fond du problème.

La situation exigeait du prolétariat qu’il se mît à la tête de la révolution, qu’il ralliât autour de lui la paysannerie révolutionnaire et engageât simultanément une lutte décisive contre le tsarisme et la bourgeoisie, en vue de la démocratisation complète du pays et pour assurer ses propres intérêts de classe.

Mais les menchéviks, ceux-là mêmes qui « gisent » sur la plateforme marxiste, résolurent le problème à leur manière : puisque la révolution russe est bourgeoise, et que dans les révolutions bourgeoises ce sont les représentants de la bourgeoisie qui dirigent (voir l’ « histoire » des révolutions française et allemande), le prolétariat ne peut exercer l’hégémonie dans la révolution russe dont la direction doit être laissée à la bourgeoisie russe (à celle-là même qui trahit la révolution) ; la paysannerie, elle aussi, doit être livrée en tutelle à la bourgeoisie; quant au prolétariat, il doit rester à l’état d’opposition d’extrême-gauche.

Et ces plates rengaines de libéraux chétifs, les menchéviks les présentaient comme le dernier mot du marxisme « authentique » !

Le plus grand mérite de Lénine devant la révolution russe, c’est d’avoir révélé jusqu’à la racine l’inanité des parallèles historiques chers aux menchéviks et tout le danger que présentait leur « schéma de la révolution », qui livrait la cause ouvrière en pâture à la bourgeoisie. Dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie, au lieu de la dictature de la bourgeoisie, boycottage de la Douma de Boulyguine (3) et insurrection armée au lieu de la participation à la Douma et d’un travail organique dans son sein ; idée d’un « bloc de gauche » lorsque la Douma s’est malgré tout réunie, et utilisation de la tribune de la Douma pour la lutte en dehors de celle-ci, au lieu d’un ministère cadet et d’un « ménagement » réactionnaire de la Douma ; lutte contre le parti cadet (4) comme force de contre-révolution, au lieu d’un bloc avec lui : tel est le plan tactique développé par Lénine dans ses célèbres brochures — Deux tactiques, la Victoire des cadets. Le mérite de ce plan est que, formulant avec netteté et résolution les revendications de classe du prolétariat, à l’époque de la révolution démocratique bourgeoise en Russie, il facilitait le passage à la révolution socialiste et portait en germe l’idée de dictature du prolétariat. 

Dans leur lutte pour ce plan tactique, la majorité des militants russes suivit Lénine résolument et sans retour. Le triomphe de ce plan permit de jeter les bases de la tactique révolutionnaire, grâce à laquelle notre Parti ébranle aujourd’hui les fondements de l’impérialisme mondial.

Le développement ultérieur des événements, les quatre années de guerre impérialiste et les perturbations de toute l’économie nationale, la révolution de Février et la fameuse dualité du pouvoir — le Gouvernement provisoire, foyer de la contre-révolution bourgeoise, et le Soviet de Pétersbourg, forme de la dictature naissante du prolétariat —, la Révolution d’Octobre et la dissolution de la Constituante, l’abolition du parlementarisme bourgeois et la proclamation de la République des Soviets, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et l’intervention de l’impérialisme mondial de concert avec les pseudo-marxistes contre la révolution prolétarienne, enfin la situation pitoyable des menchéviks, cramponnés à la Constituante, jetés par-dessus bord par le prolétariat et poussés par la vague de la révolution vers le rivage du capitalisme : tout cela n’a fait que confirmer la justesse des principes de la tactique révolutionnaire formulée par Lénine dans les Deux tactiques. 

Un parti disposant d’un pareil héritage pouvait naviguer hardiment sans craindre les écueils. A notre époque de révolution prolétarienne, où chaque mot d’ordre du Parti et chaque phrase du chef sont vérifiés dans les faits, le prolétariat exige de ses chefs des qualités particulières. L’histoire connaît des chefs prolétariens, des chefs des temps d’orage, des chefs-praticiens, pleins d’abnégation et d’audace, mais faibles en théorie.

Les masses n’oublient pas de sitôt les noms de ces chefs. Tels, par exemple, Lassalle en Allemagne, Blanqui en France. Mais le mouvement dans son ensemble ne peut vivre uniquement de souvenirs : il lui faut un objectif clair (un programme), une ligne ferme (une tactique).

Il est aussi des chefs d’un autre genre, des chefs du temps de paix, forts en théorie, mais faibles en matière d’organisation et de travail pratique.

Ces chefs ne sont populaires que parmi les couches supérieures du prolétariat, et cela jusqu’à un certain moment. Avec l’avènement d’une époque révolutionnaire, où l’on demande aux chefs des mots d’ordre révolutionnaires pratiques, les théoriciens, faisant place à des hommes nouveaux, quittent la scène. Tels, par exemple, Plékhanov en Russie, Kautsky en Allemagne.

Pour se maintenir au poste de chef de la révolution prolétarienne et du Parti du prolétariat, il faut allier en soi la force de la théorie et l’expérience pratique de l’organisation du mouvement prolétarien. P. Axelrod, du temps qu’il était marxiste, écrivait que Lénine « réunissait en lui de façon heureuse l’expérience d’un bon praticien, l’instruction théorique et un vaste horizon politique » (voir la préface de P. Axelrod à la brochure de Lénine : Les tâches des socialdémocrates russes) Il n’est pas difficile de deviner ce que dirait aujourd’hui de Lénine monsieur Axelrod, l’idéologue du capitalisme « civilisé ».

Mais pour nous qui connaissons Lénine de près et pouvons voir les choses avec objectivité, il est certain que Lénine n’a rien perdu de cette vieille qualité.

C’est là du reste qu’il faut chercher l’explication du fait que Lénine, et pas un autre, est aujourd’hui le chef du parti prolétarien le plus puissant et le mieux aguerri du monde.

NOTES

1. La crise de juillet sous Kérenski fut provoquée par les événements des 3-5 juillet 1917 à Pétrograd. Ces jours-là les ouvriers et les soldats de la capitale manifestèrent spontanément sous le mot d’ordre de passage du pouvoir aux Soviets. Malgré le caractère pacifique de la manifestation, le gouvernement provisoire bourgeois, à la tête duquel se trouvait le socialiste-révolutionnaire Kérenski, lança la troupe contre les manifestants.

Après avoir réprimé la manifestation, le gouvernement s’abattit sur le parti bolchevik. Il fit interdire l’organe central des bolcheviks, la Pravda, lança un mandat d’arrêt contre Lénine qui fut obligé de passer à l’illégalité, arrêta des bolcheviks en vue, etc. Mais sous la direction de Lénine et de Staline, le Parti sut préparer dans ces conditions extrêmement pénibles la victoire de la Révolution prolétarienne d’Octobre 1917.

2. La période de Brest-Litovsk est liée à la paix de Brest-Litovsk. La jeune République soviétique, relativement faible encore, s’était trouvée dans la nécessité d’accepter, le 3 mars 1918, la paix rapace imposée par l’Allemagne impérialiste et ses alliés — l’Autriche-Hongrie, la Turquie et la Bulgarie — la paix de Brest-Litovsk. Après la chute du Kaiser en Allemagne (novembre 1918), elle fut annulée par le gouvernement soviétique.

3. Au mois d’août 1905, le ministre de l’Intérieur Boulyguine élabora un projet de décret sur la convocation d’une Assemblée représentative et consultative. Cependant, la Douma de Boulyguine ne fut jamais convoquée. Sous la pression des événements révolutionnaires de l’automne 1905, le gouvernement du tsar dut renoncer à ce projet et promettre la convocation d’un organe représentatif aux fonctions législatives.

4. Parti cadet — principal parti de la bourgeoisie monarchiste libérale russe, fondé en 1905. Il s’appelait parti constitutionnel-démocrate (de là, l’abréviation — c.-d.).

=>Oeuvres de Staline

Staline : Câble de Staline à Clément Gottwald

Câble de Staline à Clément Gottwald

Filippov (Joseph Staline)

27 août 1950

   Notre appréciation sur le retrait de l’Union soviétique du Conseil de Sécurité [de l’ONU] le 27 juin [1950] et les événements subséquents est assez différente de celle du camarade Gottwald.

   Nous avons quitté le Conseil de Sécurité pour quatre raisons : premièrement, pour démontrer la solidarité de l’Union Soviétique envers la Chine nouvelle.

   Deuxièmement, pour faire ressortir la folie et la stupidité de la politique nord-américaine cherchant à faire siéger un clown du Guomindang en tant que représentant de la Chine au Conseil de Sécurité; troisièmement, pour rendre illégale la décision du Conseil de Sécurité suite à l’absence des représentants de deux grandes puissance pour sa ratification; quatrièmement, pour laisser à l’Etat américain les mains libres de gagner à sa cause la majorité des votes du Conseil de Sécurité, de faire davantage d’erreurs et ainsi de montrer ses vraies couleurs au public.

   Je pense que nous avons atteint tous ces objectifs.

   Suite à notre retrait du Conseil de Sécurité, l’Amérique s’est empêtrée dans l’intervention militaire en Corée, et est en train de perdre son prestige militaire et son autorité morale.

   Peu de gens honnêtes peuvent désormais douter du fait que l’Amérique agit en tant qu’agresseur et tyran en Corée, et qu’en termes militaires, elle n’est pas aussi puissante qu’elle le prétend.

   En outre, il est clair que l’attention des Etats Unis d’Amérique est à l’heure actuelle éloignée de l’Europe et de l’Extrême-Orient.

   Cela ne nous donne-t-il pas l’avantage dans la balance globale du pouvoir? Assurément.

   Supposons que l’Etat américain continue de s’engager en Extrême- Orient et pousse la Chine dans la lutte pour la libération de la Corée et pour sa propre indépendance. Qu’est-ce qui pourrait en ressortir ?

   Tout d’abord, l’Amérique, comme n’importe quel autre Etat, ne peut pas se mesurer à la Chine, un pays aux si grandes capacités militaires.

   Il en résulterait que l’Amérique se casserait le cou dans cette lutte.

   Ensuite, ayant échoué de cette façon, l’Amérique ne serait pas en position d’entamer une troisième guerre mondiale.

   Par conséquent, la troisième guerre mondiale serait remise à une date ultérieure indéterminée, ce qui donnerait du temps pour renforcer le socialisme en Europe.

   D’autre part, la lutte entre l’Amérique et la Chine mettrait l’ensemble de l’Extrême-Orient dans un état de révolution. Cela nous donne-t-il l’avantage dans la balance globale du pouvoir ? Assurément.

   Comme vous pouvez le voir, la question de savoir s’il faut que l’Union Soviétique soit membre du Conseil de Sécurité n’est pas aussi simple qu’elle pourrait paraître.

   Donc, nous ne pouvons pas dire que le « camp de la démocratie n’a pas besoin de quitter le Conseil de Sécurité ». Que nous y restions ou que nous en sortions dépend des circonstances.

   Il se peut que nous soyons amenés à le quitter à nouveau et à y revenir, cela dépendra de l’état de la situation internationale.

   On pourrait demander pourquoi nous sommes revenus au Conseil de Sécurité. Nous y sommes revenus pour continuer à dénoncer la politique agressive de l’Etat américain et pour l’empêcher d’utiliser le Conseil de Sécurité comme couverture pour son agression.

   Maintenant que l’Amérique s’est engagée de façon agressive en Corée, il serait plus facile d’atteindre ce but en restant membre du Conseil de Sécurité. Je pense que ce point est suffisamment clair et ne demande pas plus d’explications.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Discours au IIe congrès des soviets de l’URSS

26 JANVIER 1924

Camarades, nous sommes, nous communistes, des gens d’une facture à part. Nous sommes taillés dans une étoffe à part. Nous formons l’armée du grand stratège prolétarien, l’armée du camarade Lénine. Il n’est rien de plus haut que l’honneur d’appartenir à cette armée.

Il n’est rien de plus haut que le titre de membre du Parti qui a pour fondateur et pour dirigeant le camarade Lénine. Il n’est pas donné à tout le monde d’être membre d’un tel Parti.

Il n’est pas donné à tout le monde de résister aux adversités et aux tempêtes qu’entraîne l’adhésion à ce parti Les fils de la classe ouvrière, enfants du besoin et de la lutte, des privations sans nom et des efforts héroïques, voilà ceux qui, avant tout, doivent être membres de ce parti. Voilà pourquoi le parti des léninistes, le parti des communistes s’appelle encore le parti de la classe ouvrière.

   En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé de tenir haut et de garder dans sa pureté le glorieux titre de membre du Parti Nous te jurons, camarade Lénine, d’accomplir avec honneur ta volonté !

Pendant vingt-cinq ans le camarade Lénine a été l’éducateur constant de notre Parti, dont il a fait le Parti ouvrier le plus vigoureux et le mieux aguerri du monde.

Les coups portés par le tsarisme et ses prétoriens, la rage de la bourgeoisie et des grands propriétaires fonciers, les attaques armées de Koltchak et de Dénikine, l’intervention armée de l’Angleterre et de la France, les mensonges et les calomnies de la presse bourgeoise aux cent bouches, — tous ces scorpions s’acharnèrent constamment contre notre Parti pendant un quart de siècle.

Mais notre Parti se dressait comme un roc, repoussant les innombrables coups de ses ennemis et menant la classe ouvrière en avant, vers la victoire. C’est dans de rudes batailles que notre Parti a forgé l’unité et la cohésion de ses rangs. C’est par son unité et sa cohésion qu’il a pu triompher des ennemis de la classe ouvrière.

   En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé de garder l’unité de notre Parti comme la prunelle de nos yeux. Nous te jurons, camarade Lénine, que là encore nous accomplirons avec honneur ta volonté !

Dur et insupportable est le sort de la classe ouvrière. Lourdes et accablantes sont les souffrances des travailleurs. Esclaves et maîtres, serfs et seigneurs, paysans et grands propriétaires fonciers, ouvriers et capitalistes, opprimés et oppresseurs, — ainsi s’édifia le monde à travers les siècles, tel il demeure aujourd’hui encore dans l’immense majorité des pays.

Des dizaines et des centaines de fois les travailleurs ont tenté tout au long des siècles de secouer le joug de leurs oppresseurs et de se rendre maîtres de leur destinée. Mais chaque fois, battus et déshonorés, ils ont dû reculer, avec, au fond du cœur, l’offense et l’humiliation, la colère et le désespoir, et les yeux levés vers un ciel impénétrable où ils espéraient trouver la délivrance.

Les chaînes de l’esclavage demeuraient intactes, ou bien les vieilles étaient remplacées par de nouvelles, aussi lourdes, aussi humiliantes. Dans notre pays seulement les masses laborieuses opprimées et accablées ont pu secouer la domination des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, et y substituer la domination des ouvriers et des paysans. Vous savez, camarades, et le monde entier le reconnaît à présent, que cette lutte gigantesque fut dirigée par le camarade Lénine et son Parti.

La grandeur de Lénine est avant tout d’avoir, en créant la République des Soviets, montré en fait aux masses opprimées du monde entier, que l’espoir de la délivrance n’est pas perdu, que la domination des grands propriétaires fonciers et des capitalistes n’est pas éternelle, que le règne du travail peut être institué par les efforts des travailleurs eux-mêmes, qu’il faut instituer ce règne sur la terre, et non dans le ciel.

Il a allumé ainsi dans le cœur des ouvriers et des paysans du monde entier, l’espoir de la libération. C’est ce qui explique que le nom de Lénine soit devenu le nom le plus cher aux masses laborieuses et exploitées.

   En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé de sauvegarder et d’affermir la dictature du prolétariat. Nous te jurons, camarade Lénine, de ne pas épargner nos forces pour, là encore, accomplir avec honneur ta volonté !

La dictature du prolétariat s’est établie dans notre pays sur la base de l’alliance des ouvriers et des paysans. C’est là la base première et fondamentale de la République des Soviets. Les ouvriers et les paysans n’auraient pu vaincre les capitalistes et las grands propriétaires fonciers, si cette alliance n’avait pas existé.

Les ouvriers n’auraient pu battre les capitalistes s’ils n’avaient pas eu l’appui des paysans. Les paysans, s’ils n’avaient pas été dirigés par les ouvriers, n’auraient pu battre les grands propriétaires fonciers. C’est ce qu’atteste toute l’histoire de la guerre civile dans notre pays. Mais la lutte pour l’affermissement de la République des Soviets est loin d’être achevée, elle a simplement pris une forme nouvelle.

D’abord l’alliance des ouvriers et des paysans a revêtu la forme d’une alliance militaire, puisqu’elle était dirigée contre Koltchak et Dénikine. Maintenant l’alliance des ouvriers et des paysans doit prendre la forme d’une collaboration économique entre villes et campagnes, entre ouvriers et paysans, car cette alliance est dirigée contre le marchand et le koulak ; car elle a pour objet de permettre aux paysans et aux ouvriers de se pourvoir mutuellement de tout le nécessaire. Vous savez que nul n’a poursuivi cette tâche avec autant de persévérance que le camarade Lénine.

   En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé de consolider de toutes nos forces l’alliance des ouvriers et des paysans. Nous te jurons, camarade Lénine, que là encore nous accomplirons avec honneur ta volonté !

La deuxième base de la République des Soviets est l’alliance des travailleurs des nationalités peuplant notre pays. Russes et Ukrainiens, Bachkirs et Biélorussiens, Géorgiens et Azerbaïdjans, Arméniens et Daghestanais, Tatars et Kirghiz, Ouzbeks et Turkmènes, tous ont également intérêt à voir s’affermir la dictature du prolétariat.

La dictature du prolétariat affranchit ces peuples de leurs chaînes et de l’oppression ; et ces peuples à leur tour, par leur dévouement absolu à la République des Soviets, par leur volonté de se sacrifier pour elle, la mettent à l’abri des intrigues et des attaques des ennemis de la classe ouvrière.

Voilà pourquoi le camarade Lénine nous a toujours parlé de la nécessité d’une alliance librement consentie des peuples de notre pays, de la nécessité de leur collaboration fraternelle dans le cadre de l’Union des Républiques.

   En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé de consolider et d’étendre l’Union des Républiques. Nous te jurons, camarade Lénine, que là encore nous accomplirons avec honneur ta volonté !

La troisième base de la dictature du prolétariat, c’est notre Armée rouge, notre Flotte rouge. Lénine nous a dit maintes fois que la trêve arrachée par nous aux Etats capitalistes pouvait être de courte durée.

Maintes fois Lénine nous a indiqué que le renforcement de l’Armée rouge et son perfectionnement sont une des tâches les plus importantes de notre Parti. Les événements rattaches à l’ultimatum de Curzon et à la crise en Allemagne ont confirmé une fois de plus que Lénine, comme toujours, avait raison. Jurons donc, camarades, de ne pas épargner nos efforts pour renforcer notre Armée rouge, notre Flotte rouge !

Notre pays se dresse, tel un roc formidable, au milieu de l’océan des Etats bourgeois. Les vagues pressées déferlent sur lui, menaçant de le submerger, de l’emporter. Mais le roc reste inébranlable.

Qu’est-ce qui fait sa force ?

Ce n’est pas seulement que notre pays soit fondé sur l’alliance des ouvriers et des paysans ; qu’il personnifie l’alliance des nationalités libres et qu’il est défendu par le bras puissant de l’Armée et de la Flotte rouges.

Ce qui fait la force de notre pays, sa vigueur, sa solidité, c’est la sympathie profonde et l’indestructible appui qu’il trouve dans le cœur des ouvriers et des paysans du monde entier.

Les ouvriers et les paysans de tous les pays veulent sauvegarder la République des Soviets, flèche lancée de la main sûre du camarade Lénine dans le camp ennemi ; base de l’espoir qu’ils ont de se libérer de l’oppression et de l’exploitation ; phare infaillible qui leur indique le chemin de l’affranchissement. Ils veulent la sauvegarder, et ils ne permettront pas aux grands propriétaires fonciers et aux capitalistes de la détruire. Là est notre force, là est la force des travailleurs de tous les pays.

Là aussi est la faiblesse de la bourgeoisie du monde entier. Lénine n’a jamais regardé la République des Soviets comme un but en soi. Il l’a toujours considérée comme un chaînon indispensable pour renforcer le mouvement révolutionnaire dans les pays d’Occident et d’Orient, comme un chaînon indispensable pour faciliter la victoire des travailleurs du monde entier sur le Capital.

Lénine savait que cette conception était la seule juste, au point de vue international comme au point de vue de la sauvegarde de la République soviétique Lénine savait que c’était le seul moyen d’enflammer le cœur de tous les travailleurs du monde pour les batailles décisives en vue de leur affranchissement.

Voilà pourquoi Lénine, le plus grand génie parmi les chefs géniaux du prolétariat, posait, au lendemain de l’instauration de la dictature du prolétariat, les fondements de l’Internationale des ouvriers. Voilà pourquoi il ne se lassa pas d’étendre et de consolider l’union des travailleurs de tous les pays : l’Internationale communiste.

Vous avez vu, ces derniers jours, le pèlerinage de dizaines et de centaines de milliers de travailleurs venus saluer la dépouille mortelle de Lénine. D’ici quelque temps, vous verrez le pèlerinage à son tombeau des représentants de millions de travailleurs.

Vous pouvez être certains qu’après ces représentants de millions de travailleurs, afflueront de tous les points du monde les représentants de dizaines et de centaines de millions d’hommes ; ils viendront témoigner que Lénine ne fut pas seulement le chef du prolétariat russe, des ouvriers d’Europe, des travailleurs de l’Orient colonial, mais aussi de toute l’humanité laborieuse du globe.

   En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé la fidélité aux principes de l’Internationale communiste. Nous te jurons, camarade Lénine, que nous n’épargnerons pas notre vie pour consolider et étendre l’union des travailleurs du monde entier, l’Internationale communiste !

=>Oeuvres de Staline

Staline : Réponse au camarade Notkine Alexandre Ilitch

21 avril 1952

   Camarade Notkine,

   Je ne vous ai pas répondu aussitôt, parce que je ne juge pas urgentes les questions que vous posez. D’autant plus qu’il est d’autres questions ayant un caractère d’urgence et qui, naturellement, retiennent l’attention et la détournent de votre lettre.

   Je réponds point par point.

   Premier point.

   Dans mes « Remarques » figure la thèse selon laquelle la société n’est pas impuissante devant les lois de la science, que les hommes, en connaissant les lois économiques, peuvent les utiliser dans l’intérêt de la société.

Vous prétendez que cette thèse ne peut être étendue aux autres formations de la société, qu’elle n’est valable que pour le socialisme et le communisme, que le caractère spontané des processus économiques, par exemple, sous le capitalisme ne permet pas à la société d’utiliser les lois économiques dans son intérêt.

   C’est faux. A l’époque de la révolution bourgeoise, par exemple en France, la bourgeoisie a utilisé centre le féodalisme la loi de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives, elle a renversé les rapports de production féodaux, elle a créé des rapports de production nouveaux, bourgeois, et les a fait concorder avec le caractère des forces productives, formées au sein du régime féodal.

La bourgeoisie l’a fait non pas en vertu de ses talents particuliers, mais parce qu’elle y était vivement intéressée.

Les féodaux s’y opposaient non par stupidité, mais parce qu’ils étaient vivement intéressés à empêcher l’application de cette loi. Il faut en dire autant de la Révolution socialiste dans notre pays.

La classe ouvrière a utilisé la loi de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives, elle a renversé les rapports de production bourgeois, elle a créé des rapports de production nouveaux, socialistes, et les a fait concorder avec le caractère des forces productives.

Elle a pu le faire, non en vertu de ses talents particuliers, mais parce qu’elle y était vivement intéressée. La bourgeoisie qui, de force d’avant-garde à l’aube de la révolution bourgeoise, avait eu le temps de se transformer en une force contre-révolutionnaire, a résisté par tous les moyens à l’application de cette loi, — résisté non point par manque d’organisation ni parce que le caractère spontané des processus économiques la poussait à la résistance, mais principalement parce qu’elle était vivement intéressée à la non-application de cette loi.

   Par conséquent :

   1° L’utilisation des processus économiques, des lois économiques dans l’intérêt de la société a lieu, dans telle ou telle mesure, non seulement sous le socialisme et le communisme, mais aussi sous d’autres formations ;

   2° L’utilisation des lois économiques dans une société de classe, a toujours et partout des mobiles de classe, et le promoteur de l’utilisation des lois économiques dans l’intérêt de la société, est toujours et partout la classe d’avant-garde, tandis que les classes déclinantes s’y opposent.

   En l’occurrence, la différence entre le prolétariat, d’une part, et les autres classes qui accomplirent jadis, au cours de l’histoire, des révolutions dans les rapports de production, d’autre part, c’est que les intérêts de classe du prolétariat se fondent avec les intérêts de l’immense majorité de la société, car la révolution du prolétariat ne signifie pas la suppression de telle ou telle forme d’exploitation, mais la suppression de toute exploitation, tandis que les révolutions des autres classes, en supprimant simplement telle ou telle forme d’exploitation, n’allaient pas au delà de leurs intérêts de classe étroits, qui se trouvaient en contradiction avec les intérêts de la majorité de la société.

Les « Remarques » parlent des mobiles de classe qui font que les lois économiques sont utilisées dans l’intérêt de la société. Il y est dit :

   Alors que dans le domaine de la nature, la découverte et l’application d’une nouvelle loi se poursuivent plus ou moins sans entrave, dans le domaine économique la découverte et l’application d’une nouvelle loi, qui porte atteinte aux intérêts des forces déclinantes de la société, rencontrent la résistance la plus énergique de ces forces.

   Or vous n’avez prêté aucune attention à ce passage.

   Deuxième point.

   Vous prétendez que l’entière correspondance entre les rapports de production et le caractère des forces productives, ne peut être obtenue que sous le socialisme et le communisme, et que sous les autres formations on ne peut réaliser qu’une correspondance incomplète.

   C’est faux. Dans l’époque qui a suivi la révolution bourgeoise, lorsque la bourgeoisie a détruit les rapports de production féodaux et instauré des rapports de production bourgeois, il y a eu incontestablement des périodes où les rapports de production bourgeois ont été entièrement conformes au caractère des forces productives. Autrement, le capitalisme n’aurait pas pu se développer aussi rapidement qu’il l’a fait après la révolution bourgeoise.

   Ensuite. On ne peut pas prendre dans leur acception absolue les mots « entière correspondance ». On ne peut pas les interpréter en ce sens que, sous le socialisme, les rapports de production ne marqueraient aucun retard sur l’accroissement des forces productives.

Les forces productives sont les forces les plus mobiles et les plus révolutionnaires de la production. Elles devancent, sans conteste, les rapports de production, en régime socialiste également. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps que les rapports de production s’adaptent au caractère des forces productives.

   Dès lors, comment faut-il comprendre les mots « entière correspondance » ? Il faut les comprendre en ce sens que d’une façon générale, sous le socialisme, les choses n’aboutissent pas à un conflit entre les rapports de production et les forces productives, que la société a la possibilité d’assurer en temps utile la correspondance entre les rapports de production retardataires et le caractère des forces productives.

La société socialiste a la possibilité de le faire parce qu’elle n’a pas, dans son sein, de classes déclinantes pouvant organiser la résistance. Certes, sous le socialisme également, il y aura des forces d’inertie retardataires, ne comprenant pas la nécessité de modifier les rapports de production, mais il sera, évidemment, facile d’en venir à bout, sans pousser les choses jusqu’à un conflit.

   Troisième point.

   Il ressort de vos raisonnements que vous considérez comme une marchandise les moyens de production et, tout d’abord, les instruments de production fabriqués par nos entreprises nationalisées.

   Peut-on considérer les moyens de production, dans notre régime socialiste, comme une marchandise ? Selon moi, on ne le peut en aucune façon.

La marchandise est un produit de la production, qui se vend à tout acheteur ; au moment de la vente, le propriétaire de la marchandise perd son droit de propriété, tandis que l’acheteur devient propriétaire de la marchandise ; il peut la revendre, la mettre en gage, la laisser pourrir. Cette définition convient-elle pour les moyens de production ? Il est clair que non.

D’abord, les moyens de production ne « se vendent » pas à tout acheteur, ils ne « se vendent » pas même aux kolkhozes ; ils sont simplement répartis par l’État entre ses entreprises. En second lieu, le propriétaire des moyens de production, l’Etat, lorsqu’il les remet à telle ou telle entreprise ne perd aucunement le droit de propriété sur les moyens de production, mais, au contraire, le conserve intégralement.

Troisièmement, les directeurs d’entreprises, qui ont reçu de l’État des moyens de production, non seulement n’en deviennent pas les propriétaires, mais, au contraire, sont les fondés de pouvoir de l’État soviétique pour l’utilisation des moyens de production, en accord avec les plans fixés par l’État.

   Comme on le voit, les moyens de production, sous notre régime, ne sauraient aucunement être classés dans la catégorie des marchandises.

   Pourquoi alors parle-t-on de la valeur des moyens de production, de leur prix de revient, de leur prix de vente, etc. ?

   Pour deux raisons.

   Premièrement, cela est nécessaire pour les calculs, pour les règlements de comptes, pour établir la rentabilité ou la non-rentabilité des entreprises, pour vérifier et contrôler ces dernières. Mais ce n’est là que le côté formel de la question. Deuxièmement, cela est nécessaire pour pouvoir, dans l’intérêt du commerce extérieur, vendre des moyens de production aux États étrangers.

Ici, dans le domaine du commerce extérieur, mais seulement dans ce domaine, nos moyens de production sont effectivement des marchandises et se vendent effectivement (sans guillemets). Ainsi donc, dans le domaine du commerce extérieur, les moyens de production fabriqués par nos entreprises conservent les propriétés de marchandises tant pour le fond que pour la forme, tandis que dans les échanges économiques à l’intérieur du pays, les moyens de production perdent les propriétés des marchandises, cessent d’être des marchandises, sortent de la sphère d’action de la loi de la valeur et ne conservent que l’apparence extérieure de marchandises (calculs, etc.).

   Comment expliquer cette particularité ?

   C’est que dans nos conditions socialistes le développement économique se fait non par révolutions, mais par modifications graduelles, lorsque l’ancien n’est pas purement et simplement aboli, mais change de nature pour s’adapter au nouveau, et ne conserve que sa forme ; le nouveau, pour sa part, ne supprime pas purement et simplement l’ancien, mais le pénètre, modifie sa nature, ses fonctions, n’en brise pas la forme mais l’utilise pour le développement du nouveau.

Il en est ainsi des marchandises, mais aussi de la monnaie dans nos échanges économiques, il en va de même en ce qui concerne les banques qui, en perdant leurs anciennes fonctions et en en acquérant de nouvelles, conservent leur forme ancienne, utilisée par le régime socialiste.

   Si l’on envisage la question du point de vue formel, du point de vue des processus qui s’opèrent à la surface des événements, on en arrive à cette fausse conclusion que les catégories du capitalisme conservent soi-disant leur vigueur dans notre économie.

Mais si l’on analyse la question du point de vue marxiste, qui distingue strictement entre le contenu du processus économique et sa forme, entre les processus profonds de développement et les phénomènes superficiels, − on ne petit arriver qu’à cette conclusion, la seule juste : c’est que chez nous se sont principalement conservés la forme, l’aspect extérieur des anciennes catégories du capitalisme ; quant au fond, ces catégories ont changé radicalement, selon les nécessités du développement de l’économie nationale, de l’économie socialiste.

   Quatrième point.

   Vous prétendez que la loi de la valeur exerce une action régulatrice sur les prix des « moyens de production » produits par l’agriculture et livrée à l’État aux prix de stockage. Ce disant, vous avez en vue des « moyens de production » comme les matières premières, par exemple, le coton. Vous auriez pu ajouter le lin, la laine et autres matières premières agricoles.

   Notons tout d’abord qu’en l’occurrence l’agriculture ne produit pas les « moyens de production », mais un des moyens de production : les matières premières. On ne doit pas jouer sur les mots « moyens de production ».

Lorsque les marxistes parlent de la production des moyens de production, ils entendent tout d’abord la production des instruments de production, ce que Marx appelle les « moyens mécaniques de travail, dont l’ensemble peut être appelé l’ossature et la musculature de la production », système qui constitue les « indices distinctifs caractéristiques d’une époque donnée de la production sociale ».

Mettre sur le même plan une partie des moyens de production (matières premières) et les moyens de production, y compris les instruments de production, c’est pécher contre le marxisme, qui part du rôle déterminant des instruments de production par rapport à tous les autres moyens de production.

Chacun sait que les matières premières par elles-mêmes ne peuvent produire des instruments de production, bien que certaines variétés de matières premières soient indispensables à la fabrication des instruments de production, tandis qu’aucune matière première ne peut être produite sans instruments de production.

   Poursuivons.

L’action que la loi de la valeur exerce sur le prix des matières premières produites dans l’agriculture, est-elle une action régulatrice, comme vous le prétendez, camarade Notkine ?

Elle serait régulatrice si le « libre » jeu des prix des matières premières agricoles existait chez nous, si la loi de concurrence et d’anarchie de la production s’exerçait chez nous, si nous n’avions pas d’économie planifiée, si la production des matières premières n’était pas réglée par un plan.

Mais étant donné que tous ces « si » sont inexistants dans notre système d’économie nationale, l’action de la loi de la valeur sur les prix des matières premières agricoles ne peut en aucune façon être régulatrice. Premièrement, les prix qui existent chez nous sur les matières premières agricoles sont stables, établis par un plan, et non « libres ».

Deuxièmement, le volume de la production des matières premières agricoles n’est pas établi spontanément, ni par des éléments fortuits, mais par un plan. Troisièmement, les instruments de production nécessaires à la production des matières premières agricoles, ne sont pas concentrées entre les mains d’individus, ou de groupes d’individus, mais entre les mains de l’État.

Que reste-t-il après cela du rôle régulateur de la loi de la valeur ? On voit qu’elle-même est réglée par les faits indiqués plus haut, inhérente à la production socialiste. Par conséquent, on ne peut nier que la loi de la valeur agit sur la formation des prix des matières premières agricoles, qu’elle en est un des facteurs. A plus forte raison ne doit-on nier le fait que cette action n’est, ni ne peut être régulatrice.

   Cinquième point.

