Janvier 1940
I. Où va la Chine ?
Depuis le début de la Guerre de
Résistance, notre peuple tout entier vivait dans un climat exaltant,
le sentiment général était qu’une issue avait été trouvée,
les mines tristes et soucieuses avaient disparu. Mais depuis peu, une
atmosphère de compromis nous oppresse à nouveau, la vague
anticommuniste s’est une fois de plus déchaînée, et le peuple
tout entier est retombé dans la perplexité. Les premiers à en être
affectés sont les intellectuels et les étudiants, particulièrement
sensibles aux événements.
Et, de nouveau, on s’interroge : Que
faire ? Où va la Chine ?
Voilà pourquoi il est peut-être bon de profiter de la publication de La Culture chinoise pour expliquer un peu quel cours prennent la politique et la culture de la Chine. Je suis un profane dans les questions culturelles ; je me suis proposé de les étudier, mais je ne fais que commencer. Heureusement, à Yenan, de nombreux camarades les ont traitées tout au long dans des articles ; aussi l’ébauche que je vais tracer ne peut-elle jouer que le rôle des coups de gong qui annoncent la pièce.
Que les travailleurs culturels d’avant-garde de
notre pays considèrent nos observations comme un morceau de brique
que nous montrons pour les inciter à sortir leur jade ; n’y
en eût-il qu’une seule de valable sur mille, nous espérons qu’une
discussion en commun sera entreprise et que des conclusions justes
répondant aux besoins de notre nation en jailliront.
C’est la « recherche de la vérité dans
les faits » qui est l’attitude scientifique ;
« prétendre que l’on détient la vérité » et « se
poser en professeur » sont des attitudes présomptueuses qui
n’aident à résoudre aucun problème. Notre nation est plongée
dans de profonds malheurs ; une attitude scientifique et le sens
des responsabilités pourront seuls la conduire sur la voie de la
libération.
Il n’y a qu’une vérité ; savoir si on
l’a découverte ou non ne dépend pas de vantardises subjectives,
mais de la pratique objective. Seule la pratique révolutionnaire de
millions d’hommes est la jauge pour mesurer la vérité. Telle doit
être, à mon avis, l’attitude de La Culture chinoise.
II. Nous voulons bâtir une Chine nouvelle
Nous autres communistes, nous luttons
depuis des années non seulement pour la révolution politique et
économique de la Chine, mais aussi pour sa révolution culturelle ;
notre but est d’édifier pour la nation chinoise une société
nouvelle et un Etat nouveau, qui comporteront, en même temps qu’une
politique et une économie nouvelles, une nouvelle culture.
En d’autres termes, nous voulons transformer la
Chine politiquement opprimée et économiquement exploitée en une
Chine politiquement libre et économiquement prospère ; de
plus, nous voulons transformer la Chine, ignorante et arriérée sous
la domination de l’ancienne culture, en une Chine éclairée et
avancée, où dominera la culture nouvelle. En un mot, nous voulons
bâtir une Chine nouvelle. Edifier une culture nouvelle de la nation
chinoise, tel est notre but dans le domaine culturel.
III. Les particularités historiques de la
Chine
Nous voulons une nouvelle culture
nationale chinoise, mais quelle doit être au juste cette culture
nouvelle ?
Toute culture (en tant que forme idéologique) est le reflet de la
politique et de l’économie d’une société déterminée, mais
elle exerce à son tour une influence et une action considérables
sur la politique et l’économie de cette société ;
l’économie est la base, la politique l’expression concentrée de
l’économie.
Tel est notre point de vue fondamental sur le
rapport qui existe entre la culture d’une part, la politique et
l’économie d’autre part, de même que sur le rapport entre la
politique et l’économie. Ainsi, une forme donnée de politique et
d’économie détermine d’abord une forme donnée de culture,
laquelle, ensuite, exerce à son tour une influence et une action sur
cette politique et cette économie.
Marx
a dit : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui
détermine leur être ; c’est inversement leur être social
qui détermine leur conscience. » Il a dit encore : « Les
philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes
manières, mais il s’agit de le transformer » Pour la
première fois dans l’histoire de l’humanité, ces formulations
scientifiques apportent une solution correcte à la question du
rapport entre la conscience et l’être, et elles constituent les
notions fondamentales de la théorie active, révolutionnaire, du
reflet, que Lénine développa par la suite de façon approfondie.
Quand nous discutons des problèmes de la culture chinoise, nous ne
devons pas oublier ces notions.
Ainsi posée, la question est très
claire : les éléments réactionnaires que contient la vieille
culture de la nation chinoise, éléments que nous voulons éliminer,
sont indissolublement liés à la vieille politique et à la vieille
économie ; de même, la culture nouvelle de la nation chinoise
que nous voulons édifier est indissolublement liée à la politique
nouvelle et à l’économie nouvelle.
La vieille politique et la vieille économie de la
nation chinoise sont la base de sa vieille culture, tandis que sa
politique nouvelle et son économie nouvelle seront la base de sa
culture nouvelle.
Qu’entend-on par vieille politique
et vieille économie ? Et par vieille culture de la nation
chinoise ?
A partir des dynasties des Tcheou et
des Ts’in, la société chinoise devint féodale, tout comme sa
politique et son économie. Et la culture prédominante, reflet de
cette politique et de cette économie, était une culture féodale.
Depuis que le capitalisme étranger a
pénétré en Chine et que les éléments du capitalisme se sont
développés peu à peu au sein de la société chinoise, la Chine
est devenue progressivement un pays colonial, semi-colonial et
semi-féodal.
Aujourd’hui, elle est coloniale dans les régions
occupées par le Japon et pratiquement semi-coloniale dans les
régions sous la domination du Kuomintang ; mais, dans les unes
comme dans les autres, c’est le régime féodal ou semi-féodal qui
prédomine. Tel est le caractère de la société chinoise actuelle,
telle est la situation de la Chine d’aujourd’hui.
La politique et l’économie de cette société
sont à prédominance coloniale, semi-coloniale et semi-féodale, et
la culture qui prédomine, reflet de cette politique et de cette
économie, est aussi coloniale, semi-coloniale et semi-féodale.
C’est contre ces formes politique,
économique et culturelle dominantes qu’est dirigée notre
révolution. Ce que nous voulons éliminer, c’est cette vieille
politique et cette vieille économie coloniale, semi-coloniale et
semi-féodale, et la vieille culture qui est à leur service. Ce que
nous voulons édifier est tout l’opposé, à savoir la politique,
l’économie et la culture nouvelle de la nation chinoise.
Mais alors, quelles sont la politique
et l’économie nouvelle de la nation chinoise ? Et quelle est
sa nouvelle culture ?
Dans le cours de son histoire, la
révolution chinoise doit passer par deux phases ; la première,
c’est la révolution démocratique, la seconde, la révolution
socialiste ; ce sont deux processus révolutionnaires de
caractère différent. Ce que nous appelons ici démocratie
n’appartient plus à l’ancienne catégorie, n’est plus
l’ancienne démocratie, mais relève de la nouvelle catégorie ;
c’est la démocratie nouvelle.
Nous pouvons donc affirmer que la
politique nouvelle de la nation chinoise, c’est la politique de
démocratie nouvelle ; que son économie nouvelle, c’est
l’économie de démocratie nouvelle ; que sa nouvelle culture,
c’est la culture de démocratie nouvelle.
Telle est, à l’heure actuelle, la
particularité historique de la révolution chinoise. Tout parti
politique, toute personne qui y prend part sans comprendre cette
particularité ne pourra guider cette révolution ni la mener à la
victoire, mais sera reniée par le peuple et réduite à se lamenter
misérablement dans son coin.
IV. La révolution chinoise est une
partie de la révolution mondiale
La révolution chinoise a pour
particularité historique sa division en deux phases : la
démocratie et le socialisme, la première n’étant plus la
démocratie de type ordinaire, mais une démocratie de type chinois,
de type particulier et nouveau la démocratie nouvelle. Comment cette
particularité historique s’est-elle formée ? Existe-t-elle
depuis un siècle ou est-elle apparue plus récemment ?
Il suffit d’étudier un peu
l’histoire de la Chine et du monde pour comprendre que cette
particularité n’est pas apparue lors de la Guerre de l’Opium,
mais qu’elle a pris forme seulement après la première guerre
mondiale impérialiste et la Révolution d’Octobre en Russie.
Etudions maintenant sa genèse.
Du fait que la société chinoise
actuelle est de caractère colonial, semi-colonial et semi-féodal,
il est évident que la révolution doit s’accomplir en deux
phases : la première consiste à transformer cette société en
une société indépendante et démocratique ; la seconde, à
développer plus avant la révolution et à édifier une société
socialiste. La révolution chinoise en est à sa première phase.
La période préparatoire de cette
première phase remonte à la Guerre de l’Opium en 1840,
c’est-à-dire au moment où la société chinoise commençait à se
transformer de société féodale en société semi-coloniale et
semi-féodale.
Puis se succédèrent le Mouvement des Taiping, la
Guerre sino-française, la Guerre sino-japonaise, le Mouvement
réformiste de 1898, la Révolution de 1911, le Mouvement du 4 Mai,
l’Expédition du Nord, la Guerre révolutionnaire agraire et
l’actuelle Guerre de Résistance contre le Japon ; ces
nombreuses étapes s’échelonnent sur un bon siècle ; elles
font toutes partie, en un sens, de cette première phase au cours de
laquelle le peuple chinois, dans des circonstances différentes et à
des degrés divers, mène la lutte contre l’impérialisme et les
forces féodales pour édifier une société indépendante et
démocratique, pour accomplir la première révolution.
Et la Révolution de 1911 marque, dans un sens
plus complet, le début de cette révolution qui, par son caractère
social, n’est pas une révolution socialiste prolétarienne, mais
une révolution démocratique bourgeoise. Celle-ci n’est pas
achevée, elle exige encore de grands efforts, parce que ses ennemis
restent très puissants. Lorsque le Dr Sun Yat-sen dit : « La
révolution n’est pas encore achevée, nos camarades doivent
poursuivre leurs efforts », il avait précisément en vue cette
révolution démocratique bourgeoise.
Cependant, un changement se produisit
dans la révolution démocratique bourgeoise en Chine après qu’eut
éclaté en 1914 la première guerre mondiale impérialiste et que la
Révolution d’Octobre en Russie eut fondé en 1917 un Etat
socialiste sur un sixième du globe.
Avant ces événements, la révolution
démocratique bourgeoise chinoise relevait de l’ancienne catégorie,
celle de la révolution démocratique bourgeoise mondiale, dont elle
constituait une partie.
Depuis ces événements, elle est
entrée dans une nouvelle catégorie de révolution démocratique
bourgeoise, et, par rapport à l’ensemble du front de la
révolution, elle fait partie de la révolution socialiste
prolétarienne mondiale.
Pourquoi ? Parce que la première
guerre mondiale impérialiste et la première révolution socialiste
victorieuse, la Révolution d’Octobre, ont changé tout le cours de
l’histoire universelle, dont elles ont inauguré une ère nouvelle.
A l’époque où le front du
capitalisme mondial s’est effondré sur une partie du globe (soit
un sixième de la surface terrestre) et où il a révélé pleinement
sa décadence partout ailleurs, à l’époque où ce qui reste du
monde capitaliste ne peut subsister sans dépendre davantage des
colonies et des semi-colonies, à l’époque où un Etat socialiste
a été créé et a proclamé sa volonté de soutenir le mouvement de
libération dans toutes les colonies et semi-colonies, à l’époque,
enfin, où le prolétariat des pays capitalistes se dégage de plus
en plus de l’influence social-impérialiste des partis
social-démocrates et se déclare prêt à soutenir le mouvement de
libération des pays coloniaux et semi-coloniaux, à une telle
époque, toute révolution qui, dans une colonie ou semi-colonie, est
dirigée contre l’impérialisme, c’est-à-dire contre la
bourgeoisie internationale ou le capitalisme international, ne relève
plus désormais de la vieille catégorie, celle de la révolution
démocratique bourgeoise mondiale, mais de la nouvelle catégorie ;
elle ne fait plus partie de l’ancienne révolution mondiale
bourgeoise ou capitaliste, mais de la nouvelle révolution mondiale,
la révolution mondiale socialiste prolétarienne.
Cette colonie ou semi-colonie en révolution ne
peut plus être considérée comme une alliée du front
contre-révolutionnaire du capitalisme mondial ; elle est
devenue une alliée du front révolutionnaire du socialisme mondial.
Dans sa première étape ou première
phase, la révolution dans une colonie ou semi-colonie reste
essentiellement, par son caractère social, une révolution
démocratique bourgeoise, et ses revendications tendent objectivement
à frayer la voie au développement du capitalisme ; néanmoins,
elle n’est déjà plus une révolution de type ancien, dirigée par
la bourgeoisie et se proposant d’établir une société capitaliste
et un Etat de dictature bourgeoise, mais une révolution de type
nouveau, dirigée par le prolétariat et se proposant d’établir, à
cette première étape, une société de démocratie nouvelle et un
Etat de dictature conjointe de toutes les classes révolutionnaires.
Donc, elle sert en fait à frayer une voie plus
large encore au développement du socialisme. Dans sa marche, elle
peut parcourir plusieurs stades intermédiaires, en raison des
changements intervenus dans le camp de l’ennemi comme dans les
rangs de ses propres alliés, mais son caractère fondamental reste
inchangé.
Une telle révolution s’attaque aux
fondements mêmes de l’impérialisme, c’est pourquoi ce dernier
ne l’admet pas, mais la combat. En revanche, elle est approuvée
par le socialisme et reçoit l’aide de l’Etat socialiste et du
prolétariat international socialiste.
Elle devient donc nécessairement une
partie de la révolution mondiale socialiste prolétarienne.
« La révolution chinoise est
une partie de la révolution mondiale » ? – cette thèse
juste a été formulée dès l’époque de la Première Grande
Révolution chinoise de 1924-1927. Elle l’a été par les
communistes chinois et elle fut approuvée par tous ceux qui
participaient alors à la lutte anti-impérialiste et antiféodale.
Cependant, en ce temps-là, on n’a pas su donner à cette thèse
toute sa portée, et par conséquent l’idée que les gens en
avaient restait vague.
La « révolution mondiale »
n’est plus celle de l’ancien type l’ancienne révolution
mondiale bourgeoise est depuis longtemps révolue ; c’est une
nouvelle révolution mondiale, la révolution mondiale socialiste. De
même, « une partie » ne désigne plus une partie de
l’ancienne révolution bourgeoise, mais une partie de la nouvelle
révolution socialiste. C’est là un immense changement, un
changement qui n’a son pareil ni dans l’histoire de la Chine ni
dans l’histoire du monde.
Cette thèse juste avancée par les
communistes chinois est fondée sur la théorie de Staline.
