La reconnaissance de la plénitude du droit en URSS socialiste

Le droit se voyait reconnaître sa pleine valeur comme norme sociale, avec une importance fondamentale accordée au tribunal. Andreï Vychinski, dans La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, expose cela en 1941 en soulignant les points importants de cette approche, notamment le fait que la valeur du tribunal n’est pas dans son équivalence avec la loi, mais dans son affirmation de la loi conformément aux différentes situations rencontrées.

C’est là un point essentiel. Si on rate cela, on accorde au droit une histoire propre, une autonomie dans le cadre de la réalité, alors que le droit condense les rapports dans les luttes de classe.

« Ce devoir du tribunal est extrêmement complexe et responsable, puisqu’une décision ou un verdict de tribunal qui est entré en vigueur acquiert un caractère généralement contraignant, devient une obligation dont le citoyen doit s’acquitter sans scrupule.

En ce sens, il y a la formule romaine correcte, reconnaissant la vérité du jugement (Res judicata pro veritate habetur, La chose jugée est tenue pour vérité).

Le principe de la décision judiciaire ayant force obligatoire, son inviolabilité et son exécution inconditionnelle est l’un des principes les plus importants de l’administration publique.

L’autorité du pouvoir judiciaire repose en grande partie sur ce principe, qui ne permet pas de faire abstraction d’une décision de justice entrée en vigueur (…).

Une telle exigence catégorique de la loi sur l’exécution inconditionnelle des peines et des décisions judiciaires est pour ainsi dire une condition sine qua non de l’activité judiciaire – une telle condition sans laquelle cette activité elle-même ne serait pas possible.

C’est précisément en vertu de ce principe que le droit procédural doit fournir des conditions appropriées à l’activité du tribunal, en lui donnant la possibilité de résoudre de manière objective les actions en justice, la possibilité de prendre des décisions (…).

Une sentence ou un résultat est prononcé par un tribunal de la part de l’État. En donnant aux décisions judiciaires la force des actes de l’État, l’État, pour ainsi dire, assume toute la responsabilité de leur maintien et de toutes les décisions qui en découlent.

Le pouvoir de l’État, avec tout le pouvoir de son autorité, donne au tribunal le verdict ou la décision de son exécution, autorisant l’application inconditionnelle des mesures de répression nécessaires à quiconque tente de désobéir au verdict ou à la décision du tribunal entré en vigueur (…).

Quelle que soit notre conception de l’activité judiciaire du point de vue de son rapprochement avec les fonctions législatives, il n’y a aucun doute : l’activité judiciaire est l’une des fonctions les plus puissantes de l’administration de l’État, l’un des moyens puissants de sa politique.

L’importance de cette activité est telle que parfois même l’une des sources du droit existant est perçue dans l’activité judiciaire, ce qui est totalement faux en ce qui concerne le droit soviétique (…).

L’activité judiciaire n’est pas une source de droit; au contraire, la loi est une source d’activité judiciaire. La qualité de l’activité judiciaire est déterminée par sa conformité aux principes et aux exigences de la loi (…).

La crédibilité de la décision de justice signifie également la confiance dans une analyse exhaustive de toutes les circonstances de l’affaire, qui est résolue en tenant compte de toutes les circonstances qui n’ont pu qu’être établies et précisées.

Appliqué aux affaires pénales, cela signifie une analyse de toutes les circonstances de l’affaire, dans laquelle les actions et les faits qui constituent le crime sont pleinement divulgués, les conditions et les faits qui ont contribué à sa mise en œuvre sont clarifiés, les principaux motifs du crime sont établis de manière exhaustive.

Cette partie de la question a toujours attiré l’attention particulière de la bourgeoisie, qui est très préoccupée par le fait que les peines et les décisions de ses tribunaux soient aussi convaincantes et autoritaires que possible, inspirent le respect qui convient, suscitent une « sainte crainte » dans l’esprit et dans le cœur des gens (…).

Il est absolument incontestable qu’à partir du moment où les décisions et les décisions des tribunaux perdent leur crédibilité aux yeux du grand public, les tribunaux perdent toute leur autorité. »

Le tribunal représente la loi et dans les États bourgeois il est fait en sorte de masquer le caractère de classe des tribunaux, ainsi que des lois elles-mêmes. Les tribunaux ont pour ce faire également des marges de manœuvre et interagissent avec les lois.

Tel n’est pas le cas dans le droit socialiste. Les tribunaux soviétiques ne faisaient que retranscrire la loi dans les faits, en analysant les faits et exposant de manière partisane la tendance correcte, par opposition à celle erronée.

Cela implique une pleine reconnaissance de la valeur du droit – à l’opposé des courants de pensée anarchiste ou ultra-gauchiste, pour qui le droit disparaît dès la fin du droit bourgeois.

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L’appareil de sécurité d’État de l’URSS socialiste et l’affirmation du droit soviétique

Il va de soi que la conception juridique prévalant en URSS socialiste n’a rien à voir avec celle d’un État bourgeois. Dans ce dernier, le capitalisme est déjà instauré et il suffit de protéger sa base, la propriété privée des moyens de production. S’il faut une rupture terroriste, cela passe par le fascisme modifiant l’appareil d’État, dans le sens de la militarisation.

L’État socialiste construit par contre, quant à lui, le socialisme, en allant au communisme. Il connaît donc des étapes et il y a des interférences selon les séquences. Le droit a ainsi une portée politique dans le cadre de chacune de ces séquences, au sens où la dimension objective l’emporte de manière franche sur la dimension subjective.

Ainsi, Evgueni Pachoukanis fut le principal théoricien soviétique du droit dans les années 1920 et au début des années 1930. Cependant, sa position fut unilatéralement que l’État devait disparaître et, qu’au sens strict, il ne pouvait pas exister de droit socialiste. Il fut pour cette raison exécuté comme contre-révolutionnaire, puisque relevant de la démarche favorable à la capitulation.

Cette analyse objective des séquences par l’État socialiste que fut l’URSS de Staline à la suite de Lénine fut évidemment dénoncée par les contre-révolutionnaires et la bourgeoisie internationale comme un déni du droit, et cela d’autant plus que les uns et les autres ne comprenaient rien au droit socialiste, ne pouvant même le concevoir.

Voici comment l’une des grandes figures du camp contre-révolutionnaire, Alexandre Soljénitsyne, décrit cette question juridique dans son ouvrage fantasmatique, L’archipel du Goulag, publié au début des années 1970 :

« Il s’avère qu’en cette année de sinistre mémoire [1937], Andreï Ianouarévitch (…) Vychinski fit un exposé devenu célèbre dans les cercles spécialisés : dans l’esprit de la dialectique la plus souple (que nous ne permettons ni aux sujets de l’État, ni maintenant aux machines électroniques, car pour celles-ci un oui est un oui, un non est un non), il rappela qu’en ce qui concernait les hommes, il n’était jamais possible d’établir de vérité absolue, mais seulement relative.

À partir de là, il fit un pas que, depuis deux mille ans, les juristes n’avaient jamais osé franchir : il déclara qu’en conséquence, la vérité établie par l’instruction et le tribunal ne pouvait être absolue, elle non plus, mais seulement relative.

C’est pourquoi, en signant une condamnation à mort, jamais nous ne pouvons de toute façon être absolument sûrs de punir un coupable, mais seulement dans les limites d’une certaine approximation, en émettant certaines suppositions, en un certain sens.

Concrètement, il s’ensuit que c’est une pure et simple perte de temps que la recherche de pièces à conviction absolues (elles sont toutes relatives) et de témoins irréfutables (ils peuvent se contredire).

Quant à trouver des preuves relatives, approximatives de la culpabilité, cela, le commissaire instructeur peut fort bien y arriver sans pièces à conviction et sans témoins, sans sortir de son bureau, « en s’appuyant non seulement sur sa propre intelligence, mais aussi sur son flair de membre du parti, sur ses forces morales » (c’est-à-dire sur la supériorité de celui qui a bien dormi, bien mangé et qui n’a pas reçu de coups) « et sur son caractère » (c’est-à-dire sa volonté d’exercer sa cruauté) ! (…)

C’est ainsi que de déduction en déduction, suivant un développement en spirale, notre science juridique d’avant-garde en est revenue à des conceptions pré-antiques et médiévales.

À l’instar des exécuteurs des hautes œuvres du Moyen-Âge, nos commissaires instructeurs, nos procureurs et nos juges s’accordent à voir la preuve principale de la culpabilité dans l’aveu qu’en fait l’inculpé. »

L’accusation d’Alexandre Soljénitsyne est tout à fait classique et représente le reflet de l’incompréhension complète de la méthode matérialiste dialectique, exigeant une analyse objective impliquant une subjectivité révolutionnaire pour avoir une position correcte.

Contrairement à la lecture bourgeoise, l’URSS socialiste avait en réalité révolutionné le droit et formulé un droit socialiste.

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La structure de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS socialiste

De par sa substance, l’appareil de sécurité d’État de l’URSS présente une nature largement clandestine quant à l’organisation de ses structures, voire de ses structures elles-mêmes. Seul le Parti, au plus haut niveau, avait un aperçu détaillé de sa structure.

La raison de cela est que l’appareil de sécurité est la conséquence logique des articles 130-133. Il n’agit pas depuis l’extérieur, mais légalement de la structure soviétique elle-même. Le processus est réellement ancré à partir des années 1930.

On ne connaît pratiquement rien de l’organisation initiale, celle de la Tchéka, mais on sait qu’elle s’appuyait sur différentes branches, chargées chacune d’une activité bien déterminée :

– la section opérationnelle ;

– la section économique (visant le sabotage dans l’industrie et l’agriculture, la corruption, la contrebande, etc.) ;

– la section des transports (visant leur protection, ainsi que le transport des dirigeants) ;

– le contre-espionnage au sein de l’armée rouge ;

– la répression de la contre-révolution organisée clandestinement dans le pays.

A cela s’ajoute une sous-section étrangère, s’occupant particulièrement des émigrés blancs.

Il y eut concernant ce dernier point deux exemples marquants plus tard, avec l’enlèvement, à chaque fois à Paris, des dirigeants de « l’Union générale des combattants russes » fondée par le baron Wrangel : le général Alexandre Koutepov en 1930, Ievgueni Miller en 1937.

L’OGPU fut une systématisation des activités de la Tchéka et c’est avec le NKVD qu’on passe à un système bien établi.

Son noyau dur, la GUGB NKVD – l’Administration centrale de la sécurité d’État du commissariat du peuple aux Affaires intérieures, était structurée de la manière suivante en 1937 :

1re division : protection des dirigeants

2e division : contre-espionnage

3e division : économie

4e division : politique

5e division : armée

6e division : transports

7e division : à l’étranger

8e division : prisons et lieux de détention

1re division spéciale : registre des éléments antisoviétiques et des agents du NKVD

2e division spéciale : centre des techniques d’opération

Comme on le voit, les affaires intérieures sont considérées dans leur intégralité, à partir du principe de norme socialiste à laquelle il faut correspondre. Vouloir s’écarter de cette norme implique une condamnation, plus exactement une exclusion de la société.

Il existe de ce fait désormais des branches parfaitement structurées, telles que :

– la GURKM : direction générale des milices ouvrières-paysannes (c’est-à-dire la police) ;

– la GUPV : direction générale des troupes aux frontières ;

– la GTU : direction générale des prisons ;

– la Gulag : direction générale des camps de travaux forcés.