   En parlant de la rentabilité de l’économie nationale, de l’économie socialiste, j’ai élevé des objections dans mes « Remarques » contre certains camarades qui prétendent 
que, étant donné que notre économie nationale planifiée n’accorde pas une préférence marquée aux entreprises rentables et admet, à côté de celles-ci, des entreprises non rentables, notre économie tue soi-disant le principe même de la rentabilité dans l’économie.

Dans mes « Remarques », il est dit que la rentabilité des différentes entreprises et branches de production, ne saurait aucunement être comparée à la rentabilité supérieure que nous donne la production socialiste, qui nous prémunit contre les crises de surproduction et nous garantit une augmentation incessante de la production.

   Mais on aurait tort d’en tirer la conclusion que la rentabilité des différentes entreprises et branches de production n’a pas de valeur particulière et ne mérite pas une sérieuse attention.

Évidemment, c’est faux. La rentabilité des différentes entreprises et branches de production a une importance énorme pour le développement de notre production. On doit en tenir compte en planifiant la construction aussi bien que la production. C’est l’abc de notre activité économique au stade de développement actuel.

   Sixième point.

   On ne sait pas au juste comment il faut comprendre ce que vous dites à propos du capitalisme : « la production élargie sous un aspect sensiblement déformé ».

Pareilles productions, et encore élargies, n’existent pas dans la réalité. Après que le marché mondial s’est scindé et que la sphère d’application des forces des principaux pays capitalistes (États-Unis, Grande-Bretagne, France) aux ressources mondiales a commencé à se rétrécir, il est évident que le caractère cyclique du développement du capitalisme − accroissement et réduction de la production − doit cependant persister. Toutefois, l’accroissement de la production dans ces pays se fera sur une base restreinte, car le volume de la production ira diminuant dans ces pays.

   Septième point.

   La crise générale du système capitaliste mondial a commencé pendant la première guerre mondiale, notamment du fait que l’Union soviétique s’est détachée du système capitaliste. Ce fut la première étape de la crise générale. Pendant la deuxième guerre mondiale, la deuxième étape de la crise générale s’est développée, surtout après que se sont détachés du système capitaliste les pays de démocratie populaire en Europe et en Asie.

La première crise à l’époque de la première guerre mondiale et la seconde crise à l’époque de la seconde guerre mondiale, ne doivent pas être considérées comme des crises distinctes, indépendantes, coupées l’une de l’autre, mais comme des étapes de développement de la crise générale du système capitaliste mondial.

   Cette crise générale du capitalisme mondial est-elle une crise uniquement politique ou uniquement économique ? Ni l’un ni l’autre.

Elle est générale, c’est-à-dire une crise généralisée du système capitaliste mondial, englobant l’économie aussi bien que la politique. On conçoit qu’à la base de cette crise se trouvent la décomposition toujours plus accentuée du système économique capitaliste mondial, d’une part, et la puissance économique grandissante des pays qui se sont détachés du capitalisme : l’U.R.S.S., la Chine et les autres pays de démocratie populaire, d’autre part.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Lettre de Koutaïs

Ecrit en septembre-octobre 1904.
Traduit du géorgien.

[On a retrouvé, dans la correspondance de Lénine et de Nadiejda Kroupskaïa avec les organisations bolchéviks de Russie, deux lettre de Staline expédiées de Koutaïs. Ces lettres ont été écrites pendant le séjour qu’il y fit en septembre-octobre 1904, et elles sont adressées à un camarade, M. Davitachvili, comme lui militant révolutionnaire de Transcaucasie, qui, résidant alors à Leipzig, en Allemagne, faisait partie du groupe bolchévik de cette ville.

Dans ses souvenirs, un autre membre du groupe bolchévik de Leipzig, D. Souliachvili, écrit au sujet de ces lettres : « Nous recevions du camarade Staline des lettres chaleureuses sur Lénine, elles étaient adressées au camarade M. Davitachvili.

Il y admirait Lénine, la fermeté de sa tactique, purement marxiste, les solutions qu’il apportait aux problèmes de l’organisation du parti, etc…

Dans une de ces lettres, le camarade Staline disait de Lénine qu’il était un « aigle des montagnes » et s’enthousiasmait pour la lutte intransigeante que celui-ci menait contre les menchéviks.

Nous avions fait parvenir ces lettres à Lénine et bientôt nous reçûmes de lui une réponse où il appelait Staline « l’ardent Colchidien ». (Voir L. Béria : Contribution à l’histoire des organisations bolchéviks de Transcaucasie, 6e édition russe, p. 89). Les originaux géorgiens de ces lettres n’ont pas été retrouvés. ]

Maintenant on a besoin ici de l’Iskra [2] [l’Etincelle] (bien qu’elle manque d’étincelle, on en a quand même besoin : elle a du moins sa chronique et, que diable, il faut bien connaître aussi l’ennemi) à partir du numéro 63. Nous avons grand besoin des publications de Bontch-Brouévitch [3] : « La lutte pour le congrès », « Au Parti » (ne s’agit-il pas de la déclaration des 22 [4]), « Nos malentendus », « Sur l’essence du socialisme » et « A propos des grèves » de Riadovoï (si elles ont paru), la brochure de Lénine contre Rosa et Kautsky [5], les Procès-verbaux du congrès de la Ligue [6], Un pas en avant [7] (cela peut attendre, si le temps manque). Il nous faut les moindres nouveautés, depuis les simples déclarations jusqu’aux grosses brochures, tout ce qui concerne tant soit peu la lutte actuelle à l’intérieur du parti.

J’ai lu la brochure de Galiorka : A bas le bonapartisme ! Ce n’est pas mal. S’il martelait plus fortement et plus profondément, cela vaudrait mieux. En prenant un ton badin et en demandant grâce, il ôte de la force et du poids à ses coups et gâte l’impression produite sur le lecteur. Ce défaut saute d’autant plus aux yeux que, visiblement, l’auteur comprend fort bien notre position ; il explique et développe parfaitement certains problèmes. Un homme qui professe notre point de vue doit parler d’une voix ferme et résolue. Sous ce rapport, Lénine est un véritable aigle des montagnes.

J’ai lu de même les articles de Plékhanov, dans lesquels il analyse Que faire ? Cet homme a perdu la raison, ou bien ce sont la haine et l’animosité qui parlent en lui. Je pense que l’une et l’autre de ces explications sont valables. Je pense aussi que Plékhanov est en retard sur les nouveaux problèmes.

Il se croit toujours en présence de ses anciens contradicteurs et répète comme par le passé : « La conscience sociale est déterminée par l’être social », « les idées ne tombent pas du ciel ». Comme si Lénine disait que le socialisme était possible du temps de l’esclavage et du servage ! Aujourd’hui les lycéens eux-mêmes savent que « les idées ne tombent pas du ciel ». Mais le fait est qu’il s’agit maintenant de tout autre chose. Il y a beau temps que nous nous sommes assimilé cette question générale.

Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est de savoir comment, à partir d’idées isolées s’élabore un système d’idées (la théorie du socialisme) ; comment des idées isolées et des bribes d’idées s’ordonnent en un système cohérent, — la théorie du socialisme, — et qui les élabore et les relie les unes aux autres. Qui donne un programme et les fondements théoriques du programme : les masses à leurs dirigeants ou les dirigeants aux masses ?

Si ce sont les masses elles-mêmes et leur mouvement spontané qui nous donnent la théorie du socialisme, point n’est besoin de les préserver de l’influence néfaste du révisionnisme, du terrorisme, du zoubatovisme [8], de l’anarchisme : « le mouvement spontané engendre de lui-même le socialisme ». Mais si le mouvement spontané n’engendre pas de lui-même la théorie du socialisme) c’est donc que cette dernière naît en dehors du mouvement spontané, qu’elle naît de l’observation et de l’étude du mouvement spontané faites par des hommes qui sont armés des connaissances de notre époque.

Autrement dit, la théorie du socialisme s’élabore « tout à fait indépendamment du progrès du mouvement spontané », et même à l’encontre de ce mouvement ; c’est ensuite seulement qu’elle est introduite du dehors dans ce mouvement, qu’elle le rectifie conformément à son propre contenu, c’est-à-dire conformément aux exigences objectives de la lutte de classe du prolétariat.

La conclusion (la déduction pratique), la voici : élevons le prolétariat jusqu’à la conscience de ses intérêts de classe véritables, jusqu’à la conscience de l’idéal socialiste, au lieu de galvauder cet idéal en vétilles et de l’accommoder au mouvement spontané.

Lénine a établi la base théorique sur laquelle s’édifie précisément cette déduction pratique. Il suffit d’adopter cette prémisse théorique pour être immunisé contre tout opportunisme. En cela réside l’importance de l’idée léniniste, parce que personne, dans les publications russes, ne l’a exprimée avec autant de clarté que Lénine. Plékhanov se croit toujours aux années 1890-1900 et il remâche ce qui a déjà été mâché dix-huit fois : à savoir que deux et deux font quatre. Et il n’a pas honte d’en arriver à reprendre les idées de Martynov…

Tu connais certainement la déclaration des 22… Il est venu ici un camarade de chez vous, qui a emporté les résolutions des comités du Caucase, favorables à un congrès extraordinaire du parti.

Tu as tort de désespérer : seul le comité de Koutaïs hésitait, mais je suis parvenu à les convaincre, et ils ne jurent plus à présent que par le bolchévisme.

Il n’a pas été difficile de les convaincre : la politique de duplicité du Comité central est devenue évidente grâce à la déclaration des 22, et après les nouveaux renseignements recueillis là-dessus, le doute n’était plus permis. Il (le C.C.) se rompra le cou, les camarades russes et ceux d’ici feront tout pour cela. Tout le monde a une dent contre lui.

Notes

[2] Il s’agit de la nouvelle Iskra, de l’Iskra menchévik. Après le IIe Congrès du POSDR, les menchéviks, s’étant emparé de l’Iskra avec le concours de Plékhanov, l’utilisèrent pour lutter contre Lénineet les bolchéviks. Ils se mirent à diffuser ouvertement dans ses colonnes leurs vues opportunistes . L’Iskra menchévik parut jusqu’en octobre 1905.

[3] Après que les menchéviks se furent emparé de la rédaction de l’Iskra, V. Bontch-Brouévitch, sur mandat de Lénine, organisa en automne 1904 un service d’édition chargé de publier « la littérature du parti, consacrée notamment à la défense de la position de principe de la majorité du IIe congrès du parti ». Le Conseil du parti et le Comité central, qui se trouvaient alors aux mains des menchéviks, entravaient de mille manières l’impression et la diffusion de la littérature bolchévik. Aussi la conférence des comités bolchéviks du Caucase, qui se tint en novembre 1904, adopta-t-elle la résolution suivante « Sur la littérature de la majorité » : « La conférence invite le Comité central à fournir aux comités du parti les publications du groupe de Bontch-Brouévitch et de Lénine, en même temps que toutes les autres publications du parti, traitant des divergences dans le parti ». A la fin de décembre 1904, c’est le journal V périod [En avant], organisé par Lénine, qui se chargea de ce service d’édition.

[4] « La déclaration des 22 », est un message Au Parti, rédigé par Lénine. Ce message fut adoptée à une conférence bolchévik qui se tint en Suisse sous la direction de Lénine au mois d’août 1904. La brochure Au Parti, mentionnée dans la lettre de Staline, contient, outre le message Au Parti, les résolutions des comités de Riga et de Moscou, et aussi celle du groupe bolchévik de Genève, qui s’étaient ralliés aux résolutions de la conférence des 22 bolchéviks. Le message Au Parti devint pour les bolchéviks le programme de lutte en vue du IIIe congrès. La plupart des comités du P.O.S.D.R. se solidarisèrent avec les résolutions de la conférence bolchévik. En septembre 1904, le Comité de l’Union caucasienne, les comités de Tiflis et d’Imérétie-Mingrélie se rallièrent à la « Déclaration des 22 » et entreprirent un travail d’agitation pour la convocation immédiate du IIIe congrès du parti.

[5] L’article de Lénine : « Un pas en avant, deux pas en arrière » , rédigé en septembre 1904, est une réponse à celui de Rosa Luxembourg ; « Les questions d’organisation de la social-démocratie russe », publié dans le n°69 de l’Iskra et dans les n°42 et 43 de la Neue Zeit, ainsi qu’à la lettre de Karl Kautsky, parue dans le n°66 de l’Iskra. Lénine destinait sa réponse à la Neue Zeit , mais la rédaction de celle-ci, qui sympathisait avec les menchéviks, refusa de la publier.

[6] Procès-verbaux du IIe congrès de la Ligue de la social-démocratie révolutionnaire russe à l’étranger, publiés par la Ligue en 1904, à Genève.

[7] Le livre de Lénine : Un pas en avant, deux pas en arrière, écrit en février-mai, parut le 6 (19) mai 1904. (Voir Œuvres, 4e éd. russe, t. VII, p. 185 à 392, et Œuvres choisies, en français, t. Ier, p. 324 à 414, Moscou, 1948).

[8] Zoubatov (1864-1917) : chef de l’Okhrana (police politique du tsar) de Moscou, inspirateur de ce que l’on a appelé le socialisme politique. Zoubatov créa de prétendus organisations ouvrières, notamment en 1902, des sociétés de secours mutuels dans les usines de Saint-pétersbourg et de Moscou, pour détourner les ouvriers de la lutte révolutionnaire et les placer sous le contrôle de la police.

=>Oeuvres de Staline

Staline : À tous les ouvriers

Publié d’après le texte du tract édité le 19 octobre 1905
par l’imprimerie clandestine (d’Avlabar) de l’Union caucasienne du P.O.S.D.R.
Signé :
 Le Comité de Tiflis.
Traduit du géorgien.

La révolution gronde ! Le peuple révolutionnaire de Russie est debout ; il presse de toutes parts le gouvernement tsariste pour lui livrer assaut !

Les drapeaux rouges flottent au vent ; on dresse des barricades, le peuple prend les armes et attaque les établissements publics. De nouveau retentit l’appel des braves ; de nouveau gronde la vie qui s’était comme assoupie. Le vaisseau de la révolution, toutes voiles dehors, cingle vers la liberté. C’est le prolétariat de Russie qui le conduit.

Que veulent les prolétaires de Russie et où vont-ils ? Renversons la Douma tsariste et instituons une Assemblée nationale constituante : voilà ce que disent aujourd’hui les prolétaires de Russie. Le prolétariat ne demandera pas au gouvernement de menues concessions ; il ne lui demandera pas d’abroger la « loi martiale » et de mettre un terme aux « exécutions militaires » dans quelques villes et villages, — le prolétariat ne s’abaissera pas à de pareilles bagatelles.

Qui demande des concessions au gouvernement ne croit pas à la mort de ce gouvernement ; or le prolétariat est tout pénétré de cette croyance.

Qui attend du gouvernement certains « avantages », ne croit pas à la force de la révolution ; or le prolétariat est animé par cette croyance. Non ! le prolétariat ne dispersera pas son énergie en revendications déraisonnables. Il n’a qu’une revendication à présenter à l’autocratie tsariste : à bas l’autocratie, mort à l’autocratie !

Et voici qu’à travers les étendues de la Russie retentit, toujours plus hardi, l’appel révolutionnaire des ouvriers : A bas la Douma d’Etat ! Vive l’Assemblée nationale constituante ! Voilà vers quoi s’oriente aujourd’hui le prolétariat de Russie.

Le tsar n’accorde pas une Assemblée nationale constituante ; le tsar n’abolira pas sa propre autocratie, — non, cela, il ne le fera pas ! La « constitution » étriquée qu’il « octroie » est une concession, nous ne refuserons pas d’arracher la noix à la corneille pour lui casser la tête avec. Mais le fait n’en reste pas moins que le peuple ne peut se fier à la promesse du tsar, qu’il ne doit se fier qu’à lui-même, qu’il ne doit compter que sur sa force : l’émancipation du peuple doit être l’oeuvre du peuple lui-même. Ce n’est que sur les ossements des oppresseurs que peut être édifiée la liberté du peuple ; ce n’est qu’avec le sang des oppresseurs que peut être fertilisé le sol où s’épanouira le pouvoir absolu du peuple !

C’est seulement quand le peuple en armes entrera en action, avec le prolétariat à sa tête, et quand il brandira le drapeau de l’insurrection générale, que pourra être renversé le gouvernement tsariste, fort de ses baïonnettes. Pas de phrases creuses, pas d’ « auto-armement » absurde, mais un armement réel et l’insurrection armée : voilà vers quoi s’orientent aujourd’hui les prolétaires de toute la Russie.

L’insurrection victorieuse aboutira à la défaite du gouvernement. Mais plus d’une fois les gouvernements battus se sont relevés. Le nôtre aussi peut le faire. Les forces ténébreuses qui, pendant l’insurrection, se cachent dans les trous, en sortiront dés le lendemain et voudront remettre sur pied le gouvernement. C’est ainsi que les gouvernements vaincus ressuscitent d’entre les morts. Le peuple doit absolument juguler ces forces ténébreuses, les anéantir ! Il faut pour cela que, dés le lendemain de l’insurrection, du plus petit combattant au plus grand, le peuple vainqueur s’arme et devienne une armée révolutionnaire, toujours prête à défendre, les armes à la main, les droits qu’il aura conquis.

C’est seulement quand le peuple vainqueur sera devenu armée révolutionnaire qu’il sera en mesure d’écraser définitivement les forces ténébreuses tapies dans leurs antres. Seule l’armée révolutionnaire peut donner de la force aux actes du gouvernement provisoire ; seul le gouvernement provisoire pourra convoquer l’Assemblée nationale constituante qui doit instaurer la république démocratique. Une armée révolutionnaire et un gouvernement provisoire révolutionnaire, voilà vers quoi s’orientent aujourd’hui les prolétaires de Russie.

Telle est la voie où s’est engagée la révolution russe. Elle conduit au pouvoir absolu du peuple, et le prolétariat appelle tous les amis du peuple à suivre ce chemin.

L’absolutisme tsariste barre la route à la révolution populaire ; il veut par son manifeste d’hier, freiner ce grand mouvement : il est clair que les vagues de la révolution submergeront et balaieront l’absolutisme tsariste…

Mépris et haine pour tous ceux qui ne suivront pas la voie du prolétariat, car ils trahissent bassement la révolution. Honte à ceux qui en fait se sont engagés dans cette voie, mais tiennent un autre langage : ceux-là craignent la vérité par pusillanimité !

Quant à nous, nous ne craignons pas la vérité, nous ne craignons pas la révolution ! Que le tonnerre gronde plus fort, que la tempête se déchaîne avec plus de violence ! L’heure de la victoire est proche !

Proclamons donc avec enthousiasme les mots d’ordre du prolétariat de Russie :

À bas la Douma d’Etat !
Vive l’insurrection armée !
Vive l’armée révolutionnaire !
Vive l’Assemblée nationale constituante !
Vive la république démocratique !
Vive le prolétariat !

=>Oeuvres de Staline

Staline : Sur le projet de constitution de l’URSS

Rapport présenté au VIIIe congrès extraordinaire des Soviets de l’URSS le 25 novembre 1936.

I – LA COMMISSION DE LA CONSTITUTION,
SA FORMATION ET SES TACHES

Camarades,

La Commission de la Constitution, dont le projet est soumis à l’examen de ce congrès, a été formée, comme on sait, par décision spéciale du VIIe congrès des Soviets de l’U.R.S.S.

Cette décision fut adoptée le 6 février 1935.

On y lit :

1. Apporter à la Constitution de l’U.R.S.S. des modifications en vue a) de démocratiser encore le système électoral, en remplaçant les élections incomplètement égales par des élections égales, les élections à plusieurs degrés par des élections directes, le vote public par le scrutin secret ;b) de préciser la base sociale et économique de la Constitution, pour faire correspondre celle-ci avec l’actuel rapport des forces de classes en U.R.S.S. (création d’une nouvelle industrie socialiste ; écrasement de la classe des koulaks ; victoire du régime kolkhozien ; affermissement de la propriété socialiste comme base de la société soviétique, etc.)

2. Inviter le Comité exécutif central de l’U.R.S.S. à élire une Commission de la Constitution, chargée d’établir le texte rectifié de la Constitution sur les bases indiquées au paragraphe 1, et de le soumettre à l’approbation de la session du Comité exécutif central de l’U.R.S.S.

3. Procéder aux prochaines élections ordinaires des organes du pouvoir soviétique de l’U.R.S.S. sur la base du nouveau système électoral.

Cela se passait le 6 février 1935. Un jour après l’adoption de cette décision, c’est à dire le 7 février 1935, se réunissait la première session du Comité exécutif central de l’U.R.S.S., qui, en exécution de la décision du Vile congrès des Soviets de l’U.R.S.S., formait la Commission de la Constitution, composée de 31 membres. Elle chargea cette Commission d’établir le projet du texte rectifié de la Constitution de l’U.R.S.S.

Tels sont les motifs officiels et les directives de l’organisme suprême de l’U.R.S.S., qui devaient servir de base aux travaux de la Commission de la Constitution. Ainsi donc, la Commission de la Constitution devait apporter des changements à la Constitution adoptée en 1924, actuellement en vigueur, en tenant compte des transformations qui ont été réalisées dans la vie de l’U.R.S.S. vers le socialisme, depuis 1924 jusqu’à nos jours.

II – LES CHANGEMENTS INTERVENUS DANS LA VIE DE L’U.R.S.S. PENDANT LA PERIODE 1924-1936

Quels sont les changements qui sont intervenus dans la vie de l’U.R.S.S. pendant la période 1924-1936, et que la Commission de la Constitution devait refléter dans son projet de Constitution ?

Quel est le fond de ces changements ?

Qu’avions-nous en 1924 ?

C’était la première période de la Nep, alors que le pouvoir soviétique avait permis une certaine reprise du capitalisme, tout en faisant le maximum ; pour développer le socialisme ; alors qu’il se proposait, au cours de la compétition entre les deux systèmes économiques — capitaliste et socialiste — d’organiser la prépondérance du système socialiste sur le système capitaliste. La tâche était de consolider pendant cette compétition les positions du socialisme, d’obtenir la liquidation des éléments capitalistes et d’achever la victoire du système socialiste, système fondamental de l’économie nationale. Notre industrie offrait alors un tableau peu enviable, l’industrie lourde surtout.

Il est vrai qu’elle se rétablissait peu à peu, mais elle était encore loin d’avoir porté sa production au niveau d’avant-guerre. Elle était basée sur une technique vieille, arriérée et pauvre. Certes, elle se développait vers le socialisme. La part du secteur socialiste de notre industrie était alors d’environ 80 %. Cependant le secteur capitaliste ne détenait pas moins de 20 % de l’industrie. Notre agriculture offrait un tableau encore moins attrayant.

Il est vrai que la classe des grands propriétaires fonciers était déjà liquidée ; par contre la classe des capitalistes agricoles, la classe des koulaks, représentait encore une force assez considérable. Dans son ensemble l’agriculture était comme un immense océan de petites exploitations paysannes individuelles, avec leur technique arriérée, médiévale.

Dans cet océan, kolkhoz et sovkhoz formaient des points et des îlots ; ils n’avaient pas encore, à proprement parler, une importance tant soit peu sérieuse dans notre économie nationale. Les kolkhoz et sovkhoz étaient faibles, tandis que le koulak était encore en force. Nous parlions alors non de la liquidation de la classe des koulaks, mais de sa limitation.

Il faut en dire autant des échanges dans le pays. Le secteur socialiste dans le domaine des échanges représentait quelque 50 ou 60 %, pas plus, et tout le reste du champ d’activité était occupé par les marchands, les spéculateurs et autres commerçants privés. Tel était le tableau de notre économie en 1924.

Où en sommes-nous maintenant, en 1936 ?

Si nous étions alors à la première période de la Nep, au début de la Nep, dans la période d’une certaine reprise du capitalisme, nous en sommes maintenant dans la dernière période de la Nep, à la fin de la Nep, en période de liquidation complète du capitalisme dans toutes les sphères de l’économie nationale.

Ainsi, par exemple, notre industrie, durant cette période, est devenue une force gigantesque. Maintenant, on ne peut plus la qualifier d’industrie faible et techniquement mal équipée. Au contraire, elle est maintenant basée sur une technique nouvelle, riche et moderne, avec une industrie lourde fortement développée et des constructions mécaniques encore plus développées.

Mais le plus important, c’est que le capitalisme a été complètement chassé de notre industrie, et que la forme socialiste de production y domine actuellement sans partage. On ne saurait négliger le fait que la production de notre industrie socialiste d’aujourd’hui dépasse de plus de sept fois celle de l’industrie d’avant-guerre.

Dans l’agriculture, au lieu d’un océan de petites exploitations paysannes individuelles, avec leur technique arriérée et l’emprise des koulaks, nous avons maintenant la plus grande production mécanisée du monde, et armée d’une technique moderne : un vaste système de kolkhoz et de sovkhoz.

Tout le monde sait que lia classe des koulaks a été liquidée dans l’agriculture, et que le secteur des petites exploitations paysannes individuelles, avec sa technique arriérée, médiévale, occupe maintenant une place insignifiante ; sa part dans l’agriculture, pour l’étendue des surfaces ensemencées, représente 2 à 3 % au plus.

On ne peut s’empêcher de constater que les kolkhoz disposent aujourd’hui de 316.000 tracteurs d’une puissance de 5.700.000 CV, et, avec les sovkhoz, ils totalisent plus de 400.000 tracteurs d’une puissance de 7.580.000 CV. En ce qui concerne les échanges dans le pays, les marchands et spéculateurs ont été chassés complètement de ce domaine. Tout le commerce est aujourd’hui entre les mains de l’Etat, des coopératives et des kolkhoz.

Un nouveau commerce est né et s’est développé, le commerce soviétique, commerce sans spéculateurs, sans capitalistes. Ainsi la victoire totale du système socialiste dans toutes les sphères de l’économie nationale est désormais un fait acquis.

Et qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie que l’exploitation de l’homme par l’homme a été supprimée, liquidée, et que la propriété socialiste des instruments et moyens de production s’est affirmée comme la base inébranlable de notre société soviétique. (Applaudissements prolongés.) Ces changements dans l’économie nationale de l’U.R.S.S. font que nous avons aujourd’hui une nouvelle économie, l’économie socialiste, qui ignore les crises et le chômage, qui ignore la misère et la ruine, et offre aux citoyens toutes possibilités d’une vie d’aisance et de culture.

Tels sont pour l’essentiel les changements survenus dans notre économie, de 1924 à 1936.

Ces changements dans l’économie de l’U.R.S.S. ont entraîné des changements dans la structure de classe de notre société. On sait que la classe des grands propriétaires fonciers avait déjà été liquidée à la suite de notre victoire finale dans la guerre civile. Les autres classes exploiteuses ont partagé le même sort. Plus de classe des capitalistes dans l’industrie. Plus de classe des koulaks dans l’agriculture. Plus de marchands et spéculateurs dans le commerce. De sorte que toutes les classes exploiteuses ont été liquidées. Est restée la classe ouvrière. Est restée la classe des paysans.

Sont restés les intellectuels.

Mais on aurait tort de croire que ces groupes sociaux n’ont subi aucun changement pendant la période envisagée et qu’ils sont demeurés ce qu’ils étaient, disons, à l’époque du capitalisme. Prenons, par exemple, la classe ouvrière de l’U.R.S.S. On, l’appelle souvent, par vieille habitude, prolétariat. Mais qu’est-ce que le prolétariat ?

Le prolétariat est une classe privée des instruments et moyens de production dans le système économique où instruments et moyens de production appartiennent aux capitalistes, et où la classe des capitalistes exploite le prolétariat.

Le prolétariat est une classe exploitée par les capitalistes. Mais chez nous, on le sait, la classe des capitalistes est déjà liquidée ; les instruments et moyens de production ont été enlevés aux capitalistes et remis à l’Etat, dont la force dirigeante est la classe ouvrière.

Par conséquent, il n’y a plus de classe de capitalistes qui pourrait exploiter la classe ouvrière. Par conséquent notre classe ouvrière, non seulement n’est pas privée des instruments et moyens de production ; au contraire, elle les possède en commun avec le peuple entier. Et du moment qu’elle les possède, et que la classe des capitalistes est supprimée, toute possibilité d’exploiter la classe ouvrière est exclue.

Peut-on après cela appeler notre classe ouvrière prolétariat ? Il est clair que non. Marx disait : pour s’affranchir, le prolétariat doit écraser la classe des capitalistes, enlever aux capitalistes les instruments et moyens de production et supprimer les conditions de production qui engendrent le prolétariat. Peut-on dire que la classe ouvrière de l’U.R.S.S. a déjà réalisé ces conditions de son affranchissement ?

On peut et on doit le dire incontestablement. Et qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie que le prolétariat de l’U.R.S.S. est devenu une classe absolument nouvelle, la classe ouvrière de l’U.R.S.S., qui a anéanti le système capitaliste de l’économie, affermi la propriété socialiste des instruments et moyens de production, et qui oriente la société soviétique dans la voie du communisme.

Comme vous voyez, la classe ouvrière de l’U.R.S.S. est une classe ouvrière absolument nouvelle, affranchie de l’exploitation, une classe ouvrière comme n’en a jamais connu l’histoire de l’humanité. Passons à la question de la paysannerie.

On a coutume de dire que la paysannerie est une classe de petits producteurs dont les membres, atomisés, dispersés sur toute la surface du pays, besognant chacun de leur côté dans leurs petites exploitations, avec leur technique arriérée, sont esclaves de la propriété privée et sont impunément exploités par les grands propriétaires fonciers, les koulaks, les marchands, les spéculateurs, les usuriers, etc.

En effet, la paysannerie des pays capitalistes, si l’on considère sa masse fondamentale, constitue précisément cette classe.

Peut-on dire que notre paysannerie d’aujourd’hui, la paysannerie soviétique, ressemble dans sa grande masse à cette paysannerie-là ? Non, on ne peut le dire.

Cette paysannerie-là n’existe plus chez nous. Notre paysannerie soviétique est une paysannerie absolument nouvelle. Il n’existe plus chez nous de grands propriétaires fonciers ni de koulaks, de marchands ni d’usuriers, pour exploiter les paysans. Par conséquent, notre paysannerie est une paysannerie affranchie de l’exploitation.

Ensuite notre paysannerie soviétique, dans son immense majorité, est une paysannerie kolkhozienne, c’est-à-dire qu’elle base son travail et son avoir non sur le travail individuel et une technique arriérée, mais sur le travail collectif et la technique moderne. Enfin l’économie de notre paysannerie est fondée, non sur la propriété privée, mais sur la propriété collective qui a grandi sur la base du travail collectif.

La paysannerie soviétique, vous le voyez, est comme n’en a pas encore connu l’histoire de l’humanité. une paysannerie absolument nouvelle.

Passons enfin à la question des intellectuels, des ingénieurs et techniciens, des travailleurs du front culturel, des employés en général, etc. Les intellectuels ont eux aussi subi de grands changements au cours de la période écoulée.

Ce ne sont plus ces vieux intellectuels encroûtés, qui prétendaient se placer au-dessus des classes, mais qui, dans leur masse, servaient en réalité les grands propriétaires fonciers et les capitalistes. Nos intellectuels soviétiques, ce sent des intellectuels absolument nouveaux, liés par toutes leurs racines à la classe ouvrière et à la paysannerie.

Tout d’abord, la composition sociale des intellectuels a changé. Les éléments issus de la noblesse et de la bourgeoisie représentent un faible pourcentage de nos intellectuels soviétiques. 80 à 90 % des intellectuels soviétiques sont issus de la classe ouvrière, de la paysannerie et d’autres catégories de travailleurs.

Enfin le caractère même de l’activité des intellectuels a changé. Autrefois ils devaient servir les classes riches, parce qu’ils n’avaient pas d’autre issue. Maintenant ils doivent servir le peuple, parce qu’il n’existe plus de classes exploiteuses.

Et c’est précisément pourquoi ils sont aujourd’hui membres égaux de la société soviétique, où, avec les ouvriers et les paysans attelés à la même besogne, ils travaillent à l’édification d’une société nouvelle, de la société socialiste sans classes. Ce sont, vous le voyez bien, des travailleurs intellectuels absolument nouveaux, comme vous n’en trouverez dans aucun pays du globe. Tels sont les changements survenus au cours de la période écoulée dans la structure sociale de la société soviétique.

Qu’attestent ces changements ?

Ils attestent, premièrement, que les démarcations entre la classe ouvrière et la paysannerie, de même qu’entre ces classes et les intellectuels, s’effacent et que disparaît le vieil exclusivisme de classe. C’est donc que la distance entre ces groupes sociaux diminue de plus en plus.

Ils attestent, deuxièmement, que les contradictions économiques entre ces groupes sociaux tombent, s’effacent.

Ils attestent enfin que tombent et s’effacent également les contradictions politiques qui existent entre eux.

Il en est ainsi des changements survenus dans la structure de classe de l’U.R.S.S. Le tableau des changements dans la vie sociale de l’U.R.S.S. serait incomplet, si l’on ne disait quelques mots des changements intervenus dans un autre domaine encore. Je veux parler des rapports entre nations, en U.R.S.S. Comme on sait, l’Union soviétique comprend environ 60 nations, groupes nationaux et nationalités. L’Etat soviétique est un Etat multinational. On conçoit que la question des rapports entre les peuples de l’U.R.S.S. soit pour nous d’une importance de premier ordre.

L’Union des Républiques socialistes soviétiques s’est formée, on le sait, en 1922, au Premier congrès des Soviets de l’U.R.S.S. Elle s’est formée sur la base de l’égalité et de la libre adhésion des peuples de l’U.R.S.S. La Constitution adoptée en 1924, actuellement en vigueur, est la première constitution de l’U.R.S.S.

C’était une période où les relations entre les peuples n’étaient pas encore dûment établies, où les survivances de la défiance à l’égard des Grands-Russes n’avaient pas encore disparu, où les forces centrifuges continuaient encore à agir.

Dans ces conditions il fallait établir la collaboration fraternelle des peuples sur la base d’une assistance mutuelle, économique, politique et militaire, en les groupant dans un seul Etat multinational fédéral. Le pouvoir soviétique voyait bien les difficultés de cette tâche. Il avait devant lui les expériences malheureuses des Etats multinationaux dans le monde bourgeois. Il avait devant lui l’expérience avortée de l’ancienne Autriche Hongrie. Et cependant il décida de faire l’expérience de la création d’un Etat multinational, parce qu’il savait qu’un Etat multinational, ayant pour base le socialisme, devait triompher de toutes les épreuves.

