Mao Zedong : Pour un style correct de travail dans le Parti

1 Février 1942

   Discours prononcé par le camarade Mao Tsé-toung à la cérémonie d’ouverture de l’Ecole du Parti près le comité central du Parti communiste chinois.

   L’École du Parti s’ouvre aujourd’hui ; je lui souhaite plein succès.

Je voudrais à cette occasion m’entretenir avec vous du style de travail de notre Parti.

Pourquoi faut-il un parti révolutionnaire ? Parce que, dans le monde, le peuple est opprimé par ses ennemis et qu’il veut se libérer de leur oppression. A l’époque du capitalisme et de l’impérialisme, c’est un parti révolutionnaire comme le parti communiste qu’il lui faut. Sans un tel parti, il lui est absolument impossible de s’affranchir de cette oppression.

Nous sommes des communistes, nous devons guider le peuple dans la lutte qu’il mène pour écraser ses ennemis. Il nous faut donc maintenir nos rangs bien alignés, marcher du même pas, avoir de bons combattants et des armes de qualité. Faute de ces conditions, nous ne pourrons pas abattre nos ennemis.

Y a-t-il quelque chose qui ne va pas dans notre Parti ? Sa ligne générale est juste et ne pose pas de problème ; son activité a été fructueuse. Il compte plusieurs centaines de milliers de membres, qui sont à la tête du peuple dans une lutte d’une âpreté inouïe contre l’ennemi. Voilà des faits que tout le monde peut constater et qui ne sauraient être mis en doute.

N’y aurait-il donc plus aucun problème dans notre Parti ? Je dirai que si, et je dirai même qu’en un certain sens un problème assez sérieux se pose.

En quoi consiste-t-il ? Dans le fait que certains de nos camarades ont, sur plusieurs sujets, des idées qui ne sont pas très justes, qui ne conviennent pas.

En d’autres termes, un vent néfaste souffle encore sur notre étude, sur les relations intérieures et extérieures de notre Parti comme sur nos écrits. Dans notre étude, il se manifeste par le subjectivisme ; dans les relations de notre parti, par le sectarisme ; dans nos écrits, par le style stéréotypé.

Certes, ce vent n’est pas une bise hivernale qui balaie tout le ciel. Le subjectivisme, le sectarisme et le style stéréotypé ont cessé d’être, chez nous, le style dominant, le vent dominant ; ce ne sont plus que des bouffées de vent contraire, des filets d’air vicié qui filtrent des abris antiaériens (Rires). Néanmoins, il est mauvais que ce vent puisse encore souffler dans notre Parti. Nous devons boucher les fentes par lesquelles passe cet air vicié. Tout le Parti doit se charger de ce travail, et l’École du Parti également.

Ces trois vents malsains : le subjectivisme, le sectarisme et le style stéréotypé ont leurs origines historiques propres et, bien qu’à l’heure actuelle, ils ne dominent plus dans le Parti, ils ne cessent de nous causer des préjudices et de nous assaillir. C’est pourquoi nous devons les contrecarrer, et les étudier, les analyser, en montrer la nature.

Combattre le subjectivisme afin de corriger le style de notre étude, combattre le sectarisme afin de corriger le style de notre Parti dans ses relations intérieures et extérieures, combattre les formules toutes faites afin de corriger le style de nos écrits : telle est notre tâche.

Pour abattre nos ennemis, il importe de corriger le style de travail de notre Parti, dont relève aussi le style de notre étude et de nos écrits. Dès que notre style de travail sera tout à fait correct, le peuple tout entier suivra notre exemple.

Pour peu qu’ils soient de bonne volonté, les gens qui, en dehors du Parti, ont aussi un mauvais style de travail se mettront à notre école et corrigeront leurs erreurs, ce dont bénéficiera toute la nation. Avec nos rangs bien alignés, marchant du même pas, avec de bons combattants et des armes de qualité, nous abattrons n’importe quel ennemi, si puissant soit-il.

Je vais maintenant parler du subjectivisme.

Le subjectivisme est un mauvais style dans notre étude. Il est contraire au marxisme-léninisme et incompatible avec un parti communiste. Ce qu’il nous faut, c’est un style marxiste-léniniste.

Quand nous parlons du style de notre étude, il ne s’agit pas seulement du style d’étude de nos écoles, mais de celui de tout le Parti.

Il s’agit de la manière de penser des membres de nos organismes dirigeants, de tous nos cadres et de tous les membres de notre Parti ; il s’agit de notre attitude à l’égard du marxisme-léninisme et de l’attitude de tous les camarades du Parti à l’égard de leur travail. C’est donc une question d’une importance exceptionnelle, primordiale.

Actuellement, une certaine confusion règne dans l’esprit de beaucoup de nos camarades, notamment à propos de ce qu’est un théoricien, de ce qu’est un intellectuel, de ce que signifie la liaison entre la théorie et la pratique.

Posons d’abord la question suivante : qu’en est-il du niveau théorique de notre Parti ? Est-il bas ou élevé ? Ces derniers temps, on a traduit davantage d’ouvrages marxistes-léninistes, et le nombre de leurs lecteurs a augmenté. C’est là une très bonne chose.

Mais y-a-t-il lieu de dire pour autant que le niveau théorique de notre Parti soit déjà très élevé ? Certes, il l’est un peu plus qu’avant ; mais notre activité sur le front théorique est loin d’être à la mesure du riche mouvement révolutionnaire chinois, elle est même fort en retard.

D’une manière générale, la théorie, chez nous, ne va pas encore de pair avec la pratique révolutionnaire ; encore moins peut-il être question de l’avance qu’elle devrait avoir sur celle-ci.

Nous n’avons pas encore élevé notre pratique, si riche de contenu, au niveau de la théorie, comme il l’aurait fallu. Nous n’avons pas encore examiné toutes les questions de la pratique révolutionnaire, ni même les plus importantes, de façon à les faire accéder au stade de la théorie.

Jugez-en vous-mêmes : dans les domaines économique, politique, militaire et culturel en Chine, combien d’entre nous ont-ils créé des théories dignes de ce nom, qui soient des travaux scientifiques, élaborés avec soin, et non de grossières esquisses ?

En matière de théorie économique notamment, bien que le capitalisme chinois ait déjà cent ans d’existence si l’on remonte jusqu’à la Guerre de l’Opium, il n’a pas encore paru chez nous un seul ouvrage vraiment scientifique, qui soit en accord avec la réalité du développement économique de la Chine.

Dans l’étude des questions économiques de notre pays, par exemple, sommes-nous en droit de considérer que notre niveau théorique soit déjà élevé ? Pouvons-nous dire que notre Parti possède déjà des théoriciens dignes de ce nom dans les sciences économiques ? Non, absolument pas.

Nous avons lu un grand nombre d’ouvrages marxistes-léninistes, mais pouvons-nous prétendre qu’il y ait déjà parmi nous des théoriciens ? Non, nous ne le pouvons pas. Car le marxisme-léninisme est la théorie que Marx, Engels, Lénine et Staline ont créée sur la base de la pratique, la conclusion générale qu’ils ont tirée de la réalité historique et de la pratique révolutionnaire.

Si nous ne faisons que lire simplement leurs œuvres, sans approfondir à la lumière de leur théorie notre étude de la réalité historique et de la pratique révolutionnaire de la Chine, et sans nous donner la peine de réfléchir à la pratique de la révolution chinoise, sous l’angle de la théorie, nous ne pouvons avoir la prétention d’être des théoriciens marxistes.

Nos résultats sur le front théorique seraient vraiment trop minces si nous, communistes chinois, nous fermions les yeux sur les problèmes de la Chine, nous bornant à retenir quelques conclusions ou principes isolés, empruntés aux ouvrages marxistes.

Quelqu’un qui sait seulement apprendre par cœur des ouvrages d’économie et de philosophie marxistes et les réciter d’un seul trait, depuis A jusqu’à Z, mais qui est incapable de la moindre application pratique, peut-il être considéré comme un théoricien marxiste ? Encore une fois non !

De quels théoriciens avons-nous besoin ?

De théoriciens qui puissent, conformément à la position, au point de vue et à la méthode marxistes-léninistes, interpréter correctement les questions pratiques qui se posent au cours de l’histoire et de la révolution, de théoriciens qui sachent donner des explications scientifiques et des éclaircissements théoriques sur les questions économiques, politiques, militaires et culturelles de la Chine. Voilà les théoriciens que nous voulons.

Pour être de tels théoriciens, il faut avoir réellement assimilé l’essence du marxisme-léninisme, avoir bien saisir la position, le point de vue et la méthode marxistes-léninistes, de même que la doctrine de Lénine et de Staline sur la révolution dans les colonies et en Chine, et savoir les utiliser pour procéder à une analyse approfondie, scientifique, de la réalité chinoise, pour dégager les lois de son développement. Tels sont les théoriciens dont nous avons vraiment besoin.

Notre Comité central vient de prendre une décision invitant nos camarades à apprendre et à se fonder sur la position, le point de vue et la méthode marxistes-léninistes pour étudier sérieusement l’histoire de la Chine, ses questions économiques, politiques, militaires et culturelles, pour analyser concrètement chaque problème sur la base d’une documentation détaillée et en tirer ensuite des conclusions théoriques.

Voilà la tâche qui nous incombe.

Les camarades de l’École du Parti ne doivent pas considérer le marxisme comme un dogme. Il faut assimiler la théorie marxiste et savoir l’appliquer ; il faut l’assimiler dans le seul but de l’appliquer. Si vous parvenez à expliquer, du point de vue marxiste-léniniste, une ou deux questions pratiques, vous mériterez des compliments, on pourra dire que vous aurez obtenu quelques succès. Plus vous expliquerez de questions, plus vos explications seront complètes et profondes, et plus vos succès seront considérables.

Aussi l’École du Parti devrait-elle adopter la règle suivante : pour juger d’un élève, il faut voir comment il envisage les problèmes de la Chine après avoir étudié le marxisme-léninisme, s’il les comprend clairement et s’il sait les aborder.

Venons-en maintenant à la question des « intellectuels ». La Chine étant un pays semi-colonial et semi-féodal, en retard sur le plan culturel, les intellectuels y sont particulièrement précieux. La décision prise à leur sujet par le Comité central il y a plus de deux ans nous recommande de gagner la masse des intellectuels et de les accueillir tous, dans la mesure où ils sont révolutionnaires et désirent se joindre à la Résistance.

Nous avons tout à fait raison de les estimer, car, sans intellectuels révolutionnaires, la révolution ne peut triompher. Mais nous savons que beaucoup d’entre eux, se croyant fort instruits, prennent des airs d’érudits, sans se rendre compte que leur attitude est déplacée, nuisible, et qu’elle les empêche de progresser.

Ils devraient comprendre cette vérité qu’au fond beaucoup de soi-disant intellectuels sont bien ignorants, et que les ouvriers ou les paysans en savent souvent plus qu’eux. Quelqu’un me lancera peut-être : « Eh, tu confonds tout, tu parles à tort et à travers ! » (Rires). Attendez, Camarade ! Il y a tout de même une part de vérité dans ce que je dis.

Qu’est-ce que la connaissance ? Depuis qu’existe la société de classes, il n’y a au monde que deux sortes de connaissances ; l’une provient de la lutte pour la production et l’autre de la lutte des classes.

Les sciences de la nature et les sciences sociales sont la cristallisation de ces deux sortes de connaissances ; quant à la philosophie, elle est la généralisation et la somme de ce que l’on sait de la nature et de la société. Existe-t-il encore d’autres sortes de connaissances ? Non.

Considérons maintenant le cas des étudiants formés dans des écoles totalement coupées de la pratique sociale. Où en sont-ils ? De l’école primaire à l’université, ils ont fréquenté ce type d’établissements et y ont obtenu un diplôme à la fin de leurs études ; on les considère alors comme des gens instruits. Or, ils ont des connaissances livresques, ils n’ont encore participé à aucune activité pratique ni appliqué leurs connaissances à aucun domaine de la vie. Peut-on vraiment les tenir pour des intellectuels accomplis ? Cela me paraît difficile, car leurs connaissances sont encore incomplètes. Que veut-on dire par connaissances relativement complètes ?

Toute connaissance relativement complète s’acquiert en deux étapes : la première, c’est la connaissance sensible ; la seconde, la connaissance rationnelle, qui est le développement, à un degré supérieur, de la première.

Or, que représentent les connaissances acquises par les étudiants dans les livres ? Même si elles sont vraies, elles n’en restent pas moins des théories que nos prédécesseurs ont élaborées en généralisant l’expérience de la lutte pour la production et de la lutte des classes ; elles ne proviennent pas de l’expérience personnelle des étudiants.

Certes, il est absolument nécessaire qu’ils possèdent ces connaissances, mais ils doivent se rendre compte que, dans un certain sens, ce ne sont que des connaissances unilatérales ; vérifiées par d’autres, elles ne l’ont pas encore été par eux-mêmes. Le plus important pour eux est de savoir les appliquer dans la vie, dans la pratique.

C’est pourquoi je conseille à ceux qui ont acquis des connaissances livresques, mais qui n’ont pas encore eu de contact avec la pratique ou n’ont que peu d’expérience pratique, d’être conscients de leur insuffisances et de se montrer un peu plus modestes.

De ceux qui ne possèdent que des connaissances livresques, comment peut-on faire d’authentiques intellectuels ? Le seul moyen, c’est de les orienter vers un travail pratique, d’en faire des praticiens ; c’est d’engager ceux qui font un travail théorique à entreprendre l’étude de questions pratiques importantes. Voilà comment nous pourrons atteindre notre but.

Mes propos ne manqueront pas d’irriter certaines personnes, qui me diront : « A t’entendre, Marx non plus ne saurait être considéré comme un intellectuel ». A quoi je répondrai : Erreur ! Marx a participé à la pratique du mouvement révolutionnaire et il a, de plus, créé la théorie de la révolution. En partant de la marchandise, l’élément le plus simple du capitalisme, il a étudié minutieusement la structure économique de la société capitaliste.

Des millions d’hommes avaient quotidiennement sous les yeux cette chose qu’est la marchandise, et s’en servaient, sans se rendre compte de ce qu’elle représentait. Seul Marx a soumis la marchandise à une étude scientifique.

Il a effectué un énorme travail de recherche sur le processus de transformation réel de la marchandise et, de ce phénomène universel, il a déduit une théorie en tout point scientifique. Il a étudié la nature, l’histoire et la révolution prolétarienne, et il a créé le matérialisme dialectique, le matérialisme historique et la théorie de la révolution prolétarienne.

Ainsi, Marx est devenu l’intellectuel le plus complet, celui qui représente le sommet de l’intelligence humaine. Il se distingue donc foncièrement des gens qui n’ont que des connaissances livresques.

Marx s’est livré à des enquêtes et à des recherches minutieuses au cours de la lutte pratique, il a fait des généralisations, puis il a vérifié ses conclusions dans la lutte pratique – voilà ce que nous appelons un travail théorique. Notre Parti a besoin d’un grand nombre de camarades qui sachent travailler ainsi.

D’ailleurs, beaucoup peuvent maintenant apprendre à faire de la recherche théorique ; ils sont, pour la plupart, intelligents et pleins de promesses, et nous devons les tenir en estime. Mais ils doivent se guider sur des principes justes et se garder de répéter les erreurs du passé. Ils doivent répudier le dogmatisme et ne pas se cantonner dans des formules toutes faites, apprises dans les livres.

Il n’existe au monde qu’une seule théorie vraie : celle qui est tirée de la réalité objective et confirmée par elle ; rien d’autre ne mérite le nom de théorie, au sens où nous l’entendons. Staline a dit que la théorie coupée de la pratique devient sans objet.

Or, une telle théorie ne sert à rien ; elle est fausse, elle est à rejeter. Il faut montrer du doigt tous ceux qui se complaisent à prêcher des théories sans objet.

Le marxisme-léninisme est la vérité la plus juste, la plus scientifique et la plus révolutionnaire, née de la réalité objective et confirmée par elle, mais beaucoup de ceux qui étudient le marxisme-léninisme le considèrent comme un dogme ; ils entravent ainsi le développement de la théorie et font du tort aussi bien à eux-mêmes qu’aux autres camarades.

D’autre part, nos camarades engagés dans un travail pratique subiront des revers s’ils font un mauvais usage de leur expérience.

Il est vrai qu’ils ont souvent une grande expérience, ce qui est très précieux ; mais il serait fort dangereux qu’ils s’en contentent. Ils doivent comprendre que leurs connaissances sont surtout le résultat de la perception sensible, qu’elles sont le plus souvent partielles, et qu’il leur manque les connaissances rationnelles et généralisées ; en d’autres termes, la théorie leur fait défaut et, par conséquent, leurs connaissances sont relativement incomplètes.

Or, il est impossible de mener à bien une œuvre révolutionnaire sans avoir des connaissances relativement complètes.

Toutefois, s’ils veulent étudier la théorie, nos cadres d’origine ouvrière et paysanne doivent commencer par acquérir des connaissances de base. Sinon, ils auront des difficultés dans l’étude de la théorie marxiste-léniniste. En revanche, dès qu’ils possèdent une certaine culture, ils seront toujours en état d’étudier le marxisme-léninisme.

Quand j’étais enfant, je n’ai jamais fréquenté d’école marxiste-léniniste ; on m’a enseigné des choses comme « Le Maître a dit : quelle joie d’apprendre et de revoir constamment ce que l’on a appris ! ».

Ce genre d’enseignement, bien que désuet par son contenu, m’a été profitable, car j’ai pu apprendre à lire. De nos jours, on n’étudie plus les classiques de Confucius, mais des matières nouvelles, telles que le chinois moderne, l’histoire, la géographie et les sciences naturelles ; bien apprises, elles sont partout utiles.

Le Comité central de notre Parti exige spécialement de nos cadres d’origine ouvrière et paysanne qu’ils aient des connaissances générales, parce qu’ils pourront alors étudier n’importe quelle matière : politique, science militaire ou économie. Sinon, malgré leur riche expérience, ils ne seront pas capables d’étudier la théorie.

Il s’ensuit que pour combattre le subjectivisme nous devons aider ces deux catégories de camarades et acquérir ce qui leur manque à chacune et à effacer la différence qui les sépare l’une de l’autre. Ceux qui ont des connaissances livresques doivent se tourner vers la pratique, seul moyen de ne plus se cantonner dans les livres et d’éviter de commettre des erreurs d’ordre dogmatique.

Ceux qui ont de l’expérience pratique doivent étudier la théorie et apprendre sérieusement les livres ; c’est alors seulement qu’ils pourront systématiser leur expérience, la synthétiser et l’élever au niveau de la théorie. Ils éviteront ainsi de prendre leur expérience limitée pour une vérité générale et de commettre des erreurs d’ordre empirique.

Le dogmatisme et l’empirisme sont tous deux une expression du subjectivisme, bien qu’ils viennent de pôles opposés.

Il existe donc dans notre Parti deux formes de subjectivisme : le dogmatisme et l’empirisme. L’un et l’autre envisagent les choses d’une manière unilatérale, et non dans leur totalité. Si l’on ne se tient pas sur ses gardes, si l’on ne comprend pas qu’un point de vue unilatéral est un défaut et si l’on ne fait pas tout son possible pour se corriger, on risque de s’engager dans une voie erronée.

Néanmoins, de ces deux formes de subjectivisme, la plus dangereuse aujourd’hui pour notre Parti est plutôt le dogmatisme. Il est en effet facile aux dogmatiques de se donner des airs de marxistes pour impressionner, subjuguer et asservir les cadres d’origine ouvrière et paysanne, auxquels il est difficile de déceler leur vrai visage.

Les dogmatiques peuvent aussi impressionner la jeunesse naïve et inexpérimentée et la maintenir sous leur emprise. Si nous triomphons du dogmatisme, les cadres qui n’ont que des connaissances livresques se lieront volontiers aux cadres qui ont de l’expérience pratique et ils seront tout disposés à étudier la réalité concrète ; nous aurons alors de bons cadres qui sauront unir la théorie à l’expérience pratique et nous verrons apparaître d’authentiques théoriciens.

Si nous triomphons du dogmatisme, les camarades qui possèdent une expérience pratique trouveront de bons professeurs pour les aider à élever au niveau de la théorie les connaissances acquises par l’expérience et ils éviteront ainsi les erreurs d’ordre empirique.

Outre les idées confuses sur les notions de « théoricien » et d’« intellectuel », il en existe d’autres chez de nombreux camarades sur ce que signifie exactement « lier la théorie à la pratique », phrase qu’ils ont pourtant tous les jours à la bouche.

Ils parlent constamment de « lier », mais en fait ils s’appliquent à « rompre », puisqu’ils ne font rien pour « lier ». Comment lier l’une à l’autre la théorie marxiste-léniniste et la réalité de la révolution chinoise ?

Il faut, pour employer une expression courante, « décocher sa flèche en visant la cible ». Le marxisme-léninisme est à la révolution chinoise ce que la flèche est à la cible. Or, certains de nos camarades « décochent leur flèche sans viser la cible », ils tirent au hasard.

De tels camarades risquent de compromettre la cause de la révolution. D’autres se contentent de tourner et de retourner la flèche entre leurs doigts en s’exclamant : « Quelle belle flèche ! Quelle belle flèche ! », mais ils n’ont aucune intention de tirer. Ils ne sont, au fond, que des amateurs de bibelots, qui ne se soucient guère de la révolution.

Nous devons lancer la flèche du marxisme-léninisme en ayant pour objectif la révolution chinoise. Si ce point n’est pas éclairci, le niveau théorique de notre Parti ne pourra jamais s’élever, ni la révolution chinoise triompher.

Nos camarades doivent comprendre que si nous étudions le marxisme-léninisme, ce n’est pas pour en faire étalage, ni parce qu’il recèlerait quelque mystère, mais uniquement parce qu’il est la science qui permet de mener à la victoire la révolution prolétarienne.

Bien des gens pensent encore que des formules isolées, empruntées à la littérature marxiste-léniniste, peuvent être une panacée toute prête, qu’il suffit d’acquérir, pour guérir sans peine toutes les maladies. Ils font preuve d’une ignorance puérile, et il nous appartient de les éclairer. Ce sont de tels ignorants qui considèrent le marxisme-léninisme comme un dogme religieux. Nous devons leur dire sans détour que leur dogme ne sert à rien.

Marx, Engels, Lénine et Staline ont maintes fois déclaré que notre théorie n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action. Cependant, ces gens-là préfèrent, eux, oublier cette affirmation, dont l’importance est primordiale.

On pourra dire des communistes chinois qu’ils lient la théorie à la pratique lorsque, ayant adopté la position, le point de vue et la méthode marxistes-léninistes et appliqué les enseignements de Lénine et de Staline sur la révolution chinoise, ils réussissent, sur la base d’une étude sérieuse de la réalité historique et de la pratique révolutionnaire en Chine, à accomplir dans divers domaines un travail théorique créateur qui réponde aux besoins de notre pays.

A quoi bon prêcher, fût-ce pendant cent ans, la liaison de la théorie et de la pratique si on ne la traduit pas en actes ? Pour combattre la manière subjective, unilatérale, d’aborder les problèmes, nous devons briser le dogmatisme, briser tout ce qu’il implique de subjectif et d’unilatéral.

Voilà ce que j’avais à dire aujourd’hui à propos de notre lutte contre le subjectivisme, lutte qui a pour but de rectifier le style d’étude dans tout le Parti.

J’en arrive maintenant à la question du sectarisme.

Dans notre Parti, qui s’est aguerri au cours de ces vingt dernières années, le sectarisme n’occupe plus une position dominante. On en trouve cependant des survivances, aussi bien dans les relations intérieures du Parti que dans ses relations extérieures.

Dans les relations intérieures, les tendances sectaires conduisent à l’exclusivisme à l’égard des camarades et nuisent à l’unité et à la cohésion du Parti, alors que dans les relations extérieures, elles engendrent l’exclusivisme à l’égard des non-communistes et elles nuisent à ses efforts pour unir tout notre peuple.

Ce n’est qu’en extirpant ce mal, sous ses deux aspects, que notre Parti accomplira sans entraves sa grande tâche, qui est d’unir tous nos camardes et tout notre peuple.

Quelles sont les survivances du sectarisme au sein de notre Parti ? En voici les principales :

C’est, d’abord, l’esprit d’« indépendance ». Certains camarades n’ont en vue que les intérêts particuliers et non l’intérêt général ; en toute occasion, ils mettent indûment l’accent sur le secteur de travail dont ils ont la charge et souhaitent toujours que l’intérêt général soit subordonné aux intérêts particuliers. Ils ne comprennent pas ce qu’est le centralisme démocratique, pratiqué par le Parti ; ils ne savent pas que ce dernier n’a pas seulement besoin de démocratie, mais aussi, et surtout, de centralisme.

Ils oublient que, dans le centralisme démocratique, la minorité doit se soumettre à la majorité, l’échelon inférieur à l’échelon supérieur, la partie au tout, et toutes les organisations du Parti au Comité central. Tchang Kouo-tao, pour avoir revendiqué son indépendance » à l’égard du Comité central, a fini par trahir le Parti, par devenir un agent du Kuomintang.

Bien que le sectarisme dont nous parlons ici ne soit pas d’une telle gravité, nous devons cependant en prévenir l’apparition et extirper entièrement tout ce qui porte atteinte à l’unité du Parti. Il faut encourager chaque camarade à tenir compte des intérêts de l’ensemble. Chaque membre du Parti, le travail dans chaque secteur, chaque parole ou chaque acte, tout doit avoir pour point de départ les intérêts de l’ensemble du Parti. Nous ne tolérerons pas la moindre infraction à ce principe.

L’esprit d’« indépendance » est souvent inséparable de la tendance à mettre son « moi » au premier plan. Ceux qui y sont enclins ont fréquemment une manière incorrecte d’aborder le problème des rapports entre l’individu et le Parti.

En paroles, ils respectent, eux, aussi, le Parti, mais dans la pratique, ils placent leur personne au premier plan et le Parti au second. Dans quel but ces gens se mettent-ils en quatre ? Ils recherchent les honneurs, ils convoitent une position, ils veulent paraître. Quand ils ont la charge d’un secteur de travail, ils réclament immédiatement leur « indépendance ».

A cette fin, ils séduisent les uns, écartent les autres, recourent à la flatterie et au racolage parmi les camarades ; ils transportent dans le Parti communiste les mœurs viles des partis bourgeois. La malhonnêteté les perd. J’estime qu’il nous faut travailler avec honnêteté. Sinon, il est absolument impossible d’accomplir quelque chose d’utile dans le monde. Qui peut-on qualifier d’honnête ?

Marx, Engels, Lénine et Staline sont honnêtes ; les hommes de science sont honnêtes. Qui est malhonnête ? Trotski, Boukharine, Tchen Tou-sieou et Tchang Kouo-tao sont des gens d’une grande malhonnêteté ; ceux qui, au nom de leurs intérêts personnels ou d’intérêts particuliers, réclament l’« indépendance » sont également malhonnêtes.

Tous ceux qui usent d’astuces, tous ceux qui n’observent pas une attitude scientifique dans leur travail peuvent bien se croire malins et intelligents, mais au fond ils sont tout ce qu’il y a de plus stupide et ils ne peuvent arriver à rien de bon.

Les élèves de l’Ecole du Parti doivent être vigilants à cet égard. Nous devons édifier un Parti centralisé et unifié et en finir avec toute lutte fractionnelle sans principe. Si nous voulons que notre Parti marche du même pas et lutte pour un même but, il nous faut combattre l’individualisme et le sectarisme.

Les cadres venus de l’extérieur et les cadres du lieu doivent faire l’unité entre eux et combattre les tendances sectaires.

Il faut veiller avec soin aux relations entre cadres locaux et cadres venus de l’extérieur, car beaucoup de nos bases antijaponaises n’ont été créées qu’après l’arrivée de la VIIIe Armée de Route ou de la Nouvelle IVe Armée, et le travail local, dans bien des domaines, ne s’y est développé qu’avec l’arrivée des cadres de l’extérieur.

Nos camarades doivent comprendre que, dans ces conditions, il n’est possible à nos bases d’appui de se consolider et à notre Parti d’y prendre racine que si ces deux catégories de cadres s’unissent étroitement et si nous parvenons à former et à promouvoir un grand nombre de cadres locaux. Il n’y a pas d’autre moyen. Chaque catégorie de cadres a ses qualités et ses défauts ; pour progresser, elle doit corriger ses propres défauts en prenant exemple sur les qualités de l’autre.

Les cadres venus de l’extérieur connaissent toujours moins bien les conditions locales et sont moins liés aux masses que les cadres de l’endroit.

C’est d’ailleurs mon propre cas. Je suis dans le Chensi du Nord depuis cinq ou six ans déjà, cependant j’en connais beaucoup moins bien la situation et je suis beaucoup moins lié à la population que certains camarades de la région. Les camarades qui gagneront les bases antijaponaises du Chansi, du Hopei, du Chantong et d’autres provinces devront penser sérieusement à cette question.

Ce n’est pas tout ; de même à l’intérieur d’une base d’appui, comme ses différentes régions n’ont pas été établies au même moment, on distingue les cadres du lieu et les cadres venus d’ailleurs. Les cadres qui, de régions plus avancées, sont envoyés dans des régions moins avancées y sont considérés comme des cadres venus de l’extérieur ; eux aussi prêteront une grande attention à l’aide qu’ils doivent apporter aux cadres locaux.

D’une manière générale, là où ils sont à la direction, les cadres venus de l’extérieur, au cas où leurs relations avec les cadres locaux laisseraient à désirer, doivent en porter la principale responsabilité.

Cette responsabilité sera plus grande pour les camarades qui assument les fonctions dirigeantes principales. En divers endroits, l’attention accordée à ce problème est loin d’être suffisante. Certains traitent les cadres locaux avec dédain et se moquent d’eux en disant : « Qu’est-ce qu’ils comprennent, ces gens du pays, ces rustres ! ».

Ce qui prouve qu’ils n’ont aucune idée de l’importance des cadres locaux, qu’ils ne connaissent ni les qualités de ces derniers ni leurs propres défauts, qu’ils ont adopté une attitude fausse, sectaire. Tous les cadres venus de l’extérieur ont le devoir de veiller sur les cadres locaux et de leur apporter une aide constante ; ils n’ont pas le droit de se moquer d’eux ni de les brimer.

Bien entendu, les cadres locaux, de leur côté, s’inspireront des qualités des cadres venus de l’extérieur ; ils se débarrasseront de leurs vues étroites et inadéquates, de façon à abattre les barrières, à ne faire qu’un avec eux et à éviter par là toute tendance au sectarisme.

Ces principes s’appliquent également aux rapports entre les cadres de l’armée et les cadres civils ; eux aussi s’uniront étroitement et combattront les tendances sectaires. Les cadres de l’armée et les cadres civils ont le devoir de s’entraider.

En cas de désaccord, les deux parties se montreront compréhensives l’une envers l’autre et procéderont chacune à une autocritique appropriée. En règle générale, là où la direction est en fait exercée par les cadres de l’armée, ce sont ces derniers qui, au cas où leurs relations avec les cadres civils laisseraient à désirer, doivent en porter la principale responsabilité.

Il faut, avant tout, que les cadres de l’armée comprennent leur responsabilité et qu’ils se conduisent avec modestie à l’égard des cadres civils ; c’est ainsi seulement que pourront être créées, dans les bases d’appui, les conditions favorables à l’effort de guerre et au travail d’édification.

Il en est de même des rapports entre unités militaires, entre régions et entre secteurs de travail. Il faut lutter contre les tendances particularistes qui consistent à ne tenir compte que de ses propres intérêts en négligeant ceux des autres.

Tous ceux qui restent indifférents devant les difficultés des autres, qui repoussent leurs demandes d’envoi de cadres ou ne leur en cèdent que de mauvais, qui « considèrent le champ du voisin comme leur déversoir », qui se désintéressent complètement des autres unités, régions ou secteurs de travail sont des particularistes.

Ils ont entièrement perdu l’esprit communiste. Ce qui les caractérise, c’est le refus de considérer les intérêts de l’ensemble, c’est l’indifférence totale à l’égard des autres unités, régions ou secteurs de travail. Il faut renforcer l’éducation de ces gens pour leur faire comprendre que ce sont là des tendances sectaires qui risqueraient de devenir très dangereuses si on leur laissait libre cours.

Il y a encore un problème, celui des rapports entre les vieux et les nouveaux cadres. Depuis le début de la Guerre de Résistance, notre Parti s’est considérablement développé, et on a vu apparaître un grand nombre de nouveaux cadres, ce qui est une très bonne chose.

Dans son rapport au XVIIIe Congrès du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., le camarade Staline a dit : « … les vieux cadres, il y en a toujours trop peu, moins qu’il n’en faut ; et ils commencent en partie à quitter les rangs, de par les lois de la nature ».

Il parle ici de la situation des cadres et aussi des lois de la nature.

Si, dans notre Parti, il n’existe pas une collaboration pleine et entière entre la grande masse des nouveaux cadres et les vieux cadres, notre cause risque d’être abandonnée à mi-chemin. C’est pourquoi tous les vieux cadres doivent réserver le meilleur accueil aux nouveaux cadres et leur témoigner la plus chaleureuse sollicitude.

Bien entendu, ces derniers ont leurs défauts : ils ne participent à la révolution que depuis peu de temps, ils manquent d’expérience, certains traînent encore avec eux des restes de l’idéologie pernicieuse de la vieille société, c’est-à-dire des survivances de l’individualisme petit-bourgeois.

Mais ils peuvent éliminer progressivement ces défauts en s’éduquant et en s’aguerrissant dans la révolution. Le trait positif des jeunes cadres, comme le dit Staline, c’est qu’ils ont un sens aigu du nouveau et, partant, font preuve d’un grand enthousiasme, d’une grande activité. Or, c’est justement ce qui fait défaut à certains de nos vieux cadres.

Vieux et nouveaux doivent donc se respecter mutuellement, s’instruire les uns auprès des autres, surmonter leurs points faibles en se transmettant leurs qualités, afin de former un bloc uni pour la cause commune et de prévenir les tendances sectaires. D’une manière générale, là où de vieux cadres jouent le rôle essentiel dans la direction, si leurs relations avec les nouveaux cadres laissent à désirer, ils doivent être tenus pour principaux responsables.

Tous les rapports dont je viens de parler, entre la partie et le tout, entre le Parti et ses membres, entre les cadres locaux et les cadres venus de l’extérieur, entre les cadres de l’armée et les cadres civils, entre unités militaires, entre régions, entre secteurs de travail, entre vieux et nouveaux cadres, sont des relations à l’intérieur du Parti.

Dans tous ces cas, il faut renforcer l’esprit communiste et prévenir l’apparition de tendances sectaires, afin de maintenir nos rangs bien alignés et de marcher du même pas, dans l’intérêt de notre combat.

C’est là une question très importante, qu’il nous faut résoudre complètement au cours de la rectification du style de travail dans le Parti. Le sectarisme est une manifestation du subjectivisme dans le domaine de l’organisation ; si nous tenons à surmonter le subjectivisme, si nous voulons développer l’esprit marxiste-léniniste qui consiste à rechercher la vérité dans les faits, nous devons débarrasser notre Parti de toutes les survivances du sectarisme et partir du principe que les intérêts du Parti sont au-dessus de tous les intérêts personnels et de tous les intérêts particuliers ; ainsi, notre Parti atteindra à une unité et à une cohésion totales.

Les survivances du sectarisme doivent être éliminées non seulement dans les relations intérieures du Parti, mais également dans ses relations extérieures. La raison en est que, pour vaincre l’ennemi, il ne suffit pas d’unir tous nos membres, il faut unir tout le peuple.

Le Parti communiste chinois a effectué, en vingt ans, un travail énorme et difficile dans ce sens, et depuis le début de la Guerre de Résistance, il a remporté des succès encore plus grands que par le passé.

Mais cela ne signifie nullement que tous nos camarades aient une attitude correcte dans leurs relations avec les masses populaires, qu’ils soient exempts de tendances sectaires.

Non ! En fait, ces tendances se manifestent encore chez une partie d’entre eux, et même très sérieusement chez certains.

Beaucoup aiment à parader devant les non-communistes, qu’ils regardent avec condescendance ou mépris, se refusant à les respecter et à reconnaître leurs qualités.

C’est bien là une tendance sectaire.

La lecture de quelques ouvrages marxistes les rend plus arrogants au lieu de leur inspirer plus de modestie ; à leurs yeux, les autres ne valent jamais rien, et pourtant eux-mêmes sont encore à moitié ignorants. Nos camarades doivent comprendre cette vérité : les communistes seront toujours une minorité par rapport aux non-communistes.

A supposer qu’il y ait un communiste sur cent personnes, il y aurait donc 4.500.000 communistes sur les 450 millions d’habitants de la Chine. Même si les effectifs de notre Parti atteignaient un chiffre aussi élevé, il n’y aurait encore qu’un pour cent de communistes contre 99 pour cent de non-communistes.

Quelle raison pourrions-nous avoir de ne pas coopérer avec ces derniers ? Nous avons le devoir de coopérer avec tous ceux qui le désirent ou qui sont susceptibles de coopérer avec nous ; nous n’avons absolument pas le droit de les repousser. Pourtant, certains membres du Parti ne comprennent pas encore cette vérité ; ils considèrent avec dédain ceux qui désirent coopérer avec nous et vont même jusqu’à les repousser.

Or, rien ne justifie une telle façon d’agir. Est-ce que Marx, Engels, Lénine et Staline nous ont donné des raisons qui la justifieraient ? Non !

Au contraire, ils nous recommandent constamment de maintenir une liaison étroite avec les masses, de ne pas nous couper des masses. Est-ce que notre Comité central nous adonné de telles raisons ? Non !

Aucune de ses résolutions ne nous autorise à nous couper des masses, à nous isoler. Au contraire, il n’a cessé de nous demander de nous lier étroitement avec les masses, de ne pas nous couper d’elles. Tout acte qui nous écarte des masses n’est donc aucunement justifié ; il résulte d’idées sectaires forgées par certains de nos camarades.

Comme ce genre de sectarisme continue de se manifester, et même très sérieusement, et qu’il gêne l’application de la ligne du Parti, nous devons, à ce propos, faire au sein du Parti un vaste travail d’éducation. Il faut, avant tout, que nos cadres saisissent réellement la gravité du problème, qu’ils comprennent que si les communistes ne s’unissent pas avec les cadres non communistes et les gens qui ne sont pas du Parti, l’ennemi ne pourra être vaincu et les objectifs de la révolution ne seront pas atteints.

Toutes les idées sectaires relèvent du subjectivisme et sont incompatibles avec les besoins réels de la révolution ; il faut donc lutter à la fois contre le sectarisme et contre le subjectivisme.

Quant au style stéréotypé dans le Parti, je n’ai plus le temps d’en parler aujourd’hui ; nous en discuterons à une autre réunion.

Je dirai seulement qu’il est un réceptacle d’immondices, une manifestation du subjectivisme et du sectarisme. Il nuit aux gens et porte préjudice à la révolution, aussi devons-nous nous en débarrasser complètement.

Pour combattre le subjectivisme, nous devons propager le matérialisme et la dialectique. Mais bien des camarades dans notre Parti n’attachent pas d’importance à cette propagande.

Certains laissent en toute sérénité propager le subjectivisme. Ils s’imaginent avoir des convictions marxistes, mais ne font aucun effort pour propager le matérialisme ; et quand ils entendent ou remarquent quelque chose de subjectiviste, ils n’y réfléchissent pas ni ne manifestent leur opinion. Ce comportement est indigne d‘un communiste. Beaucoup de nos camarades sont intoxiqués par des idées subjectivistes, qui paralysent leur esprit. Il nous faut donc lancer une campagne d’éclaircissement au sein du Parti, afin d’aider ces camarades à se sortir du brouillard du subjectivisme et du dogmatisme ; il faut les inviter à boycotter le subjectivisme, le sectarisme et le style stéréotypé dans le Parti.

Ces choses-là sont pareilles à la camelote japonaise ; seul l’ennemi souhaite que nous y restions attachés afin de nous maintenir dans l’hébétude ; boycottons-les au même titre que les marchandises japonaises.

Nous devons boycotter le subjectivisme, le sectarisme et le style stéréotypé dans le Parti, afin d’en rendre l’écoulement difficile sur le marché et de les empêcher de trouver un débouché à la faveur du bas niveau théorique dans le Parti.

A cette fin, nos camarades doivent développer leur flair et examiner chaque chose, pour juger si elle est bonne ou mauvaise, s’il faut l’accueillir ou la boycotter. En toute chose, un communiste doit se poser la question du pourquoi ; il doit réfléchir mûrement, voir si tout est vraiment fondé et conforme à la réalité. En aucun cas, il ne faut suivre aveuglément les autres et préconiser la soumission servile.

Enfin, dans notre lutte contre le subjectivisme, le sectarisme et le style stéréotypé du Parti, il est deux préceptes que nous ne devons pas perdre de vue : en premier lieu : « tirer la leçon des erreurs du passé pour en éviter le retour, en second lieu, « guérir la maladie pour sauver l’homme ».

Il est indispensable de dénoncer sans aucune exception les erreurs commises, en dehors de toute considération de personne, de soumettre à une analyse et à une critique scientifiques tout ce qu’il y a eu de négatif dans le passé, afin d’agir à l’avenir avec plus de circonspection et de travailler mieux.

Tel est le sens du premier précepte. Toutefois, en mettant en évidence les erreurs et en critiquant les défauts, nous poursuivons le même but qu’un médecin ; il soigne le malade pour lui sauver la vie et non pour le faire périr.

Quelqu’un souffre de l’appendicite : le médecin enlève l’appendice et sauve ainsi la vie du patient. Si celui qui a commis une erreur ne dissimule pas sa maladie par crainte du traitement et ne persiste pas dans son erreur au point de ne plus pouvoir être guéri, mais manifeste honnêtement, sincèrement, le désir de se soigner, de se corriger, nous nous en réjouirons et nous le guérirons, afin qu’il devienne un bon camarade.

Cette tâche, nous ne pourrons jamais la remplir avec succès si, cédant à l’impulsion du moment, nous frappons sans merci. Pour soigner une maladie idéologique ou politique, il faut se garder de toute brutalité : la seule méthode juste et efficace, c’est de « guérir la maladie pour sauver l’homme ».

Aujourd’hui, j’ai saisi l’occasion offerte par l’ouverture de l’Ecole du Parti pour vous parler longuement ; j’espère, Camarades, que vous réfléchirez à ce que j’ai dit. (Vifs applaudissements)

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Réformons notre étude

Mai 1941

   Rapport présenté par le camarade Mao Tsé-toung à une réunion de cadres à Yenan.

   J’estime qu’il convient de réformer dans tout le Parti notre méthode et notre système d’étude. Et cela pour les raisons que je vais exposer.

I

   Les vingt années d’existence du Parti communiste chinois ont été vingt années d’union toujours plus étroite de la vérité universelle du marxisme-léninisme avec la pratique concrète de la révolution chinoise. Il nous suffit de nous rappeler combien superficielle, combien pauvre était notre connaissance du marxisme-léninisme et de la révolution chinoise dans les années où notre Parti était encore dans l’enfance pour voir combien elle est plus profonde et plus riche aujourd’hui.

Au cours des cent dernières années, la nation chinoise était plongée dans de profonds malheurs ; ses meilleurs fils et filles, en quête d’une vérité qui pût sauver le pays et le peuple, ont lutté et donné leur vie, comblant tour à tour les vides laissés par ceux qui tombaient : épopée digne de recevoir le tribut de nos chants et de nos larmes.

   Ce n’est toutefois qu’après la Première guerre mondiale et la Révolution d’Octobre en Russie que nous avons découvert le marxisme-léninisme, cette vérité suprême, et reconnue en lui la meilleure arme pour libérer notre peuple ; et c’est le Parti communiste chinois qui fut l’initiateur, le propagateur et l’organisateur quant à l’emploi de cette arme.

Dès que la vérité universelle du marxisme-léninisme fut liée à la pratique concrète de la révolution chinoise, celle-ci prit un tour entièrement nouveau.

Depuis le début de la Guerre de Résistance contre le Japon, notre Parti, se fondant sur la vérité universelle du marxisme-léninisme, a progressé dans l’étude de la pratique concrète de cette guerre et dans l’étude de la Chine et du monde d’aujourd’hui ; de plus, les premiers pas ont été faits dans l’étude de l’histoire de la Chine et du monde d’aujourd’hui ; de plus, les premiers pas ont été faits dans l’étude de l’histoire de la Chine. Ce sont là de très bons signes.

II

   Cependant, nous avons encore des insuffisances, et même de très grandes. A mon avis, tant qu’elles ne seront pas surmontées, nous ne pourrons faire de nouveaux progrès dans notre travail, ni pousser plus avant cette œuvre grandiose que constitue l’union de la vérité universelle du marxisme-léninisme et de la pratique concrète de la révolution chinoise.

   Commençons par l’étude de la situation actuelle. Certes, nous avons obtenu quelques succès dans l’étude de la situation actuelle tant intérieure qu’internationale, cependant, pour un grand parti politique comme le nôtre, les matériaux que nous avons recueillis dans tous les domaines — politique, militaire, économique et culturel — de la vie intérieure et internationale restent bien fragmentaires et notre travail de recherche n’est pas encore mené de façon systématique.

D’une manière générale, nous n’avons fait ces vingt dernières années aucun travail vraiment systématique et minutieux pour rassembler et étudier les matériaux relatifs à tous les domaines énumérés, nous manquons d’enthousiasme pour les enquêtes et l’étude consacrée à la réalité objective.

   Nombre de camarades du Parti ont encore un très mauvais style de travail diamétralement opposé à l’esprit même du marxisme léninisme ;ils sont comme l’homme qui tente d’attraper un moineau les yeux bandés ou comme l’aveugle qui veut attraper un poisson, et ne travaillent pas soigneusement se complaisent dans des bavardages prétentieux, ne se contentent de bribes de connaissances mal assimilées.

Marx Engels, Lénine Staline nous enseignent qu’il faut étudier consciencieusement la situation, en partant de la réalité objective et non de nos désirs subjectifs et pourtant, nombre de nos camarades agissent directement à l’encontre de cette vérité.

   Passons à l’étude de l’histoire. Un petit nombre de membres et de sympathisants de notre Parti ont entrepris cette étude, mais leurs recherches n’étaient pas organisées.

   L’histoire de la Chine, celle des cent dernières années comme celle de l’antiquité, reste entièrement obscure pour bien des membres du Parti. Beaucoup de nos savants marxistes-léninistes font allusion à tout propos à la Grèce antique, mais je regrette de devoir leur dire qu’ils ont complètement oublié nos propres ancêtres.

L’enthousiasme fait encore défaut chez nous, que ce soit pour une étude sérieuse de la situation actuelle ou pour une étude sérieuse de l’histoire.

   Passons enfin à l’étude de l’expérience révolutionnaire internationale, à l’étude de la vérité universelle du marxisme-léninisme.

Il semble que beaucoup de camarades étudient le marxisme-léninisme non pour les besoins de la pratique révolutionnaire, mais simplement pour l’étude elle-même. Aussi n’arrivent-ils pas à digérer ce qu’ils ont lu.

Ils ne savent qu’emprunter des phrases et des mots isolés aux œuvres de Marx, Engels, Lénine, Staline et ils sont incapables d’adopter la position, le point de vue et la méthode de ces derniers pour étudier d’une manière concrète la situation présente et l’histoire de la Chine, analyser concrètement les problèmes de la révolution chinoise et les résoudre. Une telle attitude à l’égard du marxisme-léninisme est extrêmement nuisible, en particulier chez les cadres des échelons moyens et supérieurs.

   Les trois points que j’ai mentionnés plus haut — négligence de l’étude de la situation actuelle, négligence de l’étude de l’histoire, négligence de l’application pratique du marxisme-léninisme — traduisent un très mauvais style de travail qui, en se répandant, a exercé une influence pernicieuse sur nombre de nos camarades.

   Et, de fait, il existe actuellement dans nos rangs beaucoup de camarades que ce style de travail a fourvoyés. On se refuse à procéder systématiquement et minutieusement à des enquêtes et à des études concernant la situation concrète à l’intérieur et à l’extérieur du pays, de la province, du district et de l’arrondissement, et on donne des ordres en se fondant exclusivement sur des bribes de connaissances mal assimilées, sur des intuitions personnelles. Ce style subjectiviste de travail n’existe-t-il pas encore chez beaucoup de nos camarades ?

   On ignore absolument l’histoire de son pays ou on la connaît très mal et, au lieu d’avoir honte de cette ignorance, on s’en fait un titre de gloire !

Ce qui est plus grave, c’est que très peu de camarades connaissent réellement l’histoire du Parti communiste chinois et l’histoire de la Chine des cent dernières années depuis la Guerre de l’Opium. Personne, pour ainsi dire, ne s’est occupé sérieusement de l’histoire économique, politique, militaire ou culturelle de la Chine des cent dernières années.

Ignorants de ce qui nous est propre, certains ne peuvent alors que raconter des histoires sur la Grèce antique et d’autres pays. Et même là, il s’agit de connaissances pitoyables qu’ils ont été ramasser au hasard dans le fatras des vieux ouvrages étrangers bons à mettre au panier.

   Au cours des dernières décennies, beaucoup de ceux qui ont fait leurs études à l’étranger ont souffert de cette maladie. A leur retour d’Europe, d’Amérique ou du Japon. ils ne savent que débiter ce qu’ils ont avalé tout cru à l’étranger.

Devenus des phonographes, ils oublient que leur devoir est de comprendre le nouveau, de créer du nouveau. Cette maladie a également atteint le Parti communiste.

   Nous étudions le marxisme. mais la méthode employée par beaucoup d’entre nous va directement à l’encontre du marxisme. En d’autres termes, ils violent un principe fondamental, recommandé avec instance par Marx. Engels. Lénine et Staline : celui de l’unité de la théorie et de la pratique. Violant ce principe, ils en ont inventé un qui est son contraire : celui de la séparation de la théorie d’avec la pratique.

Dans les écoles comme dans les cours destinés aux cadres en fonction, les professeurs de philosophie n’orientent pas les élèves vers l’étude de la logique de la révolution chinoise, les professeurs de sciences économiques ne les orientent pas vers l’étude des particularités de l’économie chinoise, les professeurs de sciences politiques ne les orientent pas vers l’étude de la tactique de la révolution chinoise, et les professeurs de sciences militaires, vers l’étude de la stratégie et de la tactique qui répondent aux conditions spécifiques de la Chine, etc.

Il en résulte que des erreurs se répandent et que beaucoup de mal est ainsi fait. Ce qu’on a appris à Yenan, on ne sait pas l’appliquer à Fouhsien.

[Fouhsien se trouve à environ 70 kilomètres au sud de Yenan.]

Si un professeur de sciences économiques est incapable d’expliquer ce que sont le pienpi et le fapi, il est évident que son élève ne saura pas davantage le faire.

[Pienpi : billets de banque émis par la Banque du Gouvernement de la Région frontière du Chensi-Kansou-Ninghsia. Fapi : papier-monnaie émis à partir de 1935 par les quatre grosses banques du capital bureaucratique du Kuomintang avec l’appui des impérialistes britanniques et américains. Ici, il est fait allusion aux fluctuations du cours du change entre le pienpi et le fapi à l’époque.]

Cela a engendré un état d’esprit anormal chez beaucoup d’élèves : au lieu de s’intéresser aux problèmes chinois et d’accorder l’importance voulue aux directives du Parti, ils s’entichent des dogmes prétendument éternels qu’ils ont appris de leurs maîtres.

   Bien sûr, ce sont là des exemples de ce qu’il y a de plus négatif ; il ne s’agit pas de la situation générale dans le Parti. Mais de tels faits existent réellement ; ils sont même assez nombreux et causent déjà assez de mal pour qu’on ne puisse les considérer avec indifférence.

III

   Afin de donner une explication plus poussée de ce que je viens de dire. je voudrais comparer deux attitudes opposées.

   La première est l’attitude subjectiviste.

   Avec cette attitude, les gens ne font pas une étude systématique et minutieuse de la réalité environnante ; ils se fient dans le travail à leur seul enthousiasme et n’ont qu’une idée confuse du visage de la Chine d’aujourd’hui.

Avec cette attitude, ils rompent le fil de l’histoire, ils connaissent la Grèce antique et non la Chine ; la Chine d’hier et d’avant-hier reste pour eux entièrement obscure. Avec cette attitude ils étudient le marxisme–léninisme dans l’abstrait, sans but déterminé. Ils étudient cette théorie non pour trouver chez Marx. Engels, Lénine et Staline la position, le point de vue, la méthode propres à résoudre les problèmes théoriques et tactiques de la révolution chinoise, mais exclusivement pour la théorie elle-même.

Au lieu de tirer sur l’objectif, ils décochent leurs flèches au hasard. Marx, Engels, Lénine et Staline nous enseignent qu’il faut partir de la réalité objective et en dégager les lois qui vont nous guider dans notre action.

   A cette fin, il est nécessaire, comme le dit Marx, de recueillir minutieusement les matériaux et d’en faire l’objet d’une analyse et d’une synthèse scientifiques.

[Marx écrit : “A l’investigation de faire la matière sienne dans tous ses détails, « en analyser les diverses formes de développement et de découvrir leur lien intime. Une fois cette tâche accomplie, mais seulement alors, le mouvement réel peut être exposé dans son ensemble.” (‘Postface à la seconde édition allemande”, Le Capital, livre premier, tome I.]

Beaucoup d’entre nous procèdent tout autrement. Les uns, qui s’adonnent à un travail de recherche, ne s’intéressent ni à la Chine d’aujourd’hui ni à la Chine d’hier ; tout leur intérêt se porte sur l’étude de “théories” creuses et coupées de la réalité.

D’autres, qui s’occupent d’un travail pratique, négligent eux aussi l’étude des conditions objectives et, se fiant à leur seul enthousiasme, ils substituent souvent leurs sentiments personnels à la politique du Parti. Ces deux catégories de gens procèdent d’une manière subjective, sans tenir compte de la réalité objective.

Font-ils une conférence, c’est toujours le même plan énumératif : A. B. C, D, puis 1, 2, 3, 4, etc. ; écrivent-ils un article, c’est une suite de bavardages prétentieux. Ils ne recherchent pas la vérité dans faits, mais débitent de belles phrases pour plaire au public. Ils sont brillants, mais sans substance, fragiles et sans fermeté. Ils se croient infaillibles, se prennent pour les plus grandes autorités d’ici-bas et sont omniprésents comme des “envoyés impériaux”.

Tel est le style de travail de certains camarades dans nos rangs. Adopter ce style de travail pour soi-même, c’est nuire à soi-même ; l’adopter pour instruire les autres, c’est nuire aux autres ; l’adopter pour diriger la révolution, c’est nuire à la révolution.

   Bref, cette méthode subjectiviste, antiscientifique, qui prend le contrepied du marxisme léninisme, est un grand ennemi du Parti communiste, de la classe ouvrière, du peuple, de la nation — c’est la marque de l’absence d’un : véritable esprit de parti.

Quand nous avons affaire à un tel ennemi, nous devons l’anéantir. C’est seulement lorsque le subjectivisme aura été vaincu que la vérité du marxisme-léninisme prendra dessus, que l’esprit de parti se renforcera, que la révolution triomphera. Il faut noter que l’absence d’une attitude scientifique, c’est-à-dire l’absence d’une attitude marxiste-léniniste qui unit la théorie à la pratique signifie manque ou insuffisance d’esprit de parti.

   Je citerai ici une sentence parallèle qui fait le portrait de ceux dont je parle :

   Roseau sur le mur, tête lourde, pieds faibles, racine mince ;

   Pousses de bambou sur les monts, bec acéré, peau épaisse, ventre creux.

   Dites-moi, ces vers ne vous rappellent-ils pas ces gens qui ne procèdent pas d’une manière scientifique, qui ne savent que réciter des phrases et des mots isolés, extraits des œuvres de Marx, Engels, Lénine et Staline, qui jouissent d’une fausse réputation sans posséder le vrai savoir ?

Si quelqu’un veut réellement se guérir de cette maladie, je lui conseillerai de noter ces vers ou, ce qui demande un peu plus de courage, de les coller sur le mur de sa chambre. Le marxisme-léninisme est une science, et la science est une connaissance qu’on ne peut acquérir que d’une manière honnête ; pas moyen de ruser avec elle. Alors, soyons honnêtes !

   La seconde est l’attitude marxiste-léniniste.

   Ceux qui adoptent cette attitude procèdent à des enquêtes et à une étude systématiques et minutieuses sur la réalité environnante, en appliquant la théorie et la méthode marxistes-léninistes. Dans leur travail, ils ne se fient pas à leur seul enthousiasme, mais agissent, comme le dit Staline, en unissant l’élan révolutionnaire et le sens pratique.

Avec cette attitude, on ne rompt pas le fil de l’histoire. On ne se contente pas de la seule connaissance de la Grèce antique, mais on cherche encore à connaître la Chine ; on veut connaître non seulement l’histoire du mouvement révolutionnaire dans les pays étrangers, mais aussi l’histoire de la révolution en Chine, non seulement la Chine d’aujourd’hui, mais aussi celle d’hier et d’avant-hier.

   Celui qui adopte cette attitude étudie la théorie marxiste-léniniste dans un but déterminé, qui est d’unir la théorie marxiste-léniniste avec la réalité du mouvement de la révolution chinoise et de trouver dans le marxisme-léninisme la position, le point de vue et la méthode qui permettent de résoudre les problèmes théoriques et tactiques de la révolution chinoise.

Dans ce cas, on décoche sa flèche en visant l’objectif. L’ « objectif  » en l’occurrence, c’est la révolution chinoise ; la “flèche”, c’est le marxisme-léninisme.

Nous, communistes chinois, nous avons été chercher justement pour atteindre cet “objectif” : la révolution en Chine, la révolution en Orient. Une telle attitude consiste à rechercher la vérité dans les “faits”. Les  » faits  » ce sont les choses et les phénomènes tels qu’ils existent objectivement ; la ‘vérité”, c’est le lien interne de ces choses et phénomènes, c’est-à-dire les lois qui les régissent ;  » rechercher  » c’est étudier.

   Nous devons partir de la situation réelle à l’intérieur et à l’extérieur du pays, de la province, du district et de l’arrondissement, en dégager, pour guider notre action, les lois qui sont propres à cette situation et non pas engendrées par notre imagination, c’est-à-dire trouver le lien interne des événements qui se déroulent autour de nous.

Pour cela, nous devons, en comptant non sur nos idées subjectives, sur l’élan d’un instant, sur la connaissance livresque, mais sur les faits tels qu’ils existent objectivement, recueillir minutieusement les matériaux et, à la lumière des principes généraux du marxisme-léninisme, en tirer des conclusions justes.

   Ces conclusions ne seront pas une simple énumération de phénomènes dans l’ordre A, B, C, D ; ce ne seront pas non plus des écrits remplis de clichés usés et de bavardages prétentieux, ce seront des conclusions scientifiques. Une telle attitude implique le désir de rechercher la vérité dans les faits et non de plaire au public en débitant de belles phrases.

Une telle attitude n’est autre que l’expression de l’esprit de parti, le style de travail marxiste-léniniste qui unit la théorie à la pratique.

C’est le minimum requis d’un communiste. Celui qui adopte cette attitude ne sera ni de l’espèce “tête lourde, pieds faibles, racine mince”, ni de l’espèce “bec acéré, peau épaisse, ventre creux”.

IV

   Conformément aux vues énoncées ci-dessus, je fais les propositions suivantes :

   1) Poser comme tâche devant tout le Parti, l’étude systématique et complète de la réalité environnante. Soumettre à des enquêtes et à une étude minutieuses, suivant la théorie et la méthode marxistes-léninistes, les activités de nos ennemis, celles de nos amis et les nôtres, dans les domaines économique, financier, politique, militaire, culturel, et dans celui des affaires de parti, puis en tirer les conclusions logiques et nécessaires.

A cette fin, diriger l’attention de nos camarades sur les enquêtes et les études concernant les faits réels ; leur faire comprendre que la tâche fondamentale des organes dirigeants du Parti communiste consiste en deux choses importantes : connaître la situation telle qu’elle est et savoir bien appliquer la politique, c’est-à-dire connaître le monde et le transformer.

Nos camarades doivent comprendre que celui qui n’a pas fait d’enquêtes n’a pas droit à la parole ; que les bavardages prétentieux, débités à tort et à travers, la simple énumération des phénomènes dans l’ordre numérique 1, 2, 3, 4 ne servent à rien. Prenons par exemple le travail de propagande.

Si nous ignorons comment la propagande est menée par nos ennemis, nos amis et nous-mêmes, nous n’aurons pas la possibilité de fixer d’une façon correcte notre politique dans ce domaine. Dans le travail de n’importe quel secteur, il nous faut connaître les conditions réelles avant de pouvoir trouver une bonne solution.

L’application d’un plan d’enquêtes et d’étude dans tout le Parti constitue le chaînon fondamental pour amener un changement du style de travail dans notre Parti.

   2) Réunir des personnes compétentes pour faire des études sur l’histoire de la Chine des cent dernières années, selon le principe de la division du travail et de la coopération, et en finir avec le manque d’organisation dans ce domaine.

Commencer ce travail par une étude analytique des secteurs suivants : histoire économique, histoire politique, histoire militaire, histoire culturelle de la Chine, et c’est ensuite seulement qu’il sera possible de passer à l’étude synthétique.

   3) Etablir, pour l’éducation des cadres en fonction comme pour l’enseignement dans les écoles de cadres, le principe selon lequel les études doivent être centrées sur les questions pratiques de la révolution chinoise et guidées par les principes fondamentaux du marxisme-léninisme ; abandonner la méthode consistant à étudier le marxisme-léninisme d’un point de vue statique et en dehors de la réalité.

Adopter, comme principal matériel d’étude du marxisme-léninisme, l’Histoire du Parti communiste (bolchevik) de l’U.R.S.S.

Cet ouvrage est la meilleure synthèse et le meilleur bilan du mouvement communiste mondial des cent dernières années, c’est le modèle de l’union de la théorie et de la pratique, l’unique modèle achevé qu’on trouve actuellement dans le monde.

En voyant comment Lénine et Staline ont uni la vérité universelle du marxisme à la pratique concrète de la révolution en Union Soviétique et ont, sur cette base, développé le marxisme, nous comprendrons comment nous devons travailler chez nous en Chine.

   Nous avons fait bien des détours. Mais il arrive fréquemment que des erreurs ouvrent la voie à la vérité. Je suis convaincu que dans le contexte si riche et si vivant de la révolution en Chine et dans le monde entier, la réforme de notre étude donnera de bons résultats.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : lettre à B.T. Ranadive

LETTRE À B.T. RANADIVE

SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU

PARTI COMMUNISTE D’INDE

Cher camarade Ranadive,

J’ai reçu votre télégramme de félicitations en date du 12 octobre et je vous remercie beaucoup des salutations chaleureuses que vous avez adressées à la République Populaire de Chine et au Parti communiste de Chine.

Tout le peuple chinois a éprouvé de la joie et de la fierté en trouvant dans votre télégramme l’expression de l’amitié fraternelle du peuple révolutionnaire indien.

La nation indienne est une des grandes nations de l’Asie, avec une longue histoire et une nombreuse population. Son destiné passé et son chemin vers l’avenir ressemblent à bien des égards à ceux de la Chine.

Je suis fermement persuadé que, s’appuyant sur le vaillant Parti communiste d’Inde, et sur l’unité et la lutte de tous les patriotes indiens, l’Inde ne restera pas longtemps sous le joug de l’impérialisme et de ses collaborateurs.

Comme la Chine libre, une Inde libre émergera un jour dans le monde comme un membre de la famille du socialisme et de la démocratie populaire. Ce jour-là mettra fin à l’époque de l’impérialisme réactionnaire dans l’histoire de l’humanité.

Mes meilleurs voeux à la victoire de l’unité et de la lutte du peuple patriotique de l’Inde!

Vive l’unité fraternelle du peuple indien et du peuple chinois!

Mao Zedong, 19 novembre 1949

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : L’impérialisme américain est un tigre de papier

14 Juillet 1956

Extraits d’un entretien du camarade Mao Tsétoung avec deux personnalités latino-américaines.

Partout, les Etats-Unis arborent l’enseigne de l’anticommunisme pour agresser d’autres pays.

   Les Etats-Unis se sont endettés partout dans le monde : ils ont des dettes envers les pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique ; ils en ont aussi auprès des pays d’Europe et d’Océanie.

   Le monde entier, la Grande-Bretagne y compris, déteste les Etats-Unis. Les larges masses populaires les détestent.

   Le Japon les déteste parce qu’ils l’oppriment.

   Il n’existe aucun pays en Orient qui ne soit en butte à leur agression. Ils ont envahi notre province de Taïwan. Le Japon, la Corée, les Philippines, le Viet Nam et le Pakistan sont tous victimes de leur agression, et pourtant certains de ces pays sont leurs alliés.

   Les peuples sont mécontents, de même que les autorités de certains pays.

   Toutes les nations opprimées veulent l’indépendance. Tout est sujet au changement.

   Les grandes forces décadentes feront place aux petites forces naissantes.

   Les petites forces deviendront grandes, parce que la majorité des gens aspirent au changement.

   La grande force que représente l’impérialisme américain deviendra petite, parce que le peuple américain, lui aussi, est mécontent du gouvernement de son pays.

   Au cours de ma vie, j’ai été témoin de tels changements. Parmi les camarades ici présents, quelques-uns sont nés sous la dynastie des Tsing, d’autres à l’époque de la République chinoise.

   La dynastie des Tsing a été renversée il y a longtemps. Par qui ? Par le parti que dirigeait Sun Yat-sen et par le peuple. Sun Yat-sen disposait de forces très faibles, et les dignitaires de la dynastie des Tsing ne le prenaient pas au sérieux.

   Il a dirigé de nombreuses insurrections qui se sont toujours soldées par un échec.

   Mais, en fin de compte, c’est lui qui a renversé la dynastie des Tsing. Grand n’est pas synonyme de redoutable. Le grand sera renversé par le petit et le petit deviendra grand. Après avoir renversé la dynastie des Tsing, Sun Yat-sen a échoué parce qu’il n’a pas satisfait le peuple qui réclamait entre autres la terre et la lutte contre l’impérialisme.

   En outre, il ne s’est pas rendu compte de la nécessité de réprimer les contre-révolutionnaires qui, à l’époque, se démenaient partout.

   Ainsi, il a été vaincu par Yuan Che-kai, chef de file des seigneurs de guerre du Peiyang. Les forces de Yuan Che-kai étaient plus puissantes que celles de Sun Yat-sen.

   Cependant, c’était toujours cette loi qui jouait : liée au peuple, une petite force devient puissante ; opposée au peuple, une grande force s’affaiblit. Finalement, les révolutionnaires démocrates bourgeois, partisans de Sun Yat-sen, ont coopéré avec nous, les communistes, et ensemble, nous avons brisé le régime des seigneurs de guerre légué par Yuan Che-kai.

   Tchiang Kaï-chek a régné sur la Chine pendant vingt-deux ans, il a été reconnu par les gouvernements des divers pays du monde et ses forces étaient très puissantes.

   Quant à nous, nous étions faibles, notre Parti dont les effectifs s’étaient élevés à 50.000 ne comptait plus que quelques milliers de membres par suite de la répression contre-révolutionnaire. Nos ennemis provoquaient partout des troubles.

   Mais, c’est encore la même loi qui a prévalu : le fort échoue parce qu’il se coupe du peuple ; le faible finit par triompher parce qu’il est lié au peuple et travaille pour lui. C’est justement ce qui s’est passé.

   A l’époque de la Guerre de Résistance contre le Japon, comme celui-ci était très puissant, les troupes du Kuomintang ont été repoussées dans des régions reculées et les forces armées dirigées par le Parti communiste ne pouvaient que mener la guerre de partisans à la campagne, sur les arrières de l’ennemi.

   Le Japon a occupé de grandes villes de Chine : Pékin, Tientsin, Changhaï, Nankin, Wouhan et Canton. Néanmoins, les militaristes japonais, de même que Hitler en Allemagne, n’ont pas échappé à cette même loi. Ils ont été jetés bas au bout de quelques années.

   Nous avons connu beaucoup de difficultés ; chassés du Sud au Nord, nos effectifs sont tombés de plusieurs centaines de milliers d’hommes à quelques dizaines de milliers. A l’issue de la Longue Marche de 25.000 lis, nous n’étions plus que 25.000 hommes.

   Dans l’histoire de notre Parti ont été commises, à plusieurs reprises, des erreurs de droite ou « de gauche » en matière de ligne, dont les plus graves ont été la déviation de droite de Tchen Tou-sieou et celle « de gauche » de Wang Ming.

   En outre, il y a eu les erreurs déviationnistes de droite de Tchang Kouo-tao, de Kao Kang et d’autres.

   Les erreurs présentent aussi des avantages, elles permettent d’édu-quer le peuple et le Parti. Nous avons eu beaucoup de professeurs par l’exemple négatif, tels que le Japon, les Etats-Unis, Tchiang Kaï-chek, Tchen Tou-sieou, Li Li-san, Wang Ming, Tchang Kouo-tao et Kao Kang. Leurs leçons nous ont coûté cher.

   Dans le passé, la Grande-Bretagne a été plusieurs fois en guerre avec nous.

   La Grande-Bretagne, les Etats-Unis, le Japon, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Russie tsa-riste et les Pays-Bas convoitaient tous notre terre.

   Ils étaient, sans exception, nos professeurs par l’exemple négatif, et nous étions leurs élèves. Pendant la Guerre de Résistance, nos forces armées, en se battant contre le Japon, ont vu leurs effectifs passer à 900.000 hommes.

   Puis, ce fut la Guerre de Libération. Nos armes étaient inférieures à celles du Kuomintang.

   Les troupes du Kuomintang étaient, au départ, fortes de 4 millions d’hommes, mais pendant les trois années de guerre, nous en avons anéanti un total de 8 millions.

   Même avec l’aide de l’impérialisme américain, le Kuomintang n’a pas pu nous vaincre. Le grand, le puissant ne peut pas gagner, tandis que le petit, le faible finit toujours par l’emporter.

   A présent, l’impérialisme américain est très puissant, mais cette puissance n’est pas réelle.

   Il est très faible sur le plan politique, parce qu’il est coupé des larges masses populaires et que tout le monde le déteste, y compris le peuple américain.

   Il est très puissant en apparence mais n’a rien de redoutable en réalité, c’est un tigre en papier.

   Vu de l’extérieur, c’est un tigre, mais il est fait en papier et ne peut résister ni au vent ni à la pluie. A mon avis, les Etats-Unis ne sont rien de plus qu’un tigre en papier.

   L’Histoire tout entière, l’histoire plusieurs fois millénaire de la société de classes de l’humanité, a confirmé cette vérité : le puissant cède la place au faible. Cela s’applique aussi au continent américain.

La paix ne pourra s’établir qu’avec l’élimination de l’impérialisme ; et le jour viendra où ce tigre en papier sera détruit. Cependant, il ne disparaîtra pas de lui-même, il faut que le vent et la pluie s’abattent sur lui.

   Quand nous disons que l’impérialisme américain est un tigre en papier, nous en parlons sur le plan stratégique. Nous devons le mépriser du point de vue de l’ensemble, mais en tenir pleinement compte dans chaque situation concrète. Il a des griffes et des dents.

   Pour le désarmer, il faut les détruire une à une. Par exemple, s’il a dix dents, on commence par lui en briser une, et il lui en reste neuf ; puis, on lui en casse une autre, et il n’en a plus que huit.

   Lorsque ses dents auront été toutes enlevées, il lui restera encore des griffes.

   Pourvu que nous procédions avec sérieux et graduellement, nous finirons par réussir.

   Sur le plan stratégique, il faut mépriser totalement l’impérialisme américain, mais sur le plan tactique, il faut en tenir pleinement compte. Pour lutter contre lui, nous devons accorder de l’importance à chaque combat, à chaque question concrète.

   Aujourd’hui, les Etats-Unis sont puissants, mais à envisager les choses dans un cadre plus large, dans leur ensemble et à longue échéance, du fait qu’ils sont impopulaires, que leur politique est détestée et qu’ils oppriment et exploitent le peuple, le tigre est voué à la mort.

   Par conséquent, il n’a rien de terrible, et on peut le mépriser.

   Cependant, les Etats-Unis sont encore puissants, leur production annuelle d’acier dépasse 100 millions de tonnes, et ils se livrent partout à l’agression.

   Nous devons donc continuer à lutter contre eux, et avec vigueur, afin de leur disputer les positions une à une. Et cela prendra du temps.

   Il semble que pour les pays d’Amérique, d’Asie et d’Afrique, la seule voie à suivre, c’est de poursuivre la querelle avec les Etats-Unis, d’aller jusqu’au bout, jusqu’à la destruction du tigre en papier sous l’effet du vent et de la pluie.

   Pour lutter contre l’impérialisme américain, les gens d’origine européenne dans les pays d’Amérique latine doivent s’unir avec les Indiens autochtones. Peut-être pourrait-on diviser en deux catégories les Blancs immigrés d’Europe : les dominateurs et les dominés.

   Ainsi, il serait plus facile à ces derniers de se rapprocher des autochtones, parce qu’ils se trouvent dans des conditions semblables.

   Nos amis d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique se trouvent dans les mêmes conditions et font le même travail que nous : œuvrer dans l’intérêt du peuple pour réduire l’oppression que l’impérialisme exerce sur lui.

   Si nous faisons un bon travail, nous pourrons supprimer radicalement l’oppression de l’impérialisme. En cela, nous sommes camarades.

   Dans la lutte contre l’oppression de l’impérialisme, rien qui soit essentiel ne nous distingue, si ce n’est nos régions, nos nations et nos langues.

   Par contre, nous différons par essence de l’impérialisme, et sa seule vue nous inspire de la répugnance.

   A quoi bon l’impérialisme ? Le peuple chinois n’en a pas besoin, les peuples du monde entier non plus. L’impérialisme n’a aucune raison d’être.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : La grande amitié

1953

Hommage écrit par Mao Zedong à la mort de Staline

   Joseph Staline, le plus grand génie de notre temps, le grand éducateur du mouvement communiste international, le compagnon d’armes de l’immortel Lénine, nous a quittés pour toujours.

   L’apport du camarade Staline à notre époque en ce qui concerne son oeuvre aussi bien théorique que pratique est inestimable. Le camarade Staline est le représentant de toute une époque nouvelle. Son œuvre a permis au peuple soviétique et aux travailleurs de tous les pays de modifier toute la situation internationale.

Cela signifie que la cause de la justice, de la démocratie populaire et du socialisme a remporté la victoire sur un secteur immense du monde, un secteur comprenant le tiers de la population du globe, soit plus de 800 millions d’habitants. L’influence de cette victoire s’étend de jour en jour en tous les points du monde.

   Le décès du camarade Staline a provoqué un deuil sans exemple parmi les travailleurs du monde entier. Il a profondément affecté tous les honnêtes gens. Ce qui prouve que la cause et les idées du camarade Staline ont pénétré les larges masses populaires du monde entier, et qu’elles sont déjà devenues une force invincible.

Cette force permet aux peuples qui ont déjà triomphé de remporter coup sur coup de nouvelles victoires, et, en même temps, elle permettra à tous ceux qui souffrent encore sous le joug du vieux monde capitaliste pourri de vices de livrer hardiment assaut aux ennemis du peuple.

   Après la mort de Lénine, le peuple soviétique a édifié sous la direction du camarade Staline une société socialise claire, radieuse, dans le premier Etat socialiste du monde que celui-ci a créé avec le grand Lénine lors de la Révolution d’Octobre.

   La victoire de l’édification socialiste en Union Soviétique n’est pas seulement une victoire pour le peuple soviétique mais aussi la victoire commune des peuples du monde entier.

Tout d’abord, cette victoire a inscrit dans la vie elle-même la preuve de la justesse absolue du marxisme-léninisme ; elle a enseigné concrètement aux ouvriers du monde entier la marche à suivre pour arriver à une vie heureuse. Cette victoire a également permis à l’humanité d’écraser la bête fasciste pendant la deuxième guerre mondiale. On ne peut imaginer qu’il ait été possible de remporter la victoire sur le fascisme sans la victoire de l’édification socialiste en URSS. La victoire de l’édification socialiste en URSS et la victoire dans la guerre anti-fasciste sont directement en rapport avec le sort de l’humanité, et la gloire de ces victoires revient à juste titre au grand camarade Staline.

   On doit au camarade Staline un développement classique de la théorie marxiste-léniniste dans tous les domaines ; il a ouvert une nouvelle période dans le développement du marxisme.

Le camarade Staline a enrichi la théorie de Lénine sur le développement inégal du capitalisme, et la théorie sur la possibilité de victoire du socialisme dans un seul pays ; le camarade Staline a enrichi la théorie de la crise générale du système capitaliste ; la théorie de l’édification du communisme en URSS. Il a découvert et défini scientifiquement la loi économique fondamentale du capitalisme actuel et la loi économique fondamentale du socialisme ; il a enrichi la théorie de la révolution dans les pays coloniaux et semi-coloniaux.

Le camarade Staline a aussi développé d’une façon créatrice la théorie léniniste sur l’édification du Parti. Tout cela a rassemblé encore plus étroitement les ouvriers du monde entier ainsi que toutes les classes opprimées et tous les peuples opprimés, ce qui a conféré une intensité sans précédent à la lutte de la classe ouvrière et de tous les peuples opprimés pour leur libération et leur bonheur, et a assuré à cette lutte des succès d’une ampleur inouïe.

   Tous les ouvrages du camarade Staline sont autant d’apports immortels au marxisme. Ses œuvres : Les principes du Léninisme, L’Histoire du Parti Communiste (bolchévik) de l’URSS et son dernier grand ouvrage : Les problèmes économiques du socialisme en URSS sont une encyclopédie du marxisme-léninisme, une somme de l’expérience du mouvement communiste international au cours des cent dernières années.

Son discours au XIXe Congrès du Parti communiste de l’Union Soviétique est un précieux testament laissé aux communistes de tous les pays du monde. Nous autres, communistes chinois, comme d’ailleurs les communistes de tous les pays du monde, nous trouvons dans les grandes œuvres du camarade Staline les voies de nos victoires.

   Depuis la mort de Lénine, le camarade Staline n’a jamais cessé d’être la figure centrale du mouvement communiste international.

Groupés autour de lui, nous avons constamment reçu de lui des indications et puisé dans ses œuvres la force idéologique. Le camarade Staline nourrissait une chaleureuse amitié pour les peuples opprimés de l’Orient. « N’oubliez pas l’Orient », tel fut le grand appel lancé par le camarade Staline après la Révolution d’Octobre.

