Le langage comme infrastructure chez Aristote

Aristote étant un matérialiste, il sait que ce qui est dit reflète la considération de la personne qui parle. Cependant, l’être humain ne peut formuler que trois choses : soit l’expression d’une information sensible (perçue par ce qu’Aristote désigne comme étant les cinq sens), soit l’expression de l’imagination, soit l’expression de l’intellect agent c’est-à-dire de la science.

Voilà pourquoi Aristote explique dans De l’interprétation que :

« Les sons émis par la voix sont les symboles des états de l’âme, et les mots écrits les symboles des mots émis par la voix. »

Soit en effet l’état de l’âme correspond à comment on interprète les choses (par l’imagination), soit on s’abaisse à une information sensible direct (en disant aïe par exemple) mais il y a déjà une part de considération sur ce qu’on vit, soit on exprime directement ce qui est vrai scientifiquement et l’âme se confond avec l’intellect agent.

Ainsi, Aristote considère que le langage n’est pas indépendant, il n’est pas ce qu’on appelle dans le matérialisme historique une superstructure. Aristote dit d’ailleurs qu’il existe plusieurs langues, que les mots changent, mais que les états de l’âme sont les mêmes partout.

Il y a ainsi universalité de l’humanité et le langage est un outil d’expression des réflexions, outil non indépendant, n’ayant pas sa vie propre. Les mots en eux n’impliquent rien tant qu’ils ne sont pas reliés, exprimant quelque chose de manière organisée.

Aristote prend l’exemple d’un mot inventé, « bouc-cerf », et dit que ce terme n’implique rien, tant qu’on a pas mis devant « il existe un » ou bien « il n’existe pas un ».

Un nom n’a de sens ainsi que comme symbole intégré dans un système d’expression compréhensible et validé. Il en va de même pour les verbes, qui disent quelque chose sur quelque chose d’autre, mais fixent de même la pensée de celui qui le lit ou l’entend.

Le langage est ainsi ce qu’on appelle une infrastructure dans le matérialisme historique :

« Tout discours a une signification, non pas toutefois comme un instrument naturel, mais ainsi que nous l’avons dit, par convention. Pourtant tout discours n’est pas une proposition, mais seulement le discours dans lequel réside le vrai ou le faux, ce qui n’arrive pas dans tous les cas : ainsi la prière est un discours, mais elle n’est ni vraie, ni fausse. »

Aristote constate alors qu’on peut faire une déclaration affirmative, ainsi qu’une déclaration négative. C’est une contradiction. Voici comment il la présente, avec une bonne approche dialectique :

« Une affirmation est la déclaration qu’une chose se rapporte à une autre chose ; une négation est la déclaration qu’une chose est séparée d’une autre chose.

— Et puisqu’il est possible d’affirmer ce qui appartient à une chose comme ne lui appartenant pas, ce qui ne lui appartient pas comme lui appartenant, ce qui lui appartient comme lui appartenant, ce qui ne lui appartient pas comme ne lui appartenant pas, et qu’on le peut également suivant les temps qui se trouvent en dehors du moment présent, tout ce qu’on a affirmé il sera possible de le nier, et tout ce qu’on a nié de l’affirmer.

Il est par suite évident qu’à toute affirmation répond une négation opposée, et à toute négation une affirmation.

— Appelons contradiction l’opposition d’une affirmation et d’une négation. »

Aristote constate également qu’il y a des choses particulières et des choses universelles : c’est là encore une lecture dialectique. Bien entendu, il ne voit pas l’universel dans le particulier et inversement, pour lui ce qui est dit l’est soit de l’un, soit de l’autre. De même, il n’y a pas d’unité de la contradiction, seulement une opposition : une chose ne peut pas être dite en même temps blanche et non blanche, même s’il est reconnu qu’à une affirmation répond une seule négation.

On a cependant une considération matérialiste du langage, qui doit être cohérent et au sein duquel il y a des tensions dialectiques, tout en étant une infrastructure et pas une superstructure.

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La qualité et les opposés chez Aristote

Pour Aristote, la science porte sur la réalité, mais sa propre existence est comme indépendante de la réalité. Il faut exister pour réaliser la science et ce qui est étudié n’a pas besoin de la science pour exister… Mais Aristote ne voit pas le rapport dialectique entre l’humanité portant la science et la réalité.

Il en reste à niveau immédiatiste :

« Le sensible est antérieur, semble-t-il, à la sensation. Car la suppression du sensible entraîne avec elle la suppression de la sensation, tandis que celle de la sensation n’entraîne pas la suppression du sensible.

En effet, les sensations mettent en jeu le corps et elles y résident. Or, le sensible une fois supprimé, le corps l’est aussi, car le corps fait également partie des sensibles ; et, sans le corps, la sensation aussi est supprimée.

Par conséquent, la suppression du sensible entraîne celle de la sensation. »

C’est là un point de vue tout à fait matérialiste, mais qui en reste au niveau de l’empirisme. Il ne parvient pas à la conception d’une humanité appliquant la science, car elle se retrouve dans une situation où elle peut le faire, car elle est issue de la transformation de la réalité et a un rôle elle-même transformatrice qui lui est attribuée.

Aristote ne dépasse pas, malheureusement, le stade de la contemplation propre au matérialisme de l’époque du mode de production esclavagiste.

Pour cette raison, sa définition de la qualité pose souci. Pour lui, elles sont de trois types.

Il y a les qualités qui constituent soit un état, soit une disposition. L’état est quelque chose de prolongé, la disposition est plus prompte à être modifiée. Les états sont par ailleurs également des dispositions, mais l’inverse n’est pas vraie.

Il y a ensuite les qualités consistant en des aptitudes naturelles. Il y a ensuite les qualités affectives, c’est-à-dire produisant des affections, telle la chaleur pour le toucher, la douceur pour le goût, etc.

Aristote présente un quatrième genre de qualité, particulièrement différent des autres celui-là, puisqu’il s’agit de la figure et de la forme de chaque chose, avec également la droiture et la courbure.

La qualité constitue donc uniquement en des attributs. Il n’y a pas de différence de fond entre quantité et qualité, seulement de forme : on n’est plus ou moins lourd, plus ou moins grand, plus ou moins doué à la natation, plus ou moins calme, plus ou moins fin de visage, etc.

Il n’y a pas la qualité comme saut, ce qui est inévitable de par l’approche d’Aristote, qui est celle d’un dynamisme reposant sur l’opposition mettre en mouvement / mis en mouvement.

Les opposés sont donc eux aussi réduits à une sorte de réciprocité. Soit il manque quelque chose par rapport à quelque chose d’autre, soit c’est relativement différent, soit l’état est différent, soit une chose affirme et l’autre nie, soit ce sont des contraires apparents.

Mais on n’a pas de mouvement dans les opposés. D’ailleurs, ce que vise Aristote, c’est le fait de présenter les choses de manière adéquate, pas de chercher le mouvement. Pour lui, le mouvement découle d’un état de fait, au sens chaque état de fait est issu d’un mouvement extérieur ayant impulsé un changement.

Les catégories servent par conséquent à dresser le panorama d’un système de causes et de conséquences.

Pour cette raison, Aristote est amené à concevoir cinq façons d’être de l’antériorité : plus ancienne, avant dans la ligne de la nécessité (1 avant 2), précédent dans l’ordre logique (comme dans une démonstration), par nature (selon les affinités, la préférence).

