Aristote étant un matérialiste, il sait que ce qui est dit reflète la considération de la personne qui parle. Cependant, l’être humain ne peut formuler que trois choses : soit l’expression d’une information sensible (perçue par ce qu’Aristote désigne comme étant les cinq sens), soit l’expression de l’imagination, soit l’expression de l’intellect agent c’est-à-dire de la science.
Voilà pourquoi Aristote explique dans De l’interprétation que :
« Les sons émis par la voix sont les symboles des états de l’âme, et les mots écrits les symboles des mots émis par la voix. »
Soit en effet l’état de l’âme correspond à comment on interprète les choses (par l’imagination), soit on s’abaisse à une information sensible direct (en disant aïe par exemple) mais il y a déjà une part de considération sur ce qu’on vit, soit on exprime directement ce qui est vrai scientifiquement et l’âme se confond avec l’intellect agent.
Ainsi, Aristote considère que le langage n’est pas indépendant, il n’est pas ce qu’on appelle dans le matérialisme historique une superstructure. Aristote dit d’ailleurs qu’il existe plusieurs langues, que les mots changent, mais que les états de l’âme sont les mêmes partout.
Il y a ainsi universalité de l’humanité et le langage est un outil d’expression des réflexions, outil non indépendant, n’ayant pas sa vie propre. Les mots en eux n’impliquent rien tant qu’ils ne sont pas reliés, exprimant quelque chose de manière organisée.
Aristote prend l’exemple d’un mot inventé, « bouc-cerf », et dit que ce terme n’implique rien, tant qu’on a pas mis devant « il existe un » ou bien « il n’existe pas un ».
Un nom n’a de sens ainsi que comme symbole intégré dans un système d’expression compréhensible et validé. Il en va de même pour les verbes, qui disent quelque chose sur quelque chose d’autre, mais fixent de même la pensée de celui qui le lit ou l’entend.
Le langage est ainsi ce qu’on appelle une infrastructure dans le matérialisme historique :
« Tout discours a une signification, non pas toutefois comme un instrument naturel, mais ainsi que nous l’avons dit, par convention. Pourtant tout discours n’est pas une proposition, mais seulement le discours dans lequel réside le vrai ou le faux, ce qui n’arrive pas dans tous les cas : ainsi la prière est un discours, mais elle n’est ni vraie, ni fausse. »
Aristote constate alors qu’on peut faire une déclaration affirmative, ainsi qu’une déclaration négative. C’est une contradiction. Voici comment il la présente, avec une bonne approche dialectique :
« Une affirmation est la déclaration qu’une chose se rapporte à une autre chose ; une négation est la déclaration qu’une chose est séparée d’une autre chose.
— Et puisqu’il est possible d’affirmer ce qui appartient à une chose comme ne lui appartenant pas, ce qui ne lui appartient pas comme lui appartenant, ce qui lui appartient comme lui appartenant, ce qui ne lui appartient pas comme ne lui appartenant pas, et qu’on le peut également suivant les temps qui se trouvent en dehors du moment présent, tout ce qu’on a affirmé il sera possible de le nier, et tout ce qu’on a nié de l’affirmer.
Il est par suite évident qu’à toute affirmation répond une négation opposée, et à toute négation une affirmation.
— Appelons contradiction l’opposition d’une affirmation et d’une négation. »
Aristote constate également qu’il y a des choses particulières et des choses universelles : c’est là encore une lecture dialectique. Bien entendu, il ne voit pas l’universel dans le particulier et inversement, pour lui ce qui est dit l’est soit de l’un, soit de l’autre. De même, il n’y a pas d’unité de la contradiction, seulement une opposition : une chose ne peut pas être dite en même temps blanche et non blanche, même s’il est reconnu qu’à une affirmation répond une seule négation.
On a cependant une considération matérialiste du langage, qui doit être cohérent et au sein duquel il y a des tensions dialectiques, tout en étant une infrastructure et pas une superstructure.