   Chacun sait que le camarade Staline était animé d’un amour ardent pour le peuple chinois et qu’il estimait immenses les forces de la révolution chinoise. Dans les problèmes de la révolution chinoise, il a fait preuve de la plus grande sagacité.

S’inspirant de la doctrine de Lénine et de Staline et aidé par le grand Etat Soviétique et par toutes les forces révolutionnaires de tous les pays, le Parti communiste chinois et le peuple chinois ont remporté il y a quelques années leur victoire historique.

Maintenant nous avons perdu notre grand éducateur et notre plus sincère ami, le camarade Staline. C’est un grand malheur. Aucune parole ne pourrait exprimer la douleur que nous en éprouvons.

   Notre tâche est de transformer cette douleur en force. Conservant pieusement le souvenir de notre grand éducateur Staline, le Parti communiste chinois ainsi que le peuple chinois, ainsi que le Parti communiste de l’Union Soviétique et le peuple Soviétique renforceront sans cesse leur grande amitié que symbolise le nom de Staline.

Les communistes chinois et le peuple chinois apporteront encore plus de ténacité à l’étude des enseignements de Staline, à l’étude de la science et de la technique soviétiques, pour édifier leur Etat.

   Le Parti communiste de l’Union Soviétique a été formé par Lénine et par Staline, c’est le Parti le plus avancé, le plus expérimenté et le plus éduqué théoriquement qui soit au monde. Ce Parti a été notre modèle dans le passé, il le demeure dans le présent et il le sera aussi dans l’avenir.

Nous sommes profondément persuadés que le Comité central du Parti communiste de l’Union Soviétique et le Gouvernement soviétique, dirigés par le camarade Malenkov sauront parfaitement poursuivre l’œuvre du camarade Staline, faire progresser et développer brillamment la grande cause du communisme.

   Il n’y a pas le moindre doute que le camp mondial de la paix, de la démocratie et du socialisme, qui a à sa tête l’Union Soviétique, renforcera encore sa cohésion et deviendra encore plus puissant.

   Pendant plus de trente ans, l’enseignement du camarade Staline et l’exemple de l’édification socialiste en Union Soviétique ont contribué à faire avancer l’humanité à pas de géants.

Maintenant l’Union Soviétique est devenue si puissante, la Révolution populaire chinoise a remporté une si grande victoire, l’édification dans les pays de démocratie populaire a enregistré de si grands succès, le mouvement des peuples à travers le monde contre l’oppression et l’agression s’est développé à un tel point et notre front de l’amitié et de l’unité s’est tellement consolidée que nous avons toutes les raisons d’affirmer que nous ne redoutons aucune agression impérialiste.

Toute agression impérialiste se heurtera à une riposte foudroyante de notre part, toutes les viles provocations aboutiront à un échec.

   La grande amitié entre les peuples de la Chine et de l’Union Soviétique est indestructible parce qu’elle repose sur les grands principes de l’internationalisme de Marx, Engels, Lénine et Staline.

L’amitié des peuples de la Chine et de l’Union Soviétique ainsi que des peuples des pays de démocratie populaire, l’amitié de tous les peuples épris de paix, de démocratie et de justice dans le monde entier repose également sur les grands principes de l’internationalisme, et c’est pourquoi elle est également indestructible.

   Il est compréhensible que les forces engagées par cette amitié soient immenses, inépuisables et véritablement invincibles.

   Que tous les agresseurs impérialistes et tous les fauteurs de guerre tremblent devant notre grande amitié !

   Vive la doctrine de Marx, Engels, Lénine et Staline !

   Gloire au long des siècles au nom immortel du grand Staline !

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : La faillite de la conception idéaliste de l’histoire

16 septembre 1949

   Acheson, le porte­-parole de la bourgeoisie des Etats-­Unis, mérite la reconnaissance des Chinois, et ce n’est pas seulement pour avoir explicitement avoué que les Etats-­Unis donnaient l’argent et les armes et que Tchiang Kaï­chek fournissait les hommes pour se battre au profit des Etats-­Unis et massacrer le peuple chinois, aveu qui permet aux progressistes chinois de convaincre, preuves en main, les éléments retardataires : Vous voyez bien !

   Acheson lui­-même avoue que la grande et sanglante guerre de ces dernières années, qui a coûté la vie à des millions de Chinois, a été systématiquement organisée par l’impérialisme américain.

   Acheson mérite la reconnaissance des Chinois, et ce n’est pas seulement non plus pour avoir annoncé ouvertement l’intention des Etats-­Unis de recruter en Chine des « individualistes démocrates », dans le but d’organiser une cinquième colonne américaine et de renverser le gouvernement populaire dirigé par le Parti communiste chinois, ce qui a si bien alerté les Chinois, en particulier les Chinois teintés de libéralisme, qu’ils s’engagent mutuellement à ne pas se laisser attraper par les

   Américains et sont partout sur leurs gardes contre les menées sournoises de l’impérialisme américain.

   Acheson mérite aussi la reconnaissance des Chinois pour avoir débité des absurdités sur l’histoire moderne de la Chine.

   Car, comme sa conception de l’histoire est précisément celle d’une partie des intellectuels chinois, c’est-­à­-dire la conception idéaliste bourgeoise de l’histoire, réfuter Acheson, c’est donner à de nombreux Chinois l’occasion d’élargir leur horizon, occasion particulièrement profitable à ceux qui ont la même conception qu’Acheson ou la même conception à certains égards.

   Quels sont donc les propos absurdes d’Acheson sur l’histoire moderne de la Chine ? Il essaye d’abord d’expliquer, en fonction des conditions économiques et idéologiques de la Chine, pourquoi la révolution chinoise s’est produite. Sur ce sujet, il a raconté bien des choses qui tiennent du mythe.

   Acheson dit par exemple :

   « La population de la Chine a doublé au cours des XVIIIe et XIXe siècles, exerçant par là sur la terre une pression qu’elle ne peut supporter.

Le premier problème auquel chaque gouvernement de la Chine a dû faire face, c’est comment nourrir cette population. Jusqu’ici aucun gouvernement n’a réussi à le résoudre. Le Kuomintang a tenté de le résoudre en insérant dans ses codes de nombreuses lois sur la réforme agraire. Quelques-­unes de ces lois ont échoué, on a ignoré les autres.

Dans une mesure non négligeable, la situation difficile dans laquelle se trouve aujourd’hui le Gouvernement national est due à son incapacité de fournir à la Chine assez à manger. La propagande des communistes chinois consiste en grande partie dans la promesse de résoudre le problème agraire. »

   A ceux des Chinois qui ne voient pas clair, cela paraît plausible. Trop de bouches, pas assez de nourriture, d’où révolution. Le Kuomintang n’a pas pu résoudre ce problème et il est peu probable que le Parti communiste le puisse davantage. « Jusqu’ici aucun gouvernement n’a réussi à le résoudre. »

   Est-­ce que les révolutions résultent de la surpopulation ? Il y a eu beaucoup de révolutions dans les temps anciens et modernes, en Chine et à l’étranger ; avaient-­elles pour cause la surpopulation ?

   Les nombreuses révolutions de l’histoire plusieurs fois millénaire de la Chine avaient-elles pour cause la surpopulation ? Et la révolution américaine contre la Grande-Bretagne, il y a 174 ans, aussi ?

   Les connaissances d’Acheson en histoire sont nulles ; il n’a même pas lu la Déclaration d’Indépendance américaine.

   Washington, Jefferson et d’autres ont fait la révolution contre la Grande-­Bretagne parce que les Britanniques opprimaient et exploitaient les Américains, et non à cause d’un surpeuplement de l’Amérique.

   Chaque fois que le peuple chinois renversait une dynastie féodale, c’était parce que cette dynastie opprimait et exploitait le peuple et non parce que le pays était surpeuplé.

   Si les Russes ont fait la Révolution de Février et la Révolution d’Octobre, ce n’est pas que leur pays fût surpeuplé, c’est qu’ils étaient opprimés et exploités par le tsar et la bourgeoisie russe, puisque, aujourd’hui encore, la Russie possède bien plus de terre qu’il n’en faut à sa population.

En Mongolie, où la terre est si vaste et la population si clairsemée, une révolution aurait été inconcevable selon le raisonnement d’Acheson, et pourtant il y a bien longtemps qu’elle s’est produite.

   A en croire Acheson, il n’y a aucune issue pour la Chine. Une population de 475 millions exerce « sur la terre une pression qu’elle ne peut supporter » et, révolution ou non, le cas est désespéré.

Acheson fonde là-­dessus un grand espoir ; cet espoir, qu’il n’a pas exprimé mais que nombre de journalistes américains ont maintes fois révélé, c’est que le Parti communiste chinois ne serait pas capable de résoudre les problèmes économiques, que la Chine resterait dans un chaos perpétuel et que la seule issue pour elle serait de vivre de farine américaine, en d’autres termes, de devenir une colonie des Etats­-Unis.

   Pourquoi la Révolution de 1911 n’a-­t-­elle pas réussi et pourquoi n’a-­t-­elle pas résolu le problème de nourrir la population ? Parce qu’elle n’a renversé que la dynastie des Tsing sans mettre fin à l’oppression et à l’exploitation impérialistes et féodales.

   Pourquoi l’Expédition du Nord n’a­-t-­elle pas réussi et pourquoi n’a­-t­-elle pas résolu le problème de nourrir la population ? Parce que Tchiang Kaï­chek a trahi la révolution, a capitulé devant l’impérialisme, est devenu le chef de la contre­révolution qui opprimait et exploitait les Chinois.

   Ce problème, est-­il vrai que « jusqu’ici aucun gouvernement n’a réussi à le résoudre » ? Dans les régions libérées anciennes de la Chine du Nord­-Ouest, du Nord, du Nord-­Est et de l’Est, où le problème agraire a déjà été résolu, la question formulée par Acheson, « comment nourrir cette population », se pose-­t­-elle encore ? Les espions ou soi­-disant observateurs américains ne sont pas rares en Chine.

   Et ils n’ont même pas découvert ce fait ! Si, dans des villes comme Changhaï, le problème du chômage ou, en d’autres termes, le problème de l’alimentation de la population s’est posé, c’est uniquement à cause de la cruelle, de l’inhumaine oppression et exploitation du peuple par l’impérialisme, le féodalisme, le capitalisme bureaucratique et le gouvernement réactionnaire du Kuomintang.

   Sous le gouvernement populaire, quelques années suffiront pour y résoudre ce problème du chômage ou de l’alimentation de la population aussi complètement que dans le Nord, le Nord-Est et d’autres parties du pays.

   Il est fort heureux que la Chine soit très peuplée. Même avec une population plusieurs fois multipliée, la Chine est tout à fait capable de trouver une solution ; cette solution, c’est la production.

   L’argument absurde d’économistes bourgeois occidentaux tels que Malthus, affirmant que la nourriture ne peut s’accroître au même rythme que la population, n’a pas seulement été depuis longtemps totalement réfuté en théorie par les marxistes, il a aussi été complètement démenti par les faits qui ont suivi la révolution, en Union soviétique et dans les régions libérées de la Chine.

   Se fondant sur cette vérité que révolution et production peuvent résoudre le problème de nourrir la population, le Comité central du Parti communiste chinois a donné aux organisations du Parti et aux unités de l’Armée populaire de Libération dans toutes les régions du pays l’ordre de ne pas licencier l’ancien personnel du Kuomintang, mais de maintenir en fonction tous ceux qui ont quelque capacité et ne sont pas des réactionnaires avérés ou des malfaiteurs notoires.

   En cas de grosses difficultés, on se partagerait la nourriture et le logement. Ceux qui ont été congédiés et n’ont pas de moyens d’existence seront réintégrés et la nourriture leur sera assurée.

   Selon le même principe, nous nous occuperons de tous les militaires du Kuomintang qui se sont révoltés et ont passé dans nos rangs ou qui ont été faits prisonniers. A tous les réactionnaires, les grands coupables exceptés, nous donnerons la possibilité de gagner leur vie, à condition qu’ils manifestent du repentir.

   De tous les biens du monde, l’homme est le plus précieux. Tant qu’il y aura des hommes, des miracles de toute espèce pourront être accomplis sous la direction du Parti communiste.

   Nous sommes de ceux qui réfutent la théorie contrerévolutionnaire d’Acheson ; nous avons la conviction que la révolution peut tout changer et qu’avant longtemps va naître une Chine nouvelle, très peuplée et très riche en produits, une Chine où l’on vivra dans l’abondance et où fleurira la culture.

   Tous les propos pessimistes sont absolument sans fondement.

   Acheson donne comme seconde cause de la révolution chinoise « l’influence de l’Occident ». Il dit :

    « Durant plus de trois mille ans, les Chinois ont développé, largement à l’abri d’influences extérieures, une haute culture et une grande civilisation originales. Même soumis à la conquête militaire, les Chinois ont toujours réussi, en fin de compte, à subjuguer et à absorber l’envahisseur.

Il était par conséquent naturel qu’ils en soient venus à se prendre pour le centre du monde et l’expression la plus haute de l’humanité civilisée. Puis, au milieu du XIXe siècle, la muraille jusqu’alors infranchissable de l’isolement de la Chine a été rompue par l’Occident.

Ces nouveaux venus apportaient avec eux le dynamisme, le développement incomparable de la technique occidentale ainsi qu’une culture d’un ordre élevé qui n’avait accompagné aucune des précédentes incursions étrangères en Chine.

En partie à cause de ces qualités, en partie à cause de la décadence de l’empire mandchou, les Occidentaux, au lieu d’être absorbés par les Chinois, introduisirent dans le pays des idées nouvelles qui ont joué un rôle important en y provoquant l’effervescence et l’agitation. »

   A ceux des Chinois qui ne voient pas clair, ce que dit Acheson paraît plausible. L’introduction en Chine d’idées nouvelles venues de l’Occident est à l’origine de la révolution.

   Contre qui la révolution était­-elle dirigée ?

   Comme c’était la « décadence de l’empire mandchou » et que l’attaque a porté sur ce point faible, la révolution aurait été dirigée contre la dynastie des Tsing. Ce que dit Acheson à ce propos n’est pas exact. La Révolution de 1911 était dirigée contre l’impérialisme.

   Les Chinois ont dirigé la pointe de leur révolution contre les Tsing parce que ceux­-ci étaient les valets de l’impérialisme.

La résistance contre l’agression britannique dans la Guerre de l’Opium, la guerre contre l’agression des forces alliées anglo-françaises, la Guerre des Taiping contre les Tsing, la guerre contre l’agression française, la guerre contre l’agression japonaise et la guerre contre l’agression des forces coalisées des huit puissances se sont toutes terminées par un échec ; alors éclata la Révolution de 1911 contre les Tsing, laquais de l’impérialisme.

   Telle est l’histoire moderne de la Chine jusqu’en 1911. Qu’est-ce que « l’influence de l’Occident », comme Acheson l’appelle ? C’est — Marx et Engels l’ont dit dans le Manifeste du Parti communiste (1848) ­l’effort de la bourgeoisie occidentale pour façonner le monde à son image par des méthodes de terreur.

   Pour exercer cette influence ou opérer cette transformation, la bourgeoisie occidentale avait besoin de compradores et de larbins familiarisés avec les coutumes occidentales et devait donc laisser des pays tels que la Chine ouvrir des écoles et envoyer des étudiants à l’étranger ; ainsi « des idées nouvelles furent introduites » en Chine.

En même temps, une bourgeoisie nationale et un prolétariat se formèrent dans des pays comme la Chine, tandis que la paysannerie se ruinait, donnant naissance à un semi­-prolétariat nombreux.

   Ainsi, la bourgeoisie occidentale créa deux catégories dans la population des pays d’Orient : une petite minorité de larbins au service de l’impérialisme, et une majorité opposée à l’impérialisme et composée de la classe ouvrière, de la paysannerie, de la petite bourgeoisie urbaine, de la bourgeoisie nationale et des intellectuels issus de ces classes. Les éléments de cette majorité sont autant de fossoyeurs de l’impérialisme, créés par l’impérialisme lui­-même, et la révolution est partie d’eux.

   Ce n’est donc pas l’introduction des idées occidentales qui a suscité « l’effervescence et l’agitation », mais c’est bel et bien l’agression impérialiste qui a provoqué la résistance.

   Longtemps, au cours de ce mouvement de résistance, c’est-­à-dire durant plus de soixante­-dix ans, de la Guerre de l’Opium en 1840 jusqu’à la veille du Mouvement du 4 Mai en 1919, les Chinois n’ont pas eu d’armes idéologiques pour se défendre contre l’impérialisme.

   Les vieilles armes idéologiques immuables du féodalisme étaient vaincues, elles ne tenaient plus le coup et leur faillite était constatée.

Faute de mieux, les Chinois furent obligés de s’équiper d’armes idéologiques et de formules politiques telles que la théorie de l’évolution, la théorie des droits naturels et la république bourgeoise, toutes empruntées à l’arsenal de la période révolutionnaire de la bourgeoisie en Occident, arsenal d’où est sorti l’impérialisme lui­-même.

   Ils organisèrent donc des partis politiques et firent des révolutions, croyant qu’ils pourraient ainsi résister aux puissances étrangères et édifier une république.

Mais toutes ces armes idéologiques, comme celles du féodalisme, se révélèrent très faibles ; à leur tour, elles ne purent tenir le coup, furent retirées du combat et leur faillite fut constatée.

   La révolution russe de 1917 réveille les Chinois, qui apprennent quelque chose de nouveau : le marxisme-­léninisme. En Chine, le Parti communiste naît, événement qui fait époque. Sun Yat­sen lui­-même défend l’idée de « se mettre à l’école de la Russie » et préconise « l’alliance avec la Russie et le Parti communiste ».

   Bref, dès ce moment, la Chine changea d’orientation.

   Porte-­parole d’un gouvernement impérialiste, Acheson tient naturellement à ne souffler mot de l’impérialisme. Il parle de l’agression impérialiste en ces termes : « Ces nouveaux venus apportaient avec eux le dynamisme ».

« Dynamisme », quel beau nom ! Ayant acquis ce « dynamisme », les Chinois ne sont pas allés le porter en Grande-­Bretagne ou aux Etats-Unis, mais se sont contentés de provoquer « l’effervescence et l’agitation » à l’intérieur de la Chine, c’est­-à-­dire qu’ils ont fait des révolutions contre l’impérialisme et ses valets.

   Malheureusement, ils n’obtinrent pas un seul succès ; ils furent toujours battus par les impérialistes, inventeurs de ce « dynamisme ».

   Aussi les Chinois se sont-­ils tournés ailleurs pour apprendre quelque chose d’autre et, chose étrange, ils en ont constaté aussitôt l’efficacité.

   Le Parti communiste chinois « a été organisé au début des années 20 sous l’impulsion idéologique de la révolution russe ». Ici Acheson a raison. Cette idéologie n’était en effet nulle autre que le marxisme-­léninisme.

   Cette idéologie est incomparablement supérieure à celle de la bourgeoisie occidentale, dont Acheson parle comme d’une « culture d’un ordre élevé qui n’avait accompagné aucune des précédentes incursions étrangères en Chine ».

   L’efficacité de cette idéologie est si éclatante que la culture bourgeoise occidentale, considérée avec orgueil par Acheson et ses pareils comme une « culture d’un ordre élevé » par comparaison avec l’ancienne culture féodale de la Chine, fut battue dès qu’elle rencontra la nouvelle culture marxiste-léniniste acquise par le peuple chinois, c’est-­à-­dire la conception scientifique du monde et la théorie de la révolution sociale.

   Dans sa première bataille, cette nouvelle culture scientifique et révolutionnaire acquise par le peuple chinois défit les seigneurs de guerre du Peiyang, valets de l’impérialisme ; dans la seconde, elle fit échouer les tentatives d’un autre valet de l’impérialisme, Tchiang Kaï­chek, pour arrêter l’Armée rouge chinoise dans sa Longue Marche de 25.000 lis ; dans la troisième, elle défit l’impérialisme japonais et son valet Wang Tsing­wei ; et enfin, dans la quatrième, elle mit fin définitivement à la domination en Chine des Etats-Unis et de toutes les autres puissances impérialistes ainsi que de leurs valets, Tchiang Kaï­chek et tous les autres réactionnaires.

   Si le marxisme-­léninisme, une fois introduit en Chine, a pu y jouer un aussi grand rôle, c’est que les conditions sociales de la Chine l’exigeaient, qu’il a été lié à la pratique révolutionnaire du peuple chinois et que le peuple chinois l’a assimilé.

   Une idéologie, fût-­elle la meilleure, fût-­elle le marxisme-léninisme lui­-même, est sans effet si elle n’est pas liée à des réalités objectives, ne répond pas à des besoins existant objectivement et n’a pas été assimilée par les masses populaires.

Nous sommes des partisans du matérialisme historique, opposés à l’idéalisme historique.

   Chose étonnante, « la doctrine et la pratique soviétiques ont eu un effet appréciable sur la pensée et les principes du Dr Sun Yat­sen, particulièrement dans le domaine économique et en matière d’organisation du Parti ».

   Et quel fut l’effet produit sur le Dr Sun par la « culture d’un ordre élevé » de l’Occident, dont Acheson et ses pareils sont si fiers ? Acheson ne le dit pas. Est­ce un effet du hasard si le Dr Sun, qui voua la plus grande partie de sa vie à chercher dans la culture bourgeoise de l’Occident la vérité capable de sauver sa patrie, fut finalement déçu et « se mit à l’école de la Russie » ?

   Evidemment non.

   Ce n’est certes pas un hasard que le Dr Sun et le peuple chinois accablé de malheurs qu’il représentait aient été l’un et l’autre enflammés de colère contre « l’influence de l’Occident » et qu’ils se soient décidés à former une « alliance avec la Russie et le Parti communiste », dans le but de combattre l’impérialisme et ses valets et d’engager contre eux une lutte sans merci. Ici Acheson n’ose pas dire que les Soviétiques sont des agresseurs impérialistes et que Sun Yat­sen s’est instruit auprès d’agresseurs.

   Eh bien ! puisque Sun Yat­sen a pu s’instruire auprès des Soviétiques et que ceux­-ci ne sont pas des agresseurs impérialistes, pourquoi ses successeurs, les Chinois qui vivent après lui, ne pourraient-­ils pas s’instruire auprès des Soviétiques ?

   Pourquoi les Chinois, Sun Yat­sen excepté, sont­-ils considérés comme « dominés par l’Union soviétique » et qualifiés de « cinquième colonne du Komintern » ou de « laquais de l’impérialisme rouge », parce qu’ils ont appris dans le marxisme-léninisme la conception scientifique du monde et la théorie de la révolution sociale, qu’ils ont lié celles-­ci avec les particularités caractéristiques de la Chine, qu’ils ont entrepris la Guerre de Libération du Peuple chinois et la grande révolution populaire, et qu’ils vont fonder une république de dictature démocratique populaire ?

   Est-­il au monde une logique plus sublime ?

   Depuis qu’ils ont appris le marxisme-­léninisme, les Chinois, débarrassés de leur passivité intellectuelle, ont pris l’initiative. Dès lors devait se terminer la période de l’histoire mondiale moderne où les Chinois et la culture chinoise ont été tenus dans le mépris.

   La grande et victorieuse Guerre de Libération du Peuple chinois et la grande révolution populaire ont régénéré et continuent à régénérer la grande culture du peuple chinois. Sous son aspect spirituel, cette culture est déjà supérieure à n’importe quelle culture du monde capitaliste.

   Prenons, par exemple, le cas du secrétaire d’Etat américain Acheson et de ses pareils : le niveau de leur connaissance de la Chine moderne et du monde moderne est inférieur à celui d’un simple soldat de l’Armée populaire de Libération de Chine.

   Jusqu’ici, semblable à un professeur d’université bourgeois lisant son cours fastidieux, Acheson a laissé entendre qu’il recherchait les causes et les effets des événements de Chine.

Si la révolution s’est produite en Chine, ce serait, premièrement, à cause de la surpopulation, et deuxièmement, sous l’aiguillon des idées occidentales.

   Comme vous voyez, il avait l’air d’un champion de la théorie de la causalité. Mais dans la suite, même cette bribe de théorie de la causalité fastidieuse et falsifiée disparaît, et on ne trouve plus qu’un amas d’événements incompréhensibles.

Les Chinois se disputaient le pouvoir et l’argent, se suspectaient et se haïssaient mutuellement, impossible de savoir pourquoi.

   Un changement incompréhensible est intervenu dans le rapport des forces morales des deux partis qui étaient aux prises, le Kuomintang et le Parti communiste ; le moral de l’un est tombé brusquement au­-dessous de zéro, tandis que celui de l’autre a monté brusquement au point d’incandescence.

Et la cause ? Personne ne la connaît. Voilà la logique inhérente à la « culture d’un ordre élevé » des Etats-­Unis, telle que Dean Acheson la représente.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Les dix principes fondamentaux d’opérations

25 décembre 1947

Extrait de La situation actuelle et nos tâches

1. Attaquer d’abord les forces ennemies dispersées et isolées, et ensuite les forces ennemies concentrées et puissantes.

2. S’emparer d’abord des villes petites et moyennes et des vastes régions rurales, et ensuite des grandes villes.

3. Se fixer pour objectif principal l’anéantissement des forces vives de l’ennemi, et non pas la défense ou la prise d’une ville ou d’un territoire. La possibilité de garder ou de prendre une ville ou un territoire résulte de l’anéantissement des forces vives de l’ennemi, et souvent une ville ou un territoire ne peut être tenu ou pris définitivement qu’après avoir changé de mains à plusieurs reprises.

4. A chaque bataille, concentrer des forces d’une supériorité absolue (deux, trois, quatre et parfois même cinq ou six fois celles de l’ennemi), encercler complètement les forces ennemies, s’efforcer de les anéantir totalement, sans leur donner la possibilité de s’échapper du filet.

   Dans des cas particuliers, infliger à l’ennemi des coups écrasants, c’est-à-dire concentrer toutes nos forces pour une attaque defront et une attaque sur l’un des flancs de l’ennemi ou sur les deux, afin d’anéantir une partie de ses troupes et mettre l’autre partie en déroute, de sorte que notre armée puisse déplacer rapidement ses forces pour écraser d’autres troupes ennemies.

   S’efforcer d’éviter les batailles d’usure dans lesquelles les gains sont inférieurs aux pertes ou les compensent seulement. Ainsi, bien que dans l’ensemble nous soyons (numériquement parlant) en état d’infériorité, nous avons la supériorité absolue dans chaque secteur déterminé, dans chaque bataille, et ceci nous assure la victoire sur le plan opérationnel. Avec le temps, nous obtiendrons la supériorité dans l’ensemble et finalement nous anéantirons toutes les forces ennemies.

5. Ne pas engager de combat sans préparation, ou un combat dont l’issue victorieuse ne soit pas certaine. Faire les plus grands efforts pour se bien préparer à chaque engagement, faire les plus grands efforts pour s’assurer la victoire dans un rapport de conditions donné entre l’ennemi et nous.

6. Mettre pleinement en oeuvre notre style de combat-bravoure, esprit de sacrifice, mépris de la fatigue et ténacité dans les combats continus (c’est-à-dire engagements successifs livrés en un court laps de temps et sans prendre de repos).

7. S’efforcer d’anéantir l’ennemi en recourant à la guerre de mouvement. En même temps, accorder une grande importance à la tactique d’attaque de positions dans le but de s’emparer des points fortifiés et des villes de l’ennemi.

8. En ce qui concerne l’attaque des villes, s’emparer résolument de tous les points fortifiés et de toutes les villes faiblement défendus par l’ennemi. S’emparer au moment propice de tous les points fortifiés et de toutes les villes modérément défendus par l’ennemi, à condition que les circonstances le permettent. Quant aux points fortifiés et villes de l’ennemi puissamment défendus, attendre que les conditions soient mûres, et alors les prendre.

9. Compléter nos forces à l’aide de toutes les armes et de la plus grande partie des effectifs pris à l’ennemi. Les sources principales d’hommes et de matériel pour notre armée sont au front.

10. Savoir mettre à profit l’intervalle entre deux campagnes pour reposer, instruire et consolider nos troupes. Les périodes de repos, d’instruction et de consolidation ne doivent pas, en général, être très longues, et, autant que possible, il ne faut pas laisser à l’ennemi le temps de reprendre haleine.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : La tactique actuelle dans le Front uni de résistance contre le Japon

Thèses du rapport présenté par le camarade Mao Zedong à une réunion des cadres supérieurs du Parti à Yenan.

11 mars 1940

1. La situation politique actuelle est la suivante :

a) Sérieusement éprouvé par la Guerre de Résistance que mène la Chine, l’impérialisme japonais n’a déjà plus la force de lancer de nouvelles offensives militaires de grand style ; et le rapport des forces entre l’ennemi et nous a atteint l’étape de la stabilisation stratégique. Cependant, l’ennemi persiste dans sa politique fondamentale d’asservissement de la Chine, qu’il poursuit par le sabotage du front uni antijaponais, par l’intensification des opérations de « nettoyage » sur ses arrières et le renforcement de l’agression économique.

b) La Grande-Bretagne et la France voient leur position affaiblie en Orient du fait de la guerre en Europe, tandis que les Etats-Unis continuent leur politique consistant à « observer le combat des tigres du haut de la montagne ». L’éventualité d’une conférence de Munich en Orient est donc pour le moment exclue.

c) L’Union soviétique a remporté de nouvelles victoires dans sa politique extérieure, elle continue sa politique d’aide active à la Chine dans la Guerre de Résistance.

d) Le groupe projaponais de la grande bourgeoisie chinoise a déjà capitulé définitivement devant le Japon, et il s’apprête à former un régime fantoche. Quant au groupe pro-européen et pro-américain de la grande bourgeoisie, il peut encore poursuivre la résistance contre le Japon, mais sa tendance au compromis reste sérieuse.

Il mène une politique double : tout en voulant maintenir l’union avec diverses forces en dehors du Kuomintang pour tenir tête au Japon, il les sape par tous les moyens et s’acharne plus particulièrement contre le Parti communiste et les autres forces progressistes. C’est le groupe des irréductibles au sein du front uni antijaponais.

e) Les forces intermédiaires, qui comprennent la moyenne bourgeoisie, les hobereaux éclairés et les groupes disposant de forces locales réelles, prennent généralement position entre les forces progressistes et les irréductibles, en raison des contradictions qui les opposent aussi bien aux forces dominantes principales grands propriétaires fonciers et grande bourgeoisie qu’à la classe ouvrière et à la paysannerie. Elles forment le groupe intermédiaire au sein du front uni antijaponais.

f) Les forces progressistes du prolétariat, de la paysannerie et de la petite bourgeoisie urbaine, dirigées par le Parti communiste, se sont beaucoup développées ces derniers temps et ont déjà pratiquement réussi à établir des bases d’appui à pouvoir démocratique antijaponais. Leur influence sur les ouvriers, les paysans et la petite bourgeoisie urbaine est très grande à travers le pays ; et elle est loin d’être négligeable sur les forces intermédiaires.

Sur le théâtre des opérations, le Parti communiste combat des effectifs japonais qui égalent presque en importance ceux qu’affronté le Kuomintang. Les forces dirigées par le Parti communiste constituent le groupe progressiste au sein du front uni antijaponais.

Telle est actuellement la situation politique en Chine. Dans ces circonstances, il est encore possible de prévenir une évolution vers le pire et d’amener un tournant favorable dans la situation, et la décision prise par le Comité central le 1er février est entièrement juste.

   2. La condition essentielle pour la victoire dans la Guerre de Résistance est l’extension et la consolidation du front uni antijaponais. Pour atteindre ce but, la tactique indispensable est de développer les forces progressistes, de gagner les forces intermédiaires et de combattre les forces irréductibles ; ce sont là trois maillons qu’on ne peut dissocier, et la lutte est le moyen d’unir toutes les forces qui résistent au Japon.

Dans la période du front uni antijaponais, la lutte est le moyen de parvenir à l’union, et l’union, le but de la lutte. L’union vivra si on cherche à la faire par la lutte ; elle périra si on la recherche par des concessions. Cette vérité se répand peu à peu parmi les camarades du Parti. Pourtant, beaucoup ne la saisissent pas encore.

Ils pensent que la lutte risque de briser le front uni ou qu’elle est un moyen à employer sans restriction ; ils appliquent une tactique erronée à l’égard des forces intermédiaires ou se font une idée fausse des forces irréductibles. Toutes ces erreurs doivent être rectifiées.

   3. Développer les forces progressistes, cela signifie : développer les forces du prolétariat, de la paysannerie et de la petite bourgeoisie urbaine ; accroître hardiment les effectifs de la VIIIe Armée de Route et de la Nouvelle IVe Armée ; établir de nombreuses bases démocratiques antijaponaises ; étendre les organisations du Parti communiste à tout le pays ; développer à l’échelle nationale les mouvements de masse dont ceux des ouvriers, des paysans, des jeunes, des femmes et des enfants ; gagner les intellectuels de l’ensemble du pays ; étendre aux masses le mouvement démocratique pour l’instauration d’un régime constitutionnel.

L’expansion graduelle des forces progressistes est le seul moyen d’empêcher que la situation ne se détériore, de prévenir la capitulation et la rupture et de jeter les bases indestructibles de la victoire dans la Guerre de Résistance.

Mais le développement de ces forces exige une âpre lutte : il faut combattre impitoyablement non seulement les impérialistes japonais et les traîtres à la nation, mais aussi les irréductibles. En effet, les irréductibles s’opposent à cette expansion, et les forces intermédiaires se montrent sceptiques.

A moins de lutter résolument contre les irréductibles et d’obtenir des succès réels dans cette lutte, nous ne pourrons résister à leur pression ni dissiper les doutes des forces intermédiaires, et il serait alors impossible aux forces progressistes de se développer.

   4. Gagner les forces intermédiaires, cela signifie gagner la moyenne bourgeoisie, les hobereaux éclairés et les groupes disposant de forces locales réelles. Ce sont là trois catégories différentes qui, cependant, font toutes partie, dans la situation actuelle, des forces intermédiaires. Par moyenne bourgeoisie, on entend la bourgeoisie nationale, distincte de la bourgeoisie compradore, c’est-à-dire de la grande bourgeoisie.

Elle est opposée aux ouvriers par des contradictions de classe et elle n’approuve pas l’indépendance de la classe ouvrière ; mais, du fait qu’elle subit le joug des impérialistes japonais dans les régions occupées et qu’elle est bridée par les grands propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie dans les régions du Kuomintang, elle désire encore résister au Japon et, de plus, elle voudrait conquérir le pouvoir politique pour elle-même.

Dans la question de la résistance au Japon, la moyenne bourgeoisie est en faveur de l’union pour la Résistance, et, dans la question de la conquête du pouvoir, elle soutient le mouvement pour un régime constitutionnel et cherche à utiliser à ses propres fins les contradictions entre les forces progressistes et les irréductibles.

C’est une couche sociale qu’il nous faut gagner. Les hobereaux éclairés forment l’aile gauche de la classe des propriétaires fonciers, c’est-à-dire la fraction de cette classe qui possède certaines caractéristiques de la bourgeoisie et dont l’attitude politique est à peu près la même que celle de la moyenne bourgeoisie.

Des contradictions de classe les opposent à la paysannerie, mais d’autres contradictions les opposent aux grands propriétaires fonciers et à la grande bourgeoisie. Ils n’approuvent pas les irréductibles, ils cherchent à utiliser, eux aussi, les contradictions entre ces derniers et nous pour atteindre leurs propres buts politiques.

Cette fraction, elle non plus, ne doit en aucun cas être négligée, et il faut que notre politique tende à la rallier à nous. Les groupes disposant de forces locales réelles sont de deux sortes : les uns contrôlent en permanence certains territoires, et les autres, composés d’ »armées d’amalgame », n’en contrôlent pas.

S’ils sont en contradiction avec les forces progressistes, ils le sont également avec l’actuel Gouvernement central du Kuomintang en raison de la politique égoïste qu’il poursuit à leurs dépens. Eux aussi s’efforcent d’exploiter nos contradictions avec les irréductibles pour atteindre leurs propres buts politiques.

Les dirigeants de ces groupes appartiennent, pour la plupart, à la classe des grands propriétaires fonciers et à la grande bourgeoisie, c’est pourquoi, dans la Guerre de Résistance, même s’ils manifestent parfois des tendances progressistes, ils ne tardent pas à revenir à des positions réactionnaires.

Cependant, comme ils sont en contradiction avec les autorités centrales du Kuomintang, ils peuvent rester neutres au cours de notre lutte contre les irréductibles, à condition que nous pratiquions une politique juste. Notre politique à l’égard des forces intermédiaires est de gagner chacune des trois catégories définies plus haut.

Elle est toutefois distincte de celle que nous pratiquons pour gagner la paysannerie et la petite bourgeoisie urbaine, et elle varie aussi pour chaque catégorie des forces intermédiaires. La paysannerie et la petite bourgeoisie urbaine doivent être gagnées en tant qu’alliés fondamentaux et les forces intermédiaires en tant qu’alliés dans la lutte contre l’impérialisme.

Parmi ces forces intermédiaires, la moyenne bourgeoisie et les hobereaux éclairés sont susceptibles de lutter à nos côtés contre le Japon et aussi de se joindre à nous dans l’établissement d’un pouvoir démocratique antijaponais, mais ils redoutent la révolution agraire.

D’aucuns pourront participer dans une certaine mesure à la lutte contre les irréductibles, d’autres garder une neutralité bienveillante, d’autres encore rester neutres par la force des choses.

Les groupes disposant de forces locales réelles, tout en résistant avec nous à l’envahisseur japonais, ne peuvent qu’observer une neutralité provisoire dans notre lutte contre les irréductibles. Ils ne sont nullement enclins à établir avec nous un pouvoir démocratique, puisqu’ils font eux-mêmes partie de la classe des grands propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie.

Les forces intermédiaires ont tendance à se montrer vacillantes dans leurs positions, et sont appelées inévitablement à se différencier. Nous devons donc, compte tenu de leurs hésitations, savoir les persuader et les critiquer comme il convient.

La conquête des forces intermédiaires est pour nous une tâche des plus importantes dans la période du front uni antijaponais, mais qui ne peut être remplie qu’à certaines conditions, à savoir : a) la présence chez nous de forces suffisantes ; b) le respect des intérêts des forces intermédiaires ; c) une lutte résolue de notre part contre les irréductibles, lutte qui doit être jalonnée de victoires.

Faute de ces conditions, les forces intermédiaires seront hésitantes ou se feront même les alliées des irréductibles dans leurs attaques contre nous, car ceux-ci font également l’impossible pour les gagner afin de nous isoler.

Ces forces intermédiaires ont un grand poids en Chine et peuvent, dans bien des cas, devenir le facteur décisif dans notre lutte contre les irréductibles ; aussi faut-il être extrêmement prudent à leur égard.

   5. Les forces irréductibles, ce sont actuellement les grands propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie. Ces classes se divisent en deux groupes : celui qui a capitulé devant le Japon et celui qui est partisan de la Résistance ; elles sont appelées à se différencier encore davantage par la suite.

Au sein de la grande bourgeoisie, le groupe qui résiste au Japon diffère actuellement du groupe des capitulards. Il poursuit une politique à double caractère : d’une part, il est encore partisan de l’union pour la Résistance et, d’autre part, il pratique une politique extrêmement réactionnaire de répression des forces progressistes, préparant par là sa capitulation future.

Du moment qu’il reste favorable à l’union pour la Résistance, nous avons encore la possibilité de le faire rester dans le front uni antijaponais, et plus longtemps nous y réussirons, mieux cela vaudra. Il serait faux de négliger cette politique et la coopération avec ce groupe, de le considérer comme ayant déjà capitulé et de croire qu’il est sur le point d’entrer en guerre contre les communistes.

Mais, d’autre part, étant donné que ce groupe pratique partout dans le pays une politique réactionnaire de répression des forces progressistes, qu’il ne suit pas le programme commun ─ les trois principes du peuple révolutionnaires ─ et s’obstine à nous empêcher de l’appliquer, qu’il s’oppose résolument à ce que nous dépassions les limites qu’il nous a fixées, nous permettant seulement de mener contre les envahisseurs une guerre de résistance aussi passive que la sienne, étant donné enfin qu’il tente de nous assimiler et exerce sur nous, si nous lui résistons, une pression idéologique, politique et militaire, il est nécessaire que nous adoptions une tactique de riposte à sa politique réactionnaire et que nous menions contre lui une lutte résolue sur le plan idéologique, politique et militaire.

Telle est la double politique révolutionnaire que nous opposons à la double politique des irréductibles, telle est notre politique d’union par la lutte.

Si, sur le plan idéologique, nous sommes capables d’énoncer une juste théorie révolutionnaire et de porter un coup sévère à leur théorie contre-révolutionnaire ; si, sur le plan politique, nous prenons des mesures tactiques répondant aux exigences du moment et portons un rude coup à leur politique de lutte contre les communistes et le progrès ; si nous prenons les mesures militaires adéquates et ripostons énergiquement à leurs attaques, alors nous serons à même de limiter la portée de la politique réactionnaire des irréductibles et de les obliger à reconnaître le statut des forces progressistes, nous pourrons développer ces dernières, gagner les forces intermédiaires et isoler les irréductibles.

Et nous serons du même coup en mesure de gagner ceux des irréductibles qui désirent encore résister au Japon, de les faire rester plus longtemps dans le front uni antijaponais et d’éviter ainsi une guerre civile de grande envergure, semblable à celle qui a eu lieu dans le passé.

C’est pourquoi, dans la période du front uni antijaponais, notre lutte contre les irréductibles a pour but non seulement de parer à leurs attaques, de manière à éviter des pertes aux forces progressistes et à leur assurer un développement continuel, mais aussi de faire durer plus longtemps la résistance des irréductibles contre le Japon et leur coopération avec nous, afin de conjurer une guerre civile de grande ampleur.

Sans cette lutte, les forces progressistes risqueraient d’être anéanties par les irréductibles, le front uni ne pourrait plus exister, plus rien n’empêcherait les irréductibles de capituler devant l’ennemi, et la guerre civile éclaterait.

Par conséquent, la lutte contre les irréductibles est un moyen indispensable pour unir toutes les forces de la Résistance, amener un tournant favorable dans la situation actuelle et empêcher une guerre civile de vaste envergure.

Toute notre expérience confirme cette vérité.

Mais, durant la période du front uni contre le Japon, il est nécessaire d’observer les principes suivants dans notre lutte contre les irréductibles. Premièrement, le principe de la légitime défense. Nous n’attaquerons pas à moins d’être attaqués, mais si nous sommes attaqués, nous contre-attaquerons.

Cela signifie que nous ne devons jamais lancer d’attaques sans avoir été provoqués, ni demeurer sans riposte quand nous sommes attaqués. C’est en cela que réside le caractère défensif de notre lutte. Les attaques armées des irréductibles doivent être brisées résolument, radicalement, intégralement, totalement. Deuxièmement, le principe de la victoire.

Nous ne nous battons que si nous sommes sûrs de vaincre. Il ne faut en aucun cas engager le combat sans plan, sans préparation et sans assurance du succès. Nous devons savoir exploiter les contradictions des irréductibles ; il nous faut, pour les battre, nous en prendre d’abord aux plus réactionnaires, et non à tous à la fois. C’est en cela que réside le caractère limité de la lutte. Troisièmement, le principe de la trêve.

Après avoir repoussé une attaque des irréductibles et avant qu’ils n’en déclenchent une nouvelle, nous devons savoir nous arrêter et mettre un terme à la lutte. La période suivante est celle d’une trêve entre les deux parties. Nous prenons alors l’initiative de réaliser l’union avec les irréductibles ; s’ils acceptent, nous concluons avec eux un accord de paix.

En aucun cas nous ne devons-nous battre sans répit, jour après jour, heure après heure, ni nous laisser griser par la victoire. C’est en cela que réside le caractère temporaire de chacun de nos combats.

Nous ne répondons de nouveau par la lutte qu’au moment où les irréductibles lancent une nouvelle attaque. En d’autres termes, ces trois principes peuvent s’exprimer ainsi : « avoir le bon droit de son côté, s’assurer l’avantage et garder la mesure ».

En persistant à lutter selon ces principes, nous développerons les forces progressistes, gagnerons à nous les forces intermédiaires et isolerons les irréductibles ; nous pourrons aussi amener ces derniers à bien réfléchir avant de nous attaquer, avant d’entrer en compromis avec l’ennemi ou avant de déchaîner une guerre civile de grande envergure. Nous aurons ainsi rendu possible une amélioration de la situation actuelle.

   6. Le Kuomintang est un parti dont la composition est complexe ; il comprend aussi bien des irréductibles que des éléments intermédiaires et des progressistes ; on ne saurait donc assimiler tout le Kuomintang au groupe des irréductibles.

Comme le Comité exécutif central du Kuomintang a édicté des instructions contre-révolutionnaires génératrices de « frictions », telles les « Mesures pour la limitation de l’activité des partis hérétiques », et qu’il a mobilisé toutes ses forces pour provoquer partout dans le pays des « frictions » contrerévolutionnaires sur les plans idéologique, politique et militaire, certains estiment que tout le Kuomintang est composé d’irréductibles ; cette manière de voir est erronée.

Aujourd’hui, au sein du Kuomintang, les irréductibles sont toujours en situation de dicter la politique de leur parti, mais ils ne sont qu’une minorité ; la majorité des membres (beaucoup ne le sont que de nom) ne sont pas forcément des irréductibles.

Il est indispensable de voir clair sur ce point, alors seulement nous pourrons tirer profit des contradictions existant au sein du Kuomintang, adopter une politique différente à l’égard de chacun des groupes qui le composent et faire les plus grands efforts pour unir à nous ses éléments intermédiaires et progressistes.

   7. Quant au pouvoir politique dans les bases antijaponaises, il faut préciser qu’il doit être celui du front uni national antijaponais. Un tel pouvoir n’existe pas encore dans les régions sous la domination du Kuomintang.

Il s’agit du pouvoir politique de tous ceux qui sont pour la Résistance et la démocratie, c’est-à-dire de la dictature démocratique exercée conjointement par plusieurs classes révolutionnaires sur les traîtres à la nation et les réactionnaires, dictature qui diffère de celle des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie, mais aussi, à certains égards, de la dictature démocratique des ouvriers et paysans au sens strict du terme.

La composition des organes du pouvoir doit être la suivante : les communistes, représentant le prolétariat et les paysans pauvres, y entreront pour un tiers ; les éléments progressistes de gauche, représentant la petite bourgeoisie, pour un tiers également ; le dernier tiers reviendra aux éléments intermédiaires et autres, représentants de la moyenne bourgeoisie et des hobereaux éclairés.

Seuls les traîtres à la nation et les éléments anticommunistes n’ont pas qualité pour en faire partie. Cette règle générale est nécessaire si on ne veut pas compromettre le principe d’un pouvoir de front uni national antijaponais.

C’est la politique authentique de notre Parti au sujet de la composition des organes du pouvoir, politique qu’il convient d’appliquer consciencieusement et non pour la forme. Mais ce n’est là qu’une règle générale qu’il faut appliquer en tenant compte des circonstances ; il ne faut pas s’en tenir aux proportions d’une façon mécanique.

Dans les organes du pouvoir à l’échelon le plus bas, cette règle peut être quelque peu modifiée pour prévenir la mainmise des despotes locaux, des mauvais hobereaux et des propriétaires fonciers.

Cependant, elle ne doit pas être transgressée pour ce qu’il y a d’essentiel dans son esprit. Quant aux non-communistes entrant dans les organes du pouvoir du front uni antijaponais, nous n’avons pas à nous demander s’ils ont adhéré à un parti, ni à quel parti ils appartiennent.

Dans les régions où s’exerce le pouvoir du front uni antijaponais, un statut légal doit être accordé à n’importe quel parti, qu’il s’agisse du Kuomintang ou de tout autre parti, pourvu qu’il ne s’oppose pas au Parti communiste, mais coopère avec lui.

En matière d’élections, la politique adoptée est que tout citoyen chinois, âgé de dix-huit ans révolus et partisan de la Résistance et de la démocratie, a le droit d’élire et d’être élu, sans distinction de classe, de nationalité, d’appartenance politique, de sexe, de croyance et de niveau d’instruction.

Les organes du pouvoir du front uni antijaponais doivent être élus par le peuple, puis se faire valider par le Gouvernement national. Leur forme d’organisation répondra au principe du centralisme démocratique. Leur programme politique doit avoir essentiellement pour point de départ la lutte contre l’impérialisme japonais, la lutte contre les traîtres et les réactionnaires avérés, la protection du peuple qui résiste au Japon, le rajustement des intérêts de toutes les couches sociales qui participent à la Résistance, l’amélioration des conditions de vie des ouvriers et des paysans.

La création de tels organes aura une énorme influence sur tout le pays et servira de modèle à un pouvoir de front uni à l’échelle nationale ; il importe donc que tous les camarades de notre Parti comprennent à fond cette politique et la mettent résolument en pratique.

   8. Dans notre lutte pour développer les forces progressistes, gagner les forces intermédiaires et isoler les forces irréductibles, nous ne devons pas négliger le rôle des intellectuels, d’autant plus que les irréductibles font tous leurs efforts pour les gagner à eux ; c’est donc une politique importante, indispensable, que de gagner tous les intellectuels progressistes et de les placer sous l’influence de notre Parti.

   9. Notre propagande doit se faire conformément au programme suivant :

a) Exécuter le testament du Dr Sun Yat-sen en soulevant les masses pour une résistance unanime au Japon.

b) Réaliser le principe du nationalisme en combattant résolument l’impérialisme japonais et en travaillant à la libération complète de la nation chinoise et à l’égalité en droits de toutes les nationalités du pays.

c) Réaliser le principe de la démocratie en assurant au peuple la liberté pleine et entière de résister au Japon pour le salut de la nation, en faisant élire par le peuple les organes gouvernementaux à tous les échelons et en instaurant le pouvoir démocratique révolutionnaire du front uni national antijaponais.

d) Réaliser le principe du bienêtre du peuple par la suppression des impôts exorbitants et des taxes multiples, par la réduction des fermages et du taux d’intérêt des prêts, l’institution de la journée de huit heures, le développement de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, l’amélioration des conditions de vie du peuple.

e) Mettre en pratique la déclaration de Tchiang Kaï-chek selon laquelle « tout homme, qu’il soit du Nord ou du Sud, qu’il soit jeune ou vieux, a le devoir de résister à l’envahisseur et de défendre le sol de la patrie ». Tous ces points figurent dans le programme publié par le Kuomintang lui-même et constituent aussi le programme commun du Kuomintang et du Parti communiste.

Mais, actuellement, le Kuomintang est incapable de les mettre à exécution, sauf pour ce qui est de la résistance au Japon ; seuls le Parti communiste et les forces progressistes sont à même d’appliquer ce programme.

C’est d’ailleurs le plus simple qui soit ; il a déjà été largement diffusé dans le peuple, mais beaucoup de membres du Parti communiste ne savent pas encore s’en servir comme d’une arme pour soulever les masses populaires et isoler les irréductibles.

Dorénavant, il faut avoir constamment à l’esprit les cinq points ci-dessus et les populariser sous forme d’avis au public, de déclarations, de tracts, d’articles, de discours, d’entretiens, etc.

Dans les régions du Kuomintang, ce n’est qu’un programme de propagande, mais dans les régions où s’installent la VIIIe Armée de Route et la Nouvelle IVe Armée, c’est un programme d’action. En nous y conformant, nous agissons d’une façon légale, et quand les irréductibles s’opposent à ce que nous le réalisions, ils violent la légalité.

A l’étape de la révolution démocratique bourgeoise, ce programme du Kuomintang est, pour l’essentiel, le même que le nôtre. Cependant, l’idéologie du Kuomintang est foncièrement différente de celle du Parti communiste. Nous devons seulement mettre en pratique ce programme commun de la révolution démocratique, sans partager en aucune façon l’idéologie du Kuomintang.

Thèses du rapport présenté par le camarade Mao Zedong à une réunion des cadres supérieurs du Parti à Yenan.

11 mars 1940

1. La situation politique actuelle est la suivante :

a) Sérieusement éprouvé par la Guerre de Résistance que mène la Chine, l’impérialisme japonais n’a déjà plus la force de lancer de nouvelles offensives militaires de grand style ; et le rapport des forces entre l’ennemi et nous a atteint l’étape de la stabilisation stratégique. Cependant, l’ennemi persiste dans sa politique fondamentale d’asservissement de la Chine, qu’il poursuit par le sabotage du front uni antijaponais, par l’intensification des opérations de « nettoyage » sur ses arrières et le renforcement de l’agression économique.

b) La Grande-Bretagne et la France voient leur position affaiblie en Orient du fait de la guerre en Europe, tandis que les Etats-Unis continuent leur politique consistant à « observer le combat des tigres du haut de la montagne ». L’éventualité d’une conférence de Munich en Orient est donc pour le moment exclue.

c) L’Union soviétique a remporté de nouvelles victoires dans sa politique extérieure, elle continue sa politique d’aide active à la Chine dans la Guerre de Résistance.

d) Le groupe projaponais de la grande bourgeoisie chinoise a déjà capitulé définitivement devant le Japon, et il s’apprête à former un régime fantoche. Quant au groupe pro-européen et pro-américain de la grande bourgeoisie, il peut encore poursuivre la résistance contre le Japon, mais sa tendance au compromis reste sérieuse.

Il mène une politique double : tout en voulant maintenir l’union avec diverses forces en dehors du Kuomintang pour tenir tête au Japon, il les sape par tous les moyens et s’acharne plus particulièrement contre le Parti communiste et les autres forces progressistes. C’est le groupe des irréductibles au sein du front uni antijaponais.

e) Les forces intermédiaires, qui comprennent la moyenne bourgeoisie, les hobereaux éclairés et les groupes disposant de forces locales réelles, prennent généralement position entre les forces progressistes et les irréductibles, en raison des contradictions qui les opposent aussi bien aux forces dominantes principales grands propriétaires fonciers et grande bourgeoisie qu’à la classe ouvrière et à la paysannerie. Elles forment le groupe intermédiaire au sein du front uni antijaponais.

f) Les forces progressistes du prolétariat, de la paysannerie et de la petite bourgeoisie urbaine, dirigées par le Parti communiste, se sont beaucoup développées ces derniers temps et ont déjà pratiquement réussi à établir des bases d’appui à pouvoir démocratique antijaponais. Leur influence sur les ouvriers, les paysans et la petite bourgeoisie urbaine est très grande à travers le pays ; et elle est loin d’être négligeable sur les forces intermédiaires.

Sur le théâtre des opérations, le Parti communiste combat des effectifs japonais qui égalent presque en importance ceux qu’affronté le Kuomintang. Les forces dirigées par le Parti communiste constituent le groupe progressiste au sein du front uni antijaponais.

Telle est actuellement la situation politique en Chine. Dans ces circonstances, il est encore possible de prévenir une évolution vers le pire et d’amener un tournant favorable dans la situation, et la décision prise par le Comité central le 1er février est entièrement juste.

   2. La condition essentielle pour la victoire dans la Guerre de Résistance est l’extension et la consolidation du front uni antijaponais. Pour atteindre ce but, la tactique indispensable est de développer les forces progressistes, de gagner les forces intermédiaires et de combattre les forces irréductibles ; ce sont là trois maillons qu’on ne peut dissocier, et la lutte est le moyen d’unir toutes les forces qui résistent au Japon.

Dans la période du front uni antijaponais, la lutte est le moyen de parvenir à l’union, et l’union, le but de la lutte. L’union vivra si on cherche à la faire par la lutte ; elle périra si on la recherche par des concessions. Cette vérité se répand peu à peu parmi les camarades du Parti. Pourtant, beaucoup ne la saisissent pas encore.

Ils pensent que la lutte risque de briser le front uni ou qu’elle est un moyen à employer sans restriction ; ils appliquent une tactique erronée à l’égard des forces intermédiaires ou se font une idée fausse des forces irréductibles. Toutes ces erreurs doivent être rectifiées.

   3. Développer les forces progressistes, cela signifie : développer les forces du prolétariat, de la paysannerie et de la petite bourgeoisie urbaine ; accroître hardiment les effectifs de la VIIIe Armée de Route et de la Nouvelle IVe Armée ; établir de nombreuses bases démocratiques antijaponaises ; étendre les organisations du Parti communiste à tout le pays ; développer à l’échelle nationale les mouvements de masse dont ceux des ouvriers, des paysans, des jeunes, des femmes et des enfants ; gagner les intellectuels de l’ensemble du pays ; étendre aux masses le mouvement démocratique pour l’instauration d’un régime constitutionnel.

L’expansion graduelle des forces progressistes est le seul moyen d’empêcher que la situation ne se détériore, de prévenir la capitulation et la rupture et de jeter les bases indestructibles de la victoire dans la Guerre de Résistance.

Mais le développement de ces forces exige une âpre lutte : il faut combattre impitoyablement non seulement les impérialistes japonais et les traîtres à la nation, mais aussi les irréductibles. En effet, les irréductibles s’opposent à cette expansion, et les forces intermédiaires se montrent sceptiques.

A moins de lutter résolument contre les irréductibles et d’obtenir des succès réels dans cette lutte, nous ne pourrons résister à leur pression ni dissiper les doutes des forces intermédiaires, et il serait alors impossible aux forces progressistes de se développer.

   4. Gagner les forces intermédiaires, cela signifie gagner la moyenne bourgeoisie, les hobereaux éclairés et les groupes disposant de forces locales réelles. Ce sont là trois catégories différentes qui, cependant, font toutes partie, dans la situation actuelle, des forces intermédiaires. Par moyenne bourgeoisie, on entend la bourgeoisie nationale, distincte de la bourgeoisie compradore, c’est-à-dire de la grande bourgeoisie.

Elle est opposée aux ouvriers par des contradictions de classe et elle n’approuve pas l’indépendance de la classe ouvrière ; mais, du fait qu’elle subit le joug des impérialistes japonais dans les régions occupées et qu’elle est bridée par les grands propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie dans les régions du Kuomintang, elle désire encore résister au Japon et, de plus, elle voudrait conquérir le pouvoir politique pour elle-même.

Dans la question de la résistance au Japon, la moyenne bourgeoisie est en faveur de l’union pour la Résistance, et, dans la question de la conquête du pouvoir, elle soutient le mouvement pour un régime constitutionnel et cherche à utiliser à ses propres fins les contradictions entre les forces progressistes et les irréductibles.

C’est une couche sociale qu’il nous faut gagner. Les hobereaux éclairés forment l’aile gauche de la classe des propriétaires fonciers, c’est-à-dire la fraction de cette classe qui possède certaines caractéristiques de la bourgeoisie et dont l’attitude politique est à peu près la même que celle de la moyenne bourgeoisie.

Des contradictions de classe les opposent à la paysannerie, mais d’autres contradictions les opposent aux grands propriétaires fonciers et à la grande bourgeoisie. Ils n’approuvent pas les irréductibles, ils cherchent à utiliser, eux aussi, les contradictions entre ces derniers et nous pour atteindre leurs propres buts politiques.

Cette fraction, elle non plus, ne doit en aucun cas être négligée, et il faut que notre politique tende à la rallier à nous. Les groupes disposant de forces locales réelles sont de deux sortes : les uns contrôlent en permanence certains territoires, et les autres, composés d’ »armées d’amalgame », n’en contrôlent pas.

S’ils sont en contradiction avec les forces progressistes, ils le sont également avec l’actuel Gouvernement central du Kuomintang en raison de la politique égoïste qu’il poursuit à leurs dépens. Eux aussi s’efforcent d’exploiter nos contradictions avec les irréductibles pour atteindre leurs propres buts politiques.

Les dirigeants de ces groupes appartiennent, pour la plupart, à la classe des grands propriétaires fonciers et à la grande bourgeoisie, c’est pourquoi, dans la Guerre de Résistance, même s’ils manifestent parfois des tendances progressistes, ils ne tardent pas à revenir à des positions réactionnaires.

Cependant, comme ils sont en contradiction avec les autorités centrales du Kuomintang, ils peuvent rester neutres au cours de notre lutte contre les irréductibles, à condition que nous pratiquions une politique juste. Notre politique à l’égard des forces intermédiaires est de gagner chacune des trois catégories définies plus haut.

Elle est toutefois distincte de celle que nous pratiquons pour gagner la paysannerie et la petite bourgeoisie urbaine, et elle varie aussi pour chaque catégorie des forces intermédiaires. La paysannerie et la petite bourgeoisie urbaine doivent être gagnées en tant qu’alliés fondamentaux et les forces intermédiaires en tant qu’alliés dans la lutte contre l’impérialisme.

Parmi ces forces intermédiaires, la moyenne bourgeoisie et les hobereaux éclairés sont susceptibles de lutter à nos côtés contre le Japon et aussi de se joindre à nous dans l’établissement d’un pouvoir démocratique antijaponais, mais ils redoutent la révolution agraire.

D’aucuns pourront participer dans une certaine mesure à la lutte contre les irréductibles, d’autres garder une neutralité bienveillante, d’autres encore rester neutres par la force des choses.

Les groupes disposant de forces locales réelles, tout en résistant avec nous à l’envahisseur japonais, ne peuvent qu’observer une neutralité provisoire dans notre lutte contre les irréductibles. Ils ne sont nullement enclins à établir avec nous un pouvoir démocratique, puisqu’ils font eux-mêmes partie de la classe des grands propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie.

Les forces intermédiaires ont tendance à se montrer vacillantes dans leurs positions, et sont appelées inévitablement à se différencier. Nous devons donc, compte tenu de leurs hésitations, savoir les persuader et les critiquer comme il convient.

La conquête des forces intermédiaires est pour nous une tâche des plus importantes dans la période du front uni antijaponais, mais qui ne peut être remplie qu’à certaines conditions, à savoir : a) la présence chez nous de forces suffisantes ; b) le respect des intérêts des forces intermédiaires ; c) une lutte résolue de notre part contre les irréductibles, lutte qui doit être jalonnée de victoires.

Faute de ces conditions, les forces intermédiaires seront hésitantes ou se feront même les alliées des irréductibles dans leurs attaques contre nous, car ceux-ci font également l’impossible pour les gagner afin de nous isoler.

Ces forces intermédiaires ont un grand poids en Chine et peuvent, dans bien des cas, devenir le facteur décisif dans notre lutte contre les irréductibles ; aussi faut-il être extrêmement prudent à leur égard.

   5. Les forces irréductibles, ce sont actuellement les grands propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie. Ces classes se divisent en deux groupes : celui qui a capitulé devant le Japon et celui qui est partisan de la Résistance ; elles sont appelées à se différencier encore davantage par la suite.

Au sein de la grande bourgeoisie, le groupe qui résiste au Japon diffère actuellement du groupe des capitulards. Il poursuit une politique à double caractère : d’une part, il est encore partisan de l’union pour la Résistance et, d’autre part, il pratique une politique extrêmement réactionnaire de répression des forces progressistes, préparant par là sa capitulation future.

Du moment qu’il reste favorable à l’union pour la Résistance, nous avons encore la possibilité de le faire rester dans le front uni antijaponais, et plus longtemps nous y réussirons, mieux cela vaudra. Il serait faux de négliger cette politique et la coopération avec ce groupe, de le considérer comme ayant déjà capitulé et de croire qu’il est sur le point d’entrer en guerre contre les communistes.

Mais, d’autre part, étant donné que ce groupe pratique partout dans le pays une politique réactionnaire de répression des forces progressistes, qu’il ne suit pas le programme commun ─ les trois principes du peuple révolutionnaires ─ et s’obstine à nous empêcher de l’appliquer, qu’il s’oppose résolument à ce que nous dépassions les limites qu’il nous a fixées, nous permettant seulement de mener contre les envahisseurs une guerre de résistance aussi passive que la sienne, étant donné enfin qu’il tente de nous assimiler et exerce sur nous, si nous lui résistons, une pression idéologique, politique et militaire, il est nécessaire que nous adoptions une tactique de riposte à sa politique réactionnaire et que nous menions contre lui une lutte résolue sur le plan idéologique, politique et militaire.

Telle est la double politique révolutionnaire que nous opposons à la double politique des irréductibles, telle est notre politique d’union par la lutte.

Si, sur le plan idéologique, nous sommes capables d’énoncer une juste théorie révolutionnaire et de porter un coup sévère à leur théorie contre-révolutionnaire ; si, sur le plan politique, nous prenons des mesures tactiques répondant aux exigences du moment et portons un rude coup à leur politique de lutte contre les communistes et le progrès ; si nous prenons les mesures militaires adéquates et ripostons énergiquement à leurs attaques, alors nous serons à même de limiter la portée de la politique réactionnaire des irréductibles et de les obliger à reconnaître le statut des forces progressistes, nous pourrons développer ces dernières, gagner les forces intermédiaires et isoler les irréductibles.

Et nous serons du même coup en mesure de gagner ceux des irréductibles qui désirent encore résister au Japon, de les faire rester plus longtemps dans le front uni antijaponais et d’éviter ainsi une guerre civile de grande envergure, semblable à celle qui a eu lieu dans le passé.

C’est pourquoi, dans la période du front uni antijaponais, notre lutte contre les irréductibles a pour but non seulement de parer à leurs attaques, de manière à éviter des pertes aux forces progressistes et à leur assurer un développement continuel, mais aussi de faire durer plus longtemps la résistance des irréductibles contre le Japon et leur coopération avec nous, afin de conjurer une guerre civile de grande ampleur.

Sans cette lutte, les forces progressistes risqueraient d’être anéanties par les irréductibles, le front uni ne pourrait plus exister, plus rien n’empêcherait les irréductibles de capituler devant l’ennemi, et la guerre civile éclaterait.

Par conséquent, la lutte contre les irréductibles est un moyen indispensable pour unir toutes les forces de la Résistance, amener un tournant favorable dans la situation actuelle et empêcher une guerre civile de vaste envergure.

Toute notre expérience confirme cette vérité.

Mais, durant la période du front uni contre le Japon, il est nécessaire d’observer les principes suivants dans notre lutte contre les irréductibles. Premièrement, le principe de la légitime défense. Nous n’attaquerons pas à moins d’être attaqués, mais si nous sommes attaqués, nous contre-attaquerons.

Cela signifie que nous ne devons jamais lancer d’attaques sans avoir été provoqués, ni demeurer sans riposte quand nous sommes attaqués. C’est en cela que réside le caractère défensif de notre lutte. Les attaques armées des irréductibles doivent être brisées résolument, radicalement, intégralement, totalement. Deuxièmement, le principe de la victoire.

Nous ne nous battons que si nous sommes sûrs de vaincre. Il ne faut en aucun cas engager le combat sans plan, sans préparation et sans assurance du succès. Nous devons savoir exploiter les contradictions des irréductibles ; il nous faut, pour les battre, nous en prendre d’abord aux plus réactionnaires, et non à tous à la fois. C’est en cela que réside le caractère limité de la lutte. Troisièmement, le principe de la trêve.

Après avoir repoussé une attaque des irréductibles et avant qu’ils n’en déclenchent une nouvelle, nous devons savoir nous arrêter et mettre un terme à la lutte. La période suivante est celle d’une trêve entre les deux parties. Nous prenons alors l’initiative de réaliser l’union avec les irréductibles ; s’ils acceptent, nous concluons avec eux un accord de paix.

En aucun cas nous ne devons-nous battre sans répit, jour après jour, heure après heure, ni nous laisser griser par la victoire. C’est en cela que réside le caractère temporaire de chacun de nos combats.

Nous ne répondons de nouveau par la lutte qu’au moment où les irréductibles lancent une nouvelle attaque. En d’autres termes, ces trois principes peuvent s’exprimer ainsi : « avoir le bon droit de son côté, s’assurer l’avantage et garder la mesure ».

En persistant à lutter selon ces principes, nous développerons les forces progressistes, gagnerons à nous les forces intermédiaires et isolerons les irréductibles ; nous pourrons aussi amener ces derniers à bien réfléchir avant de nous attaquer, avant d’entrer en compromis avec l’ennemi ou avant de déchaîner une guerre civile de grande envergure. Nous aurons ainsi rendu possible une amélioration de la situation actuelle.

   6. Le Kuomintang est un parti dont la composition est complexe ; il comprend aussi bien des irréductibles que des éléments intermédiaires et des progressistes ; on ne saurait donc assimiler tout le Kuomintang au groupe des irréductibles.

Comme le Comité exécutif central du Kuomintang a édicté des instructions contre-révolutionnaires génératrices de « frictions », telles les « Mesures pour la limitation de l’activité des partis hérétiques », et qu’il a mobilisé toutes ses forces pour provoquer partout dans le pays des « frictions » contrerévolutionnaires sur les plans idéologique, politique et militaire, certains estiment que tout le Kuomintang est composé d’irréductibles ; cette manière de voir est erronée.

Aujourd’hui, au sein du Kuomintang, les irréductibles sont toujours en situation de dicter la politique de leur parti, mais ils ne sont qu’une minorité ; la majorité des membres (beaucoup ne le sont que de nom) ne sont pas forcément des irréductibles.

Il est indispensable de voir clair sur ce point, alors seulement nous pourrons tirer profit des contradictions existant au sein du Kuomintang, adopter une politique différente à l’égard de chacun des groupes qui le composent et faire les plus grands efforts pour unir à nous ses éléments intermédiaires et progressistes.

   7. Quant au pouvoir politique dans les bases antijaponaises, il faut préciser qu’il doit être celui du front uni national antijaponais. Un tel pouvoir n’existe pas encore dans les régions sous la domination du Kuomintang.

Il s’agit du pouvoir politique de tous ceux qui sont pour la Résistance et la démocratie, c’est-à-dire de la dictature démocratique exercée conjointement par plusieurs classes révolutionnaires sur les traîtres à la nation et les réactionnaires, dictature qui diffère de celle des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie, mais aussi, à certains égards, de la dictature démocratique des ouvriers et paysans au sens strict du terme.

La composition des organes du pouvoir doit être la suivante : les communistes, représentant le prolétariat et les paysans pauvres, y entreront pour un tiers ; les éléments progressistes de gauche, représentant la petite bourgeoisie, pour un tiers également ; le dernier tiers reviendra aux éléments intermédiaires et autres, représentants de la moyenne bourgeoisie et des hobereaux éclairés.

Seuls les traîtres à la nation et les éléments anticommunistes n’ont pas qualité pour en faire partie. Cette règle générale est nécessaire si on ne veut pas compromettre le principe d’un pouvoir de front uni national antijaponais.

C’est la politique authentique de notre Parti au sujet de la composition des organes du pouvoir, politique qu’il convient d’appliquer consciencieusement et non pour la forme. Mais ce n’est là qu’une règle générale qu’il faut appliquer en tenant compte des circonstances ; il ne faut pas s’en tenir aux proportions d’une façon mécanique.

Dans les organes du pouvoir à l’échelon le plus bas, cette règle peut être quelque peu modifiée pour prévenir la mainmise des despotes locaux, des mauvais hobereaux et des propriétaires fonciers.

Cependant, elle ne doit pas être transgressée pour ce qu’il y a d’essentiel dans son esprit. Quant aux non-communistes entrant dans les organes du pouvoir du front uni antijaponais, nous n’avons pas à nous demander s’ils ont adhéré à un parti, ni à quel parti ils appartiennent.

Dans les régions où s’exerce le pouvoir du front uni antijaponais, un statut légal doit être accordé à n’importe quel parti, qu’il s’agisse du Kuomintang ou de tout autre parti, pourvu qu’il ne s’oppose pas au Parti communiste, mais coopère avec lui.

En matière d’élections, la politique adoptée est que tout citoyen chinois, âgé de dix-huit ans révolus et partisan de la Résistance et de la démocratie, a le droit d’élire et d’être élu, sans distinction de classe, de nationalité, d’appartenance politique, de sexe, de croyance et de niveau d’instruction.

Les organes du pouvoir du front uni antijaponais doivent être élus par le peuple, puis se faire valider par le Gouvernement national. Leur forme d’organisation répondra au principe du centralisme démocratique. Leur programme politique doit avoir essentiellement pour point de départ la lutte contre l’impérialisme japonais, la lutte contre les traîtres et les réactionnaires avérés, la protection du peuple qui résiste au Japon, le rajustement des intérêts de toutes les couches sociales qui participent à la Résistance, l’amélioration des conditions de vie des ouvriers et des paysans.

La création de tels organes aura une énorme influence sur tout le pays et servira de modèle à un pouvoir de front uni à l’échelle nationale ; il importe donc que tous les camarades de notre Parti comprennent à fond cette politique et la mettent résolument en pratique.

   8. Dans notre lutte pour développer les forces progressistes, gagner les forces intermédiaires et isoler les forces irréductibles, nous ne devons pas négliger le rôle des intellectuels, d’autant plus que les irréductibles font tous leurs efforts pour les gagner à eux ; c’est donc une politique importante, indispensable, que de gagner tous les intellectuels progressistes et de les placer sous l’influence de notre Parti.

   9. Notre propagande doit se faire conformément au programme suivant :

a) Exécuter le testament du Dr Sun Yat-sen en soulevant les masses pour une résistance unanime au Japon.

b) Réaliser le principe du nationalisme en combattant résolument l’impérialisme japonais et en travaillant à la libération complète de la nation chinoise et à l’égalité en droits de toutes les nationalités du pays.

c) Réaliser le principe de la démocratie en assurant au peuple la liberté pleine et entière de résister au Japon pour le salut de la nation, en faisant élire par le peuple les organes gouvernementaux à tous les échelons et en instaurant le pouvoir démocratique révolutionnaire du front uni national antijaponais.

d) Réaliser le principe du bienêtre du peuple par la suppression des impôts exorbitants et des taxes multiples, par la réduction des fermages et du taux d’intérêt des prêts, l’institution de la journée de huit heures, le développement de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, l’amélioration des conditions de vie du peuple.

e) Mettre en pratique la déclaration de Tchiang Kaï-chek selon laquelle « tout homme, qu’il soit du Nord ou du Sud, qu’il soit jeune ou vieux, a le devoir de résister à l’envahisseur et de défendre le sol de la patrie ». Tous ces points figurent dans le programme publié par le Kuomintang lui-même et constituent aussi le programme commun du Kuomintang et du Parti communiste.

Mais, actuellement, le Kuomintang est incapable de les mettre à exécution, sauf pour ce qui est de la résistance au Japon ; seuls le Parti communiste et les forces progressistes sont à même d’appliquer ce programme.

C’est d’ailleurs le plus simple qui soit ; il a déjà été largement diffusé dans le peuple, mais beaucoup de membres du Parti communiste ne savent pas encore s’en servir comme d’une arme pour soulever les masses populaires et isoler les irréductibles.

Dorénavant, il faut avoir constamment à l’esprit les cinq points ci-dessus et les populariser sous forme d’avis au public, de déclarations, de tracts, d’articles, de discours, d’entretiens, etc.

Dans les régions du Kuomintang, ce n’est qu’un programme de propagande, mais dans les régions où s’installent la VIIIe Armée de Route et la Nouvelle IVe Armée, c’est un programme d’action. En nous y conformant, nous agissons d’une façon légale, et quand les irréductibles s’opposent à ce que nous le réalisions, ils violent la légalité.

A l’étape de la révolution démocratique bourgeoise, ce programme du Kuomintang est, pour l’essentiel, le même que le nôtre. Cependant, l’idéologie du Kuomintang est foncièrement différente de celle du Parti communiste. Nous devons seulement mettre en pratique ce programme commun de la révolution démocratique, sans partager en aucune façon l’idéologie du Kuomintang.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : De la guerre prolongée

   Cycle de conférences faites par Mao Zedong à Yenan du 26 mai au 3 juin 1938 devant l’Association pour l’Etude de la Guerre de Résistance contre le Japon.

Comment se pose la question ?

1. Nous approchons du 7 juillet, premier anniversaire du déclenchement de la grande Guerre de Résistance contre le Japon.

   Voilà donc bientôt un an que notre nation tout entière, unissant ses forces, persévérant dans la Résistance et maintenant fermement le front uni, se bat avec héroïsme contre l’ennemi.

   C’est là une guerre comme on n’en avait jamais vu dans l’histoire de l’Orient, et une place éminente lui reviendra dans l’histoire de l’humanité.

   Les peuples du monde entier en suivent le déroulement avec attention.

   Victime des calamités de la guerre et luttant pour l’existence de la nation, chaque Chinois aspire ardemment à la victoire.

   Mais comment cette guerre va­-t-­elle se dérouler ?

   Pourrons-­nous vaincre ? Pourrons-­nous vaincre rapidement ? Beaucoup parlent d’une guerre prolongée, mais pourquoi la guerre serait­-elle prolongée ?

   Comment conduire une guerre prolongée ?

   Beaucoup parlent de la victoire finale, mais pourquoi remporterons-­nous la victoire finale, et comment remporter cette victoire ?

   Plus d’un parmi nous ne peut encore trouver la réponse à ces questions, et c’est même le cas de la plupart.

   Alors se présentent les partisans de la théorie défaitiste de l’asservissement inéluctable de la Chine, qui disent : « La Chine sera asservie, la victoire finale ne sera pas à la Chine. »

   Ou bien certains de nos amis par trop impétueux s’empressent d’annoncer : « La Chine peut remporter la victoire très rapidement et sans grands efforts. »

   Ces opinions sont-­elles justes ?

   Nous avons toujours dit qu’elles ne l’étaient pas.

   Cependant, la plupart des gens n’ont pas encore compris ce que nous avons dit.

   Cela vient en partie de ce que notre travail de propagande et d’explication était insuffisant, et en partie de ce que les événements objectifs n’avaient pas encore révélé complètement, en se développant, leur caractère véritable et ne s’étaient pas encore manifestés tout à fait clairement, de sorte qu’on n’a pu discerner leurs tendances et leurs perspectives ni, par suite, déterminer entièrement la politique et les méthodes d’action qui convenaient.

   Maintenant, c’est différent.

   L’expérience de dix mois de guerre de résistance suffit amplement à ruiner la théorie, dénuée de tout fondement, de l’asservissement inéluctable de la Chine et à convaincre du même coup nos amis par trop impétueux que leur théorie d’une victoire rapide est erronée.

   Dans ces circonstances, beaucoup demandent des éclaircissements qui fassent le point de la situation, d’autant plus qu’une guerre prolongée suscite l’opposition aussi bien des partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine que des partisans de la théorie de la victoire rapide, alors que d’autres s’en font une idée bien vague.

   Une formule comme celle-­ci : « Depuis l’Incident de Loukeoukiao, 400 millions de Chinois déploient tous ensemble leurs efforts et la victoire finale sera à la Chine » est largement répandue.