A cela s’ajoute l’antériorité suivant la réciprocité : si on parle de quelqu’un qui existe, alors celui-ci existe au préalable.

Cela implique qu’il n’y a pas de considération que le temps est l’expression du mouvement ; le temps se voit ici accorder une dignité comme lieu d’existence. Il n’est pas le fruit du mouvement dans l’espace.

Il en va de même pour le mouvement. Chez Aristote, il n’est pas interne, pas fondé sur la loi de la contradiction (ou plus précisément il n’est pas la loi de la contradiction).

Il en distingue six espèces : la génération, la corruption, l’augmentation, l’amoindrissement, l’altération, le changement de lieu. Tout cela montre qu’Aristote considère le mouvement selon la question de la qualité des choses, de leur existence en tant que forme.

Il y a d’un côté des substances inaltérables, de l’autre des formes connaissant des modifications et étant, qui plus est, différentes.

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Réciprocité et simultanéité chez Aristote

Aristote se fonde entièrement sur le principe de la réciprocité. Reste à savoir une chose : quelle est sa nature ? On sait que pour Aristote, l’entéléchie est quelque chose de dynamique. Il y a un potentiel, activé par une force mettant en branle un processus, on a alors un résultat.

Maintenant, il y a deux possibilités. Soit Aristote maintient la dynamique naturelle dans toutes les choses, ou bien il l’abandonne. Soit en matérialiste, il voit tout en mouvement – au sens de mis en mouvement -, soit il privilégie la réciprocité qui, par définition, peut être statique parfois, car non existante.

S’il assumait le premier point, il irait dans le sens du matérialisme dialectique : il n’est pas de temps morts, tout est tout le temps en mouvement, tout est pris dans les flots du mouvement car étant soi-même en mouvement. On a le principe de la transformation.

Aristote, vivant à une époque plus arriérée, ne pouvait pas saisir cela. Il est obligé de dire qu’il n’y pas de réciprocité tout le temps dans tout, même s’il se doute qu’il y a là incohérence :

« Il semble par ailleurs que les relatifs soient simultanés par nature. Et dans la très grande majorité des cas, c’est vrai.

En effet, double et demi existent ensemble. Et s’il y a demi, il y a double, comme s’il y a maître, il y a esclave, et s’il y a esclave, il y a maître. Et c’est comme cela pour le reste.

D’ailleurs, ils se suppriment aussi réciproquement. Car sans double, il n’y pas de demi et sans demi, il n’y a pas de double. Et il en va encore de même dans tous les autres cas de ce genre. »

Voilà qui est tout à fait dialectique. Cependant, Aristote ajoute alors :

« Cependant, tous les cas de relatifs ne permettent pas de vérifier, semble-t-il, cette simultanéité naturelle.

En effet, ce qui peut être connu scientifiquement est antérieur à la science, à ce qu’il peut sembler, puisque le plus souvent, les choses sont déjà préalablement là quand nous arrivons à obtenir les connaissances scientifiques.

Ce n’est que rarement, en effet, sinon jamais, qu’on peut voir la science advenir en même temps que ce qui peut être su.

De plus, la suppression de ce qui peut être su entraîne avec elle la suppression de la science, tandis que celle de la science n’entraîne pas la suppression de ce qui peut être su.

En effet, sans ce qui peut être su, il n’y a pas de science, puisqu’il n’y aurait plus de science de quoi que ce soit, tandis que sans la science, rien n’empêche l’existence de ce qui peut être su. »

C’est là en opposition avec le principe de la dignité du réel, où tout est reflet et où la science ne peut pas se développer « abstraitement » mais uniquement en rapport avec ce qui la porte, ici l’humanité, qui est elle-même le produit d’une évolution synthétique et qui n’apparaît pas de manière séparée ou isolée.

Le matérialisme dialectique ne pose pas la simultanéité, car il y a développement inégal, il y a un retard de par le principe du reflet. Mais il y a une liaison interne.

Aristote voit bien qu’il bute sur un véritable problème. Pour lui, tout est cohérent, alors logiquement la science devrait émerger de manière cohérente. Mais ne saisissant pas le mouvement comme étant la réalité matérielle, considérant le mouvement comme une dynamique s’appliquant à la matière (même si par la matière, mais par impulsion extérieure), alors il est obligé de s’enliser sur la question de la simultanéité dans son lien avec la réciprocité.

C’est également cela qui explique son problème de la définition de « l’intellect agent » qui existe de manière « séparée » de « l’intellect patient », les humains ayant un intellect passif où ils retrouvent la cohérence logique de l’univers dans ses principes : penser de manière cohérente c’est penser bien, car comme l’univers cohérent.

Le matérialisme dialectique ne place pas l’intellect agent comme séparé, car la conscience reflète la transformation du monde. Mais chez Aristote le monde est statique en soi, il ne pouvait donc que séparer abstraitement tant l’intellect agent et l’intellect patient que les éléments réciproques.

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Les attributs et la complémentarité chez Aristote

Aristote, une fois ayant présentée la substance comme ce dont on parle, développe son point de vue quant au moyen d’en parler. Il présente ainsi la quantité, qui peut être discrète ou continue. Pareillement, une quantité peut constituer un ordre seulement et non pas une position, par exemple quand un moment passe : il a des parties qui passent et donc pas de position puisqu’il est passé.

Il y a également des quantités par coïncidences : c’est la table qui a une surface, le fait qu’elle soit blanche est secondaire.

En plus de la quantité, il y a les « relatifs », « les choses telles que l’état, la disposition, la sensation, la science, la position ».

Pourquoi ce terme ? Parce ces notions sont relatives à quelque chose. C’est la science de quelque chose, position de quelque chose, etc.

Or, il fallait bien qu’Aristote relie les choses. Il est matérialiste, donc il doit procéder à la connexion de choses. Il ne le fait pas par la loi de la contradiction, mais il est matérialiste. Comment procède-t-il ?

Aristote dit la chose suivante : les relatifs sont réciproques. Ce n’est pas de la dialectique, car il n’y voit pas des contraires, mais des complémentarités. Il constate ainsi :

« L’esclave est dit esclave d’un maître et le maître est dit maître d’un esclave ; le double, double d’un demi et le demi, demi d’un double, ainsi que le majeur, majeur par rapport à un mineur et le mineur, mineur par rapport à un majeur.

Et il en va encore de même dans les autres cas. »

Aristote est obligé de faire cette connexion par complémentarité, car il n’a pas la contradiction pour lier les phénomènes. Ne voulant pas atomiser la réalité en entités séparés comme le fait Platon et sa vision logico-mathématique, il doit parvenir à relier les choses, d’une manière ou d’une autre.

De là vient sa théorie de la complémentarité, qui est au sens strict sa vision des choses. L’arrière-plan est sa conception de la mise en mouvement, et inversement. Puisqu’il y a entéléchie, c’est-à-dire réalisation d’un potentiel par une mise en mouvement, qui aboutit à un phénomène concret, alors par définition ce qui est mis en mouvement pouvait l’être et ce qui a mis en mouvement pouvait le faire.

La science constitue alors en l’étude des réciprocités – ce qui passe par la compréhension des attributs des substances. On peut alors classifier, catégoriser.