On a également une modification juridique, puisque la Tchéka et l’OGPU appliquaient une justice d’exception, propre à la situation de guerre civile de formation du régime, tandis que le NKVD doit désormais systématiquement transmettre les dossiers des enquêtes aux institutions judiciaires soviétiques.

Agents du NKVD

Cela connut une remise en cause relative au milieu des années 1930, avec le principe de la troïka, c’est-à-dire un groupe de trois responsables menant un procès rapide dans des conditions exceptionnelles : le dirigeant régional du NKVD, le secrétaire du comité régional du Parti, le procureur de la région.

On retrouve ici la division tripartite de l’URSS (l’appareil de sécurité / le Parti / l’État).

Cela ne signifie nullement une autonomie des éléments de cette division, on parle en effet seulement de l’autonomie relative des appareils : la figure dirigeante du NKVD appartenait nécessairement au Comité Central, voire au Bureau Politique, et les hauts responsables du NKVD étaient également membres du Parti.

Il y avait également quatre députés du commissaire du peuple, agissant comme secrétaires du commissaire du peuple lui-même.

Le premier député était d’ordinaire le dirigeant du GUGB NKVD – Administration centrale de la sécurité d’État.

Le second député s’occupait notamment de la protection des dirigeants, de la section du personnel, de la section de la communication, des bureaux et des cadres administratifs.

Le troisième député s’occupait des milices (c’est-à-dire la police) et de la police criminelle, de l’administration des camps (Gulag), des routes principales et des transports, ainsi que de l’enregistrement administratif des citoyens.

Le quatrième député s’occupait des garde-frontières et de l’administration du franchissement des frontières, des troupes propres au NKVD, de la coordination de ces opérations avec les responsables militaires et ceux de l’économie.

Le NKVD présentait deux particularités dans son organisation. Déjà, la Russie n’avait pas de NKVD propre, contrairement aux autres républiques : c’était la structure centrale qui s’en occupait directement. Ensuite, dans le même ordre d’idées, le NKVD s’organisait très différemment selon la taille et l’importance économique, politique, militaire, etc. de telle ou telle zone.

Il existait également un conseil spécial, avec le commissaire du peuple des affaires intérieures dirigeant le NKVD de l’URSS, le secrétaire du comité du Parti au sein du NKVD agissant au nom du Comité Central du PCUS(b), ainsi que le procureur général de l’URSS. C’est l’organe judiciaire le plus haut du NKVD, qui se réunit de fait uniquement pour les affaires les plus essentielles.

Il existe également un noyau dur d’agents représentatifs du NKVD, chargés de superviser le bon fonctionnement de l’organisation en termes de discipline et de décisions. Un secrétariat au NKVD en tant que commissariat du peuple est chargé du bon fonctionnement administratif. Le NKVD dispose évidemment d’un bureau composé d’ingénieurs en bâtiment, chargé des prisons et des camps de travail.

A ce titre, les membres du NKVD sont principalement de deux types : ils travaillent soit dans l’administration, soit sur le terrain dans des opérations. A partir de 1937, ils sont organisés par rang militaire. Toutefois, un rang militaire au NKVD est l’équivalent de celui de l’armée deux rangs plus haut, tant en termes de droit qu’en termes de salaire.

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Les articles 130, 131 et 133 de la constitution de l’URSS socialiste

L’appareil de sécurité d’État de l’URSS est à la fois l’expression du droit et son affirmation au sens strict. Il y a là un double caractère, qui implique une fonction : celle de servir de levier pour l’affirmation de la morale socialiste sur la base du droit socialiste.

Maria Pavlovna Kareva, dans Le droit et la moralité dans la société socialiste, publié en 1951, synthétise cela de la manière suivante :

« Le droit socialiste est un instrument de création, de consolidation et de développement régulier des relations socialistes par le biais d’une réglementation appropriée du comportement des citoyens, de leur organisation et de leur mobilisation pour résoudre les problèmes de construction du socialisme, et la transition vers le communisme.

Ainsi, le droit soviétique consolide non seulement ce qui a déjà été réalisé et gagné, mais facilite également à tous égards de nouvelles transformations créatrices, contribuant activement à la progression progressive vers la construction d’une société communiste sans classes. »

Ce processus d’affirmation, de consolidation et de développement de la nature socialiste du droit et de la morale passe principalement par trois articles de la constitution de l’URSS établie en 1936, également souvent surnommée constitution de Staline, en raison du rôle moteur de celui-ci dans son établissement.

Il faut considérer ces articles – les 130, 131 et 133 – non pas simplement comme des droits, mais également comme des devoirs. Ils ont une grande nature dialectique et sont par ailleurs en interaction les uns avec les autres.

Article 130.

Chaque citoyen de l’URSS est tenu d’observer la Constitution de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, d’exécuter les lois, d’observer la discipline du travail, de remplir honnêtement son devoir social, de respecter les règles de la vie en société socialiste.

Article 131.

Tout citoyen de l’URSS est tenu de sauvegarder et d’affermir la propriété commune, socialiste, qui est la base sacrée et inviolable du régime soviétique, la source de la richesse et de la puissance de la patrie, la source d’une vie aisée et cultivée pour tous les travailleurs. Les personnes qui attentent à la propriété sociale, socialiste, sont les ennemis du peuple.

Article 132.

Le service militaire général est une obligation. Le service militaire dans l’armée rouge ouvrière et paysanne est un devoir d’honneur pour les citoyens de l’URSS.

Article 133.

La défense de la patrie est le devoir sacré de tout citoyen de l’URSS. La trahison de la patrie : la violation du serment, le passage à l’ennemi, le préjudice porté à la puissance militaire de l’État, l’espionnage sont punis selon toute la rigueur de la loi comme le pire forfait.

L’article 132, intercalé entre le 131 et le 133, a comme origine évidente le fait que le dernier de la série porte sur la défense de l’URSS. Le 133 a sa justification légale par le 132 ; c’est parce que chaque citoyen est en même temps l’État et donc l’armée, légalement, que toute atteinte, à quelque niveau que ce soit, à l’intégrité de l’URSS, est condamnable.

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Chronologie concernant l’appareil de sécurité d’État de l’URSS

Le 20 décembre 1917, le conseil des commissaires du peuple décida de la formation d’une Commission extraordinaire panrusse pour la répression de la contre-révolution et du sabotage. En 1918, son nom devint Commission extraordinaire panrusse de combat de la contre-révolution, du sabotage et de la spéculation. Ses initiales donnaient Ch.K et elle fut connue sous le nom de Tchéka.

Une impulsion déterminante fut l’attentat contre Lénine et l’assassinat du responsable de la Tchéka de Petrograd, Moïsseï Ouritski, en août 1918. La terreur rouge s’élança alors particulièrement sur la contre-révolution.

La Tchéka fut réorganisée alors que la victoire dans la guerre civile se posait comme définitive. En février 1922, elle fut transformée en administration étatique dénommée Administration politique d’État, GPU.

Dès 1923, elle devint l’Administration unifiée politique d’État, OGPU, en raison de l’unification des républiques soviétiques, centralisant désormais chaque GPU existant à l’échelle de chaque république.

OGPU

Le 10 juin 1934, l’OGPU connut une réorganisation et devint le NKVD de l’URSS, c’est-à-dire le Commissariat du peuple aux Affaires intérieures de l’URSS.

NKVD

Sa dimension était celle de l’URSS, sa nature était centralisée, au niveau pansoviétique, son noyau dur étant la GUGB NKVD – l’Administration centrale de la sécurité d’État du commissariat du peuple aux Affaires intérieures.

En pratique, cela signifiait alors un élargissement des activités, car le nouvel organisme s’occupait désormais également de l’administration des passeports (pour l’étranger mais également à l’intérieur du pays), des enquêtes criminelles, de l’administration des transports, celle des pompiers, de l’enregistrement des actes de l’état civil. A cela s’ajoute le système de prisons et de camps de travail.

Le 5 février 1941, le NKVD de l’URSS vit une partie de son activité être séparée. Le contre-espionnage militaire passa au commissariat du peuple à la défense (sous le nom de SMERSH, acronyme de Smiert chpionam !, mort aux espions!), et un commissariat du peuple à la Sécurité d’État (NKGB) fut également formé.

SMERSH

Cela signifie qu’on avait alors :

– le NKVD s’occupant des milices (c’est-à-dire la police), de l’administration des camps de travail (dénommée Gulag, Administration principale des camps), de la production des passeports, des transports, des pompiers, de l’administration du secteur de la santé, etc. ;

– le NKGB s’occupant de la répression des espions, des saboteurs et des terroristes.

L’invasion allemande empêcha ce processus de se réaliser entièrement et il fut alors temporairement annulé pour éviter des soucis de coordination, amenant la fusion des deux organismes, sous la direction de Laurenti Beria et sous la dénomination de NKVD.

Le processus de séparation fut de nouveau établi en mai 1943, les deux organismes, NKVD et NKGB, étant renommés en mars 1946 Ministre de la sécurité d’État (MGB) et Ministre des affaires intérieures (MVD).

MGB

En 1947 fut formé un Comité d’information pour le Conseil des ministres chargé de coordonner les services de renseignement de l’armée et du MVD, avec une prééminence du MVD, mais le projet échoua devant les réticences militaires au bout d’environ une année, le Comité disparaissant officiellement en 1951.

En 1953, le MVD et le MGB furent brièvement réunifiés sous la direction de Laurenti Beria, mais la prise du pouvoir par les révisionnistes amena un bouleversement complet. Le MGB fut séparé et liquidé, pour être remplacé par une commission de la sûreté nationale (KGB) placée directement dans l’orbite du Conseil des ministres.

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La nature du décalage entre les masses et l’appareil de sécurité d’État de l’URSS

Il existe par définition un décalage entre les masses et l’appareil de sécurité d’État de l’URSS. En effet, comme l’a souligné Staline, la révolution socialiste est l’annonce d’une société future, alors que les anciennes révolutions venaient seulement confirmer un développement largement déjà réalisé.

Les masses lancent le processus, mais ont besoin d’être entraînées par l’avant-garde – cela est vrai également dans le socialisme, période de vaste apprentissage des masses.

Le droit socialiste, affirmé par les masses, est ainsi en même temps confronté à un certain retard des masses sur le plan moral. D’où la nécessité d’une correction par l’État. Les masses se corrigent par l’État des masses, grâce au renforcement de la base socialiste dans la production et l’action du Parti déblayant le chemin au communisme.

Dans Le droit et la moralité dans la société socialiste, de 1951, Maria Pavlovna Kareva explique cette dimension essentielle du socialisme.

« L’une des conditions qui ont assuré la victoire de la révolution socialiste était sans aucun doute la reconnaissance par les masses de la justice, les objectifs éthiques, les slogans de cette révolution et l’injustice, l’immoralité du système exploiteur.

En obtenant de manière révolutionnaire la liberté, le droit de travailler, de mener une vie digne d’un homme, les masses savaient bien qu’elles se battaient pour la vérité contre l’injustice qui sévissait depuis des siècles.

Mais, répétons-nous, la victoire de la révolution socialiste ne signifie pas encore l’assimilation par les masses des principes de la morale communiste en tant que régulateur de leur comportement quotidien.

La structure économique et de classe de la société, qui déterminait la préservation de l’influence des anciens systèmes moraux, ainsi que le retard inévitable de la conscience des masses face aux modifications des fondements matériels de la société, ont été un obstacle à cette évolution.

