Premier congrès de l’Internationale Communiste: déclaration faite par les participants de la conférence de Zimmerwald

Les conférences de Zimmerwald et de Kienthal eurent leur importance à une époque où il était nécessaire d’unir tous les éléments prolétariens disposés sous une forme ou sous une autre à protester contre la boucherie impérialiste.

Mais il pénétra dans le groupement de Zimmerwald, à côté d’éléments nettement communistes, des éléments « centristes », pacifistes et hésitants.

Ces éléments centristes, comme l’a montré la conférence de Berne, s’unissent actuellement aux social-patriotes, pour lutter contre le prolétariat révolutionnaire, utilisant ainsi Zimmerwald au profit de la réaction.

En même temps, le mouvement communiste grandissait dans une série de pays, et la lutte contre les éléments centristes qui font obstacle au développement de la révolution sociale est devenue maintenant la tâche principale du prolétariat révolutionnaire.

Le groupement de Zimmerwald a fait son temps. Tout ce qu’il y avait dans le groupement de Zimmerwald de véritablement révolutionnaire passe et adhère à l’Internationale Communiste.

Les participants soussignés de Zimmerwald déclarent qu’ils considèrent le groupement de Zimmerwald comme dissout et demandent au Bureau de la Conférence de Zimmerwald de remettre tous ses documents au Comité Exécutif de la III° Internationale.

Rakovsky, Lénine, Zinoviev, Trotsky, Platten

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: résolution sur la position envers les courants socialistes et la conférence de Berne

Déjà en 1907 au Congrès international socialiste de Stuttgart, lorsque la Deuxième Internationale aborda la question de la politique coloniale et des guerres impérialistes, il s’avéra que plus de la moitié de la Deuxième Internationale et la plupart de ses dirigeants étaient dans ces questions beaucoup plus près des points de vue de la bourgeoisie que du point de vue communiste de Marx et d’Engels.

Malgré cela le Congrès de Stuttgart adopta un amendement proposé par les représentants de l’aile révolutionnaire, N. Lénine et Rosa Luxemburg, et conçu dans ces termes :

« Si néanmoins une guerre éclate, les socialistes ont le devoir d’œuvrer pour sa fin rapide et d’utiliser par tous les moyens la crise économique et politique provoquée par la guerre pour réveiller le peuple et de hâter par là la chute de la domination capitaliste. ».

Au Congrès de Bâle de novembre 1912, convoqué au moment de la guerre des Balkans, la Deuxième Internationale déclara :

« Que les gouvernements bourgeois n’oublient pas que la guerre franco-allemande donna naissance à l’insurrection révolutionnaire de la Commune, et que la guerre russo-japonaise mit en mouvement les forces révolutionnaires de la Russie. Aux yeux des prolétaires c’est un crime que de s’entre-tuer au profit du gain capitaliste, de la rivalité dynastique et de la floraison des traités diplomatiques ».

Fin juillet et au début d’août 1914, 24 heures avant le commencement de la guerre mondiale, les organismes et institutions compétents de la Deuxième Internationale continuèrent encore à condamner la guerre qui approchait, comme le plus grand crime de la bourgeoisie. Les déclarations se rapportant à ces jours et émanant des partis dirigeants de la Deuxième Internationale constituent l’acte d’accusation le plus éloquent contre les dirigeants de la Deuxième Internationale.

Dès le premier coup de canon tombé sur les champs de la boucherie impérialiste, les principaux partis de la Deuxième Internationale trahirent la classe ouvrière et passèrent, sous le couvert de la « défense nationale » chacun du coté de « sa » bourgeoisie. Scheidemann et Ebert en Allemagne, Thomas et Renaudel en France, Henderson et Hyndman en Angleterre, Vandervelde et De Brouckère en Belgique, Renner et Pernerstorfer en Autriche, Plékhanov et Roubanovitch en Russie, Branting et son parti en Suède, Gompers et ses camarades d’idées en Amérique, Mussolini et Cie en Italie, exhortèrent le prolétariat à une « trêve » avec la bourgeoisie de « leur » pays, à renoncer à la guerre contre la guerre, et à devenir en fait de la chair à canon pour les impérialistes.

Ce fut à ce moment que la Deuxième Internationale fit définitivement faillite et périt.

Grâce au développement économique général, la bourgeoisie des pays les plus riches, au moyen de petites aumônes puisées dans ses gains énormes, eut la possibilité de corrompre et de séduire le sommet de la classe ouvrière, l’aristocratie ouvrière. Les « compagnons de lutte » petits-bourgeois du socialisme affluèrent dans les rangs des partis social-démocrates officiels et orientèrent peu à peu le cours de ceux-ci dans le sens de la bourgeoisie. Les dirigeants du mouvement ouvrier parlementaire et pacifique, les dirigeants syndicaux, les secrétaires, rédacteurs et employés de la social-démocratie, formèrent toute une caste d’une bureaucratie ouvrière, ayant ses propres intérêts de groupes égoïstes, et qui fut en réalité hostile au socialisme.

Grâce à toutes ces circonstances la social-démocratie officielle dégénéra en un parti anti-socialiste et chauvin.

Dans le sein de la Deuxième Internationale déjà se révélèrent trois tendances fondamentales. Au cours de la guerre et jusqu’au début de la révolution prolétarienne en Europe les contours de ces trois tendances se dessinèrent déjà en toute netteté :

1. La tendance social-chauvine (tendance de la « majorité », dont les représentants les plus typiques sont les social-démocrates allemands, qui partagent maintenant le pouvoir avec la bourgeoisie allemande et qui sont devenus les assassins des chefs de l’Internationale Communiste, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg.

Les social-chauvins se sont révélés à présent complètement comme les ennemis de classe du prolétariat et suivent le programme de « liquidation » de la guerre que la bourgeoisie leur a dicté : faire retomber la plus grande partie des impôts sur les masses laborieuses, inviolabilité de la propriété privée, maintien de l’armée entre les mains de la bourgeoisie, dissolution des conseils ouvriers surgissant partout, maintien du pouvoir politique entre les mains de la bourgeoisie – la « démocratie » bourgeoise contre le socialisme.

Malgré l’âpreté avec laquelle les communistes ont lutté jusqu’ici contre les « social-démocrates de la majorité », les ouvriers n’ont cependant pas encore reconnu tout le danger dont ces traîtres menacent le prolétariat international. Ouvrir les yeux à tous les travailleurs sur l’œuvre de trahison des social-chauvins et mettre par la force des armes ce parti contre-révolutionnaire hors d’état de nuire, voilà une des tâches les plus importantes de la révolution prolétarienne internationale.

2. La tendance centriste (social-pacifistes, kautskystes, indépendants). Cette tendance a commencé à se former dès avant la guerre, surtout en Allemagne. Au début de la guerre, les principes généraux du « Centre » coïncidaient presque toujours avec ceux des social-chauvins. Kautsky, le chef théorique du « Centre » défendait la politique poursuivie par les social-chauvins allemands et français. L’Internationale n’était qu’un « instrument en temps de paix »; « lutte pour la paix », « lutte de classe – en temps de paix », tels étaient les mots d’ordre de Kautsky.

Depuis le début de la guerre le « Centre » est pour « l’unité » avec les social-chauvins. Après l’assassinat de Liebknecht et de Luxemburg, le « Centre » continue à prêcher cette « unité » ; c’est-à-dire, l’unité des ouvriers communistes avec les assassins des chefs communistes, Liebknecht et Luxemburg.

Dès le début de la guerre, le « Centre » ( Kautsky, Victor Adler, Turati, MacDonald) se mit à prêcher « l’amnistie réciproque » à l’égard des chefs des partis social-chauvins d’Allemagne et d’Autriche d’une part, de la France et de l’Angleterre de l’autre. Cette amnistie, le « Centre » la préconise encore aujourd’hui, après la guerre, empêchant ainsi les ouvriers de se faire une idée claire sur les causes de l’effondrement de la Deuxième Internationale.

Le « Centre » a envoyé ses représentants à Berne à la conférence internationale des socialistes de compromis, facilitant ainsi aux Scheidemann et aux Renaudel leur tâche de tromper les ouvriers.

Il est absolument nécessaire de séparer du « Centre » les éléments les plus révolutionnaires, ce à quoi on ne peut aboutir que par la critique impitoyable et en compromettant les chefs du « Centre ». La rupture organisatoire avec le « Centre » est une nécessité historique absolue. La tâche des communistes de chaque pays est de déterminer le moment de cette rupture selon l’étape que le mouvement a atteint chez eux.

3. Les Communistes. Au sein de la Deuxième Internationale où cette tendance a défendu les conceptions communistes-marxistes sur la guerre et les tâches du prolétariat (Stuttgart 1907; résolution Lénine-Luxemburg) ce courant était en minorité. Le groupe de la « gauche radicale » (le futur Spartakusbund) en Allemagne, le parti des bolcheviks en Russie, les « tribunistes » en Hollande, le groupe de Jeunes dans une série de pays, formèrent le premier noyau de la nouvelle Internationale.

Fidèle aux intérêts de la classe ouvrière, cette tendance proclama dès le début de la guerre le mot d’ordre de transformation de guerre impérialiste en guerre civile. Cette tendance s’est constituée maintenant en Troisième Internationale.

La conférence socialiste de Berne en février 1919 était une tentative de galvaniser le cadavre de la Deuxième Internationale.

La composition de la conférence de Berne montre manifestement que le prolétariat révolutionnaire du monde n’a rien de commun avec cette conférence.

Le prolétariat victorieux de la Russie, le prolétariat héroïque d’Allemagne, le prolétariat italien, le parti communiste du prolétariat autrichien et hongrois, le prolétariat suisse, la classe ouvrière de la Bulgarie, de la Roumanie, de Serbie, les partis ouvriers de gauche suédois, norvégiens, finlandais, le prolétariat ukrainien, letton, polonais, la Jeunesse Internationale, et l’Internationale des Femmes ont ostensiblement refusé de participer à la conférence de Berne des social-patriotes.

Les participants à la conférence de Berne qui ont encore quelque contact avec le véritable mouvement ouvrier de notre époque, ont formé un groupe d’opposition qui, dans la question essentielle du moins « appréciation de la Révolution russe », se sont opposés aux menées des social-patriotes. La déclaration du camarade français Loriot, qui stigmatisa la majorité de la conférence de Berne comme suppôt de la bourgeoisie, reflète la véritable opinion de tous les ouvriers conscients du monde entier.

Dans la prétendue « question des responsabilités », la conférence de Berne se mouvait toujours dans les cadres de l’idéologie bourgeoise. Les social-patriotes allemands et français se firent mutuellement les mêmes reproches que s’étaient lancés réciproquement les bourgeois allemands et français.

La conférence de Berne se perdit dans des détails mesquins sur telle ou telle démarche de tel ou tel ministre bourgeois avant la guerre, ne voulant pas reconnaître que le capitalisme, le capital financier des deux groupes de puissances et leurs valets social-patriotes étaient les principaux responsables de la guerre.

La majorité des social-patriotes de Berne voulait trouver le principal responsable de la guerre. Un coup d’œil dans le miroir aurait suffi pour qu’ils se reconnaissent tous comme responsables.

Les déclarations de la conférence de Berne sur la question territoriale sont pleines d’équivoques. Cette équivoque est justement ce dont la bourgeoisie a besoin. Monsieur Clemenceau, le représentant le plus réactionnaire de la bourgeoisie impérialiste, a reconnu les mérites de la conférence social-patriote de Berne en face de la réaction impérialiste en recevant une délégation de la conférence de Berne et en lui proposant de participer à toutes les commissions de la conférence impérialiste de Paris.

La question coloniale révéla clairement que la conférence de Berne était à la remorque de ces politiciens libéraux-bourgeois de la colonisation, qui justifient l’exploitation et l’asservissement des colonies par la bourgeoisie impérialiste et cherchent seulement à la masquer par des phrases philanthropiques-humanitaires.

Les social-patriotes allemands exigèrent que l’appartenance des colonies allemandes au Reich soit maintenue, c’est-à-dire le maintien de l’exploitation de ces colonies par le capital allemand. Les divergences qui se manifestèrent à ce sujet démontrent que les social-patriotes de l’Entente ont le même point de vue de négrier, et considèrent comme tout naturel l’asservissement des colonies françaises et anglaises par le capital métropolitain. Ainsi la conférence de Berne montre qu’elle avait bien oublié le mot d’ordre de « A bas la politique coloniale ».

Dans l’appréciation de la « Société des Nations » la conférence de Berne montra qu’elle suivait les traces de ces éléments bourgeois qui, par l’apparence trompeuse de la soi-disant « Ligue des Peuples » veulent bannir la révolution prolétarienne grandissant dans le monde entier. Au lieu de démasquer les menées de la conférence des alliés à Paris, comme celles d’une bande qui fait de l’usure avec les peuplades et les domaines économiques, la conférence de Berne la seconda en se faisant son instrument.

L’attitude servile de la conférence, qui abandonna à une conférence gouvernementale bourgeoise de Paris le soin de résoudre la question de la législation sur la protection du travail, montre que les social-patriotes se sont consciemment exprimés en faveur de la conservation de l’esclavage du salariat capitaliste et sont prêts à tromper la classe ouvrière par de vaines réformes.

Les tentatives inspirées par la politique bourgeoise, de faire prendre à la conférence de Berne une résolution, selon laquelle une intervention armée éventuelle en Russie serait couverte par la Deuxième Internationale, n’échouèrent que grâce aux efforts de l’opposition. Ce succès de l’opposition de Berne remporté sur les éléments chauvins déclarés est pour nous la preuve indirecte que le prolétariat de l’Europe occidentale sympathise avec la révolution prolétarienne de Russie et qu’il est prêt à lutter contre la bourgeoisie impérialiste.

A leur crainte de s’occuper le moins du monde de ce phénomène d’importance historique mondiale on reconnaît la peur qu’éprouvent ces valets de la bourgeoisie devant l’extension des conseils ouvriers.

Les conseils ouvriers constituent le phénomène le plus important depuis la Commune de Paris. La conférence de Berne, en ignorant cette question, a manifesté son indigence spirituelle et sa faillite théorique.

Le congrès de l’internationale Communiste considère « l’Internationale » que la conférence de Berne tente de construire comme une Internationale jaune de briseurs de grèves, qui n’est et ne restera qu’un instrument de la bourgeoisie.

Le congrès invite les ouvriers de tous les pays à entamer la lutte la plus énergique contre l’Internationale jaune et à préserver les masses les plus larges du peuple de cette Internationale de mensonge et de trahison.

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Discours de Lénine sur ses thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne

[Prise de parole de Lénine au sujet de thèses présentées au premier congrès de l’Internationale Communiste.]

Camarades,

Je voudrais ajouter quelques mots aux deux derniers points. Je pense que les camarades qui doivent nous faire le rapport sur la conférence de Berne nous en parleront avec plus de détails.

Pas un mot n’a été dit sur la signification du pouvoir soviétique au cours de toute la conférence de Berne. Il y a deux ans que nous discutions cette question en Russie.

Déjà en avril 1917, au congrès du parti, nous avons posé cette question du point de vue théorique et politique : « Qu’est-ce que le pouvoir soviétique, quelle en est la substance, quelle en est la signification historique ? » Voilà bientôt deux ans que nous étudions cette question et au congrès du parti nous avons adopté une résolution sur ce sujet.

La Freiheit, de Berlin, a publié le 11 février un appel au prolétariat allemand signé non seulement par les chefs des social-démocrates indépendants en Allemagne, mais par tous les membres de la fraction des indépendants.