Si l’on prend un gouvernail, on voit que tous les bateaux n’en ont pas, et que donc il n’y a pas réciprocité au sens strict. Le gouvernail a comme réciproque le fait d’utiliser un gouvernail, et inversement.

Aristote résume cette universalité de la réciproque en disant :

« Tous les relatifs, donc, s’ils sont expliqués adéquatement, se disent relativement à des réciproques.

Le fait est que, s’ils sont en tout cas mis en rapport dans l’explication avec une chose prise au hasard et non avec le corrélatif lui-même, il n’y a pas réciprocité (…). L’esclave, si on explique qu’il est esclave, non d’un maître, mais d’un homme, d’un bipède ou de quoi que ce soit de ce genre, il n’y a pas de réciprocité, parce que l’explication n’est pas adéquate. »

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Les catégories et la dialectique chez Aristote

En posant les catégories, Aristote fait deux choses. Tout d’abord, il échappe à l’idéalisme de Platon, puisque ce dernier a une conception logico-mathématique du monde, avec le « monde des idées », sous-produit du « un » divin ayant donné naissance à la multiplicité, les nombres façonnant la matière.

Aristote dit quant à lui que les catégories sont à trouver dans le monde réel. C’est donc une affirmation matérialiste. Le souci, c’est qu’il ne connaît pas la dialectique, pour des raisons historiques.

Pour cette raison, il en arrive à dire :

« Il appartient aux substances de n’avoir aucun contraire. Que serait, en effet, le contraire de la substance première ? Ainsi, un certain homme n’a aucun contraire.

Et pour sûr, l’homme non plus ou l’animal n’ont le moindre contraire. Cependant, ce trait n’est pas propre à la substance, mais se rencontre aussi dans beaucoup d’autres.

Ainsi dans le cas de la quantité. La dimension de deux coudées, en effet, n’a pas le moindre contraire, ni la dizaine, ni rien de ce genre, sauf à prétendre que beaucoup est le contraire de peu ou grand de petit. Mais, parmi les quantités déterminées, rien n’est le contraire de rien. »

Il faudra attendre Hegel pour la saisie de la dialectique à partir de la question de l’infini, puis Karl Marx et Friedrich Engels pour l’affirmation du matérialisme dialectique, dans le cadre de l’affirmation de la classe ouvrière.

Aristote est très loin de cette période historique ; il n’a pas les moyens de saisir les principes de la dialectique, même si, bien entendu, il y tend de par son matérialisme authentique.

Il retrouve ainsi le principe de l’identité dans la contradiction. Il dit ainsi :

« Il semble, par ailleurs, que la substance ne soit pas susceptible du plus et du moins (…). Supposé que la substance soit un homme, il ne sera pas plus ou moins homme, ni par comparaison avec lui-même, ni par comparaison avec un autre. »

Ce faisant, Aristote est capable de cerner les moments du processus de la matière. Il y a des gens plus beaux que d’autres, peut-être, mais tous sont des êtres humains et aucun ne l’est plus qu’un autre.

En fait, c’est même déjà en soi une négation, au sens où le fait de poser une essence est une détermination et que, comme l’a souligné Spinoza, toute détermination est négation.

Aristote l’entrevoit pratiquement en constatant que la substance peut recevoir des contraires : un même être humain peut être vilain ou excellent, or il s’agit de deux contraires. C’est même propre à la substance :

« Ce qui sera propre à la substance, c’est que, tout en étant la même et une numériquement, elle peut, en vertu de son propre changement, recevoir les contraires. »

Mais comme c’est déplacé à un niveau secondaire, cela n’a pas de portée générale dans son système. Aristote a une lecture descendante de la vérité ; il faut partir de la substance et voir comment à chaque fois qu’on descend dans l’abandon de l’unité, il y a diversité.

Aristote manie donc la dialectique, du côté de l’identité seulement, sans saisir qu’il le fait. C’est un matérialisme essentialiste, qui fixe les moments d’organisation de la matière, mais ce faisant au moins il les reconnaît, permettant la science.

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Le principe de catégoriser chez Aristote

Les Catégories sont, comme son nom l’indique, une présentation du fait de catégoriser. Le terme grec κατηγορία (katêgoria) signifie à l’époque d’Aristote « qualité attribuée à un objet ».

L’œuvre est une sorte de manuel de pédagogie, semblant inutile aujourd’hui en quelque sorte de par les avancées de l’éducation et de la société (et des forces productives), mais essentiel alors.

Aristote dit par exemple que pour désigner une chose, on utilise la substance, la quantité, la qualité, un relatif, une localisation, un moment, un positionnement, une tenue, le fait de faire, le fait de subir.

Et il donne comme des exemples :

« Une substance, pour le dire sommairement, c’est, par exemple, l’homme, le cheval. Une quantité, c’est, par exemple, de deux coudées, de trois coudées.

Une qualité, c’est, par exemple, blanc, lettré. Un relatif, c’est, par exemple, double, majeur.

Une localisation, c’est, par exemple, au Lycée [= l’école d’Aristote], au marché. Un moment, c’est, par exemple, hier, l’an dernier.

Un positionnement, c’est, par exemple, est couché, est assis. Une tenue, c’est, par exemple, est chaussé, est armé.

Faire, c’est, par exemple, amputer, cautériser. Et subir, c’est, par exemple, être amputé, être cautérisé. »

Seulement voilà, à la lumière du matérialisme dialectique, on voit bien qu’il ne s’agit pas d’une logique formelle. Il y a un arrière-plan théorique-cosmologique.

En effet, ce dont parle Aristote, c’est :

– du temps,

– de l’espace,

– du mouvement,

– de ce qui se trouve possiblement en mouvement dans le temps et dans l’espace.

Cela a l’air ainsi tout à fait simple quand Aristote dit que les mots séparés, sans connexion, tels que « homme, blanc, court », ne sont ni vrais ni faux. Cependant, c’est lourde de signification, car Aristote pose ici la possibilité d’un discours sur la réalité, et donc d’un discours scientifique.

Ses traités de logique consistent précisément en l’étude de ce discours, pour voir comment il peut se formuler tout en restant cohérent.

Rien n’est vrai ni faux pris isolément, c’est dans la connexion des choses que se produisent les affirmations et alors on peut regarder ce qui est vrai et faux.

Aristote constate alors que parler de quelque chose implique que cette chose n’est pas un adjectif, n’est pas une caractéristique. La formule qu’il emploie est obscure et a provoqué maints débats :

« La substance dont on parle principalement, d’abord et avant tout, c’est celle qui ne se dit pas d’un certain sujet et n’est pas inhérente à un certain sujet. Ainsi, un certain homme ou un certain cheval. »

Les substances sont, si l’on veut, les sujets. Il y a des sujets secondaires, dont la hiérarchie est décidée par leur rapprochement avec les substances « premières ». Par exemple, l’homme est un animal, mais parler de l’homme en tant qu’homme revient à une substance première, de l’homme en tant qu’animal à une substance secondaire.

Aristote donne la définition suivante de la substance première :

« Les substances premières, du fait d’être sujets pour tout le reste et parce que tout le reste leur est imputé ou leur est inhérent, sont celles qui, pour ces motifs, sont dites substances avant tout. »

Pour les substances secondes, comme il y a un côté « substance », c’est-à-dire un dénominateur commun au sens où on ne peut pas remonter plus haut à moins de tomber sur l’existence elle-même, Aristote parle de l’espèce et du genre.