   Cette formule est juste, mais il faut lui donner un contenu concret.

   Si nous avons pu persévérer dans la Guerre de Résistance et maintenir le front uni, c’est grâce au concours de nombreux facteurs.

   Ce sont, en Chine, tous les partis politiques, du Parti communiste au Kuomintang ; le peuple tout entier, depuis les ouvriers et les paysans jusqu’à la bourgeoisie ; toutes les forces armées, depuis les troupes régulières jusqu’aux détachements de partisans ; sur le plan international, le pays du socialisme et tous les peuples épris de justice ; dans le camp ennemi, ceux parmi la population et les soldats du front qui sont contre la guerre.

   Bref, tous ces facteurs contribuent, à divers degrés, à soutenir notre Guerre de Résistance.

   Toute personne de bonne foi doit leur rendre hommage.

   Nous, communistes, avec les autres partis politiques de la Résistance et le peuple tout entier, n’avons d’autre voie que de lutter pour l’union de toutes les forces en vue de la victoire sur les bandits japonais exécrés.

   Le premier juillet de cette année, nous célébrerons le XVIIe anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois.

   Pour que chaque communiste puisse fournir un effort toujours plus grand et plus efficace dans la Guerre de Résistance, il faut aussi attacher à l’étude de la guerre prolongée une importance particulière.

   C’est pourquoi mes conférences seront consacrées à cette étude.

   Je tâcherai de traiter toutes les questions concernant cette guerre, mais il ne m’est pas possible d’entrer dans tous les détails au cours d’un seul cycle de conférences.

2. Toute l’expérience de dix mois de guerre atteste que la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et la théorie de la victoire rapide sont fausses l’une comme l’autre.

   La première engendre la tendance au compromis, la seconde la tendance à la sous-estimation des forces de l’ennemi. Les partisans de ces théories abordent la question d’une façon subjective, unilatérale, en un mot, anti-scientifique.

3 Avant la Guerre de Résistance, bien des opinions défaitistes avaient cours.

   On disait par exemple : « La Chine est moins bien armée que l’ennemi, se battre c’est perdre la guerre. »

   « Si nous résistons, le destin de l’Abyssinie nous attend. »

   Depuis le début de la guerre, la propagande sur la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine ne se fait plus ouvertement, elle se poursuit sous une forme voilée, mais très activement, comme le montrent, par exemple, les bruits de compromis qui tantôt s’élèvent et tantôt s’apaisent.

   Les partisans du compromis ont recours à l’argument suivant :

   « Poursuivre la guerre, c’est l’asservissement inéluctable1

Cela s’explique par le fait que le gouvernement du Kuomintang était corrompu et incapable et qu’il essuyait dans la guerre défaite sur défaite, tandis que l’armée japonaise progressait rapidement et parvenait près de Wouhan au cours même de la première année de la guerre. Ce qui engendra des sentiments profondément pessimistes dans des couches arriérées de la population..« 

   Un étudiant nous écrit du Hounan :

   « A la campagne, je me heurte partout à des difficultés. Faisant le travail de propagande tout seul, je suis obligé de saisir toutes les occasions pour causer avec les gens. Mes interlocuteurs ne sont pas des ignares, ils sont plus ou moins au courant de ce qui se passe et manifestent un grand intérêt pour tout ce que je leur dis. 

Mais lorsque je me trouve avec les quelques parents que j’ai ici, ils disent invariablement : « La Chine ne peut pas vaincre, elle est perdue. » J’en suis malade. Encore heureux qu’ils ne fassent pas de la propagande, ce serait désastreux. Les paysans, bien entendu, leur donnent crédit plus qu’à moi ! »

   Les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine constituent la base sociale de la tendance au compromis. Il existe de ces gens dans tous les coins de la Chine.

   Voilà pourquoi l’esprit de compromis peut se manifester au sein du front anti-japonais à n’importe quel moment, et peut-­être jusqu’à la fin de la guerre.

   Maintenant que Siutcheou vient de tomber et que la situation est critique à Wouhan, il ne sera pas mauvais, me semble-­t-­il, de donner a ces partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine une riposte cinglante.

4 Durant les dix mois de la Guerre de Résistance, toutes sortes de vues dénotant de l’impétuosité ont également fait leur apparition.

   Par exemple, dans les premiers jours de la guerre, beaucoup se sont laissés aller à l’optimisme, sans la moindre justification.

   Ils sous­-estimaient le Japon et pensaient même que l’ennemi n’atteindrait pas la province du Chansi.

   Certains sous­-estimaient le rôle stratégique des opérations de partisans dans la Guerre de Résistance et mettaient en doute la formulation suivante : « Pour les opérations militaires considérées dans leur ensemble, la guerre de mouvement est la forme principale, et la guerre de partisans la forme auxiliaire ; dans les situations particulières, la guerre de partisans est la forme principale, et la guerre de mouvement la forme auxiliaire. »

   Ils n’approuvaient pas ce principe stratégique de la VIIIe Armée de Route : « Faire essentiellement une guerre de partisans, sans se refuser à la guerre de mouvement lorsque les circonstances sont favorables », point de vue qu’ils trouvaient « mécaniste »

   Des camarades pensaient que le Japon succomberait au premier coup. Ce n’est pas du tout qu’ils estimaient comme très grandes les forces des troupes et des masses populaires organisées dirigées par le Parti communiste : ils savaient au contraire qu’en ce temps-­là ces forces étaient encore très faibles. Ils partaient de l’idée que le Kuomintang participait à la Guerre de Résistance et qu’il disposait, à ce qu’il leur semblait, de grandes forces, capables de briser les envahisseurs japonais, en agissant de concert avec les forces du Parti communiste. Ils ne voyaient qu’un seul aspect des choses, la participation du Kuomintang à la Résistance, et oubliaient l’autre, le caractère réactionnaire et la corruption du Kuomintang. D’où cette appréciation erronée de la situation..

   Lors de la bataille de Chang­hai’, certains disaient : « Il suffit de tenir trois mois et la situation internationale changera, l’Union soviétique entrera en guerre et la guerre sera terminée. »

   Ils envisageaient l’avenir de la Guerre de Résistance en fondant leurs espoirs principalement sur l’aide étrangère.

   Après la victoire à Taieultchouang, certains pensaient que la bataille de Siutcheou devait être « une bataille quasi décisive » et qu’il convenait de réviser la thèse antérieure sur la guerre prolongée.

[Taieultchouang, petite ville située dans la partie méridionale de la province du Chantong. En mars 1938, une bataille se déroula dans la région de Taieultchouang entre l’année chinoise et les troupes d’invasion japonaises. Forte de 400.000 hommes, l’armée chinoise remporta la victoire sur l’armée japonaise qui ne comptait que 70.000 à 80.000 hommes.]

   Ils disaient : « Cette bataille marque l’effort désespéré de l’ennemi », « si nous remportons la victoire dans cette bataille, nous ébranlerons le moral des militaristes japonais et il ne leur restera qu’à attendre le jour du jugement ».

   La victoire de Pinghsingkouan avait déjà tourné la tête à quelques-­uns, puis celle de Taieultchouang a tourné la tête à un bien plus grand nombre encore.

   On a commencé alors à se demander si l’ennemi marcherait sur Wouhan. Beaucoup pensaient : « Ce n’est pas sûr. » D’autres affirmaient : « Certainement pas. »

   Or, de tels doutes peuvent avoir des répercussions sur la réponse à donner à tout un ensemble de questions importantes.

   Par exemple, à la question : Les forces anti-japonaises sont-­elles suffisantes ? on pourrait donner une réponse affirmative.

   Et si l’on pense que nos forces actuelles empêchent déjà l’ennemi de poursuivre son offensive, alors pourquoi les accroître ?

   Ou encore, si on pose la question : Le mot d’ordre de la consolidation et de l’élargissement du front uni national anti-japonais reste-­t-­il toujours juste ? la réponse peut être : Non, puisque le front uni, dans son état actuel, est déjà capable de repousser l’ennemi, pourquoi le consolider et l’élargir ?

   De même, une réponse négative pourrait être donnée à la question : Faut-il renforcer notre activité diplomatique et notre travail de propagande à l’étranger ? ou aux suivantes : Faut-­il s’attacher sérieusement à réformer les systèmes militaire et politique, à développer le mouvement de masse, à mettre en vigueur une éducation au service de la défense nationale, à réprimer les traîtres à la nation et les trotskistes, à développer l’industrie de guerre et à améliorer les conditions de vie du peuple ?

   Il en va de même pour la question : Les mots d’ordre pour la défense de Wouhan, de Canton et du Nord-­Ouest et pour le développement énergique de la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi restent-­ils toujours valables ?

   Il arrive même que, la situation militaire s’améliorant tant soit peu, certains s’apprêtent à accroître les « frictions » entre le Kuomintang et le Parti communiste, détournant ainsi l’attention des problèmes extérieurs pour la diriger vers les problèmes intérieurs.

   Cela se produit presque infailliblement chaque fois qu’une victoire plus ou moins importante a été remportée ou que l’ennemi suspend momentanément son offensive.

   Tout cela peut être qualifié de myopie politique et militaire.

   Sous un air logique, ce sont en réalité des bavardages absolument inconsistants, qui n’ont que l’apparence de la vérité.

   Dans l’intérêt de la conduite victorieuse de la Guerre de Résistance, il serait bon de mettre fin à ce verbiage.

5 La question se pose donc ainsi : La Chine sera­-t­-elle asservie ?

   Réponse : Non, elle ne le sera pas, et la victoire finale lui reviendra. La Chine peut-­elle vaincre rapidement ?

   Réponse : Non, elle ne le pourra pas, la Guerre de Résistance sera une guerre prolongée.

6 Les principaux arguments sur ces questions ont été exposés dans leurs grandes lignes il y a déjà deux ans.

   Dès le 16 juillet 1936, c’est­-à­-dire cinq mois avant l’Incident de Sian et un an avant l’Incident de Loukeoukiao, dans un entretien avec M. Edgar Snow, journaliste américain, j’ai donné une appréciation générale de la situation touchant la guerre sino-­japonaise et formulé divers principes pour remporter la victoire. Ce que ces quelques passages de l’entretien pourront nous remettre en mémoire :

Question : Dans quelles conditions la Chine pourra-­t-­elle vaincre et détruire les forces du Japon ?

Réponse : Trois conditions sont nécessaires : premièrement, la création d’un front uni anti-japonais en Chine ; deuxièmement, la formation d’un front uni anti-japonais mondial ; troisièmement, l’essor du mouvement révolutionnaire du peuple au Japon et dans les colonies japonaises. Pour le peuple chinois, la plus importante de ces trois conditions est la réalisation de sa grande union.

Question : Combien de temps, à votre avis, cette guerre durera­-t­-elle ?

Réponse : Cela dépendra de la force du front uni anti-japonais en Chine, et de beaucoup d’autres facteurs décisifs en Chine et au Japon. En d’autres termes, à part la force de la Chine, dont le rôle est essentiel, l’aide internationale ainsi que le soutien qu’apporterait une révolution au Japon auront aussi leur importance.

   Si le front uni anti-japonais en Chine se développe puissamment, s’il est organisé efficacement en largeur et en profondeur, si les gouvernements et les peuples qui se rendent compte que l’impérialisme japonais menace leurs propres intérêts apportent à la Chine l’aide nécessaire, si la révolution éclate sous peu au Japon, la guerre sera courte, et rapide la victoire de la Chine. Si ces conditions ne se réalisent pas à bref délai, la guerre se prolongera, mais les résultats seront les mêmes : le Japon sera vaincu, la Chine sera victorieuse ; seulement les sacrifices seront grands, et il y aura une période douloureuse à supporter.

Question : Quelle est votre opinion sur le développement probable de cette guerre du point de vue politique et militaire ?

Réponse : La politique continentale du Japon, est déjà fixée. Ceux qui s’imaginent qu’il suffit, pour arrêter l’avance japonaise, de faire des compromis avec le Japon en sacrifiant de nouveaux territoires et droits souverains de la Chine s’abandonnent à des illusions.

   Nous savons parfaitement que le bassin du bas Yangtsé et nos ports maritimes du Sud sont d’ores et déjà inclus dans la politique continentale de l’impérialisme japonais. De plus, le Japon veut occuper les Philippines, le Siam, le Vietnam, la presqu’île de Malacca et les Indes néerlandaises, afin d’isoler la Chine des autres pays et d’établir sa domination sans partage sur la zone sud-­ouest du Pacifique.

   Telle est la politique maritime du Japon. Dans une telle période, la situation de la Chine sera incontestablement des plus difficiles. Toutefois, le peuple chinois, dans sa majorité, est persuadé que ces difficultés sont surmontables ; seuls les riches des grands ports commerciaux sont défaitistes, car ils craignent pour leurs biens. Beaucoup pensent que la Chine sera dans l’impossibilité de poursuivre la guerre dès que ses côtes auront été soumises au blocus par le Japon. Ce sont là des balivernes.

   Pour réfuter ce point de vue, il nous suffit de rappeler l’histoire de l’Armée rouge. Dans la Guerre de Résistance, la Chine est en bien meilleure posture que ne l’était l’Armée rouge au temps de la guerre civile.

   La Chine est un pays immense ; même si le Japon parvenait à occuper des territoires peuplés de cent, voire de deux cents millions d’habitants, nous serions encore loin de la défaite ; nous aurions encore une force amplement suffisante pour résister aux Japonais qui, durant toute la guerre, auraient à livrer sans répit des combats défensifs sur leurs arrières.

   Le manque d’unité et le développement inégal de l’économie chinoise favorisent plutôt la Résistance. Par exemple, séparer Changhaï du reste de la Chine n’est pas aussi désastreux pour le pays que ne le serait l’isolement de New­-York du reste des Etats­-Unis. Le Japon peut imposer son blocus aux côtes chinoises, mais non à la Chine du Nord­-Ouest, du Sud­-Ouest et de l’Ouest.

   C’est pourquoi, le cœur du problème reste l’union de tout le peuple chinois et la création d’un front anti-japonais de toute la nation. Et cela, il y a longtemps que nous le préconisons.

Question : Si la guerre devait se prolonger et que le Japon ne soit pas complètement battu, le Parti communiste accepterait­-il de négocier la paix avec le Japon et de reconnaître sa domination sur la Chine du Nord-­Est ?

Réponse : Non. Le Parti communiste chinois, comme le peuple chinois tout entier, n’admettra pas que le Japon garde un seul pouce du territoire chinois.

Question : Quelle doit être, à votre avis, la stratégie fondamentale pour cette guerre de libération ?

Réponse : Notre stratégie doit consister à employer nos forces principales sur un front étiré et indéterminé. Pour remporter la victoire, les troupes chinoises opéreront sur de vastes champs de bataille, avec un haut degré de mobilité : avances et replis rapides, concentration et dispersion rapides des forces.

   Ce sera une vaste guerre de mouvement plutôt qu’une guerre de position reposant exclusivement sur des ouvrages défensifs avec de profondes tranchées, des remparts élevés et des lignes de défense en profondeur.

   Cela ne signifie pas l’abandon de tous les points stratégiques importants, qui doivent être défendus par une guerre de position tant qu’il y a avantage à le faire. Toutefois, la stratégie décisive doit être axée sur la guerre de mouvement.

   La guerre de position est nécessaire, mais elle ne jouera qu’un rôle auxiliaire, secondaire.

   Du point de vue géographique, le théâtre d’opérations est tellement vaste qu’il nous sera possible d’y poursuivre avec le plus grand succès la guerre de mouvement. Face à l’action énergique de nos troupes, les forces japonaises devront agir avec prudence.

   Leur machine de guerre est lourde, lente à se mouvoir et est d’une efficacité limitée. Une forte concentration de nos troupes en un secteur étroit du front, pour résister à l’ennemi par la guerre d’usure, nous priverait des avantages de notre situation géographique et de notre organisation économique, et nous commettrions l’erreur de l’Abyssinie.

   Dans la période initiale de la guerre, nous devons éviter toute grande bataille décisive et commencer par saper progressivement le moral et la capacité de combat des troupes ennemies en recourant à la guerre de mouvement.

   Tout en utilisant pour la guerre de mouvement des troupes bien entraînées, nous devons organiser un grand nombre de détachements de partisans parmi les paysans.

   Ce que les unités de volontaires anti-japonais ont accompli dans les trois provinces du Nord-­Est n’est qu’une bien pâle illustration de ce que peuvent les forces potentielles de la paysannerie susceptibles d’être mobilisées pour la Résistance.

   Les paysans chinois disposent de forces potentielles énormes. Organisés et dirigés comme il faut, ils mettront sur les dents les troupes japonaises vingt-quatre heures par jour sans leur laisser un instant de répit.

   Il ne faut pas oublier que la guerre se déroule sur le sol chinois. Cela signifie que l’armée japonaise se trouvera complètement encerclée par le peuple chinois qui lui est hostile ; elle sera obligée de faire venir du Japon tous ses approvisionnements et d’en assurer elle-même la protection ; elle devra utiliser des forces importantes pour protéger ses lignes de communication et être constamment en garde contre des attaques par surprise ; il lui faudra en outre laisser de fortes garnisons en Mandchourie comme au Japon.

   Au cours de la guerre, la Chine pourra faire prisonniers un grand nombre de soldats japonais et s’emparer d’une grande quantité d’armes et de munitions, qui serviront à son propre armement ; en même temps, l’aide étrangère qu’elle recevra lui permettra d’améliorer graduellement l’équipement de ses troupes.

   Elle sera donc en mesure de conduire une guerre de position dans la période finale de la guerre et d’attaquer les positions fortifiées dans les régions occupées par les Japonais.

   Ainsi, minée par une longue résistance de la Chine, l’économie japonaise s’effondrera, et le moral des troupes japonaises sera brisé après d’innombrables et épuisants combats.

   Quant à la Chine, elle verra croître avec vigueur ses forces potentielles de résistance et les masses révolutionnaires affluer au front et se battre pour leur liberté.

   Ces facteurs, joints à d’autres encore, nous permettront de lancer les attaques finales et décisives contre les places fortes et les bases des régions d’occupation japonaise et de chasser hors de Chine l’armée des envahisseurs.

   L’expérience de dix mois de guerre a montré que ces considérations étaient justes ; leur justesse apparaîtra encore plus clairement à l’avenir.

7 Dès le 25 août 1937, c’est­-à-­dire un peu plus d’un mois après l’Incident de Loukeoukiao, le Comité central du Parti communiste chinois a indiqué clairement dans la Résolution sur la situation actuelle et les tâches du Parti :

   La provocation militaire des envahisseurs japonais à Loukeoukiao et l’occupation de Peiping et de Tientsin ne sont que le début d’une vaste offensive dirigée contre la partie de la Chine située au sud de la Grande Muraille.

   Ils ont déjà commencé à mobiliser leur pays en vue de la guerre.

   Leur propagande affirmant qu’ils n’ont « aucun désir d’aggraver la situation » n’est qu’un rideau de fumée destiné à camoufler leur offensive.

   La résistance à Loukeoukiao, le 7 juillet, marque le début de la Guerre de Résistance contre le Japon menée à l’échelle nationale.

   La situation politique en Chine est entrée désormais dans une étape nouvelle, celle de la Guerre de Résistance.

   L’étape de la préparation à la guerre est déjà dépassée.

   A cette nouvelle étape, notre tâche capitale est de mobiliser toutes les forces pour remporter la victoire.

   Développer la guerre, déjà déclenchée, en une guerre générale de toute la nation, telle est la clé de la victoire dans la Guerre de Résistance. Seule cette guerre générale de toute la nation nous permettra de remporter la victoire finale.

   Comme il subsiste de grandes faiblesses dans la conduite de la Guerre de Résistance, de nombreuses difficultés peuvent encore surgir : revers et retraites, scissions et trahisons, compromis temporaires et partiels.

   C’est pourquoi il faut s’attendre à une guerre longue et acharnée. Mais nous sommes convaincus que, grâce aux efforts de notre Parti et de tout le peuple, la Résistance qui a déjà commencé se poursuivra et se développera, brisant tous les obstacles sur sa route.

   L’expérience de dix mois de guerre a également montré que ces considérations étaient justes ; leur justesse apparaîtra encore plus clairement à l’avenir.

8 Au point de vue de la connaissance, toutes les opinions erronées sur la guerre proviennent de l’idéalisme et du mécanisme. Ceux qui partagent ces opinions abordent la question de la guerre d’une façon subjective et unilatérale.

   Ils se livrent à un bavardage dénué de tout fondement et entièrement subjectiviste, ou bien, considérant seulement un côté des faits, leur état à un moment donné, exagèrent de façon tout aussi subjective ce côté, cette situation temporaire, les prenant pour le tout.

   Cependant, il y a erreurs et erreurs.

   Les unes, qui ont un caractère fondamental et donc permanent, sont difficiles à redresser ; les autres, qui ont un caractère accidentel, donc temporaire, sont faciles à corriger.

   Mais, les unes et les autres étant des erreurs, il est indispensable de les corriger toutes.

   C’est pourquoi il n’est possible d’arriver à des conclusions justes qu’en luttant contre les tendances idéalistes et mécanistes dans la question de la guerre et en examinant cette question objectivement et sous tous ses aspects.

Notre argumentaire sur la question

9 Pourquoi la Guerre de Résistance sera­-t-­elle une guerre prolongée ? Pourquoi la victoire finale appartiendra-­t­-elle à la Chine ? Quels arguments peut-­on présenter à l’appui de ces affirmations ?

   La guerre sino-­japonaise n’est pas une guerre quelconque, c’est une guerre à mort entre la Chine semi-­coloniale et semi-­féodale et le Japon impérialiste, et elle se déroule dans les années 30 du XXe siècle. Toute notre argumentation est bâtie là­-dessus.

   Considérée séparément, chacune des deux parties belligérantes possède tout un ensemble de particularités qui sont contraires à celles de l’autre.

10 Le Japon : Premièrement, c’est une grande puissance impérialiste ; ses forces armées, sa puissance économique et la puissance de son appareil d’Etat le placent au premier rang en Orient ; c’est même l’une des cinq ou six plus grandes puissances impérialistes du monde.

   Tels sont les facteurs de base de la guerre d’agression que fait le Japon.

   Le caractère inéluctable de cette guerre et l’impossibilité pour la Chine de remporter une prompte victoire s’expliquent précisément par le fait que le Japon est un pays impérialiste qui dispose d’une puissante force militaire, d’une puissante économie et d’un puissant appareil d’Etat.

   Mais, deuxièmement, la nature impérialiste de l’économie sociale du Japon détermine le caractère impérialiste, c’est-­à-­dire rétrograde et barbare, de la guerre qu’il poursuit.

   Dans les années 30 du XXe siècle, les contradictions internes et externes de l’impérialisme japonais ne l’ont pas seulement contraint à se lancer dans une guerre d’aventure d’une ampleur sans précédent, mais l’ont aussi placé au seuil d’une faillite définitive.

   Du point de vue de son développement social, le Japon n’est plus un pays en voie d’essor ; la guerre n’apportera pas aux classes dirigeantes du Japon la prospérité qu’elles en attendent, elle aboutira au résultat exactement inverse : la ruine de l’impérialisme japonais.

   C’est ce que nous entendons par le caractère rétrograde de la guerre que poursuit le Japon.

   C’est cela qui, joint au caractère militaire et féodal de l’impérialisme japonais, détermine la barbarie particulière avec laquelle le Japon poursuit cette guerre.

   L’ensemble de ces facteurs poussera à l’extrême l’antagonisme entre les classes au Japon même, l’antagonisme entre les nations japonaise et chinoise, et l’antagonisme entre le Japon et la plupart des pays du monde.

   Le caractère rétrograde et barbare de la guerre que poursuit le Japon est la raison principale de sa défaite inévitable.

   Mais ce n’est pas tout. Troisièmement, bien que le Japon fasse la guerre en s’appuyant sur la puissance de sa force militaire, de son économie et de son appareil d’Etat, sa base n’en est pas moins insuffisante en elle-même.

   Du point de vue militaire, économique et de l’appareil d’Etat, la puissance du Japon est grande, mais quantitativement insuffisante.

   Le Japon est un pays relativement petit ; il manque de ressources humaines, militaires, financières et matérielles ; il ne pourra pas supporter une guerre de longue durée.

   Ses gouvernants espèrent surmonter ces difficultés grâce à la guerre, mais là aussi ils aboutiront au résultat exactement inverse ; en d’autres termes, ils ont déclenché une guerre pour résoudre ces difficultés, mais la guerre finira par les augmenter encore et par engloutir même ce que le Japon possédait au début.

   Enfin, quatrièmement, bien que le Japon puisse recevoir une aide extérieure des pays fascistes, les forces internationales à l’opposition desquelles il ne manquera pas de se heurter l’emporteront sur celles qui lui apportent de l’aide.

   Ces forces internationales grandiront graduellement et, finalement, elles neutraliseront l’aide des pays fascistes et feront pression sur le Japon lui-même.

   Ici entre en jeu une loi découlant de la nature même de la guerre poursuivie par le Japon : une cause injuste trouve peu de soutien.

   En résumé, la supériorité du Japon consiste en sa puissance de guerre et ses points faibles résident dans le caractère rétrograde et barbare de la guerre qu’il poursuit, dans l’insuffisance de ses ressources en forces humaines et matérielles et dans son état d’isolement international.

   Telles sont les caractéristiques du Japon.

11 La Chine : Premièrement, elle est un pays semi­-colonial et semi-féodal. La Guerre de l’Opium, la Guerre des Taiping, le Mouvement réformiste de 1898, la Révolution de 1911, l’Expédition du Nord, bref, tous les mouvements révolutionnaires ou réformistes qui s’étaient donné pour but d’arracher la Chine à son état de pays semi-colonial et semi­-féodal ont essuyé de graves échecs, et c’est pourquoi la Chine reste un pays semi­-colonial et semi­-féodal.

   Nous sommes toujours un pays faible : notre force militaire, la puissance de notre économie et de notre appareil d’Etat sont manifestement inférieures à celles de l’ennemi, ce qui détermine également le caractère inéluctable de la guerre et l’impossibilité pour la Chine de remporter une prompte victoire.

   Deuxièmement, cependant, le mouvement de libération qui n’a cessé de se développer en Chine tout au long des cent dernières années se distingue de celui de toute autre période historique antérieure.

   Si les diverses forces intérieures et extérieures qui s’opposaient à ce mouvement lui ont infligé de sérieux échecs, elles ont trempé en même temps le peuple chinois.

   Aujourd’hui, notre pays retarde sur le Japon tant du point de vue militaire, économique et culturel que du point de vue de l’appareil d’Etat, mais il y a chez nous des forces plus progressistes qu’à n’importe quelle période de notre histoire.

   Le Parti communiste chinois et l’armée qu’il dirige représentent ces forces de progrès, et c’est sur la base de ce progrès que la guerre de libération, poursuivie actuellement par la Chine, pourra prendre le caractère d’une guerre prolongée et aboutir à la victoire finale.

   Par contraste avec l’impérialisme japonais qui est sur son déclin, la Chine est comme le soleil qui se lève.

   La guerre que poursuit la Chine est une guerre pour le progrès, et par suite une guerre juste, qui, en tant que telle, peut rallier tout le pays, susciter la sympathie du peuple du pays ennemi, et faire bénéficier la Chine du soutien de la majorité des pays du monde.

   Troisièmement, la Chine est un grand pays, avec un vaste territoire, d’abondantes ressources matérielles, une population nombreuse et une grande armée.

   Par conséquent, elle est à même de soutenir une guerre de longue durée et, là encore, elle est dans une situation contraire à celle du Japon.

   Enfin, quatrièmement, le large soutien international que vaut à la Chine le caractère progressiste et juste de la guerre qu’elle poursuit est, lui aussi, l’exact contraire du maigre soutien donné à la cause injuste du Japon.

   En résumé, le point vulnérable de la Chine réside dans sa faible puissance de guerre, et sa supériorité, dans le caractère progressiste et juste de la guerre qu’elle poursuit, dans sa qualité de grand pays et dans le large soutien international dont elle bénéficie.

   Telles sont les particularités de la Chine.

12 Ainsi, le Japon dispose d’une puissante force militaire, d’une puissante économie et d’un puissant appareil d’Etat, mais la guerre qu’il poursuit est de caractère rétrograde et barbare, les ressources humaines et matérielles qu’il possède sont insuffisantes et la situation internationale lui est défavorable.

   Pour la Chine, c’est tout le contraire ; sa force militaire, son économie et son appareil d’Etat sont relativement faibles, mais elle connaît une époque de progrès et la guerre qu’elle poursuit est une guerre progressiste et juste.

   En outre, elle est un grand pays, ce qui lui donne la possibilité de soutenir une longue guerre. De plus, la Chine recevra de l’aide de la plupart des pays du monde.

   Telles sont les particularités fondamentales, réciproquement contraires, de la Chine et du Japon en tant que parties belligérantes.

   Ces particularités ont déterminé et déterminent encore toute l’orientation politique et toute la stratégie et la tactique militaire des deux parties ; elles ont déterminé et déterminent encore le caractère prolongé de la guerre et elles annoncent la victoire définitive de la Chine et non du Japon.

   La guerre est une compétition entre ces particularités.

   Elles changeront au cours de la guerre, chacune suivant sa propre nature ; et tout ce qui se produira découlera de ces particularités et de leurs changements.

   Ces particularités existent réellement, elles n’ont pas été inventées pour duper les gens.

   Elles constituent tous les éléments essentiels de la guerre, elles ne représentent pas des aspects séparés et isolés.

   Elles sont sous­-jacentes à tous les problèmes, grands et petits, qui se posent aux deux parties à toutes les étapes de la guerre, elles ne sont aucunement quelque chose d’accessoire.

   Si, dans l’examen de la guerre sino-­japonaise, on perd de vue ces particularités, on tombe inévitablement dans l’erreur, et même si certaines opinions paraissent justes au début et prennent crédit un certain temps, le développement ultérieur de la guerre n’en montrera pas moins qu’elles sont fausses.

   En nous fondant sur ces particularités, nous allons maintenant passer à l’explication des questions que nous avons à traiter.

Réfutation de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine

13 Ne considérant qu’un seul facteur, le fait que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles, les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine disaient déjà autrefois : « Si nous menons une guerre de résistance, c’est l’asservissement. »

   Maintenant, ils affirment :  » Poursuivre la guerre, c’est l’asservissement inéluctable. « 

  Si nous nous contentons de répondre à cela que l’ennemi, tout en étant fort, est un petit pays, et que la Chine, tout en étant faible, constitue un grand pays, nous ne convaincrons pas les partisans de cette théorie.

  Ils peuvent trouver dans l’histoire les exemples du renversement des Song par les Yuan ou des Ming par les Tsing, et prouver ainsi que l’assujettissement d’un pays grand mais faible par un pays petit mais fort, et, qui plus est, d’un pays avancé par un pays retardataire, est possible.

  Si nous leur disons que tout cela s’est produit dans un passé lointain et ne peut servir de preuve dans la situation actuelle, ils peuvent aussi s’appuyer sur le cas de l’assujettissement de l’Inde par l’Angleterre pour démontrer qu’un pays capitaliste petit, mais fort, peut asservir un pays grand, mais faible et retardataire.

  C’est pourquoi nous devons donner d’autres raisons encore afin qu’il soit possible de contraindre les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine à se taire et à reconnaître leur erreur, et de fournir en même temps à tous ceux qui poursuivent un travail de propagande des arguments suffisants pour convaincre ceux dont les idées restent confuses ou ceux qui sont encore indécis et pour renforcer leur foi dans notre victoire.

14 Quels sont donc les arguments que nous devons apporter ? Ils résident dans les particularités de notre époque, soit, concrètement, dans le caractère rétrograde du Japon et le faible appui dont il jouit, dans le caractère progressiste de la Chine et le large soutien dont elle bénéficie.

15 Cette guerre n’est pas une guerre quelconque, c’est une guerre entre la Chine et le Japon dans les années 30 du XXe siècle.

  Si l’on considère notre ennemi, il est avant tout un impérialisme moribond, un impérialisme sur son déclin, qui non seulement ne ressemble pas à l’Angleterre du temps de l’assujettissement de l’Inde, alors que le capitalisme britannique était encore ascendant, mais diffère aussi de ce qu’était le Japon il y a vingt ans, dans la période de la Première guerre mondiale.

  La guerre actuelle a éclaté à la veille de la grande débâcle de l’impérialisme mondial et, en premier lieu, des Etats fascistes.

  C’est justement pour cela que l’ennemi s’est lancé dans une guerre d’aventure, qui n’est au fond qu’une guerre désespérée.

  Pour la même raison, la guerre aura pour résultat non pas la ruine de la Chine, mais celle de la clique dirigeante de l’impérialisme japonais.

  C’est là une issue inévitable, à laquelle il lui est impossible d’échapper.

  En outre, le Japon a entrepris cette guerre à un moment où d’autres pays du monde sont déjà entraînés dans la guerre ou vont l’être, alors que tous ensemble nous combattons déjà l’agression barbare ou bien nous nous préparons à la combattre.

  Et les intérêts de la Chine se confondent avec les intérêts de la majorité des pays et des peuples du monde.

  Telles sont les raisons profondes de l’opposition que le Japon suscite et suscitera de plus en plus contre lui dans ces pays et parmi ces peuples.

16 Quelle est la situation de la Chine ?

  La Chine d’aujourd’hui ne peut déjà plus être comparée à celle d’autrefois, à une période quelconque de l’histoire.

  Le caractère semi­-colonial et semi-­féodal de la Chine la fait considérer comme un pays faible.

  Mais, en même temps, la Chine traverse une époque de progrès dans son développement historique, et c’est là notre principal argument pour affirmer qu’elle peut vaincre le Japon.

  Lorsque nous disons que la Guerre de Résistance contre le Japon est une guerre progressiste, nous ne prenons pas ce mot dans son sens courant ou général, nous n’entendons pas qu’elle est progressiste comme l’était la résistance de l’Abyssinie à l’agression italienne, ou comme l’était la Guerre des Taiping ou la Révolution de 1911, nous voulons parler du caractère progressiste de la Chine d’aujourd’hui. En quoi la Chine d’aujourd’hui est­-elle progressiste ?

  En ce que, déjà, elle n’est plus un Etat féodal dans toute la force du terme.

  Le capitalisme y est apparu, ainsi que la bourgeoisie et le prolétariat ; de larges masses du peuple se sont éveillées ou s’éveillent à une vie consciente ; la Chine a un Parti communiste, elle a une armée progressiste au point de vue politique, l’Armée rouge chinoise dirigée par le Parti communiste ; et elle a accumulé les traditions et l’expérience de dizaines d’années de révolutions et, en particulier, l’expérience des dix­ sept années écoulées depuis la fondation du Parti communiste chinois.

  C’est cette expérience qui a éduqué le peuple chinois et les partis politiques de Chine, c’est elle qui forme aujourd’hui la base même de l’union du peuple dans la résistance contre le Japon.

  S’il est vrai que la victoire de 1917 aurait été impossible en Russie sans l’expérience de 1905, nous pouvons dire que si nous n’avions pas l’expérience des dix­ sept dernières années, la victoire future dans la Guerre de Résistance serait également impossible.

  Telles sont nos conditions intérieures.

  Les conditions internationales font que la Chine ne se trouve plus isolée dans la guerre, et c’est là encore une situation sans précédent dans l’histoire.

  Dans le passé, la Chine aussi bien que l’Inde ont toujours fait la guerre dans l’isolement.

  C’est de nos jours seulement qu’un mouvement populaire aussi large et aussi profond, né ou sur le point de naître dans le monde entier, apporte son aide à la Chine.

  La Révolution de 1917 en Russie a reçu, elle aussi, une aide internationale, et les ouvriers et les paysans russes ont triomphé, mais cette aide n’était pas aussi étendue et elle n’avait pas un caractère aussi profond que celle dont bénéficie la Chine de nos jours.

  Le mouvement populaire dans le monde se développe aujourd’hui avec une ampleur et une profondeur sans précédent.

  Un facteur encore plus important de la politique internationale contemporaine est l’existence de l’Union soviétique, pays qui, sans aucun doute, apportera de l’aide à la Chine avec un immense enthousiasme ; c’est là un fait qui n’existait pas il y a vingt ans. L’ensemble de ces facteurs a créé et continue de créer d’importantes conditions, indispensables pour la victoire finale de la Chine.

  Une aide directe et étendue n’existe pas pour le moment et n’interviendra que plus tard, mais la Chine, qui est dans une ère de progrès et qui est un grand pays, pourra soutenir une longue guerre et, par là même, promouvoir l’aide internationale et avoir le temps de la recevoir.

17 Si l’on ajoute à ce qui vient d’être dit que le Japon est un petit pays ayant un territoire peu étendu, des ressources matérielles limitées, une population et une armée peu nombreuses, et que la Chine est un grand pays au vaste territoire, aux ressources matérielles abondantes, ayant une population nombreuse et une grande armée, on verra dans le rapport des forces entre le Japon et la Chine, à côté du fait que le Japon est un pays fort et la Chine un pays faible, un autre aspect : sur la voie de son déclin et faiblement appuyé, un petit pays s’oppose à un grand pays engagé dans une ère de progrès et bénéficiant d’un large soutien.

  C’est la raison pour laquelle la Chine ne sera jamais asservie.

  Le premier aspect du rapport des forces : un pays faible s’opposant à un pays fort fait que le Japon pourra se déchaîner en Chine pendant un certain temps et jusqu’à un certain point, que la Chine aura nécessairement à passer par une période d’épreuves et que la Guerre de Résistance sera une guerre prolongée et non pas une guerre de décision rapide.

  Cependant, le deuxième aspect du rapport des forces, à savoir qu’un petit pays sur son déclin, faiblement appuyé, s’oppose à un grand pays engagé dans une ère de progrès et bénéficiant d’un large soutien, fait à son tour que le Japon ne pourra pas se déchaîner indéfiniment en Chine et qu’il subira nécessairement, en fin de compte, la défaite, que la Chine ne sera jamais asservie et qu’elle est sûre de remporter la victoire finale.

18 Pourquoi l’Abyssinie a-­t-­elle été asservie ?

  Premièrement, elle n’était pas seulement faible, elle était aussi un petit pays.

  Deuxièmement, elle n’était pas aussi progressiste que la Chine : c’était un pays passant de l’antique régime esclavagiste au régime du servage, un pays où il n’y avait ni capitalisme ni parti politique bourgeois ni, à plus forte raison, de parti communiste, et qui n’avait pas une armée comme la Chine en possède, ni, à plus forte raison, comme notre VIIIe Armée de Route.

  Troisièmement, elle ne put tenir le temps nécessaire pour recevoir une aide internationale et elle dut faire la guerre toute seule.

  Quatrièmement, et c’est là le principal, des erreurs furent commises dans la conduite de la guerre contre les envahisseurs italiens.

  C’est pour toutes ces raisons que l’Abyssinie fut asservie. Toutefois, une guerre de partisans assez étendue s’y maintient et si les Abyssins la poursuivent avec ténacité, ils pourront reconquérir l’indépendance de leur patrie à la faveur d’un changement dans la situation internationale.

19 Si maintenant les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine utilisent les exemples d’échec du mouvement de libération dans la Chine moderne pour démontrer que « si nous menons une guerre de résistance, c’est l’asservissement » et que « poursuivre la guerre, c’est l’asservissement inéluctable », nous pouvons, ici encore, leur répondre que les temps ont changé.

  La situation en Chine aussi bien que la situation au Japon et la situation internationale sont aujourd’hui différentes.

  Le Japon est devenu plus fort qu’auparavant, tandis que la Chine demeure toujours un pays semi­-colonial et semi-­féodal assez faible.

  C’est là une grave circonstance.

  Les dirigeants du Japon peuvent encore maintenir leur peuple sous leur joug et profiter des contradictions internationales pour envahir la Chine.

  Tout cela est vrai.

  Mais au cours d’une longue guerre, des changements en sens inverse se produiront inévitablement.

  Actuellement, ils ne sont pas encore accomplis, mais ils le seront dans l’avenir.

  Voilà ce dont les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine ne veulent justement pas tenir compte.

  Et en Chine ?

  Nous avons déjà des hommes nouveaux, un parti nouveau, une armée nouvelle et une politique nouvelle, une politique de résistance contre le Japon, notre situation est fort différente de celle d’il y a dix ans et, qui plus est, elle évoluera nécessairement vers de nouveaux progrès.

  Certes, l’histoire du mouvement de libération en Chine a connu de nombreux insuccès, qui ont empêché la Chine d’accumuler des forces plus importantes pour la présente Guerre de Résistance ; c’est là une leçon historique particulièrement amère dont il faut bien se pénétrer pour ne plus permettre, à l’avenir, la destruction par les Chinois eux-mêmes de leurs forces révolutionnaires.

  Cependant, si nous faisons des efforts énergiques en nous appuyant sur ce qui existe déjà, nous pouvons assurément progresser pas à pas et accroître nos forces pour résister aux envahisseurs japonais. Un grand front uni national anti-japonais, voilà l’objectif vers lequel doivent tendre tous ces efforts.

  En ce qui concerne le soutien international, bien qu’une aide directe et massive ne soit pas encore à portée, elle se prépare, la situation internationale étant déjà foncièrement différente de ce qu’elle était auparavant.

  Les innombrables insuccès du mouvement de libération dans la Chine moderne s’expliquent aussi bien par des causes objectives que par des causes subjectives, mais la situation actuelle est entièrement différente sous ces deux rapports.

  Bien qu’il y ait aujourd’hui de nombreuses conditions défavorables, qui rendent la Guerre de Résistance difficile, par exemple le fait que le Japon est un Etat fort et la Chine un Etat faible, que l’ennemi commence seulement à éprouver des difficultés et que nous n’avons pas encore atteint un degré de développement suffisant, il n’en existe pas moins un très grand nombre de conditions favorables à notre victoire sur l’ennemi.

  Il suffit donc que nous fassions des efforts, et nous pourrons surmonter les difficultés et remporter la victoire.

  Il n’y a jamais eu, dans l’histoire de la Chine, de période qui présentât des conditions aussi favorables pour nous que la période actuelle.

  Voilà pourquoi la Guerre de Résistance contre le Japon ne se terminera pas, comme les mouvements de libération d’autrefois, un échec.

Le compromis ou la résistance ? Le pourrissement ou le progrès ?

20 Nous avons montré que la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine est dénuée de tout fondement.

   Cependant, beaucoup de Chinois, qui ne sont nullement des partisans de cette théorie mais de bons patriotes, sont fort inquiets de la situation actuelle : d’une part ils craignent qu’on ne fasse un compromis avec le Japon et d’autre part ils ont des doutes sur la possibilité d’un progrès politique en Chine.

   Ces deux questions, qui sont sujets de préoccupations, sont débattues dans de larges milieux, mais on ne sait sur quoi se fonder pour les résoudre. Examinons ­les donc maintenant.

21 Nous avons dit plus haut que l’esprit de compromis a ses racines sociales. Aussi longtemps que celles-­ci existeront, cet esprit se manifestera inévitablement.

   Mais les tentatives de compromis ne pourront réussir.

   Il faut en chercher la preuve, une fois de plus, dans la situation du Japon, dans celle de la Chine et dans la situation internationale. Voyons d’abord le Japon.

   Dès le début de la Guerre de Résistance, nous avons prévu que le moment viendrait où il se créerait une atmosphère de compromis, c’est-à­-dire qu’après l’occupation de la Chine du Nord et des provinces du Kiangsou et du Tchékiang, l’ennemi pourrait essayer d’amener la Chine à capituler.

   Cette tentative eut effectivement lieu par la suite. Toutefois, ce moment critique fut rapidement franchi, en partie parce que l’ennemi s’est mis à appliquer partout une politique barbare et s’est livré ouvertement au pillage.

   En cas de capitulation de la Chine, le sort d’esclaves coloniaux attendait tous les Chinois.

   Cette politique de rapine de l’ennemi, tendant à l’asservissement de la Chine, a deux aspects, matériel et moral, et elle s’applique à tous les Chinois sans exception, aussi bien aux masses populaires qu’aux couches supérieures de la société, à ces dernières évidemment sous une forme un peu plus modérée, mais il n’y a qu’une différence de degré, et non de principe.

   D’une façon générale, l’ennemi reprend en Chine intérieure les procédés mêmes qu’il a appliqués dans les trois provinces du Nord­-Est.

   Du point de vue matériel, cela consiste à enlever aux simples gens nourriture et vêtements, vouant les larges masses de la population à la faim et au froid.

   L’ennemi s’empare aussi des moyens de production, détruisant et asservissant ainsi l’industrie nationale chinoise.

   Du point de vue moral, sa politique est de détruire la conscience nationale du peuple chinois.

   Sous le drapeau du « Soleil levant », le Chinois ne peut être qu’un serviteur soumis, qu’une bête de somme, et on ne lui permet pas la moindre manifestation d’esprit national.

   Cette politique barbare, l’ennemi va la porter plus profondément encore au cœur de notre pays. Insatiable, il ne veut pas arrêter la guerre.

   La politique proclamée par le cabinet japonais le 16 janvier I931 est toujours appliquée résolument, et il est impossible qu’il en soit autrement.

   Toutes les couches de la population chinoise en sont indignées.

   Cette indignation vient du caractère rétrograde et barbare de la guerre poursuivie par l’ennemi, et, comme « personne n’échappe au destin », on en vient à opposer une résistance implacable aux envahisseurs japonais.

   Il faut s’attendre qu’à un moment donné l’ennemi essaiera de nouveau d’amener la Chine à la capitulation, et que certains partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine recommenceront à bouger, et ne manqueront pas d’entrer en collusion avec certains éléments à l’étranger (il s’en trouvera en Angleterre, aux Etats-­Unis et en France, surtout dans les hautes sphères de l’Angleterre) pour accomplir leur mauvais coup.

   Mais la situation générale est telle qu’elle ne permettra pas la capitulation.

   L’opiniâtreté et la barbarie exceptionnelle avec lesquelles le Japon poursuit la guerre sont l’une des raisons qui rendent la capitulation impossible.

22 Voyons ensuite la Chine.

   Il existe trois facteurs qui conditionnent la poursuite résolue de la Guerre de Résistance par la Chine.

   Le premier de ces facteurs, c’est le Parti communiste, force sur laquelle on peut compter et qui dirige le peuple dans sa lutte contre l’envahisseur japonais.

   Le deuxième facteur, c’est le Kuomintang. Comme il dépend de l’Angleterre et des États-Unis, il ne capitulera pas tant que ces pays ne lui diront pas de le faire.

   Le troisième facteur, ce sont les autres partis politiques qui, dans leur grande majorité, sont contre l’esprit de compromis et soutiennent la Guerre de Résistance.

Dans les conditions résultant de la conjonction de ces trois facteurs, quiconque recherchera l’entente avec l’ennemi se retrouvera aux côtés des traîtres à la nation et tout le monde aura le droit de le châtier.

   Tous ceux qui ne veulent pas être des traîtres à la nation n’ont d’autre choix que de s’unir et de poursuivre la Guerre de Résistance jusqu’au bout ; le compromis sera donc difficile à réaliser.

23 Considérons enfin la situation internationale.

   A l’exception des alliés du Japon et de certains éléments dans les hautes sphères d’autres pays capitalistes, le monde entier est favorable à la résistance de la Chine et non à un compromis de sa part.

   Cette situation renforce notre espoir.

   A l’heure actuelle, notre peuple entier espère que les forces internationales accroîtront peu à peu leur aide à la Chine.

   Et cet espoir n’est pas vain. L’existence de l’Union soviétique encourage particulièrement la Chine dans la Guerre de Résistance.

   Aujourd’hui plus forte que jamais, l’Union soviétique, Etat socialiste, a toujours été aux côtés de la Chine, dans les bons comme dans les mauvais jours.

   Contrairement à tous les Etats capitalistes, où les couches supérieures de la société aspirent uniquement au profit, l’Union soviétique considère qu’il est de son devoir d’aider toutes les nations faibles et de soutenir toutes les guerres révolutionnaires. Que la Chine, en poursuivant la guerre, ne se trouve pas isolée, résulte non seulement de l’aide internationale en général, mais de l’aide de l’Union soviétique en particulier.

   La proximité géographique de la Chine et de l’Union soviétique rend encore plus critique la situation du Japon et favorise la Chine dans sa Guerre de Résistance.

   Rendue plus difficile par la proximité géographique du Japon, la résistance de la Chine trouve au contraire une condition favorable dans la proximité géographique de l’Union soviétique.

24 De là on peut tirer la conclusion suivante : Le danger de compromis existe, mais il peut être conjuré, car la politique de l’ennemi, même si elle se modifie jusqu’à un certain point, ne peut changer radicalement.

   L’esprit de compromis a des racines sociales en Chine, mais les adversaires du compromis forment l’immense majorité.

   Parmi les forces internationales aussi, certains éléments sont en faveur du compromis, mais les forces principales sont pour la Résistance. L’action commune de ces trois facteurs crée la possibilité d’écarter le danger de compromis et de poursuivre fermement jusqu’au bout la Guerre de Résistance.

25 Répondons maintenant à la seconde question. L’amélioration de la situation politique du pays est inséparable de la poursuite résolue de la Guerre de Résistance.

   Plus la situation politique s’améliore, plus il sera possible de poursuivre la guerre résolument.

   Réciproquement, plus la guerre sera poursuivie résolument et plus s’améliorera la situation politique. Toutefois, le rôle essentiel revient ici à la poursuite résolue de la guerre.

   Il y a bien des facteurs indésirables, gros de conséquences, dans différents domaines de l’activité du Kuomintang, facteurs qui se sont accumulés durant de longues années et qui préoccupent et inquiètent beaucoup les milieux patriotiques les plus larges.

   Mais, comme l’a déjà montré l’expérience de la Guerre de Résistance, le peuple chinois a fait en dix mois autant de progrès qu’il en faisait autrefois en de nombreuses années, aussi n’y a-­t­-il pas de raison d’être pessimiste.

   Bien que de longues années de corruption, en accumulant leurs effets, aient fortement ralenti le rythme de développement des forces populaires qui prennent part à la Guerre de Résistance, qu’elles nous aient enlevé la possibilité de remporter certains succès militaires et qu’elles aient entraîné des pertes inutiles dans la guerre, la situation générale, en Chine comme au Japon et dans le monde entier, est telle que le peuple chinois ne peut piétiner sur place.

   Le progrès sera lent, parce que des phénomènes de décomposition l’entravent. Le progrès et la lenteur de ce progrès sont deux traits caractéristiques de la situation actuelle, et le second de ces traits caractéristiques ne répond manifestement pas aux exigences pressantes de la guerre, c’est ce qui inquiète beaucoup les patriotes chinois.

   Mais nous poursuivons une guerre révolutionnaire, et une guerre révolutionnaire agit comme une sorte de contrepoison, non seulement sur l’ennemi, dont elle brisera la ruée forcenée, mais aussi sur nos propres rangs, qu’elle débarrassera de tout ce qu’ils ont de malsain.

   Toute guerre juste, révolutionnaire, est une grande force, elle peut transformer bien des choses ou ouvrir la voie à leur transformation. La guerre sino-­japonaise transformera et la Chine et le Japon.

   Il suffit que la Chine poursuive fermement la Guerre de Résistance et applique fermement une politique de front uni pour que l’ancien Japon se transforme immanquablement en un Japon nouveau, et l’ancienne Chine en une Chine nouvelle.

   Aussi bien en Chine qu’au Japon, les gens et les choses se transformeront, au cours de la guerre et après la guerre.

   Nous avons raison de lier la Guerre de Résistance aux tâches de la construction nationale.

   Lorsque nous disons que le Japon peut aussi être transformé, nous entendons que la guerre d’agression poursuivie par les dirigeants du Japon leur apportera la défaite et peut susciter une révolution populaire au Japon.

   Le jour de la victoire de la révolution populaire japonaise sera le jour de la transformation du Japon. Cela est étroitement lié à la Guerre de Résistance que poursuit la Chine, et il ne faudra pas perdre de vue cette perspective.

La théorie de l’asservissement inéluctable de la chine est erronée, mais la théorie de la victoire rapide ne l’est pas moins

26 Ainsi, nous avons soumis à une étude comparative les particularités fondamentales et réciproquement contraires de notre pays et de l’ennemi, lesquelles consistent en ce que le Japon est un pays fort, mais petit, qui est sur son déclin et ne jouit que d’un maigre appui international, et que la Chine est un pays faible, mais grand, engagé dans une époque de progrès et bénéficiant d’un large soutien international.

   Nous avons réfuté la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, et nous avons expliqué pourquoi le compromis est peu probable et pourquoi le progrès politique est possible en Chine.

   Les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine donnent une grande importance à l’une des contradictions, à savoir que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles, ils la grossissent jusqu’à en faire la base de leur argumentation pour toute la question, et ils négligent les autres contradictions.

   En ne parlant que de cette contradiction, ils manifestent le caractère unilatéral de leur pensée et, en donnant à ce seul aspect de la question les dimensions du tout, ils font preuve de subjectivisme.

   A considérer la question dans son ensemble, leur théorie est donc sans fondement, elle est erronée.

   Quant à ceux qui ne sont ni des partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, ni des pessimistes invétérés, mais qui s’abandonnent pour un certain temps au pessimisme simplement parce qu’ils se sont laissé troubler par la disparité des forces entre l’ennemi et nous à un moment donné et sous certains aspects ou par les signes de corruption à l’intérieur du pays, nous devons leur montrer que leurs idées reposent aussi sur une base unilatérale et subjectiviste.

   Il est d’ailleurs assez facile de corriger leurs erreurs ; il suffit de les leur montrer pour qu’ils comprennent, car ils sont patriotes et leurs erreurs ne sont que passagères.

27 Mais les partisans de la théorie de la victoire rapide sont également dans l’erreur.

   Ou bien ils oublient complètement que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles, ne retenant que les autres contradictions ; ou bien ils exagèrent les avantages de la Chine au point de donner de notre pays une image altérée ; ou bien encore ils prennent le rapport des forces à un moment donné et en un lieu donné pour l’expression de la situation en général ; « une feuille devant les yeux leur dérobe le mont Taichan », et ils se croient dans le vrai.

   En somme, ils n’ont pas le courage de reconnaître que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles.

   Ils se dissimulent fréquemment ce fait et, par là, ils estompent l’un des aspects de la vérité.

   Ils n’ont pas non plus le courage de reconnaître le caractère limité de nos avantages, et, par là, ils estompent un autre aspect de la vérité.

   D’où leurs erreurs, grandes et petites. Ici encore, c’est le subjectivisme et le point de vue unilatéral qui sont en cause.

   Ces amis sont pleins de bonnes intentions, eux aussi sont des patriotes ; mais « quelque généreuses que soient les aspirations de ces messieurs », leur point de vue est erroné, et agir d’après leur recette conduirait à une impasse.

   Car, avec une appréciation inexacte de la réalité, les actions entreprises ne sauraient atteindre les buts fixés ; si l’on voulait forcer les choses, l’armée serait détruite, la patrie asservie, et le résultat serait le même qu’avec les défaitistes.

   C’est pourquoi la théorie de la victoire rapide est à rejeter, elle aussi.

28 Nions-­nous le danger d’asservissement qui menace la Chine ? Non, nous ne le nions pas.

   Nous reconnaissons que la Chine se trouve devant deux avenirs possibles, la libération ou l’asservissement, et qu’un conflit violent les oppose.

   Notre tâche, c’est de libérer la Chine, d’empêcher son asservissement.

   Ce qui rend la libération possible, c’est principalement le progrès de la Chine, mais ce sont aussi les difficultés de l’ennemi et l’aide internationale.

   A la différence des partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, nous abordons la question objectivement et sous tous ses aspects, et nous reconnaissons qu’il existe en même temps deux possibilités : l’asservissement de la Chine et sa libération.

   Nous soulignons que la possibilité de sa libération prédomine, nous en indiquons les conditions indispensables et nous appliquons tous nos efforts à réaliser ces conditions.

   Quant aux partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, ils abordent la question subjectivement et unilatéralement ; ils ne reconnaissent qu’une seule possibilité, l’asservissement de la Chine, et nient la possibilité de sa libération.

   Inutile de dire qu’ils ne peuvent pas indiquer les conditions nécessaires à la libération et qu’ils n’appliqueront pas leurs efforts à les réaliser.

   Nous reconnaissons également l’existence de tendances au compromis et de phénomènes de corruption, mais nous voyons aussi d’autres tendances et phénomènes ; nous montrons que ce sont les seconds qui l’emporteront peu à peu dans le violent conflit qui les oppose aux premiers ; en outre, nous indiquons les conditions pour leur réalisation et nous nous efforçons de surmonter les tendances au compromis et de supprimer les phénomènes de corruption.

   Voilà pourquoi, contrairement aux pessimistes, nous ne nous laissons pas abattre.

29 Ce n’est pas que nous ne souhaitions une victoire rapide ; qui ne voudrait pas que les « diables nippons » fussent chassés de notre pays dès demain matin ?

   Mais nous disons que, faute de certaines conditions bien définies, la victoire rapide n’existe qu’en pensée et non dans la réalité, qu’elle n’est qu’une pure illusion, le produit d’un faux raisonnement.

   C’est pourquoi, en appréciant objectivement et sous tous ses aspects la situation chez nous et chez l’ennemi, nous indiquons la stratégie de la guerre prolongée comme la seule voie nous permettant de remporter la victoire finale et nous repoussons comme dénuée de tout fondement la théorie de la victoire rapide.

   Nous soutenons que tous nos efforts doivent tendre à nous assurer les conditions indispensables de la victoire finale.

   Nous assurerons d’autant mieux notre victoire, nous la remporterons d’autant plus vite que nous aurons su réaliser ces conditions plus largement et plus tôt.

   Nous estimons que c’est là le seul moyen de réduire la durée de la guerre et nous rejetons comme un vain bavardage la théorie de la victoire rapide, née du désir d’obtenir les choses à bon compte.

Pourquoi une guerre prolongée ?

30 Venons­-en maintenant à la question de la guerre prolongée.

   A cette question : « Pourquoi une guerre prolongée ? » on ne peut donner une réponse correcte qu’en se référant à tous les contrastes fondamentaux entre l’ennemi et nous.

Par exemple, si nous prêtons attention au seul fait que le Japon est une grande puissance impérialiste et la Chine un pays faible, semi­-colonial et semi­-féodal, nous risquons de tomber dans la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine.

   Car la longue durée de la guerre ne découle, ni en théorie ni en pratique, de cette seule circonstance que le faible s’oppose au fort.

   Elle ne découle pas non plus du seul fait que l’un des pays est grand et l’autre petit, que l’un est progressiste et l’autre rétrograde, ou que l’un bénéficie d’un large soutien international et l’autre non.

   Il arrive souvent que le grand engloutisse le petit ou, au contraire, que le petit engloutisse le grand.

   Pour les Etats comme pour les choses, il n’est pas rare que ce qui est progressiste mais faible soit anéanti par ce qui est rétrograde mais plus fort.

   L’ampleur de l’aide extérieure est un facteur important, mais secondaire, dont la portée dépend des particularités fondamentales des parties belligérantes.

   Aussi notre conclusion, selon laquelle la Guerre de Résistance sera longue, repose­-t­-elle sur l’appréciation, dans leur action réciproque, de toutes les particularités qui caractérisent aussi bien l’ennemi que notre pays.

   Le danger de notre asservissement réside dans le fait que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles.

   Mais, en même temps, l’ennemi a ses propres côtés faibles, et nous avons nos avantages. Par nos efforts, nous pouvons réduire l’avantage de l’ennemi et aggraver ses points faibles.

   D’autre part, nous pouvons, par nos efforts, accroître nos avantages et surmonter notre point faible.

   Voilà pourquoi nous serons à même de remporter la victoire finale et d’échapper à l’asservissement, tandis que l’ennemi sera finalement vaincu et verra s’écrouler inéluctablement tout son régime impérialiste.

31 Puisque l’ennemi n’a qu’un avantage et que toutes ses autres particularités comptent au nombre de ses points faibles, et puisque nous n’avons qu’un point faible et que toutes nos autres particularités comptent au nombre de nos avantages, pourquoi n’en résulte­-t-­il pas un équilibre mais bien la supériorité de notre ennemi et notre infériorité à l’heure actuelle ?

   Il est évident que l’on ne peut aborder cette question d’une façon aussi formelle.

   En vérité, la disparité des forces entre l’ennemi et nous est actuellement si grande que les côtés faibles de l’ennemi ne se sont pas encore aggravés et ne peuvent pour le moment s’aggraver au point de contrebalancer sa puissance, et nos avantages ne se sont pas encore développés et ne peuvent pour le moment se développer au point de compenser notre faiblesse.

   Voilà pourquoi l’équilibre n’est pas encore possible, mais seulement le déséquilibre.

32 Si nos efforts pour persévérer dans la Guerre de Résistance et pour maintenir le front uni ont modifié quelque peu le rapport de la force et de la supériorité de l’ennemi à notre faiblesse et à notre infériorité, le changement n’est toutefois pas encore radical.

   De ce fait, à une étape donnée de la guerre, l’ennemi peut être victorieux jusqu’à un certain point alors que nous pouvons dans une certaine mesure connaître la défaite.

   Mais pourquoi dans l’étape en question, la victoire de l’ennemi et notre défaite gardent­elles ce caractère strictement limité, sans pouvoir devenir une victoire ou une défaite complètes ?

   En voici les raisons : Premièrement, si l’ennemi est fort et nous faibles, cette force et cette faiblesse ont été, dès le début, toutes relatives et non absolues ; deuxièmement, nos efforts pour persévérer dans la Guerre de Résistance et maintenir le front uni ont encore accentué ce caractère relatif.

   Considérons la situation de départ et son évolution : L’ennemi est fort, mais des facteurs défavorables minent sa force, toutefois pas encore au point de réduire sa supériorité à néant.

   Nous sommes faibles, mais des facteurs favorables compensent notre faiblesse, toutefois pas encore au point de mettre fin à notre infériorité.

   Aussi l’ennemi reste-­t-­il relativement fort, et nous relativement faibles ; l’ennemi ne l’emporte sur nous que relativement et nous ne le lui cédons que relativement.

   Des deux côtés, force et faiblesse, supériorité et infériorité n’ont jamais eu un caractère absolu, et de plus, nos efforts persévérants, pendant la guerre, pour résister au Japon et maintenir le front uni ont modifié encore davantage le rapport initial des forces.

   Par conséquent, la victoire de l’ennemi et notre défaite ont, au cours de cette étape, un caractère strictement limité, et voilà pourquoi la guerre sera de longue durée.

33 Mais la situation ne cesse de se modifier.

   Si nous savons appliquer une tactique militaire et politique correcte au cours des différentes phases de la guerre, sans commettre d’erreurs de principe, et si nous déployons au mieux tous nos efforts, les facteurs avantageux pour nous et défavorables pour l’ennemi se renforceront au fur et à mesure que durera la guerre et continueront à modifier la situation donnée au départ, à savoir que l’ennemi est fort et nous faibles, qu’il l’emporte sur nous et que nous le lui cédons.

   Ainsi, à une autre étape donnée, il se produira dans cette situation un grand changement, qui aboutira à la défaite du Japon et à la victoire de la Chine.

34 Actuellement, l’ennemi arrive encore, tant bien que mal, à exploiter sa force, et notre Guerre de Résistance ne l’a pas encore sérieusement affaibli.

   Son insuffisance en ressources humaines et matérielles n’est pas encore assez grave pour faire obstacle à son offensive ; au contraire, il peut encore la poursuivre jusqu’à un certain point.

   Le caractère rétrograde et barbare de la guerre menée par le Japon, facteur qui est de nature à aggraver l’antagonisme entre les classes au Japon même et à renforcer la résistance de la nation chinoise, n’a pas encore créé une situation qui puisse empêcher radicalement l’ennemi de poursuivre son offensive.

   Enfin, l’isolement international du Japon s’aggrave, mais il n’est pas encore complet.

   Dans nombre de pays qui ont exprimé leur volonté d’aider la Chine, les capitalistes qui font commerce de munitions et de matières premières stratégiques et ne songent qu’à leur profit continuent à fournir au Japon de grandes quantités de matériel de guerre.

   Leurs gouvernements se montrent encore peu disposés à se joindre à l’Union soviétique pour appliquer des sanctions contre le Japon.

   Tout cela justifie cette thèse que notre Guerre de Résistance ne peut triompher rapidement et qu’elle ne peut être qu’une guerre prolongée.

   Pour ce qui est de la Chine, des progrès ont été réalisés au cours des dix mois de guerre dans les domaines militaire, économique, culturel et de l’appareil d’Etat, où se manifeste notre faiblesse, mais ils sont encore loin d’être suffisants pour faire cesser l’offensive de l’ennemi et nous permettre de préparer notre contre­-offensive.

   En outre, du point de vue quantitatif, nous avons eu à subir certaines pertes.

   Quant aux facteurs qui nous sont favorables, ils jouent certes déjà un rôle actif, mais il nous faut encore déployer de grands efforts pour qu’ils atteignent un degré de développement tel qu’ils nous permettent de stopper l’offensive de l’ennemi et de préparer notre contre­-offensive.

Pour l’instant, à l’intérieur du pays, les phénomènes de corruption n’ont pas disparu et les progrès ne sont pas assez rapides ; à l’extérieur, les forces qui aident le Japon agissent toujours et les forces antijaponaises ne se sont pas encore assez développées. Tout cela fait que notre guerre ne peut être gagnée rapidement et qu’elle ne peut être qu’une guerre de longue durée.

Les trois étapes de la guerre prolongée

35 Etant donné que la guerre sino­-japonaise sera une guerre de longue durée et que la victoire finale reviendra à la Chine, on peut logiquement prévoir que cette guerre prolongée traversera trois étapes au cours de son développement.

   La première sera l’étape de l’offensive stratégique de l’ennemi et de notre défensive stratégique ; la deuxième, l’étape de la consolidation stratégique des positions de l’ennemi et de notre préparation à la contre-offensive ; la troisième, l’étape de notre contre­-offensive stratégique et de la retraite stratégique de l’ennemi.

   Il est impossible de prévoir quelle sera la situation concrète à chacune de ces trois étapes ; mais, à en juger par les conditions actuelles, il est possible d’indiquer quelques tendances fondamentales du développement de la guerre.

   La réalité objective sera exceptionnellement riche en événements et suivra un cours sinueux, et aucun d’entre nous n’est à même d’établir « l’horoscope » de la guerre sino-japonaise, mais la direction stratégique de la guerre exige que soient définies les lignes essentielles des tendances de son développement.

   C’est pourquoi, bien que ces lignes ne puissent concorder entièrement avec les événements ultérieurs qui permettront de les rectifier, il n’en reste pas moins nécessaire de les tracer, dans l’intérêt d’une direction stratégique ferme et bien définie de cette guerre prolongée.

36 La première étape de la guerre n’est pas encore terminée. L’ennemi cherche à occuper Canton, Wouhan et Lantcheou et à établir la liaison entre ces trois points.

   Pour atteindre ce but, l’ennemi devra jeter dans l’action au moins cinquante divisions avec un million et demi de soldats, y consacrer un an et demi à deux ans, et dépenser plus de dix milliards de yens. En pénétrant aussi profondément au cœur de notre pays, l’ennemi se créera d’énormes difficultés dont les conséquences seront désastreuses.

   Et si l’ennemi voulait occuper entièrement la voie ferrée Canton-Hankeou et la route de Sian à Lantcheou, il aurait à soutenir des combats périlleux, et encore il ne serait pas sûr de réaliser pleinement ses desseins.

   Toutefois, en établissant notre plan d’opérations, nous devons supposer que l’ennemi pourra occuper ces trois points et même certaines régions en plus et qu’il pourra les relier entre eux ; et nous devons en conséquence prendre nos dispositions pour une guerre de longue durée, de façon que, même si l’ennemi agit de la sorte, nous soyons en état de lui tenir tête.

   La forme essentielle des opérations militaires dans la première étape sera pour nous la guerre de mouvement, et les formes auxiliaires seront la guerre de partisans et la guerre de position.

   Bien que la guerre de position ait occupé la première place au début de cette étape, en raison des erreurs commises par les autorités militaires du Kuomintang, elle ne jouera qu’un rôle auxiliaire au cours de l’étape prise dans son ensemble.

   Déjà, à cette étape, on a créé en Chine un large front uni et réalisé une unité sans précédent. L’ennemi a recouru et continuera à recourir à des procédés éhontés et lâches pour amener la Chine à capituler, dans l’intention de réaliser son plan de décision rapide et de conquérir toute la Chine sans grands efforts, mais il n’y a pas réussi jusqu’à présent et il n’y réussira pas davantage à l’avenir.

   Cette étape permettra à la Chine, malgré les pertes considérables qu’elle aura subies, de réaliser de grands progrès, qui constitueront la base principale pour la poursuite de la Guerre de Résistance à la deuxième étape.

   Déjà l’Union soviétique a apporté une aide substantielle à notre pays.

   Quant à notre ennemi, son moral a commencé à baisser, l’élan offensif de l’armée de terre japonaise est plus faible au milieu de cette étape qu’à son début ; il s’affaiblira encore plus au stade final.

   Déjà des symptômes indiquent que le Japon commence à s’épuiser du point de vue financier et économique, sa population et ses soldats commencent à avoir assez de la guerre ; et au sein de la clique qui la dirige, la « lassitude de la guerre » commence à se manifester et le pessimisme devant les perspectives de la guerre va s’accentuant.

37 On peut appeler la deuxième étape l’étape de stabilisation stratégique.

   A la fin de la première étape, par suite de son insuffisance en forces armées et de notre résistance résolue, l’ennemi sera contraint de fixer certains points limites à son offensive stratégique.

   Lorsqu’il les aura atteints, il mettra fin à celle-­ci et passera à l’étape de la consolidation des territoires occupés.

   A cette deuxième étape, il s’efforcera de consolider à son profit les territoires occupés, à l’aide d’artifices tels que l’organisation de gouvernements fantoches, tout en pillant systématiquement le peuple chinois ; mais alors, il aura à faire face à une guerre de partisans acharnée.

   Dans la première étape, profitant de ce qu’il reste à l’arrière de l’ennemi des régions inoccupées, les partisans auront déjà développé largement la guerre de partisans et créé un certain nombre de bases d’appui, ce qui constituera une sérieuse menace pour l’ennemi dans sa tentative de consolider les territoires occupés.

   C’est pourquoi les opérations militaires continueront à se dérouler sur une vaste échelle au cours de la deuxième étape.

   La forme principale de la guerre y sera la guerre de partisans, alors que la guerre de mouvement jouera un rôle auxiliaire.

   La Chine aura pu conserver une grande armée régulière, mais il lui sera difficile de passer immédiatement à la contre-­offensive stratégique, en partie parce que l’ennemi passera à la défensive stratégique dans les grandes villes et sur les principales lignes de communication occupées par lui, et en partie parce que l’armée chinoise ne sera pas encore suffisamment équipée du point de vue technique.

   A l’exception des troupes occupées à défendre les fronts, nos forces passeront en grand nombre à l’arrière de l’ennemi pour y être utilisées en ordre relativement dispersé.

   S’appuyant sur toutes les régions que l’ennemi n’aura pu occuper, et coopérant avec les détachements armés créés par la population, ces forces déploieront énergiquement une vaste guerre de partisans dans la zone occupée, elles forceront autant que possible l’ennemi à se déplacer, pour l’anéantir par la guerre de mouvement, ainsi que cela se passe actuellement dans la province du Chansi.

   A cette étape, la guerre sera acharnée et les régions d’opérations militaires seront sérieusement dévastées.

   Mais la guerre de partisans obtiendra des succès, et si elle est bien conduite, l’ennemi ne conservera qu’un tiers des territoires qu’il aura occupés, tandis que les deux autres seront entre nos mains, ce qui serait une sérieuse défaite pour l’ennemi et une grande victoire pour la Chine.

   Alors, l’ensemble des territoires occupés par l’ennemi se divisera en trois sortes de régions : la première comprendra les bases d’appui de l’ennemi, la deuxième les bases d’appui de la guerre de partisans, et la troisième les régions de partisans que se disputeront les deux parties.

   La durée de cette étape dépendra de l’importance des changements qui surviendront dans le rapport des forces entre l’ennemi et nous, ainsi que des changements dans la situation internationale.

   D’une façon générale, nous devons nous attendre à ce que cette deuxième étape soit relativement longue et qu’il nous faille gravir un chemin difficile.

   Ce sera pour la Chine une période de terribles souffrances ; le pays se trouvera devant deux problèmes très graves : les difficultés économiques et les activités subversives des traîtres à la patrie.

   L’ennemi déploiera une activité fébrile pour saper le front uni en Chine, et toutes les organisations fantoches dans les territoires occupés par l’ennemi se fondront en un soi-disant gouvernement unifié.

   Comme nous aurons perdu les grandes villes et que nous souffrirons des difficultés causées par la guerre, les éléments instables que nous avons parmi nous propageront activement l’esprit de compromis, le pessimisme prendra des proportions inquiétantes.

   Notre tâche consistera alors à mobiliser les masses populaires de tout le pays pour poursuivre sans fléchir la guerre dans l’unanimité, à élargir et consolider le front uni, à surmonter toutes les tendances au pessimisme et au compromis, à exhorter au rude combat et à appliquer une politique nouvelle pour le temps de guerre, de façon à soutenir l’épreuve jusqu’au bout.

   A cette deuxième étape, il faudra absolument appeler le pays tout entier à soutenir résolument un gouvernement uni, à combattre la division ; il faudra améliorer systématiquement notre technique de combat, réformer notre armée, mobiliser tout le peuple et nous préparer à la contre-offensive.

   A cette étape, la situation internationale deviendra encore plus défavorable pour le Japon, et les principales forces internationales apporteront une aide plus importante à la Chine, encore que des tours de passe­passe dans le genre de l’accommodement « réaliste » de Chamberlain s’inclinant devant les « faits accomplis » soient possibles.

   La menace que fait peser le Japon sur les pays du Sud-­Est asiatique et sur la Sibérie sera plus sérieuse que jamais, et une nouvelle guerre pourra même éclater.

   En ce qui concerne l’ennemi, plusieurs dizaines de ses divisions seront enlisées en Chine, et il lui sera impossible de les en retirer.

   Une puissante guerre de partisans et le mouvement populaire antijaponais épuiseront cette énorme armée japonaise : nous lui infligerons de lourdes pertes et développerons en elle le mal du pays, l’aversion et même l’hostilité à l’égard de la guerre, de façon à miner cette armée moralement.

   Certes, on ne peut pas dire que le pillage de la Chine ne rapportera absolument rien au Japon, mais comme celui-­ci manque de capitaux et qu’il est harcelé par notre guerre de partisans, il ne lui sera pas donné d’aboutir à des succès rapides et importants à cet égard.

   La deuxième étape sera une étape de transition dans toute la guerre et par cela même l’étape la plus difficile, mais elle marquera un tournant.

   Ce ne sera pas la perte des grandes villes à la première étape, mais l’effort de toute la nation dans la deuxième étape qui décidera si la Chine deviendra un Etat indépendant ou une colonie.

   Si nous persévérons dans la Guerre de Résistance, le front uni et la guerre prolongée, la Chine acquerra, au cours de cette étape, la force nécessaire pour surmonter sa faiblesse et devenir la plus forte des deux parties belligérantes.

   Dans le drame en trois actes de la Guerre de Résistance de la Chine, ce sera le deuxième acte.

   Et si toute la troupe unit ses efforts, un dernier acte extrêmement brillant pourra être joué.

38 La troisième étape est l’étape de la contre-­offensive pour recouvrer les territoires perdus.

   Pour récupérer ses territoires, la Chine s’appuiera principalement sur les forces qu’elle aura préparées elle­-même au cours de l’étape précédente et qui continueront de grandir à la troisième étape.

   Mais ses propres forces ne lui suffiront pas, elle devra encore s’appuyer sur l’aide que lui apporteront les forces internationales et sur les changements à l’intérieur du pays ennemi ; autrement, il lui serait impossible de vaincre.

   Aussi la propagande à l’étranger et l’activité diplomatique de la Chine prendront-­elles une plus grande importance.

   A cette étape, nous ne serons déjà plus sur la défensive stratégique, mais nous passerons à la contre-­offensive stratégique, qui prendra la forme d’offensives stratégiques.

   La guerre ne se déroulera plus stratégiquement à l’intérieur des lignes, mais passera peu à peu à l’extérieur des lignes.

   Elle ne se terminera que lorsque nous aurons atteint le Yalou.

   La troisième étape est l’étape finale de la guerre prolongée, et quand nous parlons de poursuivre la guerre jusqu’au bout, nous voulons dire qu’il faut franchir toute cette étape.

   La guerre de mouvement restera, dans cette étape, la forme principale de nos opérations militaires, mais la guerre de position prendra aussi de l’importance.

   Tandis que la défense de nos positions ne peut être regardée comme importante à la première étape, en raison des conditions existant alors, l’attaque contre les positions ennemies deviendra d’une grande importance à la troisième étape, par suite des changements dans ces conditions et des exigences des tâches.

   A la différence de ce qui se passe à la deuxième étape, où elle est la forme principale des opérations militaires, la guerre de partisans, à la troisième étape, jouera de nouveau un rôle auxiliaire d’appui stratégique à la guerre de mouvement et à la guerre de position.

39 Il est évident, dans ces conditions, que la guerre sera longue et donc acharnée.

   L’ennemi n’est pas en état d’avaler la Chine tout entière, mais il peut en occuper, relativement longtemps, bien des régions.

   La Chine n’est pas en état de chasser rapidement les Japonais, mais elle gardera en main la majeure partie des territoires du pays.

   Finalement, l’ennemi essuiera la défaite et nous remporterons la victoire, mais il nous faudra pour cela parcourir un chemin pénible.

40 De cette guerre longue et acharnée le peuple chinois sortira fortement trempé.

   Les différents partis politiques qui prennent part à la guerre se tremperont aussi et seront mis à l’épreuve.

   Il faut maintenir fermement le front uni ; sans maintenir fermement le front uni, on ne peut poursuivre la guerre avec résolution ; sans maintenir fermement le front uni et sans poursuivre la guerre avec ténacité, on ne peut remporter la victoire finale.

   Ainsi seulement nous saurons surmonter toutes les difficultés.

   Après avoir parcouru le chemin difficile de la guerre, nous déboucherons sur la route de la victoire. C’est la logique même de la guerre.