En août 1918, le plus grand théoricien des indépendants, Kautsky, écrivait dans sa brochure, La dictature du prolétariat, qu’il était partisan de la démocratie et des organes soviétiques mais que les Soviets ne devaient avoir qu’un caractère économique et ne sauraient être reconnus comme organisations d’Etat. Kautsky répète cette affirmation dans les numéros de la Freiheit, en date des 11 novembre et 12 janvier.

Le 9 février paraît un article de Rudolph Hilferding, qui est également considéré comme un des principaux théoriciens autorisés de la II° Internationale. Il propose de fusionner juridiquement, c’est-à-dire par la voie législative, les deux systèmes des Soviets et de l’Assemblée Nationale.

C’était le 9 février. Cette seconde proposition est adoptée par tout le parti des Indépendants et publiée sous forme d’appel.

Malgré que l’Assemblée Nationale existe déjà en fait, même après que la « démocratie pure » a pris corps et réalité, après que les plus grands théoriciens des social-démocrates indépendants aient expliqué que les organisations soviétiques ne sauraient être des organes d’Etat, après et malgré tout cela, il y a encore des hésitations. Cela prouve que ces messieurs n’ont vraiment rien compris au nouveau mouvement et à ses conditions de lutte.

Mais cela prouve en outre, autre chose, à savoir qu’il doit y avoir des circonstances, des motifs déterminant ces hésitations. Lorsque après tous ces événements. après bientôt deux ans de révolution victorieuse en Russie on nous propose de semblables résolutions comme ayant été adoptées à la Conférence de Berne, résolutions dans lesquelles il n’est rien dit des Soviets et de leur signification, et Conférence à laquelle pas un délégué n’a soufflé mot dans un discours quelconque de ces questions, nous avons parfaitement le droit d’affirmer que tous ces messieurs sont morts pour nous en tant que socialistes et théoriciens.

Mais en fait, du point de vue politique, cela prouve, camarades, qu’un grand progrès s’accomplit dans les masses puisque ces indépendants, théoriquement et par principe adversaires de ces organisations d’Etat, nous proposent subitement une sottise telle que la fusion « pacifique » de l’Assemblée Nationale avec le système des Soviets, c’est-à-dire la fusion de la dictature de la bourgeoisie avec la dictature du prolétariat. On voit à quel point ces gens-là ont fait faillite sous les rapports politiques et théoriques et quelle énorme transformation se produit dans les masses.

Les masses arriérées du prolétariat allemand viennent à nous, que dis-je, elle sont venues à nous. Ainsi donc la signification du parti indépendant social-démocrate allemand, la meilleure partie du point de vue théorique et socialiste est égale à zéro; cependant elle conserve une certaine importance dans ce sens que ces éléments nous servent d’indication de l’état d’esprit de la partie la plus arriérée du prolétariat. C’est là à mon avis qu’est l’énorme importance historique de cette conférence.

Nous avons vu quelque chose d’analogue au cours de notre révolution: Nos mencheviks ont subi pas à pas, pour ainsi dire, la même évolution que les théoriciens des indépendants en Allemagne. Lorsqu’ils eurent la majorité dans les Soviets ils étaient pour les Soviets. On n’entendait alors que les cris de : « Vivent les Soviets ! », « Pour les Soviets ! », « Les Soviets et la démocratie révolutionnaire ! ».

Mais, lorsque c’est nous qui eûmes la majorité dans les Soviets, nous bolcheviks, ils entonnèrent d’autres chants : « Les Soviets, déclarèrent-ils, ne doivent pas exister en même temps que l’Assemblée Constituante »; et même certains théoriciens mencheviks proposèrent quelque chose d’analogue à la fusion du système des Soviets avec l’Assemblée Constituante et leur inclusion dans les organisations d’Etat. Une fois de plus il est apparu que le cours général de la révolution prolétarienne est identique dans le monde entier.

D’abord constitution spontanée, élémentaire, des Soviets, puis leur extension et développement, ensuite apparition dans la pratique de la question : Soviets ou Assemblée Nationale Constituante ou bien parlementarisme bourgeois, confusion absolue parmi les chefs et enfin révolution prolétarienne.

Il me semble cependant qu’après bientôt deux ans de révolution nous ne devons pas poser la question de la sorte mais prendre des résolutions concrètes étant donné que la propagation du système des Soviets est pour nous, et particulièrement pour la majorité des pays de l’Europe Occidentale, la plus essentielle des tâches.

L’étranger qui n’a jamais entendu parler du bolchevisme ne peut que bien difficilement se faire une opinion propre sur nos discussions. Tout ce que les bolcheviks affirment, les mencheviks le contredisent et réciproquement. Certes il ne saurait en être autrement au cours de la lutte.

C’est pourquoi il est extrêmement important que la dernière conférence du parti menchevik tenue au mois de décembre 1918, ait adopté une longue résolution détaillée entièrement publiée dans le Journal des typographes, organe menchevik. Dans cette résolution, les menchéviks eux-mêmes exposent brièvement l’historique de la lutte des classes et de la guerre civile.

Il y est dit que les menchéviks condamnent les groupes du parti alliés aux classes possédantes dans l’Oural et dans le Midi, en Crimée et en Géorgie et ils indiquent avec précision toutes ces régions. Les groupes du parti menchévik qui, alliés aux classes possédantes, ont combattu contre le pouvoir soviétique sont maintenant condamnés dans cette résolution.

Mais le dernier point condamne également ceux qui sont passés aux communistes. Il s’ensuit que les mencheviks sont obligés de reconnaître qu’il n’y a point d’unité dans leur parti et qu’ils se tiennent ou bien aux côtés de la bourgeoisie ou aux cotés du prolétariat. Une grande partie des mencheviks est passée à la bourgeoisie et a lutté contre nous pendant la guerre civile.

Naturellement nous poursuivons les mencheviks, nous les faisons même fusiller lorsque, en guerre contre nous, ils combattent notre armée rouge et font fusiller nos officiers rouges. A la bourgeoisie qui nous a déclaré la guerre, nous avons répondu par la guerre prolétarienne : il ne peut y avoir d’autre issue.

Ainsi donc, du point de vue politique, tout cela n’est qu’hypocrisie menchevique. Historiquement, il est incompréhensible que, à la Conférence de Berne, des gens qui ne sont pas officiellement reconnus fous, eussent pu, sur l’ordre des mencheviks et des socialistes révolutionnaires, parler de la lutte des bolcheviks contre eux tout en passant sous silence leur lutte en commun avec la bourgeoisie contre le prolétariat.

Tous ils nous attaquent avec acharnement parce que nous les poursuivons ; c’est exact, mais ils se gardent bien de dire un mot de la part qu’ils ont prise eux-mêmes dans la guerre civile.

Je pense qu’il convient de remettre, pour transcription au procès-verbal, le texte complet de la résolution et je prie les camarades étrangers de lui accorder toute leur attention car elle représente un document historique dans lequel la question est parfaitement posée et qui fournit la meilleure documentation pour l’appréciation de la discussion entre les diverses tendances « socialistes » en Russie.

Entre le prolétariat et la bourgeoisie, il existe une classe de gens inclinant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre; il en fût ainsi toujours et dans toutes. les révolutions, et il est absolument impossible que dans la société capitaliste, où le prolétariat et la bourgeoisie constituent deux camps ennemis opposés, il n’existe pas entre eux des couches sociales intermédiaires. Historiquement l’existence de ces éléments flottants est inévitable ; malheureusement ces éléments qui ne savent pas eux-mêmes de quel côté ils combattront demain existeront encore relativement longtemps.

Je désire faire une proposition concrète tendant à faire adopter une résolution dans laquelle trois points doivent particulièrement être soulignés.

1. Une des tâches les plus importantes pour les camarades des pays de l’Europe Occidentale consiste à expliquer aux masses la signification, l’importance et la nécessité du système des Soviets. On constate sous ce rapport une insuffisante compréhension.

S’il est vrai que Kautsky et Hilferding ont fait faillite en tant que théoriciens, les derniers articles de la Freiheit prouvent cependant qu’ils ont su exprimer exactement l’état d’esprit des parties arriérées du prolétariat allemand. Il est arrivé la même chose chez nous : au cours des huit premiers mois de la révolution russe la question de l’organisation soviétique a été beaucoup discutée, et les ouvriers ne voyaient pas très clairement en quoi consiste le nouveau système, ni si l’on pouvait constituer l’appareil d’Etat avec les Soviets. Dans notre révolution nous avons progressé non par la voie théorique mais par la voie pratique.

Ainsi, par exemple, jamais auparavant nous n’avons posé théoriquement la question de l’Assemblée Constituante et nous n’avons jamais dit que nous ne reconnaissons pas celle-ci.

Ce n’est que plus tard, lorsque les institutions soviétiques se répandirent à travers tout le pays et conquirent le pouvoir politique que nous décidâmes de disperser l’Assemblée Constituante. Nous voyons à présent que la question se pose avec beaucoup plus d’acuité en Hongrie et en Suisse.

D’un côté il est excellent qu’il en soit ainsi; nous puisons dans ce fait la conviction absolue que la révolution avance plus rapidement dans les Etats de l’Europe Occidentale et qu’elle nous apportera de grandes victoires. Mais, d’autre part, il y a un certain danger et c’est à savoir que la lutte sera tellement acharnée et tendue que la conscience des masses ouvrières ne sera pas en mesure de suivre ce rythme.

Encore maintenant la signification du système des Soviets n’est pas claire pour les grandes masses des ouvriers allemands politiquement instruits, parce qu’ils ont été élevés dans l’esprit du parlementarisme et des préjugés bourgeois.

2. Point relatif à la propagation du système des Soviets. Lorsque nous voyons combien rapidement l’idée des Soviets se répand en Allemagne et même en Angleterre, nous pouvons bien nous dire que c’est là une preuve essentielle que la Révolution prolétarienne vaincra. On ne saurait arrêter son cours que pour peu de temps. Mais c’est une tout autre affaire lorsque les camarades Albert et Platten viennent nous déclarer qu’il n’y a guère de Soviets chez eux dans les campagnes, parmi les travailleurs ruraux et la petite paysannerie.

J’ai lu, dans la Rote Fahne, un article contre les Soviets paysans, mais (et c’est absolument juste) pour les Soviets de travailleurs ruraux et de paysans pauvres.

La bourgeoisie et ses valets, tels que Scheidemann et compagnie, ont déjà donné le mot d’ordre de Soviets paysans. Mais nous ne voulons que les Soviets de travailleurs ruraux et de paysans pauvres. Il ressort malheureusement des rapports des camarades Albert et Platten et autres, qu’à l’exception de la Hongrie, on fait bien peu de choses pour l’expansion du système soviétique dans les campagnes.

C’est peut-être là que se trouve un danger pratique assez considérable pour l’obtention de la victoire par le prolétariat allemand. En effet, la victoire ne saurait être considérée comme assurée que lorsque seront organisés non seulement les travailleurs de la ville mais aussi les prolétaires ruraux, et organisés non comme auparavant dans les syndicats et coopératives, mais dans les Soviets.

Nous avons obtenu la victoire plus facilement parce qu’en octobre 1917, nous avons marché ensemble avec toute la paysannerie. Dans ce sens notre révolution était alors bourgeoise.

Le premier pas de notre gouvernement prolétarien consista en ce que les vieilles revendications de toute la paysannerie, exprimées encore sous Kérenski par les Soviets et les assemblées de paysans furent réalisées par la loi édictée par notre gouvernement le 26 octobre (vieux style) 1917, le lendemain de la révolution.

C’est en cela que consista notre force et c’est pour cela qu’il nous fût si facile de conquérir les sympathies de la majorité écrasante.

Pour la campagne, notre révolution continua à être bourgeoise, mais, plus tard, six mois après, nous fûmes contraints de commencer, dans les cadres de l’organisation d’Etat, la lutte des classes dans les campagnes, d’instituer dans chaque village des comités de pauvreté, de demi-prolétaires et de lutter systématiquement contre la bourgeoisie rurale.

C’était inévitable chez nous car la Russie est un pays arriéré. Il en sera tout autrement en Europe Occidentale et c’est pourquoi nous devons souligner la nécessité absolue de l’expansion du système des Soviets aussi dans la population rurale en des formes correspondantes et peut-être nouvelles.

3. Nous devons dire que la conquête de la majorité communiste dans les Soviets constitue la principale tâche dans tous les pays où le pouvoir soviétique n’a pas encore triomphé.

Notre commission de résolutions a étudié hier cette question. Peut-être d’autres camarades voudront-ils aussi dire leur opinion mais je désirerais proposer qu’on adopte ce troisième point sous forme de résolution spéciale.

Il va sans dire que nous ne saurions prescrire sa voie de développement.

Il est tout à fait probable que, dans beaucoup d’Etats de l’Europe Occidentale, la révolution éclatera très prochainement; en tous cas, nous, en qualité de fraction organisée des ouvriers et du Parti, nous tendons et devons tendre à obtenir la majorité dans les Soviets.

Alors notre victoire sera assurée et il n’y aura plus de force en mesure d’entreprendre quoi que ce soit contre la révolution communiste.

Autrement la victoire ne sera pas si facile à atteindre et ne sera pas de longue durée.

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Lénine au premier congrès de l’Internationale Communiste : Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne

[4 mars 1919]

1. La croissance du mouvement révolutionnaire prolétarien dans tous les pays suscite les efforts convulsifs de la bourgeoisie et des agents qu’elle possède dans les organisations ouvrières pour découvrir les arguments philosophico-politiques capables de servir à la défense de la domination des exploiteurs.

La condamnation de la dictature et la défense de la démocratie figurent au nombre de ces arguments. Le mensonge et l’hypocrisie d’un tel argument répété à satiété dans la presse capitaliste et à la conférence de l’Internationale jaune de Berne en février 1919 sont évidents pour tous ceux qui ne tentent pas de trahir les principes fondamentaux du socialisme.

2. D’abord, cet argument s’appuie sur les conceptions de « démocratie en général » et de « dictature en général », sans préciser la question de la classe. Poser ainsi le problème, en dehors de la question de classes, en prétendant considérer l’ensemble de la nation, c’est proprement se moquer de la doctrine fondamentale du socialisme, à savoir la doctrine de la lutte de classes, acceptée en paroles, mais oubliée en fait par les socialistes passés dans le camp de la bourgeoisie.

Car, dans aucun pays civilisé, dans aucun pays capitaliste, il n’existe de démocratie en général : il n’y a que la démocratie bourgeoise. Il ne s’agit pas davantage de la dictature exercée par la classe opprimée, c’est-à-dire par le prolétariat, sur les oppresseurs et les exploiteurs, sur la classe bourgeoise, dans le but de triompher de la résistance des exploiteurs luttant pour leur domination.

3. L’histoire enseigne qu’aucune classe opprimée n’est jamais parvenue à la domination, et n’a pu y parvenir sans passer par une période de dictature pendant laquelle elle s’empare du pouvoir politique et abat par la force la résistance désespérée, exaspérée, qui ne s’arrête devant aucun crime, qu’ont toujours opposée les exploiteurs.

La bourgeoisie dont aujourd’hui la domination est soutenue par les socialistes qui pérorent sur la dictature en général et qui se démènent en faveur de la démocratie en général a conquis le pouvoir dans les pays civilisés au prix d’une série d’insurrections, de guerres civiles, de l’écrasement par la force – des rois, des nobles, des propriétaires d’esclaves – et par la répression des tentative de restauration.

Des milliers de fois, les socialistes de tous les pays ont expliqué au peuple le caractère de classe de ces révolutions bourgeoises, dans leurs livres, dans leurs brochures, dans les résolutions de leurs congrès, dans leurs discours de propagande.