Tout cela a l’air bien compliqué, mais en réalité ne l’est pas. On peut résumer simplement en disant : prenons le terme de quadrupèdes. Les chats le sont. Mais les chiens le sont aussi.

Le terme de quadrupède est donc moins substantiel que celui de chat et de chien.

Aujourd’hui, on ne remarque pas que l’on applique une telle hiérarchisation, mais au sens strict c’est Aristote qui l’introduit.

Autre exemple : il y a l’espèce humaine, mais beaucoup d’hommes différents. La catégorie espèce humaine est donc plus haute.

Et si l’on dit d’un homme qu’il est blanc, on sait en même temps que tous les hommes ne le sont pas. Le « blanc » est donc une qualité inférieure dans la catégorisation par rapport à la notion d’homme, qui elle-même est inférieure au principe substantiel d’espèce humaine.

L’homme étant un animal, alors pareillement :

« Qui dit animal ambrasse plus que celui qui dit homme. »

Une homme, pris spécifiquement, relève d’une catégorie, l’humanité, elle-même relevant d’un terme générique, celui d’animal.

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Aristote et l’Organon

L’Organon est une œuvre majeure d’Aristote, qui a vécu de l’an 385 avant notre ère environ à l’an 322. Son influence est majeure en Europe à la fin du moyen-âge et dans le cadre du démarrage de l’humanisme d’un côté, de la Renaissance de l’autre. C’est également une œuvre importante pour la philosophie arabo-persane qui, auparavant, a pris le relais de l’aristotélisme.

L’aristotélisme est un matérialisme. L’Organon vise à montrer comment raisonner correctement en prenant le matérialisme comme base. Il s’agissait pour Aristote de formuler des raisonnements qui soient conformes à sa conception matérialiste du monde, pas de la quête d’une « logique » interne à l’univers.

Le principe est le suivant. Aristote se fonde sur l’entéléchie, où quelque chose est mu par quelque chose d’autre. Partant de là, une cause ne peut pas être conséquente d’elle-même. Il faut toujours un moteur. C’est précisément ce qu’on a dans le syllogisme, où deux propositions se rencontrent et en donnent une troisième, grâce à un « moteur » les reliant.

Dans le syllogisme Les hommes sont mortels, Socrate est un homme, donc Socrate est mortel, c’est le terme homme qui fait office de levier. Le syllogisme est une déclination du principe de l’entéléchie.

Cela n’a malheureusement pas été vu par les non-matérialistes, qui ont fait entrer le système en décadence, faisant de l’Organon une base pour une logique formelle – c’est ce que fera l’Église catholique romaine, dans le prolongement d’une Introduction aux Catégories d’Aristote écrite par le néo-platonicien Porphyre à la fin du IIIe siècle de notre ère, et placée dans l’Organon lui-même.

C’est là une modification de l’Organon, dont la base est par ailleurs elle-même incertaine. Comme pour les autres ouvrages d’Aristote, on sait que ces écrits reflètent sa pensée ; toutefois on voit bien qu’il n’est pas l’auteur de tous les écrits composant l’Organon, formant une compilation d’ouvrages intitulés Catégories, Sur l’interprétation, Premiers Analytiques, Seconds Analytiques, Topiques, Réfutations sophistiques.

Il y a également des redites, des manques, la forme montre qu’il s’agit d’écrits internes à l’école rendant par ailleurs l’ensemble obscur, etc.

L’ordre des textes semble avoir été réalisé par Théophraste, le disciple d’Aristote prenant le relais à la tête de son école, Le Lycée. Et leur première publication publique date sans doute des années 60 avant notre ère, par Andronicos de Rhodes.

Le titre lui-même d’Organon date sans doute du Ve ou du VIe siècle de notre ère, le terme signifiant « outil », « instrument » en grec ancien ; dans la version arrivée dans le monde arabe, deux œuvres s’y ajoutent, la Rhétorique et la Poétique.

En tout cas, à partir de là, la compilation d’ouvrages s’impose comme un classique intellectuel, sous le titre d’Organon ; c’est le premier ouvrage intégré à l’Université de Paris en 1215.

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La psychologie matérialiste d’Aristote

Puisqu’il existe une pensée pure se confondant avec les concepts de l’univers, comment se fait-il que l’être humain puisse penser « mal » ? C’est qu’il existe l’imagination, intermédiaire entre le monde sensible – qui fournit des informations correctes directement – et le monde théorique pur de l’Intellect.

Les images de l’imagination sont plus ou moins éloignées de la réalité, donc plus ou moins vraies, ce qui fausse les attitudes, les comportements. Chez Aristote, l’imagination, c’est-à-dire la réflexion personnelle, passe par les images issues du monde réel (on ne peut pas imaginer quelque chose n’existant pas, au mieux peut-on combiner des images) :

« Quant à la pensée discursive de l’âme, les images lui tiennent lieu de sensations.

Et quand l’objet est bon ou mauvais, elle affirme ou nie, fuit ou poursuit.

C’est pourquoi l’âme ne pense jamais sans image. »

L’œuvre très connue fournissant une sorte de catalogue exhaustif des réactions humaines en fonction de l’intégration d’images, c’est bien sûr L’éthique de Spinoza. Son œuvre est l’aboutissement de la réflexion de la philosophie arabo-persane islamique sur la démarche d’Aristote et de son prolongement dans l’averroïsme latin à la fin du moyen-âge.

Il analyse ainsi la joie, le désir, la béatitude, l’allégresse, la haine, etc. comme images dans l’esprit – avec ses conséquences.

Dans le traité De l’âme, on a la base d’une psychologie matérialiste. Aristote dit par exemple :

« Les formes sont pensées par la faculté intellectuelle dans les images ; comme les sensibles lui déterminent ce qu’il faut chercher ou fuir, ainsi en dehors même de la sensation, lorsqu’elle s’applique aux images, la faculté se meut.

Par exemple quand on perçoit que la torche est du feu, le sens commun révèle, à la vue d’une chose qui bouge, la présence d’un ennemi.

D’autres fois, grâce aux images qui sont dans l’âme ou plutôt grâce aux concepts, on calcule et on délibère, comme si l’on voyait, l’avenir en fonction du présent.

Et quand on affirme que là se trouve l’agréable ou le pénible, alors naît le mouvement de fuite ou de recherche, et, de toute manière, on ne fera que l’un ou l’autre.

Quant à ce qui est étranger à l’action, [à savoir] le vrai et le faux, il appartient au même genre que le bon et le mauvais, mais avec cette différence que les premiers sont tels absolument, les seconds pour un être déterminé.

Mais ce qu’on appelle les abstractions, on les pense de la même manière que le camus [= un nez court et plat] : le nez camus en tant quel, on le pense sans le séparer de la matière ; mais si l’on considère la concavité et qu’on la pense en acte, la pensée exclut la chair où s’inscrit cette concavité.

C’est ainsi que les objets mathématiques, quoique non séparés de la matière [dont elles tentent une formalisation], sont pensés comme séparés, quand on pense les abstractions [mais il ne s’agit pas des concepts de la réalité pour autant, car la pensée est « pure », au sens de conceptuel, et non pas logico-mathématique, non dynamique].

