L’idéologie au poste de commande du Parti Communiste: contre le révisionnisme

La grande erreur historique des communistes français a été de penser qu’ils accompagnaient un processus qui était indépendant d’eux et que par conséquent ils pouvaient, ils devaient même adapter en permanence leurs conceptions, leurs idées, leurs modalités d’organisation.

La révolution viendrait d’elle-même, il n’y aurait qu’à suivre le cours des choses, à maintenir ses positions en général, quitte à abandonner des principes en particulier ; tout serait bon du moment qu’on s’installe dans le paysage, et plus on s’installe dans le paysage plus la révolution qui vient d’elle-même permettrait de triompher.

Sans même le remarquer, les communistes français ont alors basculé dans le révisionnisme. Il est tout à fait remarquable qu’il n’y ait aucun traumatisme chez les communistes français malgré le fait qu’ils aient changé d’idéologie du tout au tout, d’organisation du tout au tout, de conception du tout au tout. Ils ont accepté les modifications telle une évidence, sans se poser aucune question.

Les communistes français sont passés sans aucun problème de l’étude de Staline au rejet total de Staline, de la révolution aux nationalisations pour s’approprier le « capitalisme monopoliste d’Etat », de la dictature du prolétariat au programme gouvernemental. Il n’y a pas eu de conflit, d’opposition interne, de rébellion ; tout a été parfaitement lisse.

C’est là un problème de fond, quelque chose qui doit être compris, sinon on ne peut pas régler le problème qu’on peut résumer de la manière suivante : comment se fait-il que des gens révolutionnaires, en France, se transforment en réformistes sans même s’en apercevoir ? Pourquoi les gens ne restent-ils révolutionnaires d’ailleurs qu’à un moment de leur vie, avant de reprendre une vie « normale » ?

C’est là que se pose la problématique de l’idéologie comme devant être au poste de commande. Il n’y a pas un Parti Communiste avec une idéologie – mais une idéologie avec un Parti Communiste. Toute autre conception est de l’opportunisme.

Si on regarde plus en détail le parcours du Parti Communiste Français et qu’on cherche bien, on peut bien trouver une révolte, au début des années 1960. Mais elle est totalement marginale et se déroule parallèlement au Parti Communiste Français, elle ne l’atteint pas.

Cette révolte avait eu lieu dans le Parti Communiste Français et dans l’Union des Étudiants Communistes.

Au PCF, il y avait eu quelques protestations au sujet de la question algérienne et la question de soutenir François Mitterrand aux élections. S’est alors produit un rapprochement avec les thèses de Mao Zedong, ce qui a donné la formation de cercles marxistes-léninistes et la formation en 1967 d’un Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France.

Dans l’Union des Étudiants Communistes, il y a eu des jeunes marqués par la Chine populaire de Mao Zedong, par la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. Ils ont alors formé une Union de la Jeunesse Communiste (Marxiste-Léniniste).

Or, quel a été le problème ? Les gens formant le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France ne consistaient qu’en quelques mécontents. Ils sont partis, cela a déplu au Parti Communiste Français, mais cela n’a nullement touché sa base. D’ailleurs le Parti Communiste Français a énormément profité de mai 1968, bien qu’il ait été contre, et pas vraiment le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France, alors qu’il était pour !

Le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France n’a été, dans les faits, qu’une sorte de micro-copie du Parti Communiste Français, incapable de rompre avec son style de travail, son approche, son révisionnisme. Il n’a été qu’une fraction de mécontents, incapables de rupture.

On ne peut pas en dire autant de l’Union de la Jeunesse Communiste (Marxiste-Léniniste). Là, il y avait l’ambition de systématiser les positions pour reconstituer le Parti Communiste. Et l’Union s’est prolongée dans la Gauche Prolétarienne qui a organisé des révoltes populaires. Mais la reconstitution a été abandonnée, au profit d’un « Parti de la Résistance ».

C’est que la marche était trop haute. Et quelle a été cette marche ? La thèse du « capitalisme monopoliste d’État ».

C’est qu’il ne suffisait pas de s’apercevoir au milieu des années 1960 que le Parti Communiste Français avait jeté par-dessus bord les thèses de Marx, Engels, Lénine et Staline, qu’il était devenu un rouage des institutions, tout comme la CGT. Encore fallait-il savoir pourquoi.

Si on ne comprend pas pourquoi, on tente de mener la révolution en trouvant des idées « géniales » pour faire avancer les choses, puis on s’aperçoit qu’il y avait une part de vrai dans ce qu’on fait, parce qu’on veut la révolution et qu’on fait avancer l’idée de révolution, mais qu’on est surtout hors du contexte historique, qu’on se marginalise, et alors on capitule. Cela a été le sort des initiatives « gauchistes » des années 1970.

Les « gauchistes » ont tenté de créer un « parti » révolutionnaire nouveau, ils ont pratiqué l’hyper-activisme sur la base de quelques idées, puis est venu l’isolement, la défaite, après une période de succès relatif.

C’est qu’il n’est pas besoin d’idées « géniales », mais d’une vue réaliste de la situation historique du pays, de ses contradictions, de sa situation économique, politique, idéologique, culturelle, militaire.

Dans d’autres pays, il y a pu ainsi y avoir une reconstitution, car un révolutionnaire s’est forgé comme Dirigeant et a dit : l’interprétation de notre pays faite par le Parti Communiste devenu révisionniste est fausse, voilà où est l’erreur, voilà comment il faut la corriger. En Inde, en Turquie, au Pérou… la reconstitution avait comme axe central la conception de la situation historique du pays concerné.

Tel ou tel révolutionnaire, forgé dans la lutte des classes, a dit : il y a des contradictions que le Parti Communiste devenu révisionniste ne voit pas, ou bien fait exprès de ne pas voir. Il n’est plus sur les rails historiques de la révolution, il ne fait plus qu’accompagner le cours des choses.

Ainsi apparaissent des documents fondamentaux, analysant le pays, montrant le parcours de celui-ci, les contradictions existantes. Par exemple, en Amérique du Sud, les révisionnistes ont dit qu’il fallait se soumettre à la bourgeoisie nationale, pour acquérir une réelle indépendance. Les véritables communistes ont alors dit : c’est de l’escroquerie, la bourgeoisie nationale existe mais elle est faible, ce que vous appelez bourgeoisie nationale est une bourgeoisie bureaucratique que vous voulez simplement faire passer dans le camp soviétique.

En ce qui concerne la France, le problème est simple, les « gauchistes » ont sombré face au Parti Communiste Français révisionniste car ils n’ont pas étudié la situation historique de la France. Le Parti Communiste Français révisionniste n’avait de son côté pas besoin d’une telle analyse, puisqu’il accompagnait le cours des choses. Il profitait du développement du capitalisme, de l’élargissement de l’aristocratie ouvrière, pour se corrompre à travers les municipalités et la CGT.

Il était forcément dans le vrai… même si du mauvais côté de la barrière. Les « gauchistes » pouvaient être du bon côté de la barrière comme ils le voulaient, ils n’en restaient pas moins hors-sol.

Sans une analyse correcte de l’Histoire, on ne peut pas trouver les leviers pour exister de manière révolutionnaire – c’est plus simple pour les non-révolutionnaires, les contre-révolutionnaires, qui eux ne font qu’accompagner ce qui se passe.

Ainsi, si on est vraiment révolutionnaire, quand on regarde un groupe, une organisation, un parti qui se dit révolutionnaire, il faut demander : quelle est votre vue d’ensemble ? Soit, vous avez un point de vue sur les faits divers, des faits politiques du jour, des événements qui se sont produits… Mais quelle est votre vision d’ensemble ? Quelle est la tendance historique de la France, son mouvement concret, son évolution particulière ?

Et donc, qu’est-ce qu’une analyse correcte de l’Histoire pour la France ? En quoi cela a-t-il un rapport avec l’idéologie au poste de commande du Parti Communiste ? C’est que l’analyse correcte de la situation historique d’un pays et l’idéologie sont une seule et même chose ; ce sont les deux faces de la même contradiction.

On arrive à l’idéologie correcte quand on comprend véritablement la situation d’un pays ; on ne peut comprendre la situation d’un pays qu’au moyen de l’idéologie adéquate.

On ne peut pas étudier le marxisme dans une chambre pendant vingt ans, l’avoir compris et se mettre à analyser la société à partir de ce qu’on a appris. Pareillement, on ne peut pas lutter et s’imaginer qu’on va avoir spontanément une vue d’ensemble, un regard d’envergure. Il faut la combinaison dialectique de la dignité du réel et de la théorie communiste.

Il y a pour notre pays un exemple très parlant et malheureusement glaçant. Le Parti Communiste Français révisionniste a justifié son approche au moyen de la théorie du « capitalisme monopoliste d’État », au début des années 1960. Paul Boccara, un jeune économiste, a formulé que l’impérialisme était un concept dépassé, que désormais l’État venait organiser le capitalisme, qu’il y avait fusion des grandes entreprises et de l’État.

Cette conception devint immédiatement la conception du Parti Communiste Français, de l’URSS, de tous les pays satellites de l’URSS. Il y avait d’ailleurs à l’arrière-plan le travail de l’économiste soviétique Eugen Varga au sujet de ce prétendu « capitalisme monopoliste d’État » dans les années 1950.

Or, il aura fallu attendre les années 2010 et le PCF(mlm) pour qu’il y ait une analyse de la question du capitalisme monopoliste d’État ! Naturellement, le PCF(mlm) rejette cette conception révisionniste qui trahit le concept d’impérialisme forgé par Lénine, cette conception révisionniste qui revient à la théorie social-démocrate des années 1920 d’un « capitalisme organisé ».

Mais au-delà de ce rejet, on peut voir qu’il s’agit de toute façon de la seule étude de fond menée ! Pire encore, la thèse du « capitalisme monopoliste d’État » a été unanimement acceptée à l’époque ! Que ce soit du côté du théoricien trotskiste Ernest Mandel, du gauchiste Paul Mattick, des « marxistes-léninistes » du PCMLF et du PCR(ml), tous sont d’accord pour dire qu’il y aurait en France un « capitalisme monopoliste d’État » !

Ce faisant, ils se plaçaient eux-mêmes dans l’orbite du Parti Communiste Français révisionniste. Ils donnaient des réponses « révolutionnaires » à une question qui, en réalité, ne se posait pas du tout ainsi.

Et ce qui est dramatique, c’est que la thèse du « capitalisme monopoliste d’État » ait pu être validée au sein du Parti Communiste Français sans produire aucune rébellion. Des gens pourtant formés à comprendre l’impérialisme comme stade suprême du capitalisme ont accepté, sans sourciller, une thèse disant qu’on était passé à autre chose, à un stade post-impérialiste. C’est là une catastrophe.

Et la source de cette catastrophe, c’est la considération que le Parti a une idéologie, alors que c’est le contraire. Il y a comme aspect principal l’universel : la vision du monde communiste, le matérialisme dialectique, l’idéologie de Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong. Et il y a comme aspect particulier le Parti Communiste de tel ou tel pays, appliquant l’idéologie aux conditions concrètes.

Le révisionnisme nie l’universalité de la vision du monde, il nie le matérialisme dialectique, il nie que le Parti soit une expression historique dont le fondement est nécessairement idéologique. Le révisionnisme fait du Parti un regroupement puisant comme il le veut dans les idées, dans les conceptions, dans les points de vue, selon les besoins apparents du jour.

Contre le révisionnisme, il faut l’idéologie au poste de commande du Parti Communiste, avec le Parti Communiste comme expression concrète, particulière, de l’idéologie universelle : le matérialisme dialectique, aujourd’hui à son étape marxiste-léniniste-maoïste.

C’est cela, correspondre à la vision communiste du monde.

L’esprit national français et le Parti Communiste

L’Italien Vincenzo Gioberti, un partisan de l’unité nationale italienne au XIXe siècle, disait des Français qu’ils sont des gens « qui vont par sauts et par bonds, et qui sont des gens de premier mouvement ». C’est que les Français sont des gens pour qui vivre c’est, dans un même élan, raisonner et se mettre à relier, enchaîner, combiner, associer, arranger, composer, coordonner, apparier, ordonnancer.

C’est un jeu de l’esprit qui permet de triompher de l’adversité et c’est le sens du mot de Napoléon dans une lettre : « c’est impossible m’écrivez-vous ; cela n’est pas français. »

Les Français sont au sens positif mathématiciens, ingénieurs, pharmaciens, avocats, militaires du génie. Ils sont au sens négatif des politiciens opportunistes, des libertins pour qui tromper est un plaisir de l’esprit, des commerçants truqueurs, des religieux prenant des libertés avec leur propre religion, des généraux calculateurs.

Les caractéristiques de l’esprit national français

Les Français sont particulièrement sociables : ils ont besoin d’entendre des bons mots. Pour eux, rire, c’est apprécier un trait de l’esprit et aussi pardonnent-t-ils tous les propos, toutes les caricatures, refusant de s’offusquer au nom de tel ou tel principe féodal-patriarcal. Les Français aiment les éclairs de génie et peu importe qu’une œuvre soit longue et insipide, si on y trouve de belles formules. On pardonne le caractère insipide des Fleurs du Mal de Baudelaire rien que pour le vers si bien trouvé « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! ».

Les Français sont donc littéraires, car ils aiment agencer les mots, mais ces mots peuvent être des idées, des formules ou des actions. Il y a cette idée de bricoler en raisonnant, de s’arracher à l’adversité en étant ingénieux, de pouvoir agencer les gens et les faits de la meilleur manière, bref : de puiser dans l’esprit les ressources pour forcer les choses.

Les Français apprécient donc les sports où il y a de subites fulgurances, ce qu’on appelle le « French flair » dans le rugby mondial, cet esprit à-propos qui fait que la France est la hantise du football allemand pour ses initiatives inattendues, comme sorties de nulle part.

Pour les Français, un mot, une idée, une action… relève toujours d’une partition, celle de la raison, comprise comme un jeu de l’esprit. C’est par la conscience en action, en raisonnement, en calcul, que tout est possible. Charles de Saint-Évremond définit au XVIIe siècle cette vision des choses en disant que : « Il n’est rien que l’intelligence du Français ne puisse faire, pourvu qu’il veuille bien se donner la peine de réfléchir ».

Le trait d’esprit comme marque française

Si l’on comprend tout cela, alors Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (1897) apparaît comme une œuvre réactionnaire, car elle caricature ce qui est la marque française : la capacité à forger un trait d’esprit non pas gratuitement, mais au service d’une vision approfondie des choses. Dans la pièce Cyrano de Bergerac et dans le comique produit de manière commerciale, c’est au contraire totalement vain.