C’est pourquoi cette défense actuelle de la démocratie bourgeoise au moyen de discours sur la « dictature en général », tous ces cris et ces pleurs contre la dictature du prolétariat sous prétexte de condamner « la dictature en général », ne sont qu’une trahison véritable du socialisme, qu’une désertion caractérisée au profit de la bourgeoisie, qu’une négation du droit du prolétariat à sa révolution prolétarienne.

C’est défendre le réformisme bourgeois, précisément à l’heure où il a fait faillite dans le monde entier, alors que la guerre a créé un état de choses révolutionnaire.

4. Tous les socialistes en démontrant le caractère de classe de la civilisation bourgeoise, de la démocratie bourgeoise, du parlementarisme bourgeois, ont exprimé cette idée déjà formulée, avec le maximum d’exactitude scientifique par Marx et Engels que la plus démocratique des républiques bourgeoises ne saurait être autre chose qu’une machine à opprimer la classe ouvrière à la merci de la bourgeoisie, la masse des travailleurs à la merci d’une poignée de capitalistes.

Il n’y a pas un seul révolutionnaire, pas un seul marxiste parmi ceux qui crient aujourd’hui contre la dictature et pour la démocratie qui n’ait juré ses grands dieux devant les ouvriers qu’il acceptait cette vérité fondamentale du socialisme ; et maintenant que le prolétariat révolutionnaire est en fermentation et en mouvement, qu’il tend à détruire cette machine d’oppression et à conquérir la dictature du prolétariat, ces traîtres au socialisme voudraient faire croire que la bourgeoisie a donné aux travailleurs la « démocratie pure », comme si la bourgeoisie avait renoncé à toute résistance et était prête à obéir à la majorité des travailleurs, comme si, dans une république démocratique, il n’y avait pas une machine gouvernementale faite pour opérer l’écrasement du travail par le capital.

5. La Commune de Paris, que tous ceux qui veulent passer pour socialistes honorent en paroles, parce qu’ils savent que les masses ouvrières sont pleines d’une vive et sincère sympathie pour elle, a montré avec une particulière netteté la relativité historique, la valeur limitée du parlementarisme bourgeois et de la démocratie bourgeoise, institutions marquant un très grand progrès par rapport à celles du moyen-âge, mais exigeant nécessairement une réforme fondamentale à l’époque de la révolution prolétarienne.

Marx, qui a apprécié mieux qu’aucun autre l’importance historique de la Commune, a prouvé en l’analysant le caractère d’exploitation de la démocratie et du parlementarisme bourgeois, régime sous lequel les classes opprimées recouvrent le droit de décider en un seul jour pour une période de plusieurs années quel sera le représentant des classes possédantes qui représentera et opprimera le peuple au Parlement.

Et c’est à l’heure où le mouvement soviétiste embrassant le monde entier, continue aux yeux de tous l’œuvre de la Commune que les traîtres du socialisme oublient l’expérience concrète de la Commune de Paris, et répètent les vieilles sornettes bourgeoises sur la « démocratie en général ». La Commune n’était pourtant pas une institution parlementaire.

6. La valeur de la Commune consiste, ensuite en ce qu’elle a tenté de bouleverser, de détruire de fond en comble l’appareil gouvernemental bourgeois dans l’administration, dans la justice, dans l’armée, dans la police, en le remplaçant par l’organisation autonome des masses ouvrières, sans reconnaître aucune distinction des pouvoirs législatif et exécutif.

Toutes les démocraties bourgeoises contemporaines, sans excepter la République allemande que les traîtres du socialisme appellent prolétarienne en dépit de la vérité, conservent au contraire le vieil appareil gouvernemental. Ainsi, il se confirme une fois de plus, de façon absolument évidente, que tous ces cris en faveur de la démocratie ne servent en réalité qu’à défendre la bourgeoisie et ses privilèges de classe exploiteuse.

7. La liberté de réunion peut être prise pour exemple des principes de la démocratie pure.

Tout ouvrier conscient qui n’a pas rompu avec sa classe, comprendra du premier coup qu’il serait insensé de permettre la liberté de réunion aux exploiteurs, dans un temps et dans les circonstances où des exploiteurs s’opposent à leur déchéance et défendent leurs privilèges. La bourgeoisie, quand elle était révolutionnaire, soit en Angleterre en 1649, soit en France en 1793, n’a jamais accordé la liberté de réunion aux monarchistes ni aux nobles qui appelaient les troupes étrangères et « se réunissaient » pour organiser des tentatives de restauration.

Si la bourgeoisie d’aujourd’hui, qui depuis longtemps est devenue réactionnaire, réclame du prolétariat qu’il garantisse à l’avance, malgré toute la résistance que feront les capitalistes à leur expropriation, la liberté de réunion pour les exploiteurs, les ouvriers ne pourront que rire de l’hypocrisie de cette bourgeoisie.

D’autre part, les ouvriers savent très bien que la liberté de réunion, même dans la république bourgeoise la plus démocratique, est une phrase vide de sens, puisque les riches possèdent les meilleurs édifices publics et privés, ainsi que le loisir nécessaire pour se réunir sous la protection de cet appareil gouvernemental bourgeois.

Les prolétaires de la ville et de la campagne et les petits paysans, c’est-à-dire l’immense majorité de la population, ne possèdent ni l’un ni l’autre. Tant qu’il en est ainsi, l’égalité, c’est-à-dire la démocratie pure est un leurre.

Pour conquérir la véritable légalité, pour réaliser vraiment la démocratie au profit des travailleurs, il faut préalablement enlever aux exploiteurs toutes les riches demeures publiques et privées, il faut préalablement donner des loisirs aux travailleurs, il faut que la liberté de leurs réunions soit protégée par des ouvriers armés et non point par les officiers hobereaux ou capitalistes avec des soldats à leur dévotion.

C’est seulement alors que l’on pourra, sans se moquer des ouvriers, des travailleurs, parler de liberté de réunion et d’égalité. Or, qui peut accomplir cette réforme, sinon l’avant-garde des travailleurs, le prolétariat, par le renversement des exploiteurs et de la bourgeoisie ?

8. La liberté de la presse est également une des grandes devises de la démocratie pure. Encore une fois, les ouvriers savent que les socialistes de tous les pays ont reconnu des millions de fois que cette liberté est un mensonge, tant que les meilleures imprimeries et les plus gros stocks de papier sont accaparés par les capitalistes, tant que subsiste le pouvoir du capital dans le monde entier avec d’autant plus de clarté, de netteté et de cynisme que le régime démocratique et républicain est plus développé, comme par exemple en Amérique.

Afin de conquérir la véritable égalité et la vraie démocratie dans l’intérêt des travailleurs, des ouvriers et des paysans, il faut commencer par enlever au capital la faculté de louer les écrivains, d’acheter et de corrompre des journaux et des maisons d’édition, et pour cela il faut renverser le joug du capital, renverser les exploiteurs, briser leur résistance. Les capitalistes appellent liberté de la presse la faculté pour les riches de corrompre la presse, la faculté d’utiliser leurs richesses pour fabriquer et pour soutenir la soi-disant opinion publique.

Les défenseurs de la « démocratie pure » sont en réalité une fois de plus des défenseurs du système vil et corrompu de la domination des riches sur l’instruction des masses ; ils sont ceux qui trompent le peuple et le détournent avec de belles phrases mensongères, de cette nécessité historique d’affranchir la presse de son assujettissement au capital. De véritable liberté ou égalité, il n’y en aura que dans le régime édifié par les communistes, dans lequel il serait matériellement impossible de soumettre la presse directement ou indirectement au pouvoir de l’argent, dans lequel rien n’empêchera chaque travailleur, ou chaque groupe de travailleurs, de posséder ou d’user, en toute égalité, du droit de se servir des imprimeries et du papier de l’Etat.

9. L’histoire du XIX° siècle et du XX° siècle nous a montré, même avant la guerre, ce qu’était la fameuse démocratie pure sous le régime capitaliste. Les marxistes ont toujours répété que plus la démocratie était développée, plus elle était pure, plus aussi devait être vive, acharnée et impitoyable la lutte des classes, et plus apparaissait purement le joug du capital et la dictature de la bourgeoisie. L’affaire Dreyfus de la France républicaine, les violences sanglantes des détachements soudoyés et armés par les capitalistes contre les grévistes dans la république libre et démocratique d’Amérique, ces faits et des milliers d’autres semblables découvrent cette vérité qu’essaye en vain de cacher la bourgeoisie, que c’est précisément dans les républiques les plus démocratiques que règnent en réalité la terreur et la dictature de la bourgeoisie, terreur et dictature qui apparaissent ouvertement chaque fois qu’il semble aux exploiteurs que le pouvoir du capital commence à être ébranlé.

10. La guerre impérialiste de 1914-1918 a définitivement manifesté, même aux yeux des ouvriers non éclairés, ce vrai caractère de la démocratie bourgeoise, même dans les républiques les plus libres – comme caractère de dictature bourgeoise.

C’est pour enrichir un groupe allemand ou anglais de millionnaires ou de milliardaires qu’ont été massacrés des dizaines de millions d’hommes et qu’a été instituée la dictature militaire de la bourgeoisie dans les républiques les plus libres. Cette dictature militaire persiste, même après la défaite de l’Allemagne dans les pays de l’Entente.

C’est la guerre qui, mieux que tout, a ouvert les yeux aux travailleurs, a arraché les faux appas à la démocratie bourgeoise, a montré au peuple tout l’abîme de la spéculation et du lucre pendant la guerre et à l’occasion de la guerre.

C’est au nom de la liberté et de l’égalité que la bourgeoisie a fait cette guerre; c’est au nom de la liberté et de l’égalité que les fournisseurs aux armées ont amassé des richesses inouïes. Tous les efforts de l’Internationale jaune de Berne n’arriveront pas à dissimuler aux masses le caractère d’exploitation actuellement manifeste de la liberté bourgeoise, de l’égalité bourgeoise, de la démocratie bourgeoise.

11. Dans le pays capitaliste le plus développé d’Europe, en Allemagne, les premiers mois de cette complète liberté républicaine, apportée par la défaite de l’Allemagne impérialiste, ont révélé aux ouvriers allemands et au monde entier le caractère de classe de la république démocratique bourgeoise.

L’assassinat de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg est un événement d’une importance historique universelle, non seulement par la mort tragique des hommes et des chefs les meilleurs de la vraie Internationale prolétarienne et communiste, mais encore parce qu’il a manifesté dans l’Etat le plus avancé d’Europe et même, on peut le dire, du monde entier, la véritable essence du régime bourgeois.

Si des gens en état d’arrestation, c’est-à-dire pris par le pouvoir gouvernemental des social-patriotes sous sa garde, ont pu être tués impunément par des officiers et des capitalistes, c’est que la république démocratique dans laquelle un pareil événement a été possible n’est que la dictature de la bourgeoisie.

Les gens qui expriment leur indignation au sujet de l’assassinat de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg, mais qui ne comprennent pas cette vérité, ne font que montrer par là leur bêtise ou leur hypocrisie.

La liberté, dans une des républiques du monde les plus libres et les plus avancées, dans la république allemande, est la liberté de tuer impunément les chefs du prolétariat en état d’arrestation, et il ne peut en être autrement, tant que subsiste le capitalisme, car le développement du principe démocratique, loin d’affaiblir, ne fait que surexciter la lutte de classes qui, par suite des répercussions et des influences de la guerre, a été portée à son point d’ébullition.

Dans tout le monde civilisé, on expulse aujourd’hui les bolcheviks, on les poursuit, on les emprisonne, comme par exemple dans une des plus libres républiques bourgeoises, en Suisse ; on massacre les bolcheviks en Amérique, etc.

Du point de vue de la démocratie en général ou de la démocratie pure, il est tout à fait ridicule que les Etats civilisés et avancés, démocratiques, armés jusqu’aux dents, craignent la présence de quelques dizaines d’hommes venus de la Russie retardataire, affamée, ruinée, de cette Russie que, dans leurs dizaines de millions d’exemplaires, les journaux bourgeois appellent sauvage, criminelle, etc. Il est clair que les conditions sociales dans lesquelles une contradiction aussi criante a pu naître réalisent en réalité la dictature de la bourgeoisie.

12. Dans un tel état de choses, la dictature du prolétariat n’est pas seulement absolument légitime, en tant qu’instrument propre au renversement des exploiteurs et à l’écrasement de leur résistance, mais encore absolument indispensable pour toute la masse laborieuse, comme le seul moyen de défense contre la dictature de la bourgeoisie qui a causé la guerre et qui prépare de nouvelles guerres.

Le point le plus important, que ne comprennent pas les socialistes et qui constitue leur myopie théorique, leur emprisonnement dans les préjugés bourgeois et leur trahison politique envers le prolétariat, c’est que dans la société capitaliste, dès que s’aggrave la lutte des classes qui est à sa base, il n’y a pas de milieu entre la dictature de la bourgeoisie et la dictature du prolétariat. Tous les rêves d’une solution intermédiaire ne sont que lamentations réactionnaires de petits bourgeois.

La preuve en est apportée par l’expérience du développement de la démocratie bourgeoise et du mouvement ouvrier depuis plus d’un siècle dans tous les pays civilisés et en particulier par l’expérience des cinq dernières années.

C’est aussi la vérité qu’enseigne toute la science de l’économie politique, tout le contenu du marxisme qui explique par quelle nécessité économique naît la dictature de la bourgeoisie, et comment elle ne peut être remplacée que par une classe développée multipliée, fortifiée et devenue très cohérente par le développement même du capitalisme, c’est-à-dire la classe des prolétaires.

13. Une autre erreur théorique et politique des socialistes, consiste à ne pas comprendre que les formes de la démocratie ont constamment changé pendant le cours des siècles, depuis ses premiers germes dans l’antiquité, à mesure qu’une classe dominante était remplacée par une autre. Dans les anciennes républiques de la Grèce, dans les cités du moyen-âge, dans les pays capitalistes civilisés, la démocratie revêt des formes diverses et un degré d’adaptation différent.

Ce serait la plus grande sottise de croire que la révolution la plus profonde dans l’histoire de l’humanité, que le passage du pouvoir, pour la première fois au monde, d’une minorité d’exploiteurs à la majorité d’exploités, puisse se produire dans les vieux cadres de la démocratie bourgeoise et parlementaire, puisse se produire sans brisures nettes, sans que se créent de nouvelles institutions incarnant ces nouvelles conditions de vie, etc.

14. La dictature du prolétariat ressemble à la dictature des autres classes parce qu’elle est provoquée, comme toute espèce de dictature, par la nécessité de réprimer violemment la résistance de la classe qui perd la domination politique.

Le point fondamental qui sépare la dictature du prolétariat de celle des autres classes, de la dictature des éléments féodaux au moyen-âge, de la dictature de la bourgeoisie dans tous les pays civilisés capitalistes, consiste en ce que la dictature des éléments féodaux et de la bourgeoisie était l’écrasement violent de la résistance de l’énorme majorité de la population, de la classe laborieuse, tandis que la dictature du prolétariat est l’écrasement, par la force, de la résistance des exploiteurs, c’est-à-dire d’une infime minorité de la population: les propriétaires fonciers et les capitalistes.

Il s’ensuit encore que la dictature du prolétariat entraîne inévitablement non seulement une modification des formes et des institutions démocratiques en général, mais encore une modification telle qu’elle aboutit à une extension jusqu’alors inconnue du principe démocratique en faveur des classes opprimées par le capitalisme, en faveur des classes laborieuses.

En effet, la forme de la dictature du prolétariat, déjà élaborée en fait, c’est-à-dire le pouvoir des Soviets en Russie, le Raete Système en Allemagne, les Shop Stewards Committees et autres institutions analogues dans les autres pays, signifie précisément et réalise pour les classes laborieuses, c’est-à-dire pour l’énorme majorité de la population, une faculté rapide de profiter des droits et libertés démocratiques comme il n’y en a jamais eu, même d’approchants, dans les républiques bourgeoises les meilleures et les plus démocratiques.