Il en ressort que, si la moralité socialiste est devenue le système moral dominant avec la victoire de la révolution socialiste, il n’était pas encore, dans la première phase du développement de notre État, un système de normes généralement reconnu régissant le comportement quotidien des membres de la société (…).

Les masses ont accepté la signification éthique des slogans et des tâches proposés par le Parti communiste dans la révolution et ne l’ont suivi, non pas parce qu’elles étaient déjà complètement imprégnées de conscience socialiste, mais parce que ces slogans et tâches correspondaient à des besoins matériels et à leurs idées sur l’injustice du système d’exploitation dans son ensemble.

Mais comme la conscience des masses n’était pas encore élevée au niveau de la conscience socialiste, elles continuaient dans bien des cas de se laisser guider par les anciennes règles de comportement habituelles.

Bien sûr, avec les leçons apprises par les masses dans la révolution, avec un changement radical dans les rapports des classes, ainsi que la transformation de la moralité socialiste en dominante dès les premières années de l’existence de l’État soviétique, tout cela ne pouvait que saper considérablement l’influence des normes de l’ancienne moralité.

Mais cette influence ne pouvait être éliminée immédiatement.

Les normes de la moralité socialiste, prises dans leur ensemble, ne pourraient pas automatiquement se transformer en un régulateur du comportement des masses, mais nécessitaient une assimilation consciente, impossible sans un changement radical de la conscience d’une personne élevée dans les conditions d’un système d’exploitation.

Et surtout, une rupture si décisive de la psyché humaine, le remplacement des idées anciennes par des idées nouvelles n’était pas encore prévu au début de l’existence de la société soviétique avec ses fondements matériels. »

Ce qui se pose ici, c’est le remplacement de l’ancien par le nouveau et le rapport entre les masses et l’État durant la période socialiste, jusqu’à ce qu’avec le communisme l’État disparaisse avec son dépérissement parallèle au développement dialectique du niveau des masses.

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La nature de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS

L’URSS socialiste est une société organisée, rassemblée autour des principes socialistes. Cela signifie qu’aucun aspect de la vie sociale n’échappe à une réflexion et à un choix. Ce qui n’est pas validé est considéré comme déviant et est par conséquent réprimé, ou plus précisément, écarté.

Telle est la logique inexorable de la marche au communisme.

Il y a ainsi deux aspects. Le premier, c’est que l’URSS, à l’époque de Staline, mais également auparavant au moment de Lénine, se définit comme ouvrière et paysanne, d’où le symbole du marteau et de la faucille. Elle se conçoit par rapport à cette réalité sociale et son droit le reflète, le condense.

L’article 97 de la constitution soviétique, mise en place en 1936, explique ainsi que :

« Les soviets de députés des travailleurs dirigent l’activité des organes de l’administration qui leur sont subordonnés, assurent le maintien de l’ordre public, l’observation des lois et la protection des droits des citoyens, dirigent l’édification économique et culturelle locale, établissent le budget local. »

Le second, c’est qu’il existe des éléments anti-sociaux qui sont exclus de la société. Au sens strict, ils ne sont plus considérés comme relevant de la société, soit parce qu’ils ont été exécutés, soit parce qu’on les a déchu temporairement de leur citoyenneté, soit parce qu’on les a bannis.

La mise en place de cette exclusion a historiquement été organisé de manière administrative, depuis le cœur de la société elle-même, au moyen de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS.

Cela présuppose une division tripartite de la réalité soviétique de l’époque de Staline.

La vie sociale consiste en le système des soviets s’établissant en liaison centralisée, république par république, formant l’URSS au sens strict, le pouvoir des soviets organisé et centralisé, avec un gouvernement.

La réflexion et les choix quant à la société sont effectués par le Parti, qui joue le rôle dirigeant.

Enfin, la répression des déviances et leur exclusion sociale est réalisée par l’appareil de sécurité d’État de l’URSS, lié à l’État soviétique et dirigé au plus haut niveau par la direction du Parti.

L’URSS socialiste a ici réalisé une opération d’une double nature. D’un côté, la tête de l’appareil de sécurité d’État relève entièrement du Parti. De l’autre, tout son corps est directement structuré dans la société elle-même.

Il faut saisir ici que la réalisation de l’ordre public ayant lieu dans un cadre socialiste n’est pas réalisée par la police, qui en tant qu’institution – en URSS les milices ouvrières et paysannes – est très faible. Elle ne relève pas non plus de l’armée, institution entièrement subordonnée sur le plan des décisions, et dont le renseignement militaire passa dans le giron des affaires intérieures.

Elle vient du cœur de la société elle-même, par un appareil de sécurité totalement imbriquée dans la société, dans son organisation même. Il s’agit, concrètement, d’un énorme système de contrôle des actions à partir de la réalité de la vie quotidienne elle-même.

Pour cette raison, l’appareil de sécurité soviétique était d’une puissance absolue dans les faits et a impressionné de manière particulièrement terrifiante l’ensemble de la bourgeoisie dans le monde, ainsi que les États bourgeois.

Pour cette raison également, ce qui était non conforme aux valeurs soviétiques était expulsée de son champ. C’est cette approche qui est à la base de l’ouverture des camps de travail.

Pour cette raison également, dans le cadre de l’intensification de la lutte des classes, l’appareil de sécurité en URSS a été impliqué en première ligne dans la confrontation.

Cela a également particulièrement impressionné la bourgeoisie, hallucinant littéralement devant la capacité de l’État socialiste à écraser les tendances bourgeoises dans la société soviétique elle-même, et ce à partir de la société soviétique elle-même.

Le problème historique est que cela a confié à l’appareil de sécurité d’État soviétique la forme d’un appareil administratif au sein de la société elle-même, qu’il y a ainsi un manque de lisibilité significative sur le plan politique.

Cet aspect deviendra principal au moment des problèmes de 1952-1953 aboutissant à la transformation de l’URSS en un social-impérialisme, avec comme agence terroriste le KGB formé à l’extérieur de la société au début de l’année 1954.

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Le droit en expansion par l’opinion publique en URSS socialiste

En URSS socialiste, le droit était considéré comme la condensation des rapports économiques, ce qui dans un cadre socialiste reflète par conséquent une assimilation du droit par la morale et inversement.

Droit et morale restent évidemment deux choses séparées tant qu’il y a un État encore. Dans le communisme, la situation sera différente, puisque les membres de la société se considéreront à la base même par l’intermédiaire des valeurs de la citoyenneté socialiste universelle.

De fait, le rapport entre le droit et la morale tient au niveau de développement atteint par la société. Maria Pavlovna Kareva, dans Le droit et la moralité dans la société socialiste, publié en 1951, dit à ce sujet la chose suivante :

« En parlant de la connexion la plus étroite et inextricable du droit socialiste et de la moralité, nous ne devrions pas perdre de vue que, en dernière analyse, le facteur déterminant de notre droit, comme toute loi, est le facteur économique et les besoins matériels de la société.

Le caractère commun des principes de base et de nombreuses exigences spécifiques du droit et de la moralité est principalement dû au fait qu’ils ont une base économique commune qui les génère et les conditionne.

La structure sociale du socialisme est objectivement morale et toute norme juridique qui contribue à son développement et à son renforcement renforce ainsi la moralité communiste et en exprime le principe directeur – subordonnant le comportement des personnes à un objectif supérieur, à savoir la construction du communisme. »

Il y a ainsi une contradiction entre la base morale de la société et le fait que ses membres ne soient pas encore à la hauteur de cette base, qu’ils sont en train d’être façonnés par cette base. Cela signifie qu’il y a à la fois assimilation du droit par le fait de vivre en tant que citoyens du pays, mais également affirmation de ce droit par le fait même de relever d’une société socialiste.

On a une conscience socialiste qui est celle des citoyens de la société socialiste, mais est par sa nature en expansion et a une base encore non entièrement fixée. Et on a un droit socialiste qui lui garantit justement le socle de la société de par sa stabilité, mais cela implique qu’il sera en retard sur la progression faite.

Maria Pavlovna Kareva dit avec justesse que :

« Tout d’abord, il convient de souligner que si la moralité est une forme de conscience sociale, la loi, faisant également partie de la superstructure, ne peut être réduite à une forme de conscience.

Ce n’est pas par hasard que nous distinguons clairement le droit, c’est-à-dire l’ensemble des normes pertinentes, et la conscience juridique, c’est-à-dire un système de vues juridiques, tandis que les normes de moralité et de conscience morale sont représentées par des synonymes.

Le fait est que l’état de droit, qui reflète en soi la conscience juridique de la classe dirigeante et, dans une société socialiste, la conscience juridique de l’ensemble du peuple soviétique, constitue un élément particulier de la superstructure sociale qui ne se confond pas avec la conscience juridique.

Cela s’explique par le fait que les normes juridiques représentent un type particulier de normes sociales qui diffère des normes morales à la fois par la manière dont elle est établie et par la manière dont elle est fournie, avec des garanties pour son application, et un certain nombre d’autres fonctionnalités.

Dans le même temps, les normes juridiques diffèrent de l’ensemble des points de vue, idées, idées selon lesquels elles sont établies et qui constituent le contenu de la conscience juridique.

Les points de vue, les idées qui composent le contenu de la conscience morale ont cette particularité d’être eux-mêmes normatifs. Les concepts de bien et de mal, qui sont au centre de la conscience morale, signifient également la nécessité de faire le bien et de combattre le mal.

Le concept d’honnête et déshonorant, méritoire et honteux, etc. signifie également l’exigence d’un certain comportement. »

La clef de cette contradiction réside dans l’affirmation de l’opinion publique, qui lève le drapeau du bien et exige du droit qu’il soit à la hauteur. Le droit socialiste s’affirme dans l’exigence populaire.

Comme le dit Maria Pavlovna Kareva :

« Dans les conditions de la victoire du socialisme, le droit consolide l’unité morale et politique prédominante du peuple et favorise la pénétration dans tous les secteurs de notre société des principes de la moralité communiste et des coutumes socialistes qui les concrétisent.

Dans la deuxième phase, l’interaction du droit et de la moralité s’approfondit et prend une nouvelle qualité.

Les moments d’influence morale revêtent une grande importance en droit: les encouragements, la stimulation, la culture de bonnes actions et autres moyens d’éducation analogues au droit soviétique, mais dans des conditions où en comparaison les classes exploiteuses étaient incapables d’obtenir une part aussi importante.

Un rôle encore plus important qu’auparavant est dans la conviction.

Cela ne signifie pas que, comme l’ont prêché les ennemis du peuple, sous le socialisme, les méthodes répressives de droite commencent à mourir ; réduire la loi sous le socialisme est caractérisé par le remplacement de la répression criminelle par une condamnation morale de l’opinion publique. »

La contradiction entre le droit et le niveau moral des citoyens soviétiques se résout dans l’affirmation des exigences de l’opinion publique concernant tant le droit que la morale.

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de l’État de l’URSS socialiste

Le juge, ingénieur des esprits en URSS socialiste

Le rapport entre morale et droit en URSS socialiste s’appuie sur l’analyse matérialiste historique de ce qu’est le droit. Le droit est un aboutissement, c’est le reflet d’un rapport de force, c’est la condensation de la situation dans la lutte des classes.