41 Les changements dans le rapport des forces entre l’ennemi et nous interviendront à chacune de ces trois étapes dans l’ordre suivant : Au cours de la première étape, l’ennemi a la supériorité et nous nous trouvons en état d’infériorité.

   En ce qui concerne notre infériorité, il faut tenir compte des deux types de changements qu’elle aura accusés de la veille de la Guerre de Résistance à la fin de cette étape.

   Le premier se caractérise par une aggravation de la situation.

   L’infériorité initiale de la Chine se fait sentir de plus en plus au cours de la première étape ; c’est ce que l’on constate à ses pertes en territoire, en population, aux diminutions subies par ses ressources économiques, sa puissance militaire et ses institutions culturelles.

   Il se peut qu’à la fin de la première étape, ces pertes et ces diminutions atteignent une ampleur considérable, surtout sur le plan économique.

   Cela servira d’argument en faveur de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et en faveur du compromis.

   Mais il ne faut pas oublier les changements du second type, les changements dans le sens d’une amélioration, à savoir : l’expérience accumulée au cours de la guerre, les progrès accomplis dans l’armée, le progrès politique, la mobilisation du peuple, le développement de la culture dans une voie nouvelle, l’apparition de la guerre de partisans, l’accroissement de l’aide internationale, etc.

   Au cours de cette étape, c’est l’ancienne quantité et l’ancienne qualité qui déclinent et ce phénomène est surtout d’ordre quantitatif, alors que la quantité et la qualité de ce qui est nouveau progressent, ce phénomène étant surtout d’ordre qualitatif.

   C’est sur les changements du second type qu’est fondée la possibilité pour nous de poursuivre une guerre prolongée et de remporter finalement la victoire.

42 Au cours de la première étape, deux types de changements se produisent également du côté de l’ennemi.

   Les changements du premier type qui aggravent sa situation : la perte de centaines de milliers de tués et de blessés, la saignée en armes et en munitions, l’abaissement du moral des troupes, le mécontentement croissant de la population, le déclin du commerce, une dépense de plus de dix milliards de yens, la condamnation de l’opinion publique internationale, etc.

   Ce type de changements étaye également la possibilité pour nous de poursuivre une guerre prolongée et de remporter finalement la victoire.

   Mais il faut aussi compter avec les changements du second type, des changements qui améliorent la situation de l’ennemi : l’extension du territoire, de la population et des ressources matérielles.

   Ceci est une autre preuve que notre Guerre de Résistance sera longue et que nous ne pourrons pas arriver à une victoire rapide ; cependant, certains en tireront également un argument en faveur de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et de celle du compromis.

   Toutefois, nous devons tenir compte du fait que ces changements en mieux dans la situation de l’ennemi ont un caractère temporaire et partiel.

   Notre ennemi est un impérialisme qui va à l’effondrement, et son occupation du territoire chinois ne peut être que temporaire.

   Le développement impétueux de la guerre de partisans en Chine réduira en fait les régions occupées à d’étroites bandes de territoire.

   D’autre part, l’occupation du sol chinois par l’ennemi a créé et aggravé les contradictions entre le Japon et d’autres Etats.

   D’ailleurs, pendant une période assez longue, une telle occupation ne permettra en général au Japon que de mettre en œuvre des moyens sans en tirer de profit, comme le montre l’expérience des trois provinces du Nord­-Est Tout cela aussi constitue pour nous des arguments tant pour battre en brèche la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et l’esprit de compromis que pour édifier nos thèses concernant la guerre prolongée et notre victoire finale.

43 Les changements susmentionnés des deux parties se poursuivront à la deuxième étape.

   Il n’est pas possible de prédire le développement concret de ces changements, mais, d’une façon générale, la situation du Japon ira en déclinant et celle de la Chine en progressant

Mais comme la clique dominante de Tchiang Kaï­chek avait adopté une attitude passive dans la Résistance et luttait activement contre le Parti communiste et le peuple, la situation ne s’améliora pas dans les régions contrôlées par le Kuomintang, elle s’y aggrava au contraire. Cela provoqua toutefois la protestation des larges masses populaires et contribua à élever leur conscience politique. Une analyse de ces faits est donnée par le camarade Mao Tsé­toung dans son rapport « Du gouvernement de coalition »..

   Par exemple, la guerre de partisans en Chine engloutira en quantités énormes les ressources militaires et financières du Japon, le mécontentement de la population japonaise ne fera que croître, le moral de ses troupes baissera encore plus, son état d’isolement international s’aggravera.

   Quant à la Chine, elle fera encore des progrès dans les domaines politique, militaire et culturel ainsi que dans la mobilisation du peuple.

   La guerre de partisans se développera encore plus largement et l’économie fera à nouveau certains progrès en s’appuyant sur la petite industrie et l’agriculture des vastes territoires de l’intérieur ; l’aide internationale s’accroîtra régulièrement et tout le tableau sera nettement différent de celui d’aujourd’hui.

   Il se peut que la deuxième étape soit assez longue.

   Au cours de cette étape, des changements considérables se produiront dans le rapport des forces entre nous et l’ennemi : les forces de la Chine iront en croissant et celles du Japon en diminuant.

   La Chine sortira de sa situation défavorable et le Japon perdra sa supériorité, si bien qu’après une période d’équilibre, le rapport de forces primitif entre les deux pays sera inversé.

   Alors, la Chine complétera, pour l’essentiel, sa préparation à la contre-offensive stratégique et entrera dans l’étape de la contre-­offensive et de l’expulsion de l’ennemi.

   Il est à souligner une fois de plus que le passage de la position d’infériorité à celle de supériorité et l’achèvement de la préparation à la contre­-offensive supposent la croissance des forces de la Chine, l’augmentation des difficultés du Japon et l’accroissement de l’aide internationale à la Chine.

   L’action conjuguée de ces trois facteurs assurera à la Chine la supériorité des forces et lui permettra d’achever la préparation de sa contre­-offensive.

44 Comme le développement politique et économique de la Chine est inégal, la contre­offensive stratégique dans la troisième étape ne se déroulera pas, à son début, uniformément et harmonieusement dans tout le pays, mais dans des régions données et d’une manière inégale.

   Au cours de cette étape, l’ennemi ne relâchera pas ses efforts pour briser par tous les moyens le front uni ; aussi le problème de l’unité intérieure de la Chine prendra­-t-­il une importance encore plus grande : il faudra empêcher que notre contre­offensive ne s’arrête à mi-­chemin par suite de désaccords intérieurs.

   Au cours de cette étape, la situation internationale deviendra très favorable à la Chine, et celle-­ci devra en profiter pour conquérir définitivement sa libération et édifier un Etat démocratique indépendant, aidant par là le mouvement antifasciste mondial.

45 La Chine passera de l’infériorité des forces à l’équilibre des forces, puis à la supériorité ; et le Japon, de la supériorité des forces à l’équilibre des forces, puis à l’infériorité.

   La Chine passera de la défensive à la stabilisation, puis à la contre-offensive ; et le Japon, de l’offensive à la consolidation de ses positions, puis à la retraite. Tel sera le processus de la guerre sino-­japonaise, le cours logique de cette guerre.

46 Nous en venons ainsi à répondre de la façon suivante aux questions posées : La Chine sera­-t­-elle asservie ? Réponse : Non, elle ne le sera pas, et la victoire finale lui reviendra.

   La Chine peut­-elle vaincre rapidement ? Réponse : Non, elle ne le pourra pas, ce sera une guerre de longue durée. Ces conclusions sont­-elles justes ? Je pense qu’elles le sont.

47 Là­-dessus, les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et les partisans du compromis interviendront à nouveau pour déclarer : Pour passer d’une position d’infériorité à l’équilibre, la Chine devrait acquérir une force militaire et économique égale à celle du Japon ; pour passer de cet équilibre à la supériorité, elle devrait posséder une force militaire et économique plus grande que celle du Japon ; mais cela est absolument impossible et les conclusions qui viennent d’être tirées sont par conséquent fausses.

48 C’est la théorie dite « les armes décident de tout », qui est une façon mécaniste d’aborder la question de la guerre et un point de vue subjectiviste et unilatéral sur celle­-ci.

   A la différence des partisans de cette théorie, nous considérons non seulement les armes mais aussi les hommes.

   Les armes sont un facteur important, mais non décisif, de la guerre.

   Le facteur décisif, c’est l’homme et non le matériel.

   Le rapport des forces se détermine non seulement par le rapport des puissances militaires et économiques, mais aussi par le rapport des ressources humaines et des forces morales.

   C’est l’homme qui dispose des forces militaires et économiques.

   Si la grande majorité des Chinois, des Japonais et des peuples du monde se range du côté de notre Guerre de Résistance, pourra­-t­-on encore qualifier de supériorité la puissance économique et militaire qu’une poignée d’hommes détient au Japon par la force ?

   Et si on ne le peut pas, n’est­-ce pas à la Chine, qui dispose pourtant d’une force militaire et économique relativement inférieure, que reviendra la supériorité ?

   Il n’y a pas le moindre doute que si la Chine poursuit avec ténacité la Guerre de Résistance et s’en tient fermement au front uni, sa force militaire et économique s’accroîtra progressivement.

   Quant à notre ennemi, affaibli comme il le sera par une longue guerre et par des contradictions internes et externes, il verra à coup sûr sa puissance militaire et économique se modifier en sens inverse. Est-­il possible que dans une telle situation la supériorité ne revienne pas finalement à la Chine ?

   Et ce n’est pas tout. Actuellement, nous ne pouvons pas encore compter, directement et largement, sur la force militaire et économique d’autres Etats, mais pourquoi ne pourrions-­nous pas le faire plus tard ?

   Si le Japon n’a plus pour seul ennemi la Chine, s’il vient un jour où un Etat ou plusieurs Etats utiliseront ouvertement une partie importante de leur puissance économique et militaire pour se défendre contre le Japon ou pour lui porter des coups et nous apporter leur aide, notre supériorité ne sera­-t­-elle pas plus grande encore ?

   Le Japon est un petit pays, la guerre qu’il poursuit est de caractère rétrograde et barbare, il sera de plus en plus isolé sur le plan international ; la Chine est un grand pays, la guerre qu’elle poursuit est une guerre progressiste et juste, le soutien international qu’elle reçoit grandira.

   N’est­-il pas vrai qu’après une longue période de développement tous ces facteurs renverseront définitivement le rapport de supériorité et d’infériorité entre l’ennemi et nous ?

49 Quant aux partisans de la théorie de la victoire rapide, ils ne comprennent pas que la guerre est une compétition de forces, et que rien ne permet d’engager des opérations stratégiques décisives et de chercher à hâter la libération du pays, tant que ne se sont pas produits certains changements dans le rapport des forces entre les parties belligérantes.

   Mettre leurs idées en pratique serait inévitablement se briser la tête contre un mur.

   Peut-­être ne bavardent­-ils que pour le plaisir de parler, sans songer sérieusement à passer des paroles aux actes.

   En fin de compte, ce sont les faits qui administreront à tous ces bavards une douche froide, leur démontrant qu’ils ne sont rien de plus que des phraseurs qui rêvent d’obtenir les choses sans effort, qui veulent récolter sans semer.

   Ces vains propos, on les a tenus et on les tient encore, bien qu’ils ne soient pas très répandus ; ils pourraient s’amplifier quand la guerre passera à l’étape de la stabilisation, puis de la contre-­offensive.

   Mais en même temps, si les pertes de la Chine au cours de la première étape étaient relativement importantes et si la deuxième étape se prolongeait longtemps, la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et la tendance au compromis trouveraient une plus large audience.

   C’est pourquoi il nous faudra ouvrir le feu principalement contre la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et contre l’esprit de compromis, et en second lieu seulement contre l’inepte bavardage sur la victoire rapide.

50 Nous avons donc établi que la guerre sera longue. Mais nul ne peut prédire combien d’années et combien de mois elle durera.

   Cela dépendra entièrement des changements dans le rapport des forces entre nous et l’ennemi. Ceux qui veulent réduire la durée de la guerre ne peuvent y parvenir qu’en s’efforçant d’accroître leurs forces et de réduire celles de l’ennemi.

   Pour parler d’une façon plus concrète, le seul moyen est de redoubler d’efforts pour remporter le plus grand nombre possible de victoires militaires et user les forces armées de l’ennemi, pour développer la guerre de partisans de façon à réduire le plus possible les territoires occupés par l’ennemi, pour consolider et élargir le front uni en vue d’unir les forces de tout le pays, pour créer de nouvelles forces armées et développer de nouvelles industries de guerre, pour accélérer les progrès politiques, économiques et culturels, pour mobiliser toutes les couches de la population, ouvriers, paysans, commerçants et intellectuels, pour briser le moral de l’armée ennemie et faire passer ses soldats de notre côté, pour poursuivre la propagande à l’étranger afin de nous assurer une aide internationale, pour obtenir le soutien du peuple japonais et de toutes les nations opprimées. Ce n’est qu’en faisant tout cela qu’on peut réduire la durée de la guerre. Aucune solution de facilité n’est possible.

Une guerre d’interpénétration

51 Nous pouvons affirmer que la guerre prolongée contre les envahisseurs japonais sera inscrite dans l’histoire des guerres de l’humanité comme une page glorieuse et exceptionnelle. Une des particularités remarquables de cette guerre est son caractère d’interpénétration.

   La raison en est l’existence de facteurs réciproquement contraires, tels que la barbarie du Japon et son insuffisance en forces armées d’une part, et le caractère progressiste de la Chine et son vaste territoire d’autre part. L’histoire connaît des guerres où s’est réalisée une telle interpénétration.

   Ce fut le cas de la Russie, pendant les trois années de guerre civile, après la Révolution d’Octobre. Mais en Chine cette forme de guerre se caractérise par sa durée et son ampleur exceptionnelles. Dans ce domaine, elle battra tous les records dans l’histoire. L’interpénétration se présente sous les traits suivants.

52 Les lignes intérieures et extérieures. Dans son ensemble, la Guerre de Résistance se poursuit à l’intérieur des lignes, mais si l’on considère la relation entre nos forces régulières et nos détachements de partisans, les premières opèrent à l’intérieur des lignes, tandis que les seconds opèrent à l’extérieur, ce qui compose un tableau original : l’ennemi est enserré dans une tenaille.

   On peut en dire autant des relations entre les régions de partisans.

   Chaque région de partisans, prise isolément, opère à l’intérieur des lignes et les autres régions de partisans opèrent à l’extérieur des lignes par rapport à elle, et il se constitue encore une fois un grand nombre de tenailles où tombe l’ennemi.

   Dans la première étape de la guerre, l’armée régulière, poursuivant sur le plan stratégique des opérations à l’intérieur des lignes, se replie tandis que les détachements de partisans des différentes régions, opérant stratégiquement à l’extérieur des lignes, avancent à grands pas vers l’arrière de l’ennemi.

   Cette avance se poursuivra avec encore plus d’énergie dans la deuxième étape. Il en découle une combinaison extrêmement originale du repli et de l’avance.

53 Existence et absence d’un arrière. Les forces régulières, dont la ligne de front passe le long des limites extérieures du territoire occupé par l’ennemi, opèrent à partir de l’arrière général du pays, alors que les détachements de partisans, qui déploient leur ligne de front à l’arrière de l’ennemi, sont isolés de l’arrière général du pays.

   Mais chaque région de partisans dispose d’un arrière de faible étendue sur lequel elle s’appuie pour établir une ligne de front mobile.

   Le cas est différent pour les détachements de partisans envoyés en mission par une région de partisans pour des opérations temporaires à l’arrière de l’ennemi se trouvant dans la même région : ils n’ont ni arrière ni ligne de front.

   « Les opérations militaires sans arrière » représentent une caractéristique propre à la guerre révolutionnaire de l’ère nouvelle, dans un pays où il existe un vaste territoire, un peuple progressiste, un parti politique d’avant­-garde et une armée d’avant-­garde.

   Il n’y a pas de raison de craindre ces opérations, elles ne peuvent être que profitables. Au lieu d’avoir des doutes à leur sujet, il faut les préconiser.

54 Encerclement et contre­-encerclement. Si l’on considère la guerre dans son ensemble, il ne fait pas de doute que nous nous trouvons stratégiquement encerclés, puisque l’ennemi se livre à une offensive stratégique et opère à l’extérieur des lignes, et que nous sommes sur la défensive stratégique et opérons à l’intérieur des lignes.

   C’est le premier type d’encerclement de nos forces par l’ennemi.

   Mais comme, de notre côté, nous adoptons à l’égard d’un ennemi qui, opérant stratégiquement à l’extérieur des lignes, marche sur nous en plusieurs colonnes le principe d’opérer à l’extérieur des lignes dans les campagnes et les combats, nous pouvons encercler une ou plusieurs de ces colonnes avec des forces supérieures en nombre.

   C’est le premier type de contre­-encerclement de l’ennemi par nous.

   D’autre part, si l’on considère les bases d’appui de la guerre de partisans situées à l’arrière de l’ennemi, chacune de ces bases isolées est cernée par l’ennemi soit des quatre côtés, comme la région du Woutaichan, soit de trois seulement, comme celle du nord­-ouest du Chansi. C’est le deuxième type d’encerclement de nos forces par l’ennemi.

   Toutefois, si l’on considère toutes les bases de la guerre de partisans dans leurs liaisons mutuelles, et chaque base dans ses liaisons avec les positions tenues par l’armée régulière, on constate qu’un grand nombre d’unités ennemies sont encerclées par nous.

   Par exemple, dans la province du Chansi, nous avons déjà cerné de trois côtés (de l’est, de l’ouest et du sud) la ligne de chemin de fer Tatong-Poutcheou, et nous avons investi complètement la ville de Taiyuan ; dans les provinces du Hopei et du Chantong, on trouve également un grand nombre d’encerclements de ce genre.

   C’est le deuxième type de contre-­encerclement de l’ennemi par nous.

   Ainsi, ces deux types d’encerclement mutuel rappellent le jeu de weiki : les campagnes et les combats que l’ennemi mène contre nous et que nous menons contre l’ennemi ressemblent à la prise des pions, et les points d’appui de l’ennemi (par exemple Taiyuan) et nos bases de partisans (par exemple le Woutaichan) ressemblent aux « fenêtres » sur l’échiquier.

   Si l’on imagine le jeu de weiki à l’échelle mondiale, on voit apparaître encore un troisième type d’encerclement mutuel : la corrélation entre le front de l’agression et le front de la paix.

   Par le premier front, l’ennemi encercle la Chine, l’U.R.S.S., la France, la Tchécoslovaquie et d’autres Etats, et, par le second front, nous réalisons le contre­-encerclement de l’Allemagne, du Japon et de l’Italie.

   Mais notre encerclement ressemble à la main de Bouddha. Il formera les cinq chaînes de montagnes qui dominent l’univers et clouera si bien sous elles les nouveaux Souen Wou­kong — les agresseurs fascistes — que jamais ils ne se relèveront.

[Souen Wou­kong, héros du roman fantastique chinois du XVIe siècle Si yeou kj (Le Pèlerinage à l’Ouest), était un singe qui avait le pouvoir, en faisant la culbute, de franchir une distance de cent huit mille lis.

Mais, tombé sur la paume de Bouddha, Souen Wou­kong eut beau faire et se démener, il ne put partir. Bien plus, Bouddha retourna sa main, la paume vers la terre, et recouvrit Souen Wou­kong. Les doigts de Bouddha se changèrent en cinq chaînes de montagnes liées les unes aux autres, qui rivèrent Souen Wou­kong au sol.]

   Si nous réussissons, par notre action sur le plan international, à créer dans le Pacifique un front antijaponais auquel la Chine participerait en tant qu’unité stratégique et au sein duquel l’Union soviétique et les autres pays qui pourraient s’y intégrer constitueraient d’autres unités stratégiques, et le mouvement populaire au Japon encore une autre unité stratégique, il se formera un vaste filet d’où les Souen Wou­kong fascistes ne pourront fuir, et ce sera la ruine de l’ennemi.

   Oui, le jour où ce filet vaste comme le monde sera formé, ce sera sûrement la destruction définitive de l’impérialisme japonais. Ce n’est pas une plaisanterie, c’est l’inéluctable tendance inhérente à la guerre.

55 Massifs et îlots. Il est possible que l’ennemi occupe la plus grande partie des territoires de la Chine situés au sud de la Grande Muraille et que la plus petite partie seulement reste intacte.

   C’est là un aspect de la situation.

   Mais dans cette majeure partie de la Chine qu’il aura occupée, en dehors des trois provinces du Nord-­Est, l’ennemi ne pourra pratiquement occuper que les grandes villes, les principales lignes de communication et certaines régions de plaine, c’est­-à­-dire des objectifs de première importance, mais qui ne constitueront probablement, par leur étendue et leur population, que la plus petite partie des territoires occupés.

   Par contre, les régions de partisans s’étendront partout et en représenteront la plus grande partie. C’est là le deuxième aspect de la situation.

   Et si maintenant on ne se limite pas aux provinces situées au sud de la Grande Muraille et que l’on tient compte des régions de la Mongolie, du Sinkiang, du Tsinghai et du Tibet, la superficie non occupée par l’ennemi représentera quand même la plus grande partie de la Chine et les territoires occupés par l’ennemi, y compris les trois provinces du Nord­-Est, n’en constitueront que la plus petite partie.

   C’est là le troisième aspect de la situation. Les régions qui n’auront pas été occupées par l’ennemi auront naturellement pour nous une grande importance.

   Il faudra y déployer tous nos efforts non seulement dans les domaines politique, militaire et économique, mais aussi dans le domaine culturel.

   L’ennemi a fait de nos centres culturels des zones retardataires, et nous, de notre côté, devons transformer les zones retardataires en centres culturels.

   En même temps, il est très important pour nous de bien administrer les vastes régions de partisans à l’arrière de l’ennemi, en les développant sous tous les rapports et en y intensifiant notre travail culturel.

   Pour résumer, nous pouvons dire que les vastes régions rurales de la Chine se transformeront en régions avancées et éclairées et que les territoires peu étendus, occupés par l’ennemi, spécialement les grandes villes, représenteront temporairement des îlots retardataires, plongés dans les ténèbres.

56 Ainsi, cette longue guerre de vaste envergure contre les envahisseurs japonais sera une guerre d’interpénétration dans les domaines militaire, politique, économique et culturel.

   Elle apparaîtra comme une guerre extraordinaire dans l’histoire, elle sera la grande œuvre du peuple chinois, un glorieux exploit qui ébranlera le monde.

   Son influence ne s’exercera pas seulement sur la Chine et le Japon, où elle donnera une forte impulsion au progrès, mais aussi sur le monde entier, en stimulant le progrès de toutes les nations, en premier lieu, des nations opprimées comme l’Inde.

   Les Chinois doivent prendre part en toute conscience à cette guerre d’interpénétration, car c’est la forme de guerre qui permet à la nation chinoise de se libérer, la forme spécifique de la guerre de libération d’un grand pays semi-­colonial dans les années 30 et 40 du XXe siècle.

La guerre pour la paix perpétuelle

57 Le caractère de longue durée que présente la Guerre de Résistance de la Chine est inséparable de la lutte pour la conquête d’une paix perpétuelle, en Chine et dans le monde entier.

   L’histoire n’a pas encore connu de périodes où la guerre nous rapproche autant qu’aujourd’hui de la paix perpétuelle.

   Par suite de l’apparition des classes, l’histoire de l’humanité a été, pendant des millénaires, remplie de guerres interminables.

   Chaque peuple a connu des guerres sans nombre, guerres intestines ou guerres étrangères.

   Au stade impérialiste du développement de la société capitaliste, les guerres deviennent particulièrement étendues et acharnées.

   La première grande guerre impérialiste, il y a vingt ans, fut une guerre comme on n’en avait jamais connu, sans être pourtant la dernière.

   La guerre qui vient de commencer nous rapproche de la dernière des guerres, en d’autres termes, de la paix perpétuelle pour l’humanité tout entière.

   Déjà un tiers de l’humanité est entraîné dans la guerre : l’Italie, puis le Japon, l’Abyssinie, puis l’Espagne, puis la Chine.

   Près de 600 millions d’hommes, c’est­-à-­dire près du tiers de la population mondiale, vivent dans ces pays déjà en guerre.

   Cette guerre présente la particularité d’être ininterrompue et de nous rapprocher de la paix perpétuelle. Pourquoi disons­-nous qu’elle est ininterrompue ?

   L’Italie fit la guerre à l’Abyssinie, puis, avec la participation de l’Allemagne, elle attaqua l’Espagne, et ensuite c’est le Japon qui s’est lancé dans une guerre contre la Chine.

   Et maintenant ? Il n’y a pas de doute que viendra la guerre de Hitler contre les grandes puissances. « Le fascisme, c’est la guerre1. »

   Cela est parfaitement vrai. Il n’y aura pas d’interruption entre la guerre actuelle et la guerre mondiale, et l’humanité ne saurait échapper aux malheurs de la guerre.

   Pourquoi disons-­nous que cette guerre nous rapproche de la paix perpétuelle ?

   Elle est un effet du développement de la crise générale du capitalisme mondial, apparue avec la Première guerre mondiale.

   Cette crise générale a obligé les pays capitalistes à s’engager dans une nouvelle guerre ; elle a obligé en premier lieu les pays fascistes à se lancer dans de nouvelles aventures militaires.

   On peut prévoir que cette guerre ne sauvera pas le capitalisme mais hâtera sa faillite.

   Cette guerre sera plus étendue et plus acharnée que celle d’il y a vingt ans, tous les peuples y seront inévitablement entraînés ; elle sera longue et l’humanité aura à subir de grandes souffrances.

   Cependant, grâce à l’existence de l’Union soviétique et à la conscience de plus en plus éveillée des peuples du monde, des guerres révolutionnaires grandioses éclateront assurément au cours de cette guerre ; elles seront dirigées contre toutes les guerres contrerévolutionnaires et conféreront à la guerre actuelle le caractère d’une guerre pour la paix perpétuelle.

   Même si plus tard une nouvelle période de guerres survient, la paix perpétuelle dans le monde entier ne sera plus très éloignée.

   Dès que l’humanité aura supprimé le capitalisme, elle entrera dans l’ère de la paix perpétuelle et elle n’aura plus besoin de faire la guerre.

   Il n’y aura plus besoin d’armées, de vaisseaux de guerre, d’avions militaires ni de gaz toxiques. Dans tous les siècles des siècles, l’humanité ne connaîtra plus jamais de guerres.

   Les guerres révolutionnaires qui ont déjà commencé font partie de cette guerre pour la paix perpétuelle.

   La guerre entre la Chine et le Japon, qui ont ensemble une population de plus de 500 millions d’habitants, jouera un rôle important dans cette guerre pour la paix perpétuelle ; le peuple chinois y conquerra sa liberté.

   La Chine nouvelle, libérée, la Chine de l’avenir fera partie intégrante du monde nouveau, libéré, de l’avenir.

   C’est pourquoi notre Guerre de Résistance a le caractère d’une guerre pour la paix perpétuelle.

58 L’histoire montre que les guerres se divisent en deux catégories : les guerres justes et les guerres injustes.

   Toute guerre progressiste est juste et toute guerre qui fait obstacle au progrès est injuste.

   Nous autres communistes, nous luttons contre toutes les guerres injustes qui entravent le progrès, mais nous ne sommes pas contre les guerres progressistes, les guerres justes.

   Nous communistes, non seulement nous ne luttons pas contre les guerres justes, mais encore nous y prenons part activement.

   La Première guerre mondiale est un exemple de guerre injuste ; les deux parties y combattaient pour des intérêts impérialistes, et c’est pourquoi les communistes du monde entier s’y sont résolument opposés.

   Voici comment il faut lutter contre une telle guerre : avant qu’elle n’éclate, il faut faire tous les efforts possibles pour l’empêcher, mais une fois qu’elle a éclaté, il faut, dès qu’on le peut, lutter contre la guerre par la guerre, opposer à une guerre injuste une guerre juste.

    La guerre menée par le Japon est une guerre injuste, une guerre qui entrave le progrès. Les peuples du monde entier, y compris le peuple japonais, doivent lutter et luttent déjà contre elle.

   En Chine, depuis les masses populaires jusqu’au gouvernement, depuis le Parti communiste jusqu’au Kuomintang, tout le monde a levé l’étendard de la justice et poursuit une guerre révolutionnaire nationale contre l’agression.

   Notre guerre est une guerre sacrée, juste et progressiste ; son but est la paix, non pas la paix pour un seul pays, mais la paix pour tous les pays du monde, non pas une paix temporaire, mais une paix perpétuelle.

   Pour atteindre ce but, il faut mener une lutte à mort, il faut être prêt à accepter n’importe quel sacrifice et tenir jusqu’au bout ; il ne faut jamais cesser la lutte avant que le but soit atteint.

   Les pertes seront grandes, il faudra beaucoup de temps, mais devant nos yeux se dessine avec clarté l’image d’un monde nouveau où régneront pour toujours la paix et la lumière.

   Ce qui nous soutient dans cette guerre, c’est justement la conviction que nos efforts contribueront à faire naître la Chine nouvelle et le monde nouveau où régneront pour toujours la paix et la lumière.

   Les fascistes et les impérialistes veulent que les guerres se poursuivent indéfiniment.

   Quant à nous, nous voulons mettre un terme aux guerres dans un temps qui ne soit pas très éloigné.

   Il faut que la grande majorité des hommes fasse tout son possible pour atteindre ce but.

   Les 450 millions de Chinois représentent le quart de l’humanité.

   Si, par nos efforts unis, nous brisons l’impérialisme japonais et créons une Chine nouvelle où règnent la liberté et l’égalité, nous apporterons certainement une contribution considérable à la conquête de la paix perpétuelle dans le monde entier.

    Cet espoir n’est pas vain, car le cours du développement social et économique dans le monde nous en rapproche déjà ; et si la majorité des hommes redouble d’efforts, notre but sera sûrement atteint dans quelques dizaines d’années.

L’activité consciente dans la guerre

59 Tout ce que nous avons dit explique pourquoi la guerre sera de longue durée et pourquoi la victoire finale appartiendra à la Chine. Jusqu’à présent, nous nous sommes occupés principalement de savoir ce qui est exact et ce qui ne l’est pas.

   Passons maintenant à ce qu’il faut faire et à ce qu’il faut éviter de faire. Comment poursuivre une guerre de longue durée ? Comment remporter la victoire finale ?

   C’est à ces questions que nous allons répondre.

   Nous éclaircirons à cette fin les problèmes suivants : l’activité consciente dans la guerre ; la guerre et la politique ; la mobilisation politique dans la Guerre de Résistance ; les buts de la guerre ; les opérations offensives dans une guerre défensive, les opérations de décision rapide dans une guerre de longue durée et les opérations à l’extérieur des lignes dans la guerre à l’intérieur des lignes ; l’initiative, la souplesse et le plan d’action ; la guerre de mouvement, la guerre de partisans et la guerre de position ; la guerre d’usure et la guerre d’anéantissement ; la possibilité d’exploiter les erreurs de l’ennemi ; la décision dans la Guerre de Résistance ; l’armée et le peuple, artisans de la victoire. Commençons par la question de l’activité consciente.

60 Lorsque nous intervenons contre la façon subjective d’aborder les problèmes, nous voulons dire qu’il faut combattre les idées qui ne reposent pas sur la réalité objective et ne lui correspondent pas, qui sont en fait le fruit de l’imagination ou de faux raisonnements, et qui, mises en pratique, conduiraient à l’échec.

   Mais tout ce qui se fait est fait par l’homme.

   La guerre prolongée et la victoire finale ne se réaliseront pas en dehors de l’action des hommes. Pour que cette action soit efficace, il faut au préalable des hommes qui, partant de l’analyse de la réalité objective, conçoivent des idées, des principes, des vues, élaborent des plans, une ligne, une politique, une stratégie et une tactique.

   Les idées, les vues, etc. sont d’ordre subjectif, alors que la pratique ou les actions traduisent le subjectif dans l’objectif, mais les unes et les autres représentent l’activité propre à l’homme.

   Cette activité, nous l’appelons « activité consciente », et elle constitue une caractéristique qui distingue l’homme des autres êtres.

   Toutes les idées qui reposent sur la réalité objective et lui correspondent sont justes, et sont justes également toute pratique, toute action reposant sur des idées justes.

   Nous devons développer ces idées et ces actions, développer cette activité consciente.

   La Guerre de Résistance a pour but de chasser les impérialistes et de transformer l’ancienne Chine en une Chine nouvelle.

   Pour atteindre ce but, il est indispensable de mobiliser tout le peuple chinois et de donner un plein essor à son activité consciente dans la résistance contre le Japon.

   Si nous restions assis les bras croisés, nous serions asservis, il n’y aurait ni guerre prolongée ni victoire finale.

61 L’activité consciente est un trait distinctif de l’homme. Ce trait, l’homme le manifeste avec beaucoup de force dans la guerre.

   Il est vrai que l’issue de la guerre dépend d’un grand nombre de conditions propres à chacune des parties belligérantes, conditions militaires, politiques, économiques, géographiques, ainsi que du caractère de la guerre et de l’ampleur de l’aide internationale. Mais elle ne dépend pas uniquement de ces conditions.

   Ces conditions ne font que poser la possibilité de l’une ou de l’autre issue de la guerre. Par elles-­mêmes, elles ne font ni la victoire, ni la défaite.

   Pour amener la décision, il faut encore des efforts subjectifs ; ce sont la direction et la conduite des opérations, c’est l’activité consciente dans la guerre.

62 Ceux qui dirigent la guerre ne peuvent s’attendre à remporter la victoire en sortant du cadre défini par les conditions objectives, mais ils peuvent et ils doivent s’efforcer de remporter la victoire, par leur action consciente, dans ce cadre même.

   La scène où se déroulent leurs activités est bâtie sur ce qui est permis par les conditions objectives, mais ils peuvent, sur cette scène, conduire des actions magnifiques, d’une grandeur épique.

   S’appuyant sur les conditions matérielles objectives données, ceux qui dirigent notre Guerre de Résistance doivent montrer de quoi ils sont capables et mettre en œuvre toutes les forces dont ils disposent pour écraser l’ennemi de notre nation, changer la situation de notre société et de notre pays victimes de l’agression et de l’oppression, et édifier une Chine nouvelle où règnent la liberté et l’égalité.

   C’est ici que peut et doit s’exercer notre capacité subjective de diriger la guerre.

   Nous ne voulons pas que ceux qui dirigent notre Guerre de Résistance se détachent des conditions objectives et deviennent des têtes brûlées frappant à tort et à travers, mais nous tenons à ce qu’ils deviennent des capitaines courageux et clairvoyants.

   Ils ne doivent pas seulement avoir le courage d’écraser l’ennemi, ils doivent aussi savoir dominer tout le cours de la guerre, dans toutes ses vicissitudes et tous ses développements.

   Les chefs militaires, nageant dans l’immense océan de la guerre, doivent non seulement se garder de se noyer, mais encore être capables d’atteindre sûrement le rivage opposé à brasses mesurées.

   La stratégie et la tactique en tant que lois de la conduite de la guerre sont l’art de savoir nager dans l’océan de la guerre.

La guerre et la politique

63 « La guerre est la continuation de la politique. » En ce sens, la guerre, c’est la politique ; elle est donc en elle­-même un acte politique ; depuis les temps les plus anciens, il n’y a jamais eu de guerre qui n’ait eu un caractère politique.

   La Guerre de Résistance est une guerre révolutionnaire de toute la nation.

   La victoire y est inséparable des buts politiques de la guerre — expulsion des impérialistes japonais et édification d’une Chine nouvelle où règnent la liberté et l’égalité, inséparable de la ligne générale qui consiste à poursuivre résolument la guerre et à appliquer fermement la politique de front uni, inséparable de la mobilisation du peuple entier, inséparable des principes politiques de l’unité entre les officiers et les soldats, de l’unité entre l’armée et le peuple et de la désagrégation des troupes ennemies, inséparable de la bonne application de la politique de front uni, inséparable d’une mobilisation culturelle, inséparable des efforts pour s’assurer l’aide internationale et le soutien du peuple du pays ennemi.

   En un mot, il n’est pas possible de séparer une seule minute la guerre de la politique.

   Chez les militaires qui font la Guerre de Résistance, toute tendance à sous­-estimer la politique, en isolant la guerre de la politique et en considérant la guerre dans l’absolu, est erronée et doit être corrigée.

64 Mais la guerre a aussi ses caractères spécifiques. En ce sens, elle n’est pas identique à la politique en général. « La guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens ».

   Une guerre éclate pour lever les obstacles qui se dressent sur la voie de la politique, quand celle­-ci a atteint un certain stade qui ne peut être dépassé par les moyens habituels.

   Par exemple, la situation de semi­-indépendance de la Chine est devenue un obstacle au développement de la politique de l’impérialisme japonais, le Japon a donc entrepris une guerre d’agression pour lever cet obstacle. Qu’en est­-il pour la Chine ?

   Il y a déjà longtemps que le joug impérialiste est devenu un obstacle sur la voie de la révolution démocratique bourgeoise en Chine.

   C’est pourquoi maintes guerres de libération s’y sont produites, qui ont traduit les efforts en vue d’éliminer cet obstacle.

   Le Japon recourt maintenant à la guerre pour opprimer la Chine dans l’intention de barrer complètement la route à l’essor de la révolution chinoise ; aussi sommes­-nous obligés de mener la Guerre de Résistance avec la ferme volonté de lever cet obstacle sur notre chemin.

   Lorsque l’obstacle est levé et le but politique atteint, la guerre prend fin.

   Tant que l’obstacle n’est pas complètement levé, il faut poursuivre la guerre jusqu’à ce qu’elle atteigne son but politique.

   S’il se trouvait par exemple des gens pour essayer d’entrer en compromis avec l’ennemi avant la réalisation des tâches de la Guerre de Résistance, il ne sortirait absolument rien de leurs tentatives ; car même si, pour une raison ou pour une autre, ils parvenaient à leurs fins, la guerre éclaterait de nouveau : les larges masses de la population n’accepteraient pas cette issue de la guerre et entreprendraient certainement de poursuivre cette guerre plus avant, jusqu’à complète réalisation de ses buts politiques.

   C’est pourquoi l’on peut dire que la politique est une guerre sans effusion de sang et la guerre une politique avec effusion de sang.

65 Les caractères spécifiques de la guerre donnent naissance à un ensemble d’organismes spécifiques, à une série de méthodes spécifiques et à un processus particulier propres à la guerre.

   Les organismes de la guerre sont l’armée et tout ce qui s’y rapporte. Les méthodes sont la stratégie et la tactique qui servent à diriger les opérations militaires.

   Le processus est la forme spécifique d’activité sociale dans laquelle chacune des parties belligérantes attaque ou se défend en appliquant une stratégie et une tactique avantageuses pour elle­-même et désavantageuses pour l’adversaire.

   C’est pourquoi l’expérience de la guerre est une expérience spécifique. Tous ceux qui prennent part à la guerre doivent renoncer aux habitudes du temps de paix et s’adapter à la guerre, s’ils veulent y remporter la victoire.

La mobilisation politique dans la guerre de résistance

66 Dans une guerre révolutionnaire nationale aussi grandiose, il est impossible de remporter la victoire sans une mobilisation politique large et profonde.

   Ce fut pour la Chine un grand désavantage de ne pas avoir entrepris la mobilisation politique pour la Résistance avant le début de la guerre, et nous nous sommes de ce fait trouvés d’un pas en retard sur l’ennemi.

   Même quand la guerre eut commencé, la mobilisation politique fut bien loin de s’étendre à toutes les régions, sans parler de son manque de profondeur.

   Le peuple, dans sa majorité, a été averti de la guerre par le feu de l’artillerie et par les bombardements aériens de l’ennemi.

   Ce fut aussi une sorte de mobilisation, mais faite par l’ennemi à notre place et non par nous.

   Ceux qui vivent dans les régions éloignées et qui n’entendent pas la canonnade demeurent encore dans une tranquillité que rien ne trouble.

   Il faut absolument changer cette situation, sinon nous ne pouvons pas gagner cette guerre qui est pour nous une question de vie ou de mort.

   En aucun cas nous ne devons nous laisser encore distancer par l’ennemi, fût­-ce d’une seule foulée.

   Il nous faut, au contraire, pousser à fond la mobilisation politique, de façon à prendre le dessus sur l’ennemi. Bien des choses en dépendent.

   Que nous le cédions à l’ennemi en armement, entre autres choses, est secondaire, alors que la mobilisation politique est de toute première importance.

   Si tout le peuple est mobilisé, l’ennemi finira par être englouti dans cet océan humain ; alors seront également créées les conditions pour combler nos lacunes dans l’armement et dans d’autres domaines, et seront posées les prémisses pour surmonter toutes les difficultés de la guerre.

   Pour vaincre, il faut poursuivre la guerre résolument, s’en tenir fermement au front uni, s’engager avec résolution dans une guerre prolongée.

   Mais tout cela est impossible sans la mobilisation du peuple.

   Vouloir la victoire et négliger la mobilisation politique, c’est comme « vouloir aller vers le nord en dirigeant l’attelage vers le sud ».

   Il va de soi qu’il serait alors inutile de parler encore de victoire.

67 Qu’est­-ce que la mobilisation politique ? Avant tout, elle consiste à exposer à l’armée et au peuple les buts politiques de la guerre.

   Il faut que chaque soldat, chaque citoyen comprenne pourquoi on doit se battre, en quoi la guerre le touche personnellement.

   Les buts politiques de la Guerre de Résistance sont « l’expulsion des impérialistes japonais et l’édification d’une Chine nouvelle où règnent la liberté et l’égalité ».

   C’est en exposant ces buts à toute l’armée et à tout le peuple que l’on pourra faire naître chez eux l’enthousiasme pour la Résistance, et alors seulement ils apporteront entièrement, par centaines de millions, comme un seul homme, leur contribution à la guerre.

   Mais la seule explication des buts de la guerre ne suffit pas, il faut encore exposer clairement les mesures et la politique nécessaires pour atteindre ces buts ; autrement dit, il faut un programme politique.

   Actuellement, un « Programme en dix points pour la résistance au Japon et le salut de la patrie » et un « Programme de résistance au Japon et de construction nationale » sont déjà élaborés ; il faut les populariser au sein de l’armée et du peuple et mobiliser l’armée et le peuple tout entiers pour traduire ces programmes dans la vie.

   Sans un programme politique précis et concret, il est impossible de mobiliser l’armée et le peuple tout entiers pour poursuivre jusqu’au bout la Guerre de Résistance.

   Mais cette mobilisation, comment la faire ?

   Par la parole, les tracts et les affiches, par les journaux, les brochures et les livres, par le théâtre et le cinéma, en utilisant les écoles, les organisations populaires et les cadres.

   Ce qu’on fait aujourd’hui dans les régions du Kuomintang n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan ; on le fait, d’ailleurs, d’une manière qui n’est pas du goût des masses populaires et dans un esprit qui leur est étranger.

   Il faut changer radicalement tout cela. Enfin, une seule campagne de mobilisation ne suffit pas.

   La mobilisation politique dans la Guerre de Résistance doit se poursuivre constamment.

   Il ne s’agit pas de réciter mécaniquement au peuple notre programme politique, car personne n’écoutera ; il faut lier la mobilisation politique au développement même de la guerre, à la vie des soldats et des simples gens ; il faut en faire un travail permanent.

   C’est une tâche d’une immense importance dont dépend en tout premier lieu la victoire.

Les buts de la guerre

68 Nous ne nous occuperons pas ici des buts politiques de la guerre ; les buts politiques de la Guerre de Résistance sont « l’expulsion des impérialistes japonais et l’édification d’une Chine nouvelle où règnent la liberté et l’égalité », nous en avons déjà parlé plus haut.

   Nous aborderons ici les buts fondamentaux de la guerre, de la guerre en tant que politique avec effusion de sang, en tant que destruction mutuelle de deux armées opposées.

   La guerre n’a d’autre but que « de conserver ses forces et d’anéantir celles de l’ennemi » (anéantir les forces de l’ennemi, c’est les désarmer, « les priver de toute capacité de résistance », et non pas les anéantir toutes physiquement).

   Dans l’antiquité, on se servait, pour faire la guerre, de lances et de boucliers : la lance servait à attaquer et à anéantir l’ennemi, le bouclier à se défendre et à se conserver soi-même.

   Jusqu’à nos jours, c’est du développement de ces deux types d’armes que résultent toutes les autres.

   Les bombardiers, les mitrailleuses, l’artillerie à longue portée, les gaz toxiques sont des développements de la lance, et les abris, les casques d’acier, les fortifications bétonnées, les masques à gaz, des développements du bouclier.

   Les chars d’assaut sont une nouvelle arme, où se trouvent combinés la lance et le bouclier.

   L’attaque est le moyen principal pour anéantir les forces de l’ennemi, mais l’on ne saurait se passer de la défense.

   L’attaque vise à anéantir directement les forces de l’ennemi, et en même temps à conserver ses propres forces, car si l’on n’anéantit pas l’ennemi, c’est lui qui vous anéantira.

   La défense sert directement à la conservation des forces, mais elle est en même temps un moyen auxiliaire de l’attaque ou un moyen de préparer le passage à l’attaque.

   La retraite se rapporte à la défense, elle en est le prolongement, tandis que la poursuite est la continuation de l’attaque.

   Il est à noter que, parmi les buts de la guerre, l’anéantissement des forces de l’ennemi est le but principal, et la conservation de ses propres forces le but secondaire, car on ne peut assurer efficacement la conservation de ses forces qu’en anéantissant massivement les forces de l’ennemi.

   Il en résulte que l’attaque, en tant que moyen fondamental pour anéantir les forces de l’ennemi, joue le rôle principal et que la défense, en tant que moyen auxiliaire pour anéantir les forces de l’ennemi et en tant que l’un des moyens pour conserver ses propres forces, joue le rôle secondaire.

   Bien qu’en pratique on recoure dans beaucoup de situations surtout à la défense et, dans les autres, surtout à l’attaque, celle-­ci n’en reste pas moins le moyen principal, si l’on considère le déroulement de la guerre dans son ensemble.

69 Comment expliquer l’exhortation au sacrifice héroïque dans la guerre ? N’est­-ce pas en contradiction avec l’exigence de la « conservation de ses forces » ?

   Non, cela n’est pas en contradiction. Ce sont des contraires qui cependant se conditionnent l’un l’autre.

   La guerre est une politique sanglante, pour laquelle il faut payer, et souvent très cher. Sacrifier (ne pas conserver) partiellement et temporairement ses forces vise à conserver l’ensemble des forces pour toujours.

   C’est justement pour cela que nous avons dit que l’attaque, qui est essentiellement un moyen destiné à anéantir les forces de l’ennemi, permet en même temps de conserver nos propres forces. C’est également pour cette raison que la défense doit être accompagnée de l’attaque et ne doit pas être une défense pure et simple.

70 La conservation de ses propres forces et l’anéantissement des forces de l’ennemi en tant que buts de la guerre constituent l’essence même de la guerre et le fondement de tout acte de guerre.

   Cette essence de la guerre en pénètre toutes les activités, depuis les procédés techniques jusqu’à la stratégie.

   Les buts de la guerre que nous venons d’indiquer représentent le principe fondamental de la guerre ; tout concept ou principe d’ordre technique, tactique, opérationnel ou stratégique en est absolument inséparable.

   Que signifie, par exemple, dans le tir, « se couvrir soi­-même et exploiter sa puissance de feu » ?

   Le premier point est nécessaire pour conserver ses forces et le second pour anéantir l’ennemi.

   Le premier point a donné naissance à des méthodes telles que la mise à profit du relief et des autres accidents du terrain, l’avance par bonds, la disposition des troupes en ordre dispersé, et le second à d’autres méthodes comme le déblayage du champ de tir, l’organisation du système de feu.

   Quant aux forces de choc, aux forces de fixation et aux réserves employées en tactique, les premières sont destinées à l’anéantissement des forces de l’ennemi, les deuxièmes à la conservation de ses propres forces, les troisièmes, suivant la situation, à l’un ou à l’autre, soit à l’anéantissement de l’ennemi (elles appuient alors les forces de choc ou servent à poursuivre l’ennemi), soit à la conservation de ses propres forces (elles soutiennent alors les forces de fixation ou servent de forces de couverture).

   Ainsi, aucun principe, aucune action d’ordre technique, tactique, opérationnel ou stratégique ne peut en quoi que ce soit s’écarter des buts de la guerre, et ceux­-ci régissent la guerre dans son ensemble et en orientent le cours du début à la fin.

71 Dans la conduite de la Guerre de Résistance, il faut que les commandants à tous les échelons ne perdent de vue ni les caractéristiques fondamentales, réciproquement contraires de la Chine et du Japon ni les buts de la guerre.

   Ces caractéristiques fondamentales, réciproquement contraires, des deux pays se manifestent dans la lutte de chaque partie pour la conservation de ses propres forces et l’anéantissement des forces adverses.

   Le problème consiste, pour nous, à faire, dans chaque combat, tous nos efforts pour remporter une victoire, qu’elle soit grande ou petite, pour désarmer une partie des troupes de l’ennemi et pour détruire une partie de ses forces humaines et matérielles.

   L’accumulation de ces succès partiels dans l’anéantissement de l’ennemi nous vaudra de grandes victoires stratégiques qui nous permettront d’atteindre nos buts politiques : l’expulsion définitive de l’ennemi hors du pays, la défense de la patrie et l’édification d’une Chine nouvelle.

Les opérations offensives dans une guerre défensive, les opérations de décision rapide dans une guerre de longue durée et les opérations à l’extérieur des lignes dans la guerre à l’intérieur des lignes

72 Passons maintenant à l’étude de la stratégie concrète de la Guerre de Résistance.

   Nous avons déjà dit que notre stratégie dans la Guerre de Résistance est celle d’une guerre prolongée et cela est absolument exact.

   Mais c’est là une façon générale de définir cette stratégie et non une façon concrète.

   Nous allons donc examiner cette question : Comment faut­-il conduire d’une façon concrète la guerre prolongée ?

   Voici notre réponse : à la première et à la deuxième étape, quand l’ennemi pratique l’offensive, puis passe à la consolidation des territoires occupés, nous devons mener des campagnes et des combats offensifs dans la défense stratégique, des campagnes et des combats de décision rapide tout en poursuivant en stratégie une guerre de longue durée, des campagnes et des combats à l’extérieur des lignes tout en nous trouvant sur le plan stratégique à l’intérieur des lignes.

   Dans la troisième étape, nous passerons à la contre­-offensive stratégique.

73 Etant donné que le Japon est un puissant Etat impérialiste et que nous sommes un pays faible, semi-­colonial et semi­-féodal, le Japon poursuit une offensive stratégique et nous­-mêmes nous nous trouvons sur la défensive stratégique.

   Le Japon cherche à appliquer la stratégie de la guerre de décision rapide et nous, nous devons adopter consciemment la stratégie d’une guerre prolongée.

   Le Japon se sert d’une armée terrestre de plusieurs dizaines de divisions (actuellement, elle s’élève déjà à trente divisions) d’une capacité de combat relativement forte, ainsi que d’une partie de sa flotte de guerre pour encercler la Chine et en faire le blocus sur terre et sur mer, et il utilise son aviation militaire pour la bombarder.

   Actuellement, son armée terrestre s’est déjà installée sur un large front, de Paoteou à Hangtcheou, sa flotte atteint les côtes des provinces du Foukien et du Kouangtong ; ainsi ses opérations à l’extérieur des lignes ont pris une grande ampleur.

   Quant à nous, nous faisons la guerre à l’intérieur des lignes.

   Tout cela résulte du fait que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles. Tel est l’un des aspects de la situation.

74 Mais, d’un autre côté, nous voyons un tableau tout à fait contraire. Bien que le Japon soit fort, il manque de troupes, et bien que la Chine soit faible, elle dispose d’un immense territoire, d’une forte population et d’une armée nombreuse.

   Deux conséquences importantes en découlent : premièrement, comme l’ennemi, avec une armée peu nombreuse, est entré dans un grand pays, il ne pourra y occuper qu’une partie des grandes villes, des principales voies de communication et certaines régions de plaine.

   Ainsi, il subsistera dans les régions prises par l’ennemi de vastes territoires que celui­ci ne sera pas en état d’occuper, ce qui nous procurera un vaste champ d’action pour les opérations de partisans.

   Si nous considérons la Chine dans son ensemble, à supposer même que l’ennemi parvienne à occuper la ligne Canton­, Wouhan et ­Lantcheou et les régions attenantes, il lui sera très difficile de s’emparer des régions au-delà de cette ligne, ce qui donnera à la Chine un arrière général et des bases d’importance vitale pour poursuivre une guerre prolongée et remporter finalement la victoire.

   Deuxièmement, comme l’ennemi oppose des forces peu nombreuses à une armée importante, il se trouvera nécessairement encerclé.

   Stratégiquement, comme il nous attaque de plusieurs directions, l’ennemi se trouve à l’extérieur des lignes tandis que nous sommes à l’intérieur, il fait une guerre offensive alors que nous sommes sur la défensive ; tout cela peut sembler fort désavantageux pour nous.

   En réalité, nous avons la possibilité de mettre à profit nos deux avantages : l’étendue de notre territoire et l’importance numérique de notre armée, et, au lieu de poursuivre obstinément une guerre de position, nous pouvons appliquer avec souplesse les méthodes de la guerre de mouvement, en opposant à une seule division de l’ennemi plusieurs de nos divisions, à une dizaine de milliers de ses combattants plusieurs dizaines de milliers des nôtres, en fondant de plusieurs directions sur une seule colonne de l’ennemi pour l’encercler soudain et l’attaquer à l’extérieur des lignes.

   De cette manière, l’ennemi, qui, sur le plan stratégique, opère à l’extérieur des lignes et mène l’offensive, en sera réduit, lors des campagnes et des combats, à agir à l’intérieur des lignes et à passer à la défensive.

   En revanche, nos troupes, qui, sur le plan stratégique, opèrent à l’intérieur des lignes et se trouvent sur la défensive, agiront lors des campagnes et des combats à l’extérieur des lignes et attaqueront.

   C’est ainsi qu’il convient d’agir face à l’avance d’une, voire de toute colonne ennemie.

   Les deux conséquences que nous venons d’indiquer découlent de cette particularité que l’ennemi est un petit pays et la Chine un grand pays.

   D’autre part, l’armée ennemie est peu nombreuse, mais forte (par son armement et par sa préparation militaire), et notre armée est nombreuse, mais faible (du point de vue de l’armement et de sa préparation militaire mais non pas de son moral) ; c’est pourquoi, dans les campagnes et les combats, nous ne devons pas seulement nous servir de notre supériorité numérique pour opérer à l’extérieur des lignes en contraignant l’ennemi à se battre à l’intérieur des lignes, mais aussi adopter le principe des opérations de décision rapide.

   Pour aboutir à une décision rapide, il faut attaquer l’ennemi en marche et nous garder en général de frapper ses unités en cantonnement.

   Nous devons rassembler d’avance et secrètement des forces puissantes des deux côtés de la route que doit suivre l’ennemi et nous jeter sur lui inopinément lorsqu’il est en marche, l’encercler et l’attaquer sans lui donner le temps de reprendre ses esprits et terminer le combat rapidement.

   Si le coup porté réussit, nous aurons anéanti soit toutes les forces de l’ennemi, soit la plus grande partie, soit une partie quelconque de ses forces.

   Et même si le combat tourne moins bien, l’ennemi n’en aura pas moins subi de lourdes pertes en blessés et en tués.

   Il doit en être ainsi dans chacun de nos combats.

   Sans avoir de prétentions excessives, si nous arrivons, ne serait-­ce qu’une fois par mois, à remporter une victoire relativement importante, comme celle de Pinghsingkouan ou celle de Taieultchouang, cela affaiblira considérablement le moral de l’ennemi, exaltera celui de notre armée et nous attirera des sympathies dans le monde entier.

   Ainsi, notre stratégie, orientée vers une guerre prolongée, se traduira sur les champs de bataille par des opérations de décision rapide, et l’ennemi, dont la stratégie visait à une décision rapide, se trouvera contraint d’en venir, à la suite d’un grand nombre de défaites dans les campagnes et les combats, à une guerre de longue durée.

75 Le principe opérationnel pour les campagnes et les combats que nous venons de définir peut se résumer dans la formule : « opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes ».

   Il est à l’opposé de notre stratégie : « opérations défensives de longue durée à l’intérieur des lignes », mais il est précisément indispensable à l’application de cette stratégie.

   Si nous menions également, dans les campagnes et les combats, des « opérations défensives de longue durée à l’intérieur des lignes », ainsi qu’on l’a fait par exemple au début de la Guerre de Résistance, cela ne répondrait absolument pas à cette double condition que le pays ennemi est petit et le nôtre grand, et que l’ennemi est fort alors que nous sommes faibles.

   Jamais, en ce cas, nous n’atteindrions notre but stratégique d’une guerre prolongée, et nous serions vaincus.

   Voilà pourquoi nous avons toujours préconisé l’organisation des forces du pays en un certain nombre de puissantes armées de campagne, chacune faisant face à une des armées de campagne de l’ennemi mais avec un effectif deux, trois ou quatre fois plus élevé que celle­-ci, de façon à engager l’ennemi, sur de vastes théâtres de guerre, dans des opérations conformes au principe exposé ci­-dessus.

   Ce principe peut et doit être adopté non seulement pour les opérations de l’armée régulière, mais aussi pour la guerre de partisans.

   Il est valable non seulement pour une certaine étape de la guerre, mais pour toute la durée de la guerre.

   A l’étape de la contre­-offensive stratégique, lorsque notre équipement technique se sera amélioré et que nous ne serons plus du tout dans la situation du faible s’opposant au fort, si nous continuons à réaliser, avec des forces supérieures en nombre, des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, nous aurons encore plus largement la possibilité de capturer en grande quantité prisonniers et matériel. Supposons par exemple que nous opposions à une division motorisée de l’ennemi deux, trois ou quatre de nos divisions motorisées, nous serions encore plus sûrs d’anéantir cette division.

   Plusieurs solides gaillards ont facilement raison d’un seul. C’est une vérité élémentaire.

76 Si nous menons résolument des « opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes » sur les champs de bataille, nous modifierons en notre faveur le rapport des forces, non seulement sur ces champs de bataille, mais progressivement dans l’ensemble de la guerre.

   Sur les champs de bataille, il faut que nous attaquions et que l’ennemi se défende, que nous opérions avec des forces supérieures à l’extérieur des lignes et que l’ennemi, inférieur en nombre, combatte à l’intérieur des lignes, que nous recherchions une décision rapide et que l’ennemi ne soit pas en mesure de faire durer les combats pour attendre l’arrivée des renforts ; alors, de fort qu’il était, l’ennemi deviendra faible et perdra sa supériorité, tandis que nous-­mêmes, de faibles que nous étions, deviendrons forts et conquerrons la supériorité.

   Après de nombreux combats à l’issue victorieuse, notre situation générale par rapport à l’ennemi se modifiera.

   Cela signifie qu’en remportant un grand nombre de victoires sur les champs de bataille lors d’opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, nous accroîtrons nos forces peu à peu et peu à peu nous affaiblirons l’ennemi, ce qui ne manquera pas d’agir sur le rapport général des forces et d’y provoquer des changements.

   Quand nous en serons là, ces changements nous assureront, avec d’autres facteurs de notre propre situation, avec les modifications dans la situation intérieure de l’ennemi et avec une situation internationale favorable, la possibilité d’arriver à l’équilibre des forces, puis à la supériorité sur l’ennemi.

   C’est alors que sonnera l’heure de notre contre-­offensive et de l’expulsion de l’ennemi hors de notre pays.

77 La guerre, c’est une compétition de forces, mais au cours de la guerre, ces forces elles-­mêmes se modifient par rapport à ce qu’elles étaient au début.

   Les efforts subjectifs pour remporter le plus grand nombre possible de victoires et commettre le moins possible d’erreurs constituent ici le facteur décisif.

   Les conditions objectives donnent la possibilité de telles modifications, mais pour que cette possibilité passe dans la réalité, il faut une ligne juste et des efforts subjectifs. C’est, dans ce cas, le facteur subjectif qui joue le rôle décisif.

L’initiative, la souplesse et le plan d’action

78 Dans les opérations offensives de décision rapide menées à l’extérieur des lignes au cours des campagnes et des combats, telles qu’elles ont été définies plus haut, le point crucial est l’offensive.

   « A l’extérieur des lignes » désigne la sphère de l’offensive, et « décision rapide » la durée de l’offensive.

   D’où l’expression « opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes ».

   C’est le meilleur principe pour la conduite d’une guerre prolongée et c’est aussi le principe de ce qu’on appelle la guerre de mouvement.

   Toutefois, on ne saurait appliquer ce principe sans faire preuve d’initiative et de souplesse et sans avoir un plan. Examinons donc maintenant ces trois questions.

79 Nous avons déjà parlé plus haut de l’activité consciente. Pourquoi envisageons-­nous maintenant la question de l’initiative ?

   Comme on l’a dit plus haut, il faut entendre par activité consciente les actes et les efforts conscients en tant qu’ils sont le propre de l’homme, et tels qu’ils se manifestent avec une force toute particulière dans la guerre.

   En ce qui concerne l’initiative, dont il s’agit maintenant, elle signifie la liberté d’action des troupes, par opposition à la privation de cette liberté imposée par la situation.

   La liberté d’action est une nécessité vitale pour l’armée. Une armée qui l’a perdue est tout près de la défaite ou de la destruction. Un soldat est désarmé pour avoir perdu sa liberté d’action et avoir été réduit à la passivité.

   La défaite d’une armée a la même cause.

   C’est pour cela que les deux parties belligérantes luttent énergiquement pour l’initiative et repoussent la passivité de toute leur force.

   On peut dire que les opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, que nous préconisons, ainsi que la souplesse et le plan d’action nécessaires à leur réalisation visent à conquérir l’initiative et à réduire l’ennemi à la passivité, pour conserver nos forces et détruire celles de l’ennemi.

   Mais l’initiative et la passivité sont respectivement inséparables de la supériorité ou de l’infériorité des forces, et, par conséquent, inséparables d’une direction subjective juste ou erronée.

   En outre, il est possible d’acquérir l’initiative et de réduire l’ennemi à la passivité en profitant de son erreur de jugement et en usant de surprise. Nous allons examiner ces questions.

80 L’initiative est inséparable de la supériorité des forces, alors que la passivité est conditionnée par l’infériorité des forces.

   Cette supériorité et cette infériorité constituent respectivement la base objective de l’initiative et de la passivité.

   Il est évident que, sur le plan stratégique, on peut plus facilement obtenir et développer l’initiative au moyen d’opérations offensives, mais que l’on ne peut arriver à détenir l’initiative durant toute la guerre et sur tous les fronts, c’est­-à-­dire l’initiative absolue, que si l’on dispose de la supériorité absolue des forces contre un adversaire dont l’infériorité est absolue. Dans un corps à corps, un homme fort et robuste aura l’initiative absolue sur un grand malade.

   Si le Japon n’était pas aux prises avec tant de contradictions insurmontables, s’il pouvait, par exemple, mettre sur pied d’un seul coup une immense armée de quelques millions d’hommes, voire d’une dizaine de millions d’hommes, si ses ressources financières étaient plusieurs fois ce qu’elles sont actuellement, s’il ne se heurtait pas aux sentiments hostiles des masses populaires de son pays et des Etats étrangers, et si enfin il n’avait pas appliqué une politique barbare qui a incité le peuple chinois à entre­prendre une lutte à mort, il pourrait s’assurer la supériorité absolue des forces et disposer de l’initiative absolue pour toute la durée de la guerre et sur tous les fronts.

   Mais l’histoire montre que cette supériorité absolue des forces ne s’observe qu’à la fin d’une guerre ou d’une campagne, tandis qu’on ne la rencontre que très rarement au début.

   Par exemple, pendant la Première guerre mondiale, à la veille de la capitulation de l’Allemagne, les pays de l’Entente avaient acquis la supériorité absolue, alors que l’Allemagne était réduite à l’infériorité absolue; en conséquence, l’Allemagne fut vaincue et les pays de l’Entente remportèrent la victoire.

   C’est là un exemple de supériorité et d’infériorité absolues des forces à la fin d’une guerre.

   Un autre exemple : à la veille de notre victoire à Taieultchouang, les troupes japonaises, qui s’y trouvaient alors isolées, furent réduites, après de durs combats, à l’infériorité absolue des forces, tandis que nos troupes acquirent la supériorité absolue, en raison de quoi l’ennemi subit une défaite et nous remportâmes la victoire.

   C’est là un exemple de supériorité et d’infériorité absolues des forces à la fin d’une campagne.

   Il arrive également qu’une guerre ou une campagne s’achève dans une situation de supériorité et d’infériorité relatives ou d’équilibre.

   Dans ce cas, la guerre conduit à un compromis, et la campagne à la stabilisation du front. Mais dans la plupart des cas, c’est la supériorité et l’infériorité absolues qui décident de la victoire et de la défaite.

   Tout cela se rapporte à la période finale d’une guerre ou d’une campagne et non à leur début.

   On peut dire d’avance que, à la fin de la guerre sino-­japonaise, le Japon sera vaincu par suite de l’infériorité absolue de ses forces et que la Chine vaincra grâce à la supériorité absolue des siennes.

   Mais, en ce moment, la supériorité ou l’infériorité des forces de l’une ou de l’autre partie n’est pas absolue, elle est relative.

   Les avantages d’une puissante armée, d’une puissante économie et d’un puissant appareil d’Etat ont assuré au Japon la supériorité sur la Chine, qui a une armée faible, une économie faible, un appareil d’Etat faible, et ont créé la base de l’initiative dont il dispose.

   Mais comme le potentiel militaire et autre du Japon est quantitativement insuffisant et que plusieurs autres facteurs lui sont défavorables, sa supériorité s’est trouvée réduite par ses propres contradictions.

   Elle l’a été plus encore, quand le Japon s’est heurté en Chine à des facteurs tels que l’étendue de notre territoire, l’immensité de notre population, l’importance numérique de notre armée et la résistance acharnée de toute la nation.

   Ainsi, la supériorité du Japon a pris, dans l’ensemble, un caractère relatif, et son aptitude à prendre et à conserver l’initiative, qui ne peut plus s’exercer que dans certaines limites, est donc devenue, elle aussi, relative.

   En ce qui concerne la Chine, il est vrai que, dans une certaine mesure, elle se trouve dans une position passive au point de vue stratégique, en raison de l’infériorité de ses forces, mais elle est supérieure au Japon par l’étendue de son territoire, le chiffre de sa population et l’effectif de ses troupes, ainsi que par le patriotisme de son peuple et le moral de son armée. Jointes aux autres facteurs favorables, ces circonstances réduisent l’importance de l’infériorité militaire, économique, etc. de la Chine et en font, sur le plan stratégique, une infériorité relative.

   Cela aussi diminue le degré de passivité de la Chine et donne à sa position stratégique le caractère d’une passivité purement relative. Cependant, comme toute passivité est nuisible, il faut que nous fassions les plus grands efforts pour en sortir.

   Au point de vue militaire, le moyen d’y réussir, c’est de mener résolument des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, de développer la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi et d’arriver ainsi à nous assurer une supériorité locale écrasante et l’initiative au cours de nombreuses campagnes dans la guerre de mouvement et la guerre de partisans.

   C’est en acquérant ainsi, dans un grand nombre de campagnes, la supériorité et l’initiative locales que nous obtiendrons peu à peu la supériorité et l’initiative sur le plan stratégique, et pourrons nous dégager de notre infériorité et de notre passivité stratégiques.

   Telle est la relation entre l’initiative et la passivité, entre la supériorité et l’infériorité des forces.

81 Nous pouvons alors comprendre aussi quel est le rapport entre l’initiative ou la passivité et la direction subjective de la guerre.

   Comme nous l’avons déjà dit, nous pouvons sortir de notre infériorité et de notre passivité stratégiques relatives en nous assurant, dans un grand nombre de campagnes, la supériorité et l’initiative locales, de façon à arracher à l’ennemi la supériorité et l’initiative sur le plan local et à le condamner à l’infériorité et à la passivité.

   L’ensemble de ces succès locaux nous permettront d’acquérir la supériorité et l’initiative stratégiques, et l’ennemi se trouvera réduit à l’infériorité et à la passivité stratégiques.

   La possibilité d’un tel tournant dépend d’une direction subjective juste.

   Pourquoi ?

   Parce que l’ennemi, comme nous­-mêmes, s’efforce de conquérir la supériorité et l’initiative.

   En ce sens, la guerre est une compétition portant sur la capacité subjective du commandement de chacune des deux armées en présence à créer la supériorité des forces et à acquérir l’initiative, à partir de conditions matérielles données telles que les forces militaires et les ressources financières.

   De cette compétition l’une des parties sort victorieuse, et l’autre vaincue. Si l’on fait abstraction des conditions matérielles objectives, le vainqueur devra nécessairement son succès à une direction subjective juste, et le vaincu sa défaite à une direction subjective erronée.

   Nous reconnaissons qu’il est beaucoup plus difficile de s’orienter dans la guerre que dans n’importe quel autre phénomène social, qu’elle comporte moins de certitude, c’est­-à­-dire qu’elle est encore plus une question de « probabilité ».

   Cependant, elle n’a rien de surnaturel, elle n’est qu’un événement de la vie soumis à des lois définies.

   Voilà pourquoi la règle de Souentse : « Connais ton adversaire et connais-toi toi­-même, et tu pourras sans risque livrer cent batailles » reste une vérité scientifique.

[Souentse (Souen Wou), ou encore Zun Tzu, célèbre stratège et théoricien militaire chinois du Ve siècle av. J.­C., auteur du traité Souentse en 13 chapitres. Cette citation est extraite du « Plan de l’attaque », Souentse, chapitre III.]

   Les erreurs viennent de ce que l’on ne connaît pas l’ennemi et qu’on ne se connaît pas soi­-même ; d’ailleurs, en bien des cas, le caractère spécifique de la guerre ne nous permet pas de connaître parfaitement et l’ennemi et nous­-mêmes, d’où l’incertitude dans l’appréciation de la situation militaire et dans les actions militaires, d’où les erreurs et les défaites.

   Mais, quelles que soient dans une guerre la situation et les actions militaires, il est toujours possible d’en connaître les aspects généraux, les traits fondamentaux.

   Grâce aux reconnaissances, puis à des déductions et jugements sagaces, le commandant peut parfaitement réduire le nombre des erreurs et exercer une direction généralement bonne.

   Munis de cette arme d’une « direction généralement bonne », nous pourrons remporter un plus grand nombre de victoires, transformer notre infériorité en supériorité et notre passivité en initiative.

   Tel est le rapport entre l’initiative ou la passivité et une bonne ou une mauvaise direction de la guerre.

82 Cette affirmation qu’une bonne direction peut transformer l’état d’infériorité et la passivité en un état de supériorité et en initiative autant qu’une mauvaise direction peut aboutir à un changement contraire devient encore plus évidente si l’on considère dans l’histoire les exemples de défaites subies par des armées puissantes à l’effectif nombreux et de victoires remportées par des armées faibles à l’effectif peu nombreux.

   Ces exemples sont multiples dans l’histoire de la Chine et d’autres pays.

   On peut citer dans l’histoire de la Chine : la bataille de Tchengpou entre les Tsin et les Tchou.

[Tchengpou est situé dans le sud­ouest de l’actuel district de Kiuantcheng, province du Chantong. En 632 av. J.­C., il s’y déroula une grande bataille entre les troupes des principautés de Tsin et de Tchou.

Au début de la guerre, l’armée de Tchou avait le dessus. L’armée de Tsin recula de 90 lis et, prenant pour cible les flancs droit et gauche, points faibles de l’armée de Tchou, elle lui porta des coups puissants; l’armée de Tchou subit alors une lourde défaite.]

Au début de la guerre, l’armée de Tchou avait le dessus. L’armée de Tsin recula de 90 lis et, prenant pour cible les flancs droit et gauche, points faibles de l’armée de Tchou, elle lui porta des coups puissants ; l’armée de Tchou subit alors une lourde défaite., la bataille de Tchengkao entre les Tchou et les Han, la bataille au cours de laquelle Han Sin vainquit les Tchao, la bataille de Kouenyang entre les Sin et les Han, la bataille de Kouantou opposant Yuan Chao et Tsao Tsao, la bataille de Tchepi entre les Wou et les Wei, la bataille de Yiling entre les Wou et les Chou, la bataille de Feichouei entre les Ts’in et les Tsin.

[En l’an 204 av. J.­C., les troupes des Han, sous le commandement de Han Sin, livrèrent bataille à l’armée de Tchao Hsié à Tsingking. L’armée de Tchao Hsié, qui comptait, dit­on, 200.000 hommes, l’emportait de plusieurs fois en nombre sur les troupes des Han. Han Sin disposa ses troupes devant un cours d’eau; coupées de leur retraite, elles combattirent avec acharnement. En même temps, Han Sin envoya une partie de ses troupes porter un coup par surprise à l’arrière, mal protégé, de l’armée de Tchao Hsié. Prise ainsi comme dans une tenaille, l’armée de Tchao Hsié subit une lourde défaite.]

Dans l’histoire des autres pays, on peut prendre comme exemples la plupart des batailles de Napoléon et la guerre civile en U.R.S.S. après la Révolution d’Octobre.

   Dans tous ces cas, il y a eu victoire d’une petite armée sur une grande, de forces inférieures sur des forces supérieures.

   Chaque fois, l’armée la plus petite, la plus faible savait opposer des forces supérieures à des forces inférieures de l’ennemi en un point donné et y conquérir l’initiative ; après avoir remporté ainsi une première victoire, elle se tournait vers son objectif suivant, écrasait les unes après les autres les forces de l’ennemi et transformait ainsi la situation générale en arrachant partout la supériorité et l’initiative.

   Le cas de l’ennemi était inverse : il détenait au début la supériorité des forces et l’initiative, mais par suite des erreurs subjectives commises par sa direction et de ses contradictions internes, il pouvait perdre entièrement une position excellente ou une position relativement bonne dans laquelle il avait la supériorité et l’initiative, et devenir en quelque sorte un général sans armée, un roi sans couronne.

   Il en résulte que, si la supériorité ou l’infériorité dans la guerre est la base objective dont dépend l’initiative ou la passivité, cette supériorité ou cette infériorité ne constitue pas en elle­-même l’initiative ou la passivité dans la réalité ; l’initiative ou la passivité ne devient effective que par la lutte, par la confrontation des capacités subjectives.

   Au cours de la lutte, l’infériorité peut se transformer en supériorité, la passivité en initiative et vice versa, selon que la guerre est bien ou mal dirigée.

   Le fait qu’aucune dynastie régnante n’a jamais pu venir à bout des armées révolutionnaires montre que la supériorité des forces à elle seule ne suffit pas à assurer l’initiative, ni, à plus forte raison, ne garantit la victoire finale.

   Ceux qui sont en état d’infériorité et se trouvent dans la passivité peuvent arracher l’initiative et la victoire à ceux qui détiennent la supériorité des forces et l’initiative, si, s’appuyant sur la situation réelle, ils déploient une grande activité subjective pour créer certaines conditions indispensables.

83. On peut perdre la supériorité des forces et l’initiative quand on se trouve désorienté par l’adversaire et qu’on est pris au dépourvu.

   C’est pourquoi, chercher systématiquement à désorienter l’ennemi et à le prendre au dépourvu est un moyen, très important du reste, pour obtenir la supériorité sur lui et lui arracher l’initiative.

   Que signifie être désorienté ? « Prendre des buissons et des arbres du mont Pakong pour des soldats ».

En l’an 383, Fou Kien, chef de Ts’in, ayant sous­estimé la force des armées des Tsin, les attaqua. L’armée des Tsin défit l’avant­garde de Ts’in au Louokien, dans le district de Cheouyang, province de l’Anhouei, et poursuivit ensuite son offensive par terre et par eau. Fou Kien monta sur la citadelle de Cheouyang et porta ses regards en direction de l’ennemi.

Il vit que l’armée des Tsin s’était disposée entièrement en ordre de bataille. Puis, lorsqu’il regarda en direction du mont Pakong, les arbres et les buissons lui semblèrent être des soldats. Croyant qu’il avait devant lui un puissant ennemi, il fut saisi de peur.

   Et « faire des démonstrations d’un côté pour attaquer de l’autre » est un des moyens de désorienter l’ennemi.

   Lorsque nous bénéficions du soutien des masses au point que les informations ne peuvent filtrer dans le camp de l’ennemi, nous réussissons souvent, en utilisant diverses méthodes pour tromper l’ennemi, à le placer dans des situations difficiles où il est amené à porter des jugements faux, à entreprendre des actions erronées, qui lui font perdre et la supériorité et l’initiative.

   C’est de cela justement qu’il s’agit quand on dit : « La guerre ne répugne à aucune ruse ».

   Que signifie être pris au dépourvu ?

   C’est se trouver sans préparation. Sans préparation, la supériorité des forces n’est pas une véritable supériorité et on ne peut pas non plus avoir l’initiative.

   Si l’on comprend cette vérité, des troupes, inférieures en force mais prêtes, peuvent souvent, par une attaque inopinée, battre un ennemi supérieur.

   Nous disons qu’il est plus facile de porter des coups à un ennemi en marche, parce qu’il se trouve pris au dépourvu, c’est­-à-­dire non préparé.

   Le principe de ces deux procédés : désorienter l’ennemi et l’attaquer par surprise est de contraindre l’ennemi à agir dans des conditions pour lui mal définies et de nous assurer le plus possible de certitude, ce qui nous permet d’acquérir la supériorité des forces et l’initiative, et de remporter la victoire.

   Une bonne organisation des masses est la condition première de tout cela.

   Il est donc extrêmement important pour nous de soulever tous les simples gens, qui sont contre l’ennemi, de les armer tous, sans exception, afin qu’ils puissent effectuer partout des raids contre l’ennemi et, en même temps, empêcher la fuite des informations dans le camp de l’ennemi et couvrir notre armée ; ainsi, l’ennemi ne pourra savoir où et quand nos forces s’apprêteront à lui porter des coups, et une base objective sera créée pour désorienter l’ennemi et pour le prendre au dépourvu.

   Autrefois, au temps de la Guerre révolutionnaire agraire, c’est dans une grande mesure grâce au soutien des masses populaires armées et organisées que l’Armée rouge chinoise a réussi à remporter bien des victoires avec de faibles effectifs.

   Logiquement, nous devrions pouvoir compter sur un soutien encore plus large des masses populaires dans la guerre nationale que dans la Guerre révolutionnaire agraire, mais, par suite d’erreurs commises dans le passé, les masses populaires ne sont pas organisées et nous ne pouvons, sans un travail préparatoire, les entraîner à nous aider ; souvent même, c’est l’ennemi qui se sert d’elles.