L’essence du pouvoir des Soviets consiste en ce que la base constante et unique de tout le pouvoir gouvernemental, c’est l’organisation des masses jadis opprimées par les capitalistes, c’est-à-dire les ouvriers et les demi-prolétaires (paysans n’exploitant pas le travail d’autrui et ayant constamment besoin de vendre une partie au moins de leur force de travail).

Ce sont ces masses qui, même dans les républiques bourgeoises les plus démocratiques, tout en jouissant de l’égalité selon la loi, étaient écartées en réalité par des milliers de coutumes et de manœuvres de toute participation à la vie politique, de tout usage de droits et de libertés démocratiques et qui maintenant sont appelées à prendre une part considérable et obligatoire, une part décisive à la gestion démocratique de l’Etat.

15. L’égalité de tous les citoyens, indépendamment du sexe, de la religion, de la race, de la nationalité, que la démocratie bourgeoise a toujours et partout promise, mais n’a réalisée nulle part et qu’étant donné la domination du capitalisme, elle ne pouvait pas réaliser, le pouvoir des Soviets ou la dictature du prolétariat la réalise tout d’un coup et complètement, car seul il est en état de réaliser le pouvoir des ouvriers qui ne sont pas intéressés à la propriété privée, aux moyens de production, à la lutte pour leur partage et leur distribution.

16. La vieille démocratie, c’est-à-dire la démocratie bourgeoise et le parlementarisme, était organisée de telle façon que les masses laborieuses étaient de plus en plus éloignées de l’appareil gouvernemental.

Le pouvoir des Soviets, c’est-à-dire la dictature du prolétariat, est au contraire construit de façon à rapprocher les masses laborieuses de l’appareil gouvernemental. Au même but tend la réunion du pouvoir législatif et exécutif dans l’organisation soviétiste de l’Etat, ainsi que la substitution aux circonscriptions électorales territoriales d’unités de travail, comme les usines et les fabriques.

17. Ce n’est pas seulement sous la monarchie que l’armée était un instrument d’oppression. Elle l’est restée dans toutes les républiques bourgeoises, même les plus démocratiques.

Seul le pouvoir des Soviets, en tant qu’organisation permanente des classes opprimées par le capitalisme est capable de supprimer la soumission de l’armée au commandement bourgeois et de fondre réellement le prolétariat avec l’armée, en réalisant l’armement du prolétariat et le désarmement de la bourgeoisie, sans lesquels est impossible le triomphe du socialisme.

18. L’organisation soviétiste de l’Etat est adaptée au rôle directeur du prolétariat comme classe concentrée au maximum et éduquée par le capitalisme. L’expérience de toutes les révolutions et de tous les mouvements des classes opprimées, l’expérience du mouvement socialiste dans le monde entier nous enseignent que seul le prolétariat est en état d’unifier et de conduire les masses éparses et retardataires de la population laborieuse et exploitée.

19. Seule l’organisation soviétiste de l’Etat peut réellement briser d’un coup et détruire définitivement le vieil appareil bourgeois, administratif et judiciaire qui s’est conservé et devait inévitablement se conserver sous le capitalisme, même dans les républiques les plus démocratiques, puisqu’il était de fait le plus grand empêchement à la mise en pratique des principes démocratiques en faveur des ouvriers et des travailleurs. La Commune de Paris a fait, dans cette voie, le premier pas d’une importance historique universelle; le pouvoir des Soviets a fait le second.

20. L’anéantissement du pouvoir gouvernemental est le but que se sont proposés tous les socialistes. Marx le premier. Sans réalisation de ce but, la vraie démocratie, c’est-à-dire l’égalité et la liberté, est irréalisable. Or, le seul moyen pratique d’y arriver est la démocratie soviétiste ou prolétarienne, puisque, appelant à prendre une part réelle et obligatoire au gouvernement les organisations des masses laborieuses, elle commence dès maintenant à préparer le dépérissement complet de tout gouvernement.

21. La complète banqueroute des socialistes réunis à Berne, leur incompréhension absolue de la démocratie prolétarienne nouvelle apparaissent particulièrement dans ce qui suit : le 10 février 1919, Branting clôturait à Berne la conférence internationale de l’Internationale jaune.

Le 11 février 1919, à Berlin, était imprimé dans le journal de ses coreligionnaires Die Freiheit une proclamation du parti des Indépendants au prolétariat. Dans cette proclamation est reconnu le caractère bourgeois du gouvernement de Scheidemann, auquel on reproche son désir d’abolir les Soviets appelés les messagers et les défenseurs de la Révolution, auquel on demande de légaliser les Soviets, de leur donner les droits politiques, le droit de vote contre les décisions de l’Assemblée Constituante, le référendum demeurant juge en dernier ressort.

Cette proclamation dénote la complète faillite des théoriciens qui défendaient la démocratie sans comprendre son caractère bourgeois.

Cette tentative ridicule de combiner le système des Soviets, c’est-à-dire la dictature du prolétariat, avec l’Assemblée Constituante, c’est-à-dire la dictature de la bourgeoisie, dévoile jusqu’au bout, à la fois la pauvreté de pensée des socialistes jaunes et des social-démocrates, leur caractère réactionnaire de petits bourgeois et leurs lâches concessions devant la force irrésistiblement croissante de la nouvelle démocratie prolétarienne.

22. En condamnant le bolchevisme, la majorité de l’Internationale de Berne, qui n’a pas osé voter formellement un ordre du jour correspondant à sa pensée, par crainte des masses ouvrières, a agi justement de son point de vue de classe. Cette majorité est complètement solidaire des mencheviks et socialistes révolutionnaires russes, ainsi que des Scheidemann allemands.

Les mencheviks et socialistes révolutionnaires russes, en se plaignant d’être poursuivis par les bolcheviks, essayent de cacher le fait que ces poursuites sont causées par la part prise par les mencheviks et les socialistes révolutionnaires à la guerre civile du côté de la bourgeoisie contre le prolétariat.

Les Scheidemann et leur parti ont déjà montré de la même façon en Allemagne qu’ils prenaient la même part à la guerre civile du côté de la bourgeoisie contre les ouvriers.

Il est, par suite, tout. à fait naturel que la majorité des participants de l’Internationale jaune de Berne se soit prononcée contre les bolcheviks ; par là s’est manifesté, non point le désir de défendre la démocratie pure, mais le besoin de se défendre eux-mêmes, chez des gens qui sentent et qui savent que dans la guerre civile ils sont du côté de la bourgeoisie contre le prolétariat.

Voilà pourquoi, du point de vue de la lutte de classes, il est impossible de ne pas reconnaître la justesse de la décision de la majorité de l’Internationale jaune. Le prolétariat ne doit pas craindre la vérité, mais la regarder en face et tirer les conclusions qui en découlent.

Sur la base de ces thèses, et en considération des rapports des délégués des différents pays, le congrès de l’Internationale Communiste déclare que la tâche principale des partis communistes, dans les diverses régions où le pouvoir des Soviets n’est pas encore constitué, consiste en ce qui suit :

1° Eclairer le plus largement les masses de la classe ouvrière sur la signification historique de la nécessité politique et pratique d’une nouvelle démocratie prolétarienne, qui doit prendre la place de la démocratie bourgeoise et du parlementarisme ;

2° Elargir et organiser des Soviets dans tous les domaines de l’industrie, dans l’armée, dans la flotte, parmi les ouvriers agricoles et les petits paysans ;

3° Conquérir, à l’intérieur des Soviets, une majorité communiste, sûre et consciente.

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Lénine : discours d’ouverture du premier congrès de l’Internationale Communiste

[2 mars 1919]

Par mandat du Comité Central du Parti Communiste russe, j’ouvre le premier Congrès international.

Avant tout, je vous prie de vous lever pour honorer la mémoire des meilleurs représentants de la III° Internationale, de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg.

Camarades, notre Congrès revêt une grande importance dans l’histoire mondiale. Il démontre la banqueroute de toutes les illusions de la démocratie bourgeoise. La guerre civile est devenue un fait, non seulement en Russie, mais dans les pays capitalistes les plus développés, par exemple en Allemagne.

La bourgeoisie est affolée de terreur devant le mouvement révolutionnaire prolétarien qui grandit. Cela se comprend, parce que toute la marche des événements depuis la fin de la guerre impérialiste renforce inévitablement le mouvement révolutionnaire du prolétariat, et que la révolution internationale mondiale commence et grandit dans tous les pays.

Le peuple se rend compte de la grandeur et de l’importance de cette lutte. Il fallait trouver la forme pratique qui permît au prolétariat d’exercer sa domination. Cette forme, c’est le régime des Soviets avec la dictature du prolétariat.

La dictature du prolétariat : ces mots étaient « du latin » pour les masses jusqu’à nos jours. Maintenant, grâce au système des Soviets, ce latin est traduit dans toutes les langues modernes; la forme pratique de la dictature est trouvée par les masses populaires.

Elle est devenue intelligible à la grande masse des ouvriers grâce au pouvoir des Soviets en Russie, aux spartakistes en Allemagne, à des organisations analogues dans les autres pays, tels les Shop Stewards Committees en Angleterre. Tout cela prouve que la forme révolutionnaire de la dictature prolétarienne est trouvée et que le prolétariat est en train d’exercer sa domination de fait.

Camarades !

Je pense qu’après les événements en Russie, après les combats de janvier en Allemagne, il importe surtout de noter que la forme nouvelle du mouvement du prolétariat se manifeste et se fraie une voie dans d’autres pays aussi.

Aujourd’hui, j’ai lu dans un journal anglais antisocialiste un télégramme annonçant que le gouvernement anglais avait reçu le soviet de délégués ouvriers de Birmingham et lui avait promis de reconnaître les Soviets comme des organisations économiques. Le système soviétique a remporté la victoire non seulement dans la Russie arriérée, mais dans le pays le plus civilisé de l’Europe : l’Allemagne, et dans le plus vieux pays capitaliste : l’Angleterre.

La bourgeoisie peut sévir; elle peut assassiner encore des milliers d’ouvriers – mais la victoire est à nous, la victoire de la révolution communiste mondiale est assurée.

Camarades !

Je vous souhaite cordialement la bienvenue au nom de notre Comité Central.

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Lettre d’invitation au Parti Communiste d’Allemagne pour le premier congrès de l’Internationale Communiste

Chers Camarades !

Les partis et organisations soussignés considèrent que la convocation du premier Congrès de la nouvelle Internationale révolutionnaire est d’une nécessité urgente.

Au cours de la guerre et de la révolution s’est manifesté non seulement la faillite complète des anciens partis socialistes et social-démocrates et en même temps de la Deuxième Internationale, non seulement l’incapacité des éléments intermédiaires de l’ancienne social-démocratie (dite « Centre ») à l’action révolutionnaire effective, mais actuellement on voit déjà se dessiner les contours de la véritable Internationale révolutionnaire.

Le mouvement ascendant extrêmement rapide de la révolution mondiale posant constamment de nouveaux problèmes, le danger d’étouffement de cette révolution par l’alliance des Etats capitalistes s’unissant contre la révolution sous le drapeau hypocrite de la « Société des Nations », les tentatives des partis social-traîtres de s’unir et d’aider de nouveau leurs gouvernements et leurs bourgeoisies à trahir la classe ouvrière après s’être accordé une « amnistie » réciproque ; enfin l’expérience révolutionnaire extrêmement riche déjà acquise et l’internationalisation de tout le mouvement révolutionnaire – toutes ces circonstances nous obligent à prendre l’initiative de mettre à l’ordre du jour de la discussion la question de la convocation d’un Congrès international des partis prolétariens révolutionnaires.

I. – LES BUTS ET LA TACTIQUE

La reconnaissance des paragraphes suivants, établis ici comme programme et élaborés sur la base des programmes du Spartakusbund en Allemagne et du Parti communiste (bolcheviks) en Russie doit, selon nous, servir de base à la nouvelle Internationale.

I. La période actuelle est celle de la décomposition et de l’effondrement de tout le système capitaliste mondial et sera celle de l’effondrement de la civilisation européenne en général, si on ne détruit pas le capitalisme avec ses contradictions indissolubles.

2. La tâche du prolétariat consiste à présent à prendre le pouvoir d’Etat. La prise du pouvoir d’Etat signifie la destruction de l’appareil d’Etat de la bourgeoisie et l’organisation d’un nouvel appareil du pouvoir prolétarien.

3. Le nouvel appareil du pouvoir doit représenter la dictature de la classe ouvrière et à certains endroits aussi celle des petits paysans et des ouvriers agricoles, c’est-à-dire, qu’il doit être l’instrument du renversement systématique de la classe exploiteuse et celui de son expropriation.

Non pas la fausse démocratie bourgeoise – cette forme hypocrite de la domination de l’oligarchie financière – avec son égalité purement formelle, mais la démocratie prolétarienne, avec la possibilité de réaliser la liberté des masses laborieuses ; non pas le parlementarisme, mais l’auto-administration de ces masses par leurs organismes élus ; non pas la bureaucratie capitaliste, mais des organes d’administration créés par les masses elles-mêmes, avec la participation réelle de ces masses à l’administration du pays et à l’activité de l’édification socialiste – voilà quel doit être le type de l’Etat prolétarien. Le pouvoir des conseils ouvriers ou des organisations ouvrières est sa forme concrète.

4. La dictature du prolétariat doit être le levier de l’expropriation immédiate du capital, de l’abolition de la propriété privée sur les moyens de production et de la transformation de cette propriété en propriété populaire.

La socialisation (par socialisation on entend ici l’abolition de la propriété privée qui est remise à l’Etat prolétarien et à l’administration socialiste de la classe ouvrière) de la grande industrie et des banques, ses centres d’organisation ; la confiscation des terres des grands propriétaires fonciers et la socialisation de la production agricole capitaliste ; la monopolisation du commerce ; la socialisation des grands immeubles dans les villes et des grandes propriétés à la campagne ; l’introduction de l’administration ouvrière et la centralisation des fonctions économiques entre les mains des organismes émanants de la dictature prolétarienne – voilà les problèmes essentiels du jour.

5. Pour la sécurité de la révolution socialiste, pour sa défense contre des ennemis intérieurs et extérieurs, pour l’aide aux autres fractions nationales du prolétariat en lutte, etc., le désarmement complet de la bourgeoisie et de ses agents, et l’armement général du prolétariat sont nécessaires.

6. La situation mondiale exige maintenant le contact le plus étroit entre les différentes parties du prolétariat révolutionnaire et l’union complète des pays dans lesquels la révolution socialiste a triomphé.

7. La méthode fondamentale de la lutte est l’action de masse du prolétariat, y compris la lutte ouverte à main armée contre le pouvoir d’Etat du capital.

Il. – RAPPORTS AVEC LES PARTIS « SOCIALISTES »

8. La II° Internationale s’est partagée en trois groupes principaux : les social-patriotes déclarés qui, pendant toute la guerre impérialiste des années 1914-1918 soutenaient leur propre bourgeoisie et transformaient la classe ouvrière en bourreau de la révolution internationale ; le « centre » dont le dirigeant théorique est actuellement Kautsky, et qui représente une organisation d’éléments constamment oscillants, incapables de suivre une ligne directrice déterminée, et agissant parfois en véritables traîtres ; enfin, l’aile gauche révolutionnaire.

9. A l’égard des social-patriotes, qui partout, aux instants critiques, s’opposent les armes à la main à la révolution prolétarienne, seul la lutte implacable est possible. A l’égard du « centre » – la tactique de l’effritement des éléments révolutionnaires, critique impitoyable, et démasquer les chefs. A une certaine étape du développement, la séparation organisatrice des gens du centre est absolument nécessaire.