Voici comment la chose est présentée par Andreï Vychinski, le principal juriste de l’URSS socialiste, dans son ouvrage La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, paru en 1941 :

« ‘‘Plus tard’’, écrivent Marx et Engels dans L’idéologie allemande, ‘‘lorsque la bourgeoisie eut acquis assez de puissance pour que les princes se chargent de ses intérêts, utilisant cette bourgeoisie comme un instrument pour renverser la classe féodale, le développement proprement dit du droit commença dans tous les pays — en France au XVI° siècle — et dans tous les pays, à l’exception de l’Angleterre, ce développement s’accomplit sur les bases du droit romain. Même en Angleterre, on dut introduire des principes du droit romain (en particulier pour la propriété mobilière) pour continuer à perfectionner le droit privé.’’

A cela, Marx et Engels ont ajouté [juste après la citation] une remarque définissant de manière classique la nature du droit : ‘‘N’oublions pas que le droit n’a pas davantage que la religion une histoire qui lui soit propre.’’

La dépendance du droit et des formes de son développement à l’égard des relations économiques et industrielles est prouvée par toute l’histoire de l’humanité.

La loi autorise de nouveaux types d’acquisition de biens, sert de médiateur aux nouveaux rapports économiques en leur donnant une expression de rapports juridiques. »

Le droit est à la fois un intermédiaire entre des forces sociales déterminées et l’inscription d’un rapport de forces dans les rapports sociaux eux-mêmes. Le droit est ainsi toujours lié à un phénomène historique ou une conclusion d’un phénomène historique. Il n’a pas d’existence propre, il est un aspect de la réalité, dont il dépend pour la configuration de son existence.

Pour cette raison, le droit a connu des évolutions, établissant des vérités déjà présentes ou se formant en même temps qu’elles. Le droit d’avant une société socialiste parachève par conséquent toujours un état de fait, dans certains cas il l’accompagne.

Le droit bourgeois confère à la propriété sa reconnaissance : elle existait au préalable, elle a fini par s’imposer.

Dans un pays socialiste, cela est différent, car la société va au socialisme ; le droit au lendemain de la révolution ne fait qu’affirmer une nouvelle tendance. Le droit devient ainsi toujours plus un levier pour drainer les comportements et les attitudes vers une formulation socialiste adéquate, et mieux encore un calibrage communiste, des comportements et des attitudes sociales.

Une citation connue d’Andreï Vychinski en URSS est à ce titre que :

« Tout verdict et toute décision de justice revêtent une grande importance.

Ils ont cette valeur non seulement en raison des exigences formelles qui sont présentées à cette occasion au nom des autorités de l’État à toutes les personnes touchées par les décisions de justice et les peines prononcées, mais également en raison de leur poids moral et sociopolitique. »

Ce poids ne fige pas un état de fait comme dans le droit du passé, non-socialiste. Il indique au contraire une tendance, une direction. Tout comme un écrivain est un ingénieur des âmes, on peut qualifier le juge d’ingénieur des esprits.

Il s’agit en effet, de faire correspondre les tournures d’esprit à ce qui correspond à la moralité d’un État socialiste toujours plus développé, et au-delà : à la moralité communiste.

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de l’État de l’URSS socialiste

Les fondements matérialistes dialectiques du droit soviétique en URSS socialiste

Pour comprendre l’appareil de sécurité de l’État de l’URSS socialiste, il faut saisir la nature du droit servant de base juridique aux actions étatiques et son rapport avec la morale socialiste.

Contrairement aux prétentions « objectivistes » ou inversement « relativistes » du droit bourgeois, le droit socialiste pose en effet comme noyau du procès la subjectivité révolutionnaire du jugement, fondée sur l’objectivité de l’analyse des faits.

Cette combinaison n’est pas seulement combattue par la bourgeoisie ; elle lui semble surtout de fait littéralement incompréhensible. Bien entendu, l’accusation est celle du règne de « l’arbitraire ».

En réalité, il s’agit simplement du fait que le droit a une fonction non pas simplement négative et représentative comme dans le droit bourgeois, mais qu’il sert également de mise en perspective du juste et l’injuste, avec une mise en valeur du juste et cela de manière toujours plus poussée.

Cela correspond à l’affirmation de la dignité du réel, caractéristique du matérialisme dialectique. Le titan Andreï Vychinski, dans son ouvrage de 1941, La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, formule de manière magistrale cela en affirmant :

« Lénine écrivait en 1915 [dans La faillite de la II° Internationale], exposant l’opportunisme de Plekhanov, que : « La dialectique exige qu’un phénomène social soit étudié sous toutes ses faces, à travers son développement, et que l’apparence, l’aspect extérieur soit ramené aux forces motrices capitales, au développement des forces productives et à la lutte des classes. »

La vraie dialectique se concentre sur le concret, sur la base de la règle: « il n’y a pas de vérité abstraite, la vérité est toujours concrète ».

Cela nécessite une compréhension claire de toutes les connexions ou du moins des plus importantes, des transitions, des interdépendances dans leur spécificité et leur causalité, sans lesquelles une évaluation correcte des actions humaines et de la personne elle-même est impossible.

La logique formelle est ici insuffisante, impuissante.

Formelle, la logique est incapable d’établir la vérité matérielle, c’est-à-dire ce qui existe réellement, ce qui constitue le contenu réel des choses et des phénomènes, et ce qui constitue pourtant l’une des tâches les plus importantes de la justice.

La logique formelle se limite donc à ce que les avocats appellent la vérité juridique, c’est-à-dire comment certains phénomènes ou choses se caractérisent par des faits présentés au tribunal par les parties, quelle que soit la manière dont ces faits reflètent les rapports de la vie réelle.

Cette méthode juridique formelle d’évaluation des faits dans les affaires judiciaires est directement liée à la compréhension formelle du droit.

Une compréhension formelle de la loi se traduit par l’incapacité à aller au-delà de sa lettre, l’incapacité à approfondir la reconnaissance de ces relations réelles et vitales qui sont cachées derrière l’extérieur de la question. »

Le droit soviétique implique ainsi la recherche du mouvement de la réalité à l’origine des phénomènes relevant du droit. Cela n’est toutefois pas une démarche aboutissant elle-même à un nouveau formalisme, un formalisme anti-formaliste. En effet, pour être authentique, cette démarche doit elle-même s’appuyer, au niveau de la réalisation du droit, sur la transformation de l’ancien par le nouveau.

Cela veut dire que le droit soviétique doit, par définition même, venir de la société socialiste en construction elle-même, de sa substance même. L’appareil de sécurité d’État de la société socialiste doit donc consister en une structure de la société elle-même. Tel est le principe socialiste.

Il y a une convergence de la défense du droit soviétique par l’appareil de sécurité d’État et l’affirmation du socialisme, de sa morale, par une société réalisant dans les faits l’affirmation historique d’un nouveau mode de production.

La morale et le droit sont ainsi en rapport dialectique dans le cadre de la construction du socialisme.

Maria Pavlovna Kareva, dans Le droit et la moralité dans la société socialiste, publié en 1951, explique à ce sujet que :

« La spécificité de la corrélation du droit et de la morale sous le socialisme n’est pas seulement que notre loi exprime et renforce les vues morales et les exigences du travail du peuple tout entier, tandis que le droit bourgeois n’exprime et ne consolide que les vues et les exigences morales de la bourgeoisie, c’est-à-dire la partie non significative du point de vue numérique, exploitant la société.

La spécificité de cette corrélation réside dans le fait que notre loi, consolidant les fondements matériels et politiques de la société, favorise l’opposition inconciliable entre les peuples et l’exploitation de l’homme par l’homme, et toute forme d’oppression de l’homme, de la nation et des peuples, que notre loi éduque les gens dans l’esprit de la démocratie véritable, leur inspire de nobles sentiments.

La loi bourgeoise, qui consolide les fondements matériels qui donnent lieu à l’exploitation, et le système étatique qui assure la domination des exploiteurs, c’est-à-dire des minorités, instaure dans les peuples une moralité qui est le reflet du capitalisme, que les moralistes officiels préfèrent passer sous silence – l’égoïsme, l’inimitié et la méfiance réciproques, l’hypocrisie. »

Le droit a ainsi une dimension active, au sens où les masses le voient et cherchent à voir le reflet non seulement d’eux-mêmes, mais également de leur propre évolution, de leur propre amélioration sur le plan de la conscience morale.

C’est la base d’un État qui, parce qu’il est en passe d’être assumé par l’ensemble de la population, disparaît ; le droit de l’État disparaît parce qu’il est devenu le droit du peuple lui-même, qui le prend en charge de lui-même. L’État a alors cessé sa fonction.

La transition au communisme d’un État socialiste consiste en la remise du droit au peuple lui-même. L’État socialiste a une « fonction économique-organisationnelle et culturelle-éducative », comme cela était appelé en URSS à partir des années 1930, qui doit être assimilée et assumée par le peuple.

Maria Pavlovna Kareva, dans le même ouvrage, explique à ce titre que :

« Les émotions elles-mêmes ne doivent donc pas être considérées comme définissant l’essence des devoirs moraux et légaux, mais comme une réponse de la psyché à des responsabilités objectives et légales dans la vie.

Là où, en raison de la structure antagoniste entre le droit et la moralité de la majorité de la société, un gouffre est creusé, où, par conséquent, les devoirs juridiques ne peuvent être à la fois des devoirs moraux, du moins pour la majorité de la population, des différences profondes d’émotions accompagnent les devoirs moraux.

Dans nos conditions [socialistes], pour la majorité des gens, une telle différence profonde entre les émotions lors de la réalisation de leurs obligations légales et morales ne peut avoir lieu.

Pour un homme soviétique conscient, l’accomplissement des devoirs juridiques et moraux est lié aux mêmes nobles émotions – le désir d’accomplir son devoir social, le respect des lois juridiques et morales de son pays socialiste. »

Les citoyens soviétiques ne sont à terme plus des citoyens de l’URSS, mais l’URSS elle-même.

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de l’État de l’URSS socialiste

Lénine : Tolstoï, miroir de la révolution russe

11 (24) septembre 1908, Proletari.

Il peut sembler, à première vue, étrange et artificiel d’accoler le nom du grand artiste à la révolution qu’il n’a manifestement pas comprise et dont il s’est manifestement détourné. On ne peut tout de même pas nommer miroir d’un phénomène ce qui, de toute évidence, ne le reflète pas de façon exacte.

Mais notre révolution est un phénomène extrêmement complexe ; dans la masse de ses réalisateurs et de ses participants immédiats, il existe beaucoup d’éléments sociaux qui, eux aussi, ne comprenaient manifestement pas ce qui se passait et qui, de même, se détournaient des tâches historiques véritables qui leur étaient assignées par le cours des événements.

Et si nous sommes en présence d’un artiste réellement grand, il a dû refléter dans ses œuvres quelques-uns au moins des côtés essentiels de la révolution.

La presse russe légale, remplie d’articles, de lettres et de notices à l’occasion du 80e anniversaire de Tolstoï, s’intéresse fort peu à l’analyse de ses œuvres, du point de vue du caractère de la révolution russe et de ses forces motrices.

Toute cette presse déborde jusqu’à l’écœurement d’hypocrisie, d’une double hypocrisie officielle et libérale. La première est l’hypocrisie grossière des écrivassiers vénaux qui avaient, hier, ordre de traquer L. Tolstoï et, aujourd’hui, de rechercher en lui le patriote et de tâcher d’observer les convenances devant l’Europe.