   Seule une mobilisation large et résolue des masses populaires nous donnera des ressources inépuisables pour répondre à tous les besoins de la guerre.

   Et cette mobilisation jouera certainement un grand rôle dans l’application de notre tactique visant à vaincre l’ennemi en le désorientant et en le prenant au dépourvu.

   Nous ne sommes pas comme le duc Siang de Song, nous n’avons nul besoin de son éthique stupide.

[Le duc Siang régnait sur la principauté de Song à l’époque de Tchouentsieou au VIIe siècle avant notre ère. En 638 av. J.­C., la principauté de Song faisait la guerre à la puissante principauté de Tchou.

Les troupes de Song étaient déjà disposées en ordre de bataille, alors que l’armée de Tchou en était encore à traverser le fleuve qui séparait les deux ennemis. Un des dignitaires de Song, sachant que les troupes de Tchou étaient de beaucoup supérieures en nombre, proposa de profiter du moment propice et de les attaquer avant qu’elles aient terminé leur traversée.

Mais le duc Siang répondit: « Non, un homme bien né n’attaque pas un adversaire en difficulté. » Lorsque les troupes de Tchou eurent traversé la rivière, et alors qu’elles ne s’étaient pas encore disposées en ordre de bataille, le dignitaire de Song lui proposa à nouveau d’attaquer l’armée de Tchou. Le duc Siang répondit « Non, un homme bien né n’attaque pas une armée avant qu’elle soit en ordre de bataille. »

C’est seulement lorsque les troupes de Tchou furent parfaitement préparées au combat que le duc donna l’ordre d’attaquer. Le résultat fut une lourde défaite pour la principauté de Song et le duc Siang lui­même fut blessé.]

   Il nous faut boucher de la manière la plus complète les yeux et les oreilles de l’ennemi, pour qu’il devienne aveugle et sourd.

   Il nous faut, autant que possible, créer la confusion dans l’esprit de ses chefs, de façon qu’ils perdent complètement la tête, et en profiter pour remporter la victoire.

   Tel est aussi le rapport entre l’existence ou l’absence d’initiative et la direction subjective de la guerre.

   Nous ne saurions vaincre le Japon sans cette direction subjective.

84. Si en général le Japon détient l’initiative à l’étape de son offensive, c’est grâce à sa puissance militaire et à nos erreurs subjectives, passées et présentes, qu’il a su exploiter.

   Mais cette initiative commence à faiblir dans une certaine mesure, à cause des nombreux facteurs défavorables inhérents à la situation de l’ennemi et des erreurs subjectives qu’il a lui aussi commises au cours de la guerre (il en sera question plus loin) et en raison, également, des nombreux facteurs qui nous sont favorables.

   La défaite subie par l’ennemi à Taieul­tchouang et ses difficultés dans la province du Chansi en sont des preuves évidentes.

   Le large développement de la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi réduit à la passivité complète ses garnisons dans les territoires occupés.

   L’ennemi continue actuellement son offensive stratégique et conserve l’initiative, mais il la perdra lorsque son offensive s’arrêtera.

   Le manque de troupes ne lui permettra pas de poursuivre son offensive indéfiniment, et c’est la première raison pour laquelle il ne pourra conserver l’initiative.

   La deuxième raison, c’est que nos opérations offensives au cours des campagnes et la guerre de partisans que nous faisons derrière ses lignes l’obligeront, avec d’autres facteurs, à arrêter son offensive à une certaine limite et ne lui laisseront donc pas la possibilité de conserver l’initiative.

   La troisième raison, c’est l’existence de l’U.R.S.S. et les changements qui se produisent dans la situation internationale.

   Il apparaît ainsi que l’initiative de l’ennemi est limitée et qu’elle peut être réduite à néant.

   Si donc la Chine s’en tient fermement à la méthode des opérations offensives menées par ses forces principales au cours des campagnes et des combats, développe vigoureusement la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi et mobilise largement les masses populaires dans le domaine politique, elle peut s’assurer peu à peu l’initiative stratégique.

85 Venons-­en maintenant à la question de la souplesse.

   Qu’est­-ce que la souplesse ? C’est la réalisation concrète de l’initiative dans les opérations militaires ; c’est la souplesse dans l’emploi des troupes.

   Employer les troupes avec souplesse est la tâche capitale dans la conduite de la guerre et c’est aussi la tâche la plus difficile.

   Si l’on fait abstraction des tâches telles que l’organisation et la formation des troupes, l’organisation et l’éducation de la population, la conduite de la guerre n’est autre chose que l’emploi des troupes dans le combat ; tout cela doit contribuer à rendre le combat victorieux.

   Organiser et instruire les troupes, par exemple, est évidemment difficile, mais il est encore plus difficile de les employer au combat, surtout lorsqu’il s’agit d’affronter un ennemi plus fort que soi.

   Pour venir à bout de cette tâche, il faut une haute capacité subjective, il faut savoir trouver l’ordre, la clarté et la certitude dans la confusion, l’obscurité et l’incertitude propres à la guerre.

   C’est seulement ainsi que se réalise la souplesse dans le commandement.

86 Le principe fondamental des opérations sur les champs de bataille de la Guerre de Résistance consiste à mener des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes.

   Pour appliquer ce principe, il y a diverses tactiques ou méthodes : dispersion et concentration des forces, progression en ordre dispersé et attaque convergente, offensive et défensive, assaut et fixation, encerclement et mouvement tournant, progression et retraite.

   Il est facile de comprendre ces tactiques, mais il n’est pas facile de les appliquer et de les varier avec souplesse.

   Il faut ici tenir compte de trois facteurs­-clés : le temps, le lieu et l’unité combattante ; sans un choix judicieux de ces facteurs, la victoire est impossible.

   Si, par exemple, dans l’attaque contre un ennemi en marche, le coup est porté trop tôt, on risque de se découvrir soi­-même et de lui donner le temps d’y parer ; si, par contre, le coup est porté trop tard, l’ennemi aura le temps d’arrêter sa marche et de se regrouper, et nous nous casserons les dents sur un os.

   Voilà pour le choix du temps.

   Si l’on choisit un point d’assaut, par exemple sur le flanc gauche de l’ennemi, et qu’on tombe justement sur son côté faible, la victoire sera facile ; mais si on a choisi le flanc droit et qu’on se heurte à un mur, on n’arrivera à rien.

   Voilà pour le choix du lieu.

   Enfin, si l’on choisit, pour réaliser telle tâche, telle unité combattante, il sera facile de vaincre, mais si l’on en choisit une autre pour remplir la même tâche, il sera peut­-être difficile de remporter un succès. Voilà pour le choix de l’unité combattante.

   Cependant, il faut savoir non seulement appliquer les diverses tactiques, mais encore les varier.

   C’est une tâche importante pour une direction souple que de savoir par exemple passer de l’offensive à la défensive ou de la défensive à l’offensive, de la progression à la retraite ou de la retraite à la progression, de la fixation à l’assaut ou de l’assaut à la fixation, de l’encerclement au mouvement tournant ou du mouvement tournant à l’encerclement, et d’effectuer ces changements de tactique à bon escient et en temps voulu, conformément à la situation des troupes et à la nature du terrain de notre côté comme du côté de l’ennemi.

   Cela est vrai aussi bien pour la direction dans les combats que pour la direction dans les campagnes ou pour la direction stratégique.

87 Comme le dit le vieil adage, « le secret d’une habile exécution est dans la tête ». C’est ce « secret » que nous appelons la souplesse.

   Elle est le fruit du talent d’un bon commandant. La souplesse, ce n’est pas l’action inconsidérée ; il faut repousser l’action inconsidérée.

   La souplesse, c’est l’aptitude d’un chef habile à prendre en temps utile des décisions justes conformément à la situation objective, ou, en d’autres termes, à « tenir compte du temps et de la situation » (par situation, il faut entendre celle de l’ennemi et de nos troupes, la nature du terrain, etc.).

   C’est en cela que consiste « le secret d’une habile exécution ».

   En nous appuyant là­-dessus, nous pourrons remporter un plus grand nombre de victoires dans des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, passer de l’infériorité à la supériorité, arracher l’initiative à l’ennemi, le mater et le détruire, et la victoire définitive nous appartiendra.

88 Venons-­en maintenant à la question du plan. Par suite de l’incertitude propre à la guerre, il est beaucoup plus difficile d’y appliquer un plan que dans n’importe quelle autre activité.

   Cependant, « en toutes choses, la préparation assure le succès comme l’impréparation entraîne l’échec » ; il ne peut y avoir de victoire dans la guerre sans plan et préparation préalables.

   Il n’existe pas de certitude absolue dans la guerre, mais celle­-ci n’est pas sans comporter un certain degré de certitude relative.

   En effet, nous sommes relativement certains de connaître notre situation.

   Nous avons très peu de certitude de connaître la situation de l’ennemi, mais il existe des signes qui peuvent être décelés, des indices qui peuvent nous guider, des séries de faits qui nous aident à réfléchir.

   Tout cela constitue ce que nous appelons un certain degré de certitude relative, lequel peut servir de base objective à une conduite planifiée de la guerre.

   Le développement de la technique moderne(le télégraphe, la radio, l’avion, l’automobile, le chemin de fer, le bateau à vapeur, etc.) a accru la possibilité de planifier les opérations militaires.

   Toutefois, il est difficile dans la guerre d’élaborer des plans complets ou stables, puisque les certitudes n’y ont qu’un caractère très limité et momentané.

   Les plans se modifient suivant le cours de la guerre(sa mobilité ou son évolution) et l’ampleur de ces modifications dépend de l’échelle des opérations militaires.

   Il faut souvent changer plusieurs fois par jour les plans tactiques, par exemple les plans offensifs ou défensifs des petites formations ou des petites unités.

   On peut prévoir dans l’ensemble un plan de campagne, c’est-­à­-dire un plan d’opérations des grosses formations, pour toute la durée de la campagne, mais au cours même de cette campagne on doit souvent le soumettre à une révision partielle, et parfois à une révision complète. Quant au plan stratégique, il est élaboré à la lumière de la situation générale des deux parties belligérantes, et, par suite, son degré de stabilité est plus grand ; néanmoins, il n’est valable que pour une étape stratégique définie ; il faut le modifier lorsque la guerre aborde une nouvelle étape.

   L’élaboration et la modification des plans tactiques, des plans de campagne et des plans stratégiques, dans le cadre qui les concerne et en rapport avec la situation, constituent un facteur-­clé dans la direction de la guerre.

   C’est ainsi que l’on réalise concrètement la souplesse dans les opérations militaires, que l’on fait jouer le secret d’une habile exécution.

   A tous les échelons, les commandants qui prennent part à la Guerre de Résistance doivent y prêter une attention particulière.

89 Certains allèguent la mobilité de la guerre pour nier catégoriquement la stabilité relative des plans ou directives militaires. Ils affirment que ces plans ou directives sont « mécaniques ».

   C’est une vue erronée.

   Nous reconnaissons pleinement, nous l’avons dit plus haut, que, puisque la guerre ne connaît que des certitudes relatives et qu’elle se développe (se meut ou évolue) avec rapidité, un plan ou une directive militaires ne peuvent avoir qu’un caractère de stabilité relative et qu’il nous faut en élaborer d’autres ou y apporter des modifications en temps opportun, conformément aux changements qui surviennent dans la situation et à l’évolution de la guerre, sous peine de devenir des mécanistes.

   Cependant, on ne peut nier la nécessité d’un plan ou d’une directive militaires relativement fixes pour une période donnée.

   Le nier signifie nier tout, nier la guerre elle­-même et se nier soi­-même. Comme la situation et l’action militaires sont d’une stabilité relative, il convient d’élaborer les plans ou les directives relativement stables qui en résultent.

   Par exemple, la situation sur le front de la Chine du Nord et les opérations menées de façon dispersée par la VIIIe Armée de Route ayant, à une étape donnée, un caractère stable, il devient indispensable de définir, à cette étape, ce principe d’opérations stratégique relativement stable pour la VIIIe Armée de Route : « Faire essentiellement une guerre de partisans, sans se refuser à la guerre de mouvement lorsque les circonstances sont favorables ».

   Une directive pour une campagne a une période de validité plus courte qu’une directive stratégique, et une directive tactique en a une plus courte encore, mais l’une et l’autre de ces directives sont stables pour une période donnée.

   Le nier, c’est en arriver à ne pas savoir comment mener la guerre, c’est devenir un relativiste dans la guerre, sans idées bien arrêtées et ballotté au gré des flots.

   Personne ne conteste qu’une directive, même valable pour une période donnée, ne doive subir certains changements ; sinon, une directive ne pourrait être remplacée par une autre.

   Mais ces changements sont limités, ils ne dépassent pas le cadre des diverses actions militaires entreprises pour exécuter la directive et ne modifient pas son essence ; en d’autres termes, la directive ne subit que des changements quantitatifs et non qualitatifs.

   Dans les limites de la période en question, son essence ne change absolument pas, c’est ce que nous entendons par stabilité relative pour une période donnée.

   Dans le vaste cours général de la guerre, où le changement est absolu, chaque étape présente une stabilité relative ; c’est ainsi que nous concevons l’essence d’un plan ou d’une directive militaires.

90 Après avoir parlé de la guerre défensive de longue durée à l’intérieur des lignes sur le plan stratégique et des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes dans les campagnes et les combats, puis de l’initiative, de la souplesse et du plan d’action, nous pouvons maintenant résumer tout cela en quelques mots.

   La Guerre de Résistance doit être poursuivie selon un plan.

   Les plans de guerre, c’est­-à­-dire l’application concrète de notre stratégie et de notre tactique, doivent être souples, afin de pouvoir s’adapter aux circonstances de la guerre.

   Il faut s’efforcer par tous les moyens de transformer l’infériorité en supériorité, la passivité en initiative, de façon à changer la situation où nous nous trouvons par rapport à l’ennemi.

   Tout cela doit trouver son expression dans des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes au cours des campagnes et des combats, et en même temps, dans une guerre défensive de longue durée à l’intérieur des lignes sur le plan stratégique.

La guerre de mouvement, la guerre de partisans et la guerre de position

91 Notre guerre, qui consiste à mener des campagnes et des combats offensifs de décision rapide à l’extérieur des lignes dans le cadre stratégique d’une guerre défensive de longue durée à l’intérieur des lignes, prend la forme d’une guerre de mouvement.

   C’est une forme de guerre qui comporte des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes dans les campagnes et les combats, réalisées avec des armées régulières opérant le long de fronts étirés et sur de vastes théâtres de guerre.

   « La défense mobile », appliquée en cas de nécessité pour faciliter les opérations offensives, ainsi que l’attaque et la défense positionnelles limitées à un rôle auxiliaire se rattachent aussi à la guerre de mouvement.

   Les traits caractéristiques de la guerre de mouvement sont l’utilisation d’armées régulières, l’emploi de forces supérieures dans les campagnes et les combats, le caractère offensif des opérations et la mobilité.

92 La Chine dispose d’un vaste territoire et d’une armée nombreuse, mais insuffisamment équipée et entraînée.

   L’ennemi manque de troupes, mais il l’emporte sur nous par l’équipement et la préparation de son armée.

   Dans ces conditions, il est hors de doute que nous devons prendre comme forme principale d’opérations militaires les opérations offensives de manœuvre, les autres formes jouant un rôle auxiliaire, de sorte que l’ensemble des opérations constitue une guerre de mouvement.

   A cet égard, il faut lutter contre l’attitude des paniquards de « toujours se retirer sans jamais avancer » et en même temps contre la mentalité du risque­tout de « toujours avancer sans jamais se retirer ».

93 Une des particularités de la guerre de mouvement est sa mobilité, laquelle non seulement admet mais encore exige qu’une armée de campagne avance ou recule à grandes étapes.

   Mais cela n’a rien de commun avec l’attitude de paniquard d’un Han Fou­kiu1.

   La guerre exige essentiellement l’anéantissement des forces ennemies et d’autre part la conservation de nos propres forces.

   La conservation de nos propres forces vise à anéantir les forces de l’ennemi, et l’anéantissement des forces de l’ennemi est le plus efficace des moyens pour conserver nos propres forces.

   C’est pourquoi la guerre de mouvement ne peut en aucune façon servir de prétexte à des gens comme Han Fou­kiu pour se justifier, elle ne signifie nullement fuir vers l’arrière sans jamais revenir en avant, car une telle façon de « manœuvrer » est la négation même du caractère fondamental de la guerre de mouvement, qui est avant tout offensif.

   Avec de telles « manœuvres », on peut perdre tout le territoire chinois, si vaste soit­-il.

94 Mais l’autre point de vue, celui que nous appelons la mentalité du risque­tout et qui admet seulement la marche en avant, jamais la retraite, n’est pas juste non plus.

   Nous sommes pour une guerre de mouvement qui consiste à poursuivre des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes dans les campagnes et les combats ; une telle guerre comprend aussi la guerre de position limitée à un rôle auxiliaire, « la défense mobile » et la retraite sans lesquelles il est impossible de faire une guerre de mouvement dans la pleine acception du terme.

   On peut dire de la mentalité du risque­tout qu’elle est une myopie militaire. L’origine en est, le plus souvent, la crainte de perdre des territoires.

   Ces « risque­tout » ne comprennent pas que l’une des particularités de la guerre de mouvement est sa mobilité, qui admet et exige qu’une armée de campagne avance ou recule à grandes étapes.

   Sur le plan positif, pour placer l’ennemi dans des conditions défavorables et nous mettre nous­-mêmes dans des conditions favorables, il est souvent nécessaire que l’ennemi soit en mouvement et que nous nous assurions toute une série d’avantages, par exemple : un terrain favorable, une situation qui rend l’ennemi vulnérable, une population prête à empêcher les informations de filtrer dans le camp adverse, la fatigue de l’ennemi, sa surprise devant nos coups.

   Ainsi, il faut donc que l’ennemi avance et nous ne devrions pas regretter la perte temporaire d’une partie de notre territoire, puisqu’elle est le prix que nous payons pour conserver définitivement tout notre territoire ou recouvrer les territoires perdus.

   Sur le plan négatif, chaque fois que nous sommes réduits à une position défavorable qui menace sérieusement l’intégrité de nos forces, nous devons avoir le courage de nous replier pour conserver nos forces et porter de nouveaux coups à l’ennemi au moment propice.

   Or, les « risque­tout » ne comprennent pas cette vérité ; se trouvant dans une situation manifestement défavorable, ils continuent à se battre pour chaque ville, pour chaque bout de territoire, il en résulte qu’ils perdent non seulement ville et territoire, mais qu’ils ne parviennent même pas à conserver leurs propres forces.

   Nous avons toujours été partisans d’ »attirer l’adversaire loin dans l’intérieur de notre territoire », justement parce que c’est la politique militaire la plus efficace que puisse adopter une armée faible contre une armée forte au cours de la défense stratégique.

95 De toutes les formes d’opérations militaires dans la Guerre de Résistance, la guerre de mouvement est la forme principale et la guerre de partisans vient ensuite.

   Lorsque nous disons que, dans l’ensemble de la guerre, la guerre de mouvement est la forme principale et la guerre de partisans la forme auxiliaire, nous entendons que le sort de la guerre dépend principalement des opérations régulières, et particulièrement de celles menées sous forme de guerre de mouvement, et que la guerre de partisans ne peut assumer la responsabilité principale dans la détermination de l’issue de la guerre.

   Mais cela ne veut pas dire que la guerre de partisans ne joue pas un rôle stratégique important dans la Guerre de Résistance.

   Dans cette guerre prise dans son ensemble, la guerre de partisans ne le cède en importance stratégique qu’à la guerre de mouvement, car il est impossible de vaincre l’ennemi sans s’appuyer sur les forces des partisans.

   Il en découle que nous avons pour tâche stratégique de transformer la guerre de partisans en guerre de mouvement.

   Au cours d’une guerre longue et acharnée, la guerre de partisans ne restera pas ce qu’elle est, mais s’élèvera jusqu’au niveau de la guerre de mouvement.

   Elle joue ainsi un double rôle stratégique : d’une part, elle aide aux succès des opérations régulières et, d’autre part, elle se transforme elle-même en guerre régulière.

   Si l’on considère l’ampleur et la durée sans précédent de la guerre de partisans dans la Guerre de Résistance en Chine, l’importance qu’il y a à ne pas sous­-estimer son rôle stratégique apparaît encore mieux.

   Il s’ensuit que la guerre de partisans en Chine soulève non seulement des problèmes tactiques, mais aussi des problèmes stratégiques spécifiques.

   J’en ai déjà parlé dans mon article : « Problèmes stratégiques de la guerre de partisans contre le Japon ».

   Comme nous l’avons dit plus haut, la Guerre de Résistance prendra, au cours de ses trois étapes stratégiques, les formes suivantes : Dans la première étape, la forme principale est la guerre de mouvement, les formes auxiliaires la guerre de partisans et la guerre de position.

   A la deuxième étape, la guerre de partisans prendra la première place, tandis que la guerre de mouvement et la guerre de position seront les formes auxiliaires.

   Dans la troisième étape, la guerre de mouvement redeviendra la forme principale, alors que la guerre de position et la guerre de partisans joueront un rôle auxiliaire.

   Mais, dans cette troisième étape, la guerre de mouvement ne sera plus faite seulement par les troupes régulières du début ; elle sera pour une part, et très probablement une part assez importante, assumée par d’anciens détachements de partisans qui auront alors atteint le niveau des troupes régulières.

   L’examen de ces trois étapes montre que, dans la Guerre de Résistance menée par la Chine, la guerre de partisans n’est aucunement une chose dont on puisse se passer. Au contraire, elle est appelée à y jouer un rôle grandiose, encore sans exemple dans l’histoire des guerres de l’humanité.

   C’est pourquoi il est absolument indispensable de prélever, sur notre armée régulière de plusieurs millions d’hommes, au moins quelques centaines de milliers d’hommes et de les répartir sur tous les territoires occupés par l’ennemi, où ils appelleront les masses à s’armer et entreprendront avec elles la guerre de partisans.

   Les troupes qui auront été détachées à cette fin devront assumer cette tâche sacrée en toute conscience ; elles ne doivent pas penser qu’elles verront leur valeur diminuer parce qu’elles auront moins de grandes batailles à livrer et qu’elles ne pourront, pour un temps, faire figure de héros nationaux.

   De telles conceptions sont fausses.

   La guerre de partisans n’apporte pas des succès aussi rapides ni une gloire aussi éclatante que la guerre régulière, mais, comme dit le proverbe, « c’est dans un long voyage qu’on voit la force du coursier, et dans une longue épreuve le cœur de l’homme ».

   Au cours d’une guerre longue et acharnée, la guerre de partisans apparaîtra dans toute sa puissance ; elle n’est certes pas une entreprise ordinaire.

   De plus, en éparpillant ses forces, une armée régulière peut entreprendre une guerre de partisans, et en les rassemblant, une guerre de mouvement ; ainsi opère la VIIIe Armée de Route.

   Le principe adopté par celle­-ci est le suivant : « Faire essentiellement une guerre de partisans, sans se refuser à la guerre de mouvement lorsque les circonstances sont favorables ».

   Ce principe est tout à fait juste, alors que les points de vue opposés sont erronés.

96 Dans l’état actuel de son équipement technique, la Chine ne peut pas, en général, pratiquer une guerre de position, qu’elle soit défensive ou offensive ; c’est là d’ailleurs une des manifestations de notre faiblesse.

   De plus, l’ennemi profitera de l’étendue de notre territoire pour tourner nos ouvrages de défense.

   C’est pourquoi la guerre de position ne peut être considérée chez nous comme un moyen important, encore moins comme le moyen principal de faire la guerre.

   Cependant, au cours des première et deuxième étapes de la guerre, il est possible et nécessaire, dans le cadre d’une guerre de mouvement, de recourir sur le plan local à la guerre de position, en tant que moyen auxiliaire dans les campagnes.

   La « défense mobile », de caractère semi­-positionnel, qui consiste à opposer une résistance échelonnée afin d’épuiser l’ennemi et de gagner du temps, est à plus forte raison une partie indispensable de la guerre de mouvement.

   La Chine doit s’efforcer de doter son armée d’un équipement moderne, de façon à être pleinement en mesure, dans l’étape de la contre­offensive stratégique, d’exécuter ses attaques contre les positions fortifiées de l’ennemi.

   Il n’est pas douteux qu’à l’étape de la contre­offensive stratégique, la guerre de position prendra de l’importance, car l’ennemi passera alors à la défense énergique de ses positions et, à moins de lancer contre elles de puissantes attaques en coordination avec les opérations de la guerre de mouvement, nous ne pourrons recouvrer les territoires perdus.

   Il n’en sera pas moins nécessaire, à la troisième étape, de tendre tous nos efforts pour conserver la guerre de mouvement comme forme principale de la guerre, parce que, dans une guerre de position sous la forme qu’elle a prise en Europe occidentale au cours de la seconde moitié de la Première guerre mondiale, l’art de conduire la guerre et le rôle actif de l’homme perdent en grande partie leur valeur.

   Il est donc tout naturel de « faire sortir la guerre des tranchées », puisqu’elle se déroule sur les vastes territoires de la Chine et que celle-­ci continuera à être faiblement équipée pendant un temps assez long.

   Même dans la troisième étape, il est peu probable que nous puissions dépasser l’ennemi du point de vue de l’équipement technique, malgré les progrès qui auront été réalisés en Chine ; nous serons donc amenés à développer à un haut degré la guerre de mouvement, sans laquelle la victoire finale nous échapperait.

   Ainsi, en Chine, la guerre de position ne sera la forme principale de la Guerre de Résistance à aucune de ses étapes, ce sont la guerre de mouvement et la guerre de partisans qui en seront les formes principales ou des formes importantes.

   L’art de la conduite de la guerre et le rôle actif de l’homme trouveront dans ces formes un vaste champ à leur développement : ce sera un bonheur dans notre malheur.

La guerre d’usure et la guerre d’anéantissement

97 Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’essentiel dans la guerre, les buts qu’elle vise, c’est de conserver nos forces et d’anéantir les forces de l’ennemi.

   Trois formes d’opérations militaires permettent d’atteindre ces buts : la guerre de mouvement, la guerre de position et la guerre de partisans.

   Cependant, ces formes ne donnent pas les mêmes résultats, aussi fait­-on communément la distinction entre guerre d’usure et guerre d’anéantissement.

98 Dès l’abord, nous pouvons dire que la Guerre de Résistance est une guerre d’usure en même temps qu’une guerre d’anéantissement.

   Pourquoi ? Parce que l’ennemi peut encore exploiter sa force et détient encore la supériorité et l’initiative sur le plan stratégique, et que par conséquent il est impossible de détruire rapidement et efficacement sa force, de mettre fin à sa supériorité et de lui arracher l’initiative sans engager contre lui des campagnes et des combats d’anéantissement ; et d’autre part, comme nous demeurons faibles et que nous ne sommes pas encore sortis de notre infériorité et de notre passivité sur le plan stratégique, nous ne saurions non plus nous dispenser de campagnes et de combats d’anéantissement si nous voulons gagner du temps pour nous assurer de meilleures conditions intérieures et internationales et pour modifier la situation défavorable où nous nous trouvons actuellement.

   C’est pourquoi les campagnes d’anéantissement sont un moyen pour user l’ennemi sur le plan stratégique, et, en ce sens, la guerre d’anéantissement est également une guerre d’usure.

   Le principal moyen donnant à la Chine la possibilité de poursuivre une guerre de longue durée est l’usure de l’ennemi par l’anéantissement de ses forces.

99 Cependant, pour user l’ennemi sur le plan stratégique, on peut aussi recourir à des campagnes d’usure.

   D’une façon générale, la guerre de mouvement répond aux tâches de l’anéantissement, la guerre de position est destinée à épuiser l’ennemi, et la guerre de partisans a en même temps pour tâche de l’user et de l’anéantir ; ces trois formes d’opérations sont distinctes les unes des autres.

   En ce sens, les opérations d’anéantissement diffèrent des opérations d’usure. Les campagnes d’usure jouent un rôle auxiliaire, mais sont nécessaires dans la guerre prolongée.

100 Pour atteindre le but stratégique qui est d’épuiser dans une grande mesure les forces de l’ennemi, la Chine, à l’étape de la défensive, doit, aussi bien du point de vue de la théorie que du point de vue de la nécessité pratique, mettre à profit la possibilité d’anéantir les forces de l’ennemi, propre surtout à la guerre de mouvement et en partie à la guerre de partisans, et utiliser en complément la possibilité d’user les forces de l’ennemi, propre surtout à la guerre de position et en partie à la guerre de partisans.

   Dans l’étape de stabilisation des forces, nous devons continuer à utiliser ces propriétés de la guerre de partisans et de la guerre de mouvement pour épuiser, dans une tout aussi grande mesure, les forces de l’ennemi. Tout cela vise à nous permettre de mener une guerre prolongée, à modifier peu à peu notre situation par rapport à celle de l’ennemi et à préparer les conditions de notre passage à la contre­offensive.

   Dans la contre­offensive stratégique, nous devons continuer à épuiser l’ennemi en anéantissant ses forces, de façon à le chasser définitivement du pays.

101 L’expérience de dix mois de guerre a cependant montré que, dans un grand nombre de campagnes et même dans la plupart d’entre elles, la guerre de mouvement a glissé pratiquement vers la guerre d’usure, et que, dans certaines régions, la guerre de partisans n’a pas rempli dans la mesure appropriée la tâche qui lui revient dans l’anéantissement de l’ennemi.

   Cette situation comporte un aspect positif : nous avons au moins réalisé un certain épuisement de l’ennemi, ce qui est important pour la poursuite de la guerre prolongée et pour la victoire finale, et notre sang n’a pas été répandu en vain.

   Les aspects négatifs sont, premièrement, que nous n’avons pas épuisé l’ennemi suffisamment et, deuxièmement, qu’après tout nos pertes sont grandes et nos gains peu importants.

   On doit certes reconnaître que cette situation s’explique par des raisons objectives, comme les différences entre l’ennemi et nous dans le degré d’équipement technique et de préparation militaire, mais, dans tous les cas, il faut, aussi bien du point de vue de la théorie que du point de vue de la pratique, recommander à nos forces régulières de poursuivre énergiquement la guerre d’anéantissement chaque fois que les conditions sont favorables.

   Et si les détachements de partisans, en remplissant les nombreuses missions qui leur sont propres, comme le sabotage et le harcèlement, sont obligés de livrer de simples combats d’usure, il n’en faut pas moins leur recommander — et ils doivent d’ailleurs s’y efforcer d’eux­-mêmes — de mener des campagnes et des combats d’anéantissement chaque fois que les conditions sont favorables, afin d’épuiser l’ennemi dans une grande mesure et de compléter largement l’équipement de nos propres forces.

102 Ce que nous appelons « opérations offensives », « décision rapide » et « à l’extérieur des lignes » dans l’expression : « opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes », ainsi que « mouvement » dans l’expression « guerre de mouvement » se traduit principalement, du point de vue de la forme du combat, par le recours à la tactique de l’encerclement et du mouvement tournant, et demande pour cela la concentration de forces supérieures.

   La concentration des forces et l’emploi de la tactique de l’encerclement et du mouvement tournant sont donc les conditions mêmes d’une guerre de mouvement, c’est­à­-dire d’opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes.

   Tout cela a pour but d’anéantir les forces de l’ennemi.

103 Ce qui fait la force de l’armée japonaise, ce n’est pas seulement son armement, c’est aussi la préparation de ses officiers et soldats — son organisation, la confiance qu’elle a en elle­même pour n’avoir jamais connu la défaite dans les guerres précédentes, sa croyance superstitieuse dans le Mikado et les puissances surnaturelles, son arrogance, son mépris des Chinois, etc.

   Toutes ces caractéristiques proviennent des longues années d’endoctrinement des troupes dans l’esprit samouraï par les militaristes japonais, et des coutumes nationales du Japon.

   C’est pour cette raison surtout que nos troupes ont fait très peu de prisonniers bien qu’elles aient pu infliger à l’ennemi de lourdes pertes en tués et en blessés.

   Beaucoup ont sous­estime ce fait dans le passé.

   Il faudra bien du temps pour détruire ces caractéristiques de l’armée japonaise.

   D’abord, nous devons tenir sérieusement compte de ces particularités et ensuite en faire l’objet d’un travail patient et méthodique, travail politique, travail de propagande dans le domaine international, travail parmi le peuple japonais.

   Sur le plan militaire, la guerre d’anéantissement est bien entendu l’une des méthodes de cette action.

   Les pessimistes peuvent s’appuyer sur ces caractéristiques de l’ennemi pour faire valoir leur théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, et les spécialistes militaires qui s’en tiennent à la passivité peuvent y trouver de quoi fonder leur opposition à la guerre d’anéantissement.

   En ce qui nous concerne, nous considérons au contraire que tous ces facteurs qui font la force de l’armée japonaise peuvent être réduits à néant, et que leur destruction a déjà commencé.

   La principale méthode à employer à cette fin consiste à gagner politiquement les soldats japonais.

   Il ne faut pas les blesser dans leur fierté, mais chercher à comprendre cette fierté et la diriger dans la bonne voie.

   En traitant les prisonniers avec générosité, on peut amener les soldats japonais à prendre clairement conscience du caractère antipopulaire de la politique d’agression que poursuivent les dirigeants du Japon.

   D’autre part, il faut montrer aux soldats japonais l’esprit indomptable, l’héroïsme et la combativité acharnée de l’armée chinoise et du peuple chinois ; en d’autres termes, il faut leur porter des coups destructeurs dans les combats d’anéantissement.

   L’expérience de dix mois de guerre prouve qu’il est possible d’anéantir les forces de l’ennemi.

   Les batailles de Pinghsingkouan et de Taieultchouang en donnent la preuve.

   Le moral de l’armée japonaise commence déjà à baisser, ses soldats ne comprennent pas les buts de la guerre et, tombés dans l’encerclement des troupes chinoises et du peuple chinois, ils font preuve, dans leurs assauts, d’un courage bien moindre que les soldats chinois ; ces conditions objectives ainsi que d’autres encore, qui favorisent nos opérations d’anéantissement, vont croissant à mesure que la guerre se prolonge.

   Le fait que nos opérations d’anéantissement font tomber la morgue de l’ennemi signifie que ces opérations sont en même temps l’une des conditions permettant de réduire la durée de la guerre et d’accélérer la libération des soldats japonais et de tout le peuple japonais. Le chat ne lie amitié qu’avec le chat, et jamais avec la souris.

104 Il faut reconnaître par ailleurs qu’à l’heure actuelle, nous le cédons à l’ennemi par l’équipement technique et le niveau de préparation des troupes.

   C’est pourquoi il nous est difficile, en bien des cas, particulièrement dans les régions de plaine, d’obtenir un résultat maximum dans les combats d’anéantissement, par exemple de capturer la totalité ou la plus grande partie d’une formation ennemie.

   Les exigences excessives dans ce sens des partisans de la théorie de la victoire rapide sont erronées ; ce qu’il est correct d’exiger dans la Guerre de Résistance, c’est de poursuivre autant que possible une guerre d’anéantissement.

   Quand les circonstances sont favorables, il faut concentrer dans chaque bataille des forces supérieures et employer la tactique de l’encerclement et du mouvement tournant — s’il n’est pas possible d’encercler complètement l’ennemi, en encercler une partie ; s’il n’est pas possible de capturer toutes les forces encerclées, en capturer une partie, et si cela même est impossible, infliger de lourdes pertes aux forces encerclées.

   Dans tous les cas où la situation ne favorise pas les opérations d’anéantissement, il faut effectuer des opérations d’usure. Il faut appliquer le principe de la concentration des forces quand les conditions sont favorables et le principe de la dispersion des forces quand les conditions sont défavorables.

   Quant au commandement des opérations dans les campagnes, il faut appliquer le principe du commandement centralisé dans le premier cas et le principe de la décentralisation dans le second.

   Tels sont les principes de base des opérations sur les champs de bataille de la Guerre de Résistance.

La possibilité d’exploiter les erreurs de l’ennemi

105 Même dans le commandement ennemi, nous pouvons trouver des possibilités de victoire.

   Il n’y a jamais eu, depuis les temps les plus reculés, de chef militaire infaillible.

   Tout comme il nous est difficile d’éviter nous­-mêmes des erreurs, il nous est possible d’en découvrir chez l’ennemi et par conséquent d’en profiter.

   Durant ces dix mois de guerre d’agression, l’ennemi a déjà commis une série d’erreurs sur le plan stratégique et dans les campagnes. Nous ne soulignerons que les cinq plus importantes.

   La première, c’est que l’ennemi n’accroît ses forces que par petites quantités.

   Cela provient du fait qu’il a sous­-estime la Chine et aussi de ce qu’il n’a pas assez de troupes.

   L’ennemi s’est toujours comporté envers nous avec mépris.

   Après avoir envahi sans grande peine les quatre provinces du Nord-­Est, il a occupé la partie orientale de la province du Hopei et le nord de la province du Tchahar ; tout cela peut être considéré comme une reconnaissance stratégique de sa part.

   Et la conclusion qu’il en a tirée est que la Chine est un tas de sable croulant.

   Aussi, estimant que la Chine s’effondrerait au premier coup, il a élaboré un plan de « décision rapide », n’a mis en jeu que très peu de forces et a espéré nous prendre par la peur.

   L’ennemi ne s’attendait pas que la Chine eût fait preuve au cours des dix derniers mois d’une cohésion si forte et d’une si forte résistance : il a oublié qu’elle est déjà entrée dans une ère de progrès, qu’il y existe déjà un parti d’avant­-garde, une armée d’avant­-garde et un peuple d’avant-garde.

   Lorsque l’ennemi s’est trouvé dans une mauvaise passe, il a commencé à accroître peu à peu ses forces, en les portant, en plusieurs étapes, d’un peu plus de dix à trente divisions.

   S’il veut poursuivre son avance, il ne pourra se dispenser d’accroître encore ses forces.

   Mais comme le Japon a une position hostile envers l’Union soviétique et que ses ressources humaines et financières sont bornées, il y a forcément une limite à l’importance des effectifs qu’il peut mettre en ligne, ainsi qu’à l’ampleur maximum de son offensive.

   La deuxième erreur consiste à n’avoir pas fixé la direction principale de l’offensive.

   Avant la bataille de Taieultchouang, l’ennemi avait, dans l’ensemble, divisé ses forces sur deux fronts : en Chine centrale et en Chine du Nord.

   Cette division des forces s’observait aussi dans chacune de ces deux régions.

   Par exemple, dans la Chine du Nord, les forces japonaises étaient réparties le long de trois lignes de chemin de fer : Tientsin­-Poukeou, Peiping-­Hankeou et Tatong-­Poutcheou ; le long de chacune de ces lignes, l’ennemi subit des pertes et laissa des garnisons sur les territoires occupés, si bien qu’il n’eut plus assez de troupes pour continuer l’offensive.

   Mettant à profit la leçon de sa défaite à Taieultchouang, il a concentré le gros de ses forces en direction de Siutcheou.

   Ainsi, cette erreur peut être considérée comme temporairement corrigée. La troisième erreur réside dans l’absence de coordination stratégique.

   Il y avait bien une certaine coordination à l’intérieur des deux groupes de forces japonaises, celui de Chine centrale et celui de Chine du Nord, mais il n’y en avait guère entre les deux.

   Quand les troupes japonaises sur la section sud de la ligne de chemin de fer Tientsin-Poukeou attaquèrent Siaopengpou, d’autres qui se trouvaient sur la section nord de cette même ligne restèrent inactives ; quand celles-­ci attaquèrent Taieultchouang, celles-­là ne bougèrent pas davantage.

   Quand l’ennemi eut subi de graves revers sur ces deux sections, le ministre de la Guerre du Japon vint en inspection et le chef d’état­-major général japonais accourut pour diriger les opérations ; une certaine coordination s’établit ainsi pour un temps.

   La classe des propriétaires fonciers, la bourgeoisie et les militaristes japonais sont divisés par des contradictions très sérieuses qui ne font que s’aggraver ; l’absence de coordination dans les opérations en est une manifestation concrète.

   La quatrième erreur, c’est de ne pas avoir su saisir, en stratégie, des moments favorables.

   L’exemple le plus frappant en est qu’après la prise de Nankin et de Taiyuan l’ennemi s’est arrêté, principalement parce qu’il n’avait pas assez de troupes et qu’il ne disposait pas de forces stratégiques de poursuite.

   La cinquième erreur, c’est qu’ayant encerclé un grand nombre de troupes il n’en a anéanti que peu. Avant la bataille de Taieultchouang, au cours des opérations de Changhaï, de Nankin, de Tsangtcheou, de Paoting, de Nankeou, de Hsinkeou et de Linfen, beaucoup de troupes chinoises ont été battues, mais très peu de soldats ont été faits prisonniers.

   Cela montre la maladresse du commandement japonais.

   Ces cinq erreurs : accroissement des forces par petites quantités, absence d’une direction principale de l’offensive, absence de coordination stratégique, non­-utilisation des moments favorables et faible proportion des troupes anéanties en regard du grand nombre de troupes encerclées témoignent de l’incompétence du commandement japonais dans la période qui a précédé la bataille de Taieultchouang.

   Certes, après cette bataille, l’ennemi a quelque peu rectifié sa direction, mais par suite de l’insuffisance de ses effectifs, de ses contradictions internes et d’autres facteurs semblables, il lui sera impossible de ne pas retomber dans ses erreurs ; d’ailleurs, ce qu’il gagne d’un côté, il le perd de l’autre.

   Par exemple, la concentration de ses forces de la Chine du Nord à Siutcheou a fait un grand vide sur les territoires occupés de la Chine du Nord, ce qui nous a donné la possibilité d’y développer librement les opérations de partisans.

   Ce que nous avons dit jusqu’ici concerne les erreurs commises par l’ennemi lui­-même, et non celles que nous pouvons le pousser à commettre.

   Or, nous pouvons délibérément faire commettre des erreurs à l’ennemi, c’est­-à­-dire que nous pouvons le désorienter et le manœuvrer à notre gré, au moyen d’actions habiles et efficaces couvertes par une population locale bien organisée, par exemple, en faisant des démonstrations d’un côté pour attaquer de l’autre.

   Cette possibilité, nous en avons déjà parlé plus haut.

   Tout cela montre que nous pouvons trouver jusque dans les actes mêmes du commandement ennemi matière à notre victoire ; cependant, nous ne devons pas considérer ces possibilités comme une base importante pour nos plans stratégiques ; au contraire, le plus sûr est d’établir nos plans en supposant que l’ennemi commettra peu d’erreurs.

   De plus, l’ennemi peut utiliser nos erreurs comme nous les siennes.

   Il appartient donc à notre commandement de lui donner le moins de prise possible sur nous.

   Il n’en est pas moins vrai que le commandement ennemi a déjà commis des erreurs, qu’il en commettra aussi à l’avenir, et que nos propres efforts peuvent lui en faire commettre d’autres encore.

   Toutes ces erreurs peuvent être utilisées par nous, et nos généraux de la Guerre de Résistance doivent s’employer à les exploiter.

   Si, sur le plan stratégique et opérationnel, le commandement ennemi se montre à bien des égards peu compétent, il excelle, par contre, dans la direction des combats, c’est-à-dire dans la tactique de combat des détachements et des petites unités ; il y a là beaucoup à apprendre pour nous.

La décision dans la guerre de résistance

106 Cette question devra être envisagée sous trois aspects : nous devons chercher résolument la décision dans chaque campagne ou combat où nous sommes sûrs de remporter la victoire ; nous devons éviter la décision dans chaque campagne ou combat où nous ne sommes pas sûrs de la victoire ; et nous devons absolument éviter une décision stratégique où le sort du pays est en jeu.

   Les caractéristiques qui différencient notre Guerre de Résistance d’un grand nombre d’autres guerres se révèlent également dans cette question.

   Dans la première et la deuxième étape de la guerre, alors que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles, il voudrait que nous concentrions le gros de nos forces et que nous acceptions la décision.

   Nous, au contraire, nous voulons choisir les conditions favorables, concentrer des forces supérieures et chercher seulement la décision dans les campagnes et les combats où nous sommes sûrs du succès, comme par exemple dans la bataille de Pinghsingkouan, dans celle de Taieultchouang et dans bien d’autres ; nous voulons éviter la décision lorsque les conditions nous sont défavorables et que nous ne sommes pas sûrs du succès : c’est le principe que nous avons adopté dans les batailles livrées à Tchangteh et ailleurs.

   Quant à la décision stratégique où le sort du pays est en jeu, il faut la refuser catégoriquement, comme nous l’avons fait, par exemple, récemment, en évacuant Siutcheou.

   Nous avons ainsi ruiné le plan de l’ennemi qui escomptait une « décision rapide » et l’avons contraint à entreprendre une guerre prolongée.

   Ces principes sont inapplicables dans un petit pays et difficilement applicables dans un pays trop arriéré politiquement.

   Mais comme la Chine est un grand pays à une époque de progrès, elle peut les appliquer.

   Si nous évitons la décision stratégique, nous y perdrons certes une partie de notre territoire, mais, comme dit le proverbe : « La forêt donnera toujours du bois », nous conserverons un vaste territoire pour manœuvrer, et nous pourrons attendre et faire en sorte qu’avec le temps notre pays progresse, l’aide internationale augmente et la désagrégation intérieure se produise dans le camp de l’ennemi.

   C’est là pour nous la meilleure politique à suivre dans la Guerre de Résistance.

   Les partisans par trop impétueux de la théorie de la victoire rapide, incapables de supporter les dures épreuves d’une guerre prolongée et souhaitant des succès foudroyants, réclament à grands cris une décision stratégique dès que la situation s’est quelque peu améliorée.

   Si l’on suivait leurs conseils, on porterait un préjudice énorme à la cause de la Guerre de Résistance, c’en serait fait de la guerre prolongée, et nous aurions donné en plein dans le piège tendu par l’ennemi.

   Ce serait assurément le plus mauvais plan de guerre.

   Il est certain que si nous refusons la décision, nous sommes obligés d’abandonner des territoires ; et dans le cas où cela devient inévitable (et seulement dans ce cas), nous devons avoir le courage de le faire.

   Dans des moments pareils, nous ne devons pas avoir le moindre regret, car donner des territoires pour gagner du temps est une bonne politique. L’histoire nous apprend que la Russie, ayant effectué une retraite courageuse pour éviter la décision, a vaincu Napoléon, dont le nom résonnait alors dans le monde entier1

Profitant de cette situation, l’armée russe passa à la contre-offensive et, de toute l’armée de Napoléon, quelque 20.000 soldats seulement purent s’échapper..

   Aujourd’hui, la Chine doit agir de la même façon.

107 Mais ne craignons-­nous pas d’être dénoncés comme partisans de la « non-résistance » ? Non, nous ne le craignons pas.

   Ne pas se battre du tout et s’entendre avec l’ennemi, cela, c’est la non-résistance ; elle ne mérite pas seulement d’être dénoncée, elle est absolument inadmissible.

   Nous devons poursuivre énergiquement la Guerre de Résistance, mais pour éviter les pièges que nous tend l’ennemi, il est tout à fait indispensable que nous n’exposions pas le gros de nos forces à un coup qui compromettrait tout le cours ultérieur de la guerre, bref, que nous empêchions l’asservissement du pays.

   Ceux qui se montrent sceptiques là-dessus font preuve de myopie dans la question de la guerre et se retrouvent obligatoirement, en fin de compte, dans le camp des partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine.

   Pourquoi avons-nous critiqué la mentalité du risque-tout de « toujours avancer sans jamais se retirer » ?

   Précisément parce que, si cette mentalité se généralisait, on s’exposerait à ne pouvoir poursuivre la guerre, ce qui aboutirait à l’asservissement de la Chine.

108 Qu’il s’agisse de combats isolés ou de batailles plus ou moins importantes, nous sommes pour la décision chaque fois que les conditions favorables existent, et nous n’admettons là aucune passivité.

   Seule cette décision permet d’anéantir ou d’épuiser l’ennemi, et chaque combattant dans la Guerre de Résistance doit la chercher résolument.

   Cela exigera des sacrifices partiels importants ; ceux qui pensent qu’il faut éviter tous les sacrifices ne sont que des poltrons ou des gens qui tremblent devant les Japonais, et il faut combattre énergiquement leur point de vue.

   L’exécution de déserteurs tels que Li Fou-ying et Han Fou-kiu est un juste châtiment. Dans le cadre de plans d’opérations correctement établis, il est absolument indispensable d’exalter la vaillance et le sacrifice héroïque de soi-même, sans quoi la guerre prolongée aussi bien que la victoire définitive seraient impossibles.

   Nous avons flétri sévèrement l’attitude des paniquards de « toujours se retirer sans jamais avancer », et nous sommes pour une discipline sévère, précisément parce qu’il n’est possible de vaincre un puissant ennemi qu’en cherchant hardiment la décision suivant un plan correctement établi. L’attitude des paniquards n’est qu’un soutien direct à la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine.

109 N’y a-t-il pas contradiction entre livrer d’abord un combat héroïque et abandonner ensuite le territoire ?

   Ne verse-t-on pas inutilement son sang dans ces combats héroïques ? Ces questions sont très mal posées.

   Ne mange-t-on pas en vain si c’est pour évacuer ensuite ? Ne se met-on pas inutilement au lit pour dormir si c’est pour se lever ensuite ? Peut-on poser les questions ainsi ?

   A mon avis, ce n’est pas possible. Dire : du moment que l’on mange, autant manger tout son content, du moment que l’on dort, autant dormir tout son soûl, et puisqu’on se bat héroïquement, autant se battre jusqu’au Yalou, c’est donner dans le délire subjectiviste et formaliste ; dans la réalité, cela ne se passe pas ainsi.

   Comme tout le monde le sait, bien que les combats sanglants engagés en vue de gagner du temps et de préparer la contre-offensive n’aient pu empêcher qu’une certaine partie du territoire ne soit abandonnée, ils nous ont permis de gagner du temps, d’atteindre notre objectif qui est d’anéantir ou d’épuiser les forces de l’ennemi, d’acquérir l’expérience de la guerre, d’entraîner au combat les masses populaires qui n’y participaient pas encore et d’accroître notre influence dans l’arène internationale.

   Dans ces conditions, le sang a-t-il été répandu en vain ?

   Manifestement non.

   Lorsqu’on abandonne un territoire, c’est pour conserver ses forces, et c’est même pour conserver le territoire ; en effet, si, au lieu d’abandonner une partie du territoire quand les conditions sont défavorables, on se lançait inconsidérément dans une bataille décisive sans être aucunement sûr du succès, le seul résultat serait la perte des forces armées, et donc la perte inévitable de tout le territoire ; à plus forte raison il serait impossible de recouvrer les territoires déjà perdus.

   Pour faire des affaires, le capitaliste a besoin d’un capital, mais s’il fait faillite, il cesse d’être capitaliste.

   Pour jouer, le joueur a besoin d’argent, mais s’il joue tout sur une seule carte et que la chance lui fasse défaut, il n’aura plus rien pour continuer à jouer. Le cours des choses suit une voie tortueuse et jamais une ligne droite. Cela est vrai également pour la guerre et il n’y a que les formalistes qui soient incapables de comprendre cette vérité.

110. A mon avis, ce qui a été dit plus haut s’applique aussi à la décision dans l’étape de la contre­offensive stratégique.

   Certes, à cette étape, l’ennemi se trouvera en état d’infériorité alors que nous aurons la supériorité, mais le principe : « chercher la décision lorsque des conditions favorables existent et s’y refuser lorsqu’elles n’existent pas » n’en gardera pas moins toute sa valeur, jusqu’au moment où nos combats nous auront conduits au Yalou.

   De cette manière, nous pourrons conserver l’initiative du commencement à la fin. Tous les « défis » lancés par l’ennemi, tous les « brocards » d’autrui, nous devons les écarter avec dédain et n’y prêter aucune attention.

   Dans la Guerre de Résistance, seuls seront considérés comme courageux et clairvoyants les généraux qui auront fait preuve de cette fermeté.

   Ce n’est point le cas de ceux qui « prennent feu comme la poudre ».

   Bien qu’à la première étape, nous nous trouvions, jusqu’à un certain point, réduits à la passivité stratégique, nous n’en devons pas moins saisir l’initiative dans chaque campagne et nous devons naturellement la garder durant toutes les autres étapes.

   Nous sommes pour la guerre prolongée, pour la victoire finale, nous ne sommes pas des joueurs aventureux qui risquent tout leur enjeu sur une seule carte.

L’armée et le peuple, artisans de la victoire

111. Comme l’impérialisme japonais a en face de lui la Chine révolutionnaire, il ne se relâchera en rien dans son offensive et sa répression ; son caractère même d’impérialisme le veut ainsi.

   Si la Chine n’opposait pas de résistance, le Japon occuperait facilement tout le pays, sans tirer un coup de feu ; la perte des quatre provinces du Nord-­Est en est la preuve.

   Du moment que la Chine oppose de la résistance, le Japon essaiera d’écraser cette résistance jusqu’à ce qu’elle devienne trop forte pour qu’il puisse encore la surmonter ; c’est là une loi inexorable.

   La classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie japonaises nourrissent de grandes ambitions : leur projet étant d’attaquer, en direction du sud, le Sud­-Est asiatique et, en direction du nord, la Sibérie, elles ont adopté la politique de rupture au centre et ont porté leurs premiers coups contre la Chine.

   Ceux qui s’imaginent que le Japon se contentera d’occuper la Chine du Nord et la région des provinces du Kiangsou et du Tchékiang, et qu’il en restera là, ne comprennent absolument pas que le Japon impérialiste, entré dans une nouvelle étape de son développement et placé au bord de l’abîme, n’est plus le Japon de jadis.

   Lorsque nous affirmons qu’il y a une limite aux effectifs que le Japon peut mettre en ligne et des bornes à son offensive, voici ce que nous voulons dire : pour ce qui est du Japon, comme il se prépare à attaquer dans d’autres directions et à se défendre contre d’autres ennemis, il ne peut, avec les forces dont il dispose, envoyer contre la Chine qu’une quantité déterminée de troupes et doit borner sa progression aux limites de ses possibilités ; quant à la Chine, comme elle a montré qu’elle est sur la voie du progrès et qu’elle est capable de résister énergiquement, il serait inconcevable que les furieuses attaques japonaises ne rencontrent pas l’inévitable résistance de la Chine.

   Le Japon est incapable d’occuper toute la Chine, mais dans toutes les régions qu’il pourra atteindre il ne ménagera pas ses efforts pour écraser la résistance, jusqu’à ce que, sous la poussée des conditions intérieures et internationales, il se heurte directement à la crise qui lui sera fatale.

   La politique intérieure du Japon ne peut se développer que suivant l’une de ces deux voies : ou bien les classes dirigeantes s’effondreront bientôt, le pouvoir passera au peuple et la guerre cessera, ce qui, pour l’instant, est impossible ; ou bien la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie s’enfonceront chaque jour un peu plus dans le fascisme et elles soutiendront la guerre jusqu’à leur perte — c’est cette dernière voie que le Japon suit actuellement.

   Il n’y a pas de troisième voie. Ceux qui se bercent de l’espoir que les milieux modérés de la bourgeoisie japonaise interviendront pour mettre fin à la guerre ne nourrissent que de vaines illusions.

   Au Japon, les milieux modérés de la bourgeoisie sont prisonniers des propriétaires fonciers et des magnats de la finance, telle est la situation politique réelle de ce pays depuis bien des années.

   Maintenant que le Japon a commencé la guerre contre la Chine, si la Résistance ne lui porte pas un coup mortel et s’il lui reste encore suffisamment de forces, il déclenchera certainement une offensive contre le Sud-est asiatique ou contre la Sibérie, ou peut-être même contre les deux à la fois.

   Dès que la guerre aura éclaté en Europe, le Japon passera à la réalisation de ses plans, plans démesurément vastes que ses dirigeants ont conçus à l’image de leurs désirs. Bien entendu, il y a aussi une autre possibilité : la puissance de l’Union soviétique et l’affaiblissement notable du Japon dans la guerre contre la Chine peuvent avoir pour effet d’obliger le Japon à renoncer à son plan initial d’offensive contre la Sibérie et à adopter une position purement défensive de ce côté.

   Cependant, si cette situation se présente, l’offensive du Japon contre la   Chine n’en sera pas affaiblie ; au contraire, elle sera renforcée, car le Japon n’aura plus alors d’autre choix que d’engloutir le pays faible.

   Dans ce cas, persévérer résolument dans la Guerre de Résistance, le front uni et la guerre prolongée constituera une tâche encore plus sérieuse, et le moindre relâchement de notre effort serait alors encore plus inadmissible.

112. Dans cette situation, la condition essentielle de la victoire de la Chine sur le Japon, c’est l’unité de toute la nation, c’est les progrès portés au décuple ou au centuple dans tous les domaines.

   La Chine connaît une époque de progrès, elle a réalisé une magnifique unité, mais ce progrès et cette unité sont aujourd’hui encore très insuffisants.

   Le Japon a pu occuper un vaste territoire parce qu’il est fort et que la Chine est faible ; cette faiblesse est la conséquence directe de l’accumulation, depuis cent ans et surtout dans les dix dernières années, de toutes sortes d’erreurs qui ont limité le progrès de la Chine au niveau actuel.

   Aujourd’hui, nous ne pouvons vaincre un ennemi aussi fort que le Japon sans déployer des efforts sérieux et prolongés.

   Ces efforts doivent s’exercer dans bien des domaines ; je ne parlerai ici que des deux plus importants : le progrès de l’armée et le progrès du peuple.

113. La réforme du système militaire exige la modernisation de notre armée et l’amélioration de son équipement technique, sans lesquelles il nous sera impossible de chasser l’ennemi au­delà du Yalou.

   Dans l’emploi des troupes, il faut déterminer une stratégie et une tactique souples, d’avant­garde, sans quoi il sera également impossible de remporter la victoire.

   Mais la base de l’armée, c’est le soldat.

   Sans insuffler aux troupes un esprit politique progressiste, sans poursuivre dans ce but un travail politique progressiste, il n’est pas possible d’arriver à une unité véritable des officiers et des soldats, d’éveiller en eux le plus grand enthousiasme pour la Guerre de Résistance et, par conséquent, de donner à notre technique et à notre tactique la base la plus propre à les rendre efficaces.

   Quand nous affirmons que, malgré sa supériorité technique, l’armée japonaise subira nécessairement, en fin de compte, la défaite, nous considérons que les coups que nous lui portons par nos opérations d’anéantissement et d’usure ne lui infligeront pas seulement des pertes mais ébranleront finalement le moral de ses soldats qui n’est pas du niveau de ses armes.

   Chez nous, au contraire, les officiers et les soldats ont des buts politiques communs dans la Guerre de Résistance.

   Cela nous donne une base pour le travail politique dans toutes les armées en lutte contre les envahisseurs japonais.

   Il faut réaliser une certaine démocratisation dans l’armée ; l’essentiel est d’abolir les pratiques féodales des châtiments corporels et des injures, et d’arriver à ce que dans la vie de tous les jours les officiers et les soldats partagent leurs joies et leurs peines.

   Ainsi, nous parviendrons à l’unité des officiers et des soldats, la capacité combative de l’armée prodigieusement accrue, et nous n’aurons pas à craindre de ne sera pouvoir tenir dans cette guerre longue et acharnée.

114. Les grandes forces de la guerre ont leurs sources profondes dans les masses populaires.

   C’est avant tout parce que les masses du peuple chinois sont inorganisées que le Japon s’est enhardi à nous malmener.

   Que nous surmontions cette insuffisance, et l’envahisseur japonais se trouvera, devant les centaines de millions d’hommes du peuple chinois soulevés, dans la même situation que le buffle sauvage devant un mur de feu : il nous suffira de pousser un cri dans sa direction pour que, de terreur, il se jette dans le feu et soit brûlé vif.

   La Chine a besoin que l’armée complète ses forces d’un flot continu.

   Le mode de recrutement qu’on emploie actuellement aux échelons inférieurs par la presse ou l’achat de remplaçants1 doit être interdit immédiatement et remplacé par une large et ardente mobilisation politique ; il ne sera pas alors difficile d’avoir même des millions d’hommes sous les drapeaux.

   Nous avons de grandes difficultés à trouver les fonds nécessaires à la Guerre de Résistance, mais avec la mobilisation des masses populaires, les finances cesseront aussitôt de constituer un problème.

   Serait-­il possible qu’un Etat disposant d’un si vaste territoire et d’une population aussi nombreuse rencontre des difficultés de trésorerie ?

   L’armée doit ne faire qu’un avec le peuple, afin qu’il voie en elle sa propre armée. Cette armée­là sera invincible, et un pays impérialiste comme le Japon ne sera pas de taille à se mesurer avec elle.

115. Beaucoup de gens s’imaginent que s’il n’y a pas de bons rapports entre les officiers et les soldats, entre l’armée et le peuple, cela est û à de mauvaises méthodes ; je leur ai toujours dit qu’il s’agit ici d’une attitude fondamentale (ou d’un principe fondamental) qui consiste à respecter le soldat, à respecter le peuple.

   De cette attitude découlent la politique, les méthodes et les formes appropriées.

   Sans cette attitude, la politique comme les méthodes et les formes seront nécessairement erronées, et il sera absolument impossible d’avoir de bons rapports entre les officiers et les soldats, entre l’armée et le peuple.

   Les trois grands principes de notre travail politique dans l’armée sont, premièrement, l’unité entre les officiers et les soldats ; deuxièmement, l’unité entre l’armée et le peuple ; troisièmement, la désagrégation des forces ennemies.

   Pour mettre effectivement en pratique ces trois principes, il faut partir de cette attitude fondamentale qui est le respect du soldat, le respect du peuple et le respect de la dignité des prisonniers ayant déposé les armes.

   Ceux qui estiment qu’il s’agit ici non d’une attitude fondamentale mais de questions d’ordre purement technique se trompent, et ils doivent corriger leur erreur.

116. Maintenant que la défense de Wouhan et d’autres endroits est devenue un problème si urgent, notre tâche la plus importante, c’est de développer pleinement l’activité de l’armée et du peuple pour soutenir la guerre.

   Il n’y a pas de doute, nous devons poser sérieusement le problème de la défense de Wouhan et d’autres endroits et nous mettre sérieusement à la tâche.

   Mais la question de savoir si finalement nous réussirons à les défendre dépend non de notre volonté subjective mais des conditions concrètes.

   La mobilisation politique de l’armée et du peuple tout entiers pour la lutte est l’une des plus importantes de ces conditions concrètes.

   Si nous ne nous employons pas à réaliser toutes les conditions nécessaires, si même une seule de ces conditions fait défaut, il se produira inévitablement ce qui s’est passé à Nankin et en d’autres endroits que nous avons perdus.

   Où sera le Madrid chinois ? Il sera là où seront créées les mêmes conditions qu’à Madrid.

   Nous n’avons pas eu jusqu’ici un seul Madrid, mais maintenant nous devons en créer plusieurs. Cependant, la possibilité de le faire dépend entièrement des conditions.

   Et la plus fondamentale d’entre elles, c’est une large mobilisation politique de toute l’armée et de tout le peuple.

117. Dans tout notre travail, il faut nous en tenir fermement à la ligne générale du front uni national antijaponais, car seule cette ligne garantit la possibilité de poursuivre fermement la Guerre de Résistance, de mener résolument une guerre de longue durée, d’aboutir à une amélioration générale et profonde des rapports entre les officiers et les soldats, entre le peuple et l’armée, de développer pleinement l’activité de l’armée et du peuple pour la défense de tous les territoires qui ne sont pas encore perdus et le recouvrement de tous ceux qui le sont déjà, la possibilité, enfin, de remporter la victoire finale.

118. La mobilisation politique de l’armée et du peuple est vraiment une question de la plus haute importance.

   Nous sommes toujours revenus avec tant d’insistance sur cette question parce qu’il est réellement impossible de vaincre sans la résoudre.

   Certes, bien d’autres conditions sont également nécessaires à la victoire, mais la mobilisation politique est la condition qui commande toutes les autres.

   Le front uni national antijaponais est un front uni de toute l’armée et de tout le peuple, et nullement un front uni des seuls comités ou membres de quelques partis politiques.

   La création du front uni national antijaponais a comme but fondamental de mobiliser l’armée et le peuple tout entiers pour qu’ils y participent.

Conclusions

119. Quelles sont nos conclusions ?

   Les voici : « Dans quelles conditions la Chine pourra­t­elle vaincre et détruire les forces du Japon ?

   Trois conditions sont nécessaires : premièrement, la création d’un front uni antijaponais en Chine ; deuxièmement, la formation d’un front uni antijaponais mondial ; troisièmement, l’essor du mouvement révolutionnaire du peuple au Japon et dans les colonies japonaises.

   Pour le peuple chinois, la plus importante de ces trois conditions est la réalisation de sa grande union. »

   « Combien de temps… cette guerre durera­-t­-elle ?

   Cela dépendra de la force du front uni antijaponais en Chine, et de beaucoup d’autres facteurs décisifs en Chine et au Japon. »

   « Si ces conditions ne se réalisent pas à bref délai, la guerre se prolongera, mais les résultats seront les mêmes : le Japon sera vaincu, la Chine sera victorieuse ; seulement les sacrifices seront grands, et il y aura une période douloureuse à supporter. »

   « Notre stratégie doit consister à employer nos forces principales sur un front étiré et indéterminé. Pour remporter la victoire, les troupes chinoises opéreront sur de vastes champs de bataille, avec un haut degré de mobilité … »

    « Tout en utilisant pour la guerre de mouvement des troupes bien entraînées, nous devons organiser un grand nombre de détachements de partisans parmi les paysans. »

   « Au cours de la guerre, la Chine pourra … améliorer graduellement l’équipement de ses troupes.

   Elle sera donc en mesure de conduire une guerre de position dans la période finale de la guerre et d’attaquer les positions fortifiées dans les régions occupées par les Japonais.

   Ainsi, minée par une longue résistance de la Chine, l’économie japonaise s’effondrera, et le moral des troupes japonaises sera brisé après d’innombrables et épuisants combats.

   Quant à la Chine, elle verra croître avec vigueur ses forces potentielles de résistance et les niasses révolutionnaires affluer au front et se battre pour leur liberté.

   Ces facteurs, joints à d’autres encore, nous permettront de lancer les attaques finales et décisives contre les places fortes et les bases des régions d’occupation japonaise et de chasser hors de Chine l’armée des envahisseurs. » (Entretien avec Edgar Snow en juillet 1936.)

    « La situation politique en Chine est entrée désormais dans une étape nouvelle … A cette nouvelle étape, notre tâche capitale est de mobiliser toutes les forces pour remporter la victoire. »

   « Développer la guerre, déjà déclenchée, en une guerre générale de toute la nation, telle est la clé de la victoire dans la Guerre de Résistance. Seule cette guerre générale de toute la nation nous permettra de remporter la victoire finale. »

   « Comme il subsiste de grandes faiblesses dans la conduite de la Guerre de Résistance, de nombreuses difficultés peuvent encore surgir : revers et retraites, scissions et trahisons, compromis temporaires et partiels.

   C’est pourquoi il faut s’attendre à une guerre longue et acharnée. Mais nous sommes convaincus que, grâce aux efforts de notre Parti et de tout le peuple, la Résistance qui a déjà commencé se poursuivra et se développera, brisant tous les obstacles sur sa route. » (« Résolution sur la situation actuelle et les tâches du Parti », adoptée par le Comité central du Parti communiste chinois en août 1937.)

   Telles sont nos conclusions. Les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine voient chez l’ennemi une force surnaturelle, et la Chine leur paraît aussi négligeable qu’un fétu de paille ; les partisans de la théorie de la victoire rapide, au contraire, considèrent l’ennemi comme un fétu de paille et attribuent à la Chine une force surnaturelle ; les uns et les autres sont dans l’erreur.

   Nous nous séparons et des uns et des autres : la Guerre de Résistance sera une guerre prolongée et la victoire finale appartiendra à la Chine.

    Voilà nos conclusions.

120. Je terminerai ici mon cycle de conférences. La grande Guerre de Résistance se développe, et beaucoup voudraient qu’on fasse un bilan des expériences acquises pour les mettre à profit, afin de remporter une victoire complète.

   Je n’ai traité ici que de l’expérience générale des dix derniers mois. Si l’on veut, on peut considérer cela comme une sorte de bilan.

   La guerre prolongée est une gestion qui mérite la plus large attention et doit faire l’objet du plus large débat ; je n’ai présenté cette question que dans ses grandes lignes ­ j’espère, Camarades, que vous l’examinerez et la discuterez, que vous ferez connaître vos remarques et vos suggestions.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Staline l’ami du peuple chinois

1939

Ce 20 décembre, le camarade Staline aura soixante ans. Il est facile de s’imaginer quels vœux sincères et chaleureux cet anniversaire va susciter dans les cœurs de tous les révolutionnaires du monde qui connaissent cette date.

   Fêter Staline, ce n’est pas une formalité. Fêter Staline, c’est prendre parti pour lui, pour son œuvre, pour la victoire du socialisme, pour la voie qu’il indique à l’humanité, c’est se déclarer pour lui comme pour un ami très cher.

   Car l’immense majorité des hommes vit aujourd’hui dans les souffrances, et elle ne peut s’en affranchir qu’en suivant la voie indiquée par Staline et avec son aide.

   Le peuple chinois, qui éprouve actuellement les plus grands malheurs de son histoire, a plus que jamais besoin d’aide.

   Comme il est dit dans Le Livre des Odes, « L’oiseau appelle et quête la réponse d’un ami » ; ce vers évoque bien la situation où nous sommes.

   Mais quels sont nos amis ?

   Il y a les soi-disant amis, gens qui se parent du titre d’amis du peuple chinois et que, d’ailleurs, certains Chinois eux-mêmes appellent sans réfléchir leurs amis.

   Mais on ne peut ranger ces amis-là que dans la catégorie de Li Linfu, ce premier ministre à la cour des Tang, connu pour avoir « du miel sur les lèvres et un poignard caché dans son sein ».

   Tels sont en effet ces « amis » : ils ont « du miel sur les lèvres et un poignard caché dans leur sein ».

   Qui sont-ils donc ?

   Ce sont les impérialistes, qui prétendent éprouver de la sympathie pour la Chine.

   Il y a aussi des amis d’un tout autre genre, ceux qui nous portent une sympathie réelle et qui nous considèrent comme des frères.

   Qui sont-ils ?

   C’est le peuple soviétique, c’est Staline.

   Aucun pays n’a renoncé à ses privilèges en Chine, sinon l’Union soviétique.

   Au cours de notre Première Grande Révolution, alors que tous les impérialistes étaient contre nous, seule l’Union soviétique nous a apporté son aide.

   Depuis le début de la Guerre de Résistance contre le Japon, aucun gouvernement de pays impérialiste ne nous a véritablement soutenus ; seule l’Union soviétique nous a aidés de son aviation et de son matériel.

   N’est-ce pas suffisamment clair ?

   Seuls le pays du socialisme, son dirigeant et son peuple, les penseurs, hommes politiques et travailleurs socialistes peuvent apporter une aide réelle à la cause de la libération de la nation chinoise et du peuple chinois; sans leur aide, notre cause ne saurait remporter la victoire finale.

   Staline est le fidèle ami du peuple chinois en lutte pour sa libération. L’amour et le respect du peuple chinois pour Staline, ses sentiments d’amitié pour l’Union soviétique sont profondément sincères, et aucune tentative de semer la discorde, aucun mensonge, aucune calomnie ne saurait les altérer.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : La Révolution chinoise et le Parti Communiste chinois

Novembre 1939

 CHAPITRE PREMIER

LA SOCIÉTÉ CHINOISE

SECTION 1. LA NATION CHINOISE

   La Chine, notre patrie, est l’un des plus grands pays du monde ; sa superficie est presque égale à celle de toute l’Europe. Sur ce territoire immense, de grandes étendues de terres fertiles produisent de quoi nous nourrir et nous vêtir ; des chaînes de montagnes, grandes et petites, traversent en long et en large tout le pays, elles nous offrent de vastes forêts et renferment de riches réserves minérales ; d’innombrables lacs et cours d’eau favorisent la navigation et l’irrigation ; une longue côte facilite nos communications avec les peuples d’au-delà des mers.

C’est sur ce vaste territoire que nos aïeux ont travaillé, ont vécu et se sont multipliés depuis des temps immémoriaux.

   Les frontières actuelles de la Chine sont les suivantes : au Nord-est, au nord-ouest
et en partie à l’ouest, elle confine à l’Union des Républiques socialistes soviétiques ; au nord, à la République populaire de Mongolie ; au sud-ouest et en partie à l’ouest, à l’Afghanistan, à l’Inde au Bhoutan et au Népal ; au sud, à la Birmanie et au Vietnam ; à l’est, elle touche à la Corée, et ses proches voisins sont le Japon et les Philippines.

   Cette situation géographique présente des avantages et des inconvénients pour la révolution du peuple chinois. Des avantages, parce que la Chine est contiguë à l’U.R.S.S. et se trouve relativement loin des principaux Etats impérialistes d’Europe et d’Amérique, et parce que beaucoup des pays qui l’entourent sont des colonies ou des semi-colonies. Des inconvénients, parce que l’impérialisme japonais, profitant de sa proximité géographique, menace constamment l’existence même des nationalités de la Chine et la révolution du peuple chinois.

   La Chine compte actuellement 450 millions d’habitants, soit près du quart de la population du globe. Sur ce nombre, plus des neuf dixièmes sont des Hans. Le reste est constitué par plusieurs dizaines de minorités nationales comme les Mongols, les Houeis, les Tibétains, les Ouigours, les Miaos, les Yis, les Tchouangs, les Tchongkias et les Coréens ; toutes ont une longue histoire, bien que leurs civilisations se situent à des niveaux différents. La Chine est un pays multinational très peuplé.

   Au cours de son développement, le peuple chinois (il sera surtout question ici des Hans) a vécu, comme beaucoup d’autres nations du monde, pendant des dizaines de millénaires sous le régime de la communauté primitive sans classes.

Depuis la désagrégation de cette communauté, devenue société de classes, jusqu’à nos jours, en passant par la société esclavagiste et la société féodale, 4.000 ans environ se sont écoulés.

Au cours de l’histoire de sa civilisation, la nation chinoise a toujours eu une agriculture et un artisanat renommés pour leur haut niveau ; elle a produit nombre de grands penseurs, savants, inventeurs, hommes d’Etat, stratèges, hommes de lettres et artistes, et elle a accumulé un immense trésor de monuments culturels.

La boussole a été découverte en Chine à une époque très reculée1. La fabrication du papier remonte à 1.800 ans. L’imprimerie au moyen de formes de bois gravé a été inventée il y a 1.300 ans, et les caractères mobiles il y a 800 ans. L’usage de la poudre était connu en Chine avant de l’être en Europe. La civilisation chinoise est donc l’une des plus anciennes du monde, et l’histoire de la Chine attestée par des documents écrits remonte à près de 4.000 ans.

[Dans Liu che tchouen tsieou, écrit à l’époque des Royaumes combattants, au IIIe siècle av. J.­C., on mentionne déjà le fait que « l’aimant attire le fer ». Au début du Ier siècle, c’est­à­dire dans les premières années de la dynastie des Han de l’Est, le philosophe matérialiste Wang Tchong parle dans son ouvrage Louen heng de l’aiguille aimantée qui indique le sud; la polarité de l’aimant était donc connue dès cette époque.

Les relations de voyage écrites au début du XIIe siècle, où l’on parle de l’emploi de la boussole pour la navigation, montrent qu’il était alors déjà fort répandu.

Selon des documents anciens, Tsai Louen, un eunuque dela dynastie des Han de l’Est (25­220), inventa le papier, qu’il fabriquait avec des écorces d’arbres, de la tille, des chiffons ou des filets de pêche usés.

En l’an 105, dernière année du règne de l’empereur Hoti des Han, il présenta son invention à l’empereur; depuis lors, la fabrication du papier à partir des fibres végétales se répandit progressivement en Chine.

L’imprimerie remonte en Chine à la dynastie des Souei, vers l’an 600. L’imprimerie au moyen de caractères mobiles a été inventée par Pi Cheng, sous la dynastie des Song, entre 1041 et 1048.

On dit que la poudre fut découverte en Chine au IXe siècle. Au XIe siècle, on l’utilisait déjà pour le tir au canon.]

   La nation chinoise n’est pas seulement célèbre dans le monde par son amour du travail et son endurance, elle est aussi éprise de liberté et riche en traditions révolutionnaires. L’histoire des Hans, par mole montre que le peuple chinois n’a jamais toléré le règne des forces ténébreuses et qu’il a toujours recouru à la révolution pour renverser et changer un tel régime.

Au cours des milliers d’années que compte l’histoire des Hans, il s’est produit des centaines d’insurrections paysannes, grandes et petites, toutes dirigées contre la sombre domination des propriétaires fonciers et de la noblesse.

Dans la plupart des cas, les changements de dynastie étaient dus à ces insurrections paysannes. Les différentes nationalités de Chine ont toujours combattu le joug étranger et cherché à s’en libérer par la résistance.

Elles sont pour l’union sur une base d’égalité, et contre l’oppression d’une nationalité par une autre. Au cours de son histoire plusieurs fois millénaire, le peuple chinois a donné un grand nombre de héros nationaux et de chefs révolutionnaires. Aussi la nation chinoise possède-t-elle de glorieuses traditions révolutionnaires et un remarquable héritage historique.

SECTION 2. L’ANCIENNE SOCIÉTÉ FÉODALE

   Bien que la Chine soit une grande nation, qu’elle possède un immense territoire, une population nombreuse, une histoire millénaire, de riches traditions révolutionnaires et un remarquable héritage historique, elle est entrée, après avoir passé du régime esclavagiste au régime féodal, dans une longue période de développement au ralenti sur les plans économique, politique et culturel. A compter des Tcheou et des Ts’in, le régime féodal a duré environ 3.000 ans.

   Les caractéristiques principales du système économique et politique de la Chine féodale étaient les suivantes :

   1) Une économie naturelle qui se suffisait à elle-même dominait dans le pays. Les paysans produisaient eux-mêmes non seulement les produits agricoles mais aussi la plupart des articles artisanaux dont ils avaient besoin. Ce que les propriétaires fonciers et la noblesse arrachaient aux paysans à titre de fermages était destiné principalement à leur propre consommation et non à l’échange, qui, bien qu’il se développât, ne jouait pas un rôle décisif dans l’ensemble de l’économie.