Depuis, quatorze ans ont passé. Période suffisante pour vérifier l’expérience. Eh bien ?

La période écoulée a montré indubitablement que l’expérience de la formation d’un Etat multinational, basé sur le socialisme, a pleinement réussi. C’est là une victoire incontestable de la politique léniniste dans la question nationale. (Applaudissements prolongés.) Comment expliquer cette victoire ?

Absence de classes exploiteuses, principales organisatrices des collisions entre nations ; absence de l’exploitation qui entretient la méfiance réciproque et attise les passions nationalistes ; présence, au pouvoir, de la classe ouvrière, ennemie de tout asservissement et fidèle champion des idées d’internationalisme ; réalisation pratique de l’assistance mutuelle entre peuples dans tous les domaines de la vie économique et sociale ; enfin, épanouissement de la culture nationale des peuples de l’U.R.S.S., nationale par la forme, socialiste par le contenu : tous ces facteurs et autres analogues ont fait que la physionomie des peuples de l’U.R.S.S. a radicalement changé ; que le sentiment de la méfiance réciproque a disparu chez eux ; qu’en eux s’est développé un sentiment d’amitié réciproque, et que s’est établie ainsi une véritable collaboration fraternelle des peuples, au sein de l’Etat fédéral unique.

C’est ce qui fait que nous avons aujourd’hui un Etat socialiste multinational parfaitement constitué, qui a triomphé de toutes les épreuves et dont la solidité peut faire envie à n’importe quel Etat fondé sur une seule nation, de n’importe quelle partie du monde. (Vifs applaudissements.)

Tels sont les changements survenus pendant la période écoulée dans les rapports entre nations, en U.R.S.S.

Tel est le bilan général des changements intervenus dans la vie économique, politique et sociale de l’U.R.S.S., au cours de la période 1924-1936.

III – PARTICULARITES ESSENTIELLES
DU PROJET DE CONSTITUTION

Comment tous ces changements de la vie de l’U.R.S.S. ont-ils été marqués dans le projet de la nouvelle Constitution ?

Autrement dit : quelles sont les particularités essentielles du projet de Constitution soumis à l’examen de ce congrès ?

La Commission de la Constitution avait été chargée d’apporter des changements au texte de la Constitution de 1924. Des travaux de cette Commission est sorti un texte nouveau, le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. En établissant ce projet la Commission est partie du principe qu’une constitution ne doit pas être confondue avec un programme.

Cela veut dire qu’entre un programme et une constitution il existe une différence essentielle. Alors qu’un programme expose ce qui n’est pas encore et ce qui doit seulement être obtenu et conquis dans l’avenir, une constitution, au contraire, doit exposer ce qui est déjà, ce qui a déjà été obtenu et conquis maintenant, dans le présent. Le programme concerne principalement l’avenir ; la Constitution, le présent. Deux exemples à titre d’illustration.

Notre société soviétique a d’ores et déjà réalisé le socialisme, dans l’essentiel ; elle a créé l’ordre socialiste, c’est-à-dire qu’elle a atteint ce que, en d’autres termes, les marxistes appellent la première phase ou phase inférieure du communisme.

Cela veut dire que la première phase du communisme, le socialisme, est déjà réalisée chez nous, dans l’essentiel. (Applaudissements prolongés.) Le principe fondamental de cette phase du communisme est, on le sait, la formule : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail » Notre Constitution doit-elle marquer ce fait, celui de la conquête du socialisme ? Doit-elle être basée sur cette conquête ?

Elle doit l’être incontestablement. Elle doit l’être parce que le socialisme, pour l’U.R.S.S., est ce qui a déjà été obtenu et conquis. Mais la société soviétique n’a pas encore réalisé le communisme dans sa phase supérieure, où le principe dominant sera la formule : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins », encore qu’elle se fixe comme but de réaliser le communisme dans sa phase supérieure.

Notre Constitution peut-elle être basée sur la phase supérieure du communisme, qui n’est pas encore et qui doit encore être conquise ? Non, elle ne peut pas l’être, car la phase supérieure du communisme c’est, pour l’U.R.S.S., ce qui n’est pas encore réalisé et ce qui doit l’être dans l’avenir. Elle ne peut pas l’être si on ne veut pas transformer la Constitution en programme ou en simple déclaration sur les futures conquêtes.

Tel est le cadre de notre Constitution dans le moment historique actuel. Ainsi le projet de la nouvelle Constitution marque le bilan du chemin parcouru, le bilan des conquêtes déjà acquises. Il est, par conséquent, l’enregistrement et la consécration législative de ce qui en fait a déjà été obtenu et conquis. (Vifs applaudissements.)

C’est là la première particularité du projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S.

Poursuivons. Les constitutions des pays bourgeois partent habituellement de la conviction que l’ordre capitaliste est immuable.

La base essentielle de ces constitutions, ce sont les principes du capitalisme, ses principaux fondements : propriété privée de la terre, des forêts, fabriques, usines et autres instruments et moyens de production ; exploitation de l’homme par l’homme et existence d’exploiteurs et d’exploités ; à un pôle de la société, c’est la majorité des travailleurs dont le lendemain n’est pas assuré ; à l’autre pôle, c’est le luxe de la minorité non travailleuse, mais dont le lendemain est assuré, etc., etc. Ces constitutions s’appuient sur ces fondements du capitalisme et autres analogues. Elles les reflètent, elles les consacrent par voie législative.

A la différence de ces constitutions, le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. part de la liquidation de l’ordre capitaliste, de la victoire de l’ordre socialiste en U.R.S.S. La base essentielle du projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S., ce sont les principes du socialisme, ses principaux fondements déjà conquis et établis : propriété socialiste de la terre, des forêts, des fabriques, des usines et autres instruments et moyens de production ; suppression de l’exploitation et des classes exploiteuses ; suppression de la misère de la majorité et du luxe de la minorité ; suppression du chômage ; le travail comme obligation et devoir d’honneur de chaque citoyen apte au travail, selon la formule : « Qui ne travaille pas ne mange pas ». Le droit au travail, c’est-à-dire le droit de chaque citoyen de recevoir un travail garanti ; le droit au repos ; le droit à l’instruction, etc., etc.

Le projet de la nouvelle Constitution s’appuie sur ces fondements et autres analogues du socialisme. Il les reflète, il les consacre par voie législative. Telle est la deuxième particularité du projet de la nouvelle Constitution. Poursuivons.

Les constitutions bourgeoises partent tacitement de cette prémisse que la société est composée de classes antagonistes, de classes possédant la richesse et de classes ne la possédant pas ; que, quel que soit le parti accédant au pouvoir, la direction politique de la société (dictature) doit appartenir à la bourgeoisie ; que la constitution est nécessaire pour fixer l’ordre social au gré et à l’avantage des classes possédantes.

A la différence des constitutions bourgeoises, le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. part du fait que dans la société il n’existe plus de classes antagonistes ; que la société est composée de deux classes amies, d’ouvriers et de paysans ; que ce sont justement ces classes laborieuses qui sont au pouvoir ; que la direction politique de la société (dictature) appartient à la classe ouvrière, en tant que classe avancée de la société ; que la Constitution est nécessaire pour fixer l’ordre social au gré et à l’avantage des travailleurs.

Telle est la troisième particularité du projet de la nouvelle Constitution. Poursuivons. Les constitutions bourgeoises partent tacitement de cette prémisse que les nations et les races ne peuvent être égales en droits, qu’il est des nations jouissant de la plénitude des droits et d’autres qui n’en jouissent pas ; qu’en outre il existe une troisième catégorie de nations ou de races, par exemple, dans les colonies, qui ont encore moins de droits que les nations ne jouissant pas de la plénitude de leurs droits.

Cela signifie que toutes ces constitutions sont nationalistes en leur fond, c’est-à-dire qu’elles sont des constitutions de nations dominantes. Contrairement à ces constitutions, le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. est profondément internationaliste. Il part du principe que toutes les nations et races sont égales en droits.

Il part du principe que la différence de couleur ou de langue, de niveau de culture ou de niveau de développement politique, aussi bien que toute autre différence entre nations et races, ne peut justifier l’inégalité de droits entre nations. Il part du principe que toutes les nations et races, indépendamment de leur situation passée et présente, indépendamment de leur force ou de leur faiblesse, doivent jouir de droits identiques dans toutes les sphères de la vie économique, sociale, politique et culturelle de la société. Telle est la quatrième particularité du projet de la nouvelle Constitution.

La cinquième particularité du projet de la nouvelle Constitution, c’est son démocratisme conséquent et sans défaillance. Du point de vue du démocratisme, on peut diviser les constitutions bourgeoises en deux groupes : un groupe de constitutions nie ouvertement ou, en fait, réduit à néant l’égalité en droits des citoyens et les libertés démocratiques.

L’autre groupe de constitutions accepte volontiers et affiche même les principes démocratiques ; mais en même temps il fait de telles réserves et restrictions que les droits et libertés démocratiques s’en trouvent complètement mutilés.

Ces constitutions parlent de droits électoraux égaux pour tous les citoyens, mais aussitôt les restreignent par les conditions de résidence et d’instruction, voire de fortune. Elles parlent de droits égaux pour les citoyens, mais aussitôt font cette réserve que cela ne concerne pas les femmes, ou ne les concerne que partiellement. Etc., etc.

Le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. a ceci de particulier qu’il est exempt de pareilles réserves et restrictions. Pour lui, il n’existe point de citoyens actifs ou passifs ; pour lui, tous les citoyens sont actifs. Il n’admet point de différence de droits entre hommes et femmes, entre « domiciliés » et « non-domiciliés », entre possédants et non-possédants, entre gens instruits et non instruits. Pour lui, tous les citoyens ont des droits égaux. Ce n’est pas la situation de fortune, ni l’origine nationale, ce n’est pas le sexe ni la fonction ou le grade, mais les qualités personnelles et le travail personnel de chaque citoyen, qui déterminent sa situation dans la société. Enfin, une autre particularité du projet de la nouvelle Constitution.

Les constitutions bourgeoises se contentent habituellement de fixer les droits officiels des citoyens, sans se préoccuper des conditions garantissant l’exercice de ces droits, de la possibilité de les exercer, des moyens de les exercer.

Elles parlent de l’égalité des citoyens, mais oublient qu’il ne peut pas y avoir d’égalité véritable entre patron et ouvrier, entre grand propriétaire foncier et paysan, si les premiers ont la richesse et le poids politique dans la société, et les seconds sont privés de l’un et de l’autre ; si les premiers sont des exploiteurs et les seconds des exploités.

Ou encore : elles parlent de la liberté de la parole, de réunion et de la presse, mais elles oublient que toutes ces libertés peuvent n’être pour la classe ouvrière qu’un son creux, si elle est mise dans l’impossibilité de disposer de locaux appropriés pour tenir ses réunions, de bonnes imprimeries, d’une quantité suffisante de papier d’imprimerie, etc.

Le projet de la nouvelle Constitution a ceci de particulier qu’il ne se borne pas à fixer les droits officiels des citoyens, mais qu’il reporte le centre de gravité sur la garantie de ces droits, sur les moyens de les réaliser.

Il ne proclame pas simplement l’égalité des citoyens, mais il la garantit en consacrant par voie législative la suppression du régime d’exploitation, l’affranchissement des citoyens de toute exploitation. Il ne proclame pas simplement le droit au travail, mais il le garantit en consacrant par voie législative l’absence de crises dans la société soviétique, la suppression du chômage. Il ne proclame pas simplement les libertés démocratiques, mais il les garantit par voie législative, avec des moyens matériels déterminés.

On conçoit, par conséquent, que le démocratisme du projet de la nouvelle Constitution ne soit pas un démocratisme en général, « habituel » et « généralement reconnu », mais le démocratisme socialiste. Telles sont les particularités essentielles du projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. C’est ainsi que le projet de la nouvelle Constitution reflète les transformations et les changements réalisés dans la vie économique, politique et sociale de l’U.R.S.S., durant la période 1924-1936.

IV – LA CRITIQUE BOURGEOISE
DU PROJET DE CONSTITUTION

Quelques mots sur la critique bourgeoise du projet de Constitution. L’attitude observée par la presse bourgeoise de l’étranger à l’égard du projet de Constitution offre sans contredit un certain intérêt.

Pour autant que la presse étrangère reflète l’opinion des différentes catégories de la population dans les pays bourgeois, nous ne pouvons passer outre à la critique que cette presse a développée contre le projet de Constitution. Les premières réactions de la presse étrangère au projet de Constitution se sont manifestées dans une tendance bien nette : passer sous silence le projet de Constitution.

Je veux parler ici de la presse la plus réactionnaire, de la presse fasciste. Ce groupe de critiques a jugé que le mieux était simplement de passer sous silence le projet de Constitution, de présenter les choses comme si le projet n’existait pas et n’avait jamais existé.

On peut dire que la tactique du silence n’est pas de la critique. Mais c’est faux. La méthode du silence comme moyen particulier de méconnaître les faits, est aussi une forme de critique, sotte et ridicule, il est vrai, mais une forme de critique tout de même. (Rire général. Applaudissements.)

Mais la méthode du silence ne leur a pas réussi. Finalement ils ont été obligés d’ouvrir la soupape et d’informer le monde que, si triste que cela soit, le projet de Constitution de l’U.R.S.S. existe pourtant ; que non seulement il existe, mais commence à exercer une action pernicieuse sur les esprits.

D’ailleurs il ne pouvait en être autrement, car il existe tout de même dans le monde une opinion publique, des lecteurs, des hommes vivants, qui veulent savoir la vérité sur les faits, et il est absolument impossible de les maintenir longtemps dans l’étau de la tromperie. Avec la tromperie on n’ira pas loin…

Le deuxième groupe de critiques reconnaît que le projet de Constitution existe réellement, mais estime qu’il n’est pas d’un grand intérêt, puisque, au fond, ce n’est pas un projet de Constitution, mais un chiffon de papier, une vaine promesse, visant à opérer une certaine manœuvre et à duper les gens. A cela ils ajoutent que l’U.R.S.S. ne pouvait d’ailleurs pas donner un meilleur projet, puisque l’U.R.S.S. elle-même n’est pas un Etat, mais une simple notion géographique (rire général) ; dès lors, sa Constitution ne saurait être une vraie constitution.

Le représentant typique de ce groupe de critiques est, si étrange que cela paraisse, l’officieux allemand, la Deutsche Diplomatisch Politische Korrespondenz. Cette revue « déclare expressément que le projet de Constitution de l’U.R.S.S. est une vaine promesse, une tromperie, un « village à la Potemkine ». Elle déclare sans hésiter que l’U.R.S.S. n’est pas un Etat ; que l’U.R.S.S. « n’est autre chose qu’une notion géographique exactement définie » (rire général) ; que la Constitution de l’U.R.S.S. ne peut donc, pour cette raison, être considérée comme une vraie constitution.

Que peut-on dire de semblables critiques, s’il est permis de les appeler ainsi ? Dans un de ses contes et nouvelles, le grand écrivain russe Chtchédrine dépeint le type du bureaucrate et yranneau, très borné et obtus, mais suffisant et zélé à l’extrême.

Après avoir établi « l’ordre et le calme » dans la région à lui « confiée », en exterminant des milliers d’habitants et en brûlant des dizaines de villes, ce bureaucrate jette un regard autour de lui et aperçoit à l’horizon l’Amérique, pays évidemment peu connu, où il existe, paraît-il, des libertés qui troublent le peuple, et où l’Etat est gouverné par d’autres méthodes. Le bureaucrate aperçoit l’Amérique et s’indigne : Qu’est-ce que ce pays ? D’où sort-il ?

De quel droit existe-t-il, voyons ?

(Rire général, applaudissements.) Evidemment, on l’a découvert par hasard quelques siècles plus tôt, mais est-ce qu’on ne peut pas le recouvrir, pour qu’on n’en entende plus jamais parler ?

(Rire général.) Et ceci dit, il décrète : « Recouvrir l’Amérique ! » (Rire général.)

Il me semble que ces messieurs de Deutsche Diplomatisch Politische Korrespondenz ressemblent comme deux gouttes d’eau au bureaucrate de Chtchédrine. (Rire général, applaudissements.) Il y a longtemps que l’U.R.S.S. blesse la vue de ces messieurs.

Voilà dix-neuf ans que l’U.R.S.S. se dresse comme un phare, infusant l’esprit de libération à la classe ouvrière du monde entier et provoquant la fureur des ennemis de la classe ouvrière. Et voilà que cette U.R.S.S., non contente simplement d’exister, grandit même, et non seulement grandit, mais prospère, et non seulement prospère, mais rédige même un projet de nouvelle Constitution, projet qui exalte les esprits, qui inspire de nouveaux espoirs aux classes opprimées. (Applaudissements.) Comment ces messieurs de l’organe officieux allemand ne s’indigneraient ils pas après cela ?

Qu’est-ce que c’est que ce pays ? clament-ils ; de quel droit existe-t-il, voyons ?

(Rire général.) Et si on l’a découvert en octobre 1917, pourquoi ne pourrait-on pas le recouvrir, pour qu’on n’en entende plus jamais parler ? Et ceci dit, ils décident : Recouvrir l’U.R.S.S. ; proclamer haut et clair que l’U.R.S.S. n’existe pas en tant qu’Etat, que l’U.R.S.S. n’est autre chose qu’une simple notion géographique ! (Rire général.)

Après avoir décrété de recouvrir l’Amérique, le bureaucrate de Chtchédrine, en dépit de toute son étroitesse d’esprit, avait cependant trouvé en lui des éléments de compréhension de la réalité, car il se dit aussitôt : « Mais je crois que ladite chose n’est pas en mon pouvoir ». (Explosion de franche gaieté, applaudissements en rafale.)

J’ignore si ces messieurs de l’organe officieux allemand auront assez d’esprit pour se douter qu’ils peuvent bien, évidement, « recouvrir » sur le papier tel ou tel Etat, mais à parler sérieusement, « ladite chose n’est pas en leur pouvoir ». (Explosion de franche gaieté, applaudissements en rafale.)

Quant à l’affirmation que la Constitution de l’U.R.S.S. est soi-disant une vaine promesse, un « village à la Potemkine », etc., je tiens à invoquer une série de faits établis, qui parlent d’eux-mêmes. En 1917, les peuples de l’U.R.S.S. ont renversé la bourgeoisie et instauré la dictature du prolétariat, instauré le pouvoir soviétique. C’est un fait, et non une promesse.

Ensuite, le pouvoir soviétique a liquidé la classe des grands propriétaires fonciers et remis aux paysans plus de 150 millions d’hectares de terres ayant appartenu aux grands propriétaires fonciers, à l’Etat et aux couvents ; cela, en plus des terres qui se trouvaient auparavant déjà entre les mains des paysans. C’est un fait, et non une promesse.

Ensuite, le pouvoir soviétique a exproprié la classe des capitalistes ; il lui a enlevé les banques, les usines, les chemins de fer et autres instruments et moyens de production, proclamés propriété socialiste, et il a placé à la tête de ces entreprises l’élite de la classe ouvrière. C’est un fait, et non une promesse. (Applaudissements prolongés.)

Ensuite, ayant organisé l’industrie et l’agriculture selon des principes nouveaux, socialistes, avec une nouvelle base technique, le pouvoir des Soviets est arrivé à ceci qu’aujourd’hui l’agriculture de l’U.R.S.S. fournit une production une fois et demie supérieur à celle d’avant-guerre ; l’industrie produit sept fois plus qu’avant-guerre et le revenu national a quadruplé par rapport à la période d’avant-guerre.

Tout cela, ce sont des faits, et non des promesses. (Applaudissements prolongés.)

Ensuite, le pouvoir soviétique a supprimé le chômage, réalisé le droit au travail, le droit au repos, le droit à l’instruction, assuré les meilleures conditions matérielles et culturelles aux ouvriers, aux paysans et aux intellectuels ; assuré aux citoyens l’application du suffrage universel, direct et égal, au scrutin secret.

Tout cela, ce sont des faits, et non des promesses. (Applaudissements prolongés.) Enfin l’U.R.S.S. a donné le projet d’une nouvelle Constitution qui n’est pas une promesse, mais l’enregistrement et la consécration législative de ces faits connus de tous, l’enregistrement et la consécration législative de ce qui a déjà été obtenu et conquis.

On se demande à quoi se réduit, après tout cela, le verbiage de ces messieurs de l’organe officieux allemand sur les « villages à la Potemkine », sinon à ceci qu’ils se proposent de cacher au peuple la vérité sur l’U.R.S.S., d’induire le peuple en erreur, de le tromper. Tels sont les faits. Or les faits, comme on dit, sont têtus. Ces messieurs de l’organe officieux allemand peuvent dire que c’est tant pis pour les faits. (Rire général.)

Mais alors on peut leur répondre par ce proverbe russe que l’on connaît : « Pour les imbéciles, il n’y a pas de loi qui tienne ». (Rires joyeux, applaudissements prolongés.)

Le troisième groupe de critiques est prêt à reconnaître certains mérites au projet de Constitution ; il le considère comme un événement positif, mais, voyez-vous, il doute fort que certaines de ses dispositions puissent être mises en pratique, convaincu qu’il est que ces dispositions en général sont irréalisables et doivent rester sur le papier. Ce sont, pour parler délicatement, des sceptiques. Ces sceptiques-là existent dans tous les pays.

Il faut dire que ce n’est pas la première fois que nous les rencontrons. Lorsque les bolcheviks prirent le pouvoir en 1917, les sceptiques disaient : Les bolcheviks ne sont peut- être pas de mauvaises gens, mais pour ce qui est du pouvoir, ils ne s’en tireront pas, ils se casseront le nez. Il s’est avéré que ce ne sont pas les bolcheviks, mais les sceptiques qui se sont cassé le nez.

Pendant la guerre civile et l’intervention étrangère, ce groupe de sceptiques disait : Évidemment, le pouvoir des Soviets n’est pas une mauvaise chose, mais il y a des chances pour que Dénikine avec Koltchak, plus les étrangers, en viennent à bout.

Cependant les sceptiques, cette fois encore, se sont trompés dans leurs calculs. Lorsque le pouvoir soviétique a publié le premier plan quinquennal, les sceptiques ont réapparu sur la scène, disant : Le plan quinquennal est, certes, une bonne chose, mais il n’est guère réalisable ; il faut croire que les bolcheviks s’enferreront sur leur plan quinquennal.

Les faits ont cependant montré que les sceptiques, cette fois encore, n’ont pas eu de chance : le plan quinquennal fut réalisé en quatre ans.

Il faut en dire autant du projet de la nouvelle Constitution et de la critique qu’en ont fait les sceptiques. Il a suffi de publier le projet pour que ce groupe de critiques réapparaisse sur la scène, avec leur morne scepticisme, leurs doutes sur la possibilité de réaliser certaines dispositions de la Constitution. Il n’y a aucune raison de douter que les sceptiques échoueront cette fois encore, qu’ils échoueront aujourd’hui comme ils ont échoué mainte fois dans le passé.

Le quatrième groupe de critiques, en attaquant le projet de la nouvelle Constitution, le caractérise comme une « évolution à droite », comme un « abandon de la dictature du prolétariat », comme la « liquidation du régime bolchevik ». « Les bolcheviks ont obliqué à droite, c’est un fait », déclarent-ils sur divers tons. Certains journaux polonais et, en partie, les journaux américains, se montrent particulièrement zélés à cet égard.

Que peut-on dire de ces critiques, s’il est permis de les appeler ainsi ?

Si l’élargissement de la base de la dictature de la classe ouvrière et la transformation de la dictature en un système plus souple, et par conséquent plus puissant, de direction politique de la société, sont interprétés par eux, non comme un renforcement de la dictature de la classe ouvrière, mais comme son affaiblissement ou même comme son abandon, il est permis de demander : ces messieurs savent-ils en général ce que c’est que la dictature de la classe ouvrière ?

Si la consécration législative de la victoire du socialisme, la consécration législative des succès de l’industrialisation, de la collectivisation et de la démocratisation, ils l’appellent « évolution à droite », il est permis de demander : ces messieurs savent-ils en général ce qui distingue la gauche de la droite ?

(Rire général, applaudissements)

Il ne peut faire de doute que ces messieurs se sont définitivement embrouillés dans leur critique du projet de Constitution, et s’étant embrouillés, ils ont confondu la droite avec la gauche. On ne peut s’empêcher de songer à Pélagie, cette « gamine » servante des Ames mortes de Gogol.

L’auteur raconte qu’an jour elle s’était chargée de montrer le chemin à Sélifane, cocher de Tchitchikov, mais n’ayant pas su distinguer le côté droit du côté gauche de la route, elle s’était embrouillée et mise en fâcheuse posture.

Il faut avouer que les critiques des journaux polonais, malgré toute leur présomption, ne dépassent pas de beaucoup le niveau de compréhension de Pélagie, la « gamine » servante des Ames mortes. (Applaudissements.)

Si vous vous rappelez bien, le cocher Sélifane trouva bon de tancer Pélagie pour avoir confondu le côté droit et le côté gauche, en lui disant : « Hé, va donc, pieds sales… tu ne sais même pas distinguer ta droite de ta gauche. » Il me semble qu’on ferait bien de tancer de même nos critiques à la manque, en leur disant : « Hé, allez donc, critiques de malheur…. vous ne savez même pas distinguer votre droite de votre gauche. » (Applaudissements prolongés.)

Enfin, encore un groupe de critiques. Si le groupe précédent accuse le projet de Constitution de renoncer à la dictature de la classe ouvrière, ce groupa ci l’accuse, au contraire, de ne rien changer à l’état de choses existant en U.R.S.S., de laisser intacte la dictature de la classe ouvrière, de ne pas admettre la liberté des partis politiques et de maintenir la position dirigeante du Parti communiste en U.R.S.S. Au surplus, ce groupe de critiques estime que l’absence de libertés pour les partis en U.R.S.S. est une violation des principes du démocratisme.

Je dois avouer qu’en effet le projet de la nouvelle Constitution maintient le régime de la dictature de la classe ouvrière, de même qu’il conserve sans changement la position dirigeante du Parti communiste de l’U.R.S.S. (Vifs applaudissements.) Si les honorables critiques considèrent ceci comme un défaut du projet de Constitution, on ne peut que le regretter. Nous, bolcheviks, considérons cela comme un mérite du projet de Constitution. (Vifs applaudissements.)

En ce qui concerne la liberté pour les différents partis politiques, nous sommes ici d’un avis quelque peu différent. Un parti est une portion d’une classe, sa portion d’avant-garde. Plusieurs partis et, par conséquent, la liberté des partis, ne peuvent exister que dans une société où existent des classes antagonistes, dont les intérêts sont hostiles, inconciliables ; où il y a, par exemple, capitalistes et ouvriers, grands propriétaires fonciers et paysans, koulaks et paysans pauvres, etc.

Mais en U.R.S.S., il n’y a plus de classes telles que les capitalistes, les grands propriétaires fonciers, les koulaks, etc. Il n’existe en U.R.S.S. que deux classes, les ouvriers et les paysans, dont les intérêts, loin d’être hostiles, sont au contraire basés sur l’amitié. Par conséquent, il n’y a pas en U.R.S.S. de terrain pour plusieurs partis, ni par conséquent pour la liberté de ces partis.

En U.R.S.S. il n’existe de terrain que pour un seul parti, le Parti communiste. En U.R.S.S. il ne peut y avoir qu’un seul parti, le Parti communiste, qui défend hardiment et jusqu’au bout les intérêts des ouvriers et des paysans. Et qu’il ne défende pas mal les intérêts de ces classes, on ne saurait guère en douter. (Vifs applaudissements.) On parle de démocratie. Mais qu’est-ce que la démocratie ?

La démocratie dans les pays capitalistes, où il y a des classes antagonistes, c’est en dernière analyse la démocratie pour les forts, une démocratie pour la minorité possédante. La démocratie en U.R.S.S. est, au contraire, une démocratie pour les travailleurs, c’est à dire la démocratie pour tous.

Il s’ensuit donc que les principes du démocratisme sont violés, non par le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S., mais par les constitutions bourgeoises. Voilà pourquoi je pense que la
Constitution de l’U.R.S.S. est la seule au monde qui soit démocratique jusqu’au bout. Voilà ce qu’il en est de la critique bourgeoise du projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S.

V – AMENDEMENTS ET ADDITIONS
AU PROJET DE CONSTITUTION

Passons aux amendements et additions que les citoyens ont proposés au cours de la discussion du projet par l’ensemble du peuple. On sait que la discussion populaire du projet de Constitution a donné un nombre assez considérable d’amendements et d’additions qui, tous, ont été publiés dans la presse soviétique.

Etant donné la grande diversité des amendements et leur valeur inégale, il serait bon à mon avis de les diviser en trois catégories. Le trait distinctif des amendements de la première catégorie, c’est qu’ils ne traitent pas des problèmes de la Constitution, mais de l’activité législative courante des futurs organismes législatifs. Certaines questions d’assurances, certaines questions touchant l’édification des kolkhoz, l’édification industrielle, les finances, tel est le sujet de ces amendements. Les auteurs de ces amendements n’ont visiblement pas compris la différence entre les problèmes constitutionnels et les problèmes de législation courante.

C’est pour cela précisément qu’ils s’efforcent de faire rentrer dans la Constitution le plus de lois possible, ce qui conduirait à faire de la constitution quelque chose comme un code des lois. Or la Constitution n’est pas un code. Elle est la loi fondamentale, et rien que la loi fondamentale. La Constitution n’exclut pas mais suppose l’activité législative courante des futurs organismes législatifs.

La Constitution donne une base juridique à la future activité législative de ces organismes. Aussi les amendements et additions de ce genre doivent-ils être, selon moi, renvoyés aux futurs organismes législatifs du pays, comme n’ayant pas de rapport direct avec la Constitution.

Dans la deuxième catégorie doivent être rangés les amendements et additions qui visent à introduire dans la Constitution des données historiques ou des déclarations sur ce que le pouvoir soviétique n’a pas encore conquis, et qu’il doit conquérir.

Marquer dans la Constitution les difficultés que le Parti, la classe ouvrière et tous les travailleurs ont surmontées durant de longues années dans la lutte pour la victoire du socialisme ; indiquer dans la Constitution le but final du mouvement soviétique, c’est-à-dire l’édification de la société communiste intégrale : tel est le sujet de ces amendements, qui se répètent en de nombreuses variantes.

Je pense que ces amendements et additions doivent eux aussi être mis de côté, comme n’ayant pas de rapport direct avec la Constitution. Celle-ci est l’enregistrement et la consécration législative des conquêtes déjà obtenues et assurées. Si nous ne voulons pas altérer ce caractère fondamental de la Constitution, nous ne devons pas la remplir de données historiques sur le passé ou de déclarations sur les conquêtes futures des travailleurs de l’U.R.S.S. Nous avons pour cela d’autres voies et d’autres documents.

Enfin, dans la troisième catégorie il convient de ranger les amendements et additions ayant un rapport direct avec le projet de Constitution. Une partie considérable des amendements de cette catégorie ont un caractère rédactionnel. On pourrait donc les renvoyer à la Commission de rédaction qui, je pense, sera constituée à ce congrès et à laquelle on confiera la rédaction définitive du texte de la nouvelle Constitution.

Quant aux autres amendements de la troisième catégorie, ils ont une importance substantielle, et il faut, à mon avis, en dire ici quelques mots.

1. Tout d’abord en ce qui concerne les amendements à l’article 1 du projet de Constitution. Il y a quatre amendements. Les uns proposent au lieu des mots « Etat des ouvriers et des paysans », de dire : « Etat des travailleurs ». D’autres proposent d’ajouter aux mots « Etat des ouvriers et des paysans » les mots : « et des travailleurs intellectuels ».

D’autres encore proposent au lieu des mots « Etat des ouvriers et des paysans », de dire : « Etat de toutes les races et nationalités peuplant le territoire de l’U.R.S.S. ». D’autres enfin proposent de remplacer les mots « des paysans » par les mots « des kolkhoziens » ou par les mots : « des travailleurs de l’agriculture socialiste ». Faut-il accepter ces amendements ?

Je pense que non. De quoi parle l’article 1 du projet de Constitution ?

De la composition de classe de la société soviétique. Nous, marxistes, pouvons-nous dans la Constitution ne rien dire de la composition de classe de notre société ? Evidemment non. La société soviétique se compose, comme on sait, de deux classes : les ouvriers et les paysans. C’est de cela précisément que traite l’article 1 du projet de Constitution. Par conséquent, l’article 1 reflète bien la composition de classe de notre société. On peut demander : Et les travailleurs intellectuels ?

Les intellectuels n’ont jamais été et ne peuvent être une classe, ils ont été et demeurent une couche sociale recrutant ses membres parmi toutes les classes de la société. Dans l’ancien temps, les intellectuels se recrutaient parmi les nobles, la bourgeoisie, en partie parmi les paysans et, seulement dans une proportion très insignifiante, parmi les ouvriers. A notre époque, à l’époque soviétique, les intellectuels se recrutent surtout parmi les ouvriers et les paysans.

Mais quelle que soit la façon dont ils se recrutent, quel que soit le caractère qu’ils revêtent, les intellectuels sont néanmoins une couche sociale, et non une classe. Cet état de choses ne portetil pas atteinte aux droits des travailleurs intellectuels ? Pas du tout !

L’article 1 du projet de Constitution parle, non des droits des diverses couches de la société soviétique, mais de la composition de classe de cette société. Quant aux droits des diverses couches de la société soviétique, y compris ceux des travailleurs intellectuels, il en est parlé principalement aux chapitres X et XI du projet de Constitution.

De ces chapitres il ressort que les ouvriers, les paysans et les travailleurs intellectuels sont complètement égaux en droits, dans toutes les sphères de la vie économique, politique, sociale et culturelle du pays. Par conséquent, il ne peut être question d’atteinte aux droits des travailleurs intellectuels.