Déjà, en 1918, dans un article
commémorant le premier anniversaire de la Révolution d’Octobre,
Staline écrivait :
L’immense portée mondiale de la
Révolution d’Octobre consiste surtout en ceci, qu’elle a :
1° élargi le cadre de la question nationale, l’a
transformée, de question particulière de la lutte contre
l’oppression nationale en Europe, en question générale de
l’affranchissement des peuples opprimés, des colonies et
semi-colonies du joug de l’impérialisme ;
2° ouvert de larges possibilités et des voies
efficaces pour cet affranchissement, facilitant ainsi
considérablement leur libération aux peuples opprimés d’Occident
et d’Orient, les entraînant dans la voie commune d’une lutte
victorieuse contre l’impérialisme ;
3°
jeté par là même un pont entre l’Occident socialiste et
l’Orient asservi, créant contre l’impérialisme
mondial un nouveau front de révolutions qui s’étend des
prolétaires d’Occident aux peuples opprimés de l’Orient, en
passant par la révolution russe.
Depuis, Staline a maintes fois
développé la théorie selon laquelle les révolutions dans les
colonies et les semi-colonies se sont dissociées de la révolution
de l’ancienne catégorie pour devenir une partie de la révolution
socialiste prolétarienne. C’est dans un article publié le 30 juin
1925, à propos d’une controverse avec les nationalistes
yougoslaves de l’époque, qu’il a exposé cette théorie avec le
plus de clarté et de précision.
Cet article, intitulé « Encore une fois
sur la question nationale« , figure dans un livre traduit
par Tchang Tchong-che et publié sous le titre Staline sur la
question nationale. On y lit le passage suivant :
« Sémitch se réfère à un passage de la brochure
de Staline : Le Marxisme et la question nationale, écrite à la
fin de 1912. Il y est dit que « la lutte nationale dans les
conditions du capitalisme ascendant est une lutte des classes
bourgeoises entre elles ».
Sémitch veut apparemment suggérer ainsi que sa formule
pour définir la portée sociale du mouvement national dans les
conditions historiques présentes est juste. Mais la brochure de
Staline a été écrite avant la guerre impérialiste, quand la
question nationale n’était pas encore dans la conception des
marxistes une question d’une portée mondiale et que la
revendication fondamentale des marxistes relative au droit de libre
disposition était considérée non comme une partie de la révolution
prolétarienne, mais comme une partie de la révolution démocratique
bourgeoise.
Il serait ridicule de ne pas voir que, depuis, la
situation internationale s’est transformée radicalement ; que
la guerre, d’une part, et la Révolution d’Octobre en Russie, de
l’autre, ont transformé la question nationale en faisant d’un
élément de la révolution démocratique bourgeoise un élément de
la révolution socialiste prolétarienne.
Déjà en octobre 1916, dans son article : « Le
Bilan de la discussion sur le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes », Lénine disait que le point essentiel de la
question nationale relatif au droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes avait cessé d’être une partie du mouvement
démocratique général, qu’il était déjà devenu partie
intégrante de la révolution socialiste prolétarienne générale.
Je ne parle même pas des écrits ultérieurs sur la question
nationale, dus à Lénine comme à d’autres représentants du
communisme russe.
Quelle signification peut avoir la référence de Sémitch
à tel passage de la brochure de Staline, écrite dans la période de
la révolution démocratique bourgeoise en Russie, maintenant que, en
vertu de la nouvelle situation historique, nous sommes entrés dans
une nouvelle époque, celle de la révolution prolétarienne ?
Elle peut
signifier seulement que Sémitch fait des citations en dehors de
l’espace et du temps, sans aucun rapport avec la situation
historique vivante, et viole par-là les lois élémentaires de la
dialectique, et qu’il ne tient aucun compte du fait qu’une chose
juste dans telles circonstances historiques peut se révéler fausse
dans telles autres circonstances historiques. »
D’où l’on voit qu’il y a deux
types de révolution mondiale. Le premier appartient à la catégorie
bourgeoise ou capitaliste. Son temps est depuis longtemps révolu ;
il a pris fin dès 1914, quand éclata la première guerre mondiale
impérialiste, et plus particulièrement en 1917, quand eut lieu la
Révolution d’Octobre en Russie. Depuis, a commencé le second type
de révolution mondiale, la révolution mondiale socialiste
prolétarienne.
Elle a pour forces principales le prolétariat des
pays capitalistes et pour alliés les peuples opprimés des colonies
et des semi-colonies. Peu importe, chez les peuples opprimés,
quelles classes, quels partis ou individus participent à la
révolution, et peu importe qu’ils soient conscients ou non de ce
que nous venons d’exposer, qu’ils le comprennent ou non, il
suffit qu’ils s’opposent à l’impérialisme pour que leur
révolution devienne une partie de la révolution mondiale socialiste
prolétarienne et qu’ils en soient les alliés.
Aujourd’hui, la portée de la
révolution chinoise s’est encore élargie.
Nous sommes arrivés à une époque où les crises
économique et politique du capitalisme entraînent de plus en plus
le monde dans la Seconde guerre mondiale ; à une époque où
l’Union soviétique, parvenue à la période de transition du
socialisme au communisme, est capable de diriger et d’aider le
prolétariat et les nations opprimées du monde entier dans la lutte
qu’ils mènent contre la guerre impérialiste et la réaction
capitaliste ; à une époque où le prolétariat des pays
capitalistes se prépare à renverser le capitalisme pour édifier le
socialisme ; à une époque où, en Chine, le prolétariat, la
paysannerie, les intellectuels et les autres fractions de la petite
bourgeoisie sont devenus, sous la direction du Parti communiste
chinois, une grande force politique indépendante.
Dans une telle conjoncture, ne devons-nous pas
estimer que la portée mondiale de la révolution chinoise s est
encore accrue ? Je crois que oui. La révolution chinoise est
devenue une partie très importante de la révolution mondiale.
La première étape de la révolution
chinoise (étape qui se subdivise elle-même en nombreux stades
intermédiaires) est, par son caractère social, une révolution
démocratique bourgeoise d’un type nouveau, elle n’est pas encore
une révolution socialiste prolétarienne ; néanmoins, elle
fait partie depuis longtemps de la révolution mondiale socialiste
prolétarienne, elle en constitue même, maintenant, une part
considérable et est pour elle une grande alliée.
La première phase ou première étape de cette
révolution n’est certainement pas et ne peut être l’édification
d’une société capitaliste de dictature bourgeoise ; elle
doit s’achever par l’édification d’une société de démocratie
nouvelle placée sous la dictature conjointe de toutes les classes
révolutionnaires chinoises, à la tête desquelles se trouve le
prolétariat chinois ; puis on fera passer la révolution à la
seconde étape, celle de l’édification de la société socialiste
en Chine.
Voilà la particularité essentielle
de la révolution chinoise actuelle, le nouveau processus
révolutionnaire des vingt dernières années (à compter du
Mouvement du 4 Mai 1919) et le contenu vivant, concret, de cette
révolution.
V. Le système politique de Démocratie
Nouvelle
La nouvelle particularité historique
de la révolution chinoise est sa division en deux étapes, la
première étant la révolution de démocratie nouvelle. Comment se
manifeste-t-elle concrètement dans les rapports politiques et
économiques internes de la Chine ? C’est ce que nous allons
examiner.
Avant le Mouvement du 4 Mai 1919 (qui
a eu lieu après la première guerre mondiale impérialiste, celle de
1914, et après la Révolution russe d’Octobre en 1917), la
direction politique de la révolution démocratique bourgeoise en
Chine appartenait à la petite bourgeoisie et à la bourgeoisie (à
leurs intellectuels).
A ce moment-là, le prolétariat n’était pas
encore entré dans l’arène politique comme une force de classe
consciente et indépendante ; en participant à la révolution,
il ne faisait que suivre la petite bourgeoisie et la bourgeoisie. Tel
a été par exemple son rôle à l’époque de la Révolution de
1911.
A partir du Mouvement du 4 Mai, bien
que la bourgeoisie nationale fût restée dans les rangs de la
révolution, la direction politique de la révolution démocratique
bourgeoise en Chine n’appartenait plus à la bourgeoisie, mais au
prolétariat.
Ce dernier, en raison de sa propre maturité et de
l’influence de la révolution russe, était déjà devenu, et très
rapidement, une force politique consciente et indépendante. C’est
le Parti communiste chinois qui lança le mot d’ordre « A bas
l’impérialisme ! » et avança un programme conséquent
pour toute la révolution démocratique bourgeoise en Chine ; et
il fut seul à mener la Révolution agraire.
La bourgeoisie nationale chinoise,
étant une bourgeoisie de pays colonial et semi-colonial, opprimée
par l’impérialisme, garde à certains moments et jusqu’à un
certain point – même à l’époque de l’impérialisme – un
caractère révolutionnaire dans la lutte contre l’impérialisme
étranger et, comme en témoignent la Révolution de 1911 et
l’Expédition du Nord, contre les gouvernements des bureaucrates et
des seigneurs de guerre de son propre pays ; elle peut s’allier
au prolétariat et à la petite bourgeoisie contre les ennemis
qu’elle entend combattre.
C’est là ce qui distingue la bourgeoisie
chinoise de la bourgeoisie de la Russie tsariste. Comme la Russie
tsariste était déjà une puissance impérialiste féodale et
militaire, un Etat agresseur, la bourgeoisie russe était dénuée de
tout caractère révolutionnaire. Là, le prolétariat avait pour
tâche de lutter contre la bourgeoisie et non de s’allier avec
elle.
Mais, comme la Chine est un pays colonial et
semi-colonial, victime d’agressions, la bourgeoisie nationale
chinoise peut avoir à certains moments et jusqu’à un certain
point un caractère révolutionnaire. Ici, le prolétariat a pour
devoir de ne pas méconnaître ce caractère révolutionnaire de la
bourgeoisie nationale, mais de former avec elle un front uni contre
l’impérialisme et contre les gouvernements des bureaucrates et des
seigneurs de guerre.
En même temps, du fait précisément
que la bourgeoisie nationale chinoise est celle d’un pays colonial
et semi-colonial et qu’elle est, par conséquent, extrêmement
faible du point de vue économique et politique, elle possède une
autre caractéristique, la disposition au compromis avec les ennemis
de la révolution.
Même quand elle prend part à la révolution,
elle n’entend pas rompre complètement avec l’impérialisme ;
au surplus, elle est étroitement liée à l’exploitation qui se
pratique dans les campagnes par l’affermage des terres, de sorte
qu’elle ne veut ni ne peut s’engager à fond dans la lutte pour
le renversement de l’impérialisme, et moins encore des forces
féodales. Elle ne peut donc résoudre aucun des deux problèmes
fondamentaux, aucune des deux tâches fondamentales de la révolution
démocratique bourgeoise.
Quant à la grande bourgeoisie représentée par
le Kuomintang, elle s’est jetée dans les bras de l’impérialisme
et a fait bloc avec les forces féodales pour combattre le peuple
révolutionnaire pendant la longue période qui va de 1927 à 1937.
En 1927 et pendant une certaine période après cette date, la
bourgeoisie nationale chinoise s’est rangée, elle aussi, du côté
de la contrerévolution.
Aujourd’hui, dans la Guerre de Résistance, une
fraction de la grande bourgeoisie, représentée par Wang Tsing-wei,
a capitulé devant l’ennemi, offrant un nouvel exemple de trahison
commise par cette classe C’est là ce qui distingue la bourgeoisie
chinoise des anciennes bourgeoisies d’Europe et d’Amérique et
spécialement de l’ancienne bourgeoisie française.
Quand la bourgeoisie des pays d’Europe et
d’Amérique, et spécialement de France, était encore dans sa
période révolutionnaire, les révolutions bourgeoises étaient
relativement conséquentes ; en Chine, la bourgeoisie n’a même
pas cet esprit de suite.
D’un côté, sa participation
possible à la révolution, de l’autre, sa disposition au compromis
avec les ennemis de la révolution, voilà ce qui témoigne de son
double caractère : elle « joue deux rôles à elle
seule ».
Même la bourgeoisie d’Europe et d’Amérique a
eu, dans le passé, ce double caractère : quand elle se
heurtait à un ennemi puissant, elle s’alliait avec les ouvriers et
les paysans pour le combattre, mais quand la conscience politique
s’éveillait chez ces derniers, elle s’alliait avec l’ennemi
pour lutter contre eux. C’est une loi générale qui s’applique à
la bourgeoisie de tous les pays du monde ; mais ce trait est
encore plus prononcé chez la bourgeoisie chinoise.
En Chine, il est parfaitement clair
que quiconque saura conduire le peuple dans la lutte pour renverser
l’impérialisme et les forces féodales gagnera sa confiance, car
ce sont là ses ennemis jurés, surtout l’impérialisme.
Aujourd’hui, quiconque saura guider le peuple pour chasser
l’impérialisme japonais et instaurer la démocratie sera son
sauveur. L’histoire a prouvé que la bourgeoisie chinoise est
incapable de s’acquitter de cette tâche, qui incombe donc
inévitablement au prolétariat.
Ainsi, de toute façon, le
prolétariat, la paysannerie, les intellectuels et les autres
fractions de la petite bourgeoisie constituent les forces
fondamentales qui décident du destin de la Chine.
Et ces classes, les unes déjà éveillées, les
autres s’éveillant, deviendront nécessairement les éléments de
base de l’Etat et du pouvoir politique de la république
démocratique chinoise, avec le prolétariat en tant que force
dirigeante.
La république démocratique chinoise que nous
voulons fonder aujourd’hui ne pourra être qu’une république
démocratique où tous les éléments antiimpérialistes et
antiféodaux exercent une dictature conjointe dirigée par le
prolétariat, c’est-à-dire une république de démocratie
nouvelle, une république des nouveaux trois principes du peuple
vraiment révolutionnaires, avec leurs trois thèses politiques
fondamentales.
Cette république de démocratie
nouvelle sera différente des républiques capitalistes de l’ancien
type européen et américain, à dictature bourgeoise, qui
représentent la vieille forme, déjà périmée, de la démocratie ;
d’autre part, elle sera différente aussi de la république
socialiste du type soviétique, à dictature prolétarienne.
Cette république socialiste fleurit déjà en
Union soviétique ; elle s’établira dans tous les pays
capitalistes et deviendra indubitablement la forme dominante de
l’Etat et du pouvoir dans tous les pays industriels évolués. Mais
pendant une période déterminée de l’histoire, cette forme ne
convient pas à la révolution dans les pays coloniaux et
semi-coloniaux. Par conséquent, dans ces pays, la révolution ne
peut adopter qu’une troisième forme d’Etat, à savoir la
république de démocratie nouvelle. C’est une forme pour une
période donnée de l’histoire, donc une forme transitoire, mais
une forme nécessaire, indispensable.