   2) Tandis que la classe dominante féodale – les propriétaires fonciers, la noblesse et l’empereur – possédait la plus grande partie des terres, les paysans n’en avaient que très peu ou pas du tout. C’est avec leurs propres instruments qu’ils cultivaient la terre des propriétaires fonciers, de la noblesse et de la famille impériale, auxquels ils devaient livrer 40, 50, 60, 70, et même 80 pour cent et plus de leurs récoltes. En fait, ils restaient des serfs.

   3) Non seulement les propriétaires fonciers, la noblesse et la famille impériale vivaient de l’exploitation des paysans grâce aux fermages, mais l’Etat de la classe des propriétaires fonciers exigeait encore des paysans impôts, tribut et corvées pour entretenir une foule de fonctionnaires et une armée utilisée principalement contre les paysans eux-mêmes.

   4) L’organe du pouvoir qui protégeait ce système d’exploitation était l’Etat féodal des propriétaires fonciers. Alors que, dans la période antérieure à la dynastie des Ts’in, l’Etat féodal était divisé en fiefs où les feudataires régnaient en maîtres, il devint, après l’unification de la Chine par le premier empereur des Ts’in, un Etat absolutiste avec un pouvoir centralisé, bien qu’un certain morcellement féodal subsistât encore. Dans l’Etat féodal, l’empereur était tout-puissant. Il nommait dans tout le pays les fonctionnaires locaux chargés de gérer les affaires militaires et judiciaires, les finances et les greniers publics ; il s’appuyait sur les propriétaires fonciers et les hobereaux, piliers de tout le régime féodal.

   Sous ce régime, les paysans chinois, soumis à l’exploitation économique et à l’oppression politique, ont vécu pendant des siècles en esclaves, dans la misère et la souffrance. Enchaînés par les liens féodaux, ils étaient privés de toute liberté individuelle.

Alors que les propriétaires fonciers pouvaient, selon leur bon plaisir, humilier, frapper et même faire mettre à mort les paysans, ceux-ci n’avaient aucun droit politique.

Leur grande misère et leur état extrêmement arriéré, conséquences de l’exploitation et de l’oppression cruelles exercées par les propriétaires fonciers, sont les raisons essentielles de la stagnation économique et sociale de la société chinoise pendant des milliers d’années.

   La contradiction principale de la société féodale est celle qui oppose la paysannerie à la classe des propriétaires fonciers.

   Dans cette société, les paysans et les artisans constituent les seules classes fondamentales, créatrices des valeurs matérielles et culturelles.

   L’impitoyable exploitation économique et la cruelle oppression politique de la part des propriétaires fonciers contraignirent la paysannerie à entreprendre un grand nombre d’insurrections contre leur domination. Il y en eut des centaines, grandes et petites ; toutes furent des soulèvements de paysans, des guerres révolutionnaires paysannes – depuis les insurrections dirigées par Tchen Cheng, Wou Kouang, Hsiang Yu et Lieou Pang sous la dynastie des Ts’in, les insurrections de Sinche de Pinglin, des Sourcils rouges, des Chevaux de Bronze et des Turbans jaunes sous la dynastie des Han, les insurrections dirigées par Li Mi et Teou Kien-teh sous la dynastie des Souei, par Wang Sien-tche et Houang Tchao sous la dynastie des Tang, par Song Kiang et Fang La sous la dynastie des Song, par Tchou Yuan-tchang sous la dynastie des Yuan, par Li Tse-tcheng sous la dynastie des Ming, jusqu’à la Guerre des Taiping sous la dynastie des Tsing.

[En 209 av. J.­C, Tchen Cheng et Wou Kouang, qui, à la tête de 900 autres conscrits, se rendaient à un poste frontière pour y tenir garnison, s’insurgèrent contre la tyrannie des Ts’in, dans le district de Kihsien (aujourd’hui district de Souhsien, province de l’Anhouei).

Hsiang Yu et Lieou Pang furent les plus célèbres parmi ceux qui, dans tout le pays, leur firent écho. L’armée de Hsiang Yu anéantit les forces principales des Ts’in, et celle de Lieou Pang prit la capitale. Une lutte s’engagea alors entre Hsiang Yu et Lieou Pang. Le second battit le premier et fonda la dynastie des Han.

Les chevaux de bronze furent des insurrections paysannes qui éclatèrent dans les dernières années de la dynastie des Han de l’Ouest, alors que l’agitation était générale dans la paysannerie. En l’an 8, le premier ministre Wang Mang renversa la dynastie régnante, se proclama empereur et introduisit des réformes pour apaiser les paysans insurgés. Mais les masses en proie à la famine se soulevèrent à Sinche (aujourd’hui district de Kingchan, province du Houpei) et à Pinglin (dans l’actuel district de Soueihsien, province du Houpei).

Les Sourcils rouges et les Chevaux de Bronze étaient des armées de paysans insurgés de la partie centrale des provinces actuelles du Chantong et du Hopei. Les Sourcils rouges, la plus puissante des forces paysannes, étaient ainsi nommés parce qu’ils se peignaient les sourcils en rouge.

Les Turbans jaunes furent une Armée de paysans qui se souleva en l’an 184 et nommée ainsi parce que ceux qui en faisaient partie portaient un turban jaune.

Li Mi et Teou Kien­teh dirigèrent, respectivement dans les provinces du Honan et du Hopei, de puissantes insurrections paysannes contre la dynastie des Souei, au début du VIIe siècle.

En l’an 874, sous le règne de l’empereur Hsitsong des Tang, Wang Sien­tche organisa une insurrection dans la province du Chantong. L’année suivante, Houang Tchao, qui avait rassemblé autour de lui un grand nombre de paysans, lui fit écho.

Chefs célèbres de deux insurrections paysannes du début du XIIe siècle. Song Kiang déployait son activité dans la région limitrophe du Chantong, du Honan et du Kiangsou, et Fang La dans le Tchékiang et l’Anhouei.

En 1351, le peuple se souleva de toutes parts contre la dynastie des Yuan (mongole). En 1352, Tchou Yuan-tchang, originaire de Fengyang, province de l’Anhouei, se joignit aux forces insurrectionnelles dirigées par Kouo Tse-hsing et lui succéda après sa mort. En 1368, il réussit à renverser la dynastie mongole, qui chancelait déjà sous les coups du peuple insurgé.]

Les insurrections et les guerres paysannes que connut l’histoire de la Chine sont d’une ampleur sans égale dans le monde. Dans la société féodale chinoise, les luttes de classe de la paysannerie, les insurrections et les guerres paysannes ont seules été les véritables forces motrices dans le développement de l’histoire.

Car chaque insurrection de paysans, chaque guerre paysanne de quelque importance portait un coup au régime féodal de l’époque et donnait, par conséquent, une impulsion plus ou moins grande au développement des forces productives de la société.

Cependant, comme il n’y avait alors ni forces productives nouvelles, ni nouveaux rapports de production, ni nouvelle force de classe, ni parti politique d’avant-garde, les insurrections et les guerres paysannes manquaient d’une direction juste, comme celle qu’assurent aujourd’hui le prolétariat et le Parti communiste ; de ce fait, toutes les révolutions paysannes se soldaient par la défaite et étaient invariablement utilisées, pendant ou après leur déroulement, par les propriétaires fonciers et la noblesse, comme instrument d’un changement de dynastie.

Et c’est ainsi qu’en dépit d’un certain progrès social réalisé à l’issue de chaque grande révolution paysanne, les rapports économiques féodaux et le régime politique féodal demeuraient pratiquement les mêmes.

   La situation n’a changé qu’au cours des cent dernières années.

SECTION 3. LA SOCIÉTÉ COLONIALE, SEMI-COLONIALE ET SEMI-FEODALE D’AUJOURD’HUI

   Comme nous l’avons expliqué plus haut, la société chinoise a été féodale pendant 3.000 ans. Mais est-elle encore complètement féodale de nos jours ? Non, la Chine a changé. A partir de la Guerre de l’Opium en 184015, la société chinoise s’est transformée peu à peu en une société semi-coloniale et semi-féodale.

   Depuis l’Incident du 18 Septembre 1931, début de l’agression armée des impérialistes japonais contre la Chine, elle a encore changé pour devenir coloniale, semi-coloniale et semi-féodale. Nous allons montrer maintenant comment se sont opérés ces changements.

   Comme nous l’avons dit dans la section 2, la société féodale chinoise a duré environ 3.000 ans. C’est seulement vers le milieu du XIXe siècle, par suite de la pénétration du capitalisme étranger, que de profonds changements se sont produits dans sa structure.

   L’économie marchande qui se développait en son sein portait déjà les germes du capitalisme. La société chinoise aurait donc pu se transformer peu à peu en une société capitaliste même sans l’influence du capitalisme étranger.

Mais en pénétrant en Chine, celui-ci a accéléré le processus. Il a joué un rôle important dans la décomposition de notre économie sociale : d’une part, il a sapé les bases de l’économie naturelle qui se suffisait à elle-même et a ruiné l’industrie artisanale dans les villes et l’artisanat domestique dans les campagnes ; d’autre part, il a favorisé le développement de l’économie marchande dans les villes et les campagnes.

   Cet état de choses, tout en minant les fondements de l’économie féodale chinoise, a créé certaines conditions et possibilités objectives pour le développement de la production capitaliste en Chine. Car la destruction de l’économie naturelle a fourni au capitalisme un débouché pour ses marchandises, tandis que la ruine d’une masse énorme de paysans et d’artisans l’a pourvu d’un marché de main-d’œuvre.

   En fait, il y a une soixantaine d’années déjà, dans la seconde moitié du XIXe siècle, sous l’effet stimulant du capitalisme étranger et par suite d’une certaine détérioration de la structure économique féodale, des commerçants, des propriétaires fonciers et des bureaucrates ont commencé à faire des investissements dans l’industrie moderne.

Il y a une quarantaine d’années, à la fin du siècle dernier et au début du nôtre, le capitalisme national chinois a commencé à se développer.

Et il y a vingt ans, pendant la première guerre mondiale impérialiste, alors que les pays impérialistes d’Europe et d’Amérique étaient occupés à faire la guerre et avaient momentanément relâché leur étreinte sur la Chine, l’industrie nationale chinoise, surtout le textile et la minoterie, a connu une nouvelle expansion.

   A l’apparition et au développement du capitalisme national en Chine correspondent l’apparition et le développement de la bourgeoisie et du prolétariat.

Si une partie des commerçants, des propriétaires fonciers et des bureaucrates ont été les précurseurs de la bourgeoisie chinoise, une fraction des paysans et des artisans ont été les précurseurs du prolétariat chinois.

En tant que classes sociales distinctes, la bourgeoisie et le prolétariat chinois sont d’apparition récente ; ces classes n’ont jamais existé auparavant dans l’histoire de la Chine. Ce sont deux classes nouvelles enfantées par la société féodale, deux sœurs jumelles nées de la vieille société chinoise (la société féodale), à la fois liées l’une à l’autre et antagonistes.

Cependant, le prolétariat chinois est apparu et s’est développé non seulement en même temps que la bourgeoisie nationale, mais aussi en même temps que les entreprises exploitées directement par les impérialistes en Chine. Il en résulte qu’une partie très importante du prolétariat chinois dépasse la bourgeoisie en âge et en expérience et, par conséquent, sa force sociale est plus grande, sa base sociale plus large.

   Toutefois, ce phénomène nouveau dont nous venons de parler, l’apparition et le développement du capitalisme, ne représente qu’un aspect des changements intervenus à la suite de la pénétration de l’impérialisme en Chine. Il y en a un autre, concomitant du premier et lui faisant obstacle, c’est la collusion de l’impérialisme avec les forces féodales pour empêcher le développement du capitalisme chinois.

   En pénétrant en Chine, les puissances impérialistes n’avaient aucunement l’intention de faire de la Chine féodale un pays capitaliste ; au contraire, elles voulaient en
faire une semi-colonie et une colonie.

   A cette fin, elles ont employé et continuent d’employer des moyens d’oppression militaires, politiques, économiques et culturels, si bien que la Chine est devenue peu à peu une semi-colonie et une colonie. Ces moyens sont les suivants :

   1) Les puissances impérialistes ont mené contre la Chine de nombreuses guerres d’agression, telles que la Guerre de l’Opium entreprise par la Grande-Bretagne
en 1840, la guerre menée par les forces alliées anglo-françaises en 1857, la Guerre sino-française de 1884, la Guerre sino-japonaise de 1894 et la guerre menée par les forces coalisées des huit puissances en 1900.

Après l’avoir vaincue par la guerre, ces puissances ont non seulement occupé des pays voisins qui étaient sous protection chinoise, mais lui ont encore arraché ou pris « à bail » une partie de son territoire.

Par exemple, le Japon s’est emparé de Taïwan et des îles Penghou et a pris « à bail » Liuchouen, la Grande-Bretagne s’est emparée de Hongkong et la France a pris « à bail » Kouangtcheouwan. A ces annexions s’ajouta l’extorsion d’énormes indemnités de guerre. Ainsi, des coups très durs ont été portés à l’immense empire féodal chinois.

   2) Les puissances impérialistes ont imposé à la Chine un grand nombre de traités inégaux, en vertu desquels elles ont obtenu le droit de faire stationner des forces navales et terrestres et d’exercer la juridiction consulaire en Chine, et elles ont partagé le pays en plusieurs sphères d’influence.

   3) Par des traités inégaux, elles se sont assuré le contrôle de tous les ports de commerce importants de la Chine et ont établi dans nombre d’entre eux des concessions placées directement sous leur administration. Elles ont également mis sous leur contrôle les douanes, le commerce extérieur et les communications (maritimes, terrestres, fluviales et aériennes).

Ainsi, elles ont pu écouler des quantités énormes de marchandises en Chine, faisant de celle-ci un débouché pour leurs produits manufacturés, en même temps qu’elles subordonnaient l’agriculture chinoise à leurs besoins.

   4) Elles ont créé en Chine de nombreuses entreprises de l’industrie légère et de l’industrie lourde pour utiliser sur place les matières premières et la main-d’œuvre à bon marché, exerçant ainsi une pression économique directe sur l’industrie nationale de la Chine et entravant directement le développement de ses forces productives.

   5) Par l’octroi de prêts au gouvernement chinois et par l’ouverture de banques en Chine, elles ont monopolisé les opérations bancaires et les finances du pays. Ainsi, elles ont non seulement étouffé le capital national chinois par leur concurrence commerciale, mais encore pris la Chine à la gorge en matière bancaire et financière.

   6) Afin d’exploiter plus facilement les masses paysannes et les autres couches de la population chinoise, elles ont constitué en Chine un réseau d’exploiteurs formé de compradores et de commerçants-usuriers et qui s’étend des grands ports de commerce aux coins les plus reculés ; elles ont ainsi créé une classe de compradores et de commerçants-usuriers à leur service.

   7) Elles ont fait de la classe des propriétaires fonciers féodaux aussi bien que de la bourgeoisie compradore le soutien de leur domination en Chine. L’impérialisme
« s’associe avant tout aux couches dominantes du régime social précédent – aux féodaux et à la bourgeoisie commerçante et usurière -, contre la majorité du peuple. L’impérialisme s’efforce partout de maintenir et de perpétuer toutes les formes précapitalistes d’exploitation (surtout à la campagne) qui sont la base même de l’existence de ses alliés réactionnaires. » [« Du mouvement révolutionnaire dans les pays coloniaux et semi­coloniaux », thèses adoptées au VIe Congrès de l’Internationale communiste.]

« L’impérialisme avec toute sa puissance financière et militaire en Chine est la force qui soutient, inspire, cultive et préserve les vestiges féodaux de ce pays avec toute leur superstructure bureaucratico-militariste. » [J. Staline: « La Révolution en Chine et les tâches de l’Internationale communiste », discours prononcé le 24 mai 1927 à la huitième assemblée plénière du Comité exécutif de l’Internationale communiste.]

   8) Afin d’entretenir des conflits armés entre seigneurs de guerre et d’opprimer le peuple chinois, les puissances impérialistes ont fourni au gouvernement réactionnaire de la Chine d’énormes quantités d’armes et de munitions et mis à sa disposition une foule de conseillers militaires.

   9) De plus, elles n’ont jamais relâché leurs efforts pour empoisonner l’esprit du peuple chinois. C’est leur politique d’agression dans le domaine culturel, qui s’effectue par l’activité des missionnaires, l’ouverture d’hôpitaux et d’écoles, la publication de journaux et le fait d’engager les étudiants chinois à aller étudier dans les pays impérialistes. Leur but est de former des intellectuels destinés à servir leurs intérêts, et de duper la grande masse du peuple chinois.

   10) Depuis l’Incident du 18 Septembre 1931, l’attaque de grand style de l’impérialisme japonais a fait d’une bonne partie de la Chine, déjà réduite à l’état de semi-colonie, une colonie japonaise.

   Ces faits constituent l’autre aspect des changements survenus depuis la pénétration impérialiste : le tableau sanglant de la transformation de la Chine féodale en un pays semi-féodal, semi-colonial et colonial.

   On voit ainsi que, par leur agression contre la Chine, les puissances impérialistes ont, d’une part, hâté la désagrégation de la société féodale et la croissance des éléments du capitalisme, transformant la société féodale en une société semi féodale, et, d’autre part, imposé leur cruelle domination à la Chine, faisant d’un pays
indépendant un pays semi-colonial et colonial.

   En réunissant ces deux aspects, on constate que notre société coloniale, semi-coloniale et semi-féodale possède les caractéristiques suivantes :

   1) L’économie naturelle qui se suffisait à elle-même à l’époque féodale a été détruite dans ses fondements ; néanmoins, l’exploitation des paysans par les propriétaires fonciers, qui est la base de l’exploitation féodale, a non seulement été conservée, mais, liée comme elle l’est à l’exploitation exercée par le capital comprador et usuraire, elle domine manifestement la vie socio-économique de la Chine.

   2) Le capitalisme national a connu un certain développement et a joué un rôle assez important dans la vie politique et culturelle de la Chine, mais il n’est pas devenu la forme principale de son économie sociale ; resté très faible, il est le plus souvent lié peu ou prou à l’impérialisme étranger et au féodalisme du pays.

   3) Le pouvoir absolu de l’empereur et de la noblesse a été renversé et remplacé d’abord par la domination des seigneurs de guerre et des bureaucrates appartenant à la classe des propriétaires fonciers, puis par la dictature conjointe des propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie. Dans les régions occupées, c’est l’impérialisme japonais et ses fantoches qui détiennent le pouvoir.

   4) L’impérialisme contrôle non seulement les secteurs vitaux de la vie financière et économique du pays, mais encore ses forces politiques et militaires. Dans les régions occupées, tout est aux mains de l’impérialisme japonais.

   5) Le développement économique, politique et culturel de la Chine est extrêmement inégal, parce que ses diverses régions sont en totalité ou en partie sous la domination de nombreux États impérialistes, qu’elle a cessé, en fait, depuis longtemps d’être unifiée et que son territoire est immense.

   6) Sous le double joug de l’impérialisme et du féodalisme, et surtout par suite de la grande attaque de l’impérialisme japonais, les masses populaires chinoises, et en particulier les paysans, s’appauvrissent de jour en jour et tombent en grand nombre dans l’indigence, menant une existence famélique et privées de tout droit politique. On trouve peu de pays au monde où le peuple connaisse la même misère et la même absence de liberté qu’en Chine.

   Tels sont les traits caractéristiques de la société chinoise coloniale, semi-coloniale et semi-féodale.

   Cette situation est principalement déterminée par les forces impérialistes, japonaises et autres ; elle résulte de la collusion entre l’impérialisme étranger et le féodalisme chinois.

   La contradiction entre l’impérialisme et la nation chinoise et celle entre le féodalisme et les masses populaires sont les contradictions principales de la société chinoise moderne. Il y en a évidemment d’autres, comme la contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat et les contradictions au sein des classes réactionnaires dominantes.

Mais la plus importante est celle entre l’impérialisme et la nation chinoise. Toutes ces contradictions et leur aggravation engendrent inévitablement des mouvements révolutionnaires toujours plus amples. Les grandes révolutions de la Chine moderne et contemporaine sont apparues et se sont développées sur la base de ces contradictions fondamentales.

CHAPITRE II

LA RÉVOLUTION CHINOISE

SECTION 1. LES MOUVEMENTS RÉVOLUTIONNAIRES DES CENT DERNIÈRES ANNÉES

   L’histoire de la transformation de la Chine en un pays semi-colonial et colonial sous l’action de l’impérialisme allié au féodalisme chinois est en même temps l’histoire de la lutte du peuple chinois contre l’impérialisme et ses laquais. La Guerre de l’Opium, le Mouvement des Taiping, la Guerre sino-française, la Guerre sino-japonaise, le Mouvement réformiste de 1898, le Mouvement des Yihotouan, la Révolution de 1911, le Mouvement du 4 Mai, le Mouvement du 30 Mai, l’Expédition du Nord, la Guerre révolutionnaire agraire et la présente Guerre de Résistance contre le Japon sont autant de témoignages de l’indomptable esprit de résistance du peuple chinois qui refuse de s’incliner devant l’impérialisme et ses laquais.

   En raison de la lutte héroïque menée sans défaillance par le peuple chinois pendant les cent dernières années, l’impérialisme n’a pas réussi jusqu’à présent à asservir la
Chine, et il n’y parviendra jamais.

   A l’heure actuelle, bien que l’impérialisme japonais déploie tous ses efforts dans sa grande attaque contre la Chine et que de nombreux représentants des propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie, tels que les Wang Tsing-wei déclarés ou camouflés, aient capitulé devant l’ennemi ou se préparent à le faire, l’héroïque peuple chinois poursuivra son combat. Il ne s’arrêtera pas avant d’avoir chassé de la Chine les impérialistes japonais, avant d’avoir complètement libéré le pays.

   La lutte nationale révolutionnaire du peuple chinois compte cent ans d’histoire si on la fait commencer à la Guerre de l’Opium en 1840, ou trente ans si l’on part de la Révolution de 1911. Elle n’est pas arrivée à son terme et n’a pas encore obtenu de résultats marquants dans l’accomplissement de ses tâches ; le peuple chinois, et en premier lieu le Parti communiste chinois, a la responsabilité de la poursuivre avec résolution.

   Quelles sont les cibles de cette révolution ? Quelles sont ses tâches ? Quelles sont ses forces motrices ? Quel est son caractère ? Quelles sont ses perspectives ? Ce sont là des questions que nous allons traiter.

SECTION 2. LES CIBLES DE LA RÉVOLUTION CHINOISE

   Par l’analyse faite dans la section 3 du premier chapitre, nous savons déjà que la société chinoise actuelle est de caractère colonial, semi-colonial et semi-féodal. Il faut avoir bien compris le caractère de la société chinoise pour savoir quelles sont les cibles de la révolution chinoise, quelles sont ses tâches et ses forces motrices, quel est son caractère, quelles sont ses perspectives et dans quel sens elle évoluera. Une juste compréhension de ce caractère, c’est-à-dire de la situation de la Chine, est donc la clé pour une juste compréhension de tous les problèmes de la révolution.

   Du moment que la société chinoise d’aujourd’hui est de caractère colonial, semi-colonial et semi-féodal, quelles sont les cibles principales de la révolution chinoise à son étape actuelle, ou, en d’autres termes, quels sont ses ennemis principaux ?

   Ce sont l’impérialisme et le féodalisme, c’est-à-dire la bourgeoisie des Etats impérialistes et la classe des propriétaires fonciers de notre pays. Car, à l’étape actuelle, ils sont les principaux oppresseurs dans la société chinoise, les principaux obstacles à son progrès.

Tous les deux s’entendent pour opprimer le peuple chinois et, comme l’oppression la plus cruelle est l’oppression nationale exercée par l’impérialisme, c’est lui qui est le premier et le pire ennemi du peuple chinois.

   Depuis l’agression armée du Japon contre la Chine, les principaux ennemis de la révolution chinoise sont l’impérialisme japonais et tous ceux qui ont partie liée avec le Japon, les traîtres à la nation et les réactionnaires qui ont capitulé ouvertement ou qui se préparent à capituler.

   La bourgeoisie chinoise souffre elle aussi du joug impérialiste ; elle a dirigé des luttes révolutionnaires, y jouant le rôle principal, comme dans la Révolution de 1911 ; elle a participé à des luttes révolutionnaires, comme pendant l’Expédition du Nord ; elle participe également à la présente Guerre de Résistance contre le Japon.

Mais, pendant la longue période de 1927 à 1937, le peuple révolutionnaire et le parti révolutionnaire (le Parti communiste) ne pouvaient considérer la couche supérieure de la bourgeoisie, représentée par la clique réactionnaire du Kuomintang, que comme l’une des cibles de la révolution, étant donné que cette couche sociale s’était entendue avec les impérialistes, qu’elle avait conclu une alliance réactionnaire avec la classe des propriétaires fonciers, et qu’elle avait trahi les amis qui l’avaient aidée le Parti communiste, le prolétariat, la paysannerie et les autres fractions de la petite bourgeoisie, trahi la révolution chinoise et causé sa défaite.

Dans la Guerre de Résistance, une partie des grands propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie, représentée par Wang Tsing-wei, a passé dans le camp ennemi et a trahi la nation. Aussi le peuple en lutte contre le Japon s’est-il vu oblige de compter ces éléments de la grande bourgeoisie qui ont trahi les intérêts nationaux au nombre des cibles de la révolution.

   Nous voyons donc que les ennemis de la révolution chinoise sont extrêmement forts. Ils comprennent non seulement le puissant impérialisme, mais encore les puissantes forces féodales et, à certains moments, les réactionnaires bourgeois qui, en collusion avec l’impérialisme et les forces féodales, luttent contre le peuple. Aussi est-ce une erreur de sous-estimer la force des ennemis du peuple révolutionnaire de Chine.

   L’existence de tels ennemis explique le caractère de lutte prolongée et acharnée assumée par la révolution chinoise. Avec des ennemis aussi puissants, une longue période est indispensable pour rassembler et aguerrir les forces révolutionnaires capables de les battre.

Et la cruauté inouïe avec laquelle ils répriment la révolution chinoise fait que les forces révolutionnaires ne peuvent tenir fermement leurs positions et s’emparer de celles de l’adversaire qu’en s’aguerrissant et en mettant en œuvre toute leur ténacité. Il est donc faux de penser qu’en Chine les forces de la révolution peuvent se former en un clin d’œil et la lutte révolutionnaire triompher du jour au lendemain.

   L’existence de tels ennemis oblige la révolution chinoise à faire de la lutte armée et non de la lutte par des moyens pacifiques sa méthode principale, sa forme essentielle. Car nos ennemis ont privé le peuple chinois de la possibilité d’une activité pacifique, puisqu’ils lui ont ôté toute liberté politique. Staline a dit : « En Chine, la révolution armée lutte contre la contre-révolution armée, c’est là l’une des particularités et l’un des avantages de la révolution chinoise. »

Cette formule est parfaitement juste. Il est donc faux de sous-estimer l’importance de la lutte armée, de la guerre révolutionnaire, de la guerre de partisans et du travail concernant l’armée.

   L’existence de tels ennemis pose la question des bases révolutionnaires.

Les centres urbains de la Chine resteront longtemps occupés par le puissant impérialisme et ses alliés, les réactionnaires chinois ; si donc les forces de la révolution ne veulent pas faire de compromis avec l’impérialisme et ses valets, mais sont décidées à poursuivre la lutte, si elles veulent s’accroître et s’aguerrir, si elles entendent éviter la bataille décisive contre un ennemi puissant tant qu’elles ne seront pas de taille à la livrer, elles doivent faire de la campagne arriérée une base solide qui soit à l’avant-garde du progrès, un vaste bastion militaire, politique, économique et culturel de la révolution, à partir duquel il leur sera possible de combattre leur ennemi mortel, qui utilise les villes pour attaquer les régions rurales, et de faire triompher pas à pas, dans une lutte de longue durée, la révolution dans tout le pays.

Dans ces circonstances, l’inégalité du développement économique de la Chine (qui n’a pas une économie capitaliste unifiée), l’immensité de son territoire (qui donne aux forces révolutionnaires la possibilité de manœuvrer), la désunion du camp de la contre-révolution chinoise et les nombreuses contradictions qui le déchirent, ces divers facteurs s’ajoutant au fait que la lutte de la paysannerie, force principale de la révolution chinoise, est dirigée par le parti du prolétariat, le Parti communiste, ont pour conséquence que, d’une part, la révolution chinoise peut triompher d’abord dans les régions rurales et que, d’autre part, elle se développera d’une façon inégale et exigera, pour sa victoire totale, une lutte longue et ardue. Il est alors clair que la lutte révolutionnaire de longue durée qui se déroule dans les bases révolutionnaires est essentiellement une guerre de partisans menée par la paysannerie sous la direction du Parti communiste chinois.

C’est pourquoi il est erroné de sous-estimer la nécessité d’utiliser les régions rurales comme bases révolutionnaires, erroné de négliger le travail assidu parmi les paysans et de négliger la guerre de partisans.

   Toutefois, mettre l’accent sur la lutte armée ne signifie pas renoncer aux autres formes de lutte ; au contraire, si celles-ci ne lui sont pas coordonnées, elle ne peut être victorieuse.

Mettre l’accent sur le travail dans les bases rurales ne signifie pas abandonner le travail dans les villes et dans les vastes régions rurales qui sont encore sous la domination de l’ennemi ; au contraire, sans le travail dans ces villes et dans ces régions, les bases rurales seraient isolées et la révolution courrait à un échec. D’ailleurs, le but final de la révolution est de conquérir les villes, bases principales de l’ennemi, et il ne saurait être atteint sans qu’on y fasse un travail suffisant.

   Il s’ensuit que la révolution ne peut triompher ni dans les campagnes ni dans les villes sans la destruction de l’armée de l’ennemi, instrument principal de sa lutte contre le peuple. C’est pourquoi, outre l’anéantissement des troupes sur les champs de bataille, la désagrégation de l’armée ennemie est un travail important.

   Il s’ensuit également que, dans les villes et les campagnes occupées depuis longtemps par l’ennemi et dominées par les forces réactionnaires et ténébreuses, le Parti communiste doit se garder de toute précipitation et de tout aventurisme dans le travail de propagande et d’organisation, il doit travailler à couvert, avec un effectif réduit mais efficace, accumuler des forces et attendre le moment propice.

Pour diriger le peuple dans sa lutte contre l’ennemi, il doit adopter la tactique de l’avance progressive et à pas sûrs, en partant du principe qu’il faut, dans la lutte, avoir le bon droit de son côté, s’assurer l’avantage et garder la mesure, et en utilisant toute possibilité de lutte ouverte, légale, dans le cadre admis par les lois, les décrets et les coutumes sociales ; on ne peut arriver à rien par de vaines clameurs et en fonçant tout droit, tête baissée.

SECTION 3. LES TACHES DE LA RÉVOLUTION CHINOISE

   Les principaux ennemis de la révolution chinoise étant, à l’étape actuelle, l’impérialisme et la classe des propriétaires fonciers féodaux, quelles sont les tâches de la révolution à cette étape ?

   Incontestablement, ses tâches principales sont de porter des coups à ces deux ennemis, d’accomplir, d’une part, une révolution nationale qui secouera le joug étranger de l’impérialisme et, d’autre part, une révolution démocratique qui secouera le joug intérieur des propriétaires fonciers féodaux, la tâche primordiale étant le renversement de l’impérialisme par la révolution nationale.

   Ces deux grandes tâches sont liées l’une à l’autre. Si l’on ne renverse pas la domination de l’impérialisme, on ne pourra en finir avec celle de la classe des propriétaires fonciers féodaux, puisque l’impérialisme est son principal soutien.

De même, la classe des propriétaires fonciers féodaux étant la principale base sociale de la domination impérialiste en Chine, et la paysannerie, la force principale de la révolution chinoise, si l’on n’aide pas les paysans à renverser la classe des propriétaires fonciers féodaux, on ne parviendra pas à constituer une puissante armée révolutionnaire pour mettre fin à la domination de l’impérialisme.

Ainsi, ces deux tâches fondamentales la révolution nationale et la révolution démocratique sont distinctes l’une de l’autre et forment en même temps un tout.

   Puisque aujourd’hui la révolution nationale en Chine a pour tâche principale de combattre l’impérialisme japonais qui a envahi notre territoire et puisqu’il faut accomplir la révolution démocratique pour assurer la victoire dans la guerre, les deux tâches révolutionnaires sont en fait déjà liées. C’est une erreur de considérer la révolution nationale et la révolution démocratique comme deux étapes révolutionnaires nettement distinctes.

SECTION 4. LES FORCES MOTRICES DE LA RÉVOLUTION CHINOISE

   Après avoir analysé et déterminé le caractère de la société chinoise, les cibles et les tâches de la révolution chinoise à l’étape actuelle, voyons quelles sont les forces motrices de cette révolution.

   Puisque la société chinoise est coloniale, semi-coloniale et semi-féodale, que notre révolution est dirigée surtout contre la domination de l’impérialisme étranger et le féodalisme à l’intérieur du pays et qu’elle a pour tâche de renverser ces deux oppresseurs, quelles sont, parmi les différentes classes et couches de la société chinoise, celles qui peuvent constituer les forces capables de combattre l’impérialisme et le féodalisme ?

C’est là la question des forces motrices de notre révolution à l’étape actuelle. Il est indispensable de bien la comprendre pour arriver à une juste solution du problème de la tactique fondamentale de la révolution chinoise.

   Quelles sont les différentes classes composant, à l’étape actuelle, la société chinoise ? Il y a d’abord la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie ; la classe des propriétaires fonciers et la couche supérieure de la bourgeoisie constituent les classes dominantes de la société chinoise. Il y a ensuite le prolétariat, la paysannerie et les diverses fractions de la petite bourgeoisie autres que la paysannerie ; ce sont des classes encore assujetties dans la plus grande partie de la Chine d’aujourd’hui.

   L’attitude et la position de toutes ces classes à l’égard de la révolution chinoise sont déterminées par leur situation socio-économique. Par conséquent, la nature du régime socio-économique détermine non seulement les cibles et les tâches de la révolution, mais aussi ses forces motrices.

   Analysons maintenant les différentes classes de la société chinoise.

1. La classe des propriétaires fonciers

   La classe des propriétaires fonciers est la principale base sociale de la domination impérialiste en Chine ; en utilisant le régime féodal pour exploiter et opprimer les paysans, elle fait obstacle au développement politique, économique et culturel de la société chinoise ; elle ne joue aucun rôle progressiste.

   Aussi les propriétaires fonciers, en tant que classe, sont-ils la cible et non une des forces motrices de la révolution.

   Dans la Guerre de Résistance, une partie des grands propriétaires fonciers ont, avec une fraction de la grande bourgeoisie (les capitulards), capitulé devant les envahisseurs japonais et sont devenus des traîtres ; l’autre partie, avec l’autre fraction de la grande bourgeoisie (les irréductibles), manifeste une instabilité extrême, bien qu’elle soit encore dans le camp de la Résistance.

Cependant, de nombreux hobereaux éclairés appartenant à la couche des petits et moyens propriétaires fonciers, c’est-à-dire quelque peu teintés de capitalisme, font preuve d’une certaine activité dans la Résistance ; nous devons les unir à nous dans la lutte commune contre le Japon.

2. La bourgeoisie

   Dans la bourgeoisie, on distingue la grande bourgeoisie compradore et la bourgeoisie nationale.

   La grande bourgeoisie compradore est une classe directement au service des capitalistes des pays impérialistes et entretenue par eux ; elle a des attaches innombrables avec les forces féodales de la campagne. C’est pourquoi elle est une cible de la révolution et n’a jamais été dans l’histoire de la révolution chinoise une force motrice.

   Toutefois, les différents groupes de la grande bourgeoisie compradore chinoise sont inféodés à des puissances impérialistes différentes, et lorsque les contradictions entre elles s’aggravent et que la révolution est dirigée principalement contre l’une de ces puissances, il devient possible pour les groupes dépendant des autres puissances de s’associer dans une certaine mesure et pour un certain temps au front constitué alors contre cette puissance impérialiste. Mais que leurs maîtres se mettent à combattre la révolution chinoise, ils les suivent aussitôt.

   Actuellement, dans la Guerre de Résistance, la fraction pro-japonaise de la grande bourgeoisie (les capitulards) a déjà capitulé ou se prépare à capituler. Et la fraction pro-européenne et pro-américaine de la grande bourgeoisie (les irréductibles), bien qu’elle soit encore dans le camp de la Résistance, manifeste une instabilité extrême. Elle joue un double jeu en luttant à la fois contre l’agresseur japonais et contre le Parti communiste.

Notre politique à l’égard des capitulards de la grande bourgeoisie est de les traiter en ennemis et de les abattre résolument.

Quant aux irréductibles, nous adoptons à leur égard une politique révolutionnaire à double aspect : d’une part, nous nous allions avec eux, car ils luttent encore contre le Japon, et nous devons utiliser les contradictions qui les opposent à l’impérialisme japonais ; d’autre part, nous luttons résolument contre eux, car ils pratiquent une politique de répression anticommuniste et antipopulaire, nuisible à la Résistance et à l’union, qui, sans cette lutte, seraient l’une et l’autre compromises.

   La bourgeoisie nationale est une classe à double caractère.

   D’une part, elle subit l’oppression de l’impérialisme et est entravée par le féodalisme ; aussi se trouve-t-elle en contradiction avec eux. A cet égard, elle est une des forces de la révolution. Au cours de la révolution chinoise, elle a déployé une certaine activité dans la lutte contre l’impérialisme et les gouvernements des bureaucrates et des seigneurs de guerre.

   D’autre part, en raison de sa faiblesse économique et politique et du fait qu’elle n’a pas rompu complètement ses liens économiques avec l’impérialisme et le féodalisme, elle n’a pas le courage de les combattre jusqu’au bout. Cela devient particulièrement évident dans les périodes d’essor des forces révolutionnaires populaires.

   De ce double caractère de la bourgeoisie nationale, il découle que, à certains moments et dans une certaine mesure, elle peut participer à la révolution contre l’impérialisme et les gouvernements des bureaucrates et des seigneurs de guerre et devenir une force révolutionnaire, mais que, à d’autres moments, on risque de la voir emboîter le pas à la grande bourgeoisie compradore et agir en auxiliaire de la contre-révolution.

   En Chine, la bourgeoisie nationale, c’est essentiellement la moyenne bourgeoisie ; bien que, de 1927 à 1931 (jusqu’à l’Incident du 18 Septembre), elle ait suivi les grands propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie dans la lutte contre la révolution, elle n’a pratiquement jamais détenu le pouvoir et se heurtait aux restrictions imposées par la politique réactionnaire des deux classes au pouvoir.

   Dans la présente guerre, elle diffère non seulement des capitulards de la classe des grands propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie, mais aussi des irréductibles de la grande bourgeoisie, et aujourd’hui encore, elle est pour nous une assez bonne alliée. Aussi est-il tout à fait nécessaire d’adopter à son égard une politique bien réfléchie.

3. Les diverses fractions de la petite bourgeoisie autres que la paysannerie

   La petite bourgeoisie comprend, outre la paysannerie, la masse des intellectuels, des petits commerçants, des artisans et des membres des professions libérales.

   La situation de toutes ces fractions ressemble plus ou moins à celle des paysans moyens. Elles subissent l’oppression de l’impérialisme, du féodalisme et de la grande bourgeoisie et s’acheminent de plus en plus vers la ruine et la déchéance.

   Elles constituent donc une des forces motrices de la révolution, une alliée sûre du prolétariat ; elles ne pourront se libérer que sous la direction du prolétariat.

   Faisons maintenant l’analyse de ces diverses fractions.

   Premièrement, les intellectuels et les jeunes étudiants. Ils ne forment ni une classe ni une couche sociale distincte. Néanmoins, dans la Chine d’aujourd’hui, leur origine familiale, leurs conditions de vie et la position politique qu’ils adoptent permettent de classer la majorité d’entre eux dans la petite bourgeoisie.

Au cours des dernières décennies, leur nombre s’est considérablement accru en Chine.

A l’exception du groupe d’intellectuels qui s’est rapproché de l’impérialisme et de la grande bourgeoisie et qui travaille pour eux contre le peuple, la plupart des intellectuels et des étudiants subissent l’oppression de l’impérialisme, du féodalisme et de la grande bourgeoisie et sont menacés de se trouver sans travail ou de devoir interrompre leurs études.

De ce fait, ils sont fort enclins à la révolution. Ils ont plus ou moins assimilé la science bourgeoise, possèdent un sens politique aigu et souvent ils jouent un rôle d’avant-garde et servent de pont dans l’étape actuelle de la révolution.

Le mouvement des étudiants chinois à l’étranger avant la Révolution de 1911, le Mouvement du 4 Mai 1919, le Mouvement du 30 Mai 1925 et le Mouvement du 9 Décembre 1935 en sont des preuves éclatantes.

En particulier, les larges couches d’intellectuels relativement pauvres sont capables de participer à la révolution ou de lui apporter leur soutien, en se plaçant aux côtés des ouvriers et des paysans.

En Chine, c’est d’abord parmi les intellectuels et les jeunes étudiants que les idées du marxisme-léninisme ont reçu une grande diffusion et trouvé une large audience.

On ne peut réussir à organiser les forces révolutionnaires et à accomplir le travail révolutionnaire sans la participation des intellectuels révolutionnaires.

Mais, avant que les intellectuels se jettent corps et âme dans la lutte révolutionnaire des masses, qu’ils se décident à les servir et à faire corps avec elles, il arrive souvent qu’ils sont enclins au subjectivisme et à l’individualisme, que leurs idées sont stériles et qu’ils se montrent hésitants dans l’action.

Aussi, bien que les nombreux intellectuels révolutionnaires chinois jouent un rôle d’avant-garde et servent de pont, tous ne sont pas révolutionnaires jusqu’au bout.

Dans les moments critiques, une partie d’entre eux abandonnent les rangs de la révolution et tombent dans la passivité ; certains deviennent même des ennemis de la révolution.

Les intellectuels ne viendront à bout de ces défauts qu’en participant longuement à la lutte des masses.

   Deuxièmement, les petits commerçants. Ils tiennent boutique généralement avec très peu ou point de commis. Exploités par l’impérialisme, la grande bourgeoisie et les usuriers, ils sont menacés de faillite.

   Troisièmement, les artisans. Ils représentent une masse nombreuse. Possédant en propre des moyens de production, ils n’embauchent pas d’ouvriers ou bien n’emploient qu’un ou deux apprentis ou aides. Leur situation est comparable à celle des paysans moyens.

   Quatrièmement, les membres des professions libérales. Cette catégorie comprend des gens appartenant à diverses professions, par exemple les médecins. Ils n’exploitent pas le travail d’autrui ou ne le font que dans une faible mesure. Leur situation rappelle celle des artisans.

   Les diverses fractions de la petite bourgeoisie que nous venons d’examiner forment une masse très importante que nous devons gagner à nous et protéger, parce qu’elles sont en général capables de participer à la révolution ou de lui apporter leur soutien et d’en être de très bonnes alliées.

Leur défaut, c’est que certains de leurs éléments tombent facilement sous l’influence de la bourgeoisie ; aussi devons-nous faire parmi elles de la propagande et du travail d’organisation révolutionnaires.

4. La paysannerie

   La paysannerie, qui représente environ 80 pour cent de la population du pays, est aujourd’hui la force principale de l’économie nationale.

   Une différenciation s’opère rapidement en son sein.

   Premièrement, les paysans riches. Ils constituent environ 5 pour cent de la population rurale (avec les propriétaires fonciers, ce pourcentage s’élèverait à environ 10 pour cent) ; on leur donne le nom de bourgeoisie rurale. La plupart d’entre eux afferment une partie de leurs terres, pratiquent l’usure et exploitent sans merci les salariés picoles, ils ont donc un caractère semi-féodal.

Mais, en général, ils participent aux travaux des champs et, dans ce sens, ils font partie de la paysannerie. Pour une période déterminée, la forme de production qu’ils représentent garde son utilité.

D’une façon générale, ils peuvent apporter une certaine contribution à la lutte antiimpérialiste des masses paysannes et rester neutres dans la révolution agraire dirigée contre les propriétaires fonciers. C’est pourquoi nous ne devons pas les assimiler à ces derniers, ni adopter prématurément à leur égard une politique de liquidation.

   Deuxièmement, les paysans moyens. Ils représentent environ 20 pour cent de la population rurale du pays. Économiquement, ils se suffisent à eux-mêmes (ils peuvent même avoir un certain excédent de production dans les bonnes années, et parfois utiliser quelque main-d’œuvre salariée ou accorder de petits prêts à intérêt) ; en général, ils n’exploitent pas les autres, mais sont exploités par l’impérialisme, la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie. Ils ne jouissent d’aucun droit politique. Une partie d’entre eux manquent de terre, et certains seulement (les paysans moyens aisés) possèdent un peu de terre en excédent.

Les paysans moyens sont non seulement capables de participer à la révolution antiimpérialiste et à la révolution agraire, mais aussi d’accepter le socialisme. C’est pourquoi toute la masse des paysans moyens peut devenir une alliée sûre du prolétariat et constitue une partie importante des forces motrices de la révolution.

L’attitude des paysans moyens à l’égard de la révolution est l’un des facteurs qui décident de sa victoire ou de sa défaite, et il en sera surtout ainsi après la révolution agraire, lorsqu’ils représenteront la majorité de la population rurale.

   Troisièmement, les paysans pauvres. Ils constituent, avec les salariés agricoles, environ 70 pour cent de la population rurale. Ils forment cette énorme masse paysanne sans terre ou qui n’en possède pas suffisamment.

C’est le semi-prolétariat rural qui, par son effectif, est la force motrice la plus importante de la révolution chinoise ; il est l’allié naturel et le plus sûr du prolétariat, l’armée principale de la révolution chinoise.

Les paysans pauvres et les paysans moyens ne peuvent se libérer que sous la direction du prolétariat, et celui-ci, de son côté, ne peut conduire la révolution à la victoire qu’en formant une solide alliance avec eux ; la victoire n’est pas possible autrement. Le terme de paysannerie désigne essentiellement les paysans pauvres et les paysans moyens.

5. Le prolétariat

   Le prolétariat chinois comprend deux millions et demi à trois millions d’ouvriers de l’industrie moderne et environ douze millions de travailleurs salariés de la petite industrie et de l’artisanat et d’employés de commerce dans les villes ; il y a par ailleurs un grand nombre de prolétaires ruraux (salariés agricoles) et d’autres prolétaires des villes et des campagnes.

   Outre les qualités fondamentales qui caractérisent le prolétariat en général – sa liaison avec la forme d’économie la plus avancée, son remarquable esprit d’organisation et de discipline et le fait qu’il ne possède pas de moyens de production en propre -, le prolétariat chinois a beaucoup d’autres qualités marquantes.

   Lesquelles ?

   Premièrement, le prolétariat chinois est, de toutes les classes, celle qui se montre la plus résolue et la plus conséquente dans la lutte révolutionnaire, car il subit une triple oppression (celle de l’impérialisme, de la bourgeoisie et des forces féodales), et cette oppression est d’une rigueur et d’une cruauté telles qu’on en trouve peu d’exemples chez d’autres nations.

La Chine, pays colonial et semi-colonial, n’offre pas de base économique à un social-réformisme tel qu’il existe en Europe ; c’est pourquoi, à l’exception d’un nombre infime de traîtres, le prolétariat est au plus haut point révolutionnaire.

   Deuxièmement, dès son apparition sur la scène de la révolution, le prolétariat chinois était sous la direction de son propre parti révolutionnaire, le Parti communiste, et il est devenu la classe la plus consciente de la société chinoise.

   Troisièmement, comme il est formé en majorité de paysans ruinés, il a, avec les masses paysannes, des affinités naturelles qui lui facilitent l’établissement d’une alliance étroite avec elles.

   Par conséquent, bien qu’il ait quelques faiblesses inévitables, comme le fait d’être peu nombreux (par rapport à la paysannerie), d’être jeune (par rapport au prolétariat des pays capitalistes) et d’avoir un niveau culturel bas (par rapport à celui de la bourgeoisie), il est devenu la force motrice essentielle de la révolution chinoise. Sans la direction du prolétariat, la révolution chinoise ne peut assurément pas triompher.

Si nous nous reportons à un passé déjà lointain, nous avons l’exemple de la Révolution de 1911, qui a avorté parce que le prolétariat n’y avait pas pris part consciemment et qu’il n’existait pas à l’époque de parti communiste. Si nous nous reportons à un passé plus récent, nous avons l’exemple de la révolution de 1924-1927 qui a remporté à un moment donné de grands succès grâce à la participation et à la direction conscientes du prolétariat et grâce à l’existence du Parti communiste.

Mais comme la grande bourgeoisie a trahi par la suite son alliance avec le prolétariat et le programme révolutionnaire commun et qu’en même temps le prolétariat chinois et son parti n’avaient pas encore une expérience révolutionnaire suffisante, cette révolution finit par échouer.

Prenons enfin l’actuelle Guerre de Résistance : grâce à la direction assumée au sein du front uni national antijaponais par le prolétariat et le Parti communiste, toute la nation s’est unie, et la grande Guerre de Résistance a été déclenchée et se poursuit avec ténacité.

   Le prolétariat chinois doit comprendre que, bien qu’il soit la classe la plus consciente et la mieux organisée, ses seules forces ne sauraient assurer la victoire et que, pour l’obtenir, il lui faut, en tenant compte des circonstances diverses, rallier toutes les classes et couches sociales susceptibles de prendre part à la révolution et créer un front uni révolutionnaire.

Parmi les différentes classes de la société chinoise, la paysannerie est l’alliée solide de la classe ouvrière, la petite bourgeoisie urbaine une alliée sûre, alors que la bourgeoisie nationale n’est une alliée qu’à certains moments et dans une certaine mesure seulement. C’est une des lois fondamentales que l’histoire de la révolution chinoise de notre époque a confirmées.

6. Le Lumpenproletariat

   L’état de colonie et de semi-colonie dans lequel se trouve la Chine a fait apparaître, à la campagne et dans les villes, un grand nombre de chômeurs. Faute de pouvoir vivre honnêtement, beaucoup d’entre eux sont obligés de subvenir à leurs besoins en se livrant à des occupations malhonnêtes. D’où les brigands, les vagabonds, les mendiants, les prostituées et nombre de gens qui vivent des pratiques superstitieuses.

Cette couche sociale est instable ; alors qu’une partie est susceptible de se laisser acheter par la réaction, l’autre peut participer à la révolution. Ces gens-là manquent d’esprit constructif, ils détruisent plutôt qu’ils n’édifient et, en participant à la révolution, ils y deviennent un foyer de mentalité « hors-la-loi » et d’esprit anarchiste. Il faut donc savoir les rééduquer et veiller à prévenir leur tendance à la destruction.

Telle est notre analyse des forces motrices de la révolution chinoise.

SECTION 5. LE CARACTÈRE DE LA RÉVOLUTION CHINOISE

   Ayant compris quel est le caractère de la société chinoise, c’est-à-dire quelles sont les conditions spécifiques de la Chine, nous avons les données essentielles pour résoudre toutes les questions relatives à la révolution chinoise. Nous avons compris également quelles sont les cibles de la révolution chinoise, quelles sont ses tâches et ses forces motrices.

Ce sont là des questions fondamentales de notre révolution à son étape actuelle ; elles découlent du caractère particulier de la société chinoise, c’est-à-dire des conditions spécifiques de la Chine. Ayant compris tout cela, nous pouvons tirer au clair une autre question fondamentale, à savoir le caractère de la révolution chinoise à son étape actuelle.

   Quel est donc ce caractère ? Celui d’une révolution démocratique bourgeoise ou celui d’une révolution socialiste prolétarienne ? De toute évidence, pas le second, mais le premier.

   Du moment que la société chinoise est encore coloniale, semi-coloniale
et semi-féodale, que la révolution chinoise a toujours pour ennemis principaux l’impérialisme et les forces féodales, qu’elle a pour tâche de les renverser par une révolution nationale et une révolution démocratique auxquelles participe parfois la bourgeoisie, et qu’elle est dirigée, non pas contre le capitalisme et la propriété privée capitaliste en général, même si la grande bourgeoisie trahit la révolution et s’en fait l’ennemie, mais contre l’impérialisme et le féodalisme, elle n’a pas, à son étape actuelle, un caractère socialiste prolétarien, mais un caractère démocratique bourgeois.

   Toutefois, dans la Chine actuelle, la révolution démocratique bourgeoise n’est plus du type général, ancien, aujourd’hui dépassé, mais d’un type particulier, nouveau. Ce type de révolution se développe actuellement en Chine et dans tous les pays coloniaux et semi-coloniaux, nous l’appelons la révolution de démocratie nouvelle.

Elle fait partie de la révolution socialiste prolétarienne mondiale, elle combat résolument l’impérialisme, c’est-à-dire le capitalisme international. Politiquement, elle vise à instaurer la dictature conjointe de plusieurs classes révolutionnaires sur les impérialistes, les traîtres et les réactionnaires ; elle lutte contre la transformation de la société chinoise en une société de dictature bourgeoise.

Économiquement, elle a pour but de nationaliser les gros capitaux et les grandes entreprises des impérialistes, des traîtres et des réactionnaires, ainsi que de distribuer aux paysans les terres des propriétaires fonciers, tout en maintenant l’entreprise capitaliste privée en général et en laissant subsister l’économie des paysans riches.

Ainsi, cette révolution démocratique de type nouveau, bien qu’elle fraie la voie au capitalisme, crée les conditions préalables du socialisme. L’étape actuelle de la révolution en Chine est une étape de transition qui va de la liquidation de la société coloniale, semi-coloniale et semi-féodale à l’édification d’une société socialiste, c’est le processus de la révolution de démocratie nouvelle.

Ce processus, commencé après la Première guerre mondiale et la Révolution d’Octobre en Russie, a débuté en Chine avec le Mouvement du 4 Mai 1919.

Par révolution de démocratie nouvelle on entend une révolution antiimpérialiste et antiféodale menée par les masses populaires sous la direction du prolétariat. La société chinoise ne pourra s’acheminer vers le socialisme qu’en passant par cette révolution ; il n’y a pas d’autre voie.

   La révolution de démocratie nouvelle est très différente des révolutions démocratiques qu’ont connues les pays d’Europe et d’Amérique, car elle aboutit non pas à la dictature de la bourgeoisie, mais à celle du front uni des classes révolutionnaires dirigée par le prolétariat.

Le pouvoir démocratique antijaponais, créé pendant la Guerre de Résistance dans les bases d’appui placées sous la direction du Parti communiste chinois, est précisément un pouvoir de front uni national antijaponais ; ce n’est ni la dictature de la seule classe bourgeoise, ni la dictature de la seule classe prolétarienne, mais la dictature conjointe de plusieurs classes révolutionnaires dirigée par le prolétariat.

Tous ceux qui sont pour la Résistance et la démocratie sont qualifiés pour participer à ce pouvoir, quel que soit le parti ou groupement politique auquel ils appartiennent.

   La révolution de démocratie nouvelle diffère également de la révolution socialiste, car elle vise à renverser la domination des impérialistes, des traîtres et des réactionnaires en Chine et non à éliminer les secteurs du capitalisme qui peuvent encore contribuer à la lutte antiimpérialiste et antiféodale.

   La révolution de démocratie nouvelle est, pour l’essentiel, conforme à la révolution selon les trois principes du peuple, préconisée par Sun Yat-sen en 1924. Dans le Manifeste du Ier Congrès national du Kuomintang publié cette année-là, Sun Yat-sen disait :

    » Dans les Etats modernes, le système dit démocratique est le plus souvent monopolisé par la bourgeoisie et est devenu un simple instrument pour opprimer le peuple. Par contre, selon le principe de la démocratie du Kuomintang, le système démocratique est le bien commun de tout le peuple, et non quelque chose qu’une minorité peut s’approprier. « 

   Et plus loin :

    » Toute entreprise, appartenant aux Chinois ou aux étrangers, qui a un caractère monopoliste ou dépasse, par son envergure, les possibilités d’un particulier, comme la banque, les chemins de fer et les transports aériens, doit être administrée par l’Etat, afin que le capital privé ne puisse dominer la vie économique du peuple. Tel est le sens fondamental du contrôle du capital. « 

   Enfin, dans son testament, Sun Yat-sen a énoncé le principe de base de la politique intérieure et extérieure :

    » … nous devons éveiller les masses populaires et nous unir, en une lutte commune, avec les nations du monde qui nous traitent sur un pied d’égalité. « 

   Tout cela a transformé les trois principes du peuple de l’ancienne démocratie, qui correspondaient à l’ancienne situation internationale et intérieure, pour en faire les trois principes du peuple de la démocratie nouvelle, qui correspondent à la nouvelle situation internationale et intérieure.

C’est à ces derniers trois principes du peuple, et non à d’autres, que le Parti communiste chinois pensait lorsqu’il déclarait dans son manifeste du 22 septembre 1937 : « Les trois principes du peuple étant aujourd’hui nécessaires à la Chine, notre Parti est prêt à lutter pour leur réalisation complète. » Ces trois principes du peuple impliquent les trois thèses politiques fondamentales de Sun Yat-sen : alliance avec la Russie, alliance avec le Parti communiste et soutien aux paysans et aux ouvriers.

Dans les nouvelles conditions internationales et intérieures, les trois principes du peuple séparés des trois thèses politiques fondamentales ne seraient plus les trois principes du peuple révolutionnaires. (Nous n’insisterons pas ici sur le fait que le communisme et les trois principes du peuple ne concordent que sur le programme politique fondamental de la révolution démocratique et diffèrent sous tous les autres rapports).

   Ainsi, dans la révolution démocratique bourgeoise en Chine, le rôle du prolétariat, de la paysannerie et des autres fractions de la petite bourgeoisie ne peut être ignoré ni dans l’organisation du front de lutte (front uni) ni dans celle du pouvoir d’Etat.

Quiconque tenterait d’écarter ces classes ne pourrait certainement pas résoudre la question du sort de la nation chinoise ni aucun des problèmes qui se posent à la Chine. La république démocratique à créer à l’étape actuelle de la révolution chinoise doit être telle qu’elle permette aux ouvriers, aux paysans et aux autres fractions de la petite bourgeoisie d’y tenir la place et le rôle qui leur reviennent.

En d’autres termes, il faut que ce soit une république démocratique fondée sur une alliance révolutionnaire des ouvriers, des paysans, de la petite bourgeoisie urbaine et de tous les autres éléments qui sont contre l’impérialisme et le féodalisme.

Et la direction du prolétariat est indispensable pour mener à bien l’établissement d’une telle république.

SECTION 6. LES PERSPECTIVES DE LA RÉVOLUTION CHINOISE

   Les questions fondamentales le caractère de la société chinoise ainsi que les cibles, les tâches, les forces motrices et le caractère de la révolution chinoise à l’étape actuelle étant élucidées, il sera facile d’envisager les perspectives de la révolution chinoise, c’est-à-dire de comprendre la relation entre la révolution démocratique bourgeoise et la révolution socialiste prolétarienne, entre l’étape actuelle et l’étape ultérieure de la révolution.

   Puisque la révolution démocratique bourgeoise en Chine à l’étape actuelle n’est pas du type général, ancien, mais est une révolution démocratique bourgeoise d’un type particulier, nouveau une révolution de démocratie nouvelle et qu’elle se trouve dans la situation internationale nouvelle des années 30 et 40 de notre siècle, caractérisée par l’essor du socialisme et le déclin du capitalisme, à l’époque de la Seconde guerre mondiale et dans une période de révolutions, il ne fait aucun doute que la révolution chinoise a pour perspective finale le socialisme et le communisme, et non le capitalisme.

   Puisque la révolution chinoise se propose à son étape actuelle de mettre fin à l’état colonial, semi-colonial et Semi-féodal de la société d’aujourd’hui, c’est-à-dire de lutter pour l’achèvement de la révolution de démocratie nouvelle, il faut évidemment s’attendre, et cela n’a rien de surprenant, à un certain développement de l’économie capitaliste dans la société chinoise après la victoire de la révolution, car celle-ci aura supprimé les obstacles qui empêchent le capitalisme de se développer.

Dans un pays économiquement arriéré comme la Chine, la victoire de la révolution démocratique amènera inévitablement un certain développement du capitalisme.

Mais ce ne sera là qu’un des résultats de la révolution chinoise, et non son effet total. L’effet total, ce sera le développement des facteurs capitalistes aussi bien que des facteurs socialistes.

Quels facteurs socialistes ? Ce seront : l’importance accrue du prolétariat et du Parti communiste dans le rapport des forces politiques du pays ; le rôle dirigeant du prolétariat et du Parti communiste reconnu ou susceptible d’être reconnu par la paysannerie, les intellectuels et la petite bourgeoisie urbaine ; le secteur d’Etat de l’économie relevant de la république démocratique, et le secteur coopératif de l’économie relevant du peuple travailleur.

Si l’on y ajoute une situation internationale favorable, il est hautement probable que la révolution démocratique bourgeoise réussira finalement à écarter la Chine de la voie capitaliste et lui assurera un avenir socialiste.

SECTION 7. LA DOUBLE TACHE DE LA RÉVOLUTION CHINOISE ET LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS

   En résumant les diverses sections de ce chapitre, nous pouvons voir que la révolution chinoise, prise dans son ensemble, assume une double tâche. Autrement dit, elle englobe une révolution démocratique bourgeoise (la révolution de démocratie nouvelle) et une révolution socialiste prolétarienne la tâche de l’étape actuelle de la révolution et la tâche de l’étape suivante.

Dans l’accomplissement de cette double tâche révolutionnaire, le rôle dirigeant revient au Parti communiste chinois, le parti du prolétariat, sans la direction duquel aucune révolution ne peut triompher.

   Mener à bien la révolution démocratique bourgeoise en Chine (la révolution de démocratie nouvelle) et la transformer en une révolution socialiste lorsque toutes les conditions nécessaires seront réunies, voilà dans sa totalité la tâche révolutionnaire, glorieuse et grandiose, du Parti communiste chinois.

Chaque membre du Parti doit lutter pour son accomplissement, sans s’arrêter à mi-chemin. Certains membres du Parti, qui manquent de maturité politique, pensent que notre tâche se limite à l’étape actuelle de la révolution, à la révolution démocratique, et ne s’étend pas à l’étape suivante, à la révolution socialiste ; ou bien ils pensent que la révolution actuelle ou la révolution agraire est déjà une révolution socialiste.

Il faut dénoncer vigoureusement l’erreur de ces conceptions. Chaque communiste doit comprendre que l’ensemble du mouvement révolutionnaire chinois dirigé par le Parti communiste embrasse deux étapes, la révolution démocratique et la révolution socialiste ; ce sont deux processus révolutionnaires de caractère différent, et c’est seulement après avoir achevé le premier que l’on peut passer à l’accomplissement du second.

La révolution démocratique est la préparation nécessaire de la révolution socialiste, et la révolution socialiste est l’aboutissement logique de la révolution démocratique. Le but final de tout communiste, et pour lequel il doit lutter de toutes ses forces, c’est l’instauration définitive d’une société socialiste et d’une société communiste.

C’est seulement après avoir bien compris la différence et la liaison entre la révolution démocratique et la révolution socialiste que l’on peut diriger correctement la révolution chinoise.

   Seul le Parti communiste chinois, et aucun autre parti (bourgeois ou petit-bourgeois), est capable de conduire jusqu’à leur terme ces deux grandes révolutions : la révolution démocratique et la révolution socialiste. Dès le jour de sa fondation, le Parti communiste chinois s’est chargé de cette double tâche, et depuis dix-huit ans, il lutte avec acharnement pour l’accomplir.

   Cette tâche est des plus glorieuses, mais aussi des plus ardues. Elle ne peut être accomplie sans un Parti communiste chinois bolchévisé, qui soit à l’échelle de la nation, un parti de larges masses, tout à fait solide au point de vue de l’idéologie, de la politique et de l’organisation. Chaque communiste a donc le devoir de prendre une part active à l’édification d’un tel Parti.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Ligne politique, mesures à prendre et perspective dans la lutte contre l’attaque japonaise

23 Juillet 1937

I. Deux lignes politiques

   Le lendemain même de l’Incident de Loukeoukiao, soit le 8 juillet, le Comité central du Parti communiste chinois a publié un manifeste appelant la nation entière à la guerre de résistance.

   Il est dit dans ce manifeste :

   Compatriotes ! Peiping et Tientsin sont en danger ! La Chine du Nord est en danger ! La nation chinoise est en danger ! Pour nous, une seule issue : la guerre de résistance de toute la nation. Nous exigeons que l’on oppose sans délai une résistance ferme et résolue aux troupes d’agression japonaises, que l’on s’apprête immédiatement à parer à toute éventualité. Il faut que, du sommet à la base, la nation entière rejette d’emblée toute idée de vivre dans une paix humiliante avec les agresseurs.

Compatriotes !

   Acclamons et soutenons la résistance héroïque des troupes de Feng Tche-an ! Acclamons et soutenons la déclaration des autorités de la Chine du Nord, exprimant leur volonté de défendre la patrie jusqu’à la mort ! Nous exigeons que le général Song Tcheh-yuan mette aussitôt sur pied de guerre tout le 29e corps et l’envoie au front.

   Nous exigeons que le Gouvernement central de Nankin apporte une aide effective au 29e corps ; qu’il lève sans tarder l’interdit jeté sur les mouvements patriotiques des masses et donne l’essor à l’esprit de résistance du peuple ; qu’il mobilise sans retard toutes les armées de terre, de mer et de l’air en vue du combat ; et, afin de consolider l’arrière, qu’il liquide sans délai les traîtres à la nation et les agents japonais dissimulés dans le pays.

   Nous appelons le peuple entier à soutenir de toutes ses forces la guerre sacrée de légitime défense contre le Japon. Voici nos mots d’ordre : Défendons les armes à la main Peiping, Tientsin et la Chine du Nord ! Défendons le sol de la patrie jusqu’à la dernière goutte de notre sang ! Que le peuple chinois tout entier, le gouvernement et l’armée s’unissent et construisent une Grande Muraille inébranlable : le front uni national, pour résister à l’agression japonaise ! Que le Kuomintang et le Parti communiste coopèrent étroitement et résistent aux nouvelles attaques des agresseurs japonais ! Chassons-les hors du territoire chinois !

   Voilà une déclaration sur la ligne politique.

   Le 17 juillet, M. Tchiang Kaï-chek a fait une déclaration à Louchan, définissant la ligne politique pour la préparation d’une guerre de résistance ; c’est, depuis des années, la première déclaration juste qu’ait formulée le Kuomintang sur des questions de politique extérieure ; aussi est-elle accueillie favorablement par tous nos compatriotes comme par nousmêmes.

   Quatre conditions y sont posées pour régler l’Incident de Loukeoukiao :

1) Aucun mode de règlement ne doit porter atteinte à la souveraineté de la Chine et à l’intégrité de son territoire ;

2) Aucune modification illégale ne saurait être admise dans la structure administrative des provinces du Hopei et du Tchahar ;

3) Aucun fonctionnaire local nommé par le Gouvernement central ne saurait être révoqué ou déplacé à la demande de qui que ce soit ;

4) Aucune limitation ne doit être imposée au 29e corps quant à ses lieux de cantonnement actuels.

   Il est dit dans la conclusion de la déclaration :

   Le gouvernement a adopté à l’égard de l’Incident de Loukeoukiao une ligne politique et une position qu’il saura maintenir fermement. Nous nous rendons compte que l’entrée en guerre de toute la nation nous imposera l’obligation d’aller jusqu’au bout du sacrifice, sans qu’il y ait le plus faible espoir de nous en tirer à bon compte. La guerre une fois commencée, tout homme, qu’il soit du Nord ou du Sud, qu’il soit jeune ou vieux, aura le devoir de résister à l’envahisseur et de défendre le sol de la patrie.

   Voilà une autre déclaration sur la ligne politique.

   Nous avons ici deux déclarations politiques, de portée historique, faites respectivement par le Parti communiste et le   Kuomintang à propos de l’Incident de Loukeoukiao. Ces déclarations ont ceci de commun qu’elles préconisent une résistance ferme et résolue contre l’envahisseur et combattent l’esprit de compromis et de concession.

   C’est là une ligne politique pour faire face à l’attaque du Japon, la ligne juste.

   Il se peut toutefois qu’une autre ligne soit adoptée. Depuis un mois, traîtres et éléments pro-japonais déploient dans la région Peiping-Tientsin une grande activité ; ils cherchent à amener les autorités de Peiping et de Tientsin à se plier aux exigences japonaises, ils sapent la politique de la résistance armée ferme et résolue pour faire prévaloir l’esprit de compromis et de concession. Ce sont là les signes d’un très grave danger.

   Cette ligne de compromis et de concession est diamétralement opposée à la ligne de la résistance ferme et résolue. Si elle n’est pas rapidement rejetée, Peiping, Tientsin et toute la Chine du Nord tomberont aux mains de l’ennemi, et la nation entière courra un immense danger. Que chacun soit vigilant !

   Officiers et soldats patriotes du 29e corps, unissez-vous, combattez tout esprit de compromis et de concession, opposez une résistance résolue !

   Patriotes de Peiping, de Tientsin et de toute la Chine du Nord, unissez-vous, combattez tout esprit de compromis et de concession, soutenez la résistance armée ferme et résolue ! Citoyens patriotes de toute la Chine, unissez-vous, combattez tout esprit de compromis et de concession, soutenez la résistance armée ferme et résolue !

  1.    Tchiang Kaï-chek, et vous tous, membres patriotes du Kuomintang, nous espérons que vous vous en tiendrez fermement à votre ligne politique, que vous remplirez vos promesses, que vous combattrez tout esprit de compromis et de concession, que vous vous montrerez résolus dans votre résistance armée, et que vous répondrez ainsi par des actes aux insultes de l’ennemi.

   Que toutes les forces armées du pays, y compris l’Armée rouge, se rallient à la déclaration de M. Tchiang Kaï-chek, combattent l’esprit de compromis et de concession et opposent une résistance résolue !

   Nous les communistes, nous agissons sincèrement, scrupuleusement, selon notre propre manifeste et appuyons avec fermeté la déclaration de M. Tchiang Kaï-chek ; avec les membres du Kuomintang et tous nos compatriotes, nous défendrons le sol de la patrie jusqu’à la dernière goutte de notre sang, nous combattrons toute hésitation, tout flottement, tout esprit de compromis et de concession et mènerons résolument la résistance armée.

II. DEUX SERIES DE MESURES

   Pour atteindre son but, la ligne de la résistance armée ferme et résolue exige toute une série de mesures.

   Quelles sont-elles ? En voici les plus importantes :

  1.    Mobilisation générale de toutes les forces armées du pays. Mettre sur pied de guerre nos armées permanentes forces terrestres, navales et aériennes   fortes de deux millions et quelques centaines de milliers d’hommes et comprenant l’Armée centrale, les forces locales et l’Armée rouge ; diriger immédiatement le gros de ces forces sur les lignes de défense du pays, en laissant une partie d’entre elles à l’arrière pour maintenir l’ordre. Confier le commandement des différents fronts à des généraux dévoués aux intérêts de la nation. Convoquer un conseil de défense nationale pour définir la stratégie et parvenir à l’unité quant au but des opérations.

   Réorganiser le travail politique dans l’armée, de façon à réaliser l’union des officiers et des soldats, de l’armée et du peuple. Etablir le principe selon lequel la guerre de partisans assumera une partie des tâches stratégiques et assurer la coordination de cette guerre avec la guerre régulière. Chasser de l’armée les traîtres. Mobiliser un effectif de réserve suffisant et l’entraîner pour qu’il soit prêt à monter en ligne. Améliorer, de façon judicieuse, l’équipement des troupes et leur ravitaillement. Conformément à la ligne générale de la résistance armée ferme et résolue, il est indispensable d’arrêter des plans pour accomplir toutes ces tâches militaires. Ce ne sont pas les troupes qui manquent en Chine, mais sans la réalisation de ces plans il est impossible de vaincre l’ennemi. Si les facteurs politiques et matériels se trouvent réunis, nos armées seront invincibles dans l’Asie de l’Est.

  1.    Mobilisation générale du peuple. Lever l’interdit sur les mouvements patriotiques, relâcher les détenus politiques, abroger la « Loi extraordinaire pour la répression des menées contre la République » et le « Règlement sur la censure de la presse », accorder un statut légal aux organisations patriotiques existantes, développer de telles organisations dans les milieux ouvriers, paysans, commerçants et intellectuels, armer les masses populaires pour qu’elles soient à même d’assurer leur autodéfense et d’appuyer les opérations de l’armée. En un mot, il faut donner au peuple la liberté de manifester son patriotisme. Les forces conjointes du peuple et de l’armée porteront un coup mortel à l’impérialisme japonais. Dans une guerre nationale, il est hors de doute que la victoire est impossible si l’on ne s’appuie pas sur les masses populaires. Que le sort de l’Abyssinie nous serve d’avertissement. Celui qui est de bonne foi dans sa résolution de mener une guerre de résistance ne saurait ignorer ce point.
  2.    Réorganisation de l’appareil gouvernemental. Associer à la direction des affaires de l’Etat les partis et groupements politiques ainsi que les personnalités qui jouissent de prestige parmi les masses, et liquider les éléments projaponais et les traîtres dissimulés dans les organes du pouvoir, afin de réaliser l’union du gouvernement et du peuple. La résistance au Japon est une entreprise telle qu’un petit groupe d’hommes ne sauraient en venir à bout, et, s’ils s’obstinent à vouloir l’accomplir à eux seuls, ils ne feront que tout gâcher. Le gouvernement, pour autant qu’il soit un vrai gouvernement de défense nationale, doit absolument s’appuyer sur les masses populaires et appliquer le centralisme démocratique. Il doit être à la fois démocratique et centralisé ; c’est ce type de gouvernement qui est le plus fort. L’assemblée nationale représentera véritablement le peuple, elle sera l’organe suprême du pouvoir, elle définira les grandes lignes politiques de l’Etat et arrêtera les mesures politiques et les plans exigés par la lutte contre l’envahisseur japonais pour le salut de la patrie.
  3.    Une politique extérieure antijaponaise. N’accorder aux impérialistes japonais aucun avantage, aucune facilité, mais au contraire confisquer leurs biens, annuler nos dettes envers eux, liquider leurs laquais, chasser leurs espions. Conclure sans tarder une alliance militaire et politique avec l’U.R.S.S., établir une union étroite avec ce pays, qui est le plus sûr, le plus puissant et le plus capable d’aider la Chine dans sa résistance au Japon. Gagner la sympathie de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis et de la France, et s’assurer de leur aide sans préjudice de l’intégrité territoriale de la Chine et de sa souveraineté. Pour vaincre les agresseurs japonais, nous devons compter principalement sur nos propres forces ; néanmoins, l’aide extérieure est indispensable, et une politique isolationniste servirait l’ennemi.
  4.    Proclamation d’un programme d’amélioration des conditions de vie du peuple et sa mise en oeuvre immédiate. Commencer par prendre un minimum de mesures : supprimer les impôts exorbitants et les taxes multiples, réduire les fermages, limiter l’usure, améliorer les conditions d’existence des ouvriers, des soldats et des officiers subalternes, ainsi que des petits employés, secourir les victimes des calamités naturelles. Loin d’ébranler les finances de l’Etat, comme d’aucuns le prétendent, ces mesures nouvelles élèveront le pouvoir d’achat du peuple et contribueront à la prospérité du commerce et des finances. Elles entraîneront une croissance illimitée des forces de la résistance et affermiront la base du gouvernement.
  5.    Une éducation de défense nationale. Changer radicalement l’orientation et le système actuels de l’éducation. Renoncer à tout ce qui n’est pas urgent et à toute mesure qui n’est pas rationnelle. La presse, l’édition, le cinéma, le théâtre, les lettres et les arts, tout doit répondre aux intérêts de la défense nationale. Interdire toute propagande des traîtres.
  6.    Une politique financière et économique de résistance antijaponaise. La politique financière doit être fondée sur le principe « Que celui qui a de l’argent donne de l’argent », et sur la confiscation des biens des impérialistes japonais et des traîtres à la nation ; la politique économique doit être fondée sur le boycottage des marchandises japonaises et l’encouragement aux marchandises chinoises ; tout doit contribuer à la lutte contre le Japon. La pénurie de moyens financiers est le résultat de mesures erronées ; elle disparaîtra à coup sûr lorsqu’une nouvelle politique conforme aux intérêts du peuple aura été adoptée. Parler d’impasse financière et économique à propos d’un pays dont le territoire est si étendu et la population si nombreuse est pure ineptie.
  7.    Union de tout le peuple chinois, du gouvernement et des forces armées pour la construction d’une Grande Muraille inébranlable : le front uni national. L’application de la ligne de la résistance armée et l’exécution des mesures indiquées cidessus dépendent de ce front uni. L’essentiel à ce sujet, c’est l’étroite coopération entre le Kuomintang et le Parti communiste.

   Que le gouvernement, les forces armées, les partis et groupements politiques et tout notre peuple s’unissent sur la base de la coopération des deux partis. Il ne suffit pas que le mot d’ordre « Unissons-nous loyalement et défendons la patrie en danger ! » sonne bien à l’oreille, il faut encore qu’il se traduise par de belles actions.

L’union doit être véritable; qu’il s’y mêle de la supercherie et de la suspicion, et rien n’ira plus. Il faut faire preuve de largeur d’esprit, de hardiesse dans la conduite des affaires de l’Etat.

Les petits calculs, les finasseries, la bureaucratie, l’Ah Q-isme ne servent strictement à rien. Inefficaces contre l’ennemi, ils sont parfaitement ridicules quand on y recourt à l’égard de ses compatriotes. En toute chose, il y a des principes majeurs et des principes mineurs, et les principes mineurs sont tous subordonnés aux majeurs.

   Que l’on envisage sérieusement les choses à la lumière des principes majeurs, alors seulement on sera à même d’orienter correctement sa pensée et son action. Aujourd’hui, celui qui ne met pas à faire l’unité un minimum de sincérité devrait, même s’il n’encourt pas la réprobation publique, avoir honte devant sa conscience, dans le silence de la nuit.

   Cet ensemble de mesures élaborées en vue d’une résistance résolue, on peut l’appeler Programme en huit points.

   Il faut que la ligne de la résistance armée ferme et résolue s’accompagne de cette série de mesures, sinon la résistance ne sera jamais victorieuse, et le Japon poursuivra indéfiniment son agression en Chine, tandis que la Chine vouée à l’impuissance échappera difficilement au sort de l’Abyssinie.

   Quiconque soutient sincèrement la ligne de la résistance armée ferme et résolue doit appliquer cet ensemble de mesures. Et pour juger si quelqu’un est de bonne foi dans sa volonté de résister résolument par les armes, il faut voir s’il est prêt à adopter et à appliquer cette série de mesures.