Il faut en dire autant des nations et des races faisant partie de l’U.R.S.S. Au chapitre II du projet de Constitution il est dit déjà que l’U.R.S.S. est une union librement consentie de nations égales en droits. Faut-il répéter cette formule à l’article I du projet de Constitution, qui traite non de la composition nationale de la société soviétique, mais de sa composition de classe ?

Il est clair que non. Quant aux droits des nations et des races faisant partie de l’U.R.S.S., il en est parlé aux chapitres II, X et XI du projet de Constitution. De ces chapitres il ressort que les nations et les races de l’U.R.S.S. jouissent des mêmes droits dans toutes les sphères de la vie économique, politique, sociale et culturelle du pays.

Par conséquent, il ne peut être question d’atteinte aux droits des nationalités. On aurait également tort de remplacer le mot « paysan » par le mot « kolkhozien » ou par les mots « travailleur de l’agriculture socialiste ». D’abord, il existe encore parmi les paysans, outre les kolkhoziens, plus d’un million de foyers de non-kolkhoziens. Comment faire ? Les auteurs de cet amendement pensent-ils ne pas en tenir compte ?

Ce ne serait pas raisonnable. En second lieu, si la majorité des paysans ont passé à l’économie kolkhozienne, cela ne veut pas encore dire qu’ils aient cessé d’être des paysans, qu’ils n’aient plus d’économie personnelle, de foyer personnel, etc. Troisièmement, il faudrait substituer également au mot « ouvrier » les mots « travailleur de l’industrie socialiste », ce que pourtant les auteurs de l’amendement ne proposent pas. Enfin, est-ce que la classe des ouvriers et la classe des paysans ont déjà disparu chez nous ?

Et si elles n’ont pas disparu, faut-il rayer du vocabulaire les dénominations établies pour elles ?

Les auteurs de l’amendement ont sans doute en vue, non pas la société actuelle, mais la société future, lorsqu’il n’y aura plus de classes et que les ouvriers et les paysans seront devenus les travailleurs d’une société communiste unique. C’est dire qu’ils anticipent manifestement. Or, en rédigeant la Constitution, il faut prendre comme point de départ, non le futur, mais le présent, ce qui existe déjà. La Constitution ne peut ni ne doit anticiper.

2. Vient ensuite l’amendement à l’article 17 du projet de Constitution. Cet amendement propose de retrancher complètement l’article 17 selon lequel les Républiques fédérées conservent le droit de se retirer librement de l’U.R.S.S.

Je pense que cette proposition n’est pas juste et que le congrès ne doit pas l’adopter. L’U.R.S.S. est une union librement consentie de Républiques fédérées égales en droits. Retrancher de la Constitution l’article relatif au droit de se retirer librement de l’U.R.S.S., c’est violer le principe de libre adhésion à cette union.

Pouvons-nous prendre ce parti ?

Je pense que nous ne pouvons ni ne devons le faire. On dit qu’en U.R.S.S. il n’est pas une seule République qui veuille se retirer de l’U.R.S.S. ; que, pour cette raison, l’article 17 n’a pas de portée pratique. Qu’il n’y ait pas chez nous une seule République désireuse de se retirer de l’U.R.S.S., c’est exact évidemment.

Mais il ne s’ensuit nullement que nous ne devions pas fixer dans la Constitution le droit des Républiques fédérées à se retirer librement de l’U.R.S.S. Il n’existe pas en U.R.S.S. de République fédérée qui veuille prévaloir sur une autre. Mais il ne s’ensuit nullement que l’on doive retrancher de la Constitution l’article relatif à l’égalité en droits des Républiques fédérées.

3. Ensuite, on propose de compléter le chapitre II du projet de Constitution par un nouvel article qui dit en substance que les Républiques socialistes soviétiques autonomes, après avoir atteint le niveau de développement économique et culturel voulu, peuvent être transformées en Républiques socialistes soviétiques fédérées. Peut-on accepter cette proposition ? Je pense que non. Elle est erronée non seulement en sa substance mais aussi en ses motifs.

On ne peut motiver le passage des Républiques autonomes au rang de Républiques fédérées par leur maturité économique et culturelle, de même qu’on ne peut motiver le maintien de telle ou telle autre République sur la liste des Républiques autonomes, par son retard économique ou culturel. Ce ne serait pas là une manière de voir marxiste, léniniste. La République de Tatarie, par exemple, reste autonome, tandis que la République de Kazakhie devient fédérée ; mais cela ne signifie pas encore que la République de Kazakhie, du point de vue du développement culturel et économique, soit supérieure à la République de Tatarie.

C’est le contraire qui est vrai. Il faut en dire autant, par exemple, de la République autonome des Allemands de la Volga et de la République fédérée de Kirghizie, dont la première, au point de vue culturel et économique, est supérieure à la seconde, bien que demeurant République autonome. Quels sont les indices motivant le passage des Républiques autonomes dans la catégorie des Républiques fédérées ?

Ces indices sont au nombre de trois.

Premièrement, il faut que la République soit périphérique, qu’elle ne soit pas entourée de tous côtés par le territoire de l’U.R.S.S. Pourquoi ?

Parce que si la République fédérée conserve le droit de se retirer de l’U.R.S.S., il faut que cette République, devenue fédérée, ait la possibilité de poser, logiquement et pratiquement, la question de sa sortie de l’U.R.S.S. Or, cette question ne peut être posée que par la République qui, par exemple, est limitrophe d’un Etat étranger quelconque et, par conséquent, n’est pas entourée de tous côtés par le territoire de l’U.R.S.S. Certes, nous n’avons pas de Républiques qui posent pratiquement la question de leur sortie de l’U.R.S.S.

Mais du moment qu’une République fédérée conserve le droit de se retirer de l’U.R.S.S. il faut faire en sorte que ce droit ne devienne pas un chiffon de papier dénué de sens. Prenons, par exemple, la République de Bachkirie ou de Tatarie.

Admettons que ces Républiques autonomes aient été portées dans la catégorie des Républiques fédérées. Pourraient- elles poser la question, logiquement et pratiquement, de leur sortie de l’U.R.S.S. ? Non, elles ne le pourraient pas. Pourquoi ?

Parce qu’elles sont entourées de tous côtés par des républiques et régions soviétiques, et elles n’ont pas à proprement parler par où sortir de l’U.R.S.S. (Rire général, applaudissements.) Aussi bien, l’on aurait tort de porter ces Républiques dans la catégorie des Républiques fédérées. Deuxièmement, il faut que la nationalité qui a donné son nom à la République soviétique y représente une majorité plus ou moins compacte. Prenons, par exemple, la République autonome de Crimée.

C’est une république périphérique, mais les Tatars de Crimée ne forment pas la majorité dans cette République ; au contraire, ils y représentent la minorité.

Par conséquent, il serait faux et illogique de faire passer la République de Crimée dans la catégorie des Républiques fédérées. Troisièmement, il faut que la république ne soit pas trop petite au point de vue de la population, que celle-ci, disons, ne soit pas inférieure, mais supérieure à un million au moins.

Pourquoi ?

Parce que ce serait une erreur de supposer qu’une petite république soviétique ayant une population minime et une armée insignifiante, pût exister comme Etat indépendant. On ne peut guère douter que les rapaces impérialistes auraient tôt fait de mettre la main dessus.

Je pense qu’à défaut de ces trois indices objectifs, on aurait tort de poser en ce moment historique la question du transfert de telle ou telle république autonome dans la catégorie de Républiques fédérées.

4. On propose ensuite de supprimer dans les articles 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28 et 29 l’énumération détaillée de la division administrative et territoriale des République fédérées, en territoires et régions. Je pense que cette proposition est également inacceptable. Il est des gens en U.R.S.S. qui sont prêts, très volontiers et sans se lasser, à tailler et retailler territoires et régions, en jetant ainsi la confusion et l’incertitude dans le travail.

Le projet de Constitution met un frein à ces gens-là. Et cela est fort bien, parce qu’ici comme en beaucoup d’autres choses, il nous faut une atmosphère de certitude, de la stabilité, de la clarté.

5. Le cinquième amendement concerne l’article 33. On estime qu’il n’est pas rationnel de créer deux Chambres et l’on propose de supprimer le Soviet des nationalités. Je pense que cet amendement n’est pas juste non plus.

Le système à Chambre unique serait meilleur que le système à deux Chambres, si l’U.R.S.S. était un Etat national homogène. Mais ce n’est pas le cas. L’U.R.S.S. est, on le sait bien, un Etat multinational. Nous possédons un organisme suprême, où sont représentés les intérêts communs à tous les travailleurs de l’U.R.S.S., indépendamment de leur nationalité.

C’est le Soviet de l’Union. Mais outre les intérêts communs, les nationalités de l’U.R.S.S. ont encore leurs intérêts particuliers, spécifiques, liés à leurs particularités nationales. Peut-on négliger ces intérêts spécifiques ? Evidemment non.

Est-il besoin d’avoir un organisme suprême spécial, reflétant ces intérêts spécifiques ? Incontestablement. Il ne peut faire de doute que sans cet organisme il serait impossible de gouverner un Etat multinational comme l’U.R.S.S. Cet organisme est la seconde Chambra, le Soviet des nationalités de l’U.R.S.S.

On invoque l’histoire parlementaire des Etats d’Europe et d’Amérique ; on rappelle que le système à deux Chambres dans ces pays n’a eu que des résultats négatifs, que la seconde Chambre dégénère habituellement en un centre de réaction, qui freine la marche en avant. Tout cela est exact. Mais cela vient de ce que, dans ces pays, il n’y a pas d’égalité entre les Chambres.

On sait que souvent l’on accorde à la seconde Chambre plus de droits qu’à la première ; ensuite, la seconde Chambre ne se constitue pas en règle générale par voie démocratique : souvent ses membres sont nommés par en haut. Il est certain que ces résultats négatifs n’existeront pas, si l’on établit l’égalité entre les deux Chambres et si l’on organise la seconde de façon aussi démocratique que la première.

6. On propose ensuite une addition au projet de Constitution, demandant que soit égalisé l’effectif des deux Chambres. Je pense qu’on pourrait accepter cette proposition. Elle offre à mon avis des avantages politiques évidents, puisqu’elle souligne l’égalité des deux Chambres.

7. Vient ensuite une addition au projet de Constitution, proposant d’élire les députés au Soviet des nationalités de la même manière que ceux du Soviet de l’Union par voie d’élections directes. Je pense que cette proposition, on pourrait également l’accepter.

Il est vrai qu’elle peut présenter certains inconvénients d’ordre technique lors des élections. Mais en revanche elle offre un important avantage politique, parce qu’elle augmentera l’autorité du Soviet des nationalités.

8. Vient ensuite une addition à l’article 40, qui propose de réserver au Présidium du Soviet suprême le droit d’édicter des actes législatifs provisoires. Je pense que cette addition n’est pas juste, et que le congrès ne doit pas l’adopter.

Il faut enfin mettre un terme à cette situation où ce n’est pas un organisme unique qui légifère, mais toute une série d’organismes. Cette situation est contraire au principe de la stabilité des lois. Or, la stabilité des lois nous est nécessaire aujourd’hui plus que jamais. Le pouvoir législatif en U.R.S.S. doit être exercé par un seul organisme, le Soviet suprême de l’U.R.S.S.

9. On propose ensuite une addition à l’article 48 du projet de Constitution, demandant que le président du Soviet suprême de l’U.R.S.S. soit élu, non par le Soviet suprême de l’U.R.S.S. mais par toute la population du pays. Je pense que cette addition n’est pas juste, car elle n’est pas conforme à l’esprit de notre Constitution. Suivant le système de notre Constitution, il ne doit pas y avoir en U.R.S.S. de président unique, élu comme tel par la population entière, au même titre que le Soviet suprême, et pouvant s’opposer à ce dernier.

En U.R.S.S. la présidence est collective, elle est assurée par le Présidium du Soviet suprême, y compris le président du Présidium du Soviet suprême, élu non pas par toute la population, mais par le Soviet suprême, et tenu de rendre compte de son activité devant ce dernier. L’histoire montre que cette structure des organismes suprêmes est la plus démocratique, et qu’elle garantit le pays contre des éventualités indésirables.

10. Vient ensuite un amendement au même article 48 proposant de porter vice-présidents au Présidium du Soviet le nombre des suprêmes à 11, à raison d’un vice-président par République fédérée. Je pense que l’on pourrait accepter cet amendement, qui améliore les choses et ne peut que renforcer l’autorité du Présidium du Soviet suprême de l’U.R.S.S.

11. Vient ensuite un amendement à l’article 77. Il demande que soit organisé un nouveau commissariat de l’U.R.S.S., le commissariat du peuple de l’Industrie de la Défense. Je pense qu’il serait bon d’accepter aussi cet amendement (applaudissements), car le moment est venu de faire une place spéciale à notre industrie de la Défense et de la doter d’un commissariat. Il me semble que ceci ne pourrait qu’améliorer la défense de notre pays.

12.Vient ensuite un amendement à l’article 124 du projet de Constitution, demandant que soit interdit l’exercice des cultes religieux. Je pense qu’il faut rejeter cet amendement, comme n’étant pas conforme à l’esprit de notre Constitution.

13. Enfin, encore un amendement plus ou moins essentiel. Je parle de l’amendement à l’article 135 du projet de Constitution. Il propose de priver des droits électoraux les desservants du culte, les anciens gardes blancs, tous les ci devant et les personnes qui ne font pas un travail d’utilité publique, ou tout au moins de limiter les droits électoraux des individus de cette catégorie en ne leur accordant que le droit d’élire sans pouvoir être élu. Je pense que cet amendement doit également être rejeté.

Le pouvoir soviétique a privé de leurs droits électoraux les éléments non travailleurs et exploiteurs, non à perpétuité mais provisoirement, pendant une certaine période. Il fut un temps où ces éléments faisaient ouvertement la guerre au peuple et s’opposaient aux lois soviétiques.

La loi soviétique qui les privait du droit électoral fut la réponse du pouvoir des Soviets à cette opposition. Depuis lors il s’est passé pas mal de temps. Durant la période écoulée, nous avons obtenu ce résultat que les classes exploiteuses ont été supprimées et le pouvoir soviétique est devenu une force invincible.

Le moment n’est-il pas venu de raviser cette loi ?

Je pense que oui. On dit qu’il y a là un danger, parce que dans les organismes suprêmes du pays peuvent se glisser des éléments hostiles au pouvoir soviétique, anciens gardes blancs, koulaks, popes, etc. Mais que peut-on craindre ici ? Qui craint le loup n’aille pas au bois. (Joyeuse animation dans la salle, vifs applaudissements.)

D’abord, les anciens koulaks, gardes blancs ou popes ne sont pas tous hostiles au pouvoir soviétique. Ensuite, si le peuple élit, çà et là, des hommes hostiles, cela voudra dire que notre travail d’agitation ne vaut rien, et que nous avons parfaitement mérité cette honte ; si au contraire notre travail d’agitation est fait à la manière bolchevique, le peuple ne laissera pas pénétrer les éléments hostiles dans ses organismes suprêmes. Par conséquent, il faut travailler et ne pas pleurnicher. (Vifs applaudissements.)

Il faut travailler et ne pas attendre que les choses vous soient servies toutes prêtes, par la voie de dispositions administratives.

Déjà en 1919 Lénine disait que le temps était proche où le pouvoir des Soviets jugerait utile d’introduire le suffrage universel sans aucune restriction. Notez-le bien : sans aucune restriction. Il le disait alors que l’intervention militaire étrangère n’était pas encore liquidée, et que notre industrie et notre agriculture étaient dans une situation désespérée. Dix-sept ans ont passé depuis. N’est-il pas temps, camarades, de nous conformer à cette indication de Lénine ?

Je crois qu’il est temps.

Voici ce que Lénine disait en 1919 dans son ouvrage « Projet de programme du Parti communiste (bolchevik) russe ». Permettez-moi de vous en donner lecture : Le Parti communiste russe doit expliquer aux masses laborieuses, généralisation erronée des nécessités historiques passagères, que le électoraux à une partie des citoyens en République soviétique, ne comme ce fut le cas dans la plupart des républiques démocratiques afin d’éviter une retrait des droits concerne nullement, bourgeoises, une catégorie déterminée de citoyens, que l’on déclare privés de droits pour la vie ; il ne concerne que les exploiteurs, que ceux qui, en dépit des lois fondamentales de la République socialiste soviétique, persistent à défendre leur position d’exploiteurs, à maintenir les rapports capitalistes.

Par conséquent, dans la République des Soviets, d’une part, à mesure que le socialisme se fortifie de jour en jour et que diminue le nombre de ceux qui ont la possibilité objective de rester des exploiteurs ou de maintenir les rapports capitalistes, la proportion des individus privés du droit électoral diminue.

Aujourd’hui, cette proportion ne dépasse guère en Russie, 2 ou 3 %. D’autre part, dans le plus proche avenir, la fin de l’invasion étrangère et l’achèvement de l’expropriation des expropriateurs, peuvent sous certaines conditions, créer un état de choses tel que le pouvoir d’Etat prolétarien choisira d’autres moyens pour écraser la résistance des exploiteurs, et introduira le suffrage universel sans aucune restriction. (t. XXIV, p. 94, éd. Russe.)

C’est clair, je pense.

Voilà ce qu’il en est des amendements et additions au projet de la Constitution de l’U.R.S.S.

VI – IMPORTANCE DE LA NOUVELLE
CONSTITUTION DE L’U.R.S.S.

A en juger par les résultats de la discussion populaire, qui a duré à peu près 5 mois, il est permis de supposer que le projet de Constitution sera approuvé par ce congrès. (Vifs applaudissements qui tournent en ovation. La salle se lève.)

D’ici quelques jours, l’Union soviétique aura une Constitution nouvelle, socialiste, basée sur les principes d’un large démocratisme socialiste.

Ce sera un document historique, traitant avec simplicité et concision, presque dans un style de procès-verbal, des victoires du socialisme en U.R.S.S., de l’affranchissement des travailleurs de l’U.R.S.S. de l’esclavage capitaliste, des victoires remportées en U.R.S.S. par une démocratie conséquente et développée jusqu’au bout. Ce sera un document attestant que ce dont rêvaient et continuent de rêver des millions d’hommes honnêtes dans les pays capitalistes, est déjà réalisé en U.R.S.S. (Vifs applaudissements.)

Ce sera un document attestant que ce qui a été réalisé en U.R.S.S. peut très bien l’être aussi dans les autres pays. (Vifs applaudissements)

II s’ensuit donc que la portée internationale de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. ne saurait guère être surestimée. Maintenant que le fascisme vomit ses flots troubles sur le mouvement socialiste de la classe ouvrière et traîne dans la boue les aspirations démocratiques des meilleurs hommes du monde civilisé, la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. sera un réquisitoire contre le fascisme, réquisitoire témoignant que le socialisme et la démocratie sont invincibles. (Applaudissements.)

La nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. sera une aide morale et un soutien efficace pour tous ceux qui mènent actuellement la lutte contre la barbarie fasciste. (Vifs applaudissements.)

Pour les peuples de l’U.R.S.S., l’importance de la nouvelle Constitution est encore plus grande. Alors que pour les peuples des pays capitalistes, la Constitution de l’U.R.S.S. sera un programme d’action, pour les peuples de l’U.R.S.S. elle est comme le bilan de leur lutte, le bilan de leurs victoires sur le front de la libération de l’humanité. Quand on a parcouru ce chemin de lutte et de privations, quelle satisfaction et quelle joie d’avoir sa Constitution, qui parle du fruit de nos victoires.

Quelle satisfaction et quelle joie de savoir pour quoi ont combattu nos hommes, et comment ils ont remporté leur victoire historique et mondiale.

Quelle satisfaction et quelle joie de savoir que le sang répandu abondamment par nos hommes ne l’a pas été en vain, qu’il a donné ses résultats. (Applaudissements prolongés.)

C’est ce qui arme moralement notre classe ouvrière, notre paysannerie, nos intellectuels travailleurs. C’est ce qui pousse en avant et stimule notre sentiment d’orgueil légitime.

C’est ce qui affermit la foi que nous avons en nos forces et nous mobilise pour une lutte nouvelle, pour remporter de nouvelles victoires dans la voie du communisme. (Ovation enthousiaste, toute la salle se lève. Des « hourras » éclatent en tonnerre. Acclamations unanimes : « Vive le camarade Staline ! » Le congrès, debout, entonne l’Internationale. Puis, nouvelle ovation. On crie : « Hourra ! », « Vive notre chef, le camarade Staline ! »)

=>Oeuvres de Staline

=>Retour au dossier sur les constitutions soviétiques de 1924 et 1936

Staline : Interview à un journaliste de la Pravda

28 octobre 1948

***Quelle est votre opinion sur les résultats de la discussion de la situation à Berlin par le Conseil de Sécurité et sur l’attitude des représentants anglo-américains à cet égard ?

– Je considère qu’il s’agit d’une manifestation de l’esprit d’agression de la politique des milieux dirigeants anglo-américains et français.

***Est-il exact qu’au mois d’août de cette année, un accord a été réalisé entre les quatre puissances sur la question de Berlin ?

– Oui, c’est exact… Comme on le sait, le 30 août de cette année, un accord a été réalisé à Moscou entre les représentants de l’U.R.S.S., des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France au sujet de l’application simultanée, d’une part, de mesures en vue de faire cesser les restrictions visant les communications, d’autre part, de mesures visant à l’introduction du mark allemand de la zone soviétique comme seule monnaie à Berlin.

Cet accord n’empiétait sur le prestige de personne. Il tenait compte des intérêts des parties et assurait la garantie d’une coopération ultérieure, mais les gouvernements des États-Unis et de la Grande-Bretagne ont désavoué leurs représentants à Moscou et déclaré que cet accord était nul et non avenu. Ils l’ont violé, décidant de soumettre la question au Conseil de Sécurité au sein duquel les Britanniques et les Américains ont une majorité assurée.

***Est-il exact que dernièrement à Paris, lorsque la question était discutée au Conseil de Sécurité, au cours de conversations officieuses, un accord fut à nouveau réalisé ?

– Oui, c’est exact. Le représentant de l’Argentine, le Dr Bramuglia, président du Conseil de Sécurité, qui eut des entretiens officieux avec Vychinski, au nom des autres puissances intéressées, avait, en effet, en mains un projet de solution ayant fait l’objet d’un accord. Mais les représentants des États-Unis et de la Grande-Bretagne déclarèrent que cet accord n’existait pas.

***Quel est le fond de la question ? Ne peut-on l’expliquer ?

– Le fond de la question est que les inspirateurs de la politique agressive des Etats- Unis et de la Grande-Bretagne ne se considèrent pas comme intéressés à un accord et à la coopération avec l’U.R.S.S. Ils ne veulent ni accord ni coopération afin de rejeter la responsabilité sur l’U.R.S.S., et ainsi de prouver l’impossibilité de la coopération avec l’U.R.S.S.

Les fauteurs de guerre, qui cherchent à en déchaîner une nouvelle, craignent plus que tout l’accord et la coopération avec l’U.R.S.S., car la politique d’accord avec I’U.R.S.S. affaiblit les positions des fauteurs de guerre et prive d’objectif la politique agressive de ces messieurs. Précisément pour cette raison, ils défont les accords déjà réalisés, désavouent les représentants qui ont conclu ces accords avec l’U.R.S.S., soumettent la question, en violation de la Charte des Nations-Unies, au Conseil de Sécurité, où ils disposent d’une majorité assurée et on ils peuvent « prouver » n’importe quoi.

Tout cela est fait afin de démontrer l’impossibilité de la coopération avec I’U. R. S. S. pour démontrer la nécessité d’une nouvelle guerre et ainsi préparer les conditions de son déchaînement. La politique des dirigeants actuels des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne est politique d’agression et de déchaînement d’une nouvelle guerre.

***Que pensez-vous des actions des six États du Conseil de Sécurité Chine, Canada, Belgique, Argentine, Colombie, Syrie ?

– Il est évident que tous ces messieurs appuient une politique d’agression, une politique de déchaînement d’une nouvelle guerre.

***Comment tout cela peut-il finir ?

– Cela ne peut se terminer que par la chute honteuse des instigateurs d’une nouvelle guerre. Churchill, le principal fauteur de guerre, a déjà réussi à se priver de la confiance de son pays et des forces démocratiques du monde entier. Le même sort attend tous les autres instigateurs d’une nouvelle guerre. Les horreurs de la guerre récente sont trop vivaces dans la mémoire des peuples et les forces populaires favorables à la paix sont trop grandes pour que les disciples en agression de Churchill puissent les vaincre et les entraîner vers une nouvelle guerre.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Anarchisme ou socialisme ?

[A la fin de 1905 et au début de 1906. en Géorgie, un groupe d’anarchistes dirigé par un partisan de Kropotkine, le fameux anarchiste V. Tcherkézichvili et ses adeptes Mikhako Tsérételi (Bâton), Chalva Goguélia (Ch. G.) et d’autres, entreprit une campagne acharnée contre les social-démocrates.

Le groupe fit paraître à Tiflis les journaux Nobati, Moucha, etc. Les anarchistes ne bénéficiaient d’aucun appui au sein du prolétariat, mais ils obtinrent quelques succès parmi les éléments déclassés et petits-bourgeois.

J. Staline, dans une suite d’articles portant le titre général d’Anarchisme ou socialisme ?, s’éleva contre les anarchistes. Les quatre premiers articles parurent dans le journal Akhali Tskhovréba en juin-juillet 1906. On arrêta l’impression des autres articles le journal ayant été interdit.

En décembre 1906 et le 1er janvier 1907, les articles parus dans Akhali Tskhovréba furent réimprimés dans le journal Akhali Droéba, mais sous une forme légèrement modifiée. La rédaction du journal fit précéder ces articles par la remarque suivante : « Dernièrement le syndicat des employés nous proposait de faire paraître des articles sur l’anarchisme, le socialisme et autres questions analogues (voir : Akhali Droéba, n° 3). Ce vœu fut également formulé par d’autres camarades. Nous accédons volontiers à ce désir en faisant publier ces articles.

Quant aux articles eux-mêmes, nous tenons à rappeler qu’une partie d’entre eux ont déjà paru une fois dans la presse géorgienne (mais pour des raisons indépendantes de l’auteur, ils ne purent être achevés).

Néanmoins, nous avons jugé utile de publier intégralement tous les articles et nous avons demandé à l’auteur de les remanier en un style à la portée de tous, ce qu’il a fait volontiers ». C’est ainsi que sont apparues deux variantes des quatre premières parties d’Anarchisme ou socialisme ? La suite de cet ouvrage a été publiée dans les journaux Tchvéni Tskhovréba en février 1907 et Dro en avril 1907. La première variante des articles Anarchisme ou socialisme ?, publiée dans Akhali Tskhovréba, est donnée en annexe au premier volume des Œuvres de J. Staline.

Akhali Tskhovréba (La vie nouvelle), quotidien bolchévik qui parut à Tiflis du 20 juin au 14 juillet 1906. J. Staline en fut le directeur. Les rédacteurs permanents : M. Davitachvili, G. Télia, G. Kikodzé, d’autres encore. Il parut en tout 20 numéros.

Akhali Droéba (le Nouveau Temps), hebdomadaire syndical légal : parut en langue géorgienne, à Tiflis, du 14 novembre 1906 au 8 janvier 1907, sous la direction de J. Staline, M. Tskhakaïa et M. Davitachvili. Interdit par ordre du gouverneur de Tiflis.

Tchvéni Tskhovréba (Notre Vie), quotidien bolchévik ; parut légalement à Tiflis, à partir du 18 février 1907, sous la direction de J. Staline. Il sortit 13 numéros. Le 6 mars 1907 le journal est interdit pour « tendance extrémiste ».

Dro (Le Temps), quotidien bolchévik, parut à Tiflis après l’interdiction de Tchvéni Tskhovréba du 11 mars au 15 avril 1907, sous la direction de J. Staline. Firent également partie de la rédaction du journal M. Tskhakaïa et M. Davitachvili. Il parut 31 numéros.]

La lutte de classe est le pivot de la vie sociale de nos jours. Et chaque classe, au cours de cette lutte, s’inspire de sa propre idéologie. La bourgeoisie a la sienne, c’est ce qu’on appelle le libéralisme. Le prolétariat de même a son idéologie, c’est, vous le savez, le socialisme.

On ne saurait considérer le libéralisme comme quelque chose d’entier et d’indivisible : il comporte diverses tendances suivant les diverses catégories de la bourgeoisie.

Le socialisme non plus n’est ni entier, ni indivisible : il comporte de même diverses tendances.

Nous n’allons pas nous livrer ici à l’analyse du libéralisme, – mieux vaut remettre cela à un autre temps. Nous tenons simplement à montrer au lecteur ce qu’est le socialisme et ses courants. A notre avis, cela l’intéressera davantage.

Le socialisme comporte trois courants principaux : le réformisme, l’anarchisme et le marxisme.

Le réformisme (Bernstein et autres), qui ne considère le socialisme que comme un but éloigné, et rien de plus ; qui, pratiquement, nie la révolution socialiste et cherche à instaurer le socialisme par la voie pacifique ; le réformisme qui prêche non la lutte des classes, mais leur collaboration, – ce réformisme-là se désagrège de jour en jour ; il perd de jour en jour toutes les apparences de socialisme ; point n’est besoin, selon nous, de l’analyser ici, dans les présents articles en définissant le socialisme.

Il en va tout autrement pour le marxisme et l’anarchisme : tous deux sont reconnus aujourd’hui pour des courants socialistes ; tous deux mènent une lutte acharnée entre eux ; tous deux veulent apparaître aux yeux du prolétariat comme des doctrines authentiquement socialistes, et, bien entendu, l’analyse et la mise en parallèle de ces deux tendances offriront au lecteur un bien plus vif intérêt.

Nous n’appartenons pas à ces hommes qui, au rappel du mot « anarchisme », se détournent avec mépris et déclarent dans un geste d’abandon : « Vous êtes bien bons de vous en occuper, il ne vaut même pas la peine qu’on en parle ! » Nous croyons qu’une telle « critique » à bon marché est chose indigne et sans utilité.

Nous n’appartenons pas non plus aux hommes qui se consolent à l’idée que les anarchistes, voyez-vous, « n’ont pas l’appui des masses, et c’est pourquoi ils ne sont guère dangereux ». Il ne s’agit pas de savoir derrière qui suit aujourd’hui une « masse » plus grande ou plus petite, – il s’agit de l’essence de la doctrine.

Si la « doctrine » des anarchistes traduit une vérité, il va de soi qu’elle s’ouvrira absolument un chemin et ralliera la masse autour d’elle. Mais si elle est inconsistante et repose sur une base erronée, elle ne fera pas long feu et restera comme suspendue en l’air. Or, l’inconsistance de l’anarchisme doit être démontrée.

Certains estiment que le marxisme et l’anarchisme ont les mêmes principes ; qu’il n’existe entre eux que des divergences de tactique, de sorte que, selon eux, il est tout à fait impossible d’opposer l’un à l’autre ces deux courants.

Mais c’est là une grave erreur.

Nous estimons que les anarchistes sont les ennemis véritables du marxisme. Par conséquent, nous reconnaissons aussi qu’il faut mener une lutte véritable contre de véritables ennemis. Il faut donc analyser la « doctrine » des anarchistes d’un bout à l’autre et l’examiner à fond sous toutes ses faces.

La vérité est que le marxisme et l’anarchisme reposent sur des principes tout à fait divergents, bien que tous deux se manifestent sur le théâtre de la lutte sous le drapeau socialiste. La pierre angulaire de l’anarchisme est l’individu, dont l’affranchissement est, selon lui, la condition principale de l’affranchissement de la masse, de la collectivité.

Selon l’anarchisme, l’affranchissement de la masse est impossible tant que l’individu ne sera pas affranchi, ce qui fait que son mot d’ordre est : « Tout pour l’individu ». Tandis que la pierre angulaire du marxisme, c’est la masse dont l’affranchissement est, selon lui, la condition principale de l’affranchissement de l’individu. C’est-à-dire que, selon le marxisme, l’individu ne peut être affranchi tant que ne le sera pas la masse, ce qui fait que son mot d’ordre est : « Tout pour la masse ».

Il est évident qu’ici interviennent deux principes s’excluant l’un l’autre, et pas seulement des divergences tactiques.

Nos articles ont pour objet de confronter, ces deux principes opposés, de comparer entre eux le marxisme et l’anarchisme, et d’éclairer ainsi leurs qualités et leurs défauts. De plus, nous jugeons utile ici même de faire connaître au lecteur le plan de ces articles.

Nous commencerons par donner une définition du marxisme ; chemin faisant, nous rappellerons le point de vue des anarchistes sur le marxisme, et puis nous aborderons la critique de l’anarchisme proprement dit.

Savoir : nous exposerons la méthode dialectique, le point de vue des anarchistes sur cette méthode et notre critique ; la théorie matérialiste, le point de vue des anarchistes et notre critique (nous parlerons ici même de la révolution socialiste, de la dictature socialiste, du programme minimum et, en général, de la tactique) ; la philosophie des anarchistes et notre critique ; le socialisme des anarchistes et notre critique ; la tactique et l’organisation des anarchistes ; pour terminer, nous présenterons nos conclusions.

Nous tâcherons de montrer que les anarchistes, en tant que prédicats du socialisme des petites communautés, ne sont pas des socialistes authentiques.

Nous tâcherons également de montrer que les anarchistes, pour autant qu’ils nient la dictature du prolétariat, ne sont pas non plus des révolutionnaires authentiques…

Ainsi, procédons.

 I. METHODE DIALECTIQUE

Tout ce qui existe… n’existe, ne vit que par un mouvement quelconque… Il y a un mouvement continuel d’accroissement dans les forces productives, de destruction dans les rapports sociaux.

Karl Marx

Le marxisme n’est pas seulement une théorie du socialisme ; c’est une conception du monde achevée, un système philosophique d’où le socialisme prolétarien de Marx découle spontanément. Ce système philosophique porte le nom de matérialisme dialectique.

Aussi bien, exposer le marxisme c’est exposer le matérialisme dialectique.

Pourquoi ce système porte-t-il le nom de matérialisme dialectique ?

Parce que sa méthode est dialectique et sa théorie, matérialiste.

Qu’est-ce que la méthode dialectique ?