Les nombreux régimes d’Etat qui
existent dans le monde peuvent donc être ramenés à trois types
fondamentaux, d’après le caractère de classe du pouvoir
politique : a) la république de dictature bourgeoise, b) la
république de dictature prolétarienne, c) la république de
dictature conjointe de plusieurs classes révolutionnaires.
Le premier type est représenté par
les Etats de vieille démocratie. Aujourd’hui, alors que la seconde
guerre impérialiste a éclaté, il n’y a plus trace de démocratie
dans nombre de pays capitalistes qui sont devenus ou sont en voie de
devenir des Etats où la bourgeoisie exerce une dictature militaire
sanglante. Certains Etats placés sous la dictature conjointe des
propriétaires fonciers et de la bourgeoisie peuvent être assimilés
à ce type.
Le deuxième type, qui existe déjà
en Union soviétique, est en gestation dans divers pays capitalistes.
Dans l’avenir, il deviendra, pour une période donnée, la forme
dominante dans le monde.
Le troisième type est la forme
d’Etat transitoire que doivent adopter les révolutions dans les
pays coloniaux ou semi-coloniaux. Elles auront nécessairement
chacune leurs caractéristiques propres, mais ce seront de petites
différences dans une grande ressemblance.
Que la révolution s’accomplisse dans ces pays,
la structure de l’Etat et du pouvoir politique y sera forcément la
même dans ses grandes lignes, c’est-à-dire qu’il s’agira
d’Etats de démocratie nouvelle, sous la dictature conjointe de
plusieurs classes antiimpérialistes. Aujourd’hui, en Chine, cet
Etat de démocratie nouvelle prend la forme du front uni
antijaponais.
Antijaponais et anti-impérialiste, il est aussi
le front uni, l’alliance de plusieurs classes révolutionnaires.
Malheureusement, bien que la Guerre de Résistance dure déjà depuis
longtemps, le travail de démocratisation du pays n’a, en fait, pas
encore commencé dans la plupart des régions, c’est-à-dire en
dehors des bases démocratiques antijaponaises dirigées par le Parti
communiste ; l’impérialisme japonais a profité de cette
faiblesse essentielle pour pénétrer à grands pas à l’intérieur
de notre pays. Si rien ne se fait dans ce domaine, la nation sera en
péril.
Nous discutons ici du « régime
d’Etat ». Cette question controversée depuis plusieurs
dizaines d’années, à partir de la fin de la dynastie des Tsing,
n’est pas encore éclaircie. En réalité, elle se ramène à la
position des diverses classes sociales dans l’Etat.
La bourgeoisie a toujours dissimulé la position
des classes sous le vocable de « citoyen », pour exercer
en fait sa dictature d’une seule classe. Cette dissimulation n’est
aucunement dans l’intérêt du peuple révolutionnaire, disons-le
nettement. Le terme de « citoyen » peut être utilisé,
mais il ne doit pas inclure les contre-révolutionnaires et les
traîtres. Une dictature de toutes les classes révolutionnaires
s’exerçant à l’égard des contrerévolutionnaires et des
traîtres, voilà le genre d’Etat dont nous avons besoin
aujourd’hui.
Dans les Etats modernes, le système
dit démocratique est le plus souvent monopolisé par la bourgeoisie
et est devenu un simple instrument pour opprimer le peuple. Par
contre, selon le principe de la démocratie du Kuomintang, le système
démocratique est le bien commun de tout le peuple, et non quelque
chose qu’une minorité peut s’approprier.
Telle est la déclaration solennelle
contenue dans le Manifeste du Ier Congrès national du Kuomintang qui
s’est tenu en 1924, dans le cadre de la coopération entre le
Kuomintang et le Parti communiste. Or, depuis seize ans, le
Kuomintang a violé cette déclaration, au point de provoquer la
grave crise que traverse aujourd’hui notre pays. Voilà la
monstrueuse erreur qu’il a commise ; souhaitons qu’il la
corrige dans le feu purificateur de la Guerre de Résistance.
Quant à la question de la
« structure politique », c’est celle de savoir quelle
est la structure du pouvoir politique, quelle forme une classe
sociale déterminée entend donner à ses organes du pouvoir pour
combattre ses ennemis et se défendre. Un Etat ne peut être
représenté que par des organes du pouvoir adéquats.
La Chine peut adopter aujourd’hui le système
des assemblées populaires, de l’assemblée populaire nationale aux
assemblées populaires de province, de district, d’arrondissement
et de canton, ces assemblées élisant à tous les échelons les
gouvernements respectifs. Mais ce système doit être fondé sur des
élections à un suffrage réellement universel et égal pour tous,
sans distinction de sexe, de croyance, de fortune ou d’éducation ;
seuls les organes du pouvoir ainsi élus pourront représenter chaque
classe révolutionnaire, selon la position qu’elle occupe dans
l’Etat, exprimer la volonté du peuple, diriger la lutte
révolutionnaire et incarner l’esprit de la démocratie nouvelle.
C’est cela le centralisme démocratique. Seul un
gouvernement fondé sur le centralisme démocratique pourra permettre
pleinement à la volonté de tout le peuple révolutionnaire de
s’exprimer, et combattre les ennemis de la révolution avec le
maximum d’énergie. Le refus de considérer la démocratie comme
« quelque chose qu’une minorité peut s’approprier »
doit s’exprimer dans la composition du gouvernement et de l’armée ;
sans un vrai régime démocratique, on ne peut atteindre ce but, et
la structure politique ne sera pas en harmonie avec le régime
d’Etat.
La dictature conjointe de toutes les
classes révolutionnaires comme régime d’Etat, et le centralisme
démocratique comme structure politique, voilà ce qui constitue le
système politique de démocratie nouvelle, la république de
démocratie nouvelle, la république du front uni antijaponais, la
république des nouveaux trois principes du peuple avec leurs trois
thèses politiques fondamentales, voilà la République chinoise de
nom et de fait.
Actuellement, bien que nous ayons une République
chinoise, elle ne l’est que de nom et ne l’est pas de fait ;
créer une réalité qui corresponde au nom, voilà notre tâche
d’aujourd’hui.
Tels sont les rapports politiques
internes qu’une Chine révolutionnaire, qu’une Chine en lutte
contre l’envahisseur japonais doit établir et ne peut pas ne pas
établir ; telle est aujourd’hui l’unique orientation juste
pour le travail de « construction nationale ».
VI. L’économie de Démocratie Nouvelle
Si la république à fonder en Chine
doit être une république de démocratie nouvelle, il faut qu’elle
le soit non seulement par son système politique, mais aussi dans son
économie.
Les grandes banques et les grosses
entreprises industrielles et commerciales doivent dans cette
république devenir propriété d’Etat.
Toute entreprise, appartenant aux
Chinois ou aux étrangers, qui a un caractère monopoliste ou
dépasse, par son envergure, les possibilités d’un particulier,
comme la banque, les chemins de fer et les transports aériens, doit
être administrée par l’Etat, afin que le capital privé ne puisse
dominer la vie économique du peuple. Tel est le sens fondamental du
contrôle du capital.
C’est là une autre déclaration
solennelle que comporte le Manifeste du Ier Congrès national du
Kuomintang, tenu dans le cadre de la coopération entre le Kuomintang
et le Parti communiste ; elle exprime, en matière de structure
économique, la juste politique de la république de démocratie
nouvelle.
Dans cette république dirigée par le
prolétariat, l’économie d’Etat aura un caractère socialiste et
sera la force dirigeante dans l’ensemble de l’économie
nationale, mais, du fait que l’économie chinoise est encore très
arriérée, la république ne confisquera pas la propriété privée
capitaliste, à l’exception de celle indiquée plus haut, ni
n’interdira le développement d’une production capitaliste à
moins qu’elle ne tende à « dominer la vie économique du
peuple ».
La république prendra certaines
mesures indispensables pour confisquer la terre des propriétaires
fonciers et pour la distribuer aux paysans qui n’en ont pas ou qui
en ont peu, afin de réaliser le mot d’ordre du Dr Sun Yat-sen :
« La terre à ceux qui la travaillent », de liquider les
rapports féodaux à la campagne et de transférer la propriété de
la terre aux paysans. L’existence de l’économie des paysans
riches sera admise dans les régions rurales.
Tel est le principe de « l’égalisation du
droit à la propriété de la terre », dont la juste
interprétation s’exprime dans le mot d’ordre : « La
terre à ceux qui la travaillent ». En général, il ne s’agit
pas d’établir à cette étape une agriculture socialiste, quoique
les diverses formes de coopératives qui se développeront sur la
base de ce mot d’ordre contiennent des éléments de socialisme.
L’économie chinoise doit suivre la
voie du « contrôle du capital » et de « l’égalisation
du droit à la propriété de la terre », elle ne doit jamais
être « quelque chose qu’une minorité peut s’approprier » ;
il ne faut pas laisser un petit nombre de capitalistes et de
propriétaires fonciers « dominer la vie économique du
peuple » ; il ne faut en aucun cas établir une société
capitaliste sur le modèle européen et américain, ni permettre à
la vieille société semi-féodale de subsister. Quiconque osera
s’engager dans une voie contraire n’atteindra jamais son but et
donnera de la tête contre un mur.
Tels sont les rapports économiques
internes qu’une Chine révolutionnaire, qu’une Chine en lutte
contre l’envahisseur japonais doit établir et qu’elle établira
nécessairement.
Telle est l’économie de démocratie
nouvelle.
Et la politique de démocratie
nouvelle est l’expression concentrée de cette économie.
VII. Contre la dictature bourgeoise
Plus de 90 pour cent de la population
du pays sont pour la fondation d’une république dont la politique
et l’économie soient de démocratie nouvelle ; il n’y a pas
d’autre chemin possible.
Prendrions-nous celui qui conduit à
une société capitaliste de dictature bourgeoise ? Ce fut
certes le vieux chemin suivi par la bourgeoisie d’Europe et
d’Amérique, mais ni la situation internationale ni la situation
intérieure ne permettent à la Chine de s’y engager.
Ce chemin n’est qu’une impasse
dans la situation internationale actuelle, caractérisée
essentiellement par la lutte entre le capitalisme et le socialisme,
par le déclin du premier et la montée du second. En premier lieu,
c’est le capitalisme international, c’est-à-dire l’impérialisme,
qui ne permet pas l’établissement en Chine d’une société
capitaliste de dictature bourgeoise. En effet, l’histoire moderne
de notre pays est celle de l’agression que mènent contre lui les
impérialistes, celle de leur opposition à son indépendance et à
son propre développement capitaliste.
Etouffées
par l’impérialisme, les révolutions antérieures ont échoué en
Chine, et d’innombrables martyrs sont tombés, avec l’amer regret
de n’avoir pu remplir leur mission. Aujourd’hui, le puissant
impérialisme japonais a envahi la Chine dans l’intention de la
transformer en colonie, c’est le Japon qui développe son
capitalisme en Chine et non la Chine qui développe le sien, c’est
la bourgeoisie japonaise qui y exerce sa dictature et non la
bourgeoisie chinoise. Il n’y a pas de doute, nous vivons à
l’époque des dernières convulsions de l’impérialisme ;
celui-ci va bientôt périr, l’impérialisme étant « un
capitalisme agonisant ».
Mais c’est justement parce qu’il va bientôt
périr qu’il vit plus que jamais aux dépens des colonies et des
semi-colonies et ne permettra à aucune d’entre elles d’établir
quoi que ce soit de semblable à une société capitaliste de
dictature bourgeoise.
C’est parce que l’impérialisme japonais est
plongé dans une crise économique et politique grave et se trouve
donc sur le point de périr qu’il doit nécessairement attaquer la
Chine et la réduire en colonie, lui coupant la route qui mène à
l’établissement d’une dictature bourgeoise et au développement
d’un capitalisme national.
En second lieu, c’est le socialisme
qui ne permet pas l’établissement en Chine d’une société
capitaliste de dictature bourgeoise. Toutes les puissances
impérialistes du monde sont nos ennemis ; si la Chine veut
l’indépendance, elle ne peut renoncer à l’aide du pays du
socialisme et du prolétariat international. Cela signifie qu’elle
ne peut se passer de l’aide de l’Union soviétique ni de celle du
prolétariat japonais et des prolétariats anglais, américain,
français, allemand, italien et autres qui luttent contre le
capitalisme dans leur pays.
Bien qu’on ne puisse affirmer que la victoire de
la révolution chinoise soit impossible avant la victoire de la
révolution au Japon, en Angleterre, aux Etats-Unis, en France, en
Allemagne, en Italie, ou seulement dans un ou deux de ces pays, il
n’en demeure pas moins certain qu’elle n’est pas possible sans
l’apport du prolétariat de ces pays.
L’aide
soviétique en particulier est indispensable pour la victoire finale
de la Chine dans sa Guerre de Résistance. La refuser, c’est vouer
la révolution à la défaite. Les leçons des campagnes
antisoviétiques, lancées à partir de 1927, ne sont-elles pas
extraordinairement éloquentes ?
Le monde actuel traverse une époque nouvelle, une
époque de révolutions et de guerres, l’époque de la fin
inévitable du capitalisme et de la montée irrésistible du
socialisme. Dans ces conditions, ne serait-ce pas pure sottise que de
vouloir établir en Chine une société capitaliste de dictature
bourgeoise après la victoire sur l’impérialisme et le
féodalisme ?
Si, après la première guerre mondiale impérialiste et la
Révolution d’Octobre, il est apparu encore une petite Turquie
kemaliste de dictature bourgeoise, par suite de conditions
particulières (la victoire de la bourgeoisie dans la lutte contre
l’agression grecque et la faiblesse du prolétariat), en revanche,
après la Seconde guerre mondiale et l’achèvement de l’édification
socialiste en U.R.S.S., il ne saurait y avoir de deuxième Turquie et
encore moins une « Turquie » de 450 millions d’habitants.
En raison de conditions particulières à la Chine
(la faiblesse de la bourgeoisie et son esprit de compromis, la
puissance du prolétariat et son esprit révolutionnaire conséquent),
rien n’y a jamais été obtenu à aussi bon compte qu’en Turquie.
Après l’échec de la Première Grande Révolution en 1927,
certains éléments de la bourgeoisie chinoise n’ont-ils pas
réclamé à grands cris le kemalisme ? Mais où est le Kemal de
la Chine ? Où sont la dictature bourgeoise et la société
capitaliste chinoises ? Au surplus, la Turquie dite kémaliste a
dû finalement se jeter elle-même dans les bras de l’impérialisme
anglo-français, se transformant de plus en plus en une semi-colonie,
en une part du monde impérialiste, réactionnaire.
Dans la situation internationale d’aujourd’hui,
tout « héros », dans les colonies et semi-colonies, doit
se mettre soit du côté du front impérialiste, et alors il fera
partie des forces de la contrerévolution mondiale, soit du côté du
front antiimpérialiste, et alors il fera partie des forces de la
révolution mondiale. Il doit choisir l’une de ces deux voies, il
n’y en a pas de troisième.