10. D’autre part le bloc est nécessaire avec ces éléments du mouvement révolutionnaire qui, tout en n’ayant pas appartenu autrefois au parti socialiste, se placent maintenant dans l’ensemble sur le terrain de la dictature prolétarienne sous la forme du pouvoir soviétique. Ce sont en première ligne les éléments syndicalistes du mouvement ouvrier.

11. Enfin, il est nécessaire d’attirer tous les groupes et organisations prolétariennes qui, tout en ne s’étant pas ralliés ouvertement au courant révolutionnaire de gauche, manifestent néanmoins dans leur développement une tendance dans cette direction.

12. Concrètement, nous proposons que participent au Congrès les représentants des partis, tendances et groupes suivants (les membres à pleins droits de la Troisième Internationale seront des partis tout à fait autres et qui se placeront entièrement sur son terrain) :
1. Le Spartakusbund (Allemagne) ; 
2. Le Parti Communiste (Bolchevik) (Russie) ; 
3. Le Parti Communiste de l’Autriche allemande ; 
4. Celui de la Hongrie ; 
5. Celui de la Finlande ; 
6. Le Parti Communiste Ouvrier polonais ; 
7. Le Parti Communiste d’Estonie ; 
8. Celui de la Lettonie ; 
9. Celui de la Lituanie ; 
10. Celui de la Russie Blanche ; 
11. Celui de l’Ukraine ; 
12. Les éléments révolutionnaires du parti social-démocrate tchèque ; 
13. Le Parti social-démocrate bulgare (étroits) ; 
14. Le P. s.-d. roumain ; 
15. L’aile gauche du parti s.-d. serbe ; 
16. La gauche du parti s.-d. suédois ; 
17. Parti s.-d. norvégien ; 
18. Pour le Danemark le groupe Klassenkampen ; 
19. Le Parti communiste hollandais ; 
20. Les élément révolutionnaires du parti ouvrier belge ; 
21 et 22. Les groupes et organisations à l’intérieur du mouvement socialiste et syndicaliste français, qui, dans l’ensemble se solidarisent avec Loriot ; 
23. La gauche s.-d. de la Suisse ; 
24. Le parti socialiste italien ; 
25. Les éléments révolutionnaires du P.S. espagnol ; 
26. Les éléments de gauche du parti socialiste portugais ; 
27. Les partis socialistes britanniques (avant tout le courant représenté par Mac Lean) ; 
28. S. L. P. (Angleterre) ; 
29. I. W. W. (Angleterre) ; 
30. I. W. of Great Britain ; 
31. Les éléments révolutionnaires des organisations ouvrières de l’Irlande ; 
32. Les élément révolutionnaires des shop stewards (Grande-Bretagne) ; 
33. S. L. P. (Amérique) ; 
34. Les éléments de gauche du P. S. d’Amérique (la tendance représentée par Debi et la Ligue de Propagande Socialiste) ; 
35. I. W. W. Amérique; 
36. I. W. W. (Australie) ; 
37. Workers International Industrial Union (Amérique) ; 
38. Les groupes socialistes de Tokyo et de Yokohama (représentés par le cam. Katayama) ; 
39. L’Internationale socialiste des Jeunes (représentée par le cam. Münzenberg).

III. – LA QUESTION DE L’ORGANISATION ET LE NOM DU PARTI

13. La base de la Troisième Internationale est donnée par le fait que dans différentes parties de l’Europe se sont déjà formés des groupes et des organisations de camarades d’idées, se plaçant sur une plate-forme commune et employant en gros les mêmes méthodes tactiques. Ce sont en premier lieu les spartakistes en Allemagne et les partis communistes dans beaucoup d’autres pays.

14. Le Congrès doit faire paraître, en vue d’une liaison permanente et d’une direction méthodique du mouvement un organe de lutte commun, centre de l’Internationale Communiste, subordonnant les intérêts du mouvement de chaque pays aux intérêts communs de la révolution à l’échelle internationale. Les formes concrètes de l’organisation, de la représentation, etc., seront élaborées par le Congrès.

15. Le Congrès devra prendre le nom de « Premier Congrès de l’Internationale Communiste », les différents partis devenant sections de celle-ci. Théoriquement Marx et Engels déjà ont trouvé faux le nom de « social-démocrate ». L’effondrement honteux de l’Internationale social-démocrate exige ici aussi une séparation. Enfin le noyau fondamental du grand mouvement est déjà formé par une série de partis qui ont pris ce nom.

Considérant ce qui vient d’être dit, nous proposons à toutes les organisations et partis frères de mettre à l’ordre du jour la question de la convocation du Congrès Communiste International.

Avec notre salut socialiste.

Le Comité Central du Parti Communiste Russe (Lénine, Trotsky).

Le Bureau étranger du Parti Ouvrier Communiste de Pologne (Karsky).

Le Bureau étranger du Parti Ouvrier Communiste de Hongrie (Rudnianszky).

Le Bureau étranger du Parti Ouvrier Communiste de l’Autriche allemande (Duda).

Le Bureau russe du Comité Central du Parti Communiste de Lettonie (Rosing).

Le Comité Central du Parti Communiste de Finlande (Sirola).

Le Comité Exécutif de la Fédération Social-démocrate Révolutionnaire Balkanique (Rakovsky).

Pour le S. L. P. (Amérique) (Reinstein)

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Après le premier congrès de l’Internationale Communiste: un début d’intégration

Les échecs en Europe centrale impliquèrent une accentuation des initiatives de l’Internationale Communiste vers des pays comme l’Angleterre, la France, l’Italie, ainsi que les États-Unis. On a ainsi la dénonciation, comme le 13 mai 1919, du traité de Versailles, avec un appel aux prolétaires de France, d’Angleterre, d’Amérique et d’Italie, puisque la situation des ouvriers allemands et autrichiens dépendaient désormais de l’application des accords impitoyables du traité par les pays victorieux.

Cependant, au-delà de cette orientation générale, il y avait deux axes très concrets. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste avait comme objectif de récupérer les meilleurs activistes d’un côté, même s’ils étaient trop gauchistes, et d’accueillir les structures révolutionnaires de masse, même si elles étaient trop droitières.

En janvier 1920, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste écrivit en ce sens aux IWW (Industrial Workers of the World), une structure syndicaliste révolutionnaire alors importante aux États-Unis. C’était la tentative d’expliquer les principes communistes et l’importance de l’intervention politique que refusaient justement les syndicalistes.

« Un seul grand syndicat », « Nous voulons la terre » : affiche du syndicat américain Industrial Workers of the World,
qui s’était opposé à la première guerre mondiale et regroupait environ 60 000 membres.

Cet espoir dans les courants syndicalistes-révolutionnaire, voire anarchistes, était alors très fort ; dans la même idée, le KAPD, une importante scission anti-syndicats du KPD, reçut également une lettre ouverte le 2 juin 1920, où il fut proposé d’envoyer des délégués pour le prochain congrès de l’Internationale Communiste, mais à condition d’en accepter les règles.

Il y eut également une circulaire sur la question parlementaire et celle des soviets qui fut diffusée, afin de souligner qu’affirmer le pouvoir des soviets n’excluait pas d’utiliser tactiquement le parlement.

Ce document du 1er septembre 1919 note de manière par ailleurs positive l’existence d’un groupe dénommé « Parti Communiste » en France. C’est notable, car cette petite structure rassemblant syndicalistes-révolutionnaires et anarchistes et fondé par Raymond Péricat était en décalage total par rapport aux bolcheviks.

Son organe de presse, Le communiste, se définissait d’ailleurs étant l’Organe Officiel du Parti Communiste et des soviets adhérant à la Section Française de la IIIe Internationale de Moscou, des Conseils Ouvriers, de Paysans et de Soldats, sombrant dès décembre 1919 en une « Fédération communiste des soviets » disparaissant rapidement.

Pareillement, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste publia un communiqué pour les cinq ans de l’assassinat de Jean Jaurès, le 31 juillet 1919. Normalement, quand il est parlé de ce dernier, sa dimension social-patriote est toujours dénoncée comme l’autre aspect de son pacifisme. Ce n’est pas le cas ici, seulement l’activité anti-guerre de Jean Jaurès étant soulignée, avec son positionnement contre l’alliance entre les réactionnaires français et russes. C’est que le communiqué a une forme bien particulière, celle d’une lettre destinée à Fernand Loriot.

Ce dernier, qui s’avérera lui aussi un syndicaliste plus que toute autre chose, était le chef de file des partisans de la IIIe Internationale chez les socialistes français, qui étaient quant à eux encore totalement à l’écart d’une avancée vers la révolution russe et Lénine.

Mais cela n’excluait donc nullement la tentative par le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste de se tourner également vers les larges masses oscillant plutôt à droite, mais passant à gauche.

Le 22 septembre 1919, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste écrivit une lettre au congrès de Bologne du Parti Socialiste italien, qui fut effectivement un grand succès pour elle. Le Comité Central du PSI avait, le 19 mars 1919, choisit de rejoindre l’Internationale Communiste, ce qui fut confirmé par le congrès de Bologne. Le PSI obtint même 156 députés sur 508 en novembre, mais le souci était qu’il n’avait pas expulsé la minorité hostile à l’Internationale Communiste, qui avait Filippo Turati à sa tête.

Propagande du Parti Socialiste italien
pour les élections de 1919

Le 17 janvier 1920, une lettre dans le même esprit fut envoyée au congrès de Strasbourg du Parti Socialiste SFIO. Ce congrès fut également un succès, puisque 4300 délégués contre 300 décidèrent d’abandonner la seconde Internationale, bien que 3000 contre 1600 refusèrent, pour l’instant, l’adhésion à l’Internationale Communiste.

Il y eut également un travail de fond en direction des socialistes de gauche organisées dans l’USPD, ce que le KPD bien plus petit n’appréciait guère, considérant que ce parti était trop ancré dans le réformisme. Cependant, en décembre 1919, à son congrès de Lepizig, 227 délégués de l’USPD sur 54 votèrent pour quitter la seconde Internationale et 169 contre 114 pour rejoindre l’Internationale Communiste.

Aussi, une lettre fut envoyée à la fois à l’USPD et au KPD, le 5 février 1920, insistant sur la nécessité pour l’USPD d’aller au bout de son raisonnement. Le 27 mai 1920, une seconde lettre dénonça que la première n’ait pas été rendue publique à la base de l’USPD ; une troisième fut envoyée le 21 juin 1920, rappelant que le prochain congrès de l’Internationale Communiste allait se tenir et qu’il n’était pas possible de ne pas être présent.

Un autre fait marquant fut qu’en décembre 1919, les socialistes espagnols votèrent à 14 000 voix pour la seconde Internationale, mais à 12 500 voix pour l’Internationale Communiste. La tendance à l’affirmation de l’Internationale Communiste l’emportait, mais c’était une tendance de fond encore seulement.

L’espoir d’une affirmation extrêmement rapide, telle qu’elle s’était exprimée au premier congrès de l’Internationale Communiste, ne se concrétisait pas tel quel. Le second congrès devra en fait faire face au défi de l’intégration et de la formation d’une nouvelle génération.

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Après le premier congrès de l’Internationale Communiste: entre désillusion et affirmation

Entre le premier et le second congrès de l’Internationale Communiste, il fut largement oscillé entre désillusion et une solide affirmation de la perspective. Cela se lit particulièrement dans les communiqués des premiers mai 1919 et 1920.

De fait, dans son communiqué du premier mai 1919, l’Internationale Communiste peut souligner que la mise en place de cette journée internationale des travailleurs datait de 1889, soit d’alors il y a trente ans.

Le premier mai fut en effet décidé par la seconde Internationale lors de son congrès de Paris. La troisième Internationale est le prolongement de la seconde Internationale, avec la mise à l’écart des opportunistes ; elle peut affirmer, triomphaliste, sa victoire imminente :

« Notre Internationale Communiste prend dans ses mains l’organisation de la fête internationale du premier mai (…).

Il n’y a pas de voie médiane. Ou bien la dictature sanglante des généraux bourreaux, qui tuent des centaines de milliers d’ouvriers et de paysans au profit d’une bande de banquiers, ou bien la dictature de la classe ouvrière, c’est-à-dire de la majorité opprimée des travailleurs, qui désarme la bourgeoisie, forme son armée rouge et libère la planète entière de l’esclavage (…).

La tempête commence. Les flammes incendiaires de la révolution prolétarienne s’attise avec une force irrépressible dans toute l’Europe. Le moment se rapproche qui était attendu par nos prédécesseurs et maîtres, et qui a été prévu par les fondateurs géniaux du socialisme scientifique, Marx et Engels.

Notre drapeau rouge, coloré par le sang du cœur de générations entières de grands combattants et martyrs de la classe ouvrière, ce drapeau flotte dans le monde entier (…).

Nos mots d’ordre :

Vive la dictature du prolétariat du monde entier !

Vive la république soviétique internationale !

En défense des républiques soviétiques russe, hongroise, bavaroise !

Vive l’armée rouge internationale !

Vive la troisième Internationale !

Vive le communisme !

Vive le premier mai communiste ! (…)

La seconde Internationale est morte. Le communisme est arrivé dans les rues. La révolution communiste grandit sous nos yeux. Une république soviétique en Russie, une république soviétique en Hongrie, une république en Bavière – ce sont les résultats des récentes luttes de la classe ouvrière.

En 1919, la grande Internationale Communiste est née. En 1920, la grande République soviétique internationale naîtra. »

Cependant, en 1920, le communiqué du premier mai a un ton bien différent. Les républiques soviétiques hongroise et bavaroise se sont effondrées ; les martyrs sont nombreux dans l’ensemble de l’Allemagne, pays où les sociaux-démocrates s’opposaient frontalement à la révolution. La situation devenait par contre plus favorable en Italie et en France.

Les choses avançaient, mais tout apparaissait comme plus complexe et le communiqué est donc bien plus prudent :

« L’année qui vient ouvre un chapitre nouveau, peut-être le plus important dans l’histoire de notre lutte pour la libération de toute l’humanité du joug du capitalise.

Puisse la fête du premier mai 1920 être celle du triomphe de l’internationale Communiste (…). Notre victoire est certaine. Le prolétariat va mettre en place le pouvoir soviétique dans le monde entier. Vive le premier mai ! »

C’était une remise en perspective.

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Le premier congrès de l’Internationale Communiste et la mise en place du Comité Exécutif

Symboliquement, des participants de la conférence de Zimmerwald publièrent dans la foulée de la fondation de l’Internationale Communiste un document annonçant la dissolution du bureau en étant issue et annonçant que ses documents devaient être remis à l’Internationale Communiste.

La conférence devenue congrès se prononça ensuite contre la renaissance des sociaux-démocrates, considérés comme désormais seulement des sociaux-chauvins ou des centristes, puis l’accord fut fait sur un manifeste.

Un Comité Exécutif de l’Internationale Communiste fut mis en place avec un représentant chacun des partis de Russie, d’Allemagne, de l’Autriche allemande, de Hongrie, de la fédération balkanique, de Suisse, de Scandinavie.

Il se réunit pas mal 56 fois entre le premier et le second congrès, cherchant d’un côté à organiser, de l’autre à promouvoir les conceptions communistes.

L’Internationale Communiste, revue publiée notamment en allemand, en anglais,
en français et en russe.

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste intervint ainsi notamment pour les événements ou célébrations les plus notables, comme la tentative de coup d’État militaire en Allemagne au début de l’année 1920, l’anniversaire du martyr de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, à l’occasion du 8 mars, etc.

A cela s’ajoutent différentes déclarations et appels, comme un Appel à la jeunesse, une déclaration au prolétariat de la zone danubo-balkanique et aux Partis Communistes de Bulgarie, de Roumanie, de Serbie et de Turquie, une déclaration au congrès du Parti socialiste de Norvège et à celui du Parti Communiste de Finlande, à celui des communistes et des socialistes de gauche de Scandinavie, etc.