D’une manière générale, l’intellect, lorsqu’il est en acte, est identique aux objets. »

Cette dernière phrase est capitale. Dans l’édition des Belles Lettres de 1966, il y a un ajout entre crochets à la fin de celle-ci :

« D’une manière générale, l’intellect, lorsqu’il est en acte, est identique aux objets [de pensée]. »

C’est là une erreur magistrale. En réalité, chez Aristote, la pensée pure est identique à ce qu’elle pense, car la pensée est l’univers conceptualisé (et non pas la conceptualisation de l’univers). C’est la base du matérialisme d’Aristote.

D’ailleurs, peu après, Aristote dit :

« Récapitulons nos affirmations au sujet de l’âme. Nous dirons à nouveau que l’âme est, en un sens, tous les êtres.

Les êtres en effet sont ou sensibles ou intelligibles : la science s’identifie en quelque sorte aux objets du savoir comme la sensation aux objets sensibles.

Comment cela se fait-il, c’est la question à résoudre. »

Et Aristote d’expliquer, donc que « l’âme » de l’univers est le principe des opérations, qui existent à travers la matière par des phénomènes se fondant sur ces opérations. L’âme individuelle ne peut que se ramener à cette âme universelle.

Cette âme universelle ne formule pas des concepts extérieurs aux objets, mais étant les objets eux-mêmes. C’est une compilation suprême.

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L’intellect séparé comme opérations combinatoires pures chez Aristote

En posant un intellect agent et un intellect patient, Aristote a ouvert la voie à un questionnement profond, qui sera au cœur de la philosophie arabo-persane de l’époque islamique, ainsi que de l’averroïsme latin bousculant l’Église catholique à la fin du moyen-âge.

En effet, l’idée d’Aristote est que l’intellect patient des individus a accès à une compréhension des concepts et peut faire des opérations avec eux, car il est mis en branle par le principe suprême du mode opératoire.

Ce principe suprême flotte au-dessus du monde, du moins c’est ce qu’il semble, d’où le casse-tête pour plusieurs siècles pour définir cet intellect agent qui est « séparé » du monde matériel.

Aristote dit en effet que la pensée est pure, que ses concepts sont les essences même de choses et donc séparés de la matière, qui n’est là que pour la forme concrète de ces essences.

On comprend ici pourquoi des néo-platoniciens ont pu récupérer cette approche, en la déviant : il suffit de faire de ces Formes des nombres créés par Dieu, et on a un mélange de platonisme et d’aristotélisme.

La démarche d’Aristote est par contre matérialiste. Il ne s’agit pas de retrouver des nombres créés par Dieu pour façonner le monde. En effet, on ne saurait rien retrouver du tout, car l’être humain ne pense pas. Quand il « pense » en termes de concepts, il ne fait que retomber sur des opérations pures préexistantes.

Aristote est très clair : l’intellect agent est séparé, il est le seul à être ce qu’il « est essentiellement et cela seul et immortel et éternel ». Il parle en fait de l’univers comme organisation des formes : utiliser son intellect, c’est raisonner en adéquation avec cette organisation.

Aristote pose l’identification entre « ce qui pense et ce qui est pensé ». L’être humain ne pense pas, il en fait que refléter conceptuellement des concepts déterminés. C’est la thèse matérialiste fondamentale telle qu’elle existait avant que le matérialisme dialectique pose ces concepts comme en mouvement dialectique, dans un univers effectivement éternel, mais également infini et en transformation ininterrompue.

L’univers d’Aristote est quant à lui posé, fixe dans ses déterminations. Son organisation est figée, mais en même temps dynamique. Penser, c’est utiliser son intellect et s’effacer devant une organisation dynamique se confondant avec ses concepts.

Voilà pourquoi « penser », c’est s’effacer devant la pensée de la pensée. Dans La métaphysique, Aristote parle de « l’Intelligence divine », que retrouve donc l’intellect patient en « pensant », et dit dans un passage célèbre quant à cette question :

« Que son essence soit l’Intelligence ou qu’elle soit l’acte de penser, que pense-t-elle ?

Ou elle se pense elle-même, ou elle pense quelque autre chose ; et si elle pense une autre chose, ou bien c’est toujours la même, ou bien c’est tantôt l’une, tantôt l’autre.

Importe-t-il donc, ou non, que l’objet de sa pensée soit le Bien, ou la première chose venue ?

Ou plutôt, ne serait-il pas absurde que certaines choses fussent l’objet de sa pensée [alors que la pensée ne peut être que pure, en tant que principe d’organisation, mode opératoire des modes opératoires] ?

Il est donc évident qu’elle pense ce qu’il y a de plus divin et de plus digne, et qu’elle ne change pas d’objet, car ce serait un changement vers le pire, et une pareille chose serait déjà un mouvement.

D’abord, donc, si l’Intelligence divine n’est pas acte de penser, mais simple puissance, il est logique de supposer que la continuité de la pensée est pour elle une charge pénible [,ce qui ne saurait être le cas].

Ensuite, il est clair qu’il y aura[it alors] quelque autre chose plus noble que l’Intelligence, à savoir l’objet même de la pensée [,ce qui ne saurait être le cas].

En effet, le penser, l’acte de penser appartiendra aussi à celui qui pense le pire, de sorte que si c’est à éviter (et on le doit, car il y a des choses qu’il est meilleur de ne pas voir que de voir), l’acte de penser ne saurait être ce qu’il y a de meilleur.

L’Intelligence suprême se pense donc [par conséquent, en réalité] elle-même, puisqu’elle est ce qu’il y a de plus excellent, et sa Pensée est pensée de pensée (…).

Il n’y a pas de différence entre ce qui est pensé et la pensée dans le cas des objets immatériels, la Pensée divine et son objet seront identiques, et la pensée sera une avec l’objet de la pensée.

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Les deux intellects, agent et patient, chez Aristote

Aristote traite donc de la pensée comme un mode opératoire, comme une opération opérante. Il lui reste toutefois à distinguer ses modalités.

En effet, Aristote raisonne en termes d’entéléchie. Il y a une chose existante potentiellement et sa réalisation en acte est un processus qu’il appelle entéléchie.

Cette chose existant potentiellement et se réalisant se réalise à partir d’une matière donnée.

Aristote dit qu’il doit en relever de même pour l’intellect :

« Comme il y a dans la nature toute entière, d’une part un principe qui fait fonction de matière pour chaque genre de choses – et c’est ce qui est en puissance en toutes ces choses -, et d’autre part un principe causal et actif qui les produit toutes – telle la technique par rapport à la matière -, il est nécessaire que dans l’âme aussi se trouvent ces différences.

De fait, il y a, d’une part, l’intellect capable de devenir toutes choses, d’autre part l’intellect capable de les produire toutes, semblable à une sorte d’état comme la lumière : d’une certaine manière, en effet, la lumière elle aussi fait passer les couleurs de l’état de puissance à l’acte.

Et et cet intellect est séparé, sans mélange, et impassible, étant acte par essence. Toujours, en effet, l’agent est supérieur au patient et le principe à la matière. »

Ces lignes sont d’une importance historique capitale ; elles façonnent la bataille entre idéalisme et le matérialisme.