Le véritable trait d’esprit comme marque française correspond, dans sa nature authentique, à des pointes venant couronner un subtil agencement. On précise, par un bon mot, par une tournure d’esprit, ce qui forme tout un ensemble à l’arrière-plan. Le bon mot, la forme harmonieuse, symétrique, la formule particulière… est là pour souligner toute une œuvre de l’esprit à l’arrière-plan.

Ce sont les ornements ingénieux soulignant les châteaux de la Loire, c’est Molière et ses pointes comiques au cœur des portraits de caractères non raisonnables, c’est La Bruyère et son mot juste pour porter la peinture démonstrative de caractères également. C’est Racine et ses expressions ciblées dans les portraits de psychologies raisonnant calmement sur leur folie furieuse, c’est le château de Versailles et son très raisonnable jardin formant son écrin, c’est la déclaration des droits de l’Homme comme expression constitutionnelle raisonnée d’un peuple raisonnable composé de citoyens.

L’esprit en réflexion ou le doute permanent

Comme ici penser c’est réfléchir et que réfléchir c’est triompher, les Français ne veulent jamais s’interrompre dans la mise en branle de l’esprit. C’est là leur problème : ils raisonnent en roue libre, jusqu’à déraisonner. Les Français n’aiment pas les pensées qui se concluent, ils n’aiment pas les théoriciens, les idéologues, les théologiens, les penseurs. Ils apprécient les intellectuels, ceux pour qui, à l’instar de Pascal, « La vérité est une pointe subtile ».

Les vrais auteurs sont donc, aux yeux des Français, les essayistes : Montaigne, Camus, Voltaire, Jaurès, Sartre, Maurras, Bernanos… Dites une chose en disant que vous en êtes certains, les Français ne vous écouteront pas. Dites la même en chose en disant que vous en doutez encore, ils la croiront !

Le caractère historique de l’esprit national français

Les Français ont systématisé le doute cartésien, le doute permanent de Descartes au sujet de toute chose, qui était déjà exprimé dans le scepticisme de Montaigne. C’est pour cela qu’on dit des Français qu’ils sont « cartésiens ».

Mais c’est là en réalité une faiblesse historique, c’est le fruit de l’incapacité à assumer le protestantisme, alors que Jean Calvin est par ailleurs Français.

Historiquement, le relativisme français existe pour mettre de côté la religion catholique omniprésente, parce que le pays n’a pas été à la hauteur pour assumer le calvinisme et son affirmation de la responsabilité personnelle, de l’autonomie de la raison.

Ce relativisme traverse l’Histoire française, depuis François Ier et sa mise au second plan de la religion, jusqu’à la franc-maçonnerie avec son refus bourgeois des contradictions intellectuelles et bien sûr l’idéologie républicaine qui cherche à neutraliser toute opinion, toute idée, toute valeur.

Le capitalisme avancé, avec son ultra-individualisme, son égocentrisme, ne pouvait qu’être en phase avec un tel relativisme, un tel repli sur l’individu. C’est la raison pour laquelle l’idéologie « post-moderne » s’appuie en grande partie sur les philosophes français relativistes, existentialistes, tournés vers la conscience individuelle « critique », etc.

L’esprit national français se retourne en son contraire

Le relativisme et le scepticisme ont joué un rôle historique positif en tant que posture défensive, contre l’Église catholique, mais une fois qu’ils s’étaient installés, ils se sont avérés insuffisants pour formuler des choses positives qui soient ancrées.

Le relativisme et le scepticisme ont asséché la vigueur de l’esprit, apportant de la rigidité dans une société censée être fluidifiée par le « génie français ».

La société bourgeoise a toujours plus systématisé ce qu’avait déjà mis en œuvre, en partie, la société féodale ; l’esprit français, « carré » et ingénieux, s’est réduit au fait de picorer, piocher, emprunter une démarche partiellement seulement. Être poli, cultivé serait emprunter des prêts-à-penser, des prêts-à-exister en société.

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément » expliquait ainsi Boileau dans son fameux Art poétique du XVIIe siècle, ce grand classique français. Et force est de constater qu’au-delà des mérites d’une telle approche, cela a produit des générations d’écoliers se croyant intelligents et même subtils, car ils écrivaient avec des paragraphes organisés dans leurs rédactions et qu’ils connaissaient la géométrie.

L’esprit national français et la question romantique

Les Français veulent de la rigueur dans l’expression des choses et des personnes : c’était un grand progrès face à la barbarie et au féodalisme. Mais ce progrès, devenu fictif, formel, abstrait, a produit un rejet de la vie dans toute sa complexité.

Les Français voient dans les caractères entiers des dogmatiques ou des fantaisistes, qui systématisent leurs travers consistant à se laisser entraîner comme malgré eux, de se laisser emporter. Les Français valorisent de rester à distance des choses, de maintenir un écart et cela est particulièrement vrai dans leur rapport dénaturé aux animaux.

Cette problématique était apparue dès le XVIIIe siècle et le romantisme est justement né en Allemagne et en Angleterre comme expression du besoin d’authenticité face aux manières, aux règles, aux codes sociaux que l’esprit national français a produit et finalement transformé partiellement en arbitraire au XVIIe siècle.

L’amour romantique, immédiat et unitaire, a été le symbole d’une opposition à un esprit français pour qui les sentiments ne pouvaient être exprimés que par étapes, selon des règles préétablies, telles que notamment présentées dans la « carte de Tendre » au XVIIe siècle.

Les contradictions de l’esprit national français

La France a payé cher la contradiction entre l’approche raisonnable – formelle de son esprit national et le romantisme international. Par esprit de défense nationale, elle a réfuté le romantisme, ce qui a amené la naissance d’un romantisme à la française qui a été une démarche ultra-réactionnaire, un travestissement des romantismes allemand et anglais, visant à utiliser le naturel, le sentimental… pour mieux attaquer la République. Cette interprétation proprement française du romantisme sera la base idéologique de l’idéologie monarchiste française jusqu’en 1914, puis du fascisme international comme idéologie se prétendant libératrice, spontanée, vitaliste, créatrice, etc.

Qui plus est, dans une société capitaliste développée, l’esprit formel d’abstraction et le repli sur une conscience relativiste devaient immanquablement se généraliser. Les Français sont alors d’autant plus aisément versatiles, superficiels, vaniteux, légers, inconstants.

Pire encore, au niveau de la superstructure idéologique, les contradictions sont antagoniques entre un esprit républicain se voulant universel et une reconnaissance de tous les relativismes communautaires et religieux.

Dépasser l’esprit national français en l’amenant à l’universel

L’esprit national français accompagne l’émergence du peuple français et il va se prolonger, en ne gardant toutefois que l’essentiellement positif, dans l’intégration et la dissolution du peuple français dans la république socialiste mondiale.

Ce processus est historiquement évident rien que par le fait que l’esprit national français a été un obstacle général à l’intégration des principes du marxisme. L’esprit national français a permis l’avènement d’un socialisme français remuant, en mouvement permanent, capable de prendre des initiatives, mais incapable de cimenter son activité sur les plans intellectuel, théorique et culturel.

Heureusement la dimension activiste d’esprits sur la brèche en permanence a permis d’agir face à la tentative de coup d’État du 6 février 1934. Elle a permis d’avoir des luttes de classe avec des esprits clairs, pleines de fulgurances dans leurs interventions antifascistes, ouvrant la voie au Front populaire. Mai 1968 ne s’explique pas sans saisir l’esprit national français et c’est ce qui lui confère une expression littéraire, artistique.

Mais l’absence de cimentation aura amené le Front populaire et Mai 1968 dans une impasse ; l’esprit national français se complaît dans l’action pour l’action. Il ne construit pas.

Les socialistes et l’esprit national français

Les socialistes français, lors de leur unification en 1905, ont souligné que dans leurs rangs deux choses devaient primer : tout d’abord une expression entièrement libre, ensuite une représentation proportionnelle dans la direction des idées exprimées dans le Parti. Cette approche était accompagnée d’un fédéralisme à tous les niveaux.

Cette conception s’oppose historiquement à celle de la social-démocratie, qui pose une centralisation organique et exige une même mise en perspective. Elle s’appuie très clairement sur le libéralisme bourgeois, avec notamment la franc-maçonnerie, ainsi que sur le scepticisme ayant traversé l’histoire culturelle française.

Les socialistes avaient bien entendu des moments de fulgurance, avec des figures politiques haut-en-couleur connues pour cela, tels Jules Guesde et Jean Jaurès. Le refus de systématiser fermait toutefois la porte à toute possibilité d’établir un programme politique bien déterminé.

Les communistes et l’esprit national français

Le Parti Communiste est une tentative de dépasser le socialisme français avec ses traditions relativistes. Il a cependant échoué et est revenu très rapidement, dès les années 1930, à une valorisation de l’esprit républicain.

Lorsqu’il s’appuyait sur l’esprit national français, le Parti Communiste a été remuant, efficace avec des activistes plein d’esprit, mais lorsqu’il a pris l’esprit national français comme fin en soi, il s’est transformé en une démarche stérile, dans un style de travail formel.

Le Parti Communiste a dès les années 1930 mis en valeur la Marseillaise, la République, le drapeau Bleu Blanc Rouge, affirmant que l’esprit national français non seulement se conjuguait au communisme, mais même qu’il lui ouvrait la voie, voire qu’il était lui-même le chemin au communisme.

Toutes les positions de Maurice Thorez sont traversées par cette valorisation de l’esprit national français, qui est en réalité une soumission à la société bourgeoise. C’est que l’esprit national français n’existe pas abstraitement, il existe seulement comme mise en perspective d’une classe porteuse de son dépassement dans l’universel.

Parti Communiste de France et non pas Parti Communiste Français

L’interprétation bourgeoise de l’esprit national français a tellement apporté de subversion dans les rangs communistes que le nom du Parti a été incorrect, étant le seul dans l’Internationale Communiste à utiliser l’adjectif national, au lieu de désigner la localisation historique, géographique.

La correction d’une telle erreur ne peut qu’être la suivante : l’esprit national français accompagne la nation, mais il n’est pas la nation et obéit à la loi de la contradiction dans son parcours.

Ainsi, si le relativisme français a permis comme retrait intellectuel défensif de faire céder le catholicisme, il aurait mieux valu que le calvinisme l’emporte, car il représentait une affirmation réellement positive en comparaison.

Le subtil agencement des choses n’a pareillement pas le même sens suivant qu’on se cantonne dans la gestion des choses comme un bourgeois maniaque ou qu’on reconnaisse la dignité du réel avec son mouvement dialectique. L’esprit national français, par exemple, consiste aussi en l’application criminelle de l’expérimentation animale comme « jeu de l’esprit ».

En ce sens, et c’est sans doute vrai pour tous les pays, on peut dire que l’esprit national français a une portée seulement démocratique, qu’il accompagne la mise en place de la nation comme forme civilisée d’organisation sociale, mais que sa limite repose dans sa vision du monde, forcément bornée.

C’est en effet la classe bourgeoise qui établit la nation dès l’émergence du capitalisme et si elle permet de dépasser les divisions antérieures, elle ne parvient pas à l’universel, à une vision mondiale de la communauté humaine.

Le prolétariat, classe universelle, peut puiser dans la réalité nationale-démocratique, mais son drapeau est nécessairement uniquement rouge, car son esprit est par définition international, mondial ; son esprit est celui de l’humanité travailleuse toute entière dans sa marche au communisme.

Le Parti Communiste est pour cette raison le Parti de la classe ouvrière, classe universelle, dans les conditions concrètes d’un pays qui a son parcours qui lui est propre. Le Parti Communiste a ainsi une dimension universelle, tout en étant lui-même particulier : pour faire l’Histoire universelle, il doit dépasser l’Histoire de son pays, et pour cela il doit déjà faire l’Histoire de son pays. L’aspect principal est toutefois l’aspect universel.

Le Parti Communiste ne peut pas être « français », mais de France, même si bien sûr le Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste) s’appuie sur la réalité nationale-démocratique française pour faire triompher la démocratie populaire comme expression de la dictature du prolétariat.

Il en va de même pour l’art dans le socialisme, qui sera national dans sa forme, mais socialiste dans son contenu. Les meilleurs traits nationaux passent dans l’universel, les autres disparaissent, tout comme le Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste) s’effacera dans le Parti Communiste mondial.

Le renversement du rapport de force au sein du Parti socialiste SFIO quant à l’Internationale Communiste

Entre le congrès de Strasbourg de la fin février 1920 et celui de Tours de la fin décembre de la même année, le rapport de force interne – grosso modo de 70 % / 30 % – va se renverser au profit des partisans de la IIIe Internationale.

La raison, c’est qu’en juillet 1920, l’Internationale Communiste tient son second congrès. Ce qui était considéré comme un simple appel avec le premier congrès se pose désormais comme véritable organisation mondiale, avec des soutiens désormais réellement nombreux.

Il y a des positionnements politiques, il y a une dynamique, il y a le régime soviétique qui montre sa stabilité, tout cela forme une véritable proposition stratégique. D’août à décembre 1920, la question de l’adhésion à la IIIe Internationale devient l’obsession chez les socialistes et il est clair qu’il y a un engouement très net devant ce qui semble inéluctable.

Naturellement, c’est un déclic qui se produit avec retard en France, puisque le processus fut enclenché dès la révolution d’Octobre 1917 dans de nombreux pays. Mais cela amène d’autant plus de volonté de rattraper le temps perdu. La minorité au sein de la CGT progresse de manière notable au congrès d’Orléans de fin septembre – début octobre 1920, obtenant 659 mandats contre 1 485 à la majorité.

Mais cela se lit surtout avec les jeunesses de la SFIO, les Jeunesses socialistes. Avant même la fin de la guerre, à la conférence de Saint-Denis de juin 1918, la première depuis de 1913, le courant de Jean Longuet y devint majoritaire tout comme dans la SFIO. Pierre Lainé, né en 1899 et nouveau dirigeant avec 169 mandats contre 10, appartenait à ce courant depuis son adolescence.

Naturellement, les jeunesses étaient sur une ligne plus dure que leurs aînés et les partisans de la IIIe Internationale y étaient plus puissants. En avril 1920, lors de la conférence des jeunesses à Troyes, la tendance longuettiste de Pierre Lainé représente 3 168 mandats, le Comité pour l’autonomie et l’adhésion à l’Internationale Communiste des Jeunes 2 350 mandats, alors qu’une troisième tendance, partisane de l’adhésion mais considérant qu’elle n’était pas encore possible, obtenait 1826 mandats.

L’Avant-garde, journal Comité pour l’autonomie et l’adhésion à l’Internationale Communiste des Jeunes puis ensuite des Jeunesses Communistes

On notera que le représentant de la première tendance, Pierre Lainé, restera dans la SFIO « maintenue », tout comme le représentant de la troisième tendance, Émile Auclair, après un bref passage chez les communistes. Enfin, le représentant de la seconde tendance, Maurice Laporte, joua un rôle très important dans les Jeunesses Communistes, avant de craquer en prison en 1923, de travailler pour la police et de devenir un ardent collaborateur des nazis pendant l’Occupation.

