Le Dieu du Coran est interventionniste. Il n’est pas seulement le Dieu créateur de l’univers – bien qu’il le soit aussi, comme dans tous les monothéismes. Il est également le Dieu qui porte le mouvement du monde, du moins dans ses traits fondamentaux et là on rejoint clairement la vision polythéiste-animiste du monde.
Le polythéisme animiste a, effectivement, une obsession : l’équilibre d’un monde en mouvement, la quête de stabilité. Dans le monothéisme, par contre, le monde est posé, tout est stabilisé par le monothéisme.
La Genèse du judaïsme et du christianisme permet, chez les Juifs et les chrétiens, de placer la naissance du monde bien avant soi, et de prendre le monde tel quel. Ce monde tourne d’ailleurs de lui-même ; Dieu est partout, mais il n’est également nulle part.
Le judaïsme est ici bien moins avancé que le christianisme, car ses rites sont encore très clairement liés aux différents épisodes de l’année, telles les récoltes. Dans le christianisme la liaison avec les phénomènes terrestres est tendanciellement coupée.
Le christianisme a réussi la coupure en faisant descendre Dieu sur Terre ; une fois cela fait, l’humanité devient le Dieu réel de la planète, du moins se l’imagine-t-elle ; auparavant il était un participant d’une réalité instable.
L’Islam se veut dans une même perspective, il se définit comme le vrai prolongement du judaïsme et du christianisme, qui auraient été modifiés de manière impropre. Mais de manière notable, le Coran est de son côté particulièrement lyrique quant à l’univers.
Mahomet insiste de manière à la fois marquée et lyrique sur l’organisation du monde et l’émerveillement qu’il faut éprouver. C’est tellement vrai que même Dieu, chose absurde, souligne la solennité qu’il y a à ce qu’il jure sur l’agencement des étoiles. C’est là une synthèse forcée entre un Dieu suprême et le polythéisme monothéiste.
On a, dans les faits, avec Mahomet, un caravanier qui s’extasie et une telle extase est absolument typique de l’animisme. Le monothéisme est normalement sec, par contre ; il ne considère pas que les choses « vibrent ». Chez Mahomet, le monothéisme musulman conserve la « charge » polythéiste animiste – d’où les vagues de conversions massives dans de nombreuses zones polythéistes animistes, notamment en Inde, en Indonésie, en Afrique.
Mahomet est ainsi un monothéiste qui, à l’instar du polythéisme animiste, regarde le cheminement des étoiles, donne un sens au mouvement du vent, observe avec attention le mouvement des nuages.
Pour formuler la chose scientifiquement, il faut dire les choses de la manière suivante : la quantité et la qualité se disposent différemment dans le polythéisme animiste et le monothéisme.
Dans le polythéisme animiste, la tension est permanente, on porte de l’attention à tout, la qualité est dans la quantité, on est dans l’obsession, dans l’anxiété.
Dans le monothéisme, la tension est étalée, on ne porte son attention que sur un Dieu lointain, la quantité est dans la qualité ; on est dans l’angoisse.
Mahomet s’évertue à combiner les deux formes, à exprimer un monothéisme, dont la base est polythéiste-animiste. Tout « parle ». Dans la sourate « L’Agenouillée », on lit au début :
1. Ha, Mim.
2 La révélation du Livre émane d’Allah, le Puissant, le Sage.
3 Il y a certes dans les cieux et la terre des preuves pour les croyants.
4 Et dans votre propre création, et dans ce qu’Il dissémine comme animaux, il y a des signes pour des gens qui croient avec certitude.
5 De même dans l’alternance de la nuit et du jour, et dans ce qu’Allah fait descendre du ciel comme subsistance [pluie] par laquelle Il redonne la vie à la terre une fois morte, et dans la distribution des vents, il y a des signes pour des gens qui raisonnent.
Le monothéisme supprime les signes, même s’il n’a jamais réussi à entièrement le faire, cherchant néanmoins au moins à les limiter, à leur donner une valeur uniquement visible et compréhensive par les prophètes, les Saints ou le clergé.
Le polythéisme animiste vit par contre dans le culte des signes. L’univers étant en mouvement permanent, tout est signe, tout le temps et partout. L’affrontement entre l’équilibre et le déséquilibre est ininterrompu, d’où la nécessité de célébrer tel ou tel dieu, de pratiquer des sacrifices afin de pousser les choses dans une direction ou dans une autre.
Mahomet attribue tous les signes à un seul Dieu. Toutefois, il accorde une valeur à ces signes exactement comme dans le polythéisme animiste. Dans le Coran, on a la même visibilité, le même type de monde où les signes sont partout, tout le temps et témoignent de la « vie » interne de l’univers. D’ailleurs, chaque scansion du Coran, que l’on appelle improprement « verset » en français, constitue selon la langue arabe du Coran un Aya c’est-à-dire un signe. Le Coran est en fait en tant que tel, une succession de signes compilés les uns à la suite des autres.
D’où une nécessité fondamentale pour le Coran : mettre en avant un Dieu qui surveille et punit, tout le temps. Ce n’est pas un Dieu jaloux regardant de loin comme dans le judaïsme ou un Dieu absent dont la présence se fait par un « Fils » qui l’incarne sur Terre comme dans le christianisme.
Le Dieu du Coran est un dieu polythéiste-animiste qui assume le rôle du Dieu monothéiste, il est particulièrement présent, afin de surveiller la perpétuation du « dépôt », comme le formule la sourate Les coalisés dans un verset capital pour saisir l’essence de l’Islam :
72. Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (de porter les charges de faire le bien et d’éviter le mal). Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé ; car il est très injuste [envers lui-même] et très ignorant.
73. [Il en est ainsi] afin qu’Allah châtie les hypocrites, hommes et femmes, et les associateurs et les associatrices, et Allah accueille le repentir des croyants et des croyantes. Allah est Pardonneur et Miséricordieux.
Cette conception d’un « dépôt » est essentielle ; elle correspond à une exigence qui est celle de l’animisme polythéiste, car il s’agit de « maintenir » l’ordre cosmique. Dans le monothéisme développé, l’ordre est posé ; dans le Coran, il est de type animiste-polythéiste, mais supervisé par un Dieu unique qui distribue bons et mauvais points.
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