Sur le plan de l’organisation, un événement marquant fut l’annonce en juin 1920 de la tenue du second congrès en juillet, à Moscou, fut l’annonce de la tenue d’un congrès des peuples de l’Orient, à Bakou. Il y eut également une lettre envoyée aux États-Unis, où existaient deux structures se revendiquant de l’Internationale Communiste, ce qui était incohérent et exigeait par conséquent une fusion.

A la fin de l’année 1919, un bureau de l’Internationale Communiste fut également mis en place à Amsterdam, mais en raison de nombreux positionnements gauchistes, il dut au bout de quelques mois s’effacer devant le secrétariat occidental de l’Internationale Communiste, à Berlin, fondé pareillement dans la foulée du congrès.

Le symbole employé par l’Internationale Communiste pour sa revue : un ouvrier brisant des chaînes enserrant la planète

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste prit bien entendu position contre les sociaux-démocrates s’enferrant dans le refus de la révolution. En avril 1920, la conférence internationale syndicale fut la cible de grandes attaques. Le congrès de Lucerne de la seconde internationale fut vigoureusement dénoncé le 15 juillet 1919 ; ce congrès parvint cependant à organiser un comité qui réalisa un congrès international à Genève en juillet 1920, unifiant les sociaux-démocrates allemands, anglais, belge, danois, hollandais, suédois.

L’intervention impérialiste contre la Russie soviétique fut bien sûr la cible récurrente des interventions de l’Internationale Communiste, avec des appels à des expressions de solidarité comme le 18 juin 1919, ou de multiples avertissements quant aux menées militaires anti-soviétiques polonaises (comme le 17 février 1920, le 18 mai 1920), d’ailleurs soutenues par la France avec de nombreux stocks d’armes et même 600 officiers.

Toutefois, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste s’évertua surtout à chercher à mobiliser ses partisans dans deux zones politiques bien délimitées : les milieux syndicalistes-révolutionnaires et anarchistes d’un côté, la gauche de la social-démocratie de l’autre. Cela était imposé par les défaites immédiates marquant l’histoire de l’Europe centrale.

Car l’Internationale Communiste accorda bien entendu une place importante à la formation de républiques soviétiques en Hongrie et en Bavière, avec un appel au soutien, à la mobilisation… Mais en en juillet 1919, l’Internationale Communiste devait dresser un constat terrible :

« A tous ! A tous !

Un monstrueux crime est en train d’être commis, duquel en comparaison tous les méfaits des classes possédantes pendant la guerre semblent bien pâles.

Les impérialistes anglais et français encerclent la République soviétique hongroise de tous les côtés, afin de noyer dans le sang les ouvriers hongrois, la révolution hongroise.

Les féodaux roumains incitent leurs troupes, trompés par la noblesse, contre la Hongrie.

Depuis deux autres directions, les gouvernements tchécoslovaques et yougoslaves s’activent contre la Hongrie, sous l’impulsion des impérialistes français. »

La chute de la république soviétique hongroise fut également présentée dans un communiqué du 5 août 1919, qui dénonce vigoureusement les sociaux-démocrates ayant, dans les pays occidentaux, saboté la grève de soutien prévu pour le 21 juillet 1919.

Cela ne changeait rien au problème, aggravé par la défaite de la république soviétique bavaroise. Tout un élan était en partie brisé.

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Le premier congrès de l’Internationale Communiste: conférence et congrès

Le fait que des révolutionnaires se réunissent dans un pays où la révolution a été un succès ne pouvait que produire une dynamique.

Le troisième jour, les délégués du Parti Communiste de l’Autriche allemande, le Parti des sociaux-démocrates de gauche de Suède, la Fédération ouvrière social-démocrate révolutionnaire des Balkans et le Parti Communiste de Hongrie rendirent un document commun appelant à la fondation de l’Internationale Communiste.

Trois raisons furent nommées : l’unité des communistes se battant sur le même terrain, la crainte de se voir déborder par une formation d’une Internationale opportuniste se profilant, le fait qu’une non-fondation donnerait l’image d’un échec après s’être retrouvé à Moscou.

La réponse du délégué du Parti Communiste d’Allemagne fut immédiate, longue et conséquente. Elle se résume bien avec la constatation suivante :

« Je suis très surpris de voir que le représentant de la Suède demande la fondation de la IIIe Internationale et soit obligé d’admettre qu’il n’y a pas encore en Suède d’organisation purement communiste, qu’il n’existe qu’un grand groupe communiste à l’intérieur du Parti social-démocrate suédois. »

Ce n’était pas tout à fait exact, car les Suédois étaient sortis pour fondeur leur propre structure, cependant l’idée était là : les communistes étaient pour l’instant somme toute regroupés dans des petites structures à l’ombre de la social-démocratie. Selon lui, si l’on y regardait bien, on n’avait aucune idée de qui suivrait réellement les délégués.

Le délégué allemand mentionna également l’absence de l’Italie, de la Belgique, du Portugal, même de la France (puisque Jacques Sadoul était présent depuis longtemps en Russie) ; aussi expliqua-t-il :

« Il y a tellement peu d’organisations s’impliquant dans la fondation de la III Internationale qu’il est difficile d’apparaître ainsi devant l’opinion publique.

Il est par conséquent nécessaire, avant d’avancer à la fondation, de faire connaître au monde notre plate-forme et d’exiger des organisations communistes qu’elles annoncent si elles sont prêtes à fonder avec nous la IIIe Internationale. »

La réponse de Zinoviev fut la suivante :

« Vous vouliez auparavant la fondation formelle de Partis Communistes dans tous les pays ? Vous avez une révolution victorieuse, c’est davantage qu’une fondation formelle.

Vous avez en Allemagne un Parti qui avance au pouvoir et qui formera dans quelques mois un gouvernement prolétarien.

Et donc nous devrions hésiter ? On ne nous comprendrait pas. »

Le Parti Communiste de Finlande intervint alors, se posant pour la fondation de la IIIe Internationale, soulignant également que si une orientation tactique était décidée, alors cela montrait bien qu’une nouvelle structure était née de toutes façons.

A part le délégué allemand, les prises de paroles soulignaient également que la conférence devait devenir congrès, car elle se situait dans le prolongement de la gauche de Zimmerwald, qui s’était opposé à la guerre mondiale. Les luttes de classes faisant également rage, il ne fallait pas tergiverser.

Et de fait, à part les cinq voix abstentionnistes du Parti Communiste d’Allemagne, tous les délégués, y compris ceux avec les voix consultatives, votèrent pour la fondation de l’Internationale Communiste. C’était un premier aléa dans l’histoire du Parti Communiste d’Allemagne, dont les complications et la voie tortueuse n’en finira pas tout au long du développement de l’Internationale Communiste.

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Le premier congrès de l’Internationale Communiste et les discussions sur la ligne

Si le délégué allemand exprima les doutes du KPD, le paradoxe est que c’est lui qui, avec Boukharine, écrivit la proposition de lignes directrices pour l’Internationale Communiste. Les débats de la conférence portaient précisément sur ces orientations.

La question syndicale fut vite réglée. Malgré les énormes différences selon les pays – le délégué allemand souligna que le mouvement révolutionnaire affrontait les syndicats car ceux-ci se positionnaient ouvertement comme obstacle – il fut admis par tous (sauf les Norvégiens) que les syndicats devaient se transformer pour aller dans le sens de la révolution. Cette question, apparemment secondaire, devrait ressurgir par la suite, une fois les Partis Communistes établis solidement.

Le second point, Démocratie bourgeoise ou dictature du prolétariat ?, formait un point d’achoppement plus particulier entre communistes russes et communistes allemands, alors que par ailleurs, le document n’était alors disponible encore qu’en russe et en allemand.

C’est Lénine qui prit la parole pour faire un très long rapport à ce sujet. Il souligne qu’il n’existait pas de démocratie « pure », au-delà des classes, et que telle était l’erreur des socialistes.

La classe ouvrière devait inéluctablement organiser sa dictature pour briser la contre-révolution ; la Commune de Paris de 1871 formait un exemple historique de démantèlement de l’ancien État. Le pouvoir soviétique était le phénomène d’actualisation du nouveau pouvoir.

Lénine était très critique à ce sujet des communistes des autres pays qui, à part en Hongrie, n’avaient justement pas su propager l’idée des soviets et expliquer leur nature. C’était pourtant là, selon lui, la clef décidant du développement de la révolution mondiale.

Dans son intervention, Lénine explique à ce sujet que :

« Une des tâches les plus importantes pour les camarades des pays de l’Europe Occidentale consiste à expliquer aux masses la signification, l’importance et la nécessité du système des Soviets. On constate sous ce rapport une insuffisante compréhension.

S’il est vrai que Kautsky et Hilferding ont fait faillite en tant que théoriciens, les derniers articles de la Freiheit prouvent cependant qu’ils ont su exprimer exactement l’état d’esprit des parties arriérées du prolétariat allemand.

Il est arrivé la même chose chez nous : au cours des huit premiers mois de la révolution russe la question de l’organisation soviétique a été beaucoup discutée, et les ouvriers ne voyaient pas très clairement en quoi consiste le nouveau système, ni si l’on pouvait constituer l’appareil d’État avec les Soviets.

Dans notre révolution nous avons progressé non par la voie théorique mais par la voie pratique. Ainsi, par exemple, jamais auparavant nous n’avons posé théoriquement la question de l’Assemblée Constituante et nous n’avons jamais dit que nous ne reconnaissons pas celle-ci.

Ce n’est que plus tard, lorsque les institutions soviétiques se répandirent à travers tout le pays et conquirent le pouvoir politique que nous décidâmes de disperser l’Assemblée Constituante.

Nous voyons à présent que la question se pose avec beaucoup plus d’acuité en Hongrie et en Suisse.

D’un côté il est excellent qu’il en soit ainsi; nous puisons dans ce fait la conviction absolue que la révolution avance plus rapidement dans les États de l’Europe Occidentale et qu’elle nous apportera de grandes victoires.

Mais, d’autre part, il y a un certain danger et c’est à savoir que la lutte sera tellement acharnée et tendue que la conscience des masses ouvrières ne sera pas en mesure de suivre ce rythme.

Encore maintenant la signification du système des Soviets n’est pas claire pour les grandes masses des ouvriers allemands politiquement instruits, parce qu’ils ont été élevés dans l’esprit du parlementarisme et des préjugés bourgeois. »

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Le premier congrès de l’Internationale Communiste et la vague révolutionnaire en formation

L’idée de Lénine était en 1919 la suivante : la révolution russe a réussi, il y a une effervescence en Allemagne, la gauche de la social-démocratie devient souvent communiste et le principe des « soviets » se répand comme méthode universelle d’organisation prolétarienne. Il faut donc battre le fer quand il est chaud.

Tel n’était pas le point de vue du KPD. Le délégué du Parti Communiste d’Allemagne prit ainsi le premier la parole lors de ce qui a suivi les rapports : le débat sur la ligne de l’Internationale Communiste. Il souligna que le communistes allemands n’étaient nullement contre la fondation de celle-ci, mais que contrairement aux communistes russes et finlandais, ils pensaient qu’il fallait de la prudence et y aller par étapes.

Le délégua allemand expliqua qu’il y avait la crainte d’une cérémonie pompeuse de fondation, pour des résolutions finalement de papier ; les travailleurs appréhendaient selon lui une telle démarche dans les pays occidentaux. On reconnaît bien entendu ici le traumatisme de l’échec de la seconde Internationale, qui s’est brisée sur le déclenchement de la première guerre mondiale.

De plus, il insista sur les tâches pratiques, demandant un haut niveau de structuration encore impossible à atteindre, et liées à l’objectif de la prise du pouvoir. Or, selon lui, c’est incompatible avec la présence au congrès de gauches de la social-démocratie n’ayant somme toute pas encore fait une réelle rupture avec l’esprit de conciliation avec la bourgeoisie.

Lénine parmi les délégués du premier congrès
de l’Internationale communiste

Ce n’était pas l’approche des communistes russes, qui envisageaient les choses de manière particulièrement dynamique.

Pour cette raison, les voix des délégués ne dépendaient pas de la taille de leur parti, mais de l’importance de leur pays. Ils étaient considérés comme les représentants de leur prolétariat et on voit bien qu’il est considéré que, rapidement, les communistes feraient la conquête des masses.

Ainsi, au premier congrès, où il y a 35 délégués avec une voix décisionnelle, on a le Parti Communiste de Russie qui dispose de 5 voix, tout comme le Parti Communiste d’Allemagne, la Gauche française dite de Zimmerwald et le SLP américain. Or, si les communistes russes ont pris en charge un État, si les communistes allemands ont une base de masse et une longue expérience historiquement, ni les Français ni les Américains ne disposent de quelque chose de réellement ancré.

Leur importance est déterminée par leur situation historique dans le capitalisme et par le potentiel historique en résultant.

Ont trois voix les délégués de pays de taille moyenne : le Parti Communiste de l’Autriche allemande, le Parti Communiste de Hongrie, la gauche de la social-démocratie suédoise, le Parti social-démocrate de Norvège, le Parti social-démocrate de Suisse, la Fédération révolutionnaire balkanique (les Tesnjaki bulgares et le Parti Communiste roumain), le Parti Communiste de Pologne, le Parti Communiste de Finlande, le Parti Communiste d’Ukraine.

Ce sont là des organisations motivées, déterminées, avec un véritable engagement, une réelle conscience de l’enjeu historique.

Disposent d’une voix le Parti Communiste de Lettonie, celui de Lituanie et de Biélorussie, celui d’Estonie, celui d’Arménie, celui des colonies allemandes (en Russie), ainsi que le groupe unifié des peuples orientaux de Russie.

De manière consultative sont présentes plusieurs organisations, comme le groupe communiste français, le groupe communiste tchèque, le SDP de Hollande, le groupe communiste des Slaves du sud, etc.

En pratique, tout cela ne représente pas grand-chose, voire rien du tout à part les Russes et les Allemands, ainsi que les Finlandais et les Hongrois, mais aussi les Bulgares et les Norvégiens. Toutefois, c’était une initiative marquante dans un contexte explosif. Rien que la tenue d’une telle conférence, alors que la Russie était entièrement coupée du reste de l’Europe et pratiquement inaccessible en transports, était un grand marqueur politique.

Les participants au congrès en avaient tout à fait conscience.

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Le premier congrès de l’Internationale Communiste comme conférence se focalisant sur l’Allemagne

Pour Lénine, dès lors que les spartakistes partaient à l’assaut du ciel, alors la IIIe Internationale existe déjà concrètement. Or, les communistes allemands considéraient quant à eux qu’il était prématuré de fonder l’Internationale Communiste. Le premier congrès de l’Internationale Communiste allait donc trouver une voie.

Concrètement, celui-ci s’est déroulé du 2 au 19 mars 1919, à Moscou ; ce n’est que le troisième jour qu’il fut rendu public, afin de faciliter son organisation exigeant souvent des voyages clandestins pour les délégués présents.

Le premier congrès de l’Internationale Communiste

Son objectif, c’était donc sa propre fondation. Il s’agit en effet d’un congrès constitutif et par conséquent ce qui comptait avant tout, c’est l’assentiment du Parti Communiste d’Allemagne au projet. Preuve des difficultés, le délégué allemand insista, avec succès, pour que le congrès s’ouvre simplement comme « conférence communiste ».

Le premier rapport prononcé fut d’ailleurs celui du délégué du Parti Communiste d’Allemagne, qui présenta la situation après l’échec de l’insurrection de janvier et parla d’une grande actualité révolutionnaire, avec une économie allemande prête à s’effondrer alors qu’il y a de larges mouvements de masse.