Sous l’impulsion du second congrès de l’Internationale Communiste, la seconde et la troisième tendance s’unirent à la fin juillet 1920 comme Comité de l’Internationale Communiste des Jeunes. Fin septembre, ils mettent en place un journal, L’Avant-garde ouvrière et communiste, dirigé par Gabriel Péri et obtiennent la mise en place d’un congrès à la fin de l’année.

La tendance longuettiste de Pierre Lainé fut balayée, sa résolution favorable à l’attente n’emportant que 1958 mandats, contre 5 443 pour l’adhésion immédiate à la IIIe Internationale (avec 350 abstentions).

Voici la résolution ayant triomphé:

« Le Congrès National des Jeunesses socialistes réuni à Paris les 30 octobre et 1er novembre 1920, constatant :

que la IIIe Internationale rassemble tous les socialistes révolutionnaires du monde entier ;

qu’elle répudie tout « socialisme de guerre » passé et futur, méconnaît le mythe que représente la Défense nationale, préconise l’intransigeance révolutionnaire et la dictature du prolétariat par le régime des Conseils des travailleurs se substituant à la fausse démocratie bourgeoise parlementaire, que ce régime peut seul faire triompher la production au bénéfice total du producteur et instaurer le Communisme ;

constatant, d’autre part, que l’Union Internationale des Jeunesses socialistes a fait faillite au même titre que la IIe Internationale,

le Congrès condamne avec force et refuse de s’associer jamais avec les Jeunesses qui, répudiant en 1914 les principes fondamentaux du socialisme en approuvant, de quelque manière que ce soit, la politique dite « d’Union sacrée », continuent deux ans après les hostilités à rester fidèles à leurs erreurs et à collaborer de près ou de loin, consciemment ou inconsciemment, avec la politique des renégats de la lutte sacrée de classe.

Elle condamne également les tentatives des Jeunesses jaunes de Noske, d’Allemagne, de Renner, d’Autriche, faites dans le but de reconstruire une Internationale qui serait en complète opposition avec l’Internationale Communiste des Jeunes ;

Le Congrès, conscient de l’idée de lutte de classe qui s’est affirmée dans l’Internationale Communiste des Jeunes ne faisant pas double emploi avec la IIIe Internationale, lui donne son entier appui et son adhésion non conditionnée, comme elle la donne sans réserve aucune à son aînée et approuve pleinement son manifeste et son programme lancé au Congrès international tenue le 25 novembre à Berlin ;

De plus, le Congrès,

considérant que la division qui s’est affirmée au sein de la Fédération Nationale des Jeunesses Socialistes résulte d’une divergence profonde sur le but et la doctrine ;

considérant qu’aucune organisation ne saurait exercer d’action révolutionnaire sérieuse et efficace si ses membres sont ainsi divisés sur les principes mêmes de la lutte ;

affirme que s’il est vrai que tous les communistes ont l’impérieux devoir d’adhérer sans réserve à la IIIe Internationale, il n’en est pas moins évident que seuls les communistes doivent y avoir accès.

En conséquence :

soucieux de permettre aux éléments révolutionnaires des Jeunesses de France d’adhérer à l’Internationale Communiste des Jeunes, le Congrès pour clarifier définitivement la situation et faire œuvre durable, décide la transformation des Jeunesses Socialistes de France en Fédération Nationale des Jeunesses Socialistes Communistes, et admet pleinement la déclaration et le programme général d’action suivant, qui sera celui de la Fédération ainsi reconstituée. »

Les Jeunesses Socialistes devinrent les Fédérations nationales des Jeunesses Socialistes Communistes de France, puis en mai 1921 la Fédération nationale des Jeunesses Communistes.

Ce qui s’était fait dans les Jeunesses reflétait de fait la tendance générale dans le Parti. Pourtant les partisans de la IIIe Internationale auraient dû tirer une leçon de ce qui s’était passé après le vote.

Prenant la parole au nom des désormais minoritaires, Pierre Lainé lut une résolution où il affirma, au nom des 1958 mandats qui s’étaient portés sur lui, qu’il était pris acte « de l’acte d’indiscipline de la majorité qui vient de proclamer l’autonomie des Jeunesses ». On avait ici déjà la base du discours de la minorité, qui accusait la majorité de liquidation, d’aventurisme, de dogmatisme, etc. et ne comptait certainement pas accepter les décisions prises.

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au lendemain de la première guerre mondiale

Le triomphe de la tradition socialiste française au congrès de Strasbourg de 1920

Au congrès de Strasbourg, on retrouve la même situation qu’aux congrès d’avant-guerre. Les sections de la SFIO sont de taille tout à fait disparate, numériquement comme politiquement.

Il y a un côté fourre-tout dans la démarche, le congrès étant par ailleurs marqué dès le début par des compte-rendus sans fin sur la trésorerie, la non-publication des cartes et des timbres, la question de l’imprimeur changé avec le nouveau ne publiant pas assez et avec retard, etc. etc.

Dès le tout début du congrès, un délégué de la Fédération du Jura expliqua par exemple également que la société future serait entièrement décentralisée, organisée par communes et cantons se fédérant, avec un parlement régional, etc. Ces thèses anarchistes furent considérées comme relevant de la pensée socialiste dans sa multiplicité et ne choquait pas.

Là où tout cela est fortement hypocrite et en tout cas inégal, c’est qu’on a encore et toujours quelques fédérations poids lourds, telle celle de la Seine avec 721 mandats – cela correspond grosso modo à la région parisienne -, celle du Nord avec 567 mandats et celle du Pas-de-Calais avec 479 mandats, la Seine-et-Oise 171 mandats.

Pour le reste, les sections se divisent entre celles ayant 50-100 mandats – le Haut-Rhin a 101 mandats, le Gard 89, l’Isère 57, l’Oise 47, la Nièvre 44,… – et celles en ayant 10-30 (l’Eure en a 10 la Mayenne 7, la Haute-Savoie 11, le Finistère 36, etc.). Le poids des grandes fédérations est donc énorme.

Pour autant, cela ne doit pas donner l’idée que la SFIO soit un parti puissant. Les Fédérations les plus puissantes ont un nombre restreint de membres ! On a pour la Seine 18 075 cartes de membre, le Nord 14 700, le Pas-de-Calais 11 950… Suivent la Seine-et-Oise avec 5 600 membres, la Moselle avec 4 500 membres, le Haut-Rhin avec 4 300 membres, le Bas-Rhin avec 3 200 membres…

Au total, cela fait autour de 130 000 membres, dans 95 fédérations, avec seulement au total… quatre permanents, ce qui est la preuve d’une immense incapacité organisationnelle. On est à rebours des révolutionnaires professionnels prônés par Lénine.

Si l’on ajoute à cela que tels mandatés d’une Fédération peuvent voter dans un sens, d’autres mandatés de la même Fédération dans un autre, on peut voir qu’on a le principe de la division poussé jusqu’à son paroxysme. Un mandaté peut d’ailleurs souvent avoir le droit d’éventuellement… voter contre ce pour quoi il a été mandaté, tous les mandats n’étant pas impératifs !

Dans un tel rassemblement fourre-tout, les éléments traditionalistes du Parti n’ont aucun mal à surnager et à apparaître comme ceux qui forment le socle même de l’organisation. Paul Faure et Léon Blum apparaissent ici comme les meilleurs représentants d’une telle perspective et ils dirigeront d’ailleurs la SFIO de l’entre-deux guerres.

Ils représentent la tradition socialiste française, dans le rejet de la social-démocratie et du bolchevisme ; leur ligne est de pratiquer le réformisme, sans fermer la porte à la révolution pour le jour où elle arriverait éventuellement.

Avec une telle ligne, typique d’ailleurs du socialisme français – un discours à prétention révolutionnaire, une pratique réformiste, exactement comme chez Jean Jaurès – il n’y a pas de mal à balayer les ultras ne parvenant pas à asseoir leur démarche de manière conséquente.

Paul Faure défend ainsi aisément la tradition socialiste française contre les éléments exigeant de renverser la table, sans disposer d’aucune approche au sens strict à part le volontarisme cherchant une légitimité en se revendiquant abstraitement de la IIIe Internationale :

« Ah ! Du haut de vous-mêmes, vous nous dites : « les réformes, n’en parlons plus ! » Si, en revenant de Strasbourg, le Soviet central est constitué à Paris, et si la révolution est faite, il est possible, en effet, qu’on ne parlera plus de réformes, ou plus exactement, qu’on commencera à en parler. (Très bien ! Applaudissements)

Mais il faut envisager l’hypothèse, évidemment ennuyeuse et pénible, où la révolution ne sera pas faite et où nous n’aurons pas le pouvoir dictatorial.

Nous serons demain encore dans un pays où le capitalisme existera. Ceci est à craindre. J’entends bien que nous devons préparer le jour où nous pourrons abattre ce régime abject du capitalisme, je n’ai fait que cela depuis que je milite, je continuerai ; mais tant qu’il vivra, nous serons obligés tout de même de vivre avec lui, dans lui.

Si vous clamez nous ne voulons plus de réformes du tout, et je vous l’ai entendu dire, non seulement dans ce Congrès, mais ailleurs, il faut que vous rectifiiez, que vous essayiez de faire rectifier par le Parti notre doctrine traditionnelle. »

Léon Blum a exactement la même approche lorsqu’il justifie l’injustifiable au nom d’une sorte de pragmatisme révolutionnaire où, sans « révolution », tout est permis dans la compromission :

« Je pense que la participation ministérielle pendant la guerre n’a été à aucun degré le signe d’une inflexion révisionniste de la pensée socialiste, car ce n’est pas pour collaborer à des réformes sociales que le Parti socialiste a accepté le pouvoir.

Il l’a accepté pour un tout autre objet ; il l’a accepté dans des circonstances que la résolution Kautsky de Paris qualifiait de circonstances exceptionnelles ; il l’a accepté avec l’autorisation et la ramification des organes qualifiés du Parti socialiste. »

Il s’en sort une conclusion logique : il faut balancer par-dessus bord la seconde Internationale, qui est incapable de maintenir cette « fiction » révolutionnaire… Mais il ne faut surtout pas rejoindre la IIIe Internationale, qui exige que la révolution, c’est-à-dire la prise dans la violence du pouvoir d’État, soit la perspective centrale.

Pour cette raison, 4 330 mandats contre 337 votent la sortie de la seconde Internationale (avec 53 abstentions et 109 absents).

Puis 3 031 mandats se prononcent pour la « reconstruction » d’une nouvelle Internationale, les tenants de la IIIe Internationale obtenant 1 621 mandats, un score honorable mais dans une absence d’unité, de clarté, de connaissance même d’ailleurs de ce qu’est réellement la IIIe Internationale, qui est simplement assimilée ou confondue avec la révolution russe.

En fait, le congrès de Strasbourg marque simplement un recentrage du Parti socialiste SFIO. Les ex-majoritaires ont disparu : ils ont été liquidés en 1918-1919, ils sont trop compromis.

Mais le Parti ne rejette pas leur activité durant la guerre, ils considèrent seulement qu’ils sont allés trop loin, alors que de toute façon ils sont carbonisés niveau crédibilité « révolutionnaire ». Ils sont donc simplement remplacés par des gens voulant simplement en revenir à la ligne d’avant 1914, Paul Faure et Léon Blum étant leurs chefs de file.

On est donc dans l’ambiguïté assumée entre réforme et révolution, comme on le voit rien qu’à la première phrase de la résolution de politique intérieure adoptée au congrès qui affirme que :

« Le Parti socialiste déclare que, plus que jamais, dans les circonstances présentes, son action nationale doit être fonction de l’action internationale du socialisme mondial. »

C’est très symbolique puisque le Parti socialiste SFIO a abandonné la seconde Internationale sans rejoindre la IIIe, flottant dans un vide permettant toutes les ambiguïtés entre réforme et révolution qui lui sont caractéristiques… avec, naturellement, le « républicanisme ». La résolution de politique intérieure appelle ainsi à « la sauvegarde de la République », expliquant qu’il y a « un danger pour le régime ».

On est ainsi de retour à avant 1914. Le Congrès de Tours, avec un renversement total de perspective, n’en sera que d’autant plus une surprise.

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au lendemain de la première guerre mondiale

L’absence de lutte de lignes et le question de la IIIe Internationale au congrès socialiste de Strasbourg de 1920

Au congrès de Strasbourg, c’est paradoxalement Ernest Poisson, de l’aile droite, qui révéla tout le fond du problème, alors que les partisans de la IIIe Internationale ne comptaient pas pour autant mener une lutte de lignes dans la SFIO. La gauche de la SFIO était contre la droite, mais elle la tolérait, l’acceptait même, et Ernest Poisson dénonça logiquement ce paradoxe :

« Mais il y a, permettez-moi de vous le dire, une première raison, et la meilleure de toutes.

Vous voulez adhérer à la IIIe Internationale ? Mais vous n’ignorez pas que nous ne serons pas tous reçus ; vous n’ignorez pas qu’à la porte on vous priera de bien vouloir d’abord laisser quelques-uns des vôtres.

Ce n’est donc pas avec tout le Parti socialiste français que vous allez adhérer. Je ne parle pas seulement de mon vieil ami Longuet à qui on veut faire passer une visite de santé morale avant de l’admettre ; je veux parler de ceux qui, comme moi, comme nous, ceux que vous dites à la droite du Parti et qui sont d’avance expulsés.

On n’en veut pas ; des mandements sont donnés, des excommunications sont lancées. Je ne sais pas au nom de quelle démocratie, même ouvrière, mais je sais tout au moins que le Grand Maître de la IIIe Internationale, à lui tout seul, a décrété déjà les exclusions.

Et alors puisque nous ne sommes pas admis, nous sommes peut-être un peu difficiles, mais nous ne sommes pas des gens qui voulons tout de même aussi facilement – permettez-moi cette expression – recevoir des coups de pied quelque part !

Non, non, nous ne voulons pas aller à la IIIe Internationale où du reste on ne veut pas nous recevoir, et alors je vous pose une question à vous, camarades partisans de la IIIe Internationale : si vous adhérez, vous savez que nous n’en serons pas. Nous sommes donc des traîtres ; nous ne sommes plus des socialistes.

Alors avant d’aller à la IIIe Internationale, puisque vous savez que nous ne pouvons pas y aller, ayez d’abord le courage de nous mettre à la porte du Parti socialiste français ! (Applaudissements.)

Quand vous nous aurez mis à la porte, vous aurez le droit d’y aller, sinon vous allez demander à une des fractions du socialisme russe, ou plus exactement à celui qui parle en son nom à l’heure actuelle, vous allez lui demander la force de nous mettre à la porte alors que vous ne l’osez pas.