   Mais il existe une autre série de mesures, qui s’oppose point par point à celle que nous venons d’exposer.

   Non la mobilisation générale des forces armées, mais le refus de cette mobilisation ou la retraite.

   Non l’octroi de la liberté au peuple, mais l’oppression du peuple.

   Non un gouvernement de défense nationale fondé sur le centralisme démocratique, mais un gouvernement absolu des bureaucrates, des compradores, des despotes locaux et mauvais hobereaux et des propriétaires fonciers.

   Non une politique extérieure antijaponaise, mais une politique servile à l’égard du Japon.

   Non l’amélioration des conditions de vie du peuple, mais la poursuite de la spoliation du peuple, qui le laisse accablé de misère et le réduit à l’impuissance devant l’envahisseur. Non une éducation dans l’intérêt de la défense nationale, mais une éducation menant à l’asservissement de la nation.

Non une politique financière et économique de résistance au Japon, mais toujours la vieille politique, inchangée ou même pire, politique financière et économique nuisible à notre pays et profitable à l’ennemi.

   Non l’achèvement de la Grande Muraille : le front uni national contre le Japon, mais sa démolition, ou son sabotage par des propos fallacieux et ambigus sur « l’union ».

   Les mesures pratiques découlent de la ligne politique. Si l’on adopte la ligne de la non-résistance, toutes les mesures que l’on prendra en seront l’expression ; nous avons déjà à ce sujet les leçons des six dernières années. Si, au contraire, la ligne adoptée est celle de la résistance armée ferme et résolue, il est impossible de ne pas appliquer la série de mesures qui correspond à cette ligne, impossible de ne pas mettre en oeuvre le Programme en huit points exposé ci-dessus.

III. DEUX PERSPECTIVES

   Mais quelles sont les perspectives ? Cette question nous préoccupe tous.

   Si on adopte la première ligne, si on applique la première série de mesures, c’est certainement la perspective de l’expulsion des impérialistes japonais et de la naissance d’une Chine libre et émancipée qui s’offre à nous. Est-il possible d’en douter ? Je ne le pense pas.

   Si on adopte la deuxième ligne, si on applique la deuxième série de mesures, nous avons certainement devant nous la perspective de l’occupation de la Chine par les impérialistes japonais et de l’asservissement du peuple chinois qui sera réduit à l’état de bêtes de somme. Est-il possible d’en douter ? Je ne le pense pas non plus.

II. CONCLUSION

   Il faut adopter la première ligne, appliquer la première série de mesures, rechercher la première perspective.

   Il faut combattre la deuxième ligne, rejeter la deuxième série de mesures, écarter la deuxième perspective.

   Que tous les membres patriotes du Kuomintang et tous les communistes s’unissent, qu’ils mettent résolument en oeuvre la première ligne, appliquent la première série de mesures, recherchent la première perspective, et qu’ils combattent fermement la deuxième ligne, rejettent la deuxième série de mesures, écartent la deuxième perspective.

   Que les citoyens patriotes, armées, partis et groupements patriotiques de tout le pays s’unissent, qu’ils mettent résolument en oeuvre la première ligne, appliquent la première série de mesures, recherchent la première perspective, et qu’ils combattent fermement la deuxième ligne, rejettent la deuxième série de mesures, écartent la deuxième perspective !

   Vive la guerre révolutionnaire nationale !

   Vive la libération de la nation chinoise !

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine

1930

Certains de nos camarades du Parti ne jugent pas encore d’une manière absolument juste la situation actuelle et ne comprennent pas tout à fait exactement la ligne d’action qui en découle. Ils croient au déclenchement inévitable de l’essor révolutionnaire, mais ne croient pas qu’il puisse intervenir bientôt.

   C’est pourquoi ils n’approuvent pas le plan de conquête du Kiangsi et acceptent uniquement l’organisation des raids de partisans dans la région frontière des provinces du Foukien, du Kouangtong et du Kiangsi.

   En outre, ils ne sont pas profondément convaincus de la nécessité d’organiser le pouvoir rouge dans les régions de partisans. C’est pourquoi ils ne sont pas profondément convaincus de la nécessité d’accélérer le déclenchement de l’essor révolutionnaire dans l’ensemble du pays, et ce, en renforçant et en étendant le pouvoir rouge.

   Ils estiment, apparemment, qu’à un moment où l’essor révolutionnaire paraît être encore lointain, il serait vain de se consacrer au dur travail de l’établissement du pouvoir ; ils comptent, pour commencer, étendre notre influence politique par le moyen relativement aisé des raids de partisans ; quand le travail de conquête des masses à l’échelle du pays tout entier sera entièrement achevé, ou du moins fort avancé, se disent ils, on passera au soulèvement armé dans toute la Chine, on jettera dans la balance les forces de l’Armée rouge ; on aboutira ensuite à la grande révolution qui embrassera tout le pays.

   Cette théorie sur la nécessité de conquérir au préalable les masses dans tout le pays (c’est-­à-­dire jusque dans les moindres recoins) et d’établir seulement après le nouveau pouvoir ne correspond pas aux conditions réelles de la révolution chinoise.

   La source d’une telle théorie, il faut la trouver essentiellement dans l’incompréhension du fait que la Chine est une semi-colonie que nombre d’Etats impérialistes se disputent. Et pourtant il suffît de comprendre ce fait pour que tout s’éclaire :

  1.    On voit nettement alors pourquoi, de tous les pays du monde, seule la Chine connaît ce phénomène étrange : une guerre intestine prolongée au sein des classes dirigeantes, pourquoi cette guerre est de plus en plus acharnée et ne cesse de s’étendre, pourquoi les classes dirigeantes n’ont jamais été capables d’établir un pouvoir unique ;
  2.    On voit clairement toute l’importance de la question paysanne, et l’on comprend, de ce fait, pourquoi les soulèvements à la campagne revêtent une ampleur telle qu’ils s’étendent aujourd’hui au pays tout entier ;
  3.    On mesure toute la justesse du mot d’ordre du pouvoir démocratique ouvrier et paysan ;
  4.    On comprend alors cet autre phénomène étrange, lié d’ailleurs à la guerre intestine prolongée au sein des classes dirigeantes — et qui constitue elle­-même un phénomène unique n’existant nulle part ailleurs qu’en Chine — à savoir l’existence et le développement de l’Armée rouge et des détachements de partisans, et, parallèlement, l’existence et le développement de petites régions rouges qui grandissent au milieu de l’encerclement des forces blanches (on n’observe nulle part ailleurs qu’en Chine un phénomène aussi étrange) ;
  5.    Il apparaîtra également d’une manière évidente que la création et la croissance de l’Armée rouge, des détachements de partisans et des régions rouges, représentent, dans la Chine semi­-coloniale, la forme supérieure de la lutte de la paysannerie sous la direction du prolétariat, le résultat inéluctable du développement de la lutte paysanne dans un pays semi­-colonial et, sans aucun doute, le facteur le plus important capable de hâter l’essor révolutionnaire dans tout le pays ;
  6.    Il apparaîtra, enfin, avec évidence que la politique des seuls raids de partisans ne pourra pas résoudre la tâche de l’accélération de l’essor révolutionnaire à l’échelle du pays tout entier et qu’à coup sûr la politique adoptée par Chu Teh et Mao Tsé­toung et Fang Tche­min est juste.

   Cette politique prévoit la formation de bases d’appui, la création méthodique des organes du pouvoir, l’approfondissement de la révolution agraire, le développement des forces armées du peuple par la création de détachements de la Garde rouge à l’échelon du canton, de l’arrondissement, du district, et de forces locales de l’Armée rouge, pour aboutir à la création d’une Armée rouge régulière et l’extension du pouvoir rouge par vagues successives. C’est seulement ainsi qu’il sera possible d’inculquer aux masses révolutionnaires de l’ensemble du pays la même foi que l’Union Soviétique inspire au monde entier.

   C’est seulement ainsi qu’on pourra mettre les classes dirigeantes réactionnaires en face d’énormes difficultés, ébranler le sol sous leurs pieds, accélérer leur effondrement de l’intérieur. Enfin, c’est seulement ainsi qu’on pourra créer effectivement une Armée rouge qui se transformera en l’instrument principal de la grande révolution qui vient. En un mot, c’est seulement ainsi qu’on pourra hâter l’essor de la révolution.

   Les camarades atteints d’impétuosité révolutionnaire ont le tort de surestimer les forces subjectives de la révolution et de sous­estimer les forces de la contre­révolution. Une telle appréciation résulte, le plus souvent, d’une conception subjectiviste, et peut les entraîner, sans aucun doute, sur la voie du putschisme.

   Il serait, d’autre part, également faux de minimiser les forces subjectives de la révolution et d’exagérer les forces de la contre­révolution, car une telle appréciation aboutirait également à de mauvais résultats quoique d’un autre ordre. C’est pourquoi il est nécessaire, lorsqu’on apprécie la situation politique de la Chine, de tenir compte des éléments fondamentaux suivants :

  1.    Si, à l’heure actuelle, les forces subjectives de la révolution chinoise sont faibles, on constate, d’autre part, que toute l’organisation des classes dirigeantes réactionnaires (le pouvoir, les forces armées, les partis, etc.) fondée sur la structure socio-économique, arriérée et fragile, de la Chine, est également faible. Ceci explique pourquoi la révolution ne peut éclater immédiatement dans les pays d’Europe occidentale, bien qu’actuellement les forces subjectives de la révolution puissent y être sans doute un peu plus grandes que les forces subjectives de la révolution chinoise, c’est que les forces des classes dirigeantes réactionnaires y dépassent de bon nombre de fois celles des classes dirigeantes réactionnaires de Chine. Et bien que les forces subjectives de la révolution chinoise soient faibles actuellement, étant donné que les forces de la contre­révolution sont aussi relativement faibles, l’essor révolutionnaire commencera certainement plus tôt en Chine qu’en Europe occidentale.
  2.    Après la défaite de la révolution en 1927, il est de fait que les forces subjectives de la révolution ont subi un affaiblissement sensible. L’importance réduite des forces restantes, si l’on en juge uniquement par certaines manifestations extérieures, peut susciter chez certains camarades, qui procèdent justement ainsi, un état d’esprit pessimiste.

   Mais si l’on va au fond des choses, on a un tout autre tableau. Le vieux proverbe chinois : « Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine » est tout à fait applicable ici. Ce qui signifie que si les forces de la révolution sont encore réduites, elles peuvent toutefois se développer très rapidement. Dans les conditions de la Chine, la croissance de ces forces n’est pas seulement possible, elle est absolument inéluctable ; ce qui est entièrement confirmé par l’expérience du Mouvement du 30 Mai 1925 et la grande révolution qui a suivi. Il faut analyser le fond de chaque problème et ne considérer les manifestations extérieures que comme des jalons le long de la route menant au seuil au­delà duquel nous toucherons vraiment au fond du problème. C’est là la seule méthode d’analyse sûre et scientifique, des phénomènes.

  1.    De même, en ce qui concerne l’appréciation des forces de la contre­révolution, il faut les considérer dans leur essence et ne pas s’arrêter seulement aux manifestations extérieures. Alors que nous en étions encore à la création de la base révolutionnaire sur la frontière du Hounan et du Kiangsi, certains camarades, prenant au sérieux l’appréciation fausse portée par le comité provincial du Hounan de cette époque, réduisaient à rien l’ennemi de classe ; on se souvient encore, avec un sourire, de ces formules : « ébranlement à cent pour cent », ou « panique la plus totale », dont le comité du Parti du Hounan usait alors (mai­juin 1928) en appréciant les forces du gouverneur du Hounan Lou Tiping.

   En politique, de telles appréciations aboutissent inévitablement au puts­chisme. Néanmoins, dans la période allant de novembre 1928 à février 1929, alors que l’adversaire menant sa troisième « expédition commune » se rapprochait du Tsingkangchan et que la guerre entre Tchiang Kaï­chek et la clique du Kouangsi n’avait pas encore éclaté, on a vu certains de nos camarades faire part de leurs doutes : « Réussirons­nous à maintenir encore longtemps notre drapeau rouge ? »

   Or, à cette époque, la lutte entre l’Angleterre, les Etats­Unis et le Japon en Chine avait, en fait, pris déjà une forme ouverte ; quant à la guerre entre Tchiang Kaï­chek, la clique du Kouangsi et Fong Yusiang, elle couvait. Nous assistions en réalité au début du reflux de la contre­révolution et d’un nouvel essor révolutionnaire.

   Néanmoins, un état d’esprit pessimiste se manifestait alors, non seulement dans l’Armée rouge et les organisations locales du Parti, mais même au sein du Comité central du Parti qui était abusé par l’aspect extérieur des événements et dans les interventions duquel on pouvait percevoir des notes pessimistes. Prenons­en pour preuve la lettre de février du Comité central dans laquelle se reflétait une appréciation pessimiste des événements.

  1.    La situation actuelle peut encore induire en erreur les camarades qui ne considèrent que l’aspect extérieur des phénomènes et ne vont pas jusqu’au fond des choses. Ceci est vrai en particulier pour ceux qui travaillent dans l’Armée rouge : il suffit qu’un détachement subisse un revers, qu’il soit encerclé ou poursuivi par un adversaire puissant, pour que ces camarades, souvent sans s’en rendre compte eux-mêmes, se mettent à généraliser ce qui n’est qu’une situation temporaire, particulière et locale, en exagèrent l’importance comme si la situation dans l’ensemble du pays, voire dans le monde entier, ne nous promettait rien de bon, et comme si les perspectives de victoire de la révolution se trouvaient reculées et disparaissaient dans des brumes lointaines.

   Une appréciation aussi superficielle, qui ne tient compte que de l’aspect extérieur des phénomènes et qui en ignore l’essence, s’explique par le fait que les camarades n’ont pas soumis l’ensemble de la situation à une analyse scientifique allant au fond des choses.

   Et pourtant, si l’on veut déterminer si la poussée révolutionnaire interviendra bientôt en Chine, il n’est qu’un moyen : étudier soigneusement la situation et examiner si les diverses contradictions qui peuvent amener l’essor de la révolution sont réellement en train de grandir.

   Dans la mesure même où, sur l’arène internationale, les contradictions augmentent entre les différents Etats impérialistes, entre les Etats impérialistes et les colonies, entre les impérialistes et le prolétariat de leur pays, les impérialistes sentent d’une manière toujours plus aiguë le besoin de lutter entre eux pour la mainmise sur la Chine.

   Et dès l’instant où la lutte des impérialistes pour se rendre maîtres de la Chine devient plus âpre, on voit grandir en Chine même les contradictions entre les impérialistes et la Chine dans son ensemble et les contradictions entre les impérialistes eux-mêmes, ce qui engendre ces guerres intestines, entre les différents groupements des forces dirigeantes réactionnaires en Chine qu’on voit s’amplifier et s’aggraver de jour en jour ; ce qui, en d’autres termes, suscite une nouvelle aggravation des contradictions entre ces groupements.

   Cette aggravation des contradictions existant entre les différents groupements des forces dirigeantes qui trouve son expression dans les guerres intestines entre militaristes aboutit à une augmentation du fardeau des impôts. Celle­ci, à son tour, conduit à une nouvelle aggravation des contradictions existant entre la masse des contribuables et les cercles dirigeants réactionnaires.

   Les contradictions existant entre l’impérialisme et l’industrie nationale chinoise aboutissent au résultat suivant : l’industrie nationale chinoise ne peut obtenir de concessions de la part de l’impérialisme ; il en découle un approfondissement des contradictions existant entre la bourgeoisie chinoise et la classe ouvrière chinoise, étant donné que les capitalistes chinois cherchent une issue à leur situation dans l’exploitation impitoyable des ouvriers, alors que ces derniers leur résistent.

   L’invasion de la Chine par les marchandises en provenance des pays impérialistes, les pillages effectués par le capital commercial chinois, l’augmentation des impôts, etc., s’accompagnent d’un nouvel approfondissement des contradictions existant entre la classe des propriétaires fonciers et la paysannerie, c’est­à­dire d’une aggravation de l’exploitation de la paysannerie au moyen de l’élévation du taux des fermages et des prêts usuraires ; parallèlement augmente la haine des paysans à l’égard des propriétaires fonciers.

   L’invasion du marché par les marchandises étrangères, l’épuisement du pouvoir d’achat des masses ouvrières et paysannes, l’augmentation des impôts ruinent un nombre toujours plus grand de négociants qui font commerce de produits chinois, et de petits producteurs indépendants. L’accroissement illimité des effectifs de l’armée auquel procède le gouvernement réactionnaire, alors qu’on manque d’argent et de ravitaillement, la répétition toujours plus fréquente des guerres intestines obligent les soldats à supporter en permanence de lourdes privations.

   L’augmentation des impôts, l’élévation, par les propriétaires fonciers, du taux des fermages et des prêts, et, dans le même temps, le poids toujours plus lourd des misères engendrées par la guerre, entraînent dans tout le pays la famine et le banditisme ; si bien que la paysannerie et les pauvres gens des villes se trouvent dans une situation sans issue. Le manque de fonds nécessaires à l’entretien des écoles entraîne, pour de nombreux étudiants, la menace de ne pouvoir poursuivre leurs études ; enfin, le caractère arriéré de la production enlève à beaucoup de jeunes diplômés l’espoir de trouver du travail.

   Devant toutes ces contradictions, on peut voir combien la situation est dangereusement instable et combien chaotique est l’état dans lequel se trouve la Chine, ce qui permet de comprendre que l’essor de la révolution, dirigée contre l’impérialisme, les militaristes et les propriétaires fonciers, est inéluctable et qu’il doit intervenir à brève échéance. La Chine tout entière est jonchée d’une susbstance inflammable qui doit bientôt s’embraser.

   « Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine » : voilà le proverbe qui caractérise d’une manière exacte la situation présente.

   Il suffit de jeter un coup d’œil sur les grèves d’ouvriers, les soulèvements paysans, les émeutes de soldats et les grèves d’étudiants qui s’amplifient en bien des endroits pour comprendre que désormais il n’y a plus loin de « l’étincelle » à « l’incendie ».

   Les réflexions fondamentales qui viennent d’être exposées, étaient déjà contenues dans la lettre adressée le 5 avril dernier par le comité du front au Comité central.

   Cette lettre déclarait :

   « Dans sa lettre (du 9 février dernier) le Comité central a donné une appréciation trop pessimiste de la situation objective et de l’état des forces subjectives.

Les trois « expéditions punitives » lancées par le Kuomintang contre le Tsingkangchan ont été l’expression de l’essor maximum de la contre­révolution. Mais dans le même temps, elles ont marqué la limite au­-delà de laquelle commencent le reflux progressif de la contre­révolution et l’essor également progressif de la révolution.

Il est vrai que les forces combatives du Parti et sa capacité d’organisation ont diminué, comme le constate le Comité central ; mais étant donné le reflux progressif de la contrerévolution, le rétablissement de nos forces se produira certainement à un rythme rapide et la passivité des cadres  du Parti pourra être vite liquidée.

A coup sûr les masses nous suivront. La méthode des répressions sanglantes. Il s’agit des méthodes terroristes utilisées par les forces contre­révolutionnaires pour écraser les forces révolutionnaires du peuple. aboutit « à faire fuir le poisson là ou c’est le plus profond » ; quant au réformisme, il ne peut plus désormais attirer les masses. Il est certain que les illusions des masses à l’égard du Kuomintang se dissiperont très rapidement.

Dans la situation qui va se créer, aucun parti ne sera en état de rivaliser avec le Parti communiste dans la lutte pour la conquête des masses.

Les lignes tracées par le VIème Congrès national du Parti dans le domaine politique et dans celui de l’organisation sont justes : à l’époque présente, la révolution est démocratique et non pas socialiste ; actuellement, la tâche du Parti (il faudrait ajouter : « dans les grandes villes ») consiste dans la lutte pour la conquête des masses et non dans l’organisation immédiate de l’insurrection.

Néanmoins, la révolution se développera très rapidement et, en ce qui concerne la propagande et la préparation du soulèvement armé, nous devons adopter une attitude active.

Dans le chaos total qui caractérise la situation actuelle, on ne peut diriger les masses qu’à l’aide de mots d’ordre de combat et d’actions efficaces, et en adoptant une attitude active.

Le rétablissement des forces combatives du Parti n’est possible que si l’on adopte une telle attitude active. … L’unique clé, qui peut mener à la victoire de la révolution, c’est une direction prolétarienne.

La création de la base prolétarienne du Parti, l’établissement de cellules dans les entreprises industrielles, dans les centres urbains — telles sont actuellement les tâches les plus importantes du Parti, du point de vue de l’organisation ; mais dans le même temps, le développement de la lutte à la campagne, la création du pouvoir rouge sur de petits territoires, la formation de l’Armée rouge et l’extension de ses rangs sont, les conditions principales qui peuvent aider à la lutte dans les villes et accélérer l’essor révolutionnaire.

C’est pourquoi il est erroné de renoncer à la lutte dans les villes ; mais nous considérerions également que ce serait une erreur pour tout membre du Parti de redouter l’essor des forces paysannes, par crainte qu’elles ne dépassent les forces de la classe ouvrière et n’aient des répercussions défavorables sur le cours de la révolution ; car s’il est certain, dans les conditions semi­coloniales de la Chine, qu’au cours de la révolution la lutte des paysans se termine par une défaite en raison de l’absence de direction de la part des ouvriers, il est impossible qu’au cas où le développement de la lutte paysanne submergerait les forces de la classe ouvrière, cela ait des répercussions défavorables sur le cours de la révolution. »

   En ce qui concerne la tactique que doit suivre l’Armée rouge, nous donnions dans cette lettre la réponse que voici :

   « Pour préserver l’Armée rouge et soulever les masses, le Comité central nous demande de diviser nos forces en de très petites imités et de les disperser largement dans les campagnes, et de retirer Chu Teh et Mao Tsé­toung de l’Armée, afin de ne pas offrir de grosses cibles à l’ennemi. Cette façon de considérer le problème n’est pas réaliste.

Dès l’hiver 1927, nous avons établi des plans et réalisé à maintes occasions dans la pratique la division de nos forces en unités de compagnies ou de bataillons opérant chacune indépendamment et les avons réparties de façon étendue dans les campagnes afin de soulever les masses par l’activité de partisans et d’échapper à l’ennemi, mais à chaque fois nous avons échoué.

Ce qui s’explique par les raisons suivantes : 1. à la différence des détachements locaux de la Garde rouge, les forces principales de l’Armée rouge ne se composent pas en majorité d’habitants du cru ; 2. lorsqu’on dissémine les unités, on affaiblit leur direction, elles perdent leur aptitude à trouver l’issue à une situation difficile et essuient des défaites ; 3. L’adversaire peut sans difficulté nous écraser unité par unité ; 4. plus la situation est défavorable, plus il est nécessaire que les troupes soient concentrées, que les chefs soient fermement à leur poste de combat : c’est seulement ainsi qu’on peut aboutir à une cohésion interne pour lutter contre l’adversaire. La dispersion des troupes pour des actions de partisans n’est possible que dans une situation favorable ; en effet, dans une telle situation les chefs ne sont pas aussi liés que dans une situation défavorable où ils ne doivent pas abandonner leurs troupes un seul instant. »

   Les considérations ci­dessus ont un point faible : tous les arguments sur l’impossibilité de disperser les troupes ont un aspect négatif, ce qui est absolument insuffisant.

   L’argument positif sur l’avantage de concentrer les forces armées est qu’on ne peut anéantir des forces plus importantes de l’adversaire et s’emparer des villes qu’en concentrant des troupes.

   Et c’est seulement en détruisant des forces plus importantes de l’adversaire et en s’emparant des villes que l’on pourra soulever les masses populaires sur une large échelle et créer les organes du pouvoir sur des territoires groupant plusieurs districts.

   C’est seulement de cette manière qu’on peut agir sur les pensées et les sentiments de l’ensemble du peuple (c’est ce qu’on appelle étendre l’influence politique) et arriver à des résultats pratiques en ce qui concerne l’accélération de l’essor révolutionnaire.

   C’est ainsi que notre politique de concentration de nos forces armées a abouti à l’établissement de notre pouvoir sur la frontière du Hounan et du Kiangsi en 1928 et à l’ouest du Foukien en 1929. Tels sont les principes généraux.

   Mais n’y a­t­il pas des cas où il est indispensable de disperser les troupes ?

Si.

   Dans le passage de la lettre adressée par le comité du front au Comité central où Ton parle de la tactique de la guerre de partisans employée par l’Armée rouge, on dit, à propos de la possibilité de disperser les troupes à une petite distance de la base :

   « La tactique que nous avons élaborée au cours de la lutte, ces trois dernières années, diffère réellement de tout ce que l’on a pu connaître jusqu’à présent dans tous les pays et dans toutes les époques. Par l’application de noire tactique, l’ampleur de la lutte des masses augmente de jour en jour et l’adversaire le plus puissant ne peut venir à bout de nos forces. Notre tactique, c’est celle de la guerre de partisans.

Elle se ramène, pour l’essentiel, au principe suivant : « disperser les troupes pour soulever les masses, concentrer les troupes pour vaincre l’adversaire », « l’ennemi avance, nous reculons, l’ennemi s’immobilise, nous le harcelons, l’ennemi s’épuise, nous le frappons, l’ennemi recule, nous le pourchassons », « avec la création de régions libérées stables10, recourir à la tactique de la progression par vagues ; au cas où Von est poursuivi par un adversaire puissant, décrire un cercle sans s’éloigner de la base », « dans le minimum de temps, en ayant recours aux méthodes les meilleures, soulever les masses les plus larges ».

Cette tactique est semblable au filet du pêcheur qu’on lance au moment opportun et qu’on retire également au moment opportun ; on le lance pour la conquête des masses, on le retire pour faire face à l’ennemi. Au cours des trois dernières années, nous avons constamment eu recours à une telle tactique. »

   Ici, « lancer le filet », cela signifie disperser nos troupes à une petite distance de la base. C’est ainsi, par exemple, que lorsque nous nous sommes emparés pour la première fois de Yongsin, dans la région frontière Hounan­Kiangsi, les 29° et 31° régiments ont été dispersés dans les limites du district de Yongsin ; lorsque nous nous sommes emparés de Yongsin pour la troisième fois, le 28° régiment a été dirigé vers la frontière du district d’Anfou, le 29° vers Lienhoua, le 31° vers la frontière du district de Kian.

   A titre d’exemple, on peut également citer la dispersion des troupes dans les districts du Kiangsi méridional en avril­mai 1929 ou bien dans les districts du Foukien occidental en juillet.

   La dispersion des troupes à une grande distance de la base n’est possible qu’à deux conditions : lorsque la situation est suffisamment favorable et lorsqu’on dispose d’organes dirigeants relativement solides.

   Car le but de la dispersion des troupes est de s’assurer avec plus de succès la conquête des masses, d’approfondir la révolution agraire, de créer les organes du pouvoir et d’élargir les rangs de l’Armée rouge et des forces armées locales.

   S’il est impossible d’atteindre ces objectifs, ou bien si la dispersion des troupes entraîne la défaite et l’affaiblissement de l’Armée rouge (comme cela a été le cas en août 1928, par exemple, lorsqu’une partie des troupes de la région frontière Hounan­Kiangsi fut envoyée contre la ville de Tchengtcheou), alors il vaut mieux ne pas recourir à cette dispersion. Mais si les deux conditions que nous avons énoncées sont remplies, la dispersion est souhaitable, puisqu’alors elle est plus avantageuse que la concentration.

   La lettre du Comité central, en février, était fausse quant à l’esprit : elle a eu une influence négative sur une partie des camarades appartenant à l’organisation du Parti de la 4° Armée.

   En outre, le Comité central soulignait, à la même époque, dans l’une de ses circulaires, qu’il n’était pas certain que la guerre entre Tchiang Kaï­chek et la clique du Kouangsi éclatât. Néanmoins, par la suite, les appréciations du Comité central et ses directives furent, pour l’essentiel, justes.

   Afin de corriger l’appréciation fausse de la situation contenue dans la circulaire précitée, le Comité central en envoya une seconde. Et bien que la lettre adressée à l’Armée rouge n’eût pas été corrigée, on ne trouvait cependant pas dans les directives ultérieures du Comité central de notes pessimistes ; en outre, son point de vue sur les actions de l’Armée rouge commença à coïncider avec le nôtre.

   Néanmoins, l’influence négative qu’avait eue la lettre du Comité central sur certains camarades n’a pas été éliminée. C’est pourquoi j’estime qu’il est encore indispensable d’éclaircir cette question.

   En avril 1929, le comité du front présenta au Comité central un plan visant à conquérir, dans un délai d’un an, la province du Kiangsi. Par la suite, une décision fut prise à Yutou sur cette question. Les arguments présentés alors furent exposés dans la lettre suivante adressée au Comité central :

   « Les forces de Tchiang Kaï­cliek et de la clique du Kouangsi se rapprochent les unes des autres dans la région de Kieoukiang, et de grandes batailles sont en vue. Par suite de la reprise de la lutte des masses populaires et du développement des contradictions au sein du camp réactionnaire dirigeant, on doit bientôt assister à un essor révolutionnaire.

Dans ces circonstances, en élaborant nos plans, nous sommes partis du fait que dans deux des provinces du Sud, le Kouangtong et le Hounan, les forces armées des compradores et des propriétaires fonciers sont très grandes, et qu’en outre, dans le Hounan, en raison des erreurs putschistes commises par le Parti, celui­ci a presque complètement perdu ses cadres et sa base de masse.

La situation est toutefois différente dans les trois provinces du Foukien, Kiangsi et Tchékiang. Premièrement, les forces armées ennemies qui s’y trouvent sont les plus faibles. Dans le Tchékiang, il n’y a que les petites garnisons provinciales de Tsiang Po­tcheng. Bien qu’il existe, dans le Foukien, quatorze régiments placés sous cinq commandements, la brigade de Kouo Fong­ming est déjà hors de combat ; les unités placées sous le commandement respectif de Tchen Kouo­houei et de Lou Hsin­pang sont composées de bandits et leur capacité combative est très faible ; les deux brigades d’infanterie de marine stationnées sur le littoral n’ont jamais participé aux combats et leur capacité combative est certainement réduite ; les seules troupes relativement capables de se battre sont celles de Tchang Tcheng, mais selon les informations données par le comité provincial du Parti dans le Foukien, seuls deux régiments parmi ces troupes ont une capacité combative relativement élevée.

En outre, c’est le chaos total, à présent, au Foukien ; il n’y a pas d’unité. Dans le Kiangsi, les troupes de Tchou Pei­teh et de Hsiong Che­houei comptent en tout seize régiments. Leurs forces dépassent celles du Foukien et du Tchékiang, mais elles le cèdent de beaucoup à celles du Hounan. Deuxièmement, dans ces trois provinces les erreurs putschistes ont été relativement peu nombreuses.

Si nous laissons de côté le Tchékiang où la situation ne nous semble pas bien claire, nous dirons que les organisations du Parti et leur base de masse dans le Kiangsi et le Foukien sont un peu plus fortes que dans le Hounan. En ce qui concerne le Kiangsi, il existe une certaine base de masse dans le nord — dans les districts de Jehan, Sieouchouei et Tongkou.

A l’ouest, dans les districts de Ningkang, Yongsin, Lienhoua et Soueitchouan, les forces du Parti et les détachements de la Garde rouge subsistent comme par le passé ; dans le sud du Kiangsi, nos perspectives sont encore meilleures : les forces des 2° et 4° régiments de l’Armée rouge, dans le district de Kian, Yongsin et Hsingkouo, croissent de jour en jour ; les détachements de l’Année rouge commandés par Fang Tchemin n’ont nullement été anéantis. Il y a donc possibilité d’encercler Nan­tchang.  

Nous faisons au Comité central la proposition suivante : au cours de la guerre prolongée entre les militaristes du Kuomintang, nous développerons notre lutte contre Tchiang Kaï­chek et la clique du Kouangsi, afin de conquérir le Kiangsi et l’ouest du Foukien et du Tchékiang, nous accroîtrons les effectifs des imités de l’Armée rouge dans ces trois provinces, nous y créerons une base révolutionnaire que nous consoliderons grâce aux forces de la population. Délai pour l’accomplissement de ce plan : un an. »

   Dans ce plan qui vise à la conquête du Kiangsi, Terreur est d’avoir fixé le délai d’un an. En ce qui concerne la possibilité de conquérir le Kiangsi, nous conditionnions, dans cette lettre, cette possibilité, outre la situation dans la province elle­même, au prochain déclenchement de l’essor révolutionnaire à l’échelle du pays tout entier ; car si l’on n’est pas convaincu que la poussée révolutionnaire doit intervenir à brève échéance, il est impossible de conclure à la possibilité de se rendre maître du Kiangsi en un an.

   Le défaut de cette proposition, c’est d’avoir fixé le délai d’un an ; car c’était donner une interprétation précise nuancée d’impatience aux mots « doit bientôt » dans l’expression « on doit bientôt assister à un essor révolutionnaire ».

   Les conditions subjectives et objectives existant dans le Kiangsi méritent une attention sérieuse.

   Outre les conditions subjectives dont on parle dans la lettre adressée au Comité central, il existe des conditions objectives, dont on peut déjà mentionner les trois suivantes : 1. l’économie du Kiangsi est essentiellement féodale, l’influence du capital commercial y est relativement faible ; quant aux forces armées des propriétaires fonciers, elles sont plus réduites que dans n’importe quelle autre des provinces méridionales ; 2. le Kiangsi n’a pas ses propres troupes provinciales et il a toujours été protégé par les troupes des autres provinces ; ces dernières, transférées là pour « anéantir les communistes », ou pour « anéantir les bandits », ne sont pas au fait des conditions locales et sont loin d’être aussi intéressées à ces opérations que les troupes opérant dans leurs propres provinces ; souvent elles ne manifestent aucun enthousiasme ; 3. l’influence de l’impérialisme y est plus faible que dans le Kouangtong, limitrophe du territoire de Hong­kong et où presque toute la vie se trouve placée sous contrôle britannique.

   Tenant compte de ces trois conditions, nous pouvons expliquer pourquoi les soulèvements paysans dans le Kiangsi revêtent un caractère plus généralisé que dans n’importe quelle autre province, et pourquoi les unités de l’Armée rouge et les détachements de partisans y sont plus nombreux que partout ailleurs.

   Nombre de camarades se posent cette même question : comment comprendre les mots « doit bientôt » dans « on doit bientôt assister à un essor révolutionnaire » ?

   Les marxistes ne sont pas des faiseurs d’oracles. Lorsqu’ils parlent des développements et des changements qui interviendront à l’avenir, ils peuvent et ils doivent n’en indiquer que la direction générale, mais ils ne peuvent ni ne doivent en déterminer mécaniquement le jour et l’heure.

   Néanmoins, mon affirmation « on doit bientôt assister en Chine à un essor révolutionnaire » n’est nullement une phrase vide, dans le genre des formulations données par d’autres : « il est possible qu’intervienne un essor révolutionnaire », qui n’expriment en rien l’aspiration à l’action et qui représentent l’essor révolutionnaire comme quelque chose d’illusoire, d’inaccessible.

   L’essor révolutionnaire est semblable au navire dont la cime des mâts est déjà visible à l’horizon lointain ; il est semblable au disque solaire dont les rayons ardents percent déjà les ténèbres de l’Orient et sont visibles du sommet de la haute montagne ; il est semblable à l’enfant qui frémit déjà dans le sein de sa mère et qui verra bientôt le jour.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : L’élimination des conceptions erronées dans le Parti 

Décembre 1929

   Il existe au sein de l’organisation du Parti communiste dans le 4e corps de l’Armée rouge toutes sortes de conceptions non prolétariennes qui gênent énormément l’application de la ligne juste du Parti. Si on ne les élimine pas définitivement, il sera impossible au 4e corps de remplir les tâches qui lui sont assignées dans la grande lutte révolutionnaire de la Chine.

   Ces conceptions erronées ont évidemment pour origine la composition de l’organisation du Parti dans le 4e corps, celle-ci étant formée en grande majorité de paysans et d’autres éléments issus de la petite bourgeoisie; mais le fait que les organes dirigeants du Parti n’ont pas livré un combat résolu, unanime, à ces conceptions erronées, ni éduqué suffisamment les membres du Parti dans l’esprit de la ligne juste est aussi une raison importante de l’existence et du développement de telles conceptions.

   Procédant dans l’esprit de la lettre de septembre du Comité central, la Conférence de l’Organisation du Parti signale ici les manifestations des diverses conceptions non prolétariennes au sein de l’organisation du Parti dans le 4e corps, ainsi que l’origine de ces conceptions et les moyens de les corriger, et appelle tous les camarades à lutter pour les éliminer totalement.

LE POINT DE VUE PUREMENT MILITAIRE

   Le point de vue purement militaire est largement répandu chez un certain nombre de camarades de l’Armée rouge. Ses manifestations sont les suivantes :

  1.    On oppose le travail politique et le travail militaire et on se refuse à reconnaître que celui-ci n’est que l’un des moyens pour accomplir les tâches politiques. Certains affirment même que « si les choses vont bien sur le plan militaire, elles vont forcément bien sur le plan politique et si elles vont mal sur le plan militaire, elles ne peuvent aller bien sur le plan politique »; c’est s’avancer encore plus loin et soutenir que le travail militaire commande le travail politique.
  2.    On s’imagine que les tâches de l’Armée rouge sont semblables à celles de l’armée blanche, qu’elles consistent seulement à faire la guerre. On ne comprend pas que l’Armée rouge chinoise est une organisation armée chargée d’exécuter les tâches politiques de la révolution. Dans la période actuelle en particulier, l’Armée rouge ne se limite pas du tout aux activités militaires; outre les combats qu’elle doit livrer pour anéantir les forces armées de l’adversaire, elle assume encore nombre d’autres tâches importantes: la propagande parmi les masses, l’organisation des masses, l’armement des masses, l’aide donnée aux masses pour créer le pouvoir révolutionnaire, et même l’établissement des organisations du Parti communiste. L’Armée rouge ne fait pas la guerre pour la guerre, elle la fait dans le but de mener la propagande parmi les masses, d’organiser les masses, de les armer, de les aider à créer le pouvoir révolutionnaire; sans ces objectifs, la guerre n’aurait plus de sens, et l’Armée rouge plus de raison d’être.
  3.    On aboutit ainsi, dans le domaine de l’organisation, àsubordonner les organes assurant le travail politique dans l’Armée rouge à ceux qui assurent le travail militaire, et on avance le mot d’ordre: « Etendre l’autorité de l’état-major aux activités extérieures de l’armée ». Si ces idées continuent à se développer, on courra le risque de se couper des masses, de laisser l’armée contrôler les organes du pouvoir, de s’écarter de la direction prolétarienne, et, par voie de conséquence, de glisser vers le militarisme comme l’a fait l’armée du Kuomintang.
  4.    En même temps, dans le domaine de la propagande, on ne reconnaît pas l’importance des équipes de propagande, et, en matière d’organisation des masses, on néglige de créer des comités de soldats dans l’armée et d’organiser les masses ouvrières et paysannes locales; il en résulte que le travail de propagande et d’organisation se trouve dans un état d’abandon.
  5.    Présomption après les victoires, abattement après les défaites.
  6.    Le particularisme: En toute circonstance, on ne se soucie que du 4e corps; on ne comprend pas que l’une des tâches importantes de l’Armée rouge est d’armer les masses populaires locales. C’est un esprit de coterie à une plus grande échelle.
  7.    Un petit nombre de camarades, bornant étroitement leur horizon au 4e corps, croient qu’il n’existe pas d’autres forces révolutionnaires que ce dernier. D’où la tendance, extrêmement marquée, à conserver ses forces et à s’abstenir de toute action. C’est là une survivance de l’opportunisme.
  8.    Le refus de tenir compte des conditions subjectives et objectives, le prurit révolutionnaire, le refus de se livrer à un travail laborieux, imperceptible, minutieux parmi les masses, la tendance à ne rêver qu’à de grands exploits, la propension à s’abandonner aux illusions. Tout cela, ce sont des survivances du putschisme.

   Le point de vue purement militaire a pour origine :

  1.    Un niveau politique bas. D’où l’incompréhension du rôle de la direction politique dans l’armée, l’ignorance de la différence radicale entre l’Armée rouge et l’armée blanche.
  2.    La mentalité des troupes mercenaires. Par suite de l’incorporation à l’Armée rouge, après les batailles, d’un grand nombre de soldats faits prisonniers qui ont apporté cette mentalité profondément enracinée en eux, il s’est créé dans les unités inférieures un terrain favorable à l’apparition du point de vue purement militaire.
  3.    Une foi exagérée dans la force militaire et le manque de confiance dans celle des masses populaires troisième raison qui découle des deux premières.
  4.    Le fait que le Parti n’a pas apporté une attention soutenue au travail militaire ni engagé une discussion active de ce travail est également à l’origine du point de vue purement militaire d’un certain nombre de nos camarades.

   Les moyens d’éliminer ces défauts sont les suivants:

  1.    Elever le niveau politique des membres du Parti par le travail d’éducation, détruire les fondements théoriques de ce point de vue purement militaire, mettre en évidence la différence fondamentale qui existe entre l’Armée rouge et l’armée blanche. En même temps, éliminer les survivances de l’opportunisme et du putschisme et en finir avec l’esprit particulariste dans le 4e corps.
  2.    Renforcer l’instruction politique des officiers et hommes de troupe, en particulier l’éducation des anciens prisonniers. D’autre part, faire tout son possible pour que les organes locaux du pouvoir désignent, pour les enrôler dans l’Armée rouge, des ouvriers et des paysans ayant l’expérience de la lutte, de façon à affaiblir, voire à extirper complètement, sur le plan de l’organisation, les racines mêmes de ce point de vue purement militaire.
  3.    Appeler les organisations locales du Parti à formuler des critiques à l’adresse des organisations du Parti dans l’Armée rouge, et les organes du pouvoir populaire à en formuler à l’endroit de l’Armée rouge, afin d’exercer une influence salutaire sur les organisations du Parti dans l’Armée rouge et sur les officiers et soldats de celle-ci.
  4.    Le Parti doit porter une attention soutenue au travail militaire et l’examiner avec soin. Tout travail, avant d’être exécuté par les masses, devra être discuté par l’organisation du Parti et faire l’objet d’une décision prise par elle.
  5.    Elaborer un ensemble de règles et de règlements relatifs à l’Armée rouge, qui définiront avec précision ses tâches, les rapports entre ses organes militaires et ses organes politiques, les rapports entre l’Armée rouge et les masses populaires, la compétence des comités de soldats et leurs rapports avec les organes militaires et politiques.
L’ULTRA-DEMOCRATISME

   Depuis que le 4e corps de l’Armée rouge a reçu les directives du Comité central, les manifestations d’ultra-démocratisme ont beaucoup diminué dans ses rangs. C’est ainsi qu’il est devenu plus aisé, par exemple, d’exécuter les décisions du Parti; on n’entend plus de ces réclamations erronées comme d’exiger la réalisation, dans l’Armée rouge, de ce qu’on appelle « le centralisme démocratique allant de bas en haut » ou « l’examen des questions aux échelons inférieurs avant la décision des échelons supérieurs ».

   Mais, dans le fait, cet affaiblissement de l’ultra-démocratisme n’est que momentané et apparent, il ne signifie point qu’un pareil état d’esprit ait complètement disparu. Autrement dit, l’ultra-démocratisme reste encore profondément enraciné dans la conscience de nombreux camarades. La preuve en est, par exemple, le peu d’empressement qu’on montre à exécuter les décisions du Parti.

   Les moyens de faire disparaître cet état d’esprit sont les suivants :

  1.    Au point de vue théorique, il faut détruire les racines de l’ultra-démocratisme. Tout d’abord, il faut montrer que l’ultradémocratisme menace de saper les organisations du Parti jusqu’à les détruire complètement, qu’il menace d’affaiblir et même de miner tout à fait la capacité combative du Parti, ce qui le mettra hors d’état d’accomplir sa tâche dans les luttes et conduira, par conséquent, la révolution à la défaite. Il convient de montrer ensuite que l’ultra-démocratisme tire son origine de l’indiscipline petite-bourgeoise. En pénétrant dans le Parti, celle-ci se traduit, sur le plan politique et sur le plan de l’organisation, par des conceptions ultra-démocratiques, absolument incompatibles avec les tâches de combat du prolétariat.
  2.    Au point de vue de l’organisation, il faut appliquer avecrigueur le principe de la vie démocratique sous une direction centralisée. Les moyens d’y parvenir sont les suivants :

–   Les organes dirigeants du Parti doivent définir une ligne directrice juste, ils doivent savoir trouver la solution des problèmes qui surgissent, et devenir ainsi de véritables centres de direction.

–   Les organismes supérieurs doivent bien connaître la situation dans les organismes inférieurs et la vie des masses, afin d’avoir une base objective pour une direction juste.

–   Les organismes du Parti aux différents échelons ne doivent pas prendre de décisions à la légère. Dès qu’une décision est prise, elle doit être appliquée avec fermeté.

–   Toutes les décisions importantes des organismes supérieurs du Parti doivent être portées rapidement à la connaissance des organismes inférieurs et de la masse des membres du Parti. Les moyens d’y parvenir consistent à convoquer des réunions de militants, ou des assemblées générales des cellules, ou même des assemblées des membres du Parti dans les colonnes (lorsque les circonstances le permettent), et à désigner des camarades pour y faire des rapports.

–   Les organismes inférieurs du Parti et la masse des membres du Parti doivent discuter en détail les directives des organismes supérieurs, en saisir tout le sens et déterminer les méthodes à suivre pour les exécuter.

LES CONCEPTIONS CONTRAIRES AUX PRINCIPES D’ORGANISATION DU PARTI

   Voici comment les conceptions contraires aux principes d’organisation du Parti se manifestent au sein de l’organisation du Parti au 4e corps :

  •    Le refus de la minorité de se soumettre à la majorité. Par exemple, lorsqu’une proposition de la minorité est repoussée, ses tenants ne veulent pas appliquer honnêtement la décision de l’organisation du Parti.

   Les moyens d’y remédier sont :

  1.    Faire en sorte que tous les participants à une réunion aient entièrement la possibilité d’exprimer leurs opinions. Elucider ce qu’il y a de juste et de faux dans les questions controversées, ne pas rechercher les accommodements ni apporter une solution uniquement pour la forme. Si la question n’est pas réglée, il convient, à condition de ne pas gêner le travail, de l’examiner une seconde fois pour arriver à une conclusion précise ;
  2.    L’une des bases de la discipline du Parti, c’est la soumission de la minorité à la majorité. La minorité, qui voit son point de vue repoussé, doit se rallier à la décision prise par la majorité. En cas de nécessité, la question peut être posée de nouveau à la réunion suivante, mais aucune action allant à l’encontre de la décision n’est permise.
  •    La critique qui n’observe pas les principes d’organisation ;
  1.    La critique à l’intérieur du Parti est une arme qui sert à renforcer l’organisation du Parti et à élever sa capacité combative. Cependant, dans les organisations du Parti au sein de l’Armée rouge, la critique prend dans certains cas un autre caractère: elle se transforme en attaques personnelles. Cela ne porte pas seulement préjudice aux individus, mais également aux organisations du Parti.

   C’est une manifestation de l’individualisme petit-bourgeois. Le moyen d’y remédier consiste à faire comprendre aux membres du Parti que la critique doit avoir pour but de renforcer la capacité combative du Parti afin de remporter la victoire dans la lutte de classe, et qu’elle ne doit pas devenir un instrument pour lancer des attaques personnelles.

  1.    Beaucoup de membres du Parti exercent leur critique non pas à l’intérieur du Parti, mais à l’extérieur. Cela s’explique par le fait que les membres du Parti en général ne comprennent pas encore l’importance de l’organisation du Parti (ses réunions, etc.) et s’imaginent que la critique en dehors de l’organisation ne diffère en rien de celle qui se pratique à l’intérieur. Le moyen d’y remédier est d’éduquer les membres du Parti pour qu’ils se rendent compte de l’importance de l’organisation du Parti et comprennent que c’est aux réunions du Parti qu’ils doivent, le cas échéant, critiquer le comité ou des camarades en particulier.
L’EGALITARISME ABSOLU

   A un certain moment, l’égalitarisme absolu a pris des proportions sérieuses dans l’Armée rouge. En voici quelques exemples. Lors du paiement des allocations aux soldats blessés, des camarades exigent qu’aucune différence ne soit faite entre blessé grave et blessé léger et que la même somme soit remise à chacun.

   Si un officier va à cheval, certains ne se rendent pas compte que cela lui est nécessaire pour son service et ils n’y voient qu’une marque d’inégalité. Lorsqu’il s’agit de répartir le ravitaillement, ils exigent des parts rigoureusement égales et n’acceptent pas que certaines unités puissent, dans des conditions particulières, recevoir un peu plus que les autres. Pour le transport du riz, ils veulent que chacun porte la même charge, les enfants comme les adultes, les faibles comme les forts.

   Dans les cantonnements, ils demandent d’accorder à chacun le même espace; et si le commandement dispose d’un peu plus de place, voilà les insultes qui pleuvent.

   Dans les corvées, ils exigent que chacun ait exactement la même part de travail, et personne ne veut avoir un peu plus à faire. Il arrive même que lorsqu’il n’y a qu’un brancard pour deux blessés, on préfère ne transporter personne sur le brancard plutôt qu’un seul d’entre eux. Tout cela prouve que les tendances à l’égalitarisme absolu sont encore très fortes parmi les officiers et les soldats de l’Armée rouge.

   L’égalitarisme absolu a la même origine que l’ultradémocratisme en politique; il est le produit de l’économie artisanale et de la petite exploitation paysanne; la seule différence réside dans le fait que l’un se manifeste dans le domaine politique et l’autre dans la vie matérielle.

   Moyens pour éliminer ces tendances: Il faut faire ressortir que non seulement l’égalitarisme absolu n’est qu’une illusion de petit propriétaire paysan tant que le capitalisme n’a pas été supprimé, mais qu’il n’existera pas même sous le socialisme, où la répartition des biens matériels se fera selon le principe: « De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail », et conformément aux nécessités du travail.

   Les biens matériels doivent être répartis, dans l’ensemble, d’une manière égale entre les hommes de l’Armée rouge, la solde, par exemple, doit être la même pour les officiers et les soldats, et cela parce que la situation actuelle de notre lutte l’exige. Néanmoins, l’égalitarisme absolu, qui écarte toute autre considération, doit être combattu, car il ne répond pas aux besoins de la lutte; au contraire, il met obstacle à la lutte.

LE SUBJECTIVISME

   Certains membres du Parti sont fortement atteints de subjectivisme; cela est très préjudiciable lorsqu’il s’agit d’analyser la situation politique et de diriger le travail.

   Une analyse subjectiviste de la situation politique, de même qu’une direction subjectiviste du travail, aboutit nécessairement, soit à l’opportunisme, soit au putschisme. Quant aux critiques subjectivistes, aux propos inconsidérés et non fondés, aux suspicions réciproques, tout cela conduit souvent, dans le Parti, à des querelles sans principes et sape les organisations du Parti.

   Pour ce qui est de la critique à l’intérieur du Parti, un autre point doit être mentionné, à savoir que certains camarades, dans leur critique, ne font pas attention à ce qui est important, mais s’attachent seulement à ce qui est insignifiant. Ils ne comprennent pas que la critique a pour tâche principale de mettre en évidence les erreurs politiques et les fautes d’organisation. En ce qui concerne les défauts personnels, s’ils ne sont pas liés à des erreurs politiques ou à des fautes d’organisation, il ne convient pas de les critiquer trop sévèrement, de peur de laisser les camarades désemparés.

   En outre, si pareille critique se développe, l’attention de l’organisation du Parti se portera uniquement sur de petites choses, et les camarades deviendront des gens trop pointilleux qui se perdent dans des vétilles et oublient les tâches politiques du Parti; c’est là un très grand danger.

   Moyens d’éliminer ces défauts: L’essentiel, c’est d’éduquer les membres du Parti de telle sorte que leurs conceptions et toute la vie intérieure du Parti prennent une orientation politique, scientifique.

   Pour cela, il faut :

  1.    apprendre aux membres du Parti à analyser la situation politique et à apprécier les forces des classes selon la méthode marxiste-léniniste, au lieu de faire des analyses et des appréciations subjectivistes ;
  2.    attirer l’attention des membres du Parti sur la nécessité de faire des enquêtes et des recherches relatives aux conditions économiques et sociales et de se fonder là-dessus pour déterminer la tactique de la lutte et les méthodes de travail; faire comprendre aux camarades que sans une enquête sur la situation réelle, ils tomberont dans l’abîme des vaines imaginations et du putschisme ;
  3.    dans la critique au sein du Parti, mettre en garde les camarades contre les jugements subjectivistes, arbitraires, et contre toute banalisation de la critique; faire en sorte que les interventions soient fondées et que les critiques aient un sens politique.
L’INDIVIDUALISME

   Les tendances individualistes dans les organisations du Parti au sein de l’Armée rouge se manifestent de la manière suivante:

  1.    L’esprit vindicatif. Un membre du Parti, qui a été critiqué dans le Parti par un de ses camarades, soldat de l’Armée, cherche à se venger de lui en dehors du Parti; des coups, des insultes, voilà les moyens de tirer vengeance. On cherche également à se venger au sein du Parti: « Tu m’as critiqué à la dernière réunion; à la prochaine, je tâcherai de te chercher noise pour me venger. » Un tel esprit vindicatif provient exclusivement de considérations personnelles. Il méconnaît les intérêts de classe et ceux de tout le Parti. Il n’est pas dirigé contre les classes ennemies, mais contre des camarades qui sont dans nos propres rangs. Il ronge l’organisation du Parti comme un corrosif et affaiblit sa capacité de combat.
  2.    L’esprit de coterie. On ne se soucie que des intérêts de son petit groupe sans tenir compte de l’intérêt général. En apparence, on n’est pas mû par l’intérêt personnel, en réalité on obéit à un individualisme des plus étroits. L’esprit de coterie exerce une puissante action dissolvante et désagrégeante. L’esprit de coterie a toujours sévi dans l’Armée rouge; grâce aux critiques, la situation s’est quelque peu améliorée, mais il y a encore des survivances de cet esprit, et il faut faire de nouveaux efforts pour en venir à bout.
  3.    La mentalité mercenaire. Certains camarades ne comprennent pas que le Parti et l’Armée rouge, dont ils sont membres, sont des instruments nécessaires à l’accomplissement des tâches de la révolution; ils ne comprennent pas qu’ils font partie des forces principales de cette révolution et ils s’imaginent qu’ils ne sont responsables que devant leurs supérieurs et non devant la révolution. Cette attitude passive, mercenaire, à l’égard de la révolution est également une manifestation d’individualisme. L’existence d’une telle mentalité explique pourquoi nous n’avons pas tellement de militants actifs qui donnent, sans réserve, toutes leurs forces à la révolution. Si nous n’éliminons pas cette mentalité, le nombre de nos militants actifs ne saurait augmenter, et les lourdes tâches de la révolution reposeront toujours sur les épaules d’un petit nombre de camarades, au grand préjudice de notre lutte.
  4.    Le goût des plaisirs. Dans l’Armée rouge, nombreux sont ceux chez qui l’individualisme se manifeste par le goût des plaisirs. Ils voudraient toujours que nos troupes se dirigent vers les grandes villes, non pour le travail, mais pour les plaisirs.

   Surtout, ils n’aiment pas travailler dans les régions rouges, où les conditions de vie sont pénibles.

  1.    La passivité et le genre tire-au-flanc. Certains, quand les choses ne vont pas comme ils veulent, deviennent passifs et se refusent à travailler. La raison essentielle en est l’insuffisance du travail éducatif; mais il arrive parfois qu’une telle attitude soit due au fait que les dirigeants n’agissent pas de façon appropriée en ce qui concerne la solution des diverses questions, la répartition du travail ou l’application des mesures disciplinaires.
  2.    Le désir de quitter l’armée. Le nombre de ceux qui demandent qu’on les retire de l’Armée rouge et qu’on leur assigne une tâche civile va grandissant. Cela n’est pas toujours dû à des raisons de caractère personnel, mais s’explique également par le fait: 1) que les conditions matérielles d’existence de l’Armée rouge sont trop mauvaises; 2) qu’on se sent fatigué après de longues années de combat; 3) que des dirigeants n’agissent pas de façon appropriée en ce qui concerne la solution des diverses questions, la répartition des tâches ou l’application des mesures disciplinaires.

   Moyens de corriger ces défauts: Tout d’abord, renforcer le travail d’éducation, afin de triompher de l’individualisme sur le plan idéologique. Ensuite, procéder de façon juste en ce qui concerne la solution de toutes les questions, la répartition du travail et l’application des mesures disciplinaires.

   De plus, il faut trouver les moyens d’améliorer les conditions matérielles d’existence de l’Armée rouge et utiliser toutes les possibilités qui se présentent pour permettre aux troupes de se reposer et de se refaire. Dans notre travail d’éducation, il faut faire ressortir qu’en ce qui concerne ses origines sociales, l’individualisme est le reflet de l’idéologie petite-bourgeoise et bourgeoise dans le Parti.

LA MENTALITE DE « HORS-LA-LOI »

   Par suite de la présence, dans les rangs de l’Armée rouge, d’un grand nombre d’éléments déclassés, et de l’existence d’une multitude d’éléments semblables dans le pays, en particulier dans les provinces méridionales, une mentalité de « hors-la-loi » s’est fait jour, sur le plan politique, dans l’Armée rouge.

   Cette mentalité se manifeste :

  1. par la tendance à étendre notre influence politique, non pas grâce à un travail laborieux pour créer des bases d’appui et établir le pouvoir populaire, mais uniquement par des actions mobiles de partisans ;
  2. par la tendance à grossir l’Armée rouge non pas en multipliant les détachements locaux de la Garde rouge et les unités locales pour les transformer finalement en forces principales, mais  » en recrutant n’importe qui, jusqu’à des déserteurs et des mutins  » ;
  3. dans la répugnance à mener de rudes combats aux côtés des masses et dans la tendance à vouloir arriver le plus vite possible dans les grandes villes pour pouvoir y ripailler à plaisir.

   Toutes ces manifestations de la mentalité de « hors-la-loi » gênent considérablement l’Armée rouge dans l’accomplissement des tâches qui lui incombent; c’est pourquoi l’extirpation de cette mentalité constitue un objectif important de la lutte idéologique à l’intérieur des organisations du Parti dans l’Armée rouge. Il faut comprendre qu’une telle mentalité, semblable à celle qui existait du temps de Houang Tchao et de Li Tchouang est inadmissible dans les conditions actuelles.

[Houang Tchao, né à Tsaotcheou (aujourd’hui district de Hotseh, province du Chantong), dirigea une insurrection paysanne à la fin de la dynastie des Tang. En l’an 875, c’est-à-dire dans la deuxième année du règne de l’empereur Hsitsong, Houang Tchao, qui avait rassemblé autour de lui un grand nombre de paysans, fit écho au soulèvement dirigé par Wang Sien-tche. Quand celui-ci fut tué, ce qui subsistait de ses détachements fut réuni par Houang Tchao à ses propres forces, et il se proclama « Grand capitaine montant à l’assaut du ciel ». A la tête des forces insurrectionnelles, Houang Tchao mena deux campagnes au-delà des frontières du Chantong. Au cours de la première, il passa d’abord dans le Honan, puis dans l’Anhouei et le Houpei et retourna ensuite dans le Chantong. Dans la seconde campagne, il partit encore du Chantong pour aller dans le Honan, puis dans le Kiangsi. Traversant ensuite l’est du Tchékiang, il entra dans le Foukien et le Kouangtong, puis dans le Kouangsi, le Hounan et enfin le Houpei; de là, il se dirigea de nouveau vers l’est et pénétra dans l’Anhouei et le Tchékiang. Puis, franchissant le Houaiho, il pénétra dans le Honan, s’empara de Louoyang, prit d’assaut la passe de Tongkouan et, finalement, s’empara de la ville de Tchangan. Houang Tchao créa alors l’empire de Tsi et se proclama empereur.

Mais à la suite de querelles intestines (son général Tchou Wen se rendit à l’empereur des Tang) et de l’offensive des troupes de Li Keh-yong, chef de la tribu des Chatos, Houang Tchao perdit Tchangan, se replia vers le Honan et enfin dans le Chantong. Finalement vaincu, Houang Tchao se suicida. La guerre qu’il avait entreprise avait duré dix ans, c’est l’une des guerres paysannes les plus célèbres dans l’histoire de Chine. Dans les chroniques officielles, dont les auteurs appartenaient aux classes dominantes, on dit de Houang Tchao qu’à cette époque « tous les gens souffrant du fardeau des impôts se ruaient vers lui ». Néanmoins, Houang Tchao se limita à des opérations mobiles et ne créa aucune base d’appui tant soit peu solide. C’est pourquoi il fut qualifié de « hors-la-loi ».

Li Tchouang ou Li Tse-tcheng fit régner, parmi ses troupes, une sévère discipline en lançant le mot d’ordre suivant: « Celui qui tue un homme, je le traiterai comme s’il avait tué mon père. Celui qui viole une femme, je le traiterai comme s’il avait violé ma mère. » C’est pourquoi il eut beaucoup de partisans; ses détachements devinrent la force principale des insurrections paysannes de cette époque.

Mais, comme Houang Tchao, il ne s’assura, lui non plus, aucune base tant soit peu solide, et se déplaça continuellement. Après avoir été proclamé roi, il conduisit ses troupes dans le Setchouan, puis regagna le Chensi du Sud, traversa le Houpei et entra de nouveau dans le Honan. Il fit une incursion dans le Houpei pour occuper Siangyang et, traversant encore une fois le Honan, revint dans le Chensi où il s’empara de Sian. En 1644, il traversa le Chansi et s’empara de Pékin, mais fut bientôt vaincu par les forces conjuguées du général des Ming, Wou San-kouei, et des Tsing, que ce dernier avait appelés à la rescousse.]

   Moyens d’éliminer cette mentalité:

  1.    Renforcer le travail d’éducation et critiquer les conceptions erronées pour faire disparaître la mentalité de « hors-la-loi ».
  2.    Renforcer, dans les rangs de l’Armée rouge et parmi les soldats faits prisonniers et récemment incorporés, le travail d’éducation, pour en finir avec l’esprit de vagabondage.
  3.    Faire entrer dans l’Armée rouge des éléments ouvriers et paysans actifs, ayant l’expérience de la lutte, afin de modifier, de cette manière, la composition de l’Armée rouge.
  4.    Créer de nouvelles unités de l’Armée rouge avec les masses ouvrières et paysannes engagées dans la lutte.
LES SURVIVANCES DU PUTSCHISME

   On a déjà combattu le putschisme dans les organisations du Parti au sein de l’Armée rouge, mais d’une manière insuffisante. C’est pourquoi il se trouve encore dans l’Armée rouge des survivances des tendances putschistes.

   Elles se manifestent :

  1.    par des actions aveugles, entreprises sans tenir compte des conditions subjectives et objectives ;
  2.    dans l’application incomplète et irrésolue de notre politique dans les villes ;
  3.    dans le relâchement de la discipline militaire, en particulier après des défaites ;
  4.    dans les incendies de maisons, encore pratiqués par certaines unités ;
  5.    dans l’exécution des déserteurs et l’application de châtiments corporels, pratiques à caractère putschiste. Il faut rechercher les origines sociales du putschisme dans l’imbrication de l’idéologie du Lumpenproletariat et de l’idéologie petite-bourgeoise.

   Moyens d’éliminer ces survivances :

  1.    Liquider le putschisme du point de vue idéologique.
  2.    En finir avec le comportement putschiste au moyen de règles, règlements et mesures politiques.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Rapport sur l’enquête menée dans le Hounan à propos du mouvement paysan

Mars 1927

L’IMPORTANCE DE LA QUESTION PAYSANNE

   Au cours de mon récent voyage dans le Hounan, j’ai fait une enquête sur place concernant la situation dans cinq districts : Siangtan, Sianghsiang, Hengchan, Liling et Tchangcha. Pendant trente-deux jours, du 4 janvier au 5 février, dans les villages et les chefs-lieux de district, j’ai convié à des entretiens des paysans ayant de l’expérience ainsi que des militants du mouvement paysan, et j’ai écouté attentivement ce qu’ils me rapportaient ; cela m’a permis de recueillir un ample matériel.

Bien des aspects du mouvement paysan se sont révélés être l’exact contraire de ce que j’avais eu l‘occasion d’entendre de la bouche des hobereaux à Hankeou et à Tchangcha. J’ai vu et entendu bien des choses étonnantes dont je n’avais jamais eu connaissance jusque-là. Je pense qu’on peut en observer de semblables en beaucoup d’endroits.

   Nous devons, au plus vite, mettre un terme à tous les propos contre le mouvement paysan et corriger les mesures erronées prises par les autorités révolutionnaires à l’égard de ce mouvement. C’est seulement ainsi qu’on pourra contribuer au développement futur de la révolution. Car l’essor actuel du mouvement paysan est un événement d’une extrême importance.

Dans peu de temps, on verra dans les provinces du centre, du sud et du nord de la Chine des centaines de millions de paysans se dresser, impétueux, invincibles, tel l’ouragan, et aucune force ne pourra les retenir. Ils briseront toutes leurs chaînes et s’élanceront sur la voie de la libération.

Ils creuseront le tombeau de tous les impérialistes, seigneurs de guerre, fonctionnaires corrompus et concussionnaires, despotes locaux et mauvais hobereaux. Ils mettront à l’épreuve tous les partis révolutionnaires, tous les camarades révolutionnaires, qui auront à prendre leur parti. Nous mettre à la tête des paysans et les diriger ?

Rester derrière eux en nous contentant de les critiquer avec force gestes autoritaires ? Ou nous dresser devant eux pour les combattre ? Tout Chinois est libre de choisir une de ces trois voies, mais les événements obligent chacun à faire rapidement ce choix.

ILS S’ORGANISENT

   Dans le mouvement paysan du Hounan, on peut grosso modo distinguer deux périodes, du moins pour les districts du centre et du sud de la province, où il a pris de l’ampleur. La première, qui va de janvier à septembre de l’année dernière, a été une période d’organisation. Elle se divise en une phase d’activité clandestine, de janvier à juin, et une phase d’activité au grand jour, de juillet à septembre, lorsque l’armée révolutionnaire avait chassé Tchao Heng-ti.

A cette époque, les unions paysannes comptaient seulement 300.000 à 400.000 membres, et les masses qui se trouvaient sous leur direction immédiate dépassaient à peine un million d’individus ; il n’y avait encore pratiquement pas de lutte à la campagne, et c’est pourquoi l’on n’avait guère critiqué les unions paysannes dans les différents milieux du pays. Comme les membres des unions paysannes apportaient leur aide à l’armée engagée dans l’Expédition du Nord en lui servant de guides, d’éclaireurs et de porteurs, il arrivait même que des officiers s’exprimaient en termes favorables à l’égard de ces unions.

La seconde période, qui va d’octobre de l’an passé à janvier de cette année, est celle de l’action révolutionnaire. Les effectifs des unions paysannes montèrent en flèche, atteignant 2 millions de membres ; quant aux masses placées sous leur direction immédiate, elles s’élevèrent à 10 millions d’individus.

En effet, dans la plupart des cas, un seul nom est inscrit pour chaque famille qui adhère aux unions paysannes ; à 2 millions de membres correspond donc une masse englobée dans les unions d’environ 10 millions d’individus. Presque la moitié des paysans du Hounan se sont maintenant organisés.

Dans des districts tels que Siangtan, Sianghsian, Lieouyang, Tchangcha, Liling, Ninghsiang, Pingkiang, Siangyin, Hengchan, Hengyang, Leiyang, Tchenhsien et Anhoua, presque tous les paysans sont entrés dans les unions paysannes et ont passé sous leur direction. Groupés dans de vastes organisations, les paysans se sont mis aussitôt à agir, et ces quatre mois ont vu se développer à la campagne une révolution d’une ampleur encore inconnue.

A BAS LES DESPOTES LOCAUX ET LES MAUVAIS HOBEREAUX ! TOUT LE POUVOIR AUX UNIONS PAYSANNES !

   Les paysans ont porté leur coup principal contre les despotes locaux et les mauvais hobereaux, contre les propriétaires fonciers ayant commis des forfaits ; mais ils ont frappé par là même les idées et les institutions patriarcales, les fonctionnaires corrompus et concussionnaires dans les villes et les coutumes détestables à la campagne. Par sa puissance, ce coup a été pareil à un ouragan devant lequel tout doit disparaître ou s’incliner.

Finalement, les privilèges millénaires des propriétaires féodaux ont été balayés, et leur dignité, leur prestige complètement détruits. Après le renversement de l’autorité des propriétaires fonciers, les unions paysannes sont devenues les seuls organes existants du pouvoir, et le mot d‘ordre : « Tout le pouvoir aux unions paysannes ! » a passé dans les faits.

On consulte désormais les unions paysannes, même pour des bagatelles comme une dispute entre époux. Aucune affaire ne se règle sans la présence de représentants de l’union paysanne. A la campagne, les unions paysannes exercent leur autorité pratiquement dans tous les domaines. Comme on dit : « Tout ce qu’elles disent, elles le font ».

Et ceux qui n’en sont pas membres ne peuvent dire que du bien d’elles ; personne ne peut en dire du mal. Quant aux despotes locaux et mauvais hobereaux, aux propriétaires fonciers ayant commis des forfaits, ils n’ont absolument pas droit à la parole ; ils n’osent littéralement pas souffler mot.

Devant la puissance des unions paysannes, les plus importants des despotes locaux et des mauvais hobereaux ont fui à Changhai, les moins importants jusqu’à Hankeou, ceux qui le sont moins encore à Tchangcha, les plus petits dans les chefs-lieux de district ; quant à la lie de cette espèce, elle a dû rester dans les villages et s’en est remise à la bonne grâce des unions paysannes.

  • Voici dix yans, permettez-moi d’adhérer à l’union, implore le mauvais hobereau de petite envergure.
  • Fi donc ! lui répondent les paysans, on n’a que faire de ton sale argent !

   Nombre de propriétaires fonciers, petits et moyens, de paysans riches, et même de paysans moyens, qui étaient contre les unions paysannes, cherchent en vain à y entrer. Il m’est souvent arrivé en bien des endroits de rencontrer de ces gens qui sollicitaient mon appui : « Vous êtes mandaté par le chef-lieu de la province, disaient-ils, soyez notre garant ! »

   Du temps de la dynastie des Tsing, les autorités locales tenaient pour les recensements deux registres : le registre habituel et le registre spécial. Les gens de bonnes mœurs étaient portés sur le registre habituel, les mauvais éléments comme les bandits et les voleurs sur le registre spécial. Et voilà qu’à cet exemple, on voit les paysans, en certains endroits, menacer ceux qui étaient contre les unions paysannes en disant : « Il faut les inscrire sur le registre spécial ! ».

   Ceux qui ont peur d’être portés sur ce registre font tous leurs efforts pour entrer dans l’union paysanne et ne sont tranquilles que lorsqu’il y sont inscrits comme membres. Mais il arrive souvent que les unions paysannes refusent catégoriquement leur admission, aussi vivent-ils dans une frayeur constante ; maintenus à l’écart des unions paysannes, ils se sentent comme des vagabonds sans feu ni lieu ; dans les villages, on les appelle les « gens à part ».

Bref, ces « sociétés paysannes » que beaucoup méprisaient il y a quatre mois sont devenues maintenant des organisations fort honorables. Tous ceux qui, autrefois, s’inclinaient bien bas devant l’autorité des hobereaux s’inclinent maintenant devant le pouvoir des paysans. Il n’est personne qui ne reconnaisse que le mois d’octobre de l’an dernier a marqué la coupure entre deux mondes.

« ÇA VA TRÈS MAL ! » ET « ÇA VA TRÈS BIEN ! »

   La révolte des paysans a arraché les hobereaux à leur doux sommeil. Dès que les nouvelles en provenance de la campagne ont atteint les régions urbaines, les hobereaux dans les villes se sont agités. A mon arrivée à Tchangcha, j’ai rencontré toutes sortes de gens et entendu bien des racontars. De la couche moyenne de la société à l’aile droite du Kuomintang, tous s’accordaient à caractériser la situation par ces mots : « Ça va très mal ! ».

Dans l’ambiance tumultueuse créée par ce que disaient les adeptes de l’opinion « ça va très mal », même des gens tout à fait révolutionnaires se sentaient déprimés quand, fermant les yeux, ils imaginaient ce qui se passait à la campagne, et ils jugeaient impossible de nier qu’en effet ça allait « mal ».

Et ceux qui avaient des idées très avancées disaient : « Oui, ça va mal, mais c’est inévitable en période de révolution ». Bref, il n’était possible à personne de nier complètement que ça allait « mal ». La réalité, c’est, comme il l’a été dit plus haut, que les larges masses paysannes se sont soulevées pour accomplir leur mission historique, quand dans les campagnes les forces démocratiques se sont soulevées pour renverser les forces féodales.

La classe patriarco-féodale des despotes locaux, des mauvais hobereaux, et des propriétaires fonciers coupables de forfaits forme la base de cet absolutisme qui dure depuis des millénaires, et c’est sur elle que s’appuient les impérialistes, les seigneurs de guerre et les fonctionnaires corrompus et concussionnaires. Le but véritable de la révolution nationale est précisément de renverser ces forces féodales.

Pendant quarante ans, le Dr Sun Yat-sen a consacré toutes ses forces à la révolution nationale ; ce qu’il a voulu mais n’a jamais pu réaliser, les paysans l’ont accompli en quelques mois. C’est là un exploit extraordinaire qu’on n’avait jamais réussi jusqu’alors, ni en quarante ans ni même au cours des millénaires. Cela va donc très bien. Il n’y a rien là-dedans qui aille « mal », absolument rien qui aille « très mal ». « Ça va très mal ! » est évidemment une théorie de la classe des propriétaires fonciers pour préserver le vieil ordre féodal et empêcher l’établissement d’un nouvel ordre démocratique ; c’est évidemment une théorie contre-révolutionnaire.

Aucun camarade révolutionnaire ne doit répéter cette sottise. Si les conceptions révolutionnaires se sont définitivement affermies en vous et s’il vous est arrivé d’aller à la campagne voir ce qui s’y passe, vous avez dû certainement éprouver une allégresse peu commune. Des milliers et des milliers d’esclaves – les paysans – jettent à terre leurs ennemis qui s’engraissaient à leurs dépens.

Ce que font les paysans est absolument juste ; ils agissent très bien ! « Ça va très bien ! » est la théorie des paysans et de tous les autres révolutionnaires. Les camarades révolutionnaires doivent comprendre que la révolution nationale exige un grand bouleversement à la campagne. La Révolution de 1911 n’a pas amené ce bouleversement, d’où son échec.

Or, un tel bouleversement vient d’avoir lieu et c’est là un facteur important de la révolution, nécessaire à son achèvement victorieux. Tous les camarades révolutionnaires doivent prendre parti pour ce bouleversement, sinon leur position et celle de la contre-révolution.

SUR CE QU’ON APPELLE LES « EXCÈS »

   Il y en a d’autres qui disent : « Bien sûr, il faut créer des unions paysannes, mais elles commettent vraiment trop d’excès ». Telle est l’opinion des tenants de la ligne « moyenne ». Or, que se produit-il en réalité ? Il est vrai que dans les villages les paysans « y vont un peu fort ».

Devenues l’autorité suprême, les unions paysannes ferment la bouche aux propriétaires fonciers ; elles ont réduit en poussière leur prestige – cela revient à dire qu’on a jeté à terre le propriétaire foncier et qu’on lui a mis le pied dessus. Menaçant les despotes locaux et les mauvais hobereaux de les porter sur le registre spécial, les paysans les frappent d’amendes, les chargent de contributions et démolissent leurs palanquins.

La foule fait irruption dans les maisons des despotes locaux et des mauvais hobereaux qui sont contre les unions paysannes ; on égorge les cochons, on rafle le grain. Il arrive que des paysans viennent chez les despotes locaux et les mauvais hobereaux et se prélassent un moment sur les lits incrustés d’ivoire de leurs filles et de leurs brus.

Ils arrêtent des gens à la moindre occasion, les coiffent de grands bonnets de papier et les promènent à travers le village, en disant : « Tu sais à présent à qui tu as affaire, sale hobereau ! » Les paysans font ce qu’ils veulent. C’est le monde renversé, et une espèce de terreur règne ainsi à la campagne. C’est ce que certains appellent commettre des « excès », « courber en sens inverse aux fins de redresser », « commettre des actes scandaleux ». En apparence, de tels jugements semblent raisonnables ; en réalité, ils sont tout aussi erronés.

En premier lieu, si les paysans ont commis de tels actes, c’est qu’ils ont été poussés à bout par les despotes locaux, les mauvais hobereaux, les propriétaires fonciers coupables de forfaits. Ces gens ont de tout temps usé de leur pouvoir pour tyranniser et écraser les paysans ; c’est pourquoi ceux-ci ont réagi avec tant de force. Les révoltes les plus violentes, les désordres les plus graves se sont invariablement produits là où les despotes locaux, les mauvais hobereaux, et les propriétaires fonciers coupables de forfaits se sont livrés aux pires outrages. L’œil du paysan voit juste.

Les paysans se rendent parfaitement compte si celui-ci est mauvais et si celui-là l’a été moins, s’il faut traiter celui-ci avec rigueur et celui-là avec clémence ; il est rare que le châtiment ne corresponde pas à la faute. Deuxièmement, la révolution n’est ni un dîner de gala ni une œuvre littéraire, ni un dessin ni une broderie ; elle ne peut s’accomplir avec autant d’élégance, de tranquillité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d’amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d’âme.

La révolution, c’est un soulèvement, un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre. La révolution à la campagne, c’est le renversement, par la paysannerie, du pouvoir féodal des propriétaires fonciers. A moins de déployer les plus grands efforts, la paysannerie n’arrivera jamais à renverser le pouvoir des propriétaires fonciers, qui s’est solidement établi au cours des millénaires. Il faut une puissante poussée révolutionnaire à la campagne pour mettre en mouvement des millions de paysans qui formeront une force considérable.

Les « excès » dont on vient de parler proviennent justement de cette force engendrée chez les paysans par la puissante poussée révolutionnaire qui s’est développée à la campagne.