Que les écrivassiers de cette espèce soient payés pour leurs écrits, tout le monde le sait, et ils ne tromperont personne. Beaucoup plus raffinée et, par suite, beaucoup plus nuisible et dangereuse, est l’hypocrisie libérale. A écouter les Balalaïkine de la Riétch, leur sympathie pour Tolstoï est la plus complète et la plus chaude.

En fait, cette déclamation calculée et ces phrases pompeuses sur « le grand chercheur de Dieu » ne sont que faussetés, car le libéral russe n’a ni foi dans le Dieu de Tolstoï, ni sympathie pour la critique de Tolstoï à l’égard du régime existant.

Il s’accroche à un nom populaire pour augmenter son petit capital politique, pour jouer le rôle de chef de l’opposition nationale, il essaie d’étouffer sous le tonnerre et le fracas des phrases le besoin d’une réponse directe et claire à la question : d’où viennent les contradictions criantes du « tolstoïsme », quels défauts et quelles faiblesses de notre révolution reflètent-elles ?

Les contradictions dans les œuvres, les opinions et la doctrine de l’école de Tolstoï sont, en effet, criantes. D’une part, un artiste génial qui, non seulement, a peint des tableaux incomparables de la vie russe, mais qui a donné à la littérature mondiale des oeuvres de premier ordre. D’autre part, un propriétaire foncier faisant l’innocent du village.

D’une part, une protestation d’une énergie remarquable, directe et sincère contre l’hypocrisie et la fausseté sociales ; de l’autre, un « tolstoïen », c’est-à-dire cet être débile, usé, hystérique, dénommé l’intellectuel russe, qui, se frappant publiquement la poitrine, dit : « Je suis un méchant, je suis un vilain, mais je m’occupe d’auto-perfectionnement moral ; je ne mange plus de viande et je me nourris maintenant de boulettes de riz. »

D’une part, la critique impitoyable de l’exploitation capitaliste, la dénonciation des violences exercées par le gouvernement, de la comédie de la justice et de l’administration de l’Etat, la révélation de toute la profondeur des contradictions entre l’accroissement des richesses, les conquêtes de la civilisation, et l’accroissement de la misère, de la sauvagerie et des souffrances des masses ouvrières ; d’autre part, l’innocent qui prêche la « non-résistance au mal par la violence ».

D’une part, le réalisme le plus lucide, l’arrachement de tous les masques quels qu’ils soient ; d’autre part, la prédication d’une des choses les plus ignobles qui puissent exister au monde, à savoir : la religion, la tendance à substituer aux popes fonctionnaires d’Etat des popes par conviction, c’est-à-dire une propagande en faveur du règne des popes sous sa forme la plus raffinée et, par suite, la plus abjecte. En vérité :

Tu es misérable, et tu es féconde,
Tu es puissante, et tu es sans forces,
Mère Russie !

Il est évident qu’avec de pareilles contradictions Tolstoï ne pouvait absolument pas comprendre le mouvement ouvrier et son rôle dans la lutte pour le socialisme, ni la révolution russe.

Mais les contradictions dans les vues et les enseignements de Tolstoï ne sont pas l’effet du hasard, elles sont l’expression des conditions contradictoires dans lesquelles se déroulait la vie russe durant le dernier tiers du XIXe siècle.

La campagne patriarcale qui venait seulement de se libérer du servage avait été livrée au Capital et au fisc pour être littéralement mise à sac. Les vieux fondements de l’économie paysanne et de la vie paysanne, qui s’étaient maintenus au cours des siècles, furent démolis avec une rapidité incroyable.

Aussi faut-il juger les contradictions dans les opinions de Tolstoï, non du point de vue du mouvement ouvrier contemporain et du socialisme contemporain (un tel jugement est, certes, nécessaire, pourtant il ne suffit pas), mais du point de vue de la protestation contre le capitalisme en marche, contre la ruine des masses dépouillées de leurs terres, protestation qui devait venir de la campagne patriarcale russe.

Tolstoï prête à rire en tant que prophète qui aurait découvert de nouvelles recettes pour le salut de l’humanité, – et c’est pourquoi ils sont vraiment pitoyables, les « tolstoïens », étrangers et russes, qui ont voulu transformer en dogme le côté justement le plus faible de sa doctrine.

Tolstoï est grand comme interprète des idées et des états d’âme qui se sont formés chez les millions de paysans russes, à l’avènement de la révolution bourgeoise en Russie.

Tolstoï est original, car l’ensemble de ses idées, prises en bloc, exprime justement les particularités de notre révolution, en tant que révolution bourgeoise paysanne.

Les contradictions dans les idées de Tolstoï, de ce point de vue, sont un véritable miroir des conditions contradictoires dans lesquelles s’est déroulée l’activité historique de la paysannerie au cours de notre révolution.

D’un côté, les siècles d’oppression servile et les dizaines d’années de ruine à marche forcée, consécutive à la réforme, avaient accumulé des montagnes de haine, de colère et de résolutions désespérées.

Le désir de balayer d’une façon radicale et l’Eglise officielle et les grands propriétaires fonciers et le gouvernement de ces propriétaires fonciers, d’anéantir toutes les anciennes formes et coutumes de propriété foncière, de nettoyer la terre, de créer à la place de l’État policier de classe une communauté de petits paysans libres et égaux en droits, – ce désir traverse comme un fil rouge toute l’action historique des paysans dans notre révolution, et il n’est pas douteux que le contenu idéologique des écrits de Tolstoï correspond beaucoup plus à ce désir paysan qu’à l’« anarchisme chrétien » abstrait, comme on définit parfois le « système » de ses idées.

D’un autre côté, la paysannerie, qui aspirait à de nouvelles formes de communauté, avait une attitude fort inconsciente, patriarcale, une attitude d’innocents de village à l’égard de ce que devait être cette communauté, des moyens de lutte par lesquels il lui fallait conquérir sa liberté, des chefs qu’elle pouvait avoir dans cette lutte, des sentiments de la bourgeoisie et des intellectuels bourgeois envers la révolution paysanne, des raisons qui rendaient nécessaire le renversement par la violence du pouvoir tsariste, afin d’anéantir la propriété foncière des hobereaux.

Toute la vie passée de la paysannerie lui avait appris à haïr le seigneur et le fonctionnaire, mais ne lui avait pas appris et n’avait pu lui apprendre où chercher la réponse à toutes ces questions.

Dans notre révolution, la minorité de la paysannerie a effectivement lutté, en s’organisant tant soi peu à cette fin, et une partie infime s’est levée, les armes à la main, pour exterminer ses ennemis, pour abattre les serviteurs du tsar et les défenseurs des grands propriétaires fonciers.

La plus grande partie de la paysannerie pleurait et priait, ratiocinait et rêvait, écrivait des requêtes et envoyait des « solliciteurs », – tout à fait dans l’esprit de Léon Nicolaïévitch Tolstoï !

Et comme il arrive toujours dans des cas pareils, l’abstention tolstoïenne de toute politique, la renonciation tolstoïenne à la politique, l’absence d’intérêt et de compréhension pour elle ont fait qu’une minorité seulement a suivi le prolétariat conscient et révolutionnaire, et que la majorité est devenue la proie de ces intellectuels bourgeois serviles et sans principes, qui, sous le nom de cadets, couraient, de l’assemblée des troudoviks, faire antichambre chez Stolypine, mendiaient, marchandaient, conciliaient, promettaient de concilier, – jusqu’à ce qu’un soldat les chassât à coups de botte.

Les idées de Tolstoï sont le miroir de la faiblesse, des insuffisances de notre insurrection paysanne, le reflet de l’apathie de la campagne patriarcale et de la lâcheté foncière du « moujik aisé ».

Prenez les insurrections de soldats en 1905-1906. La composition sociale de ces lutteurs de notre révolution c’est le milieu entre la paysannerie et le prolétariat. Ce dernier est en minorité ; c’est pourquoi le mouvement dans les troupes ne montre pas, même approximativement, cette cohésion nationale, cette conscience de parti que manifeste le prolétariat devenu, comme au signal d’un coup de baguette, social-démocrate.

D’autre part, il n’est pas d’opinion plus erronée que celle qui attribue l’échec des insurrections de soldats à l’absence de dirigeants officiers. Au contraire, le progrès gigantesque de la révolution, depuis les temps de la Narodnaïa Volia, s’est manifesté justement dans le fait que c’est le « bétail obscur » qui a recouru aux armes contre ses supérieurs et dont l’indépendance a tellement fait peur aux propriétaires fonciers libéraux et aux officiers libéraux.

Le soldat était rempli de sympathie pour la cause paysanne ; ses yeux s’allumaient au seul mot de terre. Plus d’une fois, le pouvoir passa, dans l’armée, aux mains de la masse des soldats – mais il n’y eut presque pas d’utilisation résolue de ce pouvoir ; les soldats hésitaient ; au bout de quelques jours, quelquefois au bout de quelques heures, après avoir tué quelque chef haï, ils rendaient la liberté aux autres, entraient en pourparlers avec les autorités et se laissaient ensuite fusiller, fouetter, se mettaient de nouveau sous le joug – tout à fait dans l’esprit de Léon Nicolaïévitch Tolstoï !

Tostoï a reflété la haine accumulée, l’aspiration enfin mûre vers un avenir meilleur, le désir de s’affranchir du passé – et la non-maturité des rêveries, le manque d’éducation politique, l’apathie en face de la révolution.

Les conditions historiques et économiques expliquent à la fois la nécessité de l’apparition de la lutte révolutionnaire des masses et leur manque de préparation pour cette lutte, la non résistance tolstoïenne au mal, qui fut parmi les causes les plus sérieuses de la défaite de la première campagne révolutionnaire.

On dit que la défaite est une bonne école pour les armées. Sans doute, comparer les classes révolutionnaires à des armées n’est juste que dans un sens très limité. Le développement du capitalisme modifie et aggrave à chaque heure les conditions qui poussaient à la lutte révolutionnaire démocratique les millions de paysans, unis par la haine contre les propriétaires féodaux et leur gouvernement.

Dans la paysannerie même, l’accroissement des échanges, de la domination du marché et du pouvoir de l’argent, éliminent de plus en plus les anciennes moeurs patriarcales et l’idéologie patriarcale tolstoïenne.

Mais il est une conquête des premières années de la révolution et des premières défaites dans la lutte révolutionnaire des masses qui n’est pas douteuse : c’est le coup mortel porté à l’ancienne mollesse, à l’ancienne veulerie des masses. Les lignes de démarcation sont devenues plus tranchées. Les classes et les partis se sont délimités.

Sous le marteau des leçons de Stolypine, grâce à l’agitation obstinée, organisée des social-démocrates révolutionnaires, non seulement le prolétariat socialiste, mais encore les masses démocratiques de la paysannerie pousseront inévitablement en avant des lutteurs toujours plus aguerris, de moins en moins capables de tomber dans notre péché historique du tolstoïsme !

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Jiang Qing sur la révolution de l’opéra de Pékin

Dans A propos de la révolution de l’opéra de Pékin, Jiang Qing formule la position réaliste socialiste concernant cet opéra, dans les conditions concrètes chinoises.

Je tiens tout d’abord à vous féliciter pour ce festival, première campagne pour la révolution de l’opéra de Pékin. Vous avez tous fourni un labeur considérable. Les résultats en sont prometteurs et auront probablement une profonde influence.

Désormais, on met en scène des opéras de Pékin à thème révolutionnaire contemporain, mais chacun s’en fait-il la même idée? Je crois qu’il serait prématuré de l’affirmer.