Commencez d’abord par l’expulsion et vous irez ensuite à la IIIe Internationale. (Applaudissements à droite.) »

Jean Longuet dira pareillement :

« Mon cher [Raymond] Lefebvre, si vous avez des exclusions à proposer, venez les apporter ici ! S’il y a des membres du Parti dont vous demandez que le Parti se sépare, il ne faut pas, sous la forme indirecte d’un voyage à Moscou, poser le problème ; il faut venir dire franchement : je propose telles et telles exclusions. »

De fait, c’était la IIIe Internationale qui représentait la ligne rouge, mais à l’extérieur du Parti socialiste SFIO.

Henriette Roland Holst s’exprima au congrès de Strasbourg, en tant que déléguée étrangère, non seulement au nom du Parti Communiste de Hollande, mais au nom du Comité Exécutif de la IIIe Internationale, par un mandat du secrétariat de l’Europe occidentale et du bureau auxiliaire d’Amsterdam.

Le message fut très clair :

« L’Internationale Communiste, assise solidement sur l’indestructible terrain du monde nouveau, réunissant l’avant-garde révolutionnaire de tous les pays, attend de vous, prolétaires de France, des décisions fermes et des actes hardis (…).

Prenez garde, camarades français, si, de loin, nous ne pouvons pas apercevoir comme vous, qui êtes dans la lutte, les détails de la vie sociale et politique française, par contre nous la voyons dans son ensemble et nous considérons comme notre devoir impérieux de vous mettre en garde contre votre bourgeoisie qui ne vous laissera pas un long intervalle de temps pour discuter paisiblement.

Elle profite du répit que vous lui fournissez par vos hésitations ou plus exactement par l’hésitation de votre représentation politique pour organiser la vie économique non pas pour remédier au désordre général mais pour organiser ses forces et pour vous écraser coûte que coûte (…).

Nous attendons de vous, camarades français, que vous poursuiviez par votre marche en avant, que vous ne vous laissiez pas endormir par des phrases et des déclamations qui dissimulent les anciennes pratiques, mais que vous luttiez pour créer un Parti solide, un Parti de combat en éliminant le poids mort du social-patriotisme et du réformisme. »

Voici également le télégramme envoyé le 17 janvier 1920 par la IIIe Internationale :

« Au congrès du Parti socialiste français à Strasbourg

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste adresse aux travailleurs français en lutte contre le social-patriotisme et contre toutes les conceptions équivoques et les déformations bourgeoises des principes du communisme, son salut fraternel.

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste espère que sous la pression des masses ouvrières françaises, le congrès de Strasbourg se décidera enfin à rompre avec la IIe Internationale, avec l’organisation jaune dont Noske, Galliffet [= le militaire ayant écrasé la Commune de Paris en 1871] d’outre-Rhin, est en Allemagne le représentant le plus en vue et qui est de même représenté en France par les agents de la bourgeoisie.

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste appelle tous les communistes français à s’unir en une seule organisation et à déclarer une guerre ouverte à tous ceux qui ont trahi le prolétariat.

Vive le prolétariat révolutionnaire français !

Vive l’épuration des forces ouvrières dont les jaunes de la IIe Internationale doivent être chassés !

Vive la révolution prolétarienne !

Le président du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste : Zinoviev »

Ce principe de l’épuration exigée par l’Internationale Communiste était en fait incompatible avec toute la tradition socialiste française, qui reposait sur l’unité des tendances divergentes et de fédérations autonomes, ayant toujours réfuté toute centralisation organique du Parti.

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au lendemain de la première guerre mondiale

Parti socialiste SFIO: le congrès de Strasbourg dans un cadre chauvin

Le congrès de Strasbourg de la SFIO s’est tenu du 25 au 29 février 1920 ; par définition, de par l’importance du mouvement ouvrier français historiquement, il attira fortement l’attention. Comment les socialistes français allaient-ils se comporter dans leur réaffirmation de l’après-guerre ?

Les invités étrangers consistaient en les suivants :

– de Grande-Bretagne, le Labour Party, clairement droitier, mais également l’Independent Labour Party et le British Socialist Party, qui ont été anti-guerre et se rapprocheront des communistes russes, la seconde organisation formant par la suite la base du Parti Communiste ;

– le Parti Ouvrier Belge, clairement droitier ;

– le Parti Social-démocrate de Suède, clairement droitier également ;

– des Pays-Bas, Henriette Roland Holst du Parti Communiste de Hollande, déjà affilié à la IIIe Internationale, ainsi que le très droitier Parti Ouvrier Social-démocrate des Pays-Bas.

Le dirigeant de ce dernier, Willem Vliegen, prenant la parole, souligna la chose suivante :

« Personnellement, je vous félicite, vous socialistes français, d’avoir tenu votre Congrès national à Strasbourg que rien n’a pu guérir d’être si longtemps éloigné de vous. »

Effectivement, le choix de la ville de Strasbourg était, par définition même, une provocation nationaliste ; cela n’a jamais été remarqué historiquement, ce qui est un comble.

Strasbourg avait en effet été allemande de la guerre de 1870-1871 jusqu’à 1918 ; elle n’était auparavant française que depuis la fin du 17e siècle. Elle est donc une ville avec un parcours historique complexe, demandant pour le saisir un haut niveau d’internationalisme prolétarien, que la SFIO n’a nullement.

Une session du Soviet des soldats à Strasbourg en novembre 1918 dans le cadre de la révolution en Alsace parallèlement à dans l’ensemble de l’Allemagne

Ainsi, si le nombre de mandats dépend du nombre de « timbres » cotisés de manière régulière par les membres, celui-ci a été réduit « pour l’attribution des mandats aux Fédérations des régions libérées », allusion à l’Alsace et la Lorraine. La présidence du congrès est confiée d’ailleurs à un Alsacien, Michel Heysch, épaulé pour son travail de plusieurs membres d’Alsace et de Lorraine. Il n’y a strictement aucune opposition à ce sujet lors du congrès.

Même si Michel Heysch avait pris part au mouvement des Conseils d’ouvriers et de soldats en 1918 en Alsace, il s’inséra totalement dans la démarche nationaliste ; premier à prendre la parole, il ouvrit le congrès en disant :

« Camarades, à vous tous accourus de tous les coins de France pour assister à ce premier Congrès tenu sur la terre libérée du joug du militarisme prussien, salut, fraternité et cordiale bienvenue.

Vous n’ignorez pas quelle fut l’attitude du Parti socialiste d’Alsace et de Lorraine lorsque l’Allemagne déchaîna la plus formidable des guerres que l’univers ait jamais connue.

Trahis par les compagnons d’Outre-Rhin (….), vous savez tous, citoyens, combien grande fut notre joie lorsque nous pûmes rejoindre la grande famille des prolétaires français. »

Pierre Renaudel, principale figure du courant ayant précipité le Parti socialiste SFIO dans « l’Union sacrée » en 1914, pouvait s’exprimer totalement librement, jusqu’à revendiquer la participation gouvernementale et le soutien au régime de 1914 à 1918, quitte à quelques protestations lors de ses interventions :

« Nous avons fait ce qu’il était possible de faire à ce moment-là. L’Internationale a subi une secousse, c’est vrai.

Ce qui a tué l’Internationale, c’est le silence de la Social-démocratie allemande ; de même que ce qui rend à l’heure actuelle l’Internationale impuissante, c’est la faiblesse du socialisme français dont l’échec aux dernières élections a diminué – bien plus que ses mandats, – son unité et son autorité politiques. (Bruit et protestations.). »

Le Parti Socialiste Indépendant d’Allemagne envoya un long message solidaire, qui fut lu à la tribune, mais il ne fut pas applaudi, à l’inverse du très court message de soutien norvégien.

Ce chauvinisme étalé sans honte aucune reflète tout à fait un parti qui, somme toute, n’est qu’un assemblage hétéroclite et qui a repris entièrement sa forme et ses traditions d’avant 1914, sans se soucier en rien de la question de la guerre impérialiste. Son objectif est de repartir comme avant, de se relancer en profitant de la révolution russe.

De toutes manières, alors qu’avant 1914 l’amitié franco-allemande était sans cesse soulignée, alors que la révolution allemande de 1918 a été d’une immense portée, il n’y a au congrès de Strasbourg de février 1920 aucun délégué allemand.

Cyrille Spinetta pouvait par contre faire au congrès de Strasbourg un long éloge de la défense nationale, la France ayant été attaquée et n’ayant aucune part dans le déclenchement de la guerre, etc., avec quelques protestations, mais sans condamnation aucune.

De la même manière, la question de la IIIe Internationale est reléguée loin dans les débats : après les rapports de la trésorerie, du groupe parlementaire, sur l’Humanité, après la question de la politique du Parti, etc. etc.

Et cela, alors que c’est la majorité pro-paix née à la fin de la guerre qui est à la tête du Parti !

Le secrétaire du Parti socialiste SFIO depuis 1918, Louis-Oscar Frossard, également directeur de l’Humanité, chef de file du courant pro-défense nationale tout de même partisan d’une reprise des relations internationales pendant la guerre, constata alors au congrès que :

« Camarades, permettez-moi de le dire, je n’ai pas l’impression que le Congrès se rende compte de la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons placés à cet instant même.

Camarades, au moment où nous discutons avec tant de passion de savoir si nous aurions dû ou non, pendant la guerre, pratiquer une politique de Défense nationale, des mouvements ouvriers de la plus haute importance sont en train de se développer. (Applaudissements)

[Suit une très rapide présentation des grèves des cheminots, des mineurs, des imprimeurs, etc.]

Camarades, nous délibérons au milieu de ces événements, et il me paraît que le Congrès, lorsqu’il s’évertue à réveiller les vieilles querelles, ressemble à ces docteurs en théologie du Moyen-Âge qui discutaient sur la couleur des cheveux du Christ (…).

Camarades, je vais conclure [les débats sur la politique du Parti] en insistant sur ces mots : besogne d’éducation, besogne de recrutement !

Le Parti socialiste, devant les événements d’une gravité exceptionnelle qui se produisent ne doit pas oublier qu’il est appelé à prendre les responsabilités les plus lourdes.

Que demain, la grève des cheminots devienne générale ; que la grève des mineurs éclate ; que d’autres corporations entrent dans le mouvement, il faut que le Parti socialiste soit capable d’apporter aux prolétaires en grève autre chose, vous m’entendez, que des satisfactions verbales ; il faut qu’il puisse leur apporter un concours actif, une aide efficace, et, si nous voulons servir utilement des mouvements de grève générale, qui sont à la vérité les prodromes du mouvement révolutionnaire par nous espéré, il faut que notre unité nécessaire soit maintenue et fortifiée, – unité entre les organisations politiques et les organisations économiques… (Vifs applaudissements) unité nationale, unité internationale : le triomphe du socialisme est à ce prix. (Applaudissements prolongés) »

Louis-Oscar Frossard défendit même les tenants de « l’Union sacrée » :

« Quand des parlementaires ou des militants, dans l’état présent des choses, affirment que, s’ils avaient à recommencer ce qu’ils ont fait le 4 août 1914, ils recommenceraient, c’est leur droit absolu au regard de toutes les décisions du Parti. (Très bien !) »

Et c’est ce même Frossard qui, au congrès suivant, à la fin de l’année, prônera l’adhésion à la IIIe Internationale, devenant le premier dirigeant de la Section Française de l’Internationale Communiste !

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au lendemain de la première guerre mondiale

Les deux tendances favorables à l’Internationale Communiste dans le Parti socialiste SFIO à la fin de la première guerre mondiale

En Allemagne, il y avait une toute petite structuration des sociaux-démocrates rejetant catégoriquement la guerre, autour de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht ; les bolcheviks avaient quant à eux les mains libres pour développer leurs activités anti-guerre, ayant exigé une centralisation théorique et organisationnelle.

On n’a pas cela en France, où il n’existe aucune continuité révolutionnaire, dans la mesure où la guerre a imposé un nationalisme généralisé et un soutien complet au militarisme.

De plus, le mouvement ouvrier français a été marqué par les courants socialistes et le courant syndicaliste révolutionnaire ; dans les deux cas, il n’y a pas de base de masse.

On est dans le substitutisme : les socialistes sont historiquement une machine électorale portant des élus agissant au nom du prolétariat tout en étant divisés en tendances en conflit ouvert ; les syndicalistes une minorité pratiquent quant à eux le style du coup de force au nom du prolétariat, avec l’espoir mythique d’une grève générale.

Affiche de la CGT de 1913 contre le service militaire allongé à trois années, juste avant la capitulation totale devant la guerre en 1914

La social-démocratie comme mouvement historique est restée étrangère à la France, tout comme son idéologie qu’est le marxisme ; on est ainsi en France dans le mouvement ouvrier, au début du XXe siècle, soit électoraliste (tendant franchement à l’opportunisme), soit syndicaliste (tendant à l’anarchisme).

La révolution russe et le chamboulement de la première guerre mondiale bouleversent immanquablement un tel panorama. Il y a alors l’idée de se sortir de l’impasse par le haut, en plaquant littéralement ses désirs sur la révolution russe et l’Internationale Communiste.

Un acteur clef de ce processus est Fernand Loriot. Socialiste, il soutient l’Union sacrée à l’entrée en guerre, mais se remet en cause en août 1915. Il participe alors à la mise en place au sein des socialistes d’un Comité pour la reprise des relations internationales, qu’il dirige à partir de 1917, appelant à des pourparlers de paix, l’ancien dirigeant Alphone Merrheim ayant basculé ouvertement dans le réformisme et les plans américains de paix en Europe.

Fernand Loriot en 1921

Un autre acteur clef est Raymond Péricat. Lorsque le Comité pour la reprise des relations internationales forma en 1916 un Comité de défense syndicaliste, Raymond Péricat en prit la direction en 1917. Il se tourna vers les anarchistes et les syndicalistes.

On va avoir, de ce fait, deux tendances favorables à la IIIe Internationale :

– celle avec Fernand Loriot, représentant les socialistes favorables à la paix et s’imaginant que l’Internationale Communiste valide ce positionnement et qu’il est ainsi possible de sauver le Parti socialiste SFIO ;

– celle avec Raymond Péricat, représentant les syndicalistes considérant que l’Internationale Communiste permet de récupérer les thèses syndicalistes révolutionnaires invalidées par le fait que l’ensemble de la CGT a soutenu l’Union Sacrée.

Fernand Loriot est à l’origine la pointe d’un mouvement de contestation pro-paix chez les socialistes. Avant même la fin de la guerre, le Parti socialiste SFIO tint un Conseil national, les 28-29 juillet 1918, ainsi que son 15e congrès, du 6 au 10 octobre 1918. Expression de la révolte contre la guerre, les partisans d’une fin de la guerre l’emportent, avec à leur tête Jean Longuet.