Dans la seconde période du mouvement paysan (celle de l’action révolutionnaire), ces excès » sont tout à fait nécessaires. Il s’agit alors d’asseoir l’autorité absolue des paysans, d’interdire toute attaque perfide contre les unions paysannes, de renverser complètement le pouvoir des hobereaux, de jeter ces derniers au sol et même de mettre le pied dessus.

Au cours de cette seconde période, tous les actes qualifiés d’ « excès » revêtent une importance révolutionnaire. Pour le dire carrément, il est nécessaire que s’établisse dans chaque région rurale une brève période de terreur.

Sinon, il serait absolument impossible d’y réprimer l’activité des contre-révolutionnaires et de renverser le pouvoir des hobereaux. Pour redresser quelque chose, on est obligé de le courber en sens inverse ; sinon, on ne peut le rendre droit Bien que l’opinion de ceux qui critiquent les « excès » se distingue apparemment de celle du premier groupe, elle procède au fond du même point de vue : c’est la théorie même des propriétaires fonciers, au service des seuls intérêts des classes privilégiées. Aussi devons-nous combattre absolument cette théorie qui fait obstacle à l’essor du mouvement paysan et qui, en dernière analyse, sape la révolution.

LE « MOUVEMENT DES VA-NU-PIEDS »

   La droite du Kuomintang affirme : « Le mouvement paysan est un mouvement de va-nu-pieds, de fainéants ». On peut entendre fréquemment de tels propos à Tchangtcha. J’ai eu l’occasion d’entendre à la campagne les hobereaux déclarer : « On peut créer des unions paysannes, mais les gens qui y travaillent actuellement ne valent rien ; il faut les remplacer ! ».

Ces propos ne diffèrent aucunement de ceux que tient la droite du Kuomintang ; ils se ramènent tous à l’affirmation suivante : on peut organiser le mouvement paysan (du moment qu’on a déjà commencé à le faire, personne n’ose plus en contester l’opportunité), mais les gens qui le dirigent ne valent rien. Les hobereaux comme la droite du Kuomintang vouent une haine particulière à ceux qui dirigent les unions paysannes des échelons inférieurs et les traitent de « va-nu-pieds ».

En somme, tous ceux que les hobereaux méprisaient autrefois, qu’ils foulaient aux pieds, tous ceux qui ne pouvaient trouver de place dans la société, qui n’avaient pas le droit d’ouvrir la bouche, redressent maintenant la tête – et voilà que non seulement ils redressent la tête mais prennent le pouvoir en main. Ils sont les maîtres dans les unions paysannes des cantons (l’échelon le plus bas de l’organisation). Ils ont transformé ces unions en une force redoutable.

Ils ont levé la main, leur main calleuse, sur les hobereaux. Ils attachent les mauvais hobereaux avec des cordes, les coiffent de grands bonnets de papier et les promènent à travers le canton (c’est ce qu’on appelle « conduire dans les villages » à Siangtan et à Sianghsiang, « conduire à travers champs » à Liling).

Chaque jour, les accusations publiques, impitoyables qu’ils lancent d‘une voix rude parviennent aux oreilles des hobereaux. Ils donnent des ordres et commandent en maîtres. Autrefois, ils étaient inférieurs à tous, ils sont maintenant supérieurs à tous, et c‘est ce qu’on appelle le monde renversé.

L’AVANT-GARDE DE LA RÉVOLUTION

   Des considérations contradictoires sur les choses et les gens découlent nécessairement des jugements contradictoires sur ces choses et ces gens. « Ça va très mal ! » et « Ça va très bien ! », « va-nu-pieds » et « avant-garde de la révolution » en sont des bons exemples.

   Il a été dit ci-dessus que les paysans avaient accompli une œuvre révolutionnaire jamais réalisée jusque-là et qu’ils avaient fait un important travail pour la révolution nationale.

Mais peut-on dire que toute la paysannerie a pris part à cette grande oeuvre révolutionnaire, à cet important travail révolutionnaire ? Non.

Il y a trois catégories de paysans : les riches, les moyens et les pauvres. Vivant dans des conditions différentes, ils ont également des idées différentes sur la révolution.

Au cours de la première période, ce qui plaisait aux paysans riches, c’était d’entendre dire que l’Armée de l’Expédition du Nord avait essuyé une cuisante défaite dans le Kiangsi, que Tchiang Kai-chek avait été blessé au pied et avait pris l’avion pour retourner dans le Kouangtong, que Wou Pei-fou avait repris la ville de Yuétcheou, que les unions paysannes ne tiendraient sûrement pas longtemps et que rien ne sortirait des trois principes du peuple, parce qu’on n’avait jamais rien connu de semblable.

Et quand quelqu’un d’une union paysanne de canton (généralement un des « va-nu-pieds ») se rendait chez un paysan riche, registre en main, et lui disait : « Nous vous invitons à adhérer à l’union paysanne », que lui répondait-il ?

Ça fait des dizaines d’années que je vis ici, des dizaines d’années que je travaille la terre, jamais je n’ai entendu parler d’une chose pareille, et ça ne m’a pas empêché de manger à ma faim. Si j’ai un conseil à vous donner, c’est de ne pas vous occuper de toutes ces histoires ! » S’il était franchement hostile, il répondait : « Qu’est-ce que c’est que cette union paysanne ? L’union de tous ceux qui auront la tête coupée ! N’entraînez pas les gens dans une affaire qui peut leur attirer des ennuis ! »

Mais chose étonnante, les unions paysannes sont maintenant établies depuis des mois et elles ont même osé prendre position contre les hobereaux. Dans le voisinage, elles ont arrêté les hobereaux qui refusaient de remettre leur pipe à opium et les ont promenés à travers les villages. Dans les chefs-lieux de district, on a même exécuté d’importants hobereaux, comme Yen Yong-tsieou de Siangtan et Yang Tche-tseh de Ninghsiang.

   Pour l’anniversaire de la Révolution d’Octobre et à l’occasion du rassemblement antibritannique et des grandes célébrations de la victoire de l’Expédition du Nord, on a vu dans chaque canton une dizaine de milliers de paysans, avec des drapeaux, des palanches et des houes, se grouper en des cortèges imposants pour participer aux manifestations de masse. C’est alors seulement que les paysans riches sont tombés dans le désarroi.

Aux grandes célébrations de la victoire de l’Expédition du Nord, ils ont entendu proclamer que Kieoukiang avait été prise, que Tchiang Kaï-chek n’était pas blessé et que Wou Pei-fou était finalement défait. Qui plus est, ils ont pu lire, écrits en toutes lettres sur des « affiches rouges et vertes » les mots d‘ordre : « Les trois principes du peuple, wansouei ! » « Les unions paysannes, wansouei ! » « Les paysans, wansouei » etc.

Voilà que les unions paysannes ont pris des airs de maître. Les hommes des unions paysannes ont commencé à dire aux paysans riches : « Vous serez inscrits sur le registre spécial ! » ou « Dans un mois, les droits d’admission seront de dix yuans par personne ! ». Et c’est alors que les paysans riches se sont mis à entrer petit à petit dans les unions paysannes ; certains ont versé leur adhésion un demi-yuan, voire un yuan entier (alors qu’on n’exigeait que cent sapèques), d’autres n’ont réussi à être admis qu’après avoir trouvé quelqu’un pour parler en leur faveur. Mais bien des entêtés parmi eux n’y ont pas adhéré jusqu’à présent.

La majorité de ceux qui adhèrent aux unions paysannes font inscrire les vieillards de leur famille, âgés de soixante ou de soixante-dix ans, parce qu’ils redoutent toujours la « conscription ». Une fois entrés dans l’union, les paysans riches ne montrent aucun enthousiasme à travailler pour elle. Ils restent toujours inactifs.

   Et les paysans moyens ? Ils sont indécis. Ils estiment que la révolution ne leur apportera guère de profit. Ils ont de quoi faire bouillir la marmite, personne ne vient en pleine nuit frapper à leur porte pour réclamer le paiement des dettes.

Eux aussi se demandent s’il a jamais existé quelque chose de pareil, et, en eux-mêmes, ils s’interrogent, le sourcil froncé : « Cette union paysanne peut donc tenir ? » « Sortira-t-il quelque chose de ces trois principes du peuple ? » « C’est peu probable ! » concluent-ils. Se figurant que tout dépend de la volonté céleste, ils se disent : « Une union paysanne ? Mais qui sait si cela agrée au Ciel ? »

Dans la première période, lorsque les militants des unions paysannes venaient trouver les paysans moyens avec leur registre et leur disaient : « Nous vous invitons à adhérer à l’union paysanne », ceux-ci leur répondaient : « Rien ne presse ! ». Ils n’ont commencé à y entrer qu’au cours de la deuxième période, lorsque les unions paysannes constituaient déjà une grande force.

Au sein des unions, ils se conduisent mieux que les paysans riches, mais pour l’instant ils ne sont guère actifs et continuent à rester dans l’expectative. Il est absolument nécessaire que les unions paysannes cherchent à faire adhérer les paysans moyens et renforcent leur travail d’explication parmi eux.

   La force principale, dans ce combat dur et obstiné qui se poursuit à la campagne, a toujours été constituée par les paysans pauvres. Durant la phase de travail clandestin comme durant la phase d’activité au grand jour, ils ont toujours mené une lutte énergique.

Ce sont eux qui acceptent le plus volontiers la direction du Parti communiste. Ils sont les ennemis jurés des despotes locaux et des mauvais hobereaux et, sans la moindre hésitation, ils prennent d’assaut leurs forteresses. Aux paysans riches, ils déclarent : « Il y a déjà longtemps que nous avons adhéré à l’union paysanne, qu’est-ce que vous attendez pour en faire autant ? »

Et les paysans riches de leur répondre d’un ton moqueur : « Vous qui n’avez pas même une tuile au-dessus de votre tête, pas même un morceau de terre grand comme une pointe d’épingle, qu’est-ce qui pourrait vous retenir d’adhérer à l’union paysanne ? » C’est vrai, les paysans pauvres n’ont rien à perdre. Beaucoup d’entre eux, en effet, « n’ont pas même une tuile au-dessus de leur tête, pas même un morceau de terre grand comme une pointe d’épingle ».

Pourquoi donc n’entreraient-ils pas dans les unions paysannes ? D’après les données recueillies au cours de l’enquête, dans le district de Tchangcha, les paysans pauvres constituent 70 pour cent de la population rurale, les paysans moyens 20 pour cent, les propriétaires fonciers et les paysans riches 10 pour cent. Les paysans pauvres se divisent en deux groupes : les indigents et les pauvres proprement dits.

   Les indigents constituent 20 pour cent de la population rurale ; ce sont eux qui manquent de tout, c’est-à-dire qui n’ont ni terre, ni argent, ni aucun moyen d’existence et qui sont contraints de s’engager comme soldats, de chercher ailleurs un travail salarié ou de vagabonder en mendiant.

Les pauvres proprement dits constituent 50 pour cent de la population rurale ; ils comprennent les ouvriers artisanaux, les paysans fermiers (à l’exclusion des paysans fermiers riches) et les paysans semi-propriétaires : ils possèdent peu de chose, en d’autres termes, ils ont un peu de terre et quelques ressources, mais les fruits de leur travail ne suffisent pas à assurer leur subsistance ; toute l’année, ils triment et sont en proie aux pires soucis.

La masse énorme des paysans pauvres, qui représente 70 pour cent de la population rurale, forme l’épine dorsale des unions paysannes, l’avant-garde dans la lutte pour le renversement des forces féodales, les glorieux pionniers de la grande cause de cette révolution restée si longtemps inachevée. Sans les paysans pauvres (les « va-nu-pieds », comme les appellent les hobereaux), la révolution à la campagne n’aurait jamais pu atteindre l’ampleur qu’elle connaît actuellement ; sans eux, il aurait été impossible de renverser les mauvais hobereaux et les despotes locaux et d’accomplir la révolution démocratique.

En tant qu’éléments les plus révolutionnaires, les paysans pauvres se sont assuré la direction dans les unions paysannes. Au cours de la première comme de la seconde période, presque tous les postes de présidents et de membres des comités des unions paysannes du dernier échelon ont été occupés par des paysans pauvres (dans le district de Hengchan, le personnel des unions paysannes de canton se répartit ainsi : 50 pour cent d’indigents, 40 pour cent de pauvres proprement dits et 10 pour cent d’intellectuels dans le besoin).

Il est absolument nécessaire que le rôle dirigeant dans les unions paysannes revienne aux paysans pauvres. Sans eux, il n’y aurait pas de révolution. Se refuser à reconnaître le rôle des paysans pauvres, c’est se refuser à reconnaître la révolution. Les attaquer, c’est attaquer la révolution. La direction générale donnée à la révolution par les paysans pauvres a toujours été juste. Ils ont battu en brèche le prestige des despotes locaux et des mauvais hobereaux. Ils ont jeté à terre grands et petits despotes locaux et mauvais hobereaux et les ont maintenus sous leurs pieds.

   Beaucoup de leurs actes qualifiés d’ « excès » pendant la période de l’action révolutionnaire n’ont été, au fond, qu’une nécessité de la révolution.

Les autorités, les comités du parti et les unions paysannes de certains districts de la province de Hounan ont commis des fautes à cet égard ; certains d’entre eux sont allés jusqu’à envoyer des soldats, à la demande des propriétaires fonciers, pour arrêter des membres du personnel des unions paysannes de base. Dans les districts de Hengchan et Sianghsiang, on a jeté en prison nombre de présidents et de membres des comités des unions paysannes de canton.

C’est là une faute extrêmement grave qui encourage l’arrogance des réactionnaires. Pour s’en convaincre, il suffit de constater quelle joie délirante s’empare des propriétaires fonciers locaux coupables de forfaits et combien s’épaissit l’atmosphère de réaction partout où l’on arrête le président ou un membre du comité de l’union paysanne.

Nous devons combattre les propos contre-révolutionnaires sur le « mouvement des va-nu-pieds », sur le « mouvement des fainéants », et veiller en particulier à ne pas aider les despotes locaux et les mauvais hobereaux à attaquer les paysans pauvres. Il est vrai que parmi les paysans pauvres occupant des postes dirigeants il a pu se trouver des gens qui avaient effectivement des défauts, mais d’ores et déjà la majorité d’entre eux se sont corrigés.

   D’eux-mêmes, ils interdisent expressément les jeux de hasard et luttent contre le banditisme. Là où l’union paysanne est puissante, les jeux de hasard ont totalement cessé et le banditisme a disparu. Il y a des endroits où réellement, comme on dit, on ne prend pas ce qui a été perdu sur le chemin et on ne ferme pas les portes la nuit. D’après une enquête effectuée dans le district de Henchan, 85 pour cent des paysans pauvres occupant des postes dirigeants sont devenus des éléments entièrement positifs, des hommes capables et énergiques ; 15 pour cent d’entre eux seulement ne se sont pas encore totalement débarrassés de certaines de leurs mauvaises habitudes.

On peut tout au plus considérer qu’il y a parmi eux « quelques éléments malsains », mais il est absolument inadmissible de faire chorus avec les despotes locaux et les mauvais hobereaux en les traitant tout en bloc de « va-nu-pieds ».

Seule l’application du mot d’ordre du renforcement de la discipline, mis en avant par les unions paysannes elles-mêmes, permet de résoudre le problème de ces « quelques éléments malsains » en menant un travail de propagande parmi les masses, en éduquant ces gens, en raffermissant la discipline des unions paysannes. Il ne faut en aucun cas envoyer des soldats pour procéder à des arrestations arbitraires ; ce serait porter préjudice au prestige de paysans pauvres et par là même encourager l’arrogance des despotes locaux et des mauvais hobereaux. Il convient d’accorder une attention particulière à cette question.

QUATORZE CONQUÊTES IMPORTANTES

   Ceux qui critiquent les unions paysannes disent en général qu’elles ont fait beaucoup de mal. J’ai déjà montré que lorsque les paysans portent des coups aux despotes locaux et aux mauvais hobereaux, ils accomplissent une œuvre authentiquement révolutionnaire et qu’il n’y a là rien de condamnable.

Les paysans ont fait beaucoup de choses et, pour répondre à ceux qui les condamnent, il convient d’examiner soigneusement une à une toutes leurs actions pour voir à quoi elles ont abouti. Après avoir fait le classement et le bilan de leurs activités au cours des derniers mois, j’ai noté que sous la direction des unions paysannes, ils ont réalisé les quatorze conquêtes importantes que voici :

1. L’ORGANISATION DES PAYSANS DANS LES UNIONS PAYSANNES

   C’est la première conquête importante des paysans. Dans des districts comme ceux de Siangtan, de Sianghsiang, de Hengchan, la presque totalité des paysans sont organisés, et il n’existe sans doute pas de « coins perdus » où les paysans ne se soient pas soulevés : ces districts occupent à cet égard la première place. La seconde place est occupée par les districts comme ceux de Yiyang et Houajong où la majorité des paysans sont organisés, mais où il existe encore un petit nombre qui ne le sont pas.

En troisième position viennent des districts comme ceux de Tchengpou et de Lingling où seule une minorité de paysans sont organisés et où la plupart d’entre eux ne le sont pas encore. La quatrième place est occupée par la partie occidentale de Hounan qui se trouve sous l’autorité de Yuan Tsou-ming, région que la propagande des unions paysannes n’a pas encore atteinte et où les paysans de nombreux districts ne sont pas du tout organisés.

En général, du point de vue de l’organisation, les districts de la partie centrale de Hounan, autour de Tchangcha, viennent en tête, suivis de ceux de la partie méridionale ; dans la partie occidentale, l’organisation ne fait que commencer. Selon les données fournies en novembre dernier par l’union paysanne de Hounan, des organisations avec un effectif total de 1.367.727 membres ont été créées dans 37 des 75 districts de la province.

Environ un million de paysans se sont organisés en octobre et en novembre derniers, au moment où les unions paysannes étaient en plein développement, alors qu’en septembre, elles ne comptaient guère que 300.000 à 400.000 membres.

En décembre et en janvier, on a assisté à un vigoureux essor du mouvement paysan, si bien qu’à la fin de janvier le nombre total des membres des unions paysannes n’était pas inférieur à 2 millions. Comme, dans la majorité des cas, un seul membre de chaque famille paysanne se fait inscrire à l’union et qu’une famille se compose en moyenne de cinq membres, c’est donc environ 10 millions de personnes qui se sont organisées dans les unions.

C’est justement cet essor surprenant, accéléré, qui a entraîné l’isolement des despotes locaux et des mauvais hobereaux, des fonctionnaires corrompus et concussionnaires, qui a fait que les gens ont vu avec stupeur un nouveau monde remplacer l’ancien et qui a engendré une grande révolution à la campagne. C’est là la première conquête importante réalisée par les paysans sous la direction de leurs unions.

2. LE COUP POLITIQUE PORTÉ AUX PROPRIÉTAIRES FONCIERS

   Ayant créé leurs propres organisations, les paysans ont consacré leurs premiers efforts à dépouiller de son prestige politique la classe des propriétaires fonciers, en particulier les despotes locaux et les mauvais hobereaux, c’est-à-dire à renverser le pouvoir des propriétaires fonciers dans la société rurale et à y établir celui des paysans.

C’est une lutte des plus sérieuses et des plus importantes. Dans la seconde période, celle de l’action révolutionnaire, cette lutte joue un rôle capital. Si elle n’est pas victorieuse, il est à coup sûr impossible de remporter la victoire dans la lutte économique pour la réduction des fermages et du taux d’intérêt, pour l’obtention des terres et des autres moyens de production, etc.

En de nombreux endroits du Hounan, comme les districts de Sianghsian, de Hengchan et de Siangtan, la question ne se pose plus, puisque le pouvoir des propriétaires fonciers a été complètement renversé et que les paysans ont établi leur autorité sans partage. Mais dans des districts comme Liling, il existe encore des endroits (par exemple dans les arrondissements de l’ouest et du sud de Liling) où l’autorité des propriétaires fonciers le cède apparemment à celle des paysans, mais s’oppose en réalité de façon déguisée, du fait que la lutte politique n’y a pas encore atteint l’acuité suffisante.

Dans ces endroits, on ne peut pas encore dire que les paysans on remporté la victoire politique ; il faut y mener la lutte politique avec une énergie redoublée, jusqu’à ce que les paysans aient définitivement renversé le pouvoir des propriétaires fonciers. Pour porter aux propriétaires fonciers des coups politiques, les paysans se servent essentiellement des méthodes suivantes :

   Les contrôles. S’occupant des finances publiques locales, les despotes locaux et les mauvais hobereaux ont, le plus souvent, dissipé ces fonds en cachette et maquillé les comptes. Et maintenant les paysans utilisent les contrôles pour mettre à la raison de nombreux despotes locaux et mauvais hobereaux. En bien des endroits, on a créé des commissions de contrôle spécialement chargées d’engager des poursuites contre les despotes locaux et les mauvais hobereaux.

A peine ceux-ci voient-ils apparaître une telle commission qu’ils se mettent à trembler. La campagne de contrôle a pris une ampleur considérable dans tous les districts où s’est développé le mouvement paysan ; son importance ne réside pas tellement dans le recouvrement des sommes détournées que dans la divulgation des crimes des despotes locaux et des mauvais hobereaux, ce qui détruit leur influence politique et sociale.

   Les amendes. Ces opérations de contrôle ont permis de déceler des abus comme détournements de fonds, actes de cruauté à l’égard des paysans dans le passé, activités de sape contre les unions paysannes dans le présent, infractions à l’interdiction des jeux de hasard et refus de remettre les pipes à opium.

Dans tous ces cas, les paysans décident que le despote local devra verser telle somme, le mauvais hobereau telle autre. Ces amendes vont de plusieurs dizaines à plusieurs milliers de yuans. Bien entendu, les despotes locaux et les mauvais hobereaux ainsi frappés d’amendes par les paysans perdent complètement la face.

   Les contributions en argent. A l’égard des propriétaires fonciers cupides et cruels, on a recours aux contributions en argent ; les sommes ainsi recueillies vont alimenter les caisses de secours aux pauvres, ou servent à l’organisation de coopératives, de caisses de prêts aux paysans ou à d’autres besoins. La contribution en argent constitue également une sorte de châtiment, quoique plus doux que l’amende. Pour éviter des désagréments, nombre de propriétaires fonciers versent d’eux-mêmes de l’argent aux unions paysannes.

   Les « interrogatoires ». Si quelqu’un a fait aux unions paysannes, par l’acte ou la parole, un tort de moindre gravité, les paysans font irruption en groupe dans sa demeure et le soumettent à un interrogatoire mené sans rigueur excessive. Il s’en tire généralement en s’engageant par écrit, en termes explicites, à ne plus jamais porter préjudice, en parole ou en actes, au prestige des unions paysannes.

   Les « démonstrations de force ». Il arrive assez souvent que les paysans organisent une démonstration massive de force contre un despote local ou un mauvais hobereau restés hostiles aux unions paysannes. Ils mangent dans sa maison et, dans ce cas, l’affaire ne se termine pas sans que quelques cochons passent de vie à trépas et que les réserves alimentaires du maître de céans subissent une bonne saignée.

Récemment à Makiaho, dans le district de Siangtan, une foule groupant près de 15.000 personnes a fait une visite punitive à six familles de mauvais hobereaux. En quatre jours, on égorgea plus de 130 cochons. De telles démonstrations se terminent généralement par l’imposition d’une amende.

   Les « défilés en grands bonnets » à travers les villages. C’est là une mesure appliquée partout et très fréquemment. On coiffe les despotes locaux et les mauvais hobereaux de grands bonnets de papier portant cette inscription : despote local. Un tel ou mauvais hobereau. Un tel.

Puis on les attache à une corde, et on les promène ainsi au milieu d’un grand concours de peuple. Parfois, pour attirer l’attention sur le cortège, on tape sur des gongs et on brandit des oriflammes. C’est ce châtiment qui effraie le plus les despotes locaux et les mauvais hobereaux. Celui qui a défilé ainsi, ne fût-ce qu’une fois, affublé de son grand bonnet, n’a plus droit à aucun respect et ne peut jamais plus relever la tête.

C’est pourquoi les richards préfèrent payer une amende plutôt que de coiffer le bonnet. Mais lorsque les paysans leur refusent cette possibilité, ils sont bien obligés bon gré mal gré, de s’en laisser coiffer. Une union paysanne de canton a ainsi fait preuve de beaucoup d’esprit. Elle s’était saisie d’un mauvais hobereau et lui avait déclaré que le jour même on le coifferait d’un bonnet.

Le mauvais hobereau en devint noir de frayeur. Alors l’union paysanne décida de ne pas le coiffer le jour même, estimant que si on lui faisait subir sa peine immédiatement il se raidirait devant son sort et cesserait de redouter le châtiment. Aussi le renvoya-t-on chez lui en ajournant l’exécution de sa peine. Ignorant quel jour exactement on le coifferait du grand bonnet, ce mauvais hobereau ne put retrouver le calme et jour après jour fut en proie aux plus vives alarmes.

   Les incarcérations dans les prisons de district. Ce châtiment est bien plus lourd que le port des grands bonnets. Les despotes locaux et les mauvais hobereaux arrêtés sont envoyés dans les prisons de district. On demande au chefs de district de les garder en détention et de les faire passer en jugement. En ce qui concerne les incarcérations, les choses ont donc changé : autrefois, c’étaient les hobereaux qui envoyaient les paysans en prison ; maintenant, c’est l’inverse.

   Les « bannissements ». Les paysans ne sont guère enclins à bannir les despotes locaux et les mauvais hobereaux qui ont commis des crimes révoltants, mais cherchent plutôt à les arrêter ou à les exécuter. Aussi, dans la crainte d’un tel sort, ceux-ci prennent-ils la fuite. Presque tous les despotes locaux et les mauvais hobereaux des districts où s’est développé le mouvement paysan se sont enfuis, ce qui équivaut au bannissement.

Les plus importants ont gagné Changhaï, ceux qui le sont moins Hankeou, ceux qui le sont moins encore Tchangcha ; les plus petits se sont réfugiés dans les chefs-lieux de district. Parmi tous ces despotes locaux et mauvais hobereaux, ceux qui se sont réfugiés à Changhaï se trouvent le plus en sécurité. A Hankeou, par exemple, on a arrêté et renvoyé chez eux trois mauvais hobereaux qui s’étaient enfuis du district de Houajong.

Quant à ceux qui se sont réfugiés à Tchangcha, leur situation est encore plus difficile ; ils vivent sous la menace constante d’être appréhendés par les étudiants de leurs districts qui poursuivent leurs études à Tchangcha. Lorsque j’étais dans cette ville, j’ai ainsi assisté moi-même à l’arrestation de deux mauvais hobereaux.

Quant aux petits despotes locaux et mauvais hobereaux qui se sont cachés dans les chefs-lieux de district, il est facile de les découvrir, car la paysannerie y a des yeux et des oreilles en grand nombre. Le gouvernement du Hounan éprouvant des difficultés dans les finances, les autorités intéressées les ont attribuées au fait que les paysans ont chassé les riches de la campagne et que par conséquent il n’était pas facile de faire rentrer l’argent ; on peut se rendre compte par là à quel point était intenable la situation des despotes locaux et des mauvais hobereaux dans leur village.

   Les exécutions. Les paysans n’ont recours à cette mesure qu’à l’égard des despotes locaux et des mauvais hobereaux de très grande importance et l’appliquent d’entente avec le reste de la population. C’est ainsi que, sur l’insistance des paysans et d’autres couches de la population, les autorités ont procédé à l’exécution de Yang Tche-tseh (district de Ninghsiang), de Tcheou Kia-kan (district de Yuégang), de Fou Tao-nan et de Souen Po-tchou (district de Houajong). Dans le district de Siangtan, les paysans et les autres couches de la population ont contraint le chef de district à leur livrer le détenu Yen Jong-tsieou, qui fut ensuite fusillé par les paysans.

Dans le district de Ninghsiang, ce sont les paysans eux-mêmes qui ont tué Lieou Tchao. Actuellement, les nommés Peng Tche-fan (district de Liling), Tcheou Tien-tsiué et Tsao Yun (district de Yiyang) attendent l’arrêt que doit rendre le « Tribunal spécial pour les jugements des despotes locaux et des mauvais hobereaux ».

L’exécution de tel ou tel important despote local ou mauvais hobereau met en émoi tout le district et se révèle fort efficace pour l’extirpation des survivances féodales. Chaque district compte plusieurs de ces despotes locaux et mauvais hobereaux de premier plan ; dans certains districts, on en compte même plusieurs dizaines.

Il faut, dans chaque district, exécuter tout au moins quelques despotes locaux et mauvais hobereaux coupables des plus grands forfaits, c’est le seul moyen efficace pour écraser la réaction. Lorsque la force était de leur côté, les despotes locaux et mauvais hobereaux assassinaient les paysans sans sourciller.

Dans le bourg de Sinkang (district de Changcha), le chef des corps de défense Ho Mai-tsiuan a exercé son commandement pendant dix ans. Il a fait périr de sa main près d’un millier de paysans indigents sous le prétexte apparemment louable d’ « exécuter les bandits ». En quatorze ans, c’est-à-dire depuis 1913, Tang Tsiun-yen et Louo Chou-lin, chefs des corps de défense du bourg de Yintien, dans mon district natal de Siangtan, ont assassiné plus de cinquante personnes et en ont enterré vivantes quatre.

Et les deux premières victimes étaient des mendiants absolument innocents. Tang Tsiun-yen déclara : « Commençons toujours avec ces deux vagabonds ! ». Et c’est ainsi que deux hommes sont morts. Si, dans le passé, les despotes locaux et les mauvais hobereaux ont montré une telle cruauté, s’ils ont instauré le régime de la terreur blanche à la campagne, comment pourrait-on maintenant reprocher aux paysans de fusiller quelques despotes locaux ou quelques mauvais hobereaux et d’y faire régner un peu de terreur pour mater la contre-révolution ?

3. LE COUP ÉCONOMIQUE PORTÉ AUX PROPRIÉTAIRES FONCIERS

   Interdiction de faire sortir le riz, d’en élever le prix et d’en stocker à des fins de spéculation. C’est là une importante conquête réalisée par les paysans de Hounan, au cours des derniers mois, dans leur lutte économique. Dès octobre dernier, les paysans pauvres ont empêché les propriétaires fonciers et les paysans riches de faire sortir le riz, d’en élever le prix et d’en stocker à des fins de spéculation. Finalement, ils ont pleinement atteint leurs objectifs ; la fuite du riz est arrêtée, les prix ont baissé sensiblement, le stockage clandestin du riz a disparu.

   Interdiction d’augmenter les fermages et les dépôts ; agitation en vue de leur réduction. En juillet et août derniers lorsque les unions paysannes étaient encore faibles, les propriétaires fonciers, appliquant les vieilles méthodes d’exploitation féroce, ont, les uns après les autres, averti leurs fermiers qu’ils allaient augmenter sans rémission les fermages et les dépôts.

Mais dès octobre, comme les unions paysannes avaient déjà accru considérablement leur force et que les paysans se prononçaient à l’unanimité contre l’augmentation des fermages et des dépôts, les propriétaires fonciers n’en ont plus osé souffler mot.

Après novembre, les paysans, devenus bien plus forts que les propriétaires fonciers, sont allés plus loin en faisant de la propagande en faveur de la réduction des fermages et dépôts. Ils disent : « Quel dommage que l’automne dernier, quand on a acquitté les fermages, les unions paysannes n’aient pas encore été assez fortes ; nous aurions déjà fait réduire les fermages ».

Dès à présent, ils mènent une large campagne de propagande pour la réduction des fermages payables en automne prochain ; de leur côté, les propriétaires fonciers essaient de savoir comment s’effectuera la réduction des fermages. En ce qui concerne la réduction des dépôts, elle est déjà en cours dans le district de Hengchan et dans quelques autres.

   Interdiction aux propriétaires fonciers de reprendre la terre affermée. En juillet et août derniers, il arrivait encore fréquemment que les propriétaires fonciers retiraient à certains fermiers la terre qu’il leur avaient affermée pour la remettre à d’autres. Depuis octobre, aucun n’ose plus le faire. Désormais, il n’est plus question d’une telle pratique ; les difficultés ne surgissent que lorsque le propriétaire foncier reprend la terre affermé pour la cultiver lui-même.

Dans certains endroits, les paysans interdisent au propriétaire foncier de reprendre sa terre, même s’il a l’intention de la cultiver lui-même. En d’autres endroits, les paysans le lui permettent si c’est vraiment lui qui la cultive ; mais dans ce cas les fermiers pourraient être menacés de chômage. Cette question n’a pas encore reçu une solution uniforme.

   Réduction du taux d’intérêt. Le taux d’intérêt des prêts a été réduit partout dans le district d’Anhoua, çà et là dans d’autres districts. Néanmoins, là où les unions paysannes sont très fortes, les propriétaires fonciers, qui craignent la « collectivisation », refusent tout prêt aux paysans, et dans les villages on n’a plus guère d’exemples d’octroi de prêts. Actuellement, la réduction du taux des prêts ne s’étend qu’aux anciennes dettes.

Non seulement on en réduit le taux d’intérêt, mais on interdit même aux créanciers d’exiger des débiteurs le remboursement des sommes prêtées. Le paysan pauvre déclare : « Ne m’en voulez pas. L’année est bientôt passé. Je vous paierai l’an prochain ! ».

4. RENVERSEMENT DU POUVOIR FEODAL DES DESPOTES LOCAUX ET DES MAUVAIS HOBEREAUX – LA SUPPRESSION DES TOU ET DES TOUAN

   Les anciens organes du pouvoir dans les tou (arrondissements) et les touan (cantons), en particulier à l’échelon du tou qui est juste au-dessous du district, se trouvaient presque entièrement aux mains des despotes locaux et des mauvais hobereaux.

Le tou avait sous sa juridiction une population de 10.000 à 50.000 ou 60.000 habitants ; il possédait ses propres forces armées telles que les corps de défense ; il avait le droit de lever des impôts pour son propre compte, par exemple une contribution foncière supplémentaire ; il avait des pouvoirs judiciaires qui l’habilitaient notamment à arrêter, incarcérer, interroger ou condamner des paysans à sa guise.

Les despotes locaux qui siégeaient dans ces organismes étaient littéralement de petits tyrans ruraux. Les paysans tenaient moins compte du président de la République, des toukium et des chefs de district que de ces souverains locaux qui constituaient leurs véritables « maîtres » ; venaient-ils à toussoter, ces « maîtres », que le paysan savait déjà qu’il devait se tenir sur ses gardes ! Mais maintenant, le soulèvement à la campagne a mis fin partout à la puissance des propriétaires fonciers, et tous les organes administratifs ruraux, qui étaient aux mains des despotes locaux et des mauvais hobereaux, se sont tout naturellement écroulés.

Les chefs de tou et de touan se sont cachés et n’osent même pas montrer le bout de leur nez ; quand des gens s’adressent à eux pour une quelconque affaire d’intérêt local, ils les renvoient à l’union paysanne en déclarant :

« Ça ne me regarde pas ! »

   Lorsque les paysans en viennent à parler de ces chefs, ils disent avec colère : « Ces coquins ? Elle est finie leur chanson ! »

   Cette expression, « Elle est finie leur chanson ! » caractérise bien la situation des anciens organes administratifs dans les localités rurales balayées par la vague de la révolution.

5. LE RENVERSEMENT DES FORCES ARMÉES DES PROPRIÉTAIRES FONCIERS ET LA CRÉATION DES FORCES ARMÉES DES PAYSANS

   Les forces armées des propriétaires fonciers de la province du Hounan, relativement peu nombreuses dans la partie centrale, sont plus importantes à l’ouest et au sud. En comptant en moyenne 600 fusils par district, on arrive à un total de 45.000 pour 75 districts ; en réalité, il y en a peut-être encore plus.

Dans le centre et le sud du Hounan, c’est-à-dire dans les régions où le mouvement paysan est développé, comme, par exemple, dans les districts de Ninghsian, de Pingkiang, de Lieouyang, de Tchangchan, de Hengyang, la paysannerie s’est soulevée avec un élan si puissant que les propriétaires fonciers ont été incapables de se défendre et que leurs détachements armés se sont pour la plupart rendus aux unions paysannes et soutiennent désormais la paysannerie.

Une petite fraction des détachements armés des propriétaires fonciers garde une attitude neutre tout en penchant vers la capitulation devant les paysans ; il en est ainsi, par exemple, dans le district de Paoking. Une autre fraction, peu importante, de ces détachements a une position hostile à l’égard des unions paysannes, comme par exemple dans les districts de Yitchang, de Linwou et Kiaho ; mais vivement attaquée par les paysans, selon toute vraisemblance elle sera bientôt anéantie.

Les forces armées arrachées aux maisons des propriétaires fonciers réactionnaires seront toutes réorganisées en « unités permanentes des milices de ferme » et placées sous l’autorité des nouveaux organismes ruraux autonomes, qui sont des organes du pouvoir politique de la paysannerie. L’incorporation des anciennes forces armées constitue l’un des aspects de la création des forces armées paysannes. Un second et nouvel aspect de ce travail, c’est l’organisation des détachements de piques auprès des unions paysannes.

La pique est formée d’une longue perche dont le bout est garni d’un fer à deux tranchants. Dans le seul district de Sianghsiang, on compte 100.000 de ces piques. Dans d’autres districts (Siangtan, Hengchan, Liling, Tchangcha), leur nombre varie de 70.000 à 80.000, de 50.000 à 60.000 ou de 30.000 à 30.000 par district. Dans tous les districts gagnés par le mouvement paysan, le nombre de ces détachements est en augmentation rapide. Les paysans armés de piques s’organisent en « milices de ferme de premier secours ».

Ces énormes détachements sont plus forts que les anciens détachements armés dont nous avons parlé plus haut ; et cette force qui naît à peine fait déjà trembler tous les despotes locaux et les mauvais hobereaux.

Les autorités révolutionnaires du Hounan doivent étendre effectivement cette forme d’organisation des forces armées aux 20 millions d’habitants et plus qui peuplent les 75 districts de la province et faire en sorte que chaque paysan, jeune ou adulte, ait sa pique ; et elles ne doivent pas limiter les effectifs de ces détachements en les prenant pour quelque chose de redoutable. Il faut être vraiment trop couard pour tomber de frayeur à leur vue. Seuls les despotes locaux et les mauvais hobereaux les craignent ; les révolutionnaires, eux, n’ont rien à en redouter.

6. LE RENVERSEMENT DE L’AUTORITÉ DE L’HONORABLE CHEF DE DISTRICT ET DE SES COMMIS

   On ne peut épurer l’administration de district que si les paysans eux-mêmes se soulèvent. C’est ce qu’a déjà montré l’exemple du district de Haifeng, dans le Kouangtong, et, d’une manière plus évidente encore, l’exemple actuel du Hounan.

Dans les districts où les despotes locaux et les mauvais hobereaux détiennent le pouvoir, presque tous ceux qui deviennent chefs de district s’avèrent des révolutionnaires corrompus et concussionnaires, mais dans les districts où les paysans se sont déjà soulevés, les chefs de district, quels qu’ils soient travaillent d’une manière honnête. Dans les districts où j’ai séjourné, les chefs de district sont tenus de consulter d’abord les unions paysannes pour toute affaire qu’ils ont à traiter.

Dans les districts où le mouvement paysan est particulièrement fort, la parole de l’union paysanne est douée d’une force littéralement magique. Si l’union exige l’arrestation d’un despote local ou d’un mauvais hobereau le matin, le chef de district n’ose pas la retarder jusqu’à midi ; si elle l’exige à midi, il n’ose la remettre à l’après-midi.

Au premier stade de l’établissement du pouvoir paysan à la campagne, les chefs de district se sont entendus avec les despotes locaux et les mauvais hobereaux pour s’opposer aux paysans. Lorsque l’autorité des paysans est devenue aussi forte que celle des propriétaires fonciers, les chefs de district ont cherché à complaire aux deux côtés ; ils acceptaient certaines des décisions des unions paysannes et repoussaient les autres.

Ce que j’ai dit précédemment quant à l’effet magique produit par la parole des unions paysannes se rapporte au cas où le pouvoir des propriétaires fonciers était déjà complètement renversé par celui des paysans. Actuellement, la situation politique dans les districts de Sianghsiang, de Siangtan, de Liling et de Hengchan est la suivante :

   1) Toutes les affaires sont décidées par le chef de district et les représentants des organisations révolutionnaires de masse réunis en conseil. Les conseils, convoqués par le chef de district, se tiennent au bureau de district. Dans certains districts, on les appelle : « Conseils conjoints des organisations publiques et du pouvoir local » ; dans d’autres : « Conseils des affaires du district ».

A ces conseils participent, outre le chef de district, les représentants des organisations suivantes : l’union paysanne, l’union syndicale, l’union des commerçants, l’union des femmes, l’union du personnel des établissements d’enseignement, l’association des élèves et le comité du Kuomintang. Au cours de ces réunions, le chef de district subit l’influence des opinions exprimées par les représentants des organisations de masse et finit toujours par se soumettre à leur volonté.

Il ne fait donc aucun doute que dans le Hounan, au niveau des organes du pouvoir de district, on peut adopter un système démocratique de comité. Par la forme et par le contenu, les organes actuels du pouvoir, à l’échelon du district, sont devenus fort démocratiques.

Cette situation ne s’est créée qu’au cours des deux ou trois derniers mois, c’est-à-dire depuis que les paysans se sont soulevés dans toute la campagne et ont renversé le pouvoir des despotes locaux et des mauvais hobereaux.

C’est seulement lorsque les chefs de district ont vu que leurs anciens appuis avaient été renversés et qu’ils ne pourraient rester en place sans en trouver de nouveaux qu’ils ont commencé à rechercher les bonnes grâces des organisations de masse, ce qui a abouti à la situation que nous venons d’exposer.

   2) Les juges n’ont presque plus de cas à juger. Le système judiciaire au Hounan est encore organisé de telle sorte que le chef de district s’occupe de la justice, le juge l’aidant à mener les procès. Pour s’enrichir, les chefs de district et leurs subalternes se livraient à toutes sortes d’abus dans la perception des impôts et des contributions, dans la levée des recrues, tout en pratiquant faux et chantages dans l’examen des affaires civiles et criminelles.

Cette dernière rubrique leur procurait les bénéfices les plus réguliers et les plus sûrs. Au cours des derniers mois, avec la chute des despotes locaux et des mauvais hobereaux, les professionnels des tractations juridiques ont disparu. Et comme toutes les affaires des paysans, grandes et petites, se trouvent réglées maintenant par des unions paysannes de différents échelons, les juges de l’administration de district n’ont littéralement plus d’affaires à juger.

Un juge du district de Sianghsiang m’a dit : « Lorsqu’il n’y avait pas d’unions paysannes, il arrivait chaque jour une moyenne de 60 affaires civiles ou criminelles à l’administration du district. Depuis la création des unions, il en arrive tout au plus 4 ou 5. » Les chefs de district et leurs subalternes ont dû se résigner à voir leur bourse s’aplatir.

   3) Les gardes, les policiers, les commis des administrations de district se sont tous éclipsés et n’osent plus circuler dans les campagnes et se livrer à leurs exactions. Autrefois, c’étaient les campagnards qui redoutaient les gens des villes et maintenant c’est le contraire.

En particulier, cette meute infâme de policiers, de gardes, de commis entretenus par les autorités de district ont peur de circuler dans les campagnes, et lorsqu’ils le font, ils n’osent plus désormais se livrer à leurs exactions ; ils tremblent d’effroi à la seule vue des piques paysannes.

7. LE RENVERSEMENT DE L’AUTORITÉ CLANALE (POUVOIR DU TEMPLE DES ANCÊTRES ET DU CHEF DE CLAN), DE L’AUTORITÉ RELIGIEUSE (POUVOIR FONDE SUR LE DIEU PROTECTEUR DE LA CITE ET LES DIVINITÉS LOCALES) ET DE L’AUTORITÉ MARITALE

   Les hommes se trouvent ordinairement soumis, en Chine, à l’autorité de trois systèmes :

1. Le système d’Etat ou le pouvoir politique : les organes du pouvoir à l’échelon de l’Etat, de la province, du district et du canton.

2. Le système du clan ou le pouvoir clanal : le temple des ancêtres du clan, le temple des ancêtres de la lignée, les chefs de la famille.

3. Le système des puissances surnaturelles ou le pouvoir religieux, constitué par les forces souterraines : le Souverain suprême de l’Enfer, le dieu protecteur de la Cité et les divinités locales, par les forces célestes : dieux et divinités, depuis le Souverain suprême du Ciel jusqu’aux esprits de toute espèce ; ensemble, ces forces constituent le système des puissances de l’au-delà. Quant aux femmes, elles se trouvent sous l’autorité des hommes ou le pouvoir marital.

Ces quatre formes de pouvoir – politique, clanal, religieux et marital – représentent l’ensemble de l’idéologie et du système féodalo-patriarcaux et sont les quatre grosses cordes qui ligotent le peuple chinois et en particulier la paysannerie.

On a montré précédemment comment les paysans ont renversé, à la campagne, le pouvoir des propriétaires fonciers. Ce dernier est le pivot autour duquel gravitent toutes les autres formes de pouvoir. Le renversement du pouvoir des propriétaires fonciers a ébranlé les pouvoirs clanal, religieux et marital. Là où l’union paysanne est forte, le chef du clan et les dispensateurs des ressources du temple des ancêtres n’osent plus brimer les membres cadets du clan et détourner les fonds du temple.

Les plus malfaisants d’entre eux ont été renversés en tant que despotes locaux et mauvais hobereaux. Ils n’osent plus infliger ces cruels châtiments corporels, voire ces peines capitales qu’ils appliquaient autrefois, comme la condamnation à la bastonnade, à être noyé ou enterré vivant. La vieille coutume selon laquelle les femmes et les pauvres n’avaient pas le droit de prendre part au repas rituel, dans le temple du clan, a été abolie.

Dans la localité de Paikouo, district de Hengchan, les femmes sont entrées en foule dans le temple, s’y sont installées sans cérémonie et ont participé au repas rituel, et les très respectables anciens du clan n’ont rien pu faire d’autre que de les laisser agir à leur guise.

Dans un autre endroit, les paysans pauvres qui sont exclus de tels banquets ont fait irruption dans le temple et ont bu et mangé à satiété, si bien que les despotes locaux et les mauvais hobereaux, tous ces graves messieurs en longue robe, se sont enfuis terrifiés. A mesure que se développe le mouvement paysan, le pouvoir religieux commence à s’écrouler de toutes parts.

Les unions paysannes occupent en de nombreux endroits les temples des dieux et les utilisent comme sièges des unions. Partout elles réclament la confiscation de la propriété des temples afin d’organiser des écoles paysannes et de couvrir les dépenses des unions paysannes et qualifient ces ressources de « revenus de la superstition ». Dans le district de Liling, le mouvement pour l’interdiction des pratiques superstitieuses et pour la destruction des statues des divinités a déjà pris une ampleur assez considérable.

Dans la partie nord de ce district, les paysans ont interdit les processions qui passent de maison en maison en brûlant de l’encens pour apaiser le dieu de la Peste. Dans le temple taoïste de Foupoling, à Loukeou, il y avait beaucoup de statues de divinités, mais comme le comité d’arrondissement du Kuomintang n’y trouvait pas assez de place pour s’installer, on les a entassées dans un coin, petites et grandes pêle-mêle, et les paysans n’ont fait aucune objection.

Depuis lors, les sacrifices aux dieux, la pratique des rites religieux et l’offrande de lampes sacrées ne se font plus guère quand il se produit un décès dans une famille. L’initiateur de ce mouvement a été Souen Siao-chan, président d’une union paysanne, désormais terriblement haï par les prêtres taoïstes de la localité.

Dans le IIIe arrondissement Nord, paysans et instituteurs ont brisé les statues de divinités du temple de bonzesses de Longfen et en ont fait du bois pour cuire la viande. Dans l’arrondissement Sud, élèves et paysans ont brûlé plus de trente idoles de bois du Temple de Tongfou. Seules deux petites effigies de Pao Kong ont échappé ; un vieux paysan s’en est saisi. « Ce serait un sacrilège ! » a-t-il dit. Dans les endroits où le pouvoir des paysans est prédominant, seuls les vieux et les femmes continuent de croire ; les jeunes et les hommes d’âge moyen, eux, ont cessé.

Et comme les unions paysannes se trouvent justement aux mains de ces derniers, elles effectuent partout un intense travail pour détruire le pouvoir religieux et la superstition.

En ce qui concerne le pouvoir marital, il a toujours été plus faible dans les familles de paysans pauvres, où la situation économique contraint les femmes à prendre une part plus grande au travail que dans les familles des classes aisées ; de ce fait, elles avaient plus souvent droit à la parole et à la décision dans les affaires familiales.

Au cours des dernières années, en raison de la misère croissante de l’agriculture, la base même de l’autorité du mari sur la femme s’est trouvée minée.

Avec l’apparition du mouvement paysan, les femmes ont maintenant commencé, dans bien des endroits, à créer des unions paysannes ; l’heure est venue pour elles de relever la tête, et le pouvoir marital s’affaiblit de jour en jour. Bref, l’ensemble de l’idéologie et du système féodalo-patriarcaux chancelle devant l’autorité croissante des paysans. Mais, actuellement, les efforts des paysans portent principalement sur la destruction du pouvoir politique des propriétaires fonciers.

Là où ce pouvoir a été complètement détruit, les paysans sont passés à l’attaque contre le système clanal, contre le système religieux, contre l’assujettissement de la femme à l’homme au sein de la famille. Néanmoins, cette offensive n’en est encore qu’au stade préliminaire, car on ne pourra en finir avec ces trois formes du mal que lorsque les paysans auront remporté une victoire définitive sur le plan économique.

C’est pourquoi il nous faut conduire actuellement les paysans à porter leurs plus grands efforts sur la lutte politique pour renverser complètement le pouvoir des propriétaires fonciers. Puis, nous devons commencer sans tarder la lutte économique pour résoudre d’une manière radicale le problème de la terre et les autres problèmes économiques de la paysannerie pauvre. En ce qui concerne le système clanal, les superstitions et l’inégalité entre l’homme et la femme au sein de la famille, ils disparaîtront d’eux-mêmes avec la victoire dans les domaines politique et économique.

Si, par contre, nous faisons trop d’efforts pour les abolir arbitrairement et prématurément, les despotes locaux et les mauvais hobereaux ne manqueront pas d’en prendre prétexte pour faire de la propagande contre-révolutionnaire en déclarant que « les unions paysannes ne respectent pas les ancêtres », qu’ « elles bafouent les dieux et détruisent la religion », qu’ « elles veulent collectiviser les femmes », tout cela en vue de saper le mouvement paysan.

Nous en avons un exemple éclatant dans les faits qui se sont produits récemment dans le district de Sianghsiang, province du Hounan, et dans le district de Yangsin, province de Houpei, où les propriétaires fonciers ont exploité l’opposition des paysans à la destruction des statues de divinités. Ce sont les paysans eux-mêmes qui ont érigé ces statues, et le temps viendra où ils les abattront de leurs propres mains ; il n’est nul besoin que d’autres le fassent pour eux prématurément.

La politique en matière de propagande que les communistes doivent suivre dans cette question est celle-ci : « Bander l’arc et ne pas tirer, juste indiquer le geste ». Il faut que ce soient les paysans eux-mêmes qui détruisent les effigies des divinités, les temples des femmes qui n’ont pas voulu survivre à leur mari, les arcs érigés en l’honneur des épouses chastes et des veuves fidèles ; ce serait une erreur de se substituer aux paysans dans cette affaire.

   J’ai eu, moi aussi, l’occasion de m’occuper de la propagande à la campagne contre les superstitions. J’ai dit :

   « Si on croit aux horoscopes, c’est qu’on espère un sort meilleur ; si on croit à la géomancie, c’est qu’on espère une influence bénéfique de l’emplacement des tombeaux des ancêtres. Cette année, en quelques mois, les despotes locaux, les mauvais hobereaux et les fonctionnaires corrompus et concussionnaires ont tous été renversés.

Se peut-il qu’il y a quelques mois encore la chance leur ait souri et que le bon emplacement des tombeaux de leurs ancêtres leur ait été bénéfique, mais que, subitement, ces derniers mois, la chance ait tourné et les tombeaux de leurs ancêtres cessé d’être bénéfiques ?

Les despotes locaux et les mauvais hobereaux parlent de vos unions paysannes en ces termes : ‘Comme c‘est curieux ! Le monde est aujourd’hui aux membres de comité. Voyez, on ne peut même pas aller uriner sans tomber sur l’un d’eux !’ Et c’est vrai, en ville, à la campagne, dans les syndicats, dans les unions paysannes, au Kuomintang, au Parti communiste, partout on retrouve les siens, membres de comités exécutifs. Le monde est en effet aux membres de comité. Mais est-ce dû aux horoscopes et à l’emplacement des tombeaux des ancêtres ?

Comme c‘est étrange ! Voilà que soudain les horoscopes propres à chacun de ces miséreux de la campagne sont devenus favorables, et que soudain les tombeaux de leurs ancêtres se sont mis à leur être bénéfiques ! Et les dieux ? Vénérez-les tant que vous voudrez.

Mais si vous n’aviez que le dieu Kouan et la déesse de la Miséricorde et pas d’unions paysannes, auriez-vous pu renverser les despotes locaux et les mauvais hobereaux ? Ce sont des dieux et des déesses bien piètres. Vous les avez vénérés pendant des siècles, mais aucun d’eux, pour vous être agréable, n’a jamais renversé un seul despote local, un seul mauvais hobereau !

Maintenant vous voulez qu’on vous réduise les fermages. Permettez-moi de vous poser une question : Comment comptez-vous y parvenir ? En croyant aux dieux ou en croyant dans les unions paysannes ? »

Mes paroles firent éclater de rire les paysans.

8. L’EXTENSION DE LA PROPAGANDE POLITIQUE

   Est-ce qu’il aurait été possible, même en créant une dizaine de milliers d’écoles des sciences juridiques et politiques, de donner en si peu de temps à tous, hommes et femmes, jeunes et vieux, jusque dans les villages les plus éloignés et les coins les plus perdus, une éducation politique, comme l’ont justement fait les unions paysannes ? Je ne le pense pas.

Les mots d’ordre politiques : « A bas l’impérialisme ! » « A bas les seigneurs de guerre ! » « A bas les fonctionnaires corrompus et concussionnaires ! » A bas les despotes locaux et les mauvais hobereaux » volent littéralement sans avoir besoin d’ailes ; ils s’emparent des masses innombrables des campagnes, jeunes, adultes, vieillards, femmes, enfants, se gravent dans leur esprit et finissent par apparaître sur leurs lèvres.

Si vous voyez un groupe d’enfants en train de jouer et que l’un d’entre eux, écarquillant les yeux, tapant du pied, brandissant le poing, se querelle avec un autre, vous entendrez à coup sûr ce cri perçant : « A bas l’impérialisme ! ».

   Dans le district de Siangtan, quand les enfants qui gardent les buffles se mettent à jouer à la guerre, l’un d’eux fait Tang Cheng-tche et l’autre Yé Kai-hsin. Un moment après, l’un est vaincu et l’autre le poursuit ; le vainqueur est Tang Chen-tche, le fuyard Yé Kai-hsin. Quant à la chanson : « A bas les puissances impérialistes !… », presque tous les enfants des villes et même de nombreux enfants de la campagne savent la chanter.

   A la campagne, certains paysans peuvent même réciter le testament du Dr Sun Yat-sen. Ils extraient de ce testament des mots ou expressions comme « liberté », « égalité », « trois principes du peuple », « traités inégaux » qu’ils appliquent d’une manière assez rigide dans la vie courante. Un beau jour, voilà qu’un individu qui a la mine d’un hobereau rencontre un paysan sur un sentier. Notre homme fait l’important et refuse le passage. Alors le paysan, en colère lui crie : « Va donc, despote local, mauvais hobereau !

Tu ne connais donc pas les trois principes du peuple ? » Les maraîchers des environs de Tchangcha subissait constamment les vexations de la police lorsqu’ils amenaient leurs légumes en ville. Mais maintenant, ils ont trouvé une arme : les trois principes du peuple. Lorsque les policiers s’apprêtent à les injurier et à les matraquer, les maraîchers ont immédiatement recours pour leur défense aux trois principes du peuple et cela ferme le bec aux policiers.

A Siangtan, une union paysanne d’arrondissement ne voulait pas s’entendre avec une union paysanne de canton ; alors le président de cette dernière proclama : « Nous sommes contre les traités inégaux que veut nous imposer l’union paysanne d’arrondissement ! »

   Si la propagande politique a gagné toute la campagne, le mérite en revient entièrement au Parti communiste et aux unions paysannes. Des affiches, des dessins et des prises de parole au contenu facilement accessible, voilà ce qui éduque rapidement et en masse les paysans autant que s’ils s’instruisaient dans une école politique.

D’après les informations transmises par les camarades chargés du travail rural, la propagande politique s’est généralisée à l’occasion de trois meetings de masse : les manifestations antibritanniques, la commémoration de la Révolution d’Octobre et les grandes célébrations de la victoire de l’Expédition du Nord.

Au cours de ces meetings, la propagande politique s’est manifestée partout où il y avait des unions paysannes, mettant en mouvement toute la campagne et donnant de grands résultats. A l’avenir, il faudra veiller à utiliser toutes les possibilités pour donner aux mots d’ordre simples dont j’ai parlé plus haut un contenu toujours plus riche et un sens toujours plus clair.

9. LES INTERDICTIONS PRONONCÉES PAR LES PAYSANS

   Dès que les unions paysannes dirigées par le Parti communiste eurent établi leur autorité à la campagne, les paysans se mirent à interdire ou à limiter tout ce qui leur déplaisait. Les cartes, les autres jeux de hasard, l’opium se sont vus interdits de la manière la plus rigoureuse.

   Les cartes. Là où les unions paysannes sont puissantes, les jeux de cartes, ainsi que le majong et les dominos, ont été complètement interdits.

   Dans le VIVe arrondissement du district de Sianghsiang, une union paysanne d’arrondissement a fait brûler deux paniers pleins de plaques de majong.

   Si vous allez à la campagne, vous verrez qu’on ne joue plus du tout à cela, et ceux qui enfreignent cette interdiction sont immédiatement punis, sans la moindre indulgence.

   Les autres jeux de hasard. Ce sont les joueurs autrefois les plus invétérés qui interdisent eux-mêmes les jeux de hasard ; là où la puissance des unions paysannes est grande, les jeux de hasard ont, eux aussi, totalement disparu.

   L’opium. Il est rigoureusement interdit de fumer l’opium. Lorsque les unions paysannes eurent donné l’ordre de remettre les pipes à opium, personne ne s’avisa de désobéir. A Liling, un mauvais hobereau qui n’avait pas remis sa pipe a été arrêté et promené dans les villages.

   La campagne de « désarmement » des fumeurs d’opium menée par les paysans ne le cède nullement, par sa rigueur, à la campagne de désarmement des troupes de Wou Pei-fou et de Souen Tchouan-fang par l’Armée de l’Expédition du Nord. Les « wansouei » (c’est ainsi que les despotes locaux appellent par dérision les paysans) ont « désarmé », dans les familles des officiers de l’armée révolutionnaire, beaucoup de vieillards respectés, fumeur d’opium invétérés, qui ne pouvaient se passer de leur pipe.

Les « wansouei » n’interdisent pas seulement de semer le pavot et de fumer l’opium, mais également de le transporter. De grandes quantités d’opium transportées de la province de Kouietcheou dans celle de Kiangsi en passant par Paoking, Sianghsiang, Yeouhsien et Liling ont été interceptées et brûlées.

Mais cela a diminué les revenus du gouvernement. Finalement, l’union paysanne de province, tenant compte de la nécessite d’obtenir des fonds pour assurer le ravitaillement de l’Armée de l’Expédition du Nord, a ordonné aux unions paysannes de base de « différer provisoirement l’interdiction de transporter l’opium ». Les paysans en ont toutefois été fort mécontents.

   Ces interdictions et ces limitations ne sont pas les seules, il en existe bien d’autres. Nous en citerons quelques-unes :

   Le « houakou ». Ce sont les représentations théâtrales indécentes. Elles sont interdites en bien des endroits.

   Les palanquins. Dans beaucoup de districts, et en particulier à Sianghsiang, on a constaté des cas d’agression contre les palanquins. Les paysans détestent qu’on se serve de palanquins, et ils sont toujours prêts à les mettre en pièces, mais les unions paysannes le leur interdisent.

Les hommes des unions paysannes expliquent aux paysans : « En vous attaquant aux palanquins, vous permettez seulement aux riches d’économiser de l’argent et vous condamner au chômage les porteurs. A qui faites-vous du tort, sinon à vous-mêmes ? » Les paysans ont très bien compris et ils ont imaginé un autre moyen de punir les richards : ils ont considérablement élevé le tarif des porteurs de palanquins.

   La fabrication des alcools et du sucre. Partout, les paysans ont interdit d’utiliser les céréales à la fabrication des alcools et du sucre, ce qui a provoqué les plaintes incessantes des distillateurs et des raffineurs de sucre. A Foutienpou, district de Hengchan, on n’a pas interdit la fabrication d’alcool, mais son prix de vente a été fixé si bas que les fabricants de vins et spiritueux n’y trouvant plus de profits, se sont vus obligés d’y renoncer.

   Les porcs. Le nombre de porcs que chaque famille peut élever a été limité, car il faut du grain pour les nourrir.

   Les poules et les canards. A Sianghsiang, l’élevage des poules et des canards a été interdit, mais les femmes ont protesté. A Yangtang, district de Hengchan, on n’autorise que trois poules ou canards par foyer, et à Foutienpou cinq. Dans bien des endroits, l’élevage du canard est absolument interdit, car non seulement ils consomment le grain, mais encore détruisent les pousses de riz, ils sont donc pires que les poules.

   Les festins. Les riches festins sont partout interdits. A Chaochan, district de Siangtan, il a été décidé que les hôtes ne prendraient que des plats de poulet, de poisson et de porc. Il est interdit de servir des plats préparés avec des pousses de bambou, des laminaires et du vermicelle méridional.

Dans le district de Hengchen, le nombre des plats à chaque festin ne doit pas dépasser huit. Dans le IIIe arrondissement Est du district de Liling, il est permis de servir seulement cinq plats ; dans le IIe arrondissement Nord, trois plats de viande et trois plats de légumes ; dans le IIIe arrondissement Ouest, les banquets de Nouvel An sont interdits.

Dans le district de Sianghsiang, il est interdit de servir un « banquet gâteaux aux œufs », bien que ce ne soit nullement là un festin somptueux. Lorsqu’une famille du IIe arrondissement de Sianghsiang a donné un pareil banquet pour le mariage du fils, un groupe de paysans a fait irruption dans la demeure de celui qui enfreignait ainsi le règlement et a fait interrompre la fête. Dans le bourg de Kiamo, district de Sianghsiang, on s’abstient de mets recherchés et, pour les sacrifices aux ancêtres, on n’offre que des fruits.

   Les bovins. Les bovins sont un trésor pour les paysans. L’aphorisme « Qui tue un bœuf sera un bœuf dans la vie future », est devenu littéralement un précepte religieux ; il ne faut donc jamais abattre un bœuf. Avant que les paysans n’arrivent au pouvoir, ils ne pouvaient que recourir au précepte religieux pour s’opposer à l’abattage des bovins, ils n’avaient pas d’autres moyens de l’interdire.

Lorsque les unions paysannes ont grandi en autorité, elles ont même étendu leur contrôle aux bovins et en ont interdit l’abattage à la ville. Sur les six boucheries établies dans le chef-lieu de Siangtan, cinq sont maintenant fermées et la seule qui reste ne vend que de la viande de buffles ou de bœufs abattus parce qu’ils étaient devenus trop faibles ou impropres au travail. Dans tout le district de Hengchan, l’abattage des bovins est rigoureusement interdit.

Ainsi, le bœuf d’un paysan s’étant cassé une patte, celui-ci n’osa pas l’abattre sans avoir reçu l’autorisation de l’union paysanne. Lorsque la Cambre de Commerce de Tchoutcheou, sans réfléchir aux conséquences, fit égorger un bœuf, les paysans vinrent à la ville et demandèrent des explications ; la Chambre de Commerce dut payer une amende et s’excuser en faisant partir des pétards.

   Le vagabondage. A Liling, il est interdit d’aller demander l’aumône de maison en maison en célébrant le Nouvel An ou les divinités locales, ou bien en chantant au son des claquettes. Dans divers autres districts, personne ne pratique plus cette sorte de mendicité, soit qu’elle ait été interdite, soit qu’elle ait disparu d’elle-même.

Les « mendiants-extorqueurs » ou « vagabonds », qui se montraient d’ordinaire très agressifs, ont dû désormais s’incliner devant l’autorité des unions paysannes. A Chaochan, district de Siangtan, les vagabonds avaient fait d’un temple du dieu de la Pluie leur repaire habituel, où ils ne reconnaissaient aucune autorité ; depuis l’apparition des unions paysannes, ils sont tous partis en douce. Dans le même district, l’union paysanne du canton de Houti a arrêté trois vagabonds et les a forcés à charrier de l’argile pour faire cuire des briques. Des résolutions ont aussi été votées, interdisant les ruineuses coutumes liées aux visites de Nouvel An.

   En outre, on a prononcé en différents endroits toute une série d’interdictions d’ordre mineur : dans le district de Liling, par exemple, on a interdit d’organiser des processions et de brûler de l’encens en l’honneur du dieu de la Peste, d’acheter des friandises et des fruits pour en faire des présents rituels, de brûler des vêtements de papier le jour de la Fête des Morts pour apaiser les revenants et de coller sur les portes, à la Nouvelle Année, l’image des divinités qui protègent la maison.

Dans la localité de Kouchouei, district de Sianghsiang, on a interdit l’usage de la pipe à eau. Dans le IIe arrondissement du même district, il est défendu de faire usage des pétards et de la fusée à trois charges ; dans le premier cas, l’amende est de 1,20 yuan et dans le second de 2,40 yuans.

La pratique des rites religieux a été interdite dans les VIIe et XXe arrondissements, les présents en argent pour les enterrements l’ont été également dans le XVIIIe arrondissement. On peut désigner tout cela du terme général d’interdictions paysannes et il y a en tant qu’il est impossible de les énumérer toutes.

   Ces interdictions revêtent une grande importance à un double titre : premièrement, elles représentent une révolte contre les habitudes sociales nuisibles, telles que les jeux de cartes, les autres jeux de hasard et l’opium, habitudes qui sont nées du milieu politique corrompu de la classe des propriétaires fonciers et disparaissent avec la chute de leur autorité.

Deuxièmement, elles sont une forme d’autodéfense contre l’exploitation par les négociants des villes, par exemple, l’interdiction de faire des festins, d’acheter des friandises et des fruits pour en faire des présents rituels, etc. Le prix des produits industriels étant très élevé et celui des produits agricoles très bas, les paysans sont appauvris et exploités sans pitié par les commerçants ; pour se défendre, ils sont obligés de se restreindre en tout.

Quant à l’interdiction des sorties de grains, elle s’explique par le fait que les paysans pauvres, n’ayant pas assez de grains eux-mêmes, sont obligés d’en acheter sur le marché ; aussi veulent-ils empêcher la hausse de ce produit. Tout cela provient du dénuement des paysans et des contradictions entre la ville et la campagne, mais ne signifie nullement que les paysans boycottent les produits industriels ou se refusent à commercer avec la ville par attachement à ce qu’on appelle la théorie de la civilisation orientale.

Afin de défendre leurs intérêts économiques, les paysans doivent créer des coopératives de consommation pour l’achat en commun de marchandises. L’aide du gouvernement leur est également nécessaire pour que les unions paysannes puissent créer des coopératives de crédit (de prêt).

Alors, bien entendu, les paysans n’auront plus besoin de recourir à l’interdiction des sorties de grains pour en empêcher la hausse, ni de lutter pour protéger leurs intérêts économiques contre l’afflux de certains produits industriels à la campagne.

10. LA SUPPRESSION DU BANDITISME

   Je crois que jamais la Chine, depuis Yu, Tang, Wen et Wou jusqu’aux empereurs des Tsing et aux présidents de la République, il n’y a eu de gouvernants disposant d’autant de pouvoir pour liquider le banditisme que les unions paysannes en ont aujourd’hui.

Là où celles-ci sont fortes, il n’y a plus trace de bandits. Il est remarquable qu’en bien des endroits, on ne voit même plus de maraudeurs de légumes. Par-ci par-là, on peut encore trouver des voleurs, mais le banditisme a complètement disparu dans tous les districts où je me suis rendu, même dans ceux qui étaient autrefois infestés de bandits.

Cela s’explique par les raisons suivantes :

1. Les bandits ne savent plus où se cacher, parce que partout, dans les montagnes et les vallées, il y a des membres des unions paysannes ; au premier appel, « les longues piques » et les « courtes matraques » se réunissent par centaines.

2. Avec le développement du mouvement paysan, le prix du grain a baissé – au printemps dernier, le picul de riz non décortiqué coûtait 6 yuans ; cet hiver est il est descendu à 2 yuans – et le problème du ravitaillement de la population ne se pose plus avec tant de gravité.

3. Les membres des sociétés secrètes sont entrés dans les unions paysannes ; ils y peuvent ouvertement et légalement jouer leur rôle de héros et donner libre cours au mécontentement qui s’était accumulé en eux, de sorte que les organisations secrètes « chan, tang, hsiang, chouei » n’ont plus de raison d’être. En égorgeant les porcs et les moutons des despotes locaux et des mauvais hobereaux et en leur imposant de lourdes contributions et de fortes amendes, ils ont suffisamment l’occasion d’exhaler leur colère contre leurs oppresseurs.

4. Les armées ont recruté un grand nombre de soldats, et de nombreux « hors-la-loi » se sont enrôlés. Ainsi, le banditisme a complètement disparu avec l’essor du mouvement paysan. Même les hobereaux et les riches approuvent cet aspect de l’activité des unions paysannes. Ils disent : « Les unions paysannes ? Il faut reconnaître qu’elles peuvent avoir du bon ».

   L’interdiction des cartes, des autres jeux de hasard et de l’opium ainsi que la suppression du banditisme ont valu aux unions paysannes la sympathie générale.

11. L’ABOLITION DES IMPOSITIONS ÉCRASANTES

   Aussi longtemps que le pays n’a pas été unifié, que la puissance de l’impérialisme et des seigneurs de guerre n’est pas renversée, il est impossible de débarrasser les paysans du lourd fardeau des contributions d’État, ou, en termes plus explicites, du fardeau des dépenses de guerre de l’armée révolutionnaire.

Néanmoins, avec l’essor du mouvement paysan et la chute de l’autorité des despotes locaux et des mauvais hobereaux, les impositions écrasantes, telles que la contribution foncière, qui pesaient sur les paysans lorsque l’administration rurale était aux mains des despotes locaux et des mauvais hobereaux, ont été abolies ou, à tout le moins, réduites.

Il convient de ranger également cela au nombre des mérites des unions paysannes.

12. LE MOUVEMENT CULTUREL

   De tout temps, la culture a été en Chine un privilège des propriétaires fonciers ; les paysans n’y avaient point part. Et pourtant, c’est aux paysans que les propriétaires fonciers doivent leur culture, car tout ce qui la constitue est tiré du sang et de la sueur des paysans. Quatre-vingt-dix pour cent de la population de la Chine n’ont pas accès la culture et n’ont reçu aucune instruction ; et dans ce nombre, les paysans forment l’immense majorité.

Avec la chute du pouvoir des propriétaires fonciers à la campagne a commencé le mouvement culturel des paysans. Voyez comme les paysans prennent à tâche maintenant d‘ouvrir des écoles du soir, eux qui avaient toujours détesté les écoles. Les écoles « à enseignement étranger » n’avaient jamais été bien vues des paysans.

Au temps où je faisais mes études, j’avais l’occasion, lors de mon retour au pays natal, de constater l’opposition des paysans à ces écoles, et il m’arriva d’abonder dans le sens des maîtres et élèves des écoles à « enseignement étranger » et de prendre le parti de celles-ci, ayant toujours l’impression que les paysans avaient plus ou moins tort.

C’est seulement en 1925, après avoir passé six mois à la campagne – j’étais déjà communiste et j’avais adopté le point de vue marxiste – que j’ai compris que c’était moi qui m’étais trompé et que les paysans avaient raison. Dans les écoles primaires rurales, les manuels qu’on employait s’inspiraient entièrement des thèmes propres à la ville et ne répondaient pas aux besoins de la campagne.

Et les instituteurs se comportaient très mal à l’égard des paysans ; au lieu de les aider, ils s’en faisaient détester. C’est pourquoi les paysans préféraient aux écoles modernes (qu’ils qualifiaient d’écoles « à enseignement étranger ») les écoles de type ancien (qu’ils appelaient écoles « chinoises ») ; de même, aux instituteurs des écoles modernes, ils préféraient les instituteurs des écoles de type ancien.

On voit actuellement les paysans créer partout des écoles du soir qu’ils appellent écoles paysannes. Dans certains endroits, elles sont déjà ouvertes, dans d’autres, on se prépare à les ouvrir ; en moyenne, on en compte une par canton. Les paysans mettent un grand enthousiasme à les créer et elles sont les seules qu’ils considèrent comme les leurs.

Les frais d’entretien des écoles du soir sont pris sur les « revenus de la superstition », sur le produit des temples des ancêtres et sur d’autres recettes et propriétés non affectées. Tous ces fonds, les bureaux d’éducation de district comptaient les utiliser pour les écoles modernes – c’est-à-dire les écoles « à enseignement étranger », qui ne répondaient pas aux besoins des paysans – tandis que les paysans voulaient les employer pour leurs propres écoles.

Après discussion, il a été décidé de partager ces fonds qui, en certains endroits, ont même été entièrement remis aux paysans. Avec le développement du mouvement paysan, le niveau culturel des paysans s’est élevé rapidement.

Le temps n’est pas loin où l’on verra surgir dans la province des dizaines de milliers d’écoles rurales, et ce sera bien autre chose que les bavardages des intellectuels et des « éducateurs » sur « la généralisation de l’instruction » qui, malgré le bruit fait autour d’elle, n’a jamais été que du vent.

13. LE MOUVEMENT COOPÉRATIF

   Les paysans on réellement besoin de coopératives, en particulier de coopératives de consommation, de vente et de crédit. Lorsqu’ils achètent des produits, ils sont exploités par les commerçants, lorsqu’ils empruntent de l’argent et du riz, ils le sont encore une fois ; enfin, quand ils empruntent de l’argent ou du riz, ils subissent l’exploitation des usuriers.

C’est pourquoi ils sont vivement intéressés à la solution des problèmes d’achat, de vente et de crédit.

L’hiver dernier, lorsqu’en raison des opérations militaires sur le Yangtsé les relations commerciales furent interrompues et que le prix du sel monta dans le Hounan, les paysans organisèrent en grand nombre de coopératives pour l’achat du sel. Étant donné que les propriétaires fonciers refusaient de prêter aux paysans, on assistait en de nombreux endroits à des tentatives d’organiser des caisses de crédit. Le gros problème est actuellement l’absence d’un statut type détaillé pour de semblables organisations.

Créées localement sur l’initiative des paysans eux-mêmes, souvent elles ne correspondent pas aux principes des coopératives ; c’est pourquoi les camarades qui s’occupent du mouvement paysan réclament avec insistance un statut. S’il bénéficie d’une direction adéquate, le mouvement coopératif s’étendra partout, à mesure que se développeront les unions paysannes.

14. LA RÉPARATION DES ROUTES ET DES LEVÉES DE TERRE

   Le mérite de ces travaux revient aussi aux unions paysannes. Avant l’apparition des unions paysannes, les routes étaient extrêmement mauvaises à la campagne. Sans argent il est impossible d’en entreprendre la réfection.

Et comme les riches refusaient de fournir les fonds indispensables, les routes étaient vouées à l’abandon le plus complet. Si on faisait quelques réparations, c’était à titre de bienfaisance : on collectait de petites sommes chez les personnes désireuses de « faire une bonne œuvre qui leur soit comptée dans l’autre monde », et on construisait quelques méchantes routes fort étroites.

Lorsque apparurent les unions paysannes, elle décrétèrent que chaque propriétaire foncier dont les terres étaient en bordure de route devait entreprendre la réfection de celle-ci sur son secteur ; de plus, on fixa selon les besoins, dans chaque cas, la largeur qu’elle devait avoir : trois, cinq, sept ou dix pieds.

Qui oserait refuser d’exécuter un tel ordre ? En peu de temps, on vit apparaître beaucoup de bonnes routes. Et ce n’est pas une œuvre de bienfaisance, mais l’effet de la contrainte. Un peu de contrainte de cet ordre ne fait pas de mal du tout. Il en allait de même des levées de terre.

L’implacable propriétaire foncier ne pensait qu’à extorquer tout ce qu’il pouvait à son fermier et n’aurait jamais fait la moindre dépense pour la réparation des levées de terre ; il aurait condamné les étangs à l’assèchement et les fermiers à la famine, sans se soucier de rien d’autre que d’encaisser le montant des fermages.

Maintenant qu’il y a des unions paysannes, on peut ordonner, sans cérémonie, aux propriétaires fonciers de réparer les levées de terre. Lorsqu’un propriétaire foncier s’y refuse, l’union paysanne lui dit très gentiment : « Très bien, puisque vous ne voulez pas vous charger de la réparation, vous fournirez le riz : un boisseau par homme et par jour ! ».

Mais comme le propriétaire foncier n’y trouverait pas son compte, il se dépêche de faire réparer la levée de terre lui-même. C’est ainsi qu’un grand nombre de levées de terre qui avaient été laissées à l’abandon ont été remises en état.

   Telles sont les quatorze conquêtes réalisées par les paysans sous la direction des unions paysannes. Veuillez y réfléchir, amis lecteurs, et dire s’il y a dans tout cela quelque chose qui soit nuisible dans son esprit général et sa portée révolutionnaire. Seuls, je pense, les despotes locaux et les mauvais hobereaux peuvent les considérer comme un mal.

Aussi est-il bien singulier d’apprendre de Nantchang que MM. Tchiang Kaï-chek et Tchang Tsing-kiang désapprouvent vivement les actions entreprises par les paysans du Hounan. Les leaders de droite du Hounan, Lieou Yu-tche et Cie, qui sont du même avis, ont déclaré : « C’est une véritable bolchévisation ! »

Mais sans ce minimum de bolchévisation, comment parler de révolution nationale !

Tous ces appels quotidiens pour « éveiller les masses populaires » et cette terreur mortelle quand celles-ci se réveillent réellement, n’est-ce pas la célèbre histoire de Maître Cheh et son amour pour les dragons.

=>Oeuvres de Mao Zedong