On dit que la vie sociale est en état de constante évolution et de mouvement. Et cela est juste : on ne peut considérer la vie comme quelque chose d’immuable, de figé ; elle ne s’arrête jamais à un niveau quelconque ; elle est en perpétuel mouvement, elle suit un processus perpétuel de destruction et de création. C’est pourquoi il existe toujours dans la vie du nouveau et du vieux, des éléments croissants et mourants, révolutionnaires et contre-révolutionnaires.

La méthode dialectique affirme qu’il faut regarder la vie telle qu’elle est en réalité. Nous avons vu que la vie est en perpétuel mouvement ; nous devons donc considérer la vie dans son mouvement, et poser la question ainsi : Où va la vie ?

Nous avons vu que la vie offre le spectacle d’une destruction et d’une création perpétuelles ; notre devoir est donc de considérer la vie dans sa destruction et sa création, et de poser la question ainsi : Qu’est-ce qui se détruit et qu’est-ce qui se crée dans la vie ?

Ce qui naît dans la vie et grandit de jour en jour, est irrésistible, et l’on ne saurait en arrêter le progrès. C’est-à-dire que si, par exemple, le prolétariat naît dans la vie en tant que classe et grandit de jour en jour, si faible et peu nombreux qu’il soit aujourd’hui, il finira néanmoins par vaincre. Pourquoi ? Parce qu’il grandit, se fortifie et marche de l’avant.

Par contre, ce qui dans la vie vieillit et s’achemine vers la tombe, doit nécessairement subir la défaite, encore que ce soit aujourd’hui une force prodigieuse.

C’est-à-dire que si, par exemple, la bourgeoisie voit le terrain se dérouler peu à peu sous ses pieds et marche chaque jour à reculons, si forte et nombreuse qu’elle soit aujourd’hui, elle finira néanmoins par essuyer la défaite.

Pourquoi ? Mais parce que, en tant que classe, elle se désagrège, faiblit, vieillit et devient un fardeau inutile dans la vie.

D’où la thèse dialectique bien connue : Tout ce qui existe réellement, c’est-à-dire tout ce qui grandit de jour en jour, est rationnel, et tout ce qui de jour en jour se désagrège, ne l’est point et, par conséquent, n’échappera pas à la défaite.

Exemple. Après 1880, un grand débat s’était institué parmi les intellectuels révolutionnaires russes. Les populistes affirmaient que la force principale capable de se charger de la « libération de la Russie », était la petite bourgeoisie de la campagne et de la ville.

Pourquoi ? leur demandaient les marxistes. Parce que, répondaient les populistes, la petite bourgeoisie de la campagne et de la ville forme aujourd’hui la majorité ; de plus, elle est pauvre et vit dans la misère.

Les marxistes répliquaient : en effet, la petite bourgeoisie de la campagne et de la ville forme aujourd’hui la majorité, et elle est vraiment pauvre, mais la question n’est point là. La petite bourgeoisie forme depuis longtemps déjà la majorité, mais jusqu’à présent elle n’a, sans l’aide du prolétariat, fait preuve d’aucune initiative, dans la lutte pour la « liberté ».

Pourquoi ? Mais parce que la petite bourgeoisie, en tant que classe, ne grandit pas ; au contraire, de jour en jour elle se désagrège et se décompose en bourgeois et en prolétaires. D’autre part, bien entendu, la pauvreté, elle non plus, n’a pas ici une importance décisive : les « gueux » sont plus pauvres que la petite bourgeoisie, mais personne ne dira qu’ils peuvent se charger de la « libération de la Russie ».

Comme on voit, il ne s’agit pas de savoir quelle classe aujourd’hui forme la majorité, ou quelle classe est plus pauvre, mais bien quelle classe se fortifie et quelle autre se désagrège.

Et comme le prolétariat est la seule classe qui se développe et se fortifie sans cesse, qui pousse en avant la vie sociale et rallie autour de soi tous les éléments révolutionnaires, notre devoir est de le reconnaître pour la force principale du mouvement d’aujourd’hui, de rejoindre ses rangs et de faire nôtres ses tendances progressives.

Ainsi répondaient les marxistes.

Sans doute les marxistes regardaient-ils la vie dialectiquement, tandis que les populistes raisonnaient en métaphysiciens, car ils se représentaient la vie sociale comme étant figée, à un point mort.

C’est ainsi que la méthode dialectique envisage le développement de la vie.

Mais il y a mouvement et mouvement. Il y en eut un, dans la vie sociale, aux « journées de décembre » [1], quand le prolétariat, l’échine redressée, attaqua les dépôts d’armes et marcha à l’assaut de la réaction. Mais ce qu’il faut encore nommer mouvement social, c’est celui des années antérieures, quand le prolétariat, dans le cadre d’une évolution « pacifique », se contentait de grèves isolées et de la création de petits syndicats.

Il est clair que le mouvement affecte des formes diverses.

Eh bien, la méthode dialectique affirme que le mouvement a une double forme : évolutionniste et révolutionnaire.

Le mouvement est évolutionniste, quand les éléments progressifs continuent spontanément leur travail journalier et apportent dans le vieil ordre de choses de menus changements quantitatifs.

Le mouvement est révolutionnaire, quand ces mêmes éléments s’unissent, se pénétrant d’une idée commune et se précipitent contre le camp ennemi pour anéantir jusqu’à la racine le vieil ordre de choses et apporter dans la vie des changements qualitatifs, instituer un nouvel ordre de choses.

L’évolution prépare la révolution et crée un terrain qui lui est favorable, tandis que la révolution achève l’évolution et contribue à son progrès.

Les mêmes processus s’opèrent dans la vie de la nature. L’histoire de la science montre que la méthode dialectique est une méthode authentiquement scientifique : à commencer par l’astronomie et en finissant par la sociologie, partout l’idée se confirme qu’il n’y a rien d’éternel dans le monde, que tout change, tout évolue. Par conséquent, tout dans la nature doit être envisagé du point de vue du mouvement, de l’évolution. Or, cela signifie que l’esprit de la dialectique pénètre toute la science moderne.

Pour ce qui est des formes du mouvement et aussi du fait que, selon la dialectique, les menus changements de quantité aboutissent en fin de compte à de grands changements de qualité, cette loi est tout aussi valable dans l’histoire de la nature.

Le « système périodique des éléments » de Mendéléev montre clairement quelle grande portée s’attache, dans l’histoire de la nature, au fait que les changements de qualité naissent des changements de quantité. Témoin aussi, en matière de biologie, la théorie du néolamarckisme, théorie à laquelle fait place le néodarwinisme.

Nous ne disons rien des autres faits, que Fr. Engels étudie avec une ampleur suffisante dans son Anti-Dühring.

Tel est le fond de la méthode dialectique.

Que pensent les anarchistes de la méthode dialectique ?

On sait que le fondateur de la méthode dialectique fut Hegel. Méthode que Marx a épurée et améliorée. Certes, ce fait est connu également des anarchistes.

Ils savent que Hegel fut un conservateur, et, profitant de cette occasion, ils s’attaquent avec véhémence à Hegel, qu’ils traitent de partisan de la « restauration » ; ils « démontrent » avec entrain que « Hegel est un philosophe de la restauration… qu’il exalte le constitutionnalisme bureaucratique en sa forme absolue ; que l’idée générale de sa philosophie de l’histoire est subordonnée à la tendance philosophique de l’époque de la restauration, tendance qu’elle sert », etc. (Voir : Nobati [2], n° 6 Article de V. Tcherkézichvili).

L’anarchiste bien connu Kropotkine « démontre » la même chose dans ses écrits. (Voir, par exemple, sa Science et anarchisme, en langue russe).

Kropotkine est unanimement soutenu par nos kropotkiniens, depuis Tcherkézichvili jusqu’à Ch. G. (Voir les numéros de Nobati).

Il est vrai que sur ce point personne ne discute avec eux. Au contraire, chacun conviendra que Hegel n’était pas un révolutionnaire. Marx et Engels eux-mêmes ont, avant tous les autres, fait la preuve dans leur Critique de la critique critique, que les conceptions historiques de Hegel contredisent foncièrement l’idée de la souveraineté du peuple.

Néanmoins, les anarchistes « démontrent » et tiennent à « démontrer » chaque jour que Hegel est partisan de la « restauration ». Pourquoi font-ils cela ? Sans doute pour jeter le discrédit sur Hegel et faire sentir au lecteur que le « réactionnaire » Hegel ne peut avoir qu’une méthode « rebutante » et antiscientifique.

C’est ainsi que les anarchistes croient pouvoir réfuter la méthode dialectique.

Nous déclarons que de cette manière ils ne prouveront rien, sinon leur propre ignorance. Pascal et Leibniz n’étaient pas des révolutionnaires, mais la méthode mathématique qu’ils ont découverte est reconnue aujourd’hui une méthode scientifique.

Mayer et Helmholtz n’étaient pas des révolutionnaires, mais leurs découvertes en physique constituent un des fondements de la science. Lamarck et Darwin n’étaient pas non plus des révolutionnaires ; cependant leur méthode évolutionniste a mis sur pied la science biologique… Pourquoi ne reconnaîtrait-on pas le fait que, en dépit de son conservatisme, Hegel a pu élaborer une méthode scientifique dite dialectique ?

Non, de cette manière les anarchistes ne prouveront rien, sinon leur propre ignorance.

Poursuivons. Selon les anarchistes, « la dialectique, c’est de la métaphysique », et comme ils « veulent débarrasser la science de la métaphysique, la philosophie de la théologie », ils réfutent la méthode dialectique. (Voir Nobati, n° 3 et 9. Ch G. Voir aussi Science et anarchisme, de Kropotkine).

Ah, ces anarchistes ! C’est, comme on dit, vouloir rejeter la faute sur son voisin. La dialectique a mûri dans la lutte avec la métaphysique ; elle s’est acquis la gloire dans cette lutte ; or, pour les anarchistes la dialectique, c’est de la métaphysique !

La dialectique affirme qu’il n’y a rien d’éternel dans le monde, que tout passe, tout change : la nature, la société, les mœurs et les coutumes, les idées de justice ; la vérité elle-même change, et c’est pourquoi la dialectique considère toute chose avec esprit critique ; c’est pourquoi elle nie la vérité établie une fois pour toutes ; par conséquent, elle nie de même les « principes dogmatiques tout faits que l’on n’a plus, une fois découverts, qu’à apprendre par coeur ». (Voir : F. Engels, Ludwig Feuerbach).

La métaphysique, elle, nous dit tout autre chose. Le monde pour elle est quelque chose d’éternel et d’immuable (voir : F. Engels, Anti-Dühring) ; il a été une fois pour toutes défini par quelqu’un ou quelque chose. Voilà pourquoi les métaphysiciens ont toujours à la bouche « justice éternelle » et « vérité immuable ».

Proudhon, le « père spirituel » des anarchistes, disait qu’il existe dans le monde une justice immanente établie une fois pour toutes, qui doit être mise à la base de la société future. Aussi a-t-on appelé Proudhon un métaphysicien. Marx a combattu Proudhon par la méthode dialectique, il a démontré que, puisque tout change dans le monde, la « justice » doit également changer et que, par conséquent, la « justice immanente » est un délire métaphysique (Voir : K. Marx, la Misère de la philosophie). Or, les disciples géorgiens du métaphysicien Proudhon nous répètent sans cesse : « La dialectique de Marx, c’est de la métaphysique ! ».

La métaphysique admet différents dogmes nébuleux, comme l’ »inconnaissable », la « chose en soi », et passe finalement à une théologie vide de substance.

A l’opposé de Proudhon et de Spencer, Engels a combattu ces dogmes par la méthode dialectique. (Voir : Ludwig Feuerbach). Et les anarchistes – les disciples de Proudhon et de Spencer – de nous dire que Proudhon et Spencer sont des savants, tandis que Marx et Engels sont des métaphysiciens !

De deux choses l’une : ou bien les anarchistes se leurrent ; ou bien ils ne savent ce qu’ils disent.

En tous cas, une chose est certaine, c’est que les anarchistes confondent le système métaphysique de Hegel et sa méthode dialectique.

Inutile de dire que le système philosophique de Hegel, qui s’appuie sur une idée immuable, est d’un bout à l’autre métaphysique. Mais il n’est pas moins certain que la méthode dialectique de Hegel, qui nie toute idée immuable, est d’un bout à l’autre scientifique et révolutionnaire.

Voilà pourquoi Karl Marx, qui a soumis le système métaphysique de Hegel à une critique foudroyante, a loué en même temps sa méthode dialectique. « Rien ne saurait lui imposer, disait Marx, parce qu’elle est essentiellement critique et révolutionnaire ». (Voir : le Capital, tome 1er. Postface).

Voilà pourquoi Engels aperçoit une différence notable entre la méthode de Hegel et son système. « Ceux qui prenaient surtout appui sur le système de Hegel, pouvaient être assez conservateurs dans les deux domaines ; ceux qui considéraient la méthode dialectique comme la chose essentielle, pouvaient, tant au point de vue religieux qu’au point de vue politique, appartenir à l’opposition la plus extrême ». (Voir : Ludwig Feuerbach).

Les anarchistes ne voient pas cette différence et répètent, sans réfléchir, que la « dialectique, c’est de la métaphysique ».

Poursuivons. Les anarchistes prétendent que la méthode dialectique est un « tissu de subterfuges », la « méthode des sophismes », du « saut périlleux de la logique » (Voir : Nobati, n° 8, Ch. G.), méthode « au moyen de laquelle on prouve avec la même facilité la vérité et le mensonge ». (Voir : Nobati, n° 4. Article de V. Tcherkézichvili).

Ainsi, pour les anarchistes, la méthode dialectique prouve tout aussi bien la vérité que le mensonge.

Il peut sembler dès l’abord que l’accusation portée par les anarchistes ne soit pas dénuée de fondement. Ecoutez, par exemple, ce que dit Engels du partisan de la méthode métaphysique :

« … Il parle par « oui et par non ; tout ce qui est au-delà vient du Malin ». Pour lui, une chose existe ou n’existe pas ; une chose ne peut être à la fois elle-même et autre qu’elle-même. Le négatif et le positif s’excluent absolument… » (Voir : Anti-Dühring. Introduction).

Comment cela ! – s’échauffent les anarchistes. – Est-il possible qu’un seul et même objet soit à la fois bon et mauvais ?! C’est bien là un « sophisme », un « jeu de mots ». Car cela veut dire que « vous voulez avec la même facilité prouver la vérité et le mensonge » !…

Allons cependant au fond des choses.

Nous demandons aujourd’hui la république démocratique.

Pouvons-nous dire que la république démocratique soit bonne à tous égards ou bien à tous égards mauvaise ?

Non, nous ne le pouvons pas ! Pourquoi ? Parce que la république démocratique n’est bonne que d’un côté, c’est quand elle détruit le régime féodal ; par contre, elle est mauvaise d’un autre côté, c’est quand elle fortifie le régime bourgeois.

Aussi bien disons-nous : pour autant que la république démocratique détruit le régime féodal, elle est bonne, et nous luttons pour elle ; mais pour autant qu’elle fortifie le régime bourgeois, elle est mauvaise, et nous luttons contre elle.

Il s’ensuit qu’une seule et même république démocratique est à la fois « bonne » et « mauvaise » – en même temps « oui » et « non ».

On peut en dire autant de la journée de huit heures, laquelle est en même temps « bonne », pour autant qu’elle renforce le prolétariat, et « mauvaise », pour autant qu’elle fortifie le système de travail salarié.

Ce sont ces faits qu’Engels avait en vue en caractérisant, dans les termes mentionnés plus haut, la méthode dialectique.

Or les anarchistes n’ont pas compris, et l’idée parfaitement lumineuse leur a paru un « sophisme » nébuleux.

Certes, les anarchistes sont libres de remarquer ou de ne pas remarquer ces faits ; ils peuvent même sur une rive sablonneuse ne pas remarquer le sable, c’est leur droit. Mais que vient faire ici la méthode dialectique qui, à la différence de l’anarchisme, ne regarde pas la vie les yeux fermés ; qui perçoit les pulsations de la vie et dit explicitement : Du moment que la vie change et est en mouvement, chaque phénomène de la vie comporte deux tendances : positive et négative, dont nous devons défendre la première et réfuter la seconde.

Poursuivons encore. Pour nos anarchistes, « le développement dialectique est un développement catastrophique, par lequel d’abord se détruit complètement le passé, et puis c’est l’avenir qui s’affirme tout à fait à part… Les cataclysmes de Cuvier étaient engendrés par des causes inconnues ; les catastrophes de Marx et d’Engels, elles, sont engendrées par la dialectique… (Voir : Nobati, n° 8, Ch. G.).

Ailleurs le même auteur écrit : « Le marxisme s’appuie sur le darwinisme et l’envisage sans esprit critique ». (Voir : Nobati, n° 6.)

Remarquez-le bien !

Cuvier nie l’évolution darwinienne, il n’admet que les cataclysmes ; or le cataclysme est une explosion inattendue, « engendrée par des causes inconnues ». Les anarchistes soutiennent que les marxistes se joignent à Cuvier, et, par conséquent, ils réfutent le darwinisme.

Darwin nie les cataclysmes de Cuvier, il admet l’évolution par degré. Et voilà que ces mêmes anarchistes prétendent que « le marxisme s’appuie sur le darwinisme et l’envisage sans esprit critique », c’est-à-dire que les marxistes nient les cataclysmes de Cuvier.

Bref, les anarchistes accusent les marxistes de se joindre à Cuvier, et en même temps ils leur reprochent de se joindre à Darwin, et non à Cuvier.

La voilà bien, l’anarchie ! Comme on dit : la veuve du sous-officier s’est donné elle-même le fouet ! Il est clair que Ch. G du n° 8 de Nobati a oublié ce que disait Ch. G. du n° 6.

Lequel les deux a raison : le n° 8 ou le n° 6 ?

Interrogeons les faits. Marx dit :

« A un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles, de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété… Alors s’ouvre une époque de révolution sociale ». Mais « une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives auxquelles elle peut donner libre cours… » (Voir : Karl Marx, Contribution à la critique de l’économie politique. Préface.)

Si l’on applique cette thèse de Marx à la vie sociale actuelle, il en résultera qu’entre les forces productives modernes, ayant un caractère social, et la forme d’appropriation des produits, ayant un caractère privé, il existe un conflit fondamental qui doit aboutir à la révolution socialiste. (Voir : F. Engels, Anti-Dühring, chapitre 2, troisième partie).

On le voit, ce qui engendre la révolution, selon Marx et Engels, ce ne sont pas les « causes inconnues », de Cuvier, mais les causes sociales et vitales parfaitement définies, dites le « développement des forces productives ».

On le voit, la révolution ne se produit, selon Marx et Engels, que lorsque les forces productives sont suffisamment mûres, et non d’une façon inattendue, comme le pensait Cuvier.

Il est évident qu’il n’y a rien de commun entre les cataclysmes de Cuvier et la méthode dialectique de Marx.

D’un autre côté, le darwinisme ne réfute pas seulement les cataclysmes de Cuvier, mais aussi le développement compris dans le sens dialectique, et qui implique la révolution, tandis que du point de vue de la méthode dialectique l’évolution et la révolution, les changements de quantité et de qualité, ce sont deux formes indispensables d’un seul et même mouvement.

On ne saurait sans doute affirmer, d’autre part, que « le marxisme… traite sans esprit critique le darwinisme ».

Il s’ensuit que Nobati se trompe dans les deux cas, dans le n° 6 comme dans le n° 8.

Enfin, les anarchistes s’en prennent à nous parce que « la dialectique… n’offre la possibilité ni de sortir ou de jaillir hors de soi, ni de sauter par-dessus soi-même ». (Voir : Nobati, n° 8, Ch. G).

Ceci, messieurs les anarchistes, est bien la vérité. Ici, honorables, vous avez parfaitement raison : la méthode dialectique, en effet, n’offre point cette possibilité. Et pourquoi ? Mais parce que « jaillir hors de soi et sauter par-dessus soi-même », c’est l’affaire de chevreuils, tandis que la méthode dialectique a été créée pour les hommes.

Là est le secret !…

Tel est en somme le point de vue des anarchistes sur la méthode dialectique.

Il est évident que les anarchistes n’ont pas compris la méthode dialectique de Marx et d’Engels ; ils ont inventé une dialectique à eux, et c’est elle qu’ils combattent avec tant d’acharnement.

Il ne nous reste, à nous, qu’a rire à la vue de ce spectacle, car on ne peut s’empêcher de rire quand on voit un homme lutter contre sa propre fantaisie, briser ses propres imaginations et assurer en même temps avec feu qu’il frappe l’adversaire.

 II.THÉORIE MATÉRIALISTE

Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est, au contraire, leur être social qui détermine leur conscience. Karl Marx

Nous savons maintenant ce qu’est la méthode dialectique.

Qu’est-ce que la théorie matérialiste ?

Tout change dans ce monde, tout évolue dans la vie, mais comment s’opère ce changement et sous quelle forme s’effectue cette évolution ?

Nous savons, par exemple, que la terre était autrefois une masse incandescente ; puis elle s’est refroidie peu à peu ; ensuite sont apparus les plantes et les animaux ; le monde animal s’étant développé, on vit apparaître une espèce déterminée de singes et puis enfin, parut l’homme.

C’est ainsi que s’est développée, en somme, la nature.

Nous savons de même que la vie sociale non plus n’est pas restée à un point mort. Il fut un temps où les hommes vivaient sous le régime du communisme primitif. A cette époque ils pourvoyaient à leur existence par la chasse, ils erraient dans les forêts et s’y procuraient la nourriture. Le temps vint où le communisme primitif céda la place au matriarcat ; à cette époque les hommes subvenaient à leurs besoins surtout en se livrant à la culture primitive du sol.

Ensuite le matriarcat céda la place au patriarcat, époque à laquelle les hommes pourvoyaient à leur existence principalement par l’élevage. Plus tard le régime d’esclavage se substitua au patriarcat ; à cette époque les hommes pourvoyaient à leur existence par une culture du sol relativement évoluée. Au régime d’esclavage succéda le servage, lequel fit place au régime bourgeois.

C’est ainsi que s’est développée en somme la vie sociale.

Oui, tout cela est connu… Mais comment ce développement s’est-il opéré : est-ce la conscience qui a suscité le développement de la « nature » et de la « société », ou bien, au contraire, est-ce le développement de la « nature » et de la « société » qui a suscité le développement de la conscience ?

C’est ainsi que la théorie matérialiste pose la question.

D’aucuns affirment que la « nature » et la « vie sociale. furent précédées de l’Idée universelle qui, plus tard, se trouvera à la base de leur développement, de sorte que l’évolution des phénomènes de la « nature » et de la « vie sociale » est pour ainsi dire la forme extérieure, la simple expression du développement de l’Idée universelle.

Telle fut, par exemple, la doctrine des idéalistes qui, avec le temps, se sont partagés en plusieurs courants.

D’autres affirment que de tout temps il existait dans le monde deux forces négatrices l’une de l’autre, l’idée et la matière, la conscience et l’être, et que, de ce fait, les phénomènes se divisent à leur tour en deux catégories – idéale et matérielle, – se niant l’une l’autre et se combattant, de sorte que le développement de la nature et de la société est une lutte constante entre les phénomènes idéaux et matériels.

Telle fut, par exemple, la doctrine des dualistes qui, avec le temps, de même que les idéalistes, se sont partagés en plusieurs courants.

La théorie matérialiste nie foncièrement le dualisme comme l’idéalisme.

Certes, il existe dans le monde des phénomènes idéaux et matériels, mais cela ne signifie pas du tout qu’ils s’excluent mutuellement. Au contraire, le côté idéal et le côté matériel sont deux formes différentes d’une seule et même nature ou de la société : on ne peut les représenter l’un sans l’autre, ils coexistent, se développent ensemble, et nous n’avons par conséquent aucune raison de croire qu’ils s’excluent mutuellement.

C’est ainsi que ce que l’on nomme dualisme se révèle inconsistant.

La nature une et indivisible, exprimée sous deux formes différentes, matérielle et idéale ; la vie sociale une et indivisible, exprimée sous deux formes différentes – matérielle et idéale, – voilà comment nous devons considérer l’évolution de la nature et de la vie sociale.

Tel est le monisme de la théorie matérialiste.

D’autre part, la théorie matérialiste nie aussi l’idéalisme.

Le point de vue est faux selon lequel le côté idéal et, en général, la conscience dans son développement précède le développement du côté matériel. Il n’y avait pas encore d’êtres vivants, que déjà il existait une nature dite extérieure, « non vivante ».

Le premier être vivant n’était doué d’aucune conscience ; il ne possédait que la faculté d’irritation et les premiers éléments de perception. Ensuite, se développa peu à peu chez les animaux la faculté de perception, laquelle devint lentement conscience, suivant le développement de la structure de leur organisme et de leur système nerveux. Si le singe avait toujours marché à quatre pattes sans jamais redresser l’échine, son descendant – l’homme – n’aurait pas pu se servir librement de ses poumons ni de ses cordes vocales, de sorte qu’il lui eût été impossible de faire usage de la parole, ce qui aurait retardé foncièrement le développement de sa conscience.

Ou bien encore : si le singe ne s’était pas mis debout sur ses pattes de derrière, son descendant – l’homme – eût été obligé de marcher toujours à quatre pattes, de regarder la terre et d’y puiser ses impressions ; il n’aurait pas eu la possibilité de regarder en haut et autour de soi et, par conséquent, il lui eût été impossible de procurer à son cerveau plus d’impressions que n’en a un quadrupède. Tout cela aurait retardé foncièrement les progrès de la conscience humaine.

Il s’ensuit que pour développer la conscience il faut qu’il y ait telle ou telle structure de l’organisme et l’évolution de son système nerveux.

Il s’ensuit que le développement du côté idéal, le développement de la conscience est précédé par le développement du côté matériel, par celui des conditions extérieures : d’abord changent les conditions extérieures, le côté matériel, et ensuite changent conséquemment la conscience, le côté idéal.

Ainsi l’histoire de l’évolution de la nature sape foncièrement ce qu’on appelle l’idéalisme.

Il faut en dire autant de l’histoire du développement de la société humaine.

L’histoire montre que si, à des époques différentes, les hommes se pénétraient d’idées et de désirs différents, la raison en est que, suivant l’époque, les hommes luttaient différemment contre la nature pour pourvoir à leurs besoins, et, par conséquent, leurs rapports économiques s’établissaient autrement. Il fut un temps où les hommes luttaient contre la nature en commun, sur les bases du communisme primitif ; en ce temps-là même leur propriété était communiste, et c’est pourquoi ils ne distinguaient presque pas le « mien » du « tien » ; leur conscience était communiste.

Le temps vint où la distinction entre le « mien » et le « tien » pénétra dans la production, dès lors la propriété elle-même prit un caractère privé, individualiste.

Aussi la conscience des hommes s’est-elle pénétrée du sentiment de la propriété privée. Et voici enfin le temps – le temps d’aujourd’hui, – où la production prend de nouveau un caractère social ; par conséquent, la propriété ne tardera pas à prendre, à son tour, un caractère social, et c’est la raison pour laquelle le socialisme pénètre peu à peu la conscience des hommes.

Un simple exemple. Représentez-vous un cordonnier possédant un tout petit atelier, mais qui, succombant à la concurrence de gros patrons, a fermé son atelier et, disons, s’est fait embaucher dans une fabrique de chaussures à Tiflis, chez Adelkhanov.

Il s’est fait embaucher chez Adelkhanov, non point pour devenir un ouvrier salarié permanent, mais pour amasser de l’argent, se constituer un petit capital pour, ensuite, rouvrir son atelier. La situation de ce cordonnier, on le voit, est déjà prolétarienne, mais sa conscience ne l’est pas encore ; elle est d’un bout à l’autre petite-bourgeoise.

Autrement dit, la situation petite-bourgeoise de ce cordonnier a déjà disparu. elle n’existe plus, mais sa conscience petite-bourgeoise demeure encore, elle est en retard sur sa situation de fait.

Il est évident que là encore, dans la vie sociale, ce sont les conditions extérieures, la situation des hommes qui changent d’abord, et par la suite, leur conscience.

Revenons cependant à notre cordonnier. Comme nous le savons déjà, il pense amasser de l’argent pour rouvrir son atelier. Le cordonnier prolétarisé travaille donc, et il s’aperçoit qu’il est très difficile d’amasser de l’argent, attendu que son salaire lui suffit à peine pour pourvoir à son existence.

Il remarque, en outre, que ce n’est pas chose bien alléchante que d’ouvrir un atelier privé : le loyer du local, les caprices de la clientèle, l’absence d’argent, la concurrence des gros patrons et tant d’autres tracas, tels sont les soucis qui hantent l’esprit de l’artisan.

Or le prolétaire est relativement plus exempt de tous ces soucis ; il n’est inquiété ni par le client, ni par le loyer à payer. Le matin il se rend à la fabrique, le soir il la quitte « le plus tranquillement du monde », et le samedi il met aussi tranquillement sa « paie » dans sa poche. C’est alors que pour la première fois les rêveries petites-bourgeoises de notre cordonnier ont leurs ailes coupées ; c’est alors que pour la première fois des tendances prolétariennes surgissent dans son âme.

Le temps passe, et notre cordonnier se rend compte qu’il manque d’argent pour se procurer le strict nécessaire ; qu’il a grandement besoin d’une augmentation de salaire. Il s’aperçoit en même temps que ses camarades parlent syndicats et grèves. Dès lors notre cordonnier prend conscience que, pour améliorer sa situation, il faut lutter contre le patronat, au lieu d’ouvrir un atelier à lui. Il adhère au syndicat, il rejoint le mouvement gréviste et s’associe peu après aux idées socialistes…

C’est ainsi que le changement de la situation matérielle du cordonnier entraîne, en fin de compte, un changement dans sa conscience : d’abord a changé sa situation matérielle, et puis, quelque temps après, c’est sa conscience qui change conséquemment.

Il faut en dire autant des classes et de la société dans son ensemble.

Dans la vie sociale également, ce sont les conditions extérieures qui changent d’abord, les conditions matérielles, et puis changent, en conséquence, le mode de penser des hommes, leurs moeurs, leurs coutumes, leur conception du monde.

C’est pourquoi Marx dit :

« Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est, au contraire, leur être social qui détermine leur conscience ».

Si nous donnons le nom de contenu au côté matériel, aux conditions extérieures, à l’être et aux autres phénomènes de même nature, alors nous pouvons donner le nom de forme au côté idéal, à la conscience et aux autres phénomènes de même nature. D’où la thèse matérialiste bien connue : dans le cours du développement le contenu précède la forme, la forme retarde sur le contenu.

Et comme, selon Marx, le développement économique est la « base matérielle » de la vie sociale, son contenu, tandis que le développement politique et juridique, philosophique et religieux, est la « forme idéologique » de ce contenu, sa « superstructure », Marx tire cette conclusion : « Le changement de la base économique bouleverse plus ou moins lentement ou rapidement toute la formidable superstructure. »

Cela ne veut point dire sans doute que, selon Marx, le contenu est possible sans la forme, comme l’a cru rêver Ch. G. (voir : Nobati, n° 1. « La Critique du monisme »).

Le contenu sans la forme est impossible ; cependant telle ou telle forme, étant donné son retard sur le contenu, ne correspond jamais entièrement à ce dernier, et c’est ainsi que le nouveau contenu est « obligé » de revêtir momentanément une vieille forme, ce qui provoque un conflit entre eux.

A l’heure actuelle, par exemple, au contenu social de la production ne correspond pas la forme d’appropriation des objets fabriqués, laquelle forme a un caractère privé, et c’est précisément sur ce terrain que se produit le « conflit » social de nos jours.

D’autre part, l’idée que la conscience est une forme de l’être, ne signifie pas du tout que la conscience, de par sa nature, est aussi de la matière. Seuls pensaient ainsi les matérialistes vulgaires (par exemple, Büchner et Moleschott), dont les théories contredisent foncièrement le matérialisme de Marx, et que Engels a justement raillés dans son Ludwig Feuerbach.

D’après le matérialisme de Marx la conscience et l’être, l’idée et la matière, sont deux formes différentes d’un seul et même phénomène qui, en thèse générale, s’appelle nature ou société. Donc, l’un n’est pas la négation de l’autre* ; d’autre part, elles ne constituent pas un seul et même phénomène.

Il s’agit seulement que dans l’évolution de la nature et de la société la conscience, c’est-à-dire ce qui s’accomplit dans notre cerveau, est précédée d’un changement matériel correspondant, c’est-à-dire de ce qui s’accomplit hors de nous, changement matériel qui, tôt ou tard, sera forcément suivi d’un changement idéal approprié.

* Cela ne contredit pas du tout la pensée qu’il existe un conflit entre la forme et le contenu. A la vérité, le conflit existe, non pas entre le contenu et la forme en général, mais entre la vieille forme et le nouveau contenu qui cherche une nouvelle forme et tend vers elle.

Fort bien, nous dira-t-on, peut-être même est-ce exact en ce qui concerne l’histoire de la nature et de la société. Mais de quelle manière naissent, à l’heure actuelle, dans notre esprit, les différentes idées et représentations ?

Les conditions dites extérieures existent-elles dans la réalité, ou bien ne sont-ce que nos représentations de ces conditions extérieures ? Et si les conditions extérieures existent, dans quelle mesure leur perception et leur connaissance sont-elles possibles ?

A ce propos la théorie matérialiste affirme que nos représentations, notre « moi », n’existent que pour autant qu’existent les conditions extérieures génératrices des impressions de notre « moi ».

Celui qui dit, sans trop y réfléchir, qu’il n’existe rien en dehors de nos représentations, se voit obligé de nier les conditions extérieures, quelles qu’elles soient, de nier, par conséquent, l’existence d’autres individus en n’admettant que l’existence de son « moi », ce qui est absurde et contredit foncièrement les principes de la science.

Sans doute les conditions extérieures existent-elles réellement ; elles ont existé avant nous et existeront après nous ; leur perception et leur connaissance sont d’autant plus possibles qu’elles agiront avec plus de fréquence et de vigueur sur notre conscience.