Jean Longuet en 1918

La motion de Jean Longuet obtint 1 544 voix au Conseil national, celle plus à gauche de Fernand Loriot en obtenant 152, la motion de Pierre Renaudel pour l’ancienne majorité en obtenant 1 172 (pour 96 abstentions et 31 absents).

Au congrès, Pierre Renaudel qui avait succédé à Jean Jaurès à la tête de l’humanité est alors remplacé par Marcel Cachin. Louis Dubreuilh, secrétaire général de la SFIO depuis 1905, est éjecté et remplacé par Ludovic-Oscar Frossard.

Ludovic-Oscar Frossard

La tendance de Fernand Loriot n’est donc, à ce moment-là, qu’une pointe de celle de Jean Longuet. Les soutiens à Fernand Loriot sont éclectiques et simplement pacifistes, lui-même n’a pas d’orientation, devenant simplement trésorier-adjoint dans la Commission administrative permanente.

Cela laisse un espace pour les syndicalistes pro-révolution russe autour de Raymond Péricat, qui fondent en mai 1919 un « Parti Communiste » dont l’organe « Le Communiste » se présentait comme « organe officiel du PCF et des soviets adhérant à la section française de la IIIe Internationale de Moscou, des conseils ouvriers, de paysans et de soldats ».

Il n’y avait bien entendu aucune reconnaissance de la IIIe Internationale et en décembre 1919 ce « Parti Communiste » se transforma en « Fédération Communistes des Soviets », pour disparaître très rapidement. C’est anecdotique, mais révélateur de comment en France la IIIe Internationale était un lieu de projection.

La Fédération Communiste des Soviets se présente comme la section de langue française de l’Internationale Communiste de Moscou

Ne restaient alors plus que les partisans de la IIIe Internationale au sein du Parti socialiste SFIO, le Comité pour la reprise des relations internationales étant devenu en mai 1919 le Comité pour l’adhésion à la IIIe Internationale.

Après la victoire de la tendance de Jean Longuet, les ex-majoritaires cherchent bien entendu à reprendre la main, mais ils échouent, les plus à droite s’éloignent alors souvent, fondant le journal La France libre en 1918, un Parti socialiste français en 1920 avec de nombreux députés, etc.

La SFIO penche de toute façon toujours plus vers la gauche et au congrès de 1919, la motion d’Alexandre Bracke triomphe avec 1 763 mandats contre 333 en prônant un refus de toute alliance avec les partis bourgeois.

Alexandre Bracke, intransigeant ici en reprenant la ligne d’avant 1914, avait entre-temps été en première ligne dans l’Union Sacrée et même à l’œuvre pour l’intégration des socialistes dans le gouvernement !

Alexandre Bracke

Il ne manquait plus que le mouvement de masse pour pousser davantage cet élan sentimental-romantique vers la révolution russe.

En avril 1919, alors que le meurtrier de Jean Jaurès est acquitté, 300 000 personnes défilent à Paris et le premier mai qui suit se transforme en bataille rangée avec la police, faisant au moins 430 blessés dans les rangs de celle-ci et un mort chez les manifestants, l’ouvrier électricien Charles Lorne, dont l’enterrement rassemble 300 000 personnes.

Le même mois, la flotte française de la mer Noire, en opération contre la révolution russe, connaît une révolte, sur le Waldeck-Rousseau, le France, le Jean-Bart, le Justice… alors qu’André Marty tente avec le torpilleur le Protet de rejoindre l’armée rouge.

Des mutins de la mer Noire

La grève est alors massive dans tout le pays en juin, avec notamment 500 000 grévistes à Paris, l’ensemble des mineurs du Nord ; 1919 est marqué par 2026 grèves et 1 151 000 grévistes. Cependant, l’incapacité à organiser le 21 juillet 1919 une grève politique contre l’intervention en Russie soviétique sera également extrêmement mal vue par l’Internationale Communiste venant de se former.

1920 verra ensuite 1832 grèves avec 1 317 000 grévistes, mais la tactique des « grèves successives » aboutit à un échec des grèves dans les métaux, puis dans le bâtiment, les transports, l’éclairage, les dockers, etc.

Pourtant, les masses s’organisent : de 34 000 membres en 1918, le Parti socialiste SFIO en a 150 000 au début de l’année 1920 ; la CGT a quant à elle désormais 2,5 millions de membres.

Cela se produit dans un contexte explosif : en 1920, le coût de la vie est de 400 % celui de 1914. L’agitation populaire est telle qu’avant le premier mai 1920, le ministre de la Guerre André Lefèvre prévient :

« Il faut bien qu’on sache que l’armée reste la force publique, et qu’à l’avenir on n’ignore plus qu’elle sera munie de cartouches. »

Cependant, le Parti socialiste SFIO ne parvient pas à émerger. Aux élections de novembre 1919, il n’obtient d’ailleurs que 1,8 million de voix sur 8 millions d’électeurs. Il faudra que ce changement quantitatif avec le mouvement de masse provoque un changement qualitatif avec les congrès de Strasbourg et de Tours, qui ont lieu au début et à la fin de l’année 1920.

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au lendemain de la première guerre mondiale

La fin de la première guerre mondiale dans un contexte de révoltes

Le congrès de Tours est l’aboutissement de toute une séquence commencée en 1917. C’est l’année en effet où la France craque sur le plan interne, la guerre perdant son caractère intouchable.

Au début de l’année 1917, la mobilisation totale a clairement perdu son aura ; le nationalisme s’est épuisé ; le caractère parasite de la bourgeoisie dans « l’effort national » devient toujours plus visible. Déjà, en novembre 1916, un roman comme Le Feu Journal d’une escouade de Henri Barbusse pouvait paraître et avoir un immense succès, le prix Goncourt lui étant remis la même année encore.

La guerre décourage, tout semble enlisé, le discipline s’étiole ; l’agitation grandit. La bourgeoisie est obligée de développer le mythe de la « dernière grande offensive », cherchant à forcer le destin. L’échec meurtrier de ce qui sera appelé la bataille du Chemin des Dames, avec pratiquement 200 000 soldats français tués, provoque des révoltes, des mutineries, des marches de régiments sur Paris : les rebelles sont fusillés par centaines, voire bombardés.

La grève est également devenue une actualité de masse. On passe de 1916 à 1917 de 314 grèves à 696, de 41 000 grévistes à 294 000. La région parisienne est le bastion de la contestation, notamment les métallurgistes de Saint-Denis, Aubervilliers, chez Panhard, les employés de banques, les midinettes (qui sont des employées de couture), mais le mouvement est également puissant dans la Loire, en Isère.

En réponse, en novembre 1917, la bourgeoisie lance une nouvelle vague nationaliste-autoritaire, avec la formation d’un gouvernement sous l’égide de Georges Clemenceau qui assume en même temps le poste de ministre de la Guerre. Georges Clemenceau avait déjà, lors d’un premier gouvernement en 1906-1909, réprimé brutalement, de manière sanglante, le mouvement ouvrier.

Le chef du gouvernement Georges Clemenceau en novembre 1917

Mais février 1917 avait déjà été marqué par la première révolution russe et le premier mai 1917, 10 000 personnes manifestent à Paris en soutien de celle-ci, avec un manifeste diffusé qui affirme :

« Partout les peuples révoltés doivent se débarrasser de leur gouvernement de classe, pour mettre à sa place le pouvoir des délégués des ouvriers et des soldats passés au peuple. La révolution russe est le signal de la révolution universelle. »

Cependant, il faut bien voir ici le grand malentendu qui se pose. Du côté français, de manière unanime à pratiquement quelques personnes près, on considère chez les socialistes que la guerre était nécessaire en raison du militarisme allemand et qu’il y a une seule erreur véritable : celle de ne pas avoir cherché à la terminer la plus rapidement possible.

Cela n’a strictement rien à voir avec la ligne des sociaux-démocrates russes ayant prôné la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. L’approche est radicalement différente. Les socialistes ne le voient cependant pas. Pour eux, cela n’est valable qu’en cas de prochaine guerre – ils considèrent avoir fait le maximum en 1914 et ne pas avoir à se remettre en cause.

Nullement autocritiques en quoi que ce soit, les socialistes français, voyant que la révolution russe met fin à la guerre et renverse la monarchie, qu’elle instaure même un régime à caractère collectiviste, se disent qu’ils relèvent de la même tendance historique, que tout cela s’appuie, somme toute, sur la même démarche.

Des soldats français à Verdun

C’est très important, car il faut bien saisir que le congrès de Tours est la convergence :

– de socialistes se réorganisant à la fin de la première guerre mondiale, cherchant une base pour le faire ;

– de mouvements de masse en opposition à la guerre et se reconnaissant à différents degrés dans les révolutions russes.

Le processus n’est donc nullement conscient, nullement organisé et c’est cela qui fait que la question se pose seulement en décembre 1920, trois ans après la révolution russe, deux ans et demi après la révolution finlandaise, deux ans après la révolution allemande, un an et demi après la révolution hongroise.

On peut de ce fait voir que la tendance qui va choisir la IIIe Internationale au sein du Parti socialiste SFIO vient du camp pro-paix s’étant formé en son sein à partir de 1916-1917. Elle ne vient pas de révolutionnaires qui se sont opposés à la guerre, comme en Allemagne avec le noyau de « Spartacus » autour de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht.

Karl Liebknecht haranguant la foule à Berlin en 1918

Le camp pro-paix au sein du Parti socialiste SFIO pousse à reprendre les relations internationales, avec comme but une conférence à Stockholm à la fin de l’année 1917 qui ne se tiendra pas en tant que telle, alors que 1500 personnes se rassemblent à Paris Place de la République, scandant « À bas la guerre ! Stockholm ! Stockholm ! Nous voulons nos poilus ! ».

Le mouvement ouvrier ne cesse parallèlement de monter en puissance et à Lyon, le 19 janvier 1918, il y a une grève de trois jours, les ouvriers métallurgistes se rassemblant en plein centre-ville, exigeant de connaître les buts de la guerre menée par le gouvernement.

Ce thème des buts de guerre est également celui de la minorité syndicale qui s’est formée à la CGT et qui se réunit à Saint-Étienne en mai 1918, où une grève d’une semaine dans la Loire est décidée et menée.

En région parisienne, les délégués d’ateliers mis en place par le régime pour encadrer la production se transforment alors en terreau révolutionnaire, avec une révolte de masse appelant à l’armistice. Entre-temps, après Octobre 1917, le gouvernement français envoyait des troupes en Russie pour épauler la contre-révolution.

Favorables à la paix, sympathisant avec la révolution russe, alors que la guerre mondiale se termine et qu’une réorganisation est possible : pour les socialistes français, l’heure est à l’engouement, pour un élan les poussant à se tourner vers l’Internationale Communiste pour avoir l’impression de ne pas décrocher.

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au lendemain de la première guerre mondiale

Le sens de la reconstitution du Parti Communiste en France

Qu’est-ce qu’un Parti Communiste ? Ce sont des gens qui incarnent la volonté de la révolution, qui portent les valeurs de la révolution, qui font de l’agitation et de la propagande, qui organisent. C’est une vérité bien connue dans notre pays, qui grâce à sa longue histoire de lutte des classes a su porter génération après génération des éléments se tournant vers le Communisme.

Il est bien connu toutefois que, malheureusement, notre pays résume la politique au tempérament ; à cela s’ajoute que les Français ne sont bons que dans l’adversité. Lorsque le Parti Communiste fut fondé en 1920, il s’appuyait sur la majorité du Parti socialiste SFIO et pourtant il sombra immédiatement dans le sectarisme et la marginalité.

Il fallut la tentative de coup d’État fasciste du 12 février 1934 pour que, le dos au mur, les révolutionnaires prennent l’initiative, portant une nouvelle dynamique qui fut celle du Front populaire. Livré à lui-même, le Front populaire s’enlisa toutefois et il fallut le drame de l’Occupation et du régime de Vichy pour que les révolutionnaires, une nouvelle fois le dos au mur, soient en mesure de se transcender, pour mener la Résistance.

Ce n’est pareillement que le dos au mur, après dix années de régime gaulliste né du coup d’État de 1958, que les révolutionnaires furent en mesure de provoquer l’étincelle donnant naissance à Mai 1968, qui fut un véritable mouvement populaire. Puis, pareillement, les révolutionnaires sombrèrent dans le sectarisme et la marginalité après Mai 1968.

Nous avons compris cette incapacité des révolutionnaires de France à agir de manière autonome, cette dépendance vis-à-vis des situations sans issue. Elle provient d’une démarche très française, s’appuyant sur un esprit rationaliste toujours prompt à relativiser et a ainsi se retrouver piégé par les situations.

Cela, on n’y peut pas grand-chose : telle est la nature culturelle de notre peuple, de par son parcours historique. Si l’on ne discute pas de tout, ce n’est pas français. C’est une très bonne chose pour après la révolution, car c’est source de démocratie populaire. Cela n’aide toutefois pas pour aller à la révolution, car cela amène à repousser les échéances, à retarder les prises de décision, voire à ne jamais décider de rien.

Il y a cependant un autre aspect, qu’on peut et qu’on doit travailler. C’est le fait qu’en France on réduise la question de la révolution au tempérament, à la volonté. C’est là un grave travers qui provient du syndicalisme révolutionnaire et de l’anarchisme ; être révolutionnaire, ce serait ruer dans les brancards, tout le reste ne serait que réformisme.

Nous affirmons que, justement, le bolchevisme développé par Lénine permet de ne pas sombrer ni dans l’anarchisme et sa vaine fascination pour le spectaculaire, ni dans le réformisme et son pragmatisme toujours prompt à la corruption. Ce fut également ce qu’avait senti la majorité des socialistes en France en 1920, lorsqu’il y eut la décision au Congrès socialiste de Tours de former la Section Française de l’Internationale Communiste, le Parti Communiste.

Pourquoi le Parti Communiste a-t-il échoué dans les années 1920-1930 ?

Les socialistes ont assumé, en 1920, de changer leurs méthodes de travail, leur conception de l’organisation, leur perception des questions théoriques. Cela a été très laborieux toutefois et il fallut attendre 1931 pour que le Parti Communiste se mette « à l’heure de Moscou ». Ce fut d’ailleurs le Slovaque Eugen Fried qui fut nommé en 1930 comme référent pour la France par l’Internationale Communiste ; c’est lui qui réorganisa le Parti Communiste, alors que Maurice Thorez en prit la direction.

C’est ainsi sous la direction directe de l’Internationale Communiste que le Parti Communiste put réellement s’affirmer dans les années 1930, mais on sait bien qu’il y avait le besoin que soient générées des forces vives de l’intérieur pour que cela fonctionne vraiment. Or, avec l’Occupation, livrés à eux-mêmes, les militants du Parti Communiste ont montré qu’ils étaient comme Maurice Thorez.