Au point de vue de la situation
intérieure, la bourgeoisie chinoise aurait dû tirer de l’histoire
les leçons qui s’imposaient. En 1927, à peine la révolution
venait-elle de remporter des victoires, grâce aux efforts du
prolétariat, de la paysannerie et des autres fractions de la petite
bourgeoisie, que la classe capitaliste chinoise, ayant à sa tête la
grande bourgeoisie, repoussa brutalement les masses populaires,
s’empara des fruits de la révolution, conclut une alliance
contrerévolutionnaire avec l’impérialisme et les forces
féodales ; pendant dix ans, elle s’épuisa à mener une
guerre d’ »extermination des communistes ».
Mais qu’en est-il résulté ? Aujourd’hui,
alors qu’un ennemi puissant a pénétré profondément dans notre
territoire et que la Guerre de Résistance se poursuit depuis deux
ans, se peut-il qu’on veuille encore appliquer les vieilles
recettes de la bourgeoisie d’Europe et d’Amérique ?
Il y a eu « dix ans d’extermination des
communistes », mais aucune société capitaliste de dictature
bourgeoise n’en est sortie. Songe-t-on encore à une nouvelle
tentative ? Il est vrai que des « dix ans d’extermination
des communistes » est sortie la « dictature d’un seul
parti », mais c’est une dictature semi-coloniale et
semi-féodale. De quatre ans d’ »extermination des
communistes » (de 1927 à l’Incident du 18 Septembre 1931)
est sorti le « Mandchoukouo », et en 1937 après six
autres années de cette « extermination », les
impérialistes japonais pénétraient au sud de la Grande Muraille.
Aujourd’hui, si quelqu’un songe à
une seconde décennie d’ »extermination », c’est d’un
nouveau type d’ »extermination des communistes » qu’il
s’agira, quelque peu différent de l’ancien. Ne s’est-il pas
trouvé déjà un homme au pied léger qui a devancé tout le monde
et s’est hardiment chargé de cette nouvelle entreprise
d’ »extermination des communistes » ? Oui, c’est
Wang Tsing-wei, le célèbre anticommuniste d’un nouveau genre.
Celui qui veut entrer dans sa bande est
parfaitement libre de le faire ; mais alors, ne sera-t-il pas
encore plus gênant pour lui de chanter, entre autres, les mérites
de la dictature bourgeoise, de la société capitaliste, du
kemalisme, de l’Etat moderne, de la dictature d’un seul parti, de
la « doctrine unique » ?
Et si, au lieu d’entrer dans sa bande, on veut
joindre le camp de la résistance au Japon, s’imaginant pouvoir,
une fois la victoire acquise, repousser du pied le peuple qui a
combattu l’envahisseur, s’approprier les fruits de cette victoire
et établir la « dictature permanente d’un seul parti »,
n’est-ce pas donner dans les chimères ?
« Résistons au Japon ! »
« Résistons au Japon ! » Mais qui résiste en
fait ? Sans les ouvriers, les paysans et les autres fractions de
la petite bourgeoisie, vous ne pourrez rien faire. Quiconque, du
reste, osera leur donner un coup de pied se fera écraser ;
n’est-ce pas là du simple bon sens ? Mais les irréductibles
de la bourgeoisie chinoise (j’entends les irréductibles seulement)
semblent n’avoir rien appris depuis vingt ans. Ne continuent-ils
pas à réclamer à cor et à cri la « limitation du Parti
communiste », la « désintégration du Parti communiste »
et la « lutte contre le Parti communiste » ?
N’avons-nous pas vu se succéder les « Mesures
pour la limitation de l’activité des partis hérétiques »,
les « Mesures pour la solution du problème des partis
hérétiques » et les « Instructions pour la solution du
problème des partis hérétiques » ?
Mais, bon sang, s’ils continuent à « limiter »
et à « résoudre » de la sorte, on se demande quel
destin ils réservent à la nation et à eux-mêmes ! A ces
messieurs, nous leur conseillons sincèrement ceci : Ouvrez les
yeux, regardez la Chine et le monde, voyez ce qui se passe à
l’intérieur et à l’extérieur du pays, voyez l’état actuel
des choses, et ne retombez plus dans les mêmes erreurs ! Si
vous persistez, la nation connaîtra un sort désastreux, sans aucun
doute, mais je pense que les choses n’iront pas très bien pour
vous non plus.
Ce qui est sûr et certain, absolument
indiscutable, c’est que, si vous autres, les irréductibles de la
bourgeoisie chinoise, vous ne voulez pas vous ressaisir, votre avenir
sera loin d’être brillant ; vous serez les artisans de votre
propre perte.
Aussi espérons-nous qu’en Chine le front uni
antijaponais sera maintenu, qu’il ne sera pas l’apanage d’une
clique, mais un front où tous coopèrent pour le triomphe de la
cause antijaponaise ; c’est la seule bonne politique, toute
autre serait mauvaise. Voilà ce que nous vous conseillons
sincèrement, nous les communistes ; vous ne pourrez pas dire
que nous ne vous avons pas prévenus.
Le vieux dicton chinois : « S’il
y a de la nourriture, que chacun ait sa part » est plein de
vérité. De même que tous doivent combattre l’ennemi, de même
tous doivent pouvoir manger, tous ont droit au travail et à
l’instruction. « A moi tout le gâteau ! » et
« Que personne s’avise de me faire du tort », voilà
bien des façons de seigneur féodal, mais ce vieux truc ne prend
plus dans les années 40 de notre siècle.
Nous autres communistes, nous ne
repousserons jamais aucun révolutionnaire ; nous maintiendrons
le front uni en pratiquant une coopération durable avec toutes les
classes et couches sociales, tous les partis et groupes politiques et
tous ceux qui sont prêts à combattre le Japon jusqu’au bout.
Mais si l’on veut évincer le Parti communiste,
ça n’ira pas ; si l’on veut rompre le front uni, ça n’ira
pas non plus. La Chine doit persévérer dans la Résistance, l’union
et le progrès. Nous ne tolérerons pas la capitulation, la rupture
et la régression.
VIII. Contre les phraseurs « de
gauche »
Si l’on ne suit pas la voie
capitaliste de dictature bourgeoise, peut-on alors suivre la voie
socialiste de dictature prolétarienne ?
Non, ce n’est pas possible non
plus.
Il ne fait aucun doute que la
révolution en est encore à sa première phase et n’entrera que
plus tard, lors de son développement ultérieur, dans la seconde
phase, celle du socialisme. La Chine ne connaîtra le vrai bonheur
qu’avec le socialisme.
Mais ce n’est pas encore le moment de le
réaliser. La tâche présente de la révolution chinoise est de
combattre l’impérialisme et le féodalisme ; avant que cette
tâche soit achevée, il ne saurait être question de socialisme. La
révolution chinoise doit traverser inévitablement deux phases,
d’abord celle de la démocratie nouvelle, puis celle du socialisme.
De plus, la première phase sera assez longue,
elle ne peut s’achever du jour au lendemain. Nous ne sommes pas des
utopistes et nous ne pouvons pas faire abstraction des conditions
existantes.
Des propagandistes malintentionnés
confondent à dessein ces deux phases différentes de la révolution
et prêchent la prétendue théorie de la révolution unique pour
démontrer que toutes les étapes de la révolution se retrouvent
dans les trois principes du peuple et que le communisme a, par
conséquent, perdu sa raison d’être. Ils se servent de cette
« théorie » pour s’élever énergiquement contre le
communisme et le Parti communiste, la VIIIe Armée de Route et la
Nouvelle IVe Armée, ainsi que contre la région frontière du
Chensi-Kansou-Ninghsia.
Leur but est de supprimer carrément toute
révolution, de s’opposer à une révolution démocratique
bourgeoise conséquente et à une résistance conséquente contre le
Japon, et de préparer l’opinion à la capitulation devant
l’envahisseur.
Cette campagne est inspirée par les impérialistes
japonais et fait partie de leur plan. En effet, après avoir occupé
Wouhan, ceux-ci ont compris que la force militaire seule ne saurait
asservir la Chine, aussi en sont-ils venus à lancer une offensive
politique et à user d’appâts économiques.
L’offensive politique vise à séduire les
éléments hésitants dans le front antijaponais, à provoquer la
rupture du front uni, à saper la coopération entre le Kuomintang et
le Parti communiste. Les appâts économiques prennent la forme de
« création d’entreprises industrielles mixtes ».
En Chine centrale et méridionale, l’occupant
japonais autorise les capitalistes chinois à prendre une
participation de 51 pour cent au capital des entreprises, la part du
capital japonais étant de 49 pour cent ; en Chine du Nord, il
autorise une participation de 49 pour cent, la part du capital
japonais étant de 51 pour cent.
En outre, l’occupant promet de rendre aux
capitalistes chinois les biens qu’ils possédaient et de les
convertir en actions, sous forme d’apport de capital. Ainsi, des
capitalistes qui ont abdiqué toute conscience, ne voyant que le
profit et oubliant le devoir, brûlent déjà de l’envie de tenter
l’expérience.
Certains d’entre eux, représentés par Wang
Tsing-wei, ont déjà capitulé. D’autres, camouflés dans le front
antijaponais, songent également à passer à l’ennemi. Mais, avec
la mauvaise conscience des coupables, ils craignent que le Parti
communiste ne leur barre la route, ils redoutent encore plus que le
peuple ne les flétrisse comme des traîtres.
Aussi
se sont-ils concertés et ont-ils décidé de préparer d’abord
l’opinion dans les milieux culturels et dans ceux de la presse. Le
plan décidé, les choses n’ont pas traîné ; ils ont
embauché quelques « phraseurs métaphysiciens »,
flanqués de quelques trotskistes, pour brandir la plume telle une
épée, faire du tapage, frapper à tort et à travers.
D’où la kyrielle de bobards destinés à
tromper ceux qui ne connaissent pas l’époque dans laquelle ils
vivent : la « théorie de la révolution unique » et
les allégations pour soutenir que le communisme ne convient pas à
la situation de la Chine, que le Parti communiste n’y a pas sa
raison d’être, que la VIIIe Armée de Route et la Nouvelle IVe
Armée sabotent la Guerre de Résistance et ne font que se déplacer
sans combattre, que la région frontière du Chensi-Kansou-Ninghsia
est un fief féodal, que le Parti communiste n’obéit pas aux
ordres, ne veut pas l’unification, mène des intrigues et fomente
des troubles tout cela n’a pour but que de fournir aux capitalistes
de bonnes raisons d’empocher leurs 49 ou 51 pour cent et de vendre
les intérêts de toute la nation à l’ennemi au moment propice.
C’est « voler les poutres les piliers et les remplacer par
des pièces vermoulues ».
C’est préparer les esprits ou l’opinion
publique à la capitulation. Ainsi, ces messieurs qui prêchent avec
le plus grand sérieux la « théorie de la révolution unique »
pour combattre le communisme et le Parti communiste ne travaillent en
réalité que pour leurs 49 ou 51 pour cent, et quel mal ils se
donnent pour cela ! La « théorie de la révolution
unique » est la théorie du renoncement à la révolution,
voilà le fond du sac.
Mais il est d’autres gens qui, sans
avoir, semble-t-il, de mauvaises intentions, se laissent égarer par
la « théorie de la révolution unique », par l’idée
purement subjective d’ »accomplir d’un seul coup la
révolution politique et la révolution sociale » ; ils ne
comprennent pas que la révolution est divisée en étapes, que nous
ne pouvons passer à la seconde qu’une fois la première accomplie,
qu’il n’existe aucune possibilité de tout « accomplir d’un
seul coup ».
Ces conceptions sont également très nuisibles :
elles brouillent les étapes de la révolution et affaiblissent nos
efforts pour la tâche présente. Il est juste et conforme à la
théorie marxiste du développement de la révolution d’affirmer
que, des deux étapes de la révolution, la première prépare les
conditions de la seconde, que les deux étapes doivent se succéder
sans qu’il soit permis d’intercaler une étape de dictature
bourgeoise.
Cependant, prétendre que la révolution
démocratique n’a pas de tâches qui lui soient propres et ne
correspond pas à une période déterminée, mais qu’elle peut, en
même temps que les siennes, accomplir des tâches réalisables
seulement dans une autre période, par exemple celles de la
révolution socialiste, et appeler cela tout « accomplir d’un
seul coup », c’est soutenir une vue utopique, inacceptable
pour les vrais révolutionnaires.
IX. Contre les irréductibles
Les irréductibles de la bourgeoisie viennent alors nous dire :
« Bon ! vous autres communistes, vous remettez le régime
socialiste à une étape ultérieure et vous dites : ’Les
trois principes du peuple étant aujourd’hui nécessaires à
la Chine, notre Parti est prêt à lutter pour leur réalisation
complète’. Eh bien ! remisez donc pour le moment votre
communisme. » Récemment, de tels propos, camouflés sous
l’enseigne de la « doctrine unique », sont devenus une
clameur effroyable ; au fond, ce n’est que le hurlement des
irréductibles qui aspirent au pouvoir absolu de la bourgeoisie.
Mais, par politesse, disons simplement que c’est un manque total de
bon sens.
Le communisme est le système complet
de l’idéologie prolétarienne en même temps qu’un nouveau
régime social. Cette idéologie et ce régime social diffèrent de
toute autre idéologie et de tout autre régime social ; ils
sont les plus parfaits, les plus progressistes, les plus
révolutionnaires, les plus rationnels de toute l’histoire de
l’humanité. L’idéologie et le régime social du féodalisme
sont entrés au musée de l’histoire.
Ceux du capitalisme sont, eux aussi, entrés au
musée dans une partie du monde (en U.R.S.S.) ; partout
ailleurs, ils ressemblent à « un moribond qui décline
rapidement, comme le soleil derrière les collines de l’ouest » ;
ils seront bientôt bons pour le musée.
Seuls l’idéologie et le régime social du
communisme se répandent dans le monde entier avec l’impétuosité
de l’avalanche et la force de la foudre ; ils feront fleurir
leur merveilleux printemps. L’introduction du communisme
scientifique en Chine a élargi l’horizon des hommes et changé la
face de la révolution chinoise.
Sans la doctrine communiste pour la guider, la
révolution démocratique ne pourra jamais triompher en Chine, ni, à
plus forte raison, l’étape suivante de la révolution. Voilà
pourquoi les irréductibles de la bourgeoisie demandent à grands
cris que l’on « remise » le communisme. En vérité, il
n’est pas possible de le « remiser », car la Chine
serait perdue. Le communisme est pour le monde d’aujourd’hui
l’étoile conductrice, et la Chine ne fait pas exception.
Chacun sait que, en matière de
régime social, le Parti communiste a un programme pour le présent
et un programme pour l’avenir, autrement dit, un programme minimum
et un programme maximum.