Pour ce qui est de savoir comment surgissent à l’heure actuelle, dans notre esprit, les différentes idées et représentations, nous tenons à faire remarquer qu’ici se renouvelle sommairement ce qui se produit dans l’histoire de la nature et de la société.

Là encore l’objet placé en dehors de nous est antérieur à l’image que nous nous en faisons, et ici notre représentation, la forme, retarde sur l’objet, sur son contenu. Si je vois un arbre, cela signifie simplement que, bien avant que la représentation de l’arbre ait surgi dans mon esprit, l’arbre lui-même existait, qui a fait naître en moi une représentation correspondante…

Tel est en bref le contenu de la théorie matérialiste de Marx.

On conçoit aisément l’importance que la théorie matérialiste doit avoir pour l’activité pratique des hommes.

Si les conditions économiques changent d’abord, et puis, conséquemment, la conscience des hommes, il est évident que nous devons rechercher la justification de tel ou tel idéal, non dans le cerveau des hommes, ni dans leur imagination, mais dans le développement de leurs conditions économiques.

N’est bon et acceptable que l’idéal qui s’est formé sur la base d’une étude des conditions économiques. Ne sont bons à rien ni acceptables tous les idéaux qui ne tiennent pas compte des conditions économiques, ni s’appuient sur leur développement.

Telle est la première conclusion pratique de la théorie matérialiste.

Si la conscience des hommes, leurs mœurs et leurs coutumes sont déterminées par leurs conditions extérieures ; si l’insuffisance des formes juridiques et politiques repose sur un contenu économique, il est évident que nous devons contribuer à une refonte radicale des rapports économiques pour que du même coup changent radicalement les mœurs et les coutumes du peuple, ainsi que son régime politique.

Voici ce que Karl Marx dit à ce propos :

« Il n’est pas besoin d’une grande sagacité pour constater que le matérialisme se rattache… au socialisme. Si l’homme tire du monde physique toute connaissance, sensation, etc… il importe donc d’organiser le monde empirique de telle façon qu’il y trouve et s’assimile ce qui est réellement humain, de telle façon qu’il se reconnaisse comme homme…

Si l’homme n’est pas libre au sens matérialiste du mot, c’est-à-dire s’il est libre non par la force négative d’éviter ceci ou cela, mais par la force positive de mettre en valeur sa véritable individualité, il ne faut pas punir le crime individuel, mais détruire les foyers antisociaux du crime… Si l’homme est formé par les circonstances, il faut former humainement les circonstances ». (Voir : Ludwig Feuerbach, annexe : « K. Marx sur le matérialisme français du XVIII° siècle. [3] »

Telle est la seconde conclusion pratique de la théorie matérialiste.

Quel est le point de vue des anarchistes sur la théorie matérialiste de Marx et d’Engels ?

Si la méthode dialectique remonte à Hegel la théorie matérialiste développe plus avant le matérialisme de Feuerbach.

Les anarchistes le savent fort bien, et ils s’attachent à exploiter les défauts de Hegel et de Feuerbach pour flétrir le matérialisme dialectique de Marx et d’Engels. En ce qui concerne Hegel et la méthode dialectique, nous avons déjà indiqué que ces subterfuges des anarchistes ne peuvent rien prouver, sinon leur propre ignorance. Il faut en dire autant de leurs attaques contre Feuerbach et la théorie matérialiste.

Ainsi les anarchistes affirment avec un grand aplomb que « Feuerbach était un panthéiste… » ; qu’il a « divinisé l’homme… » (voir : Nobati, n° 7. D. Delendi) ; que, « selon Feuerbach, l’homme est ce qu’il mange… » ; que Marx aurait tiré de là cette conclusion : « Donc, le principal, la première chose, c’est la situation économique… » (Voir : Nobati, n° 6, Ch. G.)

Il est vrai que personne ne doute du panthéisme de Feuerbach, de sa déification de l’homme, ni de toutes autres erreurs analogues. Au contraire, Marx et Engels ont les premiers révélés les erreurs de Feuerbach. Néanmoins les anarchistes estiment nécessaire d’abord de « dénoncer » une fois de plus les erreurs déjà dénoncées. Pourquoi ? Probablement parce que, s’en prenant à Feuerbach, ils veulent indirectement flétrir la théorie matérialiste de Marx et d’Engels.

Sans doute, si nous considérons les choses sans parti pris, nous trouverons certainement qu’à côté de pensées fausses il y en avait de justes chez Feuerbach, comme ce fut le cas, au cours de l’histoire, pour maints autres savants. Mais les anarchistes n’en continuent pas moins de « dénoncer »…

Nous déclarons une fois encore qu’avec de tels subterfuges ils ne prouveront rien, sinon leur propre ignorance.

Chose intéressante, c’est que (comme nous le verrons plus loin) les anarchistes se sont avisés de critiquer la théorie matérialiste par ouï-dire, sans la connaître le moins du monde. Ce qui fait qu’ils se contredisent l’un l’autre et se démentent mutuellement, et cela, bien entendu, met nos « critiques » dans une situation ridicule. Au dire de monsieur Tcherkézichvili, par exemple, Marx et Engels auraient eu la haine du matérialisme monistique ; leur matérialisme auràit été vulgaire, et non monistique :

« La grande science des naturalistes avec son système d’évolution, de transformisme et de matérialisme monistique, si violemment détestée par Engels… évitait la dialectique », etc. (Voir : Nobati, n° 4, V. Tcherkézichvili.)

Il s’ensuit que le matérialisme des sciences naturelles, approuvé par Tcherkézichvili et que Engels « détestait », était un matérialisme monistique et, par conséquent, il mérite d’être approuvé, tandis que le matérialisme de Marx et d’Engels n’est pas monistique ; dès lors, il ne mérite pas d’être reconnu.

Un autre anarchiste déclare, lui ; que le matérialisme de Marx et d’Engels est monistique, et c’est pourquoi il mérite d’être rejeté.

« La conception historique de Marx est un atavisme de Hegel. Le matérialisme monistique d’un objectivisme absolu en général et le monisme économique de Marx en particulier, sont impossibles dans la nature et erronés en théorie… Le matérialisme monistique est un dualisme mal déguisé et un compromis entre la métaphysique et la science… » (Voir : Nobati, n° 6, Ch. G.).

Il s’ensuit que le matérialisme monistique est inacceptable ; que Marx et Engels ne le détestent pas et que, au contraire, ils sont eux-mêmes des matérialistes monistiques, – il faut donc rejeter le matérialisme monistique.

L’un tire à dia et l’autre à hue ! Allez donc savoir lequel, du premier ou du second dit la vérité ! L’accord ne s’est pas encore fait entre eux quant aux qualités ou aux défauts du matérialisme de Marx ; ils n’ont pas encore compris eux-mêmes s’il est monistique ou non ; ils ne voient pas encore clair dans la question de savoir ce qui est plus acceptable : le matérialisme vulgaire ou monistique, mais déjà ils nous assourdissent de leur vantardise : Vous voyez, nous avons battu le marxisme !

En effet, si chez messieurs les anarchistes l’un continue à foudroyer les conceptions de l’autre, est-il besoin de dire que l’avenir appartiendra aux anarchistes…

Non moins risible est le fait que certains anarchistes « de renom », en dépit de leur « renommée », ne connaissent pas encore les divers courants qui se sont fait jour dans la science.

Figurez-vous qu’ils ignorent qu’il y a dans la science plusieurs variétés de matérialisme, et que la différence est grande entre elles : il existe, par exemple, un matérialisme vulgaire qui nie le rôle du côté idéal et son action sur le côté matériel ; mais il y a aussi le matérialisme dit monistique – la théorie matérialiste de Marx – qui envisage scientifiquement les rapports entre le côté idéal, et le côté matériel.

Or les anarchistes confondent ces différentes variétés de matérialisme, ils n’aperçoivent pas même des distinctions manifestes entre elles, et déclarent du même coup avec le plus grand aplomb : nous régénérons la science !

Voici, par exemple, P. Kropotkine qui proclame avec beaucoup d’assurance dans ses écrits « philosophiques », que l’anarchisme communiste s’appuie sur la « philosophie matérialiste moderne » ; cependant il n’explique pas d’un seul mot sur quelle « philosophie matérialiste » précisément s’appuie l’anarchisme communiste : sur la philosophie matérialiste vulgaire, monistique ou quelque autre.

Il ne sait sans doute pas qu’il existe, entre les divers courants du matérialisme, un contraste fondamental ; il ne comprend pas que confondre ces courants l’un avec l’autre ce n’est pas « régénérer la science », mais faire preuve d’une ignorance pure et simple. (Voir : Kropotkine, Science et anarchisme, de même que l’Anarchie et sa philosophie.)

Il faut en dire autant des disciples géorgiens de Kropotkine. Ecoutez plutôt :

« D’après Engels, et aussi d’après Kautsky, Marx a rendu à l’humanité un éminent service en ce qu’il a… », entre autres, découvert la « conception matérialiste.

Est-ce vrai ? Nous ne le croyons pas, car nous savons… que tous les historiens, savants et philosophes qui s’en tiennent au point de vue que le mécanisme social est mis en mouvement soi-disant par des conditions géographiques, climato-telluriennes, cosmiques, anthropologiques et biologiques, sont tous des matérialistes ». (Voir : Nobati, n° 2.).

Il s’ensuit donc qu’entre le « matérialisme » d’Aristote et celui d’Holbach ou entre le « matérialisme » de Marx et celui de Moleschott il n’y a aucune différence ! Voilà bien la critique ! Dire que des gens munis de telles connaissances s’avisent de rénover la science ! Ce n’est pas sans raison que l’on dit : « Cordonnier, tiens-t‘en à la chaussure !… »

Ensuite. Nos anarchistes « de renom » ont eu vent que le matérialisme de Marx est une « théorie du ventre », et de nous reprocher, à nous, marxistes :

« Suivant Feuerbach, l’homme est ce qu’il mange. Cette formule a produit un effet magique sur Marx et Engels », ce qui a fait conclure à Marx que « le principal, la chose première, c’est la situation économique, les rapports de production… »

Ensuite, les anarchistes nous enseignent philosophiquement : « Dire que l’unique moyen pour atteindre ce but (la vie sociale) est le manger et la production économique serait une erreur… Si principalement, au point de vue monistique, le manger et la situation économique déterminaient l’idéologie, certains gros mangeurs seraient des génies » (Voir : Nobati, N° 6, Ch. G.).

Vous voyez bien comme il est aisé de réfuter le matérialisme de Marx et d’Engels. Il suffit d’entendre de la bouche de quelque demoiselle de pensionnat, des commérages de rue à l’adresse de Marx et d’Engels ; il suffit de répéter ces commérages avec un aplomb philosophique dans les colonnes d’un Nobati, pour mériter d’emblée le renom de « critique » du marxisme !

Mais dites-moi, messieurs, où, quand, sur quelle planète et quel Marx a dit que « le manger détermine l’idéologie » ? Pourquoi ne citez-vous pas une seule phrase, ni un seul mot des écrits de Marx pour confirmer vos dires ? Marx disait, il est vrai, que la situation économique des hommes détermine leur conscience, leur idéologie.

Mais qui vous a dit que le manger et la situation économique soient la même chose ? Ignoreriez-vous vraiment que le phénomène physiologique qu’est par exemple le manger, se distingue foncièrement du phénomène sociologique qu’est, par exemple, la situation économique des hommes ?

Confondre ces deux phénomènes différents serait pardonnable, disons, à quelque demoiselle de pensionnat, mais comment a-t-il pu se faire que vous, les « destructeurs de la social-démocratie », les « régénérateurs de la science », vous repreniez si inconsidérément l’erreur d’une demoiselle de pensionnat ?

Et d’ailleurs, comment le manger peut-il déterminer l’idéologie sociale ? Allons, réfléchissez bien à ce que vous dites : le manger, la forme du manger ne change pas. Autrefois aussi les hommes mangeaient, mastiquaient et digéraient leur nourriture tout comme aujourd’hui, tandis que l’idéologie change constamment. Antique, féodale, bourgeoise, prolétarienne, – telles sont, entre autres, les formes qu’affecte l’idéologie. Est-il concevable que ce qui ne change pas détermine ce qui change constamment ?

Poursuivons. Pour les anarchistes le matérialisme de Marx, « c’est toujours du parallélisme… » Ou encore : « le matérialisme monistique est un dualisme mal déguisé et un compromis entre la métaphysique et la science… » « Marx tombe dans le dualisme parce qu’il représente les rapports de production comme chose matérielle, et les aspirations humaines et la volonté comme une illusion et une utopie, qui est sans importance, bien qu’elle existe ». (Voir : Nobati, n° 6, Ch. G.).

D’abord le matérialisme monistique de Marx n’a rien de commun avec l’absurde parallélisme. Du point de vue de ce matérialisme le côté matériel, le contenu, précède nécessairement le côté idéal, la forme. Le parallélisme, lui, rejette cette façon de voir et déclare péremptoirement que ni le côté matériel, ni le côté idéal ne précèdent l’un l’autre et que tous deux se développent ensemble, parallèlement.

En second lieu, même si effectivement « Marx représentait les rapports de production comme chose matérielle, et les aspirations humaines et la volonté comme une illusion et une utopie sans importance », cela signifierait-il que Marx est un dualiste ?

Le dualiste, on le sait, attribue une égale importance au côté idéal et au côté matériel en tant que deux principes opposés. Mais si, selon vous, Marx place plus haut le côté matériel et, au contraire, ne prête pas attention au côté idéal, en tant que « utopie », alors où avez-vous été chercher, messieurs les « critiques », le dualisme de Marx ?

Troisièmement, quel lien peut-il y avoir entre le monisme matérialiste et le dualisme, quand un enfant même sait que le monisme part d’un seul principe – de la nature ou de l’être ayant des formes matérielle et idéale, tandis que le dualisme part de deux principes – matériel et idéal, qui, conformément au dualisme, s’excluent l’un l’autre ?

Quatrièmement, quand donc Marx « a-t-il représenté les aspirations humaines et la volonté comme une utopie et une illusion » ?

Il est vrai que Marx a expliqué les « aspirations humaines et la volonté » par le développement économique, et lorsque les aspirations de certains hommes de cabinet ne correspondaient pas à la situation économique, il les appelait utopiques. Est-ce à dire que, selon Marx, les aspirations humaines en général sont utopiques ?

Cela aussi a-t-il vraiment besoin d’être expliqué ? N’auriez-vous pas lu les paroles de Marx :  » L’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre  » (Voir : la préface à la Critique de l’économie politique), c’est-à-dire, en thèse générale, l’humanité ne se propose pas des buts utopiques. Il est clair que notre « critique » ou bien ne comprend pas ce dont il parle, ou il déforme sciemment les faits.

Cinquièmement, qui vous a dit que, selon Marx et Engels, les « aspirations humaines et la volonté sont sans importance » ? Pourquoi n’indiquez-vous pas où ils parlent de cela ? Est-ce que dans le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, dans les Luttes de classe en France, dans la Guerre civile en France et dans les autres brochures analogues, Marx ne parle pas du rôle des « aspirations et de la volonté » ? Alors pourquoi Marx s’est-il attaché à développer dans le sens socialiste « la volonté et les aspirations. des prolétaires ?

Pourquoi a-t-il fait de la propagande parmi eux, s’il n’attachait pas d’importance aux « aspirations et à la volonté » ? Ou bien, de quoi parle Engels dans ses articles bien connus de 1891 à 1894, sinon de l’ »importance de la volonté et des aspirations » ?

Il est vrai que, suivant Marx, la « volonté et les aspirations des hommes puisent leur contenu dans la situation économique. Est-ce à dire cependant qu’eux-mêmes n’exercent aucune influence sur le développement des rapports économiques ? Les anarchistes ont-ils vraiment tant de peine à comprendre cette idée pourtant si simple ?

Encore une « accusation » de messieurs les anarchistes : « On ne peut se représenter la forme sans le contenu… » ; aussi bien ne peut-on dire que la « forme suit le contenu (retarde sur le contenu. K.)… ils « coexistent »… Dans le cas contraire, le monisme est une absurdité ». (Voir : Nobati, n° 1, Ch. G.)

Voilà encore notre « savant » qui s’embrouille un peu. Que le contenu soit inconcevable sans la forme, c’est juste. Mais il n’en est pas moins juste que la forme existante ne correspond jamais entièrement au contenu existant : la première retarde sur le second ; le nouveau contenu revêt toujours, dans une certaine mesure, une vieille forme, ce qui fait que la vieille forme et le nouveau contenu sont toujours en conflit.

C’est sur ce terrain précisément que s’accomplissent les révolutions, et c’est là qu’apparaît du reste l’esprit révolutionnaire du matérialisme de Marx. Les anarchistes « de renom », eux, ne l’ont pas compris, – et la faute, bien entendu, en revient à eux-mêmes, et non à la théorie matérialiste.

Tel est le point de vue des anarchistes sur la théorie matérialiste de Marx et d’Engels, si tant est que l’on puisse, en général, appeler cela un point de vue.

 III. SOCIALISME PROLÉTARIEN

Nous connaissons maintenant la doctrine théorique de Marx : nous connaissons sa méthode, de même que sa théorie.

Quelles sont les conclusions’ pratiques à tirer de cette doctrine ?

Quel lien rattache le matérialisme dialectique et le socialisme prolétarien ?

La méthode dialectique affirme que seule peut être progressive jusqu’au bout, que seule peut briser le joug de l’esclavage, la classe qui grandit de jour en jour, qui va toujours de l’avant et lutte inlassablement pour un meilleur avenir.

Nous voyons que la seule classe qui se développe sans discontinuer, qui va toujours de l’avant et lutte pour l’avenir, c’est le prolétariat urbain et rural. C’est donc que nous devons servir le prolétariat et fonder nos espoirs sur lui.

Telle est la première conclusion pratique à tirer de la doctrine théorique de Marx.

Mais il y a servir et servir. Bernstein lui aussi « sert » le prolétariat, quand il lui prêche l’oubli du socialisme. Kropotkine lui aussi « sert » le prolétariat, quand il lui offre un « socialisme » communautaire éparpillé, privé d’une large base industrielle.

Karl Marx lui aussi sert le prolétariat, quand il l’appelle au socialisme prolétarien qui s’appuie sur cette large base qu’est la grande industrie moderne.

Que faire pour que notre travail profite au prolétariat ? Comment servir le prolétariat ?

La théorie matérialiste affirme que tel ou tel idéal ne peut rendre au prolétariat un service effectif, que si cet idéal n’est pas contraire au développement économique du pays ; que s’il répond de tout point aux exigences de ce développement.

Le progrès économique du régime capitaliste montre que la production moderne prend un caractère social ; que le caractère social de la production nie radicalement la propriété capitaliste existante. Par conséquent, notre tâche principale est de contribuer à l’abolition de la propriété capitaliste et à l’instauration de la propriété socialiste.

C’est dire que la doctrine de Bernstein qui prêche l’oubli du socialisme, contredit foncièrement les exigences du développement économique ; elle sera préjudiciable au prolétariat.

Le développement économique du régime capitaliste montre ensuite que la production moderne s’étend chaque jour davantage ; qu’elle ne tient plus dans le cadre de telles ou telles villes ou provinces ; qu’elle fait sauter sans cesse ce cadre et s’étend au territoire de l’Etat tout entier.

Par conséquent, il nous faut applaudir à l’élargissement de la production et admettre pour base du socialisme futur, non point des villes et des communes isolées, mais le territoire un et indivisible de l’ensemble de l’Etat, territoire qui dans l’avenir, bien entendu, prendra de plus en plus d’extension. C’est dire que la théorie de Kropotkine, qui confine le socialisme futur dans le cadre de telles ou telles villes ou communes, va à l’encontre d’une extension vigoureuse de la production ; elle sera préjudiciable au prolétariat.

Lutter pour une large vie socialiste, en tant qu’objectif principal, voilà comment il nous faut servir le prolétariat.

Telle est la seconde conclusion pratique à tirer de la doctrine théorique de Marx.
Il est clair que le socialisme prolétarien procède directement du matérialisme dialectique.

Qu’est-ce que le socialisme prolétarien ?

Le régime actuel est capitaliste. Cela veut dire que le monde est divisé en deux camps opposés, celui d’une petite poignée de capitalistes et celui de la majorité, les prolétaires. Ces derniers travaillent jour et nuit, mais ils n’en restent pas moins pauvres comme avant. Les capitalistes ne travaillent pas, mais ils n’en sont pas moins riches.

Cela ne vient pas de ce que les prolétaires manquent soi-disant d’intelligence, tandis que les capitalistes ont du génie ; c’est parce que les capitalistes s’approprient le fruit du travail des prolétaires, parce qu’ils les exploitent.

Pourquoi le fruit du travail des prolétaires est-il approprié précisément par les capitalistes, et non par les prolétaires eux-mêmes ? Pourquoi les capitalistes exploitent-ils les prolétaires, et non inversement ?

Parce que le régime capitaliste repose sur la production marchande : tout ici prend la forme d’une marchandise, partout règne le principe de l’achat et de la vente. Ici vous pouvez acheter non seulement les objets de consommation, les aliments, mais aussi la force de travail des hommes, leur sang, leur conscience. Les capitalistes savent tout cela, et ils achètent la force de travail des prolétaires, ils les embauchent. Cela veut dire que les capitalistes se font les maîtres de la force de travail qu’ils achètent.

Les prolétaires, eux, perdent le droit sur la force de travail qu’il vendent. C’est-à-dire que ce que cette force de travail produit n’appartient plus aux prolétaires, mais appartient uniquement aux capitalistes et remplit leurs poches.

Il est possible que la force de travail que vous vendez produise pour cent roubles de marchandises par jour, mais cela ne vous regarde pas et ne vous appartient pas ; cela regarde uniquement les capitalistes et leur appartient – vous n’avez à toucher que votre salaire journalier qui suffira peut-être à satisfaire vos besoins immédiats, si, bien entendu, vous menez une vie économe. Bref, les capitalistes achètent la force de travail des prolétaires, ils les embauchent, et c’est pourquoi précisément les capitalistes s’approprient le fruit du travail des prolétaires ; c’est pourquoi ils exploitent les prolétaires, et non inversement.

Mais pourquoi sont-ce les capitalistes précisément qui achètent la force de travail des prolétaires ? Pourquoi les capitalistes embauchent-ils les prolétaires, et non inversement ?

Parce que le principe fondamental du régime capitaliste est la propriété privée des instruments et moyens de production. Parce que les fabriques, les usines, la terre et le sous-sol, les forêts et les chemins de fer, les machines et les autres moyens de production sont la propriété privée d’une petite poignée de capitalistes.

Parce que les prolétaires sont privés de tout cela. Voilà pourquoi les capitalistes embauchent les prolétaires pour mettre en marche fabriques et usines, sinon leurs instruments et moyens de production ne donneraient aucun profit. Voilà pourquoi les prolétaires vendent leur force de travail aux capitalistes, car autrement ils mourraient de faim.

Tous ces faits projettent la lumière sur le caractère général de la production capitaliste.

D’abord, il va de soi que la production capitaliste ne peut être quelque chose d’uni et d’organisé ; elle est d’un bout à l’autre divisée en entreprises privées de tels ou tels capitalistes.

En second lieu, il n’est pas moins évident que le but immédiat de cette production éparpillée n’est point de satisfaire les besoins de la population, mais de produire des marchandises destinées à la vente, en vue d’augmenter les profits des capitalistes.

Mais comme tout capitaliste cherche à augmenter ses profits, chacun d’eux s’applique à produire le plus de marchandises possible, ce qui fait que le marché est bien vite saturé, les prix des marchandises baissent, et c’est la crise générale qui survient.

Ainsi, les crises, le chômage, les à-coups dans la production, l’anarchie de la production, etc., sont le résultat direct du défaut d’organisation de la production capitaliste moderne.

Et si ce régime social inorganisé n’est pas encore détruit pour le moment, s’il résiste encore vigoureusement aux attaques du prolétariat, cela s’explique avant tout par le fait que l’Etat capitaliste, le gouvernement capitaliste en assume la défense.

Tel est le fondement de la société capitaliste moderne.

Il ne fait pas de doute que la société future reposera sur une tout autre base.

La société future sera une société socialiste. Cela veut dire avant tout qu’il n’y aura point de classes : il n’y aura ni capitalistes, ni prolétaires, et, par suite, pas d’exploitation. Il n’y aura là que des travailleurs unis dans un effort collectif.

La société future sera une société socialiste. Cela veut dire aussi qu’avec l’exploitation y seront supprimés la production marchande, la vente et l’achat. Aussi bien, n’y aura-t-il point de place pour les acheteurs et les vendeurs de la force de travail, pour les employeurs et les employés. Il n’y aura là que des travailleurs libres.

La société future sera une société socialiste. Cela veut dire enfin, que, avec le travail salarié, sera supprimée toute propriété privée des instruments et moyens de production ; il n’y aura là ni prolétaires pauvres, ni riches capitalistes, -il n’y aura que des travailleurs possédant en commun toute la terre et le sous-sol, toutes les forêts, toutes les fabriques et usines, tous les chemins de fer, etc.

Comme on le voit, le but principal de la production future consiste à satisfaire directement les besoins de la société, et non à produire des marchandises destinées à la vente en vue d’augmenter les profits des capitalistes. Il n’y aura pas de place ici pour la production marchande, de lutte pour les profits, etc.

Il est évident, d’autre part, que la production future sera organisée sur le mode socialiste : ce sera une production hautement évoluée, qui tiendra compte des besoins de la société et ne produira que la quantité nécessaire à la société. Il n’y aura point de place, ici, pour une production éparpillée, ni pour la concurrence, ni pour les crises, ni pour le chômage.

Là où les classes n’existent pas, où n’existent ni riches ni pauvres, l’Etat devient inutile, de même que le pouvoir politique qui opprime les pauvres et défend les riches. Par conséquent, la société socialiste n’aura pas besoin de maintenir le pouvoir politique.

Aussi Karl Marx disait-il déjà en 1846 :

« La classe laborieuse substituera dans le cours de son développement à l’ancienne société civile une association qui exclura les classes et leur antagonisme, et il n’y aura plus de pouvoir politique proprement dit… » (Voir : Misère de la philosophie).

Aussi Engels disait-il en 1884 :

« Ainsi, l’Etat n’a pas existé de tout temps. Il y eut des sociétés qui s’en sont passées, qui n’avaient pas la moindre idée de l’Etat ni du pouvoir de l’Etat. A un certain degré de son développement économique, impliquant nécessairement la division de la société en classes, l’Etat devint… une nécessité.

Nous approchons maintenant à grands pas vers un degré de développement de la production tel que l’existence de ces classes a non seulement cessé d’être une nécessité, mais devient un obstacle direct à la production. Les classes disparaîtront aussi inéluctablement qu’elles sont apparues. Avec la disparition des classes disparaîtra inéluctablement l’Etat. La société, qui réorganisera la production sur la base de l’association libre et égale des producteurs, renverra la machine d’Etat à la place qui lui revient : au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze ». (Voir : l’Origine de la famille. de la propriété privée et de l’Etat).

D’autre part, l’on conçoit que pour administrer les affaires publiques, à côté des bureaux locaux où seront concentrés les divers renseignements, la société socialiste aura besoin d’un bureau central des statistiques, qui sera chargé de s’informer des besoins de toute la société pour, ensuite, répartir d’une façon adéquate les divers emplois entre les travailleurs. Il faudra aussi réunir des conférences et surtout des congrès, dont les décisions seront absolument obligatoires, jusqu’au congrès suivant, pour les camarades restés en minorité.

Il est évident enfin que le travail libre et fraternel devra entraîner à sa suite une satisfaction non moins fraternelle et complète de tous les besoins, dans la future société socialiste. C’est dire que si la société future demande à chacun de ses membres juste autant de travail qu’il en peut fournir, la société à son tour sera tenue de délivrer à chacun la quantité de produits dont il aura besoin.

De chacun selon ses capacités, à chacun suivant ses besoins ! telle est la base sur laquelle doit être créé le futur régime collectiviste.

Certes, au premier degré du socialisme, quand des éléments non encore habitués au travail s’associeront à la vie nouvelle, les forces productives, elles aussi, ne seront pas suffisamment développées, et il existera encore le travail « dur » et le travail « facile » ; l’application du principe – « à chacun suivant ses besoins » – sera sans aucun doute rendu très difficile, et la société sera obligée de se placer momentanément sur une autre voie, sur une voie moyenne.

Mais il est certain d’autre part que lorsque la société future se sera engagée dans la bonne voie, que les survivances du capitalisme auront été déracinées, le seul principe répondant à la société socialiste sera le principe mentionné plus haut.

Aussi Marx disait-il en 1875 :

 » Dans une phase supérieure de la société communiste (c’est-à-dire socialiste), quand auront disparu l’asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec elle, l’antagonisme entre le travail intellectuel et le travail manuel ; quand le travail sera devenu non seulement un moyen de vivre, mais deviendra lui-même un premier besoin de l’existence ; quand, avec le développement des individus en tous sens, les forces productives iront s’accroissant… alors seulement l’étroit horizon du droit bourgeois pourra être complètement dépassé et la société pourra inscrire sur ses drapeaux : « De chacun selon ses capacités, à chacun suivant ses besoins !  » (Voir : Critique du programme de Gotha).

Tel est en somme le tableau de la future société socialiste conformément à la théorie de Marx.

Fort bien. Mais la réalisation du socialisme est-elle possible ? Peut-on supposer que l’homme pourra se dépouiller lui-même de ses « sauvages habitudes » ?

Ou bien encore : si chacun reçoit suivant ses besoins, peut-on supposer que le niveau des forces productives de la société socialiste sera suffisant pour cela ?

La société socialiste suppose des forces productives suffisamment développées et une conscience socialiste des hommes, leur éducation socialiste. Ce qui entrave le développement des forces productives actuelles, c’est la propriété capitaliste existante.

Mais si l’on tient compte que dans la société future cette propriété n’existera pas, il apparaît clairement que les forces productives décupleront. Il ne faut pas oublier non plus que dans la société future des centaines de mille parasites actuels, ainsi que les chômeurs s’attelleront à la besogne et viendront grossir les rangs des travailleurs, ce qui contribuera sensiblement au développement des forces productives.

En ce qui concerne les « sauvages » sentiments et conceptions des hommes, ils ne sont pas aussi éternels que d’aucuns le pensent : il fut un temps, celui du communisme primitif, où l’individu ne reconnaissait pas la propriété privée ; le temps est venu, celui de la production individuelle, où la propriété privée s’est emparée des sentiments et de l’esprit des hommes ; et voici qu’arrive un temps nouveau, celui de la production socialiste, – faut-il donc s’étonner si les sentiments et l’esprit des hommes se pénètrent de tendances socialistes ? Est-ce que l’être ne détermine pas les « sentiments » et les conceptions des hommes ?

Mais où est la preuve que le régime socialiste sera inévitablement instauré ? Le socialisme suivra-t-il inévitablement le développement du capitalisme d’aujourd’hui ? Ou autrement dit : comment savons-nous que le socialisme prolétarien de Marx n’est pas qu’un doux rêve, qu’une fantaisie ? Où chercher les preuves scientifiques ?

L’histoire montre que la forme de propriété est directement dépendante de la forme de production, ce qui fait qu’avec le changement de la forme de production tôt ou tard change inévitablement la forme de propriété. Il fut un temps où la propriété avait un caractère communiste ; où forêts et champs, dans lesquels erraient les hommes primitifs, appartenaient à tout le monde, et non à des particuliers. Pourquoi existait alors la propriété communiste ?

Parce que la production était communiste, le travail se faisait en commun, collectivement, – on travaillait ensemble et l’on ne pouvait se passer l’un de l’autre.

Un autre temps est venu, celui de la production petite-bourgeoise, quand la propriété a pris un caractère individualiste (privé), et que tout ce qui est nécessaire à l’homme (à l’exception, bien entendu, de l’air, de la lumière, du soleil, etc.) a été reconnu propriété privée.

Pourquoi ce changement s’est-il produit ? Parce que la production est devenue individualiste, chacun a commencé à travailler pour son propre compte, blotti dans son coin. Enfin le temps vient, celui de la grande production capitaliste, où des centaines et des milliers d’ouvriers se réunissent sous le même toit, dans une seule fabrique, et se livrent à un travail commun. Vous ne verrez point là le travail isolé, à l’ancienne mode, alors que chacun tirait de son côté.

Ici chaque ouvrier et tous les ouvriers de chaque atelier sont étroitement liés par le travail avec les camarades de leur atelier, comme aussi avec ceux des autres ateliers. Il suffit qu’un atelier quelconque s’arrête, pour que les ouvriers de toute la fabrique n’aient plus rien à faire.

Comme on le voit le processus de production, le travail, a pris déjà un caractère social, il a acquis une nuance socialiste. Il en est ainsi non seulement dans les différentes fabriques, mais encore dans des industries entières et entre les branches de production : il suffit que les ouvriers des chemins de fer se mettent en grève pour que la production se trouve dans une situation difficile ; il suffit que la production du pétrole ou du charbon s’arrête, pour que, peu de temps après, des fabriques et des usines entières ferment leurs portes.

Il est clair qu’ici le processus de production a pris un caractère social, collectiviste. Et comme le caractère privé de l’appropriation ne correspond pas au caractère social de la production ; comme le travail collectiviste d’aujourd’hui doit nécessairement amener la propriété collective, il va de soi que le régime socialiste succédera aussi inévitablement au capitalisme que le jour succède à la nuit.

C’est ainsi que l’histoire justifie l’inévitabilité du socialisme prolétarien de Marx.

L’histoire nous apprend que la classe ou le groupe social, qui joue le rôle principal dans la production sociale et en détient les principales fonctions, doit avec le temps devenir inévitablement le maître de cette production. II fut un temps, celui du matriarcat, où les femmes étaient maîtresses de la production.

Comment expliquer cela ?

C’est que dans la production de ce temps, dans la culture primitive du sol, les femmes jouaient le rôle principal, elles exerçaient les principales fonctions, alors que les hommes erraient dans les forêts à la recherche du gibier. Le temps est venu, celui du patriarcat, où la situation dominante dans la production est passée aux hommes.