Ce que dit Aristote, c’est que la pensée est une opération conceptuelle, une opération maniant des concepts. C’est donc un mouvement et, par conséquent, il faut lui trouver une matière et une cause. Il y a donc l’intellect – matière et l’intellect – cause, le premier étant le lieu de réalisation du premier.

Une fois dit cela, Aristote raconte alors que :

« C’est une même la chose que la science en acte et son projet ; sans doute la science en puissance est-elle antérieure selon le temps dans l’individu, mais, absolument parlant, elle n’est pas même antérieure selon le temps ; pourtant il ne faut pas croire que cet intellect tantôt pense et tantôt ne pense pas.

C’est lorsqu’il a été séparé qu’il est seulement ce qu’il est en propre, et cela seul est immortel et éternel. Mais nous ne nous souvenons pas, car ce principe est impassible, tandis que l’intellect passif est corruptible et que sans lui il n’y a pas de pensée. »

Ces lignes, pouvant sembler obscures, ont été au cœur de l’immense recherche par la suite des auteurs suivant Aristote, notamment Alexandre d’Aphrodise, Avicenne et Averroès.

L’idée d’Aristote est la suivante. Penser, par l’intellect, c’est faire une opération en maniant des concepts. Mais l’opération elle-même doit reposer sur quelque chose. Il y a donc l’intellect en tant que « penser » et l’intellect en tant que « action de faire penser ».

Mais comme penser, c’est faire une opération conceptuelle, alors l’intellect ne fait que redécouvrir des vérités essentielles. Celles-ci sont définies au sein de l’intellect agent, le super intellect, qui est en fait chez Aristote la grande opération conceptuelle contenant toutes les opérations conceptuelles.

Penser, c’est faire une opération conceptuelle en retombant sur la grande opération conceptuelle reflétant le réel.

Le parallèle moderne est avec internet. L’intellect d’un être humain est le navigateur, capable de faire des opérations conceptuelles. Les sites où l’on va, contenant les opérations conceptuelles toutes prêtes, forment l’intellect supérieur.

L’intellect patient est le navigateur, l’intellect agent le réseau internet.

Et tout est une question de situation pour qui va puiser l’information à la source :

« L’intellect théorique ne pense rien dans l’ordre pratique, ni ne se prononce sur ce qu’il faut fuir ou rechercher : or le mouvement local concerne toujours la fuite ou la recherche d’un objet. »

L’évier de quelqu’un est bouché : il va puiser sur internet le concept abstrait d’évier avec ses principes de fonctionnement, pour l’appliquer à son propre évier.

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L’imagination et l’intellect chez Aristote

Pour comprendre ce qu’est la pensée, Aristote commence par définir l’imagination. Il souligne l’importance de cette faculté en la distinguant bien de la pensée. En effet, former une opinion par le raisonnement aboutit soit à une erreur, soit à une vérité.

L’imagination ne se situe pas sur ce plan. L’imagination dépend de nous, de « notre vouloir ». Comme le dit Aristote :

« Nous pouvons réaliser en image un objet devant nos yeux. »

L’implication individuelle n’est pas la même. L’imagination est maîtrisée, sa logique ne nous dépasse pas. Aristote explique à ce sujet que :

« Lorsque nous formons l’opinion qu’un objet est terrible ou effrayant, aussitôt nous éprouvons l’émotion correspondante – de même si l’objet est rassurant.

Au contraire, dans le jeu de l’imagination, notre comportement est le même que si nous contemplions en peinture les objets terribles et rassurants. »

Cette faculté de l’imagination est différente de la sensation, qui est elle immédiate. D’ailleurs, dit Aristote, on ressent toujours, alors que l’imagination n’a lieu que parfois. Il n’est pas non plus besoin d’une sensation pour activer l’imagination.

La sensation a la dignité du réel : elle est toujours vraie. Ce n’est pas les cas des images produites par l’imagination. Et plus l’imagination s’éloigne des choses sensibles, plus sa véracité est amoindrie.

Une fois dit cela, Aristote s’intéresse à la faculté de penser. Et là, il constate que la pensée ne peut pas être débordée. Les sens peuvent l’être ; ils peuvent être paralysés par un surcharge de données. Ce n’est pas le cas de la pensée, qui même est davantage à même de saisir les éléments simples une fois qu’elle a affronté la complexité – ce qui est une constatation hautement dialectique !

Aristote dit :

« Le sens, en effet, n’est plus capable de percevoir à la suite d’une excitation sensible très forte : par exemple, on ne perçoit pas le son à la suite de sons intenses, de même qu’à la suite de couleurs et d’odeurs puissantes on ne peut ni voir, ni sentir ; au contraire, l’intellect, quand il a pensé un objet fortement intelligible, n’est pas moins capable de penser les intelligibles inférieurs, mais il en est au contraire plus capable.

La faculté sensitive, en effet, n’est pas indépendante d’un organe corporel, tandis que l’intellect est séparé. »

Ainsi l’imagination conserve un lien, même ténu, avec la chose sensible, alors que la pensée a formé une démarche indépendante. La pensée conceptualise ; elle ne traite pas de l’eau réelle, mais de l’eau considérée du point de vue de son essence.

Mais alors, qu’est-ce que la pensée ? Aristote répond : elle est comme une feuille blanche où rien n’est écrit, c’est-à-dire qu’elle est, pour son époque, une tablette d’argile. Il dit :

« C’est en puissance, d’une certaine manière, que l’intellect est identique aux intelligibles [= qui relèvent de l’intellect], mais il n’est en entéléchie aucun d’eux avant de penser.

Il doit en être comme d’une tablette où rien ne se trouve inscrit en entéléchie : c’est précisément ce qui arrive dans le cas de l’intellect.

De plus, il est lui-même intelligible comme le sont les objets intelligibles. »

L’intellect est, si l’on veut, uniquement une machine capable d’utiliser des concepts conceptuellement. Il fonctionne en s’appuyant sur l’essence des choses, leur concept pris en tant que vérité interne. Mais il est coupé de la réalité, il ne fait qu’opérer, il consiste lui-même d’ailleurs en une opération.

Ce qu’on appelle pensée, avec l’intellect, c’est un concept maniant d’autres concepts. L’être humain ne pense pas : il est un lieu connaissant des opérations conceptuelles, sa démarche intellectuelle étant elle-même une opération conceptuelle.

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La différence entre la sensation et la pensée chez Aristote

Pourquoi Aristote s’attarde-t-il très longuement sur la description des cinq sens, sans plus jamais parler de l’âme tout au long de ses explications ?

La raison tient à l’affirmation suivante :

« L’acte du sensible et celui du sens est le même et unique, bien que leur essence ne soit pas la même.

Je prends l’exemple du son en acte et de l’ouïe en acte : peut-être le sujet doué de l’ouïe n’entend-il pas actuellement, comme l’objet sonore peut ne pas émettre de son.

Mais quand passe à l’acte l’être capable d’entendre et que résonne l’objet sonore, alors l’ouïe en acte et le son en acte se produisent simultanément : on dira qu’il y a d’une part audition, de l’autre résonance. »

Cette notion de simultanéité est essentielle. Elle implique que l’assimilation du réel par la sensibilité relève d’un seul et même mouvement. On ne ressent qu’au moment où un phénomène implique une sensation – pas avant, pas après.