La démocratie nouvelle pour le présent, le
socialisme pour l’avenir : ce sont les deux parties d’un
tout organique, régies par la seule et même idéologie communiste.
N’est-ce donc pas le comble de l’absurdité que de crier qu’il
faut « remiser » le communisme parce que le programme
minimum du Parti communiste et les idées politiques fondamentales
des trois principes du peuple sont pratiquement les mêmes ?
Pour nous communistes, c’est parce qu’ils sont
pratiquement les mêmes qu’il nous est possible d’admettre « les
trois principes du peuple comme politique du front uni
antijaponais », d’affirmer que, « les trois
principes du peuple étant aujourd’hui nécessaires à la
Chine, notre Parti est prêt à lutter pour leur réalisation
complète ».
Autrement,
cette possibilité serait exclue. Ce que nous avons là, c’est le
front uni du communisme et des trois principes du peuple à
l’étape de la révolution démocratique, le genre de front uni que
le Dr Sun Yat-sen avait en vue lorsqu’il disait : « Le
communisme est un grand ami des trois principes du peuple ».
Rejeter le communisme revient en fait à rejeter le front uni. C’est
justement parce qu’ils veulent appliquer leur doctrine du parti
unique et rejeter le front uni que les irréductibles ont fabriqué
de telles absurdités pour rejeter le communisme.
D’ailleurs, la « doctrine unique » est
tout aussi absurde. Aussi longtemps qu’il existera des classes, il
y aura autant de doctrines que de classes, et même les différents
groupes d’une seule classe pourront avoir chacun leur propre
doctrine. Puisque la classe féodale a son féodalisme, la
bourgeoisie son capitalisme, les bouddhistes leur bouddhisme, les
chrétiens leur christianisme, les paysans leur polythéisme,
puisque, ces dernières années, il se trouve encore des gens pour
préconiser le kemalisme, le fascisme, le vitalisme, la « doctrine
de répartition selon le travail fourni », pourquoi le
prolétariat ne pourrait-il pas avoir son communisme ?
Puisque les « ismes » sont
innombrables, pourquoi à la vue du seul communisme crie-t-on qu’il
faut le « remiser » ? A dire vrai, il ne peut être
question de le « remiser » ; mieux vaut entrer en
compétition. Si le communisme est battu, nous, communistes, nous
accepterons la défaite de bonne grâce. S’il ne Test pas, qu’on
« remise » au plus vite cette « doctrine unique »
contraire au principe de la démocratie.
Pour éviter les malentendus et pour
ouvrir les yeux aux irréductibles, il faut montrer clairement
l’analogie et les différences entre les trois principes du
peuple et le communisme.
En comparant les deux doctrines, on
constatera aussi bien l’analogie que les différences.
Premièrement, l’analogie. Elle
réside dans le programme politique fondamental des deux doctrines
pour l’étape de la révolution démocratique bourgeoise en Chine.
Les trois principes politiques révolutionnaires : nationalisme,
démocratie et bienêtre du peuple, selon la nouvelle interprétation
des trois principes du peuple donnée par le Dr Sun Yat-sen en
1924, sont analogues dans leurs grandes lignes au programme politique
communiste pour l’étape de la révolution démocratique chinoise.
Cette analogie et l’application des trois
principes du peuple donnèrent naissance au front uni des deux
doctrines et des deux partis. C’est une erreur de négliger cet
aspect de la question.
Deuxièmement, les différences :
1) Une différence partielle des programmes pour
l’étape de la révolution démocratique. Le programme communiste
pour tout le cours de la révolution démocratique prévoit les
pleins droits pour le peuple, la journée de travail de huit heures
et une révolution agraire radicale, points qui ne figurent pas dans
les trois principes du peuple. Si on ne les y incorpore pas et si on
n’est pas prêt à les réaliser, il n’y aura qu’une analogie
de base entre les deux programmes démocratiques, on ne pourra pas
dire qu’ils sont tout à fait les mêmes.
2) Une différence en ce qui concerne la
révolution socialiste.
La doctrine communiste prévoit, en plus de
l’étape de la révolution démocratique, celle de la révolution
socialiste ; c’est pourquoi, outre un programme minimum, elle
a un programme maximum, c’est-à-dire le programme pour la
réalisation du socialisme et du communisme.
Les trois principes du peuple ne prévoient
que l’étape de la révolution démocratique, non celle de la
révolution socialiste ; aussi ne contiennent-ils qu’un
programme minimum et pas de programme maximum, c’est-à-dire pas de
programme pour la réalisation du socialisme et du communisme.
3) Une différence dans la conception du monde. La
conception communiste du monde est le matérialisme dialectique et le
matérialisme historique, alors que la conception du monde contenue
dans les trois principes du peuple, c’est la conception historique
qui s’exprime dans le principe du bienêtre du peuple, et elle est
dans son essence dualiste ou idéaliste ; les deux conceptions
sont opposées l’une à l’autre.
4) Une différence quant à la capacité d’aller
jusqu’au bout dans la révolution. Les communistes unissent la
théorie à la pratique, c’est-à-dire qu’ils sont des
révolutionnaires conséquents. Chez les partisans des trois
principes du peuple, exception faite de ceux qui sont tout à fait
fidèles à la révolution et à la vérité, l’unité de la
théorie et de la pratique n’existe pas et il y a contradiction
entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font ; en d’autres
termes, ils ne sont pas des révolutionnaires conséquents.
Telles sont les différences entre les deux
doctrines, les différences qui distinguent les communistes des
partisans des trois principes du peuple. C’est assurément une
grave erreur de négliger ces différences, de ne voir que l’unité
et non les contradictions.
Quand on aura compris cela, on saura
pourquoi les irréductibles de la bourgeoisie demandent de
« remiser » le communisme. Ne pas voir que c’est pour
assurer le pouvoir absolu à la bourgeoisie serait totalement de bon
sens.
X. Les anciens et les nouveaux trois
principes du peuple
Les irréductibles de la bourgeoisie
ne comprennent absolument rien aux transformations historiques ;
leurs connaissances sont si pauvres qu’elles sont pratiquement
nulles. Ils ne voient les différences ni entre le communisme et les
trois principes du peuple, ni entre les anciens et les
nouveaux trois principes du peuple.
Nous, communistes, nous admettons
« les trois principes du peuple comme base politique du
front uni national antijaponais » ; nous affirmons que,
« les trois principes du peuple étant aujourd’hui
nécessaires à la Chine, notre Parti est prêt à lutter pour leur
réalisation complète » ; nous reconnaissons que le
programme minimum du communisme et les idées politiques
fondamentales des trois principes du peuple sont pratiquement
les mêmes. Mais de quels trois principes du peuple
s’agit-il ?
De ceux dont le Dr Sun Yat-sen a donné une
interprétation nouvelle dans le « Manifeste du Ier Congrès
national du Kuomintang » et d’aucun autre. Je voudrais que
messieurs les irréductibles parcourent eux aussi ce Manifeste, dans
un de ces moments de quiétude satisfaite qui suivent leur travail de
« limitation du Parti communiste », de « désintégration
du Parti communiste » et de « lutte contre le Parti
communiste ».
Le Dr Sun Yat-sen a déclaré dans le Manifeste :
« Là est la bonne interprétation des trois principes du
peuple du Kuomintang ». Ainsi, ces principes sont les seuls
véritables ; toutes les autres versions sont fausses. Seule
l’interprétation contenue dans le « Manifeste du Ier Congrès
national du Kuomintang » est la « bonne interprétation »,
alors que toutes les autres sont fausses. Il y a tout lieu de croire
que ce n’est pas là un « bobard » communiste, car
beaucoup de membres du Kuomintang et moi-même personnellement, nous
avons été témoins de l’adoption du Manifeste.
Le Manifeste marque la séparation
entre deux époques dans l’histoire des trois principes du peuple.
Avant le Manifeste, ils appartenaient à l’ancienne catégorie ;
c’étaient ceux de l’ancienne révolution démocratique
bourgeoise d’un pays semi-colonial, ceux de l’ancienne
démocratie, les anciens trois principes du peuple.
Après le Manifeste, ils
appartiennent à la nouvelle catégorie ; ce sont ceux de la
nouvelle révolution démocratique bourgeoise d’un pays
semi-colonial, ceux de la démocratie nouvelle, les nouveaux trois
principes du peuple. Ces derniers seuls sont les trois principes
du peuple révolutionnaires de la période nouvelle.
Ces trois principes du peuple
révolutionnaires de la période nouvelle, ces nouveaux, ces vrais
trois principes du peuple, ce sont ceux qui comportent les
trois thèses politiques fondamentales : alliance avec la
Russie, alliance avec le Parti communiste et soutien aux paysans et
aux ouvriers. Dans la période nouvelle, sans ces trois thèses, et
n’en manquerait-il qu’une seule, les trois principes du peuple
deviennent faux ou incomplets.
En premier lieu, les trois
principes du peuple révolutionnaires, les nouveaux, les vrais,
comprennent nécessairement l’alliance avec la Russie. Il est
parfaitement clair que, dans la situation actuelle, si l’on
n’adopte pas la politique d’alliance avec la Russie, avec le pays
du socialisme, on sera forcément réduit à une politique d’alliance
avec l’impérialisme, avec les puissances impérialistes. Ne
l’avons-nous pas vu déjà après 1927 ?
Lorsque la lutte entre l’Union soviétique
socialiste et les puissances impérialistes s’intensifiera, la
Chine devra se ranger d’un côté ou de l’autre. Cela est
inévitable. Est-il possible qu’il en soit autrement ? Non,
c’est une illusion.
Tous les pays du monde seront entraînés dans
l’un ou l’autre de ces deux fronts et la « neutralité »
ne sera dès lors qu’un terme trompeur. Cela est vrai en
particulier pour la Chine : luttant contre une puissance
impérialiste qui a pénétré profondément dans son territoire,
elle n’a aucun espoir de remporter la victoire finale sans l’aide
soviétique.
Si l’alliance avec l’Union soviétique est
abandonnée au profit d’une alliance avec l’impérialisme, il
faut alors ôter le qualificatif de « révolutionnaires »
aux trois principes du peuple, devenus réactionnaires.
Disons, en dernière analyse, qu’il n’y a pas de trois
principes du peuple « neutres », ils ne peuvent être
que révolutionnaires ou contre-révolutionnaires.
Mais
ne serait-il pas plus héroïque d’engager un « combat entre
deux feux », suivant la formule avancée autrefois par Wang
Tsing-wei, et d’avoir une version des trois principes du peuple
qui serve ce « combat » ? Le malheur est que
l’inventeur de cette formule, Wang Tsing-wei, a lui-même abandonné
(ou « remisé ») cette version pour adopter les trois
principes du peuple de l’alliance avec l’impérialisme.
Si l’on soutient qu’il y a une différence
entre les impérialistes d’Orient et ceux d’Occident, et que, lui
s’étant allié avec les impérialistes d’Orient, on va s’allier
avec tels ou tels impérialistes d’Occident pour diriger l’attaque
vers l’est, n’aura-t-on pas adopté une conduite tout à fait
révolutionnaire ? Mais que vous le vouliez ou non, les
impérialistes d’Occident sont décidés à combattre l’Union
soviétique et le communisme, si donc vous vous alliez avec eux, ils
vous demanderont de diriger l’attaque vers le nord, et votre
révolution n’aboutira à rien.
Puisqu’il en est ainsi, les trois principes
du peuple révolutionnaires, les nouveaux, les vrais, comprennent
nécessairement l’alliance avec la Russie, et en aucun cas
l’alliance avec l’impérialisme contre la Russie.
En second lieu, les trois
principes du peuple révolutionnaires, les nouveaux, les vrais,
comprennent nécessairement l’alliance avec le Parti communiste. On
est l’allié du Parti communiste ou on le combat. L’anticommunisme
est la politique des impérialistes japonais et de Wang Tsing-wei, et
si c’est ce que vous voulez aussi, très bien, ils vous inviteront
à entrer dans leur Société anticommuniste. Ne seriez-vous pas
alors un peu suspect de collaboration avec le Japon ? Moi,
direz-vous, je n’irai pas avec le Japon, mais avec une autre
puissance.
C’est tout aussi ridicule. Qu’importé avec
qui vous irez, du moment que vous êtes anticommuniste, vous êtes un
traître à la nation, parce que vous ne pouvez plus combattre le
Japon. J’irai, direz-vous, combattre le Parti communiste
indépendamment. C’est pure divagation. Comment les « héros »
d’un pays colonial et semi-colonial peuvent-ils s’attaquer à une
entreprise contrerévolutionnaire de cette importance sans compter
sur les forces impérialistes ?
Pendant dix ans, on a fait appel à presque toutes
les puissances impérialistes du monde pour combattre le Parti
communiste, sans obtenir aucun résultat ; comment, aujourd’hui,
parviendra-t-on soudain à le combattre « indépendamment » ?
Il y a, paraît-il, hors de notre Région frontière, des gens qui
disent : « Combattre le Parti communiste, c’est bien,
mais on ne réussira pas à le battre. » Si la remarque a
vraiment été faite, elle est fausse à moitié : en effet, en
quoi est-ce « bien » de combattre le Parti communiste ?
Mais l’autre moitié est juste, car il est vrai
qu’ »on ne réussira pas à le battre ». La raison
essentielle, il faut la chercher non chez les communistes, mais dans
le peuple, qui tient au Parti communiste et ne veut pas le combattre.
Si vous le combattez à un moment où l’ennemi de la nation a
pénétré profondément dans notre territoire, le peuple sera sans
pitié pour vous, il vous en demandera compte sur votre vie.
C’est chose certaine, celui qui veut combattre
le Parti communiste doit s’attendre à être réduit en miettes.
S’il ne tient pas à subir ce sort, il vaut nettement mieux qu’il
s’abstienne. C’est le conseil que nous donnons sincèrement à
tous les « héros » de l’anticommunisme. Ainsi, rien
n’est plus clair : aujourd’hui, les trois principes du
peuple doivent comprendre l’alliance avec le Parti communiste, sous
peine d’aller à l’échec. C’est pour eux une question de vie
ou de mort ; unis au Parti communiste, ils survivront ;
opposés au Parti communiste, ils disparaîtront. Qui donc pourrait
prouver le contraire ?
En troisième lieu, les trois principes du peuple
révolutionnaires, les nouveaux, les vrais, comprennent
nécessairement une politique en faveur des paysans et des ouvriers.