Les militants du Parti Communiste étaient plein d’abnégation, de tempérament sincèrement communiste. Mais ils ne comprenaient rien au matérialisme dialectique, ni à ce qui se passait en URSS. Ils suivaient l’URSS par intuition, par passion ; ils restaient incapables d’assimiler les bases du Communisme et ne produisirent aucune analyse matérialiste historique de leur propre pays.

Les militants du Parti Communiste considéraient qu’ils représentaient le Parti du syndicalisme, que la révolution viendrait du syndicat, la CGT, qu’eux étaient des agitateurs politiques préparant le terrain pour cela. Lorsque le révisionnisme triompha en URSS en 1953, strictement rien ne changea pour le Parti Communiste : il continua tout comme avant.

Pourquoi le Parti Communiste a-t-il échoué dans les années 1940-1960 ?

Le Parti Communiste avait mené la Résistance, mais il se mit à la remorque de de Gaulle, tout comme il suivait en réalité le syndicat CGT dans tous les domaines. Devenu un mouvement de masse en 1945, et même le premier parti politique du pays, il ne prit jamais l’initiative, se plaçant toujours dans cette position de suivisme.

Lors du coup d’État gaulliste de 1958, il ne fut donc pas en mesure de prendre l’initiative et après avoir rejeté le régime de la Ve République, il finit par s’en accommoder et même par le suivre. Cette logique de suivisme fut tellement forte que le Parti Communiste Français fut le grand opposant à Mai 1968, jetant avec la CGT toutes ses forces pour étouffer la protestation et casser les « gauchistes ».

Comme on était alors déjà loin des principes du bolchevisme, de l’affirmation de la clandestinité, du soulèvement, de l’insurrection armée ! Et il est marquant que cette incohérence ne fut pas remarquée dans les rangs du PCF. Il y a une continuité profonde dans l’histoire du PCF, il n’y a jamais eu d’opposition interne, de protestation contre la décadence des orientations, de refus du révisionnisme à l’encontre des principes.

C’est que le Parti Communiste, malgré les efforts de l’Internationale Communiste, ne fut jamais en France qu’un parti de type social-démocrate comme il existait en Allemagne et en Autriche avant 1914.

Il était de masse, il exigeait les réformes, il en menait à grande échelle dans les municipalités ; il organisait de très nombreuses structures populaires, à grande échelle, comme le Secours Populaire, la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), l’Union des femmes françaises, l’UNEF, la Fête de l’Humanité, etc.

Il était un lieu de socialisation, pas de révolution.

Pourquoi le Parti Communiste a-t-il échoué dans les années 1970-1980 ?

Mouvement de masse, Parti du syndicat, suiviste, le Parti Communiste a 440 000 membres au début des années 1970, mais il est incapable de prendre des initiatives, il ne peut que suivre. Il se mit logiquement à la remorque des socialistes, avec qui un programme commun est établi en 1972.

De manière cohérente avec ce positionnement toujours accompagnateur, il avait naturellement balancé par-dessus bord tous les encombrants restes de principes idéologiques. Quelques jours avant son 22e congrès, son secrétaire général Georges Marchais annonça à la télévision que le concept de « dictature du prolétariat » était abandonné, sans que personne n’en soit offusqué par la suite parmi les 1500 délégués, qui avaient 32 ans de moyenne d’âge et dont 60 % avaient adhéré après 1968.

Le Parti Communiste Français, parti gouvernemental dans les années 1980-2020

Au début des années 1980, le Parti Communiste Français est un mouvement de masse et il le restera jusqu’au début des années 1990 encore. Cependant, il est hostile à l’idée de révolution ; il est ouvertement un parti d’orientation gouvernementale, étant d’ailleurs au gouvernement (1981-1984). Il choisit par la suite de rester entièrement un parti visant à une participation gouvernementale, ce qu’il réussit dans le cadre de la « gauche plurielle » (1997-2002).

Il n’est plus que l’ombre de lui-même, il professe un « communisme » qui n’a plus rien à voir ni de près ni de loin avec son origine, ni même avec son propre parcours. Il a échappé à son rôle historique, qu’il n’a pas voulu assumer.

Le sens de la reconstitution du Parti Communiste en France

Puisque le Parti Communiste Français a trahi, il y a lieu de le reconstituer. Il ne s’agit pas de le « reconstruire ». Il y a eu des tendances qui sont apparues dans le Parti Communiste Français dans les années 1990, exprimant la nostalgie des années 1980, 1970, 1960. Cela n’a aucun sens, car le Parti Communiste Français était déjà corrompu.

Il ne voulait déjà plus la révolution, le renversement du capitalisme et de son État par les masses en armes. Il n’assumait déjà plus le marxisme-léninisme et soutenait ouvertement le révisionnisme soviétique, auquel il contribuait avec la thèse développée par son économiste Paul Boccara, le « capitalisme monopoliste d’Etat », qui prolongeait celle du soviétique Eugen Varga.

Aucune « reconstruction » n’est possible. Seule une reconstitution est possible et cela sur la base de deux éléments : l’affirmation de la prise du pouvoir par la violence et l’incarnation de l’antagonisme dans la société française. Le Parti Communiste se reconstitue en assumant la violence révolutionnaire et en étant porté par des gens assumant de rompre avec l’idéologie dominante, de ne pas céder aux valeurs proposées par le capitalisme.

C’est cela qui forme le terrain pour l’expression du matérialisme historique permettant d’analyser la société française, du matérialisme dialectique comme vision du monde des communistes. C’est cela qui établit la substance du Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste), comme avant-garde portant l’antagonisme et le diffusant aux masses populaires, pour enclencher le processus révolutionnaire.

Une faillite généralisée de la seconde Internationale en 1914

Les contorsions allemande et française pour « justifier » la guerre forment littéralement des modèles du genre dans la plupart des pays. Les social-démocraties autrichienne, hongroise et tchèque tinrent les mêmes positions sociales-chauvines.

Affiche mise en place pour le congrès socialiste international de Vienne, qui fut empêché par le déclenchement de la guerre mondiale

La social-démocratie autrichienne avait mené d’intenses initiatives anti-guerre en 1912, alors que l’empire austro-hongrois visait l’hégémonie sur les Balkans ; les congrès du Parti insistaient sur le refus du militarisme et de la guerre, l’affirmation de l’internationalisme, etc.

Mais pareillement il fut expliqué que ce n’est pas le peuple qui décide de la paix et de la guerre, que la social-démocratie n’a aucune responsabilité dans tout cela, qu’il fallait maintenir les structures pour l’après-guerre où les choses reprendraient leur cours, que la guerre mondiale était la faute du tsar, etc.

La social-démocratie hongroise dit exactement la même chose alors, mais du côté autrichien-allemand s’ajoute le pangermanisme : ce serait l’heure du destin de la nation allemande, dont la vie est en jeu et qui voit la possibilité d’enfin s’affirmer, etc.

Cette ligne rendit fou de rage la section italienne de la social-démocratie autrichienne, alors que la section polonaise appela à se mobiliser contre la « brute moscovite ». Cette rhétorique guerrière contre les barbares envahisseurs est systématique pour compenser le retournement de situation.

Le congrès syndical belge, fin juillet 1914, affirmait par exemple :

« Le Congrès syndical affirmant l’irréductible opposition du prolétariat à la guerre, lance un cri d’alarme international et invite l’Internationale ouvrière à mettre tout en œuvre pour empêcher ce crime contre l’humanité et se solidarise dès à présent avec les travailleurs d’autres pays. »

Le Parti Ouvrier Belge appelait de son côté à Bruxelles à une manifestation de protestation contre la guerre pour le 3 août 1914, qui fut annulée, alors que le 6 août les députés socialistes votaient « les crédits nécessaires à la mobilisation et à l’entretien des soldats et de la population civile. »

Le manifeste « à la population » expliqua que cela va être un grand massacre… mais qu’on n’y peut rien.

« Dans quelques jours, dans quelques heures peut-être, des millions d’hommes qui demandaient à vivre en paix, vont être entraînés, sans leur aveu, dans la plus effroyable des tueries par des traités qu’ils n’ont pas consentis, par des volontés qui leur sont étrangères.

La démocratie socialiste n’a aucune responsabilité dans ce désastre. »

L’article Pour le salut commun paru dans le quotidien Le Peuple le 4 août 1914 illustra alors la substance de ce tournant social-chauvin :

« De toutes parts, tandis que le sentiment public s’enfièvre, s’exalte et tour à tour, il le faut bien dire, s’angoisse ou s’exaspère, de beaux jeunes gars, sans distinction de classe, ceux-ci de souche ouvrière, ceux-là d’origine bourgeoise, réclament l’honneur d’être enrôlés comme volontaires.

Et nous, les farouches et les irréductibles antimilitaristes qu’on sait, nous qui n’avons cessé de lutter contre le monstre de la paix armée, sachant que, derrière lui, se profilait le spectre des plus abominables carnages, nous crions : « BRAVO ! » du fond du cœur, à tous ceux qui s’offrent bravement à participer à la défense nationale. »

Encore les Belges pouvaient-ils justifier que leur pays connaissait une invasion allemande, mais ce serait là prendre au sérieux un justificatif dont il n’est nul besoin tellement la tendance au chauvinisme est présente pratiquement partout.

Ainsi, même les Britanniques pourtant isolés territorialement se précipitèrent dans la guerre à laquelle participait leur pays. Le 2 août 1914 il y avait encore un rassemblement contre la guerre à Londres, sur la fameuse place Trafalgar Square, ainsi que dans d’autres villes. James Keir Hardie appela à se mobiliser pour arrêter la mobilisation générale, mais il fut isolé dans le mouvement ouvrier, tout comme son mouvement, l’Independent Labour Party, qui maintint une ligne d’opposition à la guerre, tout comme une partie du pareillement isolé British Socialist Party.

Dans les pays neutres, le mouvement anti-guerre pouvait par contre échapper à la crise, au moins relativement et parfois temporairement seulement.

Le 13e congrès du Parti Socialiste Italien, en juillet 1912, se prononça ainsi contre les tendances droitières ouvertes au chauvinisme et au nationalisme ; c’est paradoxalement Benito Mussolini qui se fit alors le porte-parole de l’aile gauche, en prônant et obtenant l’exclusion de quatre députés opportunistes. En avril 1914, le 14e congrès se prononça également encore contre le militarisme :

« Le congrès affirme que l’antagonisme entre le socialisme et le militarisme est une expression corrélative de l’antagonisme existant entre le prolétariat et la bourgeoisie capitaliste. »

Lorsque la guerre fit irruption, tant le Parti Socialiste Italien que la Confederazione Generale des Lavoro appelèrent à une intense propagande en faveur de la paix et pour la neutralité italienne, c’est-à-dire l’abandon de l’alliance normalement établie avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie.

Par la suite pourtant, les socialistes italiens furent passifs, sur la base de l’absence de critique ou de soutien, « ni adhérer ni saboter », lorsque l’Italie entra dans la guerre en 1915 du côté des Alliés. Il y eut une vaste agitation ouvrière, mais la direction socialiste l’étouffa.

Un autre pays neutre fut les Pays-Bas et la bourgeoisie néerlandaise décida de maintenir le pays à l’écart du conflit, en procédant à une mobilisation générale, ce qui formait bien entendu un appui au régime. Le 3 août 1914, le Parti Ouvrier Social-Démocrate des Pays-Bas vota les crédits de guerre ; Pieter-Jelles Troelstra, son dirigeant, justifia ainsi les choses dans une déclaration commune des dirigeants du Parti :

« Désormais le peuple néerlandais fait face, et nous aussi camarades, devant les amères conséquences de la guerre.

La mobilisation de l’armée et de la flotte par le gouvernement est la première conséquence. Comme elle doit montrer que notre peuple veut tout faire pour ne pas être impliqué dans le conflit des grandes puissances, la fraction parlementaire social-démocrate a voté en sa faveur (…).

Même si vous n’êtes pas en mesure en cette période de désorganisation d’avoir en mains les armes contre le capitalisme, gardez les et protégez les, afin d’en faire usage au moment où la crise s’affaiblira et le moment sera venu de tirer les conséquences pour le soulèvement de notre classe. Unissez-vous sous le mot d’ordre : Fidèle au drapeau rouge ! »

Pieter-Jelles Troelstra resta fidèle à cette ligne paradoxale de soumission au régime et d’attente du grand soir ; en novembre 1918, il annonça au parlement que l’heure de la révolution était arrivée. Cela apparut comme totalement décalé dans un pays légitimiste quant à la monarchie et il fut carbonisé politiquement, n’étant même pas arrêté.

Le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Suède se réunit en août 1914 pour un congrès, appelant à la mobilisation pour le maintien de la neutralité. Il fut cependant au bout de deux jours repoussé à la fin novembre en raison de la mobilisation faite dans le pays. Le Parti des jeunes socialistes – une structure indépendante – expliqua qu’il n’était pas possible d’appeler à la grève générale et au soulèvement dans une telle situation et dans un petit pays. Dans son Manifeste du 15 août, il est dit :

« Que se serait-il passé, comment est-ce que la guerre mondiale aurait pu être évite ? se demandent certainement des milliers qui le cou tendu attendent la mort.

Ici il n’y a qu’une seule réponse, mille fois annoncée de notre part : la grève générale !

Pourquoi est-ce que les ouvriers ne nous ont pas écoutés, pourquoi n’ont-ils pas écouté les socialistes révolutionnaires du monde entier, alors que nous avons de manière opiniâtre promu la grève générale contre la guerre ?

Maintenant l’avalanche est sur nous – et nous donne raison. Pourquoi n’avez-vous pas écouté, avant qu’il soit trop tard ?

Nulle part l’Europe serait en flammes si les ouvriers avaient été unis et prêts, lorsque cela aurait été un devoir sacré, de considérer chaque mobilisation comme une proclamation de la grève générale. »

C’était là typique de la position centriste, qui justifiait l’injustifiable en prétendant que rien d’autre n’était possible, que les ouvriers n’ont pas été à la hauteur, etc. Il y avait heureusement des Partis sauvant l’honneur et montrant qu’il était possible de faire face.

La Serbie était ainsi de son côté un des premiers pays concernés, puisque la guerre serbo-autrichienne était le déclencheur apparent de la première guerre mondiale.

La social-démocratie serbe avait, avant la guerre, soutenu une énergique ligne en faveur d’une union de tous les peuples des Balkans ; la ligne était qu’une union entre la Serbie, la Bulgarie, la Roumanie, la Grèce, l’Albanie et le Monténégro amenait l’amitié entre les peuples balkaniques et empêcherait les conquêtes des grandes puissances à leurs dépens.

Elle maintint cette ligne en s’opposant à la guerre ; les dirigeants Dimitrije Tucović et Dušan Popović prirent une position internationaliste. Le Parti fut cependant totalement déstructuré par la mobilisation. Décéda au front dès 1914 Dimitrije Tucović, dont l’ouvrage Serbie et Albanie : une contribution à la critique de la politique impérialiste de la bourgeoisie serbe fut une référence pour le mouvement ouvrier serbe.