Aristote dit ainsi :

« Puisque l’acte du sens et celui du sensible ne font qu’un, tout en différant par l’essence, il y aura nécessairement disparition ou persistance simultanée de l’ouïe et du son pris en ce sens, – donc aussi de la saveur et du goût, et ainsi de suite. »

On a ici une reconnaissance du réel : le sensible correspond à une action dans le réel. Ce n’est pas une « image » apportée et décalée par rapport au réel et la preuve de cela se lit par l’adéquation existant entre l’un et l’autre. Sans celle-ci, alors la sensibilité est perturbée, ce qui montre bien leur caractère à la fois distinct et unifié.

De manière dialectique, Aristote note que :

« Si donc l’harmonie est une sorte de voix, que la voix et l’ouïe soient, en un sens, une seule chose et qu’en un autre sens elles ne soient pas chose une ou identique, si, enfin, l’harmonie est une proportion, il est nécessaire que l’ouïe à son tour constitue une certaine proportion.

C’est bien pourquoi toute impression excessive, l’aigu comme le grave, abolit le sens de l’ouïe ; de même, l’excès dans les saveurs détruit le goût ; dans les couleurs, la vue est abolie par l’excès du brillant ou du sombre, et pour l’odorat, c’est l’odeur forte, la douce comme l’amère – tout cela suppose que le sens est une sorte de proportion.

Par suite, les qualités sensibles causent du plaisir lorsque, d’abord pures et sans mélange, elles sont amenées à une certaine proportion – tels l’aigu, le doux, le salé ; de fait, elles causent alors du plaisir.

D’une manière générale, d’ailleurs, le mixte réalise mieux une harmonie que l’aigu ou le grave, et, pour le toucher, ce qui peut être échauffé ou refroidi.

Or, le sens, c’est la proportion ; quant aux impressions excessives, elles causent douleur ou destruction.

Chaque sens s’exerce donc sur le sensible qui est son objet propre, réside dans l’organe sensoriel comme tel et juge des différences du sensible qu’il a pour objet : pour le blanc et le noir, ce sens est la vue ; pour le doux et l’amer, le goût. De même en va-t-il pour les autres sens. »

La conséquence est alors inévitable : puisqu’on est en mesure de juger les nuances, les différences, alors cela ne provient pas de la capacité à ressentir, qui est elle directe. Il y a une distinction entre la considération et le ressenti immédiat – et ce dernier est toujours vrai.

Aristote considère que :

« Que sensation et intelligence ne soient pas identiques, la chose est claire : l’une, en effet, appartient à tous les animaux, l’autre à un petit nombre d’entre eux.

Mais la pensée non plus – qui comprend la pensée droite et la pensée erronée, la pensée droite étant prudence, science et opinion vraie, la pensée erronée leurs contraires – , la pensée ne s’identifie pas non plus à la sensation ; car la sensation des sensibles propres est toujours vraie et appartient à tous les animaux, tandis que la pensée peut aussi bien être fausse et n’est donnée à aucun être qui ne possède aussi la raison. »

Ainsi, de manière matérialiste, Aristote reconnaît la sensation, elle est toujours vraie. Par contre, la pensée peut être fausse. Reste à expliquer ce qu’elle est, ainsi que l’intelligence.

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Les différentes facultés de l’esprit selon Aristote

Aristote considère que l’âme, l’esprit, la psyché… a différentes facultés. Il les définit comme suit : nutritive, désirante, sensitive, locomotrice, pensante.

La faculté nutritive concerne la reproduction et l’intégration des aliments. Aristote la définit comme l’élément commun à tous les êtres vivants et s’attarde sur cet aspect, car il permet selon lui de comprendre au mieux le rôle de l’âme.

C’est qu’Aristote applique partout son principe d’entéléchie, reposant sur une opposition entre la matière brute et la forme de celle-ci. Par la faculté nutritive de l’âme, la forme permet à la matière brute façonnée d’avoir une activité lui permettant de persister.

Un être vivant a donc comme cause la faculté nutritive sans laquelle son existence n’aurait pas de sens, mais en même temps c’est son principe, car c’est par cette faculté qu’elle vit. Et comme les êtres vivants vivent pour eux-mêmes, on en revient à leur psyché comme centre d’orientation de leur propre existence : la vie vient de l’âme, passe par l’âme et va à l’âme.

Aristote pose donc une base à tous les êtres vivants dans leur existence – par une dynamique. Il ne peut pas concevoir, comme le matérialisme dialectique, que la sensation est propre à la matière en général (par le jeu dialectique en son sein, avec le principe du reflet, l’interaction des contraires, etc.), que cette sensation-reflet est une base universelle de la matière infinie et éternelle

Par conséquent, il est amené à réduire les plantes à la faculté nutritive, tout comme il considère que seule l’humanité dispose de la faculté pensante et de l’intellect. Mais, surtout, il emboîte les facultés les unes dans les autres, en série : la faculté pensante contient les facultés précédentes, tout comme celle d’avant les précédentes, etc.

Il y a une progression et au bout de la chaîne il y a l’être humain, déterminé par la nature humaine.

Aristote donne ici une explication matérialiste particulièrement tortueuse, mais subtile dans ses fondements : l’humanité serait plus avancée car son sens du toucher serait plus avancé. Parlant des sens, analysant même la lumière, le son, etc., il explique en parlant de l’odeur et de l’odorat que :

« Quant à l’odeur et au corps odorant, il est moins aisé d’en traiter que des sujets précédents. En effet, la nature de l’odeur n’apparaît pas aussi clairement que celle du son, de la lumière ou de la couleur.

La raison en est que chez nous, ce sens n’est pas aigu, mais inférieur même à ce qu’il est chez beaucoup d’animaux : l’homme sent mal les odeurs et ne perçoit aucun objet odorant sans les sensations de douleur ou de plaisir – ce qui prouve que son organe sensoriel manque d’acuité (…).

Il semble qu’il y ait ici une analogie entre l’odorat et le goût, et entre les espèces de saveurs et celles des odeur, toutefois notre sens du goût est plus aigu parce qu’il est une sorte de toucher et que ce dernier sens atteint chez l’homme un très haut degré d’acuité.

Quant aux autres sens, en effet, l’homme est inférieur à beaucoup d’animaux.

La preuve en est qu’à s’en tenir à l’espèce humaine, c’est l’organe de ce sens, et aucun autre, qui partage les individus en bien et mal doués : ceux qui ont la chair dure sont mal doués intellectuellement, mais ceux qui ont la chair tendre sont bien doués. »

Les dernières lignes sont étranges, mais tout prend son sens si l’on sait que le toucher, c’est la main, agent transformateur par excellent pour l’humanité. Aristote dit ici que c’est une capacité sensible plus qualitative qui a permis à l’humanité d’avoir une position différente, ce qui repose sur un fond authentiquement matérialiste puisqu’on a et la sensation, et la transformation.

On voit également que, pour Aristote, le toucher est une disposition sensible extrêmement vaste. C’est pour cette raison qu’il a pu réduire les sens à cinq – la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher – le premier étant fondamental pour lui car saisissant le plus vastement, mais le dernier le plus profondément.

C’est lui qui est à l’origine de cette définition de la sensibilité humaine s’appuyant sur cinq sens. Une partie significative du traité De l’âme s’attarde d’ailleurs à les présenter, dans leur rapport avec la chose ressentie, avec l’air, l’eau, entre eux, etc.