Auparavant, Lénine, qui avait ouvert le congrès, avait également demandé en premier lieu aux personnes présentes de se lever en l’honneur des « meilleurs représentants de la IIIe Internationale, Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg », assassinés lors de l’échec de la révolution allemande.

Dans le discours de clôture, Lénine souligna pareillement le rapport entre les bolcheviks russes et les spartakistes allemands :

« Que la bourgeoisie du monde entier continue à sévir, qu’elle pourchasse, emprisonne et même assassine spartakistes et bolcheviks, cela ne lui servira de rien. Cela ne pourra qu’éclairer les masses et les déterminer à s’affranchir de leurs vieux préjugés bourgeois démocratiques et à se retremper dans la lutte.

La victoire de la révolution prolétarienne est assurée dans le monde entier : la constitution de la République Soviétique Internationale est en marche. »

La question allemande est donc présente à tous les niveaux ; la question de la révolution mondiale était celle de la révolution allemande. C’était Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg qui avaient porté le flambeau de l’élargissement de la vague révolutionnaire commencée en Russie et tout reposait désormais sur la capacité des communistes d’Allemagne.

Signe de l’hégémonie de cette question, lorsque le délégué français, Jacques Sadoul, prend la parole, la première chose qu’il fait est de s’excuser… pour ne parler ni allemand, « la langue du socialisme international », ni russe, « qui sera demain déjà la langue du communisme international », ne parlant que le français, « qu’on doit qualifier de langue de la révolution d’autrefois ».

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La légitimité du premier congrès de l’Internationale Communiste

Lorsque Lénine revint d’exil, il écrivit les thèses d’avril 1917 qu’il exposa aux bolcheviks : il y avait l’espace pour une prise du pouvoir par les masses. Un nouveau régime pouvait être institué :

« Non pas une république parlementaire, – y retourner après les Soviets des députés ouvriers serait un pas en arrière, – mais une république des Soviets de députés ouvriers, salariés agricoles et paysans dans le pays tout entier, de la base au sommet. »

Parmi les points exposant ce programme qui allait se concrétiser dans la révolution d’Octobre 1917, Lénine mentionne notamment celui-ci :

« Rénover l’Internationale. Prendre l’initiative de la création d’une Internationale révolutionnaire, d’une Internationale contre les sociaux-chauvins et contre le « centre ». »

Lénine exposait ainsi la nécessité de dépasser la seconde Internationale, dont les dirigeants avaient soutenu la première guerre mondiale impérialiste et par conséquent trahis. Cependant, cela impliquait aussi le rejet de ceux relativement peu critiques du nationalisme ou bien se cantonnant dans une position intermédiaire, « centriste ».

Il fallait quelque chose de franc, en rupture avec les pseudos-pacifismes petit-bourgeois. Ce point fut également souligné lors de la septième conférence de Russie du Parti Ouvrier Social-Démocrate (bolchevik) de Russie, s’étant tenue du 7 au 12 mai 1917.

Lénine, le 4 avril 1917, exposant ses thèses à la tribune du Soviet des députés des travailleurs et des soldats de Pétrograd

Début 1919, alors que l’armée rouge organisée protégeait et développait la révolution d’Octobre 1917, Lénine considéra que la réalisation de cette nouvelle Internationale était souhaitable et nécessaire. La Pravda publia le 24 janvier 1919 une invitation internationale à ce sujet.

La fondation de l’Internationale Communiste s’appuyait avant tout sur un constat : le mouvement révolutionnaire allemand s’est mis à la hauteur du mouvement révolutionnaire russe, au sens où il est parti à l’assaut du pouvoir et ce de manière armée, avec comme mot d’ordre le pouvoir soviétique.

Ainsi, un mois même avant la tenue du premier congrès de l’Internationale Communiste, Lénine constatait qu’elle existait déjà dans les faits. Dans sa Lettre aux Ouvriers d’Europe et d’Amérique, publié le 24 janvier 1919 dans la Pravda, il affirmait de manière très claire :

« Le 20 août 1918, seul notre parti, le Parti bolchévik, avait résolument rompu avec l’ancienne Internationale, la IIe Internationale des années 1889-1914, qui avait fait honteusement faillite pendant la guerre impérialiste de 1914-1918.

Seul notre parti s’était entièrement engagé dans une voie nouvelle, abandonnant un socialisme et un social-démocratisme déshonorés par leur alliance avec la bourgeoisie exploiteuse, pour passer au communisme ; abandonnant le réformisme et l’opportunisme petit-bourgeois qui imprégnaient et imprègnent entièrement les partis officiels social- démocrates et socialistes, pour adopter une tactique véritablement prolétarienne, une tactique révolutionnaire.

Maintenant, le 12 janvier 1919, nous voyons déjà nombre de partis prolétariens communistes, non seulement dans le cadre de l’ancien empire du tsar, par exemple en Lettonie, en Finlande, en Pologne, mais aussi en Europe occidentale, en Autriche, en Hongrie, en Hollande et, enfin, en Allemagne.

Lorsque la «Ligue Spartacus» allemande, conduite par ces chefs illustres, connus du monde entier, ces fidèles partisans de la classe ouvrière que sont Liebknecht, Rosa Luxembourg, Clara Zetkin, Franz Mehring, eut rompu définitivement tout lien avec les socialistes comme Scheidemann et Südekum, avec ces social-chauvins (socialistes en paroles et chauvins en fait), qui se sont à jamais déshonorés par leur alliance avec la bourgeoisie impérialiste, spoliatrice, d’Allemagne et avec Guillaume II, lorsque la «Ligue Spartacus » se fut intitulée « Parti communiste d’Allemagne», alors la fondation de la IIIe Internationale, de l’Internationale Communiste, véritablement prolétarienne, véritablement internationaliste, véritablement révolutionnaire, devint un fait.

Formellement, cette fondation n’a pas encore été consacrée, mais, en réalité, la IIIe Internationale existe dès à présent. »

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Le fini, l’infini et le caractère inépuisable de la matière

Le matérialisme dialectique affirme le caractère inépuisable de la matière. L’univers est seulement matériel et il est infini. Cela signifie qu’il n’existe aucun espace ni aucun temps sans matière, que la matière est partout et toujours présente. Qu’on aille dans l’infiniment petit ou l’infiniment grand, que l’on se tourne vers le passé, le présent ou l’avenir, on aura toujours la matière et uniquement la matière.

Cet aspect de la matière s’oppose dialectiquement à un autre aspect : celui de sa continuité. Le matérialisme dialectique affirme, en effet, que la matière forme un tout, un ensemble où tout est inter-relié. A aucun moment on ne peut trouver une chose ou un phénomène qui soit indivisible, isolé, irréductiblement indépendant du reste.

Le paradoxe dialectique de l’univers

Il y a ici un paradoxe dialectique. D’un côté, l’univers est composé d’une infinité de choses par conséquent différentes, qu’on peut distinguer. De l’autre, l’univers est absolument continu, il ne connaît aucune division, tout relevant d’une seule et même réalité d’une richesse infinie, mais unifiée.

D’un côté, il n’y a qu’une seule détermination, celle de l’univers formant un ensemble où tout est inter-relié, où rien n’existe sans être en rapport avec tout le reste. De l’autre, il y a une infinité de choses déterminées, chaque chose, chaque phénomène possédant sa propre unité et par conséquent sa propre identité issue de sa propre différence avec le reste.

Cependant, dialectiquement, une infinité de choses déterminées pose une infinité indéterminée, puisque les identités de ses éléments sont infinies. On a alors d’un côté un univers qui est déterminé, car unifié, uni-total… et en même temps un univers dont la nature infinie se perd, sur le plan des définitions, dans l’infini de ce qui existe.

La résolution de cette question est complexe.

La tentative de réponse religieuse par l’un et le multiple

Ce que le matérialisme dialectique comprend comme l’opposition entre le fini et l’infini a été compris par le passé comme l’opposition entre l’un et le multiple. C’est le cœur du mode de pensée de ce qu’on appelle la philosophie.

On donne à celle-ci comme point de départ traditionnel le questionnement philosophique en Grèce avant Platon et Aristote, avec deux philosophes mis ici en exergue. On a Parménide, qui dit que l’univers est un, toujours semblable, et que par conséquent une fois qu’on en a parlé, on ne peut plus rien dire, puisque tout a été dit. On a Héraclite, pour qui tout change tout le temps : on ne peut pas se baigner deux fois dans le même fleuve. Par conséquent, il faut parler de manière ininterrompue, afin de toujours définir les choses par essence toujours changeantes.

Dans un cas, l’univers est unité, dans l’autre il est multiplicité. La notion de Dieu fut justement formulée intellectuellement pour pouvoir interpréter ce rapport entre l’un et le multiple.

Chez Platon, le monde matériel n’est somme toute qu’une illusion, un pâle reflet de la seule véritable réalité, qui est spirituelle et qui est Dieu. C’est le message de l’allégorie de la caverne. Chez Aristote, le monde matériel a au contraire toute sa dignité, Dieu ne servant que de « moteur immobile » pour mettre en mouvement les choses matérielles dans un jeu continu de causes et d’effets.

Naturellement les religions, qui par définition suivent forcément Platon, ont eu énormément de mal pour justifier comment « l’un » divin peut donner le « multiple » matériel (dans certains cas le fini « émane » de l’infini par degrés, d’autres explications inventent un Dieu intermédiaire jouant le rôle de démiurge, d’autres encore multiplient les étapes intermédiaires entre les deux ou bien au contraire font « reculer » Dieu, etc.).

Cependant, dans tous les cas, il y a une relation qui est établie entre l’un et le multiple et qui permet donc de saisir le multiple au moyen du concept de « un » (divin) et d’établir des définitions, des déterminations.

Les religions se posent justement comme des déterminations éthiques, sociales, psychologiques, politiques, économiques, etc. Il faut se soumettre aux définitions posées par le « un » (divin), qui est à l’origine du « multiple ». Dans tous les cas, le multiple doit à la fin des temps s’effacer devant le « un ».

La tentative de réponse bourgeoise par l’empirio-criticisme

En réalité, Dieu n’a qu’une réalité conceptuelle, permettant de poser d’une manière ou d’une autre le rapport entre le fini et l’infini. D’ailleurs, selon ses besoins historiques, l’humanité a modulé le rapport entre Dieu et le monde, l’un et le multiple. Le protestantisme, en affirmant l’unité de la conscience personnelle, reformule ainsi intégralement le rapport à Dieu.

Le formalisme religieux était et est cependant toujours moins tenable face à la constatation du mouvement, que ce soit dans le passé avec l’histoire terrestre, l’histoire des espèces, ou dans le présent, avec les activités humaines en expansion.

Les religions ont vues leur conception s’affaiblir au fur et à mesure de la croissance des forces productives, permettant à la science de s’affirmer dans les activités humaines.

Toutefois, la science s’est toujours plus résumée, sous le poids de la domination de la bourgeoisie, en un pragmatisme utilitariste. Sa vision du monde se résume à de l’empirisme plus ou moins critique, associé à un positivisme entièrement idéaliste, une véritable croyance en un « progrès » consistant en une simple accumulation de données.

Il y aurait un développement linéaire des sciences, car les techniques et les capacités fonctionnelles prendraient plus d’ampleur. Il ne s’agit en réalité pas tant de science que d’essor de la technique permis par le développement des forces productives. Sous la bourgeoisie, les scientifiques sont même tellement en roue libre qu’ils ne parviennent même plus à combattre l’idée de Dieu, s’enlisant dans un culte béat de l’expérimentation et dans un relativisme présenté comme du matérialisme.

La réponse matérialiste dialectique par la cosmologie

Le matérialisme dialectique rejette tant l’interprétation religieuse d’un rapport entre l’un et le multiple que l’empirisme plus ou moins critique d’une science réduite aux techniques et à l’expérimentation.

Le matérialisme dialectique pose l’univers, c’est-à-dire la matière, comme base de toute perspective authentiquement scientifique. Ce faisant, il résout le problème du rapport entre les éléments de l’univers et l’univers lui-même.

C’est en effet parce qu’il y a, dialectiquement, de l’infini dans le fini et du fini dans l’infini, qu’il est possible de saisir comment l’univers est une seule entité qui, en même temps, possède une nature infinie.

Il n’y a en effet pas une quantité définie de matière, qui serait statique et simplement « formée » depuis l’extérieur. Il n’y a que la matière qui existe et celle-ci connaît un auto-mouvement. Il n’y a pas d’impulsion extérieure à la matière.

Il n’y a pas non plus de pause dans le mouvement incessant de la matière : il n’y a jamais d’arrêt dans le processus de transformation de la matière.

L’univers est seulement composé de matière et cette matière est en transformation ininterrompue, connaissant des sauts dialectiques s’appuyant sur les contradictions internes propres à chaque chose, chaque phénomène.

Puisque la matière ne connaît pas d’impulsion ou d’origine extérieure, et qu’elle existe, alors elle a toujours existé et elle existera toujours.

Puisque la matière connaît des sauts dialectiques, alors elle a toujours existé en connaissant ces sauts dialectiques et elle existe en connaissant ces sauts dialectiques, partout et tout le temps.

Puisque sauts dialectiques ont lieu partout et tout le temps, alors il n’existe aucune limite à la matière ni à son développement.

La question du rapport entre le tout et les parties

Comment les incessants sauts dialectiques sont-ils en rapport avec le caractère unifié, uni-total de l’univers ?

La problématique de fond est que ce qui est infini n’est logiquement pas en mesure d’avoir de parties.

Si l’infini disposait de parties, celles-ci seraient finies ou infinies. Si ces parties sont infinies, alors il y aurait plusieurs infinis, ce qui n’est pas cohérent. Si ces parties sont finies, l’infini serait composé d’éléments finis, et il ne pourrait alors pas être infini.

Une solution serait de concevoir une infinité de parties finies, ce qui fut la solution de Spinoza pour exprimer le caractère inépuisable des « modes » d’existence de l’univers entièrement matériel. L’univers serait ici infini au sens où il consisterait en une infinité de modes existant eux-même à l’infini. Tous les modes seraient en rapport dans leur existence même, car ils seraient de la « nature naturée » par le tout qui est « nature naturante ».

Pour définir une chose ou un phénomène, il faut par conséquent non pas avoir une lecture positive, partir de « rien » pour aller à la chose, mais extraire la chose du tout : chez Spinoza, « toute définition est négation » (au sens où une chose n’est pas tout le reste).

Cependant, ce n’est pas là poser un infini qualitatif, c’est là affirmer qu’il existe une dimension mesurable à l’infini, même si cette mesure ne cesse jamais, quantitativement, allant précisément à l’infini.

L’univers quantitativement infini de Spinoza, avec sa conception de la négation pour définir chaque chose, ouvrait cependant la voie à la dialectique.

La négation comme détermination

C’est Hegel qui a posé l’infini comme saut qualitatif à partir du fini. Il a malheureusement considéré que le mouvement du monde passait par l’esprit humain saisissant la dialectique et non par la transformation dialectique du monde lui-même. En prolongeant Spinoza (qui lui-même prolongeait Aristote, Avicenne, Averroès), Hegel posait cependant la transformation comme clef de la compréhension des phénomènes.

Le matérialisme dialectique ne considère ainsi pas que le fini et l’infini soient séparés. Il n’y a pas un « un » et un « multiple » se faisant face à face de manière irréductible. En réalité, Dieu n’a été que le masque du concept d’infini et le terme de multiple n’a désigné que le fini.

Or, suivant la loi de la contradiction, le fini est infini et l’infini fini. Hegel a compris cela en s’appuyant sur la définition de la négation chez Spinoza. Il a compris que si une chose se définissait négativement (au sens où une chose n’est pas autre chose), alors il fallait également la définir négativement par rapport à elle-même.