La fraction Tesniaki de la social-démocratie bulgare se mobilisa également contre une participation à la guerre, organisant des protestations de masse. C’était le début d’un grand rapprochement avec les bolchéviks russes.

Le Socialist Party of America fut également contre la guerre, mais l’intervention américaine en Europe fut accompagnée d’une terrible vague nationaliste qui le mit à mal, dans le cadre d’un épisode décisif pour le mouvement ouvrier américain. C’était là un aspect méconnu mais qui devait avoir une importance mondiale de par l’importance des États-Unis après 1918.

La seconde Internationale avait failli en Europe, seule la social-démocratie russe maintenant le cap en tant que tel au plus haut niveau, avec des parallèles bulgare, serbe… mais surtout elle avait échoué à apporter un niveau suffisant à sa section américaine, qui ne se relèvera jamais de la première guerre mondiale.

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et le déclenchement de la première guerre mondiale

La passivité française devant la déclaration de guerre en 1914

Lénine se plaçait dans le prolongement de la social-démocratie historique et avait su affirmer la ligne révolutionnaire. Qu’en serait-il du côté des socialistes français, dont la tradition était bien différente de la social-démocratie allemande et de son marxisme ?

Dans son manifeste d’octobre 1912, le Parti socialiste SFIO avait une position très dure, affirmant qu’il n’y a aucune confiance à avoir « dans la diplomatie, dont le rôle est de servir toujours et partout le capitalisme ».

Lors de son 10e congrès national tenu à Brest en mars 1913, il adopta à l’unanimité une résolution intitulée La loi des trois ans et les armements, où il est dit notamment :

« Considérant que le développement des armements et le vote de la loi des trois ans seraient considérés par la nation et le monde comme les preuves évidentes et caractéristiques d’une politique nationaliste et chauvine ;

Considérant que le seul moyen d’assurer la défense nationale est d’instaurer les milices par l’armement général du peuple et que toute diminution du service militaire est un pas dans cette voie, que le prolongement du séjour des jeunes soldats en caserne en est la négation (…)

Donne mandat au groupe parlementaire et à la Commission administrative permanente de mener dans le Parlement et dans le pays et l’action la plus énergique et la plus résolue pour l’entente franco-allemande, l’arbitrage international, les milices nationales et contre la loi de trois ans. »

C’est là très exactement la conception socialiste française avant 1914, qui est même présentée de manière plus volontaire encore au 11e congrès national du Parti socialiste SFIO les 14, 15 et 16 juillet 1914, puisqu’il est précisé que :

« Entre tous les moyens à employer pour prévenir et empêcher la guerre et pour imposer aux gouvernements le recours à l’arbitrage, le Congrès considère comme particulièrement efficace la grève générale ouvrière simultanément et internationalement organisés dans les pays intéressés, ainsi que l’agitation et l’action populaires sous les formes les plus actives. »

Cela formait un amendement qui devait être présenté au Bureau Socialiste International et être fait accepté au congrès socialiste international devant se tenir à Vienne. Il fut voté par le Parti socialiste SFIO par 1690 voix contre 1174, avec 83 abstentions et 24 absents. La minorité considérait que cela impliquait la défaite du pays où la grève générale serait le plus efficace.

Il ne faut cependant pas croire que ce discours sur la grève générale relève du socialisme : au sens strict, il est « socialiste français », avec ce mélange de « collectivisme », de fédéralisme et de syndicalisme révolutionnaire.

Ce sont d’ailleurs les syndicalistes révolutionnaires qui ont produit avec la CGT la théorie de la « grève générale » et ils l’utilisent comme mythe politique, agitant dans de nombreux quartiers parisiens au même moment.

La réunion des Conseils syndicaux de l’Union des syndicats de la Seine de la CGT aboutit à un appel « À la population ! Aux travailleurs français ! », publié dans La bataille syndicaliste le 29 juillet 1914, soutenant que :

« Dans la grave situation présente, la CGT rappelle à tous qu’elle reste irréductiblement opposée à toute guerre.

Que le devoir des travailleurs organisés est de se montrer à la hauteur des circonstances en évitant, par une action collective, consciente, harmonisée à travers tout le pays, internationalement et par-dessus les frontières, le plus grave péril mondial de se réaliser (…).

La CGT croit fermement que la volonté populaire peut empêcher le cataclysme effroyable que serait une guerre européenne (…).

Que partout, dans les villes industrielles, comme dans les communes agricoles, sans aucun mot d’ordre, la protestation populaire s’élargisse, se fortifiant, s’intensifiant au fu et à mesure que les dangers deviendront plus pressants.

À bas la guerre ! Vive la paix. »

Le meeting prévu pour le lendemain, le 29 (jour de la publication), fut cependant interdite :

« Il n’a pas paru possible au gouvernement, dans les circonstances actuelles, de tolérer une réunion où, si on s’en réfère à sa convocation, les orateurs devraient traiter des moyens d’entraver la mobilisation. »

La CGT et l’Union des syndicats de la Seine appela alors à redoubler de « vigilance », à « l’énergie » et au « sang-froid », à intensifier la « protestation anti-guerrière ».

Le 31 juillet 1914, elles annonçaient d’ailleurs dans La bataille syndicaliste l’organisation d’une manifestation le 9 août, soulignant qu’il y avait les mêmes initiatives dans de nombreuses autres villes (Amiens, Bordeaux, Lille, Limoges, Lyon, Marseille, Nantes, etc.). Il fut appelé à ce que le Parti socialiste SFIO l’organisa conjointement.

Tout cela disparut comme par enchantement. Le même jour, Jean Jaurès était assassiné, alors que l’Allemagne déclare la guerre à la France ; le lendemain, le gouvernement français annonça la mobilisation générale.

Dans un mouvement unanime la Chambre rend hommage à Jaurès
Elle acclame la Défense nationale contre l’agression, au milieu de l’enthousiasme le plus émouvant

Dans La bataille syndicaliste du 2 août 1914, la capitulation fut annoncée comme suit dans le message de la CGT « aux prolétaires de France » :

« Le prolétariat n’a pas assez unanimement compris tout ce qu’il fallait d’efforts continus pour préserver l’Humanité des horreurs de la guerre.

Femmes, qui pleurez en ce moment, nous avons tout fait pour vous épargner cette douleur. Mais, hélas ! Nous ne pouvons aujourd’hui que déplorer le fait accompli.

Pouvions-nous demander aux camarades un sacrifice plus grand ? Quoiqu’il nous en coûte, nous répondons : non !

Ce que nous réclamons de tous, c’est un inébranlable attachement au syndicalisme qui doit traverser et survivre la crise qui s’ouvre. Aussi fermement qu’hier nous devons conserver l’intégralité de nos idées et la foi dans leur triomphe définitif. »

Le Parti socialiste SFIO tint une assemblée le 2 août 1914, le secrétaire général (depuis 1905) Louis Dubreuilh expliquant que :

« Fidèles aux engagements qui furent toujours les nôtres, notre devoir est donc de protéger l’indépendance et l’intégrité de notre France républicaine et pacifique si elle est attaquée.

Mais nous n’oublierons pas d’autre part que nous sommes les membres de l’Internationale ouvrière et socialiste. C’est une guerre de défense à laquelle un sinistre destin nous accule. »

Le 4 août 1914, Léon Jouhaux put prononcer aux obsèques de Jean Jaurès un long discours résumant bien le point de vue socialiste français : ils n’y sont pour rien, ils doivent participer à la guerre contre leur gré, ils ne peuvent pas se révolter face ce qui apparaît comme la destinée, etc.

« Jaurès a été notre réconfort dans notre action passionnée pour la paix. Ce n’est pas sa faute, ni la nôtre, si la paix n’a pas triomphé.

Avant d’aller vers le grand massacre, au nom des travailleurs qui sont partis, au nom de ceux qui vont partir, dont je suis, je crie devant ce cercueil toute notre haine de l’impérialisme et du militarisme sauvage qui déchaînent l’horrible crime. »

Le secrétaire général du Parti socialiste SFIO Louis Dubreuilh dira quant à lui que :

« Jaurès a été vaincu dans cet effort [en faveur de la paix]. Nous avons été vaincus avec lui : c’est la guerre qui se dresse. Nous en affronterons sans peur les hasards et les périls.

S’il était ici, il deviendrait le clairon de la bataille pour rallier, avec sa grande voix, toutes les forces vives du pays. Et il aurait comme nous, en défendant la France, la conviction de défendre le haut idéal de fraternité humaine de notre Parti. »

S’ouvrit alors une intense propagande en faveur de la France républicaine contre « l’Allemagne monarchique, féodal, militariste ».

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et le déclenchement de la première guerre mondiale

Lénine contre la guerre impérialiste et pour la guerre civile

L’échec allemand ne surprit pas Lénine, qui avait compris le processus en cours dans la seconde Internationale. Il fut ainsi capable de proposer la ligne révolutionnaire, continuatrice des principes de la seconde Internationale.

Lénine arriva à Berne en Suisse au moment de la guerre et discuta avec le groupe des bolchéviks réfugiés dans cette ville, à la fin août.

Lénine en 1914

Il résuma la position prise dans le document « Les tâches de la social-démocratie révolutionnaire dans la guerre européenne » qui fut envoyé à toutes les sections du Parti à l’étranger et servit de base à la déclaration de son Comité Central, « La guerre et la social-démocratie russe », publié dans le Social-Démocrate du premier novembre 1914.

Dans le premier document, on lit notamment que :

« 1. La guerre européenne et mondiale présente tous les caractères d’une guerre bourgeoise, impérialiste, dynastique.

La lutte pour les marchés et pour le pillage des autres États, la volonté d’enrayer le mouvement révolutionnaire du prolétariat et de la démocratie à l’intérieur des pays belligérants, la tentative de duper, de diviser et de décimer les prolétaires de tous les pays en jetant les esclaves salariés d’une nation contre ceux d’une autre au profit de la bourgeoisie, tel est le seul contenu réel de la guerre, telle est sa signification.

2. L’attitude des chefs du parti social-démocrate allemand, — le plus fort et le plus influent des partis de la II° Internationale (1889-1914), — qui ont voté le budget de guerre et qui reprennent la phraséologie bourgeoise et chauvine des hobereaux prussiens et de la bourgeoisie, est une trahison pure et simple du socialisme.

Cette attitude ne peut se justifier en aucune façon, pas même en supposant que le parti social-démocrate allemand soit extrêmement faible et provisoirement obligé de se plier à la volonté de la majorité bourgeoise de la nation. En fait, dans la situation présente, ce parti a pratiqué une politique national-libérale.

3. L’attitude des chefs des partis social-démocrates belge et français, qui ont trahi le socialisme en entrant dans les ministères bourgeois, mérite d’être condamnée au même titre.

4. La trahison du socialisme par la majorité des chefs de la II° Internationale (1889-1914) signifie la faillite idéologique et politique de cette dernière.

Cette faillite a pour cause fondamentale la prédominance au sein de l’Internationale de l’opportunisme petit-bourgeois, dont le caractère bourgeois et le danger qu’il constituait étaient depuis longtemps déjà signalés par les meilleurs représentants du prolétariat révolutionnaire de tous les pays.

Les opportunistes avaient préparé de longue date la faillite de la IIe Internationale, en répudiant la révolution socialiste pour lui substituer le réformisme bourgeois ;

en répudiant la lutte des classes et la nécessité de la transformer, le cas échéant, en guerre civile, et en se faisant les apôtres de la collaboration des classes ;

en prêchant le chauvinisme bourgeois sous couleur de patriotisme et de défense de la patrie et en méconnaissant ou en niant cette vérité fondamentale du socialisme, déjà exposée dans le Manifeste du Parti communiste, que les ouvriers n’ont pas de patrie ;

en se bornant, dans la lutte contre le militarisme, à un point de vue sentimental petit-bourgeois, au lieu d’admettre la nécessité de la guerre révolutionnaire des prolétaires de tous les pays contre la bourgeoisie de tous les pays ;

en faisant un fétiche de la légalité et du parlementarisme bourgeois qui doivent nécessairement être mis à profit, en oubliant qu’aux époques de crise, les formes illégales d’organisation et d’agitation deviennent indispensables. »

Dans le second document, on lit notamment que :

« S’emparer de territoires et asservir des nations étrangères, ruiner la nation concurrente, piller ses richesses, détourner l’attention des masses laborieuses des crises politiques intérieures de la Russie, de l’Allemagne, de l’Angleterre et des autres pays, diviser les ouvriers et les duper par le mensonge nationaliste, et décimer leur avant-garde pour affaiblir le mouvement révolutionnaire du prolétariat : tel est le seul contenu réel, telle est la véritable signification de la guerre actuelle.

La social-démocratie est tenue, en premier lieu, de dévoiler cette véritable signification de la guerre et de dénoncer implacablement le mensonge, les sophismes et les phrases « patriotiques » que répandent en faveur de la guerre les classes dominantes : les grands propriétaires fonciers et la bourgeoisie (…).

Force est de constater, avec une profonde amertume, que les partis socialistes des principaux pays européens n’ont pas accompli cette tâche qui leur incombait, et que l’attitude des chefs de ces partis – du parti allemand surtout – confine à la trahison pure et simple de la cause du socialisme.

En cette heure d’une portée historique capitale, la plupart des chefs de l’actuelle, de la II° Internationale socialiste (1889-1914), cherchent à substituer le nationalisme au socialisme.

En raison de leur comportement, les partis ouvriers de ces pays ne se sont pas opposés à l’attitude criminelle des gouvernements, mais ont appelé la classe ouvrière à aligner sa position sur celle des gouvernements impérialistes (…).

La transformation de la guerre impérialiste actuelle en guerre civile est le seul mot d’ordre prolétarien juste, enseigné par l’expérience de la Commune, indiqué par la résolution de Bâle (1912) et découlant des conditions de la guerre impérialiste entre pays bourgeois hautement évolués.

Si grandes que paraissent à tel ou tel moment les difficultés de cette transformation, les socialistes ne renonceront jamais, dès l’instant que la guerre est devenue un fait, à accomplir dans ce sens un travail de préparation méthodique, persévérant et sans défaillance.

C’est seulement en s’engageant dans cette voie que le prolétariat pourra s’arracher à l’influence de la bourgeoisie chauvine et avancer résolument, d’une manière ou d’une autre, avec plus ou moins de rapidité, sur le chemin de la liberté réelle des peuples et du socialisme.

Vive la fraternité internationale des ouvriers contre le chauvinisme et le patriotisme de la bourgeoisie de tous les pays ! Vive l’Internationale prolétarienne, affranchie de l’opportunisme ! »

On était là dans un positionnement tout à fait en phase avec ce qu’avait été la seconde Internationale historiquement, mais celle-ci avait failli. Ce sera la base pour un appel à la fondation d’une IIIe Internationale.