Pourquoi ce changement est-il survenu ? Parce que dans la production d’alors, dans l’économie fondée sur l’élevage, où les principaux instruments de production étaient la lance, le lasso, l’arc et la flèche, le rôle principal appartenait aux hommes…

Le temps arrive, celui de la grande production capitaliste, où les prolétaires commencent à tenir le rôle principal dans la production, où toutes les principales fonctions en matière de production passent dans leurs mains ; où sans eux la production ne peut se maintenir un seul jour (rappelons-nous les grèves générales) ; où les capitalistes, loin d’être nécessaires à la production, ne font même que la gêner.

Qu’est-ce à dire ? Ou bien toute vie sociale va entièrement disparaître, ou bien le prolétariat doit tôt ou tard, mais inévitablement, devenir le maître de la production moderne, son seul propriétaire, son propriétaire socialiste.

Les crises industrielles d’aujourd’hui, qui sonnent le glas de la propriété capitaliste et posent la question de front : ou le capitalisme, ou le socialisme, – rendent cette conclusion parfaitement évidente : elles font nettement apparaître le parasitisme des capitalistes et le triomphe inévitable du socialisme.

Voilà comment l’histoire définit encore l’inévitabilité du socialisme prolétarien de Marx.

Ce n’est point sur du sentimentalisme ni sur une « justice » abstraite, ni sur l’amour pour le prolétariat, mais sur les principes scientifiques rappelés plus haut, que s’édifie le socialisme prolétarien.

Voilà pourquoi le socialisme prolétarien est aussi appelé « socialisme scientifique ».

Déjà en 1877 Engels disait :

« Si notre certitude concernant la révolution imminente dans le mode actuel de répartition des produits du travail… s’appuyait uniquement sur la conscience que ce mode de répartition n’est pas équitable, et que l’équité doit cependant triompher un jour, notre situation serait grave et nous aurions à attendre longtemps… »

L’essentiel, ici, c’est que « les forces productives engendrées par le mode capitaliste actuel de production et le système fondé par lui de répartition des biens économiques, entreraient en contradiction flagrante avec ce mode de production au point de rendre nécessaire une révolution dans le mode de production et de répartition, et qui supprimerait toutes les distinctions de classe, si l’on voulait éviter la perte de toute la société d’aujourd’hui. C’est sur ce fait matériel palpable… et non sur les représentations de tels ou tels penseurs de cabinet relativement à ce qui est juste ou injuste, qu’est fondée la certitude de la victoire du socialisme moderne ». (Voir : Anti-Dühring).

Cela ne signifie certes pas que, dès l’instant où le capitalisme se décompose, on peut instituer le régime socialiste à tout moment, quand bon nous semblera.

Ainsi pensent seulement les anarchistes et autres idéologues petits-bourgeois. L’idéal socialiste n’est pas l’idéal de toutes les classes. C’est l’idéal du prolétariat seulement, et toutes les classes ne sont pas directement intéressées à sa réalisation, sauf le prolétariat.

Or, cela veut dire que tant que le prolétariat ne forme qu’une faible partie de la société, l’instauration du régime socialiste est impossible.

La disparition de l’ancienne forme de production, la concentration suivie de la production capitaliste et la prolétarisation de la majorité de la société : telles sont les conditions nécessaires à la réalisation du socialisme. Mais cela ne suffit pas encore. La majeure partie de la société peut déjà être prolétarisée, sans que toutefois le socialisme se réalise.

Car pour réaliser le socialisme il faut, en plus de tout cela, une conscience de classe, le rassemblement du prolétariat et l’aptitude à régler ses propres affaires. Et pour acquérir toutes ces choses, il faut aussi ce qu’on appelle la liberté politique, c’est-à-dire la liberté de la parole, de la presse, des grèves et des associations, en un mot la liberté de la lutte de classe. Or la liberté politique n’est pas partout assurée de façon égale.

Aussi bien n’est-il pas indifférent au prolétariat dans quelles conditions il aura à mener la lutte : sous le régime d’une autocratie féodale (Russie), d’une monarchie constitutionnelle (Allemagne), d’une république de grande bourgeoisie (France) ou dans une république démocratique (ce que réclame la social-démocratie russe). La liberté politique est assurée le mieux et avec le plus de plénitude dans la république démocratique, si tant est naturellement qu’elle puisse, en général, être assurée en régime capitaliste. C’est pourquoi tous les partisans du socialisme prolétarien travaillent énergiquement à l’instauration d’une république démocratique, comme le « pont » le meilleur vers le socialisme.

Voilà pourquoi le programme marxiste, dans les conditions actuelles, comporte deux parties : le programme maximum, qui se donne pour but le socialisme, et le programme minimum, qui se propose de frayer un chemin vers le socialisme par la république démocratique.

Comment le prolétariat doit-il agir ? dans quelle voie doit-il s’engager pour réaliser consciemment son programme, renverser le capitalisme et construire le socialisme ?

La réponse est claire : le prolétariat ne pourra arriver au socialisme en se réconciliant avec la bourgeoisie. Il doit absolument engager la lutte, qui doit être une lutte de classe, celle de l’ensemble du prolétariat contre toute la bourgeoisie. Ou bien la bourgeoisie avec son capitalisme, ou bien le prolétariat avec son socialisme ! Voilà sur quelle base doit reposer l’action du prolétariat, sa lutte de classe.

Mais la lutte de classe du prolétariat affecte des formes variées. La lutte de classe c’est, par exemple, la grève, partielle ou générale, peu importe. La lutte de classe, ce sont sans aucun doute le boycottage, le sabotage. La lutte de classe, ce sont encore les manifestations, les démonstrations, la participation aux établissements représentatifs, etc., qu’il s’agisse de parlements nationaux ou d’autonomies administratives locales.

Ce sont là les différentes formes d’une seule et même lutte de classe. Nous n’allons pas examiner ici quelle forme de lutte a une plus grande importance pour le prolétariat dans sa lutte de classe. Notons seulement qu’en son temps et lieu chacune de ces formes est certainement nécessaire au prolétariat, comme moyen indispensable pour développer la conscience de lui-même et son esprit d’organisation.

Or la conscience de soi-même et l’esprit d’organisation sont aussi nécessaires au prolétariat que l’air qu’il respire. Il convient cependant de remarquer, d’autre part, que toutes ces formes de lutte ne sont pour le prolétariat que des moyens préparatoires ; qu’aucune de ces formes, prise isolément, ne constitue un moyen décisif par lequel le prolétariat sera en mesure d’abattre le capitalisme. Il est impossible d’abattre le capitalisme uniquement par la grève générale : celle-ci peut seulement préparer certaines conditions pour atteindre ce but.

On ne conçoit pas que le prolétariat puisse renverser le capitalisme par sa seule participation au parlement : on ne peut à l’aide du parlementarisme que préparer certaines conditions pour renverser le capitalisme.

En quoi consiste donc le moyen décisif à l’aide duquel le prolétariat renversera le régime capitaliste ?

Ce moyen, c’est la révolution socialiste.

Les grèves, le boycottage, le parlementarisme, la manifestions, la démonstration, toutes ces formes de lutte sont bonnes en tant que moyens destinés à préparer et à organiser le prolétariat. Mais aucun de ces moyens n’est capable de supprimer l’inégalité existante. Il faut que tous ces moyens soient réunis en un seul moyen principal et décisif ; il faut que le prolétariat se lève et prononce une attaque décisive contre la bourgeoisie pour détruire le capitalisme jusqu’en ses fondements. Ce moyen principal et décisif, c’est la révolution socialiste.

On ne saurait considérer la révolution socialiste comme une attaque inattendue et de brève durée. C’est une lutte de longue haleine par laquelle les masses prolétariennes infligent à la bourgeoisie la défaite et s’emparent de ses positions.

Et comme la victoire du prolétariat lui donnera en même temps la domination sur la bourgeoisie vaincue ; comme pendant le heurt des classes la défaite d’une classe signifie la domination de l’autre, le premier degré de la révolution socialiste sera la domination politique du prolétariat sur la bourgeoisie.

La dictature socialiste du prolétariat, la prise du pouvoir par le prolétariat, voilà par quoi doit commencer la révolution socialiste.

Cela veut dire que, tant que la bourgeoisie n’a pas été entièrement vaincue ; tant que ses richesses n’ont pas été saisies, le prolétariat doit absolument disposer d’une force militaire, il doit absolument avoir sa propre « garde prolétarienne », à l’aide de laquelle il repoussera les attaques contre-révolutionnaires de la bourgeoisie agonisante, comme ce fut le cas pour le prolétariat de Paris, pendant la Commune.

La dictature socialiste, elle, est nécessaire au prolétariat pour que celui-ci puisse, par ce moyen, exproprier la bourgeoisie, lui confisquer la terre, les forêts, les fabriques et les usines, les machines, les chemins de fer, etc.

L’expropriation de la bourgeoisie, voilà ce que doit amener la révolution socialiste.

Tel est le moyen principal et décisif à l’aide duquel le prolétariat renversera le régime capitaliste d’aujourd’hui.

Aussi bien Karl Marx disait-il dès 1847 :

« … La première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante… Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production dans les mains… du prolétariat organisé en classe dominante… » (Voir : le Manifeste communiste.)

Voilà la voie que doit suivre le prolétariat, s’il veut réaliser le socialisme.

De ce principe général dérivent toutes les autres conceptions tactiques. Les grèves, le boycottage, les démonstrations, le parlementarisme n’ont d’importance que dans la mesure où ils contribuent à organiser le prolétariat, à renforcer et à élargir ses organisations en vue d’accomplir la révolution socialiste.

Ainsi la révolution socialiste est nécessaire pour réaliser le socialisme ; or, la révolution socialiste doit commencer par la dictature du prolétariat, c’est-à-dire que le prolétariat doit s’emparer du pouvoir politique pour exproprier, par ce moyen, la bourgeoisie.

Mais il faut pour tout cela que le prolétariat soit organisé, groupé, uni ; il faut que de fortes organisations prolétariennes soient créées et qu’elles progressent sans discontinuer.

Quelles formes doivent prendre les organisations du prolétariat ?

Les organisations de masse les plus répandues, ce sont les syndicats et les coopératives ouvrières (notamment les coopératives de production et de consommation). Le but des syndicats est de lutter (principalement) contre le capital industriel, afin d’améliorer la condition des ouvriers dans le cadre du capitalisme actuel. Le but des coopératives est de lutter (principalement) contre le capital commercial pour étendre la consommation des ouvriers en réduisant les prix des articles de première nécessité, naturellement dans le cadre de ce même capitalisme.

Syndicats et coopératives sont, sans contredit, nécessaires au prolétariat en tant que moyens tendant à organiser la masse prolétarienne. Aussi bien, du point de vue du socialisme prolétarien de Marx et d’Engels, le prolétariat doit se saisir de ces deux formes d’organisation, les consolider et les renforcer, – bien entendu, dans la mesure où les conditions politiques existantes le lui permettent.

Cependant, les syndicats et les coopératives à eux seuls ne peuvent suffire aux besoins du prolétariat en lutte dans le domaine de l’organisation. Cela, parce que lesdites organisations ne peuvent sortir du cadre du capitalisme, leur but étant d’améliorer la condition des ouvriers dans le cadre du capitalisme.

Mais les ouvriers veulent se libérer entièrement de l’esclavage capitaliste ; ils veulent briser ce cadre, au lieu de se mouvoir uniquement dans le cadre du capitalisme. Par conséquent, il faut encore une autre organisation, qui ralliera autour d’elle les éléments conscients parmi les ouvriers de toutes les professions, fera du prolétariat une classe consciente et s’assignera comme but principal la destruction du régime capitaliste, la préparation de la révolution socialiste.

Cette organisation est le parti social-démocrate du prolétariat.

Ce parti doit être un parti de classe, absolument indépendant des autres partis. Cela, parce qu’il est le parti de la classe des prolétaires, dont l’affranchissement ne peut se faire que par leurs propres mains.

Ce parti doit être un parti révolutionnaire. Cela, parce que l’affranchissement des ouvriers n’est possible que par la voie révolutionnaire, à l’aide de la révolution socialiste.

Ce parti doit être un parti international, dont les portes seraient ouvertes devant chaque prolétaire conscient. Cela, parce que l’affranchissement des ouvriers n’est pas une question nationale, mais sociale, dont la signification est la même, aussi bien pour le prolétaire géorgien que pour le prolétaire russe et les prolétaires des autres nations.

Il s’ensuit donc que plus les prolétaires des différentes nations se grouperont étroitement, et plus les barrières nationales dressées entre elles seront détruites à fond, plus fort sera le parti du prolétariat et plus facile l’organisation du prolétariat au sein d’une classe indivisible.

Il faut donc, autant que possible, appliquer dans les organisations du prolétariat le principe du centralisme, en l’opposant à l’éparpillement fédéraliste, – qu’il s’agisse du parti, des syndicats ou des coopératives, peu importe.

Il est non moins certain que toutes ces organisations doivent reposer sur une base démocratique, naturellement, dans la mesure où les conditions politiques et autres ne s’y opposeront pas.

Quels doivent être les rapports entre le parti d’un côté et les coopératives et les syndicats, de l’autre ? Ces derniers doivent-ils être des organisations du parti ou sans-parti ?

La solution de ce problème dépend de la question de savoir où et dans quelles conditions le prolétariat a à lutter. Il est hors de doute, en tout cas, que syndicats et coopératives se développent avec d’autant plus de plénitude qu’ils se trouvent dans des rapports d’amitié plus étroits avec le parti socialiste du prolétariat.

Cela, parce que ces deux organisations économiques, si elles ne sont pas proches d’un parti socialiste fort, se rapetissent souvent ; elles vouent à l’oubli les intérêts généraux de la classe au profit des intérêts étroitement professionnels, portant par là un grand préjudice au prolétariat. Aussi est-il nécessaire, en tout état de cause, d’assurer l’influence politique et idéologique du parti sur les syndicats et les coopératives.

C’est à cette condition seulement que lesdites organisations se transformeront en école socialiste organisant les groupes disséminés du prolétariat au sein d’une classe consciente.

Tels sont en substance les traits caractéristiques du socialisme prolétarien de Marx et d’Engels.

Que pensent du socialisme prolétarien les anarchistes ?

Il faut savoir tout d’abord que le socialisme prolétarien n’est pas simplement une doctrine philosophique. C’est la doctrine des masses prolétariennes, leur étendard, les prolétaires du monde l’honorent et « s’inclinent » devant lui.

Par conséquent, Marx et Engels ne sont pas simplement les fondateurs d’une « école » philosophique quelconque ; ils sont les chefs vivants d’un vivant mouvement prolétarien, qui monte et se fortifie chaque jour. Ceux qui combattent cette doctrine, ceux qui veulent la « renverser », doivent tenir exactement compte de tout cela pour ne pas se casser gratuitement le front dans cette lutte inégale. C’est ce que messieurs les anarchistes savent parfaitement. Aussi recourent-ils dans la lutte contre Marx et Engels à une arme tout à fait inusitée et neuve en son genre.

Quelle est donc cette nouvelle arme ? Est-ce une nouvelle analyse de la production capitaliste ? Est-ce une réfutation du Capital de Marx ? Non, certes ! Ou peut-être, armés de « faits nouveaux » et d’une méthode « inductive », réfutent-ils « scientifiquement » « l’évangile » de la social-démocratie – le Manifeste communiste de Marx et d’Engels ? Encore une fois non. Mais alors qu’est-ce donc que ce moyen extraordinaire ?

C’est l’accusation de « plagiat littéraire » portée contre Marx et Engels ! Pensez donc ! il se trouve que Marx et Engels n’ont rien qui leur appartienne ; que le socialisme scientifique est pure invention, et cela parce que le Manifeste communiste de Marx et d’Engels a été d’un bout à l’autre « volé » au Manifeste de Victor Considérant. C’est bien ridicule, évidemment, mais le « chef incomparable » des anarchistes, V. Tcherkézichvili, nous relate avec tant d’aplomb cette histoire plaisante, et le nommé Pierre Ramus, ce superficiel « apôtre » de Tcherkézichvili, et nos anarchistes en chambre répètent avec tant de ferveur cette « découverte », qu’il vaut la peine qu’on s’arrête, sommairement du moins, à cette « histoire ».

Ecoutez donc Tcherkézichvili :

« Toute la partie théorique du Manifeste communiste, à savoir le premier et le second chapitres… a été prise à Victor Considérant. Donc, le Manifeste de Marx et d’Engels – cette bible de la démocratie révolutionnaire légale, – n’est qu’une paraphrase maladroite du Manifeste, de Victor Considérant. Marx et Engels ne se sont pas seulement approprié le contenu du Manifeste de Considérant, mais… ils ont emprunté même certains sous-titres. » (Voir le recueil d’articles de Tcherkézichvili, Ramus et Labriola, édité en langue allemande sous le titre. « L’origine du Manifeste communiste », p. 10.)

L’anarchiste P. Ramus répète la même chose :

« On peut affirmer en toute certitude que leur œuvre principale (Manifeste communiste de Marx et d’Engels) est tout bonnement un plagiat d’autant plus impardonnable que, au lieu de copier l’original mot à mot comme le font de simples plagiaires, ils ont plagié les idées, les vues et les théories… » (Id., p. 4).

Nos anarchistes de Nobati, Moucha [4], Khma [5], etc. répètent la même chose.

Ainsi, il se trouve que le socialisme scientifique avec ses fondements théoriques a été « volé » dans le Manifeste de Considérant.

Existe-t-il des raisons pour affirmer cela ?

Qui est V. Considérant ?

Qui est Karl Marx ?

V. Considérant, mort en 1893, a été le disciple de l’utopiste Fourier et est demeuré un utopiste incorrigible, qui voyait le « salut de la France » dans la réconciliation des classes.

Karl Marx, mort en 1883, a été un matérialiste, ennemi des utopistes ; il voyait le gage de l’émancipation de l’humanité dans le développement des forces productives et dans la lutte des classes.

Qu’y a-t-il de commun entre eux ?

La base théorique du socialisme scientifique est la théorie matérialiste de Marx et d’Engels. Du point de vue de cette théorie, l’évolution de la vie sociale est entièrement déterminée par le développement des forces productives. Si le régime des seigneurs terriens et du servage a été suivi du régime bourgeois, la « faute » en est au développement des forces productives qui a rendu inévitable la naissance du régime bourgeois.

Ou bien encore : si le régime bourgeois actuel est inévitablement suivi du régime socialiste, c’est parce que le développement des forces productives actuelles l’exige. D’où la nécessité historique d’abattre le capitalisme et d’instaurer le socialisme. D’où encore la thèse marxiste selon laquelle nous devons chercher nos idéaux dans l’histoire du développement des forces productives, et non dans le cerveau des hommes.

Telle est la base théorique du Manifeste communiste de Marx et d’Engels. (Voir : le Manifeste communiste, chapitres I, II).

Le Manifeste démocratique de V. Considérant dit-il rien d’analogue ? Considérant professe-t-il un point de vue matérialiste ?

Nous affirmons que ni Tcherkézichvili, ni Ramus, ni nos « nobatistes » ne citent, du Manifeste démocratique de Considérant, pas une seule déclaration, pas un seul mot de nature à confirmer que Considérant était un matérialiste et qu’il fondait l’évolution de la vie sociale sur le développement des forces productives. Au contraire, nous savons fort bien que Considérant est connu dans l’histoire du socialisme comme un idéaliste-utopiste. (Voir : Paul Louis, Histoire du socialisme en France).

Qu’est-ce qui incite donc ces singuliers « critiques » à ce vain bavardage ? Pourquoi se chargent-ils de critiquer Marx et Engels, s’ils sont incapables même de distinguer entre idéalisme et matérialisme ? Est-ce pour faire rire le monde, vraiment ?…

La base tactique du socialisme scientifique est la doctrine de la lutte de classe irréconciliable, car c’est l’arme la meilleure entre les mains du prolétariat. La lutte de classe du prolétariat est l’arme qui lui permettra de conquérir le pouvoir politique et d’exproprier ensuite la bourgeoisie pour instaurer le socialisme.

Telle est la base tactique du socialisme scientifique exposé dans le Manifeste de Marx et d’Engels.

Est-il rien dit d’analogue dans le Manifeste démocratique de Considérant ? Considérant admet-il la lutte de classe comme l’arme la meilleure entre les mains du prolétariat ?

Ainsi qu’il ressort des articles de Tcherkézichvili et de Ramus (voir : le recueil mentionné plus haut), le Manifeste de Considérant ne contient pas un seul mot à ce sujet ; on n’y parle que de la lutte de classe comme d’un fait affligeant. En ce qui concerne la lutte de classe en tant que moyen pour abattre le capitalisme, voici ce que Considérant déclare dans son Manifeste :

 » Le Capital, le Travail et le Talent sont les trois éléments de la production, les trois sources de la richesse, les trois rouages du mécanisme industriel… » Les trois classes qui les représentent ont des « intérêts communs » ; leur tâche consiste à « faire travailler les machines pour les capitalistes et pour le peuple… » Devant elles… se dresse un but immense : « organiser l’Association des classes dans l’unité nationale… » (Voir : la brochure de K. Kautsky, Le Manifeste communiste est un plagiat, p. 14, où est cité ce passage du Manifeste de Considérant).

Toutes les classes, unissez-vous ! Voilà le mot d’ordre que Victor Considérant proclame dans son Manifeste démocratique.

Qu’y a-t-il de commun entre cette tactique de réconciliation des classes et la tactique de la lutte de classe irréconciliable de Marx et d’Engels, qui appellent résolument : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous contre toutes les classes antiprolétariennes ?

Évidemment, il n’y a là rien de commun !

Mais alors quelles sottises débitent-ils, les sieurs Tcherkézichvili et leurs superficiels thuriféraires ! Ne nous prennent-ils pas pour des morts ? Nous croient-ils vraiment incapables de les dégonfler ?!

Enfin, autre circonstance qui ne manque pas d’intérêt. V. Considérant a vécu jusqu’en 1893. En 1843 il publie son Manifeste démocratique. A la fin de 1847 Marx et Engels rédigent leur Manifeste communiste. Depuis lors, le Manifeste de Marx et d’Engels a été maintes fois réédité dans toutes les langues européennes.

Tout le monde sait que leur Manifeste a fait époque. Malgré cela, jamais, nulle part, ni Considérant ni ses amis n’ont dit, du vivant de Marx et d’Engels, que ces derniers avaient plagié le « socialisme » dans le Manifeste de Considérant. N’est-ce point étrange, lecteur ?

Qu’est-ce donc qui incite ces ignares « inductifs »… excusez-moi, ces « savants », de dire des insanités ? En quel nom parlent-ils ? Savent-ils mieux que Considérant son Manifeste ? Ou peut-être croient-ils que V. Considérant et ses partisans n’ont pas lu le Manifeste communiste ?

Mais laissons cela… Laissons cela, puisque les anarchistes eux-mêmes n’accordent pas une attention sérieuse à la campagne don-quichottiste de Ramus-Tcherkézichvili : la fin inglorieuse de cette campagne ridicule est bien trop évidente pour lui prêter tant d’attention…

Abordons la critique quant au fond.

Les anarchistes sont affligés d’une infirmité : ils aiment beaucoup « critiquer » les partis de leurs adversaires, mais ils ne se donnent pas la peine de faire tant soit peu connaissance avec ces partis. On a vu que les anarchistes en ont justement usé ainsi, en « critiquant » la méthode dialectique et la théorie matérialiste des social-démocrates (voir : les chapitres I et II). Ils en usent de même lorsqu’ils touchent à la théorie du socialisme scientifique des social-démocrates.

Prenons, par exemple, le fait suivant. En est-il qui ignorent que les divergences de principe existent entre les socialistes-révolutionnaires et les social-démocrates ?

En est-il qui ignorent que les premiers nient le marxisme, la théorie matérialiste du marxisme, sa méthode dialectique, son programme, sa lutte de classe, alors que les social-démocrates s’appuient entièrement sur le marxisme ? Quiconque a entendu parler, ne fût-ce que du bout de l’oreille, de la polémique entre la Russie révolutionnaire (organe des socialistes-révolutionnaires) et l’Iskra (organe des social-démocrates), doit se rendre nettement compte de cette distinction de principe. Mais que direz-vous des « critiques » qui n’aperçoivent pas cette distinction et clament que socialistes-révolutionnaires et social-démocrates sont soi-disant des marxistes ? Ainsi les anarchistes soutiennent que la Russie révolutionnaire et l’Iskra sont l’une et l’autre des organes marxistes. (Voir : le recueil des anarchistes Pain et Liberté, p. 202).

C’est ainsi que les anarchistes « ont pris connaissance » des principes de la social-démocratie.

Il est évident, après cela, combien leur « critique scientifique » est fondée…

Voyons aussi cette « critique ».

La principale « accusation » des anarchistes, c’est qu’ils ne tiennent pas les social-démocrates pour des socialistes véritables. Vous n’êtes pas des socialistes, vous êtes des ennemis du socialisme, répètent-ils.

Voici ce qu’écrit Kropotkine à ce sujet :

« … Nous en arrivons à d’autres conclusions que la plupart des économistes… de l’école social-démocrate… Nous… allons jusqu’au communisme libre, alors que la plupart des socialistes (lisez : social-démocrates aussi. L’auteur) vont jusqu’au capitalisme d’Etat et au collectivisme. » (Voir : Kropotkine, La science moderne et l’anarchisme, pp. 74-75).

En quoi consistent donc le « capitalisme d’Etat » et le « collectivisme » des social-démocrates ?

Voici ce qu’écrit Kropotkine à ce sujet :

« Les socialistes allemands affirment que toutes les richesses accumulées doivent être rassemblées dans les mains de l’Etat qui les distribuera aux associations ouvrières, organisera la production et l’échange et suivra de près la vie et le travail de la société. » (Voir : Kropotkine, Paroles d’un révolté, p. 64).

Et plus loin :

« Dans leurs projets… les collectivistes commettent… une double erreur, ils veulent supprimer le régime capitaliste, et ils gardent en même temps deux institutions qui sont la base de ce régime : le gouvernement représentatif et le travail salarié » (voir : la Conquête du pain, p. 148)… « Le collectivisme, on le sait.. . conserve… le travail salarié. Seulement… le gouvernement représentatif… se met à la place du patron… »

Les représentants de ce gouvernement « se réservent le droit d’employer dans l’intérêt de tous la plus-value. tirée de la production.

En outre, dans ce système on établit une distinction… entre le travail de l’ouvrier et celui de l’homme spécialisé : le travail du manoeuvre, aux yeux du collectiviste, est un travail simple, tandis que l’artisan, l’ingénieur, le savant, etc., s’occupent de ce que Marx appelle un travail complexe et ils ont droit à un salaire supérieur » (id., p. 52). C’est ainsi que les ouvriers recevront les produits qui leur sont nécessaires, non suivant leurs besoins, mais « proportionnellement aux services rendus à la société » (id., p. 157).

C’est ce que les anarchistes géorgiens répètent, mais avec un plus grand aplomb. Monsieur Bâton surtout se signale par son acharnement. Il écrit :

« Qu’est-ce que le collectivisme des social-démocrates ? Le collectivisme, ou, plus exactement, le capitalisme d’Etat est fondé sur le principe suivant : chacun doit travailler autant qu’il le veut, ou autant que l’Etat le déterminera, en recevant à titre de récompense la valeur de son travail en marchandises…. Donc, ici « il faut une assemblée législative… il faut (également) un pouvoir exécutif, c’est-à-dire des ministres, toute sorte d’administrateurs, gendarmes et espions, peut-être aussi une armée, s’il y a trop de mécontents. » (Voir : Nobati, n° 5, pp. 68-69).

Telle est la première « accusation » de messieurs les anarchistes contre la social-démocratie.

Il résulte donc, des raisonnements, que font les anarchistes, que :

1. Selon les social-démocrates la société socialiste est soi-disant impossible sans un gouvernement qui, en tant que patron principal, embauchera les ouvriers et aura absolument des « ministres… gendarmes, espions ». 2. Dans la société socialiste, d’après les social-démocrates, ne sera soi-disant pas abolie la division en travail « dur » et en travail « facile » ; le principe : « à chacun suivant ses besoins » y sera rejeté, et l’on en admettra un autre : « à chacun selon ses mérites ».

C’est sur ces deux points que repose l’ »accusation » des anarchistes contre la social-démocratie.

Cette « accusation » portée par messieurs les anarchistes a-t-elle quelque fondement ?

Nous affirmons que tout ce que les anarchistes avancent dans ce cas est le résultat d’une inconséquence, ou bien un indigne commérage.

Voici les faits.

Déjà en 1846 Karl Marx disait : « la classe laborieuse substituera, dans le cours de son développement, à l’ancienne société civile une association qui exclura les classes et leur antagonisme, et il n’y aura plus de pouvoir politique proprement dit… » (Voir : Misère de la philosophie).

Un an après, Mars et Engels formulaient la même idée dans leur Manifeste communiste. (Manifeste communiste, chapitre II).

En 1877 Engels écrivait : « Le premier acte par lequel l’Etat s’affirme réellement comme le représentant de la société tout entière, – la prise de possession des moyens de production au nom de la société, – est en même temps le dernier acte propre de l’Etat. L’intervention du pouvoir d’Etat dans les relations sociales devient superflue dans un domaine après l’autre et s’assoupit ensuite… l’Etat « n’est pas aboli », il dépérit ». (Anti-Dühring).

En 1884 Engels écrivait encore : « Ainsi, l’Etat n’a pas existé de tout temps. Il y eut des sociétés qui s’en sont passé, qui n’avaient pas la moindre idée de l’Etat… A un certain degré de son développement économique, impliquant nécessairement la division de la société en classes, l’Etat devint… une nécessité.

Nous approchons maintenant à grands pas vers un degré de développement de la production tel que l’existence de ces classes a non seulement cessé d’être une nécessité, mais devient un obstacle direct à la production.

Les classes disparaîtront aussi inéluctablement qu’elles sont apparues. Avec la disparition des classes disparaîtra inéluctablement l’Etat. La société, qui réorganisera la production sur la base de l’association libre et égale des producteurs, renverra la machine d’Etat à la place qui lui revient : au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze ». (Voir : L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat).

En 1891 Engels reprend la même idée. (Voir : Introduction à la Guerre civile en France).

Selon les social-démocrates, on le voit, la société socialiste est une société où il n’y aura pas de place pour ce qu’on appelle l’Etat, pour le pouvoir politique avec ses ministres, ses gouverneurs, ses gendarmes, ses policiers et ses soldats.

La dernière étape de l’existence de l’Etat sera la période de la révolution socialiste, alors que le prolétariat prendra possession du pouvoir d’Etat et fondera son gouvernement propre (la dictature) afin d’abattre définitivement la bourgeoisie. Mais, une fois la bourgeoisie supprimée, les classes supprimées et le socialisme instauré, on n’aura plus besoin d’aucun pouvoir politique, et ce qu’on appelle l’Etat passera dans le domaine de l’histoire.

Ainsi, l’ »accusation » des anarchistes, mentionnée plus haut, n’est qu’un commérage dénué de tout fondement.

En ce qui concerne le second point de l’ »accusation », Karl Marx dit ce qui suit :

« Dans une phase supérieure de la société communiste (c’est-à-dire socialiste), quand auront disparu l’asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec elle, l’antagonisme entre le travail intellectuel et le travail manuel ; quand le travail sera devenu… le premier besoin de l’existence ; quand, avec le développement en tous sens des individus, les forces productives iront s’accroissant… alors seulement l’étroit horizon du droit bourgeois pourra être complètement dépassé et la société pourra inscrire sur ses drapeaux : « De chacun selon ses capacités, à chacun suivant ses besoins ». (Critique du programme de Gotha).

D’après Marx, on le voit, la phase supérieure de la société communiste (c’est-à-dire socialiste), est un régime où la division en travail « dur » et en travail « facile », et l’antagonisme entre le travail intellectuel et le travail manuel sont complètement écartés, le travail est égalisé et dans la société règne ce principe véritablement communiste : de chacun selon ses capacités, à chacun suivant ses besoins. Il n’y a pas de place ici pour le travail salarié.

Il est clair que cette « accusation » encore est dénuée de tout fondement.

De deux choses l’une : ou bien messieurs les anarchistes n’ont jamais vu les écrits ci-dessus indiqués de Marx et d’Engels, et ils se livrent à la « critique » par ouï-dire, ou bien ils connaissent les travaux indiqués de Marx et d’Engels, mais ils mentent à bon escient.

Telle est la fortune de la première « accusation ».

La seconde « accusation » des anarchistes est qu’ils nient le caractère révolutionnaire de la social-démocratie. Vous n’êtes pas des révolutionnaires, vous niez la révolution violente, vous voulez instituer le socialisme uniquement à l’aide de bulletins de vote, nous disent messieurs les anarchistes.

Ecoutez :

« … Les social-démocrates… aiment à disserter sur le thème « révolution », « lutte révolutionnaire », « lutter les armes à la main »… Mais si, dans la simplicité de votre coeur, vous leur demandez des armes, ils vous tendront solennellement un petit billet pour voter aux élections… » Ils assurent que « la seule tactique rationnelle qui convienne aux révolutionnaires, c’est le parlementarisme pacifique et légal, avec serment de fidélité au capitalisme, aux autorités établies et à l’ensemble du régime bourgeois existant » (Voir : le recueil Pain et Liberté, pp. 21, 22-23).

Les anarchistes géorgiens disent la même chose, mais, naturellement, avec encore plus d’aplomb. Prenez, par exemple, Bâton. Il écrit :

« Toute la social-démocratie… déclare ouvertement que la lutte au moyen du fusil et des armes est une méthode bourgeoise de faire la révolution, et que c’est uniquement par les bulletins de vote, par les élections générales que les partis peuvent conquérir le pouvoir et, puis, la majorité parlementaire et la législation aidant, réformer la société ». (Voir : la Prise du pouvoir d’Etat, pp. 3-4).

Voilà ce que disent des marxistes messieurs les anarchistes.

Cette « accusation » a-t-elle quelque fondement ?

Nous soutenons que les anarchistes cette fois encore montrent leur ignorance et leur goût des commérages.

Voici les faits.

Karl Marx et Friedrich Engels écrivaient dès la fin de 1847 :

« Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l’ordre social traditionnel. Que les classes dirigeantes tremblent à l’idée d’une révolution communiste ! Les prolétaires n’ont rien à y perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » (Voir : le Manifeste du Parti communiste. Certaines éditions légales ont omis plusieurs mots dans la traduction).