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La définition matérialiste de l’âme par Aristote

Aristote pose le problème de l’âme, de l’esprit, de la psyché ainsi :

« Nous disions que l’âme éprouve chagrin et joie, audace et crainte, et encore qu’elle s’irrite, qu’elle sent, qu’elle pense.

Or, tous ces états semblent être des mouvements.

Aussi pourrait-on conclure que l’âme elle-même est mue, se réjouit et pense. Mais la conséquence ne s’impose pas. »

Quelle est alors la thèse matérialiste d’Aristote ? Eh bien, que l’âme n’est pas le lieu du mouvement, mais « tantôt son aboutissement, tantôt son point de départ ».

Mais que faire de la réflexion ? En effet, par âme il est clair ici qu’on parle des impulsions propres aux états d’âme, à quoi il faut donc compter ici la tristesse, la colère, la joie, etc.

Aristote appelle intellect la réflexion et il dit la chose suivante. Lorsqu’on devient vieux, malade, ivre, il y a des organes corporels qui sont troublés ou corrompus. C’est cela qui dérange « l’exercice de la pensée ou de la science ». Cependant, « la pensée en soi est impassible ».

Seulement, il y a ici un écueil à éviter : celui d’attribuer à la pensée en soi quelque chose en particulier. On en reviendrait alors à la démarche de René Descartes. Aristote, lui, s’empresse de souligner :

« Quant à l’exercice de la pensée discursive, l’amour ou la haine, ce ne sont pas des attributs de cette pensée en soi, mais du sujet individuel qui la possède en tant qu’il la possède.

Aussi, lorsque ce sujet se corrompt, n’y a-t-il plus ni souvenir ni amour. »

On voit bien ici que ce que dit Aristote, c’est qu’il n’y a plus de corps, alors il n’y a plus d’âme. C’est une conception matérialiste. Aristote considère que le corps et l’esprit sont un composé – il maintient leur séparation – mais ce composé n’existe que par le corps.

Aristote expose alors sa conception. Il reprend le concept d’entéléchie, qu’il a notamment développé dans sa Physique. L’entéléchie consiste en la réalisation d’un potentiel, c’est l’accomplissement d’une forme particulière d’une substance, c’est-à-dire d’un être.

C’est-à-dire que, pour Aristote, il y a la matière brute, d’un côté, ce qui lui donne du sens de l’autre. La forme de la matière porte du sens et ainsi façonne la matière en ce sens donné. Toute chose, tout phénomène est à comprendre suivant cette mise en perspective de type dynamique.

S’appuyant sur ce principe d’accomplissement, il dit que le corps est la matière et que l’esprit est une forme de celle-ci. Ainsi, on a :

« Si donc il faut proposer une définition générale qui s’applique à toute espèce d’âme, disons que celle-ci est l’entéléchie première d’un corps naturel organisé. »

C’est là une approche matérialiste, car l’esprit n’existe que par le corps et seulement comme acte. Le corps porte la réalisation de l’esprit – et l’esprit accomplit sa réalisation par le corps. Aristote donne l’exemple suivant, pour bien saisir l’articulation qu’il propose :

« Si l’oeil était un animal complet, la vue en serait l’âme. »

On a ici affaire à une conception dynamique : la matière se réalise par des principes. Bien plus tard, le vitalisme sera une conception décadente de ce dynamisme, faisant un fétiche de l’accomplissement absolue comme réalisation suprême.

Et, ainsi, le corps est le support de l’âme, mais l’âme n’a comme seule réalité que de s’accomplir par le corps. Elle n’a pas d’existence indépendante, puisque sa fonction se définit par le corps. Aristote dit ainsi :

« Puisque le composé [= le corps + l’esprit] est l’être animé [=le corps en mouvement], ce n’est pas le corps qui est l’entéléchie de l’âme, mais celle-ci qui est l’entéléchie d’un corps donné.

Aussi est-ce à juste raison que, selon certains penseurs, l’âme n’existe pas sans un corps ni ne s’identifie à un corps quelconque : elle n’est pas un corps, en effet, mais quelque chose du corps, et c’est pourquoi elle se trouve dan un corps, et dans tel corps déterminé. »

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Aristote à l’assaut de l’idéalisme avec le traité de l’âme

Aristote affronte l’ensemble de l’idéalisme concernant l’esprit, l’âme, la psyché. Il va attaquer la base même de l’idéalisme en démontant l’affirmation laquelle l’âme serait motrice d’elle-même.

Il procède de la manière suivante. Il constate d’abord qu’il y a quatre types de mouvement : la translation, l’altération, la corruption, l’accroissement. Or, qui dit mouvement dit lieu. Cela implique que si l’âme se meut d’elle-même, elle dispose d’un lieu naturel. Mais quel est ce lieu ?

Et si l’âme est en mouvement, alors elle serait toujours en mouvement, elle serait le mouvement en essence… ce qui reviendrait à ce qu’elle serait en mouvement d’elle-même, c’est-à-dire qu’elle se quitterait elle-même, ce qui n’a pas de sens.

Et, de toutes manières, quel est le rapport entre le corps et l’âme ? Aristote constate clairement que :

« On rattache l’âme à un corps et on l’introduit en lui, sans aucunement définir la cause de cette union ni l’état du corps en question.

Il semblerait pourtant que ce fût indispensable. C’est en effet grâce à un élément commun qu’un terme agit en quelque manière et que l’autre pâtit, que l’un est mû et que l’autre meut, et aucun de ces rapports mutuels ne s’établit entre des termes pris au hasard.

Or, nos théoriciens s’efforcent seulement de déterminer quelle sorte d’être est l’âme, mais pour le corps qui doit la recevoir, ils n’apportent plus aucune détermination.

Comme s’il se pouvait, conformément aux mythes pythagoriciens, que n’importe quelle âme pénètre dans n’importe quel corps ! »

C’est là une attaque frontale, consistant en un saut dialectique. Aristote porte ici une double critique :

– d’abord, il exige de savoir quel est l’intermédiaire entre le corps et l’âme, car sinon leur liaison ne peut pas se poser ;

– ensuite, il exige que soit exposé la nature du corps, chose toujours « oubliée ».

La seule réponse possible de la part de l’idéalisme est qu’il y aurait une harmonie existant entre l’âme et le corps, choisie par Dieu ou conséquence de sa nature. Aristote contrecarre cette contre-hypothèse en disant que l’harmonie n’implique nullement un rôle moteur, alors que pourtant cela est attribué à l’âme.

De plus l’âme connaît des états multiples (telle la joie, la colère, etc.), amène à des actes très différents, et comment tout cela pourrait-il être ramené à un dénominateur commun harmonieux ? En effet, la conception d’une harmonie esprit-corps implique une harmonisation de l’ensemble, un caractère unitaire à tous les niveaux. Or, on voit bien que ce n’est pas le cas.

Aristote va encore plus loin en constatant que rien que la proportion de chair et d’os n’est pas la même : y aura-t-il alors différentes harmonies esprit-corps, et donc plusieurs âmes en fonction des parties du corps ?

Ce faisant, Aristote brise toute possibilité de l’idéalisme posant un « équilibre » entre corps et esprit.

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