La différence devient alors l’identité d’une chose. Chaque chose est en effet à la fois elle-même (car elle n’est pas autre chose) et autre qu’elle-même, parce que portant sa propre finitude.

Hegel, dans La science de la logique, constate ainsi que : « La différence en tant que telle est déjà la contradiction en soi ; il est de fait l’unité de choses qui ne sont que dans la mesure où elles ne sont pas un – et la séparation de choses qui ne sont que dans la mesure où elles sont séparées dans la même relation.

Le positif et le négatif, eux, sont la contradiction posée, parce qu’en tant qu’unités négatives ils se posent eux-mêmes et, de là, le dépassement de celle-ci et le fait de poser son contraire. »

La conséquence directe de la considération qu’une chose, qu’un phénomène, se pose comme différence, c’est qu’il y a une identité dialectique. Cela signifie que dans son existence même, toute chose se pose comme fini dans l’infini, parce qu’elle se distingue de l’infinité des choses. Il se pose comme différent et se laisse par conséquent déterminer par cette différence, par cette négation du reste.

Lénine, dans ses notes au sujet de cette œuvre de Hegel, fait la remarque suivante au sujet de cette question :

« [Hegel :] Elles [les choses] sont, mais en vérité leur être est leur fin.

Plein d’esprit et bien trouvé ! Les concepts qui apparaissent d’habitude comme morts, Hegel les analyse et montre qu’il y a du mouvement en eux.

Qui connaît une fin ? Cela signifie, qui est en mouvement vers sa fin !

Quelque chose ? Cela signifie : non pas ce qu’est quelque chose d’autre.

Être en général? Cela signifie une certaine non-détermination, que être = ne pas être.

L’élasticité multi-faces, universelle des concepts, l’élasticité qui va jusqu’à l’identité des contraires – c’est là l’essentiel.

Cette élasticité, employée subjectivement, = éclectisme et sophistique.

Cette élasticité, employée objectivement, c’est-à-dire de telle manière à refléter le caractère multi-faces et général du processus matériel et de son unité, c’est la dialectique, c’est l’acte de réfléchir de manière juste l’éternel développement du monde. »

La dialectique du fini et de l’infini

C’est à partir de ce rapport contradictoire entre le fini et l’infini qu’il faut comprendre le caractère inépuisable de la matière. Chaque chose porte en soi la différence, donc déjà la base d’une opposition dialectique. De plus, dans sa nature même qui est d’être finie, elle cessera d’exister. Elle porte donc une contradiction interne : elle est, mais elle contient aussi sa propre mort.

Or, cela est universel. Cela signifie que cette finitude est infinie. Et comme qui plus est chaque chose se transforme, cela signifie que chaque chose porte l’infini, car ce qui est fini cède devant la transformation, dans un saut qualitatif, ouvrant la voie à quelque chose de nouveau, un non-fini dans le fini, donc l’infini.

Lénine retranscrit dans ses notes notamment les lignes suivantes de Hegel :

« L’unité du fini et de l’infini n’est pas un rapprochement extérieur de ceux-ci, ni une réunion incongrue qui contredirait à leur détermination, dans laquelle deux indépendants, deux étant en soi séparés et mutuellement opposés, partant incompatibles, seraient réunis.

Au contraire, chacun est à lui-même, cette unité et l’est seulement en tant qu’abrogé de soi-même, ce en quoi aucun n’a devant l’autre une prééminence de l’être en soi et de l’être-là affirmatif.

Comme on l’a montré plus haut, la finitude est seulement comme dépassement de soi, et par conséquent l’infinité, l’autre d’elle-même, est contenue en elle. »

Lénine écrit la remarque suivante à côté de cette citation :

« Appliquer aux atomes versus les électrons. En général, l’infinité de la matière en profondeur… »

Lénine préfigure ici, comme Mao Zedong l’a fait, le caractère non-indivisible de la matière pour ce qui concerne les atomes et ses composants. Cependant, cela n’est vrai pas qu’en profondeur, mais dans toutes les directions.

Infini, non-fini, continuité, discontinuité

Il y a lieu de faire la différence entre l’infini et le non-fini. Une chose connaissant un saut qualitatif est une chose finie portant la non-finitude en elle, car le nouveau sort de l’ancien. On peut dire ici qu’une chose démolit, dans le saut qualitatif, les limites qui lui sont en apparence assignées.

Hegel, dans La science de la logique, résume cela en disant que : « C’est la nature du fini lui-même de se dépasser, de nier sa négation, et de devenir infini. »

Le non-fini s’extrait du fini. Cependant, la question de l’infini se pose encore. Hegel a échoué ici à le définir, car il en a fait un principe abstrait, qui surplombe la réalité. L’infini est chez lui le sens du développement, et donc du monde, et le monde ne compte plus pour lui.

Le matérialisme dialectique considère lui que c’est le monde qui porte le mouvement, le développement et par conséquent l’infini. Cela signifie que l’infini est par définition présent dans la matière, comme Lénine l’a constaté avec « l’infinité de la matière en profondeur ».

En fait, l’un des aspects essentiels du processus et le plus perturbant pour un observateur humain est bien que la nature infinie de la matière se combine avec son contraire, sa nature finie. Cependant, c’est ici en rapport avec la contradiction entre la continuité et la discontinuité.

Tout phénomène porte la contradiction en soi, et donc la différence, car toute contradiction affirme un phénomène et par conséquent se sépare du reste de la matière pour prendre un caractère fini, différent.

Cela pose une discontinuité dans le caractère infini de la matière, mais en même temps cette discontinuité implique la continuité, rien n’étant isolé.

Un objet fabriqué par l’être humain est par exemple indissociable des forces productives portées par l’humanité, tout comme un nuage est indissociable du système général terrestre, la Biosphère.

Cependant, si les forces productives de l’humanité ne s’expliquent pas sans la Biosphère terrestre, celle-ci ne s’explique pas sans la galaxie, qui elle-même dépend d’un super-amas de galaxie, etc.

Tout cela est vrai pour l’infiniment grand et l’infiniment petit, et ce à l’infini. Il n’y a pas de niveau « final », que ce soit vers l’infiniment grand ou l’infiniment petit – sinon, ce niveau « final » serait isolé, indépendant, voire un cadre. L’infiniment grand et l’infiniment petit forment d’ailleurs eux-même une contradiction.

Il y a ainsi à la fois continuité et discontinuité dans l’existence. Une chose est à la fois en continuité avec le reste de l’univers… Et, de par sa contradiction interne, possède son propre saut.

L’univers et sa constitution en vagues

L’univers est une sorte d’océan infini formé de vagues infinies se répondant les unes aux autres, se transformant les unes les autres, et ce à l’infini.

La matière transforme la matière, l’approfondit, la développe, et celle-ci fait de même, et ce à l’infini. L’existence au sens d’éléments séparés relativement du mouvement général de l’univers s’appuie sur les vagues de sauts qualitatifs se produisant dans la matière elle-même.

Cela ne veut nullement dire que la contradiction de chaque chose ne soit pas interne, mais que son cadre relève de la matière dans son ensemble.

Pour reprendre un exemple, la Terre est le produit d’un saut qualitatif dans l’organisation de la matière au niveau de la galaxie, et l’une des vague produites par l’existence de la Terre est la formation de l’humanité, qui elle-même forme une vague ayant un impact sur son environnement spatial direct, etc.

Chaque écho est infini

Tout saut qualitatif a un écho infini, car aussi petit que soit cet écho, il relève du mouvement général de la matière.

Tout fini porte ainsi en lui non seulement le non-fini de son propre saut, de sa propre transformation, mais également l’infini lui-même de par le fait qu’il relève d’un mouvement général de la matière.

Il ne s’agit nullement ici de l’existence d’une simple « limite » repoussé d’un fini en expansion, mais bien de l’infini au sens strict, c’est-à-dire non mesurable et non divisible. Le moindre élément matériel pris arbitrairement possède en soi l’infini, l’extension infinie de la matière, puisqu’il en relève.

La matière est infinie dans sa réalité et le partiel possède la totalité, le fini l’infini, et inversement. En aucun cas, il n’est possible de parler de « parties » de la matière.

S’il s’agissait de parties, alors il faudrait leur accorder un statut particulier. Leur identité serait chacune opposée aux autres parties et par conséquent relativement isolé. Or, aucun isolement n’est possible dans le caractère infini de la matière, car l’infini ne peut pas être fini.

Par conséquent, les séparations existantes au sein de l’infini matériel, c’est-à-dire l’existence d’éléments finis dans l’infini, doit être définie comme un moment, une étape, une situation relative, propre à l’expansion, l’accroissement, l’épaississement de la matière. Elles sont un aspect de l’infini comme mouvement éternel de la matière.

C’est cet aspect que constate les mathématiques, qui fixent et séparent arbitrairement, pour une photographie momentanée de ce qui en réalité en transformation ininterrompue et infinie.

L’éternité et le caractère inépuisable de la matière

Ce qui est fini a comme fondement le saut qualitatif propre à la dialectique du fini et de l’infini, car le fini est le produit d’un infini s’étant exprimé dans le fini.

Le fini porte donc en lui sa propre limite, qui produit un saut allant à l’infini ; ce saut amène une situation finie qui elle-même porte sa limite, qui elle-même produit un saut allant à l’infini, et ce à l’infini, et donc éternellement.

Ce qui existe matériellement comme entité relativement autonome – un être humain, un arbre, une table – a comme fondement le saut qualitatif portant l’infini et portant ainsi la contradiction entre fini et infini.

De ce fait, l’éternité repose ainsi sur la présence ininterrompue et pour ainsi dire en extension de la matière. Il ne s’agit pas d’une simple expansion spatiale. Il s’agit d’une extension au sens d’un mouvement qualitatif en progression dans une infinité d’aspects.

Concrètement, le mouvement contradictoire de la matière aboutit à la production d’une infinité de contradictions, qui elle-même ont un écho dans la matière. La loi de la contradiction est universelle et elle s’étend éternellement par l’infini, produisant ainsi des vagues ayant un impact toujours plus grand dans l’univers.

Le caractère inépuisable de la matière

En un certain sens, on peut dire que non seulement la matière est infinie, mais qu’elle va à l’infini. Son mouvement de complexification s’appuie sur l’infini (comme saut interne issu de la rupture au sein du fini) et va à l’infini.

La matière est à la fois infinie et en train de devenir infinie – c’est une contradiction.

Le matérialisme dialectique affirme ainsi le caractère infini de la matière, à la fois dans son existence finie et dans sa nature infinie. Cependant, ce caractère infini relève de l’infini porté par le mouvement de la matière dans son universalité, comme aspect principal. Le caractère infini d’une réalité matérielle « isolée » n’est qu’une abstraction figeant le mouvement général de la matière et ses sauts qualitatifs produisant des vagues cosmiques consistant en les transformations.

En effet, les vagues dans l’univers, de l’univers, sont produites par différentes contradictions. Cela signifie qu’elles sont à la fois finies, car elles consistent en un phénomène répondant à une contradiction interne, et en même temps infinies, puisque leur nombre est infini, puisqu elles relèvent du mouvement général de l’univers, puisque leur impact qualitatif est lui-même infini dans le futur, leur source étant elle-même infinie dans le passé.

Le mouvement de la matière, produisant un saut qualitatif dans un phénomène, qui lui-même agit sur d’autres phénomènes, d’autres sauts, se caractérise donc par un développement inégal, soulignant à la fois l’identité et la différence des sauts et des phénomènes.

Tout isolement d’une chose est donc forcément arbitraire, à quelque niveau que ce soit. Et il n’existe pas de matrice figée dans le mouvement de la matière. C’est là un aspect essentiel du mouvement, de la nature de la matière, du caractère inépuisable de la matière. Il n’y a pas de détermination fixe, car il n’existe pas de « parties » de la matière, séparées et fixes.

Toute focalisation sur un aspect particulier est simplement une photographie mathématique d’un moment donné qui a sa dignité, mais laisse s’échapper la limite portée de manière interne, et donc la rupture amenant le saut à l’infini.

La matière est donc inépuisable, parce que sa richesse dialectique est infinie et porte l’infini.

Il faudrait un « début » pour avoir un « stock » de matière – mais cela est impossible, car la matière porte par définition l’infini.

La réalisation de la loi de la contradiction

La contradiction entre la nature finie d’une chose, au sens de sa détermination interne, et son expression finie, dans le monde, produit en soi une déchirure interne, amenant l’infini à se ré-exprimer, se réaffirmer. Telle est la loi de la contradiction : chaque chose, en existant, affirme de manière ininterrompue sa différence et pose donc la négation.

Cela est vrai partout et tout le temps, à l’infini. C’est une conséquence du caractère inépuisable de la matière.

Il s’agit donc ici de ne pas confondre ce qui est absolu et ce qui est relatif. Ce n’est pas la forme finie qui est relative, mais bien l’infini. En effet, la forme finie porte en soi la contradiction, et c’est la contradiction qui est universelle. Le développement de l’infini est relatif, car il exprime la contradiction.

Le matérialisme dialectique est la science de l’unité des contraires, pas la religion d’un infini abstrait.

Cependant, le relatif et l’absolu forment également une contradiction. Le développement de l’infini l’emporte toujours, car il est propre à la matière. Pour cette raison, ce qui est fini n’est que relatif et est forcément amené à disparaître. C’est la raison pour laquelle toute entité matérielle est obligée de se transformer et ne peut jamais être éternelle.

Rien n’est éternel, tout se transforme, car seulement le tout existe, comme ensemble, mais par conséquent également comme ensemble infini, et donc infinité en extension, en expansion, en approfondissement.

L’éternité d’une chose finie serait la cessation du mouvement, donc de l’infini. Il n’y aurait par conséquent d’ailleurs plus aucun mouvement, et il n’y en aurait même jamais eu. Le mouvement n’existe pas s’il n’y a pas l’infini.

La question est par conséquent de savoir si l’aspect principal est l’infini, le mouvement ou la matière. Le matérialisme primitif considère que c’est la matière, le matérialisme reconnaissant la dynamique dans la matière choisit quant à lui le mouvement. Le matérialisme dialectique considère quant à lui que c’est l’infini, car la matière implique le mouvement, et donc l’infini.

Cependant, dialectiquement, c’est la matière qui porte l’infini. L’affirmation de la dialectique pose ainsi le matérialisme. Le matérialisme dialectique repose sur la contradiction entre la matière et sa propre finitude, donc l’infini, donc la dialectique. Tel est l’aspect principal.

L’infinité de la matière

Le matérialisme dialectique ne fait donc pas un fétiche de la matière sous une forme finie, mais célèbre l’infini comme réalité la plus authentique de la matière – et en même temps, il reconnaît toute sa dignité à la matière, seule réalité, porteuse justement de l’infini.

L’univers n’est pas composé de matière : il est la matière. Ce qu’on appelle l’univers est la matière dans sa réalité infinie, dont les vagues propagent les transformations générales et particulières, dans un mouvement infini produisant du fini lui-même à la fois porteur et vecteur de l’infini.

C’est la raison pour laquelle le matérialisme dialectique est le seul à reconnaître sa dignité au réel. Lui seul peut voir l’infini dans le fini, et donc accorder une valeur fondamentale au fini. Loin de se perdre dans l’infini en l’affirmant, il s’enthousiasme pour la réalité et son mouvement, sa transformation.

C’est dans la réalité transformatrice que s’affirme la matière inépuisable, formant le véritable sens de la vie. Le matérialisme dialectique voit le mouvement comme transformation (et non comme dynamique), il assume la matière comme réalité cosmique, infinie et donc éternelle.