En 1850, dans l’attente d’une nouvelle insurrection en Allemagne, Karl Marx écrivit aux camarades allemands de l’époque :

« Ils ne doivent rendre sous aucun prétexte les armes et les munitions… les ouvriers doivent… s’organiser en garde prolétarienne indépendante, avec des chefs et un état-major général…  » C’est ce qu’ils « doivent avoir en vue pendant et après l’insurrection à venir ». (Voir : le Procès de Cologne [6]. Adresse de Marx aux communistes).

En 1851-1852 Karl Marx et Friedrich Engels écrivaient : « … L’insurrection une fois commencée, il faut agir avec la plus grande décision et passer à l’offensive. La défensive est la mort de toute insurrection armée… Il faut prendre l’ennemi au dépourvu, pendant que ses troupes sont encore dispersées ; il faut remporter chaque jour des succès, même peu considérables… il faut contraindre l’ennemi à la retraite, avant qu’il ait pu rassembler ses troupes contre vous ; en un mot, agissez comme le dit Danton, le plus grand maître de la tactique révolutionnaire que l’on connaisse jusqu’ici : De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ». (Révolution et contre-révolution en Allemagne).

Nous pensons qu’il n’est pas seulement question ici des « bulletins de vote ».

Rappelez-vous enfin l’histoire de la Commune de Paris ; rappelez-vous la façon dont la Commune avait agi paisiblement lorsque, se contentant de la victoire à Paris, elle refusa d’attaquer Versailles, ce nid de la contre-révolution. Que disait alors Marx, selon vous ? Avait-il appelé les Parisiens aux élections ? Approuvait-il l’insouciance des ouvriers parisiens (tout Paris était aux mains des ouvriers) ? Approuvait-il leur attitude de générosité à l’égard des Versaillais vaincus ?

Ecoutez Marx :

« De quelle souplesse, de quelle initiative historique, de quelle faculté de sacrifice sont doués ces Parisiens ! Affamés et ruinés pendant six mois… ils se soulèvent sous les baïonnettes prussiennes… L’histoire ne connaît pas encore d’exemple aussi grand ! S’ils succombent, seul leur caractère « bon garçon » en sera cause ! Il eût fallu marcher aussitôt sur Versailles, après que Vinoy d’abord, et les éléments réactionnaires de la garde nationale parisienne ensuite, avaient laissé le champ libre. Par scrupule de conscience on laissa passer le moment favorable. On ne voulut pas commencer la guerre civile, comme si ce méchant avorton de Thiers ne l’avait pas déjà commencée en tentant de désarmer Paris ! » (Lettres à Kugelmann).

Ainsi pensaient et agissaient Karl Marx et Friedrich Engels.

Ainsi pensent et agissent les social-démocrates.

Mais les anarchistes n’en répètent pas moins : ce qui intéresse Marx et Engels, ainsi que leurs disciples, ce sont uniquement les bulletins de vote, – ils n’admettent pas l’action révolutionnaire violente !

Cette « accusation », on le voit, est aussi un commérage, qui révèle l’ignorance des anarchistes quant à l’essence du marxisme.

Telle est la fortune de la seconde « accusation ».

La troisième « accusation » des anarchistes est qu’ils nient le caractère populaire de la social-démocratie et représentent les social-démocrates comme des bureaucrates ; ils soutiennent que le plan social-démocrate de la dictature du prolétariat est la mort pour la révolution, et comme les social-démocrates s’affirment pour une pareille dictature, ils veulent instaurer en fait non la dictature du prolétariat, mais leur propre dictature sur le prolétariat.

Ecoutez monsieur Kropotkine :

« Nous, anarchistes, nous avons prononcé un verdict définitif contre la dictature… Nous savons que toute dictature, si honnêtes que soient ses intentions, mène à la mort de la révolution. Nous savons… que l’idée de la dictature n’est pas autre chose qu’un produit malfaisant du fétichisme gouvernemental, qui… a toujours cherché à perpétuer l’esclavage ». (Voir : Kropotkine, Paroles d’un révolté, p. 131).

Les social-démocrates n’admettent pas seulement la dictature révolutionnaire ; ils sont « partisans de la dictature sur le prolétariat… Les ouvriers ne les intéressent que dans la mesure où ils forment une armée disciplinée entre leurs mains.. . La social-démocratie veut se servir du prolétariat pour prendre possession de la machine d’Etat ». (Voir : Pain et Liberté, pp. 62, 63).

Les anarchistes géorgiens répètent la même chose :

« La dictature du prolétariat, dans le sens propre du mot, est absolument impossible, puisque les partisans de la dictature sont des étatistes, et leur dictature ne signifiera point la liberté d’action pour l’ensemble du prolétariat, mais l’installation, à la tête de la société, du pouvoir représentatif qui existe aujourd’hui…  » (Voir : Bâton, La Prise du pouvoir d’Etat, p. 45). Les social-démocrates sont pour la dictature, non pas pour aider à l’affranchissement du prolétariat, mais pour… « établir par leur domination un nouvel esclavage » (Voir : Nobati, n° 1, p. 5. Bâton)

Telle est la troisième « accusation » de messieurs les anarchistes.

Point n’est besoin d’un gros effort pour démasquer cette nouvelle calomnie des anarchistes, visant à mystifier le lecteur.

Nous n’allons pas nous livrer ici à l’examen de la conception profondément erronée de Kropotkine, suivant laquelle toute dictature est la mort pour la révolution. Nous reviendrons là-dessus, lorsque nous analyserons la tactique des anarchistes. Pour l’instant, nous tenons à parler uniquement de cette « accusation ».

Déjà à la fin de 1847 Karl Marx et Friedrich Engels disaient que, pour instaurer le socialisme, le prolétariat doit conquérir la dictature politique, afin de repousser, au moyen de cette dictature, les attaques contre-révolutionnaires de la bourgeoisie et de lui enlever les moyens de production ; que cette dictature ne doit pas être celle de plusieurs personnes, mais celle de l’ensemble du prolétariat, en tant que classe :

« Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production dans les mains… du prolétariat organisé en classe dominante… » (Voir : le Manifeste communiste).

C’est-à-dire que la dictature du prolétariat sera celle que toute la classe du prolétariat exercera sur la bourgeoisie, et non pas la domination de plusieurs personnes sur le prolétariat.

Par la suite ils reprennent la même pensée dans presque toutes leurs œuvres, comme dans le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, dans les Luttes de classe en France, dans la Guerre civile en France, dans la Révolution et contre-révolution en Allemagne, dans l’Anti-Dühring, ainsi que dans d’autres écrits.

Mais ce n’est pas tout.

Pour comprendre la façon dont Marx et Engels concevaient la dictature du prolétariat et à quel point ils considéraient cette dictature comme réalisable, il est fort intéressant de connaître leur jugement sur la Commune de Paris.

Le fait est que la dictature du prolétariat se voit accabler de reproches non seulement par les anarchistes, mais aussi par les petits bourgeois de la ville, y compris les bouchers et les traiteurs de toute sorte – par tous ceux que Marx et Engels qualifiaient de philistins. Voici ce que dit Engels de la dictature du prolétariat, en s’adressant à ces philistins :

« Le philistin allemand entre toujours dans une sainte terreur aux mots : dictature du prolétariat. Voulez-vous savoir, Messieurs, ce que veut dire cette dictature ? Regardez la Commune de Paris. Voilà la dictature du prolétariat ». (Voir : la Guerre civile en France [7]. Introduction de Fr. Engels).

Engels, on le voit, se représentait la dictature du prolétariat sous la forme de la Commune de Paris.

Il est certain que quiconque veut savoir ce qu’est la dictature du prolétariat selon l’idée des marxistes, doit connaître la Commune de Paris.

Adressons-nous à notre tour à la Commune de Paris. S’il se trouve que la Commune de Paris a été véritablement une dictature de plusieurs personnes sur le prolétariat, alors, à bas le marxisme, à bas la dictature du prolétariat ! Mais si nous constatons que la Commune de Paris a été effectivement une dictature du prolétariat sur la bourgeoisie, alors,… alors nous rirons de tout cœur des commères anarchistes qui, dans la lutte contre les marxistes, n’ont plus rien à faire que d’inventer des commérages.

L’histoire de la Commune de Paris comporte deux périodes : la première, quand le « Comité central » que l’on sait dirigeait les affaires à Paris, et la seconde période où, les pleins pouvoirs du « Comité central » ayant expiré, la direction des affaires passait à la Commune qui venait d’être élue. Qu’était-ce que le « Comité central » de qui était-il composé ? Nous avons sous les yeux l’Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, par Arthur Arnould, laquelle, selon l’auteur, répond brièvement à cette question. La lutte ne faisait que de commencer, quand près de 300.000 ouvriers parisiens, formés en compagnies et bataillons, choisirent des délégués parmi eux. C’est ainsi que fut constitué le « Comité central ».

« Tous ces citoyens [membres du « Comité central »], produits des élections partielles de leurs compagnies ou de leurs bataillons, dit Arnould, n’étaient guère connus que du petit groupe qui les avait délégués. Qu’étaient ces hommes, que valaient-ils, qu’allaient-ils faire ? »

C’était « un gouvernement anonyme, composé presque exclusivement de simples ouvriers, ou de petits employés, dont les noms, pour les trois quarts, n’avaient guère dépassé le cercle de leur rue ou de leur atelier… La tradition était rompue. Quelque chose d’inattendu venait de se produire dans le monde.

Pas un membre des classes gouvernantes n’était là. Une Révolution éclatait qui n’était représentée ni par un avocat, ni par un député, ni par un journaliste, ni par un général. A leur place, un mineur du Creusot, un ouvrier relieur, un cuisinier », etc. (Voir : Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, p. 107).

Arthur Arnould poursuit :

« Nous sommes, déclaraient les membres du « Comité central », les organes obscurs, les instruments humbles du peuple attaqué… Serviteurs de la volonté populaire, nous sommes là pour lui servir d’écho, pour la faire triompher. Le peuple veut la Commune, et nous resterons pour faire procéder aux élections de la Commune. Rien de plus, rien de moins. Ces dictateurs ne se mettent ni au-dessus, ni en dehors de la foule.

On sent qu’ils vivent avec elle, en elle, par elle, qu’ils la consultent à chaque seconde, qu’ils l’écoutent et qu’ils redisent ce qu’ils ont entendu, se chargeant seulement de traduire en quelques paroles concises… les résolutions de trois cent mille hommes ». (Id., p. 109).

Telle fut la conduite de la Commune de Paris dans la première période de son existence.

Voilà ce qu’était la Commune de Paris.

Voilà la dictature du prolétariat.

Passons maintenant à la seconde période de la Commune, quand celle-ci suppléait le Comité central ». Parlant de ces deux périodes, qui durèrent deux mois, Arnould s’exclame avec enthousiasme que ce fut une véritable dictature du peuple.

Ecoutez plutôt :

« C’est là, c’est dans le grand spectacle qu’offrit ce peuple pendant deux mois, que nous puiserons assez de force et d’espoir pour envisager… l’avenir. Pendant ces deux mois, il y eut une véritable dictature dans Paris, la plus complète comme la moins contestée… dictature non d’un homme, mais du peuple – seul maître de la situation… Cette dictature dura plus de deux mois, du 18 mars au 22 mai [1871] sans interruption… Maître et seul maître, car la Commune n’était [en elle-même] qu’un pouvoir moral et n’avait d’autre force matérielle que le consentement universel des citoyens, il se fut à lui-même sa police et sa magistrature… » (Id., pp. 242, 244).

C’est ainsi que caractérise la Commune de Paris Arthur Arnould, membre de la Commune, qui a pris une part active à ses âpres batailles.

C’est ainsi également que caractérise la Commune de Paris un autre de ses membres, lui aussi participant actif, Lissagaray. (Voir son livre : Histoire de la Commune de Paris).

Le peuple, en tant que « seul maître », « dictature non d’un homme, mais du peuple », voilà ce que fut la Commune de Paris.

« Regardez la Commune de Paris. Voilà la dictature du prolétariat », s’écrie Engels pour la gouverne des philistins.

Voilà ce qu’est donc la dictature du prolétariat selon l’idée de Marx et d’Engels.

On le voit, messieurs les anarchistes connaissent, eux aussi, la dictature du prolétariat, la Commune de Paris, le marxisme qu’ils « critiquent » sans discontinuer, comme vous et nous, cher lecteur, nous connaissons le chinois.

Il est clair que la dictature est de deux sortes. Il y a dictature de la minorité, dictature d’un petit groupe, dictature des Trépov et Ignatiev, dirigée contre le peuple. A la tête d’une pareille dictature se place habituellement une camarilla, qui prend des décisions secrètes et resserre le nœud coulant autour du cou de la majorité du peuple. Les marxistes sont les ennemis d’une telle dictature, et ils la combattent avec beaucoup plus de ténacité et d’abnégation que nos braillards anarchistes.

Il y a une dictature d’un autre genre, celle de la majorité prolétarienne, la dictature de la masse ; elle est dirigée contre la bourgeoisie, contre la minorité. Ici, c’est la masse qui est à la tête de la dictature ; point de place ici pour la camarilla, ni pour les décisions secrètes. Tout ici se fait ouvertement, en pleine rue, aux meetings, et cela parce que c’est une dictature de la rue, de la masse, une dictature dirigée contre tous les oppresseurs.

Cette dictature les marxistes la soutiennent « des deux mains », – et cela parce qu’une telle dictature marque le glorieux début de la grande révolution socialiste.

Messieurs les anarchistes ont confondu ces deux dictatures qui s’excluent mutuellement, et c’est la raison pour laquelle ils se trouvent dans une situation ridicule ; ils combattent non le marxisme, mais leur propre fantaisie ; ils sont aux prises, non avec Marx et Engels, mais avec des moulins à vent, comme le fit jadis, de bienheureuse mémoire, Don Quichotte…

Telle est la fortune de la troisième « accusation ».

(A suivre) [8]

[1] Il est question de l’insurrection armée du prolétariat de Moscou en décembre 1905, point culminant de la révolution 1905-1907.

[2] Nobati (Appel). Journal hebdomadaire des anarchistes géorgiens. Parut en 1906, à Tiflis.

[3] K. Man et F. Engels, la Sainte Famille, partie « Bataille critique contre le matérialisme français… (Voir : Marx-Engels, Gesamtausgabe, Erste Abteilung, Band 3 : Berlin 1932. pp. 307-308).

[4] Moucha (Ouvrier), quotidien des anarchistes géorgiens, parut à Tiflis en 1906.

[5] Khma (la Voix), quotidien des anarchistes géorgiens, parut à Tiflis en 1906.

[6] K. Marx, Enthüllungen über den Kommunistenprozess zu Köln, Moskau, 1940, pp. 115, 116.

[7] Cité d’après la brochure : Karl Marx, la Guerre civile en France. Préface de Fr. Engels. Voir : Der Bürgerkrieg in Frankreich, Moskau, 1940, p. 20.

[8] La suite n’a pas paru dans les journaux, J. Staline ayant été transféré au milieu de 1907, par le Comité central, à Bakou, pour y travailler dans le Parti ; là, quelques mois plus tard, il fut arrêté. Les notes relatives aux derniers chapitres d’Anarchisme ou socialisme ? n’ont pu être retrouvées à la suite d’une perquisition.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Le caractère international de la Révolution d’Octobre

A l’occasion du dixième anniversaire d’Octobre

Pravda n° 255, 6-7 novembre 1927

On ne saurait considérer la Révolution d’Octobre uniquement comme une révolution « dans le cadre national ».

Elle est avant tout une révolution d’ordre international, mondial, car elle marque dans l’histoire universelle un tournant radical, opéré par l’humanité, du vieux monde, capitaliste, vers le monde nouveau, socialiste.

Autrefois les révolutions se terminaient d’habitude par la substitution, au gouvernail de l’Etat, d’un groupe d’exploiteurs à un autre groupe d’exploiteurs.

Les exploiteurs changeaient, l’exploitation demeurait.

Il en fut ainsi au cours des mouvements d’émancipation des esclaves. Il en fut ainsi dans la période des soulèvements de serfs.

Il en fut ainsi dans la période des « grandes » révolutions que l’on sait, en Angleterre, en France, en Allemagne.

Je ne parle pas de la Commune de Paris, qui fut la première tentative glorieuse, héroïque, mais cependant infructueuse, du prolétariat pour faire marcher l’histoire contre le capitalisme.

La Révolution d’Octobre se distingue de ces révolutions dans son principe.

Elle se propose non de remplacer une forme d’exploitation par une autre forme d’exploitation, un groupe d’exploiteurs par un autre groupe d’exploiteurs, mais de supprimer toute exploitation de l’homme par l’homme, de supprimer tous les groupes d’exploiteurs, quels, qu’ils soient, d’instaurer la dictature du prolétariat, d’instaurer le pouvoir de la classe la plus révolutionnaire parmi toutes les classes opprimées qui ont existé jusqu’à ce jour, d’organiser une société nouvelle, la société socialiste sans classes.

C’est précisément pour cela que la victoire de la Révolution d’Octobre marque un tournant radical dans l’histoire de l’humanité, un tournant radical dans les destinées historiques du capitalisme mondial, un tournant radical dans le mouvement de libération du prolétariat mondial, un tournant radical dans les procédés de lutte et les formes d’organisation, dans la manière de vivre et les traditions, dans la culture et l’idéologie des masses exploitées du monde entier.

C’est là la raison pour laquelle la Révolution d’Octobre est une révolution d’ordre international, mondial.

C’est également là l’origine de la sympathie profonde que les classes opprimées de tous les pays nourrissent à l’égard de la Révolution d’Octobre, dans laquelle elles voient le gage de leur libération.

On pourrait signaler une série de problèmes essentiels dans le domaine desquels la Révolution d’Octobre exerce son action sur le développement du mouvement révolutionnaire dans le monde entier.

1. La Révolution d’Octobre a tout d’abord ceci de remarquable qu’elle a percé le front de l’impérialisme mondial, jeté bas la bourgeoisie impérialiste dans un des plus grands pays capitalistes, et porté au pouvoir le prolétariat socialiste.

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la classe des salariés, la classe des persécutés, la classe des opprimés et des exploités, s’est élevée à la situation d’une classe dominante, gagnant par son exemple les prolétaires de tous les pays.

C’est dire que la Révolution d’Octobre a inauguré une nouvelle époque, l’époque des révolutions prolétariennes dans les pays de l’impérialisme.

Elle a enlevé aux grands propriétaires fonciers et aux capitalistes les instruments et moyens de production et les a transformés en propriété sociale, opposant ainsi à la propriété bourgeoise la propriété socialiste.

Par là même, elle a démasqué le mensonge des capitalistes qui prétendent que la propriété bourgeoise est inviolable, sacrée, éternelle.

Elle a arraché le pouvoir à la bourgeoisie, elle l’a privée des droits politiques, elle a démoli l’appareil d’Etat bourgeois et transmis le pouvoir aux Soviets, opposant ainsi au parlementarisme bourgeois, démocratie capitaliste, le pouvoir socialiste des Soviets, démocratie prolétarienne.

Lafargue avait raison lorsqu’il disait, déjà en 1887, qu’au lendemain de la révolution « tous les ex-capitalistes seraient privés de droits électoraux ».

Par là même, la Révolution d’Octobre a démasqué le mensonge des social-démocrates qui prétendent que maintenant le passage pacifique au socialisme par le parlementarisme bourgeois est possible.

Mais la Révolution d’Octobre ne s’est pas arrêtée et ne pouvait s’arrêter là.

Ayant détruit l’ordre de choses ancien, bourgeois, elle s’est mise à construire l’ordre de choses nouveau, socialiste. Les dix années de la Révolution d’Octobre sont dix années de construction du Parti, des syndicats, des Soviets, des coopératives, des organisations culturelles, des transports, de l’industrie, de l’Armée rouge.

Les succès incontestables du socialisme en U.R.S.S. sur le front de construction ont démontré nettement que le prolétariat peut gouverner avec succès le pays sans la bourgeoisie et contre la bourgeoisie ; qu’il peut édifier avec succès l’industrie sans la bourgeoisie et contre la bourgeoisie ; qu’il peut diriger avec succès toute l’économie nationale sans la bourgeoisie et contre la bourgeoisie ; qu’il peut édifier avec succès le socialisme, malgré l’encerclement capitaliste.

La vieille « théorie » selon laquelle les exploités ne peuvent se passer des exploiteurs, de même que la tête et les autres parties du corps ne peuvent se passer de l’estomac, n’appartient pas seulement au fameux sénateur romain de l’antiquité, Menenius Agrippa.

Cette « théorie » constitue maintenant la pierre angulaire de la « philosophie » politique de la social-démocratie en général, de la politique social-démocrate de coalition avec la bourgeoisie impérialiste, en particulier. Cette « théorie », qui a acquis le caractère d’un préjugé, est maintenant l’un des obstacles les plus sérieux à la pénétration de l’esprit révolutionnaire dans le prolétariat des pays capitalistes. Un des résultats les plus importants de la Révolution d’Octobre est d’avoir porté un coup mortel à cette « théorie » mensongère.

Est-il encore besoin de démontrer que ces résultats et autres analogues de la Révolution d’Octobre n’ont pu et ne peuvent rester sans exercer une sérieuse influence sur le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière dans les pays capitalistes ?

Des faits aussi universellement connus que la progression continue du communisme dans les pays capitalistes, la croissance de la sympathie des prolétaires de tous les pays pour la classe ouvrière de l’U.R.S.S., enfin l’affluence des délégations ouvrières au pays des Soviets, montrent indubitablement que la semence jetée par la Révolution d’Octobre porte déjà des fruits.

2. La Révolution d’Octobre a ébranlé l’impérialisme non pas seulement dans les centres de sa domination, non pas seulement dans les « métropoles ».

Elle a encore frappé l’arrière de l’impérialisme, sa périphérie, en sapant la domination de l’impérialisme dans les pays coloniaux et dépendants.

En renversant les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, la Révolution d’Octobre a rompu les chaînes de l’oppression nationale et coloniale, dont elle a délivré tous les peuples opprimés, sans exception, d’un vaste Etat.

Le prolétariat ne peut se libérer sans libérer les peuples opprimés.

Le trait caractéristique de la Révolution d’Octobre, c’est qu’elle a accompli en U.R.S.S. ces révolutions nationales et coloniales, non sous le drapeau de la haine nationale et des conflits entre nations, mais sous le drapeau d’une confiance réciproque et d’un rapprochement fraternel des ouvriers et des paysans des peuples habitant l’U.R.S.S., non pas au nom du nationalisme, mais au nom de l’internationalisme.

Précisément parce que les révolutions nationales et coloniales se sont faites, chez nous, sous la direction du prolétariat et sous le drapeau de l’internationalisme, précisément pour cette raison les peuples-parias, les peuples-esclaves se sont, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, élevés à la situation de peuples réellement libres et réellement égaux, gagnant par leur exemple les peuples opprimés du monde entier.

C’est dire que la Révolution d’Octobre a inauguré une nouvelle époque, l’époque des révolutions coloniales dans les pays opprimés du monde en alliance avec le prolétariat, sous la direction du prolétariat.

Autrefois, il « était admis » de penser que le monde est divisé depuis toujours en races inférieures et supérieures, en Noirs et Blancs, les premiers inaptes à la civilisation et voués à l’exploitation, et les seconds, seuls dépositaires de la civilisation, appelés à exploiter les premiers.

Maintenant il faut considérer cette légende comme renversée et rejetée.

Un des résultats les plus importants de la Révolution d’Octobre, c’est qu’elle a porté un coup mortel à cette légende, montrant en fait que les peuples non européens affranchis, entraînés dans la voie du développement soviétique, sont tout aussi capables que les peuples européens de faire progresser la culture et la civilisation véritablement avancées.

Autrefois, il « était admis » de penser que la seule méthode de libération des peuples opprimés est la méthode du nationalisme bourgeois, méthode qui consiste à détacher les nations les unes des autres, à les dissocier, à renforcer les haines nationales entre les masses laborieuses des différentes nations.

Maintenant, il faut considérer cette légende comme démentie.

Un des résultats les plus importants de la Révolution d’Octobre, c’est qu’elle a porté à cette légende un coup mortel, montrant en fait que la méthode prolétarienne, internationaliste, d’affranchissement des peuples opprimés, comme seule méthode juste, est possible et rationnelle, montrant en fait que l’union fraternelle des ouvriers et des paysans appartenant aux peuples les plus divers, union basée sur le libre consentement et l’internationalisme, est possible et rationnelle.

L’existence de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, préfiguration de l’union future des travailleurs de tous les pays en une seule économie mondiale, en est la preuve directe.

Inutile de dire que ces résultats et autres analogues de la Révolution d’Octobre n’ont pu et ne peuvent rester sans exercer une sérieuse influence sur le mouvement révolutionnaire dans les pays coloniaux et dépendants.

Des faits tels que la croissance du mouvement révolutionnaire des peuples opprimés en Chine, en Indonésie, aux Indes, etc., et la sympathie accrue de ces peuples pour l’U.R.S.S., en sont un témoignage certain.

L’ère est révolue où l’on pouvait en toute sérénité exploiter et opprimer les colonies et les pays dépendants.

L’ère est venue des révolutions libératrices dans les colonies et les pays dépendants, l’ère du réveil du prolétariat de ces pays, l’ère de son hégémonie dans la révolution.

3. En jetant la semence de la révolution aussi bien dans les centres qu’à l’arrière de l’impérialisme, en affaiblissant la puissance de l’impérialisme dans les « métropoles » et en ébranlant sa domination dans les colonies, la Révolution d’Octobre a, de ce fait, mis en question l’existence même du capitalisme mondial dans son ensemble.

Si le développement spontané du capitalisme a dégénéré, dans les conditions de l’impérialisme — par suite de son cours inégal, par suite des conflits et collisions armées inévitables, par suite enfin de la tuerie impérialiste sans précédent — en un processus de putréfaction et d’agonie du capitalisme, la Révolution d’Octobre et — sa conséquence — la séparation d’un immense pays d’avec le système capitaliste mondial, ne pouvaient manquer d’accélérer ce processus, en minant pas à pas les fondements mêmes de l’impérialisme mondial.

Bien plus.

En ébranlant l’impérialisme, la Révolution d’Octobre a créé en même temps, en la première dictature prolétarienne, une base puissante et ouverte du mouvement révolutionnaire mondial, base qu’il n’avait jamais eue auparavant et sur laquelle il peut maintenant s’appuyer.

Elle a créé un centre puissant et ouvert du mouvement révolutionnaire mondial, centre qu’il n’avait jamais eu auparavant et autour duquel il peut maintenant se grouper, en organisant le front révolutionnaire unique des prolétaires et des peuples opprimés de tous les pays contre l’impérialisme.

Cela signifie tout d’abord que la Révolution d’Octobre a porté au capitalisme mondial une blessure mortelle, dont il ne se remettra plus jamais.

C’est pour cela précisément que le capitalisme ne recouvrera plus jamais l’« équilibre » et la « stabilité » qu’il possédait avant Octobre.

Le capitalisme peut se stabiliser partiellement, il peut rationaliser sa production, livrer la direction du pays au fascisme, réduire momentanément la classe ouvrière, mais jamais plus il ne recouvrera ce « calme » et cette « assurance », cet « équilibre » et cette « stabilité » dont il faisait parade autrefois, car la crise du capitalisme mondial a atteint un degré de développement tel que les feux de la révolution doivent inévitablement s’ouvrir un passage tantôt dans les centres de l’impérialisme, tantôt dans sa périphérie, réduisant à zéro les rapiéçages capitalistes et hâtant de jour en jour la chute du capitalisme.

Exactement comme dans la fable que l’on connaît : « En retirant la queue, le bec s’embourbe ; en retirant le bec, la queue s’embourbe. »

Cela signifie, en second lieu, que la Révolution d’Octobre a élevé à une certaine hauteur la force et l’importance, le courage et la combativité des classes opprimées du monde entier, obligeant les classes dominantes à compter avec elles, en tant que facteur nouveau et sérieux.

Il n’est plus possible aujourd’hui de considérer les masses laborieuses du monde comme une « foule aveugle » errant dans les ténèbres et privée de perspectives, car la Révolution d’Octobre a créé pour elles un phare éclairant leur chemin et leur révélant des perspectives.

Si, auparavant, il n’y avait pas de forum universel ouvert pour manifester et matérialiser les aspirations et la volonté des classes opprimées, aujourd’hui ce forum existe en la première dictature du prolétariat.

On ne saurait guère douter que la destruction de ce forum plongerait pour longtemps la vie sociale et politique des « pays avancés » dans les ténèbres d’une noire réaction sans frein.

On ne peut nier que même le simple fait de l’existence de l’« Etat bolchevik » met une bride aux forces ténébreuses de la réaction, facilitant aux classes opprimées la lutte pour leur libération.

C’est ce qui explique en somme la haine bestiale que les exploiteurs de tous les pays nourrissent à l’égard des bolcheviks.

L’histoire se répète, bien que sur une base nouvelle. Comme autrefois, à l’époque de la chute du féodalisme, le mot « jacobin » provoquait l’horreur et le dégoût chez les aristocrates de tous les pays, de même aujourd’hui, à l’époque de la chute du capitalisme, le mot « bolchevik » provoque l’horreur et le dégoût chez la bourgeoisie de tous les pays.

Et, inversement, de même qu’autrefois Paris servait de refuge et d’école aux représentants révolutionnaires de la bourgeoisie montante, de même aujourd’hui Moscou sert de refuge et d’école aux représentants révolutionnaires du prolétariat qui monte.

La haine que le féodalisme vouait aux jacobins ne le sauva pas du naufrage. Peut-on douter que la haine du capitalisme contre les bolcheviks ne le sauvera pas de sa chute certaine ?

L’ère de « stabilité » du capitalisme est révolue, emportant avec elle la légende de l’immuabilité de l’ordre bourgeois.

L’ère est venue de l’effondrement du capitalisme.

4. On ne saurait considérer la Révolution d’Octobre uniquement comme une révolution dans le domaine des rapports économiques, politiques et sociaux.

Elle est aussi une révolution dans les esprits, une révolution dans l’idéologie de la classe ouvrière.

La Révolution d’Octobre est née et s’est fortifiée sous le drapeau du marxisme, sous le drapeau de l’idée de dictature du prolétariat, sous le drapeau du léninisme qui est le marxisme de l’époque de l’impérialisme et des révolutions prolétariennes.

C’est pourquoi elle marque la victoire du marxisme sur le réformisme, la victoire du léninisme sur le social-démocratisme, la victoire de la IIIème Internationale sur la IIème Internationale.

La Révolution d’Octobre a creusé un fossé infranchissable entre le marxisme et le social-démocratisme, entre la politique du léninisme et la politique du social-démocratisme.

Autrefois, avant la victoire de la dictature du prolétariat, la social-démocratie pouvait faire parade du drapeau du marxisme, sans nier ouvertement l’idée de dictature du prolétariat, mais aussi sans faire rien, absolument rien, pour hâter la réalisation de cette idée ; or une telle conduite de la social-démocratie ne créait aucune menace pour le capitalisme.

A cette époque, la social-démocratie, au point de vue formel, se confondait — ou presque — avec le marxisme.

Maintenant, après la victoire de la dictature du prolétariat, chacun ayant vu de ses propres yeux à quoi mène le marxisme et ce que peut signifier sa victoire, la social-démocratie ne peut plus faire parade du drapeau du marxisme, elle ne peut plus afficher l’idée de dictature du prolétariat, sans créer un certain danger pour le capitalisme.

Ayant depuis longtemps rompu avec l’esprit du marxisme, force lui a été de rompre également avec le drapeau du marxisme.

Elle a pris position ouvertement et sans équivoque contre la Révolution d’Octobre, enfantée par le marxisme, contre la première dictature du prolétariat dans le monde.

Dès lors, elle devait se désolidariser, et elle s’est effectivement désolidarisée du marxisme, car dans les conditions actuelles on ne peut s’appeler marxiste sans soutenir ouvertement et sans réserve la première dictature prolétarienne du monde, sans mener la lutte révolutionnaire contre sa propre bourgeoisie, sans créer les conditions nécessaires à la victoire de la dictature du prolétariat dans son propre pays.

Entre la social-démocratie et le marxisme, un abîme s’est creusé. Désormais, le seul protagoniste et rempart du marxisme, c’est le léninisme, le communisme.

Mais les choses n’en sont pas restées là.

Après avoir délimité la social-démocratie d’avec le marxisme, la Révolution d’Octobre alla plus loin, rejetant la social-démocratie dans le camp des défenseurs directs du capitalisme contre la première dictature prolétarienne du monde.

Lorsque MM. Adler et Bauer, Wells et Lévi, Longuet et Blum vitupèrent le « régime soviétique », exaltant la « démocratie » parlementaire, ils veulent montrer par là qu’ils combattent et qu’ils continueront de combattre pour le rétablissement de l’ordre capitaliste en U.R.S.S., pour le maintien de l’esclavage capitaliste dans les Etats « civilisés ».

Le social-démocratisme d’aujourd’hui est l’appui idéologique du capitalisme.

Lénine avait mille fois raison quand il disait que les politiciens social-démocrates de nos jours sont « les véritables agents de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier, les commis ouvriers de la classe des capitalistes » ; que dans la « guerre civile entre le prolétariat et la bourgeoisie », ils se rangeront inévitablement du côté des « Versaillais » contre les « communards ».

Il est impossible d’en finir avec le capitalisme sans en avoir fini avec le social-démocratisme dans le mouvement ouvrier. C’est pourquoi l’ère de l’agonie du capitalisme est en même temps celle de l’agonie du social-démocratisme dans le mouvement ouvrier.

La grande signification de la Révolution d’Octobre consiste, entre autres, en ce qu’elle annonce la victoire certaine du léninisme sur le social-démocratisme dans le mouvement ouvrier mondial.

L’ère de la domination de la IIème Internationale et du social-démocratisme dans le mouvement ouvrier a pris fin.

L’ère est venue de la domination du léninisme et de la IIIème Internationale.

=>Oeuvres de Staline