Si vous ne voulez pas de cette politique, si vous ne voulez pas
soutenir sincèrement les paysans et les ouvriers, si vous ne voulez
pas « éveiller les masses », comme le recommande le
testament du Dr Sun Yat-sen, vous préparez l’échec de la
révolution et votre propre échec. Staline a dit : « …la
question nationale est, au fond, une question paysanne. »
Cela veut dire que la révolution chinoise est, au
fond, une révolution paysanne, que la résistance que nous opposons
au Japon est donc la guerre de résistance des paysans contre le
Japon. Appliquer le système politique de démocratie nouvelle
revient, au fond, à accorder aux paysans leurs droits. Les nouveaux,
les vrais trois principes du peuple sont, au fond, les principes de
la révolution paysanne. Le problème de la culture des masses,
c’est, au fond, l’élévation du niveau culturel des paysans. La
Guerre de Résistance est, au fond, une guerre paysanne.
On
applique aujourd’hui le « principe d’aller dans les
montagnes » ; là, on organise des réunions, on travaille, on
fait la classe, on édite des journaux, on écrit des livres, on joue
des pièces de théâtre : tout cela, au fond, est fait pour les
paysans. Tout ce qui est nécessaire à la Guerre de Résistance
ainsi qu’à notre subsistance est, au fond, fourni par les paysans.
Quand on dit « au fond », cela veut
dire « pour l’essentiel », mais cela ne signifie pas
qu’on néglige les autres fractions de la population, comme Staline
lui-même l’a expliqué. Les paysans constituent les 80 pour cent
de la population de la Chine ; même un écolier le sait. Aussi
la question paysanne est-elle devenue la question fondamentale de la
révolution chinoise, et les paysans en sont-ils la force principale.
Après les paysans, il y a les ouvriers, dont l’effectif vient au
second rang dans la population chinoise. La Chine a plusieurs
millions d’ouvriers industriels et plusieurs dizaines de millions
d’artisans et d’ouvriers agricoles.
La Chine ne peut pas vivre sans les ouvriers des
diverses industries, parce que ce sont eux les producteurs du secteur
industriel de notre économie. Et la révolution ne peut pas
triompher sans la classe ouvrière de l’industrie moderne, parce
que c’est elle qui dirige la révolution chinoise et qui a l’esprit
le plus révolutionnaire.
Dans ces conditions, les trois principes du
peuple révolutionnaires, les nouveaux, les vrais, comportent
nécessairement une politique en faveur des paysans et des ouvriers.
S’ils ne comportaient pas cette politique, ne prévoyaient pas un
soutien sincère aux paysans et aux ouvriers et ne visaient pas à
« éveiller les masses », leur échec serait certain.
On peut donc déduire que les trois
principes du peuple qui s’écarteraient des trois thèses
politiques fondamentales : alliance avec la Russie, alliance
avec le Parti communiste et soutien aux paysans et aux ouvriers,
n’auraient aucun avenir. Tout partisan honnête des trois
principes du peuple se doit d’y réfléchir sérieusement.
Les trois principes du peuple
qui comprennent les trois thèses politiques fondamentales – les
trois principes du peuple révolutionnaires, les nouveaux, les
vrais – sont ceux de la démocratie nouvelle, le développement des
anciens trois principes du peuple, la grande contribution du
Dr Sun Yat-sen, le produit de l’époque où la révolution chinoise
est devenue une partie de la révolution mondiale socialiste.
C’est ceux-là seulement que le Parti communiste
chinois considère comme étant « aujourd’hui nécessaires à
la Chine », et pour lesquels il « est prêt à lutter »
jusqu’à « leur réalisation complète ». C’est
ceux-là seulement qui présentent une analogie fondamentale avec le
programme politique du Parti communiste chinois pour l’étape de la
révolution démocratique, c’est-à-dire avec son programme
minimum.
Quant aux anciens trois principes
du peuple, ils étaient un produit de l’ancienne période de la
révolution chinoise. La Russie d’alors était un Etat impérialiste
et il ne pouvait naturellement y avoir de politique d’alliance avec
elle ; en Chine, il n’y avait pas alors le Parti communiste,
et il ne pouvait évidemment y avoir de politique d’alliance avec
lui.
Le mouvement ouvrier et paysan n’avait pas
encore révélé toute son importance politique ni attiré
l’attention sur lui et il ne pouvait donc y avoir de politique
d’alliance avec les ouvriers et les paysans. C’est pourquoi les
trois principes du peuple d’avant la réorganisation du
Kuomintang en 1924 appartiennent à l’ancienne catégorie et sont
périmés. Le Kuomintang ne pouvait pas avancer à moins d’en faire
les nouveaux trois principes du peuple.
Grâce à sa clairvoyance, Sun Yat-sen le comprit
et, avec l’aide de l’Union soviétique et du Parti communiste
chinois, il donna une nouvelle interprétation des trois principes
du peuple, Ceux-ci furent dotés de caractéristiques nouvelles,
conformes à l’époque, ce qui permit de réaliser le front uni des
trois principes du peuple avec le communisme, d’établir pour la
première fois une coopération entre le Kuomintang et le Parti
communiste, d’obtenir l’adhésion de toute la nation et
d’entreprendre la révolution de 1924-1927.
Les anciens trois principes du
peuple étaient révolutionnaires dans l’ancienne période,
dont ils reflétaient les particularités historiques.
Mais si, dans la nouvelle période, après
l’établissement des nouveaux trois principes du peuple, on
s’obstine à s’accrocher aux choses périmées, à combattre
l’alliance avec la Russie après la naissance de l’Etat
socialiste, à s’opposer à l’alliance avec le Parti communiste
après la fondation de celui-ci, à lutter contre la politique de
soutien aux paysans et aux ouvriers après leur prise de conscience
et la manifestation de leur force politique, on fait alors des trois
principes du peuple quelque chose de réactionnaire, qui ne répond
pas à l’esprit de l’époque actuelle.
La réaction d’après 1927 résulta précisément
de la méconnaissance de l’esprit de l’époque. « Qui
comprend les signes de son temps est un grand homme », dit un
proverbe. J’espère que les partisans actuels des trois
principes du peuple s’en souviendront.
Pour ce qui est des anciens trois
principes du peuple, ils ne présentent aucune analogie
fondamentale avec le programme minimum communiste, parce qu’ils
appartiennent au passé et sont périmés.
S’il s’agit de trois principes du peuple
dirigés contre la Russie, contre le Parti communiste et contre les
paysans et les ouvriers, ce sont des principes réactionnaires qui
non seulement n’ont plus rien de commun avec le programme minimum
communiste, mais sont ennemis du communisme ; il n’y a donc
aucune base de discussion possible. A cela aussi les partisans des
trois principes du peuple feraient bien de réfléchir sérieusement.
De toute façon, tant que les tâches
de la lutte contre l’impérialisme et le féodalisme n’auront pas
été achevées pour l’essentiel, aucun homme de conscience
n’abandonnera les nouveaux trois principes du peuple. Seuls
des gens comme Wang Tsing-wei les ont abandonnés. En dépit de
l’ardeur de ceux-ci à faire appliquer leurs faux trois principes
du peuple qui sont contre la Russie, contre le Parti communiste et
contre les paysans et les ouvriers, il se trouvera toujours des
hommes honnêtes, des hommes épris de justice qui continueront à
défendre les vrais trois principes du peuple de Sun Yat-sen.
Si, après la réaction de 1927, les vrais
partisans des trois principes du peuple, qui continuaient le
combat pour la révolution chinoise, étaient encore nombreux,
maintenant que l’ennemi de notre nation a pénétré profondément
dans notre territoire, il est certain qu’ils sont légion. Nous
autres communistes, nous persévérerons dans une coopération à
long terme avec tous les partisans sincères des trois principes
du peuple et, tout en repoussant les traîtres et les
anticommunistes invétérés, nous n’abandonnerons jamais aucun de
nos amis.
XI. La culture de Démocratie Nouvelle
Nous avons expliqué plus haut les
particularités historiques du système politique de la Chine dans la
nouvelle période, ainsi que la question de la république de
démocratie nouvelle. Nous pouvons aborder maintenant la question de
la culture.
Toute culture est, sur le plan
idéologique, le reflet de la politique et de l’économie d’une
société donnée. En Chine, il existe une culture impérialiste, qui
est le reflet de la domination ou de la domination partielle,
politique et économique, de l’impérialisme sur la Chine. Cette
culture est non seulement entretenue par les institutions culturelles
administrées directement en Chine par les impérialistes, mais
encore prônée par des Chinois sans pudeur. Toute culture qui porte
en elle des idées servîtes entre dans cette catégorie.
En Chine, il existe aussi une culture
semi-féodale, reflet de la politique et de l’économie
semi-féodales du pays ; ses représentants comprennent tous
ceux qui prônent le culte de Confucius, l’étude du canon
confucéen, l’ancienne morale et les vieilles idées et qui
s’opposent à la culture nouvelle et aux idées nouvelles. La
culture, impérialiste et la culture semi-féodale sont deux sœurs
très unies qui ont contracté une alliance réactionnaire pour
s’opposer à la nouvelle culture chinoise.
Ces cultures réactionnaires sont au service des
impérialistes et de la classe féodale et doivent être abattues.
Sinon, il sera impossible d’édifier une culture nouvelle. Sans
destruction, pas de construction ; sans barrage, pas de
courant ; sans repos, pas de mouvement. Entre la culture
nouvelle et les cultures réactionnaires une lutte à mort est
engagée.
Quant à la culture nouvelle, elle
est, sur le plan idéologique, le reflet de la politique et de
l’économie nouvelles, et elle est à leur service.
Comme nous l’avons exposé dans la
section 3, depuis que la Chine a vu naître une économie
capitaliste, la société chinoise a peu à peu changé de nature :
elle a cessé d’être entièrement féodale pour devenir
semi-féodale, bien que l’économie féodale prédomine encore. Par
rapport à cette dernière, le capitalisme est une économie
nouvelle. En même temps que cette économie nouvelle, capitaliste,
apparaissaient et se développaient de nouvelles forces politiques :
la bourgeoisie, la petite bourgeoisie et le prolétariat.
Et la culture nouvelle est, sur le plan
idéologique, le reflet des nouvelles forces économiques et
politiques, et elle est à leur service. Sans l’économie
capitaliste, sans la bourgeoisie, la petite bourgeoisie et le
prolétariat, sans les forces politiques que représentent ces
classes, ni l’idéologie ni la culture nouvelles n’auraient pu
naître.
Les nouvelles forces politiques,
économiques et culturelles sont toutes des forces révolutionnaires
qui s’opposent à l’ancienne politique, à l’ancienne économie
et à l’ancienne culture. Celles-ci se composent de deux parties :
d’une part, la politique, l’économie et la culture
semi-féodales, proprement chinoises ; d’autre part, la
politique, l’économie et la culture impérialistes, qui sont
prépondérantes dans l’alliance de ces deux parties.
Elles sont aussi nuisibles l’une que l’autre
et doivent être détruites complètement. La lutte entre l’ancien
et le nouveau dans la société chinoise, c’est la lutte entre les
forces nouvelles, celles des masses populaires les classes
révolutionnaires, et les forces anciennes, celles de l’impérialisme
et de la classe féodale ; c’est la lutte entre la révolution
et la contrerévolution. Elle dure depuis un siècle déjà, si on la
fait remonter à la Guerre de l’Opium, et depuis près de trente
ans, si on la fait débuter à la Révolution de 1911.
Mais comme il a été dit plus haut,
une révolution elle aussi peut être ancienne ou nouvelle ;
nouvelle à une époque de l’histoire, elle devient ancienne à une
autre. Les cent ans de la révolution démocratique bourgeoise de
Chine se divisent en deux grandes périodes : les quatre-vingts
premières années et les vingt dernières.
Chacune possède une particularité historique
fondamentale : dans la première, la révolution démocratique
bourgeoise appartient à l’ancienne catégorie ; dans la
seconde, du fait de l’évolution de la situation politique
internationale et intérieure, elle appartient à la nouvelle
catégorie. Démocratie ancienne pour les quatre-vingts premières
années, démocratie nouvelle pour les vingt dernières années.
Cette distinction sur le plan politique apparaît également sur le
plan culturel.
Comment se manifeste-t-elle sur le
plan culturel ? C’est ce que nous allons expliquer.
XII. Les particularités historiques de la
Révolution Culturelle en Chine
Sur le front culturel ou sur le front
idéologique, la période qui précède le Mouvement du 4 Mai et
celle qui le suit constituent deux périodes historiques distinctes.
Avant le Mouvement du 4 Mai, la lutte sur le front culturel en Chine
opposait la nouvelle culture bourgeoise à la vieille culture
féodale. Les luttes entre le système scolaire moderne et le système
des examens impériaux, entre la nouvelle école et l’ancienne,
entre les études à l’occidentale et les études à la chinoise
étaient toutes de cette nature.
Par système scolaire moderne, nouvelle école ou
études à l’occidentale on entendait essentiellement (nous disons
essentiellement, parce qu’il s’y mêlait encore bien des
séquelles de la féodalité chinoise) les sciences de la nature et
les doctrines sociales et politiques de la bourgeoisie dont avaient
besoin ses représentants. A l’époque, l’idéologie de cette
nouvelle école joua un rôle révolutionnaire en combattant
l’idéologie féodale chinoise ; elle était au service de la
révolution démocratique bourgeoise de l’ancienne période.
Toutefois, comme la bourgeoisie chinoise était
impuissante et que le monde était déjà parvenu au stade de
l’impérialisme, cette idéologie bourgeoise fut repoussée dès
les premières rencontres par l’alliance réactionnaire des idées
serviles, inculquées par l’impérialisme étranger, et des idées
féodales de « retour aux anciens ».
Face à la contre-offensive esquissée par cette
alliance idéologique réactionnaire, la nouvelle école roula ses
drapeaux, fit taire ses tambours et sonna la retraite ; son âme
perdue, il ne resta d’elle que l’enveloppe. Dès l’époque de
l’impérialisme, l’ancienne culture démocratique bourgeoise,
corrompue, avait perdu toute vigueur ; sa défaite était
inévitable.
Mais à partir du « 4 Mai »,
les choses ont changé de cours. Une force culturelle toute nouvelle
est apparue en Chine, ce sont la culture et l’idéologie
communistes, guidées par les communistes chinois, autrement dit, la
conception communiste du monde et la théorie communiste de la
révolution sociale.
Le Mouvement du 4 Mai se produisit en 1919 ;
la fondation du Parti communiste chinois et le début réel du
mouvement ouvrier datent de 1921. Ces événements ont eu lieu après
la Première guerre mondiale et la Révolution d’Octobre,
c’est-à-dire au moment où, sur le plan mondial, la question
nationale et le mouvement révolutionnaire dans les colonies
prenaient un aspect nouveau Ici, la relation entre la révolution
chinoise et la révolution mondiale devient manifeste.
Grâce à l’apparition sur la scène politique
chinoise de nouvelles forces politiques prolétariat et Parti
communiste, la nouvelle force culturelle, en nouvel uniforme et
pourvue d’armes nouvelles, rassemblant tous les alliés possibles
et se rangeant en ordre de bataille, lançait une offensive hardie
contre les cultures impérialiste et féodale.