Il faut avoir une confiance inébranlable dans la réalisation d’opéras de Pékin sur des thèmes révolutionnaires contemporains.

Il serait inconcevable que les ouvriers, paysans et soldats, créateurs véritables de l’histoire et seuls maîtres de notre pays socialiste dirigé par le Parti communiste, n’aient pas une place prédominante à la scène.

Nous devons créer une littérature et des arts qui protègent la base économique socialiste de notre pays. Au moment où l’on ne distingue pas clairement l’orientation, tous nos efforts doivent tendre à la dégager. A titre de renseignement, je citerai deux chiffres, deux chiffres qui n’ont pas laissé de me surprendre.

Voici le premier chiffre : on évalue à trois mille environ, le nombre de compagnies théâtrales dans l’ensemble du pays (abstraction faite des troupes amateurs ou sans licence). Elles comprennent environ 90 troupes professionnelles de théâtre moderne, plus de 80 ensembles artistiques et plus de 2 800 compagnies qui montent divers genres d’opéras.

Les empereurs, rois, généraux, ministres, damoiseaux, damoiselles et autres génies malfaisants, règnent sur l’opéra, tandis que les compagnies de théâtre moderne, plutôt que de dépeindre les ouvriers, paysans et soldats, montent le plus souvent des pièces « célèbres », « étrangères » ou « à thèmes anciens », tant et si bien que la scène du théâtre moderne est, elle aussi, occupée par les Chinois et les personnages étrangers des époques révolues.

Le théâtre est un moyen d’éduquer le peuple, mais à l’heure actuelle, nos scènes sont encombrées d’empereurs, de rois, de généraux, de ministres, de damoiseaux et de damoiselles, d’un fatras d’idées féodales et bourgeoises. Un tel état de choses ne peut protéger notre base économique, il risque, au contraire, d’exercer un rôle de sape sur elle.

Le second chiffre : il y a plus de six cents millions d’ouvriers, paysans et soldats dans notre pays, tandis que les propriétaires fonciers, paysans riches, contre-révolutionnaires, mauvais éléments, droitiers et éléments bourgeois ne sont qu’une poignée.

Qui faut-il servir? Cette poignée d’individus ou plus de six cents millions d’hommes?

Cette question ne doit pas retenir l’attention des seuls communistes, mais celle de tous les travailleurs patriotes de la littérature et des arts.

Ce sont les paysans qui cultivent les céréales que nous mangeons; ce sont les ouvriers qui tissent les vêtements que nous portons et qui construisent les maisons que nous habitons; ce sont les soldats de l’Armée populaire de libération qui assurent pour nous la défense nationale en montant une garde vigilante, mais nous ne les portons pas à la scène!

Puis-je vous demander quelle position de classe on adopte ainsi et où se trouve cette « conscience » d’artiste dont on parle tant?

La représentation d’opéras de Pékin à thème révolutionnaire contemporain n’est pas un travail de tout repos et vous connaîtrez des revers, mais si vous gardez présents à l’esprit les chiffres que je viens de citer, vous parviendrez à éviter ces revers ou du moins à en rencontrer le moins possible.

Pourtant, si vous deviez en rencontrer, cela n’aurait guère d’importance; la marche de l’histoire est toujours sinueuse, mais jamais la roue de l’histoire ne reculera.

Pour nous, l’opéra sur des thèmes révolutionnaires contemporains doit refléter la vie réelle au cours des quinze années qui ont suivi la fondation de la République populaire de Chine et créer des types de héros caractéristiques de notre époque.

C’est notre tâche primordiale, mais cela ne signifie pas que nous refusons les opéras historiques. Les pièces historiques révolutionnaires représentaient une proportion non négligeable du programme de ce festival; nous avons besoin d’opéras historiques révolutionnaires décrivant la vie et les luttes du peuple avant la fondation de notre Parti.

De plus, nous devons instituer des modèles dans ce domaine et produire des pièces historiques en conformité avec le point de vue du matérialisme historique qui puissent, par leur thème ancien, servir l’époque actuelle.

Bien entendu, ce travail doit être entrepris à la condition préalable qu’il ne gêne pas l’accomplissement de la tâche principale : la représentation de la vie actuelle et de l’image des ouvriers, paysans et soldats.

Nous n’avons pas l’intention de rejeter toutes les pièces traditionnelles. A l’exception des pièces présentant des fantômes et de celles prônant la capitulation et la trahison, de bons opéras traditionnels pourront encore être montés.

Mais ces derniers n’auront qu’une audience négligeable si l’on ne procède pas à un travail d’arrangement et de révision attentif.

Je me suis rendue systématiquement au théâtre depuis plus de deux ans et un examen profond des acteurs et du public m’a poussée à conclure que le travail d’arrangement et de révision des pièces traditionnelles est nécessaire, sans pouvoir toutefois remplacer la tâche principale.

Mais comment se mettre à la tâche? Je pense que la question clé est celle du livret.

En effet, sans livret, avec les seuls metteurs en scène et acteurs, on ne parviendrait pas à réaliser de mise en scène ni à présenter une quelconque pièce.

Certains disent que le livret est la base de la production théâtrale, en quoi ils ont parfaitement raison et c’est pourquoi nous devons mettre l’accent sur la création.

Au cours des dernières années, et en particulier dans le domaine de l’opéra de Pékin, la création théâtrale était distancée par la réalité de la vie.

Les librettistes étaient peu nombreux et l’expérience de la vie leur faisait défaut. Dans ces conditions, il est normal qu’aucune bonne pièce n’ait été créée.

Pour résoudre le problème de la création, il faut réaliser la triple association de la direction, des artistes professionnels et des masses populaires.

J’ai étudié récemment le processus de création de la pièce La grande muraille de la mer de Chine méridionale et je me suis aperçue qu’il était exactement celui que je viens d’indiquer.

Tout d’abord, la direction a formulé un sujet; les auteurs de la pièce entreprirent alors de se familiariser, et cela à trois reprises, avec la vie du milieu en question. Ils participèrent même à une opération militaire d’encerclement d’agents ennemis.

Puis, après la première rédaction de la pièce, eut lieu une discussion à laquelle participèrent de nombreux dirigeants de la garnison de Canton; enfin, après les répétitions, on sollicita le jugement de divers milieux afin d’améliorer la pièce.

De cette manière, en consultant sans cesse autrui, et en apportant de constantes améliorations à son travail, cette équipe parvint à produire une très bonne pièce, reflétant la lutte dans sa réalité actuelle en un laps de temps relativement court.

Le Comité municipal du Parti de Changhaï porte une grande attention au problème de la création; le camarade Keh King-che s’en occupe personnellement. Dans toutes les localités, il faut charger des cadres compétents de stimuler le travail de création.

On ne peut guère compter produire des livrets directement pour l’opéra de Pékin dans un avenir rapproché. Cependant, il faut désigner dès à présent des camarades qui auront à faire ce travail. Ils apprendront tout d’abord les rudiments de leur art, puis ils iront acquérir quelque expérience de la vie. Ils pourront commencer par écrire des pièces brèves, pour passer graduellement à la création d’opéras complets. Les pièces courtes, à la condition d’être bien écrites, sont également précieuses.

Il faut former des forces neuves pour le travail de création, leur faire prendre contact avec le monde réel; ainsi, en trois à cinq ans, elles s’épanouiront et obtiendront de fructueux résultats.

La transposition est également un bon moyen d’obtenir de nouvelles pièces.

La transposition demande un choix prudent. Il faut voir tout d’abord si la tendance politique est bonne ou non, puis si la pièce s’adapte aux possibilités de la troupe.

En procédant à la transposition, il importe d’analyser soigneusement l’œuvre originale et d’en souligner les qualités sans chercher à leur apporter des modifications superflues, tandis que les faiblesses doivent être corrigées.

Deux points demandent une attention particulière dans la transposition de divers genres d’opéras en opéras de Pékin; d’une part, il importe que l’adaptation réponde aux caractéristiques de l’opéra de Pékin en ce qui concerne le chant et l’acrobatie.

Les paroles des chants doivent répondre aux variations rythmiques de la musique vocale de l’opéra de Pékin et il faut en adopter la langue caractéristique, sinon les acteurs ne pourraient chanter.

D’autre part, il n’est pas nécessaire de faire trop de concessions aux acteurs.

Un opéra doit avoir un clairement défini, être d’une structure rigoureuse et les personnages doivent avoir du relief. Il ne faut jamais que l’intérêt de la pièce se disperse et se perde parce que l’on aura voulu confier de belles tirades à chacun des principaux protagonistes.

L’opéra de Pékin est un art outré, de plus, il a toujours dépeint les temps anciens et les gens qui y vivaient.

C’est pourquoi il est relativement aisé, dans l’opéra de Pékin, de camper des personnages négatifs et il se trouve d’ailleurs des gens pour apprécier grandement cela.

D’autre part, il est très difficile de créer des personnages positifs, mais nous devons néanmoins créer des figures de héros révolutionnaires d’avant-garde.

Dans le livret initial de la pièce La Montagne du Tigre prise d’assaut, réalisée à Changhaï, les caractères négatifs avaient beaucoup de relief, tandis que les personnages positifs étaient d’une grande fadeur.

La direction accorda un soin particulier à cette question et cet opéra fut remarquablement amélioré.

A présent, la scène où paraît l’ermite Ting-ho a été supprimée. On n’a pour ainsi dire pas touché au rôle du « Vautour », le chef des bandits (l’acteur chargé de ce rôle joue très bien), mais comme les personnages positifs Yang Tse-jong et Chao Kien-po ont été mis en relief, les personnages négatifs ont perdu de leur importance.

Il existe des opinions divergentes au sujet de cette pièce; il serait bon d’en discuter. Chacun doit considérer sa position. Prenez-vous position pour les personnages positifs ou pour les personnages négatifs?

Il paraît que certains s’opposent encore à la description de personnages positifs; cette position n’est pas correcte. Les honnêtes gens sont toujours en majorité, non seulement dans un pays socialiste comme le nôtre, mais également dans les pays impérialistes, où le peuple travailleur constitue la majorité de la population.

De même dans les pays révisionnistes, où les révisionnistes ne sont qu’une minorité.

Il est important que nous donnions une image artistique des révolutionnaires d’avant-garde afin d’éduquer et de galvaniser le public et de l’entraîner dans la marche en avant. Notre but, en créant des opéras sur des thèmes révolutionnaires contemporains est essentiellement d’exalter les personnages positifs.

La pièce Sœurs héroïques de la steppe, réalisée par la troupe d’opéra de Pékin du Théâtre artistique de Mongolie intérieure est excellente. Le librettiste écrivit la pièce sous l’impulsion d’une émotion révolutionnaire, provoquée par les exploits des deux petites héroïnes.

Toute la partie centrale de la pièce est très émouvante, mais l’auteur manquait encore d’un contact suffisant avec la vie, d’autre part, il produisit cette œuvre dans des délais extrêmement brefs, sans avoir le temps d’en ciseler toute la matière et il s’ensuit que le début et la fin ne sont pas très satisfaisants. Aussi a-t-on l’impression de voir une belle peinture dans un cadre de bois grossier.

Il y a encore un point sur lequel cette pièce mérite d’attirer l’attention, c’est qu’il s’agit d’un opéra de Pékin destiné aux enfants.