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et le déclenchement de la première guerre mondiale

L’opportunisme complet de la seconde Internationale en 1914 et le contre-modèle allemand

La croyance que la guerre ne viendrait jamais reflète le degré de corruption de la seconde Internationale par l’aristocratie ouvrière. Il y a une contradiction ouverte entre les thèses marxistes et les positions prises.

Dans le quotidien de la social-démocratie allemande, le Vorwärts (En avant), on lit par exemple le 25 juillet 1914 une dénonciation de l’empire autrichien qui veut la guerre… mais également un appel au gouvernement allemand à influencer les Autrichiens dans le sens de la paix. Il était pensé que la guerre se déroulerait – si jamais elle devait se déroulait – ailleurs, par d’autres, etc.

Le Vorwärts dénonce le 25 juillet 1914 les provocations de guerre frivoles du gouvernement austro-hongrois

Il est pareillement parlé de refus de la guerre mondiale, cependant on voit que les choses n’étaient pas prises au sérieux, car l’article du lendemain sur la déclaration de guerre autrichienne commence ainsi :

« Ce qu’on pensait impossible jusqu’à la dernière heure est devenu un fait. »

La surprise fut en fait générale. Même l’appel à la mobilisation d’absolument tout le monde de la part de la social-démocratie allemande du 27 juillet 1914 s’accompagnait somme toute d’exigences de discussions diplomatiques : il y a alors une soumission générale à la gouvernance bourgeoise.

Il y a beau avoir des rassemblements dans tout le pays, dans toutes les villes principales et tous les centres industriels, cela reste toujours du suivisme par rapport aux événements.

On a un bon exemple de cette « surprise » vécue avec ce qui arriva comme mésaventure au social-démocrate allemand Hermann Müller. Il fut présent aux congrès de la SFIO et du Labour Party avant le déclenchement de la guerre, et juste après celle-ci il se précipita à Paris pour tenter de former une initiative franco-allemande pour la paix.

Jean Jaurès venait d’être assassiné, ce qu’il apprit en cours de route, et les socialistes français l’accueillirent très bien, tout en expliquant que tout était de la faute de l’Allemagne, qu’ils avaient tout fait pour éviter la catastrophe et que leur propre gouvernement « avait voulu, jusqu’au bout, chercher la solution pacifique », comme Pierre Renaudel l’expliqua dans l’Humanité par la suite.

Hermann Müller se prononçait lui pour la paix, arguant auprès des Français que la social-démocratie allemande voterait contre les crédits de guerre ou s’abstiendrait, que jamais elle ne voterait jamais les crédits de guerre… alors qu’elle était en train de le faire au même moment !

Hermann Müller ne pensait simplement pas que cela soit possible. C’est un excellent exemple du décalage entre positions théoriques et positions pratiques. Et il est symptomatique que lorsqu’il rentra en Allemagne, Hermann Müller s’en accommoda et devint une figue de l’aile droite.

La fraction parlementaire social-démocrate a voté les crédits de guerre demandés par le gouvernement lors de la session parlementaire d’aujourd’hui

Cet épisode trouve en écho en Roumanie au même moment. Le Parti Social-Démocrate de Roumanie s’était déjà opposé aux initiatives militaristes du gouvernement roumain dans le cadre des affrontements dans les Balkans ; lors du déclenchement de la guerre mondiale, il dénonça le « nationalisme panserbe » et le « militarisme autrichien ». Il exigea le maintien de la neutralité du pays.

Le Parti tomba des nues cependant lorsque la social-démocratie allemande vota les crédits de guerre : il pensa initialement que c’était un mensonge diffusé par l’empire allemand et maintint plusieurs jours cette position. Puis, ce fut la capitulation, avec une savante ambiguïté.

Le Parti tint un congrès extraordinaire où il maintint sa ligne pacifiste et affirma que, si le pays était attaqué par une grande puissance, la réponse devait être une entente balkanique, avec en perspective une République fédérale balkanique. Comme il n’y avait pas la guerre pour la Roumanie, la position anti-guerre historique pouvait être maintenue.

Le dirigeant du Parti, Christian Rakovski, expliqua cependant que les positions des socialistes participant à la guerre en France, en Allemagne, en Autriche, etc. était inévitable de par les nécessités de défendre le territoire national étant donné qu’un soulèvement révolutionnaire n’était pas possible. C’était ainsi accepter l’opportunisme et même prévoir une porte de sortie opportuniste le cas échéant.

En fait, le cœur du problème était que la social-démocratie allemande avait l’hégémonie historique dans la seconde Internationale et que sa faillite complète entraîna tout le monde dans l’abîme.

Un exemple marquant et suffisant consiste en la censure de la position de la social-démocratie allemande par le chancelier allemand lui-même.

Lorsqu’il y eut la question de voter les crédits de guerre, Karl Kautsky, l’idéologue de la seconde Internationale, proposa l’abstention.

Karl Kautsky

Il fut récusé par les parlementaires : un peu moins de la moitié considérait que dans une situation de guerre il n’y avait plus de division entre partis dans le pays, un groupe équivalent considérait que la guerre était d’essence capitaliste mais qu’il fallait faire face à la Russie tsariste et accompagner la nation, seule une toute petite minorité récusait totalement la guerre.

Le groupe parlementaire décida de voter les crédits, en accompagnant ce vote d’un texte critique, où on trouve cette phrase :

« Aussitôt que la guerre deviendra une guerre de conquête, nous nous dresserons contre elle par les moyens les plus énergiques. »

C’était là chercher à sauver la face, au moyen d’une phrase symbolique visant en même temps à renforcer la fiction selon laquelle il s’agissait d’une guerre défensive. Le chancelier du Reich Theobald von Bethmann Hollweg exigea toutefois qu’elle fut enlevée et elle le fut.

Le pire fut que comme la grande majorité de la fraction parlementaire social-démocrate vota en interne en faveur du vote des crédits de guerre, la minorité se plia à la discipline. Hugo Haase, le dirigeant de la social-démocratie allemande, pourtant lui-même contre la guerre, lut ainsi le communiqué au parlement ; même Karl Liebknecht vota par discipline, au nom de la tradition d’unité.

La faillite de la social-démocratie allemande torpillait littéralement la seconde Internationale, puisque celle-ci avait été fondée par elle au moyen d’un rapprochement avec les socialistes français.

Au moins, du côté allemand, on avait quelques rares esprits clairs comme Rosa Luxembourg et Clara Zetkine, qui appelèrent à une mobilisation sur le terrain de la lutte de classes, de manière révolutionnaire. C’était cependant isolé, sans envergure, sans base organisationnelle.

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La seconde Internationale et la croyance que la guerre ne viendrait jamais

Puisque la guerre n’était portée que par le militarisme, qui lui-même représentait une tendance dans le capitalisme, mais pas le capitalisme en tant que tel, alors il était cohérent de se tourner seulement contre le militarisme, d’appeler à des arbitrages internationaux, à la diplomatie, etc.

La guerre était une possibilité, si elle se déclenchait elle serait de masse, assassine, mais elle n’est qu’une possibilité historique particulière, qui peut être contré en général.

Le bureau socialiste international de Bruxelles organisa ainsi une réunion les 29-30 juillet 1914, soit quelques jours après la remise de l’ultimatum autrichien à la Serbie, le 23 juillet, et la rupture des rapports diplomatiques entre l’Autriche et la Serbie le 25. La déclaration de guerre eut lieu le 28.

Initialement, le Bureau annonça que le congrès de la seconde Internationale devant se tenir à Vienne, en Autriche, fin août, se déroulerait au début du même mois à Paris. La réunion du Bureau du 30 juillet appela alors à se mobiliser, mais sur la base d’un règlement « diplomatique » des conflits :

« À l’unanimité, il fait une obligation aux prolétaires de toutes les nations intéressées, non seulement de poursuivre, mais encore d’intensifier leurs démonstrations contre la guerre, pour la paix et pour le règlement arbitral du conflit austro-serbe. »

Le communiqué demanda que soit exercée une pression sur les gouvernements français et allemand pour qu’ils fassent pression sur la Russie et l’Autriche – une illusion ô combien meurtrière, mais caractéristique.

Jean Jaurès, qui prit la parole le 29 juillet dans le cadre d’un meeting, tint des propos aberrants conformes à cette vision des choses :

« Nous, socialistes français, notre devoir est simple ; nous n’avons pas à imposer à notre gouvernement une politique de paix. Il la pratique.

Moi qui n’ai jamais hésité à assumer sur ma tête la haine de nos chauvins, par ma volonté obstinée qui ne faillira jamais, de rapprochement franco-allemand, j’ai le droit de dire qu’à l’heure actuelle le gouvernement français veut la paix et travaille au maintien de la paix.

Le gouvernement français est le meilleur allié de paix de cet admirable gouvernement anglais qui a pris l’initiative de la conciliation. Et il donne à la Russie des conseils de prudence et de patience. »

La position de Jean Jaurès n’est nullement isolée, elle est même caractéristique. Dans le Manifeste publié dans l’Humanité le 28 juillet 1914 et signé par plus de vingt dirigeants du Parti socialiste SFIO, on lit :

« Les socialistes, les travailleurs de France font appel au pays tout entier pour qu’il contribue de toutes ses forces au maintien de la paix.

Ils savent que le gouvernement français dans la crise présente a le souci très net et très sincère d’écarter ou d’atténuer les risques de conflit (…).

À bas la guerre ! Vive la république sociale ! Vive le socialisme international ! »

Dans les rangs du Parti socialiste SFIO, Gustave Hervé était la grande figure du style syndicaliste révolutionnaire ; son journal La guerre sociale était un brûlot anti-militariste.

Voici ce qu’il écrit avec le même aveuglement, le 28 juillet 1914, dans l’article La vérité sur l’attitude de l’Allemagne :

« Que d’insanités, que d’injustices, que d’erreurs dans toute la presse française sur l’attitude de l’Allemagne et de son ambassadeur M. Schoen ! L’Allemagne belliqueuse, menaçante ! Allons donc ! En réalité, l’Allemagne est aussi embarrassée de son allié [= l’Autriche-Hongrie] que nous du nôtre [= la Russie].

Les démarches de l’ambassadeur d’Allemagne à Paris ont tout juste le sens opposé à celui que lui attribue Clemenceau dont la germanophobie, ces jours derniers, confine à la démence (…).

Si nous échappons cette fois à la catastrophe, la France et l’Allemagne, si elles sont sages, feraient bien, à la prochaine occasion, de lâcher l’une l’alliance russe et l’autre l’alliance autrichienne, pour réaliser cette entente cordiale franco-allemande, qui l’Angleterre et l’Italie aidant, serait le meilleur rempart de la paix européenne et de la civilisation. »

Cette confiance en le gouvernement, même en le régime « républicain » en lui-même, explique beaucoup de choses : on comprend pourquoi il y eut un retournement de situation si facile. Les socialistes et les sociaux-démocrates, tout comme les syndicalistes, appelaient tous à la paix, car ils ne croyaient pas en la guerre.

Ils avaient qui plus est relativement confiance en leur propre gouvernement, qu’ils considéraient comme en quelque sorte raisonnable, dans le cadre d’un régime républicain et donc relativement démocratique en soi, etc.

Cette démarche est quasi systématique dans les Partis de la seconde Internationale. Voilà pourquoi dans leur ensemble, comme pour l’ensemble des syndicats européens, ils réfutaient la guerre dans des communiqués lyriques, pour immédiatement abandonner toute position anti-guerre lorsque celle-ci s’enclencha.

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La seconde Internationale et la question du militarisme

L’un des aspects essentiels pour comprendre la faillite de la seconde Internationale est le militarisme. La social-démocratie russe avait compris avec Lénine que le capitalisme avait développé une superstructure, l’impérialisme ; la seconde Internationale considérait que le militarisme existait parallèlement au capitalisme, qu’il était porté par certains secteurs seulement.

Cela est flagrant dans le communiqué, en mai 1913, de la conférence de 34 députés allemands et 121 députés français (dont 12 indépendants hors SFIO), en Suisse. On y lit en effet :

« Elle [= la première conférence de parlementaires allemands et français] invite ses membres à faire tous leurs efforts pour amener les gouvernements des grandes puissances à modérer leurs dépenses navales et militaires.

La conférence appuie chaleureusement la proposition de M. Bryan, sous-secrétaire d’État aux États-Unis, relative aux traités d’arbitrage.

Elle demande que les conflits qui pourraient s’élever entre les deux pays et qui ne seraient pas réglés par la voie diplomatique soient déférés à l’arbitrage du tribunal de La Haye et elle compte sur ses membres pour engager une action énergique et soutenue.

Elle estime qu’un rapprochement de la France et de l’Allemagne facilitera l’entent des deux grands groupes européens et préparera, par là, l’établissement durable de la paix. »

C’est là formuler toute une série d’illusions, qui reflètent une vision du monde embourgeoisée caractéristique de la seconde Internationale, notamment de Karl Kautsky, et qui est précisément ce que dénonce Lénine.

Voici un extrait d’une lettre de la fraction social-démocrate parlementaire russe à la social-démocratie d’Autriche et de Hongrie :

« Les questions de l’accès à la Serbie à l’Adriatique, de l’autonomie de l’Albanie, de [la ville albanaise cible de grandes convoitises] Scutari, etc., ne servent qu’à masquer la lutte entre la Russie et l’Autriche pour l’hégémonie dans la péninsule balkanique.

Dans le conflit roumano-bulgare nous trouvons également les excitateurs austro-hongrois et russes qui firent métier d’aiguillonner les appétits des petits États pour fonder sur les dissensions et l’inimitié de ceux-ci des plans de nouvelles intrigues impérialistes.

Et chacune de ces questions secondaires au sujet desquelles les diplomates responsables et irresponsables tentent de faire une épreuve de force, peut devenir le départ d’un nouveau chapitre sanglant de l’ignominie de l’histoire européenne.

Si toute tentative tendant à jeter deux peuples l’un contre l’autre est, comme l’a dit le Congrès socialiste international de Bâle, un attentat contre l’Humanité et la Raison, une guerre entre la Russie et l’Autriche – guerre qui serait une sauvage mêlée des nations et des races – serait une véritable incarnation de la folie. »

Le dirigeant de la social-démocratie autrichienne Victor Adler salua chaleureusement le message russe, mais lui-même se fit un partisan de l’Union sacrée en 1914, tout comme l’autre signataire, Ferdinand Skaret, membre de l’Exécutif de la seconde Internationale.

Le dirigeant hongrois Buchinger Manó fut plus digne, bien qu’il adopta une position centriste ; après 1945 il soutint la démocratie populaire hongroise.

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