Cette force nouvelle a connu une grande expansion
dans le domaine des sciences sociales (philosophie, sciences
économiques, politiques, militaires, historiques) comme dans celui
de la littérature et de l’art (théâtre, cinéma, musique,
sculpture, peinture). Depuis vingt ans, partout où elle a porté ses
attaques, elle a suscité une grande révolution, aussi bien dans le
contenu idéologique que dans la forme (dans la langue écrite, par
exemple). Elle a donné une impulsion si forte, fait preuve d’une
puissance si considérable qu’elle fut irrésistible. La
mobilisation qu’elle a réalisée est d’une ampleur sans égale
dans l’histoire de la Chine.
Et Lou Sin est le porte-drapeau le plus glorieux
et le plus intrépide de cette nouvelle force culturelle. Commandant
en chef de la révolution culturelle chinoise, il est grand non
seulement comme homme de lettres, mais encore comme penseur et
révolutionnaire.
D’une rectitude inflexible, sans une ombre de
servilité ou d’obséquiosité qualité inestimable pour le peuple
d’un pays colonial ou semi-colonial Lou Sin représente sur le
front culturel l’écrasante majorité du peuple ; il est le
héros national le plus lucide, le plus courageux, le plus ferme, le
plus loyal et le plus ardent qui ait jamais livré assaut aux
positions ennemies.
La voie dans laquelle il s’est engagé est celle
de la nouvelle culture du peuple chinois.
Avant le « 4 Mai », la
nouvelle culture chinoise relevait de la culture de l’ancienne
démocratie et constituait une partie de la révolution culturelle
capitaliste de la bourgeoisie mondiale. Depuis le « 4 Mai »,
elle relève de la démocratie nouvelle et fait partie de la
révolution culturelle socialiste du prolétariat mondial.
Avant le « 4 Mai », le
mouvement de la nouvelle culture, ou révolution culturelle chinoise,
était mené par la bourgeoisie, qui jouait encore le rôle
dirigeant. Depuis le « 4 Mai », la culture et l’idéologie
de la bourgeoisie retardent encore plus que ses institutions
politiques et ne sont plus du tout en mesure de jouer ce rôle.
Tout au plus peuvent-elles, en période de
révolution et jusqu’à un certain point, faire partie d’une
alliance dont la direction revient nécessairement à la culture et
l’idéologie du prolétariat. C’est là un fait patent,
indéniable.
La culture de démocratie nouvelle, c’est la culture anti-impérialiste antiféodale des masses populaires ; c’est aujourd’hui la culture du front uni de résistance contre le Japon. Elle ne peut être dirigée que par la culture et l’idéologie du prolétariat, c’est-à-dire par l’idéologie communiste ; la culture et l’idéologie d’aucune autre classe ne peuvent assumer ce rôle. Bref, la culture de démocratie nouvelle, c’est la culture antiimpérialiste et antiféodale, appartenant aux masses populaires et dirigée par le prolétariat.
XIII. Les quatre périodes
La révolution culturelle est le
reflet, sur le plan idéologique, de la révolution politique et de
la révolution économique, et elle est à leur service. En Chine, il
y a un front uni dans la révolution culturelle comme dans la
révolution politique.
L’histoire du front uni dans la
révolution culturelle a connu, au cours des vingt dernières années,
quatre périodes. La première couvre les deux années de 1919 à
1921 ; la deuxième, les six années de 1921 à 1927 ; la
troisième, les dix années de 1927 à 1937 ; la quatrième, les
trois années de 1937 à nos jours.
La première période va du Mouvement
du 4 Mai 1919 à la fondation du Parti communiste chinois en 1921.
Cette période a été marquée essentiellement par ce Mouvement.
Le Mouvement du 4 Mai fut aussi bien
antiimpérialiste qu’antiféodal. Sa portée historique
exceptionnelle réside dans le fait que, dépassant la Révolution de
1911, il revêt le caractère d’une lutte conséquente et
intransigeante contre l’impérialisme et le féodalisme.
Ce caractère provient de ce que l’économie
capitaliste chinoise avait fait un pas en avant, et que les
intellectuels révolutionnaires chinois, ayant vu s’effondrer trois
grandes puissances impérialistes : la Russie, l’Allemagne et
l’Autriche-Hongrie, et s’affaiblir deux autres :
l’Angleterre et la France, tandis que le prolétariat russe fondait
un Etat socialiste et que le prolétariat allemand, hongrois et
italien était en révolution, en conçurent un nouvel espoir quant à
la libération de la nation chinoise.
Le Mouvement du 4 Mai est né à l’appel de la
révolution mondiale, à l’appel de la révolution russe, à
l’appel de Lénine. Il fait partie de la révolution mondiale
prolétarienne de l’époque. Bien que le Parti communiste chinois
n’existât pas encore lors du « 4 Mai », un grand
nombre d’intellectuels approuvaient déjà la révolution russe et
commençaient à avoir des idées communistes. Le Mouvement du 4 Mai
était, à l’origine, un mouvement révolutionnaire d’un front
uni formé de trois éléments : intellectuels aux idées
communistes, intellectuels révolutionnaires de la petite bourgeoisie
et intellectuels de la bourgeoisie (ces derniers en formaient l’aile
droite).
Son
point faible, c’est qu’il se limitait aux intellectuels, les
ouvriers et les paysans n’y participant pas. Mais lorsqu’il
engendra le Mouvement du 3 Juin, auquel prirent part non plus
seulement les intellectuels mais les larges masses du prolétariat,
de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie, il devint un mouvement
révolutionnaire d’envergure nationale. La révolution culturelle
qu’il avait entreprise était un mouvement d’opposition
intransigeante à la culture féodale. Il n’y avait jamais eu dans
l’histoire chinoise de révolution culturelle aussi vaste et aussi
radicale.
Son grand mérite est d’avoir arboré, à ce
moment-là, à la fois le drapeau de la lutte contre l’ancienne
morale, pour la nouvelle, et celui de la lutte pour la nouvelle
littérature, contre l’ancienne. Toutefois, ce mouvement culturel
n’avait pas encore la possibilité de s’étendre aux masses
ouvrières et paysannes.
Il a certes lancé le mot d’ordre d’ »une
littérature pour les gens du peuple », mais ce qu’on
entendait alors par « gens du peuple » devait en fait se
limiter aux intellectuels de la petite bourgeoisie et de la
bourgeoisie des villes, c’est-à-dire à l’intelligentsia
urbaine. Le Mouvement du 4 Mai a préparé, sur le plan des idées et
dans le domaine des cadres, la fondation du Parti communiste chinois
en 1921, ainsi que le Mouvement du 30 Mai 1925 et l’Expédition du
Nord. Les intellectuels bourgeois formaient l’aile droite du
Mouvement du 4 Mai ; dans la deuxième période, la plupart
d’entre eux entrèrent en compromis avec l’ennemi et passèrent à
la réaction.
Dans la deuxième période, marquée
par la fondation du Parti communiste chinois, par le Mouvement du 30
Mai et l’Expédition du Nord, le front uni des trois classes
constitué pendant le Mouvement du 4 Mai s’est maintenu, il s’est
même développé ; la paysannerie y a été entraînée, et
toutes ces classes formèrent sur le plan politique un front uni :
première coopération entre le Kuomintang et le Parti communiste.
Le Dr Sun Yat-sen est un grand homme non seulement
parce qu’il dirigea la grande Révolution de 1911 (qui était
toutefois une révolution démocratique de l’ancienne période),
mais aussi parce que, sachant « suivre les courants mondiaux et
répondre aux besoins des masses », il formula les trois thèses
politiques révolutionnaires fondamentales : alliance avec la
Russie, alliance avec le Parti communiste et soutien aux paysans et
aux ouvriers, et donna une nouvelle interprétation des trois
principes du peuple, établissant ainsi les nouveaux trois
principes du peuple qui comportent ces trois thèses politiques
fondamentales.
Jusque-là, les trois principes du peuple
présentaient peu d’intérêt pour les milieux enseignants,
universitaires et pour la jeunesse, parce qu’ils ne proposaient de
mots d’ordre ni contre l’impérialisme, ni contre le régime
féodal ni contre la culture et l’idéologie féodales. C’étaient
les anciens trois principes du peuple, que l’on considérait
comme le drapeau provisoire d’un groupe de gens qui s’en
servaient pour accaparer le pouvoir, c’est-à-dire pour accéder à
des fonctions officielles, comme un drapeau pour de pures manœuvres
politiques.
Mais, par la suite, apparurent les nouveaux trois
principes du peuple, avec leurs trois thèses politiques
fondamentales, qui, grâce à la coopération entre le Kuomintang et
le Parti communiste et aux efforts des membres révolutionnaires des
deux partis, furent propagés dans toute la Chine et se répandirent
dans une partie des milieux enseignants et universitaires et dans la
masse des étudiants.
Ce résultat est dû entièrement au fait que les
anciens trois principes du peuple étaient devenus les trois
principes du peuple de démocratie nouvelle, anti-impérialistes
et antiféodaux, comportant les trois thèses politiques
fondamentales ; sans ce développement, la propagation des idées
qu’ils contiennent aurait été impossible.
Pendant cette période, les trois
principes du peuple révolutionnaires devinrent la base politique
du front uni du Kuomintang, du Parti communiste et de toutes les
classes révolutionnaires ; comme « le communisme est un
grand ami des trois principes du peuple », les deux doctrines
se constituèrent en front uni formé, du point de vue des classes
sociales, par le prolétariat, la paysannerie, la petite bourgeoisie
urbaine et la bourgeoisie.
Appuyant leur action sur l’hebdomadaire
communiste Hsiangtaotcheoupao, sur le quotidien kuomintanien
de Changhaï Minkouojepao et sur les journaux de diverses
régions, les deux partis menèrent en commun la propagande
anti-impérialiste ; en commun, ils se dressèrent contre
l’enseignement féodal basé sur le culte de Confucius et l’étude
du canon confucéen, contre la littérature et la langue littéraire
écrite de l’ancien style féodal, pour préconiser la nouvelle
littérature et la nouvelle langue écrite au contenu
anti-impérialiste et antiféodal. Au cours des campagnes dans le
Kouangtong et de l’Expédition du Nord, ces idées
anti-impérialistes et antiféodales furent introduites dans les
armées chinoises et devinrent l’instrument de leur réforme.
Parmi des millions et des millions de paysans
furent lancés les mots d’ordre : « A bas les
fonctionnaires corrompus ! » et « A bas les despotes
locaux et les mauvais hobereaux !’ ce qui déchaîna de
grandes luttes révolutionnaires paysannes.
Grâce à tout cela, et aussi grâce à l’aide
de l’Union soviétique, la victoire fut remportée dans
l’Expédition du Nord. Mais aussitôt que la grande bourgeoisie eut
accédé au pouvoir, elle liquida cette révolution, et la situation
politique entra dans une phase nouvelle.
La troisième période fut la
nouvelle période révolutionnaire allant de 1927 à 1937. Vers la
fin de la période précédente, des changements s’étaient
produits dans le camp révolutionnaire : la grande bourgeoisie
chinoise était passée dans le camp contre-révolutionnaire des
impérialistes et des forces féodales, et la bourgeoisie nationale
l’avait suivie ; ainsi, des quatre classes du camp
révolutionnaire, il n’en restait que trois : le prolétariat,
la paysannerie et les autres fractions de la petite bourgeoisie (y
compris les intellectuels révolutionnaires).
C’est pourquoi la révolution chinoise entra
inévitablement dans une phase nouvelle, au cours de laquelle le
Parti communiste chinois fut seul à diriger les masses dans la lutte
révolutionnaire. Cette période fut à la fois celle des campagnes
« d’encerclement et d’anéantissement » menées par
la contrerévolution et celle de la pénétration en profondeur de la
révolution. Les campagnes « d’encerclement et
d’anéantissement » revêtirent alors deux formes, l’une
militaire et l’autre culturelle, la pénétration en profondeur de
la révolution prenant deux formes également, l’une agraire et
l’autre culturelle.
A l’instigation des impérialistes, les forces
contre-révolutionnaires de toute la Chine et du monde entier furent
mobilisées pour cette double campagne « d’encerclement et
d’anéantissement », qui ne dura pas moins de dix ans et fut
d’une atrocité inouïe ; plusieurs centaines de milliers de
communistes et d’étudiants furent massacrés et des millions
d’ouvriers et de paysans furent l’objet d’une sauvage
répression.
Ceux qui étaient responsables de ces campagnes
croyaient pouvoir « liquider une fois pour toutes » le
communisme et le Parti communiste. Pourtant, c’est le contraire qui
se produisit : les deux campagnes se soldèrent par un échec
lamentable. La campagne militaire aboutit à la marche de l’Armée
rouge vers le nord pour résister au Japon, et la campagne
culturelle, au déclenchement du mouvement révolutionnaire de la
jeunesse du 9 décembre 1935.
Et le résultat commun des deux campagnes fut
l’éveil de toute la nation. Ce furent trois résultats positifs.
Mais voici le plus curieux : Alors que le Parti communiste se
trouvait absolument sans défense dans toutes les institutions
culturelles des régions contrôlées par le Kuomintang, comment se
fait-il que la campagne culturelle du Kuomintang ait connu là aussi
un échec complet ? Cela ne donne-t-il pas matière à de
profondes réflexions ? C’est du reste au cours de cette
campagne que Lou Sin, acquis au communisme, est devenu la grande
figure de la révolution culturelle chinoise.
Le résultat négatif de ces
campagnes « d’encerclement et d’anéantissement »
menées par la contrerévolution, ce fut l’invasion de notre pays
par l’impérialisme japonais. Là est la raison principale de la
haine, aujourd’hui encore si vivace, que notre peuple tout entier
porte à ces dix années de campagne anticommuniste.
Au cours des luttes engagées durant
cette période, les révolutionnaires s’en tinrent fermement à la
démocratie nouvelle et aux nouveaux trois principes du peuple
anti-impérialistes et antiféodaux des masses populaires, alors que
la contrerévolution pratiquait un despotisme fondé sur l’alliance
des propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie, alliance
placée sous les ordres de l’impérialisme.
Ce despotisme a causé l’échec politique et
culturel des trois thèses fondamentales de Sun Yat-sen et de ses
nouveaux trois principes du peuple, plongeant ainsi la nation
chinoise dans de profonds malheurs.
La quatrième période, c’est la
période actuelle de la Guerre de Résistance contre le Japon. Dans
le cours sinueux de la révolution chinoise réapparaît, mais en
plus vaste, le front uni des quatre classes. Il comprend en effet,
dans la couche supérieure de la société, de nombreux représentants
des milieux gouvernants, dans la couche moyenne, la bourgeoisie
nationale et la petite bourgeoisie, et, dans la couche inférieure,
tous les prolétaires.