Bref, cet opéra repose sur une base solide et c’est une bonne œuvre. J’espère que son auteur se plongera plus profondément dans la vie réelle du peuple et qu’il fera de son mieux pour parfaire son œuvre.

A mon avis, nous devons respecter les fruits de notre travail et ne pas nous en désintéresser.

Certains camarades en effet se refusent à apporter des modifications à un travail déjà terminé, mais cette attitude les empêche de produire de meilleures réalisations.

Dans ce domaine, Changhaï nous fournit un bon exemple; c’est parce que les artistes de Changhaï se sont montrés disposés à apporter modification sur modification au livret original que La Montagne du Tigre prise d’assaut a pu être ce qu’elle est actuellement.

Ainsi, les œuvres présentées à l’occasion de ce festival devront encore être améliorées, sans pour autant que l’on rejette ce qui était valable de manière inconsidérée.

En conclusion, je souhaite que chacun consacre une part de son énergie à se faire l’élève des autres, afin de tirer profit de ce festival; les résultats pourront ensuite être présentés au grand public sur toutes les scènes du pays.  »

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7 leçons chinoises pour le réalisme socialiste

Lors de la publication du Compte-rendu de Jiang Qing des Causeries sur le travail littéraire et artistique, il est fait mention en notes de précisions pour les personnes lisant cet ouvrage quant à des positions erronées dans les lettres et les arts.

(1) La théorie affirmant qu’il convient d’« écrire la vérité » est une théorie révisionniste en matière de création littéraire.

Le contre-révolutionnaire Hou Feng préconisait d’ « écrire la vérité » et il était soutenu dans ce sens par Feng Hsiué-feng.

Inspirés par des motifs inavouables, ces gens mettaient l’accent sur l’importance d’ « écrire la vérité. » Derrière le paravent de ce slogan, ils s’opposaient à ce que la littérature et l’art socialistes aient un caractère de classe reflétant une tendance politique.

Et ils s’opposaient à ce que la littérature et l’art servent à éduquer le peuple dans l’esprit du socialisme. Ils se complaisaient à fouiner dans les coins obscurs de la réalité socialiste et à faire les poubelles de l’histoire.

En prônant la prétendue théorie d’ « écrire la vérité », ils ne visaient qu’à dépeindre la radieuse société socialiste sous un jour particulièrement sombre.

(2) La théorie de la « large voie du réalisme » a été lancée par certains éléments antiparti et antisocialistes des milieux littéraires et artistiques, qui, s’opposant aux Interventions aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan du président Mao Zedong, prétendaient qu’elles étaient dépassées et qu’il fallait ouvrir une autre voie plus large.

Telle est la nature de la « large voie du réalisme » avancée par Tsin Tchao-yang et autres.

A leurs yeux, la voie la plus juste et la plus large, celle de servir les ouvriers, paysans et soldats, était encore trop étroite, elle n’était qu’un « dogme stagnant », elle avait « tracé devant les gens un petit sentier immuable ».

Ils préconisaient que les auteurs écrivent ce que bon leur semble selon « leur propre expérience de la vie, leur éducation et leur tempérament ainsi que leur individualité artistique » et que, s’écartant de l’orientation de servir les ouvriers, paysans et soldats, ils cherchent à se donner « un champ de vision infiniment large permettant de développer l’initiative créatrice. »

(3) La théorie de l’« approfondissement du réalisme. »

A l’époque où il préconisait de « peindre des personnages moyens », Chao Tsiuan-lin présenta une thèse dite de l’« approfondissement du réalisme. »

Cette thèse demandait aux écrivains de révéler « les choses anciennes » qui pèsent sur les masses populaires et de résumer « le fardeau moral qui, depuis des millénaires, pèse sur le paysans individuels », créant ainsi des images de « personnages moyens » ayant un caractère complexe.

Cette thèse demande aux écrivains de se donner des sujets « ordinaires », susceptibles de faire « voir les grandes choses à travers les petites » et « saisir le vaste monde à travers un grain de riz. »

Selon lui, les œuvres littéraires ne sont réalistes que lorsqu’elles décrivent des « personnages moyens » en proie à des conflits internes, lorsqu’elles résument « le fardeau moral qui, depuis des millénaires, pèse sur les paysans individuels » et lorsqu’elles dépeignent leur « douloureux passage » de l’économie individuelle à l’économie collective.

Ainsi seulement, le réalisme « s’approfondira ». En revanche, exalter l’héroïsme révolutionnaire des masses populaires, en donner des images héroïques, cela n’est ni vrai, ni réaliste.

L’ « approfondissement du réalisme » est une marchandise directement importée du réalisme critique bourgeois et donc une théorie littéraire réactionnaire à l’extrême.

(4) La théorie de l’opposition au « rôle décisif du sujet » est une idée littéraire artistique antisocialiste.

Parmi les zélés propagateurs de cette opinion figurent notamment Tien Han et Hsia Yen. Dans le choix et le traitement d’un thème, un écrivain prolétarien doit avant tout considérer si celui-ci va dans le sens des intérêts du peuple.

Si l’on choisit et traite un certain thème, c’est pour contribuer à l’épanouissement de tout ce qui est prolétarien et à l’élimination de tout ce qui est bourgeois et c’est pour encourager les masses à suivre fermement la voie socialiste.

Les théoriciens de l’opposition au « rôle décisif du sujet » considéraient ces vues correctes comme des règles draconiennes qu’il « faut éliminer complètement ». Sous prétexte d’élargir la gamme des thèmes littéraires, ils préconisaient de rompre avec « les canons révolutionnaires » et de se rebeller contre « la juste voie de la guerre. »

Ils soutenaient qu’il avait été trop question de révolution et de lutte armée dans notre cinéma et qu’on ne pourrait faire du nouveau qu’en rompant avec ces canons et en trahissant cette juste voie.

Certains proposaient d’écrire sur la « sympathie humaine », l’« amour de l’humanité », les « petites gens » et les « petites choses. »

En fait, tous ces points de vue constituent des tentatives pour que la littérature et l’art s’écartent de la voie de servir la politique prolétarienne.

(5) La théorie des « personnages moyens » est une vue erronée dont Chao Tsiuan-lin, qui fut l’un des vice-présidents de l’Association des Écrivains chinois, a été le principal promoteur.

Entre l’hiver de 1960 et l’été de 1962, il formula à maintes reprises cette opinion. Il calomniait la grande majorité des paysans pauvres et des paysans moyens de la couche inférieure en les présentant comme des personnages « moyens » hésitant entre le socialisme et le capitalisme.

Il considérait que les œuvres littéraires devaient faire plus de place à ces « personnages moyens ». Son but était de répandre un sentiment de scepticisme et d’irrésolution face au socialisme et en même temps de faire obstruction à la peinture de héros de l’époque socialiste dans les œuvres littéraires et artistiques.

(6) La théorie de l’ « opposition à l’odeur de la poudre. »

La littérature du révisionnisme moderne s’étend avec complaisance sur les horreurs de la guerre et répand « la philosophie de la survie à tout prix » et le capitulationnisme afin de paralyser la volonté de lutte des peuples et de répondre aux besoins de l’impérialisme. Ces dernières années, dans notre pays aussi il s’est trouvé des gens pour clamer sans cesse que notre littérature sentait trop la poudre, que la scène de notre théâtre n’était qu’un hérissement de fusils et que cela était inesthétique.

Ceux-là recommandaient aux écrivains de rompre avec les « canons révolutionnaires » et de se rebeller contre « la juste voie de la guerre ». L’opposition à une littérature répandant l’« odeur de la poudre » est en fait un reflet du courant révisionniste dans les cercles littéraires et artistiques de notre pays.

(7) La « synthèse de l’esprit de l’époque » est une théorie absurde anti-marxiste-léniniste dont Tcheou Kou-tcheng se fit le représentant. Celui-ci niait que l’esprit de l’époque fût celui qui pousse celle-ci dans sa marche en avant et que le représentant de cet esprit fût la classe avancée qui donne son impulsion à cette même époque.

Il soutenait que l’esprit de l’époque ne peut être que la « synthèse » des « diverses idéologies des diverses classes » où confluaient « toutes sortes d’esprits pseudo-révolutionnaires, non révolutionnaires et même contre-révolutionnaires ».

La « synthèse de l’esprit de l’époque » n’est donc rien d’autre que la théorie tout à fait réactionnaire de la « réconciliation de classe ». 

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Les conseils et critères de Mao Zedong pour le réalisme socialiste

Mao Zedong, dans les Interventions aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan, donne des indications pratiques aux artistes, dans le cadre du front de lutte anti-japonais.

« Nos écrivains et artistes ont pour tâche leur propre travail de création, mais leur premier devoir est de comprendre les gens et de les connaître à fond.

Or, qu’en a-t-il été à cet égard de nos écrivains et artistes jusqu’à présent ? Je dirais qu’ils ont manqué de connaissance et de compréhension ; ils ont été semblables à ces « héros qui ne savent où manifester leurs prouesses ».

Quelle est la connaissance qui leur manquait ? Celle des gens. Nos écrivains et artistes ne connaissaient bien ni leur sujet ni leur public et parfois ceux-ci leur restaient même complètement étrangers.

Ils ne connaissaient pas les ouvriers, les paysans et les soldats, ni leurs cadres. Quelle est la compréhension qui leur manquait ? Celle du langage, c’est-à-dire qu’ils ne comprenaient pas bien le langage riche et vivant des masses.

Nombre d’écrivains et d’artistes demeurent coupés des masses et mènent une existence vide ; le langage du peuple ne leur est évidemment pas familier ; aussi écrivent-ils dans une langue insipide, le plus souvent truffée d’expressions fabriquées, ni chair ni poisson, à cent lieues du langage du peuple.

Beaucoup de camarades aiment à parler du « style des masses » ; mais que signifie l’expression « style des masses » ? Elle signifie que les pensées et les sentiments de nos écrivains et artistes doivent se fondre avec ceux des larges masses d’ouvriers, de paysans et de soldats.

Pour réaliser cette fusion, il faut apprendre consciencieusement le langage des masses ; si celui-ci vous est en grande partie inintelligible, comment pouvez-vous parler de création artistique  ? »

« Si vous voulez que les masses vous comprennent, si vous voulez ne faire qu’un avec elles, vous devez trouver en vous la volonté de vous soumettre à une refonte longue et même douloureuse. A ce propos, je peux vous faire part de mon expérience sur les transformations de mes propres sentiments.

Je suis un homme qui est passé par l’école et j’y avais acquis les habitudes d’un étudiant ; devant la foule des étudiants qui n’auraient pu porter quoi que ce soit sur leurs épaules ou dans leurs mains, j’aurais cru manquer de dignité en faisant le moindre travail manuel, comme par exemple de porter moi-même mes bagages sur l’épaule.

En ce temps-là, il me semblait que seuls les intellectuels étaient propres, et que, comparés à eux, les ouvriers et les paysans étaient plus ou moins sales. Je pouvais porter les vêtements d’un autre intellectuel parce que je pensais qu’ils étaient propres, mais je n’aurais pas voulu mettre les habits d’un ouvrier ou d’un paysan, car je les trouvais sales.

Devenu révolutionnaire, je vécus parmi les ouvriers, les paysans et les soldats de l’armée révolutionnaire et, peu à peu, je me familiarisai avec eux, et eux avec moi. C’est alors, et alors seulement, qu’un changement radical s’opéra dans les sentiments bourgeois et petits-bourgeois qu’on m’avait inculqués dans les écoles bourgeoises.

J’en vins à comprendre que, comparés aux ouvriers et aux paysans, les intellectuels non rééduqués n’étaient pas propres ; que les plus propres étaient encore les ouvriers et les paysans, plus propres, malgré leurs mains noires et la bouse qui collait à leurs pieds, que tous les intellectuels bourgeois et petits-bourgeois. Voilà ce que j’appelle se refondre, remplacer les sentiments d’une classe par ceux d’une autre classe.  »

« La critique littéraire et artistique comporte deux critères : l’un politique, l’autre artistique. Selon le critère politique, est bon tout ce qui favorise la résistance au Japon et l’unité du peuple, tout ce qui exhorte les masses à la concorde et à l’union des volontés, tout ce qui s’oppose à la régression et contribue au progrès ; est mauvais, par contre, tout ce qui ne favorise pas la résistance au Japon et l’unité du peuple, tout ce qui sème la discorde et la division au sein des masses, tout ce qui s’oppose au progrès et nous ramène en arrière.

Mais sur quoi devons-nous nous baser, en dernière analyse, pour discerner le bon du mauvais, sur les intentions (les désirs subjectifs) ou sur les résultats (la pratique sociale) ? Les idéalistes mettent l’accent sur les intentions et ignorent les résultats ; les partisans du matérialisme mécaniste mettent l’accent sur les résultats et ignorent les intentions.

En opposition avec les uns comme avec les autres, nous considérons, à la lumière du matérialisme dialectique, les intentions et les résultats dans leur unité. L’intention de servir les masses est inséparable du résultat qui est d’obtenir l’approbation des masses ; il faut qu’il y ait unité entre les deux.

Est mauvais ce qui part d’intentions inspirées par l’intérêt personnel ou par celui d’un groupe restreint ; est mauvais également ce qui est inspiré par l’intérêt des masses, mais n’aboutit pas à des résultats approuvés par les masses, utiles aux masses.

Pour juger des désirs subjectifs d’un auteur, c’est-à-dire pour juger si l’auteur est guidé par des intentions justes et bonnes, nous ne devons pas nous référer à ses déclarations, mais à l’effet de ses actes (principalement de ses œuvres) sur les masses de la société.

La pratique sociale et ses résultats sont le critère permettant de contrôler les désirs subjectifs ou les intentions.

Notre critique littéraire et artistique doit être étrangère au sectarisme, et, compte tenu du principe général de l’union dans la lutte contre le Japon, nous devons admettre l’existence d’œuvres littéraires et artistiques reflétant les vues politiques les plus variées.

Mais en même temps notre critique doit rester inébranlable sur les positions de principe ; il faut soumettre à une critique sévère et condamner toutes les œuvres littéraires et artistiques contenant des vues antinationales, antiscientifiques, antipopulaires, anticommunistes, car, tant par les intentions que par les résultats, ces œuvres, si l’on peut les appeler ainsi, sabotent l’union dans la résistance au Japon.

Selon le critère artistique, tout ce qui est à un niveau artistique relativement élevé est bon ou relativement bon ; tout ce qui est à un niveau artistique relativement bas est mauvais ou relativement mauvais.

Bien entendu, ici également, il faut tenir compte de l’effet produit par l’œuvre sur la société. Il n’y a guère d’écrivain ou d’artiste qui ne trouve belles ses propres œuvres, et notre critique doit permettre la libre compétition des œuvres d’art les plus variées ; mais il est indispensable de les soumettre à une critique juste selon les critères scientifiques de l’art, de façon qu’un art situé à un niveau relativement bas s’améliore progressivement et atteigne un niveau relativement élevé, et qu’un art qui ne répond pas aux exigences de la lutte des larges masses finisse par les satisfaire.

Il existe donc deux critères – l’un politique, l’autre artistique ; quel est le rapport entre eux ? Il est impossible de mettre le signe égal entre la politique et l’art, de même qu’entre une conception générale du monde et les méthodes de la création et de la critique artistiques.

Nous nions l’existence non seulement d’un critère politique abstrait et immuable, mais aussi d’un critère artistique abstrait et immuable ; chaque classe, dans chaque société de classes, possède son critère propre, aussi bien politique qu’artistique.

Néanmoins, n’importe quelle classe, dans n’importe quelle société de classes, met le critère politique à la première place et le critère artistique à la seconde. La bourgeoisie rejette toujours les œuvres littéraires et artistiques du prolétariat, quelles que soient leurs qualités artistiques.

De son côté, le prolétariat doit déterminer son attitude à l’égard d’une œuvre littéraire ou artistique du passé, avant tout d’après la position prise dans cette œuvre vis-à-vis du peuple, et selon que celle-ci a eu ou non, dans l’histoire, une signification progressiste.

Certaines productions, foncièrement réactionnaires sur le plan politique, peuvent présenter en même temps quelque valeur artistique. Plus une œuvre au contenu réactionnaire a de valeur artistique, plus elle est nocive pour le peuple, et plus elle est à rejeter.

Le trait commun à la littérature et à l’art de toutes les classes exploiteuses sur leur déclin, c’est la contradiction entre le contenu politique réactionnaire et la forme artistique des œuvres.

Quant à nous, nous exigeons l’unité de la politique et de l’art, l’unité du contenu et de la forme, l’unité d’un contenu politique révolutionnaire et d’une forme artistique aussi parfaite que possible.

Les œuvres qui manquent de valeur artistique, quelque avancées qu’elles soient au point de vue politique, restent inefficaces. C’est pourquoi nous sommes à la fois contre les œuvres d’art exprimant des vues politiques erronées et contre la tendance à produire des œuvres au « style de slogan et d’affiche », où les vues politiques sont justes mais qui manquent de force d’expression artistique. Nous devons, en littérature et en art, mener la lutte sur deux fronts.  »

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Mao Zedong affine la définition du réalisme socialiste

Mao Zedong apporte une compréhension plus approfondie du réalisme socialiste. Voici comment il formule la théorie du reflet au cœur du réalisme socialiste, en 1942, dans ses Interventions aux causeries sur la littérature et l’art.

« La littérature et l’art révolutionnaires sont donc le produit du reflet de la vie du peuple dans le cerveau de l’écrivain ou de l’artiste révolutionnaire. La vie du peuple est toujours une mine de matériaux pour la littérature et l’art, matériaux à l’état naturel, non travaillés, mais qui sont en revanche ce qu’il y a de plus vivant, de plus riche, d’essentiel.

Dans ce sens, elle fait pâlir n’importe quelle littérature, n’importe quel art, dont elle est d’ailleurs la source unique, inépuisable. Source unique, car c’est la seule possible ; il ne peut y en avoir d’autre.

Certains diront : Et la littérature et l’art dans les livres et les œuvres des temps anciens et des pays étrangers ? Ne sont-ils pas des sources aussi ?

A vrai dire, les œuvres du passé ne sont pas des sources, mais des cours d’eau ; elles ont été créées avec les matériaux que les auteurs anciens ou étrangers ont puisés dans la vie du peuple de leur temps et de leur pays. Nous devons recueillir tout ce qu’il y a de bon dans l’héritage littéraire et artistique légué par le passé, assimiler d’un esprit critique ce qu’il contient d’utile et nous en servir comme d’un exemple, lorsque nous créons des œuvres en empruntant à la vie du peuple de notre temps et de notre pays les matériaux nécessaires.

Entre avoir et ne pas avoir un tel exemple, il y a une différence : la différence qui fait que l’œuvre est élégante ou brute, raffinée ou grossière, supérieure ou inférieure et que l’exécution en est aisée ou laborieuse.

C’est pourquoi nous ne devons pas rejeter l’héritage des anciens et des étrangers ni refuser de prendre leurs œuvres pour exemples, fussent-elles féodales ou bourgeoises. Mais accepter cet héritage et le prendre en exemple ne doit jamais suppléer à notre propre activité de création, que rien ne peut remplacer.

Transposer et imiter sans aucun esprit critique les œuvres anciennes et étrangères, c’est, en littérature et en art, tomber dans le dogmatisme le plus stérile et le plus nuisible.

Les écrivains et artistes révolutionnaires chinois, les écrivains et artistes qui promettent doivent aller parmi les masses ; ils doivent se mêler pendant une longue période, sans réserve et de tout cœur, à la masse des ouvriers, des paysans et des soldats, passer par le creuset du combat, aller à la source unique, prodigieusement riche et abondante, de tout travail créateur, pour observer, comprendre, étudier et analyser toutes sortes de gens, toutes les classes, toutes les masses, toutes les formes palpitantes de la vie et de la lutte, tous les matériaux bruts nécessaires à la littérature et à l’art.

C’est seulement ensuite qu’ils pourront se mettre à créer. Si vous n’agissez pas ainsi, votre travail sera sans objet, vous appartiendrez à ce genre d’écrivains ou d’artistes qui ne le sont que de nom et dont Lou Sin, dans son testament, recommandait vivement à son fils de ne jamais suivre l’exemple.

Bien que la vie sociale des hommes soit la seule source de la littérature et de l’art, et qu’elle les dépasse infiniment par la richesse vivante de son contenu, le peuple ne s’en contente pas et veut de la littérature et de l’art. Pourquoi?

Parce que, si la vie comme la littérature et l’art sont beaux, la vie reflétée dans les œuvres littéraires et artistiques peut et doit toutefois être plus relevée, plus intense, plus condensée, plus typique, plus proche de l’idéal et, partant, d’un caractère plus universel que la réalité quotidienne.

Puisant leurs éléments dans la vie réelle, la littérature et l’art révolutionnaires doivent créer les figures les plus variées et aider les masses à faire avancer l’histoire.  »

« Dans le monde d’aujourd’hui, toute culture, toute littérature et tout art appartiennent à une classe déterminée et relèvent d’une ligne politique définie. Il n’existe pas, dans la réalité, d’art pour l’art, d’art au-dessus des classes, ni d’art qui se développe en dehors de la politique ou indépendamment d’elle.

La littérature et l’art prolétarien font partie de l’ensemble de la cause révolutionnaire du prolétariat ; ils sont, comme disait Lénine, « une petite roue et une petite vis du mécanisme général de la révolution ».

Aussi le travail littéraire et artistique occupe-t-il dans l’ensemble de l’activité révolutionnaire du Parti une position fixée et bien définie ; il est subordonné à la tâche révolutionnaire assignée par le Parti pour une période donnée de la révolution.

Rejeter cela, c’est glisser inévitablement vers le dualisme ou le pluralisme, ce qui en substance aboutirait à ce que voulait Trotski : « une politique marxiste et un art bourgeois ».

Nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui donnent à la littérature et à l’art une importance tellement exagérée qu’elle devient une erreur, mais nous ne sommes pas d’accord, non plus, avec ceux qui sous-estiment leur importance.

La littérature et l’art sont subordonnés à la politique, mais ils exercent, à leur tour, une grande influence sur elle. La littérature et l’art révolutionnaire font partie de l’ensemble de la cause de la révolution, dont ils constituent une petite roue et une petite vis.

Certes, au point de vue de la portée, de l’urgence et de l’ordre de priorité, ils le cèdent à d’autres parties encore plus importantes, mais ils n’en sont pas moins une petite roue, une petite vis du mécanisme général, une partie indispensable à l’ensemble de la cause de la révolution. La révolution ne peut progresser et triompher sans la littérature et sans l’art, fussent-ils parmi les plus simples, parmi les plus élémentaires.  »

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