Ainsi, les différentes couches sociales de la
nation se sont coalisées dans une lutte résolue contre
l’impérialisme japonais. La première phase de cette période
précède la chute de Wouhan. Un grand élan animait alors la vie du
pays dans tous les domaines : on remarquait, sur le plan
politique, une tendance à la démocratisation et, sur le plan
culturel, une assez large mobilisation des masses.
La chute de Wouhan a inauguré la deuxième phase,
marquée par de nombreux changements dans la situation politique :
une fraction de la grande bourgeoisie s’est rendue à l’ennemi,
tandis que l’autre fraction cherche à liquider au plus tôt la
Guerre de Résistance. Ce phénomène se traduit sur le plan culturel
par les agissements réactionnaires de YéTsing, Tchang Kiun-mai et
autres, ainsi que par l’absence de liberté de parole et de presse.
Pour surmonter cette crise, il faut
combattre résolument toutes les idées opposées à la Résistance,
à l’union et au progrès. Pas d’espoir de gagner la guerre si
l’on ne détruit pas ces idées réactionnaires. Quel est l’avenir
de cette lutte ? C’est la grande question qui préoccupe le
peuple dans tout le pays. A en juger par la situation intérieure et
internationale, le peuple chinois vaincra, si nombreuses que soient
les difficultés qu’il rencontrera sur le chemin de la Résistance.
Dans les vingt années qui ont suivi le Mouvement
du 4 Mai, le progrès est plus grand que dans les quatre-vingts
années précédentes, plus grand même que ce qui a été accompli
durant les millénaires de toute l’histoire de la Chine. N’est-il
pas facile d’imaginer jusqu’où ira la Chine en vingt nouvelles
années de progrès ?
Le déchaînement furieux des forces ténébreuses
de l’intérieur et de l’extérieur a certes plongé la nation
dans le malheur, mais ce déchaînement, s’il montre la puissance
qui reste encore aux forces ténébreuses, indique aussi que ce sont
leurs dernières convulsions et que les masses populaires approchent
peu à peu de la victoire. Cela est vrai pour la Chine comme pour
tout l’Orient et pour le monde entier.
XIV. Les déviations dans la question du
caractère de la culture
Le nouveau se forge toujours dans des
luttes âpres et difficiles. Il en est ainsi de la culture nouvelle
qui, depuis vingt ans, suit une voie sinueuse, marquée de trois
tournants, marquée d’épreuves où se sont révélés le bon comme
le mauvais.
Les éléments irréductibles de la
bourgeoisie se trompent entièrement sur la question culturelle comme
sur la question du pouvoir politique. Ils ignorent les particularités
historiques de la nouvelle période en Chine et ne reconnaissent pas
la culture de démocratie nouvelle des masses populaires. Leur point
de départ, c’est le despotisme de la bourgeoisie, qui se traduit
sur le plan culturel par le despotisme de la culture bourgeoise.
Une
partie des représentants de la culture dits de l’école européenne
et américaine (je dis bien une partie seulement), qui en fait ont
jadis soutenu la politique d’ »extermination des
communistes » pratiquée sur le plan culturel par le
gouvernement du Kuomintang, soutiennent maintenant, semble-t-il, sa
politique de « limitation » et de « désintégration »
du Parti communiste. Ils ne veulent pas qu’en matière politique ou
culturelle les ouvriers et les paysans lèvent la tête.
Mais le despotisme culturel des irréductibles
bourgeois est dans une impasse ; comme le despotisme politique,
il ne trouve ni les conditions intérieures ni les conditions
extérieures qu’il lui faut. C’est pourquoi il vaudrait mieux le
« remiser ».
En ce qui concerne l’orientation de
la culture nationale, l’idéologie communiste joue le rôle
dirigeant, et nous devons nous employer tant à propager le
socialisme et le communisme parmi la classe ouvrière qu’à éduquer
les paysans et les autres fractions de la masse, de manière
appropriée et systématique, dans l’esprit du socialisme. Mais la
culture nationale, considérée dans son ensemble, n’est pas encore
socialiste.
Comme la politique, l’économie et
la culture de démocratie nouvelle sont placées sous la direction du
prolétariat, elles contiennent toutes un facteur socialiste, qui
n’est pas un facteur ordinaire, mais un facteur décisif.
Cependant, considérées dans leur ensemble, ni les conditions
politiques ni les conditions économiques et culturelles ne sont
encore celles du socialisme, mais celles de la démocratie nouvelle.
La raison en est que la révolution, dont la tâche
principale, à l’étape actuelle, est de combattre l’impérialisme
étranger et les forces intérieures féodales, est une révolution
démocratique bourgeoise et non une révolution socialiste visant à
renverser le capitalisme. Dans le domaine de la culture nationale,
c’est une erreur de prétendre qu’à présent elle est ou devrait
déjà être entièrement socialiste. C’est confondre la
propagation de l’idéologie communiste avec la réalisation d’un
programme d’action immédiat.
C’est confondre la position et les méthodes
communistes adoptées dans l’examen des problèmes, dans l’étude
des différentes disciplines, dans le travail et la formation des
cadres avec la ligne à suivre pour l’éducation et la culture
nationales à l’étape de la révolution démocratique en Chine.
Une culture nationale de contenu socialiste est nécessairement le
reflet d’une politique et d’une économie socialistes.
Comme il y a un facteur socialiste dans notre
politique et notre économie, notre culture nationale, qui en est le
reflet, contient également un facteur socialiste ; mais, à
considérer notre société dans son ensemble, nous n’y avons pas
encore établi aujourd’hui une politique et une économie
entièrement socialistes, et nous ne pouvons donc avoir une culture
nationale entièrement socialiste.
Comme la révolution chinoise actuelle est une
partie de la révolution socialiste prolétarienne mondiale, la
culture nouvelle de la Chine d’aujourd’hui participe de la
nouvelle culture socialiste prolétarienne mondiale dont elle est une
grande alliée ; certes, à ce titre, elle contient l’important
facteur de la culture socialiste, mais si nous considérons
l’ensemble de notre culture nationale, ce n’est pas entièrement
en qualité de culture socialiste qu’elle fait partie de cette
culture socialiste prolétarienne mondiale, mais en qualité de
culture de démocratie nouvelle, de culture anti-impérialiste et
antiféodale des masses populaires.
Puisque la révolution chinoise actuelle ne peut
se passer du rôle dirigeant du prolétariat, la nouvelle culture,
elle non plus, ne peut se passer du rôle dirigeant dévolu à la
culture et à l’idéologie du prolétariat, c’est-à-dire à
l’idéologie communiste. Mais comme ce rôle consiste, à l’étape
présente, à guider les masses populaires dans leurs efforts pour
mener une révolution politique et culturelle antiimpérialiste et
antiféodale, le contenu de la nouvelle culture nationale, considérée
dans son ensemble, appartient encore à la démocratie nouvelle et
non au socialisme.
Il est hors de doute que le moment
est venu pour nous de propager plus largement encore l’idéologie
communiste et de redoubler d’efforts dans l’étude du
marxisme-léninisme ; sinon, nous ne pourrons conduire la
révolution chinoise à l’étape ultérieure, celle du socialisme,
ni mener l’actuelle révolution démocratique à la victoire.
Cependant, nous devons distinguer non seulement la
diffusion de l’idéologie communiste et la propagande en faveur du
système social communiste d’avec la réalisation du programme
d’action de la démocratie nouvelle, mais aussi l’application de
la théorie et des méthodes communistes à l’examen des problèmes,
à l’étude des différentes disciplines, au travail et à la
formation des cadres d’avec la ligne de la démocratie nouvelle
fixée pour l’ensemble de la culture nationale. Ce serait
indubitablement une erreur de confondre les unes avec les autres.
Il apparaît donc que le contenu de
la nouvelle culture nationale de la Chine, dans la phase actuelle,
n’est ni le despotisme de la culture bourgeoise ni le pur
socialisme prolétarien, mais la démocratie nouvelle,
antiimpérialiste et antiféodale, des masses populaires, le rôle
dirigeant étant assumé par la culture et l’idéologie socialistes
du prolétariat.
XV. Une culture nationale et scientifique
des masses populaires
La culture de démocratie nouvelle
est nationale. Elle lutte contre l’oppression impérialiste et
exalte la dignité et l’indépendance de la nation chinoise. Elle
est propre à notre nation dont elle porte les caractéristiques.
Elle s’allie avec la culture socialiste ou la
culture de démocratie nouvelle de toutes les autres nations et
établit avec ces cultures des relations qui permettent un
enrichissement et un développement mutuels, afin de constituer une
nouvelle culture mondiale. Mais, étant nationale et révolutionnaire,
notre culture ne peut absolument pas s’allier avec la culture
impérialiste réactionnaire d’aucune nation.
La Chine doit largement assimiler la culture
progressiste des pays étrangers et en nourrir la sienne, travail qui
a été jusqu’ici très insuffisant. Nous devons assimiler tout ce
qui peut aujourd’hui nous être utile et puiser non seulement dans
la culture socialiste ou de démocratie nouvelle de notre époque,
mais encore dans l’ancienne culture des pays étrangers, par
exemple, dans la culture qu’ont connue divers pays capitalistes au
siècle des lumières.
Cependant, toutes les choses qui viennent de
l’étranger doivent être traitées comme des aliments ;
ceux-ci sont mastiqués dans la bouche, puis élaborés dans
l’estomac et l’intestin ; sous l’action de la salive et
des sucs gastro-intestinaux, ils sont dissociés en deux parties, le
chyle qui est assimilé et les déchets qui sont éliminés ainsi
seulement nous en tirerons profit ; nous ne devons rien
assimiler sans discernement, en avalant tout d’un seul trait.
C’est
un point de vue erroné que de préconiser une « occidentalisation
intégrale ». L’assimilation purement formelle des choses de
l’étranger a jadis causé de grands torts à notre pays. De même,
en appliquant le marxisme en Chine, les communistes doivent unir
pleinement et de façon appropriée la vérité universelle du
marxisme et la pratique concrète de la révolution chinoise ;
en d’autres termes, le marxisme ne sera utile que s’il se combine
aux caractéristiques de la nation et prend une forme nationale
déterminée ; on ne peut nullement l’appliquer d’une
manière subjective et formaliste.
Les marxistes formalistes ne font que se moquer du
marxisme et de la révolution chinoise ; il n’y a pas place
pour eux dans les rangs de notre révolution. La culture chinoise
doit avoir sa forme propre, c’est-à-dire une forme nationale.
Nationale par sa forme, de démocratie nouvelle par son contenu,
telle est notre culture nouvelle d’aujourd’hui.
La culture de démocratie nouvelle
est scientifique. Elle s’oppose à toute idée féodale et
superstitieuse ; elle préconise la recherche de la vérité à
partir des faits, la vérité objective, l’unité de la théorie et
de la pratique. Sur ce point, le prolétariat chinois, avec sa pensée
scientifique, peut constituer avec les matérialistes et les hommes
de science de la bourgeoisie chinoise encore progressistes un front
uni contre l’impérialisme, le féodalisme et la superstition ;
mais il faudra se garder de jamais former un front uni avec un
idéalisme réactionnaire quel qu’il soit.
Les communistes peuvent établir, avec certains
idéalistes, voire avec des croyants, un front uni anti-impérialiste
et antiféodal sur le plan de l’action politique, mais ils ne
devront jamais partager les conceptions idéalistes ou religieuses de
ces derniers. Durant les longs siècles de la société féodale
chinoise, il s’est créé une brillante culture.
Elucider le processus de développement de cette
culture antique, la débarrasser des scories de nature féodale et en
assimiler l’essence démocratique est une condition nécessaire
pour développer la nouvelle culture nationale et renforcer la
confiance en l’avenir de la nation. Mais il ne faut jamais rien
retenir et emmagasiner sans esprit critique. Il faut distinguer tout
ce qui est pourri et qui appartient à la classe dominante féodale
de l’excellente culture populaire du passé qui, elle, possède un
caractère plus ou moins démocratique et révolutionnaire.
Le nouveau système politique et économique de la
Chine provient du développement de l’ancien système politique et
économique ; de même, la nouvelle culture de la Chine provient
du développement de l’ancienne ; aussi devons-nous respecter
notre histoire, et non rompre avec elle. Mais ce respect consiste à
conférer à l’histoire une place déterminée en tant que science,
à prendre en considération son développement dialectique, et non à
glorifier le passé pour condamner le présent, ni à louer les
éléments féodaux pernicieux.
Quant aux masses populaires et aux étudiants,
l’essentiel est de les orienter afin qu’ils ne regardent pas en
arrière, mais en avant.
La culture de démocratie nouvelle
appartient aux masses populaires, et partant elle est démocratique.
Elle doit être au service des masses laborieuses, ouvrières et
paysannes, qui constituent plus de 90 pour cent de la population de
la Chine, et devenir progressivement leur propre culture.
Entre
les connaissances à donner aux cadres révolutionnaires et celles
destinées aux masses révolutionnaires, il faut faire une différence
de degré tout en assurant leur unité ; de même il faut faire
une distinction entre l’élévation du niveau des connaissances et
leur popularisation, tout en les liant l’une à l’autre. La
culture révolutionnaire est pour les masses populaires une arme
puissante de la révolution. Avant la révolution, elle la prépare
idéologiquement ; puis, dans le front général de la
révolution, elle constitue un secteur important, indispensable. Et
les travailleurs culturels révolutionnaires sont les commandants aux
différents échelons de ce front culturel. « Sans théorie
révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire » ; on voit
par là combien le mouvement culturel révolutionnaire est important
dans la pratique du mouvement révolutionnaire. L’un comme l’autre
relèvent des masses.
Aussi les travailleurs culturels progressistes
doivent-ils, dans la Guerre de Résistance, avoir leurs propres
bataillons culturels, qui sont les masses populaires. Un travailleur
culture] révolutionnaire qui s’écarte des masses est « un
général sans armée » ; il ne dispose plus de la
puissance de feu qui pourrait abattre l’ennemi. Pour atteindre ce
but, il faut réformer la langue écrite dans des conditions
déterminées et rapprocher notre langage de celui du peuple, car le
peuple est une source intarissable de richesses pour la culture
révolutionnaire.
La culture nationale et scientifique
des masses populaires, c’est la culture anti-impérialiste et
antiféodale du peuple, la culture de démocratie nouvelle, la
nouvelle culture de la nation chinoise.
Par leur union, la politique,
l’économie et la culture de démocratie nouvelle donneront une
république de démocratie nouvelle, une République chinoise digne
de ce nom, la Chine nouvelle que nous voulons créer.
La voici déjà à portée de notre
vue ; acclamons-la !
Déjà le mât du navire pointe à
l’horizon ; applaudissons-la Chine nouvelle et souhaitons-lui
la bienvenue !
Saluons-la des deux bras : La Chine nouvelle est à nous !
=>Oeuvres de Mao Zedong